XVIe législature
Session ordinaire de 2022-2023

Séance du mercredi 01 février 2023

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Séance du mercredi 01 février 2023

Présidence de Mme Hélène Laporte
vice-présidente

Mme la présidente

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    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à quinze heures.)

    1. Conventions d’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition entre la France et le Sénégal

    Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi

    Mme la présidente

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    L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la république du Sénégal, et de la convention d’extradition entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la république du Sénégal (nos 213, 764).

    Présentation

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.

    M. Franck Riester, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement

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    Mesdames et messieurs les députés, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, qui est en déplacement à l’étranger. La secrétaire d’État auprès de la ministre, chargée de l’Europe, nous rejoindra pour l’examen du second projet de loi de ratification inscrit à l’ordre du jour cet après-midi. C’est donc à moi que revient l’honneur de vous présenter le projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale et de la convention d’extradition conclues entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la république du Sénégal le 7 septembre 2021, à Paris.
    Les relations entre la France et le Sénégal sont riches, dynamiques, nourries par l’histoire et des liens humains forts. J’en veux pour preuve la présence d’une communauté de plus de 22 000 ressortissants français au Sénégal et l’importance de la diaspora sénégalaise en France, évaluée à plus de 80 000 personnes.
    Ces relations sont résolument tournées vers la jeunesse et l’avenir, comme en témoigne la tenue de la cinquième édition du séminaire intergouvernemental franco-sénégalais le 8 décembre dernier, à Champs-sur-Marne, en présence de la Première ministre et de son homologue sénégalais, d’une vingtaine de ministres français et sénégalais et d’une quinzaine de jeunes issus de nos deux pays.
    Ce séminaire a permis de mettre en lumière notre volonté commune d’encourager les mobilités croisées, alors que les étudiants sénégalais constituent le premier contingent d’étudiants étrangers francophones en France ; ils sont désormais 12 000, nombre qui a triplé en quinze ans. Il a également acté la poursuite du développement de divers projets tels que le campus franco-sénégalais (CFS), la mise en place d’une école franco-sénégalaise, ou encore le renforcement de notre coopération dans le domaine de la formation professionnelle.
    Le partenariat entre le Sénégal et la France est multidimensionnel : il s’exerce à tous les niveaux, entre gouvernements et collectivités locales, inclut la société civile et couvre un très large spectre de secteurs, afin d’appuyer les efforts des autorités sénégalaises en faveur de leurs priorités de développement, telles qu’elles sont reflétées dans le plan Sénégal émergent.
    Dans mes fonctions précédentes de ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l’attractivité, j’ai pu constater, par de nombreux exemples concrets, à quel point cette stratégie commune de renforcement de nos liens était une réalité au quotidien. Je pense notamment à l’éducation, à l’enseignement supérieur et la recherche, à l’emploi et la formation professionnelle, au numérique, à la culture, au sport, mais aussi à la santé, à l’énergie, à la lutte contre le changement climatique, à l’agriculture, à la justice ou encore à la sécurité. Autant de sujets qui sont au cœur de la volonté du Président de la République de renouveler la relation entre l’Afrique et la France, en particulier avec le Sénégal.
    En matière d’entraide judiciaire, les autorités sénégalaises ont voulu moderniser le cadre conventionnel de la coopération judiciaire en matière pénale initialement défini par la convention de coopération en matière judiciaire du 29 mars 1974, qui est toujours en vigueur. Le Sénégal comptait essentiellement adapter le cadre juridique aux techniques modernes d’investigation et de communication, faciliter le recouvrement des avoirs criminels et favoriser la fluidité des échanges. La France a répondu favorablement à ce souhait fort et réitéré.
    Des projets de conventions d’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition ont donc été adressés en 2019 aux autorités sénégalaises aux fins d’ouvrir des négociations. Des échanges et des discussions entre les services de nos deux pays se sont déroulés jusqu’à la tenue d’une unique session de négociations à Dakar, du 26 au 28 février 2020. Cela témoigne d’une grande confiance mutuelle dans la négociation et d’une facile convergence des points de vue entre les deux États.
    Les conventions qui sont aujourd’hui soumises à votre approbation viennent compléter, dans le domaine judiciaire pénal, le tissu conventionnel auquel la France et le Sénégal sont d’ores et déjà liés. Nos deux pays sont en effet parties à plusieurs conventions multilatérales spécialisées, adoptées sous l’égide des Nations unies, dont la convention unique sur les stupéfiants de 1961, la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984, la convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988, la convention contre la criminalité transnationale organisée de 2000 et la convention contre la corruption de 2003.
    En matière d’entraide judiciaire pénale, la France a adressé 109 demandes au Sénégal depuis le 13 janvier 2013 et 17 dénonciations officielles – notez qu’aucune demande d’entraide en cours ne porte sur des faits de terrorisme. Sur la même période, le Sénégal a adressé à la France 20 demandes.
    En matière d’extradition, la France, depuis 2013, a adressé dix demandes d’extradition aux autorités sénégalaises, essentiellement pour des faits de trafic de stupéfiants. Durant la même période, le Sénégal a adressé deux demandes d’extradition à la France ; l’une pour des faits d’escroquerie, l’autre pour des faits de blanchiment de capitaux, association de malfaiteurs, trafic illicite de migrants, faux et usage de faux documents administratifs et escroquerie.
     
    On ne peut que constater un déséquilibre de flux. Il y a beaucoup plus de demandes actives de la France vers le Sénégal que de demandes passives du Sénégal vers la France. Ainsi, même si le Sénégal a pris l’initiative de la rénovation de notre accord de 1974, il est certain que l’entrée en vigueur de ces nouvelles conventions se fera au bénéfice du parquet français, notamment des juges d’instruction.
    L’objectif de ces conventions est d’actualiser et d’adapter le cadre juridique aux défis posés par la lutte contre la criminalité organisée transfrontalière et la menace terroriste dans la bande sahélo-saharienne. Elles tendent à faciliter la coopération judiciaire en matière pénale entre la France et le Sénégal en créant les conditions juridiques qui permettent de mettre en œuvre une coopération rapide et fluide, intégrant les techniques spéciales d’enquête – auditions par vidéoconférence, livraisons surveillées, opérations d’infiltration, interception de télécommunications – et encadrant mieux les délais, les modalités de transmission et d’exécution des demandes.
    La première convention pose le principe de l’entraide judiciaire la plus large possible entre les parties dans le cadre des procédures suivies par leurs autorités judiciaires. Le champ de l’entraide est d’autant plus étendu que la convention énonce que le secret bancaire ou le caractère fiscal d’une infraction ne saurait s’ériger en obstacle à une demande d’entraide. La convention prévoit la transmission directe des demandes entre les autorités centrales, c’est-à-dire entre le ministère de la justice de la République française et le ministère de la justice de la République du Sénégal. Pour lutter contre les opérations de blanchiment d’argent, la convention permet d’envisager des possibilités très larges d’obtention d’informations en matière bancaire. Elle règle également les modalités de coopération aux fins d’obtenir l’identification, le gel, et la confiscation d’avoirs criminels.
    La seconde convention, quant à elle, énonce l’engagement de principe des parties de se livrer réciproquement les personnes qui, se trouvant sur le territoire de l’une d’elles, sont poursuivies par une infraction pénale ou sont recherchées aux fins d’exécuter une peine privative de liberté, prononcée par les autorités judiciaires de l’autre partie.
    Les présentes conventions apportent par ailleurs des garanties indispensables.
    D’une part, et de manière assez classique, la convention d’entraide prévoit que l’entraide peut être refusée, en particulier si la demande se rapporte à des infractions politiques ou connexes à des infractions politiques, ou si l’exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels de la partie requise.
    D’autre part, et conformément aux règles classiques du droit de l’extradition, la convention d’extradition prévoit plusieurs motifs de refus, notamment lorsque la partie requise considère que la personne recherchée est réclamée pour une infraction politique, ou lorsqu’elle a des raisons sérieuses de croire que l’extradition a été demandée aux fins de poursuivre ou de punir une personne pour des considérations de race, de genre, de religion, de nationalité ou d’opinion politique.
    En outre, afin de veiller au respect des droits de la défense, une demande d’extradition est rejetée si la personne réclamée doit être jugée dans la partie requérante par un tribunal d’exception n’assurant pas les garanties fondamentales de procédure ou doit exécuter une peine infligée par cette même juridiction.
    L’extradition sera également refusée si les faits qui la motivent sont passibles de la peine capitale – elle a été abolie au Sénégal en 2004, la dernière exécution datant de 1967 –, ou de tout autre peine contraire à l’ordre public de la partie requise, à moins que la partie requérante donne des garanties que cette peine ne sera pas requise et que, si elle était prononcée, elle ne sera pas exécutée à l’encontre de la personne recherchée.
    Enfin, la convention permet de préserver la pratique française consistant à refuser d’extrader ses ressortissants.
     
    Telles sont, mesdames et messieurs les députés, les principales observations qu’appellent les conventions d’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition signées avec la république du Sénégal, qui font l’objet du projet de loi soumis aujourd’hui à votre approbation. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et Dem.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Sylvain Maillard, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

    M. Sylvain Maillard, rapporteur de la commission des affaires étrangères

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    Nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur l’approbation de deux conventions signées en 2021 à Paris avec le Sénégal, l’une portant sur l’extradition, l’autre sur l’entraide judiciaire en matière pénale.
    La France est actuellement liée au Sénégal par un accord de coopération judiciaire datant de 1974. Cependant, depuis cette époque, des évolutions majeures sont intervenues. La criminalité organisée s’est complexifiée et internationalisée, avec des réseaux de trafics d’êtres humains, de stupéfiants, d’armes et de cybercriminalité, qui exercent leurs activités dans la bande sahélo-saharienne et étendent leurs ramifications jusqu’en Europe.
    La visite à Dakar du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, le 21 décembre, a été l’occasion de faire le point sur les réseaux d’immigration clandestine et sur le trafic international de crack, dont nous connaissons les répercussions dramatiques dans certains quartiers de Paris.
    Par ailleurs, les pays dans la région sahélo-saharienne font face, depuis plusieurs années, et dans des proportions inédites, à une menace terroriste qui continue à faire de nombreuses victimes. Le Sénégal a été jusqu’à présent épargné par les attentats et l’islamisme radical ; tel n’est pas le cas de pays voisins comme le Mali, le Niger ou le Burkina Faso. Dans ce contexte, la porosité de la frontière sénégalo-malienne, longue de près de 500 kilomètres, tend à fragiliser l’est du Sénégal, région déjà pauvre et relativement délaissée. La criminalité organisée et le terrorisme ont, de surcroît, tendance à s’imbriquer. Les autorités françaises ont parfois à connaître ce type d’affaires dans les cas où des ressortissants français seraient mis en cause ou en seraient victimes, ainsi qu’en cas de répercussions sur la sécurité de notre pays. En sens inverse, les autorités sénégalaises peuvent avoir besoin de la coopération des juridictions françaises dans des dossiers d’envergure ou d’une grande complexité.
    Aujourd’hui, l’accord bilatéral de 1974 n’apparaît plus adapté aux défis posés par le terrorisme et la criminalité organisée. L’exécution des demandes françaises d’entraide et d’extradition se révèle ainsi trop lente, aboutissant parfois au dépérissement des preuves ou à la clôture des dossiers, faute de résultats.
    Les présentes conventions visent donc à rénover un cadre juridique jugé obsolète. Elles permettront de favoriser une exécution plus rapide et plus efficace des demandes et de prendre en compte les bouleversements techniques et technologiques intervenus depuis 1974. Elles organisent de manière claire les modalités de communication et de transmission des demandes d’entraide et d’extradition, en particulier dans les cas les plus urgents, en posant une obligation de célérité. Je le rappelle, l’extradition n’a rien à voir avec l’expulsion ni avec le droit des étrangers ; elle constitue simplement une procédure de nature judiciaire visant à remettre à un autre État l’auteur d’un délit ou d’un crime pour qu’il puisse y être jugé ou exécuter sa peine. La procédure d’extradition a par ailleurs pour objet d’empêcher que l’auteur d’une infraction grave aille trouver refuge dans un autre État. Elle est donc essentielle pour garantir le droit des victimes et ne pas laisser impunis des comportements délictuels graves.
    La convention d’entraide judiciaire permettra de recourir aux techniques modernes d’enquête qui n’étaient pas couvertes par l’accord de 1974, telles que les auditions par vidéoconférence, les demandes d’informations en matière bancaire, les saisies et confiscations d’avoirs criminels, les interceptions de télécommunications, les livraisons surveillées et les opérations d’infiltration.

    M. Sylvain Maillard, rapporteur

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    De plus, il est primordial de le souligner, ces deux conventions prévoient les garanties indispensables qui doivent entourer ce type de procédures. L’entraide peut ainsi être refusée si les autorités compétentes – ici, les autorités judiciaires nationales – jugent que la demande se rapporte à des infractions politiques. Ces garanties éviteront que de telles procédures puissent être détournées d’une quelconque façon.
    Par ailleurs, les témoins, experts ou personnes poursuivies, lorsqu’ils sont appelés à comparaître devant les autorités judiciaires du pays demandeur, bénéficient d’immunités précisément définies par la convention d’entraide judiciaire en matière pénale. De même, l’extradition ne saurait en aucun cas être accordée lorsque les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique, ou s’il existe des raisons sérieuses de croire qu’elle aboutirait à poursuivre ou punir une personne pour des considérations de race, de genre, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques.
    Autre garantie d’importance, fondée sur le principe dit de spécialité : une personne ne pourra être poursuivie pour un fait autre que celui ayant motivé son extradition. En outre, une clause excluant l’extradition lorsque l’infraction en cause fait encourir la peine de mort figure dans la convention d’extradition, alors même que le Sénégal a aboli la peine capitale en 2004 – la dernière exécution remontait à 1967, soit dix ans avant la dernière exécution en France.
    Les deux conventions prévoient également des garanties pour la protection des données personnelles. Les textes négociés ont fait l’objet d’une élaboration attentive et sont inspirés en grande partie des mécanismes de coopération de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. Ils sont très proches des conventions signées en 2018 avec le Niger et le Burkina Faso, que l’Assemblée nationale a approuvées et qui sont déjà entrées en vigueur.
    Néanmoins, pour que cette modernisation du cadre juridique ait pour effet l’amélioration de notre coopération judiciaire, il faut qu’elle s’accompagne d’un soutien français au Sénégal, pour que celui-ci s’approprie ces nouveaux moyens. La France a commencé à l’apporter, grâce à son magistrat de liaison en poste à Dakar. Un projet, mis en œuvre depuis un an par Expertise France, vise ainsi à développer au Sénégal un bureau de l’entraide pénale internationale, sur le modèle du bureau français.
    Au demeurant, la coopération judiciaire entre nos deux pays peut s’appuyer sur une culture juridique et administrative commune. Nos organisations judiciaires sont en effet largement similaires, avec un double degré de juridiction, ainsi que la présence, dans le code pénal sénégalais, des principes classiques du droit pénal français, notamment le principe de légalité des délits et des peines.
    J’ajoute que cette coopération repose aussi sur des liens d’amitié historiques. Preuve de cela, le Sénégal est le seul pays d’Afrique subsaharienne avec lequel la France tient un séminaire intergouvernemental annuel. Les visites bilatérales entre nos autorités sont fréquentes. Elles peuvent d’ailleurs être l’occasion de se dire les choses avec franchise, lorsque nos vues ne concordent pas ou lorsque des points précis nous préoccupent. Tel avait été le cas lors de l’adhésion du Sénégal, en 2020, à la déclaration dite du consensus de Genève.
    La France restera également attentive, dans le respect, bien sûr, de la souveraineté du Sénégal, aux conditions de déroulement de l’élection présidentielle de 2024 et au respect des droits des oppositions. Tous ces sujets requièrent bien évidemment notre attention, mais il serait erroné d’y voir des raisons de ne pas approuver deux conventions qui vont dans le sens de l’amélioration de la sécurité et du renforcement du droit des victimes. Le Sénégal est un État de droit, dont l’organisation judiciaire est proche de la nôtre ; les juges y sont indépendants et bien formés. Il faut faire confiance au juge pour l’application de ces conventions, qui comportent toutes les garanties nécessaires pour prévenir un usage abusif.
    Mes chers collègues, j’espère vous avoir convaincus de l’importance de ces deux conventions, tant au regard de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme que des liens forts qui nous unissent au Sénégal. C’est au vu de ces enjeux que la commission des affaires étrangères a adopté le présent projet de loi ; je vous invite à faire de même. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE – Mme Sophie Mette applaudit aussi.)

    Discussion générale

    Mme la présidente

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    Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nathalie Bassire.

    Mme Nathalie Bassire

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    Depuis son indépendance, en 1960, le Sénégal est un partenaire essentiel de la France en Afrique. C’est la deuxième économie de l’Afrique de l’Ouest francophone et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Il y a entre 200 000 et 300 000 Sénégalaises et Sénégalais en France. Notre pays est le premier partenaire commercial du Sénégal et y est le premier investisseur, avec plus de 2 milliards d’euros d’investissements directs étrangers.
    Ces nouvelles conventions sont l’occasion de moderniser l’arsenal juridique en vigueur. Nos deux pays coopèrent en matière pénale dans cinq domaines, grâce à des conventions multilatérales signées dans le cadre des Nations unies. En outre, la convention bilatérale de 1974 permet déjà l’entraide judiciaire et l’extradition. Au cours des dix dernières années, la France a ainsi adressé 108 demandes au Sénégal, et en a reçu 22.
    La réécriture qui nous est proposée tend à moderniser les moyens d’investigation contre la fraude à caractère financier, le trafic de stupéfiants et le risque terroriste. Cette révision de la convention de 1974 s’effectue après une refonte du cadre législatif du renseignement dans nos deux pays, en 2015 et 2016. Ces textes permettent d’inclure les nouveaux moyens techniques d’enquête et d’échange d’informations entre les parties. Cela comprend la possibilité de réaliser des auditions par vidéoconférence, d’accéder à des informations bancaires privées, d’assurer la surveillance des livraisons ou encore de pratiquer des écoutes téléphoniques.
    Ces conventions encadrent la marche à suivre dans des opérations délicates. Je pense notamment aux personnels infiltrés et à la possibilité de demander, en cas d’urgence, l’arrestation provisoire d’une personne recherchée. Elles comportent également des dispositions précises relatives aux frais qui résultent de la coopération, prévenant ainsi tout conflit qui pourrait survenir dans leur exécution.
    Enfin, ces conventions complètent un arsenal juridique favorisant la coopération judiciaire et l’extradition dans la région. Des conventions de ce type ont en effet déjà été signées avec le Niger et le Burkina Faso en 2018 et avec le Mali en 2019.
    En parallèle, ces textes prévoient des garde-fous pour éviter tout abus. Par exemple, l’extradition est obligatoirement refusée pour les infractions politiques ou lorsque la personne réclamée possède la nationalité de la partie requise. Par ailleurs, l’extradition fera l’objet d’un rejet obligatoire lorsque les poursuites reposent sur des considérations de race, de genre, de religion ou de nationalité, lorsqu’un jugement définitif a déjà été rendu, lorsqu’il y a prescription ou encore lorsque l’infraction est punie de la peine capitale.
    Une autre garantie réside dans la possibilité de refuser la coopération judiciaire lorsqu’elle porte sur des faits qui ne constituent pas une infraction en France. Ainsi, des comportements et activités permis sur notre territoire mais poursuivis au Sénégal ne donneront pas lieu à une entraide en matière pénale. Cette clause est particulièrement importante à l’heure où l’affrontement entre le gouvernement et l’opposition au Sénégal entraîne une escalade de déclarations réactionnaires et risque sérieusement d’aboutir à des mesures liberticides. La situation politique pourrait rapidement se détériorer dans ce pays ami. Je pense à la situation en Casamance, aux manifestations récentes ayant causé la mort de plusieurs personnes et aux multiples poursuites judiciaires contre les principaux représentants de l’opposition politique.
    À l’heure du remplacement du franc CFA par l’éco, ces conventions sont d’autant plus importantes qu’elles consacrent la possibilité de relations bilatérales entre pays égaux et partenaires. À l’heure du retrait des troupes françaises de la région malgré la persistance du risque terroriste, elles rénovent le cadre de la lutte contre des crimes graves. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires votera le projet de loi autorisant leur approbation. (M. Jean-Yves Bony et Mme Sophie Mette applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Amélia Lakrafi.

    Mme Amélia Lakrafi

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    Je salue le travail effectué par le rapporteur, mon collègue Sylvain Maillard, qui permet d’appréhender de manière complète le contenu et les enjeux de ces deux conventions qu’il nous est demandé d’approuver.
    Plusieurs orateurs l’ont rappelé, il existe déjà une convention de coopération judiciaire entre la France et le Sénégal. Toutefois, celle-ci date de 1974 ; conclue il y a quarante-neuf ans, elle n’est plus en mesure de donner totalement satisfaction. En effet, l’environnement géopolitique, les menaces auxquelles nous sommes confrontés, les moyens techniques et les exigences en matière d’efficacité judiciaire ont radicalement évolué.
    L’environnement géopolitique, tout d’abord, s’est profondément modifié. Le Sénégal est voisin du Mali et de la vaste zone sahélo-saharienne, dont l’instabilité favorise l’émergence de nombreuses menaces telles que le terrorisme djihadiste et les trafics transfrontaliers. La France sait mieux que d’autres pays les dangers que cela représente. En outre, le Sénégal est souvent considéré comme une plaque tournante du trafic de stupéfiants en direction de l’Europe. Il nous faut également lutter contre les réseaux d’immigration illégale. Cet environnement nouveau – qui comporte des menaces qui n’existaient pas en 1974 – incite à une modernisation de nos outils de coopération judiciaire.
    Par ailleurs, de nouvelles formes de criminalité sont apparues et imposent d’adapter notre dispositif de coopération judiciaire. Je l’ai évoqué en commission des affaires étrangères, il s’agit notamment de la cybercriminalité, en particulier des cyberescroqueries pratiquées depuis plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, y compris le pays de la teranga. La refonte de nos accords de coopération judiciaire permettra de mieux combattre ce fléau, qui connaît une croissance exponentielle.
    Les moyens techniques mis à disposition des États pour combattre le crime organisé ont eux aussi évolué. Ces conventions permettront l’utilisation de la visioconférence et les interceptions de télécommunications, qui n’étaient bien entendu pas prévues par la convention de 1974.
    Enfin, les exigences des citoyens en matière d’efficacité judiciaire ont évolué. On ne comprendrait plus aujourd’hui que des procédures obsolètes retardent le bon déroulement d’une enquête ou l’extradition d’un criminel. Les deux conventions dont nous discutons permettront de répondre plus rapidement aux demandes formulées par l’un ou l’autre des deux pays.
    Certaines voix ont pu émettre des doutes quant à l’opportunité d’autoriser l’entrée en vigueur de ces conventions, compte tenu de l’évolution politique que connaît le Sénégal. Sont en particulier susceptibles de poser problème les demandes d’extradition que pourrait formuler ce pays. Je tiens à le souligner, si la France est attentive à l’évolution démocratique du Sénégal – comme elle l’est pour tous les États avec lesquels elle entretient des relations –, ce pays n’en demeure pas moins un partenaire important, avec lequel elle a un lien privilégié. Les relations culturelles et économiques, les flux d’étudiants, le poids des diasporas et la francophonie sont autant de facteurs qui nous lient à ce pays, qui demeure parmi les États les plus fiables de la région. Cela a été rappelé, l’entrée en vigueur de ces conventions permettra d’approfondir encore notre relation bilatérale.
    Ces textes comportent par ailleurs toutes les garanties permettant d’éviter des extraditions pour des motifs politiques ou militaires. À l’instar de M. le ministre, je rappelle que la peine de mort a été abolie au Sénégal il y a près de vingt ans. L’existence d’un magistrat de liaison et la création à Dakar, avec l’appui d’Expertise France, d’un bureau de l’entraide pénale internationale témoignent de toute l’attention que la France accorde et continuera d’accorder au respect, par le Sénégal, des normes internationales dans le domaine judiciaire.
    L’action de la France dans plusieurs pays africains est décriée par certains, nourrissant un sentiment antifrançais, y compris au Sénégal. Il nous est ici donné l’occasion d’approfondir notre relation avec un partenaire important, dans une logique de coopération entre États, sur des bases saines et avec des objectifs clairs visant à améliorer le fonctionnement de la justice entre les deux pays ainsi qu’à lutter contre le terrorisme et le crime organisé. Je vous invite donc, chers collègues, à voter en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Kévin Pfeffer.

    M. Kévin Pfeffer

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    Le Sénégal a un système juridique, une organisation judiciaire et des codes tout à fait similaires aux nôtres. Nous accueillons donc favorablement ce texte technique sur l’entraide judiciaire en matière pénale entre nos deux pays qui est, en fait, la modernisation d’un accord issu de la convention de 1974. Le renforcement de la politique d’entraide entre nos nations pour la lutte contre la criminalité et le développement des relations franco-africaines va dans le bon sens. Il serait d’ailleurs souhaitable que le Gouvernement travaille à des accords similaires avec d’autres pays africains.
    J’en profite pour ouvrir une parenthèse et former le vœu que le Gouvernement travaille également à des accords avec tous les pays africains pour parvenir enfin à un taux d’exécution satisfaisant des obligations de quitter le territoire français, ces OQTF malheureusement connues qui surgissent tant de fois dans l’actualité tragique de notre pays et dont l’exécution systématique serait un atout non négligeable dans la gestion de l’immigration clandestine et du risque terroriste.
    Au-delà de ces accords, la France et le Sénégal entretiennent une relation particulière dont témoigne, par exemple, la présence d’éléments français au Sénégal ; ces forces armées contribuent à la formation et à l’appui de l’armée sénégalaise et lui permettent de mener au mieux des opérations de maintien de paix et de sécurisation des frontières, notamment celle avec le Mali, zone rendue instable par la présence de djihadistes et les trafics illicites. Ces relations importantes ont pourtant été délaissées à l’échelle du continent africain par les précédents et l’actuel gouvernement. L’abandon d’une réelle politique France-Afrique sans vision audacieuse pouvant reposer sur la francophonie nous a d’ailleurs conduits à n’être que les spectateurs de nos déboires au Mali et, plus récemment, au Burkina Faso. Ces échecs témoignent de notre perte d’influence ; pire, d’une perte de considération.
    Mais il existe encore une envie de France en Afrique et le Rassemblement national, lui, souhaite amplifier ces relations ; amplifier, par exemple, le développement de la francophonie pour faire de celle-ci un véritable outil de développement industriel et de coopération économique dont le Sénégal, acteur historique de la francophonie, pourrait être un moteur. C’était le sens de la visite qu’a effectuée dans le pays notre présidente Marine Le Pen il y a quelques jours et lors de laquelle elle a réaffirmé au président Macky Sall notre vision d’une relation France-Sénégal encore plus riche, plus amicale et plus fréquente.
    Nous proposons d’ailleurs depuis longtemps, pour améliorer la stabilité du monde, de cesser de dénier à l’Afrique la place légitime qui doit lui revenir dans l’organisation de la communauté internationale. À ce titre, le continent devrait bénéficier d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Le Rassemblement national promeut depuis des années cette mesure de bon sens. Le Sénégal, même s’il a connu des mouvements sociaux dramatiques lors des dernières élections législatives, reste un État de droit respectueux de la démocratie, un pays uni autour de cultures séculaires et doté d’une diplomatie rayonnante. Il pourrait ainsi représenter l’Afrique de manière permanente.
    J’ai volontairement élargi mon propos pour insister sur le fait que nous nous félicitons que des mesures soient prises pour améliorer les relations entre nos deux pays. C’est pour cela que notre groupe votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Arnaud Le Gall.

    M. Arnaud Le Gall

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    Il nous est demandé d’approuver une convention d’extradition entre la France et le Sénégal. Ce texte nous est présenté comme exclusivement juridique. Mais il n’existe pas de texte juridique sans portée politique, a fortiori en droit international.

    Mme Caroline Fiat

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    Voilà !

    M. Arnaud Le Gall

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    Y a-t-il urgence à adopter, à l’initiative du gouvernement sénégalais, la nouvelle version d’une convention déjà en vigueur depuis 1974, alors même que cette dernière a déjà été complétée par plusieurs mécanismes juridiques multilatéraux ? Non, car on ne peut ignorer le contexte politique sénégalais marqué par la dérive d’un président qui réprime et criminalise son opposition.
    Cette même opposition sénégalaise nous parle ; sachons l’entendre. En l’état, nous dit-elle, cette convention pourrait être détournée au service des objectifs politiques du président Macky Sall.

    Mme Sophia Chikirou

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    C’est évident !

    M. Arnaud Le Gall

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    Ce dernier utilise la tactique du lawfare, qui donne les apparences de la justice à la répression politique.

    Mme Sophia Chikirou

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    On s’y connaît…

    M. Arnaud Le Gall

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    En témoignent les arrestations et détentions d’opposants, l’interdiction des rassemblements organisés par l’opposition, les dix-huit morts causés par la répression des manifestations depuis juin 2021… Ces pratiques vont de pair avec la mise au pas progressive des pouvoirs législatif et judiciaire par le pouvoir exécutif, notamment par la réforme du code pénal sénégalais de 2021, qui étend la qualification de terrorisme à des infractions relevant d’abord de la lutte politique et sociale interne au Sénégal.
    C’est pourquoi, nous dit encore l’opposition sénégalaise, il aurait, entre autres, fallu que cette convention précise que « pour toute demande d’extradition liée à des faits présumés de terrorisme, les parties s’engagent […] à se conformer aux standards internationaux et classiques en matière de définition du terrorisme ». Avons-nous ces garanties concernant le Sénégal ? Non, d’autant que la dérive autoritaire du président sénégalais risque de provoquer une crise sociale et politique majeure s’il entend se maintenir au pouvoir au-delà de son second mandat, à rebours de ce que prévoit la C
     
     
    onstitution sénégalaise. L’élection présidentielle est prévue dans un an. Le moment est donc mal choisi pour donner au président sénégalais, avec la ratification de ces conventions, une forme de brevet en État de droit.
    La France insoumise soutient, évidemment, le principe de coopération en matière judiciaire. Mais, eu égard aux faits énumérés ci-dessus et dans la mesure où il existe déjà une convention entre la France et le Sénégal dont la modernisation ne présente aucun caractère d’urgence, notre groupe s’opposera à ce texte. Il y va du respect des droits du peuple sénégalais et donc de l’amitié entre les peuples français et sénégalais.

    Mme Sophia Chikirou

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    Très bien !

    Mme Nathalie Oziol

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    Absolument !

    M. Arnaud Le Gall

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    Ce qui passe ici pour un texte sans grande importance est vu au Sénégal comme une provocation. Ne laissons pas abîmer une relation marquée, notamment, par la présence de quatre députés aux États généraux de 1789, par la lourde part prise par les Sénégalais dans les guerres mondiales aux côtés de la France, par la langue que nous avons en usage commun, etc. Ce serait une erreur d’autant plus grave que la présence française dans la région est contestée et que notre pays y est rendu coupable de tous les maux. Ce traitement est injuste et mensonger ; la propagande, notamment russe, n’y est pas pour rien. Mais la vérité est que cette propagande n’aurait aucune prise si le gouvernement français n’avait pas multiplié les erreurs dans la région. Entendons-nous : la France n’est pas critiquée pour elle-même, mais pour une certaine politique. Si ces conventions sont ratifiées, elle enverra à nouveau le signal d’un soutien à un gouvernement en pleine dérive autoritaire.
    L’heure est à un changement radical de politique au service d’une francophonie populaire rompant avec les leçons de démocratie à géométrie variable et avec tout ce qui alimente un néocolonialisme réel ou ressenti, à commencer par le soutien à des gouvernements en butte à l’opposition massive de leurs peuples. Entendons ces derniers ; ils sont l’avenir de la relation entre la France et les pays africains. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES.)

    Mme Sophia Chikirou

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    Merci pour l’opposition sénégalaise !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Vincent Seitlinger.

    M. Maxime Minot

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    Enfin des paroles sensées !

    M. Vincent Seitlinger

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    En préambule, je souhaite saluer le travail de qualité réalisé par notre collègue Sylvain Maillard.
    Entre le Sénégal et la France, l’histoire a tissé les liens d’une amitié que nul ne peut défaire. Cette amitié est forte et sincère. Son héritage a permis à nos deux nations, pourtant si différentes, de regarder dans la même direction et de se construire à travers les crises en maintenant un partenariat solide. Notre relation d’entente est placée dans de nombreux domaines sous le signe de l’entraide et de la raison – nous pensons à la coopération universitaire et scientifique, mais aussi aux relations économiques, car il convient de rappeler que la France, premier investisseur au Sénégal, demeure le premier partenaire commercial de ce pays. Cet échange est rendu possible par une histoire, une langue et une culture institutionnelle communes. Ce patrimoine commun, nous le devons à nos prédécesseurs, dont M. Léopold Sédar Senghor, jadis député sur nos bancs, qui eut le redoutable honneur de proposer notre modèle juridique et administratif à l’État du Sénégal naissant.
    La réalité est que cette relation, marquée par la confiance et la transmission, se démarque dans un monde multipolaire instable et imprévisible. L’ordre mondial est fragilisé et nous subissons une crise après l’autre. Dans ce contexte, il convient d’admettre que l’Afrique est le plus fragile des continents. Le continent africain, avec ses institutions vulnérables et son économie fragile, est le plus poreux aux déstabilisations en tout genre : la Russie y mène une guerre d’influence avec l’appui de ses milices privées ; des puissances étrangères alimentent des discours francophobes en manipulant les opinions publiques ; les réseaux de narcotrafiquants et de cybercriminalité essaiment. Le plus alarmant reste la menace terroriste : au Sénégal, l’existence d’une frontière commune avec le Mali est une source de fragilité et de risques, car la région Sahel-Sahara est minée par des groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda et à Daech.
    Cette déstabilisation a des répercussions sur le continent et sur notre propre sol. Pour ces raisons, nous devons renforcer notre coopération avec le Sénégal, qui demeure un rempart protecteur dans une sous-région minée par l’insécurité.

    M. Maxime Minot et Mme Isabelle Périgault

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    Tout à fait !

    M. Vincent Seitlinger

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    Par sa situation géographique et son rôle de leader en Afrique de l’Ouest, le Sénégal est un allié de confiance pour contribuer à la sécurité de cette zone. Il y va de la défense de nos intérêts économiques et de la sécurité sur notre sol. Il y va aussi du développement du Sénégal et de l’Afrique car, sans un système judiciaire robuste, il n’y a ni paix ni développement possible.

    M. Maxime Minot

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    Très bien !

    M. Vincent Seitlinger

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    Nos deux pays sont déjà liés par de multiples accords, dont la convention de coopération en matière judiciaire du 29 mars 1974. Néanmoins, face au caractère transnational des réseaux criminels et terroristes, la réponse judiciaire devait se moderniser car elle ne pouvait ni se limiter aux frontières du Sénégal, ni à celles de la France. Voilà pourquoi il devenait urgent d’adapter le cadre légal. Nous nous satisfaisons que ces nouvelles conventions permettent notamment de favoriser les auditions par visioconférence ou encore de renforcer les moyens d’action de nos forces armées dans les missions d’infiltration des réseaux criminels. Ces moyens sont indispensables pour relever les deux grands défis que sont la lutte contre la criminalité transfrontalière et l’imminence de la menace terroriste dans la zone proche du Sahel-Sahara. En nous engageant dans ces accords, nous consolidons notre diplomatie d’influence et nous adressons au Sénégal un signal fort en lui témoignant notre confiance.
    Pour ces raisons, le groupe Les Républicains votera pour l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères, et M. Karl Olive applaudissent également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Sophie Mette.

    Mme Sophie Mette

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    Une longue histoire unit la France et le Sénégal et le temps est venu de renforcer cette relation qui produit des effets sur le plan juridique, mais également sur les plans économique, culturel, éducatif et en matière de sécurité. Le Sénégal est probablement notre plus grand partenaire en Afrique subsaharienne, comme en témoigne le cinquième séminaire intergouvememental qui s’est tenu en décembre. Dans un contexte de lutte contre la menace terroriste dans la bande sahélo-saharienne, la coopération en matière pénale avec nos partenaires africains revêt une importance stratégique.
    En matière de coopération judiciaire, nos deux pays sont déjà liés par la convention du 29 mars 1974, laquelle couvre les questions d’entraide judiciaire mutuelle, d’extradition de personnes recherchées et de transfèrement de personnes condamnées. Néanmoins, il apparaît nécessaire de moderniser ce cadre de coopération qui n’est plus adapté compte tenu des grands bouleversements qu’a connus la région, de l’explosion de la criminalité transfrontalière à la menace terroriste dans la région sahélo-saharienne. Nos pays doivent donc pouvoir s’entraider plus efficacement. C’est l’objet des deux accords que nous examinons aujourd’hui en matière de coopération judiciaire pénale et d’extradition.
    Vous aviez déjà très bien éclairé la commission, monsieur le rapporteur, en précisant qu’il s’agit essentiellement d’adapter le cadre juridique aux techniques modernes d’investigation et de communication, de faciliter le recouvrement des avoirs criminels ou encore de favoriser la fluidité des échanges. Rappelons, d’une part, que la France et le Sénégal sont déjà parties à plusieurs conventions de coopération judiciaire en matière pénale signées sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU) et que la France a déjà modernisé ses traités bilatéraux de coopération avec deux autres pays de la région sahélo-saharienne, le Niger et le Burkina Faso.
    Ces deux conventions bilatérales sont, d’autre part, l’aboutissement d’une coopération technique entre magistrats français et sénégalais, qui se trouve renforcée par notre politique de développement. Des juristes d’Expertise France, filiale de l’Agence française de développement (AFD), ont ainsi reçu pour mission, depuis des années, d’améliorer notre coopération judiciaire et, plus récemment, de développer un bureau de l’entraide pénale internationale (BEPI) au Sénégal.
    Si l’examen du texte en commission a fait apparaître des dissensions, je souhaite rappeler, au nom du groupe Démocrate, que notre modèle repose sur la séparation des pouvoirs et que la coopération entre les deux pays ne saurait exister si notre approche n’est pas partagée par le Sénégal. Des accords de coopération judiciaire comme ceux que nous examinons aujourd’hui ne témoignent nullement du soutien de la France au pouvoir sénégalais et à sa politique nationale, a fortiori quand un accord de ce type existe déjà depuis près de cinquante ans. Dès lors, nous ne pouvons que regretter la politisation du débat. Je rappelle que la coopération entre des juges de différents pays constitue une sécurité juridique supplémentaire car elle assure une meilleure communication et favorise l’échange de bonnes pratiques.
    Le groupe Démocrate est favorable au renforcement de l’efficacité de la réponse judiciaire face aux réseaux criminels et terroristes qui se développent dans la région sur un mode transnational. Il votera en faveur du projet de loi et forme le vœu que le renforcement de la coopération avec le Sénégal permette de répondre aux critiques dont la France fait l’objet pour son action dans la région du Sahel, critiques qui se fondent souvent sur de fausses informations. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Alain David.

    M. Alain David

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    Je l’ai rappelé lors de l’examen du projet de loi en commission, le Sénégal entretient des relations de coopération judiciaire significatives avec la France depuis l’accord de coopération judiciaire de 1974. Ce pays a signé de nombreux traités internationaux dans le cadre de l’Organisation des Nations unies, à laquelle il appartient, traités qui l’engagent en matière de coopération judiciaire avec la France : la Convention unique sur les stupéfiants, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, la Convention contre la criminalité transnationale organisée – adoptée par la résolution 55/25 de l’Assemblée générale des Nations unies – et la Convention contre la corruption.
    La France est le principal demandeur de coopération judiciaire. Depuis 2011, elle a formulé 108 demandes d’entraide judiciaire, soit un nombre significatif, dont 40 sont toujours en cours d’exécution, et 14 dénonciations officielles. Les délais d’exécution de ces demandes sont souvent longs. On peut donc souhaiter que ces deux conventions accélèrent les procédures et facilitent les démarches. Elles visent à améliorer l’accord de 1974, principalement pour intégrer les nouvelles techniques d’enquête, comme la visioconférence ou les livraisons surveillées, lesquelles sont essentielles dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. De même, des dispositions relatives à la protection des données personnelles ont opportunément été intégrées dans ces accords afin de respecter les nouveaux standards en la matière.
    Le Sénégal, qui compte près de 16 millions d’habitants, est l’un des États de la région avec lesquels la France entretient les relations les plus structurées, nourries par l’histoire et par des diasporas importantes dans l’un et l’autre des deux pays. C’est un partenaire stable et démocratique, qui a reçu près de 1,7 milliard d’euros de contributions financières depuis 2011 dans le cadre de l’aide au développement – 1,5 milliard d’euros supplémentaire est prévu pour la période 2022-2025. Nous sommes heureux de renforcer ces relations étroites par un nouvel accord d’entraide. Le groupe Socialistes et apparentés votera un projet de loi relatif à des textes qui ne sont pas seulement techniques, mais constituent un indéniable progrès. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC ainsi que sur les bancs des commissions.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-François Portarrieu.

    M. Jean-François Portarrieu

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    Le 29 mars 1974, la France et le Sénégal signaient une convention de coopération en matière judiciaire. Ce texte présente plusieurs atouts, qu’il convient de rappeler. Tout d’abord, il permet de lutter contre la criminalité puisqu’il aide la France et le Sénégal à combattre le terrorisme, la traite des êtres humains et le trafic de drogue en facilitant l’échange d’informations et de preuves. Ensuite, cette convention renforce la coopération judiciaire en établissant un cadre juridique pour la coopération des systèmes judiciaires et en leur permettant de travailler ensemble plus efficacement dans les enquêtes et les poursuites pénales. Elle améliore également la sécurité, les deux pays partageant leurs ressources et leur expertise en matière de lutte contre la criminalité transnationale et le terrorisme. Elle favorise par ailleurs le respect du droit en démontrant l’attachement de la France et du Sénégal à l’État de droit et à la coopération internationale. Enfin, la convention de 1974 instaure un climat de confiance entre les deux pays et crée ainsi les conditions d’une relation bilatérale plus solide. Ce texte a donné lieu à de nombreuses demandes d’entraide et d’extradition : depuis 2011, 108 demandes ont été adressées au Sénégal et 22 à la France.
    Cette coopération s’inscrit pleinement dans la relation d’amitié entre nos deux pays. La France est le premier investisseur au Sénégal, cela vient d’être rappelé. Le Sénégal est aussi l’un des premiers bénéficiaires de notre aide publique au développement. La relation entre nos deux pays s’est forgée dans l’histoire depuis l’indépendance du Sénégal en 1960 jusqu’à l’opération Serval, au Mali, qui a associé l’armée sénégalaise. Dans cette histoire partagée, comme dans la coopération en matière judiciaire, la France et le Sénégal ont connu des évolutions liées aux changements du contexte géopolitique et à des progrès technologiques majeurs. C’est pourquoi il est nécessaire de moderniser le cadre adopté en 1974.
    Nous devons garder la main face aux nouveaux comportements criminels, au terrorisme et à la cybercriminalité, mais aussi améliorer les procédures d’échange d’informations et de preuves. Il s’agit, enfin, de permettre l’usage des nouvelles technologies et méthodes d’investigation dans les enquêtes pénales. Pour ce faire, la France a signé deux conventions avec le Sénégal le 7 septembre 2021 : une convention d’entraide judiciaire en matière pénale et une convention d’extradition.
    La première prévoit une entraide la plus large possible et permet de fluidifier l’échange d’informations tout en intégrant les techniques modernes d’investigation : auditions par visioconférence, demandes d’informations bancaires, livraisons surveillées, infiltrations et interceptions de télécommunications. La seconde convention permet à chaque pays de livrer à l’autre toute personne recherchée aux fins de poursuites ou d’exécution de peines. Elle pose un cadre clair en définissant à la fois les infractions susceptibles de donner lieu à une extradition et les motifs justifiant un refus.
    Nous devons autoriser l’approbation de ces conventions pour deux raisons essentielles. Premièrement, elles entrent parfaitement dans le cadre international dont la France et le Sénégal font partie – je pense notamment à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000 et à la Convention des Nations unies contre la corruption du 31 octobre 2003. Elles s’inscrivent également parfaitement dans le cadre fixé par les pays membres du Conseil de l’Europe.
    Deuxièmement, nous devons autoriser l’approbation de ces conventions parce que la France et le Sénégal possèdent des institutions similaires, ce qui facilite les coopérations. Comme la France, le Sénégal dispose d’un Conseil constitutionnel, d’un Conseil d’État et d’une Cour de cassation. S’ils ne sont pas interchangeables, nos systèmes juridiques consacrent chacun la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen au sein du bloc constitutionnel. Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons et apparentés appelle l’Assemblée à voter en faveur du projet de loi autorisant l’approbation de ces conventions. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)

    Mme la présidente

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    Sur le projet de loi, je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d’une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
    La parole est à M. Aurélien Taché.

    M. Aurélien Taché

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    Il faut, pour commencer, rappeler la relation qui lie le Sénégal et la France. La colonisation a laissé des traces indélébiles, que nous devons prendre pleinement en considération si nous voulons offrir un avenir prospère et équitable à la coopération entre nos deux pays. Reconnaissons les fautes et parfois les crimes du passé et abordons-les de manière transparente et honnête pour les conjurer réellement et avancer enfin. Nous avons aujourd’hui l’occasion d’écrire une nouvelle page de l’histoire qui lie nos deux pays en construisant une alliance fondée sur le respect mutuel et la solidarité. C’est un défi important, mais je suis convaincu que nous arriverons à le relever.
    Soixante ans après avoir obtenu son indépendance, une partie de la population sénégalaise exprime un sentiment antifrançais croissant. Ce phénomène est commun à de nombreux pays de l’Afrique de l’Ouest. Il est donc important d’aborder notre coopération avec le Sénégal à travers le bon prisme – les bonnes lunettes, si j’ose dire – en tenant compte de notre passé commun, en offrant de véritables perspectives de développement et en faisant preuve d’humilité et de respect.
    Le texte sur lequel vous nous demandez aujourd’hui de voter concerne en réalité deux accords : le premier vise à améliorer l’efficacité des procédures judiciaires, notamment les enquêtes ; le second concerne les extraditions.
    La première convention permettra de lutter plus efficacement contre le trafic et le terrorisme. Il existe de nombreux accords similaires qui permettent d’assurer de manière plus efficace la sécurité de nos concitoyens, ainsi que celle des Sénégalais. Le crime organisé se développe à l’échelle internationale ; c’est donc à l’échelle internationale que nous devons organiser notre réponse.
    La seconde convention, en revanche, mérite d’être regardée de plus près. Qu’il s’agisse des exécutions de peines ou des poursuites pénales, la convention indique que si les infractions reprochées sont de nature militaire ou politique, l’extradition est obligatoirement refusée. Mais quel est le périmètre exact d’une infraction politique dans un pays où le pouvoir exerce un contrôle de plus en plus autoritaire ? Il est important de le comprendre : les infractions d’ordre politique soulèvent des questions complexes en matière de liberté d’expression et de droits, et peuvent donc faire l’objet de controverses et de débats importants.
    Le président sénégalais Macky Sall semble peu enclin à quitter son siège à l’occasion des élections de 2024. La Constitution sénégalaise limite pourtant le nombre de mandats consécutifs à deux. La stabilité du pays, souvent présenté comme un modèle de démocratie dans la région, est donc mise à l’épreuve. La population sénégalaise semble de plus en plus sceptique quant à la capacité du président à résoudre les problèmes économiques et sociaux du pays et à faire reculer la pauvreté et les inégalités. L’opposition, qui s’est renforcée ces dernières années, accuse le président de se comporter en dictateur et de violer les libertés fondamentales. Certaines voix s’élèvent également pour réclamer une réforme de la Constitution afin de limiter le pourvoir de l’exécutif.
    Le président Sall a répondu à ces critiques en affirmant que les élections de 2024 seraient justes et transparentes et qu’il en accepterait le résultat. De nombreux observateurs émettent toutefois de sérieux doutes sur la crédibilité de cet engagement. Les prochaines élections constitueront un test décisif pour la cohésion du pays et la solidité de sa démocratie. Les Sénégalais attendent des élections libres et équitables pour choisir leur nouveau leader en toute transparence.
    Or une grande partie des responsables de l’opposition ont eu affaire à la justice au cours des dernières années. Lors de manifestations, le gouvernement sénégalais n’a pas hésité à utiliser les blindés contre la foule. Le ministre de l’intérieur traite les manifestants de terroristes et il a suspendu deux chaînes de télévision qui avaient diffusé des images des manifestations. Il a également coupé internet à plusieurs reprises. La dizaine de morts et les centaines d’arrestations dénombrées récemment témoignent de la violence de la répression. Durant la manifestation du 17 juin 2022 à Dakar, plusieurs dirigeants politiques, tels les députés Mame Diarra Fam et Déthié Fall et le maire de Guédiawaye, Ahmed Aïdara, ont été arrêtés et incarcérés. Ahmed Aïdara a été accusé de participer à un rassemblement illicite. Il attend une sentence, qui pourrait inclure un mois de prison avec sursis et une amende de 50 000 francs CFA.
    En tant que parlementaire français et défenseur de la démocratie, je suis profondément préoccupé par ces événements. Si elle se doit de respecter pleinement la souveraineté sénégalaise, la France ne peut pas rester indifférente à ce qui se passe à Dakar. Nous sommes le premier partenaire commercial du Sénégal et l’AFD est l’un de ses principaux bailleurs, avec un engagement total de 1,4 milliard d’euros. Si cette relation économique prime sur les intérêts locaux et populaires, la confiance du peuple dans les institutions risque d’être entachée et la participation des citoyens à la vie politique de leur pays pourrait être affectée. Nous trahirions alors nos valeurs en même temps que le peuple sénégalais.
    Notre rôle n’est évidemment pas d’interférer dans la politique intérieure du Sénégal – c’est ce qu’il ne faudrait surtout pas faire. Au-delà de leur caractère profondément immoral, toutes les tentatives en ce sens se sont soldées par des échecs. La France doit cependant rester garante des grands principes démocratiques qui construisent son positionnement international.
    Dès lors, avons-nous l’assurance que cette seconde convention ne sera pas utilisée d’une manière ou d’une autre par le gouvernement du Sénégal pour conserver son pouvoir ? Malgré les garde-fous que le texte contient, en sommes-nous absolument certains ? À mon sens, la convention d’extradition qui nous est aujourd’hui proposée est donc inappropriée dans son esprit comme dans son calendrier : de potentielles dérives dans son utilisation pourraient menacer le principe de l’autodétermination des peuples. En outre, il existe bien d’autres domaines dans lesquels nous pouvons renforcer notre coopération et l’amitié entre nos peuples.
    Pour toutes ces raisons et parce qu’il tient compte du bien-fondé de la première convention, le groupe Écologiste-NUPES s’abstiendra sur le projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Karine Lebon.

    Mme Karine Lebon

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    Le groupe GDR ne cesse de le dire : il faut distinguer le texte et le contexte. Les deux conventions signées entre la France et le Sénégal, relatives respectivement à l’entraide judiciaire en matière pénale et aux extraditions, ont beaucoup inquiété dans les rangs sénégalais, tant l’ambiance politique est actuellement tendue là-bas.
    Au Sénégal, le contexte politique est en effet très inquiétant depuis plusieurs mois et particulièrement depuis le mois de mars 2021, qui a vu des manifestations de l’opposition politique au chef de l’État Macky Sall faire quatorze morts et plusieurs centaines de blessés au cours de conflits entre la police et les manifestants, selon Amnesty International. Les enquêtes concernant les personnes décédées piétinent, la confiance dans la démocratie sénégalaise s’amenuise et la capacité du président actuel à la protéger semble diminuer, tout comme la légitimité de ce dernier. Bref, les diverses oppositions sénégalaises et les organisations de la société civile n’ont pas confiance dans cette convention : dans le contexte actuel, elles la considèrent comme potentiellement menaçante.
    Or ce sont les peuples qu’il faut écouter pour savoir s’il est sage ou non de voter un texte de loi. La ratification des conventions d’entraide et d’extradition entre la France et le Sénégal tombe donc dans un contexte très tendu sur le plan politique, qui nous appelle à la plus grande prudence.
    C’est également depuis 2021 qu’une loi relative au terrorisme inquiète au plus haut point certains opposants politiques sénégalais, de même qu’une loi contre la cybercriminalité et une autre restreignant les manifestations sur la voie publique, ainsi que les dispositions qui interdisent les manifestations dans le centre-ville de Dakar.
    L’opposition actuelle est encore plus inquiète s’agissant de l’avenir du président Macky Sall : ce dernier reste flou sur son ambition de briguer un troisième mandat présidentiel, qui pourrait aller à l’encontre de la Constitution.
    Par conséquent, vous conviendrez qu’une ratification de ce type, aussi classique soit-elle – nous pouvons en convenir –, ne peut pas avoir lieu aujourd’hui. La convention en vigueur date de 1974 et n’est pas encore obsolète. Pourquoi ne pas attendre, pour en approuver une nouvelle, l’apaisement du contexte politique sénégalais, après les élections présidentielles de 2024 ?
    Ce serait intéressant à double titre : premièrement, cela enverrait un signal au futur chef de l’État du Sénégal, lui indiquant, dès les premiers jours de son mandat, que la France restera attentive à la situation sur place ; deuxièmement, cela ferait savoir à l’opposition politique sénégalaise que la France a entendu son inquiétude s’agissant de ce texte, tout en reconnaissant l’importance de le ratifier à moyen terme.
    L’élection présidentielle sénégalaise de 2024 permettra de savoir si le président Macky Sall a respecté la Constitution et si un nouveau dirigeant est en mesure de rassurer l’ensemble des élus et des personnes engagées en politique, dans les syndicats et la société civile. À ce moment, la France pourrait remettre à l’ordre du jour ce texte qui ne pose pas de problème sur le fond, car c’est le contexte qui est problématique – encore une fois, il faut distinguer le texte et le contexte.
    En conséquence, les députés du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES s’abstiendront. Vous l’aurez compris, nous serions ravis de voter pour ces deux conventions en 2024, mais nous ne le ferons pas aujourd’hui.

    Mme la présidente

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    La discussion générale est close.

    Discussion des articles

    Mme la présidente

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    J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi. Ils n’ont fait l’objet d’aucun amendement ; je les mets donc directement aux voix.

    Articles 1er et 2

    (Les articles 1er et 2 sont successivement adoptés.)

    Explications de vote

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Ersilia Soudais.

    Mme Ersilia Soudais (LFI-NUPES)

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    La lutte contre la menace terroriste dans la bande sahélo-saharienne est un défi majeur. Néanmoins, cette menace ne doit en aucun cas servir de prétexte aux velléités de maintien hégémonique d’un pouvoir qui se meurt.
    Nous ne pouvons pas ignorer les dérives actuelles du gouvernement sénégalais en place et la criminalisation de ses opposants politiques. En mars 2021, Amnesty International dénonçait une vague d’arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes pour des motifs fallacieux, et pointait du doigt le recours excessif de la force à l’encontre de manifestants. Rappelons-nous la mort du jeune Cheikh Coly, une des douze victimes de cette répression létale.
    Amnesty International alertait également sur la suspension de deux chaînes de télévision durant soixante-douze heures. Les autorités avaient justifié cette décision en évoquant la diffusion d’images de la manifestation ayant pour objectif de faire l’apologie de la violence. La censure de la presse est-elle digne d’un État de droit ? Je ne le crois pas.
    Que dire encore de la récente arrestation du journaliste Pape Alé Niang ? Les charges pesant sur lui étaient fantaisistes et politiques, alors que, selon la coordination des associations de presse, les récentes modifications du code pénal et du code de procédure pénale relatives au terrorisme ont déjà gravement porté atteinte à la liberté d’expression et au droit de réunion pacifique des Sénégalais.
    Dans ce contexte, comment garantir que les oppositions politiques ne seront pas davantage muselées sous l’effet d’une convention dont nous devons autoriser l’approbation ? Pouvons-nous affirmer que nous n’assisterons pas à une recrudescence des emprisonnements politiques sous couvert de lutte antiterroriste, destinée à laisser le champ libre au maintien d’un système autocratique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) Voter en faveur de cette convention ne contribuera-t-il pas, finalement, à nourrir le sentiment antifrançais, qui renvoie au rejet d’un système perçu comme oppresseur ?
    Lorsque le pouvoir politique restreint les libertés de ses citoyens, il renforce immanquablement ce qu’il dit combattre, à savoir la violence et le règne de la terreur. Chers collègues, nous ne pouvons pas en être les complices ; c’est pourquoi nous vous enjoignons de voter contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Aurélien Taché.

    M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES)

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    Je le disais à l’instant, les députés de mon groupe s’abstiendront ; mais pourquoi ? Ce projet de loi vise à autoriser l’approbation de deux conventions : la première, relative à la coopération judiciaire et pénale, ne pose pas de problème et doit aussi permettre, à mon avis, d’assurer et de renforcer la sécurité de nos concitoyens comme des Sénégalais ; la seconde, elle – je rejoins tout à fait ce qui vient d’être dit sur les bancs du groupe LFI-NUPES –, est dangereuse.
    Dans le contexte actuel de musellement de l’opposition sénégalaise, Macky Sall va probablement tout tenter pour garder le pouvoir et nous ne pouvons pas prendre le risque qu’il utilise cette convention d’extradition comme un moyen de conserver son pouvoir. Il y a bien d’autres domaines dans lesquels nous pouvons renforcer notre coopération avec le Sénégal ; la francophonie, par exemple, permet de véhiculer des valeurs démocratiques ! Passons des accords dans les domaines de la jeunesse, de la culture et de l’éducation, renforçons l’amitié entre les peuples sénégalais et français, mais n’autorisons pas l’approbation d’une convention d’extradition qui pourrait être utilisée à des fins politiques et qui, comme l’a dit notre collègue, nourrirait le sentiment antifrançais déjà très fort en Afrique de l’Ouest.
    Je le répète : pour ces raisons, le groupe Écologiste-NUPES s’abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.)

    Vote sur l’ensemble

    Mme la présidente

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    Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

    (Il est procédé au scrutin.)

    Mme la présidente

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    Voici le résultat du scrutin :
            Nombre de votants                        123
            Nombre de suffrages exprimés                118
            Majorité absolue                        60
                    Pour l’adoption                94
                    Contre                24

    (Le projet de loi est adopté.)

    (La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise.)

    2. Accords sur le partage de l’information maritime et sur la coordination des opérations en mer dans l’océan Indien occidental

    Discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat

    Mme la présidente

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    L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord pour la mise en place d’un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime dans l’océan Indien occidental et de l’accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l’océan Indien occidental (nos 385, 765).

    Présentation

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de l’Europe.

    Mme Laurence Boone, secrétaire d’État chargée de l’Europe

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    Je suis très heureuse et fière de présenter devant vous le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord pour la mise en place d’un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime dans l’océan Indien occidental, et de l’accord régional sur la coordination des opérations en mer dans ce même océan.
    Ces accords sont importants à plusieurs égards. D’abord, ils vont encore approfondir la coopération dans une région stratégique pour la France. En effet, comme vous le savez, dans le sud-ouest de l’océan Indien se situent plusieurs de nos territoires, en particulier La Réunion, Mayotte et certaines des Taaf – Terres australes et antarctiques françaises –, à savoir les îles Éparses comme les îles du canal du Mozambique et Tromelin. Ces territoires abritent 1,2 million de nos ressortissants et représentent un quart de notre zone économique exclusive (ZEE).
    Ces déterminants géographiques et humains sont un atout pour la France, et ils justifient son identité de nation indo-pacifique. L’intérêt de cet espace ne passe d’ailleurs pas inaperçu parmi les principales puissances mondiales. Certaines sont nos partenaires dans la région, notamment l’Inde, l’Australie et le Japon ; d’autres, comme la Chine et la Russie, sont des concurrentes voire des puissances ouvertement hostiles.
    Cette géographie si singulière nous rend aussi vulnérables face à de nombreux enjeux régionaux, en premier lieu la sécurité maritime. C’est le deuxième aspect de ces accords qui les rend donc essentiels : il a pour but de créer une architecture de sécurité maritime intégrée dans une région qui, comme beaucoup d’entre vous le savent, en a vivement besoin. Dans cette immense zone où transitent 30 % du trafic pétrolier maritime mondial – plus de 5 000 navires passent chaque année dans le canal du Mozambique – ainsi que d’importants flux commerciaux, les menaces en mer sont omniprésentes. Je pense notamment aux trafics d’armes, de stupéfiants, d’espèces animales et végétales protégées ; à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée ; aux trafics de personnes ; à la pollution marine et aux conséquences sécuritaires et environnementales des catastrophes naturelles – mais je pourrais en citer bien d’autres.
    Ces enjeux de sécurité maritime sont au cœur des principaux problèmes de la région, d’abord – et c’est très important – parce que la mer est un déterminant essentiel de la vie de nos compatriotes, de leurs échanges humains, commerciaux et de leur sécurité – je pense par exemple au transport, notamment de marchandises, à la pêche mais aussi à la sécurité environnementale ; ensuite parce que la région connaît malheureusement un niveau élevé de trafics illicites que nous ne devons pas laisser s’installer. Cette économie informelle touche particulièrement notre jeunesse et elle fait le lit de la violence, de l’instabilité et du sous-développement d’une partie de la région.
    Face à ces enjeux, le renforcement de nos capacités s’est imposé comme une nécessité et l’action collective est apparue comme une évidence car nos capacités nationales ne sauraient suffire à garantir la préservation de nos biens communs : la sécurité et la protection de l’environnement marin.
    C’est tout le sens du programme européen dit Mase, pour Maritime Security. Financé par l’Union européenne à hauteur de 42 millions d’euros pour la décennie 2013-2023, ce programme a pour objectif de renforcer la sécurité maritime dans la région de l’Afrique orientale et australe et l’océan Indien. Il est décliné par quatre organisations régionales, dont la Commission de l’océan Indien (COI), responsable de deux des cinq volets du programme pour un montant de 17,2 millions d’euros.
    Les deux composantes du programme Mase dont la COI a la charge sont intitulées de la façon suivante : « Renforcer les capacités nationales et régionales de coordination des opérations en mer » ; « Améliorer la coordination régionale et l’échange et le partage des informations maritimes ».
    Les deux accords concernés par notre procédure de ratification concernent chacun l’une de ces composantes. De fait, leur champ s’étend au-delà de celui de la COI – qui en assure le secrétariat – puisqu’ils ont été signés par tous les États membres de la COI mais aussi par le Kenya et Djibouti, qui ne sont pas membres de cette organisation. Précisons que l’Inde et le Japon sont observateurs.
    L’objectif du programme Mase et de ces accords qui l’appliquent est de mettre en place une architecture régionale de sécurité maritime pour veiller au respect du droit international de la mer et pour sécuriser l’espace maritime.
    L’accord pour la mise en place d’un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime dans l’océan Indien occidental vise à l’institution d’un Centre régional de fusion d’informations maritimes (CRFIM), basé à Madagascar. Le CRFIM a pour mission de recueillir, fusionner et analyser les informations provenant notamment des centres nationaux.
    Quant à l’accord sur la coordination des opérations en mer dans l’océan Indien occidental, il établit un Centre régional de coordination des opérations (CRCO) basé aux Seychelles. Le CRCO est chargé d’appuyer les interventions nationales en mer et d’assurer des interventions conjointes, en appui aux centres opérationnels nationaux.
    Concrètement, la participation de la France à ces nouvelles coopérations s’incarne dans les officiers de liaison placés auprès des deux centres régionaux, qui sont les artisans de la coopération quotidienne entre les administrations de toutes les parties aux accords.
    Ces centres régionaux sont jeunes et leur pleine opérationnalisation prendra encore du temps, mais leurs activités sont bien engagées et ils apportent déjà une plus-value de deux manières.
    Tout d’abord, ils nous permettent d’avoir une vision claire de tout le trafic maritime régional et de coordonner nos opérations en mer : le CRFIM a ainsi détecté 137 incidents maritimes en 2021, dont sept cas de pollution marine.
    Ensuite, ils créent des opérateurs de référence au niveau régional, ce qui nous permet de solliciter le concours de nombreux partenaires : l’Union européenne qui n’aurait pas soutenu nos capacités nationales individuelles autant qu’elle soutient l’architecture régionale ; l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et plusieurs pays tiers avec qui les centres entretiennent des échanges réguliers – Inde, Japon, Australie, Indonésie, Singapour, États-Unis, Royaume-Uni, Corée du Sud et Canada.
    La France est le dernier État signataire à ne pas avoir ratifié ces accords. Son approbation permettra donc de confirmer à nos partenaires notre engagement sans faille en faveur de la coopération régionale en matière de sécurité maritime. Elle nous permettra de clore définitivement l’étape de la mise en route pour nous diriger vers la pleine opérationnalisation des centres et donc vers une architecture régionale de sécurité maritime fonctionnelle au bénéfice de toute la région et de tous nos territoires.
    Avant de conclure, je voudrais revenir sur un point essentiel auquel je sais que vous portez une très grande attention : Mayotte, comme les autres territoires français de l’océan Indien, bénéficiera de ces accords et de l’architecture régionale de sécurité maritime qu’ils permettent. Défini par des coordonnées géographiques, le périmètre d’application de l’accord inclut en effet Mayotte et une partie des Taaf. Je tiens à être très claire sur ce point pour qu’aucun doute ne soit permis.
    Telles sont les principales observations qu’appelle l’accord pour la mise en place d’un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime dans l’océan Indien occidental et de l’accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l’océan Indien occidental, qui font l’objet du projet de loi proposé à votre approbation. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes RE et Dem. – M. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères, applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure de la commission des affaires étrangères.

    Mme Sabrina Sebaihi, rapporteure de la commission des affaires étrangères

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    Nous examinons donc un projet de loi portant sur l’approbation de deux accords visant à renforcer la réponse à l’insécurité maritime dans la partie occidentale de l’océan Indien. En préambule, je tiens à remercier tous les membres de la commission des affaires étrangères : grâce à la qualité de nos débats, nous avons pu percevoir les apports et les limites de ce texte. La commission l’a adopté sans modification, mais nos échanges ont mis en évidence quelques points d’ombre et d’amélioration.
    Revenons rapidement sur les raisons pour lesquelles cette région est primordiale. La France y compte un million de ressortissants, un quart de sa zone économique exclusive, deux bases militaires, l’une à Djibouti et l’autre à La Réunion. En outre, une part importante de nos approvisionnements transite par cette zone. La France étant riveraine de l’océan Indien, nous déployons naturellement des efforts pour nous intégrer dans cette région, en développant des actions de coopération ou en investissant des organisations régionales.
    Dans cette région, tous les pays sont confrontés à un défi commun : celui de l’insécurité maritime, qui nous évoque spontanément la piraterie au large de la corne de l’Afrique ou le terrorisme dans le canal du Mozambique. Or les menaces sont multiples : contrebande, trafic de drogues, d’armes et de personnes, ou pêche illicite sur laquelle nous n’insistons pas assez.
    Depuis des années, l’Europe est l’un des principaux pourvoyeurs de sécurité maritime dans l’océan Indien occidental. Dans le cadre de sa récente stratégie indo-pacifique, l’Union européenne a développé le concept de présence maritime coordonnée (PMC) qui vise précisément à mieux coordonner les déploiements des marines européennes dans la zone, sur le modèle de ce qui existe notamment dans le golfe de Guinée.
    De façon très positive, les pays riverains ont manifesté au cours des dernières années leur volonté d’assurer eux-mêmes une plus grande part des efforts de sécurisation maritime dans la région. Ces efforts convergent au sein du programme Mase, qui peut être considéré comme le socle de l’architecture régionale de sécurité maritime à l’ouest de l’océan Indien. Ce programme se distingue de l’action conduite par l’Union européenne par deux caractéristiques : il ne dépend pas d’une impulsion extérieure à la région ; il traite tout le spectre de l’insécurité maritime, et pas seulement la piraterie ou le terrorisme.
    Les deux accords en débat s’insèrent dans le cadre de ce programme Mase qu’ils ont vocation à renforcer.
    Le premier vise à approfondir le partage de l’information maritime pour améliorer le suivi des activités des bateaux dans la zone. Pour résumer, il prévoit que les États parties établissent un cadre pour échanger des informations, veillant à l’intégrité et à la confidentialité de ces dernières et limitant l’usage qui peut en être fait.
    Le deuxième accord vise à renforcer la coordination des opérations en mer. Prenons un exemple. Grâce à cet accord, un navire français, embarquant des agents de sécurité français et malgaches et guidé depuis les Seychelles, pourra intervenir dans une mission de sauvetage en mer ou arraisonner une embarcation soupçonnée de trafic de stupéfiants.
    Ces deux accords disposeront d’une assise institutionnelle grâce à deux centres régionaux, l’un situé à Madagascar et responsable de la fusion de l’information maritime, l’autre basé aux Seychelles et chargé de la planification des opérations en mer.
    L’élan en faveur de la coopération régionale est toutefois tempéré par un élan contraire qui tend à préserver la souveraineté des États parties. D’abord, tout échange d’information maritime reste à la discrétion des États. En d’autres termes, il n’y a aucune obligation. Ensuite, les réserves sont autorisées. La France prévoit ainsi d’en faire usage pour exclure toute information classifiée du champ des informations pouvant être communiquées dans le cadre de ces accords. Enfin, les modalités de coopération les plus poussées, comme celles qui permettent d’embarquer des forces de sécurité d’un État sur le navire d’un autre État, nécessitent la conclusion d’accords complémentaires.
    Si ce nouveau cadre normatif semble relativement positif, il ne sera pas mis en œuvre dans les faits s’il ne s’accompagne pas d’une réelle volonté politique de la France – qui devra consentir des moyens administratifs et budgétaires pour jouer pleinement son rôle dans la coopération régionale – et des autres États riverains – dont les ressources sont beaucoup plus comptées que les nôtres.
    Venons-en au point d’amélioration souligné lors de nos discussions en commission des affaires étrangères, à savoir la nécessité de renforcer la lutte contre une menace bien particulière : le fléau de la surpêche. Il ne s’agit pas de relativiser les autres menaces – comme la piraterie – qui pèsent sur la région. Mais si la piraterie a fortement diminué au cours des dernières années, ce n’est le cas ni de la surpêche ni même de la pêche illégale. Or l’océan Indien est une zone particulièrement sensible car beaucoup de populations des pays côtiers dépendent de la pêche pour survivre.
    Notre pays a ici une responsabilité majeure : la France est l’un des principaux acteurs de la pêche industrielle dans cette partie du monde et nos bateaux utilisent des méthodes destructrices pour l’environnement. Outre qu’elle dégrade l’environnement, la surpêche renforce aussi l’insécurité maritime elle-même. Quand elle prive les populations locales de moyens de subsistance, elle contribue à l’insécurité alimentaire et à l’instabilité politique. Quand elle prive les pêcheurs locaux des moyens de nourrir leur famille, elle contribue aussi à la piraterie et au trafic de drogue.
    Certes, ces accords incluent la lutte contre les atteintes à l’environnement marin. Encore faut-il qu’ils soient mis en œuvre. Et s’ils incluent théoriquement la lutte contre la pêche illégale, ils ne permettront pas de s’attaquer au problème plus global de la surpêche, dont une large partie reste légale.
    C’est pourquoi je réitère les recommandations qui ont été émises lors de l’examen en commission : adopter des normes internationales, régionales et françaises plus contraignantes ; renforcer la transparence dans le secteur de la pêche industrielle ; interdire les méthodes de pêche les plus nocives pour l’environnement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES. – Mme Karine Lebon et le M. le président de la commission applaudissent également.)

    Discussion générale

    Mme la présidente

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    Dans la discussion générale, la parole est à M. Hadrien Ghomi.

    M. Hadrien Ghomi

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    Cette intervention me donne l’occasion de saluer le travail effectué par mon collègue Nicolas Metzdorf, qui ne peut malheureusement être présent pour s’exprimer au nom du groupe Renaissance, alors que les sujets abordés dans ces deux accords lui tiennent particulièrement à cœur.
    Il est indéniable que la zone indo-pacifique représente un enjeu stratégique déterminant pour notre pays, ainsi que vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État. Alors que cette zone concentre déjà 14 % de nos exportations, nos investissements directs y ont été multipliés par sept en quinze ans. En outre, 9 de nos 11 millions de kilomètres carrés de ZEE se situent dans les océans Indien et Pacifique.
    Dans le domaine sécuritaire, le ministère des armées a élaboré en 2019 une stratégie de défense française dans l’Indo-Pacifique, ce qui démontre l’importance de renforcer notre présence au sein de cet immense espace. À cet égard, l’océan Indien occidental, où se trouvent plusieurs de nos territoires d’outre-mer et où plus d’un million de Français résident, doit faire l’objet d’une attention renouvelée de notre part. Cette zone, qui représente à elle seule 20 % du total de notre ZEE, est en effet soumise aux appétits de nouveaux acteurs aux ambitions globales, à l’instar de la Chine et de la Russie.
    À ces nouveaux entrants s’ajoutent des éléments de déstabilisation bien connus, notamment la piraterie et le terrorisme dans la corne de l’Afrique, nourris par les conflits religieux et régionaux, ainsi que par la pauvreté dont les populations de cette région du monde sont malheureusement victimes – autant d’éléments qui doivent inciter la France à assumer davantage son rôle d’acteur à part entière dans la région.
    Les deux accords qui nous sont présentés pour approbation peuvent nous y aider en renforçant notre coopération avec les pays insulaires et maritimes du Sud-Est de l’Afrique. Issus du programme européen Mase, ils ont pour objectif de renforcer la sécurité et la sûreté maritimes dans la région de l’océan Indien occidental, en y associant les pays riverains, afin que leur action complète, voire supplée, celle des opérations multinationales engagées depuis de nombreuses années dans la zone.
    Ces deux accords témoignent donc de l’évolution de notre pensée en matière de sécurité collective, laquelle ne saurait être assurée durablement en étant imposée de l’extérieur. Ce n’est qu’à travers une coopération étroite avec les différents acteurs étatiques de la zone que nous pourrons endiguer l’insécurité qui sévit dans les eaux de cette partie du globe.
    Avec l’accord pour la mise en place d’un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime, ainsi qu’avec l’accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l’océan Indien occidental, nous ouvrons la voie à un partage de bonnes pratiques et à une bonne coopération entre les différentes administrations nationales. La création de deux centres régionaux chargés respectivement de l’information et de la coordination entre les autorités signataires permettra un suivi en temps réel des activités maritimes dans la zone et un déploiement plus efficace de nos opérations en mer.
    Ces accords favorisent donc une architecture de sécurité maritime renouvelée, susceptible de bénéficier grandement aux pays de la zone, y compris à nos territoires insulaires dans l’océan Indien. À cet égard, je tiens à souligner que le groupe Renaissance, comme l’ensemble de la majorité, veillera toujours à ce que tous les territoires français bénéficient des accords internationaux signés par notre pays. Nous ne pouvons donc que nous réjouir que le Gouvernement ait clairement signifié devant la représentation nationale que le département de Mayotte, au même titre que celui de La Réunion, sera bien couvert par les dispositions de ces deux accords.
    Espérons que l’approbation de ces deux textes, en faveur de laquelle notre groupe votera, permettra effectivement l’établissement de liens toujours plus étroits et francs avec les États voisins de l’océan Indien, pour accroître encore la sécurité des biens et des personnes dans cette partie du monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Michel Guiniot.

    M. Michel Guiniot

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    Les textes soumis à notre examen visent à instaurer un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime, et à coordonner les opérations en mer dans l’océan Indien occidental. Près d’un million de Français, répartis dans les départements de La Réunion et de Mayotte, vivent dans cette zone, ainsi qu’un tiers de la population mondiale. Un tel espace nous permet de disposer de façon permanente de deux bases militaires stratégiques, ainsi que d’une zone économique exclusive s’étendant jusqu’aux Terres australes et antarctiques françaises. Il contribue donc activement au rayonnement de la France.
    Cette zone maritime, qui s’étend du détroit d’Ormuz au cap de Bonne-Espérance, fait face au développement de la piraterie au large de la Somalie, à la guerre en cours au Yémen, ou encore à l’immigration clandestine provenant des Comores. Les départements de Mayotte et de La Réunion, même confrontés à des difficultés, constituent des îlots de stabilité dans un océan Indien en proie à des crises politiques, sociales, économiques et sécuritaires. La France, présente sur ce territoire économiquement et militairement, a toute sa place dans l’entreprise de stabilisation de cette zone maritime. Elle est la septième puissance mondiale : à elle d’agir comme telle.
    Un élément nous semble à noter : si la France et les États-Unis sont les deux grandes puissances occidentales implantées militairement dans cet espace, vous soulignez avec raison, madame la rapporteure, que c’est l’Union européenne qui en cueille les lauriers. Autre point important : aucune des dispositions figurant dans les accords n’entraînera l’acceptation d’une  quelconque revendication territoriale – une précision prudente, qui nous permet de voir dans ce projet de loi une amélioration.
    La France est engagée dans l’océan Indien à travers un grand nombre d’opérations militaires, comme la mission Atalante, qu’elle a lancée en 2008. Elle est également membre de la Commission de l’océan Indien et de l’Association des États riverains de l’océan Indien (Iora). Il est logique qu’elle occupe une place importante au sein du programme de sécurité maritime déployé dans le cadre de la COI.
    Les deux accords que le Parlement s’apprête à ratifier permettront à l’océan Indien occidental de bénéficier des moyens nécessaires pour rendre la zone plus sûre, tant pour faire respecter le droit maritime et la sécurité des navigateurs face aux pirates que pour lutter contre les atteintes à l’environnement marin.
    Le premier, qui vise à faciliter l’échange et le partage de l’information, est imparfait. Mme la rapporteure en fait d’ailleurs état en précisant que de nombreuses dispositions nécessiteront la négociation et la signature d’accords subséquents. Elle relève en outre que le Gouvernement prévoit d’émettre des réserves quant aux articles 4 et 12 relatifs à la communication d’informations avec les autres parties, en précisant que la communication d’informations classifiées et la coopération judiciaire en matière pénale en seront exclues. Il s’agit en effet de garantir le respect de la souveraineté nationale, de l’intégrité territoriale et de la non-ingérence dans les affaires intérieures. Le Rassemblement national est bien évidemment favorable à de telles précautions.
    Le second accord vise à instaurer une coopération répressive dans la zone désignée, au motif de l’intérêt régional. Cet investissement nécessitera le concours des forces françaises, qui participent à la sécurité et à la sûreté maritimes. Nous émettons des réserves quant aux articles 7 à 10, qui définissent les missions d’intérêt régional ainsi que les pouvoirs accordés aux agents qualifiés des services répressifs dans le cadre d’opérations d’arraisonnement ou de fouille, et donnent la possibilité aux agents d’évoluer armés sur nos bâtiments. Le Gouvernement fait d’ailleurs de même, puisqu’il précise que la France conservera sa souveraineté sur ses territoires et que les agents étrangers en mission n’y disposeront pas de tous les pouvoirs. Nos forces garderont ainsi l’exclusivité de l’emploi de la force et du pouvoir de contrainte, tant que d’autres accords n’auront pas été signés – une mesure de bon sens. Comme pour le précédent accord, des réserves portent en outre sur la potentielle utilisation des informations communiquées.
    Enfin, comme cela a été souligné en commission, je déplore le caractère ambigu de l’intégration de Mayotte dans ces accords.
    Pour conclure, si la France a signé deux accords qu’elle sait imparfaits et sur lesquels elle émet déjà des réserves, nous avons bien conscience du fait que la réussite de ces coopérations sera intimement liée à la mobilisation et à l’investissement des autres États membres. En conséquence, le groupe Rassemblement national votera pour le texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Ersilia Soudais.

    Mme Ersilia Soudais

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    Comme souvent, les accords qui nous ont été présentés en commission puis dans l’hémicycle sont pétris de complexité. Leur périmètre inclut en effet les missions de lutte contre la piraterie et la criminalité organisée, la participation à la recherche et au sauvetage des vies en mer, la protection de l’environnement marin, la protection du patrimoine culturel sous-marin ou encore la coopération en cas de catastrophe naturelle ou environnementale.
    Comme souvent, les buts affichés sont louables et ces accords, s’ils étaient suivis d’actions concrètes, pourraient contribuer à des avancées. La lucidité, toutefois, nous impose de prendre en considération les intérêts qui ont présidé à leur rédaction. Et ces intérêts sont limpides : l’océan Indien constitue une plaque tournante du commerce mondial. Les routes maritimes qui le traversent assurent l’acheminement de flux d’hydrocarbures et de marchandises vers l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Ces routes représentent 25 % du trafic maritime international ; 75 % des exportations de l’Union européenne y transitent. La région est notamment cruciale pour la stratégie indo-pacifique de la France, qui y est présente de façon permanente à travers deux départements, La Réunion et Mayotte, peuplés de plus d’un million de personnes.
    Ces activités lucratives, couplées à l’instabilité politique de certains des États qui bordent l’océan Indien, expliquent la pratique d’actes de piraterie dans la région. Ainsi, le littoral somalien a été le théâtre d’actes de ce type et d’attaques contre des navires marchands ou plaisanciers au début des années 2000. Ce phénomène a contribué à affaiblir les économies régionales et à déstabiliser le commerce international. L’accord que nous évoquons tend notamment à s’attaquer à ce phénomène. Si le terme « pirate » est associé à tout un imaginaire, de Barbe Noire à Monkey D. Luffy, la réalité n’est pas aussi excitante : il s’agit le plus souvent de pauvres hères qui n’ont pas trouvé d’autre façon d’assurer leur subsistance.
    Il est d’autres pirates plus dangereux, qui pillent la région en pratiquant la surpêche, dont les conséquences sur l’environnement sont particulièrement dévastatrices : 97 % de l’immense richesse halieutique de la zone sont capturés par des pays non riverains, alors même que la survie d’une part considérable de la population des États riverains dépend de la pêche vivrière. Ce sont ces pirates qui, souvent en toute légalité, poussent les plus démunis vers l’illégalité, y compris vers le trafic de drogue, ou les forcent à fuir leur pays au péril de leur vie. Songeons ainsi aux milliers de Comoriens poussés hors de leurs frontières par la misère et la faim.
    Le rôle de la France et de l’Union européenne est d’agir dans l’intérêt des populations locales, et non dans celui de gros industriels qui viennent vider les océans pour se remplir les poches. Nous ne pouvons nous contenter d’adopter une posture. Ces gros industriels sont essentiellement français ou espagnols. D’après l’association Bloom, qui œuvre à la conservation marine, les flottes de ces deux pays pêcheraient environ 400 tonnes de poissons par an dans la région.
    De façon générale, plusieurs faits sont venus écorner l’image de la France dans la zone. Anne-France Mattlet, après avoir été adjointe au chef d’un bureau de la Direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA), puis présidente du comité d’application de la Commission des thons de l’océan indien (CTOI), est partie pantoufler chez le lobby Europêche. Rappelons tout de même que Mme Mattlet négociait les accords de pêche entre la France et l’Afrique !
    En 2021, la Commission européenne a ouvert une procédure d’infraction contre la France pour non-contrôle de sa flotte de pêche internationale et dérogation illégale de sa flotte thonière aux limites de capture dans cette zone. En 2016 déjà, Greenpeace dénonçait les agissements de l’entreprise Petit Navire, qui utilisait des dispositifs de concentration de poissons (DCP) pour déroger aux quotas de pêche dans certaines zones.
    Un célèbre youtubeur du nom d’Emmanuel Macron se demandait il y a peu qui aurait pu prédire le changement climatique. Nous le prévenons sans ambages : la surexploitation des zones de pêche est la première cause de l’érosion de la biodiversité en mer, devant le réchauffement climatique et les pollutions marines. Nous le prévenons que nous devons désormais agir pour sécuriser nos approvisionnements et ceux des pays côtiers. Nous nous abstiendrons sur ce texte, mais en tant que première force de proposition, nous nous battrons pour que soient imposées les solutions suivantes : suppression des DCP dérivants d’ici au 1er janvier 2024, comme le propose l’Inde ; signature d’accords réellement équitables avec les pays africains ; déploiement de politiques plus contraignantes et plus transparentes pour les industriels, accompagnées de sanctions si nécessaire ; virage vers une pêche réellement durable, conforme au principe d’équité et adaptée aux besoins des populations les plus démunies.
    Je conclus par une célèbre maxime : « Lorsque l’homme aura coupé le dernier arbre, pollué la dernière goutte d’eau, tué le dernier animal et pêché le dernier poisson, alors il se rendra compte que l’argent n’est pas comestible. » Qu’on ne vienne pas nous dire que personne n’aurait pu le prédire.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Pierre-Henri Dumont.

    M. Pierre-Henri Dumont

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    Nous sommes réunis cet après-midi pour approuver la ratification de l’accord pour la mise en place d’un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime dans l’océan Indien occidental et de l’accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l’océan Indien occidental, adoptés par nos collègues sénateurs – que je salue – en octobre 2022.
    Pour la seconde fois en quelques semaines, l’Assemblée est saisie d’accords concernant notre place dans l’océan Indien occidental. La France y est présente par le biais de ses départements et collectivités d’outre-mer, qui constitue une population de près de 2 millions d’habitants. Avec 11 millions de kilomètres carrés, notre pays possède la deuxième ZEE la plus étendue au monde, située à 93 % dans les océans Indien et Pacifique. Par ailleurs, cette région concentre 14 % des exportations françaises, soit un tiers de nos exportations hors de l’Union européenne. Enfin, la France assure une présence militaire continue dans la région, avec au total quelque 7 000 personnels déployés de façon permanente, auxquels s’ajoutent ponctuellement environ 700 marins en mission.

    M. Jean-Luc Bourgeaux

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    C’est donc important !

    M. Pierre-Henri Dumont

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    L’Indo-Pacifique est donc devenu un espace stratégique majeur pour notre pays.

    M. Maxime Minot

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    Eh oui !

    M. Pierre-Henri Dumont

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    La revue nationale stratégique (RNS) publiée en novembre 2022 le confirme. Si elle reste un lieu de menaces persistantes – prolifération nucléaire, criminalité transnationale organisée, terrorisme djihadiste, piraterie, pêche illicite –, cette zone apparaît désormais aussi comme le théâtre de la compétition sino-américaine, qui crée de nouvelles tensions.
    L’Indo-Pacifique est aussi devenu le centre de gravité de l’économie mondiale puisque sept membres du G20 en font partie : l’Australie, la Chine, la Corée du Sud, la France, l’Inde, l’Indonésie et le Japon. Les principales réserves de croissance se trouvent dans cette zone géographique, laquelle contribuera à environ 60 % du PIB mondial d’ici à 2030 ; dès lors, les voies commerciales maritimes qui la traversent sont devenues prépondérantes.
    L’objectif commun des deux accords est de renforcer la sécurité et la sûreté maritimes dans la région de l’océan Indien occidental en y associant les pays riverains afin que leur action permette de compléter, voire de suppléer celle des opérations multinationales thématiques.
    Le groupe Les Républicains soutient ces initiatives et votera pour ces textes qui vont dans le bon sens et favorisent les différents types de coopération entre pays riverains de cette zone. (« Ah ! » sur les bancs du groupe LR.) Le suspense était insoutenable !
    Je profite de l’occasion que nous donne la ratification de ces accords pour rappeler notre attachement au département de Mayotte et notre volonté absolue – exprimée sans faille depuis des années par notre député Mansour Kamardine – de garantir l’intégration de cette île française dans les instances internationales régionales telle que la COI.

    Mme Isabelle Périgault

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    Absolument !

    M. Pierre-Henri Dumont

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    Nous constatons hélas que notre diplomatie traîne des pieds pour la mise en œuvre du plan d’action de septembre 2020 pour une reconnaissance internationale de l’appartenance de Mayotte à la France, obtenu de haute lutte auprès de Jean-Yves Le Drian par les représentants de l’île à l’époque. Il est grand temps de respecter la volonté des Mahorais. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

    M. Maxime Minot

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    Excellent !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Frédéric Zgainski.

    M. Frédéric Zgainski

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    L’océan Indien, haut lieu stratégique de la planète, connaît de fortes instabilités dans sa partie occidentale, ce qui a des répercussions sur la sécurité en mer, notamment avec la présence de pirates. Si la coopération internationale a permis de réduire fortement le nombre d’attaques, la sécurité et la sûreté en mer doivent être maintenues et renforcées.
    Tel est l’objectif des deux accords dont nous étudions la ratification aujourd’hui. En renforçant la coopération maritime avec ses partenaires de l’océan Indien, la France assoit sa position et son influence dans un des endroits les plus stratégiques du monde en raison du trafic maritime et des flux commerciaux qui y transitent.
    L’association des pays riverains aux actions de sécurité conjointes dans l’océan Indien doit permettre de compléter voire, à terme, de suppléer celles des opérations multinationales thématiques. Sept États de l’océan Indien y participent.
    S’agissant de la participation française, un doute a été émis en commission à propos de l’inclusion du département de Mayotte dans ces accords. Les propos tenus aujourd’hui par Mme la secrétaire d’État sont de nature à nous rassurer sur la pleine participation des Mahorais au partage de l’information comme à la coopération en mer.
    En effet, le premier accord concernant le mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime répondra à trois objectifs. Il améliorera tout d’abord la connaissance de la situation maritime régionale, permettra ensuite un meilleur partage de l’information pour lutter contre les activités menaçant la sécurité maritime et établira enfin un centre régional de fusion d’informations maritimes.
    La ratification de cet accord est essentielle afin de renforcer la coopération avec nos partenaires. Toutefois, le groupe Démocrate partage les souhaits exprimés par la France à propos de ce texte. Les éléments communiqués en vertu de l’accord ne doivent concerner que les informations et matériels non classifiés nécessaires à sa mise en œuvre, excluant ainsi les informations et matériels classifiés.
    Le second accord, portant sur la coordination des opérations en mer, permettra de créer un cadre de coopération pour renforcer la lutte contre la piraterie, la criminalité organisée et les activités illicites.
    S’il est également essentiel de le ratifier, le groupe Démocrate vous met en garde sur la situation environnementale de l’océan Indien. Nous rappelons que la coopération maritime moderne doit également s’intéresser à la surpêche et à la pollution maritime. Nous ne devons pas nous borner à la lutte contre la pêche illégale, en raison notamment des conséquences de la pêche intensive – nous remercions Mme Sebaihi d’avoir appelé notre attention sur ce sujet dans son rapport. À l’avenir, il sera nécessaire de veiller à ce que les évolutions de notre coopération dans l’océan Indien intègrent l’ensemble des enjeux environnementaux.
    Ainsi, le groupe Démocrate appelle à voter pour la ratification de ces deux accords. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Alain David.

    M. Alain David

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    Cela a été expliqué en détail : la France possède – avec les îles de La Réunion et de Mayotte, auxquelles s’ajoutent des terres australes et antarctiques – plus de 1 million de kilomètres carrés de zone économique exclusive dans l’océan Indien. Elle y est également présente militairement avec ses bases à La Réunion et à Djibouti, ainsi qu’à travers les nombreux accords de défense qui la lient aux États insulaires de la région.
    Le programme Mase, le seul de la région à couvrir l’ensemble des aspects de la sûreté et de la sécurité maritimes, contrairement à d’autres programmes plus spécialisés, est financé à hauteur de 42 millions d’euros dans le cadre du Fonds européen de développement pour la période 2013-2022. La particularité de ce programme est d’assurer la sécurité maritime à travers l’échange d’informations et la coordination d’opérations en mer, et surtout de chercher à rendre, à terme, les États riverains autonomes par rapport aux moyens et aux capacités européens pour qu’ils prennent en main eux-mêmes leur sécurité.
    Les deux accords à ratifier ne sont qu’une des cinq composantes du programme Mase, lequel, beaucoup plus large, comporte par ailleurs la participation d’autres pays non membres de ces accords, notamment des États continentaux africains.
    L’accord sur l’échange d’informations vise à assurer une meilleure connaissance de la situation du trafic maritime et à garantir plus efficacement la lutte contre les différents types de menace. Il s’appuie sur le Centre régional de fusion d’informations maritimes, situé à Madagascar, qui a pour objet de fusionner toutes les informations et données de géolocalisation des navires sur une seule interface.
    Le Gouvernement français a cependant émis sur cet accord deux réserves non négligeables. Tout d’abord, l’échange et le partage de l’information ne concernent pas les informations et matériels classifiés tant que ces derniers n’auront pas fait l’objet d’un accord spécifique entre les parties. Ensuite, le partage de l’information ne pourra servir à des fins de coopération judiciaire en matière pénale, laquelle doit également donner lieu à un accord spécifique entre les parties.
    L’accord sur la coordination des opérations vise, lui, à lutter contre la piraterie maritime, les trafics d’armes et de stupéfiants mais aussi à participer aux opérations de recherche et de sauvetage en mer ainsi qu’à protéger l’environnement marin. Des agents des navires répressifs peuvent être embarqués à bord conformément au droit applicable. Ces opérations de coordination des opérations en mer s’appuient sur le Centre régional de coordination des opérations, situé aux Seychelles. Cet accord, qui rendra possibles des opérations de coordination, nécessitera de nombreuses dispositions d’adaptation du droit national interne.
    Le Gouvernement français a émis, sur cet accord également, plusieurs réserves. Tout d’abord, les agents des services répressifs d’un État tiers ne pourront utiliser la force et la contrainte dans les eaux territoriales françaises et au sein de la ZEE française. La réciproque est également valable pour les agents des services répressifs français naviguant dans les eaux d’un État tiers. Enfin, le partage de l’information dans le cadre de la coopération judiciaire ne pourra servir d’appui à des mesures judiciaires qui pourraient être prises en matière pénale.
    Comme nos collègues au Sénat, les députés du groupe Socialistes et apparentés voteront en faveur de ces deux textes. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Stéphanie Kochert.

    Mme Stéphanie Kochert

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    « La mer est un espace de rigueur et de liberté », nous enseignait Victor Hugo. Rien n’est plus vrai s’agissant de cet espace maritime stratégique qu’est l’océan Indien. Cet océan est un espace de liberté. Pour le commerce, il abrite la plus grande route maritime mondiale. Dans cet espace se trouve aussi une part importante de notre zone économique exclusive, la deuxième au monde par sa taille, aux ressources halieutiques précieuses pour nos territoires. Pour plus d’un million de Français de Mayotte et de La Réunion, la liberté de commercer, d’échanger et de protéger cet espace maritime est une condition essentielle qui garantit leur autonomie, leur rayonnement et leur approvisionnement.
    Or, très souvent, cet espace de liberté est menacé par d’importants problèmes de sécurité maritime. La piraterie a connu au début des années 2000 une augmentation significative, en particulier dans les eaux côtières de la Somalie. D’autres menaces maritimes – trafics, contrebandes et pêche illicite – pèsent sur l’économie locale et sur le développement dans la région de l’océan Indien occidental.
    Dès lors, pour préserver cet espace de liberté, il nous faut faire preuve de rigueur, d’abord sur le plan militaire – la France investit dans ce domaine grâce à nos bases à La Réunion et à Djibouti –, ensuite s’agissant de nos partenariats, et c’est pourquoi nous avons rejoint les initiatives d’intégration régionale comme la Commission de l’océan Indien, enfin concernant notre action conjointe avec nos partenaires européens, et c’est le sens de la mission militaire et diplomatique Atalante, déployée en 2008 par l’Union européenne contre la piraterie, et du programme Mase de sécurité maritime.
    Permettez-moi de m’attarder sur ce dernier car c’est de lui que sont issus les deux accords de coopération maritime dont nous discutons aujourd’hui. Le programme Mase représente plus de 42 millions issus du Fonds européen de développement. Mais bien loin de n’être qu’un investissement extérieur, le programme mobilise pleinement les États participants. Les Comores, Djibouti, le Kenya, Madagascar, l’île Maurice, les Seychelles, la Somalie, la Tanzanie et la France ont tous participé à son élaboration, dans un cadre intergouvernemental préservant la souveraineté de chacun.
    Le programme prévoit enfin de renforcer les capacités nationales et régionales de coordination des opérations en mer et d’améliorer la coordination régionale d’échange et de partage de l’information maritime. Dans cette perspective, les États participant au programme Mase ont signé en 2018 deux accords, soumis à l’approbation de cette assemblée.
    Nous devons approuver ces accords d’une part, parce qu’ils posent des fondements solides pour la coopération, l’échange d’informations et les actions conjointes en mer. Ces coopérations sont déjà effectives et le Centre régional de fusion d’informations maritimes, à Madagascar, et le Centre régional de coordination des opérations, aux Seychelles, ont pu commencer leur surveillance maritime. D’autre part, parce que nous avons posé suffisamment de conditions pour préserver notre souveraineté. La France a émis des réserves, notamment pour protéger les informations classifiées et encadrer les actions de police, les fouilles et les arraisonnements qui pourraient être effectués dans ses eaux territoriales.
    La France est présente dans l’océan Indien à La Réunion ainsi qu’à Mayotte. Vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, cette dernière n’est pas exclue de l’accord. Les coordonnées du champ d’application l’incluent et le territoire bénéficiera aussi de la mise en commun d’informations maritimes, des opérations conjointes et des partages de bonnes pratiques.
    Vous l’aurez compris, ces accords sont importants, nécessaires et proportionnés. C’est pourquoi le groupe Horizons et apparentés votera en leur faveur.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Hubert Julien-Laferrière.

    M. Hubert Julien-Laferrière

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    Tout d’abord, je tiens à remercier la rapporteure Sabrina Sebaihi pour son travail, et pour son engagement en faveur de la région de l’océan Indien depuis le début de son mandat, d’autant plus que cette région est confrontée à des défis permanents en matière de sécurité, de commerce et de gestion des ressources marines, et qu’elle mérite donc tout notre intérêt. Elle est, nous en sommes de plus en plus conscients, concurrencée chaque jour davantage par les puissances mondiales, en raison notamment de l’expansion de la présence chinoise à Djibouti, au Kenya et aux Comores.
    Comme l’a rappelé la rapporteure, le programme Mase est le fondement de l’architecture de la sécurité maritime de la région. Depuis 2012, il permet ainsi aux États riverains de surveiller le respect du droit international de la mer dans l’océan Indien occidental. Et parmi les cinq volets de ce programme, deux sont placés sous la responsabilité administrative de la Commission de l’océan Indien, principale structure de coopération dans la zone.
    Plusieurs collègues en particulier de la NUPES ou du groupe pilote, cela a été rappelé, ont vivement protesté contre ce qui semblait un refus d’intégrer Mayotte dans la COI, la seule organisation régionale africaine dont la France soit membre, et c’est pour moi l’occasion de remercier ma collègue Estelle Youssouffa dont nous connaissons le profond attachement à la défense de l’archipel, ainsi que le président Bourlanges pour son courrier envoyé à la ministre des affaires étrangères afin que l’on intègre pleinement Mayotte à la COI avant de doter cette dernière de compétences supplémentaires. Madame la secrétaire d’État, vous nous avez rassurés sur ce point, mais nous resterons bien sûr tous vigilants.
    Chers collègues, j’appelle à mon tour votre attention sur la question de la pêche et plus précisément sur le fléau de la surpêche, fléau que connaît trop bien cette zone et qui a évidemment des conséquences graves tant sur les écosystèmes marins que sur les moyens de subsistance des populations locales qui dépendent de la pêche. Nous savons qu’il est dû à une exploitation excessive des ressources par les flottes industrielles étrangères qui opèrent sans restriction dans la région.
    Les accords que nous nous apprêtons à approuver intègrent la lutte contre les atteintes à l’environnement marin, notamment l’article 6 de l’accord régional sur la coopération des opérations en mer, mais qu’en sera-t-il de leur mise en application ? Elle devra reposer sur une détermination politique forte de la part des États signataires. De plus, bien que ces accords permettent de lutter contre la pêche illégale, on sait bien qu’ils ne résoudront pas le problème global de la surpêche car une grande partie de celle-ci demeure légale.
    Disposant de ressources halieutiques importantes, Mayotte est soumise, en raison de la politique de la pêche qui lui est applicable, à des paramètres difficiles à concilier et subit de ce fait de nombreuses tensions. Les pêcheurs mahorais peinent à se constituer en filière et à s’adapter à des réglementations françaises souvent complexes. Ainsi, depuis début 2021, chaque bateau doit avoir à son bord un capitaine de nationalité française. Le résultat, c’est que la pêche locale a lieu dans les mêmes eaux que la pêche industrielle et que les géants thoniers présents dans la région épuisent les stocks d’albacores, déjà surexploités.
    De surcroît, un accord entre l’Union européenne et les Seychelles, renouvelé pour six ans en 2022, a autorisé huit navires à pêcher dans les eaux de Mayotte. Les conséquences environnementales de ces véritables aspirateurs de l’océan sont désastreuses et les compensations financières sont utilisées par la France hexagonale – non par le département.
    Il est donc impératif de soutenir les pêcheurs locaux mahorais et les communautés côtières en leur fournissant des moyens de subsistance durables et en leur permettant de participer à la gestion des ressources halieutiques ; cela peut inclure la promotion de la pêche artisanale, la création de coopératives de pêche et l’investissement dans des technologies durables. Cet accord de partage de l’information maritime devra également permettre de lutter contre la pêche illégale en localisant de manière transparente les navires utilisés.
    La réglementation doit évoluer vers la mise en place de quotas de pêche, vers la création de zones protégées et la surveillance accrue des activités des industriels, et se concrétiser à travers une coopération internationale renforcée afin de garantir le respect des règles. Et une telle coopération ne peut se réaliser sans les populations locales, qui devront prendre part aux concertations et être pleinement intégrées dans les processus décisionnels.
    Saisissons à bras-le-corps l’ensemble du problème car il impacte, vous le savez tous, une partie des territoires de France qui parfois se sentent, à juste titre, abandonnés alors qu’ils méritent le même niveau de soutien et d’investissements que le reste du pays. Lutte contre la surpêche, investissements dans les services de base, renforcement de la sécurité de la stabilité et nouvelles opportunités économiques pour les habitants de Mayotte, telles sont les pistes à suivre.
    Bien sûr, le groupe écologiste est disponible pour travailler sur l’ensemble de ces pistes et nous voterons en faveur de ces accords. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES. – M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit également.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Karine Lebon.

    Mme Karine Lebon

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    L’accord pour la mise en place d’un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime dans l’océan Indien occidental va permettre un accroissement des liens entre les neuf pays de la région qui participent au programme Mase, qui compte les Comores, Djibouti, le Kenya, Madagascar, l’Île Maurice, les Seychelles, la Somalie, la Tanzanie et la France à travers La Réunion et Mayotte.
    Le partage d’informations et la coopération permettant l’embarquement d’agents d’un État partie dans le bâtiment d’un autre État partie pour des opérations de sécurisation est important, tant la zone est fondamentale pour les flux mondiaux de commerce : 30 % du commerce mondial de méthaniers transite par le canal du Mozambique, et par ce même canal passent tous les navires hors gabarit pour le canal Suez afin de rejoindre les côtes de l’Asie du Sud-Est.
    Le groupe GDR votera ces deux accords complémentaires qui permettront d’améliorer la coordination entre les États riverains de cette zone ; même si nous regrettons que les questions potentiellement génératrices d’insécurité comme la pêche illégale et la surpêche liée à l’utilisation de méthodes prédatrices par la pêche industrielle ne soient pas davantage abordées.
    Rappelons que près d’un million de citoyens français vivent dans cette zone – je suis l’une d’entre eux – et que la France totalise 1 million de kilomètres carrés de zone économique exclusive dans cet espace, soit 10 % de la totalité de ses ZEE.
    Mais cette coopération, nécessaire pour mieux assurer la sécurité maritime sous toutes ses formes dans la partie ouest de l’océan Indien, demande des moyens financiers. Le Président de la République a indiqué, lors de ses vœux aux forces armées françaises, qu’une stratégie ultramarine sera présentée sous peu. Nous attendons donc que ce genre d’initiative qu’illustrent ces accords soit prise en compte, à l’échelle de la France comme d’ailleurs de l’Union européenne. Dans le cadre de la stratégie française de l’Indo-Pacifique, le groupe GDR-NUPES souhaiterait en savoir plus sur les ambitions de l’exécutif dans la zone. Nous l’avions d’ailleurs interrogé à ce sujet en décembre 2021, à l’occasion d’un accord de défense avec l’île Maurice : l’exécutif ratifie des accords avec différents États, mais sans jamais évoquer l’épaisseur stratégique ni la cohérence qui les sous-tend. Nous le redisons : nous aimerions avoir des éléments sur cette stratégie.
    Prenant acte, semble-t-il, de la fin de la présence française en Afrique occidentale francophone – comme nous l’avons encore vu la semaine dernière au Burkina Faso – et de l’importance de l’exploitation des ressources gazières et pétrolières en Afrique de l’Est et en Afrique australe, l’exécutif paraît faire feu de tout bois pour que la France ait une crédibilité régionale dans cette zone.
    Car si l’on observe attentivement ce découpage territorial original, on découvre que ce dernier dispose de ses logiques propres, notamment en termes de ressources et de voies commerciales maritimes extrêmement importantes, au premier rang desquels, évidemment, le canal de Suez, mais également le détroit de Bab-el-Mandeb et celui d’Ormuz, et le canal du Mozambique. Or l’État français ne travaille méthodiquement qu’au rapprochement bilatéral avec chacun des États de la zone : réconciliation avec le Rwanda ; rapprochement avec le Mozambique ; traité de défense avec Maurice ; traité de coopération avec les Seychelles ; traité avec le Kenya ; présence militaire permanente à Djibouti ; ventes d’armes à l’Arabie Saoudite et aux Émirats arabes unis mais également au Mozambique et à Madagascar ; rapprochement avec l’Éthiopie en 2019, Emmanuel Macron ayant promis au Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed de l’aider à relancer son armement, notamment maritime ; participation de la France à l’opération européenne Atalante visant à lutter contre la piraterie et à sécuriser les côtes de la Somalie. Et il faut évidemment tenir compte des forces armées françaises dans la zone sud de l’océan Indien, les Fazsoi, stationnées à La Réunion, qui forment une présence militaire permanente sur place. Si cette zone est très fragile, du fait de nombreux conflits et crises humanitaires, elle intéresse de plus en plus les puissances internationales, tels les États-Unis qui sont présents en Somalie et à Djibouti, et la Chine, ainsi que de nombreux autres acteurs.
    Face à tous ces enjeux, quelle stratégie cohérente la France met-elle en œuvre du Yémen à Madagascar ? Et quel rôle va-t-elle chercher à jouer ? Celui de l’indépendance au profit de la coopération entre les peuples ou bien un rôle au service de ses intérêts commerciaux et industriels, ou encore celui du bouclier contre la présence de la Chine dans cette zone ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et Écolo-NUPES.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Nathalie Bassire.

    Mme Nathalie Bassire

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    Je tiens tout d’abord à saluer l’excellent travail de la rapporteure Sebaihi, que je sais particulièrement préoccupée par le sort de l’outre-mer. (M. Benjamin Lucas applaudit.)
    J’aimerais pour ma part revenir sur trois sujets.
    Premièrement, je tiens à souligner la pertinence de ces accords régionaux relatifs à l’information et la coopération maritime dans l’océan Indien occidental. Près d’un million de citoyens français vivent dans l’océan Indien et, on le sait, cette région est d’un intérêt stratégique pour notre pays, qui tente de déployer son concept de l’Indo-Pacifique. Notre présence militaire dans la région est importante : 1 700 soldats sont sous le commandement des forces armées de la zone sud de l’océan Indien, les Fazsoi, qui assurent les missions de souveraineté à La Réunion, à Mayotte, dans certaines parties des Taaf ainsi que dans notre zone économique exclusive.
    C’est cette présence qui justifie la participation de notre pays à la coopération maritime dans la région et qui donne une portée effective et concrète à ces accords.
    Cela représente, à La Réunion, le 2e régiment de parachutistes et d’infanterie de marine, un bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer, deux frégates de surveillance et deux avions de transport tactiques. Par ailleurs, un détachement de la Légion étrangère et deux vedettes côtières de surveillance maritime sont à Mayotte. Et puis il y a la mission « Jeanne d’Arc », composée d’un porte-hélicoptères amphibie et de la frégate La Fayette qui assurent un appui opérationnel de la Jordanie à Djibouti et de La Réunion au large de l’Afrique du Sud. La France participe aussi à l’opération Atalante de l’Union européenne qui lutte contre la piraterie dans l’océan Indien.
    J’ajoute que notre pays n’est pas seul, que notre présence n’est pas isolée : nous menons une coopération avec nos partenaires par de multiples exercices conjoints. Pour donner seulement quelques exemples, je rappellerai qu’en avril 2022, nous avons participé à l’exercice Papangue, organisé par la COI et sous commandement français, et qui a notamment mobilisé chez nos partenaires un patrouilleur mauricien, qu’en octobre de la même année, un exercice de deux mois a été mené avec notre partenaire indien pour lutter contre le narcotrafic et qu’en décembre, un autre exercice a été organisé avec un patrouilleur sud-africain. Dès lors, tout l’intérêt du présent accord est aussi de traduire ces entraînements sur le plan opérationnel.
    J’aimerais traiter dans un deuxième temps de la mise en œuvre concrète de ces conventions. Il s’agit tout d’abord d’améliorer le suivi des activités maritimes en temps réel dans la zone grâce à la mise en place d’un centre régional de fusion d’informations maritimes à Madagascar. En effet, le partage de l’information connaît des restrictions, notamment s’agissant des renseignements classifiés, et une procédure d’habilitation des personnels autorisés à accéder à ces données permettra de réduire le risque de fuite. En outre, un nouveau centre régional de coordination des opérations, basé aux Seychelles, permettra d’organiser des interventions conjointes en mer et dans l’espace aérien, sachant que ces missions nécessitent que les États parties accordent plus facilement aux autres parties les autorisations de pénétrer dans leurs eaux territoriales et dans leur espace aérien, et que lesdites missions passent également par le transport, à bord d’un navire ou d’un aéronef, de personnels répressifs d’une autre partie.
    Ces conventions présentent deux intérêts pour la députée de La Réunion que je suis : d’une part, elles permettent une coopération élargie puisqu’elles regroupent, en plus des cinq États appartenant à la COI, le Kenya, la Somalie et la Tanzanie, et que le Mozambique et l’Afrique du Sud pourraient également devenir parties aux accords ; d’autre part, la coopération s’entend dans un sens large qui dépasse la seule lutte contre la piraterie puisqu’elle participe aussi de la recherche et du sauvetage des vies humaines, de la protection de l’environnement marin et de l’aide humanitaire en cas de catastrophe naturelle.
    le troisième sujet, c’est la question de Mayotte, qui ne semble toujours pas réglée. Et je me permets ici de relayer les vives préoccupations de ma collègue Estelle Youssouffa. Le dispositif de partage d’informations et de coordination d’opérations maritimes qui nous est proposé ici a pour origine le programme Mase, issu d’une organisation que nous commençons à bien connaître dans cette Assemblée, puisqu’il s’agit de la COI.
     
    Mais comme vous le savez, Mayotte ne participe pas aux programmes de coopération de la COI. Dès lors, bénéficiera-t-elle de ces accords de coopération ?

    M. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères

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    Oui !

    Mme Nathalie Bassire

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    Si un navire suspect s’approche de l’île, le CRFIM informera-t-il la marine nationale ? Si un navire suspect est poursuivi par une action conjointe dans les eaux territoriales de Mayotte, les agents des services répressifs auront-ils encore le droit d’agir ?

    M. Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères

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    Oui !

    Mme Nathalie Bassire

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    Nous aimerions vous entendre à ce sujet, madame la secrétaire d’État, car, à ce stade, nous n’avons pas obtenu de garanties claires, raison pour laquelle notre groupe a décidé qu’un débat devait avoir lieu aujourd’hui dans l’hémicycle.

    Mme la présidente

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    Madame Bassire, s’il vous plaît.

    Mme Nathalie Bassire

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    Je termine en donnant notre position de vote.
    Pour toutes ces raisons, le groupe LIOT s’abstiendra sur la ratification de ces accords, en appelant à nouveau le Gouvernement à intégrer explicitement Mayotte…

    Mme la présidente

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    Sur le vote du projet de loi, je suis saisie par le groupe Écologiste-NUPES d’une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
    La discussion générale est close.
    La parole est à Mme la secrétaire d’État.

    Mme Laurence Boone, secrétaire d’État

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    Je vais essayer de répondre à deux points qui ont été soulevés au cours de la discussion générale et qui intéresseront sans doute M. le président de la commission – je le suppose puisqu’il ne s’est pas exprimé –, ainsi que Mme la rapporteure.
    Premier point : je tiens à vous rassurer encore une fois sur la volonté politique de la France dans l’Indo-Pacifique, qui est une région stratégique pour notre pays. Cet accord est un moyen de mieux y intégrer Mayotte, par l’intermédiaire du programme Mase. La France sera force d’impulsion de l’ambition des centres : nous allons y veiller pour toutes les négociations futures, y compris celles portant sur Mase 2 – le programme européen visant à prolonger Mase. J’ajoute que la France finance des équivalents temps plein dans ces centres.
    Certains députés ont cru voir une ambiguïté concernant Mayotte. Il n’y en a pourtant aucune : Mayotte est pleinement intégrée et des opérations conjointes pourront être menées dans ses eaux. En réponse à Mme Bassire et à l’intention de Mme Youssouffa, je souligne que l’intégration de Mayotte dans son environnement est, pour nous, une priorité. Cet accord en est une manifestation. La France est un des pays de l’Indo-Pacifique puisque près d’un million de Français habitent cette région. Je profite de cette opportunité pour vous dire que la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Mme Colonna, s’est engagée à mobiliser le ministère, en coordination avec les élus mahorais, pour renforcer notre action et pour pouvoir entendre ces derniers dans le cadre d’une discussion plus globale.
    Madame Bassire, vous m’avez également demandé de préciser la stratégie de la France – puissance stabilisatrice et porteuse de valeurs de liberté et de respect du droit selon les mots du Président de la République – dans la région. Je le répète : la France est un pays de l’Indo-Pacifique à part entière. Notre stratégie repose sur trois piliers : la sécurité et la défense – nous en débattons un peu aujourd’hui–, l’économie, et un multilatéralisme efficace, objet de ces accords.
    Le deuxième point qui a été soulevé – vous l’avez fait de façon transversale, madame Bassire – est la préservation de l’environnement marin et la lutte contre la surpêche. Celle-ci passe par la lutte contre la pêche illégale, objet de dispositions des accords dont nous débattons aujourd’hui. Je rappelle que la Commission de l’océan Indien mène plusieurs activités en faveur de la pêche durable, dont le programme régional de surveillance des pêches soutenu, au sein de la COI, par un système propre d’informations régionales et, surtout, le programme Ecofish, visant à l’amélioration et la convergence des législations nationales sur le contrôle des pêches et dans le cadre duquel des patrouilles régionales de surveillance sont financées par le programme Interreg. J’ajoute que d’autres actions sont menées dans ce domaine : observateurs de la Commission des thons de l’océan Indien ; opération Atalante, que vous avez mentionnée, madame Bassire ; actions des États de l’est du continent africain. Les questions liées à la surpêche, légale ou illégale, sont donc parfaitement identifiées et le Gouvernement, encouragé par la représentation nationale, poursuit les efforts de la France en faveur de normes régionales et internationales strictes dans ce domaine.
    Encore un mot : la préservation de l’environnement marin relève des mandats des centres. La France est particulièrement attentive aux volets concernant la pollution maritime, la lutte contre les catastrophes environnementales ainsi que la lutte contre la pêche illégale pour éviter la destruction des écosystèmes marins. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)

    Discussion des articles

    Mme la présidente

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    J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

    Articles 1er et 2

    Mme la présidente

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    Les articles 1er et 2 ne faisant l’objet d’aucun amendement, je vais les mettre successivement aux voix.

    (Les articles 1er et 2 sont successivement adoptés.)

    Explications de vote

    Mme la présidente

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    Dans les explications de vote, la parole est à Mme Nadège Abomangoli.

    Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES)

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    La zone économique exclusive dont la France a la responsabilité dans l’océan Indien s’étend sur 2,6 millions de kilomètres carrés grâce aux départements de La Réunion et de Mayotte, mais également aux Terres australes et antarctiques françaises : une goutte d’eau dans un océan, mais une goutte d’eau diablement stratégique. Zone de transit incontournable, cet espace océanique est en effet grandement convoité, exploité et traversé par des intérêts financiers indéniables. Pour reprendre les qualifications du document du ministère de l’Europe et des affaires étrangères de 2022 relatif à la stratégie de la France dans l’Indo-Pacifique, ces accords portent sur un « espace de polarisation des tensions et des grands enjeux mondiaux ».
    Ma collègue Ersilia Soudais l’a rappelé : aux inégalités économiques à l’œuvre dans cette région du monde, s’ajoutent des difficultés sécuritaires. Si la lutte contre l’insécurité maritime constitue un impératif, elle ne peut être l’alpha et l’oméga de la politique française dans la région. Le pilier défense et sécurité doit s’articuler avec les questions économiques, diplomatiques, multilatérales et écologiques.
    Ce qui frappe, depuis le début de l’étude de ces textes, c’est l’absence d’une stratégie claire de la France dans l’ensemble de la zone indo-pacifique. La France affirme vouloir y jouer le rôle d’une puissance stabilisatrice. C’est très bien, mais avec quels moyens, quels objectifs et dans quel cadre de coopération bénéfique à l’ensemble des peuples de cette vaste zone ? La question climatique notamment semble être un impensé dans cette aire géographique qui compte pourtant plus du tiers de la population mondiale. Par ailleurs, ces accords ne sont pas à la pointe sur la surpêche, principalement européenne, dans l’océan Indien.
    Nous sommes conscients que ces textes ne sauraient régler tous les enjeux indo-pacifiques. Le fiasco de la crise de l’Aukus entre la France et l’Australie montre que du chemin reste à parcourir. Le groupe LFI-NUPES appelle à engager une véritable réflexion sur notre politique indo-pacifique. Nous nous abstiendrons donc sur ces textes. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES ainsi que sur quelques bancs du groupe Écolo-NUPES.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Liliana Tanguy.

    Mme Liliana Tanguy (RE)

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    Je souhaitais souligner l’importance de l’accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l’océan Indien occidental. La coopération qu’il met en place vise à renforcer la sécurité et la sûreté maritime pour lutter contre la piraterie, la criminalité organisée et les activités illicites en mer ainsi qu’à encadrer les missions d’assistance aux navires, la participation à la recherche et au sauvetage des vies en mer, la protection de l’environnement marin et du patrimoine culturel sous-marin et la coopération en cas de catastrophe naturelle et environnementale.
    L’accord pour la mise en place d’un mécanisme d’échange et de partage de l’information maritime dans l’océan Indien occidental vise à améliorer la connaissance de la situation maritime régionale grâce au partage d’informations pour lutter plus efficacement contre les activités menaçant la sécurité maritime. En tant que députée finistérienne de la pointe du Raz, je mesure l’importance de ces échanges d’informations pour assurer la sécurité en mer.
    Ces deux accords visent à répondre de manière globale à l’ensemble des menaces maritimes présentes dans la zone en y associant pleinement les pays riverains. Notre groupe votera donc en leur faveur. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)

    Vote sur l’ensemble

    Mme la présidente

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    Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.

    (Il est procédé au scrutin.)

    Mme la présidente

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    Voici le résultat du scrutin :
            Nombre de votants                        89
            Nombre de suffrages exprimés                81
            Majorité absolue                        41
                    Pour l’adoption                81
                    Contre                0

    (Le projet de loi est adopté.)

    3. Ordre du jour de la prochaine séance

    Mme la présidente

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    Prochaine séance, lundi 6 février, à seize heures :
    Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
    La séance est levée.

    (La séance est levée à dix-sept heures vingt-cinq.)

    Le directeur des comptes rendus
    Serge Ezdra