XVe législature
Session ordinaire de 2017-2018
Séance du jeudi 21 décembre 2017
- Présidence de M. Marc Le Fur
- 1. Projet de loi de finances pour 2018
- 2. Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022
- 3. Projet de loi de finances rectificative pour 2017
- 4. Ordre du jour de la prochaine séance
1e séance
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente.)
L’ordre du jour appelle la discussion, en lecture définitive, du projet de loi de finances pour 2018 (nos 506, 533).
La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les députés, nous sommes enfin arrivés au terme de ce qu’il est de coutume d’appeler un véritable « marathon budgétaire ». Les lectures définitives qui nous occupent aujourd’hui seront donc pour moi l’occasion de remercier toutes celles et tous ceux qui ont participé à ces débats depuis l’été dernier.
Je pense, bien entendu, à l’ensemble des parlementaires, de la majorité comme de l’opposition, du Sénat comme de l’Assemblée nationale, et particulièrement ceux qui, amendement après amendement, article après article, ont contribué à faire du projet de loi de finances pour 2018 un budget de transformation au service du pouvoir d’achat de nos concitoyens et de la libération des énergies des entreprises.
Vous me permettrez d’avoir une pensée toute particulière pour le rapporteur général, Joël Giraud, qui a su, au cours des débats, faire preuve d’une ténacité et d’une solidité à toute épreuve, avec un sourire et un sens de l’humour qui n’appartiennent qu’à lui. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.) Je n’oublie pas pour autant les parlementaires de l’opposition, dont la perspicacité et le sens du détail nous ont amenés également à opérer divers ajustements bienvenus. Au-delà des postures, il y a donc bien un espace évident pour le dialogue entre nos différentes formations politiques. Vous me permettrez également de remercier l’ensemble des services de l’Assemblée nationale et du Sénat, sans lesquels ce débat n’aurait pu être possible : agents, huissiers, administrateurs des services, administrateurs de la séance, rédacteurs des comptes rendus… Sans eux, nous n’aurions pu construire un texte si important pour la démocratie, pour le Gouvernement, pour le Parlement et pour les Français. Permettez-moi aussi de remercier mes collègues du Gouvernement qui se sont tous prêtés de bonne grâce au jeu de la diminution de leur budget, ainsi que l’intégralité des fonctionnaires qui sont sous ma responsabilité et celle de Bruno Le Maire. Sans eux, il n’y aurait ni documents ni débats budgétaires.
Quelques éléments statistiques pourront peut-être nous convaincre de l’ampleur du travail accompli : plus de 100 heures de débats en commission à l’Assemblée nationale, y compris en commission élargie, plus de 80 heures de séance pour le seul ministre de l’action et des comptes publics, plus de 200 heures de débat budgétaire depuis l’ouverture de la session ordinaire, plus de 5 700 amendements sur le projet de loi de finances, plus de 1 000 amendements sur les deux projets de loi de finances rectificative.
Vous en conviendrez tous : cette première expérience budgétaire – du moins pour beaucoup d’entre vous, et pour moi aussi – suffit à démontrer l’indispensable révision de la procédure conduisant au vote de la loi de finances. Comme l’a dit M. le président de l’Assemblée lui-même, ainsi que l’intégralité des orateurs qui se sont succédé à la tribune, la révision institutionnelle prévue par le Président de la République complétera opportunément les travaux des chambres en la matière.
L’accent est davantage mis sur le budget prévisionnel soumis, par construction, aux aléas économiques, que sur le budget exécuté, alors même que de l’exécution des comptes procède le travail d’évaluation des politiques publiques que le Président de la République, le Premier ministre et nous tous appelons de nos vœux. Je vous rappelle, à ce sujet, que dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès en juillet dernier, Emmanuel Macron avait appelé à une véritable rénovation de la fabrique de la loi. « Voter la loi ne saurait être le premier et le dernier geste du Parlement », a-t-il ainsi déclaré. De même qu’il est inimaginable qu’un chef d’entreprise ne passe pas du temps sur l’exécution de son budget, on n’imagine pas un élu local ne consacrant que quelques minutes à son compte administratif, y compris avec son opposition.
Pour ma part, en tant que ministre de l’action et des comptes publics, je souhaite que soient renforcés vos pouvoirs de contrôle. Je suis sûr que cela aiderait parfois le ministre à faire entendre raison à ses collèges et aux administrations. Les pouvoirs d’évaluation ne se résument pas à une remise de rapports du ministre au Parlement. Il convient de renforcer l’évaluation même du Gouvernement par le Parlement, afin que nous passions collectivement d’une culture de moyens à une culture d’objectifs.
J’ai ainsi formulé plusieurs propositions pour y parvenir, qui sont, si j’en crois les travaux que vous menez actuellement dans le cadre de la procédure initiée par M. de Rugy, congruentes avec les vôtres.
Premièrement, je propose d’organiser une discussion commune des volets recettes du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Celle-ci serait suivie des votes sur les ressources spécifiques de l’État et des régimes de sécurité sociale, puis de l’examen des dépenses.
Deuxièmement, je crois indispensable de revenir sur l’examen en séance, mission par mission, de la partie dépenses du budget de l’État et de le remplacer par une lecture unique de la seconde partie, sur le modèle de la première.
Enfin, j’aimerais que soit revalorisé l’examen du projet de loi de règlement des comptes en anticipant son dépôt, si possible dès la présentation du programme de stabilité, et en octroyant au Parlement un temps plus long pour l’examen de l’exécution des crédits des différentes missions – l’aspect budgétaire n’étant qu’un des aspects étudiés – au cours, par exemple, de « commissions d’évaluation des politiques publiques ».
Je voudrais, par ailleurs, que nous puissions fixer dans le marbre l’obligation, pour le Parlement et le Gouvernement, de déposer les amendements, sauf exception, dans des délais décents, ce qui mettrait un terme à la procrastination de la machine administrative, qui a tendance à ne les déposer qu’au dernier moment – je prends évidemment une partie de la responsabilité. C’est un repentir ! Mesdames et messieurs les députés, ces axes de réforme ne nécessitent ni loi organique ni, a fortiori , révision constitutionnelle. Le début de l’année prochaine serait sans doute un moment adéquat pour réfléchir à cette nouvelle procédure digne d’une démocratie moderne, le Parlement n’ayant pas à examiner de textes budgétaires.
Monsieur le rapporteur général, si vous en êtes d’accord, je compte sur vous dès le mois de janvier, après la trêve des confiseurs, pour suivre l’exécution budgétaire, avec les rapporteurs spéciaux que le président de la commission des finances et vous-même avez bien voulu désigner. J’ai proposé au Premier ministre de recevoir périodiquement – une fois tous les deux mois – les ministres chargés de tel ou tel domaine, à Bercy, pour examiner, sans la contrainte du mois de juillet, l’affolement médiatique et les éventuelles tensions entre administrations, les comptes de la nation, leurs exécutions et les rapports sur l’amélioration de la dépense publique produits par les diverses inspections, le Parlement et la Cour des comptes. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM, MODEM et UAI.) J’aurai donc l’occasion de vous revoir fréquemment et de vous inviter une nouvelle fois, avec les rapporteurs spéciaux de l’opposition comme de la majorité, à examiner l’exécution de ces moyens, thématique par thématique et ministère par ministère.
La présentation de ces textes financiers a donné lieu à beaucoup d’occasions de se réjouir, mais aussi à quelques frustrations. Depuis ce matin, nos concitoyens peuvent évaluer l’augmentation de leur pouvoir d’achat sur le site www.economie.gouv.fr, et le nombre de connexions témoigne du succès de la démarche. J’invite ceux qui nous regardent en direct à la télévision, comme l’aurait dit l’un des intervenants du débat parlementaire, à le consulter. Nous avons libéré les énergies grâce à la transformation de la fiscalité, défendue par Bruno Le Maire et moi-même. En outre, je me félicite d’avoir fait évoluer très significativement les relations avec les collectivités territoriales. Pour la première fois, la majorité aura voté une augmentation des crédits qui leur sont octroyés… Il ne faut tout de même pas exagérer ! …et instauré un nouveau mode de relation, qui passe par le contrat. C’était difficile et innovant, mais nécessaire.
Je me réjouis également de la « sincérisation » de notre budget. Lorsque le Premier ministre m’a confié, sous l’autorité du Président de la République, la responsabilité des comptes de la nation, j’ai eu à annoncer ici non seulement des mesures difficiles et parfois impopulaires, mais aussi une « sincérisation » des comptes, dont chacun, dans l’opposition comme dans la majorité, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, à la Cour des comptes comme à la Commission européenne, souligne l’intérêt, tant pour le budget 2017 – nous avons dû combler l’écart de 8 milliards entre les décrets d’avance et les projets de loi de finances rectificative – que pour celui de l’année prochaine. Si nous ne devions retenir qu’une seule chose, ce serait celle-ci : ce n’est que par de bonnes finances que nous faisons de la bonne politique.
Enfin, pour conclure ces nombreuses discussions, je tiens à souligner quelques chiffres, qui ont marqué les débats budgétaires. L’Assemblée nationale s’apprête à voter une baisse des impôts l’année prochaine : les prélèvements obligatoires passeront de 44,7 % à 44,3 %. C’est une baisse significative, qui représente plus de la moitié de la promesse de diminution de la fiscalité en cinq ans faite par le Président de la République pendant la campagne électorale. Les dépenses publiques baissent également en volume, ce qui est assez rare pour être souligné : elles passent de 54,7 % à 54 % du PIB, soit une diminution de 0,7 point des dépenses publiques.
Certes, les esprits chagrins, qui pensent qu’on n’en fait pas assez, diront que nous ne parvenons pas à l’objectif de 0 % d’évolution de la dépense publique évoqué par le Premier ministre ici même, car nous savons tous que cela est très difficile, et nous ferons mieux l’année prochaine, notamment avec l’aide du rapporteur général et des rapporteurs spéciaux. Mais, dès lors que la dépense publique, toutes administrations confondues, avait augmenté de 1,3 % par an en moyenne pendant les dix dernières années, je suis fier de présenter un budget prévoyant une augmentation des dépenses publiques qui se limite à 0,6 %. C’est encore un peu trop, mais vous remarquerez que l’effort est extrêmement important, et on le doit au travail de chacun d’entre vous.
En outre, le déficit baisse significativement. Quand je suis arrivé aux responsabilités à Bercy, il s’établissait à 3,4 %. Je suis heureux de constater que, après ces efforts de sincérité et d’économie, il s’élèvera, en 2017, à 2,9 %, soit une diminution de 0,5 point. L’année prochaine, malgré les difficultés que nous avons connues – notamment la taxe de 3 % sur les distributions de dividendes ou l’insincérité des comptes d’Areva –, il s’établira à 2,8 %. Nous espérons tous sortir de la procédure pour déficit excessif.
Mesdames, messieurs les députés, cette lecture définitive ne nous empêchera pas de nous revoir très bientôt. Nous attendons avec confiance la décision du Conseil constitutionnel, qui sera rendue dans quelques jours, et sommes heureux d’avoir posé l’acte I de la transformation des moyens de l’action publique. Je suis très heureux et très fier de vous avoir présenté, en lecture définitive, le budget de la nation. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.) Très bien ! La parole est à M. Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des finances, mesdames, messieurs les députés, j’avais prévu d’adresser quelques mots de remerciements à la fin de l’examen du dernier texte mais, comme le ministre, je vais les prononcer dès à présent.
Je remercierai tout d’abord mes collègues parlementaires, sur les bancs de la majorité comme de l’opposition, de leur assiduité pendant l’élaboration de ces lois de finances. Vous comprendrez que j’aie une pensée particulière pour le groupe La République en marche et sa whip , Amélie de Montchalin, avec laquelle nous avons formé, je le crois, un couple – en tout bien tout honneur – aussi inattendu que déterminé et, permettez-moi de le penser, efficace. (Sourires. – Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.) Un couple moderne, en somme ! Je tiens également à remercier Gérald Darmanin et l’ensemble de son cabinet, parce qu’il a été le ministre le plus présent au banc et qu’il est très agréable d’élaborer des textes avec une telle complicité. Les regards échangés au banc permettent parfois de faire évoluer les textes en fonction des circonstances et du débat parlementaire. Il est important que les ministres ne soient pas complètement rigides et sachent modifier leur position pendant l’examen des textes, en fonction de l’intérêt porté par des parlementaires de différents groupes à un sujet. Il est également important que les membres des cabinets ministériels répondent de jour comme de nuit.
Je voudrais également remercier le service de la séance et l’ensemble du personnel de l’Assemblée nationale, parce que, fatalement, lorsque les heures de débat sont plus nombreuses, il y a moins d’heures de sommeil, et nous avons battu, sur ce plan-là, des records.
Je voudrais enfin remercier le service des finances publiques, et plus particulièrement la division du secrétariat du rapporteur général, son chef, Guillaume Bazin, et ses troupes : j’ai rarement vu autant de compétence, de dévouement et de réactivité, de jour comme de nuit, dans les autres services où je suis passé – ils sont nombreux, y compris à Bercy. J’ignore si le rythme de l’enfant est toujours compatible avec les trajets et le rythme scolaires ; je sais, en revanche, que le rythme du rapporteur général et de cette division ne sont pas compatibles avec un nombre d’heures de sommeil suffisant. Merci à toutes et à tous : sans vous, nous ne pourrions pas élaborer des textes de qualité.
J’en viens maintenant à ce qui nous réunit aujourd’hui : il y a six mois, lors du débat d’orientation des finances publiques, un certain scepticisme régnait sur plusieurs bancs de l’opposition. Un audit de la Cour des comptes révélait une situation des finances publiques beaucoup plus difficile que prévu. La prévision de déficit public pour 2017 était relevée à 3,2 % du PIB. D’aucuns jugeaient intenable l’équation budgétaire et impossible la mise en œuvre de notre programme présidentiel. Le retour du déficit sous la barre des 3 % semblait compromis.
J’observe que le climat a changé. Les promesses ont été tenues. Nous avons engagé la première étape de la suppression de la taxe d’habitation, un impôt injuste territorialement et socialement. Ce sont 3 milliards d’euros de pouvoir d’achat qui seront redonnés aux classes moyennes dès cette année, et 10 milliards à l’horizon 20-20 – je vous prie de m’excuser de recourir à des termes belges, liés à mon passage dans la bonne ville de Bruxelles et à la Commission. (Sourires.) Nous avons décidé la hausse du salaire net dans le secteur privé par la bascule de cotisations sociales sur la CSG. Nous avons instauré l’impôt sur la fortune immobilière – IFI – en remplacement de l’ISF – impôt de solidarité sur la fortune. Nous avons adopté une trajectoire de baisse du taux de l’IS – impôt sur les sociétés – ainsi que le remplacement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – le CICE – par un allégement de cotisations sociales.
Ce ne sont pas de simples réformes fiscales que nous avons adoptées : c’est une véritable transformation de notre fiscalité, qui sera tout à la fois plus juste et plus favorable à l’investissement productif.
En ce sens, le projet de loi de finances pour 2018 est un texte fondateur et emblématique de cette nouvelle législature. Les efforts en matière de sincérité du budget ont été salués sur certains bancs de l’opposition. Il a été mis fin à la pratique insidieuse des sous-budgétisations. Le Gouvernement a rompu avec des habitudes qui étaient bien ancrées. Le budget a été construit sur une hypothèse très prudente de 1,7 % de croissance. Or l’INSEE a annoncé hier que la croissance tournera plutôt autour de 1,9 % ce qui signifie que les recettes fiscales pourraient être plus élevées que ce que nous avons prévu. En clair, le retour du déficit sous la barre des 3 % du PIB et la sortie de la France de la procédure de déficit excessif ne font plus beaucoup de doute aujourd’hui. Les sceptiques de l’été dernier ont perdu de la voix.
C’est dans ce contexte de confiance restaurée qu’il nous revient aujourd’hui d’adopter en lecture définitive ce projet de loi de finances pour 2018, qui comptait initialement 64 articles, dont un article liminaire. En première lecture, l’Assemblée nationale a adopté 108 nouveaux articles et a supprimé deux articles du projet de loi initial. Le projet de loi transmis au Sénat comportait donc 170 articles, ainsi que deux articles supprimés. Le Sénat en a voté 91 conformes et a confirmé la suppression des deux articles. Il a supprimé 23 articles et en a introduit 71 nouveaux.
Au total, après l’échec de la commission mixte paritaire, 150 articles étaient donc encore en discussion en nouvelle lecture, les articles adoptés conformes n’étant plus en discussion en vertu de la règle de l’entonnoir. De ces 150 articles, nous avons, en nouvelle lecture, supprimé 58 introduits par le Sénat, rétabli notre texte sur 33, adopté 24 sans modification, confirmé la suppression de quatre et adopté 31 dans une rédaction nouvelle en conservant certaines modifications apportées par le Sénat.
Le texte comprend donc 179 articles, dont 115 ont été adoptés dans une rédaction identique dans les deux chambres, ce qui représente près des deux tiers du texte.
Il subsistait toutefois encore d’importants désaccords entre le Sénat et l’Assemblée nationale, notamment sur la question de la taxe d’habitation et de l’IFI, ce qui justifie cette lecture définitive. Surtout, le Sénat a rejeté les crédits de cinq missions budgétaires, conduisant à améliorer le solde budgétaire de manière artificielle et peu réaliste de plus de 50 milliards d’euros.
Après 257 heures de débats, le dépôt de près de 6 000 amendements et l’adoption de 820 d’entre eux, je vous invite, mes chers collègues, à adopter en lecture définitive le projet de loi de finances pour 2018 dans la version issue de nos travaux en nouvelle lecture. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes REM et MODEM.) J’ai reçu de M. Jean-Luc Mélenchon et des membres du groupe La France insoumise une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à Mme Mathilde Panot. Monsieur le ministre, vous savez ce qui nous oppose foncièrement à votre projet de loi de finances jusque dans les moindres détails. Pied à pied, nous avons défendu notre conception de la justice sociale et de la solidarité entre citoyennes et citoyens. Cette conception, depuis les contrées profondes et lointaines de la Start-up Nation , vous a semblé étrange, comme venue d’ailleurs. C’est qu’il y a un monde, monsieur le ministre, messieurs et mesdames les députés, entre le Président des riches et le mouvement du peuple. Ce monde qui nous sépare, c’est le monde de l’argent.
Lorsque j’entends certains collègues, qui gagnaient entre deux et quatre fois plus auparavant, se plaindre du peu de pouvoir qu’ils ont et de l’ennui qu’ils ressentent, c’est peu dire que je suis atterrée. Quel rapport avec le sujet ? Mais quand d’autres, image saisissante d’un calvaire quotidien, avouent publiquement souffrir de manger des pâtes, je ris avec des millions de Français et de Françaises. Il fallait oser ! Je veux d’ailleurs ici saluer et remercier l’élan de solidarité qui a immédiatement saisi tout le pays, avec des envois de colis de pâtes aux députés de la majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe REM.) Je ris non seulement de l’indécence qui transpire de ces déclarations, mais aussi du signe qu’elles donnent. Loin des pirouettes de la communication, elles disent assez votre aversion pour la majorité sociale de ce pays. Vous la frappez durement dans ce projet de loi de finances. La suppression de la majeure partie de l’ISF en est le symbole éclatant. Elle bénéficiera sans doute aux douze millionnaires ministres au sein du Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe REM.) C’est vrai. Pas moi : c’est la honte ! (Sourires.) Et sur vos bancs, madame Panot, il n’y a pas de député millionnaire ? Mes chers collègues, laissez l’orateur s’exprimer. C’est l’occasion, pour celles et ceux qui seraient passés à côté, de rappeler l’étymologie du nom de votre fonction. « Ministre » vient de minister , terme latin qui signifie « celui qui sert ». Or supprimer, comme vous le faites, la majeure partie de l’ISF et créer une flat tax qui est une ruine pour la nation, cela dénote une idée particulière du service. Elle est d’ailleurs résumée dans ce proverbe bien connu, qui a le mérite de la clarté : « On n’est jamais mieux servi que par soi-même. »
Nos finances publiques souffrent depuis trop d’années des baisses successives d’impôts pour les plus fortunés. Vous continuez de créer les conditions d’un délabrement de l’État, avec cette certitude des idéologues libéraux, ceux qui ne souffrent pas la contradiction et qui, pétris d’une assurance infondée, appliquent toujours les mêmes recettes inefficaces.
Ce budget repose sur un raisonnement téléologique. Vous estimez que si les politiques appliquées ces vingt dernières années n’ont pas fonctionné, c’est qu’elles n’ont pas été menées au bout de leur logique. Nous avons donc eu droit aux refrains habituels : flexibilité, réforme, adaptation, modernité et toutes ces notions depuis bien longtemps vidées de toute espèce de sens dans le débat public. Vous nous avez répété le discours supposément moderne des années 1990. Trois décennies nous en séparent. Entre-temps, ce discours est devenu archaïque.
Ces vieilles politiques ne correspondent en rien aux défis de notre époque. Parmi ceux-ci – j’espère que vous commencez à vous en rendre compte –, celui qui les commande tous et doit les articuler entre eux est le défi écologique, qui se traduit par le changement climatique et la sixième phase d’extinction des espèces. J’insiste sur ce point : le problème écologique n’est pas un problème parmi d’autres. Il ne peut pas, comme la pensée technocratique aime tant à le faire, être rangé dans une case et soigneusement écarté par quelques tableaux comptables.
L’écologie impose une réorganisation sociale et économique profonde de notre pays. C’est vers la transformation générale des modes de consommation et de production qu’il faut désormais avancer. Or le budget de l’État que vous nous soumettez ne répond pas à cet objectif fondamental. Il tourne le dos à notre époque.
Toutes les études relatives au changement climatique témoignent d’une aggravation du problème. Les trajectoires actuelles conduisent à un réchauffement climatique de 4 à 5 degrés d’ici à la fin du siècle. Si rien n’est fait, non seulement pour atténuer ce phénomène, mais également pour s’y préparer sérieusement, alors les bouleversements qui s’annoncent devant nous pourraient détruire nos sociétés et faire de ce siècle l’un des plus chaotiques de l’histoire de l’humanité. Rien dans ce budget, ni d’ailleurs dans la cohérence générale que présentent vos politiques publiques, n’est à la hauteur de la situation. Vous réussissez l’exploit d’être à la fois les hommes et les femmes du passé et ceux du passif.
Le caractère inégalitaire de ce budget est ce qui, au premier chef, en fait un budget anti-écologique. Je vous conseille d’ailleurs, à vous, monsieur le ministre, comme à mes collègues de la majorité, de vous procurer l’excellent ouvrage du journaliste Hervé Kempf. Son titre est assez éloquent et n’a rien perdu de sa pertinence : Comment les riches détruisent la planète . Hervé Kempf y décrit le mode de consommation ostentatoire qui est profondément lié au système d’accumulation irrationnel des richesses.
Cette pensée générale, qui voudrait qu’en dehors de l’argent il n’y ait pas de salut, est non seulement dangereuse mais, il faut bien avouer, également marquée du sceau de l’ignorance. Non, notre époque n’est certainement pas celle où les jeunes doivent rêver de devenir millionnaires, elle l’est même moins qu’une autre.
Les sciences sociales nous informent à ce sujet : plus une société est inégalitaire, moins elle engagera des politiques favorables à l’environnement. Et comme j’espère que vos vacances vous laisseront le temps de lire, si vous n’en êtes pas convaincus, l’article d’Éloi Laurent intitulé « Écologie et inégalités » vous sera des plus utiles.
Les politiques inégalitaires que vous conduisez sont donc doublement anti-écologiques : d’une part, elles favorisent la consommation gaspillage et polluante d’individus qui ne savent même plus quoi inventer pour dépenser leur argent ; d’autre part, elle rend les plus fragiles plus vulnérables aux problèmes environnementaux.
Elles favorisent également une conception étroite de l’économie et donnent bien trop de pouvoirs à des individus qui, par leur seule richesse, se sentent autorisés à fuir l’impôt et à exiger des politiques uniquement centrées sur la croissance à tout prix.
« Toujours moins de normes environnementales ! », crient de concert le MEDEF et la FNSEA. Vous leur cédez bien trop. Nous leur répondons que l’État doit être garant de l’intérêt général et ne doit pas aborder les problèmes vastes qui sont les nôtres à travers le prisme d’étroits intérêts particuliers.
Je veux souligner un paradoxe, qui dit assez bien le peu de cas que vous faites de l’environnement, en comparaison aux égards sonnants et trébuchants que vous avez pour les plus fortunés. Vous supprimez donc l’ISF, que vous remplacez par l’IFI. Les capitaux financiers ne sont plus imposés sur la fortune, contrairement au patrimoine foncier. Or dans le foncier non bâti se trouvent toutes sortes de propriétés naturelles, qui nécessitent soins et protection. Celles et ceux qui se trouvent posséder un tel terrain seront donc toujours soumis à l’impôt, là où des actions d’entreprises d’énergies fossiles seront hors taxes.
Vous avez créé une incitation à vendre de telles parcelles, ce qui peut encourager une artificialisation croissante des sols. Si de telles considérations passent sans doute bien loin des salons dorés, elles sont toutefois la condition du maintien de notre territoire dans un état correct. N’importe quoi ! Le budget du ministère de l’écologie perd plus de 1 200 équivalents temps plein. Avec l’intégration de l’ADEME – l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie – et la correction par l’inflation, le budget de l’écologie stagne. Vous proposez de consacrer 288 millions d’euros à la conversion du parc automobile vers l’électrique. Or tel n’est pas, monsieur le ministre, l’enjeu de notre temps : nous devons sortir du nucléaire et des énergies carbonées. Il faut donc penser à des modes de transport plus économes en énergie, quelle qu’elle soit. La transition énergétique ne se réalisera pas à consommation constante.
Or vous êtes, et c’est un problème tout aussi essentiel, des défenseurs acharnés de l’énergie nucléaire. Mais non ! Savez-vous combien coûtera le carénage des centrales nucléaires ? Près de 100 milliards d’euros. Où sont donc les grands esprits et les prétendus économistes pour venir nous expliquer, face à ce chiffre, la nécessité absolue de couper dans les dépenses sociales tant l’État est criblé de dettes ? Où donc sont vos magnifiques raisonnements sur la rationalisation des comptes publics ? Nulle part. Déjà, cette année, nous avons recapitalisé EDF et Areva à hauteur de 9 milliards d’euros, sans aucun débat public. Vous faites valser les milliards avec plus d’aisance dans certains cas, et il est certain que vous préférez mener la danse vers les plus riches ou le lobby du nucléaire.
J’appelle toutefois l’attention de la majorité parlementaire et de tous nos collègues sur ce fait élémentaire : des dépenses aussi considérables nous condamnent à ne pas investir suffisamment dans la transition énergétique. Le choix est posé : ce sera les énergies renouvelables ou le nucléaire, et non pas l’un et l’autre. Comprenez-le et nous ne désespérerons pas que vous puissiez rejoindre nos idées et mettre en œuvre un plan ambitieux qui conduira notre pays aux 100 % d’énergies renouvelables d’ici à 2050. Nous ne sommes pas les seuls à penser que cela est possible et nécessaire. C’est du pays tout entier que proviennent des projets et des examens sérieux du problème.
Un dernier point avant de conclure, monsieur le ministre : votre plan d’investissement de 57 milliards présente seulement 24 milliards d’euros de nouveaux investissements. Le reste était déjà budgété. Pour vous donner une idée du ridicule d’un tel plan, je vous rappellerai que l’Agence internationale de l’énergie estime que les investissements nécessaires pour assurer la transition énergétique s’élèvent à 44 000 milliards de dollars d’ici à 2050, soit 1 300 milliards par an au niveau mondial.
Il est clair que la France ne prendra pas part à cet effort en 2018 et qu’elle renforcera sa dette à l’égard du monde, notamment de celles et ceux qui souffriront le plus du changement climatique. Vous êtes bien loin du compte.
De la même façon, vous prétendez rénover 500 000 logements par an pendant le quinquennat, ce qui est un objectif louable. Mais vous ne prévoyez pour cela que 2,8 milliards d’euros par an et 14 milliards sur cinq ans.
Aujourd’hui, la part de l’investissement public dans la rénovation thermique est de 42 %. Même si elle devait être ramenée à un tiers, il faudrait réunir 7 milliards d’euros annuels de financement public pour la rénovation thermique, soit deux fois et demie le montant que vous budgétez dans votre prétendu grand plan d’investissement. Nous savons compter, monsieur le ministre, et nous savons donc débusquer les contre-vérités où elles se trouvent.
Votre budget est donc hostile à l’écologie. Il est d’un autre temps, où il était possible de penser que tout allait continuer comme avant, vaille que vaille, que tout devait changer pour que rien ne change. Ce temps-là est fini. Ni le gouvernement auquel vous appartenez ni le budget que vous présentez n’est à la hauteur des enjeux actuels. Saisir son époque, ce n’est pas une question d’âge, c’est une question de capacité critique – capacité qui s’envole souvent chez celles et ceux que fascine le bruit sourd des salles de marché et les cours de la bourse. Quand allez-vous énoncer vos propositions ? La question écologique donne un sens nouveau à une expression bien connue, « la bourse ou la vie ». Monsieur le ministre, vous avez choisi la bourse. (« Oh ! » sur plusieurs bancs des groupes REM et MODEM.) Nous choisissons la vie et appelons donc notre assemblée à voter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.) Bravo ! Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.
La parole est à Mme Cendra Motin, pour le groupe La République en marche. Permettez-moi, en cette fin d’année, de changer un peu de ton et de vous proposer quelques vers.
Puisque vous me le permettez,
À travers cette motion de rejet,
Prenons donc deux minutes, c’est ce qu’on me permet
Pour faire un petit retour sur ce premier budget.
Des postures au débat,
Du refus au concordat,
Vous conviendrez avec moi
Que du chemin a été fait en quelques mois.
En marchant, en courant,
C’est toujours plein d’allant
Qu’entre séance et commission
Nous avons tous accompli cette mission.
Tant d’articles étudiés
De rapports publiés
D’amendements examinés
De débats passionnés
Ne méritent pas, je le crois, de motion de rejet.
Car comment peut-on rejeter
En toute honnêteté
Le pouvoir d’achat renforcé
Des bâtisseurs, des salariés ?
Comment peut-on repousser
D’une simple motion de rejet
Deux cent mille contrats aidés… Il y en avait 465 000 avant ! …Quatre millions de chèques énergie dans les foyers
Et pour la première fois depuis des années
Une dotation aux territoires stabilisée ?
Je vous le dis donc tout de go
Notre groupe refusera, même s’il est tôt
De voter cette motion de rejet
Car nous y avions bien trop travaillé. (Applaudissements sur les bancs du groupe REM.) Quelle créativité ! Ça, c’est de la poésie ! La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Nous voterons cette motion de rejet « car vous y aviez bien trop mal travaillé » ! (Sourires.) (La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.) J’ai reçu de M. Jean-Luc Mélenchon et des membres du groupe La France insoumise une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement. (Exclamations sur les bancs du groupe REM.) Cela nous manquait ! La parole est à M. Éric Coquerel. Ce sera plus mesuré ! Bien sûr, mes chers collègues, me revoilà ! Il faut dire aussi que vous mettez du temps à faire adopter votre budget et que la manière dont se sont déroulés certains débats me laisse rêveur. Souffrez donc jusqu’au bout que l’opposition expose ses arguments et vous explique pourquoi, quoi que vous en pensiez, quelles que soient vos réactions, le budget que vous avez présenté et que vous êtes en passe d’adopter est celui des ultra-riches.
Quelle que soit la façon dont vous ferez fonctionner vos machines à calculer, vous vous apercevrez toujours que ceux qui profiteront le plus de ce budget sont le 1 % des Français les plus riches, qui vont capter une très grande partie de vos cadeaux fiscaux. C’est plus particulièrement vrai pour les détenteurs de la rente capitaliste. Mes chers collègues, je vous invite une dernière fois à le vérifier ensemble.
La baisse de l’ISF, transformé en IFI, coûtera 3,5 milliards d’euros à nos finances publiques. Très franchement, vous aurez du mal à nous persuader que l’os à ronger de 50 millions d’euros sur les yachts et les voitures de luxe, que vous nous proposez d’adopter, permettra de faire oublier aux Français cette véritable ponction des recettes fiscales de l’État.
Par ailleurs, nous avons souvent parlé de l’instauration du prélèvement forfaitaire unique, la flat tax , qui entraînera une perte de recettes de 1,5 milliard d’euros a minima . Nous constaterons sans doute prochainement que cette estimation sous-évaluée rendait votre budget insincère, compte tenu de l’effet d’aubaine que je vous ai souvent décrit : plutôt que d’être rémunérées sous forme de salaires ou d’honoraires, les personnes qui le pourront préféreront évidemment recevoir des dividendes.
Quant à l’abandon de la taxe sur les dividendes, il représente une perte de recettes de 1,8 milliard d’euros. Finalement, cette question nous aura coûté 10 milliards d’euros. Vous avez non seulement obéi aux injonctions de Bruxelles, mais également choisi de nous faire payer les 10 milliards d’euros qu’auraient dû acquitter les plus riches, ceux qui perçoivent des dividendes. L’abandon de cette taxe bénéficie à 80 % aux très grandes sociétés et non aux PME. Par ailleurs, vous ne faites aucun effort pour faire en sorte que cette directive absolument scandaleuse soit abrogée par Bruxelles.
Vous avez abandonné l’idée d’étendre la taxe sur les transactions financières aux transactions « intraday », qui aurait rapporté 2 milliards d’euros.
Enfin, vous avez supprimé la dernière tranche de la taxe sur les salaires, ce qui engendrera une perte de recettes de 150 millions d’euros.
Vous pouvez refaire tous les calculs : l’ensemble de ces mesures représente un cadeau fiscal de 9 milliards d’euros pour les plus riches.
Les 9 millions de pauvres que compte notre pays n’ont droit qu’à l’aumône, à tel point qu’hier, lors des questions au Gouvernement, Édouard Philippe a eu beaucoup de mal à citer la moindre allocation dont bénéficient encore les plus défavorisés de nos concitoyens, tant ces allocations sont infimes – d’ailleurs, les crédits correspondants sont souvent prélevés dans les poches des autres citoyens défavorisés, et non dans celles des personnes les plus fortunées de notre pays.
Votre budget est donc inégalitaire. Vous prétendez que tout le monde en profitera : c’est faux, faux et archi-faux.
Tout d’abord, les hausses d’impôt sont immédiates, à l’instar de celle de la CSG, alors que la suppression de la taxe d’habitation, dont vous nous expliquez qu’elle permettra de compenser cette hausse, est étalée sur trois ans. De même, l’allégement des cotisations sociales, que vous avez décidé pour faire croire aux Français qu’ils récupéreront du pouvoir d’achat alors qu’ils perdront en réalité du salaire socialisé, sera réalisé en deux fois.
Il s’agit donc d’un jeu de dupes, non seulement en termes de calendrier – l’augmentation de la CSG est immédiate alors que l’application des mesures que vous présentez comme des avantages est différée –, mais aussi parce que vous allez, en réalité, redonner aux salariés ce que vous leur aurez pris dans la poche. Certains Français seront même perdants tout de suite : il en est ainsi des contribuables exonérés de la taxe d’habitation – c’est le cas des 20 % des Français les plus défavorisés –, qui subiront tout de même la hausse de la CSG.
Même votre taxe carbone est ridicule, comme ma collègue Mathilde Panot vous l’a très bien expliqué il y a quelques instants. Elle ne règle rien concernant la question dramatique du climat, puisque vous en avez exonéré les plus gros pollueurs en termes d’émissions de CO2, que ce soient les compagnies aériennes, consommatrices de kérosène, ou les entreprises les plus polluantes, qui pourront continuer à agir comme si de rien n’était, sous prétexte qu’il existe des accords européens et un droit à polluer – que nous condamnons par ailleurs.
Votre budget est aussi le plus austère de la Ve République. Il prévoit une baisse drastique des dépenses publiques, de plus de 15 milliards d’euros en 2018 – vous nous annoncez une baisse de 80 milliards d’euros sur cinq ans –, qui concerne absolument tous les secteurs que les Français jugent prioritaires.
En matière de logement, nous déplorons la forte baisse de l’aide personnalisée au logement, l’APL. Au passage, je ne m’amuse pas – car ce n’est pas le mot qui convient – de constater que vous jugez qu’une baisse de 5 euros de l’APL n’est rien, mais que les 350 000 euros dépensés pour affréter un avion permettant de gagner deux heures de vol ne sont rien non plus. (« Oh ! » sur quelques bancs du groupe REM.) Là aussi, il y a une curieuse distorsion entre ce que vous demandez aux Français, notamment les plus défavorisés, qui doivent se serrer la ceinture, et les pratiques de l’exécutif, que vous trouvez normales. Vous êtes populiste ! Au-delà de la forte baisse de l’APL, vous affaiblissez toujours plus le logement social. Cela contribuera inévitablement à raréfier les logements disponibles et à aggraver la spéculation immobilière que nous connaissons depuis des années et qui explique pourquoi le logement coûte à peu près deux fois plus cher qu’il y a trente ans.
L’emploi est également un secteur que l’on pourrait considérer comme prioritaire, mais vous avez décidé de diminuer de 1,5 milliard d’euros les crédits qui y sont consacrés. Vous supprimez 270 000 contrats aidés : c’est le plus grand plan de licenciements organisé par l’État français. Je suis assez étonné que Mme Motin, qui nous a répondu tout à l’heure, considère de manière positive cette baisse qui va pénaliser de nombreuses associations et collectivités territoriales, et donc les Français. Pas du tout ! Par ailleurs, vous diminuez les dépenses de l’assurance maladie et prévoyez de réaliser 4,2 milliards d’euros d’économies sur les hôpitaux, dont les tenants de l’austérité disent qu’ils dépensent encore trop. Je suppose que vos familles et vous-mêmes ne fréquentez pas aujourd’hui les hôpitaux publics : vous ne pouvez donc pas vous rendre compte des effets absolument catastrophiques des efforts demandés sur la santé de nos concitoyens – par exemple, on conseille à des patients de ne pas séjourner une nuit supplémentaire à l’hôpital. Il y a dix ans, nous pouvions pourtant nous enorgueillir d’avoir le meilleur système de santé au monde.
Enfin, vous prévoyez une baisse des dépenses des collectivités, même si vous évitez d’utiliser le terme de « baisse ». Dans votre novlangue, vous qualifiez toute chose d’un mot qui désigne son contraire. Ainsi, lorsque vous cassez la protection sociale, vous dites que c’est pour mieux nous protéger ; lorsque vous affaiblissez les syndicats dans les entreprises, vous dites que c’est pour renforcer le dialogue social. En l’occurrence, vous diminuez les dépenses des collectivités territoriales de 2,6 milliards d’euros en 2018 et de 13 milliards d’euros sur cinq ans en voulant nous faire croire qu’en réalité, les dépenses seront stabilisées et que tout cela n’aura aucune incidence. Or il y a fort à parier que vos mesures entraîneront la disparition d’au moins 73 000 fonctionnaires territoriaux d’ici à 2022.
Je ne reviendrai pas plus longuement sur la disparition progressive de la taxe d’habitation, qui coûtera 10 milliards d’euros par an aux collectivités. Nous donnons plus de pouvoir d’achat aux Français ! Je fais le pari que vous ne compenserez pas cette mesure au centime d’euro près – nous nous retrouverons dans quelques années pour le vérifier –, de même que l’État n’a compensé au centime près aucun transfert financier effectué au détriment des collectivités territoriales.
Tout cela vient après la baisse de 10 milliards d’euros des dotations aux collectivités territoriales opérée sous la présidence de François Hollande, dans laquelle le président de la République que vous vous êtes choisi a évidemment toutes ses responsabilités. C’est le peuple qui l’a choisi ! Enfin, tordons le cou à l’un de vos contre-feux : non, le plan d’investissements annoncé sera non pas de 57 milliards d’euros, mais de 24 milliards. Vous l’avez d’ailleurs admis dans un amendement adopté dès la première lecture – au moins, sur ce point, les choses sont claires. C’est deux fois moins que la somme que le Président de la République s’était engagé à consacrer à l’investissement.
Votre budget nous fait courir le risque d’une désastreuse régression. La logique « austéritaire » que vous comptez suivre pendant cinq ans nous fait craindre le pire pour le pays. Comme je vous l’ai dit, vos 9 milliards d’euros annuels de cadeaux fiscaux représentent, sur cinq ans, un appauvrissement de l’État de près de 50 milliards d’euros de recettes. En amputant les dépenses de l’État de 80 milliards d’euros sur la durée du quinquennat, vous provoquerez un choc « austéritaire » qui empêchera la relance de l’activité et organiserez de fait une privatisation rampante de l’économie.
À ce sujet, il est évident qu’une bulle spéculative finira par exploser, tant la disparité entre l’économie réelle et l’économie financière est de plus en plus marquée – nous espérons que cela ne se produira pas dans les cinq prochaines années car nous ne souhaitons pas de malheur à nos concitoyens. Les mesures que vous mettez en place diminueront les dépenses publiques, qui jouent pourtant un rôle essentiel dans l’accroissement du PIB. Il y a fort à parier que cette recette nous manquera quand nous devrons de nouveau faire face aux aléas et aux crises déclenchées par le capitalisme financiarisé. Je vous rappelle un fait que nous avons souvent souligné mais que vous n’avez pas relevé : entre 2012 et 2016, ces dépenses publiques que vous aimez à sabrer ont empêché l’économie française d’entrer en récession alors que le marché privé était devenu atone.
Vous vous soumettez aussi aux carcans européens – finalement, c’est un peu l’alpha et l’oméga de ce budget – de la dérégulation du marché du travail exigée par Bruxelles depuis au moins cinq ans et de la règle d’or prévue par les traités. C’est donc une trajectoire d’austérité qui caractérise votre projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
Je note d’ailleurs que ce carcan risque de devenir encore plus contraignant si votre idée d’intégrer le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – TSCG – et le Mécanisme européen de stabilité dans le droit communautaire, au lieu de le maintenir dans un cadre intergouvernemental, venait à se concrétiser. Les parlements nationaux auraient alors toujours moins de pouvoirs sur des sujets comme celui des budgets nationaux, sur lesquels ils devraient conserver leur souveraineté.
Vous maintenez la concurrence généralisée entre les peuples, alors que l’harmonisation fiscale et sociale est interdite dans l’Union européenne. Ce dumping fiscal est, finalement, presque encouragé par les quelques mesurettes annoncées par l’Union européenne à l’encontre des paradis fiscaux. En effet, vous dénoncez dix-huit de ces paradis fiscaux et en laissez autant de côté, dont tous ceux qui appartiennent à l’Union européenne – je pense à l’Irlande, au Luxembourg, à Malte ou aux Pays-Bas. En fin de compte, par cette omission, en ne dénonçant pas ces paradis fiscaux, vous encouragez l’évasion fiscale.
Enfin, vous célébrez par ce budget la toute-puissance du capital. Je l’ai souvent dit et je regrette que Bruno Le Maire ne soit pas là ce matin,… Je ne vous suffis pas ? …car il a au moins l’honnêteté de la politique qu’il applique.
Il se réclame en effet du théorème de Schmidt, le chancelier allemand qui, voilà quarante-trois ans – cela ne nous rajeunit pas ! – expliquait que les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain.
À la question que nous lui avons souvent posée de savoir pourquoi il pensait que cet argent serait investi non pas dans la spéculation, mais dans l’économie réelle, M. Le Maire nous a répondu que cela relevait du bon sens. Or, chers collègues, pour le système du capitalisme financiarisé, le bon sens n’a pas lieu d’être. Ce système n’a pas de morale. Il n’est ni bon ni mauvais : il produit simplement une politique délétère, dont la seule ligne d’horizon est la rentabilité des placements à la bourse, et non pas l’intérêt général.
Je rappelle à cet égard que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE –, instauré par François Hollande, allait déjà dans ce sens. Il aura coûté, au bas mot, et même si les calculs en la matière diffèrent, 100 milliards d’euros en quatre ans pour à peine 100 000 emplois créés ou sauvegardés. Vous avez décidé de le prolonger d’un an et, pis encore, de le transformer par la suite, et de manière définitive, en exonérations, de façon à vous assurer que cet argent manquera encore plus à l’État et qu’il ira, pour rien – car il est non contraint et non fléché –, vers toutes sortes d’entreprises, y compris celles qui, un an ou deux après l’avoir perçu, annoncent des licenciements.
Plus globalement, on connaît les résultats, sur le vieux continent – et en France en particulier –, de la politique de l’offre que vous défendez : si les profits ont effectivement explosé, les investissements ont stagné, voire régressé, et le chômage a grimpé à un niveau historique.
Contrairement à ce que vous dites, toute cette politique n’est pas nouvelle, y compris en France : ce sont ainsi sept points de la valeur ajoutée qui ont été versés au profit des dividendes et au détriment des revenus du travail, et qui coûtent à notre pays environ 150 milliards d’euros par an par rapport à la situation qui prévalait voilà une trentaine d’années.
Le capital, vous l’avez compris, n’est pas malheureux dans notre pays, recordman d’Europe des dividendes. Les entreprises du CAC 40 détiennent elles aussi un record en termes d’explosion des dividendes – qui, je le répète, bénéficie aux très grosses entreprises.
Au fond, comme l’indiquent les chiffres révélés à la fin de la semaine dernière par plusieurs journaux, vous vous livrez à une délétère course à l’échalote qui vise à rejoindre les pays les plus inégaux, avec ce nouvel étalon que vous nous proposez et qui consisterait à considérer – quel progrès civilisationnel ! – qu’il est positif de faire exploser les inégalités entre les plus riches et tout le reste de la population.
La France avait, grâce à son État social, réussi pendant plusieurs années à limiter les dégâts. Votre budget veut limiter les écarts avec nos voisins. Vous avez souhaité augmenter les inégalités, sous-entendant qu’en donnant de l’argent au capital, vous produiriez le bonheur et la richesse pour tout le monde. Or, voilà trente ans que nous assistons à l’exact inverse.
Un spectre hante aujourd’hui l’Europe : celui de l’accumulation maladive des profits, dont M. Gattaz se félicitait ce matin encore sur France Inter. Malheureusement, avec le budget que vous nous proposez, le peuple entier va souffrir. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à Mme Perrine Goulet, pour le groupe La République en marche, pour une explication de vote sur la motion de renvoi en commission. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après avoir étudié cinq fois ce texte, nous revoilà à nouveau réunis pour la lecture ultime de ce projet de loi de finances pour 2018. Nos concitoyens nous ont élus pour incarner un changement. Ce budget est le premier tome des grandes réformes que nous portons et porterons afin de redonner confiance aux Français.
Par ce budget, nous tenons nos engagements de campagne qui consistent à libérer et protéger. Notre budget permettra de soutenir l’activité et l’investissement – et donc notre économie et notre croissance. Il s’adresse à tous : salariés, fonctionnaires, chefs d’entreprise, familles, étudiants, personnes handicapées et personnes âgées. Il porte de belles mesures, comme le renforcement du minimum vieillesse, de l’allocation aux adultes handicapés, la revalorisation de la prime d’activité et le dégrèvement de la taxe d’habitation à hauteur de 30 % en 2018.
Nous avons également pris en compte le domaine écologique, qui vous est si cher – je m’adresse à nos collègues de La France insoumise –, avec la hausse de la fiscalité énergétique environnementale, la généralisation du chèque énergie ou la prime à la conversion lors de l’achat d’un véhicule.
Nous avons fait des choix et nous les assumons pleinement, afin de remettre la France sur le chemin de la réussite et de la modernité pour répondre aux nouveaux enjeux qui se présentent à nous.
Cette motion de renvoi, à ce stade, après les nombreuses heures de débat et tous les amendements étudiés, relève de l’obstruction dont le groupe La France insoumise est friand. Pas du tout ! Chers collègues, nous vous avons déjà longuement écoutés durant les longues heures de débat sur ce PLF. Et alors ? C’est ça, la démocratie ! Nous n’estimons donc pas nécessaire de retourner en commission, et le groupe La République en marche ne votera pas cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe REM.) (La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.) Il y en a pourtant que cela démangeait de la voter ! Dans la discussion générale, la parole est à Mme Valérie Rabault. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, nous voici arrivés – j’ai presque envie de dire : enfin – au terme de ce marathon budgétaire. Un peu de lassitude, chère collègue ? Beaucoup de choses ont déjà été dites. Je me concentrerai donc plus particulièrement sur trois points.
D’abord, monsieur le ministre, j’ai écouté avec grande attention hier votre collègue ministre, porte-parole du Gouvernement, et les bras m’en sont tombés. Il s’est en effet permis de critiquer l’INSEE. C’est une première. Vous critiquez le thermomètre quand la température ne vous plaît pas. C’est également une première. Tout est permis ! Aucun gouvernement avant le vôtre n’a remis en cause les études de l’INSEE. Je considère que ce qui s’est passé hier est d’une gravité absolue. C’est vrai ! L’INSEE est reconnu par EUROSTAT, l’office statistique de l’Union européenne, comme l’un des meilleurs instituts au monde.
Votre collègue a dit : « Nous contestons formellement l’étude de l’INSEE, pour une raison très simple : c’est que le raisonnement est fait à consommation équivalente. » Or votre collègue, porte-parole du Gouvernement, était, voilà encore quelque temps, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie. Il devrait donc savoir que le budget que vous allez faire voter aujourd’hui comporte, pour la seule année 2018, 3,7 milliards d’euros de recettes supplémentaires de fiscalité écologique. Si donc le porte-parole du Gouvernement considère qu’il n’y a pas de hausse de la fiscalité, il faut faire disparaître tout de suite ces 3,7 milliards d’euros que vous introduisez dans le budget pour 2018. Eh oui ! Bien sûr ! Ce qui s’est passé hier – le fait qu’un gouvernement se permette de critiquer les statistiques – est tout à fait anormal dans une démocratie. Ce n’était pas une critique ! Si, c’en était une. J’ai ici le texte exact de M. Griveaux. Moi aussi, car j’ai enregistré la vidéo et j’en ai fait un verbatim : « Nous contestons formellement l’étude de l’INSEE ». Regardez la vidéo, ce sera beaucoup plus simple que d’aller lire les commentaires qui ont été écrits. En effet ! Pour une fois, vous avez raison ! Vous aviez déjà tenté le coup avec la direction du Trésor. Peut-être la voie hiérarchique avait-elle mieux fonctionné dans ce cas-là : l’étude du Trésor évaluait le projet de loi de finances sans tenir compte – purement et simplement – de l’impact de la fiscalité écologique, comme le fait du reste le simulateur que vous avez mis en ligne ce matin et grâce auquel vous pouvez calculer tous vos impôts – sans la fiscalité écologique. C’est fantastique : le simulateur en ligne prend en compte les bonnes nouvelles ; quant aux mauvaises, on les cache un peu plus loin : la fiscalité écologique n’y figure pas.
Monsieur le ministre, je citerai quelques chiffres sur la fiscalité écologique – mais vous les connaissez déjà. Pour un couple avec deux enfants qui habite à la campagne, qui fait vingt pleins de diesel par an et qui se chauffe au fioul,… (Exclamations sur les bancs du groupe REM.) C’est le cas de beaucoup de Français ! C’est ce qui se passe à la campagne. C’est chez moi ! Chez moi aussi, à la montagne ! Vous défendez les particules fines ? C’est intéressant. Heureusement que Ségolène Royal n’est plus là ! C’est la situation de nombreux Français. Si Ségolène était là ! Ils sont embêtants, les pauvres : ils roulent dans des voitures qui polluent ! L’année prochaine, cette famille paiera 145 euros de plus de fiscalité écologique et, en 2022, ce sera 576 euros de plus.
Monsieur le ministre, l’INSEE a mis sous les yeux des Français la réalité de votre budget : des baisses d’impôts pour ceux qui gagnent plus de 10 000 euros par mois et des hausses pour ceux qui sont à moins de 1 500 euros.
Un deuxième point qui vous embarrasse, monsieur le ministre, et sur lequel vous n’avez jamais répondu, tient à ce qu’a écrit la Commission européenne : elle considère que votre budget présente des risques de non-conformité, mais vous n’en dites pas un mot.
Enfin, monsieur le ministre, je ne voudrais pas semer la zizanie dans le Gouvernement,… On pourrait parler du budget ? …mais certaines petites choses liées au budget sont tout de même assez drôles. Le ministre d’État… Lequel ? …a fait déposer un amendement pour Lyon, aux termes duquel cette ville bénéficiera de 4 à 6 millions d’euros de plus. Or, nuitamment, le ministre des comptes publics – vous-même, monsieur Darmanin – a fait déposer un amendement relatif à la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle – le DCRTP. Tenez-vous bien : alors qu’avec la première version du projet de loi de finances pour 2018, Lyon devait être ponctionné de 8 millions d’euros, il le sera de 15 millions avec l’amendement Darmanin. Nous l’avions évité l’an dernier ! Et alors ? Lyon paiera donc 7 millions d’euros de plus et l’amendement Collomb ne suffira pas, monsieur Darmanin, à compenser la ponction que vous avez opérée nuitamment sur Lyon au moyen de cet amendement relatif aux DCRTP. M. Collomb ne va pas être content. Bravo, monsieur le ministre ! Il est très bien, finalement, ce M. Darmanin ! Des amendements déposés en catimini, sans étude d’impact, révèlent ainsi des surprises qui peuvent être parfois de mauvais augure. Quel rapport ? Vous défendez tout et son contraire ! Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, notre groupe votera contre ce projet de loi de finances pour 2018. (Applaudissements sur les bancs du groupe NG.) La parole est à Mme Bénédicte Taurine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons à la fin de l’année et, si l’on fait un bilan rapide de ces derniers mois, on s’aperçoit que, depuis le début de la législature, le président Macron, son gouvernement et la majorité des députés de La République en marche se sont d’abord attaqués à notre modèle social, avec la casse du code du travail.
Votre projet, c’est plus de pouvoir aux entreprises face à la loi et moins de représentation des salariés. Vous avez aussi facilité les licenciements et supprimé le compte pénibilité : c’est un monde de chômage, de précarité et d’insécurité sociale que vous nous imposez.
Vous vous êtes attaqués aux réfugiés et aux sans-papiers, notamment avec la circulaire de M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur du 12 décembre, qui ne fait apparemment pas l’unanimité dans vos rangs. D’un côté, l’État se dédouane de ses responsabilités ; de l’autre, il criminalise les citoyens et les associations qui aident tant bien que mal les demandeurs d’asile et les mineurs isolés qui se trouvent dans des situations d’urgence. Plutôt que de mettre en place des moyens d’accueil dignes, vous avez choisi de cibler les sans-papiers présents dans les centres d’hébergement d’urgence et de favoriser leur placement en rétention afin d’augmenter les capacités d’accueil.
Vous vous êtes attaqués aux collectivités locales, qui doivent toujours et encore réduire leurs frais de fonctionnement. Les communes sont pas épargnées, l’objectif étant de leur couper les vivres afin de les forcer à se regrouper, ce qui, en définitive, éloigne les citoyens de leurs représentants. En fait, c’est une recentralisation du pouvoir qui ne dit pas son nom.
Vous vous êtes attaqués au service public de la santé en faisant des économies massives sur l’assurance maladie. Ce sont l’hôpital public, ses personnels et les patients qui en font les frais. L’hôpital est pourtant le dernier lieu de protection pour les publics fragilisés par la crise.
L’augmentation de 2 euros du forfait hospitalier signifie, pour le commun des mortels, des frais supplémentaires à la charge des patients. Pas pour M. Macron car, dans son nouveau monde, les gens sont couverts par une assurance complémentaire qui prend en charge cette dépense. Ce qu’il ne sait pas, qu’il ne veut pas savoir ou qu’il omet de dire, c’est que, dans le monde réel, tous les gens n’ont pas les moyens de cotiser à une assurance complémentaire. Quant à ceux qui disposent de mutuelles, celles-ci ont déjà annoncé qu’elles devraient augmenter leurs tarifs pour faire face à ce nouveau coût. Au bout du compte, donc, tout le monde paiera.
Il est vrai que, pour les plus riches, la pilule est plus facile à avaler à la fin du mois. En revanche, pour l’un des 2,5 millions de retraités qui auront vu leur CSG augmenter sans pouvoir bénéficier de l’exonération de la taxe d’habitation, pour le fonctionnaire qui a vu le point d’indice gelé depuis plusieurs années ou pour ceux qui ont perdu 5 euros d’APL, ce sera nettement moins facile.
Vous vous êtes attaqués aux associations et aux personnes les plus éloignées du marché du travail en supprimant des contrats aidés. Vous les avez jugés inutiles et inefficaces alors que si vous vous étiez déplacés sur le terrain, si vous aviez écouté les gens, vous auriez constaté que, majoritairement, ces personnes œuvrant pour l’intérêt général sont nécessaires. De plus, le chiffre de 200 000 emplois aidés a été avancé ; mais il y en avait 310 000 en 2017. Bilan du plan social du président Macron : des milliers d’emplois détruits.
Avec ce projet de loi de finances, vous nous proposez la précarisation des plus démunis, la pressurisation des retraités et des classes populaires, obligés encore une fois de se serrer la ceinture, et la fragilisation du service public, pourtant seul garant de l’intérêt général.
Vous êtes-vous attaqués aux plus riches ? Non, c’est tout l’inverse : votre priorité a été de satisfaire leurs demandes. Vous auriez pu vous dire que, pour vivre dans une société plus égalitaire, plus juste, il fallait réformer un impôt. Tant qu’à réfléchir à la fiscalité, pourquoi ne pas s’attaquer à un impôt socialement injuste, par exemple la TVA ? Comme nous l’avons proposé dans un amendement, avec Clémentine Autain, pourquoi ne pas réduire le taux de TVA à 5 % pour les produits alimentaires et d’hygiène de première nécessité ? Oublions le caviar, qui serait taxé à 33 % puisque c’est un produit de luxe.
Avez-vous pensé à baisser la TVA ? Non, mais vous avez pensé à supprimer l’ISF, au nom de la théorie du ruissellement, selon laquelle les revenus des plus fortunés financeraient l’investissement et l’emploi des gens qui « ne sont rien ». Comment pouvez-vous, élus de la République, croire que le fait, pour les 1 % les plus riches de la population, de ne plus payer d’impôts sur les actions qu’ils possèdent, ou encore sur l’argent qu’ils placent à l’étranger, entraînerait la réduction des inégalités dans notre pays ? Ce projet de loi de finances et votre politique générale sont au service de l’intérêt des plus riches, qui ne représentent qu’une minorité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, pour ma dernière intervention avant le vote définitif du projet de loi de finances pour 2018, je reviendrai bien évidemment sur nombre de sujets que nous n’avons cessé de combattre et pour lesquels nous avons alerté le Gouvernement afin qu’il prenne conscience de leurs effets désastreux.
Face à un gouvernement muré dans ses certitudes, nous avons combattu son projet qui ne fait que diviser la nation, opposer les Français entre eux et creuser les inégalités. Nous avons su rester force de proposition malgré la grande tentation de n’être que dans l’obstruction, tant il est insupportable de constater les effets néfastes que produira ce budget pour une grande partie des territoires et de la population.
Au service de celles et ceux qui aspirent à une société plus juste, nous continuerons à mettre en lumière les effets négatifs de vos décisions et à proposer des alternatives pour une politique plus juste, plus humaine et préservant les générations futures.
Bien sûr, je dénonce ce projet de société pour la finance – à cet égard, j’insisterai sur plusieurs sujets. Comment ne pas rappeler la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, associée à la mise en place du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital ? Ces deux dispositions permettront, à elles seules, un gain de plus de 5 milliards d’euros d’imposition au seul bénéfice des ménages les plus fortunés. Vous essayez de nous faire croire que les effets de ces mesures fiscales permettront de diriger l’épargne vers les investissements productifs et ainsi de relancer l’économie – la fameuse « confiance ».
Que dire de la théorie du ruissellement, selon laquelle les réductions d’impôts des plus hauts revenus sont bénéfiques pour l’économie et permettent de créer de l’emploi – de vrais emplois, dites-vous, pas des contrats aidés qui ne servent à rien : allez expliquer cela à celles et ceux qui ont été victimes de cette décision aussi injuste qu’incompréhensible.
Que dire aussi de l’augmentation de la CSG pour les retraités qui perçoivent une pension guère plus élevée qu’un SMIC, ou de celle du forfait hospitalier, ou encore de la baisse de l’APL ?
Que dire encore de la mise sous tutelle des communes, avec notamment une réforme de la taxe d’habitation qui n’en est pas une ? Si ! Que dire des moyens encore en baisse dans de nombreux ministères, comme aux finances ou aux douanes,… Non ! Aux douanes, ça augmente ! Pas dans mon département !
Moyens en baisse, disais-je, avec des suppressions d’emplois et de trésoreries, créant un véritable désarroi parmi les personnels, comme c’est le cas dans mon département, l’Allier.
Cette réduction de moyens ne permettra pas non plus de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, qui coûtent 60 à 80 milliards d’euros par an au pays, soit l’équivalent du déficit budgétaire.
Que dire de la mise en péril de l’hôpital public, qui s’amplifiera avec ce budget, accentuant le mal-être des personnels de santé ? Ils n’en peuvent plus et ne soigneront pas seulement avec des mots de compassion.
Que dire des politiques en matière d’aménagement du territoire et de logement, notamment en direction des territoires ruraux, lesquels sont oubliés par la République ? Là encore, des mots, rien que des mots.
Ce budget, annoncé comme celui du pouvoir d’achat des ménages, ne l’est décidément pas. Je pourrais reprendre mes propos et ceux de mes collègues qui se sont succédé à cette tribune hier soir pour dénoncer, encore une fois, les conditions dans lesquelles nous avons eu à examiner l’ensemble des documents budgétaires.
Mais, plutôt que tout cela, je préfère m’en remettre au bon sens paysan et à sa grande lucidité, que savait si bien narrer l’écrivain Émile Guillaumin, voisin de mon village, dans son chef-d’œuvre La Vie d’un simple . Dans ce livre, Émile Guillaumin raconte la vie de Tiennon, un métayer pauvre de l’Allier, la vie de labeur d’un petit paysan exploité par des propriétaires malhonnêtes, avares et avides. Il mettait en lumière une domination sociale mais aussi culturelle, exposant clairement les relations de classe entre paysans et bourgeois.
Tiennon, un « simple », est parfaitement conscient de la situation de domination à laquelle il est réduit. Au moment où il est chassé par un propriétaire indigne de la métairie et de la terre qu’il a travaillée pendant vingt-cinq ans, il fait un bilan, constatant que la vie est bête et triste pour le paysan : celui-ci ne profite d’aucune des douceurs de l’existence, chaque saison apportant son lot de labeurs qui l’enferment dans sa condition et sa dépendance au pouvoir des plus riches.
Face aux politiques libérales et d’exclusion qui sont menées, beaucoup aujourd’hui pourraient porter ce prénom de Tiennon. Émile Guillaumin rata de peu le prix Goncourt ; cette loi de finances pour 2018 ne l’aura à l’évidence pas non plus. Mais elle est bien la preuve qu’entre 1904 et 2018, si beaucoup de choses ont changé, d’autres ont, malheureusement, peu évolué. Persuadés que d’autres choix sont possibles, nous voterons contre ce projet de loi de finances pour 2018 – au bonheur des riches ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe FI.) La parole est à Mme Amélie de Montchalin. « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va. » Par cette réflexion de Sénèque, je voudrais ici retracer le cap qui a guidé ce budget, le premier et le plus important du quinquennat, et les vents, les brises qui l’ont porté car, ce matin, nous arrivons ensemble à bon port.
Il y a six mois, nous étions, pour beaucoup d’entre nous, députés du groupe La République en marche, un équipage de 312 inconnus avec un projet, auxquels les Français venaient d’accorder leur confiance. Aujourd’hui, vous êtes 312 à manger des pâtes, à être fatigués et à divorcer ! (Rires sur les bancs du groupe NG. – Exclamations sur les bancs du groupe REM.) C’est vous-mêmes qui le dites ! Ce projet fixe trois caps clairs : refaire de la France un pays où le travail paye et où les emplois se créent ; refaire de la France un pays qui investit dans son avenir ; refaire de la France un pays qui tient ses engagements.
Ce projet, ces caps ont été, dans cette discussion budgétaire, nos boussoles et nos repères. Il y a eu ici des nuits de houle et des jours de calme plat. Il y a eu surtout des mots emplis de conviction – une conviction que chacun, sur les bancs de la majorité comme de l’opposition, porte au service des Français.
Ce projet, ces caps nous ont guidés dans ces soixante-dix derniers jours et nuits de travail minutieux, parfois fastidieux, précis, avec beaucoup d’échanges et de travail. Mais nous avons surtout eu des débats sur nos politiques, sur les réformes que nous souhaitons mener et sur les moyens qui les rendent possibles.
Le vent des élections présidentielle et législatives nous était favorable mais, sans ce projet et ces caps clairs, nous aurions pu nous perdre en chemin ; nous perdre dans un processus budgétaire qu’il nous faut absolument revoir en profondeur pour qu’il nous aide à travailler davantage sur l’évaluation et le suivi de ce que nous votons ; nous perdre dans la multitude d’amendements qui, parfois, nous amènent à nous concentrer sur l’écume de la rhétorique plutôt que sur le dialogue de fond sur la transformation profonde qu’attend notre pays.
Nous aurions pu aussi nous perdre en pensant que l’impôt pouvait piloter des politiques publiques alors que nous avons, trop souvent, pendant des décennies, confondu outils et objectifs. Nous aurions pu nous perdre dans des discussions techniques nous faisant oublier que l’essentiel de notre rôle de député est d’être élu au service des Français.
Ce matin, nous pouvons collectivement retracer avec confiance le chemin parcouru et les fruits de nos choix. En janvier, les Français verront sur leur feuille de paye que leur pouvoir d’achat augmente ; ils verront que notre investissement pour l’école et l’enseignement supérieur est renforcé ; ils verront que nous réformons notre politique du logement pour loger mieux et plus les Français là où se trouvent les emplois ; ils verront que l’investissement dans les PME est de nouveau encouragé, après des décennies de fiscalité agissant comme un repoussoir.
Ce matin, nous pouvons aussi regarder le chemin qui reste encore à parcourir : cinq ans pour que le cadre que nous posons serve la transformation de la France ; cinq ans pour que les politiques publiques retrouvent leur ambition et leur sens ; cinq ans pour que les Français nous voient pleinement mobilisés pour appliquer, suivre et ajuster ce budget – un budget de sincérité, de choix et de conquête ; un budget qui permet de faire ce que l’on a dit ; un budget qui sait où il va.
Merci à vous tous, chers collègues, chers huissiers, chers administrateurs de l’Assemblée, monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre, monsieur le président, d’avoir su suivre et créer les vents favorables qui nous amènent ce matin, ensemble, à bon port, jusqu’au vote de ce projet de loi de finances. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.) La parole est à M. Gilles Carrez. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, chers collègues, dans un pays endetté à près de 100 %, on juge d’abord un budget à son niveau de déficit. En l’occurrence, votre performance, monsieur le ministre, est médiocre ; elle est même mauvaise. Ça baisse ! En effet, le déficit s’établira à 84 milliards en 2018, contre 69 milliards en 2016. Dès 2017, les comptes ont dérapé : alors que nous avions prévu un déficit de 70 milliards, nous terminerons autour de 74 à 75 milliards.
Le deuxième critère d’appréciation d’un budget est de savoir si les baisses d’impôts sont financées, gagées par des économies. Or, dans ce budget, les baisses d’impôts sont financées par le déficit – donc par la dette.
Mais, en vérité, y a-t-il des baisses d’impôts pour tous les Français ? À l’évidence, non. Il y en a pour les entreprises – baisse de l’impôt sur les sociétés, suppression de la taxe de 3 % sur les dividendes –, à hauteur de 5 à 6 milliards d’euros.
Il y a des baisses d’impôts concentrées sur quelques dizaines de milliers de ménages, avec la suppression partielle de l’ISF et la mise en place du prélèvement forfaitaire unique : ces réformes étaient nécessaires et je les approuve, mais il faut être conscient que les 4 à 5 milliards de baisses sont concentrés sur quelques-uns. Exactement ! Et pour les autres ? Il y a la suppression de la taxe d’habitation ! Pour les 37 millions de foyers fiscaux que compte notre pays, les impôts augmenteront fortement dès le mois de janvier. Même Gilles Carrez le dit ! Faisons ensemble les comptes – ils sont incontestables. Sur les 22 milliards d’augmentation de la CSG, on ne rend en 2018 que 18 milliards. Cela fait plus 4 milliards : qui paiera ? Les retraités !
Monsieur le ministre, à Tourcoing, un retraité touchant 1 400 euros par mois… Je serais heureux si les retraités de Tourcoing gagnaient 1 400 euros ! …est-il un nanti pour qu’on lui ponctionne 250 à 300 euros dans l’année ? Tourcoing n’est pas Le Perreux, monsieur Carrez : les retraités ne gagnent pas 1 400 euros par mois ! Parlons justement des 4 milliards d’euros liés à l’augmentation du prix du tabac et des carburants – cela aussi concerne les classes moyennes. Je me souviens que vous m’aviez invité à Tourcoing, en des temps très anciens, et nous avions constaté le désert concernant les buralistes. Eh oui ! Il n’y en a plus ! Je vous le dis, avec la folle trajectoire qui va conduire à augmenter de 30 centimes la taxe sur le diesel ou le fioul domestique et de 15 centimes celle sur l’essence à l’horizon 2022, il vous faudra adresser des prières quotidiennes au ciel pour que le prix du baril de pétrole ne s’envole pas trop haut. Il faut prier saint Emmanuel ! D’ailleurs, monsieur le ministre, quand le prix à la pompe, qui est sur le point de dépasser 1,50 euro le litre atteindra les 2 euros, vous verrez ce qui se passera à Tourcoing. Pas de problème ! Qui va payer ? Les classes moyennes, une fois de plus, malgré la réduction de la taxe d’habitation.
Début octobre, vous vous présentiez comme le ministre du pouvoir d’achat. C’est vrai ! Et je continue à le faire ! En décembre, comme le démontre l’INSEE sans contestation possible – vous avez raison, madame Rabault –, vous êtes devenu le ministre des hausses d’impôt. Eh oui ! Comme je vous aime bien, monsieur le ministre, je ne voudrais pas qu’on vous colle l’étiquette du matraqueur fiscal, comme cela s’est passé pour votre prédécesseur il y a cinq ans.
Quant aux économies, il n’y en a pas, ou si peu. J’en donnerai deux exemples.
S’agissant des fonctionnaires d’État, 324 postes supprimés sur 2 millions, alors que les effectifs sont de nouveau en hausse depuis deux ans – plus 16 000 en 2017. Eh oui ! La baisse de l’APL – 1,5 milliard d’euros de crédits en moins – est la seule réforme structurelle de ce budget. Je vous avais dit que vous alliez subir une défaite face au lobby des HLM. Ce n’est pas une défaite : c’est une capitulation,… C’est Waterloo ! …puisque l’économie attendue est remplacée par une hausse de TVA, de 5,5 % à 10 % sur la construction de logements, qui va entraîner une augmentation des loyers, laquelle aura obligatoirement pour conséquence une augmentation de l’APL.
C’est un mal français : on préfère toujours les hausses d’impôt à la réduction de la dépense. Eh oui ! Notre collègue François Pupponi se souvient du lobbying auquel l’Union des HLM s’était livrée il y a une quinzaine d’années pour obtenir une baisse de la TVA. Tout à fait ! Et voilà qu’ils demandent aujourd’hui une hausse de la TVA : comprenne qui pourra.
Votre nouvelle politique, ce sont en réalité les vieilles recettes du passé, auxquelles il faut ajouter le clientélisme. Confisquer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – la CVAE – à la région Auvergne-Rhône-Alpes au bénéfice de la métropole de Lyon, c’est du clientélisme ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LR, NG, GDR et FI.) C’est une rupture d’égalité caractérisée.
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez, monsieur le ministre, que notre groupe votera contre ce projet de budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) La parole est à Mme Sarah El Haïry. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous voici réunis pour l’ultime lecture des trois textes budgétaires de cette fin d’année : le premier « boucle » l’année 2017, le deuxième lance l’année 2018 et le dernier fixe le cadre et le cap de cette législature.
Le projet de loi de finances pour 2018, complété par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, se voulait ambitieux en intégrant une grande partie des mesures et trajectoires issues des engagements que nous avons pris pendant les campagnes présidentielle et législatives. Je dois vous dire que le groupe du Mouvement démocrate et apparentés considère que l’exercice est réussi.
Pour illustrer cet exercice intellectuel, on peut aisément reprendre les mots de celui dont nous fêtons le centenaire de l’arrivée à la présidence du Conseil : « Il faut savoir ce que l’on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire. »
Ce budget est un budget pour remettre la France sur les rails de la croissance et de l’emploi. Ce budget est le budget des engagements de mai dernier. Ce budget est le budget d’un pays en marche diront les uns, en mouvement diront les autres, et selon nous en progrès.
L’incitation à la transition écologique et énergétique et l’accompagnement dans cette direction, alors que notre planète envoie, chaque année, toujours plus de signaux de détresse ; une juste rémunération, un travail qui paie, la création d’un environnement favorable à l’investissement de l’épargne dans l’économie productive, dans un contexte de chômage élevé et de concurrence internationale accrue ; la suppression d’impôts ou de dispositifs injustes ou inefficaces permettant de redonner du pouvoir d’achat à nos concitoyens et de simplifier la fiscalité française : tous ces axes, mis en œuvre dans les textes budgétaires, sont la première pierre budgétaire de la construction d’un projet ambitieux pour la France que notre majorité veut mettre en place pour les cinq prochaines années.
Pour tout cela, parce que nous croyons fermement que ces sujets sont ceux qu’il faut traiter d’urgence, que la voie que vous avez proposée est la bonne, que le dialogue au sein de cette assemblée a été constructif, nous vous soutenons, monsieur le ministre.
Cette première pierre permettra – c’est notre objectif – de construire une France s’appuyant sur ses corps intermédiaires. Notre groupe a été et restera très attentif au développement et au soutien de notre tissu associatif. Nous ne lâcherons rien, monsieur le ministre. Cette pierre permettra également de construire une France responsable et respectueuse de son environnement, une France sociale et solidaire, attentive à la vitalité de ses communes, rurales ou urbaines, d’outre-mer, insulaires ou métropolitaines, mais aussi respectueuse de la politique familiale qui nous est chère ; une France humaine, une France qui libère et qui protège, une France qui permet l’émancipation de chacune et chacun de nos concitoyens.
Bien sûr les débats sont nombreux, parfois passionnés mais toujours pertinents, au sein de notre groupe, de la majorité, de l’ensemble de notre assemblée et plus largement avec nos concitoyens. Ce débat est nécessaire et nous y tenons. Il est signe de vitalité démocratique et permet d’enrichir les textes que nous votons. Comme le disait si bien un grand homme politique de notre pays – je suis sûr que vous allez le reconnaître –, « Si l’on pense tous la même chose, c’est que l’on ne pense plus rien. » (Sourires.) Notre groupe votera ce projet de loi de finances pour 2018. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur quelques bancs du groupe REM.) La parole est à Mme Lise Magnier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de souligner l’excellente proposition de notre rapporteur général d’une discussion générale commune aux trois textes que nous examinons aujourd’hui en dernière lecture et qui sont totalement liés. Malheureusement, il n’a pas été donné suite à cette proposition et je le regrette. J’espère que la réforme de la procédure budgétaire pourra s’en inspirer.
Nous sommes aujourd’hui réunis pour nous pencher une dernière fois sur le premier budget du quinquennat. Les débats furent intéressants, passionnés, mais l’échéance des 70 jours arrivant à son terme, il convient aujourd’hui d’entériner les décisions.
Tout au long du travail parlementaire relatif à ce PLF, notre groupe s’est beaucoup mobilisé et n’a cessé de tenir un discours pragmatique et constructif. Nous resterons logiquement fidèles à cette philosophie.
Ce budget détonne, à n’en pas douter, par une certaine sincérité et même un certain courage politique. Cette sincérité est une vraie révolution et à défaut d’avoir vu à l’œuvre un « nouveau monde » s’agissant de la gestion du travail parlementaire et des amendements gouvernementaux, nous avons au moins vu un gouvernement soucieux de s’attacher à des prévisions réalistes. Nous espérons vivement que cette méthode perdurera pour les prochaines lois de finances et que les prochains textes pourront être examinés de façon plus sereine et plus efficace.
Nous avons souligné aussi à maintes reprises les mesures qui vont dans le bon sens. Il en va ainsi du prélèvement forfaitaire unique, de la suppression d’une part de l’ISF et de tout ce qui peut accompagner notre économie, nos entreprises pour leur permettre de consolider leur activité.
Nous avons aussi relevé les mesures qui nous laissent un goût d’inachevé ou soulèvent trop d’inquiétudes. C’est le cas de la suppression d’une partie de la taxe d’habitation, qui inquiète beaucoup les élus locaux et qui maintient l’aspect injuste de cet impôt pour 20 % des contribuables. La réforme du crédit d’impôt pour la transition énergétique – le CITE – nous semble aussi inachevée et nous regrettons que les propositions tendant à revoir les dépenses de 2017 liées aux aides à la rénovation énergétique des logements privés n’aient pas été retenues.
Nous nous sommes par ailleurs opposés à certaines mesures que nous avons jugées sévèrement. Il en va ainsi de l’article 52, relatif à la baisse de l’APL dans le parc social. Les parlementaires se sont trouvés confrontés à un article qui servait en fait de brouillon aux négociations entre le Gouvernement et les bailleurs sociaux. Surtout, vous avez pris le problème à l’envers, en demandant des efforts conséquents aux bailleurs en matière de réduction des loyers alors qu’un projet de loi sur le logement, qui prévoira sans doute des regroupements d’offices, nous sera soumis l’année prochaine. Nous sommes persuadés qu’avec davantage de temps et de méthode, il aurait été possible d’arriver à une solution plus différenciée, car malgré votre dispositif de péréquation, nous persistons à penser qu’il n’est pas juste de demander autant d’effort à tous les offices, alors que tous ne comptent pas la même proportion de locataires bénéficiaires de l’APL et que tous ne mènent pas les mêmes politiques d’investissement ou de gestion.
L’APL-accession a bien failli passer à la trappe et être la victime collatérale de ces économies imposées d’en haut. Elle sera finalement maintenue dans une de ses composantes et dans les zones détendues.
Si je m’attarde sur cet aspect, c’est parce qu’il constitue à nos yeux un véritable point noir de ce budget, même si vous avez su l’atténuer. Finalement, il illustre un vrai problème de méthode. Nous avons conscience que sept mois peuvent ne pas suffire à un nouveau gouvernement pour définir des réformes d’ampleur et globales, mais je crois que vous gagneriez à ne proposer de telles réformes que lorsqu’elles sont totalement définies plutôt que par morceaux comme cela s’est produit pour le logement.
Nous vous invitons également à poursuivre ce que vous avez su engager pour les collectivités avec la contractualisation. Oui, nous croyons à l’intelligence collective ; oui, nous croyons à la capacité des territoires à s’organiser et à définir leurs propres besoins et trouver les meilleurs moyens d’y répondre.
Enfin, notre groupe, vous le savez, est particulièrement attaché à la maîtrise de la dépense publique, à la résorption du déficit et au désendettement. Un regard attentif doit notamment être porté sur l’évolution de la masse salariale de l’État. Nous vous invitons donc à garder le cap, à ne pas faire dans la demi-mesure, à lever certaines zones d’ombre et à aller jusqu’au bout des réformes qu’il est indispensable d’entreprendre pour notre pays, pour la prospérité de nos concitoyens et de nos entreprises.
Ce premier budget est donc une première étape qui vous permet de lancer certaines réformes, dont la plus importante reste l’accompagnement de notre économie. J’espère que la deuxième étape pourra être une réforme globale de la fiscalité française, locale et nationale, qui constituera là aussi un véritable accompagnement de notre économie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UAI.) La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre. Je voudrais d’abord remercier tous les orateurs, quel que soit leur groupe et souligner l’intérêt, voire le plaisir que nous avons eu à débattre ensemble – c’est pour cela que nous faisons de la politique.
J’entends les arguments des uns et des autres. Je remercie les orateurs du groupe La France insoumise de leurs interventions. Même si nous ne sommes pas d’accord sur grand-chose, on peut vous reconnaître une certaine constance et un certain travail, ce qui est à saluer même si je pense que, fondamentalement, vous vous trompez dans votre analyse de la société et de l’économie – mais cela ne vous surprendra pas, puisque vous avez vous-mêmes souligné nos différences.
Je voudrais remercier le groupe communiste à travers vous, monsieur Dufrègne. M. Roussel a été particulièrement présent dans ces débats et même si, là encore, nous nous opposons sur l’essentiel, nos débats républicains ont montré qu’il y avait évidemment une place pour la prise de parole de l’opposition et sa représentation dans cet hémicycle.
Je voudrais remercier particulièrement Mme Amélie de Montchalin de La République en marche pour ses propos encourageants. Filant après elle la métaphore maritime, je dirai que nous arrivons à bon port aujourd’hui – en tout cas nous l’espérons –, avant de reprendre la mer sans doute au début de l’année prochaine. Sa démonstration s’adressait peut-être davantage au Premier ministre, dont on connaît l’amour pour la mer et Le Havre, voire à M. Mélenchon lui-même, qui a beaucoup parlé de la mer, qu’à moi-même, qui ai une vision peut-être un peu plus terrestre. Mais après tout, étant du département de Jean Bart, je me sens un peu corsaire. (Sourires.) Je vous remercie, madame El Haïry – et à travers vous tous les orateurs du groupe MODEM qui sont intervenus dans les débats budgétaires, parmi lesquels M. Bourlanges, M. Mattei et M. le président Fesneau. Nous n’avons pas toujours été d’accord sur les sujets les plus symboliques. Nous avons pu avoir des désaccords non sur le fond mais sur le calendrier de la réforme de l’État. Je pense en particulier au débat que nous avons eu, avec Mme Buzyn, sur la politique familiale dans le cadre de l’examen du PLFSS. Ces dissensions passaient parfois à l’intérieur même du groupe – je pense notamment au prélèvement à la source.
Nous avons pu travailler de manière intelligente, le MODEM faisant évidemment partie intégrante de la majorité. À ce titre, je crois que le ministère de l’action et des comptes publics s’est montré particulièrement à l’écoute et a su exprimer son désaccord lorsqu’il le fallait, tout en trouvant des compromis. Je souhaite que nous puissions continuer à travailler dans le même état d’esprit, en comprenant les spécificités de chacun et en sachant qu’un arc-en-ciel est composé de plusieurs couleurs. C’est ainsi que nous travaillons au bien-être de la nation.
Je souligne que si le ministère de l’action et des comptes publics a évidemment regretté le dépôt tardif d’un certain nombre d’amendements, il n’a pas utilisé certaines procédures, notamment la seconde délibération, ce qui constitue un témoignage de respect envers les parlementaires. J’ajoute que l’on n’est pas revenu de façon cachée, en nouvelle lecture ou à travers des amendements gouvernementaux, sur certaines dispositions adoptées en première lecture. Là encore, c’était une façon de respecter le travail des parlementaires. J’ai moi-même, me semble-t-il, beaucoup insisté auprès de l’administration pour que l’on respecte le libre travail du rapporteur général, des rapporteurs spéciaux et des parlementaires.
Je remercie Mme Lise Magnier pour ses propos constructifs. Je comprends que le vote du groupe auquel elle appartient sera partagé. Je la remercie également d’avoir souligné qu’en sept mois il n’est pas possible de changer la France entière et son budget et je la remercie, enfin, de ses encouragements.
Je remercie Mme Rabault et l’ensemble du groupe socialiste… Nouvelle gauche, pardon ! On peut dire « socialiste » ! « C’est un joli nom, camarade », comme disait le chanteur, même s’il ne s’adressait pas forcément aux socialistes. (Sourires.) En effet, il était communiste ! Exactement !
Il est tout de même assez étonnant, madame Rabault, de vous voir aussi attachée aux chiffres, aux statistiques… Je les adore ! …et au registre juridique. J’ai tendance à penser que, dans un procès, lorsqu’un avocat s’intéresse plus à la forme qu’au fond, c’est qu’il a perdu. Je ne vous savais pas aussi férue de statistiques, aussi technocrate, ce qui m’étonne de vous et de votre groupe. Pas un mot, par exemple, sur la rénovation urbaine, le logement ou l’Agence nationale pour la rénovation urbaine – l’ANRU –, que M. Pupponi a défendus. C’est assez étonnant : votre intervention était très déshumanisée, guère politique. Vous avez délivré une leçon de choses formelles, mais rien sur le fond.
Finalement, je suis heureux d’être en partie en désaccord avec vous : à vous entendre, en définitive, le diesel et les particules fines, ce n’est pas si grave. Le discours a bien changé depuis le temps où je siégeais moi-même sur ces bancs et où j’entendais les membres du gouvernement que vous souteniez lorsque vous étiez rapporteure générale. Si Mme Royal et peut-être même M. Fabius, là où il est désormais, lisent les propos du groupe Nouvelle Gauche sur la dureté de la fiscalité écologique, ils verront que les choses ont bien changé au Parti socialiste en quelques années. C’est vraiment très étonnant ! Nous aurons sans doute l’occasion de revenir sur cette incompréhension.
Et puis, monsieur Carrez, j’ai pensé à vous car, vous le savez, je vous apprécie beaucoup… Pas de bons points, monsieur le ministre ! Je ne distribue ni bon ni mauvais point, mais il se trouve que je vous apprécie beaucoup.
Hier soir, tard, j’ai fait ce que je m’autorise assez peu : regarder la télévision. Hier soir, disais-je, très tard dans la nuit, j’ai vu un excellent documentaire de La Chaîne parlementaire dans lequel vous évoquiez abondamment vos frustrations lorsque vous étiez président de la commission des finances, mais surtout en tant que rapporteur général sous les présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy. Vous vous souvenez sans doute de ce documentaire dans lequel vous disiez… À propos de l’ISF ? Exactement ! Vous disiez qu’il était terrible d’avoir lâché la proie pour l’ombre, de ne pas avoir été courageux… C’est vrai ! …de ne pas avoir transformé l’économie, de ne pas avoir baissé l’impôt des entreprises et d’avoir eu des présidents de la République – Jacques Chirac, puis surtout Nicolas Sarkozy – qui ont fait des erreurs, avec notamment le bouclier fiscal. « Quelle naïveté ! », disiez-vous. C’est vrai ! « Le jour où la droite reviendra », poursuiviez-vous – c’était évidemment avant les dernières élections (Sourires) – , « il faudra faire montre d’un grand courage ». Vous avez de bonnes sources d’inspiration ! Allez voir le replay : c’est tout à fait étonnant.
Cette nuit, je me suis dit que j’allais vous voir aujourd’hui, que vous alliez tenir des propos mesurés, équilibrés et que, sans tirer votre chapeau – je n’en attends tout de même pas autant de vous –, vous alliez saluer notre courage. Mais j’ai compris que ce documentaire était en réalité une rediffusion, monsieur Carrez. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe REM et sur plusieurs bancs des groupes MODEM et UAI.) Nous sommes maintenant après les élections et j’ai un autre Gilles Carrez en face de moi. Sans doute est-ce la différence entre le moment où l’on est aux responsabilités et celui où on ne l’est pas. Voilà qui me rappelle le maire de Tourcoing et ses buralistes ! Souffrez que l’on puisse vous répondre, sinon cela n’a pas beaucoup d’intérêt. Je vous ai écouté avec grand plaisir, mais je vois que vous faites du name dropping . Je vous réinvite avec plaisir à Tourcoing. La ville dont j’ai été le maire et dont je suis l’élu n’a pas la même sociologie que votre circonscription. Le problème, c’est que nous avons des souvenirs communs ! Je vous réinviterai dès que vous le souhaiterez et vous aurez l’occasion de voir que même la droite lilloise, pour qui j’ai beaucoup de respect, réclame ma candidature à Lille. (Sourires. –Applaudissements sur les bancs du groupe REM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.) C’est dans La Voix du Nord du 17 décembre. Cela prouve que le sentiment wauquiezien n’est pas unanime. (Sourires.) L’atout principal de Tourcoing, ce sont les chantiers navals Wauquiez ! Monsieur Carrez, je vous ai écouté sans vous interrompre. Mes chers collègues ! Il est vrai que la sociologie de nos communes respectives n’est pas la même – je suis prêt à faire de la politique comparée. Dans ma commune, un quart des habitants touchent le RSA, plus de 20 % sont au chômage et 90 % des contribuables – contre 80 % pour l’ensemble des Français – ne paieront plus la taxe d’habitation. La France, ce n’est pas seulement Lyon et Tourcoing ! Mais c’est vous, monsieur Carrez, qui avez cité neuf fois ma commune à la tribune : permettez-moi de faire la comparaison avec Le Perreux !
Alors que j’étais maire, je n’ai pas reproché au père de la réforme de la taxe professionnelle – c’est-à-dire vous – la perte de dotations pour une ville très industrielle, car cette réforme était courageuse. Les chantiers Wauquiez sont toujours là ! Ils sont à Neuville-en-Ferrain et je ne voudrais pas faire de name dropping pour ceux qui fabriquent des yachts et qui portent le nom de l’actuel président des Républicains, puisque c’est vous qui le citez. Il vous observe ! Le parallèle que je fais n’est pas celui-ci.
Dans ma commune, des gens vivent dans un quartier ANRU – le budget que je présente double les crédits de la rénovation urbaine, mais vous n’en avez pas dit un mot –, 70 % vivent sous le seuil de pauvreté. Nous avons accepté un certain nombre d’amendements, notamment de M. Pupponi, en faveur de la rénovation urbaine. Une commune de l’agglomération de Tourcoing a quasiment perdu 1 million d’euros de dotations par an en raison de la politique d’un gouvernement que vous souteniez et du gouvernement précédent. Je présente quant à moi le premier budget dont les dotations ne diminueront pas et qui permettra même une augmentation des recettes, notamment à travers la dotation de solidarité urbaine.
Ma commune fait partie d’une région dont les populations sont les premières à souffrir du cancer, en particulier celui du poumon, lié au tabac, mais aussi à la consommation de boissons sucrées et aux particules fines. Dans ma commune, des gens profiteront de l’action du Gouvernement : le pouvoir d’achat des salariés augmentera. Si vous aviez été aux responsabilités, monsieur Carrez, l’honnêteté aurait été de dire que vous auriez augmenté la TVA, ce qui aurait touché tous les Français, y compris ceux qui connaissent le plus de difficultés. Quid des produits fabriqués à l’étranger ? Vous auriez dû dire également que vous n’auriez pas réformé les heures supplémentaires, puisque vous avez soutenu un candidat et un projet pour les élections législatives qui n’en voulait pas, alors que la défiscalisation des heures supplémentaire profitera, je pense, aux salariés et aux ouvriers de ma commune. De plus, vous auriez soutenu un budget diminuant de 20 milliards les dotations aux collectivités locales.
Le name dropping auquel vous vous êtes livré pour me mettre dans une difficulté passagère, monsieur Carrez, me renvoie à la douce nuit que j’ai passée en vous écoutant. Je regrette le temps où Gilles Carrez avait l’esprit de responsabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe REM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.) J’appelle maintenant, conformément à l’article 114, alinéa 3, du règlement, le projet de loi de finances pour 2018 dans le texte voté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi de finances pour 2018. (Le projet de loi est adopté.)
Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.) Merci ! Très bien !
Je pense, bien entendu, à l’ensemble des parlementaires, de la majorité comme de l’opposition, du Sénat comme de l’Assemblée nationale, et particulièrement ceux qui, amendement après amendement, article après article, ont contribué à faire du projet de loi de finances pour 2018 un budget de transformation au service du pouvoir d’achat de nos concitoyens et de la libération des énergies des entreprises.
Vous me permettrez d’avoir une pensée toute particulière pour le rapporteur général, Joël Giraud, qui a su, au cours des débats, faire preuve d’une ténacité et d’une solidité à toute épreuve, avec un sourire et un sens de l’humour qui n’appartiennent qu’à lui. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.) Je n’oublie pas pour autant les parlementaires de l’opposition, dont la perspicacité et le sens du détail nous ont amenés également à opérer divers ajustements bienvenus. Au-delà des postures, il y a donc bien un espace évident pour le dialogue entre nos différentes formations politiques. Vous me permettrez également de remercier l’ensemble des services de l’Assemblée nationale et du Sénat, sans lesquels ce débat n’aurait pu être possible : agents, huissiers, administrateurs des services, administrateurs de la séance, rédacteurs des comptes rendus… Sans eux, nous n’aurions pu construire un texte si important pour la démocratie, pour le Gouvernement, pour le Parlement et pour les Français. Permettez-moi aussi de remercier mes collègues du Gouvernement qui se sont tous prêtés de bonne grâce au jeu de la diminution de leur budget, ainsi que l’intégralité des fonctionnaires qui sont sous ma responsabilité et celle de Bruno Le Maire. Sans eux, il n’y aurait ni documents ni débats budgétaires.
Quelques éléments statistiques pourront peut-être nous convaincre de l’ampleur du travail accompli : plus de 100 heures de débats en commission à l’Assemblée nationale, y compris en commission élargie, plus de 80 heures de séance pour le seul ministre de l’action et des comptes publics, plus de 200 heures de débat budgétaire depuis l’ouverture de la session ordinaire, plus de 5 700 amendements sur le projet de loi de finances, plus de 1 000 amendements sur les deux projets de loi de finances rectificative.
Vous en conviendrez tous : cette première expérience budgétaire – du moins pour beaucoup d’entre vous, et pour moi aussi – suffit à démontrer l’indispensable révision de la procédure conduisant au vote de la loi de finances. Comme l’a dit M. le président de l’Assemblée lui-même, ainsi que l’intégralité des orateurs qui se sont succédé à la tribune, la révision institutionnelle prévue par le Président de la République complétera opportunément les travaux des chambres en la matière.
L’accent est davantage mis sur le budget prévisionnel soumis, par construction, aux aléas économiques, que sur le budget exécuté, alors même que de l’exécution des comptes procède le travail d’évaluation des politiques publiques que le Président de la République, le Premier ministre et nous tous appelons de nos vœux. Je vous rappelle, à ce sujet, que dans son discours devant le Parlement réuni en Congrès en juillet dernier, Emmanuel Macron avait appelé à une véritable rénovation de la fabrique de la loi. « Voter la loi ne saurait être le premier et le dernier geste du Parlement », a-t-il ainsi déclaré. De même qu’il est inimaginable qu’un chef d’entreprise ne passe pas du temps sur l’exécution de son budget, on n’imagine pas un élu local ne consacrant que quelques minutes à son compte administratif, y compris avec son opposition.
Pour ma part, en tant que ministre de l’action et des comptes publics, je souhaite que soient renforcés vos pouvoirs de contrôle. Je suis sûr que cela aiderait parfois le ministre à faire entendre raison à ses collèges et aux administrations. Les pouvoirs d’évaluation ne se résument pas à une remise de rapports du ministre au Parlement. Il convient de renforcer l’évaluation même du Gouvernement par le Parlement, afin que nous passions collectivement d’une culture de moyens à une culture d’objectifs.
J’ai ainsi formulé plusieurs propositions pour y parvenir, qui sont, si j’en crois les travaux que vous menez actuellement dans le cadre de la procédure initiée par M. de Rugy, congruentes avec les vôtres.
Premièrement, je propose d’organiser une discussion commune des volets recettes du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Celle-ci serait suivie des votes sur les ressources spécifiques de l’État et des régimes de sécurité sociale, puis de l’examen des dépenses.
Deuxièmement, je crois indispensable de revenir sur l’examen en séance, mission par mission, de la partie dépenses du budget de l’État et de le remplacer par une lecture unique de la seconde partie, sur le modèle de la première.
Enfin, j’aimerais que soit revalorisé l’examen du projet de loi de règlement des comptes en anticipant son dépôt, si possible dès la présentation du programme de stabilité, et en octroyant au Parlement un temps plus long pour l’examen de l’exécution des crédits des différentes missions – l’aspect budgétaire n’étant qu’un des aspects étudiés – au cours, par exemple, de « commissions d’évaluation des politiques publiques ».
Je voudrais, par ailleurs, que nous puissions fixer dans le marbre l’obligation, pour le Parlement et le Gouvernement, de déposer les amendements, sauf exception, dans des délais décents, ce qui mettrait un terme à la procrastination de la machine administrative, qui a tendance à ne les déposer qu’au dernier moment – je prends évidemment une partie de la responsabilité. C’est un repentir ! Mesdames et messieurs les députés, ces axes de réforme ne nécessitent ni loi organique ni, a fortiori , révision constitutionnelle. Le début de l’année prochaine serait sans doute un moment adéquat pour réfléchir à cette nouvelle procédure digne d’une démocratie moderne, le Parlement n’ayant pas à examiner de textes budgétaires.
Monsieur le rapporteur général, si vous en êtes d’accord, je compte sur vous dès le mois de janvier, après la trêve des confiseurs, pour suivre l’exécution budgétaire, avec les rapporteurs spéciaux que le président de la commission des finances et vous-même avez bien voulu désigner. J’ai proposé au Premier ministre de recevoir périodiquement – une fois tous les deux mois – les ministres chargés de tel ou tel domaine, à Bercy, pour examiner, sans la contrainte du mois de juillet, l’affolement médiatique et les éventuelles tensions entre administrations, les comptes de la nation, leurs exécutions et les rapports sur l’amélioration de la dépense publique produits par les diverses inspections, le Parlement et la Cour des comptes. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM, MODEM et UAI.) J’aurai donc l’occasion de vous revoir fréquemment et de vous inviter une nouvelle fois, avec les rapporteurs spéciaux de l’opposition comme de la majorité, à examiner l’exécution de ces moyens, thématique par thématique et ministère par ministère.
La présentation de ces textes financiers a donné lieu à beaucoup d’occasions de se réjouir, mais aussi à quelques frustrations. Depuis ce matin, nos concitoyens peuvent évaluer l’augmentation de leur pouvoir d’achat sur le site www.economie.gouv.fr, et le nombre de connexions témoigne du succès de la démarche. J’invite ceux qui nous regardent en direct à la télévision, comme l’aurait dit l’un des intervenants du débat parlementaire, à le consulter. Nous avons libéré les énergies grâce à la transformation de la fiscalité, défendue par Bruno Le Maire et moi-même. En outre, je me félicite d’avoir fait évoluer très significativement les relations avec les collectivités territoriales. Pour la première fois, la majorité aura voté une augmentation des crédits qui leur sont octroyés… Il ne faut tout de même pas exagérer ! …et instauré un nouveau mode de relation, qui passe par le contrat. C’était difficile et innovant, mais nécessaire.
Je me réjouis également de la « sincérisation » de notre budget. Lorsque le Premier ministre m’a confié, sous l’autorité du Président de la République, la responsabilité des comptes de la nation, j’ai eu à annoncer ici non seulement des mesures difficiles et parfois impopulaires, mais aussi une « sincérisation » des comptes, dont chacun, dans l’opposition comme dans la majorité, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, à la Cour des comptes comme à la Commission européenne, souligne l’intérêt, tant pour le budget 2017 – nous avons dû combler l’écart de 8 milliards entre les décrets d’avance et les projets de loi de finances rectificative – que pour celui de l’année prochaine. Si nous ne devions retenir qu’une seule chose, ce serait celle-ci : ce n’est que par de bonnes finances que nous faisons de la bonne politique.
Enfin, pour conclure ces nombreuses discussions, je tiens à souligner quelques chiffres, qui ont marqué les débats budgétaires. L’Assemblée nationale s’apprête à voter une baisse des impôts l’année prochaine : les prélèvements obligatoires passeront de 44,7 % à 44,3 %. C’est une baisse significative, qui représente plus de la moitié de la promesse de diminution de la fiscalité en cinq ans faite par le Président de la République pendant la campagne électorale. Les dépenses publiques baissent également en volume, ce qui est assez rare pour être souligné : elles passent de 54,7 % à 54 % du PIB, soit une diminution de 0,7 point des dépenses publiques.
Certes, les esprits chagrins, qui pensent qu’on n’en fait pas assez, diront que nous ne parvenons pas à l’objectif de 0 % d’évolution de la dépense publique évoqué par le Premier ministre ici même, car nous savons tous que cela est très difficile, et nous ferons mieux l’année prochaine, notamment avec l’aide du rapporteur général et des rapporteurs spéciaux. Mais, dès lors que la dépense publique, toutes administrations confondues, avait augmenté de 1,3 % par an en moyenne pendant les dix dernières années, je suis fier de présenter un budget prévoyant une augmentation des dépenses publiques qui se limite à 0,6 %. C’est encore un peu trop, mais vous remarquerez que l’effort est extrêmement important, et on le doit au travail de chacun d’entre vous.
En outre, le déficit baisse significativement. Quand je suis arrivé aux responsabilités à Bercy, il s’établissait à 3,4 %. Je suis heureux de constater que, après ces efforts de sincérité et d’économie, il s’élèvera, en 2017, à 2,9 %, soit une diminution de 0,5 point. L’année prochaine, malgré les difficultés que nous avons connues – notamment la taxe de 3 % sur les distributions de dividendes ou l’insincérité des comptes d’Areva –, il s’établira à 2,8 %. Nous espérons tous sortir de la procédure pour déficit excessif.
Mesdames, messieurs les députés, cette lecture définitive ne nous empêchera pas de nous revoir très bientôt. Nous attendons avec confiance la décision du Conseil constitutionnel, qui sera rendue dans quelques jours, et sommes heureux d’avoir posé l’acte I de la transformation des moyens de l’action publique. Je suis très heureux et très fier de vous avoir présenté, en lecture définitive, le budget de la nation. (Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.) Très bien ! La parole est à M. Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des finances, mesdames, messieurs les députés, j’avais prévu d’adresser quelques mots de remerciements à la fin de l’examen du dernier texte mais, comme le ministre, je vais les prononcer dès à présent.
Je remercierai tout d’abord mes collègues parlementaires, sur les bancs de la majorité comme de l’opposition, de leur assiduité pendant l’élaboration de ces lois de finances. Vous comprendrez que j’aie une pensée particulière pour le groupe La République en marche et sa whip , Amélie de Montchalin, avec laquelle nous avons formé, je le crois, un couple – en tout bien tout honneur – aussi inattendu que déterminé et, permettez-moi de le penser, efficace. (Sourires. – Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.) Un couple moderne, en somme ! Je tiens également à remercier Gérald Darmanin et l’ensemble de son cabinet, parce qu’il a été le ministre le plus présent au banc et qu’il est très agréable d’élaborer des textes avec une telle complicité. Les regards échangés au banc permettent parfois de faire évoluer les textes en fonction des circonstances et du débat parlementaire. Il est important que les ministres ne soient pas complètement rigides et sachent modifier leur position pendant l’examen des textes, en fonction de l’intérêt porté par des parlementaires de différents groupes à un sujet. Il est également important que les membres des cabinets ministériels répondent de jour comme de nuit.
Je voudrais également remercier le service de la séance et l’ensemble du personnel de l’Assemblée nationale, parce que, fatalement, lorsque les heures de débat sont plus nombreuses, il y a moins d’heures de sommeil, et nous avons battu, sur ce plan-là, des records.
Je voudrais enfin remercier le service des finances publiques, et plus particulièrement la division du secrétariat du rapporteur général, son chef, Guillaume Bazin, et ses troupes : j’ai rarement vu autant de compétence, de dévouement et de réactivité, de jour comme de nuit, dans les autres services où je suis passé – ils sont nombreux, y compris à Bercy. J’ignore si le rythme de l’enfant est toujours compatible avec les trajets et le rythme scolaires ; je sais, en revanche, que le rythme du rapporteur général et de cette division ne sont pas compatibles avec un nombre d’heures de sommeil suffisant. Merci à toutes et à tous : sans vous, nous ne pourrions pas élaborer des textes de qualité.
J’en viens maintenant à ce qui nous réunit aujourd’hui : il y a six mois, lors du débat d’orientation des finances publiques, un certain scepticisme régnait sur plusieurs bancs de l’opposition. Un audit de la Cour des comptes révélait une situation des finances publiques beaucoup plus difficile que prévu. La prévision de déficit public pour 2017 était relevée à 3,2 % du PIB. D’aucuns jugeaient intenable l’équation budgétaire et impossible la mise en œuvre de notre programme présidentiel. Le retour du déficit sous la barre des 3 % semblait compromis.
J’observe que le climat a changé. Les promesses ont été tenues. Nous avons engagé la première étape de la suppression de la taxe d’habitation, un impôt injuste territorialement et socialement. Ce sont 3 milliards d’euros de pouvoir d’achat qui seront redonnés aux classes moyennes dès cette année, et 10 milliards à l’horizon 20-20 – je vous prie de m’excuser de recourir à des termes belges, liés à mon passage dans la bonne ville de Bruxelles et à la Commission. (Sourires.) Nous avons décidé la hausse du salaire net dans le secteur privé par la bascule de cotisations sociales sur la CSG. Nous avons instauré l’impôt sur la fortune immobilière – IFI – en remplacement de l’ISF – impôt de solidarité sur la fortune. Nous avons adopté une trajectoire de baisse du taux de l’IS – impôt sur les sociétés – ainsi que le remplacement du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – le CICE – par un allégement de cotisations sociales.
Ce ne sont pas de simples réformes fiscales que nous avons adoptées : c’est une véritable transformation de notre fiscalité, qui sera tout à la fois plus juste et plus favorable à l’investissement productif.
En ce sens, le projet de loi de finances pour 2018 est un texte fondateur et emblématique de cette nouvelle législature. Les efforts en matière de sincérité du budget ont été salués sur certains bancs de l’opposition. Il a été mis fin à la pratique insidieuse des sous-budgétisations. Le Gouvernement a rompu avec des habitudes qui étaient bien ancrées. Le budget a été construit sur une hypothèse très prudente de 1,7 % de croissance. Or l’INSEE a annoncé hier que la croissance tournera plutôt autour de 1,9 % ce qui signifie que les recettes fiscales pourraient être plus élevées que ce que nous avons prévu. En clair, le retour du déficit sous la barre des 3 % du PIB et la sortie de la France de la procédure de déficit excessif ne font plus beaucoup de doute aujourd’hui. Les sceptiques de l’été dernier ont perdu de la voix.
C’est dans ce contexte de confiance restaurée qu’il nous revient aujourd’hui d’adopter en lecture définitive ce projet de loi de finances pour 2018, qui comptait initialement 64 articles, dont un article liminaire. En première lecture, l’Assemblée nationale a adopté 108 nouveaux articles et a supprimé deux articles du projet de loi initial. Le projet de loi transmis au Sénat comportait donc 170 articles, ainsi que deux articles supprimés. Le Sénat en a voté 91 conformes et a confirmé la suppression des deux articles. Il a supprimé 23 articles et en a introduit 71 nouveaux.
Au total, après l’échec de la commission mixte paritaire, 150 articles étaient donc encore en discussion en nouvelle lecture, les articles adoptés conformes n’étant plus en discussion en vertu de la règle de l’entonnoir. De ces 150 articles, nous avons, en nouvelle lecture, supprimé 58 introduits par le Sénat, rétabli notre texte sur 33, adopté 24 sans modification, confirmé la suppression de quatre et adopté 31 dans une rédaction nouvelle en conservant certaines modifications apportées par le Sénat.
Le texte comprend donc 179 articles, dont 115 ont été adoptés dans une rédaction identique dans les deux chambres, ce qui représente près des deux tiers du texte.
Il subsistait toutefois encore d’importants désaccords entre le Sénat et l’Assemblée nationale, notamment sur la question de la taxe d’habitation et de l’IFI, ce qui justifie cette lecture définitive. Surtout, le Sénat a rejeté les crédits de cinq missions budgétaires, conduisant à améliorer le solde budgétaire de manière artificielle et peu réaliste de plus de 50 milliards d’euros.
Après 257 heures de débats, le dépôt de près de 6 000 amendements et l’adoption de 820 d’entre eux, je vous invite, mes chers collègues, à adopter en lecture définitive le projet de loi de finances pour 2018 dans la version issue de nos travaux en nouvelle lecture. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes REM et MODEM.) J’ai reçu de M. Jean-Luc Mélenchon et des membres du groupe La France insoumise une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à Mme Mathilde Panot. Monsieur le ministre, vous savez ce qui nous oppose foncièrement à votre projet de loi de finances jusque dans les moindres détails. Pied à pied, nous avons défendu notre conception de la justice sociale et de la solidarité entre citoyennes et citoyens. Cette conception, depuis les contrées profondes et lointaines de la Start-up Nation , vous a semblé étrange, comme venue d’ailleurs. C’est qu’il y a un monde, monsieur le ministre, messieurs et mesdames les députés, entre le Président des riches et le mouvement du peuple. Ce monde qui nous sépare, c’est le monde de l’argent.
Lorsque j’entends certains collègues, qui gagnaient entre deux et quatre fois plus auparavant, se plaindre du peu de pouvoir qu’ils ont et de l’ennui qu’ils ressentent, c’est peu dire que je suis atterrée. Quel rapport avec le sujet ? Mais quand d’autres, image saisissante d’un calvaire quotidien, avouent publiquement souffrir de manger des pâtes, je ris avec des millions de Français et de Françaises. Il fallait oser ! Je veux d’ailleurs ici saluer et remercier l’élan de solidarité qui a immédiatement saisi tout le pays, avec des envois de colis de pâtes aux députés de la majorité. (Exclamations sur les bancs du groupe REM.) Je ris non seulement de l’indécence qui transpire de ces déclarations, mais aussi du signe qu’elles donnent. Loin des pirouettes de la communication, elles disent assez votre aversion pour la majorité sociale de ce pays. Vous la frappez durement dans ce projet de loi de finances. La suppression de la majeure partie de l’ISF en est le symbole éclatant. Elle bénéficiera sans doute aux douze millionnaires ministres au sein du Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe REM.) C’est vrai. Pas moi : c’est la honte ! (Sourires.) Et sur vos bancs, madame Panot, il n’y a pas de député millionnaire ? Mes chers collègues, laissez l’orateur s’exprimer. C’est l’occasion, pour celles et ceux qui seraient passés à côté, de rappeler l’étymologie du nom de votre fonction. « Ministre » vient de minister , terme latin qui signifie « celui qui sert ». Or supprimer, comme vous le faites, la majeure partie de l’ISF et créer une flat tax qui est une ruine pour la nation, cela dénote une idée particulière du service. Elle est d’ailleurs résumée dans ce proverbe bien connu, qui a le mérite de la clarté : « On n’est jamais mieux servi que par soi-même. »
Nos finances publiques souffrent depuis trop d’années des baisses successives d’impôts pour les plus fortunés. Vous continuez de créer les conditions d’un délabrement de l’État, avec cette certitude des idéologues libéraux, ceux qui ne souffrent pas la contradiction et qui, pétris d’une assurance infondée, appliquent toujours les mêmes recettes inefficaces.
Ce budget repose sur un raisonnement téléologique. Vous estimez que si les politiques appliquées ces vingt dernières années n’ont pas fonctionné, c’est qu’elles n’ont pas été menées au bout de leur logique. Nous avons donc eu droit aux refrains habituels : flexibilité, réforme, adaptation, modernité et toutes ces notions depuis bien longtemps vidées de toute espèce de sens dans le débat public. Vous nous avez répété le discours supposément moderne des années 1990. Trois décennies nous en séparent. Entre-temps, ce discours est devenu archaïque.
Ces vieilles politiques ne correspondent en rien aux défis de notre époque. Parmi ceux-ci – j’espère que vous commencez à vous en rendre compte –, celui qui les commande tous et doit les articuler entre eux est le défi écologique, qui se traduit par le changement climatique et la sixième phase d’extinction des espèces. J’insiste sur ce point : le problème écologique n’est pas un problème parmi d’autres. Il ne peut pas, comme la pensée technocratique aime tant à le faire, être rangé dans une case et soigneusement écarté par quelques tableaux comptables.
L’écologie impose une réorganisation sociale et économique profonde de notre pays. C’est vers la transformation générale des modes de consommation et de production qu’il faut désormais avancer. Or le budget de l’État que vous nous soumettez ne répond pas à cet objectif fondamental. Il tourne le dos à notre époque.
Toutes les études relatives au changement climatique témoignent d’une aggravation du problème. Les trajectoires actuelles conduisent à un réchauffement climatique de 4 à 5 degrés d’ici à la fin du siècle. Si rien n’est fait, non seulement pour atténuer ce phénomène, mais également pour s’y préparer sérieusement, alors les bouleversements qui s’annoncent devant nous pourraient détruire nos sociétés et faire de ce siècle l’un des plus chaotiques de l’histoire de l’humanité. Rien dans ce budget, ni d’ailleurs dans la cohérence générale que présentent vos politiques publiques, n’est à la hauteur de la situation. Vous réussissez l’exploit d’être à la fois les hommes et les femmes du passé et ceux du passif.
Le caractère inégalitaire de ce budget est ce qui, au premier chef, en fait un budget anti-écologique. Je vous conseille d’ailleurs, à vous, monsieur le ministre, comme à mes collègues de la majorité, de vous procurer l’excellent ouvrage du journaliste Hervé Kempf. Son titre est assez éloquent et n’a rien perdu de sa pertinence : Comment les riches détruisent la planète . Hervé Kempf y décrit le mode de consommation ostentatoire qui est profondément lié au système d’accumulation irrationnel des richesses.
Cette pensée générale, qui voudrait qu’en dehors de l’argent il n’y ait pas de salut, est non seulement dangereuse mais, il faut bien avouer, également marquée du sceau de l’ignorance. Non, notre époque n’est certainement pas celle où les jeunes doivent rêver de devenir millionnaires, elle l’est même moins qu’une autre.
Les sciences sociales nous informent à ce sujet : plus une société est inégalitaire, moins elle engagera des politiques favorables à l’environnement. Et comme j’espère que vos vacances vous laisseront le temps de lire, si vous n’en êtes pas convaincus, l’article d’Éloi Laurent intitulé « Écologie et inégalités » vous sera des plus utiles.
Les politiques inégalitaires que vous conduisez sont donc doublement anti-écologiques : d’une part, elles favorisent la consommation gaspillage et polluante d’individus qui ne savent même plus quoi inventer pour dépenser leur argent ; d’autre part, elle rend les plus fragiles plus vulnérables aux problèmes environnementaux.
Elles favorisent également une conception étroite de l’économie et donnent bien trop de pouvoirs à des individus qui, par leur seule richesse, se sentent autorisés à fuir l’impôt et à exiger des politiques uniquement centrées sur la croissance à tout prix.
« Toujours moins de normes environnementales ! », crient de concert le MEDEF et la FNSEA. Vous leur cédez bien trop. Nous leur répondons que l’État doit être garant de l’intérêt général et ne doit pas aborder les problèmes vastes qui sont les nôtres à travers le prisme d’étroits intérêts particuliers.
Je veux souligner un paradoxe, qui dit assez bien le peu de cas que vous faites de l’environnement, en comparaison aux égards sonnants et trébuchants que vous avez pour les plus fortunés. Vous supprimez donc l’ISF, que vous remplacez par l’IFI. Les capitaux financiers ne sont plus imposés sur la fortune, contrairement au patrimoine foncier. Or dans le foncier non bâti se trouvent toutes sortes de propriétés naturelles, qui nécessitent soins et protection. Celles et ceux qui se trouvent posséder un tel terrain seront donc toujours soumis à l’impôt, là où des actions d’entreprises d’énergies fossiles seront hors taxes.
Vous avez créé une incitation à vendre de telles parcelles, ce qui peut encourager une artificialisation croissante des sols. Si de telles considérations passent sans doute bien loin des salons dorés, elles sont toutefois la condition du maintien de notre territoire dans un état correct. N’importe quoi ! Le budget du ministère de l’écologie perd plus de 1 200 équivalents temps plein. Avec l’intégration de l’ADEME – l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie – et la correction par l’inflation, le budget de l’écologie stagne. Vous proposez de consacrer 288 millions d’euros à la conversion du parc automobile vers l’électrique. Or tel n’est pas, monsieur le ministre, l’enjeu de notre temps : nous devons sortir du nucléaire et des énergies carbonées. Il faut donc penser à des modes de transport plus économes en énergie, quelle qu’elle soit. La transition énergétique ne se réalisera pas à consommation constante.
Or vous êtes, et c’est un problème tout aussi essentiel, des défenseurs acharnés de l’énergie nucléaire. Mais non ! Savez-vous combien coûtera le carénage des centrales nucléaires ? Près de 100 milliards d’euros. Où sont donc les grands esprits et les prétendus économistes pour venir nous expliquer, face à ce chiffre, la nécessité absolue de couper dans les dépenses sociales tant l’État est criblé de dettes ? Où donc sont vos magnifiques raisonnements sur la rationalisation des comptes publics ? Nulle part. Déjà, cette année, nous avons recapitalisé EDF et Areva à hauteur de 9 milliards d’euros, sans aucun débat public. Vous faites valser les milliards avec plus d’aisance dans certains cas, et il est certain que vous préférez mener la danse vers les plus riches ou le lobby du nucléaire.
J’appelle toutefois l’attention de la majorité parlementaire et de tous nos collègues sur ce fait élémentaire : des dépenses aussi considérables nous condamnent à ne pas investir suffisamment dans la transition énergétique. Le choix est posé : ce sera les énergies renouvelables ou le nucléaire, et non pas l’un et l’autre. Comprenez-le et nous ne désespérerons pas que vous puissiez rejoindre nos idées et mettre en œuvre un plan ambitieux qui conduira notre pays aux 100 % d’énergies renouvelables d’ici à 2050. Nous ne sommes pas les seuls à penser que cela est possible et nécessaire. C’est du pays tout entier que proviennent des projets et des examens sérieux du problème.
Un dernier point avant de conclure, monsieur le ministre : votre plan d’investissement de 57 milliards présente seulement 24 milliards d’euros de nouveaux investissements. Le reste était déjà budgété. Pour vous donner une idée du ridicule d’un tel plan, je vous rappellerai que l’Agence internationale de l’énergie estime que les investissements nécessaires pour assurer la transition énergétique s’élèvent à 44 000 milliards de dollars d’ici à 2050, soit 1 300 milliards par an au niveau mondial.
Il est clair que la France ne prendra pas part à cet effort en 2018 et qu’elle renforcera sa dette à l’égard du monde, notamment de celles et ceux qui souffriront le plus du changement climatique. Vous êtes bien loin du compte.
De la même façon, vous prétendez rénover 500 000 logements par an pendant le quinquennat, ce qui est un objectif louable. Mais vous ne prévoyez pour cela que 2,8 milliards d’euros par an et 14 milliards sur cinq ans.
Aujourd’hui, la part de l’investissement public dans la rénovation thermique est de 42 %. Même si elle devait être ramenée à un tiers, il faudrait réunir 7 milliards d’euros annuels de financement public pour la rénovation thermique, soit deux fois et demie le montant que vous budgétez dans votre prétendu grand plan d’investissement. Nous savons compter, monsieur le ministre, et nous savons donc débusquer les contre-vérités où elles se trouvent.
Votre budget est donc hostile à l’écologie. Il est d’un autre temps, où il était possible de penser que tout allait continuer comme avant, vaille que vaille, que tout devait changer pour que rien ne change. Ce temps-là est fini. Ni le gouvernement auquel vous appartenez ni le budget que vous présentez n’est à la hauteur des enjeux actuels. Saisir son époque, ce n’est pas une question d’âge, c’est une question de capacité critique – capacité qui s’envole souvent chez celles et ceux que fascine le bruit sourd des salles de marché et les cours de la bourse. Quand allez-vous énoncer vos propositions ? La question écologique donne un sens nouveau à une expression bien connue, « la bourse ou la vie ». Monsieur le ministre, vous avez choisi la bourse. (« Oh ! » sur plusieurs bancs des groupes REM et MODEM.) Nous choisissons la vie et appelons donc notre assemblée à voter cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.) Bravo ! Nous en venons aux explications de vote sur la motion de rejet préalable.
La parole est à Mme Cendra Motin, pour le groupe La République en marche. Permettez-moi, en cette fin d’année, de changer un peu de ton et de vous proposer quelques vers.
Puisque vous me le permettez,
À travers cette motion de rejet,
Prenons donc deux minutes, c’est ce qu’on me permet
Pour faire un petit retour sur ce premier budget.
Des postures au débat,
Du refus au concordat,
Vous conviendrez avec moi
Que du chemin a été fait en quelques mois.
En marchant, en courant,
C’est toujours plein d’allant
Qu’entre séance et commission
Nous avons tous accompli cette mission.
Tant d’articles étudiés
De rapports publiés
D’amendements examinés
De débats passionnés
Ne méritent pas, je le crois, de motion de rejet.
Car comment peut-on rejeter
En toute honnêteté
Le pouvoir d’achat renforcé
Des bâtisseurs, des salariés ?
Comment peut-on repousser
D’une simple motion de rejet
Deux cent mille contrats aidés… Il y en avait 465 000 avant ! …Quatre millions de chèques énergie dans les foyers
Et pour la première fois depuis des années
Une dotation aux territoires stabilisée ?
Je vous le dis donc tout de go
Notre groupe refusera, même s’il est tôt
De voter cette motion de rejet
Car nous y avions bien trop travaillé. (Applaudissements sur les bancs du groupe REM.) Quelle créativité ! Ça, c’est de la poésie ! La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Nous voterons cette motion de rejet « car vous y aviez bien trop mal travaillé » ! (Sourires.) (La motion de rejet préalable, mise aux voix, n’est pas adoptée.) J’ai reçu de M. Jean-Luc Mélenchon et des membres du groupe La France insoumise une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement. (Exclamations sur les bancs du groupe REM.) Cela nous manquait ! La parole est à M. Éric Coquerel. Ce sera plus mesuré ! Bien sûr, mes chers collègues, me revoilà ! Il faut dire aussi que vous mettez du temps à faire adopter votre budget et que la manière dont se sont déroulés certains débats me laisse rêveur. Souffrez donc jusqu’au bout que l’opposition expose ses arguments et vous explique pourquoi, quoi que vous en pensiez, quelles que soient vos réactions, le budget que vous avez présenté et que vous êtes en passe d’adopter est celui des ultra-riches.
Quelle que soit la façon dont vous ferez fonctionner vos machines à calculer, vous vous apercevrez toujours que ceux qui profiteront le plus de ce budget sont le 1 % des Français les plus riches, qui vont capter une très grande partie de vos cadeaux fiscaux. C’est plus particulièrement vrai pour les détenteurs de la rente capitaliste. Mes chers collègues, je vous invite une dernière fois à le vérifier ensemble.
La baisse de l’ISF, transformé en IFI, coûtera 3,5 milliards d’euros à nos finances publiques. Très franchement, vous aurez du mal à nous persuader que l’os à ronger de 50 millions d’euros sur les yachts et les voitures de luxe, que vous nous proposez d’adopter, permettra de faire oublier aux Français cette véritable ponction des recettes fiscales de l’État.
Par ailleurs, nous avons souvent parlé de l’instauration du prélèvement forfaitaire unique, la flat tax , qui entraînera une perte de recettes de 1,5 milliard d’euros a minima . Nous constaterons sans doute prochainement que cette estimation sous-évaluée rendait votre budget insincère, compte tenu de l’effet d’aubaine que je vous ai souvent décrit : plutôt que d’être rémunérées sous forme de salaires ou d’honoraires, les personnes qui le pourront préféreront évidemment recevoir des dividendes.
Quant à l’abandon de la taxe sur les dividendes, il représente une perte de recettes de 1,8 milliard d’euros. Finalement, cette question nous aura coûté 10 milliards d’euros. Vous avez non seulement obéi aux injonctions de Bruxelles, mais également choisi de nous faire payer les 10 milliards d’euros qu’auraient dû acquitter les plus riches, ceux qui perçoivent des dividendes. L’abandon de cette taxe bénéficie à 80 % aux très grandes sociétés et non aux PME. Par ailleurs, vous ne faites aucun effort pour faire en sorte que cette directive absolument scandaleuse soit abrogée par Bruxelles.
Vous avez abandonné l’idée d’étendre la taxe sur les transactions financières aux transactions « intraday », qui aurait rapporté 2 milliards d’euros.
Enfin, vous avez supprimé la dernière tranche de la taxe sur les salaires, ce qui engendrera une perte de recettes de 150 millions d’euros.
Vous pouvez refaire tous les calculs : l’ensemble de ces mesures représente un cadeau fiscal de 9 milliards d’euros pour les plus riches.
Les 9 millions de pauvres que compte notre pays n’ont droit qu’à l’aumône, à tel point qu’hier, lors des questions au Gouvernement, Édouard Philippe a eu beaucoup de mal à citer la moindre allocation dont bénéficient encore les plus défavorisés de nos concitoyens, tant ces allocations sont infimes – d’ailleurs, les crédits correspondants sont souvent prélevés dans les poches des autres citoyens défavorisés, et non dans celles des personnes les plus fortunées de notre pays.
Votre budget est donc inégalitaire. Vous prétendez que tout le monde en profitera : c’est faux, faux et archi-faux.
Tout d’abord, les hausses d’impôt sont immédiates, à l’instar de celle de la CSG, alors que la suppression de la taxe d’habitation, dont vous nous expliquez qu’elle permettra de compenser cette hausse, est étalée sur trois ans. De même, l’allégement des cotisations sociales, que vous avez décidé pour faire croire aux Français qu’ils récupéreront du pouvoir d’achat alors qu’ils perdront en réalité du salaire socialisé, sera réalisé en deux fois.
Il s’agit donc d’un jeu de dupes, non seulement en termes de calendrier – l’augmentation de la CSG est immédiate alors que l’application des mesures que vous présentez comme des avantages est différée –, mais aussi parce que vous allez, en réalité, redonner aux salariés ce que vous leur aurez pris dans la poche. Certains Français seront même perdants tout de suite : il en est ainsi des contribuables exonérés de la taxe d’habitation – c’est le cas des 20 % des Français les plus défavorisés –, qui subiront tout de même la hausse de la CSG.
Même votre taxe carbone est ridicule, comme ma collègue Mathilde Panot vous l’a très bien expliqué il y a quelques instants. Elle ne règle rien concernant la question dramatique du climat, puisque vous en avez exonéré les plus gros pollueurs en termes d’émissions de CO2, que ce soient les compagnies aériennes, consommatrices de kérosène, ou les entreprises les plus polluantes, qui pourront continuer à agir comme si de rien n’était, sous prétexte qu’il existe des accords européens et un droit à polluer – que nous condamnons par ailleurs.
Votre budget est aussi le plus austère de la Ve République. Il prévoit une baisse drastique des dépenses publiques, de plus de 15 milliards d’euros en 2018 – vous nous annoncez une baisse de 80 milliards d’euros sur cinq ans –, qui concerne absolument tous les secteurs que les Français jugent prioritaires.
En matière de logement, nous déplorons la forte baisse de l’aide personnalisée au logement, l’APL. Au passage, je ne m’amuse pas – car ce n’est pas le mot qui convient – de constater que vous jugez qu’une baisse de 5 euros de l’APL n’est rien, mais que les 350 000 euros dépensés pour affréter un avion permettant de gagner deux heures de vol ne sont rien non plus. (« Oh ! » sur quelques bancs du groupe REM.) Là aussi, il y a une curieuse distorsion entre ce que vous demandez aux Français, notamment les plus défavorisés, qui doivent se serrer la ceinture, et les pratiques de l’exécutif, que vous trouvez normales. Vous êtes populiste ! Au-delà de la forte baisse de l’APL, vous affaiblissez toujours plus le logement social. Cela contribuera inévitablement à raréfier les logements disponibles et à aggraver la spéculation immobilière que nous connaissons depuis des années et qui explique pourquoi le logement coûte à peu près deux fois plus cher qu’il y a trente ans.
L’emploi est également un secteur que l’on pourrait considérer comme prioritaire, mais vous avez décidé de diminuer de 1,5 milliard d’euros les crédits qui y sont consacrés. Vous supprimez 270 000 contrats aidés : c’est le plus grand plan de licenciements organisé par l’État français. Je suis assez étonné que Mme Motin, qui nous a répondu tout à l’heure, considère de manière positive cette baisse qui va pénaliser de nombreuses associations et collectivités territoriales, et donc les Français. Pas du tout ! Par ailleurs, vous diminuez les dépenses de l’assurance maladie et prévoyez de réaliser 4,2 milliards d’euros d’économies sur les hôpitaux, dont les tenants de l’austérité disent qu’ils dépensent encore trop. Je suppose que vos familles et vous-mêmes ne fréquentez pas aujourd’hui les hôpitaux publics : vous ne pouvez donc pas vous rendre compte des effets absolument catastrophiques des efforts demandés sur la santé de nos concitoyens – par exemple, on conseille à des patients de ne pas séjourner une nuit supplémentaire à l’hôpital. Il y a dix ans, nous pouvions pourtant nous enorgueillir d’avoir le meilleur système de santé au monde.
Enfin, vous prévoyez une baisse des dépenses des collectivités, même si vous évitez d’utiliser le terme de « baisse ». Dans votre novlangue, vous qualifiez toute chose d’un mot qui désigne son contraire. Ainsi, lorsque vous cassez la protection sociale, vous dites que c’est pour mieux nous protéger ; lorsque vous affaiblissez les syndicats dans les entreprises, vous dites que c’est pour renforcer le dialogue social. En l’occurrence, vous diminuez les dépenses des collectivités territoriales de 2,6 milliards d’euros en 2018 et de 13 milliards d’euros sur cinq ans en voulant nous faire croire qu’en réalité, les dépenses seront stabilisées et que tout cela n’aura aucune incidence. Or il y a fort à parier que vos mesures entraîneront la disparition d’au moins 73 000 fonctionnaires territoriaux d’ici à 2022.
Je ne reviendrai pas plus longuement sur la disparition progressive de la taxe d’habitation, qui coûtera 10 milliards d’euros par an aux collectivités. Nous donnons plus de pouvoir d’achat aux Français ! Je fais le pari que vous ne compenserez pas cette mesure au centime d’euro près – nous nous retrouverons dans quelques années pour le vérifier –, de même que l’État n’a compensé au centime près aucun transfert financier effectué au détriment des collectivités territoriales.
Tout cela vient après la baisse de 10 milliards d’euros des dotations aux collectivités territoriales opérée sous la présidence de François Hollande, dans laquelle le président de la République que vous vous êtes choisi a évidemment toutes ses responsabilités. C’est le peuple qui l’a choisi ! Enfin, tordons le cou à l’un de vos contre-feux : non, le plan d’investissements annoncé sera non pas de 57 milliards d’euros, mais de 24 milliards. Vous l’avez d’ailleurs admis dans un amendement adopté dès la première lecture – au moins, sur ce point, les choses sont claires. C’est deux fois moins que la somme que le Président de la République s’était engagé à consacrer à l’investissement.
Votre budget nous fait courir le risque d’une désastreuse régression. La logique « austéritaire » que vous comptez suivre pendant cinq ans nous fait craindre le pire pour le pays. Comme je vous l’ai dit, vos 9 milliards d’euros annuels de cadeaux fiscaux représentent, sur cinq ans, un appauvrissement de l’État de près de 50 milliards d’euros de recettes. En amputant les dépenses de l’État de 80 milliards d’euros sur la durée du quinquennat, vous provoquerez un choc « austéritaire » qui empêchera la relance de l’activité et organiserez de fait une privatisation rampante de l’économie.
À ce sujet, il est évident qu’une bulle spéculative finira par exploser, tant la disparité entre l’économie réelle et l’économie financière est de plus en plus marquée – nous espérons que cela ne se produira pas dans les cinq prochaines années car nous ne souhaitons pas de malheur à nos concitoyens. Les mesures que vous mettez en place diminueront les dépenses publiques, qui jouent pourtant un rôle essentiel dans l’accroissement du PIB. Il y a fort à parier que cette recette nous manquera quand nous devrons de nouveau faire face aux aléas et aux crises déclenchées par le capitalisme financiarisé. Je vous rappelle un fait que nous avons souvent souligné mais que vous n’avez pas relevé : entre 2012 et 2016, ces dépenses publiques que vous aimez à sabrer ont empêché l’économie française d’entrer en récession alors que le marché privé était devenu atone.
Vous vous soumettez aussi aux carcans européens – finalement, c’est un peu l’alpha et l’oméga de ce budget – de la dérégulation du marché du travail exigée par Bruxelles depuis au moins cinq ans et de la règle d’or prévue par les traités. C’est donc une trajectoire d’austérité qui caractérise votre projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
Je note d’ailleurs que ce carcan risque de devenir encore plus contraignant si votre idée d’intégrer le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – TSCG – et le Mécanisme européen de stabilité dans le droit communautaire, au lieu de le maintenir dans un cadre intergouvernemental, venait à se concrétiser. Les parlements nationaux auraient alors toujours moins de pouvoirs sur des sujets comme celui des budgets nationaux, sur lesquels ils devraient conserver leur souveraineté.
Vous maintenez la concurrence généralisée entre les peuples, alors que l’harmonisation fiscale et sociale est interdite dans l’Union européenne. Ce dumping fiscal est, finalement, presque encouragé par les quelques mesurettes annoncées par l’Union européenne à l’encontre des paradis fiscaux. En effet, vous dénoncez dix-huit de ces paradis fiscaux et en laissez autant de côté, dont tous ceux qui appartiennent à l’Union européenne – je pense à l’Irlande, au Luxembourg, à Malte ou aux Pays-Bas. En fin de compte, par cette omission, en ne dénonçant pas ces paradis fiscaux, vous encouragez l’évasion fiscale.
Enfin, vous célébrez par ce budget la toute-puissance du capital. Je l’ai souvent dit et je regrette que Bruno Le Maire ne soit pas là ce matin,… Je ne vous suffis pas ? …car il a au moins l’honnêteté de la politique qu’il applique.
Il se réclame en effet du théorème de Schmidt, le chancelier allemand qui, voilà quarante-trois ans – cela ne nous rajeunit pas ! – expliquait que les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain.
À la question que nous lui avons souvent posée de savoir pourquoi il pensait que cet argent serait investi non pas dans la spéculation, mais dans l’économie réelle, M. Le Maire nous a répondu que cela relevait du bon sens. Or, chers collègues, pour le système du capitalisme financiarisé, le bon sens n’a pas lieu d’être. Ce système n’a pas de morale. Il n’est ni bon ni mauvais : il produit simplement une politique délétère, dont la seule ligne d’horizon est la rentabilité des placements à la bourse, et non pas l’intérêt général.
Je rappelle à cet égard que le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE –, instauré par François Hollande, allait déjà dans ce sens. Il aura coûté, au bas mot, et même si les calculs en la matière diffèrent, 100 milliards d’euros en quatre ans pour à peine 100 000 emplois créés ou sauvegardés. Vous avez décidé de le prolonger d’un an et, pis encore, de le transformer par la suite, et de manière définitive, en exonérations, de façon à vous assurer que cet argent manquera encore plus à l’État et qu’il ira, pour rien – car il est non contraint et non fléché –, vers toutes sortes d’entreprises, y compris celles qui, un an ou deux après l’avoir perçu, annoncent des licenciements.
Plus globalement, on connaît les résultats, sur le vieux continent – et en France en particulier –, de la politique de l’offre que vous défendez : si les profits ont effectivement explosé, les investissements ont stagné, voire régressé, et le chômage a grimpé à un niveau historique.
Contrairement à ce que vous dites, toute cette politique n’est pas nouvelle, y compris en France : ce sont ainsi sept points de la valeur ajoutée qui ont été versés au profit des dividendes et au détriment des revenus du travail, et qui coûtent à notre pays environ 150 milliards d’euros par an par rapport à la situation qui prévalait voilà une trentaine d’années.
Le capital, vous l’avez compris, n’est pas malheureux dans notre pays, recordman d’Europe des dividendes. Les entreprises du CAC 40 détiennent elles aussi un record en termes d’explosion des dividendes – qui, je le répète, bénéficie aux très grosses entreprises.
Au fond, comme l’indiquent les chiffres révélés à la fin de la semaine dernière par plusieurs journaux, vous vous livrez à une délétère course à l’échalote qui vise à rejoindre les pays les plus inégaux, avec ce nouvel étalon que vous nous proposez et qui consisterait à considérer – quel progrès civilisationnel ! – qu’il est positif de faire exploser les inégalités entre les plus riches et tout le reste de la population.
La France avait, grâce à son État social, réussi pendant plusieurs années à limiter les dégâts. Votre budget veut limiter les écarts avec nos voisins. Vous avez souhaité augmenter les inégalités, sous-entendant qu’en donnant de l’argent au capital, vous produiriez le bonheur et la richesse pour tout le monde. Or, voilà trente ans que nous assistons à l’exact inverse.
Un spectre hante aujourd’hui l’Europe : celui de l’accumulation maladive des profits, dont M. Gattaz se félicitait ce matin encore sur France Inter. Malheureusement, avec le budget que vous nous proposez, le peuple entier va souffrir. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à Mme Perrine Goulet, pour le groupe La République en marche, pour une explication de vote sur la motion de renvoi en commission. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après avoir étudié cinq fois ce texte, nous revoilà à nouveau réunis pour la lecture ultime de ce projet de loi de finances pour 2018. Nos concitoyens nous ont élus pour incarner un changement. Ce budget est le premier tome des grandes réformes que nous portons et porterons afin de redonner confiance aux Français.
Par ce budget, nous tenons nos engagements de campagne qui consistent à libérer et protéger. Notre budget permettra de soutenir l’activité et l’investissement – et donc notre économie et notre croissance. Il s’adresse à tous : salariés, fonctionnaires, chefs d’entreprise, familles, étudiants, personnes handicapées et personnes âgées. Il porte de belles mesures, comme le renforcement du minimum vieillesse, de l’allocation aux adultes handicapés, la revalorisation de la prime d’activité et le dégrèvement de la taxe d’habitation à hauteur de 30 % en 2018.
Nous avons également pris en compte le domaine écologique, qui vous est si cher – je m’adresse à nos collègues de La France insoumise –, avec la hausse de la fiscalité énergétique environnementale, la généralisation du chèque énergie ou la prime à la conversion lors de l’achat d’un véhicule.
Nous avons fait des choix et nous les assumons pleinement, afin de remettre la France sur le chemin de la réussite et de la modernité pour répondre aux nouveaux enjeux qui se présentent à nous.
Cette motion de renvoi, à ce stade, après les nombreuses heures de débat et tous les amendements étudiés, relève de l’obstruction dont le groupe La France insoumise est friand. Pas du tout ! Chers collègues, nous vous avons déjà longuement écoutés durant les longues heures de débat sur ce PLF. Et alors ? C’est ça, la démocratie ! Nous n’estimons donc pas nécessaire de retourner en commission, et le groupe La République en marche ne votera pas cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe REM.) (La motion de renvoi en commission, mise aux voix, n’est pas adoptée.) Il y en a pourtant que cela démangeait de la voter ! Dans la discussion générale, la parole est à Mme Valérie Rabault. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, nous voici arrivés – j’ai presque envie de dire : enfin – au terme de ce marathon budgétaire. Un peu de lassitude, chère collègue ? Beaucoup de choses ont déjà été dites. Je me concentrerai donc plus particulièrement sur trois points.
D’abord, monsieur le ministre, j’ai écouté avec grande attention hier votre collègue ministre, porte-parole du Gouvernement, et les bras m’en sont tombés. Il s’est en effet permis de critiquer l’INSEE. C’est une première. Vous critiquez le thermomètre quand la température ne vous plaît pas. C’est également une première. Tout est permis ! Aucun gouvernement avant le vôtre n’a remis en cause les études de l’INSEE. Je considère que ce qui s’est passé hier est d’une gravité absolue. C’est vrai ! L’INSEE est reconnu par EUROSTAT, l’office statistique de l’Union européenne, comme l’un des meilleurs instituts au monde.
Votre collègue a dit : « Nous contestons formellement l’étude de l’INSEE, pour une raison très simple : c’est que le raisonnement est fait à consommation équivalente. » Or votre collègue, porte-parole du Gouvernement, était, voilà encore quelque temps, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie. Il devrait donc savoir que le budget que vous allez faire voter aujourd’hui comporte, pour la seule année 2018, 3,7 milliards d’euros de recettes supplémentaires de fiscalité écologique. Si donc le porte-parole du Gouvernement considère qu’il n’y a pas de hausse de la fiscalité, il faut faire disparaître tout de suite ces 3,7 milliards d’euros que vous introduisez dans le budget pour 2018. Eh oui ! Bien sûr ! Ce qui s’est passé hier – le fait qu’un gouvernement se permette de critiquer les statistiques – est tout à fait anormal dans une démocratie. Ce n’était pas une critique ! Si, c’en était une. J’ai ici le texte exact de M. Griveaux. Moi aussi, car j’ai enregistré la vidéo et j’en ai fait un verbatim : « Nous contestons formellement l’étude de l’INSEE ». Regardez la vidéo, ce sera beaucoup plus simple que d’aller lire les commentaires qui ont été écrits. En effet ! Pour une fois, vous avez raison ! Vous aviez déjà tenté le coup avec la direction du Trésor. Peut-être la voie hiérarchique avait-elle mieux fonctionné dans ce cas-là : l’étude du Trésor évaluait le projet de loi de finances sans tenir compte – purement et simplement – de l’impact de la fiscalité écologique, comme le fait du reste le simulateur que vous avez mis en ligne ce matin et grâce auquel vous pouvez calculer tous vos impôts – sans la fiscalité écologique. C’est fantastique : le simulateur en ligne prend en compte les bonnes nouvelles ; quant aux mauvaises, on les cache un peu plus loin : la fiscalité écologique n’y figure pas.
Monsieur le ministre, je citerai quelques chiffres sur la fiscalité écologique – mais vous les connaissez déjà. Pour un couple avec deux enfants qui habite à la campagne, qui fait vingt pleins de diesel par an et qui se chauffe au fioul,… (Exclamations sur les bancs du groupe REM.) C’est le cas de beaucoup de Français ! C’est ce qui se passe à la campagne. C’est chez moi ! Chez moi aussi, à la montagne ! Vous défendez les particules fines ? C’est intéressant. Heureusement que Ségolène Royal n’est plus là ! C’est la situation de nombreux Français. Si Ségolène était là ! Ils sont embêtants, les pauvres : ils roulent dans des voitures qui polluent ! L’année prochaine, cette famille paiera 145 euros de plus de fiscalité écologique et, en 2022, ce sera 576 euros de plus.
Monsieur le ministre, l’INSEE a mis sous les yeux des Français la réalité de votre budget : des baisses d’impôts pour ceux qui gagnent plus de 10 000 euros par mois et des hausses pour ceux qui sont à moins de 1 500 euros.
Un deuxième point qui vous embarrasse, monsieur le ministre, et sur lequel vous n’avez jamais répondu, tient à ce qu’a écrit la Commission européenne : elle considère que votre budget présente des risques de non-conformité, mais vous n’en dites pas un mot.
Enfin, monsieur le ministre, je ne voudrais pas semer la zizanie dans le Gouvernement,… On pourrait parler du budget ? …mais certaines petites choses liées au budget sont tout de même assez drôles. Le ministre d’État… Lequel ? …a fait déposer un amendement pour Lyon, aux termes duquel cette ville bénéficiera de 4 à 6 millions d’euros de plus. Or, nuitamment, le ministre des comptes publics – vous-même, monsieur Darmanin – a fait déposer un amendement relatif à la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle – le DCRTP. Tenez-vous bien : alors qu’avec la première version du projet de loi de finances pour 2018, Lyon devait être ponctionné de 8 millions d’euros, il le sera de 15 millions avec l’amendement Darmanin. Nous l’avions évité l’an dernier ! Et alors ? Lyon paiera donc 7 millions d’euros de plus et l’amendement Collomb ne suffira pas, monsieur Darmanin, à compenser la ponction que vous avez opérée nuitamment sur Lyon au moyen de cet amendement relatif aux DCRTP. M. Collomb ne va pas être content. Bravo, monsieur le ministre ! Il est très bien, finalement, ce M. Darmanin ! Des amendements déposés en catimini, sans étude d’impact, révèlent ainsi des surprises qui peuvent être parfois de mauvais augure. Quel rapport ? Vous défendez tout et son contraire ! Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, notre groupe votera contre ce projet de loi de finances pour 2018. (Applaudissements sur les bancs du groupe NG.) La parole est à Mme Bénédicte Taurine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons à la fin de l’année et, si l’on fait un bilan rapide de ces derniers mois, on s’aperçoit que, depuis le début de la législature, le président Macron, son gouvernement et la majorité des députés de La République en marche se sont d’abord attaqués à notre modèle social, avec la casse du code du travail.
Votre projet, c’est plus de pouvoir aux entreprises face à la loi et moins de représentation des salariés. Vous avez aussi facilité les licenciements et supprimé le compte pénibilité : c’est un monde de chômage, de précarité et d’insécurité sociale que vous nous imposez.
Vous vous êtes attaqués aux réfugiés et aux sans-papiers, notamment avec la circulaire de M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur du 12 décembre, qui ne fait apparemment pas l’unanimité dans vos rangs. D’un côté, l’État se dédouane de ses responsabilités ; de l’autre, il criminalise les citoyens et les associations qui aident tant bien que mal les demandeurs d’asile et les mineurs isolés qui se trouvent dans des situations d’urgence. Plutôt que de mettre en place des moyens d’accueil dignes, vous avez choisi de cibler les sans-papiers présents dans les centres d’hébergement d’urgence et de favoriser leur placement en rétention afin d’augmenter les capacités d’accueil.
Vous vous êtes attaqués aux collectivités locales, qui doivent toujours et encore réduire leurs frais de fonctionnement. Les communes sont pas épargnées, l’objectif étant de leur couper les vivres afin de les forcer à se regrouper, ce qui, en définitive, éloigne les citoyens de leurs représentants. En fait, c’est une recentralisation du pouvoir qui ne dit pas son nom.
Vous vous êtes attaqués au service public de la santé en faisant des économies massives sur l’assurance maladie. Ce sont l’hôpital public, ses personnels et les patients qui en font les frais. L’hôpital est pourtant le dernier lieu de protection pour les publics fragilisés par la crise.
L’augmentation de 2 euros du forfait hospitalier signifie, pour le commun des mortels, des frais supplémentaires à la charge des patients. Pas pour M. Macron car, dans son nouveau monde, les gens sont couverts par une assurance complémentaire qui prend en charge cette dépense. Ce qu’il ne sait pas, qu’il ne veut pas savoir ou qu’il omet de dire, c’est que, dans le monde réel, tous les gens n’ont pas les moyens de cotiser à une assurance complémentaire. Quant à ceux qui disposent de mutuelles, celles-ci ont déjà annoncé qu’elles devraient augmenter leurs tarifs pour faire face à ce nouveau coût. Au bout du compte, donc, tout le monde paiera.
Il est vrai que, pour les plus riches, la pilule est plus facile à avaler à la fin du mois. En revanche, pour l’un des 2,5 millions de retraités qui auront vu leur CSG augmenter sans pouvoir bénéficier de l’exonération de la taxe d’habitation, pour le fonctionnaire qui a vu le point d’indice gelé depuis plusieurs années ou pour ceux qui ont perdu 5 euros d’APL, ce sera nettement moins facile.
Vous vous êtes attaqués aux associations et aux personnes les plus éloignées du marché du travail en supprimant des contrats aidés. Vous les avez jugés inutiles et inefficaces alors que si vous vous étiez déplacés sur le terrain, si vous aviez écouté les gens, vous auriez constaté que, majoritairement, ces personnes œuvrant pour l’intérêt général sont nécessaires. De plus, le chiffre de 200 000 emplois aidés a été avancé ; mais il y en avait 310 000 en 2017. Bilan du plan social du président Macron : des milliers d’emplois détruits.
Avec ce projet de loi de finances, vous nous proposez la précarisation des plus démunis, la pressurisation des retraités et des classes populaires, obligés encore une fois de se serrer la ceinture, et la fragilisation du service public, pourtant seul garant de l’intérêt général.
Vous êtes-vous attaqués aux plus riches ? Non, c’est tout l’inverse : votre priorité a été de satisfaire leurs demandes. Vous auriez pu vous dire que, pour vivre dans une société plus égalitaire, plus juste, il fallait réformer un impôt. Tant qu’à réfléchir à la fiscalité, pourquoi ne pas s’attaquer à un impôt socialement injuste, par exemple la TVA ? Comme nous l’avons proposé dans un amendement, avec Clémentine Autain, pourquoi ne pas réduire le taux de TVA à 5 % pour les produits alimentaires et d’hygiène de première nécessité ? Oublions le caviar, qui serait taxé à 33 % puisque c’est un produit de luxe.
Avez-vous pensé à baisser la TVA ? Non, mais vous avez pensé à supprimer l’ISF, au nom de la théorie du ruissellement, selon laquelle les revenus des plus fortunés financeraient l’investissement et l’emploi des gens qui « ne sont rien ». Comment pouvez-vous, élus de la République, croire que le fait, pour les 1 % les plus riches de la population, de ne plus payer d’impôts sur les actions qu’ils possèdent, ou encore sur l’argent qu’ils placent à l’étranger, entraînerait la réduction des inégalités dans notre pays ? Ce projet de loi de finances et votre politique générale sont au service de l’intérêt des plus riches, qui ne représentent qu’une minorité de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, pour ma dernière intervention avant le vote définitif du projet de loi de finances pour 2018, je reviendrai bien évidemment sur nombre de sujets que nous n’avons cessé de combattre et pour lesquels nous avons alerté le Gouvernement afin qu’il prenne conscience de leurs effets désastreux.
Face à un gouvernement muré dans ses certitudes, nous avons combattu son projet qui ne fait que diviser la nation, opposer les Français entre eux et creuser les inégalités. Nous avons su rester force de proposition malgré la grande tentation de n’être que dans l’obstruction, tant il est insupportable de constater les effets néfastes que produira ce budget pour une grande partie des territoires et de la population.
Au service de celles et ceux qui aspirent à une société plus juste, nous continuerons à mettre en lumière les effets négatifs de vos décisions et à proposer des alternatives pour une politique plus juste, plus humaine et préservant les générations futures.
Bien sûr, je dénonce ce projet de société pour la finance – à cet égard, j’insisterai sur plusieurs sujets. Comment ne pas rappeler la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, associée à la mise en place du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital ? Ces deux dispositions permettront, à elles seules, un gain de plus de 5 milliards d’euros d’imposition au seul bénéfice des ménages les plus fortunés. Vous essayez de nous faire croire que les effets de ces mesures fiscales permettront de diriger l’épargne vers les investissements productifs et ainsi de relancer l’économie – la fameuse « confiance ».
Que dire de la théorie du ruissellement, selon laquelle les réductions d’impôts des plus hauts revenus sont bénéfiques pour l’économie et permettent de créer de l’emploi – de vrais emplois, dites-vous, pas des contrats aidés qui ne servent à rien : allez expliquer cela à celles et ceux qui ont été victimes de cette décision aussi injuste qu’incompréhensible.
Que dire aussi de l’augmentation de la CSG pour les retraités qui perçoivent une pension guère plus élevée qu’un SMIC, ou de celle du forfait hospitalier, ou encore de la baisse de l’APL ?
Que dire encore de la mise sous tutelle des communes, avec notamment une réforme de la taxe d’habitation qui n’en est pas une ? Si ! Que dire des moyens encore en baisse dans de nombreux ministères, comme aux finances ou aux douanes,… Non ! Aux douanes, ça augmente ! Pas dans mon département !
Moyens en baisse, disais-je, avec des suppressions d’emplois et de trésoreries, créant un véritable désarroi parmi les personnels, comme c’est le cas dans mon département, l’Allier.
Cette réduction de moyens ne permettra pas non plus de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, qui coûtent 60 à 80 milliards d’euros par an au pays, soit l’équivalent du déficit budgétaire.
Que dire de la mise en péril de l’hôpital public, qui s’amplifiera avec ce budget, accentuant le mal-être des personnels de santé ? Ils n’en peuvent plus et ne soigneront pas seulement avec des mots de compassion.
Que dire des politiques en matière d’aménagement du territoire et de logement, notamment en direction des territoires ruraux, lesquels sont oubliés par la République ? Là encore, des mots, rien que des mots.
Ce budget, annoncé comme celui du pouvoir d’achat des ménages, ne l’est décidément pas. Je pourrais reprendre mes propos et ceux de mes collègues qui se sont succédé à cette tribune hier soir pour dénoncer, encore une fois, les conditions dans lesquelles nous avons eu à examiner l’ensemble des documents budgétaires.
Mais, plutôt que tout cela, je préfère m’en remettre au bon sens paysan et à sa grande lucidité, que savait si bien narrer l’écrivain Émile Guillaumin, voisin de mon village, dans son chef-d’œuvre La Vie d’un simple . Dans ce livre, Émile Guillaumin raconte la vie de Tiennon, un métayer pauvre de l’Allier, la vie de labeur d’un petit paysan exploité par des propriétaires malhonnêtes, avares et avides. Il mettait en lumière une domination sociale mais aussi culturelle, exposant clairement les relations de classe entre paysans et bourgeois.
Tiennon, un « simple », est parfaitement conscient de la situation de domination à laquelle il est réduit. Au moment où il est chassé par un propriétaire indigne de la métairie et de la terre qu’il a travaillée pendant vingt-cinq ans, il fait un bilan, constatant que la vie est bête et triste pour le paysan : celui-ci ne profite d’aucune des douceurs de l’existence, chaque saison apportant son lot de labeurs qui l’enferment dans sa condition et sa dépendance au pouvoir des plus riches.
Face aux politiques libérales et d’exclusion qui sont menées, beaucoup aujourd’hui pourraient porter ce prénom de Tiennon. Émile Guillaumin rata de peu le prix Goncourt ; cette loi de finances pour 2018 ne l’aura à l’évidence pas non plus. Mais elle est bien la preuve qu’entre 1904 et 2018, si beaucoup de choses ont changé, d’autres ont, malheureusement, peu évolué. Persuadés que d’autres choix sont possibles, nous voterons contre ce projet de loi de finances pour 2018 – au bonheur des riches ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe FI.) La parole est à Mme Amélie de Montchalin. « Il n’est pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va. » Par cette réflexion de Sénèque, je voudrais ici retracer le cap qui a guidé ce budget, le premier et le plus important du quinquennat, et les vents, les brises qui l’ont porté car, ce matin, nous arrivons ensemble à bon port.
Il y a six mois, nous étions, pour beaucoup d’entre nous, députés du groupe La République en marche, un équipage de 312 inconnus avec un projet, auxquels les Français venaient d’accorder leur confiance. Aujourd’hui, vous êtes 312 à manger des pâtes, à être fatigués et à divorcer ! (Rires sur les bancs du groupe NG. – Exclamations sur les bancs du groupe REM.) C’est vous-mêmes qui le dites ! Ce projet fixe trois caps clairs : refaire de la France un pays où le travail paye et où les emplois se créent ; refaire de la France un pays qui investit dans son avenir ; refaire de la France un pays qui tient ses engagements.
Ce projet, ces caps ont été, dans cette discussion budgétaire, nos boussoles et nos repères. Il y a eu ici des nuits de houle et des jours de calme plat. Il y a eu surtout des mots emplis de conviction – une conviction que chacun, sur les bancs de la majorité comme de l’opposition, porte au service des Français.
Ce projet, ces caps nous ont guidés dans ces soixante-dix derniers jours et nuits de travail minutieux, parfois fastidieux, précis, avec beaucoup d’échanges et de travail. Mais nous avons surtout eu des débats sur nos politiques, sur les réformes que nous souhaitons mener et sur les moyens qui les rendent possibles.
Le vent des élections présidentielle et législatives nous était favorable mais, sans ce projet et ces caps clairs, nous aurions pu nous perdre en chemin ; nous perdre dans un processus budgétaire qu’il nous faut absolument revoir en profondeur pour qu’il nous aide à travailler davantage sur l’évaluation et le suivi de ce que nous votons ; nous perdre dans la multitude d’amendements qui, parfois, nous amènent à nous concentrer sur l’écume de la rhétorique plutôt que sur le dialogue de fond sur la transformation profonde qu’attend notre pays.
Nous aurions pu aussi nous perdre en pensant que l’impôt pouvait piloter des politiques publiques alors que nous avons, trop souvent, pendant des décennies, confondu outils et objectifs. Nous aurions pu nous perdre dans des discussions techniques nous faisant oublier que l’essentiel de notre rôle de député est d’être élu au service des Français.
Ce matin, nous pouvons collectivement retracer avec confiance le chemin parcouru et les fruits de nos choix. En janvier, les Français verront sur leur feuille de paye que leur pouvoir d’achat augmente ; ils verront que notre investissement pour l’école et l’enseignement supérieur est renforcé ; ils verront que nous réformons notre politique du logement pour loger mieux et plus les Français là où se trouvent les emplois ; ils verront que l’investissement dans les PME est de nouveau encouragé, après des décennies de fiscalité agissant comme un repoussoir.
Ce matin, nous pouvons aussi regarder le chemin qui reste encore à parcourir : cinq ans pour que le cadre que nous posons serve la transformation de la France ; cinq ans pour que les politiques publiques retrouvent leur ambition et leur sens ; cinq ans pour que les Français nous voient pleinement mobilisés pour appliquer, suivre et ajuster ce budget – un budget de sincérité, de choix et de conquête ; un budget qui permet de faire ce que l’on a dit ; un budget qui sait où il va.
Merci à vous tous, chers collègues, chers huissiers, chers administrateurs de l’Assemblée, monsieur le rapporteur général, monsieur le ministre, monsieur le président, d’avoir su suivre et créer les vents favorables qui nous amènent ce matin, ensemble, à bon port, jusqu’au vote de ce projet de loi de finances. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.) La parole est à M. Gilles Carrez. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, chers collègues, dans un pays endetté à près de 100 %, on juge d’abord un budget à son niveau de déficit. En l’occurrence, votre performance, monsieur le ministre, est médiocre ; elle est même mauvaise. Ça baisse ! En effet, le déficit s’établira à 84 milliards en 2018, contre 69 milliards en 2016. Dès 2017, les comptes ont dérapé : alors que nous avions prévu un déficit de 70 milliards, nous terminerons autour de 74 à 75 milliards.
Le deuxième critère d’appréciation d’un budget est de savoir si les baisses d’impôts sont financées, gagées par des économies. Or, dans ce budget, les baisses d’impôts sont financées par le déficit – donc par la dette.
Mais, en vérité, y a-t-il des baisses d’impôts pour tous les Français ? À l’évidence, non. Il y en a pour les entreprises – baisse de l’impôt sur les sociétés, suppression de la taxe de 3 % sur les dividendes –, à hauteur de 5 à 6 milliards d’euros.
Il y a des baisses d’impôts concentrées sur quelques dizaines de milliers de ménages, avec la suppression partielle de l’ISF et la mise en place du prélèvement forfaitaire unique : ces réformes étaient nécessaires et je les approuve, mais il faut être conscient que les 4 à 5 milliards de baisses sont concentrés sur quelques-uns. Exactement ! Et pour les autres ? Il y a la suppression de la taxe d’habitation ! Pour les 37 millions de foyers fiscaux que compte notre pays, les impôts augmenteront fortement dès le mois de janvier. Même Gilles Carrez le dit ! Faisons ensemble les comptes – ils sont incontestables. Sur les 22 milliards d’augmentation de la CSG, on ne rend en 2018 que 18 milliards. Cela fait plus 4 milliards : qui paiera ? Les retraités !
Monsieur le ministre, à Tourcoing, un retraité touchant 1 400 euros par mois… Je serais heureux si les retraités de Tourcoing gagnaient 1 400 euros ! …est-il un nanti pour qu’on lui ponctionne 250 à 300 euros dans l’année ? Tourcoing n’est pas Le Perreux, monsieur Carrez : les retraités ne gagnent pas 1 400 euros par mois ! Parlons justement des 4 milliards d’euros liés à l’augmentation du prix du tabac et des carburants – cela aussi concerne les classes moyennes. Je me souviens que vous m’aviez invité à Tourcoing, en des temps très anciens, et nous avions constaté le désert concernant les buralistes. Eh oui ! Il n’y en a plus ! Je vous le dis, avec la folle trajectoire qui va conduire à augmenter de 30 centimes la taxe sur le diesel ou le fioul domestique et de 15 centimes celle sur l’essence à l’horizon 2022, il vous faudra adresser des prières quotidiennes au ciel pour que le prix du baril de pétrole ne s’envole pas trop haut. Il faut prier saint Emmanuel ! D’ailleurs, monsieur le ministre, quand le prix à la pompe, qui est sur le point de dépasser 1,50 euro le litre atteindra les 2 euros, vous verrez ce qui se passera à Tourcoing. Pas de problème ! Qui va payer ? Les classes moyennes, une fois de plus, malgré la réduction de la taxe d’habitation.
Début octobre, vous vous présentiez comme le ministre du pouvoir d’achat. C’est vrai ! Et je continue à le faire ! En décembre, comme le démontre l’INSEE sans contestation possible – vous avez raison, madame Rabault –, vous êtes devenu le ministre des hausses d’impôt. Eh oui ! Comme je vous aime bien, monsieur le ministre, je ne voudrais pas qu’on vous colle l’étiquette du matraqueur fiscal, comme cela s’est passé pour votre prédécesseur il y a cinq ans.
Quant aux économies, il n’y en a pas, ou si peu. J’en donnerai deux exemples.
S’agissant des fonctionnaires d’État, 324 postes supprimés sur 2 millions, alors que les effectifs sont de nouveau en hausse depuis deux ans – plus 16 000 en 2017. Eh oui ! La baisse de l’APL – 1,5 milliard d’euros de crédits en moins – est la seule réforme structurelle de ce budget. Je vous avais dit que vous alliez subir une défaite face au lobby des HLM. Ce n’est pas une défaite : c’est une capitulation,… C’est Waterloo ! …puisque l’économie attendue est remplacée par une hausse de TVA, de 5,5 % à 10 % sur la construction de logements, qui va entraîner une augmentation des loyers, laquelle aura obligatoirement pour conséquence une augmentation de l’APL.
C’est un mal français : on préfère toujours les hausses d’impôt à la réduction de la dépense. Eh oui ! Notre collègue François Pupponi se souvient du lobbying auquel l’Union des HLM s’était livrée il y a une quinzaine d’années pour obtenir une baisse de la TVA. Tout à fait ! Et voilà qu’ils demandent aujourd’hui une hausse de la TVA : comprenne qui pourra.
Votre nouvelle politique, ce sont en réalité les vieilles recettes du passé, auxquelles il faut ajouter le clientélisme. Confisquer la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – la CVAE – à la région Auvergne-Rhône-Alpes au bénéfice de la métropole de Lyon, c’est du clientélisme ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LR, NG, GDR et FI.) C’est une rupture d’égalité caractérisée.
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez, monsieur le ministre, que notre groupe votera contre ce projet de budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) La parole est à Mme Sarah El Haïry. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous voici réunis pour l’ultime lecture des trois textes budgétaires de cette fin d’année : le premier « boucle » l’année 2017, le deuxième lance l’année 2018 et le dernier fixe le cadre et le cap de cette législature.
Le projet de loi de finances pour 2018, complété par le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, se voulait ambitieux en intégrant une grande partie des mesures et trajectoires issues des engagements que nous avons pris pendant les campagnes présidentielle et législatives. Je dois vous dire que le groupe du Mouvement démocrate et apparentés considère que l’exercice est réussi.
Pour illustrer cet exercice intellectuel, on peut aisément reprendre les mots de celui dont nous fêtons le centenaire de l’arrivée à la présidence du Conseil : « Il faut savoir ce que l’on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire. »
Ce budget est un budget pour remettre la France sur les rails de la croissance et de l’emploi. Ce budget est le budget des engagements de mai dernier. Ce budget est le budget d’un pays en marche diront les uns, en mouvement diront les autres, et selon nous en progrès.
L’incitation à la transition écologique et énergétique et l’accompagnement dans cette direction, alors que notre planète envoie, chaque année, toujours plus de signaux de détresse ; une juste rémunération, un travail qui paie, la création d’un environnement favorable à l’investissement de l’épargne dans l’économie productive, dans un contexte de chômage élevé et de concurrence internationale accrue ; la suppression d’impôts ou de dispositifs injustes ou inefficaces permettant de redonner du pouvoir d’achat à nos concitoyens et de simplifier la fiscalité française : tous ces axes, mis en œuvre dans les textes budgétaires, sont la première pierre budgétaire de la construction d’un projet ambitieux pour la France que notre majorité veut mettre en place pour les cinq prochaines années.
Pour tout cela, parce que nous croyons fermement que ces sujets sont ceux qu’il faut traiter d’urgence, que la voie que vous avez proposée est la bonne, que le dialogue au sein de cette assemblée a été constructif, nous vous soutenons, monsieur le ministre.
Cette première pierre permettra – c’est notre objectif – de construire une France s’appuyant sur ses corps intermédiaires. Notre groupe a été et restera très attentif au développement et au soutien de notre tissu associatif. Nous ne lâcherons rien, monsieur le ministre. Cette pierre permettra également de construire une France responsable et respectueuse de son environnement, une France sociale et solidaire, attentive à la vitalité de ses communes, rurales ou urbaines, d’outre-mer, insulaires ou métropolitaines, mais aussi respectueuse de la politique familiale qui nous est chère ; une France humaine, une France qui libère et qui protège, une France qui permet l’émancipation de chacune et chacun de nos concitoyens.
Bien sûr les débats sont nombreux, parfois passionnés mais toujours pertinents, au sein de notre groupe, de la majorité, de l’ensemble de notre assemblée et plus largement avec nos concitoyens. Ce débat est nécessaire et nous y tenons. Il est signe de vitalité démocratique et permet d’enrichir les textes que nous votons. Comme le disait si bien un grand homme politique de notre pays – je suis sûr que vous allez le reconnaître –, « Si l’on pense tous la même chose, c’est que l’on ne pense plus rien. » (Sourires.) Notre groupe votera ce projet de loi de finances pour 2018. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur quelques bancs du groupe REM.) La parole est à Mme Lise Magnier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de souligner l’excellente proposition de notre rapporteur général d’une discussion générale commune aux trois textes que nous examinons aujourd’hui en dernière lecture et qui sont totalement liés. Malheureusement, il n’a pas été donné suite à cette proposition et je le regrette. J’espère que la réforme de la procédure budgétaire pourra s’en inspirer.
Nous sommes aujourd’hui réunis pour nous pencher une dernière fois sur le premier budget du quinquennat. Les débats furent intéressants, passionnés, mais l’échéance des 70 jours arrivant à son terme, il convient aujourd’hui d’entériner les décisions.
Tout au long du travail parlementaire relatif à ce PLF, notre groupe s’est beaucoup mobilisé et n’a cessé de tenir un discours pragmatique et constructif. Nous resterons logiquement fidèles à cette philosophie.
Ce budget détonne, à n’en pas douter, par une certaine sincérité et même un certain courage politique. Cette sincérité est une vraie révolution et à défaut d’avoir vu à l’œuvre un « nouveau monde » s’agissant de la gestion du travail parlementaire et des amendements gouvernementaux, nous avons au moins vu un gouvernement soucieux de s’attacher à des prévisions réalistes. Nous espérons vivement que cette méthode perdurera pour les prochaines lois de finances et que les prochains textes pourront être examinés de façon plus sereine et plus efficace.
Nous avons souligné aussi à maintes reprises les mesures qui vont dans le bon sens. Il en va ainsi du prélèvement forfaitaire unique, de la suppression d’une part de l’ISF et de tout ce qui peut accompagner notre économie, nos entreprises pour leur permettre de consolider leur activité.
Nous avons aussi relevé les mesures qui nous laissent un goût d’inachevé ou soulèvent trop d’inquiétudes. C’est le cas de la suppression d’une partie de la taxe d’habitation, qui inquiète beaucoup les élus locaux et qui maintient l’aspect injuste de cet impôt pour 20 % des contribuables. La réforme du crédit d’impôt pour la transition énergétique – le CITE – nous semble aussi inachevée et nous regrettons que les propositions tendant à revoir les dépenses de 2017 liées aux aides à la rénovation énergétique des logements privés n’aient pas été retenues.
Nous nous sommes par ailleurs opposés à certaines mesures que nous avons jugées sévèrement. Il en va ainsi de l’article 52, relatif à la baisse de l’APL dans le parc social. Les parlementaires se sont trouvés confrontés à un article qui servait en fait de brouillon aux négociations entre le Gouvernement et les bailleurs sociaux. Surtout, vous avez pris le problème à l’envers, en demandant des efforts conséquents aux bailleurs en matière de réduction des loyers alors qu’un projet de loi sur le logement, qui prévoira sans doute des regroupements d’offices, nous sera soumis l’année prochaine. Nous sommes persuadés qu’avec davantage de temps et de méthode, il aurait été possible d’arriver à une solution plus différenciée, car malgré votre dispositif de péréquation, nous persistons à penser qu’il n’est pas juste de demander autant d’effort à tous les offices, alors que tous ne comptent pas la même proportion de locataires bénéficiaires de l’APL et que tous ne mènent pas les mêmes politiques d’investissement ou de gestion.
L’APL-accession a bien failli passer à la trappe et être la victime collatérale de ces économies imposées d’en haut. Elle sera finalement maintenue dans une de ses composantes et dans les zones détendues.
Si je m’attarde sur cet aspect, c’est parce qu’il constitue à nos yeux un véritable point noir de ce budget, même si vous avez su l’atténuer. Finalement, il illustre un vrai problème de méthode. Nous avons conscience que sept mois peuvent ne pas suffire à un nouveau gouvernement pour définir des réformes d’ampleur et globales, mais je crois que vous gagneriez à ne proposer de telles réformes que lorsqu’elles sont totalement définies plutôt que par morceaux comme cela s’est produit pour le logement.
Nous vous invitons également à poursuivre ce que vous avez su engager pour les collectivités avec la contractualisation. Oui, nous croyons à l’intelligence collective ; oui, nous croyons à la capacité des territoires à s’organiser et à définir leurs propres besoins et trouver les meilleurs moyens d’y répondre.
Enfin, notre groupe, vous le savez, est particulièrement attaché à la maîtrise de la dépense publique, à la résorption du déficit et au désendettement. Un regard attentif doit notamment être porté sur l’évolution de la masse salariale de l’État. Nous vous invitons donc à garder le cap, à ne pas faire dans la demi-mesure, à lever certaines zones d’ombre et à aller jusqu’au bout des réformes qu’il est indispensable d’entreprendre pour notre pays, pour la prospérité de nos concitoyens et de nos entreprises.
Ce premier budget est donc une première étape qui vous permet de lancer certaines réformes, dont la plus importante reste l’accompagnement de notre économie. J’espère que la deuxième étape pourra être une réforme globale de la fiscalité française, locale et nationale, qui constituera là aussi un véritable accompagnement de notre économie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UAI.) La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre. Je voudrais d’abord remercier tous les orateurs, quel que soit leur groupe et souligner l’intérêt, voire le plaisir que nous avons eu à débattre ensemble – c’est pour cela que nous faisons de la politique.
J’entends les arguments des uns et des autres. Je remercie les orateurs du groupe La France insoumise de leurs interventions. Même si nous ne sommes pas d’accord sur grand-chose, on peut vous reconnaître une certaine constance et un certain travail, ce qui est à saluer même si je pense que, fondamentalement, vous vous trompez dans votre analyse de la société et de l’économie – mais cela ne vous surprendra pas, puisque vous avez vous-mêmes souligné nos différences.
Je voudrais remercier le groupe communiste à travers vous, monsieur Dufrègne. M. Roussel a été particulièrement présent dans ces débats et même si, là encore, nous nous opposons sur l’essentiel, nos débats républicains ont montré qu’il y avait évidemment une place pour la prise de parole de l’opposition et sa représentation dans cet hémicycle.
Je voudrais remercier particulièrement Mme Amélie de Montchalin de La République en marche pour ses propos encourageants. Filant après elle la métaphore maritime, je dirai que nous arrivons à bon port aujourd’hui – en tout cas nous l’espérons –, avant de reprendre la mer sans doute au début de l’année prochaine. Sa démonstration s’adressait peut-être davantage au Premier ministre, dont on connaît l’amour pour la mer et Le Havre, voire à M. Mélenchon lui-même, qui a beaucoup parlé de la mer, qu’à moi-même, qui ai une vision peut-être un peu plus terrestre. Mais après tout, étant du département de Jean Bart, je me sens un peu corsaire. (Sourires.) Je vous remercie, madame El Haïry – et à travers vous tous les orateurs du groupe MODEM qui sont intervenus dans les débats budgétaires, parmi lesquels M. Bourlanges, M. Mattei et M. le président Fesneau. Nous n’avons pas toujours été d’accord sur les sujets les plus symboliques. Nous avons pu avoir des désaccords non sur le fond mais sur le calendrier de la réforme de l’État. Je pense en particulier au débat que nous avons eu, avec Mme Buzyn, sur la politique familiale dans le cadre de l’examen du PLFSS. Ces dissensions passaient parfois à l’intérieur même du groupe – je pense notamment au prélèvement à la source.
Nous avons pu travailler de manière intelligente, le MODEM faisant évidemment partie intégrante de la majorité. À ce titre, je crois que le ministère de l’action et des comptes publics s’est montré particulièrement à l’écoute et a su exprimer son désaccord lorsqu’il le fallait, tout en trouvant des compromis. Je souhaite que nous puissions continuer à travailler dans le même état d’esprit, en comprenant les spécificités de chacun et en sachant qu’un arc-en-ciel est composé de plusieurs couleurs. C’est ainsi que nous travaillons au bien-être de la nation.
Je souligne que si le ministère de l’action et des comptes publics a évidemment regretté le dépôt tardif d’un certain nombre d’amendements, il n’a pas utilisé certaines procédures, notamment la seconde délibération, ce qui constitue un témoignage de respect envers les parlementaires. J’ajoute que l’on n’est pas revenu de façon cachée, en nouvelle lecture ou à travers des amendements gouvernementaux, sur certaines dispositions adoptées en première lecture. Là encore, c’était une façon de respecter le travail des parlementaires. J’ai moi-même, me semble-t-il, beaucoup insisté auprès de l’administration pour que l’on respecte le libre travail du rapporteur général, des rapporteurs spéciaux et des parlementaires.
Je remercie Mme Lise Magnier pour ses propos constructifs. Je comprends que le vote du groupe auquel elle appartient sera partagé. Je la remercie également d’avoir souligné qu’en sept mois il n’est pas possible de changer la France entière et son budget et je la remercie, enfin, de ses encouragements.
Je remercie Mme Rabault et l’ensemble du groupe socialiste… Nouvelle gauche, pardon ! On peut dire « socialiste » ! « C’est un joli nom, camarade », comme disait le chanteur, même s’il ne s’adressait pas forcément aux socialistes. (Sourires.) En effet, il était communiste ! Exactement !
Il est tout de même assez étonnant, madame Rabault, de vous voir aussi attachée aux chiffres, aux statistiques… Je les adore ! …et au registre juridique. J’ai tendance à penser que, dans un procès, lorsqu’un avocat s’intéresse plus à la forme qu’au fond, c’est qu’il a perdu. Je ne vous savais pas aussi férue de statistiques, aussi technocrate, ce qui m’étonne de vous et de votre groupe. Pas un mot, par exemple, sur la rénovation urbaine, le logement ou l’Agence nationale pour la rénovation urbaine – l’ANRU –, que M. Pupponi a défendus. C’est assez étonnant : votre intervention était très déshumanisée, guère politique. Vous avez délivré une leçon de choses formelles, mais rien sur le fond.
Finalement, je suis heureux d’être en partie en désaccord avec vous : à vous entendre, en définitive, le diesel et les particules fines, ce n’est pas si grave. Le discours a bien changé depuis le temps où je siégeais moi-même sur ces bancs et où j’entendais les membres du gouvernement que vous souteniez lorsque vous étiez rapporteure générale. Si Mme Royal et peut-être même M. Fabius, là où il est désormais, lisent les propos du groupe Nouvelle Gauche sur la dureté de la fiscalité écologique, ils verront que les choses ont bien changé au Parti socialiste en quelques années. C’est vraiment très étonnant ! Nous aurons sans doute l’occasion de revenir sur cette incompréhension.
Et puis, monsieur Carrez, j’ai pensé à vous car, vous le savez, je vous apprécie beaucoup… Pas de bons points, monsieur le ministre ! Je ne distribue ni bon ni mauvais point, mais il se trouve que je vous apprécie beaucoup.
Hier soir, tard, j’ai fait ce que je m’autorise assez peu : regarder la télévision. Hier soir, disais-je, très tard dans la nuit, j’ai vu un excellent documentaire de La Chaîne parlementaire dans lequel vous évoquiez abondamment vos frustrations lorsque vous étiez président de la commission des finances, mais surtout en tant que rapporteur général sous les présidences de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy. Vous vous souvenez sans doute de ce documentaire dans lequel vous disiez… À propos de l’ISF ? Exactement ! Vous disiez qu’il était terrible d’avoir lâché la proie pour l’ombre, de ne pas avoir été courageux… C’est vrai ! …de ne pas avoir transformé l’économie, de ne pas avoir baissé l’impôt des entreprises et d’avoir eu des présidents de la République – Jacques Chirac, puis surtout Nicolas Sarkozy – qui ont fait des erreurs, avec notamment le bouclier fiscal. « Quelle naïveté ! », disiez-vous. C’est vrai ! « Le jour où la droite reviendra », poursuiviez-vous – c’était évidemment avant les dernières élections (Sourires) – , « il faudra faire montre d’un grand courage ». Vous avez de bonnes sources d’inspiration ! Allez voir le replay : c’est tout à fait étonnant.
Cette nuit, je me suis dit que j’allais vous voir aujourd’hui, que vous alliez tenir des propos mesurés, équilibrés et que, sans tirer votre chapeau – je n’en attends tout de même pas autant de vous –, vous alliez saluer notre courage. Mais j’ai compris que ce documentaire était en réalité une rediffusion, monsieur Carrez. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe REM et sur plusieurs bancs des groupes MODEM et UAI.) Nous sommes maintenant après les élections et j’ai un autre Gilles Carrez en face de moi. Sans doute est-ce la différence entre le moment où l’on est aux responsabilités et celui où on ne l’est pas. Voilà qui me rappelle le maire de Tourcoing et ses buralistes ! Souffrez que l’on puisse vous répondre, sinon cela n’a pas beaucoup d’intérêt. Je vous ai écouté avec grand plaisir, mais je vois que vous faites du name dropping . Je vous réinvite avec plaisir à Tourcoing. La ville dont j’ai été le maire et dont je suis l’élu n’a pas la même sociologie que votre circonscription. Le problème, c’est que nous avons des souvenirs communs ! Je vous réinviterai dès que vous le souhaiterez et vous aurez l’occasion de voir que même la droite lilloise, pour qui j’ai beaucoup de respect, réclame ma candidature à Lille. (Sourires. –Applaudissements sur les bancs du groupe REM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.) C’est dans La Voix du Nord du 17 décembre. Cela prouve que le sentiment wauquiezien n’est pas unanime. (Sourires.) L’atout principal de Tourcoing, ce sont les chantiers navals Wauquiez ! Monsieur Carrez, je vous ai écouté sans vous interrompre. Mes chers collègues ! Il est vrai que la sociologie de nos communes respectives n’est pas la même – je suis prêt à faire de la politique comparée. Dans ma commune, un quart des habitants touchent le RSA, plus de 20 % sont au chômage et 90 % des contribuables – contre 80 % pour l’ensemble des Français – ne paieront plus la taxe d’habitation. La France, ce n’est pas seulement Lyon et Tourcoing ! Mais c’est vous, monsieur Carrez, qui avez cité neuf fois ma commune à la tribune : permettez-moi de faire la comparaison avec Le Perreux !
Alors que j’étais maire, je n’ai pas reproché au père de la réforme de la taxe professionnelle – c’est-à-dire vous – la perte de dotations pour une ville très industrielle, car cette réforme était courageuse. Les chantiers Wauquiez sont toujours là ! Ils sont à Neuville-en-Ferrain et je ne voudrais pas faire de name dropping pour ceux qui fabriquent des yachts et qui portent le nom de l’actuel président des Républicains, puisque c’est vous qui le citez. Il vous observe ! Le parallèle que je fais n’est pas celui-ci.
Dans ma commune, des gens vivent dans un quartier ANRU – le budget que je présente double les crédits de la rénovation urbaine, mais vous n’en avez pas dit un mot –, 70 % vivent sous le seuil de pauvreté. Nous avons accepté un certain nombre d’amendements, notamment de M. Pupponi, en faveur de la rénovation urbaine. Une commune de l’agglomération de Tourcoing a quasiment perdu 1 million d’euros de dotations par an en raison de la politique d’un gouvernement que vous souteniez et du gouvernement précédent. Je présente quant à moi le premier budget dont les dotations ne diminueront pas et qui permettra même une augmentation des recettes, notamment à travers la dotation de solidarité urbaine.
Ma commune fait partie d’une région dont les populations sont les premières à souffrir du cancer, en particulier celui du poumon, lié au tabac, mais aussi à la consommation de boissons sucrées et aux particules fines. Dans ma commune, des gens profiteront de l’action du Gouvernement : le pouvoir d’achat des salariés augmentera. Si vous aviez été aux responsabilités, monsieur Carrez, l’honnêteté aurait été de dire que vous auriez augmenté la TVA, ce qui aurait touché tous les Français, y compris ceux qui connaissent le plus de difficultés. Quid des produits fabriqués à l’étranger ? Vous auriez dû dire également que vous n’auriez pas réformé les heures supplémentaires, puisque vous avez soutenu un candidat et un projet pour les élections législatives qui n’en voulait pas, alors que la défiscalisation des heures supplémentaire profitera, je pense, aux salariés et aux ouvriers de ma commune. De plus, vous auriez soutenu un budget diminuant de 20 milliards les dotations aux collectivités locales.
Le name dropping auquel vous vous êtes livré pour me mettre dans une difficulté passagère, monsieur Carrez, me renvoie à la douce nuit que j’ai passée en vous écoutant. Je regrette le temps où Gilles Carrez avait l’esprit de responsabilité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe REM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.) J’appelle maintenant, conformément à l’article 114, alinéa 3, du règlement, le projet de loi de finances pour 2018 dans le texte voté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture. Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi de finances pour 2018. (Le projet de loi est adopté.)
Applaudissements sur les bancs des groupes REM et MODEM.) Merci ! Très bien !
L’ordre du jour appelle la discussion, en lecture définitive, du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 (nos 507, 534).
La parole est à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
Si vous me le permettez, monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, je ne dirai que quelques mots pour lancer notre discussion.
Je constate qu’une nouvelle motion de rejet préalable sera défendue et que j’aurai le plaisir d’entendre M. Mélenchon – non que je me lassais de vos interventions, mesdames et messieurs les députés du groupe La France insoumise, car elles étaient toutes intéressantes, mais il est vrai que, parfois, des artistes différents font des reprises qui égayent l’oreille et l’écoute. (Rires sur les bancs du groupe REM.) Cela stimule aussi l’intelligence, parfois ! Par ailleurs, monsieur le président Mélenchon, j’écoute toujours avec beaucoup d’intérêt vos analyses et je suis sensible à votre sens du verbe. Puisque nous aurons le plaisir de vous entendre, ainsi qu’un certain nombre d’autres interventions, dont celle de M. Coquerel, qui va récidiver aujourd’hui – la répétition fixe la notion –, nous réentendrons nos différences. Nous aurons de même, tout à l’heure, l’occasion de rediscuter du PLFR.
La trajectoire des finances publiques est ambitieuse. Il est important de souligner que le Gouvernement n’a pas fait un choix de comptabilité. Il y a désormais beaucoup de juristes, de statisticiens et de comptables, mais assez peu de dynamique. Or tout le monde sait que la confiance ne résulte pas seulement des chiffres et des textes : elle naît des actes et de l’adéquation entre les paroles prononcées lors des campagnes électorales et les actes et les mesures pris.
On peut citer l’INSEE et diverger quant aux interprétations possibles – à cet égard, M. Griveaux n’a jamais mis en cause notre institut officiel. Vous avouerez qu’il y une différence entre la fiscalité comportementale, dépendant des choix des consommateurs – je pense à la consommation de tabac ou à l’usage du diesel – et la fiscalité liée aux salaires : ce que l’on subit et ce que l’on choisit, ce n’est pas pareil : cette idée est aussi vieille que le stoïcisme.
On peut aussi citer l’INSEE complètement. Au début du débat budgétaire, la prévision de croissance était de 1,7 % ; au milieu, chacun a considéré qu’elle était de 1,8 % ; à la fin, elle s’établit à 1,9 %. C’est à regretter de ne pas continuer la discussion, ce qui nous aurait sans doute permis de regarder l’avenir avec encore plus de tranquillité ! (Sourires.) Très bien ! C’est peut-être parce que la confiance se rétablit ; c’est peut-être parce que, pendant les sept mois où le Président de la République, le Gouvernement et la majorité ont eu l’occasion de s’exprimer, les mesures que nous prenons, les actes que nous posons, les paroles que nous édictons donnent la confiance à nos partenaires étrangers, aux entreprises françaises et aux acteurs économiques. Bien sûr ! Je vous rappelle que 0,2 point de PIB représente quasiment 4,5 milliards. Cette amélioration de la croissance est certes prévisionnelle pour l’instant – or, comme dirait Confucius, il est par définition très difficile de prévoir l’avenir –, mais l’INSEE nous dit que, quoi qu’il arrive, nous aurons atteint une croissance de 1,7 %. Non seulement cela sincère le budget et la trajectoire budgétaire que nous présentons, mais cela renforce l’équilibre de la politique publique que nous menons et, surtout, la plus belle des notations qui soit : celle des acteurs économiques, qui ont enfin confiance dans notre pays, dans sa capacité à se transformer, et celle des Français, qui voient l’avenir différemment. Tout à fait ! Je ne sais pas si les Français considèrent aujourd’hui que ce que nous faisons est très bien. Je me méfie des sondages, bons ou mauvais. Comme disait le président Chirac, dans la vie politique, il faut savoir repriser les bas et mépriser les hauts. Il faut donc savoir regarder toutes ces études avec prudence. Je sais, comme mon ancien camp politique – mais c’est aussi vrai dans le nouveau monde – que le vainqueur des sondages d’aujourd’hui n’est pas le vainqueur des urnes le lendemain. Heureusement ! C’est d’une évidence absolue. Il serait bien prétentieux de dire que le Gouvernement a réussi. Les Français, au second tour de l’élection présidentielle, ont donné 11 millions de voix à Mme Le Pen – dont je regrette l’absence une nouvelle fois, depuis plusieurs mois, pendant nos débats. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes REM et MODEM.) Moi, je ne la regrette pas ! Ce n’est pas bien grave en soi, mais c’est un peu embêtant pour la vitalité démocratique que je retrouve dans les seuls débats télévisés, pour débattre des questions budgétaires, celle qui était présente au second tour de l’élection présidentielle. C’est d’autant plus vrai que le Gouvernement est à l’écoute, attentif à l’échange des arguments – en particulier votre serviteur, qui aime le débat parlementaire.
Il me semble donc, disais-je, que lorsque 11 millions de voix se portent sur Mme Le Pen au second tour et que l’abstention est aussi grande, on ne peut pas dire qu’en sept mois nous avons réparé le pays, c’est l’évidence. Peut-être pourrait-on revenir au sujet ? Si les citoyens que nous croisons à Tourcoing, au Perreux ou ailleurs sont certes encore inquiets quant à l’avenir, se posent des questions extrêmement importantes, connaissent pour une grande part la pauvreté, craignent la mondialisation et l’intégration européenne, le Gouvernement leur donne au moins la satisfaction de les écouter et d’appliquer le programme pour lequel la majorité parlementaire a été élue.
Aucun de ceux qui sont intervenus à cette tribune – et que je respecte – ne nous a accusés de mensonge, de ne pas avoir appliqué le programme présidentiel sur lequel la majorité parlementaire a été élue. La séparation très profonde entre les élites politiques et le peuple que nous avons connue s’explique par le fait que les gens étaient souvent élus sur un programme et en appliquaient un autre. Quant à nous, nous avons inscrit dans ce projet loi de programmation des finances publiques l’intégralité des promesses électorales que nous avions faites.
L’augmentation du pouvoir d’achat – extrêmement importante – est effective grâce à la suppression de la taxe d’habitation, la suppression de certaines cotisations, l’augmentation pour les plus fragiles du minimum vieillesse et de l’allocation aux adultes handicapés. Si le Premier ministre me confie encore cette tâche, je serai heureux de défendre notamment devant vous, l’année prochaine, le rétablissement des heures supplémentaires pour les salariés et les ouvriers de notre pays, qui figure dans la trajectoire des finances publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe REM et sur plusieurs bancs des groupes MODEM et UAI.) La parole est à M. Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, monsieur le vice-président de la commission des finances, chers collègues, nous en venons maintenant à la lecture définitive du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
Ce projet de loi symbolise le cadre de notre politique budgétaire et fiscale et, par conséquent, de notre politique économique pour le quinquennat. Nous faisons le choix d’une baisse simultanée de la fiscalité en direction des entreprises et des ménages et d’une baisse de la dépense publique. Cette trajectoire nous permettra à la fois de respecter nos engagements européens et de renforcer la reprise de la croissance, dont l’INSEE prévoit qu’elle s’accélère avec une croissance annuelle qui atteindra 1,9 % en 2017. En clair, il s’agit d’une trajectoire responsable de finances publiques, qui allie un retour à l’équilibre des comptes et une incitation à l’activité économique.
Dans ce texte, nous avons également défini le cadre des relations contractuelles que concluront l’État et les principales collectivités territoriales. Le dispositif initial a sensiblement évolué, compte tenu de nos débats et des discussions entre le Gouvernement et les associations d’élus. Finalement, l’objectif d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales est préservé, avec un taux de croissance annuel de 1,2 %. Cependant, ce taux pourra être modulé selon plusieurs critères : la démographie, la pauvreté de la population et les efforts antérieurs des collectivités en matière de maîtrise des dépenses de fonctionnement.
Compte tenu de leur dynamique et de leur nature particulières, les dépenses sociales des départements font désormais l’objet d’un traitement spécifique au regard de ces objectifs.
La nouvelle règle d’encadrement de l’endettement des collectivités territoriales a fait l’objet d’un assouplissement substantiel, puisqu’elle s’appliquera uniquement dans des cas très limités. Le mécanisme de reprise financière pour les collectivités qui n’atteindraient pas leurs objectifs a été limité, en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, à 2 % des recettes réelles de fonctionnement de la collectivité concernée.
Enfin, le texte que nous allons adopter prévoit dorénavant un mécanisme de bonus pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale – EPCI – signataires d’un contrat qui respectent les objectifs d’évolution des dépenses de fonctionnement. Ce bonus prendra la forme d’une majoration du taux de subvention de la dotation de soutien à l’investissement local, la DSIL.
Ces quelques exemples illustrent une fois encore, je le crois sincèrement, les progrès permis par la discussion parlementaire sur les textes financiers de l’automne. Nous disposons désormais d’une feuille de route crédible, structurée et robuste en matière de finances publiques pour le quinquennat.
Après treize heures trente de débats et l’examen de 250 amendements, dont 80 ont été adoptés, je vous invite donc, mes chers collègues, comme nous venons de le faire pour le projet de loi de finances pour 2018, à adopter ce texte en lecture définitive, dans la version issue de nos travaux en nouvelle lecture, modifié par l’amendement rédactionnel proposé par le Gouvernement et adopté en commission des finances.
Je vous fais cadeau des deux minutes trente de temps de parole qui me restaient. (Sourires.) Enfin un peu de générosité ! J’ai reçu de M. Jean-Luc Mélenchon et des membres du groupe La France insoumise une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne vais pas répéter les arguments que vous avez déjà entendus et qui nous amènent à critiquer les options qui fondent et organisent votre budget. Puisque nous examinons une trajectoire, je me propose de réfléchir à la question en prenant un autre angle d’attaque. Je suis au moins d’accord avec vous sur un point, monsieur le ministre : prévoir est difficile, et cela demande des efforts.
Le document que vous nous présentez dessine une trajectoire comptable, qui répond à des exigences formulées par la Commission de Bruxelles. Celle-ci, compte tenu de la domination qu’exerce la politique économique de l’Allemagne sur le reste de l’Europe, a une seule obsession, la dette. C’est l’obsession de l’ensemble des États ! Cette obsession est liée à celle de l’Allemagne de maintenir la stabilité des prix, afin de ne pas ruiner la rente, d’une part, et à l’obsession du gouvernement de droite allemand d’avoir un euro fort, de manière à se procurer plus facilement les marchandises dont ont besoin les rentiers, d’autre part.
La Commission européenne mène donc une politique intraitable pour faciliter la politique de l’offre, ce qui implique de réduire les coûts salariaux et d’externaliser les coûts écologiques et sociaux, qui sont aujourd’hui assumés par la société, pour qu’ils ne soient plus inclus dans les comptes publics. Telle est sa trajectoire générale. Dans cette perspective, la dette sert de rayon paralysant.
Si on veut bien y regarder de près, depuis maintenant quinze ans que ces politiques sont appliquées, elles ont échoué. Et elles ont échoué du point de vue de leurs propres objectifs – pas seulement de notre point de vue. Je ne parle pas, en effet, de tout ce qui aurait dû être fait et qui ne l’a pas été. Je note seulement que l’on a imposé des choses à tous les pays d’Europe pour faire baisser la dette et que celle-ci a explosé partout. Elle a explosé chez nous, comme ailleurs, mais nous aurions tort, nous, Français, d’être prostrés dans la culpabilité. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que la France a vécu au-dessus de ses moyens. Ce n’est pas vrai. (« Si ! » sur quelques bancs du groupe REM.) La France a dû faire face à des coûts qui lui ont été transférés, et si la dette française a fait ce bond, c’est d’abord parce que l’Allemagne a un jour décidé de donner 1 mark de l’Ouest pour 1 mark de l’Est. À partir de ce jour-là, les taux d’intérêt ont explosé et nous, Français, pendant dix ans, nous avons payé les conséquences de cette unification monétaire, sur laquelle personne ne nous a demandé notre avis. Et le traité de Maastricht ? C’était déjà une politique qui visait à protéger la rente. Le premier gonflement de la dette a eu lieu à ce moment-là. Ensuite, les choses se sont aggravées du fait des taux excessifs, puis de la crise de 2008.
Mais j’en reviens à ma démonstration. Si notre ennemi, c’est la dette, alors nous sommes en état d’alerte maximale sur la planète entière. Voilà, c’est exactement cela ! Je ne vous reprocherai pas de ne pas l’avoir prévu, monsieur le ministre, car je reconnais que vous ne pouvez rien prévoir en la matière. Il y a un risque majeur d’explosion de la dette financière, qui englobe toute l’économie-monde à cette heure. Ce diagnostic ne m’est pas personnel et il a déjà été formulé depuis un moment.
Il y a des raisons structurelles à cela, et la financiarisation de l’économie est la première des choses que l’on devrait bloquer si on est vraiment soucieux d’avoir une économie productive réelle. Or vous ne le faites pas et, pire, vous amplifiez les moyens d’alimenter cette bulle financière, en supprimant, par exemple, l’impôt qui porte sur les avoirs mobiliers. Dans ces conditions, on peut dire que vous avez apporté une contribution au gonflement de la dette.
J’ai apporté un texte que je voudrais vous lire, et qui n’a pas été écrit par un penseur ou un économiste de ma famille politique – vous ne pourrez donc pas me reprocher d’être en vase clos. Le texte en question a paru dans Les Échos , un journal qui ne m’est pas particulièrement favorable, et il porte sur cette question de la dette mondiale. Les propos rapportés sont notamment ceux d’un gouverneur de la Banque de France, qui n’a pas non plus la réputation d’être un gauchiste. Voici ces propos, que je partage totalement : « Les politiques économiques des pays du G7 nous conduisent tout droit vers une crise du système financier international. Ces politiques sont irresponsables, que ce soit dans les domaines monétaire, macroéconomique ou dans les domaines climatique et de la défense ». Et encore : « Les apprentis sorciers ont construit un modèle de croissance basé sur la dette qui nous conduit tout droit vers le prochain krach financier. » Qui est exactement l’auteur de ce texte, monsieur Mélenchon ? Ce krach est imminent, si l’on compare le niveau de la bulle boursière à ce qu’il était en 2008, et surtout si l’on prend en compte le montant total de la dette mondiale, et spécialement celui de la dette privée, laquelle est bien plus dangereuse que la dette publique. En effet, la dette publique est garantie par les États, alors que la dette privée n’est garantie par personne. Par conséquent, le meilleur moyen de parer au défaut de la dette, c’est d’abord de parer au défaut de la dette privée.
Pour cela, il y a une seule et unique méthode. Ah non, pardonnez-moi : il y en a plusieurs, et c’est l’histoire qui nous l’apprend.
La première consiste à payer. Mais ce n’est plus possible, car le niveau de la dette est tel qu’on ne peut pas la payer, à conditions économiques constantes.
La deuxième solution est rugueuse, mais bien connue : c’est la guerre. On casse tout et on reconstruit. Cela s’est produit à plusieurs reprises dans notre histoire, avec les deux guerres mondiales. La troisième solution, c’est l’inflation. La quatrième, c’est le défaut. Nous n’avons pas prévu la deuxième option ! Je sais bien que vous ne l’avez pas prévue mais, hélas, pour des raisons multiples, M. Trump a plus d’importance que M. Darmanin dans les événements mondiaux… Et vous le regrettez ? (Sourires.) …et même que M. Mélenchon. Eh bien oui, je le regrette, parce que je préfère un Français à n’importe quel autre.
Puisque vous me donnez l’occasion d’évoquer cette question, j’aimerais que nous examinions le rôle que jouent l’économie d’armement et l’économie de guerre dans le fonctionnement des États-Unis d’Amérique et dans la dynamique de son économie particulière. On comprend mieux, alors, que M. Trump n’est peut-être pas seulement l’irresponsable ou le dément que l’on croit. C’est un homme qui, avec un esprit de méthode, est en train de remettre en place les conditions d’un affrontement, parce que c’est de cette manière que tourne aujourd’hui l’économie nord-américaine : elle repose sur l’économie d’armement.
Tous les présidents libéraux ont remis en route des programmes d’armement. Pendant la guerre d’Afghanistan, par exemple, 85 % de l’argent que les États-Unis ont déversé là-bas sont revenus directement dans leurs caisses, parce que ce sont des compagnies américaines qui fournissaient les armes.
Mais je ne veux pas m’éloigner excessivement de mon fil directeur. C’est déjà fait ! Nous savons ce qui va nous percuter, et tout cela contribue à l’économie de la dette. Il vous est peut-être égal que tout le monde risque d’être ruiné, mais pour nous, ça a de l’importance. Comment, donc, parer à cette dette impayable ?
S’agissant de celle des États, je renouvelle à cette tribune une proposition que j’ai déjà faite : il faut organiser en Europe une conférence de la dette. Nous préférons que le moratoire sur la dette soit discuté avec les partenaires et organisé techniquement, avec le concours de la Banque centrale européenne, plutôt que de la laisser dégénérer pour qu’elle aboutisse, soit au défaut de l’un des pays membres, soit à une compétition aggravée entre les peuples, notamment sur leurs conditions sociales, qui produise l’explosion des nationalismes absurdes, aveugles et haineux, comme ceux que l’on voit se déchaîner aujourd’hui dans toute l’Europe de l’Est.
La deuxième solution, c’est évidemment de procéder à une relance, à la fois sociale et écologique. Pour aggraver la dette ! Quand on prononce le mot « relance », on nous répond toujours par le mot « dette », et c’est toujours le même cycle. On nous dit qu’on ne fera pas de relance pour ne pas alourdir la dette et, à la place, on fait des coupes budgétaires. Or le budget que vous nous présentez pour les années à venir accumule les coupes budgétaires, presque à hauteur de 100 milliards d’euros. Ces 100 milliards, ce sont déjà les investissements qui ont manqué pendant le quinquennat de François Hollande. Ben voyons ! S’agissant de la relance sociale, je ne donnerai qu’un seul exemple, même si, hélas, j’en aurais tant à donner. Si seulement on se préoccupait de l’humain, on irait mieux ! Je prendrai un exemple sur lequel nous pourrions tous être d’accord, puisque nous la proclamons sans cesse dans nos discours – je veux parler de l’égalité entre les hommes et les femmes. Si l’on établissait l’égalité salariale, nous aurions 33 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour l’État ; nous aurions 6 milliards d’euros d’épargne en plus et 22 milliards d’euros de hausse de la consommation. Ces chiffres ont été établis par des organismes dont on conteste la compétence, ce qui est bien normal, puisqu’on a le droit de tout contester – ce qui compte, à la fin, c’est ce que la raison est capable de prouver.
S’agissant de la relance écologique, j’entends bien, monsieur Darmanin, que vous ne pouvez pas prévoir les typhons et les tempêtes. Mais, tout de même, vous pouvez prévoir que les événements climatiques extrêmes qui, nous le savons, ne manqueront pas d’arriver, auront un impact sur l’économie. Mieux vaudrait donc prendre les mesures à temps, c’est-à-dire lancer la transition énergétique dont notre économie a besoin.
Nous devons aussi avoir une réflexion plus profonde, que l’on peut mettre en mots, mais aussi en chiffres. Je suis certain, monsieur Darmanin, que vous ne seriez pas opposé à tous ces projets de relance, si l’on ne vous disait pas que vous allez creuser la dette. Tel est le cercle vicieux dans lequel nous sommes enfermés. Il faut une relance si nous voulons éviter le défaut de la dette privée et de la dette publique. Mais non ! La relance de l’activité, si elle est fondée sur autre chose que l’idée de la croissance pour la croissance, si elle a un contenu écologique, alors c’est un bienfait qui ruisselle sur toute la société : ce sont des techniques nouvelles que l’on imagine, des moyens nouveaux que l’on invente et c’est, surtout, une contribution à l’histoire universelle de l’humanité. Ben voyons ! Monsieur le ministre, dans le plan de marche que vous nous proposez, il n’y a aucune prise en compte des risques climatiques, rien n’est prévu pour la fermeture des centrales nucléaires, et encore moins pour la transition écologique, qui nécessiterait, j’en conviens, d’énormes efforts budgétaires. Dans notre programme « L’avenir en commun », nous avions prévu 100 milliards d’investissement pour cette transition écologique – c’est vous dire quel est notre retard. Mais ce ne sont jamais que les 100 milliards d’investissement que l’on a perdus pendant la présidence de François Hollande. Or il ne faut pas affaiblir les capacités productives de notre pays.
Et la première de ses capacités productives est ce qu’il y a dans la tête de sa jeunesse, de tous ceux qui vont à l’université et obtiennent des diplômes, améliorant ainsi le niveau de qualification du pays. Pardon de vous le dire, il y a un lien avec les restrictions que l’on est en train de mettre en place après avoir mené une politique irresponsable de numerus clausus – mais vous n’êtes pas redevable de cette dernière, monsieur le ministre, je reconnais qu’elle avait commencé antérieurement. Si l’on a connu ces rentrées terrifiantes, avec le tirage au sort, c’est qu’il s’était passé bien des choses auparavant et que certains l’avaient voulu.
Qu’obtiendrez-vous en amont ? Naturellement, des jeunes gens qui contracteront des dettes étudiantes. En avant, encore de la dette ! Nous aurons peut-être la surprise de voir la bulle financière mondiale éclater à cause de la dette étudiante aux États-Unis d’Amérique. Selon les pronostics d’une partie des économistes, c’est l’une des causes les plus probables d’un éventuel effondrement du système financier mondial. Citez vos références !
Je constate qu’une nouvelle motion de rejet préalable sera défendue et que j’aurai le plaisir d’entendre M. Mélenchon – non que je me lassais de vos interventions, mesdames et messieurs les députés du groupe La France insoumise, car elles étaient toutes intéressantes, mais il est vrai que, parfois, des artistes différents font des reprises qui égayent l’oreille et l’écoute. (Rires sur les bancs du groupe REM.) Cela stimule aussi l’intelligence, parfois ! Par ailleurs, monsieur le président Mélenchon, j’écoute toujours avec beaucoup d’intérêt vos analyses et je suis sensible à votre sens du verbe. Puisque nous aurons le plaisir de vous entendre, ainsi qu’un certain nombre d’autres interventions, dont celle de M. Coquerel, qui va récidiver aujourd’hui – la répétition fixe la notion –, nous réentendrons nos différences. Nous aurons de même, tout à l’heure, l’occasion de rediscuter du PLFR.
La trajectoire des finances publiques est ambitieuse. Il est important de souligner que le Gouvernement n’a pas fait un choix de comptabilité. Il y a désormais beaucoup de juristes, de statisticiens et de comptables, mais assez peu de dynamique. Or tout le monde sait que la confiance ne résulte pas seulement des chiffres et des textes : elle naît des actes et de l’adéquation entre les paroles prononcées lors des campagnes électorales et les actes et les mesures pris.
On peut citer l’INSEE et diverger quant aux interprétations possibles – à cet égard, M. Griveaux n’a jamais mis en cause notre institut officiel. Vous avouerez qu’il y une différence entre la fiscalité comportementale, dépendant des choix des consommateurs – je pense à la consommation de tabac ou à l’usage du diesel – et la fiscalité liée aux salaires : ce que l’on subit et ce que l’on choisit, ce n’est pas pareil : cette idée est aussi vieille que le stoïcisme.
On peut aussi citer l’INSEE complètement. Au début du débat budgétaire, la prévision de croissance était de 1,7 % ; au milieu, chacun a considéré qu’elle était de 1,8 % ; à la fin, elle s’établit à 1,9 %. C’est à regretter de ne pas continuer la discussion, ce qui nous aurait sans doute permis de regarder l’avenir avec encore plus de tranquillité ! (Sourires.) Très bien ! C’est peut-être parce que la confiance se rétablit ; c’est peut-être parce que, pendant les sept mois où le Président de la République, le Gouvernement et la majorité ont eu l’occasion de s’exprimer, les mesures que nous prenons, les actes que nous posons, les paroles que nous édictons donnent la confiance à nos partenaires étrangers, aux entreprises françaises et aux acteurs économiques. Bien sûr ! Je vous rappelle que 0,2 point de PIB représente quasiment 4,5 milliards. Cette amélioration de la croissance est certes prévisionnelle pour l’instant – or, comme dirait Confucius, il est par définition très difficile de prévoir l’avenir –, mais l’INSEE nous dit que, quoi qu’il arrive, nous aurons atteint une croissance de 1,7 %. Non seulement cela sincère le budget et la trajectoire budgétaire que nous présentons, mais cela renforce l’équilibre de la politique publique que nous menons et, surtout, la plus belle des notations qui soit : celle des acteurs économiques, qui ont enfin confiance dans notre pays, dans sa capacité à se transformer, et celle des Français, qui voient l’avenir différemment. Tout à fait ! Je ne sais pas si les Français considèrent aujourd’hui que ce que nous faisons est très bien. Je me méfie des sondages, bons ou mauvais. Comme disait le président Chirac, dans la vie politique, il faut savoir repriser les bas et mépriser les hauts. Il faut donc savoir regarder toutes ces études avec prudence. Je sais, comme mon ancien camp politique – mais c’est aussi vrai dans le nouveau monde – que le vainqueur des sondages d’aujourd’hui n’est pas le vainqueur des urnes le lendemain. Heureusement ! C’est d’une évidence absolue. Il serait bien prétentieux de dire que le Gouvernement a réussi. Les Français, au second tour de l’élection présidentielle, ont donné 11 millions de voix à Mme Le Pen – dont je regrette l’absence une nouvelle fois, depuis plusieurs mois, pendant nos débats. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes REM et MODEM.) Moi, je ne la regrette pas ! Ce n’est pas bien grave en soi, mais c’est un peu embêtant pour la vitalité démocratique que je retrouve dans les seuls débats télévisés, pour débattre des questions budgétaires, celle qui était présente au second tour de l’élection présidentielle. C’est d’autant plus vrai que le Gouvernement est à l’écoute, attentif à l’échange des arguments – en particulier votre serviteur, qui aime le débat parlementaire.
Il me semble donc, disais-je, que lorsque 11 millions de voix se portent sur Mme Le Pen au second tour et que l’abstention est aussi grande, on ne peut pas dire qu’en sept mois nous avons réparé le pays, c’est l’évidence. Peut-être pourrait-on revenir au sujet ? Si les citoyens que nous croisons à Tourcoing, au Perreux ou ailleurs sont certes encore inquiets quant à l’avenir, se posent des questions extrêmement importantes, connaissent pour une grande part la pauvreté, craignent la mondialisation et l’intégration européenne, le Gouvernement leur donne au moins la satisfaction de les écouter et d’appliquer le programme pour lequel la majorité parlementaire a été élue.
Aucun de ceux qui sont intervenus à cette tribune – et que je respecte – ne nous a accusés de mensonge, de ne pas avoir appliqué le programme présidentiel sur lequel la majorité parlementaire a été élue. La séparation très profonde entre les élites politiques et le peuple que nous avons connue s’explique par le fait que les gens étaient souvent élus sur un programme et en appliquaient un autre. Quant à nous, nous avons inscrit dans ce projet loi de programmation des finances publiques l’intégralité des promesses électorales que nous avions faites.
L’augmentation du pouvoir d’achat – extrêmement importante – est effective grâce à la suppression de la taxe d’habitation, la suppression de certaines cotisations, l’augmentation pour les plus fragiles du minimum vieillesse et de l’allocation aux adultes handicapés. Si le Premier ministre me confie encore cette tâche, je serai heureux de défendre notamment devant vous, l’année prochaine, le rétablissement des heures supplémentaires pour les salariés et les ouvriers de notre pays, qui figure dans la trajectoire des finances publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe REM et sur plusieurs bancs des groupes MODEM et UAI.) La parole est à M. Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, monsieur le vice-président de la commission des finances, chers collègues, nous en venons maintenant à la lecture définitive du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.
Ce projet de loi symbolise le cadre de notre politique budgétaire et fiscale et, par conséquent, de notre politique économique pour le quinquennat. Nous faisons le choix d’une baisse simultanée de la fiscalité en direction des entreprises et des ménages et d’une baisse de la dépense publique. Cette trajectoire nous permettra à la fois de respecter nos engagements européens et de renforcer la reprise de la croissance, dont l’INSEE prévoit qu’elle s’accélère avec une croissance annuelle qui atteindra 1,9 % en 2017. En clair, il s’agit d’une trajectoire responsable de finances publiques, qui allie un retour à l’équilibre des comptes et une incitation à l’activité économique.
Dans ce texte, nous avons également défini le cadre des relations contractuelles que concluront l’État et les principales collectivités territoriales. Le dispositif initial a sensiblement évolué, compte tenu de nos débats et des discussions entre le Gouvernement et les associations d’élus. Finalement, l’objectif d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités territoriales est préservé, avec un taux de croissance annuel de 1,2 %. Cependant, ce taux pourra être modulé selon plusieurs critères : la démographie, la pauvreté de la population et les efforts antérieurs des collectivités en matière de maîtrise des dépenses de fonctionnement.
Compte tenu de leur dynamique et de leur nature particulières, les dépenses sociales des départements font désormais l’objet d’un traitement spécifique au regard de ces objectifs.
La nouvelle règle d’encadrement de l’endettement des collectivités territoriales a fait l’objet d’un assouplissement substantiel, puisqu’elle s’appliquera uniquement dans des cas très limités. Le mécanisme de reprise financière pour les collectivités qui n’atteindraient pas leurs objectifs a été limité, en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, à 2 % des recettes réelles de fonctionnement de la collectivité concernée.
Enfin, le texte que nous allons adopter prévoit dorénavant un mécanisme de bonus pour les communes et les établissements publics de coopération intercommunale – EPCI – signataires d’un contrat qui respectent les objectifs d’évolution des dépenses de fonctionnement. Ce bonus prendra la forme d’une majoration du taux de subvention de la dotation de soutien à l’investissement local, la DSIL.
Ces quelques exemples illustrent une fois encore, je le crois sincèrement, les progrès permis par la discussion parlementaire sur les textes financiers de l’automne. Nous disposons désormais d’une feuille de route crédible, structurée et robuste en matière de finances publiques pour le quinquennat.
Après treize heures trente de débats et l’examen de 250 amendements, dont 80 ont été adoptés, je vous invite donc, mes chers collègues, comme nous venons de le faire pour le projet de loi de finances pour 2018, à adopter ce texte en lecture définitive, dans la version issue de nos travaux en nouvelle lecture, modifié par l’amendement rédactionnel proposé par le Gouvernement et adopté en commission des finances.
Je vous fais cadeau des deux minutes trente de temps de parole qui me restaient. (Sourires.) Enfin un peu de générosité ! J’ai reçu de M. Jean-Luc Mélenchon et des membres du groupe La France insoumise une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne vais pas répéter les arguments que vous avez déjà entendus et qui nous amènent à critiquer les options qui fondent et organisent votre budget. Puisque nous examinons une trajectoire, je me propose de réfléchir à la question en prenant un autre angle d’attaque. Je suis au moins d’accord avec vous sur un point, monsieur le ministre : prévoir est difficile, et cela demande des efforts.
Le document que vous nous présentez dessine une trajectoire comptable, qui répond à des exigences formulées par la Commission de Bruxelles. Celle-ci, compte tenu de la domination qu’exerce la politique économique de l’Allemagne sur le reste de l’Europe, a une seule obsession, la dette. C’est l’obsession de l’ensemble des États ! Cette obsession est liée à celle de l’Allemagne de maintenir la stabilité des prix, afin de ne pas ruiner la rente, d’une part, et à l’obsession du gouvernement de droite allemand d’avoir un euro fort, de manière à se procurer plus facilement les marchandises dont ont besoin les rentiers, d’autre part.
La Commission européenne mène donc une politique intraitable pour faciliter la politique de l’offre, ce qui implique de réduire les coûts salariaux et d’externaliser les coûts écologiques et sociaux, qui sont aujourd’hui assumés par la société, pour qu’ils ne soient plus inclus dans les comptes publics. Telle est sa trajectoire générale. Dans cette perspective, la dette sert de rayon paralysant.
Si on veut bien y regarder de près, depuis maintenant quinze ans que ces politiques sont appliquées, elles ont échoué. Et elles ont échoué du point de vue de leurs propres objectifs – pas seulement de notre point de vue. Je ne parle pas, en effet, de tout ce qui aurait dû être fait et qui ne l’a pas été. Je note seulement que l’on a imposé des choses à tous les pays d’Europe pour faire baisser la dette et que celle-ci a explosé partout. Elle a explosé chez nous, comme ailleurs, mais nous aurions tort, nous, Français, d’être prostrés dans la culpabilité. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent que la France a vécu au-dessus de ses moyens. Ce n’est pas vrai. (« Si ! » sur quelques bancs du groupe REM.) La France a dû faire face à des coûts qui lui ont été transférés, et si la dette française a fait ce bond, c’est d’abord parce que l’Allemagne a un jour décidé de donner 1 mark de l’Ouest pour 1 mark de l’Est. À partir de ce jour-là, les taux d’intérêt ont explosé et nous, Français, pendant dix ans, nous avons payé les conséquences de cette unification monétaire, sur laquelle personne ne nous a demandé notre avis. Et le traité de Maastricht ? C’était déjà une politique qui visait à protéger la rente. Le premier gonflement de la dette a eu lieu à ce moment-là. Ensuite, les choses se sont aggravées du fait des taux excessifs, puis de la crise de 2008.
Mais j’en reviens à ma démonstration. Si notre ennemi, c’est la dette, alors nous sommes en état d’alerte maximale sur la planète entière. Voilà, c’est exactement cela ! Je ne vous reprocherai pas de ne pas l’avoir prévu, monsieur le ministre, car je reconnais que vous ne pouvez rien prévoir en la matière. Il y a un risque majeur d’explosion de la dette financière, qui englobe toute l’économie-monde à cette heure. Ce diagnostic ne m’est pas personnel et il a déjà été formulé depuis un moment.
Il y a des raisons structurelles à cela, et la financiarisation de l’économie est la première des choses que l’on devrait bloquer si on est vraiment soucieux d’avoir une économie productive réelle. Or vous ne le faites pas et, pire, vous amplifiez les moyens d’alimenter cette bulle financière, en supprimant, par exemple, l’impôt qui porte sur les avoirs mobiliers. Dans ces conditions, on peut dire que vous avez apporté une contribution au gonflement de la dette.
J’ai apporté un texte que je voudrais vous lire, et qui n’a pas été écrit par un penseur ou un économiste de ma famille politique – vous ne pourrez donc pas me reprocher d’être en vase clos. Le texte en question a paru dans Les Échos , un journal qui ne m’est pas particulièrement favorable, et il porte sur cette question de la dette mondiale. Les propos rapportés sont notamment ceux d’un gouverneur de la Banque de France, qui n’a pas non plus la réputation d’être un gauchiste. Voici ces propos, que je partage totalement : « Les politiques économiques des pays du G7 nous conduisent tout droit vers une crise du système financier international. Ces politiques sont irresponsables, que ce soit dans les domaines monétaire, macroéconomique ou dans les domaines climatique et de la défense ». Et encore : « Les apprentis sorciers ont construit un modèle de croissance basé sur la dette qui nous conduit tout droit vers le prochain krach financier. » Qui est exactement l’auteur de ce texte, monsieur Mélenchon ? Ce krach est imminent, si l’on compare le niveau de la bulle boursière à ce qu’il était en 2008, et surtout si l’on prend en compte le montant total de la dette mondiale, et spécialement celui de la dette privée, laquelle est bien plus dangereuse que la dette publique. En effet, la dette publique est garantie par les États, alors que la dette privée n’est garantie par personne. Par conséquent, le meilleur moyen de parer au défaut de la dette, c’est d’abord de parer au défaut de la dette privée.
Pour cela, il y a une seule et unique méthode. Ah non, pardonnez-moi : il y en a plusieurs, et c’est l’histoire qui nous l’apprend.
La première consiste à payer. Mais ce n’est plus possible, car le niveau de la dette est tel qu’on ne peut pas la payer, à conditions économiques constantes.
La deuxième solution est rugueuse, mais bien connue : c’est la guerre. On casse tout et on reconstruit. Cela s’est produit à plusieurs reprises dans notre histoire, avec les deux guerres mondiales. La troisième solution, c’est l’inflation. La quatrième, c’est le défaut. Nous n’avons pas prévu la deuxième option ! Je sais bien que vous ne l’avez pas prévue mais, hélas, pour des raisons multiples, M. Trump a plus d’importance que M. Darmanin dans les événements mondiaux… Et vous le regrettez ? (Sourires.) …et même que M. Mélenchon. Eh bien oui, je le regrette, parce que je préfère un Français à n’importe quel autre.
Puisque vous me donnez l’occasion d’évoquer cette question, j’aimerais que nous examinions le rôle que jouent l’économie d’armement et l’économie de guerre dans le fonctionnement des États-Unis d’Amérique et dans la dynamique de son économie particulière. On comprend mieux, alors, que M. Trump n’est peut-être pas seulement l’irresponsable ou le dément que l’on croit. C’est un homme qui, avec un esprit de méthode, est en train de remettre en place les conditions d’un affrontement, parce que c’est de cette manière que tourne aujourd’hui l’économie nord-américaine : elle repose sur l’économie d’armement.
Tous les présidents libéraux ont remis en route des programmes d’armement. Pendant la guerre d’Afghanistan, par exemple, 85 % de l’argent que les États-Unis ont déversé là-bas sont revenus directement dans leurs caisses, parce que ce sont des compagnies américaines qui fournissaient les armes.
Mais je ne veux pas m’éloigner excessivement de mon fil directeur. C’est déjà fait ! Nous savons ce qui va nous percuter, et tout cela contribue à l’économie de la dette. Il vous est peut-être égal que tout le monde risque d’être ruiné, mais pour nous, ça a de l’importance. Comment, donc, parer à cette dette impayable ?
S’agissant de celle des États, je renouvelle à cette tribune une proposition que j’ai déjà faite : il faut organiser en Europe une conférence de la dette. Nous préférons que le moratoire sur la dette soit discuté avec les partenaires et organisé techniquement, avec le concours de la Banque centrale européenne, plutôt que de la laisser dégénérer pour qu’elle aboutisse, soit au défaut de l’un des pays membres, soit à une compétition aggravée entre les peuples, notamment sur leurs conditions sociales, qui produise l’explosion des nationalismes absurdes, aveugles et haineux, comme ceux que l’on voit se déchaîner aujourd’hui dans toute l’Europe de l’Est.
La deuxième solution, c’est évidemment de procéder à une relance, à la fois sociale et écologique. Pour aggraver la dette ! Quand on prononce le mot « relance », on nous répond toujours par le mot « dette », et c’est toujours le même cycle. On nous dit qu’on ne fera pas de relance pour ne pas alourdir la dette et, à la place, on fait des coupes budgétaires. Or le budget que vous nous présentez pour les années à venir accumule les coupes budgétaires, presque à hauteur de 100 milliards d’euros. Ces 100 milliards, ce sont déjà les investissements qui ont manqué pendant le quinquennat de François Hollande. Ben voyons ! S’agissant de la relance sociale, je ne donnerai qu’un seul exemple, même si, hélas, j’en aurais tant à donner. Si seulement on se préoccupait de l’humain, on irait mieux ! Je prendrai un exemple sur lequel nous pourrions tous être d’accord, puisque nous la proclamons sans cesse dans nos discours – je veux parler de l’égalité entre les hommes et les femmes. Si l’on établissait l’égalité salariale, nous aurions 33 milliards d’euros de recettes supplémentaires pour l’État ; nous aurions 6 milliards d’euros d’épargne en plus et 22 milliards d’euros de hausse de la consommation. Ces chiffres ont été établis par des organismes dont on conteste la compétence, ce qui est bien normal, puisqu’on a le droit de tout contester – ce qui compte, à la fin, c’est ce que la raison est capable de prouver.
S’agissant de la relance écologique, j’entends bien, monsieur Darmanin, que vous ne pouvez pas prévoir les typhons et les tempêtes. Mais, tout de même, vous pouvez prévoir que les événements climatiques extrêmes qui, nous le savons, ne manqueront pas d’arriver, auront un impact sur l’économie. Mieux vaudrait donc prendre les mesures à temps, c’est-à-dire lancer la transition énergétique dont notre économie a besoin.
Nous devons aussi avoir une réflexion plus profonde, que l’on peut mettre en mots, mais aussi en chiffres. Je suis certain, monsieur Darmanin, que vous ne seriez pas opposé à tous ces projets de relance, si l’on ne vous disait pas que vous allez creuser la dette. Tel est le cercle vicieux dans lequel nous sommes enfermés. Il faut une relance si nous voulons éviter le défaut de la dette privée et de la dette publique. Mais non ! La relance de l’activité, si elle est fondée sur autre chose que l’idée de la croissance pour la croissance, si elle a un contenu écologique, alors c’est un bienfait qui ruisselle sur toute la société : ce sont des techniques nouvelles que l’on imagine, des moyens nouveaux que l’on invente et c’est, surtout, une contribution à l’histoire universelle de l’humanité. Ben voyons ! Monsieur le ministre, dans le plan de marche que vous nous proposez, il n’y a aucune prise en compte des risques climatiques, rien n’est prévu pour la fermeture des centrales nucléaires, et encore moins pour la transition écologique, qui nécessiterait, j’en conviens, d’énormes efforts budgétaires. Dans notre programme « L’avenir en commun », nous avions prévu 100 milliards d’investissement pour cette transition écologique – c’est vous dire quel est notre retard. Mais ce ne sont jamais que les 100 milliards d’investissement que l’on a perdus pendant la présidence de François Hollande. Or il ne faut pas affaiblir les capacités productives de notre pays.
Et la première de ses capacités productives est ce qu’il y a dans la tête de sa jeunesse, de tous ceux qui vont à l’université et obtiennent des diplômes, améliorant ainsi le niveau de qualification du pays. Pardon de vous le dire, il y a un lien avec les restrictions que l’on est en train de mettre en place après avoir mené une politique irresponsable de numerus clausus – mais vous n’êtes pas redevable de cette dernière, monsieur le ministre, je reconnais qu’elle avait commencé antérieurement. Si l’on a connu ces rentrées terrifiantes, avec le tirage au sort, c’est qu’il s’était passé bien des choses auparavant et que certains l’avaient voulu.
Qu’obtiendrez-vous en amont ? Naturellement, des jeunes gens qui contracteront des dettes étudiantes. En avant, encore de la dette ! Nous aurons peut-être la surprise de voir la bulle financière mondiale éclater à cause de la dette étudiante aux États-Unis d’Amérique. Selon les pronostics d’une partie des économistes, c’est l’une des causes les plus probables d’un éventuel effondrement du système financier mondial. Citez vos références !