XVe législature
Session ordinaire de 2017-2018

Séance du mardi 27 mars 2018

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi de M. Raphaël Gauvain et plusieurs de ses collègues portant transposition de la directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites (nos 675, 777, 775).
Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
La parole est à M. Philippe Latombe. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, afin de disposer d’avantages concurrentiels, les entreprises investissent pour développer un savoir-faire et acquérir des informations utiles à leurs activités. Dans notre économie de la connaissance, une grande partie de la valeur d’une entreprise repose sur des biens immatériels.
Différents moyens permettent de protéger ces savoirs, notamment l’utilisation des droits de propriété intellectuelle ou le droit d’auteur. Il existe toutefois des savoir-faire et des informations qui ne peuvent bénéficier de ce type de protection, mais qui ont néanmoins une valeur et doivent rester confidentiels : ce sont les « secrets d’affaires ».
Partant du constat que ces derniers ne sont pas protégés de manière uniforme sur le territoire européen, la directive 2016/943/UE du 8 juin 2016 s’est attachée à établir un niveau suffisant, proportionné et comparable de réparation en cas d’appropriation illicite d’un secret d’affaires. Elle vise également à harmoniser la définition du secret des affaires, ainsi que les cas dans lesquels la protection du secret des affaires ne peut être opposée, afin notamment de garantir la liberté d’expression, et en particulier la liberté de la presse.
La proposition de loi que nous examinons vise à transposer cette directive ; cette transposition doit intervenir avant le 9 juin 2018.
Sur la forme, il faut remarquer que, pour des raisons d’agenda, la transposition de cette directive s’est faite par initiative parlementaire et non par le biais d’un projet de loi. C’est, à notre connaissance, inédit. Le groupe MODEM le regrette, car l’utilisation d’un tel véhicule restreint encore un peu plus la possibilité d’initiative parlementaire. De plus, le texte n’est de ce fait accompagné ni d’une étude d’impact ni d’un avis
a priori du Conseil d’État.
Je reconnais bien volontiers que les torts sont partagés : le gouvernement précédent aurait eu tout loisir d’effectuer cette transposition, au lieu de la laisser à ses successeurs.
Par ailleurs, compte tenu de la sensibilité et de la complexité du sujet, le rapporteur Raphaël Gauvain a décidé de saisir le Conseil d’État pour avis sur ce texte. Il faut ici l’en remercier vivement, comme il faut remercier le Conseil d’État qui a bousculé son calendrier pour rendre un avis avant la réunion de la commission des lois, qui s’est tenue la semaine dernière.
Sur le fond, cette proposition de loi reprend la définition du secret des affaires donnée par la directive : est secrète l’information qui n’est pas « généralement connue ou aisément accessible à une personne agissant dans un secteur […] traitant habituellement de cette catégorie d’information », dont la valeur commerciale – effective ou potentielle, point qui a suscité des discussions – est due à son caractère secret, et qui a « fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables ». Cette définition nous semble conforme à l’esprit de la directive. Nous souhaiterions toutefois qu’elle soit précisée ; j’y reviendrai.
La proposition de loi définit également les détenteurs licites du secret d’affaires, les modes illicites d’obtention, d’utilisation ou de divulgation d’un secret d’affaires, ainsi que les dérogations à la protection du secret d’affaires.
Il nous semble que les dérogations prévues par le texte que nous examinons aujourd’hui correspondent à celles dont la directive dresse la liste. Nous tenons ici à rassurer certains de nos concitoyens inquiets : le secret des affaires n’est pas opposable aux journalistes, aux lanceurs d’alerte ou aux salariés dans l’exercice de leur droit à l’information et à la consultation.
La proposition de loi prévoit par ailleurs les mesures qui peuvent être ordonnées par le juge pour prévenir, faire cesser ou réparer une atteinte au secret des affaires. Les juridictions civiles pourront prescrire, y compris sous astreinte, toute mesure proportionnée de nature à empêcher ou à faire cesser une atteinte au secret des affaires. Elles pourront également ordonner que les produits résultant de l’atteinte au secret soient rappelés, modifiés, détruits, voire confisqués au profit de la partie lésée. Nous pensons que le choix de ne prévoir qu’un engagement de la responsabilité civile, et non pénale, de l’auteur d’une atteinte au secret des affaires est le bon.
Enfin, la proposition de loi permet aux juridictions de mettre en œuvre, en cours d’instance, des mesures de protection du secret d’affaires, telles que les audiences à huis clos, un accès restreint aux documents ou une obligation de motivation aménagée.
Le Conseil d’État a considéré que, dans l’ensemble, cette proposition ne contenait pas de surtransposition, regrettant même que le législateur n’ait pas fait davantage usage des marges de manœuvre offertes par la directive. Il a par ailleurs regretté que la transposition n’ait été accompagnée ni d’une coordination avec le droit positif ni d’une réflexion sur l’articulation avec les notions voisines. Nous tenons à ce titre à remercier le rapporteur d’avoir inséré dans le texte des adaptations au code de justice administrative et nous avons noté que certains des amendements qu’il défendra aujourd’hui permettront de répondre aux préconisations du Conseil d’État concernant la mise en cohérence des notions au sein du droit français.
Les travaux en commission ont été fructueux et ouverts. Certains de nos amendements, issus de l’avis du Conseil d’État, ont été repris par le rapporteur et adoptés.
Il reste à notre sens deux points à discuter dans cet hémicycle ce soir. D’une part, nous devrons reparler de l’inscription de la mention « confidentiel » sur les documents en entreprise, pour mieux spécifier ce qui relève explicitement du secret, à l’instar de ce qui se pratique avec les instances représentatives du personnel, les IRP, et les documents intégrés dans la base de données sociales.
D’autre part, il y aura, si cette proposition de loi est adoptée, une double définition des lanceurs d’alerte : celle de la directive et celle de la loi Sapin 2. Pour clarifier l’articulation entre les deux définitions et supprimer les mots « y compris », nous proposerons un amendement de compromis que nous souhaiterions vivement voir adopté ce soir.
Le groupe MODEM et apparentés, regrettant les modalités du dépôt de cette proposition, est favorable à ce texte, qui permettra de combler des lacunes dans la législation française, et d’harmoniser les règles au niveau européen, dans une démarche favorable à la compétitivité des entreprises. Cette harmonisation européenne est indispensable et nous nous félicitons de pouvoir en être partie prenante. Nous voterons donc avec enthousiasme cette proposition de loi.
La parole est à M. Yves Blein. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, quelle vision avons-nous de l’Europe ? Quel est notre projet ? Transposant une directive européenne, la directive 2016/943/UE du 8 juin 2016, nous pourrions sans doute nous attarder sur tel détail technique de la propriété de données ou échanger longuement sur la délicate question de la liberté de l’information mise à disposition du public. Aurions-nous pour autant créé de « l’envie d’Europe » ? Aurions-nous exprimé une ambition européenne, aurions-nous mis en valeur la qualité et la nécessité de la solidarité entre les membres de l’Union européenne ? Je ne le crois pas.
Avec ce texte, nous ne nous transformons pas – comme un député membre de la commission des affaires économiques se plaisait à le dire lors des débats – en « petits télégraphistes » de la technocratie européenne ; nous affirmons que nous voulons construire une Europe protectrice, forte, dans un monde ouvert, où ses interlocuteurs s’appellent la Chine, les États-Unis, la Russie, l’Inde, le Japon et tant d’autres.
Ne rien faire serait pécher par naïveté. Laisser chaque État membre se débrouiller seul avec la protection de ses intérêts économiques serait tout simplement créer les conditions pour que la plupart de nos vingt-sept partenaires deviennent une proie facile pour d’autres économies plus puissantes, mieux armées et surtout mieux défendues. Ce serait manquer au devoir de solidarité de l’Europe envers chacun de ceux qui la composent. Nos partenaires doivent au contraire sentir que leurs économies sont protégées par un ensemble qui les transcende. Cette défense commune de nos intérêts fait naître l’idée que le sentiment européen, l’Union européenne, ne sont pas de vains mots mais une réalité tout à fait concrète et tangible.
Oui, mes chers collègues, ce texte, et avec lui la directive que nous transposons, sont l’expression d’un projet européen que nous voulons ambitieux, fort, construit et protecteur pour nos économies.
Nous devons nous protéger, protéger nos marques et nos secrets de fabrique, mais parce que nous sommes européens, cette exigence ne saurait faire obstacle à une information de qualité à laquelle doivent pouvoir justement prétendre tous les citoyens européens. C’est la double dimension de ce texte. Il définit le secret des affaires et fixe les conditions dans lesquelles ce dernier peut être invoqué ; il définit les sanctions qui peuvent être encourues par ceux qui tentent de le violer. Mais il préserve également la nécessaire transparence, due en particulier aux consommateurs.
C’est ainsi que la présente proposition de loi prévoit des dérogations à la protection du secret des affaires ; nécessaires au respect des droits fondamentaux, elles permettront de s’assurer que l’exercice de la liberté d’expression et de communication, tout comme la liberté d’investigation, sont protégés. Nous devons garantir ces libertés parce qu’elles nous protègent – parfois contre nous-mêmes. Nous devons protéger les lanceurs d’alerte, les salariés, les représentants du personnel, et plus généralement tous ceux qui peuvent prendre l’initiative de révéler une information pour motif d’intérêt général.
L’exercice de ces droits fondamentaux ne doit néanmoins pas empêcher une solide protection des
process, des modes de fabrication, de la liste des ingrédients de tel ou tel produit, dès lors que ceux-ci constituent – quand bien même ils ne sont parfois que virtuels – la richesse, le capital de l’entreprise et de ceux qui œuvrent à sa réussite et à ses performances.
Sur ce plan, la directive améliore incontestablement la sécurité juridique des échanges ; elle rend parfaitement clair et accessible le dispositif civil de protection du secret des affaires, qui ne relèvera plus de dispositions jurisprudentielles, mais pour l’essentiel de dispositions complètes et précises, à la fois législatives et réglementaires.
Il est délicat de définir l’équilibre entre protection des données en regard de la concurrence internationale et nécessaire transparence. Ce texte constitue l’aboutissement d’une réflexion entreprise il y a plusieurs années ; il n’arrive pas, comme certains voudraient le faire croire, ainsi qu’un cheveu sur la soupe. En 2011, Bernard Carayon avait déjà déposé une proposition de loi sur ce sujet ; en 2014, Jean-Jacques Urvoas a proposé d’instituer un régime de responsabilité à la fois civile et pénale. Plus tard, la loi Sapin 2 s’est penchée sur la définition des lanceurs d’alerte.
Le texte que nous examinons aujourd’hui, et dont je souhaite qu’il soit adopté, est donc le fruit du cheminement d’une réflexion engagée il y a plusieurs années.
La commission des affaires économiques, saisie pour avis, a pu débattre de l’intérêt pour les entreprises françaises d’un texte qui vienne enfin mieux protéger leurs activités. À l’heure où la propriété de données numériques constitue souvent une véritable base de vie pour nos entreprises, à l’heure aussi où les intrusions se font de plus en plus hargneuses et sophistiquées, il était essentiel de réagir et de ne pas faire preuve d’angélisme.
L’espionnage industriel se fait aujourd’hui aussi sur le tapis vert : les règles du commerce mondial amènent parfois à devoir exposer des secrets appartenant à l’entreprise – et fondant sa richesse.
Notre rôle était également de nous assurer – et c’est pour nous un objectif constant – que la transposition de la directive n’imposait pas à nos entreprises des contraintes juridiques qui viendraient s’ajouter aux demandes européennes. Il nous est apparu que tel n’était pas le cas.
C’est donc avec plaisir, et surtout avec la conviction de faire œuvre utile en faveur de nos entreprises exposées à la concurrence internationale, que nous soutiendrons l’adoption de ce texte.
La parole est à M. Dominique Potier. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, il n’y aura dans mon propos ni posture ni procès d’intention. Vous avez maintes fois répété rechercher un équilibre entre, d’un côté, la juste protection des secrets de fabrication de nos industriels et, de l’autre, la transparence et la liberté, principes démocratiques qui nous réunissent ; je vous fais crédit de cette volonté.
Je suis animé d’une conviction profonde, inébranlable : le grand enjeu de notre siècle, c’est le rééquilibrage entre la puissance publique et la puissance privée. De grandes sociétés transnationales peuvent aujourd’hui allouer des ressources et fixer des normes comme jamais. Cette puissance s’exerce au-delà de la raison, souvent dans la démesure. L’un des grands enjeux contemporains de la démocratie est de fixer des limites, de permettre la délibération, de garantir l’exercice des droits, d’assurer cet équilibre des pouvoirs dans un monde où la financiarisation et la globalisation ont confiné à la démesure la capacité des uns et la fragilité des autres. Nous devons rééquilibrer la puissance publique et la puissance privée.
On a souvent critiqué le dernier mandat – je l’ai fait moi-même, parfois –, mais nous pouvons être fiers de certains combats, en particulier de ceux qui nous ont portés au bon niveau des standards européens. Grâce à la volonté des parlementaires, souvent plus que sur l’initiative du Gouvernement, nous sommes parvenus à résorber le retard que notre pays a connu à la fin de l’époque Sarkozy.
Je pense à un amendement pirate visant à exiger une transparence des banques pour lutter contre les paradis fiscaux, que nous avons réussi à faire adopter au cours de l’examen du projet de loi de régulation et de séparation des activités bancaires. Je pense à une mesure innovante que nous avons réussi à inscrire dans la loi Sapin 2, mais qui est passée inaperçue, pour lutter contre les « fonds vautours ».
Grâce à ces dispositions, notre législation est aujourd’hui la plus avancée d’Europe sur ce sujet. Ce n’est pas un sujet mineur, vu des pays du Sud.
De même, notre législation est réputée la plus conforme aux standards européens concernant les lanceurs d’alerte. Quant à la lutte contre la corruption, nous nous sommes mis à niveau.
Mais il y a un domaine, madame la garde des sceaux, dont je suis particulièrement fier et sur lequel je voudrais appeler votre attention, car nous sommes un jour anniversaire. Il y a exactement un an, le 27 mars 2017, non seulement nous avons atteint le niveau des standards européens, mais nous avons inventé une manière de fixer le droit dans les multinationales, qui inspire aujourd’hui une partie du monde. La loi sur le devoir de vigilance a été promulguée il y a exactement un an. Cette loi qui permet, par un plan de vigilance, de prévenir les atteintes graves à l’environnement, de protéger les droits humains, de lutter contre le travail des enfants dans les chaînes de production, par exemple, est due à une formidable cordée de la réussite, qui a réuni des organisations non gouvernementales – Sherpa, Amnesty International, le Comité catholique contre la faim et pour le développement, les collectifs RSE – responsabilité sociétale de l’entreprise – et j’en passe.
Je voudrais saluer, à cet égard, Danielle Auroi et Philippe Noguès, les deux parlementaires avec qui nous avons formé une équipe pour mener ce combat pendant quatre ans, contre un Gouvernement qui n’en voulait pas, et des multinationales qui faisaient le siège de l’État.
Je voudrais citer également le monde intellectuel, notamment le Collège des Bernardins qui, à l’issue d’un cycle de neuf ans, a obtenu au travers du rapport Senard-Notat, que s’opère une véritable révolution culturelle dans la conception de l’entreprise au XXIe siècle, laquelle a inspiré le devoir de vigilance.
Je voudrais citer encore les syndicats qui ont mené tous ces combats. Imaginer qu’ils soient aujourd’hui fragilisés par ce texte – involontairement, je veux bien le croire – est difficilement concevable. Nous ferons tout ce soir pour vérifier, avec la plus extrême attention, que les ONG, les lanceurs d’alerte, toutes les parties prenantes qui peuvent ouvrir les portes et les fenêtres des entreprises, soient autorisées à poursuivre leur œuvre, à introduire ces principes de démocratie, de délibération, à faire émerger la vérité et à établir de nouveaux droits en dénonçant les scandales, même quand ils n’en sont encore qu’au stade de la légalité.
Ce mouvement est irréversible. C’est le grand mouvement contemporain, celui du rééquilibrage de la puissance publique et de la puissance privée. Puisque nous semblons partager la même philosophie, acceptez la poignée d’amendements qui feront toute la différence et lèveront toute ambiguïté. C’est la demande insistante que je formule, au nom des combats que nous avons menés, au nom de ceux qui sont les plus fragiles aujourd’hui et dont nous voulons réaffirmer les droits. Nous devons redonner des pouvoirs aux citoyens, rééquilibrer notre démocratie, préparer des voies d’espérance pour le siècle à venir.
Ne fermez pas la boîte noire de la mauvaise face des entreprises, dont nous voulons tourner la page. Il ne s’agit pas, pour reprendre les propos de François Ruffin, de considérer que les empires ou les seigneurs sont bons ou mauvais par nature, il s’agit simplement de dépasser ces systèmes et d’inventer des démocraties modernes.
(Applaudissements sur les bancs du groupe NG.) La parole est à Mme Naïma Moutchou. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, à la suite des affaires des Panama papers et de LuxLeaks , nos collègues eurodéputés ont massivement voté, le 8 juin 2016, la directive relative à la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites – directive dite « secret des affaires ».
Il s’agit de rattraper le retard que l’Union européenne accuse sur les États-Unis, le Japon ou la Chine en matière de protection des entreprises contre l’espionnage industriel.
La valeur ajoutée d’une entreprise tient à sa capacité à se montrer compétitive et à créer de la richesse. La France est un grand territoire d’entreprises innovantes. Pour rester dans la course de l’économie de marché, il faut nécessairement en protéger le savoir-faire.
Dans le contexte d’une économie mondialisée, nous savons que notre cadre juridique actuel n’est pas suffisant pour protéger efficacement les informations sensibles des entreprises. La propriété industrielle – avec le droit des marques et des brevets – et le droit d’auteur pour les logiciels d’entreprise n’offrent que des réponses imparfaites aux nouvelles exigences de protection. La transposition de la directive, dans le sens de cette protection, nécessite des modifications de niveau législatif avant le 9 juin 2018. C’est l’objet de la proposition de loi déposée par le groupe La République en marche.
Ce texte ne comporte que deux articles. Pourtant, les débats en commission ont été vifs, ce qui est normal, car il nous revient de concilier secret des affaires et liberté d’entreprendre, avec liberté d’expression et droit à l’information du public.
Sur le fond, l’article 1er pose la définition du secret des affaires en reprenant les trois critères prévus par l’article 2 de la directive : une information connue par un nombre restreint de personnes, ayant une valeur commerciale en raison de son caractère secret et qui fait l’objet de mesures particulières de protection.
Qu’il s’agisse d’une recette, d’un brevet, d’un secret de fabrication, d’une donnée économique stratégique ou d’un document interne, ces informations confidentielles peuvent effectivement s’avérer précieuses.
L’information peut avoir une valeur commerciale, par exemple, lorsqu’elle constitue, pour son détenteur, un élément de potentiel scientifique et technique, un intérêt économique ou financier, une position stratégique ou une capacité concurrentielle. Elle doit donc être protégée, car il y va de la stabilité, voire de la survie, de l’entreprise.
Mais ce secret peut parfois entrer en contradiction avec l’intérêt général. S’il est admis, dans une démocratie moderne, qu’une entreprise doit publier chaque année ses bilans, rendre compte à ses salariés des décisions qu’elle prend ou coopérer avec la justice, le droit d’informer doit pouvoir justifier de révéler certaines informations au grand public.
C’est cette tension entre deux objectifs parfois antagonistes qui a été au cœur de nos débats et qui le sera, sans nul doute, encore ce soir.
Voilà pourquoi nous avons prévu plusieurs exceptions à la protection du secret des affaires : pour les journalistes de manière à préserver l’exercice d’une liberté d’expression consacrée à laquelle nous sommes tous attachés ; pour les lanceurs d’alerte chaque fois qu’ils dénonceront une faute, un acte répréhensible ou une activité illégale, dans le dessein de protéger l’intérêt général ; pour les salariés ou représentants du personnel lorsqu’ils ont connaissance d’informations relevant théoriquement du secret des affaires mais nécessaires à leur propre défense contre un employeur.
La combinaison de ces dispositions empêchera-t-elle, demain, de révéler de nouveaux scandales ? C’est une inquiétude légitime, mais la réponse est non ! Tous les scandales relevant du débat d’intérêt général, particulièrement lorsqu’ils concernent des entreprises ou des dirigeants politiques, continueront d’être légitimement dévoilés, et en toute légalité. Je pense aux affaires de fraude ou d’évasion fiscale, aux questions liées à l’ordre public, à la sécurité ou à la santé publique, mais aussi aux risques environnementaux : celui qui révélera les procédés polluants d’une entreprise ne pourra plus être poursuivi sur le fondement du secret des affaires.
Le rapporteur a également souhaité protéger plus efficacement les journalistes et les lanceurs d’alerte en adoptant un amendement qui crée un régime autonome d’amende civile, avec un plafond majoré, que les juges pourront prononcer dans les cas de procédure abusive – dites « procédures baillons » – ou de demande disproportionnée de dommages et intérêts.
Dans le même sens, l’amendement de Mme Karamanli adopté en commission des lois permettra de mieux couvrir le champ de protection de ceux que l’on veut protéger.
Enfin, certains écueils, comme la poursuite en diffamation de professeurs d’université pour avoir commenté des décisions de justice dans des revues spécialisées, pourront être évités.
Mes chers collègues, ce texte équilibré protégera à la fois les savoir-faire professionnels, le patrimoine immatériel des entreprises, et les libertés fondamentales, l’exercice du métier de journaliste et les activités des lanceurs d’alerte. Pour ces raisons, je vous invite à le voter.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. Jean Terlier. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues, à peine adoptée à une large majorité le 14 avril 2016, la directive européenne relative à la protection des secrets d’affaires était déjà attaquée par de nombreux représentants d’ONG, par des journalistes ou des membres de la société civile, qui dénonçaient une atteinte aux droits et libertés fondamentales, notamment pour les salariés, les journalistes et les lanceurs d’alerte.
Pourtant, sa transposition ne doit laisser aucun doute quant à ses seuls objectifs, qui sont de définir et de protéger le « secret d’affaires » des entreprises, quant à sa seule vocation, qui est de les protéger contre l’espionnage industriel et économique, de protéger leurs savoir-faire, de garantir leur discrétion et leurs intelligences intellectuelles et matérielles.
La tradition économique et entrepreneuriale française s’inscrit depuis longtemps dans des règles de loyauté et de confiance, d’usage et de coutume, fondées sur la relation contractuelle privilégiée, où l’on tient des confidences, des secrets pour se vendre et pour vendre. Notre système juridique sanctionne d’ailleurs l’utilisation non autorisée de renseignements confidentiels, mais apprécie cette violation comme celle d’un simple principe général de protection se fondant quasi indifféremment sur des dispositions de lutte contre la concurrence déloyale – violation d’une clause de confidentialité – ou sur la jurisprudence, par exemple pénale en recourant aux infractions d’abus de confiance ou de vol.
Cette appréhension française du « secret des affaires » s’avère aujourd’hui trop confuse et inopérante. Les règles jurisprudentielles qui punissent simplement la violation de la bonne foi présumée, de la loyauté, se révèlent limitées et peu protectrices de nos PME contre l’espionnage économique et industriel, le pillage de leurs innovations et de leurs recherches, la violation de leurs secrets de fabrication. La transposition infléchira cet écueil.
Le texte proposé assure une articulation claire et complète entre les dispositions primordiales de protection du secret des affaires et le respect des droits fondamentaux.
Il dote nos entreprises, et particulièrement celles ne disposant pas des moyens de recourir aux procédures de protection de la propriété intellectuelle, d’un cadre juridique clair et accessible, d’un arsenal de recours, de responsabilité et de réparation civile contre l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites de leurs données, de leurs méthodes et stratégies, ou toutes autres qualités et caractéristiques qui font d’elles des entreprises singulières et performantes.
En usant de ces marges de manœuvre, cette loi prévoit des dérogations garantes de la liberté d’information et d’expression.
Parce que le secret des affaires ne peut pas s’appliquer lorsqu’il s’agit
d’« exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse », le journaliste est protégé de toutes actions en opposition à publication d’une enquête ou en réclamation de dommages et intérêts.
Par ailleurs, les personnes qui révèlent « de bonne foi une faute, un acte répréhensible ou une activité illégale dans le but de protéger l’intérêt public général » ne peuvent se voir opposer ce secret. Or, par référence à la loi Sapin 2, les lanceurs d’alerte sont également exclus du champ de la responsabilité.
Enfin, parce que les salariés sont les salariés, elle reconnaît leur exception et leur permet d’obtenir des informations internes sur leur entreprise et leur accorde le droit de les transmettre.
En fixant des mesures raisonnables de protection parfaitement conformes au respect du droit à l’information, ce nouvel arsenal transposé doit dissuader les espions et surtout rassurer nos entrepreneurs.
Ainsi, après les échecs, en 2011, de la proposition de notre ancien collègue Bernard Carayon, qui ne visait que la sanction pénale, méconnaissant ainsi la nature civile du contrat, et en 2015 de celle de nos collègues Bruno Le Roux et Jean-Jacques Urvoas qui, par une approche trop globale, banalisaient les craintes de privation de libertés, cette proposition de loi parvient enfin à concilier les exigences européennes d’une protection optimale du secret des affaires avec les libertés d’expression et d’information.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La discussion générale est close.
La parole est à M. Raphaël Gauvain, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Je ferai simplement une observation, en réponse aux différents intervenants. La définition du secret des affaires a animé nos débats en commission des lois, et ce sera encore le cas ce soir. Beaucoup soutiennent que la définition serait trop imprécise, qu’il faudrait l’affiner et que la directive permettrait des marges de manœuvre. C’est faux. Ce texte ne contient aucune marge de manœuvre. La directive est très claire sur ce point : nous sommes dans le cadre d’une transposition minimale, ce qui fait que nous ne pouvons modifier ni la protection qui est due ni la définition du secret des affaires. Nous ne pouvons pas, en conséquence, étendre la définition des exceptions.
Si nous sommes dans le cadre d’une transposition minimale, c’est que l’objectif de la directive est de prévoir la même protection et la même définition en France, en Allemagne ou en Italie. C’est notre engagement européen. Nous reviendrons sur le sujet au cours de la discussion des articles.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi. Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 1er.
La parole est à M. Pieyre-Alexandre Anglade.
S’ils sont de nature diverse, les scandales des LuxLeaks , du fipronil, des Panama papers ou du Mediator, pour ne citer qu’eux, ont tous un point commun : celui d’avoir éclaté dans l’opinion publique grâce à des femmes et à des hommes qui ont mis de côté leur intérêt personnel pour dénoncer des pratiques qui contreviennent à l’intérêt général.
Tous ont eu le courage de mettre à nu la compromission de certains intérêts privés avec pour seul objectif de protéger les citoyens. Les scandales que ces lanceurs d’alerte ont révélés dépassent largement nos frontières. Ils mettent en jeu des intérêts qui s’expriment à l’échelle européenne, voire internationale. À cet égard, la directive que nous transposons par le biais de cette proposition de loi est fondamentale, puisqu’il s’agit du premier texte européen à reconnaître le statut des lanceurs d’alerte et leur capacité d’investigation.
Est-ce suffisant ? Non, car la multiplicité des situations dans lesquelles les lanceurs d’alerte peuvent être impliqués, la diversité des domaines dans lesquels ils poursuivent leurs investigations et, surtout, l’importance qu’ils ont dans notre société légitiment qu’un texte européen à part entière leur soit dédié.
Ne nous trompons pas : la directive sur la protection des secrets d’affaires s’adresse en premier lieu aux PME en vue de préserver leur capacité d’innovation face à la concurrence mondialisée. C’est une bonne chose.
Toutefois, puisque les lanceurs d’alerte sont les garants de la protection de l’intérêt général européen, un texte européen protecteur et homogène doit leur être consacré. La Commission européenne semble enfin décidée à apporter une réponse européenne à l’isolement des lanceurs d’alerte, puisqu’une proposition de directive qui leur est dédiée est inscrite à l’ordre du jour de la réunion du collège des commissaires du mardi 10 avril prochain. Nous suivrons donc avec vigilance les propositions de la Commission en la matière, afin que les lanceurs d’alerte, ces héros anonymes, soient, eux aussi, enfin protégés par l’Europe.
La parole est à M. Arnaud Viala. Je souhaite simplement rappeler que la transposition de cette directive est évidemment un élément important de compétitivité pour nos entreprises et que nous devons donc veiller à ne pas trop nous éloigner du texte de la Commission européenne.
En revanche, pour être à l’écoute de nos concitoyens, notamment de ces acteurs que sont les représentants du personnel et les journalistes, j’espère que nos débats feront œuvre de pédagogie, s’agissant notamment des garde-fous que le texte prévoit, de façon que personne n’ait le sentiment que la directive, dont le titre contient le mot « secret », engendrera l’omertà sur des pratiques dont nous ne voulons pas et que le texte n’a pas vocation à faciliter.
La parole est à M. Sébastien Jumel. Pour que le débat se déroule dans de bonnes conditions, je propose que nous en finissions avec la posture, ou le préjugé, consistant à supposer que ceux qui militent pour préserver les lanceurs d’alerte, consolider les capacités d’investigation des journalistes et confirmer le rôle des ONG à porter auprès de l’opinion publique des secrets des affaires qui heurtent la morale et violent la légalité, menaceraient la viabilité des entreprises en bousculant la préservation de leurs savoir-faire.
Je tiens tout d’abord à rappeler qu’il existe de nombreux dispositifs législatifs qui protègent ces savoir-faire, notamment la propriété intellectuelle et la propriété industrielle. De nombreuses lois, qui peuvent être améliorées, créent donc les conditions qui permettent aux PME, aux TPE et à l’ensemble des entreprises de consolider la mise en œuvre de leurs savoir-faire.
De plus, vous affirmez cela dans un contexte où l’instabilité capitalistique des entreprises nous fait craindre le pire en matière de siphonnage des savoir-faire. Un grand nombre d’entreprises, en effet, peuvent être siphonnées par des fonds d’investissement prédateurs, c’est-à-dire par des capitaux qui se soucient peu de la raison sociale des entreprises.
Je tiens à vous faire part d’un fait qui m’a été rappelé : il y a deux ans, sur proposition de Nicole Notat, Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, a remis un prix à une entreprise vertueuse, Lafarge, qui, depuis, paraît mal à l’aise avec le secret de ses relations avec certains pays, relations qui bousculent les fondamentaux de la République – je n’en dirai pas davantage, afin de ne pas interférer avec une enquête en cours. Je tenais simplement à rappeler que le secret des affaires peut mettre en cause les fondamentaux de la République.
Cette transposition à la va-vite de la directive empêchera toute alerte sur des sujets aussi importants.
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR et FI.) Nous en venons aux amendements.
Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 5 et 39, qui visent à supprimer l’article 1er.
La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir l’amendement no 5.
Je ne reviendrai pas sur les arguments que j’ai déjà développés dans le cadre de la discussion générale. Je me contenterai de réagir à ce que je viens d’entendre.
Il est possible de recourir à tous les arguments possibles pour défendre la proposition de loi, sauf à deux : prétendre que la directive a été conçue, d’une part, pour les PME, alors qu’elle a été écrite par les
lobbies des multinationales, et, d’autre part, pour les lanceurs d’alerte, alors que les lanceurs d’alerte eux-mêmes, ainsi que les journalistes d’investigation affirment que ce texte les met en danger et fragilise leur situation et leur statut.
Puisque les propos des députés de l’opposition, que ce soit en commission ou dans l’hémicycle, ne rencontrent que peu d’écho, peut-être écouterez-vous davantage ceux qui sont censés être protégés par votre proposition de loi et qui considèrent au contraire qu’elle est dangereuse. Je fais évidemment référence à la tribune signée par la société des rédacteurs du
Monde et par celle de La Vie , ainsi que par les sociétés des journalistes des Échos , de l’Agence France Presse, de TV5 Monde, du Point , de France 2, du Parisien Aujourd’hui , de BFMTV, de Premières lignes , de Challenges , de RMC,… Et L’Huma ? …de Mediapart, de Télérama , du Journal du dimanche , de Radio France, de l’Humanité , de Libération . Lorsque presque toutes les sociétés de rédacteurs ou de journalistes nous alertent sur les dangers de votre proposition de loi qui transcrit la directive européenne, il ne s’agit plus seulement de quelques députés de l’opposition qui auraient adopté je ne sais quelle posture. C’est l’ensemble des personnes concernées, à savoir les lanceurs d’alerte, les journalistes d’investigation et les ONG, qui font de la transparence un élément clé de la vie démocratique dans notre pays, qui s’insurgent contre ce texte, notamment contre l’absence de protection des lanceurs d’alerte. C’est grave ! C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.) La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir l’amendement no 39. Comme M. Peu, nous demandons, nous aussi, la suppression de l’article 1er.
Il a été dit que ce texte avait pour premier objectif la protection des PME : je tiens à rappeler que l’influence des
lobbies dans le processus législatif européen en général et sur ce texte en particulier n’est plus à démontrer. Il est explicite, puisque ces lobbies ont pignon sur rue. Le contenu de la directive que nous transposons en est un parfait exemple, puisque la Commission a quasiment externalisé la rédaction de celle-ci auprès de cabinets d’avocats, sous la pression des lobbies des multinationales qui l’ont poussée à définir le secret des affaires comme une forme de propriété intellectuelle.
Ce processus, qui est détaillé dans un rapport publié par l’association
Corporate Europe Organisation – CEO –, est fondé sur des centaines de documents. Il ne s’agit donc pas d’une élucubration de La France insoumise.
Le fait que les ONG, quant à elles, n’aient pas été associées à ce processus est, de notre point de vue, gravissime, surtout qu’il s’agit d’un texte qui, portant sur le secret des affaires, met en jeu la protection de nombreux droits fondamentaux individuels et collectifs.
La manière dont a été conçu le texte à transposer explique le fond de la proposition de loi, fondée sur l’intérêt des entreprises privées au détriment de l’intérêt des individus. Elle ne vise pas la transparence mais les petits arrangements dans les salons d’influence, là où le peuple n’est ni invité ni bienvenu.
Le rapport que j’ai évoqué, sur les échanges entre la Commission et les
lobbies industriels, montre que le principal lobby en action dès 2010 fut le Trade Secrets and Innovation Coalition , discret groupe de lobbying qui regroupe des multinationales telles que Air Liquide, Alstom, DuPont, General Electric, Intel, Michelin, Nestlé et Safran : vous le voyez, des PME qui ont très bien réussi. Nous sommes donc très loin de la présentation qui a été faite de ce dispositif.
C’est pourquoi nous vous appelons à voter notre amendement qui conteste ce processus.
Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. Ces deux amendements avaient déjà été défendus en commission. Il faut que la directive soit transférée avant le 9 juin prochain. Elle a de plus été votée par près de 80 % des parlementaires européens. Pas par nous ! J’ai évidemment lu la tribune, que vous avez évoquée, publiée dans Le Monde et signée par de nombreux journalistes. Je la conteste. Ceux qui l’ont rédigée n’ont pas lu notre texte, notamment sur un point : ils soutiennent en effet que la proposition de loi crée une infraction pénale en matière de violation du secret des affaires. C’est faux. Je le répète : ceux qui ont écrit cette tribune n’ont pas lu notre texte. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement. Même avis. La parole est à M. François Ruffin. Les signataires de la tribune, monsieur le rapporteur, y ont apporté des modifications s’agissant de l’infraction pénale. Ils s’interrogent même sur le fait que le civil ait été choisi et que ce soient les juges non professionnels des tribunaux de commerce qui seront chargés de ces affaires, surtout après l’excellent rapport de M. Arnaud Montebourg sur la mafia que forment les tribunaux de commerce. Déléguer à une juridiction aussi partisane, voire corrompue dans certains cas, des questions qui ont trait à la liberté d’expression pose problème en soi.
On nous a par ailleurs opposé l’argument des PME : lorsqu’il était commissaire européen au marché intérieur et aux services, Michel Barnier lui-même cherchait à avoir les PME avec lui. Pourquoi ? Parce qu’il faut cacher les multinationales derrière les PME. J’ai déjà fait cette comparaison dans l’hémicycle : au XVIIIe siècle, les évêques ou les archevêques, lorsqu’ils étaient corrompus, cherchaient à mettre en avant le bon petit curé de campagne. Chacun sait très bien qu’une directive mettant les multinationales en première ligne passerait mal dans l’opinion : il fallait donc en l’occurrence chercher le faux nez des PME, qu’on n’a même pas trouvé !
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. Jean Terlier. Il est surréaliste d’entendre applaudir une telle tirade ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Monsieur Ruffin, traiter les juges des tribunaux de commerce de voleurs ou de bandits est lamentable. De tels propos ne sont pas respectueux du travail de ces juges qui, étant pour la plupart des bénévoles, assurent leurs fonctions de manière digne et intègre.
Vous auriez pu trouver un élément de droit, si vous l’aviez cherché : derrière les tribunaux de commerce, qui constituent un premier niveau de juridiction, il y a les cours d’appel, qui sont composées de magistrats professionnels. Soyez rassuré : la justice est impartiale et fait bien son travail, y compris au sein des tribunaux de commerce. N’ayez aucune inquiétude sur le sujet.
Je vous demande d’avoir un peu de retenue lorsque vous évoquez des personnes qui remplissent leur mission la plupart du temps de manière totalement désintéressée.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Non ! Je maintiens ! La parole est à M. Laurent Furst. La justice n’est pas de sucre. En tant que citoyens, nous avons le droit d’avoir un jugement sur la justice de notre pays : j’accepte donc que l’idée que l’on puisse utiliser l’expression « justice partisane ». Certes, la parole est libre dans cet hémicycle et nul ne peut être poursuivi pour les propos qu’il y tient,… Très bien ! …mais le fait d’affirmer, au détour d’une phrase, que la justice de notre pays est corrompue… C’est honteux ! …revient à briser l’édifice qui permet l’équilibre de toute notre société et de nos institutions. (Applaudissements sur les bancs des groupes LR, LaREM et MODEM. – Exclamations sur les bancs du groupe FI.) Sincèrement, je ne pense pas que l’on s’honore à lâcher de telles phrases qui ne sont aucunement étayées… Ce sont de fausses accusations ! …et qui traduisent simplement une humeur. Exactement ! En tant que parlementaires, nous jouissons d’une parfaite liberté de parole dans cet hémicycle, mais il y a des limites à respecter. On se déshonore en tenant des propos comme ceux-là. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR, LaREM et MODEM.) La parole est à Mme la garde des sceaux. Je ne souhaitais pas prendre la parole sur cet amendement, puisque l’avis du Gouvernement rejoint celui de M. le rapporteur, mais les propos de M. Ruffin et les réactions qu’ils ont suscitées m’incitent à dire quelques mots pour vous assurer de ma confiance dans la justice rendue par les tribunaux de commerce et de l’attention portée par la chancellerie à ces tribunaux. Le Parlement a d’ailleurs renforcé récemment la formation des juges consulaires, de sorte que ces derniers aient désormais l’ensemble des compétences nécessaires pour rendre la justice le mieux possible et qu’ils disposent de tous les éléments indispensables pour ce faire.
Monsieur Ruffin, si vous contestez la loi européenne au motif qu’elle est faite par des
lobbies , si vous contestez la justice française au motif qu’elle est aux mains des lobbies , alors je ne sais pas où nous allons… Je crois qu’il y a là une forme de dérive que je voulais simplement regretter. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Très bien !
(Les amendements identiques nos 5 et 39 ne sont pas adoptés.) Je suis saisie de trois amendements, nos 43, 79 et 10, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Mathilde Panot, pour soutenir l’amendement no 43.
Par cet amendement, nous voulons inverser la charge de la preuve. Vous dites que cette transposition de la directive ne va pas créer une arme de dissuasion contre les lanceurs d’alerte. Nous pensons le contraire. Justement, en acceptant notre amendement de bon sens, vous pouvez prouver que vous ne souhaitez pas que les lanceurs d’alerte ne soient pas protégés.
Selon l’article 1erqui nous est proposé, les lanceurs d’alerte vont devoir montrer leur bonne foi lorsqu’ils sont attaqués par une entreprise plaignante. Au contraire, selon notre amendement, il n’appartiendra plus aux lanceurs d’alerte de prouver leur bonne foi, mais à l’entreprise plaignante de démontrer que la divulgation d’informations est illicite. D’ailleurs, dans toutes les procédures de droit commun, c’est à l’entreprise plaignante de prouver le caractère illicite de l’acte qu’elle dénonce.
Nous reprenons ainsi la proposition d’un collectif d’ONG qui travaillent sur ce sujet depuis la présentation de la première version de la directive. Nous avons notamment rencontré l’une d’entre elles, Pollinis, dans le cadre de notre travail sur ce texte.
Aujourd’hui, nous constatons une asymétrie des moyens : les lanceurs d’alerte sont des individus isolés alors que les grandes entreprises ont de nombreux moyens, notamment juridiques, et peuvent multiplier les procès – nous avons d’ailleurs observé que Vincent Bolloré avait tenté de bâillonner de nombreux médias, dont le magazine
Complément d’enquête , en leur intentant des procès. Aussi notre amendement écarte-t-il le risque que le secret des affaires devienne cette arme de dissuasion dont je parlais à l’instant. Les nombreux scandales du Mediator, des LuxLeaks et des Panama papers ont prouvé l’utilité des lanceurs d’alerte ; alors que la loi Sapin 2 a consacré leur existence légale, il nous revient maintenant de les protéger réellement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe FI.) La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 79. En toute transparence, je vous indique que cet amendement nous a été proposé par une ONG. Il m’a paru empreint de bon sens, dans la mesure où il renvoie à la partie poursuivante le soin d’apporter la preuve de ce qu’elle allègue. Je souhaite que le rapporteur nous dise pour quel motif on ne pourrait pas inverser la charge de la preuve dans ce cas particulier. La parole est à M. Pierre Dharréville, pour soutenir l’amendement no 10. Je voudrais tout d’abord réaffirmer ici que nous pouvons décider souverainement de transposer ou de ne pas transposer les dispositions contenues dans cette directive, en fonction de ce que nous considérons être l’intérêt général.
J’en viens à l’amendement no 10. Aujourd’hui, l’article L. 152-1 du code de commerce est formulé de telle sorte qu’il revient aux acteurs ayant eu accès à l’information protégée par le secret de démontrer qu’ils ont agi en conformité avec la loi. Notre amendement vise à ce que nous nous en tenions à l’esprit du texte européen, à savoir condamner l’usage indu du secret des affaires d’une entreprise par un concurrent. Afin de renforcer les garanties pour ceux qui divulguent le secret sans en tirer aucun bénéfice économique, nous proposons donc de renverser la charge de la preuve : il reviendrait ainsi à la partie poursuivante d’apporter la preuve que les faits qu’elle dénonce sont bien réels.
Il nous a été répondu, en commission des lois, que cet amendement était inutile, car c’est toujours à la personne qui allègue quelque chose d’en apporter la preuve. Soit ! Toutefois, le but de cet amendement n’est pas de préciser l’évidence, mais de décourager les poursuites à l’encontre de toute une série d’acteurs n’agissant pas dans un but économique – notamment les syndicalistes, les lanceurs d’alerte et les journalistes –, mais dans l’intérêt général. En d’autres termes, au-delà de ce propos sur la charge de la preuve, il s’agit ici de rétablir l’équilibre entre l’intérêt général et l’intérêt économique. C’est la raison pour laquelle nous persistons à défendre cet amendement.
(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ? Une fois encore, nous avons déjà débattu de cette question en commission : en vertu des règles actuelles du code civil, il revient à la partie poursuivante de démontrer ses allégations. En l’occurrence, il reviendra donc évidemment à l’entreprise d’apporter la preuve que l’on a porté atteinte à son secret des affaires : elle devra démontrer que les faits reprochés rentrent bien dans le cadre de la définition du secret des affaires et éventuellement débattre avec le journaliste qui prétendra qu’il agissait dans le cadre d’un intérêt public et invoquera l’exception. Nous restons dans le cadre normal d’un procès civil, de cette partie de ping-pong entre les deux parties où la règle de base consiste à démontrer ses allégations. À mes yeux, ces amendements sont donc satisfaits : je leur donne un avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? C’est exactement le même avis, pour les mêmes raisons.
(Les amendements nos 43, 79 et 10, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) La parole est à M. François Ruffin, pour soutenir l’amendement no 27. Il s’agit de proposer une autre définition du secret des affaires. En effet, la définition donnée aux alinéas 8 à 11 pose problème, car elle est extrêmement tautologique : selon l’article L. 151-1 du code de commerce, est considérée comme protégée par le secret des affaires toute information que les entreprises estampillent elles-mêmes comme secret des affaires. Cette information doit présenter l’ensemble des caractéristiques suivantes : elle doit être « aisément accessible à une personne agissant dans un secteur ou un domaine d’activité s’occupant habituellement de cette catégorie d’informations », revêtir « une valeur commerciale » et faire l’objet, « de la part de son détenteur légitime, de mesures de protection raisonnables […] pour en conserver le secret ». En d’autres termes, je le répète, ce sont les entreprises elles-mêmes qui définissent ce qui relève du secret des affaires. Cela n’est évidemment pas souhaitable.
Si le secret des affaires vise en réalité à se préserver de l’espionnage, il convient d’écrire dans la définition que ce principe couvre les informations ayant une valeur dans le domaine concurrentiel. C’est ce que nous proposons. Il appartiendra alors à la partie poursuivante de démontrer que l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’informations protégées par le secret des affaires a eu pour but de tirer profit, de manière indue, d’investissements financiers réalisés par un autre, portant ainsi atteinte aux intérêts économiques de l’entreprise victime. Nous délimitons ainsi beaucoup plus clairement les informations relevant du secret des affaires, sans laisser l’entreprise jouer au
Petit Robert comme le ferait Alain Rey lui-même. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe FI.) Quel est l’avis de la commission ? Défavorable. Je vous ai répondu tout à l’heure, monsieur Ruffin : votre amendement vise en fait à modifier la définition du secret des affaires en la restreignant, ce qui contrevient à l’objectif de transposition minimale que nous poursuivons. Vous vous contentez de recopier ce que dit l’Europe ! Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. En fait, la directive fixe un socle minimal d’harmonisation, en deçà duquel nous ne pouvons pas aller, afin que le texte européen soit homogène et protecteur. Or l’amendement no 27 conduit à une diminution de ce socle minimal : c’est la raison pour laquelle nous devons émettre un avis défavorable. La parole est à Mme Danièle Obono. Je souhaite revenir sur l’importante question de la transposition, qui est au cœur non seulement de ce débat, mais aussi d’autres débats que nous aurons à l’avenir.
La définition de « transposer » est « adapter un énoncé à un contexte d’énonciation différent ». Par conséquent, la transposition, même minimale, ne consiste pas à recopier directement la directive européenne.
Ce n’est pas « contrôle C, contrôle V » ! Rappelons aussi que la directive laisse aux États membres une marge de manœuvre pour la transposer. Justement, dans son article 3, elle dispose que « l’obtention, l’utilisation ou la divulgation d’un secret d’affaires est considérée comme licite dans la mesure où elle est requise ou autorisée par le droit de l’Union ou le droit national ». Il est donc écrit noir sur blanc que nous avons la possibilité de définir nous-mêmes le secret des affaires, d’insérer dans notre droit national une disposition qui, sans contrevenir à la directive, nous laisse quelques marges de manœuvre. Se refuser à faire cela, c’est se défausser de ses responsabilités de parlementaire et priver la représentation nationale de son rôle.
Nous reprochons en permanence à Bruxelles de nous imposer telle ou telle décision. En l’occurrence, ce n’est pas le cas. Il est de la responsabilité du Gouvernement de refuser de transposer cette directive d’une manière trop protectrice pour les entreprises.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
(L’amendement no 27 n’est pas adopté.) Je suis saisie de deux amendements, nos 57 rectifié et 12, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l’amendement no 57 rectifié.
Cet amendement permet de préciser et d’identifier plus clairement les informations susceptibles d’être couvertes par le secret des affaires.
Comme je l’ai dit dans la discussion générale, une telle disposition existe déjà en droit social : lorsque les instances représentatives du personnel ont accès à des informations stratégiques de l’entreprise, notamment dans le cadre de la base de données économiques et sociales, il est loisible à l’entreprise d’indiquer très clairement la nature confidentielle de ces informations.
C’est la raison pour laquelle nous avons introduit dans la rédaction de cet amendement l’adverbe « notamment », qui permet de dire qu’il existe d’autres façons de faire, tout en indiquant très clairement cette procédure. Nous souhaitons donc que cet amendement soit adopté.
La parole est à M. Sébastien Jumel, pour soutenir l’amendement no 12. Tout à l’heure, on a tiré à boulets rouges sur François Ruffin, qui s’était un peu emballé en mettant tous les tribunaux de commerce dans le même panier. Arnaud Montebourg l’avait pourtant fait avant lui sans que cela ne suscite de réaction. Je rappelle également que, lorsqu’il était ministre de l’économie, Emmanuel Macron a réussi le pari de mettre tous les tribunaux de commerce en grève. Il était socialiste, à l’époque ! Je constate que vous soutenez aujourd’hui les tribunaux de commerce. Nous serons attentifs à ce que, dans le maillage territorial, ils soient préservés dans leur capacité à être aux côtés et au chevet des entreprises. On verra si vous applaudissez avec autant d’énergie.
Cet amendement vise à préciser l’article L. 151-1 qui, d’une manière qui nous paraît très floue, détaille les trois conditions cumulatives caractérisant une information protégée au titre du secret des affaires.
La troisième de ces conditions, modifiée marginalement en commission, est ainsi rédigée : « Elle fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnable, compte tenu des circonstances, pour en conserver le secret. » Vous conviendrez que cette formulation est vague : qu’entend-on par : « mesures de protection raisonnables » ? Qu’est-ce qui sera jugé raisonnable, et compte tenu de quelles « circonstances » ? Comment le juge interprétera-t-il ces différentes notions ? La marge d’appréciation est, vous en conviendrez, trop importante et la formulation retenue
in fine est trop large et risque d’être bancale et déséquilibrée.
Nous proposons, avec cet amendement, de procéder à un rééquilibrage tout à fait raisonnable : le dispositif prévoirait que la personne qui pourrait avoir accès à une information protégée soit clairement informée de son caractère confidentiel – c’est d’ailleurs généralement le cas lorsque des salariés sont informés en comité d’entreprise de situations particulières d’entreprise et que les documents portent en gros caractères le mot : « confidentiel ». Cet impératif est parfaitement respecté. L’amendement a donc le mérite de préciser l’application concrète de ce dispositif.
J’ajoute que l’urgence d’une transposition de la directive européenne en droit français est fallacieuse, car, en l’absence d’une loi de transposition, la directive s’appliquerait
in extenso en droit français, sans qu’il soit besoin d’une loi de transposition. L’argument selon lequel cela perturberait ou bousculerait l’équilibre des entreprises tombe de lui-même. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ? Avis favorable à l’amendement no 57 rectifié et défavorable à l’amendement no 12.
Nous avons débattu en commission pour savoir s’il convenait d’ajouter que l’information était confidentielle. J’avais alors émis un avis défavorable, car, en exigeant d’indiquer le caractère confidentiel de l’information, on ajoutait un élément et on modifiait ainsi la définition du secret des affaires. C’est la raison pour laquelle j’avais émis un avis défavorable.
En revanche, dans l’amendement présenté par M. Latombe, tout est dans l’adverbe, qui a l’intérêt d’éviter de toucher à la définition tout en donnant un exemple : pour que l’information soit protégée et relève du secret, il faudra que son caractère confidentiel soit estampillé.
En réalité, comme nous l’avions dit en commission, il est évident que, si les entreprises veulent que leur information soit protégée et relève du secret des affaires, il leur faudra appliquer certaines bonnes pratiques. Ainsi, si elles veulent éviter les discussions devant le juge pour savoir si l’information protégée relève de la définition du secret des affaires, le fait d’indiquer que cette information est confidentielle contribuera à le définir.
Avis favorable, donc, à l’amendement no 57 rectifié et défavorable à l’amendement no 12.
Pourquoi défavorable au no 12 ? Quel est l’avis du Gouvernement ? Pour les mêmes raisons, c’est-à-dire pour l’adverbe dans l’amendement no 57 rectifié et pour le caractère impératif produit par l’absence d’adverbe dans l’amendement no 12, j’émets un avis favorable sur le premier et un avis défavorable sur le second. La parole est à M. Didier Paris. Je me contenterai d’apporter deux compléments à ce qui vient d’être dit.
La réalité des entreprises et des affaires rend parfois difficile d’estampiller une information comme confidentielle. En effet, ce qui est protégé au titre du secret n’est pas simplement une information écrite, mais un dispositif, un processus, une valeur commerciale ou autres éléments. Ne pas en tenir compte serait méconnaître absolument la vie réelle de l’entreprise et la manière de protéger au titre du secret des informations qui sont, par nature, confidentielles. Le mot : « notamment » prend ainsi tout son sens, car il permet de le faire non seulement pour ce que vous évoquez, mais aussi pour tout le reste.
Je précise par ailleurs, pour ne pas avoir à y revenir trop souvent, que la notion de transposition revêt, en droit français, une valeur constitutionnelle et que nous ne pouvons pas y échapper. Contrairement à ce que vous avez dit, cette transposition ne s’applique pas automatiquement…
Mais si ! …et il est indispensable que nous y procédions.
Dans ces conditions, les niveaux de transposition sont minimaux et respectent tant l’esprit que le texte qui permet d’y procéder. Nous pouvons ensuite l’adapter, mais en nous situant au-dessus du socle, et non pas au-dessous.
La parole est à Mme Cécile Untermaier. Je me réjouis pour M. Latombe et pour le groupe MODEM de voir cet amendement retenu. Permettez-moi cependant une observation de forme : on nous dit que l’adverbe « notamment » emporte la décision, mais il doit, au contraire, nous poser question, car on l’emploie dans un même ordre de protection, alors qu’il ne s’agit pas du tout de la même chose que de prévoir, au 3°, que l’information « fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le secret ». Après ces mesures de protection raisonnable vient l’idée, très intéressante, d’une mention indiquant qu’il s’agit de dispositions confidentielles. L’adverbe « notamment » ne me semble donc pas approprié du point de vue de la syntaxe.
En deuxième lieu, il n’est pas indispensable de faire suivre le verbe « mentionner » de l’adverbe « explicitement », qui alourdit la phrase.
La parole est à M. Stéphane Peu. Nous touchons ici à l’une des principales critiques formulées à l’encontre de cette proposition de loi : son large champ, avec une transposition de la directive européenne dans une acception large du secret et de la confidentialité. La valeur juridique de l’adverbe « notamment » peut avoir de nombreuses interprétations. Ce mot a été utilisé par exemple dans le contexte du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – CICE – : il était prévu qu’on pourrait avoir un crédit d’impôt, notamment si l’on créait des emplois. Il y a eu crédit d’impôt, mais les créations d’emplois ont été rares.
On voit donc bien que l’adverbe « notamment » n’est pas du tout de nature à se préserver de la principale des critiques contre cette loi, qui est une conception large du secret.
Pour avoir travaillé, comme d’autres sans doute ici, dans des secteurs ou des organismes qui s’imposaient une règle de secret, je puis affirmer qu’on sait, en dépit de ce qui a été dit, expliciter et inscrire clairement quelles sont les informations qui relèvent de la confidentialité et celles qui n’en relèvent pas.
Si nous appliquons strictement le texte et l’esprit de la directive européenne, nous devrions pouvoir retenir l’amendement présenté tout à l’heure par M. Jumel, qui procède d’une conception moins large de cette directive.
(L’amendement no 57 rectifié est adopté et l’amendement no 12 tombe.) La parole est à M. François Ruffin, pour soutenir l’amendement no 44. Le respect du secret des affaires, pourquoi pas ? Mais on pourrait d’abord demander aux entreprises de respecter nos vies privées. Le dernier scandale en date sur ce terrain est celui de Facebook et Cambridge Analytica, dont on apprend qu’ils ont récupéré les données de 50 millions d’utilisateurs sans leur consentement.
On peut cependant rencontrer des cas semblables en France aussi. Carrefour, par exemple, détient les données de 15 millions de clients, avec l’historique de leurs achats pendant deux ans, et, comme je l’ai dit tout à l’heure dans mon intervention, la PDG refuse de donner une interview. Avec Facileo, La Poste a réalisé une collecte de données en demandant quasiment aux facteurs d’espionner ses usagers. Sonia Scharfman, secrétaire générale de MEDIAPOST, a refusé de répondre, au nom du « secret des affaires », ainsi qu’un certain nombre d’entreprises comme Go Sport, C-Discount, M6 ou Assurland, entre autres, dont on peut estimer qu’elles pratiquent un fichage sans que les clients en soient toujours conscients.
Notre amendement est minimal, car il ne réclame même pas la fin de ce système ou un meilleur contrôle de celui-ci, même s’il me semble qu’il serait utile que le Parlement s’en saisisse et voie comment il est possible de fixer des règles et de les faire respecter. Il demande simplement que ne soient pas considérées comme relevant du secret des affaires les données qui auraient été obtenues sans le consentement des usagers.
Nous souhaitons donc insérer l’alinéa suivant : « le secret des affaires ne peut concerner des informations relatives à des données personnelles utilisées pour effectuer un profilage privé à des fins lucratives ». Si certaines pratiques ne doivent pas exister, la moindre des choses est d’éviter qu’un secret d’affaires ne vienne les couvrir.
Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. Cet amendement devrait plutôt être présenté dans le cadre de la discussion en cours sur le règlement général sur la protection des données – RGPD. C’est dans ce cadre que nous devons présenter cet amendement pour encadrer – plus strictement, selon vous – le profilage. Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? C’est en effet bien une question d’articulation avec le RGPD qui est ici posée, et nous en avons d’ailleurs discuté très récemment dans cette assemblée.
La proposition d’interdire tout profilage privé à finalité lucrative apparaît contraire à la directive et disproportionnée par rapport aux garanties directement prévues dans le RGPD, notamment sur le fondement des paragraphes 3 et 4 de l’article 22 de ce règlement. Il ne me semble donc pas utile de le préciser ici. Avis défavorable.
S’il n’y a pas de protection, nous avons eu raison de déposer cet amendement ! La parole est à M. François Ruffin. Tout d’abord, on nous dit que cet amendement ne devrait pas figurer dans le texte que nous examinons, mais dans le texte suivant. Or voilà déjà neuf mois qu’on nous tient de tels discours. Ainsi, Richard Ramos, qui préparait un amendement relatif à Lactalis, s’est vu répondre qu’il faudrait attendre les États généraux de l’alimentation – EGA. Mais ce n’est même pas là que se situe le problème.
Notre proposition, si vous la lisez bien, ne tend pas à demander que le profilage soit interdit, ni même réglementé, mais elle porte bien sur le secret des affaires : elle prévoit que ne puissent pas relever du secret des affaires des données personnelles utilisées pour effectuer un profilage privé à des fins lucratives.
Vous me répondez en évoquant la possibilité du profilage, mais ce n’est pas là-dessus que porte notre amendement, qui vise simplement à ce que le secret des affaires ne puisse pas s’appliquer à ce type de données. Il s’agit donc bien, et d’une façon très pointue, du secret des affaires, mais avec une portée nettement moins ambitieuse qu’une demande de réglementation du profilage.
La parole est à M. Philippe Latombe. Monsieur Ruffin, le RGPD n’est pas le prochain texte que nous examinerons : nous l’avons déjà fait. Chers collègues, il ne s’agit pas ici d’une conversation entre deux députés. Nous avons déposé des amendements sur le RGPD ! Monsieur Bernalicis, veuillez laisser M. Latombe s’expliquer. Votre amendement n’a pas sa place aujourd’hui dans cette transposition de directive, mais dans le RGPD. Il ne s’agit pas seulement du secret des affaires : le RGPD prévoit tout ce qui touche aux algorithmes et au traitement de ces données. Il convient donc de ne pas inscrire votre amendement dans cette transposition de directive, mais dans le RGPD. Cette directive européenne est beaucoup plus protectrice qu’elle ne l’avait été. Mes chers collèges, permettez-moi une remarque un peu formelle : lorsque vous prenez la parole, vous n’avez pas à vous adresser à l’un d’entre vous et à mener un dialogue entre deux députés, mais vous vous adressez à la présidence et à l’ensemble de l’Assemblée.
La parole est à Mme la rapporteure pour avis.
Le RGPD prévoit certaines limitations en matière de secret professionnel. Celui-ci n’a rien à voir avec le secret des affaires, lequel ne peut pas être opposé au RGPD. Madame la présidente, je demande la parole. Monsieur Ruffin, vous vous êtes déjà largement exprimé. Je demande donc une suspension de séance. Elle est de droit. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinquante.) La séance est reprise.
Je vais à présent mettre aux voix l’amendement no 44.
Madame la présidente ! Je demande la parole ! Je ne peux vous donner la parole, monsieur Ruffin, car le scrutin est engagé.
(L’amendement no 44 n’est pas adopté.) La parole est à Mme Mathilde Panot, pour soutenir l’amendement no 41. Comme le disait tout à l’heure Danièle Obono, par définition, dans la transposition des directives européennes, les États membres conservent une marge de manœuvre, afin de mettre en place un ensemble de principes communs. C’est aussi le cas pour cette directive.
Or la Constitution confie à l’Assemblée nationale la mission de définir, lorsque des libertés fondamentales sont en jeu, le domaine de l’obligatoire, de l’interdit et du permis. Nous l’avons déjà dit en commission : je le répète ici.
En raison de la marge de manœuvre laissée par la directive et pour assumer ce devoir constitutionnel, nous proposons de délimiter clairement le domaine du secret des affaires. Pour cela, cet amendement tend à exclure du champ du secret toute « découverte scientifique qui aurait un impact substantiel bénéfique pour le bien-être de l’humanité et de l’environnement ».
En commission, vous nous avez répondu que les limites au secret des affaires sont évidentes, et que les juridictions pourront se reporter au compte rendu des débats parlementaires. Mais pourquoi laisser prise à des contentieux, à des doutes, alors que la règle pourrait être claire dès le départ ? Une meilleure définition permettrait de protéger les découvertes qui sont d’intérêt général.
Cet amendement nous semble de bon sens. Du reste, vous semblez être d’accord avec nous sur ce point : je vous invite donc à l’adopter.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Quel est l’avis de la commission ? Avis évidemment défavorable à cet amendement qui vise à modifier la définition du secret des affaires.
Il tend à insérer dans la proposition de loi un alinéa ainsi rédigé : « Ne peut être protégée au titre du secret des affaires une information relative à une découverte scientifique qui aurait un impact substantiel bénéfique pour le bien-être de l’humanité et de l’environnement. » Mais toute découverte scientifique peut avoir « un impact substantiel bénéfique pour le bien-être de l’humanité » ! C’est pourquoi cet amendement viderait de sa substance le secret des affaires.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis défavorable. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la directive sur la protection du secret des affaires impose aux États membres un niveau minimal de protection du secret des affaires. Ils peuvent, dans leur droit national, le protéger davantage, mais ils ne peuvent pas moins le protéger. Il me semble donc juridiquement impossible de restreindre le champ des informations protégées, comme vous souhaitez le faire.
J’ajoute que cet amendement, d’une certaine manière, remet en cause toute propriété intellectuelle, ce qui n’est pas acceptable : tout créateur doit pouvoir tirer un avantage financier de ses innovations.
La parole est à M. Ugo Bernalicis. Il faut être un peu sérieux, madame la ministre ! Justement : soyez-le vous-mêmes ! Vous dites que cet amendement tend à supprimer toute propriété intellectuelle : ce n’est pas vrai. Vous en faites une lecture trop extensive !
Supposons qu’une entreprise privée fasse une découverte susceptible de changer la face de l’humanité, par exemple un médicament permettant de guérir une maladie rare ou incurable. Permettrons-nous qu’une telle découverte reste délibérément cachée, afin d’augmenter la profitabilité du médicament en question, et donc les bénéfices de l’entreprise qui l’aura découvert ?
Supposons à présent qu’un lanceur d’alerte, par exemple le chercheur qui aura été à l’origine de la découverte, décide de divulguer l’information : tombera-t-il sous le coup de la législation protégeant le secret des affaires ? Sera-t-il pénalement responsable d’avoir divulgué une information essentielle pour le bien-être de l’humanité ?
C’est ce genre de cas que vise cet amendement. Il s’agit d’une mesure d’évidence, de bon sens ; mais visiblement le bon sens n’est pas ce qui règne dans cet hémicycle. J’espère que vous démentirez !
La parole est à M. Fabien Di Filippo. On sent bien que cet amendement procède d’un bon sentiment, à savoir que l’ensemble de l’humanité devrait bénéficier immédiatement et à moindre coût des progrès scientifiques. Le problème, c’est que la recherche privée, qui a prouvé son efficacité, a toujours reposé sur la possibilité de préserver le fruit de ses recherches afin de les rentabiliser pendant un certain temps. C’est ainsi que l’on dégage des moyens pour poursuivre ces recherches, pour les porter encore plus loin, ce qui in fine profite à tous.
Si nous adoptions votre amendement, les entreprises privées n’auraient plus aucune incitation à pratiquer la recherche : au bout du compte, les effets pour l’ensemble de l’humanité seraient sans doute plus négatifs que positifs.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à M. Sébastien Jumel. On a parfois l’impression que nos débats sont strictement théoriques, hors sols, déconnectés des réalités. Et, avec vous, idéologiques ! Je vous ferai part, au contraire, d’une expérience de vie. En mars 2008, je suis devenu maire d’une belle ville, Dieppe. Une pandémie de méningite se développait alors en Seine-Maritime, touchant des enfants, meurtrissant des familles. À l’époque, il n’existait qu’un seul vaccin efficace contre cette épidémie, en Norvège, et le seul laboratoire susceptible de le produire en France avait besoin, pour cela, d’une divulgation du savoir-faire, et donc du secret des affaires, relatif à sa fabrication.
La ministre de l’époque me confia, dans mon bureau, qu’à moins de 1 million d’exemplaires, le développement d’un tel vaccin en France n’était pas rentable. Grâce à elle, qui a eu le courage de me transmettre cette information, nous avons pu nous mobiliser et obtenir que ce vaccin soit développé quand même.
Tout cela montre bien que, parfois, lorsqu’un intérêt public est en cause, lorsque l’intérêt général le justifie – en l’occurrence, la santé des enfants –, cela vaut le coup de dévoiler un secret. Cet amendement n’est pas une proposition généreuse mais naïve : il peut tout à fait s’appliquer à des cas concrets, dans le domaine de la santé comme ailleurs.
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)
(L’amendement no 41 n’est pas adopté.) La parole est à M. Adrien Quatennens, pour soutenir l’amendement no 28. Par cet amendement de repli, nous proposons de préciser explicitement ce qui ne peut être considéré comme relevant du secret des affaires. La directive elle-même, d’ailleurs, nous invite à le faire. Il s’agit de l’impact environnemental de l’activité de l’entreprise, des conditions de travail de ses salariés, des relations avec ses sous-traitants et ses filiales, et des montages fiscaux auxquels elle peut recourir.
Nous l’avons dit et répété ce soir : par nature, les directives européennes laissent une marge de transposition aux États membres. Or il suffit de lire cette directive pour se rendre compte qu’elle permet aux États membres de définir et de circonscrire précisément la notion de secret des affaires. Plutôt que de copier mot pour mot le texte de la directive, comme vous entendez le faire par l’article 1er, nous proposons de donner une nouvelle définition à cette notion.
Nous proposons donc de limiter ce qui peut relever du secret des affaires, eu égard à l’intérêt général légitime que peuvent représenter les informations relatives à « l’impact environnemental et sanitaire de son activité ainsi que celles de ses sous-traitants et filiales », aux « conditions de travail de ses salariés », à « sa politique de recrutement, de licenciement, de rémunération » ainsi qu’à celles de ses sous-traitants et filiales, aux « relations entretenues par une personne avec ses sous-traitants et filiales », aux « informations de nature fiscale relatives à l’optimisation fiscale, à l’existence de montages fiscaux » et aux « informations de toute nature qui permettent d’établir l’existence d’une fraude fiscale ou sociale, d’une évasion fiscale, de la commission d’infractions pénales, et de financement du terrorisme. »
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable, pour les mêmes raisons : cet amendement vise à modifier la définition du secret des affaires que donne la directive. Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis défavorable également. Si je comprends bien, les auteurs de cet amendement craignent qu’en raison de la protection accordée au secret des affaires, l’accès à certaines informations d’intérêt général ne soit plus possible, notamment dans les domaines de l’environnement, de la fiscalité, du droit du travail, de la lutte contre les fraudes et la corruption.
Je voudrais vous rassurer. Il me semble tout d’abord que le secret des affaires ne pourra être protégé s’il n’entre pas en vigueur, en droit français, selon la définition tirée de la directive, que ce texte reprend. Toutefois, protéger le secret des affaires, ce n’est pas protéger tout ce qui a trait aux affaires. Il ne sera pas possible, pour une entreprise, de s’opposer aux enquêtes administratives ou judiciaires dont elle ferait l’objet. C’est clairement précisé plus loin, par l’alinéa 1 de l’article L. 151-6 du code du commerce, dans sa rédaction résultant de cette proposition de loi. Il n’est pas question d’empêcher la révélation de fraudes fiscales, de manquements au droit du travail ou d’actes de corruption.
La parole est à Mme Danièle Obono. Je voudrais répondre à M. le rapporteur concernant la portée de nos obligations en matière de transposition. Nous maintenons que la Commission européenne elle-même nous laisse la possibilité de surtransposer ou de sous-transposer, sachant que si, par la suite, elle considère que la transposition n’est pas conforme, elle pourra entamer une procédure d’infraction à ce titre.
Pour une fois que la Commission nous laisse des marges de manœuvre, utilisons-les, d’autant que les entreprises gardent la possibilité de signaler que la transposition remet en cause le secret de leurs affaires et d’entamer une procédure.
Je ne peux pas m’empêcher de conforter l’argument du bien de l’humanité évoqué par notre collègue Jumel en citant l’exemple
a contrario de Marie Curie qui avait refusé de breveter ses découvertes sur le radium pour permettre à tout scientifique, qu’il soit français ou étranger, de s’en inspirer.
On voit donc bien qu’il ne s’agit pas seulement d’un idéal de baba cool mais aussi d’une éthique de la recherche qui fait honneur aux chercheurs et aux chercheuses, dont des exemples comme celui de Marie Curie ont montré toute l’importance pour le développement de la recherche et dont on ferait bien de s’inspirer ce soir.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. Daniel Fasquelle. Il faut arrêter de tout mélanger. Nous sommes dans la confusion la plus totale ! Vous n’allez pas remettre en cause tout ce qui fait que nous avons la chance d’avoir une vraie recherche privée. Plus personne n’investira dans la recherche si elle ne peut plus rester confidentielle et si l’on ne peut plus protéger ses résultats. Ce que vous proposez n’a absolument aucun sens. Savoir si les fruits de cette recherche peuvent être mis à la disposition du plus grand nombre est un autre débat que celui du secret des affaires.
S’agissant de l’amendement que vous défendez désormais, on est là aussi en pleine confusion. Le secret des affaires n’a rien à voir avec les informations relatives à la politique sociale, financière ou environnementale de l’entreprise. Vous mélangez tout ! Vous confondez droit des affaires, droit de l’environnement, droit fiscal et droit social. Le droit du travail prévoit déjà que l’entreprise doit communiquer un certain nombre d’informations à ses salariés. Si vous souhaitez renforcer ce devoir d’information des salariés, proposez-le dans le cadre d’un texte réformant le droit du travail, et non dans un texte relatif au secret des affaires.
J’aimerais qu’on revienne à un peu plus de raison, que vous regardiez de près quel est le champ d’application de ce texte et qu’on arrête de tout mélanger. Les entreprises ont besoin de pouvoir protéger les secrets les plus importants quant à leur politique commerciale ou à leur politique de recherche. C’est la vie des entreprises, du marché et de notre économie qui est en jeu : sans un minimum de secret notre économie ne peut pas fonctionner.
(L’amendement no 28 n’est pas adopté.) La parole est à Mme la rapporteure pour avis, pour soutenir l’amendement no 24. Cet amendement vise à retranscrire plus fidèlement la directive. Dans l’état actuel de la proposition de loi, l’interdiction ou la limitation contractuelles d’obtention d’un secret des affaires est prévue à l’alinéa 22. Tandis que la directive limite l’encadrement contractuel aux opérations d’ingénierie inverse, la proposition de loi étend cet encadrement contractuel à toutes les situations d’obtention. Il s’agit donc d’une surtransposition.
C’est pourquoi je propose, par cet amendement et l’amendement no 25, qu’on revienne au texte initial de la directive.
Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. La vraie question est de savoir si l’on a véritablement besoin de cette précision. Nous considérons qu’elle ne changerait pas grand-chose en pratique. Le salarié qui aurait accidentellement pris connaissance du secret des affaires n’est pas susceptible d’être exposé à des poursuites puisqu’il n’est pas contractuellement lié par l’obligation de non-obtention du secret des affaires vis-à-vis de son employeur. La parole est à Mme la rapporteure pour avis. Je retire cet amendement même si, à mon avis, il ne s’agit pas seulement ici des salariés. Je considère cependant que, en laissant les deux options ouvertes, on couvre bien la situation.
(L’amendement no 24 est retiré.) La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir l’amendement no 66. Cet amendement vise à aligner le texte de la proposition sur celui de la directive en étendant la protection aux cas où le salarié exerce une mission de représentation ou quand la pratique est conforme aux usages. Nous proposons donc, pour la clarté de la loi, d’y intégrer les paragraphes nos 3 et 4 de la directive européenne. Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. Comme je vous l’ai dit en commission, les précisions que vous voulez apporter par l’ajout de ces deux alinéas figurent déjà aux articles L. 151-3 et L. 151-6 issus de la proposition de loi. Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis défavorable, pour les mêmes raisons.
(L’amendement no 66 n’est pas adopté.) La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement no 3. L’objectif de cet amendement est de préciser les sanctions encourues par les personnes qui enfreindraient le secret des affaires d’une entreprise. Il spécifie par ailleurs des exceptions raisonnables à son application en tenant compte des obligations auxquelles les entreprises doivent aujourd’hui déférer : les publicités instituées par les lois et les règlements, les demandes d’information émanant de l’autorité judiciaire agissant dans le cadre de poursuites pénales ainsi que de toute autorité juridictionnelle ou encore les cas de signalements ou d’informations relatifs à des faits susceptibles de constituer des infractions ou des manquements transmis aux autorités compétentes. Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. Vous proposez de faire de la violation du secret des affaires une infraction pénale. On l’a dit lors de la discussion générale : cette possibilité nous était offerte par la directive, mais, pour différentes raisons, nous avons fait le choix de ne pas introduire une telle infraction dans notre droit.
Je rappelle qu’il y a déjà eu cinq ou six tentatives allant dans ce sens et que chacune d’elle s’est conclue par un échec en raison de l’émotion qu’elle avait suscitée. Le Conseil d’État avait émis un avis extrêmement négatif sur le texte visant à créer une infraction pénale au secret des affaires, en raison notamment d’une définition beaucoup trop large et pas assez explicite.
En tout état de cause si le procureur entend poursuivre une personne qui aurait violé le secret des affaires, il dispose déjà pour ce faire de ces infractions de droit commun que sont le vol, le recel, voire l’escroquerie.
Ce n’est pas le sujet ! Quel est l’avis du Gouvernement ? La directive prévoit une obligation de réparation civile en cas d’obtention, d’utilisation ou de divulgation illicite du secret des affaires. Elle n’exige pas des États que ces comportements fassent l’objet de sanctions pénales.
Sur le plan juridique, il me semble que, comme vient de le dire M. le rapporteur, les atteintes au secret des affaires peuvent être réprimées par de très nombreuses dispositions du code pénal sanctionnant le vol, l’abus de confiance, l’introduction dans les systèmes de traitement automatisé des données, l’entrave au fonctionnement de ces systèmes, l’atteinte au secret des correspondances, mais aussi les dispositions de la loi de blocage ou encore des dispositions pénales sanctionnant les atteintes au droit de la propriété intellectuelle.
Il n’apparaît par conséquent pas nécessaire de créer une infraction pénale autonome de violation du secret des affaires.
La parole est à M. Daniel Fasquelle. Permettez-moi d’être sceptique, madame la ministre, monsieur le rapporteur. On sait très bien que la loi pénale est d’interprétation stricte. Ce que propose notre collègue Cinieri, c’est de prévoir une infraction parfaitement adaptée au cas qui nous intéresse.
Vous nous opposez que la directive prévoit une réparation civile, mais je ne suis absolument pas certain que cela soit suffisant s’agissant d’une atteinte aussi grave au fonctionnement de l’entreprise, voire de l’économie en général. Que, dans ces conditions, le droit pénal s’y intéresse ne me choque pas.
La parole est à M. Dino Cinieri. Si j’ai déposé cet amendement, c’est parce que j’ai rencontré, dans une vie antérieure, le cas d’un collaborateur mal intentionné qui avait divulgué les secrets de l’entreprise. Il n’était certes pas contractuellement tenu au secret, mais l’entreprise n’en a pas moins déposé son bilan, laissant près de 150 salariés sur le carreau. La parole est à M. le rapporteur. Le cas que vous évoquez – un collaborateur ayant accès à des informations confidentielles dans le cadre de ses fonctions et qui en fait un usage non conforme à ces fonctions – est le type même de l’abus de confiance. On pourrait citer bien d’autres cas où l’arsenal des infractions de droit commun a permis de poursuivre des salariés ayant violé le secret des affaires.
(L’amendement no 3 n’est pas adopté.) Madame la rapporteure pour avis, retirez-vous l’amendement no 25, que vous avez déjà présenté ? Oui, madame la présidente.
(L’amendement no 25 est retiré.) Je suis saisie de trois amendements, nos 67, 9 et 42, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 9 et 42 sont identiques.
La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour soutenir l’amendement no 67.
Nous proposons par cet amendement de circonscrire le champ d’application de la proposition de loi dans le respect de l’esprit de la directive. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir l’amendement no 9. Une nouvelle fois, il s’agit d’un amendement visant à circonscrire une transposition beaucoup trop large du secret des affaires dans la loi française par rapport à la directive européenne.
Le nouvel article dispose ainsi à l’alinéa 20 : « L’obtention du secret des affaires est illicite lorsqu’elle intervient sans le consentement de son détenteur légitime et en violation d’une ou plusieurs des mesures suivantes prises pour en conserver le caractère secret…. ».
Il n’est ici fait nulle mention de ce qui est au cœur des motifs de la directive, à savoir la lutte contre les pratiques commerciales malhonnêtes, comme l’indiquent les considérants 4 et 5 de la directive européenne que cette proposition de loi vise à transposer.
En conséquence, nous relayons avec cet amendement une proposition formulée par un collectif d’ONG, d’associations et d’organisations syndicales qui précise que l’obtention du secret d’affaires est illicite lorsqu’il est perçu « dans un but de concurrence illégitime, permettant au bénéficiaire des informations de tirer un profit de manière indue d’investissements financiers réalisés par un autre, portant ainsi atteinte aux intérêts de l’entreprise victime, ».
Cet amendement a reçu un avis défavorable de M. le rapporteur en commission des lois, au prétexte qu’il restreindrait la définition du secret des affaires. Permettez-moi de vous rappeler que les lobbyistes qui défendaient ce texte à Bruxelles l’ont présenté comme un moyen de lutter contre les usages commerciaux malhonnêtes et qu’en conséquence, nous ne proposons pas autre chose que de rester fidèle à ces attentes – mais pas davantage.
Cet amendement précise ainsi une ligne rouge entre l’intérêt général et les intérêts privés qu’il est dangereux, de notre point de vue, de franchir.
La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir l’amendement identique no 42. De nombreuses ONG, cela a été dit mais répétons-le, sont très inquiètes de la transposition de cette directive. La pétition en ligne « Stop secrets d’affaires » qui nous est adressée – je pense que vous l’avez reçue et lue avec attention, chers collègues – a déjà reçu presque 200 000 signatures. Elle rejoint la pétition de 2016 lancée par un consortium d’ONG européennes, qui avait recueilli 500 000 signatures grâce notamment à l’appui, en France, de journalistes comme Élise Lucet.
Sans doute avez-vous suivi l’audience, lundi, du procès que Vincent Bolloré a intenté à France 2 en réclamant 50 millions d’euros. De tels exemples en témoignent, il importe de mesurer ce qui est en jeu dans cette transposition. Il s’agit de protéger le droit à l’information, qui est l’un des fondements de la démocratie.
La société civile et les ONG ont largement incarné l’opposition à ce texte. Comme l’ont dit nos collègues, cet amendement reprend une proposition de ce collectif d’ONG visant à circonscrire le secret des affaires aux entreprises présentes sur un marché concurrentiel, ce qui permettra de faire en sorte que le secret des affaires ne soit pas une arme de dissuasion massive pointée vers les ONG, les journalistes et les lanceurs et lanceuses d’alerte.
Si l’objectif de la protection du secret des affaires est – comme le montrent les travaux réalisés dans le cadre de l’OMC et poursuivis par l’Union européenne – de protéger les informations non divulguées à forte valeur économique, alors on comprend mal pourquoi ne pas strictement circonscrire ce périmètre… Tel est l’objet de cet amendement. Nous espérons que vous le comprendrez et le voterez massivement.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe FI.) Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable à ces trois amendements pour les raisons déjà évoquées : vous modifiez le texte en ajoutant une condition pour caractériser une obtention illicite du secret des affaires – en l’occurrence, la lutte contre la concurrence déloyale. Contrairement à ce que vous soutenez, la directive transpose a minima la définition. Relisez-la, relisez ses articles 1 et 3 : ils sont ici combinés ! Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis également défavorable, madame la présidente.
Il ne me semble pas exact de considérer, comme le font les auteurs des amendements, que le dispositif de protection du secret des affaires, tel qu’il est prévu par la directive et transposé dans la proposition de loi, ne trouve à s’appliquer que dans le cadre d’une concurrence déloyale entre les entreprises.
L’obtention illicite d’un secret des affaires n’est pas toujours nécessairement le fait d’une entreprise concurrente dans le but de tirer un profit illégitime de la connaissance acquise. L’obtention de l’information protégée peut avoir simplement un but de déstabilisation, ou bien elle peut être le fruit d’une action malveillante. Il peut aussi s’agir d’un autre processus, qui n’est pas nécessairement le fait d’une entreprise concurrente.
Enfin, je reprendrai les propos de M. le rapporteur en disant que nous nous trouvons bien ici dans une situation où il n’est pas possible de restreindre la portée de l’article L.151-3 compte tenu du niveau d’harmonisation prévu par l’article 1er de la directive.
La parole est à M. François Ruffin. Le refus de voter cet amendement illustre toute l’ambiguïté de cette proposition de loi.
Au départ, on vend cette définition à la Commission européenne, et on nous la vend encore ce soir assez largement, comme une manière de lutter contre l’espionnage industriel. Telle est la cible, tels sont les trois cas cités en permanence : Alstom, Michelin, DuPont de Nemours.
En disant que la concurrence n’est pas seule visée, qu’il y a autre chose, par exemple des actes de malveillance, nous voyons bien que vous étendez la notion très au-delà de ce qu’est l’espionnage industriel, lequel est bien motivé par un but lucratif concurrentiel.
Deuxième point : au départ, la Commission européenne défend une définition relativement étroite. Dans sa première ébauche, elle fait état de « la protection des innovations des produits » et la « lutte contre la contrefaçon ». Si on en était resté là, nous aurions rejoint la Commission européenne sans difficulté mais, dès après, les
lobbies sont montés au créneau afin de procéder à une extension massive de la définition que l’on nous demande de valider ce soir, simplement parce qu’elle a été validée sur le plan européen.
J’ai entendu la remarque de mon collègue Fasquelle tout à l’heure. Nous avons une difficulté : le cadre même du débat ne nous convenant pas, nous sommes condamnés à nous y heurter en permanence. On vient nous parler de co-écriture de la loi avec le Parlement européen et on nous dit que si le clou a été enfoncé de travers, il a été un peu redressé, il faut s’en satisfaire ! Eh bien non, nous ne pouvons pas nous en satisfaire !
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes FI et GDR.)
(L’amendement no 67 n’est pas adopté.)
(Les amendements identiques nos 9 et 42 ne sont pas adoptés.) La parole est à M. François Ruffin, pour soutenir l’amendement no 52. Cet amendement purement rédactionnel vise à insérer le mot « autre » après le mot « tout » à l’alinéa 23. En toute transparence, je précise qu’il nous a été suggéré par l’association Pollinis.
Je reviens sur un autre point : la procédure accélérée et le choix d’une proposition de loi évitent toute étude d’impact. Nous sommes au cœur du débat, puisque nous discutons d’un article concernant les lanceurs d’alerte. Que donnerait l’application de cette directive en France ? On nous dit qu’elle ne suscitera pas de problème, qu’il n’y aura aucun souci et qu’il ne faut pas s’en faire, mais aucune étude d’impact ne vient le confirmer !
On nous répond qu’il en existe sur le plan européen. Précisément, cela nous inquiète ! Les études lancées par la Commission européenne reconnaissent toutes que le texte sur le secret des affaires risque de limiter le droit à l’information, mais elles concluent que les intérêts supérieurs des affaires méritent bien quelques entorses aux droits fondamentaux !
Nous avons un problème : une étude d’impact en France aurait-elle donné les mêmes résultats ? Nous n’avons pas l’occasion de le mesurer, mais c’est là une raison de plus pour être très prudents et chercher à limiter au maximum la portée de ce secret des affaires.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe FI.) Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable.
Cet amendement n’est pas du tout rédactionnel ! Son adoption porterait atteinte à la définition du secret des affaires et reviendrait à le circonscrire aux entreprises présentes sur un marché concurrentiel. Encore une fois, vous modifiez la définition en la restreignant. Je rappelle que la transposition est minimale. Avis défavorable.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis.
(L’amendement no 52 n’est pas adopté.) La parole est à Mme Christine Hennion, rapporteure pour avis, pour soutenir l’amendement no 22. Cet amendement propose de remplacer les mots « de l’atteinte » par les mots « d’une atteinte significative » à l’alinéa 25.
La directive précise que « les biens » en infraction « bénéficient de manière significative de secrets d’affaires obtenus, utilisés ou divulgués de façon illicite ». Or, la proposition de loi a remplacé le terme de « biens » par celui de « produit » et n’a pas repris le caractère significatif de l’atteinte au secret des affaires. Je propose d’y remédier afin d’éviter une sur-transposition.
Quel est l’avis de la commission ? Avis favorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis favorable sous réserve – si je ne me suis pas trompée ! – de coordinations aux alinéas 44 et 46, dont la rédaction devra être modifiée en conséquence. La parole est à M. Jean Lassalle. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, chers collègues, je reviens sur les propos de M. Ruffin. Nous sommes ici très familiers, et de longue date – il fut un temps où nous ne nous embarrassions même pas de tant de fioritures –, de cette technique qui consiste à approuver des ordonnances présidentielles à la pelle. Nous transposions, nous transposions, nous avons d’ailleurs beaucoup transposé en matière d’environnement, mais sans que les Français suivent.
M. Ruffin disait à l’instant que la procédure accélérée et le choix d’une proposition de loi évitent toute étude d’impact. Sur un sujet aussi sensible que celui-ci, les États membres ne peuvent pas se rendre compte des répercussions qu’entraînera la transposition de cette directive. Je vous assure – je le dis de temps de temps : cela creuse le gouffre énorme, abyssal, entre les États et l’Europe.
Je dois le répéter alors que tout le monde pense que les élections seront une promenade de santé pour M. Macron, qui fera une liste très large, avec tous les centres, mais vous verrez qu’un très faible pourcentage d’électeurs voteront. Certains mouvements feront des voix mais, une fois de plus, l’Europe s’éloignera encore plus.
Ce n’est pas du tout la bonne méthode – et vous n’y êtes pour rien, madame la présidente, peut-être même pensez-vous la même chose au fond de vous sans pouvoir le dire, mais moi, je dois le dire ! J’ai senti comme une douleur me transperçant l’estomac…
(L’amendement no 22 est adopté.) Je suis saisie de deux amendements identiques, nos 11 et 68.
La parole est à M. Hubert Wulfranc, pour soutenir l’amendement no 11.
Cet amendement sera bien entendu rejeté, mais je souhaite dire pour commencer que l’on peut comprendre la nervosité des entreprises face aux lanceurs d’alerte. Imaginez-vous, déjà, comment un député communiste peut franchir les portes d’une boîte à l’invitation des organisations syndicales ? Je vous mets au défi d’y entrer !
Les grandes entreprises se bouffent entre elles, et pas qu’en ce moment ! Leurs visées monopolistiques battent en brèche votre fameuse concurrence libre et non faussée ! Ou alors, elles se partagent le gâteau à coups d’accords quasiment légaux, comme on le voit largement. Et il reviendrait en plus aux lanceurs d’alerte d’apporter la preuve de leur bonne foi – et ce dans le cadre de contentieux qui n’en finissent pas ?
Votre proposition de loi va finalement à rebours d’un mouvement légitime qui s’exprime au sein de l’ensemble de la société, celui d’une aspiration à la transparence des affaires. Pour notre part, nous considérons que ce texte est la marque d’une contre-révolution orchestrée par les lobbyistes des grandes entreprises face à cette société civile et qu’il favorise des agissements fiscaux, sociaux et environnementaux qui sont lourds de conséquences. C’est pourquoi nous persistons à demander,
a minima , l’inversion de la charge de la preuve, au profit des lanceurs d’alerte. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 68. Cet amendement tend à apporter une précision sur cette question de la charge de la preuve, en complétant l’alinéa 25 par la phrase suivante : « Il appartient au détenteur légitime [du secret] d’établir que cette personne le savait ou ne pouvait l’ignorer au regard des circonstances. » À mon sens, cet amendement est satisfait et les choses se passeront de cette manière, mais il me paraissait important, dans le cadre de nos travaux parlementaires, que cela soit bien précisé. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ? Votre amendement est effectivement satisfait, chère collègue, puisque l’article 9 du code de procédure civile, qui s’appliquera dans le cadre d’une procédure touchant le secret des affaires, dispose très clairement qu’ « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis défavorable. Madame Untermaier, maintenez-vous votre amendement ? Je le retire. Monsieur Wulfranc ? Je le maintiens.
(L’amendement no 68 est retiré.)
(L’amendement no 11 n’est pas adopté.) La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement no 2. L’objectif de cet amendement est de répondre à l’application imparfaite de la loi dite de blocage, qui n’est pas suffisamment prise en compte par les autorités étrangères, notamment parce qu’elle n’est pas suffisamment appliquée par les pouvoirs publics. Elle constitue par ailleurs une source de complication majeure pour les entreprises françaises.
Seules les informations vraiment confidentielles seraient ainsi protégées, ce qui permettra de réaffirmer, de manière crédible, l’importance du dispositif vis-à-vis des autorités étrangères et de mieux répondre aux inquiétudes des entreprises françaises.
Quel est l’avis de la commission ? Nous avons déjà eu ce débat en commission : vous voulez modifier la loi dite de blocage en créant une sanction pénale dans le cas où des autorités judiciaires étrangères, notamment celles des États-Unis dans des procédures de discovery , demanderaient à une entreprise française de communiquer des pièces protégées par le secret des affaires.
Les problèmes qui peuvent se poser entre la France et les États-Unis à l’occasion de ces procédures de
discovery sont un vrai sujet et feront peut-être l’objet d’autres discussions au Parlement mais, dans le cadre de l’examen de cette proposition de loi, je ne peux que donner un avis défavorable à votre amendement. Il entrerait en effet en contradiction avec l’article L. 151-6 du code du commerce, qui transpose la directive et qui montre bien que le secret des affaires est un secret de faible intensité. Il n’existe en réalité qu’entre les entreprises et les salariés et, face à une demande émanant d’une administration ou de l’autorité judiciaire, l’entreprise ne peut pas opposer le secret des affaires.
Puisqu’il ne résiste pas face à la demande d’une administration ou de la justice française, il serait contradictoire qu’il puisse résister face à une demande judiciaire étrangère. Avis défavorable.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. D’abord, comme le rapporteur vient de l’expliquer, la nécessité de créer un tel délit ne nous semble pas clairement établie. En effet, il existe déjà des dispositions qui interdisent aux Français et résidents en France, ainsi qu’aux dirigeants et agents d’entreprises ayant leur siège ou un établissement en France, de communiquer à des autorités publiques étrangères, les documents ou les renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique dont la communication est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques de la France.
Par ailleurs, mais ce point est secondaire, il me semble que la rédaction que vous proposez ne s’articule pas très bien avec les dispositions de la loi du 26 juillet 1968, qui auraient le même objet.
(L’amendement no 2 n’est pas adopté.) La parole est à M. Dino Cinieri, pour soutenir l’amendement no 21. Cet amendement ouvre la possibilité à l’entreprise, lorsque c’est légitime, de solliciter la protection du secret des affaires face à une demande de communication, par principe lorsque cette demande provient d’une autorité d’un pays non membre, et par exception lorsqu’elle provient d’une autorité d’un État membre. En effet, la protection des données stratégiques des entreprises face aux demandes de communication des autorités étrangères ne figurant pas dans la directive, elle n’est pas dans la proposition de loi.
Cet amendement prévoit également un arsenal répressif adapté, le mécanisme compensatoire proposé n’étant pas de nature à freiner les autorités et les États étrangers.
Quel est l’avis de la commission ? Même avis que précédemment. Cet amendement tend à modifier la loi de blocage, ce qui n’est pas du tout l’objet de la présente proposition de loi.