XVe législature
Session ordinaire de 2017-2018

Séance du jeudi 07 juin 2018

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi de M. Richard Ferrand et plusieurs de ses collègues relative à l’encadrement de l’utilisation du téléphone portable dans les écoles et les collèges (nos 941 et 989). Ce matin, l’Assemblée a commencé la discussion des articles de la proposition de loi, s’arrêtant à l’amendement no 9 à l’article 1er. La parole est à Mme Frédérique Meunier, pour soutenir l’amendement no 9. Par cet amendement, il est demandé au Gouvernement de remettre au Parlement, avant le 1er octobre 2018, un rapport sur les impacts sur la santé des enfants et adolescents de l’usage pédagogique du téléphone portable. En effet, le rapport annexé à la proposition de loi ne fait mention ni de l’efficacité pédagogique ni de l’absence de risque d’un tel usage.
Le groupe Les Républicains considère que l’utilisation dans l’enseignement des téléphones mobiles doit faire l’objet d’études sérieuses avant d’être autorisée. Alors que l’addiction des jeunes aux smartphones et aux réseaux sociaux fait l’objet d’alertes de plus en plus fréquentes et inquiétantes, l’utilisation des téléphones sans étude sérieuse, sur le long terme, peut avoir des conséquences graves, d’autant qu’il s’agit d’un public fragile.
La parole est à Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, pour donner l’avis de la commission sur cet amendement. Madame Meunier, vous connaissez mon attachement à la question de santé publique posée par la surexposition aux écrans. Néanmoins, dans le plan national de santé publique 2018-2022 présenté par Mme Buzyn en mars dernier, il est prévu de créer des repères d’usage d’écran destinés à l’entourage des jeunes enfants, ainsi qu’une campagne d’information sur les repères et bonnes pratiques en termes de temps passé devant les écrans. En outre, comme vous le savez, une saisine du Haut conseil de santé publique sur le sujet de l’exposition aux écrans est en cours, ce qui permettra de vous apporter des réponses.
Par ailleurs, je trouve curieux de s’inquiéter spécifiquement de l’impact sur la santé de l’usage pédagogique du téléphone portable, et non de l’usage du téléphone en général. Je ne vois pas les dangers particuliers qui s’attacheraient à l’utilisation en classe du portable, pendant une ou deux heures, de temps en temps et de façon encadrée, alors même que les enfants utilisent souvent leur smartphone pendant plusieurs heures par jour dans les couloirs ou la cour de récréation. S’il était adopté, votre amendement aurait pour effet d’empêcher d’encadrer de façon plus stricte l’usage du portable à l’école, ce qui est contradictoire avec l’exposé sommaire. Avis défavorable.
La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, pour donner l’avis du Gouvernement. Même avis défavorable.
(L’amendement no 9 n’est pas adopté.) La parole est à Mme Marie-France Lorho, pour soutenir l’amendement no 15. C’est un amendement assez simple, puisqu’il vise à accorder davantage de liberté aux établissements. Monsieur le ministre, vous avez parfaitement fait connaître vos intentions. Je profite donc de l’occasion pour poser une question : pourquoi ne pas laisser les établissements libres, en leur transmettant les recommandations de votre ministère ? J’ai entendu avec intérêt votre remarque. Vous nous avez rappelé qu’il était bon que cette loi conduise la société à s’interroger. Je pense que vous inversez la logique : c’est à la société de questionner la loi, et non l’inverse.
Vous nous disiez récemment à propos des questions scolaires que la clarté libère. De quelle clarté avons-nous besoin aujourd’hui ? Nous avons plutôt besoin de la responsabilisation des parents dans le pacte éducatif, et d’une responsabilisation du ministère de l’éducation nationale, des délégués des parents, des auxiliaires de l’instruction, qui peuvent suppléer partiellement les parents dans leur mission d’éducation des élèves.
Accorder plus de liberté à l’élaboration des règlements intérieurs, libérer ceux qui veulent faire régner l’ordre et l’autorité dans leurs propositions éducatives, c’est plutôt pour cela que nous attendons votre aide, monsieur le ministre. Nous savons que vous pouvez faire de grandes et belles choses à ce sujet. Cette confiance pourrait préserver le lien entre la volonté des parents, le projet pédagogique des établissements, et les recommandations du ministère.
Quel est l’avis de la commission ? Votre amendement remet en cause le principe de l’interdiction en la rendant facultative ou optionnelle. Nous y sommes défavorables, car nous tenons à imposer ce principe d’interdiction, afin de le généraliser et d’assurer l’efficacité du dispositif.
(L’amendement no 15, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à Mme Marie-France Lorho, pour soutenir l’amendement no 22. Nous ne pourrons pas nous accorder sur la question de l’obligation imposée aux chefs d’établissement. Je voudrais donc ouvrir un peu le débat, même si la responsabilité des élèves varie entre le lycée et le collège. Les dispositions prévues par le texte ouvrent le champ des possibles à partir du lycée, ce qui devrait nous permettre d’ouvrir le débat, même si cela demande d’autres aménagements juridiques. En effet, c’est au moment du lycée que se font les choix de vie, et les résultats de Parcoursup nous montrent, d’ailleurs, quelle influence ils peuvent avoir sur la vie des personnes dans le futur.
Monsieur le ministre, comptez-vous ouvrir le débat sur l’utilisation du téléphone au lycée, ce qui serait cohérent avec vos arguments ?
Quel est l’avis de la commission ? Après avoir souhaité rendre l’interdiction optionnelle, vous voulez qu’elle soit étendue au lycée, ce qui nous étonne. S’il n’est pas question de nier que l’utilisation du téléphone, au lycée, par les lycéens doit aussi être modérée et raisonnée, il nous a semblé juste de faire le pari qu’en étant éduqués à l’usage raisonné du téléphone portable dès le collège et l’école primaire, les élèves de lycée seraient à même d’en avoir un usage adéquat.
Par ailleurs, cela correspond à la majorité numérique de quinze ans, qui a été votée dans le cadre de la loi relative à la protection des données personnelles. Enfin, cela correspond à l’âge de la fin de la scolarité obligatoire. Pour toutes ces raisons, avis défavorable à l’amendement.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Cet amendement est intéressant, car la question se pose évidemment pour le lycée. Si j’ai dit, tout à l’heure, que la loi incitait la société à s’interroger, cela vaut en effet pour toute la société, à commencer par les lycéens. J’observe, d’ailleurs, que M. Corbière et d’autres intervenants ont, pour illustrer leur propos, fait référence, ce matin, à leur expérience au lycée. Il est intéressant de le noter, car c’était « hors sujet » par rapport à la présente proposition de loi, mais cela montre bien que la question doit être posée.
Comme vient de le dire Mme la rapporteure, la question doit être posée en des termes différents. Sur plusieurs sujets, et pas simplement celui-ci, nous faisons de plus en plus la distinction entre une première partie de la vie qui se passe à l’école primaire et au collège, et une deuxième partie qui commence au lycée, pendant laquelle les élèves se responsabilisent, sont pré-adultes et de plus en plus dans un continuum avec ce qui se passera après le baccalauréat. C’est l’esprit de tout ce que nous faisons.
Votre proposition ne peut pas relever du dispositif prévu par ce texte, qui est plus coercitif pour ce qui concerne l’âge de l’école et du collège. Il est évident que la question se pose, et qu’en termes d’éducation aux médias et aux usages numériques, il y aura un effort tout particulier, dans la dynamique de cette loi, à l’égard des lycées. Certes, il y a un sujet, mais je suis défavorable à cet amendement.
(L’amendement no 22 n’est pas adopté.) Je suis saisi de deux amendements, nos 23 et 21, pouvant être soumis à une discussion commune.
L’amendement no 23 fait l’objet de trois sous-amendements, nos 42, 44 et 45.
La parole est à M. Cédric Roussel, pour soutenir l’amendement no 23.
Cet amendement vise à inscrire dans le code de l’éducation la possibilité, pour un membre du personnel éducatif, de confisquer temporairement le portable ou l’objet collecté en cas d’utilisation dans un cadre interdit. Cette sanction est déjà appliquée par certains établissements, mais son encadrement reste flou. Au cours de certaines auditions que nous avons réalisées, les chefs d’établissement ont exprimé leurs craintes de se voir reprocher une confiscation pour des motifs de non-respect de la propriété privée.
Cette inscription de la possibilité de confisquer dans la loi permet de donner une base juridique solide à la confiscation, et d’en assurer un usage serein pour les membres de la communauté éducative. L’inscription légale de la confiscation vise donc à fournir au personnel enseignant un moyen efficace d’application de l’interdiction de l’usage des téléphones portables au sein des établissements scolaires. Il s’agit, en effet, d’une sanction dissuasive pour les élèves.
De plus, cet amendement prévoit la restitution de l’objet confisqué au responsable légal ou au tuteur de l’élève, dans un délai de quarante-huit heures. La restitution permettra alors une rencontre entre le chef d’établissement, l’élève et les parents, afin de discuter de l’infraction commise, et de permettre ainsi une responsabilisation de tous les acteurs impliqués dans l’éducation au numérique.
Je suis saisi de trois sous-amendements, nos 42, 44 et 45, à l’amendement no 23, pouvant faire l’objet d’une présentation groupée.
La parole est à Mme la rapporteure, pour les soutenir.
La commission a émis un avis défavorable, ce matin, sur l’amendement de M. Roussel. Néanmoins, afin de sécuriser cette possibilité de confiscation, je propose des sous-amendements rédactionnels visant à rendre plus souples les modalités du dispositif en supprimant le délai et les modalités précises de restitution. La parole est à Mme Béatrice Descamps, pour soutenir l’amendement no 21. La présente proposition de loi a pour principal objectif un meilleur encadrement de l’utilisation du téléphone portable à l’école. Afin de garantir l’effectivité de cette mesure, il convient de l’assortir d’un pouvoir de punition et de prévoir la possibilité d’une confiscation des téléphones portables par le personnel éducatif. Cette punition, qui a pour but de sanctionner un manquement mineur commis par un élève, doit garder un caractère proportionné. Elle doit donc être de courte durée, la restitution du portable à l’élève s’opérant dans les heures ou les jours qui suivent la confiscation, afin de ne pas entrer dans le régime juridique des sanctions susceptibles d’être attaquées devant le juge administratif.
Il serait souhaitable, par ailleurs, selon des modalités que le pouvoir réglementaire devra déterminer, de préciser que la restitution du téléphone portable se fera en présence de l’élève et de son tuteur légal, à des fins pédagogiques. Cet amendement vise donc à donner un fondement légal à la possibilité de confisquer les téléphones portables et les autres objets connectés utilisés par les élèves. Il apportera davantage de sécurité juridique aux chefs d’établissements désireux d’inscrire une telle mesure dans le règlement intérieur de leur établissement.
Quel est l’avis de la commission ? Avis favorable à l’amendement no 23, sous réserve de l’adoption des sous-amendements. Demande de retrait de l’amendement no 21. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis que la commission. J’adhère totalement à l’esprit de la proposition de Mme Descamps. Il est important de donner une base juridique robuste à la confiscation. C’est typiquement l’un des problèmes qui se posent au quotidien dans les établissements, ce qui montre bien l’utilité de cette loi sur le plan juridique. L’amendement no 23, modifié par les sous-amendements, permettra d’atteindre cet objectif de manière fine et précise. La parole est à M. Patrick Hetzel. Je suis étonné par le débat. À nouveau, je ne comprends vraiment pas en quoi vous allez sécuriser davantage les choses. Comme je l’ai dit ce matin, les chefs d’établissements qui procèdent à une confiscation n’ont aujourd’hui aucun problème. Il n’y a aucun risque juridique. Je le répète, cette proposition de loi ne sert à rien. C’est manifestement de la pure communication gouvernementale. La parole est à Mme Géraldine Bannier. J’ai une grande expérience dans les collèges, monsieur Hetzel, et pour être pendant très longtemps passée d’un établissement à l’autre, je peux vous dire que, sur le terrain, la confiscation est très compliquée. Chaque établissement a sa pratique. Dans certains d’entre eux, il était possible de confisquer, mais pas dans d’autres. Je remercie le Gouvernement d’être favorable à cet amendement.
(Les sous-amendements nos 42, 44 et 45, successivement mis aux voix, sont adoptés.)
(L’amendement no 23, sous-amendé, est adopté et l’amendement no 21 tombe.) La parole est à Mme Samantha Cazebonne, pour soutenir l’amendement no 27. Cet amendement vise à protéger les personnels au moment de la confiscation. Pour avoir mis en place ce dispositif dans un établissement scolaire, je sais que le temps de la transmission de l’objet n’est pas encadré. Il y a un laps de temps entre la prise en main du téléphone par le personnel et sa mise en sécurité.
Le seul dépôt du téléphone dans un lieu sécurisé peut occasionner la détérioration de l’écran. Comme je l’ai constaté dans le cadre de mon expérience professionnelle, certains enseignants acceptent de faire jouer l’assurance de l’établissement, mais d’autres s’y refusent, pour des raisons qui leur appartiennent. L’amendement a pour objet de rendre automatique le transfert de responsabilité à l’établissement afin de protéger les personnels.
Quel est l’avis de la commission ? Votre objectif, chère collègue, en présentant cet amendement, est de sécuriser les personnels éducatifs afin qu’ils n’hésitent pas à procéder à une confiscation d’objets – coûteux de surcroît – de peur de voir leur responsabilité engagée. Toutefois, les règles applicables en matière de responsabilité des personnels de l’éducation nationale – et plus généralement des agents publics – prévoient que celle-ci ne peut être engagée qu’en cas de faute personnelle, détachable du service.
Or les conditions définies par la jurisprudence administrative pour caractériser une faute personnelle sont particulièrement strictes : la faute doit être d’une gravité exceptionnelle ou relever d’un manquement volontaire et inexcusable à des obligations d’ordre professionnel. De telles conditions ne sauraient être réunies dans le cas d’un dommage causé à un téléphone portable au cours d’une confiscation, laquelle s’inscrit par ailleurs dans le cadre des fonctions dont sont chargés les personnels éducatifs.
Les personnels amenés à prendre une telle mesure de confiscation ne courent donc aucun risque de voir leur responsabilité engagée. En cas de vol ou de bris, c’est la responsabilité de l’administration qui serait en cause. L’amendement est donc satisfait. J’en suggère le retrait, à défaut avis défavorable.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à Mme Samantha Cazebonne. Compte tenu des précisions fournies par Mme la rapporteure, je retire l’amendement.
(L’amendement no 27 est retiré.)
(L’article 1er, amendé, est adopté.) La parole est à Mme Marie-France Lorho, pour soutenir l’amendement no 19 portant article additionnel après l’article 1er. Il s’agit de lutter contre la diffusion et l’instrumentalisation d’enregistrements obscènes au sein même des établissements scolaires. Le chantage à la diffusion d’enregistrements volés, rendu célèbre par une affaire impliquant des membres de l’équipe de France de football, est un fléau pour notre société tout entière.
Trop souvent, il est considéré comme une fatalité consubstantielle à la modernité, contre laquelle personne ne pourrait aller. Il faut, me semble-t-il, associer les parents à la lutte, notamment en soulevant la question des devoirs qui leur incombent s’agissant des communications de leurs enfants. En cas de participation à des pratiques de chantage et d’enregistrements sauvages, l’autorité parentale doit être engagée. Je propose de compléter en ce sens l’article 227-23 du code pénal.
Quel est l’avis de la commission ? Dans notre droit, les parents ne sont pas pénalement responsables des infractions pénales commises par leurs enfants mineurs. Ils ne peuvent pas être sanctionnés à leur place, car la responsabilité pénale est personnelle. L’amendement tend à remettre fondamentalement en cause le principe juridique fondamental édicté par l’article 121-1 du code pénal, selon lequel : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ». L’avis de la commission est donc défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Michel Castellani. Je ne rouvrirai pas le débat que nous avons déjà eu dans cette enceinte, mais il est exact que la diffusion d’images et de textes à caractère pornographique dans les collèges est un véritable fléau. Je profite de la présence de M. le ministre de l’éducation nationale pour lui suggérer de demander à ses services de prendre contact avec les opérateurs de téléphonie mobile, en vue de déterminer s’il serait possible de filtrer les contenus qu’ils diffusent. Il s’agit d’un problème majeur. Le débat porte sur l’éducation des enfants : nous sommes là au cœur du sujet.
(L’amendement no 19 n’est pas adopté.) Deux orateurs sont inscrits sur l’article.
La parole est à Mme Fabienne Colboc.
L’article 2 tend à créer une nouvelle mission pour les écoles et les collèges : l’éducation à l’utilisation d’internet et des services de communication au public en ligne. Depuis plusieurs années, nous vivons une révolution numérique. Les outils numériques changent notre façon non seulement de communiquer, de nous informer et de travailler mais aussi d’apprendre.
Cette évolution concerne tout particulièrement les jeunes générations qui utilisent de façon prolongée, voire excessive, les smartphones et les ordinateurs. Le risque de dépendance au téléphone portable, et plus généralement aux écrans, est réel.
Par ailleurs, l’utilisation d’internet modifie fortement les représentations mentales des jeunes en les confrontant à des contenus parfois violents ou choquants. Il faut protéger les enfants des risques induits par une mauvaise utilisation du téléphone portable.
L’école a un vrai rôle à jouer dans l’apprentissage des bonnes pratiques par les élèves et dans leur protection contre les dangers d’internet. En effet, les enfants peuvent être confrontés à des informations manipulées ou à des réalités déformées.
Les enseignants dispensent d’ores et déjà des cours visant à apprendre aux élèves à décrypter l’information, à se forger une opinion personnelle et à aiguiser leur esprit critique. Le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information met à disposition des enseignants un panel de ressources numériques ainsi que des stages de formation et des programmes d’accompagnement afin de les accompagner dans cette démarche.
L’article 2 de la présente proposition de loi devrait permettre de généraliser les bonnes pratiques et de donner aux élèves les clés pour naviguer sur internet de manière avertie, responsable et sécurisée.
La parole est à M. Patrick Hetzel. Plusieurs remarques. Tout d’abord, l’article 2 est manifestement hors sujet. Le sujet, c’est l’utilisation du téléphone portable dans les établissements scolaires. Nous dérivons ici vers un autre sujet, qui n’a rien à voir avec celui qui nous occupe.
Par ailleurs, la question du numérique est d’ores et déjà abordée par le code de l’éducation. L’y traiter spécifiquement est assez contradictoire avec cet état de fait. Le numérique est d’ores et déjà inclus dans le périmètre assigné à notre système éducatif. L’article 2 est donc inutile.
Enfin, vous avez vous-même indiqué, monsieur le ministre, que vous présenteriez prochainement un texte de loi relatif à la place du numérique à l’école, qui devrait susciter un débat intéressant. Je souhaite que nous abordions le sujet dans ce cadre.
C’est pourquoi les membres du groupe Les Républicains présenteront des amendements tendant à la suppression de l’article, ce à quoi chacun aura compris qu’il y a au moins trois bonnes raisons de procéder. J’en ajoute une quatrième : l’article 2 ne procède sans doute que d’une volonté de communication et élude le fond du sujet, ce qui est regrettable.
Au demeurant, j’espère que vous n’avez pas attendu l’ajout au texte d’un volet relatif au numérique, monsieur le ministre, pour vous préoccuper de celui-ci. Je sais même que tel n’est pas le cas.
Ainsi, vous insultez en quelque sorte M. le ministre, chers collègues de la majorité, en considérant qu’il faut ajouter un tel volet au texte. En réalité, cela fait bien longtemps qu’il se préoccupe du numérique ! Décidément, sur ce sujet, votre majorité a tout faux !
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 10 et 16.
La parole est à Mme Frédérique Meunier, pour soutenir l’amendement no 10.
Il s’inscrit dans la continuité des propos que vient de tenir Patrick Hetzel. Les membres du groupe Les Républicains proposent de supprimer la mention « y compris dans l’utilisation d’internet et des services de communication au public en ligne » par laquelle l’article 2 vise à compléter l’article L. 121-1 du code de l’éducation.
Une telle précision est tout à fait inutile, car ce dernier article prévoit déjà que « les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur […] concourent à l’éducation à la responsabilité civique ». Le domaine du numérique est donc implicitement prévu par cette obligation.
La parole est à Mme Marie-France Lorho, pour soutenir l’amendement no 16. Je le retire, monsieur le président.
(L’amendement no 16 est retiré.) Quel est l’avis de la commission ? L’article 2 complète le principe d’encadrement fixé à l’article 1er par une approche éducative visant à favoriser un usage responsable du numérique. Nous tenons à donner explicitement la précision susmentionnée afin de prendre en compte l’évolution de la société. Avis défavorable.
(L’amendement no 10, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à Mme Patricia Mirallès, pour soutenir l’amendement no 28. Cet amendement résulte de ma préoccupation relative à la sensibilisation aux problématiques de cybersécurité dès le plus jeune âge. En effet, le numéro du 12 février 2018 de la Revue stratégique de cyberdéfense promeut l’intégration des règles de cybersécurité dans les apprentissages transmis par l’école, de l’école élémentaire à la classe de Terminale, notamment au moyen d’une éducation au numérique incluant la maîtrise des exigences en la matière.
À mes yeux, un tel objectif peut être assigné à la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, qui a notamment vocation à protéger les élèves. Il y a toute sa place.
Par cet amendement, j’appelle l’attention du Gouvernement sur l’enjeu de l’éducation aux problématiques de cybersécurité, dans laquelle l’école de la République a un rôle primordial à jouer. L’article L. 121-1 du code de l’éducation ne fait pas spécifiquement référence à la sensibilisation aux problématiques de cybersécurité, qui ne se confondent pas avec l’utilisation d’internet.
Quel est l’avis de la commission ? Je partage votre avis sur ce point, chère collègue. C’est pourquoi j’ai déposé en commission un amendement portant création de l’article 3 du texte, lequel prévoit notamment de compléter l’article L. 312-9 du code de l’éducation par un alinéa ainsi rédigé : « Elle contribue au développement de l’esprit critique et à l’apprentissage de la citoyenneté numérique ».
Ainsi, les élèves bénéficieront d’une formation à l’utilisation des outils et ressources du numérique, ce qui contribuera au développement de leur esprit critique et à l’apprentissage de la citoyenneté numérique. Il ne semble pas opportun de faire figurer la notion deux fois dans le même article du code de l’éducation. Votre amendement est satisfait par l’article 3. J’en souhaite donc le retrait. À défaut, l’avis serait défavorable.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. Je tiens à souligner que, sur le fond, je suis très sensible à ce sujet qui sera amplement abordé par le vade-mecum diffusé prochainement, ainsi que par des initiatives prises dans le cadre de la formation continue des professeurs. Toutefois, je souscris aux propos que vient de tenir Mme la rapporteure et demande le retrait de l’amendement. Maintenez-vous l’amendement, madame Mirallès ? Compte tenu des précisions qui m’ont été donnée, je le retire.
(L’amendement no 28 est retiré.)
(L’article 2 est adopté.) La parole est à Mme Christine Hennion. Je tiens à saluer le travail mené par nos collègues Cathy Racon-Bouzon et Cédric Roussel sur la proposition de loi, laquelle est nécessaire à l’amélioration du climat scolaire. Toutefois, si le renforcement de l’encadrement de l’usage des terminaux de communication dans les écoles et les collèges est souhaitable, il est aussi indissociable de la mise en œuvre d’une éducation responsable au numérique.
À cet égard, l’introduction en commission des articles 2 et 3 est bienvenue. En effet, le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini par la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République doit être précisé et enrichi.
Poursuivons la dynamique en faveur de la mise en œuvre d’une politique ambitieuse d’éducation aux savoir-faire et aux savoir-être numériques ! Formons nos enseignants et donnons-leur les moyens de se saisir pleinement, sur tous nos territoires, des outils numériques ! Développons l’esprit critique de nos élèves et leur capacité à décrypter les contenus en vue d’une utilisation responsable des réseaux ! Sensibilisons et formons les acteurs de la protection des données personnelles de l’enfant ! Ces sujets feront l’objet – je n’en doute pas – de débats construits autour d’un texte qui leur sera consacré et contribuera à l’exercice, par la jeunesse, de sa future citoyenneté !
La parole est à Mme Marie-France Lorho. Monsieur le ministre, je me suis inscrite sur l’article, car une importante question me préoccupe. Je confesse que je n’étais pas une excellente élève en géographie et en éducation civique. Je tâche, depuis lors, de me former aux questions politiques afin de représenter au mieux nos compatriotes.
Je vous invite, chers collègues, à lire un livre passionnant, dont nos collègues historiens du groupe La France insoumise sont certainement familiers :
Histoire du citoyen , de Jean de Viguerie. En effet, j’aimerais comprendre votre définition de la citoyenneté numérique. Dans quelle cité habite ce cher citoyen ? Est-il plus proche d’Athènes ou de Sparte ? Pense-t-il que la citoyenneté est un attribut naturel ou forge-t-il ses droits civiques à partir d’une définition purement idéaliste ?
À qui rend-il des comptes ? À
Google et Facebook ou à ses pères ? Mieux : de quels principes fondamentaux hérite-il ? Le citoyen numérique est-il de nationalité française ou s’agit-il de toute personne résidant sur notre sol ? Est-il un ressortissant des grandes entreprises mondialisées ou un petit habitant du Vaucluse auquel on fait croire qu’internet est un autre pays, un autre continent – en somme, un autre monde ?
Monsieur le ministre, nous n’avons aucune civilité à inventer. Nous devons plutôt fuir l’idéologie. Je crains que la notion de citoyenneté numérique ne repose sur rien de concret ni de naturel, donc sur rien de propice à l’éducation.
La parole est à M. Patrick Hetzel. Tout cela est tout de même très étonnant. La responsabilisation de nos jeunes est un sujet essentiel. Elle est d’ailleurs, normalement, au cœur de tout projet éducatif, et par voie de conséquence au cœur des missions de l’éducation nationale. Entreprendre de le traiter spécifiquement, sous l’angle du numérique, c’est méconnaître complètement le sujet éducatif !
Et, encore une fois, c’est faire peu de cas de tout ce que font au quotidien l’ensemble de nos enseignants. La question de la responsabilité est au cœur de ce qu’ils cherchent à transmettre, sérieusement, méthodiquement, à nos jeunes, et elle ne se limite fort heureusement pas à la question du numérique ! Vous êtes là en train d’en réduire le champ, en la concentrant sur la question numérique.
Tout cela est dommage ; j’espère que nous aurons un véritable débat au moment où, monsieur le ministre, vous présenterez au Parlement votre texte sur la place du numérique à l’école. Mais aujourd’hui, en abordant la question de cette manière, vous ne faites que de la communication : c’est désolant et cela n’honore ni votre majorité ni, hélas, le Parlement.
(Mme Emmanuelle Anthoine applaudit.) Quelle collection de clichés ! La parole est à M. Michel Castellani. Je profite de cette occasion pour rappeler, en quelques mots, le rôle irremplaçable des personnels de nos établissements. Je les ai côtoyés tout au long de ma vie professionnelle, et je les rencontre dans ma circonscription, comme vous tous certainement : nous pouvons tous témoigner de la disponibilité, de l’engagement, de la compétence des chefs d’établissements comme du personnel administratif et pédagogique. Ce sont des métiers difficiles, qui nécessitent une bonne compréhension de nos enfants, un bon contact avec eux, et plus généralement un grand sens de la pédagogie.
Je n’aurais pas voulu que cette discussion se termine sans évoquer le travail fourni par ceux qui sont en permanence sur le terrain.
Nous en venons à la discussion des amendements.
La parole est à Mme Frédérique Meunier, pour soutenir l’amendement no 11 visant à supprimer l’article 3.
Monsieur le ministre, vous dites au corps enseignant qu’il doit être responsable : serait-il irresponsable aujourd’hui ? Quel mépris ! Le corps enseignant est responsable depuis toujours. Faut-il un article de loi pour lui rappeler son devoir ? Quelle hypocrisie ! Ça n’a rien à voir ! Cela a tout à voir, au contraire. Vous interpellez le corps enseignant sur sa responsabilité : quelle hypocrisie, quel mépris, je le répète ! Quand on a introduit des tablettes dans les collèges, vous ne vous êtes pas posé cette question, personne n’a pensé à dire qu’il fallait responsabiliser le corps enseignant – tout simplement parce qu’il est évident qu’on peut lui faire confiance ! (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Quant à la notion de « citoyenneté numérique », une seule personne ici peut-elle me donner le sens de ces termes ? Cela ne veut absolument rien dire. Cet article est incompréhensible et méprise le corps enseignant, qui sait parfaitement agir de façon responsable. Quel est l’avis de la commission ? L’article 3 n’ajoute pas de mention superflue ; il vise au contraire à renforcer la formation aux outils et aux enjeux du numérique pour compléter l’encadrement de l’usage du portable proposé par une approche pédagogique. Ces dispositions, en mettant l’accent sur le nécessaire respect de la dignité de la personne humaine et de la liberté d’opinion dans l’usage d’internet et des réseaux sociaux, sont utiles. Il s’agit notamment de renforcer la prévention du cyberharcèlement dans les établissements scolaires.
Quant à la notion de « citoyenneté numérique », ce n’est pas un concept flou ; elle renvoie à la maîtrise des technologies numériques et à leur usage responsable dans un monde véritablement transformé par ces technologies, avec désormais un accès quasiment sans limite à l’information et à une connexion directe entre les individus
via les réseaux sociaux.
La notion de citoyenneté numérique renvoie à l’acquisition de compétences civiques et technologiques, qui permettront à chacun non seulement d’exploiter les opportunités offertes par internet, mais aussi de prendre conscience de ses responsabilités et de ses devoirs lorsque l’on diffuse ou relaie des informations par exemple.
Je souligne au passage que ce qui doit être « responsable » c’est l’usage du numérique par l’élève, et non la formation des enseignants.
Affirmer le rôle de l’école dans la construction de l’esprit critique des élèves me semble par ailleurs fondamental. Nous reparlerons de ce sujet plus tard cet après-midi, lors de l’examen du texte relatif aux fausses informations.
Avis défavorable.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Il y a derrière cet article 3 des enjeux extrêmement importants. Je m’interroge sur le fait que l’on puisse s’interroger sur la notion de citoyenneté numérique. La citoyenneté a plusieurs dimensions : on peut être citoyen d’une ville, citoyen du Vaucluse, citoyen de la France, citoyen européen aussi. Cela nous renvoie simplement à l’appartenance à un ensemble ; or, le numérique revêt désormais incontestablement une dimension mondiale, que cela nous plaise ou non.
Pour éviter les déséquilibres, il faut, face à cette réalité, un sens de la responsabilité et de la citoyenneté. Il est donc normal que le législateur s’intéresse à la notion de citoyenneté numérique, qui a grand sens : le lien numérique est d’une certaine façon immatériel, mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas – bien au contraire.
La question de la responsabilité se pose à tous, y compris aux grands acteurs du numérique. C’est pourquoi ces problèmes revêtent aussi une dimension de droit international. Mais, s’agissant du droit national, l’expression de « citoyenneté numérique » est parfaitement légitime.
Quant à la « dignité de la personne humaine », autre expression fondamentale de cet article, c’est une notion élaborée par le Conseil d’État et qui a pris depuis une place majeure dans notre droit. Il est tout à fait légitime de la faire apparaître : nous voulons renforcer l’éducation civique et morale, ce qui suppose d’intégrer la dimension numérique à nos raisonnements ; sinon, nous oublierions une partie de la réalité. Cet article est donc fondamental par le cadre qu’il fixe et les notions juridiques fondamentales auxquelles il renvoie et auxquelles nous devons habituer les élèves : nous devons leur montrer que ces notions valent à la fois dans le monde physique qui les entoure et dans le monde numérique immatériel qui ne les entoure pas moins.
Avis défavorable.
La parole est à M. Patrick Hetzel. Vous avez raison, monsieur le ministre, de mettre l’accent sur les différentes facettes de la citoyenneté. Mais vous noterez que je vous ai interpellé sur la question de la responsabilité ; or je ne vous ai pas entendu expliquer pourquoi ce texte se concentrait sur cette question-là, qui ne se laisse pas restreindre, vous le savez parfaitement, à la question du numérique.
En réalité, l’ensemble des enseignants, dans nos collèges et nos lycées, se préoccupent de la responsabilité. Vouloir, par un tel article, la limiter au numérique est une mauvaise chose. C’est pourquoi le groupe Les Républicains maintient son amendement de suppression : nous ne sommes hélas pas convaincus par les arguments que nous avons entendus.
(L’amendement no 11 n’est pas adopté.) La parole est à M. Michel Castellani, pour soutenir l’amendement no 14. L’insertion du mot « responsable » est superfétatoire, voire désobligeante pour tous les personnels : y aurait-il aujourd’hui des formations non responsables ?
Il est par ailleurs essentiel à mon sens de laisser à la société civile toute sa capacité d’initiative et de faire confiance aux enseignants, aux parents et aux éducateurs, au lieu de sur-légiférer comme vous le faites.
Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. Je rappelle que c’est non pas la formation, mais l’usage du numérique par les élèves qui doit être responsable.
(L’amendement no 14, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à Mme Marie-France Lorho, pour soutenir l’amendement no 18. La notion de « sensibilisation » me paraît plus utile que celle d’« éducation », car plus respectueuse de la hiérarchie naturelle entre les parents et l’école. La formation citée ici doit être une possibilité, mais il revient prioritairement aux parents d’assurer l’éducation de leurs enfants à la saine utilisation d’un tel outil. Quel est l’avis de la commission ? La notion d’éducation aux droits et aux devoirs liés à l’usage des ressources d’internet et des réseaux sociaux est préférable à celle de sensibilisation, moins forte. L’éducation est une transmission. Cela ne constitue en rien une atteinte à la liberté d’expression des élèves ; ils pourront au contraire mieux exercer cette liberté, en étant conscients de ses implications pour les autres et la société. Avis défavorable.
(L’amendement no 18, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure, pour soutenir l’amendement no 37. Il s’agit d’un amendement de coordination destiné à tenir compte des dispositions de la loi relative à la protection des données personnelles, qui n’est pas encore promulguée.
(L’amendement no 37, accepté par le Gouvernement, est adopté.) La parole est à Mme Pascale Boyer, pour soutenir l’amendement no 20. Cet amendement vise à éloigner des outils et des ressources numériques, pendant une semaine, les élèves des écoles et des collèges. Il s’agit de mener une expérience pédagogique avec les enfants et les familles, afin de faire comprendre que l’utilisation de ces outils peut être bénéfique si elle est faite à bon escient, mais surtout qu’intensive et non maîtrisée, elle fait courir des risques à la santé de nos enfants.
Ce projet, qui se déroulerait durant toute l’année scolaire, aurait le mérite de rassembler tous les acteurs concernés : enfants, familles, équipes pédagogiques.
Quel est l’avis de la commission ? Vous faites sans doute référence, chère collègue, au défi « Dix jours sans écrans », imaginé par Mme Sophie Rigal-Goulard, que j’ai pu rencontrer à Marseille, ainsi que certains enseignants qui ont mis en pratique cette idée dans leurs établissements.
Cette expérience m’a paru formidable : elle a permis aux enfants, d’après les témoignages, de réapprendre à s’occuper différemment, à communiquer avec leurs parents et leurs camarades. Au terme de l’expérience, les enfants dormaient mieux, se concentraient plus facilement, interagissaient davantage ; ils étaient aussi fiers d’avoir participé à cette expérience, qui a déclenché une véritable prise de conscience des bienfaits de la déconnexion.
Néanmoins, il ne me semble pas opportun de l’inscrire dans la loi : c’est plutôt une bonne pratique, qui mérite d’essaimer. Les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté pourraient, comme vous le suggérez, jouer un rôle en ce domaine. Je souhaite le retrait de l’amendement.
Quel est l’avis du Gouvernement ? J’attache une grande importance à ce type d’expériences, dont je sais combien elles peuvent se révéler utiles. Sur le fond, c’est extrêmement intéressant, mais cela ne relève pas de la loi. Donc avis défavorable.
Entre la séance de ce matin et celle de cet après-midi, j’ai pu assister au début d’un congrès d’addictologues : je me suis exprimé, mais j’ai surtout pu commencer à écouter les idées et les recommandations présentées. Nous devons donc traduire dans les faits ce droit à la déconnexion dont nous parlons depuis ce matin, et le relier à tous les enjeux de l’addiction qui peuvent exister dans nos sociétés.
Je retire l’amendement.
(L’amendement no 20 est retiré.) La parole est à Mme Marie-France Lorho, pour soutenir l’amendement no 17. Je dois avoir quelques craintes sur ma qualité de bonne élève, et donc sur mon choix de persévérer dans le questionnement.
Quelqu’un de très bien déclarait en avril dernier au Parisien : « Ce sont ceux qui cherchent la polémique qui sont du passé. Nous sommes au contraire en train de faire un pas vers le futur. Ce que nous proposons, ce ne sont pas les méthodes de la IIIe République. Ce sont celles du XXIe siècle, qui puisent au meilleur de la tradition et au meilleur de la modernité ». Je ne peux qu’applaudir !
Monsieur le ministre, le meilleur de la tradition, c’est le respect de l’ordre naturel : la responsabilité éducative des parents, complétée par l’inscription de l’enfant dans la société. Je crains vraiment que vous ne mesuriez pas le danger que la notion de « citoyenneté numérique » ferait courir si, par exemple, quelque récent ministre de l’éducation nationale revenait proposer réforme idéologique sur réforme idéologique. Tandis qu’ici même des députés déposent des amendements pour que l’État offre un label à des sites d’information, nous ne pouvons plus courir de tels risques.
(L’amendement no 17, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure, pour soutenir l’amendement no 38. Il s’agit d’un amendement de coordination.
(L’amendement no 38, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(L’article 3, amendé, est adopté.) Nous en venons aux amendements portant articles additionnels après l’article 3.
La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour soutenir l’amendement no 8.
Cet amendement vise à instaurer, dans les écoles, les collèges et les lycées, un module d’information, annuel et adapté à chaque âge, sur le bon usage des outils numériques et sur la prévention du cyberharcèlement.
Nous proposons de renforcer le dispositif que la commission a déjà complété par la création de ce module qui pourrait s’inspirer de ce qui existe en matière de prévention des addictions ou de la toxicomanie.
Je vous avoue qu’après ces heures passées à examiner une proposition de loi qui vise à interdire quelque chose qui l’est déjà et alors que de nombreux problèmes sont encore à traiter, si cet amendement pouvait être adopté, je me dirais que nous n’avons peut-être pas trop perdu notre temps.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.) Quel est l’avis de la commission ? Je partage votre objectif sur ce sujet, madame la députée. Néanmoins, la commission a modifié l’article L. 312-9 du code de l’éducation dans un sens qui me semble satisfaire votre amendement. En outre, je ne suis pas convaincue qu’une séance annuelle isolée soit la bonne solution. Je préfère que nous envisagions la construction d’un parcours interdisciplinaire. Enfin, le nombre de séances ou les modalités de ce module ne relèvent pas de la loi. Je vous demande donc le retrait de l’amendement, sinon avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Patrick Hetzel. L’argumentation de Mme la rapporteure est étonnante. Lorsque le groupe majoritaire propose un amendement, même bavard, cela relève de la loi, mais quand l’amendement est présenté par le groupe GDR, il n’en relève pas. Je ne comprends pas : le contenu de cet amendement relève au moins autant de la loi que les textes que vous nous avez proposés.
(L’amendement no 8 n’est pas adopté.) Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 30 et 32.
La parole est à M. Cédric Roussel, pour soutenir l’amendement no 30.
Le présent amendement vise à permettre à des écoles et des établissements scolaires de réaliser, dans le cadre des expérimentations prévues par l’article L. 401-1 du code de l’éducation, des projets éducatifs destinés à favoriser le développement de l’usage pédagogique du smartphone, notamment dans le cadre de projets dits BYOD – bring your own device – , l’objectif étant de faire de ces équipements une aide à l’apprentissage.
Cette disposition doit permettre à des établissements désireux de s’engager dans cette voie de définir de façon autonome des programmes tendant à éduquer les élèves à une utilisation responsable des téléphones mobiles, dans leur triple dimension d’outil de travail, de socialisation et de découverte du monde.
Madame la rapporteure, vous avez la parole pour soutenir l’amendement no 32 et pour donner votre avis sur l’amendement no 30. Il s’agit de deux amendements identiques, donc avis favorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Cet amendement aborde une question importante, celle de l’éducation aux médias. Je propose un sous-amendement, de nature non pas juridique, mais sémantique. L’acronyme français pour BYOD est AVEC – apportez votre équipement personnel de communication. Au nom du respect de la Constitution, aux termes de laquelle le français est la langue de la République, je suggère donc d’employer l’acronyme AVEC. Sur le fond, je suis entièrement d’accord avec vous. La parole est à M. Michel Castellani. Nous approuvons la demande d’un rapport d’évaluation dans la mesure où les expérimentations concernent un domaine très évolutif. Le rapport permettra de faire le point sur certains concepts qui demeurent malgré tout flous à la lecture de cette proposition de loi.
(Les amendements identiques nos 30 et 32 sont adoptés.) La parole est à Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure, pour soutenir l’amendement no 33. Cet amendement vise à accompagner la publicité pour des objets connectés d’un message sensibilisant les parents au fait que ces équipements n’ont pas vocation à être utilisés par des enfants de moins de trois ans, dans la lignée des recommandations du CSA et de l’Association française de pédiatrie ambulatoire. Le message préconise également une utilisation raisonnée de ces équipements au-delà de trois ans, compte tenu des difficultés et troubles dont peuvent souffrir les enfants, notamment les plus jeunes, du fait d’une forte exposition aux écrans, et des incertitudes sur les conséquences de l’exposition des enfants aux radiofréquences.
Ce texte permet d’évoquer l’exposition excessive des jeunes aux téléphones portables, et plus largement aux écrans, ainsi que de souligner la nécessité d’une démarche éducative pour apprendre aux enfants et aux adolescents à maîtriser l’usage des appareils. De nombreuses études mettent en évidence les liens entre un usage excessif des écrans et des problèmes relationnels ou émotionnels, des troubles du sommeil et de l’attention ainsi que des phénomènes de dépendance. Les parents et l’école sont les premiers acteurs concernés par cette approche éducative, mais il me semble nécessaire d’impliquer aussi les constructeurs de ces équipements ainsi que les opérateurs au titre de leur responsabilité sociale.
Quel est l’avis du Gouvernement ? J’approuve l’inspiration de cet amendement, mais la disposition proposée n’est pas directement liée à l’objet de la proposition de loi. Nous souffrons d’une accumulation de ce type d’obligations, donc par prudence, avis plutôt défavorable. Je retire l’amendement.
(L’amendement no 33 est retiré.) La parole est à Mme Cathy Racon-Bouzon, rapporteure, pour soutenir l’amendement no 34. Poursuivant le même objectif, l’amendement tend à renforcer les obligations d’information incombant aux fournisseurs de services de communications électroniques sur les options existant en matière de contrôle parental et, plus largement, sur les offres adaptées pour les mineurs, lorsqu’une ligne de téléphonie mobile souscrite par les parents est destinée à être utilisée par leur enfant. Quel est l’avis du Gouvernement ? Une nouvelle fois, l’inspiration est bonne, mais la mesure déborde du cadre cette proposition de loi. Avis défavorable. Je retire l’amendement.
(L’amendement no 34 est retiré.) La parole est à Mme Samantha Cazebonne, pour soutenir l’amendement no 26. Cet amendement vise à s’assurer que la proposition de loi s’appliquera également aux établissements français à l’étranger. Quel est l’avis de la commission ? L’article L. 451-1 du code de l’éducation renvoie d’ores et déjà à des décrets en Conseil d’État la fixation des conditions dans lesquelles les dispositions dudit code sont appliquées dans les établissements scolaires français à l’étranger. Je vous propose donc de retirer l’amendement au bénéfice de l’engagement du ministre de prévoir l’application de la PPL dans les établissements à l’étranger. Monsieur le ministre, prenez-vous un tel engagement et quel est votre avis sur l’amendement ? Oui et je demande le retrait de l’amendement. Je le retire.
(L’amendement no 26 est retiré.) Je suis saisi de deux amendements, nos 12 et 4, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Frédérique Meunier, pour soutenir l’amendement no 12.
Nous sommes partis, dans le titre, de l’interdiction de l’usage pour aboutir aujourd’hui à l’encadrement de l’utilisation. Soyons un peu cohérents, le texte concerne l’autorisation de l’usage pédagogique. Il serait plus clair de l’intituler ainsi. La parole est à Mme Brigitte Kuster, pour soutenir l’amendement no 4. Il est défendu. Quel est l’avis de la commission ? Alors que nous débattons depuis plusieurs heures, j’espère ne pas avoir à rappeler que l’objet de ce texte est de poser un principe d’interdiction et un principe d’éducation, qui suppose une autorisation d’utilisation à des fins pédagogiques. Il est donc bien question d’encadrement et non pas d’autorisation. Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? La discussion d’un amendement portant sur le titre est l’occasion de rappeler l’état d’esprit de cette proposition de loi que vous vous apprêtez à voter. Oui, nous voulons un encadrement, qui se traduit notamment par une interdiction stricte. Cette loi permettra de poser une interdiction effective, l’usage pédagogique ayant vocation à être une exception.
Il est très important de rappeler que la loi vise l’effectivité. Contrairement à ce qui a parfois été dit ce matin par certains, ce n’est pas une loi pour les apparences, c’est une loi destinée à apporter des réponses aux choses bien réelles qui se passent dans les établissements. Je vous donne rendez-vous dans quelque temps : vous verrez que, sur ce sujet comme sur d’autres, nous sommes guidés par le pragmatisme, l’efficacité et le changement. Avis défavorable.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à Mme Frédérique Meunier. Les débats de ce matin ont montré la difficulté à comprendre en quoi consistait l’encadrement de l’utilisation. Le texte vise davantage l’autorisation d’un usage pédagogique qu’un encadrement sur lequel il reste flou.
(Les amendements nos 12 et 4, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) Dans les explications de vote, la parole est à M. Hervé Saulignac, pour le groupe Nouvelle Gauche. Je n’utiliserai pas mes cinq minutes de temps de parole, car tout a été dit. D’abord, je souligne que nous n’avons pas toujours senti beaucoup de conviction… Tout à fait ! C’est un euphémisme ! …y compris de votre part, monsieur le ministre – cette appréciation n’engage que moi et je me trompe peut-être. À l’issue de ce débat, nous avons envie de vous souhaiter bonne chance, car, si vous posez un interdit qui peut se défendre – vous l’avez défendu avec quelques arguments –, vous ne dites pas comment vous comptez obtenir son respect. D’une certaine manière, vous laissez les établissements seuls face à des problèmes qu’ils ne parviennent pas à régler, et qui ne sont pas nouveaux. Et j’ai la faiblesse de penser que vous allez en ajouter d’autres.
J’imagine des chefs d’établissements qui vont recevoir, certainement en grand nombre, des parents qui ne comprendront pas qu’ils ne peuvent pas envoyer un message au petit dernier. Vous allez également avoir des débats avec la communauté éducative, peut-être aussi avec certains conseils départementaux qui seront sollicités pour installer des casiers alors même que nombre d’entre eux ne parviennent pas à remplir leurs obligations à l’égard des collèges dont ils ont la responsabilité.
Vous nous demandez d’adopter un principe sans nous dire quelles en seront les modalités d’application. Sur le fond, nous ne pouvons pas contester l’objectif – oui, l’école ne doit pas laisser entrer des téléphones portables dont on connaît les méfaits –, mais, sur la forme, nous ne pouvons pas encourager notre assemblée à légiférer dans le vide. C’est la raison pour laquelle le groupe Nouvelle Gauche s’abstiendra sur cette proposition de loi.
(Applaudissements sur les bancs des groupes NG et GDR.) La parole est à Mme Sabine Rubin, pour le groupe La France insoumise. Nous avons perdu suffisamment de temps sur ce que nous considérons comme un non-sujet puisqu’une loi existe déjà, à laquelle il manque les moyens pour être appliquée – je pense au manque d’encadrement dans les collèges, notamment. En même temps, nous n’avons pas non plus perdu notre temps, puisque nous avons débattu assez longuement.
Toutefois, ce n’est pas la loi qui apportera des solutions à un problème qui dépasse largement la question de l’usage du téléphone portable, à savoir l’impact du numérique sur l’apprentissage et sur l’école en général. Une mission flash en cours à l’Assemblée travaille actuellement non seulement sur la manière dont l’école s’approprie le numérique, mais aussi et surtout sur l’impact du numérique sur l’école. Il eût été préférable, me semble-t-il, d’attendre ses conclusions pour légiférer. C’est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons sur ce texte.
(Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.) La parole est à M. Cédric Roussel, pour le groupe La République en marche. Beaucoup de choses ont déjà été dites. Je salue la qualité du travail de la rapporteure et de nos échanges. Nous avons expérimenté en direct, tant au cours de nos travaux en commission que dans l’hémicycle, que ce sujet faisait débat. Je suis satisfait de l’échange que nous avons pu avoir avec M. le ministre et des réponses qu’il nous a apportées, notamment sur des points qui vont au-delà de la communauté éducative, et sur lesquels nous sommes également d’accord.
En tout cas, s’agissant de l’objet même du texte, à savoir l’encadrement de l’usage du téléphone portable par nos enfants dans le cadre de la vie scolaire, je note de réels progrès qui vont rendre l’interdiction de plus en plus effective, conformément au but initial et aux demandes qui sont remontées des différentes auditions. Nous avons adopté des amendements significatifs, qui tendent à encadrer davantage encore l’usage personnel du téléphone, notamment avec la possibilité de confiscation. Comme d’autres orateurs et moi-même avons déjà eu l’occasion de l’indiquer, le groupe La République en marche votera, bien sûr, cette proposition de loi.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. Patrick Hetzel, pour le groupe Les Républicains. Nous arrivons au terme de ce débat, et nous n’avons évidemment pas été convaincus, car ce que nous craignions s’est hélas confirmé au cours des discussions de cet après-midi. Que craignions-nous ? Que le groupe majoritaire, La République en marche, ait pour seul objectif de faire de la communication. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Ça suffit ! Je vous en prie, mes chers collègues ! Veuillez laisser l’orateur s’exprimer, s’il vous plaît ! La République en marche obéit une fois de plus à la même logique : M. Macron a dit quelque chose, c’est parole sainte, donc il faut changer les textes.
Or ce qui est parfaitement ridicule, c’est que le code de l’éducation prévoit déjà la possibilité d’interdire l’usage des portables depuis 2010. Vous ne le saviez sans doute pas
(Exclamations sur les bancs du groupe LaREM) et vous en êtes rendu compte chemin faisant. Dès lors, vous exécutez une sorte de triple salto juridique en prétendant interdire ce qui est d’ores et déjà interdit. Franchement, c’est une très belle tartufferie. (Mêmes mouvements.)
Oui, je maintiens ce terme, même s’il ne vous convient pas ! C’est ridicule ! Ce faisant, le ministre de l’éducation nationale cherche sans doute à faire aimer Molière, dont il est, je le sais, un adepte. C’est une belle tartufferie car, une fois de plus, vous n’avez pas du tout abordé les sujets de fond, à savoir les sujets éducatifs. C’est dommage pour nos familles, pour nos enfants et pour la France. Le fait que vous ayez consacré autant de temps à un non-sujet montre bien que la Macronie est uniquement dans la communication. (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.) Ça suffit ! C’est dommage pour vous ! Gardez votre calme, mes chers collègues ! Vous avez raison, monsieur le président ! Vous brillez par vos absences, monsieur Hetzel ! Méditez ce que je viens de vous dire, chers collègues de la majorité ! La parole est à Mme Nadia Essayan, pour le groupe MODEM. La présente proposition de loi encadrant l’utilisation du téléphone portable dans les établissements scolaires correspond à une promesse du Président de la République. Il faut le rappeler, car il est bon de tenir ses engagements, même en politique. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.) Prenez-en de la graine, chers collègues du groupe LR ! Certains établissements scolaires parviennent à régler le problème, c’est vrai, mais d’autres non. Grâce à ce texte, la législation accompagnera les nouveaux usages, en les encadrant avec souplesse et confiance. Il n’y a pas lieu d’en faire un sujet de conflit ou d’opposition. Il s’agissait d’une demande des professeurs, des chefs d’établissement et des parents. Cette loi permettra un meilleur apprentissage : elle préservera non seulement le savoir, mais aussi le savoir-être de nos élèves. Elle nous aide tous à prendre conscience de l’abus de l’usage du portable, non seulement pour nos enfants mais aussi pour nous-mêmes, comme nous l’avons constaté au cours des débats. Rappelons que l’usage du portable reste autorisé pour certains usages pédagogiques au sein de l’école. Les députés du groupe du Mouvement démocrate et apparentés voteront ce texte équilibré. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.) La parole est à Mme Béatrice Descamps, pour le groupe UDI, Agir et indépendants. Au regard de nos échanges et des propos que j’ai tenus depuis le début de l’examen de ce texte, vous l’avez compris, notre groupe votera cette proposition de loi. Je me permets simplement de rappeler, monsieur le ministre, à quel point il sera important d’accompagner les équipes pédagogiques et de communiquer avec les familles. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.) La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi et de la proposition de loi organique de M. Richard Ferrand et plusieurs de ses collègues, relatives à la lutte contre la manipulation de l’information (nos 799, 990, 978 ; nos 772, 974).
La Conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
La parole est à M. Bruno Studer, président et rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Madame la ministre de la culture, je suppose que vous reviendrez tout à l’heure en détail sur les dispositions contenues dans les deux textes que nous examinons. Dès lors, permettez-moi de commencer mon intervention en précisant qu’il ne s’agit en aucun cas ici de parler des « fake news », tout simplement parce que cette expression a été inventée et popularisée par le président des États-Unis d’Amérique, Donald Trump, notamment pour s’attaquer aux informations diffusées par des journalistes. Il me semble important de parler plutôt de « fausses informations » et, au-delà, de « manipulation de l’information », non seulement parce que l’usage de la langue française est inscrit dans la Constitution, mais aussi parce qu’il est hors de question de reprendre à notre compte l’idéologie qui se cache derrière l’emploi de l’expression « fake news ».
Cette proposition de loi n’est nullement un texte de circonstance, comme j’ai pu l’entendre dire. Il s’agit pour nous de remplir notre mission, qui est de protéger : protéger d’abord ceux qui font de l’information sourcée, vérifiée – les journalistes –, protéger ensuite ce moment sacré du temps démocratique qu’est la campagne électorale, ainsi que le scrutin électoral, parce que, chers collègues, s’il y a une courbe que nous devons tous inverser le plus rapidement possible, c’est bien celle de l’abstention. Or, l’abstention se nourrit de la diffusion massive, artificielle d’informations inexactes, trompeuses, visant explicitement à mettre en danger les scrutins électoraux.
L’enjeu du texte est au fond de fixer des directions à l’ensemble de nos concitoyens pour qu’ils évoluent dans une société de l’information et que celle-ci ne sombre pas dans la désinformation. Pour atteindre cet objectif, certaines adaptations législatives étaient indispensables. Nous y reviendrons en détail.
Il faut davantage de transparence sur les contenus et sur ceux qui les promeuvent.
Il faut préciser l’intervention du juge des référés, parce que celui-ci ne peut intervenir sur les fausses informations comme il peut le faire sur les fausses nouvelles, l’usurpation d’identité ou la diffamation.
Il faut aussi – c’est l’enjeu du titre II – consolider la jurisprudence du Conseil supérieur de l’audiovisuel – CSA.
Il faut aussi demander à tous les acteurs du numérique de se mettre autour de la table et de trouver des solutions pour que ceux qui diffusent une information vérifiée, sourcée ne soient pas défavorisés par rapport à ceux qui génèrent chaque jour des dizaines de fausses informations et parviennent ainsi à gagner de l’argent. Tel est l’objet de l’article 9
bis introduit par la commission.
Au-delà de ces adaptations législatives indispensables, il y a l’essentiel, qui est – je salue les jeunes gens qui s’installent dans les tribunes – l’éducation aux médias et à l’information.
Cette éducation aux médias et à l’information ne sera sans doute pas la solution miraculeuse. Je ne saute comme un cabri en répétant « l’éducation aux médias, l’éducation aux médias ! », mais il faut s’en saisir à bras-le-corps. C’est tout l’enjeu de ce que nous avons construit ensemble, madame la ministre, de ce que nous avons co-construit avec le ministre de l’éducation nationale, qui était sur ces bancs il y a un instant pour l’examen d’une autre proposition de loi. Ces deux textes témoignent d’une même volonté absolue de s’emparer de l’éducation dans la société du numérique.
À travers l’éducation aux médias et à l’information, l’essentiel est bien de rétablir la confiance de nos citoyens dans les médias, dans les entreprises de l’audiovisuel, dans les entreprises de presse, tout simplement parce que cette confiance est à l’origine de celle que les citoyens peuvent avoir dans les hommes et les femmes politiques qui s’investissent au quotidien dans leur mission. Tout à l’heure, j’ai évoqué cette fameuse courbe de l’abstention, que nous devons réussir à inverser. Là est bien l’enjeu.
Le texte que je vous présente vise à protéger le sacré de la démocratie que sont la campagne et les scrutins électoraux. Il vise à protéger ceux qui nous guident dans cette société de l’information : les journalistes. Ce texte est en grande partie pour eux.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à Mme Naïma Moutchou, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, madame la ministre de la culture, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mes chers collègues, la rumeur a existé de tout temps.
C’est certainement le plus vieux média du monde. Elle a toujours accompagné les moments forts de l’histoire dans le débat public, parce qu’elle représente un fragment libre de l’opinion. En cela, elle est l’une des incarnations de la liberté d’expression. Condorcet y associait l’émergence d’un débat d’idées ouvert, synonyme de progrès de la connaissance, de consécration de la vérité et de la raison.
Mais « la rumeur est aussi la fumée du bruit », écrivait Victor Hugo. C’est même, pour compléter modestement ce propos, une fumée qui agit comme un poison : poison pour nos démocraties, devenues les cibles d’affabulateurs cherchant à en saper les fondements, poison contre le droit à l’information et contre la liberté d’expression, détournés et affaiblis par la prolifération des fausses informations.
Le danger est là, grave : celui de voir la manipulation de l’esprit se multiplier au détriment de nos valeurs.
Au siècle des Lumières déjà, Jean-Charles Lenoir, lieutenant général de police de Paris sous Louis XVI, en témoignait avec justesse. Il décrit le risque de la contagion du bruit public, tout particulièrement lorsqu’il s’insinue dans les jeux de pouvoir et dans les affaires de la cour : « Rien ne circule plus vite qu’un trait d’esprit et qu’une épigramme, bonne ou mordante, spécialement quand la satire a pour objet un grand personnage, un homme en place ou distingué », relatait-il avec lucidité.
Le temps et les grands événements n’ont rien changé. Ils ont même amplifié le phénomène : pendant la Seconde guerre mondiale, le peintre Jean Oberlé, qui fut l’un des animateurs de la France libre à Radio Londres, s’inquiétait, quelques mois après la libération de Paris, de l’écho qu’avaient trouvé dans la société française les fausses informations de l’ennemi allemand.
Mais c’est certainement au cours de la Guerre froide que la désinformation a le plus prospéré, dans l’affrontement idéologique et culturel que se livraient les deux camps.
La désinformation, cette arme puissante, est donc un procédé ancien. Mais la caisse de résonance dont elle bénéficie aujourd’hui est sans précédent : l’essor des nouvelles technologies et d’internet, en particulier des réseaux sociaux, change la donne.
Alors qu’hier, la rumeur était spontanée, transmise en cercle restreint d’une personne à une autre, elle s’est aujourd’hui totalement émancipée. Ce sont désormais des millions de Français, et avec eux les millions d’internautes à travers le monde, qui peuvent en quelques clics, à tout moment, en tout lieu, diffuser des articles ou des écrits, réagir à l’actualité quasi instantanément. Diffusion plus rapide et public visé plus large, car internet n’a pas de frontières.
Ainsi, la propagande grossière a-t-elle cédé le pas à une manipulation plus subtile, maîtrisée, à des stratégies d’influence empruntant les codes classiques de la communication.
Cette forme de perméabilité des sociétés modernes à la désinformation présente un risque majeur : celui de voir malmené le débat citoyen par la propagation d’informations controuvées, surtout dans les moments où la démocratie s’exprime le plus fort : par le vote. Car l’afflux de fausses informations mine la confiance des citoyens, trouble volontairement leur perception de la réalité dans un but illicite et dangereux : altérer le jugement qu’ils expriment à l’occasion des élections.
C’est un enjeu d’actualité, nous le savons tous, et les exemples pullulent : les dernières élections présidentielles aux États-Unis, en France, le référendum sur le Brexit, celui sur l’indépendance de la Catalogne, tous ont été touchés massivement par le phénomène des fausses informations. Tout cela justifie, tout cela impose même que le législateur se saisisse du sujet.
Nous ne laisserons pas bafouer nos valeurs, celles dont nous nous sommes dotés au prix le plus fort : le droit à l’information, la liberté de la presse et la liberté d’expression. Ces valeurs ne sont pas négociables, et rien ne doit pouvoir les remettre en cause. Nos textes de loi, en la matière, notamment la loi fondatrice du 29 juillet 1881, sont des points d’équilibre subtils, fragiles, qui permettent tant de garantir l’exercice plein et entier des libertés que de sanctionner les abus susceptibles d’en découler.
C’est précisément le sens des deux propositions de loi que nous examinons aujourd’hui : adapter notre cadre législatif qui n’est pas exhaustif – nous aurons l’occasion d’en rediscuter –, l’adapter pour lutter efficacement contre la diffusion des fausses informations.
Avec mon collègue rapporteur Bruno Studer, nous avons souhaité que ces textes fassent l’objet d’une large concertation pour recueillir les observations les plus complètes, les préconisations, pour entendre les critiques. Plusieurs dizaines d’auditions ont été organisées, à l’occasion desquelles opérateurs des plates-formes, avocats, magistrats, journalistes ou professeurs de droit ont exprimé leur point de vue. Tous s’accordent sur la nécessité impérieuse de lutter contre la diffusion virale de fausses informations. Ces propositions de loi répondent à ce défi. Quant aux inquiétudes, nous y répondons avec autant d’ambition.
La proposition de loi ordinaire, que la proposition de loi organique rend applicable à l’élection présidentielle, contient plusieurs dispositifs dont nous allons débattre lors de l’examen des articles.
Le titre Iermodifie le code électoral. Au cours des trois mois précédant le premier tour des scrutins nationaux, les obligations de transparence financière des opérations de plateforme seront renforcées : publication de l’identité des annonceurs qui les auront rémunérées en contrepartie de la promotion de contenus d’information, publication du montant de ces rémunérations. Circonscrite à la même période de temps, une nouvelle voie de référé civil est créée pour faire cesser la diffusion artificielle, automatisée et massive de fausses informations, et uniquement la diffusion faite par ailleurs de manière intentionnelle et délibérée.
Ce dispositif a un but précis : enrayer dans les meilleurs délais la propagation de fausses informations issues des systèmes robotisés, des contenus sponsorisés et autres « fermes à clics », et diffusées avec la conscience que l’information était fausse. Chaque mot ici à son importance, je le redirai.
Le titre II renforce les pouvoirs de régulation du CSA, qui participera de façon active, dans son champ d’intervention, au même objectif.
Le titre III vise à développer les dispositifs de coopération des opérateurs de plateformes avec les acteurs publics et privés du monde des médias, de la presse et d’internet. Je proposerai également d’imposer aux plateformes de transmettre le nom de leur représentant légal basé en France : nous devons pouvoir aisément communiquer avec elles en toutes circonstances.
Enfin, le titre III
bis renforce les dispositions relatives à l’éducation aux médias et à l’information des enfants et des adolescents, nécessité actuelle autant qu’enjeu d’avenir incontournable.
L’examen des textes en commission a permis d’enrichir et de préciser leur rédaction. Ainsi a-t-on travaillé à une définition de la fausse information et à un meilleur encadrement de l’intervention du juge des référés, améliorations que nous poursuivrons en séance publique. Plusieurs amendements en ce sens seront discutés.
Je tiens également à vous remercier, mes chers collègues, de l’attention que vous portez à ces propositions de loi. Plus de 200 amendements ont été déposés. Ils témoignent de l’intérêt que suscitent les questions dont nous allons débattre. Ils témoignent évidemment aussi d’inquiétudes, je le sais, d’interrogations sur les dispositifs mis en place. Mon collègue Bruno Studer et moi-même y répondront, de manière à vous rassurer je l’espère. En tout cas, nous nous exprimerons clairement sur nos objectifs, sur nos convictions forgées à l’issue des travaux menés ensemble.
Avec ces propositions de loi, la France est à l’avant-garde d’un combat qui dépasse ses frontières. Mais ces textes ne répondront pas, à eux seuls, à l’ensemble des défis immenses qui nous font face. D’autres instruments devront être mis en place ou renforcés. Il faut une gouvernance d’internet, une coordination à ce sujet au niveau européen et même international. Nous y travaillons et je salue à ce titre l’engagement de Mme la ministre de porter cette voix auprès de nos voisins. Et, parce que le comportement humain est au cœur de la naissance même de la fausse information, il nous faut impliquer davantage la société civile pour la sensibiliser aux règles de fonctionnement des réseaux sociaux.
Mes chers collègues, savez-vous que le mot post-vérité a été désigné mot de l’année en 2016 par le dictionnaire d’Oxford pour décrire l’ère dans laquelle nous sommes entrés, celle des faits alternatifs, celle qui ne fait plus de la vérité une valeur fondamentale, mais une valeur secondaire, anecdotique ? Si, comme le disait Victor Hugo, « la rumeur est la fumée du bruit », il est désormais urgent d’éteindre l’incendie. Notre démocratie est fragile. Nous en sommes les représentants et nous avons à ce titre le devoir de la défendre et de la protéger. C’est ce que nous ferons, en responsabilité.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à Mme la ministre de la culture. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles, mesdames, messieurs les députés, nous sommes toutes et tous liés, dans cet hémicycle, par-delà les appartenances partisanes et les convictions, nous sommes toutes et tous liés par un héritage, qui est notre bien commun, la raison de notre présence ici et notre responsabilité partagée : la démocratie.
Elle est en risque aujourd’hui, attaquée par des prédateurs qui prennent ses apparences pour l’attaquer de l’intérieur. Ceux-ci répandent des mensonges et des théories complotistes en imitant les codes de l’information professionnelle, en s’appuyant sur des médias entrés dans le quotidien de nos démocraties : Facebook, Twitter, Google.
Ces tentatives de camouflage, de banalisation ne doivent pas nous tromper. Les informations falsifiées, déformées, orchestrées à des fins politiques n’ont rien à voir avec le débat d’idées. Elles le polluent, elles lui nuisent. J’aimerais placer notre débat sous l’intelligence de la philosophe Hannah Arendt, qui écrivait ceci : « La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat ». J’appelle à la responsabilité ceux qui dénoncent dans ces propositions de loi un risque, une censure, une atteinte aux libertés fondamentales. La manipulation de l’information n’est pas qu’une menace. Elle est bel et bien active. C’est un poison lent qui détruit notre crédibilité, qui abîme notre vie démocratique. Je le dis avec force : l’attitude liberticide, face aux dangers actuels, c’est la passivité.
Le Gouvernement est donc en plein soutien des propositions de loi discutées aujourd’hui. Nous considérons qu’elles sont nécessaires, à la hauteur de l’enjeu, équilibrées et efficaces. Elles sont nécessaires, car le droit français doit être complété. La révolution numérique a changé la donne. Les fausses informations sont aujourd’hui relayées plus rapidement et plus largement. Les lois existantes sont insuffisantes pour lutter efficacement contre ces nouveaux modes de propagation. Ce texte est à la hauteur de l’enjeu, parce qu’il vient du cœur de la démocratie : il vient du Parlement.
Je veux remercier les députés de la majorité qui ont pris l’initiative de ces propositions de loi, ainsi que les deux rapporteurs, Naïma Moutchou et Bruno Studer, pour leur travail et leur esprit de responsabilité. Je veux saluer la qualité des travaux en commission, qui ont permis d’enrichir le texte et d’en améliorer la rédaction. Le texte proposé aujourd’hui est équilibré. Il complète l’arsenal juridique français tout en prévoyant les garde-fous nécessaires à la protection des libertés. La ligne de crête était étroite ; ce texte l’a trouvée. Je salue la décision de saisir le Conseil d’État, marque de sagesse et gage de respect des droits et libertés – des amendements reprennent plusieurs de ses recommandations. En soutenant ce texte, le Gouvernement s’inscrit dans la pleine ligne de son engagement pour la défense active de la démocratie.
Je tiens à rappeler mon combat déterminé pour garantir l’existence d’une presse et d’un audiovisuel forts, indépendants, pluralistes. Je rappelle ainsi que nous avons sanctuarisé les aides à la presse, pour la pérennité de journaux qui nous consacrent des unes sans complaisance – je peux en témoigner. Je rappelle que nous avons lancé la transformation de l’audiovisuel public pour lui permettre de continuer à exercer sa liberté de ton, à mener ses investigations. Je rappelle que nous entretenons un dialogue continu avec l’audiovisuel privé, visible récemment autour des enjeux concernant TF1 et CANALSAT, par exemple, ou encore la lutte contre le piratage.
Le premier rempart contre les manipulations de l’information, ce sont les journalistes, les professionnels des médias, et nous les soutenons. Je salue
Le 1 , qui consacrait son poster central aux fausses nouvelles, en janvier dernier ; je salue Élise Lucet pour ses enquêtes ; je salue François Morel, Alex Vizorek et Charline Vanhoenacker pour leurs chroniques acides. Ils sont le pouls de la liberté de la presse dans notre pays. Ils sont aussi le signe que mon ministère tient ses promesses, remplit sa mission. Très bien ! Enfin, c’est un texte efficace que nous soutenons. Il est efficace parce qu’il ne cherche pas à cibler la production des fausses informations, ce qui serait vain, mais leur propagation, ce qui est le nerf de la guerre. Il ne cible pas les auteurs des contenus, très souvent anonymes d’ailleurs, mais ceux qui les diffusent et qui en tirent profit, c’est-à-dire principalement les plateformes numériques, qui ne jouent pas pleinement, à l’heure actuelle, le jeu de la démocratie. Leur modèle contribue à une gigantesque économie de la manipulation. Elles vendent des likes et des followers à tous, même aux émetteurs de fausses informations. Pour 40 euros, je peux acheter 5 000 abonnés sur Twitter. Elles leur vendent de la visibilité sur les fils d’actualité, des mécanismes de push . Facebook a tiré 98 % de son chiffre d’affaires de revenus publicitaires l’an dernier, soit 40 milliards de dollars.
Nous ne pouvons pas laisser des entreprises faire des profits en sacrifiant la liberté de s’informer de nos concitoyens, en sacrifiant votre engagement politique, en sacrifiant la filière de la presse que nous soutenons. Les plateformes suspendent nos démocraties à la loi du marché. Elles livrent les opinions publiques à des vendeurs de sensation. L’outrance, les mensonges éhontés, la surenchère, la manipulation sont des produits lucratifs. Sans régulation, les plateformes seront complices des marchands de doute, qui cherchent à fissurer notre pays, à diviser pour mieux régner, à transformer notre société de la confiance en une société de la suspicion. Nous avons une responsabilité partagée : préserver cette confiance. C’est le cœur de la démocratie, et c’est le cœur de ces propositions de loi qui en renforcent trois grands piliers : la transparence, la responsabilité et la protection.
La transparence, d’abord, est la première condition de la confiance. La plupart des plateformes sont mauvaises élèves vis-à-vis de leurs utilisateurs : dans la gestion de leurs données personnelles, ce n’est plus à démontrer, mais c’est aussi vrai de la gestion des contenus qui leur sont proposés. Il est souvent difficile pour un utilisateur d’identifier si un contenu est sponsorisé, c’est-à-dire si une entreprise, un groupe de pression ou encore un État étranger a payé pour qu’il se retrouve en tête d’affiche. Certaines plateformes ont annoncé récemment qu’elles allaient prendre des initiatives vertueuses ; c’est encourageant, mais ce n’est pas suffisant. La transparence doit devenir obligatoire aux moments charnières que sont les périodes électorales, et cette obligation doit être triple : les plateformes doivent non seulement indiquer si quelqu’un a payé, mais aussi qui, et combien. C’est l’objet de l’article 1erdu texte, dont la rédaction a été améliorée par le travail en commission.
Le deuxième pilier de la confiance, c’est la responsabilité. En démocratie, elle est le pendant naturel de la liberté. Les journalistes, les éditeurs de presse, les radios, les chaînes de télévision sont responsables des contenus qu’ils diffusent. Seules les plateformes numériques échappent aux règles aujourd’hui : elles s’autorégulent et sont les seules arbitres du vrai et du faux, ce qui n’est pas acceptable. Les propositions de loi visent à réparer cette anomalie en créant un devoir de coopération, dont les contours ont été précisés par les travaux en commission. Les plateformes devront obligatoirement créer un dispositif de signalement des contenus pour l’utilisateur. Le texte propose par ailleurs une liste indicative de mesures que les plateformes pourront prendre pour remplir leur devoir de coopération ; ces mesures devront être rendues publiques. Enfin, le texte confie au Conseil supérieur de l’audiovisuel le soin d’évaluer l’effectivité de ces engagements.
Le Gouvernement est en plein soutien de ces mesures. Les amendements que nous avons déposés en séance publique sur ce point sont purement rédactionnels : ils visent à créer un titre spécifique sur le devoir de coopération et à réagencer les différentes propositions pour une meilleure lisibilité. Le texte est en pleine cohérence avec le mouvement de responsabilisation des plateformes plus large que la France est en train de conduire au niveau national et européen. C’est notamment le sens du travail que je mène pour obliger les plateformes à rémunérer les éditeurs de presse, avec la création d’un droit voisin à l’échelle européenne, ou encore de la directive sur les services de médias audiovisuels.
Enfin, le troisième pilier d’une société de la confiance est la protection, qui est aussi au cœur de ces propositions de loi. Le texte propose de renforcer la protection des citoyens de deux façons : en période électorale, d’une part, en confiant aux autorités indépendantes compétentes les moyens nécessaires pour agir en cas de menace sur la sincérité du scrutin ; en continu, d’autre part, en renforçant l’une des protections les plus efficaces contre les fausses informations : l’éducation. Il faut d’abord donner les moyens d’agir aux autorités indépendantes qui veillent sur la sécurité des publics. S’agissant des plateformes, c’est le juge judiciaire. En période électorale, aujourd’hui, il n’a pas de moyens d’action suffisamment efficaces contre les fausses informations. Il faut des semaines, voire des mois, aux procédures pour aboutir : quand un contenu est signalé, il a donc le temps de faire de nombreux dégâts avant qu’une mesure ne soit prise. La création d’une procédure spéciale de référé est nécessaire en période électorale pour demander aux plateformes le retrait ou le blocage de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin, avec tous les garde-fous qui s’imposent. Le texte les prévoit.
Des conditions cumulatives très précises encadrent l’intervention du juge : l’information devra être manifestement fausse et de nature à altérer la sincérité du scrutin, diffusée de manière massive et artificielle, « ou automatisée », comme votre commission l’a ajouté. Ce critère d’artificialité est déterminant : c’est ce qui différencie, d’une part, les fausses informations diffusées par inadvertance, les caricatures, les satires, qui ne sont évidemment pas visées par le texte, et, d’autre part, les campagnes de désinformation orchestrées sur internet.
À cet égard, je sais que la définition de la « fausse information » ajoutée au texte par votre commission des lois, a fait naître un certain nombre d’inquiétudes, notamment parmi les journalistes, en particulier la notion de « vraisemblance ». Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen du texte, afin que ces inquiétudes puissent être prises en compte. En aucun cas, les articles de presse professionnels ne seraient concernés. Je pense à un exemple régulièrement cité : l’article de
Mediapart sur le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, qui constitue un travail d’enquête journalistique, et non une manipulation orchestrée. L’article n’avait par ailleurs pas fait l’objet d’une diffusion artificielle. Si la loi avait été en place, il n’aurait aucunement été concerné. Ces critères cumulatifs préviennent les risques de dérive qui sont pointés du doigt dans le débat sur le texte. On ne peut défendre la démocratie que par la démocratie. S’agissant des médias audiovisuels, l’autorité qui veille sur la protection des publics est le CSA.
J’ai mis l’accent sur les plateformes, jusqu’ici, mais des chaînes de télévision pilotées par des États étrangers orchestrent aussi des stratégies d’influence, des campagnes de désinformation et tentent de s’ingérer dans nos affaires intérieures. Le CSA est insuffisamment armé pour y répondre. C’est un enjeu de souveraineté pour notre pays. Nous soutenons donc la proposition du texte qui vise à renforcer les pouvoirs du CSA à l’égard des chaînes non hertziennes contrôlées par un État étranger. Là encore, les conditions de suspension sont très encadrées. Elles ne s’appliqueront qu’en période électorale. Il s’agira de démontrer, d’une part, l’existence d’une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation – qui incluent, comme il me semble utile de le préciser dans le texte, le fonctionnement régulier de nos institutions – et, d’autre part, la diffusion délibérée de fausses informations de nature à altérer la sincérité du scrutin.
Enfin, deuxième grand levier de protection : l’éducation. Grâce aux amendements déposés par Bruno Studer, que je salue, le texte s’est enrichi d’une dimension fondamentale. Un nouveau titre est consacré à l’éducation aux médias. Un amendement prévoit d’en faire, dans le code de l’éducation, une obligation à chaque niveau de la scolarité. Un autre amendement prévoit d’étendre la mission d’éducation à l’information aux chaînes privées. Aujourd’hui, seul l’audiovisuel public a une obligation en la matière. Il est pionnier.
Les sociétés ont dévoilé hier la toute nouvelle plateforme commune de lutte contre les fausses informations, qui a été mise en ligne sur le site de France Info, et qui irriguera aussi les réseaux sociaux. Elle s’intitule « vrai ou
fake », et rassemble aussi bien des contenus de décryptage proposés par les différentes antennes de l’audiovisuel public que des modules d’éducation aux médias. C’était un projet nécessaire. Mais l’audiovisuel public n’a pas vocation à agir seul. Le Gouvernement soutient pleinement ces deux propositions. Je l’ai dit, je le répète : l’éducation est la mère des batailles. J’en ai fait une priorité de mon ministère.
J’ai mobilisé les sociétés de l’audiovisuel public, j’ai doublé le budget pour l’éducation à l’information et aux médias, qui passe de 3 à 6 millions d’euros cette année, et j’ai lancé un vaste programme, qui se déploiera à partir du mois de septembre, dans lequel les services civiques vont accompagner les bibliothèques dans la formation du grand public au décryptage des fausses informations.
Par ailleurs, je vais renforcer les associations de journalistes professionnels, afin de leur permettre de déployer leurs actions d’éducation aux médias, notamment auprès des jeunes. Ils sont nombreux à se mobiliser, et je veux leur rendre un hommage appuyé. Nous ferons en sorte que l’éducation à l’information devienne, comme l’éducation civique, un véritable passage obligé de la scolarité pour tous les enfants.
Mesdames, messieurs les députés, les débats nourris qui entourent ce texte témoignent de la santé de notre vie démocratique. C’est précisément pour la préserver que ces dispositions doivent être votées. La prudence est de mise quand nous touchons à de tels enjeux, mais elle ne peut pas être le prétexte de l’attentisme. Tout démontre que c’est d’une « main tremblante », pour reprendre la préconisation de l’un des grands penseurs de la démocratie, Montesquieu, que ce texte a été constitué : les garde-fous imaginés, les critères précis qui accompagnent chaque disposition, l’intensité du travail en commission, tout démontre qu’il a été abordé avec toute la sagesse, la mesure, le recul et les précautions qui s’imposent. Ce texte est à la hauteur de notre démocratie. J’appelle donc chacun à prendre les dispositions qui s’imposent, par-delà les clivages, pour protéger le modèle qui nous unit.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM). La parole est à M. Pieyre-Alexandre Anglade, au nom de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, madame la rapporteure, mes chers collègues, toutes les informations ne se valent pas. Ce constat ne date pas d’hier, mais ce qui est nouveau, en revanche, c’est la caisse de résonance que constitue internet.
Je l’ai déjà dit en commission à plusieurs reprises : aujourd’hui, pour 40 000 euros, vous pouvez lancer des opérations de propagande politique sur les réseaux sociaux et, pour quelques milliers d’euros, vous vous achetez des dizaines de milliers de commentaires haineux ou de
followers sur Twitter. À ce prix-là, ce sont des sites entiers, des pages Facebook et des fils Twitter qui colportent de fausses informations et sèment le trouble dans l’esprit de nos concitoyens. À ce prix-là, et sans une coopération accrue de tous les acteurs de la chaîne de l’information, les fake news– comme il est devenu commun de les appeler – continueront à affaiblir nos démocraties. Parce qu’à ce prix-là, la relation de confiance qui existe entre les citoyens et leurs élus se trouve sapée, dans un contexte de grands bouleversements, de divisions politiques marquées et de manque de confiance dans les institutions.
Mais ne nous y trompons pas, derrière la manipulation de l’information, il y a de véritables stratégies politiques, financées parfois par des États tiers, visant à déstabiliser nos démocraties. Et la France et l’Europe sont en première ligne. Les exemples récents de périodes électorales déstabilisées ne manquent pas, et l’origine géographique des fauteurs de trouble est souvent la même : des États tiers dans le voisinage immédiat de l’Union européenne. Nous le savons, cela a été démontré à plusieurs reprises.
Très bien ! Non ! Face à cette guerre hybride, qui expose les Français et les peuples européens en visant à les manipuler, nous sommes placés face à un choix simple : assurer enfin notre propre sécurité ou laisser, en ne faisant rien, d’autres décider pour les Français de l’avenir de leur pays et de celui de l’Europe.
Dans ce contexte, je souhaite saluer le travail mené par les collègues de la commission des affaires culturelles et de celle des lois. Un travail qui a permis de rappeler que les fausses informations étaient avant tout diffusées pour tromper la confiance de nos concitoyens envers les institutions publiques. Un travail qui a permis de renforcer les obligations de transparence des plateformes, afin de savoir qui finance des contenus politiques sponsorisés, et dans quel but. Un travail, enfin, qui a mis en lumière le rôle de l’éducation aux médias dans la lutte contre la manipulation de l’information.
Mais j’estime, mes chers collègues, que notre réponse ne peut s’arrêter aux frontières nationales. L’Europe est en première ligne dans la guerre hybride que nous mènent certains États tiers, pour qui les fausses informations sont devenues une arme de déstabilisation massive. Sur tout le continent européen, les cas de désinformation se multiplient, et des tentatives de manipulation des résultats électoraux ont été détectées dans dix-huit pays de l’Union européenne ces dernières années. Nous devons donc construire, au niveau européen comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, une réponse commune, un socle solide sur lequel les États membres pourront s’appuyer pour définir leurs stratégies nationales. Nous avons besoin d’une approche harmonisée pour responsabiliser les plateformes dans la lutte à mener contre la manipulation de l’information, du renforcement des moyens et des capacités d’action du service européen pour l’action extérieure, et, évidemment, du soutien à l’éducation, aux médias et à la valorisation du secteur de la presse.
Enfin, mes chers collègues, le combat européen contre les fausses informations prend une tonalité toute particulière, à moins d’un an des élections européennes, qui devront permettre aux Européens de choisir la forme que prendra l’Union européenne dans les années à venir, à un moment où les désordres du monde remettent en cause les équilibres d’autrefois et appellent à l’unité des Européens. Or l’accumulation de scrutins nationaux, la méconnaissance dans notre pays de ce que fait et de ce que ne fait pas l’Union européenne et l’instrumentalisation politique des sujets européens par certains partis politiques en France et ailleurs, constituent un terreau favorable à la propagation de fausses informations.
Cette loi donc permettre de répondre à ces menaces et de protéger la sincérité des scrutins, qui ne se négocie pas. Cette loi, mes chers collègues, est la réponse des progressistes, des démocrates, de ceux qui ni ne plient, ni ne cèdent, ni ne capitulent devant les tentatives de déstabilisation de notre démocratie et de notre pays, n’en déplaise à ceux, dans notre pays et ailleurs, qui espéraient pouvoir compter sur des puissances extérieures ou sur la manipulation de l’information, et donc de nos opinions publiques, pour accéder au pouvoir. Avec ce texte, nous protégeons le droit à l’information et la possibilité pour chacun de pouvoir accéder, en période électorale, à plusieurs sources d’information fiable. Ce droit est le socle de notre démocratie en France et en Europe.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM) . J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement, sur la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information.
La parole est à Mme Constance Le Grip.
Monsieur le président, madame la ministre, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, si nous nous retrouvons en ce jour pour débattre de deux propositions de loi portées par le groupe La République en marche et relatives à la lutte contre la manipulation de l’information – nouvelle appellation de ces deux propositions de loi –, c’est bien parce que le groupe majoritaire a souhaité se pencher sur le sujet de la diffusion massive de fausses informations, à l’ère des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
C’est aussi, et surtout, parce que le Président de la République, lors de la présentation de ses vœux à la presse, le 3 janvier dernier à l’Élysée, avait annoncé clairement une loi contre ce qui est, de manière simplifiée et abusive, qualifié de «
fake news ». Le chef de l’État, toujours dans ce même discours de vœux à l’Élysée, avait d’ailleurs assez clairement détaillé les mesures qu’il souhaitait voir figurer dans cette future loi. Nous y voilà donc !
Estimant manifestement avoir été victime de campagnes de désinformation sur internet alors qu’il était candidat à l’Élysée – ce qui ne l’a pas empêché d’être élu, vous en conviendrez –, et ayant certainement gardé en mémoire les quelques médias, surtout étrangers, qui avaient relayé certaines campagnes sur le
net , le Président de la République a souhaité passer de la phase défensive à la phase offensive, et donc sévir. À ce stade, il me semble intéressant de rappeler un adage historique : « Le Roi de France ne venge pas les querelles du duc d’Orléans ». Je pense que tout le monde aura compris.
Cela dit, venons-en au cœur du sujet du jour. La désinformation, terme qui me semble le plus approprié, n’a rien de nouveau. En tant qu’instrument d’influence politique, elle est pratiquée depuis fort longtemps. C’est même un phénomène historique, si l’on en croit les travaux, passionnants, d’universitaires et de chercheurs, comme Alexis Lévrier, Robert Darnton ou François-Bernard Huyghe. Votre rapport, monsieur le président et rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, y fait d’ailleurs expressément référence. Jean-Noël Kapferer avait qualifié, dans un livre resté célèbre, la rumeur de « plus vieux média du monde ».
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication, la révolution numérique amplifient la désinformation, qui, se propageant en ligne – qui pourrait le nier ? –, touche à grande, voire à très grande, échelle les citoyens. De plus, outre la rapidité et l’ampleur de diffusion qu’elles offrent, ces nouvelles technologies peuvent être également utilisées avec une précision de ciblage sans précédent. Il s’agit, nous en convenons tous, d’un défi majeur pour nos sociétés démocratiques, pluralistes, et tout particulièrement pour nous, pays européens, comme les orateurs précédents l’ont pointé en prenant l’exemple de campagnes référendaires récentes.
Le débat qui nous occupe aujourd’hui, celui des menaces que feraient peser sur nos sociétés démocratiques la manipulation massive de fausses informations et la désinformation en ligne, susceptibles d’influencer les citoyens dans leurs décisions, de faire vaciller l’opinion publique et de miner la confiance dans les institutions politiques, ce débat existe dans tous nos pays voisins. Je ne mentionne, au passage, que les campagnes massives de désinformation orchestrées par certaines puissances étrangères, qui sont susceptibles de présenter une vraie menace pour notre sécurité intérieure, en particulier lorsqu’elles s’accompagnent de cyberattaques. Nous le savons tous, la doctrine militaire russe reconnaît explicitement que la guerre de l’information fait partie intégrante de son domaine de compétence.
Parce que le constat est partagé, entre les pays européens à tout le moins, et que le défi se présente de manière globale à l’échelle de notre continent, le sujet est abordé et travaillé, depuis plusieurs années déjà, entre États de l’Union européenne et à l’intérieur des institutions européennes. La dimension transfrontalière de la désinformation en ligne est évidente et rend nécessaire une approche européenne, afin d’apporter des réponses efficaces et coordonnées.
Dès 2015, des instruments européens de riposte à certaines campagnes de désinformation ont été mis en place, sous forme de «
task force », la plus connue d’entre elles étant l’ East StratCom . Et, après de nombreux travaux menés à divers niveaux et une large consultation publique, menée en ligne, la commissaire européenne Mariya Gabriel, en charge de ce domaine, a présenté, le 26 avril dernier, une communication intitulée « Lutter contre la désinformation en ligne : une approche européenne ». Dans sa communication, la commissaire européenne propose, sur le modèle de la riposte graduée, une approche de responsabilisation des plateformes numériques.
Cette approche est basée sur le choix de l’autorégulation, les plateformes numériques et réseaux sociaux étant fortement incités à élaborer un code de bonnes pratiques contre la désinformation, ambitieux, responsable et concret, comprenant un plan d’action avec des engagements très précis, qui serait trop long à détailler ici. Il est prévu un suivi des progrès accomplis d’ici à fin juillet 2018, pour des effets mesurables dès octobre 2018, la Commission européenne se réservant la possibilité de proposer de nouvelles mesures, éventuellement de nature réglementaire, en cas de résultats insatisfaisants de la coopération et du travail commun instaurés avec les plateformes et les réseaux sociaux.
Tels sont donc le calendrier et le contexte européens dans lesquels s’inscrivent les travaux menés au sein des institutions et entre tous les pays, auxquels notre pays prend une part extrêmement active – ce dont nous nous félicitons. Cela atteste bien du fait que la réponse à la question de la désinformation en ligne ne peut être qu’européenne et ne saurait s’arrêter aux frontières nationales. Telle est notre conviction profonde, à nous, députés Les Républicains, qui nous a fait regarder, dans un premier temps, les deux propositions de loi présentées par le groupe majoritaire, avec circonspection et scepticisme, pour dire le moins.
Il peut d’ailleurs sembler pour le moins paradoxal, madame la ministre, mes chers collègues, de nous avoir refusé, il y a tout juste quelques semaines, l’adoption en première lecture d’une proposition de loi tendant à la création d’un droit voisin pour les éditeurs de presse et les agences de presse, au prétexte que des travaux européens étaient en cours, incluant une négociation très compliquée, et qu’un malheureux vote de l’Assemblée nationale française pourrait s’avérer contre-productif et de nature à mettre en péril toute la négociation européenne !
Et aujourd’hui, s’agissant de la désinformation en ligne, phénomène qui dépasse nos frontières et dont les grands acteurs incriminés – plateformes, réseaux sociaux, voire médias audiovisuels – sont tous des sociétés étrangères, il devrait y avoir, toutes affaires cessantes et sans attendre les avancées du travail européen, ni les progrès sur le code des bonnes pratiques, une législation franco-française ! ! Souffrez que nous exprimions quelque étonnement.
Voilà donc une première raison de trouver cette initiative législative franco-française inappropriée, inadéquate, inopérante, ce qui nous amène à vous en proposer le rejet.
Mais d’autres raisons essentielles nous ont conduits, nous les députés les Républicains, à déposer cette motion de rejet préalable de la proposition de loi. Elles découlent de la réponse à deux simples questions : est-il vraiment nécessaire de légiférer encore et encore, au prétexte de lutter contre la manipulation de l’information et contre la désinformation en ligne ? Est-il raisonnable, sous ce même prétexte, d’entamer, ne serait-ce que partiellement, la liberté d’opinion et la liberté d’expression ?
À ces deux questions, nous répondons clairement et fermement : non ! Non, il n’est pas nécessaire de rajouter de la législation à la législation existante. Non, il n’est pas raisonnable, il n’est pas souhaitable, il n’est pas responsable de prendre le risque de porter une quelconque atteinte à la liberté d’opinion et à la liberté d’expression.
Or tel est bien le risque que nous voyons poindre dans le texte de la proposition de loi ordinaire tel qu’il est ressorti de la commission des lois et tel qu’il a été adopté, sans possibilité de débattre aux articles 1er, 2 et 3 non plus qu’à l’article 10, en commission des affaires culturelles. La définition de la « fausse information » qu’a cru bon d’introduire, par un alinéa 7 à l’article 1er, la commission des lois de l’Assemblée nationale, nous a d’abord sidérés, puis atterrés : « Toute allégation ou imputation d’un fait dépourvu d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable constitue une fausse information ».
Comment ne pas y voir une porte grande ouverte au risque d’atteinte à la liberté d’opinion et à la liberté d’expression ?
(Applaudissements sur les bancs des groupes LR et FI.) Comment ne pas voir se faufiler la menace d’une « police de la pensée », qui dicterait ce qui est vrai et ce qui est faux, qui trierait le bon grain de l’opinion correcte, vraie et recevable, de l’ivraie de l’opinion incorrecte, non vérifiée, inexacte, irrecevable et donc condamnable et sanctionnable ?
Le risque, même minime, d’atteinte à la liberté d’opinion et à la liberté d’expression, ne saurait être pris. « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Ou encore « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Admirablement exprimés, ces principes fondamentaux de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que sont la liberté d’opinion et la liberté d’expression constituent les piliers sur lesquels repose notre société démocratique, caractérisée par le respect de la liberté, du pluralisme et de la diversité des opinions. En conséquence, la tentative de définition de la fausse information introduite à l’article 1er par la commission des lois nous semble, par sa nature floue, vague, large, sujette à caution et dangereuse.
Notre sentiment semble assez largement partagé, y compris par la rapporteure de la commission des lois elle-même qui s’auto-amende en proposant, non pas de supprimer la définition qu’elle a introduite, mais de la réécrire. Ces efforts laborieux ne nous semblent toujours pas satisfaisants.
Il apparaîtrait même que d’autres, y compris sur les bancs du groupe majoritaire, partageraient aussi notre rejet de cette définition pernicieuse de la fausse information, sans forcément le dire haut et fort, et compterait sur la sagesse du Sénat pour réécrire et rectifier les choses. Pour nous, il ne saurait y avoir de telles supputations, même si j’en profite pour rappeler notre attachement au bicamérisme ! Mais nous sommes ici à l’Assemblée nationale, nous devons assumer notre responsabilité de législateur en notre âme et conscience, et avec lucidité.
Nous le répétons, la rédaction actuelle de l’article 1erde la proposition de loi justifie à elle seule notre motion de rejet. Certes, il n’est point de liberté sans loi. Mais il faut de bonnes lois, des lois bien écrites, des lois équilibrées, qui ne soient ni redondantes ni bavardes.
La disposition, toujours à l’article 1er, confiant à un juge des référés le soin de se prononcer dans un délai de quarante-huit heures pour faire cesser, ou non, la diffusion de toute fausse information de nature à altérer la sincérité du scrutin, appelle de notre part beaucoup de réserves, c’est le moins que je puisse dire. Nous connaissons tous le nombre de dossiers qui arrivent chaque jour sur le bureau des juges. La difficulté à déterminer, dans un délai aussi court, si une information tombera sous le coup de cette loi, si elle venait malheureusement à être adoptée, sera réelle. Il y a fort à parier que, dans l’urgence d’un référé, un requérant pourrait voir la procédure rejetée en raison d’un manque d’éléments caractérisés qui, pourtant, apparaîtraient fondés au cours d’une procédure plus classique et plus longue.
A contrario , des allégations révélées au cours d’une campagne électorale pourraient se retrouver invalidées par le juge des référés au regard de l’état actuel des connaissances, donnant le sentiment que les éléments présentés n’ont aucun fondement et sont trompeurs, alors qu’ils seraient avérés quelques semaines ou quelques mois plus tard.
Bref, vu la difficulté de l’exercice, il y a fort à craindre que la censure ne s’abatte sur beaucoup d’informations qui, vraies ou fausses, devraient faire l’objet d’un débat et non pas d’une ordonnance de justice.
Nous avons bien compris que le dispositif législatif proposé par nos collègues de la République en marche concerne la période de campagne électorale et touche à ce qui, de par la manipulation de fausses informations, pourrait altérer la sincérité du scrutin. Or il existe déjà, dans l’arsenal législatif français, toute la panoplie nécessaire pour réprimer les actions de nature à altérer la sincérité du scrutin.
Ainsi en est-il de l’article L. 97 du code électoral, qui permet de punir d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 euros « ceux qui, à l’aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s’abstenir de voter ».
L’article 27 de la grande loi du 29 juillet 1881 sur la presse punit d’une amende de 45 000 euros « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers, lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler ». L’article 32 de la même loi, bien connu des personnes engagées en politique, réprime, quant à lui, la diffamation par voie de presse ou tout autre moyen de publication.
Les plateformes numériques et autres moyens de communication nouveaux n’ont pas été oubliés du champ de diffusion de ces faits. Le premier alinéa de l’article L. 52-1 du code électoral dispose qu’est interdite l’utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par tout moyen de communication audiovisuelle, sans qu’il soit besoin de définir leur contenu.
La loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 a étendu l’application de la disposition de la loi sur la presse de 1881 concernant la diffusion de fausses informations, aux fausses informations diffusées sur internet.
S’agissant de la transparence et de la loyauté des plateformes, autre sujet de préoccupation des initiateurs des textes dont nous débattons, elles ont été abordées dans la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016, notamment aux articles 22 et 23. Là aussi, sans entrer dans les détails, des ajustements législatifs auraient peut-être pu être envisagés, mais dans un autre esprit, à travers un autre texte de loi, porté par une approche européenne, dans un cadre de régulation et de responsabilisation des plateformes numériques. À cet égard, nous avons sans doute tous en tête l’éventuelle révision de la directive sur le commerce électronique, qui pourrait un jour être utilement transposée dans la législation française.
Un mot, alors que je m’approche de la fin de la défense de cette motion de rejet préalable portée par le groupe Les Républicains, sur le juge de l’élection, pour ce qui est des élections nationales : le Conseil constitutionnel.
Parce qu’il est le juge de l’élection, auquel l’article 59 de la Constitution confie la mission de statuer en cas de contestation sur la régularité de l’élection, le Conseil constitutionnel est, et doit rester, l’acteur principal en cas de contentieux électoral. Il reste, à nos yeux, l’institution la mieux placée pour trancher de manière souveraine et sereine dans le cas de « campagne massive de diffusion de fausses informations destinées à modifier le cours normal du processus électoral par l’intermédiaire de services de communication en ligne », comme le vise, dans ces termes mêmes, la proposition de loi dont nous discutons. À ce titre, il a déjà annulé des opérations électorales en raison de la diffusion de messages sur les réseaux sociaux. Il ne fait pas de doute, à nos yeux, qu’il saurait appréhender, dans sa sagesse, les requêtes arguant de faits qui lui seraient présentés et qui auraient altéré la sincérité des opérations électorales.
Pour les différentes raisons que j’ai longuement développées, parce que le dispositif législatif qui nous est présenté est inutile, redondant, inapproprié et inadéquat et qu’il est, en sus, susceptible, en raison de rédactions hasardeuses et de dispositions nocives, de porter atteinte à la liberté d’opinion et à la liberté d’expression ; parce que nous refusons l’instauration d’une quelconque police de la pensée ; parce que nous ne voulons pas qu’un arbitre des élégances puisse définir la vérité officielle ; parce que l’idée même d’une tentative de contrôle de l’information nous semble détestable, nous vous appelons à voter la motion de rejet préalable présentée par Les Républicains.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme Emmanuelle Ménard applaudit également.)
Mes chers collègues, ne jouez pas les apprentis sorciers. Soyez conscients que l’enfer est pavé de bonnes intentions, mais que ce n’est pas pour cela que la température y est moins infernale ! Et cela n’est pas une fake new ! Si, c’est une fausse nouvelle ! Qu’est-ce qui prouve que l’enfer existe ? Vous avez raison, c’est une fausse nouvelle.
Ne fabriquez pas de lois coups de com’, uniquement destinées à cocher une case, à régler tel ou tel compte ou à solder telle ou telle affaire.
Plutôt que de devoir nous prononcer de manière laborieuse, peut-être douloureuse sur certains de ces bancs, sur une proposition de loi mal ficelée, mal rédigée et qui ne fait que soulever des interrogations et des inquiétudes au lieu d’apporter des réponses, votons son rejet pour repartir sur de nouvelles bases. Travaillons collectivement et sereinement à ce qui peut être fait tant au niveau national qu’au niveau européen, dans le cadre des projets en cours, voire, puisqu’il s’agit d’un combat pour des valeurs, au plan mondial, en matière de gouvernance de l’internet.
Travaillons avec les acteurs concernés : les professionnels de l’information comme ceux qui ne le sont pas et qui n’en diffusent pas moins de l’information, les citoyens lecteurs et électeurs. Renforçons toutes les initiatives de vérification des faits – il y en a beaucoup. Il vaut mieux, d’ailleurs, qu’elles soient portées par des indépendants ou le secteur privé que par le secteur public, même si nous ne devons pas nous chamailler sur le sujet : il est bien que le secteur public donne aussi l’exemple.
Concentrons-nous sur l’éducation et la formation aux médias et au numérique : cher président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, vous avez commencé à esquisser ce travail à travers vos amendements que nous avons adoptés en commission et qui me semblent pertinents. Je pense même qu’ils constituent les seules dispositions du texte qu’il faille soutenir.
Faisons confiance à l’individu, au citoyen, à la société tout entière. Plutôt que de punir, demeurons dans une logique de confiance. Ne prenons pas le risque de la censure ou, pire, de l’autocensure. Éduquons, formons, donnons aux jeunes générations, en vue d’en faire des citoyens libres et informés, à même de prendre leurs décisions, notamment politiques, les clés leur permettant de décrypter et d’analyser des informations provenant de sources pluralistes, dans un cadre respectant totalement la diversité des opinions et la liberté d’expression.
C’est pourquoi je vous invite à voter la motion de rejet préalable, pour nous permettre de repartir, je le répète, sur d’autres bases qu’un texte mal fichu, qui a plus d’inconvénients qu’il n’apporte de solutions et qui, au vu de toutes les précautions et les prudences de Sioux qui ont été déployées à chaque étape, et compte tenu des amendements qui visent encore à le resserrer, se révélera, au mieux, inefficace et inapplicable, au pire, une menace inquiétante pour la liberté d’opinion et la liberté d’expression. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs du groupe FI. – Mme Emmanuelle Ménard applaudit également.) La parole est à Mme la ministre. Madame la députée, je trouve, au contraire, ce texte équilibré et efficace. De plus, il ne saurait attenter en rien à la liberté d’expression.
Pour être concrète, je tiens à revenir plus précisément sur la question de la Commission européenne, que vous avez évoquée et dont les initiatives sont essentiellement fondées sur l’autorégulation des plateformes. À ce titre, elles manquent d’autant plus d’ambition qu’elles sont facultatives. Aucune action législative n’est en vue, et vous le savez : comme vous, j’ai rencontré la commissaire chargée du numérique Mariya Gabriel et j’ai longuement discuté avec elle. Au dernier Conseil, à Bruxelles, j’ai évoqué le sujet avec un grand nombre de ministres européens qui attendent de voir les dispositions que nous prendrons, avant de prendre des initiatives de leur côté. Ils sont très attentifs, d’autant qu’aucune action législative n’est envisagée à ce stade.
C’est tout le contraire en matière de droits voisins, que vous avez évoqués : la situation est très avancée au plan européen puisque le dernier Coreper – Comité des représentants permanents – s’est déterminé sur la création d’un droit voisin. Le projet de directive est donc en très bonne voie.
Il ne suffit pas d’en appeler au sens de la responsabilité des acteurs numériques. Il faut pouvoir contraindre à agir ceux qui ne font rien et encadrer les initiatives de ces entreprises, sinon, le risque existe de laisser se développer une forme de censure privée. Nous avons déjà eu quelques exemples de retraits de contenus qui s’apparentent réellement à de la censure privée.
C’est pourquoi, madame la députée, je m’étonne que vous rejetiez en bloc une proposition de loi qui contient des avancées significatives vers une meilleure régulation des plateformes, alors même que vous êtes une spécialiste reconnue du numérique et que vous militez – je le sais, nous en avons souvent parlé – pour une plus grande responsabilisation des plateformes, dans la protection du droit d’auteur notamment.
Vous vous trompez, madame Le Grip. Vous faites une mauvaise lecture du texte.
Je ne dois pas être la seule ! Aucune de ses dispositions n’est susceptible de porter atteinte à la liberté d’expression ou à celle de la presse. Eh oui ! Si, et nous allons vous le démontrer ! Les rapporteurs et le Gouvernement ont procédé à de très nombreuses auditions auprès de tous les médias, d’agences spécialisées, des journalistes, des acteurs concernés, des chercheurs, des sociologues et des différents publics. Le texte qui vous est présenté est le fruit de longues discussions et d’un travail approfondi avec les artisans de la liberté de la presse. Rejeter ce texte, c’est laisser faire ceux qui préfèrent, à l’honnêteté des débats d’idées, les fausses informations reprises en boucle sur les réseaux sociaux. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Quelle caricature ! La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Naïma Moutchou, rapporteure