XVe législature
Session ordinaire de 2018-2019

Séance du mercredi 12 décembre 2018

Mes chers collègues, hier, en fin de journée, les activités traditionnelles du marché de Noël de Strasbourg ont été soudainement arrêtées par la folie meurtrière d’une attaque lâche et aveugle. (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent.)
Au nom de la représentation nationale, j’ai fait part au maire de Strasbourg, Roland Ries, de notre soutien à toute la population face à cet acte terroriste. J’ai associé en particulier à cette parole de solidarité l’ensemble de nos collègues alsaciens.
Une nouvelle fois, je tiens à saluer la réaction et la mobilisation des services de secours et de santé, de nos forces de sécurité intérieures, policiers et gendarmes, mais aussi les militaires de la force Sentinelle.
Je tiens à faire part de notre soutien aux blessés. Nos pensées vont, en cet instant, aux familles et aux proches de toutes les victimes.
Je vous invite à observer une minute de silence.
(Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement observent une minute de silence.)
La parole est à M. Boris Vallaud. La mort a frappé hier soir, dans les rues de Strasbourg, au cœur de l’Europe, au cœur de sa capitale, semant la terreur, l’effroi et la colère. Dans ce moment, nous avons demandé le report de l’examen de la motion de censure.
Trois morts, douze blessés : nos pensées vont aux victimes, à leurs familles et à leurs proches. Nous pensons, en cet instant, à celles et ceux qui continuent à lutter pour la vie.
Notre reconnaissance va aux forces de l’ordre, aux militaires, aux policiers et aux gendarmes
(Mmes et MM. les députés se lèvent et applaudissent longuement) qui sont intervenus hier soir et qui demeurent mobilisés dans la traque du tireur. Notre gratitude va aux personnels de nos hôpitaux, aux sapeurs-pompiers qui se battent aux côtés des victimes. Qu’ils soient tous remerciés et soutenus pour leur inébranlable engagement.
Monsieur le Premier ministre, chacun d’entre nous sait, en responsabilité, qu’il y a une part d’irrémédiable dans la lutte contre le terrorisme, que la menace demeure et que le risque zéro n’existe pas. Nous souhaitons néanmoins, monsieur le Premier ministre, que vous éclairiez la représentation nationale, et à travers elle nos compatriotes.
Que savons-nous des faits qui se sont déroulés hier soir, de leurs motifs, de la traque toujours en cours, de la personnalité du tireur, dont on nous dit qu’il était connu des services de police, fiché S et sur le point d’être interpellé ? Quel est l’état de la menace terroriste aujourd’hui dans notre pays ? Le marché de Noël de Strasbourg était-il identifié comme une cible potentielle ? Dès lors, quels moyens étaient déployés pour en assurer la sécurité ?
Monsieur le Premier ministre, en matière de lutte contre le terrorisme, les moyens mis en œuvre sont la clé. Nous avions engagé des moyens, et nous vous soutenons dans la poursuite de cet effort. Pourriez-vous nous dire quels sont les moyens mis en œuvre, dans la continuité des actions engagées en matière de prévention de la radicalisation, de renseignement, de renforcement des moyens de la police et de la gendarmerie, mais aussi de la justice ?
Monsieur le Premier ministre, dans ces moments tragiques, les questions sont nécessaires, mais les polémiques sont viles et stériles. Face au terrorisme, l’union nationale, la concorde des Françaises et des Français sont de puissantes armes pour que triomphe la République, la liberté et, en définitive, la vie.
(Applaudissements sur tous les bancs.) La parole est à M. le ministre de l’intérieur. Monsieur le député, je vous remercie pour votre question. Pour combattre le terrorisme, nous devons dépasser ce qui nous oppose ordinairement dans cet hémicycle. Ce combat engage la vie de femmes, d’hommes, d’enfants ; il engage aussi la vie de nos combattants. Je pense à nos forces de l’ordre qui, sans cesse, luttent contre toutes les formes de risque.
Le risque terroriste est, hélas ! omniprésent et il reste élevé dans notre pays. Certes, le type d’attaque a changé : nous avons connu des attaques exogènes, organisées depuis l’étranger, et nous connaissons actuellement des attaques endogènes.
Vous nous avez interrogés sur le profil du suspect – n’oublions pas qu’à ce stade, il n’est que suspect. Cet individu est connu depuis très longtemps, hélas ! pour des faits de droit commun. Dès l’âge de dix ans, son comportement relevait du droit pénal, et il a été condamné pour la première fois à treize ans. Ses actions, son comportement systématiquement marqué par la violence, lui ont valu soixante-sept inscriptions. Il a été identifié pour radicalisation, et était suivi pour cela.
Hier matin, à 6 heures, dans le cadre d’une enquête sur une tentative d’homicide, nos forces de l’ordre sont intervenues, accompagnées par la DGSI – la direction générale de la sécurité intérieure. Si la DGSI était présente, c’est précisément parce que nous connaissions le risque de radicalisation. Nous n’avions toutefois que des signaux faibles : l’intervention n’était donc pas motivée par la radicalisation mais par une enquête sur des faits de droit commun.
Au moment de la tentative d’interpellation, le suspect n’était pas présent. Sur place ont été trouvés certains éléments que je ne peux dévoiler ici mais qui ont inquiété les forces de l’ordre, lesquelles ont lancé immédiatement un mandat de recherche et se sont mobilisées pour tenter d’intercepter cet individu.
Celui-ci est ensuite apparu à 19 h 47 au 10, rue des Orfèvres, en plein cœur de Strasbourg, dans le marché de Noël. La suite, vous l’avez évoquée. J’aurai l’occasion d’apporter des précisions mais, pour l’heure, sachez que 720 personnes sont mobilisées à Strasbourg, dont 100 personnes relevant de la police judiciaire, pour l’intercepter au plus vite. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, LR, SOC, UDI-Agir, LT, FI et GDR.)
La parole est à M. Frédéric Reiss. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre, elle concerne aussi les événements tragiques de Strasbourg et j’y associe l’ensemble de mes collègues alsaciens. Nous exprimons notre compassion aux familles endeuillées ainsi qu’à toutes les personnes qui ont été confrontées à l’horreur, certaines blessées grièvement. Les secours ont fait un travail admirable. Avec la fusillade de Strasbourg hier soir vers vingt heures, près de la cathédrale, c’est non seulement l’Alsace mais la France entière qui est touchée au cœur. Les propos du procureur de Paris, Rémy Heitz, sont malheureusement sans équivoque et confirment que le terrorisme a une nouvelle fois frappé notre territoire.
Depuis les attentats de
Charlie Hebdo en 2015, nous déplorons près de 250 morts sur le sol français, victimes innocentes d’attaques terroristes. Djihadistes ! Cette fois-ci, c’est le Christkindelsmärik , nom alsacien du marché de Noël, qui a été la cible. Ce marché traditionnel, qui existe depuis 1570, attire près de deux millions de visiteurs par an. C’est Strasbourg l’Européenne mais surtout Strasbourg capitale de Noël, fête symbole du christianisme, qui a été visée. Le maire, Roland Ries, a souhaité que les Alsaciens puissent se rassembler dans la fraternité de la douleur.
Monsieur le Premier ministre, au-delà de l’émotion, du recueillement et de la compassion, comment comptez-vous réagir et lutter plus fortement et plus efficacement contre cette menace terroriste permanente ? Quelles mesures entendez-vous prendre pour mieux protéger les Français et empêcher que de pareils drames ne se reproduisent ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR, sur plusieurs bancs du groupe MODEM et sur quelques bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. le ministre de l’intérieur. Permettez-moi, monsieur le président, de compléter ma réponse précédente à travers cette question qui évoque, elle aussi, ces vies brisées, ces blessés au nombre de douze dont sept en urgence absolue et pour lesquels il y a un combat entre la vie et la mort, et que vous avez tenu à saluer.
Je voudrais évoquer la suite de l’intervention du suspect. Je disais qu’à dix-neuf heures quarante-cinq, il avait commencé à semer la terreur dans l’ensemble du site du marché de Noël, un territoire que vous connaissez fort bien, monsieur le député. Il est passé ensuite rue des Grandes-Arcades, où il a fait l’objet d’une intervention de nos forces Sentinelle, qui l’ont blessé, puis il a continué rue Sainte-Hélène, et à l’angle de la rue des Moulins et de la rue du pont Saint-Martin ; pendant son périple, trois personnes, des citoyens, ont tenté de l’interpeller, l’une d’elles a été blessée à coups de couteau. C’est aussi cela la citoyenneté : cette capacité de certaines femmes et de certains hommes à être héroïques dans des moments exceptionnels
(Mmes et MM. les députés se lèvent et applaudissent longuement) , ces héros du quotidien qui contribuent, partout en France, eux aussi à la sécurité de chacune et de chacun. Et puis il a pris un taxi, traversé la ville jusqu’au quartier du Neudorf, que vous connaissez aussi, et il a alors fait l’objet de deux confrontations avec nos forces de sécurité, entraînant tirs et ripostes, avant de disparaître. L’enquête se poursuit.
Vous nous interrogez sur les moyens à employer. Ils sont d’abord liés à la reconquête du renseignement. Vous savez que face à ces nouvelles formes d’attaque dont notre vie peut faire l’objet depuis 2015, des recrutements massifs ont été engagés, et nous les poursuivrons : 1 900 personnes seront recrutées au sein de la DGSI – direction générale de la sécurité intérieure – pour renforcer le renseignement. Il faut aussi l’adapter à tous les niveaux : je pense qu’à Strasbourg comme partout ailleurs, nous devons travailler contre la radicalisation au plus près du terrain, et que ce combat doit mobiliser bien sûr nos forces de sécurité et nos forces de renseignement mais aussi, parce qu’ils ont un rôle majeur à jouer, les maires, les départements et les régions. C’est la raison pour laquelle j’ai pris, dans les premiers jours de ma fonction, une circulaire pour que les maires soient systématiquement informés.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe UDI-Agir et sur quelques bancs du groupe LR.)
La parole est à M. Bruno Studer. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, hier soir, un Strasbourgeois né à Strasbourg, un Alsacien né en Alsace, un Français né en France et n’ayant grandi nulle part ailleurs qu’à Strasbourg, en Alsace, en France, a décidé, pour des raisons que l’enquête déterminera, de semer la terreur au marché de Noël de Strasbourg. Après avoir réussi à déjouer l’important dispositif de filtrage et de sécurité en place cette année comme les précédentes, un homme a commis l’inimaginable en assassinant, lâchement, des personnes venues profiter de l’ambiance des fêtes. Je veux ici renouveler nos condoléances aux familles frappées à l’aveugle et notre soutien à celles encore au chevet de leurs proches, blessés et dont certains luttent toujours pour leur vie !
Je souhaite rendre hommage aux forces de l’ordre, aux forces de secours et de soin dont la mobilisation demeure totale, hommage également au courage des femmes et des hommes qui ont, les uns, prodigué des gestes de premier secours, les autres… les autres
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et GDR, ainsi que sur quelques bancs du groupe LR) réconforté celles et ceux qui étaient désemparés ou paniqués. Je veux saluer l’engagement total du ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, qui s’est immédiatement rendu sur place (Applaudissements sur divers bancs) ainsi que, chers collègues, rendre hommage au maire de Strasbourg, Roland Ries, qui, comme tant de maires, a pris ses responsabilités pour organiser un marché de Noël, le plus vieux de France, qui fait la fierté de Strasbourg.
Mesdames, messieurs, dans ce moment tragique où je veux croire à l’union, au rassemblement, j’exprime notre honte, notre colère face à ceux qui crient au complot d’État et qui voudraient que ce soit la République qui ait organisé cet attentat !
(Applaudissements sur tous les bancs.) Ceux-là, dans le confort indécent de leur anonymat sur les réseaux sociaux, derrière un écran de smartphone ou un clavier d’ordinateur, nous devons le dire : ceux-là font preuve d’indignité !
Noël ne sera plus jamais comme avant à Strasbourg. Plus jamais. Mais Noël doit rester, et restera toujours un moment de partage et de fraternité.
Ainsi, monsieur le Premier ministre, au-delà d’un point de situation sur l’enquête en cours, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale les dispositifs mis en œuvre quotidiennement pour assurer la sécurité des Français, et particulièrement dans cette période de fêtes de fin d’année ?
(Mmes et MM. les députés des groupes LaREM, MODEM, SOC, FI et GDR se lèvent et applaudissent longuement. Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LR, UDI-Agir et LT.) La parole est à M. le ministre de l’intérieur. Monsieur le député, à travers votre question, on voit qu’il y a des moments où la force d’un parlementaire, c’est son enracinement, c’est son attachement, ce rapport à sa terre qui fait que, où que l’on soit situé sur ces bancs, on a cet engagement puissant parce que l’on vit au rythme du pouls de celles et ceux qui votent – ou pas – pour nous. Il est essentiel de ne jamais l’oublier. Hier, le Premier ministre évoquait ces violences menées contre la représentation nationale parce qu’il s’agit aussi de menacer celles et ceux qui représentent cette énergie et cette terre. Je tiens à vous rendre hommage, monsieur le député, et vous dire combien celles et ceux qui sont élus ici connaissent ce lien-là.
Je voudrais préciser que nous avons aussi décidé, sous l’autorité du Premier ministre, de réagir immédiatement en élevant le niveau Vigipirate au niveau d’alerte « urgence attentat », que nous avons immédiatement renforcé l’ensemble des contrôles aux frontières, que nous avons adopté depuis ce matin des dispositifs renforcés sur l’ensemble des marchés de Noël, lesquels ne sont pas qu’une spécialité de l’est de la France mais nous l’avons évidemment fait aussi dans cette région, et que nous avons engagé la mobilisation, sous l’autorité de Mme la ministre des armées, des forces Sentinelle pour être encore plus présents pour rassurer celles et ceux qui doivent l’être et afin que la vie et ces marchés de Noël continuent.
Je voudrais aussi vous préciser que j’ai demandé ce matin, dès mon retour de Strasbourg, que demain se tiennent partout en France des groupes d’évaluation départementaux – GED –, sous l’autorité des préfets. Il y aura, cet après-midi, la mise en place d’un comité de pilotage opérationnel, sous l’autorité du chef de file en matière de lutte contre le terrorisme, la DGSI, afin que dès les premiers enseignements qui seront tirés de l’attaque d’hier, nous puissions reporter ces éléments d’analyse sur l’ensemble du territoire national sous l’autorité des préfets, et que les GED se réunissent dès demain.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
La parole est à M. Sébastien Jumel. Monsieur le Premier ministre, quand la République est frappée au cœur, comme hier, elle tient bon grâce à la mobilisation sans faille de ses fonctionnaires de sécurité, de justice, de secours et de santé, garants de l’humanité protégée, à qui nous voulons, à notre tour, rendre hommage. (Applaudissements sur tous les bancs.)
J’exprime, au nom des parlementaires communistes et républicains, notre solidarité entière avec les victimes et la ville de Strasbourg devant une violence qui vise une nouvelle fois notre pacte républicain.
Cette situation nous oblige à tenir bon et à réaffirmer nos valeurs pour faire vivre la démocratie.
Or, hier, au milieu de la nuit, après un examen chaotique fait de reports et de coups de force successifs, la réforme de la justice a été adoptée de quelques voix : quatre-vingt-huit voix pour et quatre-vingt-trois contre. Comme sur tant d’autres sujets qui touchent au quotidien des Français et à la réalité de nos territoires de vie, vous refusez d’entendre la colère légitime de la communauté judiciaire, aujourd’hui en grève nationale. Vous refusez d’établir un dialogue serein avec les professionnels du droit pour construire une justice pour tous.
Très bien ! Votre projet d’une justice sans juge, déshumanisée, numérisée et éloignée des territoires, fait l’unanimité contre lui. Absolument ! Face à un service public de la justice à bout de souffle, vous répondez par une logique de gestionnaire et refusez de donner des moyens aux greffiers, aux magistrats ainsi qu’à la protection judiciaire de la jeunesse, au mépris des justiciables.
Votre projet rend ainsi plus difficile, nous semble-t-il, l’accès au juge de nos concitoyens les plus modestes, car vous actez la disparition des tribunaux d’instance, seule véritable justice de proximité des contentieux où se tranche la misère du monde.
C’est la fin de la justice de proximité ! Pire encore, vous privatisez des pans entiers de cette fonction régalienne de l’État.
Monsieur le Premier ministre, devant la colère qui gronde et face à la désespérance qui gagne chaque jour un peu plus de terrain, allez-vous entendre, d’ici à la deuxième lecture, les propositions pour une meilleure justice qui émanent de l’ensemble des bancs de cet hémicycle ?
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et SOC, ainsi que sur quelques bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits.) La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, vous avez, à juste titre, au début de votre intervention, salué le rôle de garants de notre pacte républicain que jouent les fonctionnaires en général, et plus particulièrement les fonctionnaires de police, ainsi que les magistrats et les fonctionnaires de justice. En ce sens, je ne peux que me joindre à vous.
En revanche, je suis fondamentalement en désaccord avec votre affirmation selon laquelle la réforme de la justice, qui a été adoptée hier en première lecture, résulterait d’une logique gestionnaire. Ce n’est pas cela, monsieur le député, et vous le savez très bien – je n’ignore pas que vos propos sont réellement de bonne foi.
Vous aurez observé, je suppose, comme je vous l’ai fait remarquer à plusieurs reprises, que cette justice que nous construisons est une justice de proximité qui s’adresse aux justiciables et qui vise à préserver, partout sur le territoire, l’ensemble des tribunaux, et notamment des tribunaux de proximité.
Des coquilles vides ! C’est cet ensemble-là que nous construisons, avec des fonctionnaires qui seront précisément affectés dans ces tribunaux de proximité, avec des juges qui jugeront les contentieux du quotidien, ceux que vous dites être, et c’est juste, ceux de la misère des gens et de la misère du quotidien, ou simplement de la vie quotidienne. Ces tribunaux-là resteront en proximité partout sur le territoire. Ce n’est pas vrai ! Cela, monsieur le député, vous ne pouvez pas l’ignorer, car nous l’avons dit et le texte que j’ai proposé contient l’ensemble des éléments qui le garantissent. Les avocats n’ont pas tous l’air d’accord ! Je réfute donc vraiment ce que vous avez dit.
De la même manière, monsieur le député, je ne peux pas admettre que vous disiez que la justice est déshumanisée. Certes, nous donnons aux justiciables les moyens de saisir la justice par le biais du numérique, mais s’ils le veulent. C’est un moyen qui viendra s’ajouter à la saisine physique.
Et la fracture numérique, ça n’existe pas ? Cela est essentiel et c’est cet ensemble-là, que nous bâtissons ensemble, qui garantit la justice de proximité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
La parole est à Mme Josy Poueyto. Je voudrais, pour commencer, me joindre, avec mes collègues du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, à la solidarité qui a été exprimée ici, à l’égard tant des victimes que de nos forces de l’ordre, des pompiers et de l’ensemble des Strasbourgeois et au premier d’entre eux, leur maire. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM, LaREM et sur quelques bancs du groupe LT.)
Monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, lundi soir, le Président de la République a annoncé la suppression de la hausse de la CSG pour les retraités ayant un revenu inférieur à 2 000 euros par mois pour une personne seule. Nous le savons, la solvabilité à moyen terme de notre système de retraite est mise à mal par l’évolution démographique de notre pays, le nombre de retraités augmentant plus rapidement que le nombre d’actifs. Cette question fera l’objet de la réforme à venir de notre système de retraite.
Cela n’occulte pas le fait que nos retraités d’aujourd’hui méritent toute notre attention. Ils ont une part active dans notre société, dans nos associations ; ils s’investissent souvent dans la vie publique locale. Nombre d’entre eux ont compris, l’an passé, le geste fort en faveur des actifs et la nécessité de mieux récompenser le travail de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Cependant, si toutes les études montrent que le revenu moyen des retraités est supérieur à celui des actifs, les situations sont vraiment diverses et quelquefois très difficiles pour les plus modestes d’entre eux.
La grandeur d’une nation se mesure à la façon dont elle traite ses aînés. Nous soutenons donc ce geste fort, qui répond aux interrogations que le groupe MODEM et apparentés avait soulevées lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 concernant le niveau de ce seuil.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser les modalités d’application de cette mesure forte de hausse du pouvoir d’achat de nos aînés ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM.) La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Madame la députée, vous l’avez dit, début 2018, le Gouvernement a fait le choix d’alléger de 7 milliards d’euros les prélèvements sociaux sur les actifs, qu’ils soient salariés ou indépendants. Cette mesure avait été financée par une augmentation de la CSG sur les revenus du capital, mais aussi sur les pensions de 60 % des retraités.
Ces retraités ont considéré et fait valoir que cette mesure pouvait être injuste, qu’elle allait trop loin et trop fort, pour reprendre les termes employés par le Président de la République, qui l’a reconnu il y a maintenant deux jours.
Ce n’est pas faute de vous voir prévenus ! La mesure qu’il a annoncée va permettre à la moitié des retraités qui ont connu une augmentation de la CSG de voir celle-ci annulée et revenir au taux de 6,6 %, au lieu des 8,3 % qu’ils se sont vu appliquer en 2018. Il était temps ! Pour répondre à votre question, cela concerne les retraités vivant seuls ayant un revenu fiscal annuel de référence inférieur à 22 534 euros, alors que le seuil précédent avait été, comme vous le savez, fixé bien plus bas.
Nous veillerons, à ce stade, à préciser que lorsqu’il s’agit de retraités vivant en couple ou ayant des personnes à charge, les modalités de calcul du seuil seront déterminées de la même façon que pour l’ensemble des prestations et des contributions, c’est-à-dire en tenant compte de la composition du foyer fiscal.
Cela concerne donc 3,7 millions de retraités qui vont voir leur CSG baisser au début de l’année 2019.
Quel sera le seuil pour les couples ? Je pense que c’est un geste de justice, comme l’a reconnu le Président de la République.
Le coût pour la puissance publique s’élève à 1,5 milliard d’euros.
(Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Il faut apporter trois précisions à cette annonce. Tout d’abord, les retraités vivant seuls et ayant un revenu fiscal de référence inférieur à 14 548 euros resteront assujettis à un taux minoré de 3,8 %. Ensuite, elle s’ajoute à la mesure précisant que le changement de seuil ne s’opère qu’après que l’on a franchi le niveau de revenu concerné pendant deux années consécutives, ainsi que l’avait proposé M. le Premier ministre dans le PLFSS. Enfin, nous mettrons cette mesure en œuvre aussi rapidement que possible. Si elle n’était pas activée dès le mois de janvier, nous la verserons avec un effet rétroactif. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
La parole est à M. Antoine Herth. Monsieur le ministre de l’intérieur, depuis hier soir, avec mes concitoyens de Strasbourg et de toute l’Alsace, notre cœur saigne. Des hommes et des femmes ont perdu leur vie, ont été blessés dans leur chair par les coups aveugles d’un homme armé.
À mon tour, avec mon collègue Olivier Becht, l’ensemble des collègues alsaciens et au nom du groupe UDI, Agir et indépendants, je veux exprimer ma compassion aux victimes et aux familles meurtries. L’abnégation des services de secours et des personnels de santé, qui ont fait leur travail sous la menace, force l’admiration. Je salue aussi la persévérance des forces de l’ordre, qui sont mobilisées depuis des semaines et qui continuent de traquer l’auteur de cette attaque terroriste.
Mon cœur saigne, mais mon âme reste inébranlable. Strasbourg est une ville symbole et nous la savions menacée. Strasbourg, capitale de l’Alsace, berceau de l’imprimerie et de l’humanisme rhénan, terre de laïcité tolérante. Strasbourg, siège du Parlement européen, creuset de la réconciliation des peuples autour d’un projet démocratique. Strasbourg, siège de la Cour européenne des droits de l’homme, antithèse de l’arbitraire. Attaquer Strasbourg, c’est s’attaquer à toutes ces valeurs, à tous ces symboles. Malgré la douleur, nous restons unis contre la barbarie et nous attendons que justice soit faite.
La première des libertés que nous devons aux Français est la sécurité. Aussi, monsieur le ministre, alors que l’auteur des faits est toujours recherché, pouvez-vous indiquer les mesures de protection de la population qui ont été prises ?
D’autre part, dans ce territoire frontalier, le travail des enquêteurs doit pouvoir s’appuyer sur la coopération avec les services de police et de justice des pays voisins. Comment cette coopération se déroule-t-elle ?
Enfin, sommes-nous face à une nouvelle forme de terrorisme, œuvre d’un islamisme lié aux milieux crapuleux ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir et sur plusieurs bancs des groupes LaREM, LR et LT.) La parole est à M. le ministre de l’intérieur. Monsieur le député, je sais l’attachement que vous avez à cette terre, et je sais la fierté que nous portons tous à l’un des plus vieux et des plus beaux marchés de Noël, celui de Strasbourg. Je sais aussi l’inquiétude que celles et ceux, dans votre circonscription, comme à Strasbourg et partout en France, ressentent face à la violence de cet acte.
D’abord, je veux, tout comme vous, remercier celles et ceux qui se sont engagés immédiatement hier soir. Je pense au SAMU et aux pompiers. À deux heures du matin, j’ai rencontré le président du service départemental d’incendie et de secours de votre département qui m’a dit combien les pompiers avaient été exemplaires. Je veux aussi saluer nos forces de l’ordre, et les 720 personnes qui ont été immédiatement mobilisées. Certes, 100 l’ont été pour le volet judiciaire, mais toutes les autres sont sur le terrain, accompagnées par deux hélicoptères et de nombreux moyens terrestres afin de rassurer nos concitoyens, en particulier les Strasbourgeois, et d’assurer leur sécurité. Il faut que nous soyons très vite en mesure de rouvrir la totalité des lieux publics, dont le marché de Noël. Il ne faut pas céder sur cela.
(Mme Géraldine Bannier et M. Raphaël Schellenberger applaudissent.)
Je peux vous assurer qu’avec les forces de l’opération Sentinelle, nous allons garantir à chaque instant la sécurité de nos concitoyens sur le territoire national, et rechercher sans relâche celui qui a commis cet acte. À un certain moment – cela me permettra de répondre à votre deuxième question, monsieur le député –, nous avons pensé qu’il s’était réfugié à Kehl, de l’autre côté du Rhin, en Allemagne. Notre coopération excellente – et habituelle – avec les autorités allemandes nous a permis d’agir immédiatement. Le site où nous pensions qu’il s’était réfugié a été immédiatement quadrillé par les forces de l’ordre allemandes. Malheureusement, il n’y était pas. Non seulement on a procédé à la fermeture de la frontière et à des contrôles, mais il y a eu aussi une coopération d’une grande efficacité. Cette efficacité doit se poursuivre, car c’est grâce à elle que, comme vous le savez, monsieur le député, cinquante-six projets d’attentats ont été déjoués depuis 2013 ; et c’est grâce à elle que le 13 novembre, il y a peu de jours, un projet d’attentat en France a été déjoué.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs des groupes MODEM et UDI-Agir.)
La parole est à Mme Bénédicte Peyrol. À mon tour, j’adresse toutes mes pensées aux victimes des terribles attentats qui ont frappé Strasbourg hier en début de soirée, ainsi qu’à leurs familles et aux forces de l’ordre et de secours.
Ma question s’adresse au ministre de l’économie et des finances.
La colère qui se manifeste depuis plusieurs semaines est le résultat d’un malaise profond de nos concitoyens. Elle résonne dans notre pays, mais aussi en Europe et dans le monde, comme la volonté populaire et partagée d’une plus grande justice fiscale.
(Exclamations sur les bancs du groupe SOC.)
En décrétant l’état d’urgence économique et sociale lundi dernier, le Président de la République a entendu ces inquiétudes. Il y a répondu par des mesures très importantes en faveur du pouvoir d’achat, et aussi en appelant le Gouvernement et les parlementaires à aller plus loin pour mettre fin aux avantages indus et à l’évasion fiscale.
Aurait-il fini par changer d’avis ? Les dirigeants et les grandes entreprises qui ont une activité en France et qui créent de la valeur en France doivent payer leurs impôts en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs des groupes MODEM et FI.)
Le consentement à l’impôt ne doit pas être une option. C’est une leçon que notre histoire nous enseigne. Ce consentement est au cœur de notre régime démocratique et des valeurs de notre République.
Pourtant, nous le voyons et ce constat fait consensus, ces principes sont battus en brèche par des acteurs qui profitent de la transformation de l’économie et de leur position dominante pour prospérer sur notre territoire tout en s’affranchissant des règles fiscales devant s’appliquer à tous.
Les inégalités d’hier ne sont plus celles d’aujourd’hui. Il nous revient de ne pas nous tromper de combat et de ne pas ménager nos efforts.
Vous le savez comme moi, monsieur le ministre, nous ne partons pas d’une feuille blanche. En faisant adopter dès la première année du quinquennat un texte de loi contre la fraude, le Gouvernement a montré qu’il s’agissait d’une priorité pour lui.
Votre action auprès de la Commission européenne et des autres États membres est elle aussi essentielle. Des pistes existent pour répondre à ce problème.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer votre volonté d’avancer sur ces sujets au plan national et nous indiquer que la lutte contre l’évasion fiscale figurera bien dans les priorités des discussions à venir ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.) Maintenant, il faut des actes ! Eh oui ! Pourquoi ne l’ont-ils pas fait avant ? La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances. Madame la députée, vous le savez, nous sommes totalement déterminés à faire en sorte que les géants du numérique, qu’ils soient américains, chinois ou autres, paient autant d’impôts que nos PME, nos commerçants, nos artisans. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.– Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Enfin ! C’est pour quand ? C’est une question d’efficacité et de justice.
Nous avons besoin de cette justice fiscale. Nous espérons y arriver à l’échelon européen. Je ne relâcherai aucun de mes efforts pour que nous décidions, à l’unanimité des vingt-sept États membres, de taxer au plan européen les géants du numérique. Je ne veux pas d’une Europe qui serait faible avec les forts et forte avec les faibles !
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Est-ce là le résultat de votre réflexion ? Ce sont des éléments de langage, oui ! Si jamais nous devions ne pas aboutir à un accord, nous adopterions à l’échelon national, comme le Président de la République l’a rappelé, une taxation des géants du numérique dès l’année 2019,… C’est bidon ! …taxation qui portera sur la publicité, sur les marketplaces et sur la revente de données personnelles, cela afin que les géants du numérique ne puissent plus échapper à un impôt juste en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Faites-le dès maintenant ! Nous voulons aussi que toutes les multinationales qui sont installées en France et qui vont installer leur siège social dans des paradis fiscaux ou dans des pays où la fiscalité est moins faible paient le même niveau d’impôt en France. Rétablissez l’ISF ! Nous ferons de la lutte contre l’évasion fiscale et l’optimisation fiscale la priorité pour la France du G7 Finances en 2019. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Paroles ! Vous avez rejeté l’amendement que nous proposions à cette fin ! C’est une question de justice et c’est aussi une question d’efficacité. Si nous voulons demain pouvoir payer nos crèches, nos hôpitaux, nos services publics, nos collèges, nos lycées, il faut que les grandes multinationales qui font les profits les plus importants paient le même montant d’impôt que nos PME et nos petites entreprises. (Exclamations sur les bancs des groupes LR et SOC.) Ça, c’est une révélation ! Nous y arriverons. Nous nous battrons dans ce sens ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Vous oubliez les gilets jaunes !
La parole est à M. Éric Diard. Monsieur le ministre de l’intérieur, hier soir, Strasbourg a été frappée par un attentat sur un site hautement symbolique. J’ai bien évidemment, moi aussi, une pensée pour les victimes et leurs familles. Je tiens à rendre un hommage appuyé aux forces de l’ordre, aux secours et aux militaires de la force Sentinelle, particulièrement mobilisés ces derniers temps pour assurer la sécurité des Français. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Ce terrible drame met une nouvelle fois en lumière la menace que représente la barbarie islamiste, et notre difficulté à suivre efficacement les individus radicalisés.
Et voilà ! Le meurtrier, connu des services de police comme délinquant de droit commun, s’est radicalisé en prison, est fiché S depuis 2016 et est inscrit au fichier FSPRT, le fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste. Son frère, actuellement en garde à vue, est également fiché S.
Vous le savez, je suis rapporteur, avec Éric Poulliat, d’une mission d’information sur les services publics face à la radicalisation ; sans préjuger de ses conclusions, je peux vous dire, monsieur le ministre, que la situation de la radicalisation dans les prisons est plus qu’édifiante.
Très bien ! Absolument ! Le 12 mai dernier, Khamzat Asimov, fiché S en 2016 et entendu en 2017 pour ses relations avec des djihadistes, est pourtant passé à l’acte par une attaque au couteau dans le quartier de l’Opéra, à Paris.
On constate ainsi des failles dans le système, malgré le nouveau dispositif instauré par le Président de la République et la coordination nationale du renseignement, qui a été restructurée. En dépit de l’adoption du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme – SILT –, en dépit de tous les attentats qui ont frappé notre pays, il y a encore, de toute évidence, un problème dans le suivi et l’appréhension des individus radicalisés.
Hier, à 6 heures du matin, les forces de l’ordre se sont présentées au domicile du tueur pour l’appréhender en tant que délinquant de droit commun. Il n’y était pas. Monsieur le ministre, dans cette affaire, pourquoi a-t-on choisi une approche de droit commun s’agissant d’un individu pourtant connu comme islamiste radicalisé ? Y a-t-il eu une évaluation par la cellule locale de renseignement et, surtout, une coordination entre l’autorité judiciaire et les services de la préfecture ? Ne faut-il pas privilégier la prise en considération de la dangerosité religieuse radicale plutôt qu’une simple approche classique de droit commun ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits.) Très bien ! La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Comme l’a rappelé Christophe Castaner à l’instant, et comme vous l’avez également souligné, monsieur le député, la menace terroriste est essentiellement endogène : elle provient d’individus présents sur notre territoire, qui répondent à la propagande de Daech. L’enjeu, vous l’avez souligné, est d’assurer à leur endroit le suivi le plus fin possible.
C’est ce que nous faisons par le biais du fichier des personnes radicalisées, alimenté par différentes détections provenant de la plateforme de signalement, de signalements en gendarmerie, dans les commissariats, de l’initiative des services de renseignement et de la détection en milieu carcéral – j’y reviendrai.
Ce n’est pas suffisant ! J’en viens aux moyens affectés à ce suivi. Les moyens humains ont été renforcés : vous avez cité la coordination, l’échange entre les services ; permettez-moi d’insister, en outre, sur le renfort d’effectifs dont ont bénéficié les services de renseignement pour suivre les personnes inscrites au FSPRT. Le ministre l’a rappelé tout à l’heure : sur la durée du quinquennat, cela représente 1 900 personnes, qui viendront principalement étoffer la direction générale de la sécurité intérieure – DGSI. Il en va de même des moyens budgétaires affectés à l’amélioration des techniques de renseignement et du suivi des individus – ceux de la DGSI augmentent de 20 millions d’euros en 2019 – ainsi que des moyens juridiques : nous avons procédé à plus de soixante-dix visites domiciliaires depuis l’adoption de la loi SILT qui les a rendues possibles. Bref, les moyens sont là.
Quant au cas que vous citez, monsieur le député, il a en effet été détecté en détention,...
Quand ? ...où l’individu se livrait au prosélytisme. Dès sa sortie de détention, il a été suivi par la DGSI. De nombreuses techniques de renseignement ont été mises à contribution le concernant. Malheureusement, l’on n’a jamais détecté de radicalisation, moins encore de velléité de passage à l’acte. Je suis désolé de vous le dire, malgré l’engagement des fonctionnaires des services, il n’a pas été possible de détecter ce risque.
Néanmoins, parce que c’est notre travail, le cas a bien été évoqué en groupe d’évaluation départemental ; il a bien été décidé d’entraver l’action de cette personne, et si c’est la voie du droit commun qui a été choisie, c’est parce que c’était la seule permise par les textes.
Alors il faut changer les textes ! Je le répète, je suis désolé de vous le dire : les fonctionnaires des services de renseignement ont fait ce qu’ils ont pu, mais nous ne sommes pas parvenus à détecter une velléité de passage à l’acte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
La parole est à Mme Laetitia Avia. Permettez-moi, tout d’abord, de m’associer aux pensées solidaires et aux témoignages de soutien qui ont été exprimés.
Madame la ministre de la justice, après trois semaines de débats riches, nous avons voté hier le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice
(« Cinq voix d’écart ! » sur les bancs des groupes LR et FI) , destiné à construire la justice du XXIe siècle. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Une justice dont le budget s’accroît de près de 25 % sur la durée du quinquennat. Une justice dont le fonctionnement est plus lisible, plus simple, plus accessible. Cinq voix d’écart ! Une justice concentrée sur sa mission première : trancher les litiges, juger. C’est une plaisanterie ? Une justice dans laquelle nos concitoyens auront confiance, car elle sera plus efficace. Une justice plus proche de chacun, qu’elle soit à portée de main, par le biais des outils numériques que nous utilisons quotidiennement,... Rafistolage ! ...ou à proximité de chez soi,... Une justice sans juges ! Sans avocats ! ...grâce à tous les tribunaux qui assurent la présence d’une justice de proximité dans tous les territoires. Ils sont tellement contents qu’ils sont en grève ! Et pourtant, oui, les avocats multiplient les appels à la grève et organisent aujourd’hui même une journée « justice morte ».
Madame la ministre, les motivations de cette grève me poussent à m’interroger : est-ce que l’on éloigne la justice des territoires...
Oui ! Oui ! ...lorsqu’on permet à tout justiciable de saisir le tribunal le plus près de chez lui, quelle que soit la matière, sans le renvoyer d’un lieu à l’autre comme c’est le cas aujourd’hui ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Vous êtes la seule avocate à dire cela ! Est-ce déshumaniser la justice que de réduire les délais des divorces conflictuels, de revoir notre échelle des peines pour une réponse plus graduée et plus efficace (Exclamations sur les bancs du groupe GDR) , de lutter contre la correctionnalisation des viols ?
Est-ce être « hors sol »
(« Oui ! » sur les bancs des groupes LR, FI et GDR ainsi que parmi les députés non inscrits) que de proposer un dépôt de plainte en ligne lorsque de trop nombreuses victimes hésitent à pousser la porte d’un commissariat (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) tandis que les dénonciations et témoignages se multiplient sur les réseaux sociaux ? (Mêmes mouvements.)
Nous l’assumons pleinement, cette réforme n’est pas faite pour les professionnels du droit. Pouvez-vous donc nous rappeler, madame la ministre, comment elle a été conçue et pensée, c’est-à-dire dans un seul intérêt, celui du justiciable ?
(Mêmes mouvements.) Avec des juges sur internet ? La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. Effectivement, madame la députée, après quatorze mois de préparation et de concertation,... C’est réussi ! ...après trente-trois heures de débats en commission, soixante-six en séance publique, l’Assemblée a adopté hier le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice. (« De cinq voix ! » sur les bancs des groupes LR et FI ainsi que parmi les députés non inscrits.)
Ce projet part de différents constats : celui du manque de moyens, que nous comblons par l’augmentation de 25 % du budget de la justice ; celui du manque de lisibilité de la justice, auquel nous remédions par une organisation plus simple, autour du tribunal judiciaire, qui permettra de répondre à une saisine simplifiée de la part des justiciables. Il satisfait également l’exigence de crédibilité et d’efficacité de la justice, puisque nous renforçons le pouvoir des enquêteurs, mais en le plaçant toujours sous le contrôle d’un magistrat, ce qui est évidemment essentiel du point de vue de la garantie des droits.
Ça ne veut rien dire ! Le projet fonde également une justice humaine :... Oui, oui… ...si nous développons le numérique, ce moyen vient naturellement s’ajouter aux autres manières pour le justiciable de saisir les juges.
Enfin, nous continuons d’assurer – c’est bien normal – la présence des juges dans tout le territoire. Le maintien d’un juge statutaire en première instance, d’un juge qui sera chargé des contentieux des tutelles, de ceux touchant les baux d’habitation, de ceux de l’endettement et du surendettement témoigne de notre volonté de renforcer la proximité.
Mon seul objectif, c’est le justiciable.
Vous l’éloignez de la justice ! Je sais que vous partagez cet objectif. Y a qu’à ! Il ne faut donc pas agiter des peurs vaines et qui ne correspondent pas à ce qui est écrit dans le texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon. Le groupe de la France insoumise exprime sa compassion sidérée aux familles des victimes du misérable assassin qui a frappé hier à Strasbourg, et sa compassion la plus complète aux victimes qui luttent contre la mort. Si les motivations de l’assassin ne sont pas connues à cette heure, je tiens à le rappeler, il n’empêche que le mode opératoire est bien celui du terrorisme. (« Islamiste ! », sur plusieurs bancs du groupe LR.)
Dans ces circonstances, pour la patrie, le pire serait que ses responsables se divisent. C’est pourquoi, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de l’intérieur, je tiens à vous dire la totale solidarité des insoumis dans la traque que vous avez entreprise pour capturer l’assassin et vous dire, très franchement, que nous sommes certains que vous avez fait et que vous faites pour le mieux dans le contexte que nous connaissons.
(Applaudissements sur les bancs des groupes FI, GDR, SOC, LaREM, MODEM,UDI-Agir, LT et sur de nombreux bancs du groupe LR.)

Cette circonstance nous fait devoir à tous et il ne faut pas qu’il y ait de récupération politicienne de ce moment.
(« Ah ! » sur plusieurs bancs des groupes LaREM et LR.) C’est pourquoi je crois utile de préciser que ni les gilets jaunes ni la jeunesse mobilisée n’ayant aucune responsabilité dans cette situation, ils n’ont donc aucune raison de remiser leurs revendications.
Vous le savez, le principal, pour que nous ne nous divisions pas et pour que l’assassin n’ait pas le dernier mot, c’est que la vie continue et la vie démocratique d’abord. Une motion de censure a été déposée. Toutefois, monsieur le Premier ministre, ce matin, nous avons saisi le président de l’Assemblée pour lui expliquer que si, pour des raisons opérationnelles qui lui appartiendraient, ou bien si, à votre demande, il en demandait le report, nous n’en ferions pas un drame. Nous croyons néanmoins utile que cette motion de censure puisse être défendue de manière que l’assassin et les assassins d’une manière générale sachent qu’ils n’ont aucune prise sur la vie démocratique.
Alors, monsieur le président ? Puisque vous avez rappelé, monsieur le ministre de l’intérieur, qu’il fallait à tout prix que le marché de Noël ait lieu, j’ajouterai qu’il faut que la République, ses passions, ses mobilisations perdurent : elles ne sont pas à la merci d’un assassin. (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC. – MM. Brahim Hammouche et Alain Tourret applaudissent également.) La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Monsieur le président Mélenchon, je profite de votre question pour affirmer, comme vous l’avez fait, ainsi que tous les orateurs qui vous ont précédé, combien l’émotion, la colère aussi, la détermination de l’ensemble du peuple français sont grandes face à cette attaque terroriste. Toutes les attaques terroristes touchent toute la France.
Comment ne pas observer que chacune de ces attaques vient frapper un symbole ? À Nice : un 14 juillet ; la liberté de la presse avec
Charlie Hebdo ; notre façon de vivre, notre sens de la fête, au Bataclan ; et, hier, un marché de Noël, à Strasbourg, c’est-à-dire, là encore, à l’occasion d’une fête que, croyants ou non, nous aimons car elle est une fête familiale, fraternelle, qui dit beaucoup de choses sur l’espoir, sur ce qui nous unit. C’est cette fête qui a été frappée, hier, par un acte terroriste.
Je vous remercie, monsieur le président Mélenchon, pour les mots que vous avez eus, je remercie l’ensemble des orateurs pour leurs mots à l’endroit des forces de l’ordre, sans oublier, parce que, parfois, on les cite moins, les forces de secours…
Tout à fait. …qui se sont démenées dans tous les hôpitaux pour faire en sorte que les blessés puissent être sauvés, que ceux qui les accompagnaient puissent être accueillis dans des conditions toujours difficiles. Merci, donc, pour ces mots ; et merci pour ce qu’ils ont fait. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, FI, GDR et SOC.)
Vous avez évoqué, monsieur le président Mélenchon, la vigueur du débat démocratique alors même que la menace terroriste est réelle, ce qui nous a été rappelé de façon tragique hier soir. Et je suis d’accord avec vous : la meilleure façon, même si ce n’est pas la seule – la détermination des forces de l’ordre, des services de sécurité, du Gouvernement, bien entendu, est totale pour traquer, trouver et punir cet individu –, l’une des meilleures façons, disais-je, de lutter collectivement contre le terrorisme, consiste à continuer de pratiquer ce en quoi nous croyons : la démocratie, le débat et, d’une certaine façon, la fraternité.

Nous allons donc continuer, vous et moi, à débattre au sein de cet hémicycle, à résolument ne pas être d’accord car si ce n’est la meilleure, ni la seule, c’est en tout cas une bonne façon de lutter.
(M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.) Vous avez évoqué la motion de censure déposée contre le Gouvernement et qui devait être examinée demain à seize heures trente, puisque la Constitution prévoit qu’elle doit l’être quarante-huit heures après avoir été déposée. Trois jours ! Il se trouve que c’est l’Assemblée qui est maîtresse du calendrier. Le Premier ministre et le Gouvernement sont à la disposition de l’Assemblée. Aussi ce débat se tiendra-t-il quand l’Assemblée le souhaitera. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, SOC, FI et GDR.) Le Président Ferrand vous entend-il ? Il aura lieu et nous pourrons exprimer nos désaccords – et nous pourrons exprimer nos désaccords parce que, fondamentalement, monsieur le président Mélenchon, nous sommes d’accord pour défendre la République et pour défendre la démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, FI, SOC et GDR. – Mmes et MM. les députés des groupes LaREM, MODEM et FI se lèvent pour applaudir.)
La parole est à M. Hervé Pellois. Comme mes collègues, je suis solidaire des familles endeuillées, des Strasbourgeois, des Alsaciens et de tous les Français.
Ma question s’adresse au ministre de l’agriculture et de l’alimentation. La loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi EGALIM, est une avancée importante. Elle est le fruit des états généraux de l’alimentation qui étaient destinés à mettre un terme à une guerre des prix destructrice de valeur et d’emplois dans nos territoires, à assurer une alimentation saine et durable à l’ensemble de la population et à permettre une meilleure rémunération des agriculteurs.
Le conseil des ministres de ce matin vous a permis de présenter l’ordonnance relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pratiquées par la grande distribution sur les produits agricoles. Si tel est bien le cas, cette ordonnance entrera en vigueur au début de l’année 2019 et s’appliquera en trois temps : le 1er janvier sera appliqué l’encadrement des promotions en valeur ; le 1er février le seuil de revente à perte à un prix supérieur d’au moins 10 % sera relevé ; enfin, le 1er mars, entrera en vigueur l’encadrement des promotions en volume annuel.
L’ordonnance s’appliquera aux négociations commerciales agricoles en cours, qui s’achèveront le 28 février 2019 et qui apparaissent, cette année encore, bien laborieuses entre les transformateurs et la grande distribution.
Tenir les engagements pris à l’issue des états généraux est crucial. Depuis quinze mois, les acteurs de la filière se sont efforcés de trouver un consensus pour sortir par le haut de la guerre des prix. Plus on retarde l’application de la loi, plus ce consensus devient fragile. Le risque est grand de voir cet esprit s’évaporer et chacun revenir à ses préoccupations plus immédiates. Aussi pouvez-vous assurer, monsieur le ministre, que le calendrier sera bien tenu et que le processus d’élaboration collective de solutions, engagé par les états généraux, porteur de beaucoup d’espoirs, sera bien opérationnel et rassurera ainsi les inquiétudes manifestées par les agriculteurs ces derniers jours ?
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Oui, le Gouvernement est au rendez-vous et, oui, à la suite des états généraux de l’agriculture qui se sont tenus il y a dix-huit mois, il a pris ses responsabilités. Ces états généraux ont été, de l’avis de tout le monde, un grand succès. Pour la première fois, en effet, les représentants de toutes les sensibilités politiques, agricoles, économiques – transformateurs, industriels, distributeurs, grandes surfaces… –, se sont réunis pour constater que les divers maillons de la chaîne ne pouvaient plus continuer de se livrer ainsi une guerre sans merci.
Les états généraux ont été conclus au marché international de Rungis par un discours du Président de la République mais aussi par une intervention du Premier ministre qui a tenu des propos très clairs : il faudra prendre des mesures afin qu’une meilleure répartition de la valeur se fasse sur toute la chaîne. La loi EGALIM prévoit des ordonnances. Les députés n’ont pas tous voté ce texte,…
En effet ! …mais les conclusions des travaux des états généraux de l’alimentation ont été partagées par l’ensemble des députés. Quel était l’objectif de mon prédécesseur Stéphane Travert, que je remercie pour son engagement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur de nombreux bancs du groupe MODEM.) C’était celui d’une meilleure répartition de la valeur. Aussi les ordonnances présentées ce matin en conseil des ministres entreront-elles en vigueur pendant les négociations commerciales, à savoir dès le mois de février pour ce qui concerne le seuil de revente à perte, cela afin que les agriculteurs disposent d’un meilleur revenu ; et pour ce qui concerne l’encadrement des promotions, afin qu’on se rende compte une bonne fois pour toutes que les produits agricoles ont un coût et qu’ils doivent donc être payés aux agriculteurs à leur juste valeur. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
La parole est à M. Sylvain Brial. Le groupe Libertés et territoires s’associe à l’hommage rendu aux victimes des événements de Strasbourg et assure les familles qu’il partage leur douleur.
Ma question s’adresse à Mme la ministre des outre-mer. Les Français ne peuvent plus assumer le coût de leurs déplacements, en métropole comme en outre-mer. Les Wallisiens, et plus encore les Futuniens, ne peuvent plus aller et venir hors de leurs territoires. Pour sortir de Futuna, les habitants sont obligés de se rendre à Wallis en empruntant un avion qui transporte moins de dix passagers par vol. Pour recevoir du fret, il faut attendre, au mieux, cinq à sept jours.
Le problème n’est pas seulement local, il est aussi international. Il n’y a aucune fiabilité des vols, ni aucune continuité dans les conditions de voyage : les horaires des vols ne permettent pas d’attraper les correspondances à Fidji, hub international. Il n’est pas possible de sortir moins de cinq jours du territoire. Le problème se pose particulièrement pour le trajet vers la métropole, du fait de l’impossibilité de faire jouer une quelconque concurrence. Le voyage coûte 3 500 euros en passant par Nouméa contre 2 200 euros via Los Angeles. Il n’y a sans doute pas de place pour plusieurs compagnies, mais les services de l’État, l’aviation civile et la direction générale des outre-mer, ont négocié et attribué cette mission de service public qui est subventionnée.
Dans ces conditions, madame la ministre, que signifie le concept de continuité territoriale ? Pourquoi ce rejet de toute intégration régionale ? Pourquoi rien n’est fait pour permettre aux trois territoires français du Pacifique de correspondre ? Depuis l’attribution du marché, le service ne cesse de se dégrader et les prix d’augmenter. Mes compatriotes viennent de plus en plus en métropole : sont-ils des Français à part entière ? Chez nous aussi la colère gronde. Il est plus que temps de répondre à leurs attentes.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LT et UDI-Agir.) La parole est à Mme la ministre des outre-mer. Monsieur le député, vous avez raison, les liaisons aériennes avec Wallis-et-Futuna sont aujourd’hui insatisfaisantes, trop chères et trop peu nombreuses. Toutefois, je ne peux pas vous laisser dire que nous n’avons rien fait à ce sujet.
Vous le savez, depuis dix-huit mois, depuis que j’occupe ma fonction, nous avons lancé une nouvelle délégation de service public avec la collectivité. Nous avons en la matière de grandes ambitions, en particulier celle de proposer un nouveau modèle qui pense Wallis-et-Futuna dans son bassin, et qui n’écarte pas le hub régional des Fidji.
La délégation de service public actuelle n’est certes pas entièrement satisfaisante, même si nous avons mis des moyens supplémentaires : le ministère des outre-mer a ajouté 8 millions d’euros pour faire face aux difficultés. Nous ne pouvions pas mettre fin à un système qui fonctionnait depuis longtemps sans proposer un nouveau modèle. J’ai donc pris la précaution de proposer un avenant à cette délégation de service public, qui prendra effet en 2020. Cela nous laisse un an pour faire mieux.
Avec Mme Élisabeth Borne, ministre chargée des transports, nous ferons en sorte de désigner une mission pour penser différemment le modèle, tant du point de vue aérien que maritime, de manière à donner au développement des transports de Wallis-et-Futuna une cohérence. Ils doivent être moins chers et plus fréquents, permettre de voyager dans la région et de rejoindre la métropole à un coût moindre qu’actuellement. Vous serez associé à ces travaux, comme l’ensemble des élus de Wallis-et-Futuna. Je me suis engagée il y a dix-huit mois à faire mieux et plus pour les petits territoires souvent oubliés ; je serai au rendez-vous.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
La parole est à Mme Sophie Auconie. Monsieur le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, entendez dans ma question la désespérance des agriculteurs de nos territoires ! Nos campagnes sont, à leur tour, gagnées par le sentiment de ras-le-bol.
Ras-le-bol des restaurants collectifs qui préfèrent toujours le prix à la qualité, des centrales d’achat dont la machine à plumer le fournisseur est repartie de plus belle, des taxes et redevances, de l’État qui reprend d’une main ce qu’il a donné de l’autre, des contraintes administratives dont le coût en heures de travail n’est jamais chiffré, des retards dans le paiement des aides publiques alors que les trésoreries des fermes sont à sec. Ras-le-bol aussi des accords commerciaux qui transforment notre marché en auberge espagnole, et des attaques médiatiques et des campagnes de dénonciations calomnieuses qui salissent l’image d’une profession sans autre but que de faire le buzz.
(Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir et LT, et sur quelques bancs du groupe LR. – M. André Chassaigne applaudit également.)
Monsieur le ministre, voilà le cri de colère que les agriculteurs sont venus pousser devant nos permanences. Vous le savez, nos paysans ne sont pas hermétiques au progrès et à l’innovation. Ils savent se remettre en cause. Ils savent changer de méthode de travail pour tirer la qualité vers le haut et s’adapter à un marché où la concurrence est féroce. Ils n’ont pas non plus attendu qu’elle devienne un sujet de colloque pour s’engager dans la transition écologique, ni pour se préoccuper du bien-être de leurs animaux ou pour se diversifier dans la production d’énergies vertes.
Mais lorsque les états généraux de l’alimentation font le constat des enjeux et des problèmes, lorsque le Gouvernement s’engage à apporter les réponses, lorsque le Parlement vote la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite ÉGALIM, les paysans attendent tout simplement que la parole donnée soit tenue.
Que comptez-vous entreprendre pour que la parole publique ne reste pas lettre morte ? À quand la publication des ordonnances promises pour la fin de l’année au plus tard ?
(Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir et LT, et sur quelques bancs du groupe LR.) La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la députée, le constat que vous venez de faire peut être partagé par l’ensemble des parlementaires, sur tous les bancs. Oui, il y en a ras-le-bol de l’« agri-bashing », ras-le-bol que les agriculteurs soient toujours montrés du doigt, ras-le-bol qu’ils ne puissent pas vivre de leurs revenus, et ras-le-bol des déséquilibres ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir et LT.)
C’est la raison pour laquelle, après les états généraux de l’alimentation qui ont eu un grand succès il y a dix-huit mois, une immense majorité de députés a voté la loi ÉGALIM à l’Assemblée nationale pour apporter des réponses. Et il ne s’agit pas de réponses formulées dans des colloques mais de concret. Ce matin, le conseil des ministres a validé les ordonnances qui seront en vigueur, comme le Gouvernement l’avait annoncé et comme le Parlement l’a voté, dès le mois de janvier.
(M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.)
C’est la première fois qu’il y a des baisses de charges et de fiscalité aussi importantes dans un projet de loi de finances initial. Oui, madame la députée, comme vous, et comme beaucoup d’autres, cette majorité et ce gouvernement aiment l’agriculture, cette majorité et ce gouvernement aiment les agriculteurs !
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Nous faisons en sorte qu’ils vivent le mieux possible, mais ils doivent aussi, et nous devons les accompagner, participer à la transition indispensable vers l’agroécologie. Il ne suffit pas de le dire ! Des actes ! Nous devons tous et toutes participer à la transition de notre agriculture, à la baisse de l’utilisation des pesticides, à la fin du glyphosate. Prouvez-le ! Bref, nous devons faire en sorte que notre agriculture monte en gamme afin que nos paysans vivent le mieux possible, et qu’il n’y ait pas de coupure entre la société et les agriculteurs. Oui, nous devons aujourd’hui réconcilier l’agriculture et la société, et les agriculteurs et les citoyens. C’est un engagement du Gouvernement. C’est ce que nous devons faire tous et toutes. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
La parole est à Mme Aina Kuric. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, lundi, nous avons adopté le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne en cas de sortie sèche. Nous aurions souhaité que ces mesures soient, pour leur plus grande partie, obsolètes au soir du 11 décembre. Nous aurions souhaité que l’accord du 25 novembre soit voté par la Chambre des communes et que nous puissions entamer sereinement la phase de transition. Le report du vote du parlement britannique nous démontre qu’un rejet de cet accord se dessine avec de plus en plus de clarté. Ce rejet poserait des questions inédites, que nous aurions probablement souhaité ne jamais nous poser.
Le texte que nous avons voté n’en a désormais que plus d’importance, puisqu’il nous permettra d’accompagner nos concitoyens et les ressortissants britanniques qui ont construit leur vie de chaque côté de la Manche.
Si le départ de ce pays ne représente en aucun cas une bonne nouvelle, il peut cependant marquer le point de départ d’un nouvel élan pour la coopération européenne. Sur ce sujet, la France pourrait renforcer son rôle de moteur de la construction européenne, pour lui amener le nouveau souffle dont elle a besoin.
Nous avons effectivement bâti une Europe imparfaite, mais elle peut changer et s’améliorer ; nous devons nous investir pour assurer notre place dans un contexte international parfois incertain. Robert Schuman annonçait en 1950 que l’Europe ne se ferait pas d’un seul coup. Rappelons-le : l’Union européenne s’est bâtie sur l’idée d’une paix commune et durable, qu’il nous appartient, plus que jamais en cet instant, de préserver. L’Union européenne représente, pour les personnes, la liberté de s’établir, de travailler, de voyager et de multiplier les échanges avec peu de contraintes.
Dans ce contexte d’incertitudes, quelle sera la position du Gouvernement dans les mois à venir dans nos relations avec le Royaume-Uni et de quelle manière allons-nous envisager la poursuite de la construction européenne après le retrait de nos amis britanniques ?
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Il y a eu un accord entre les vingt-sept États de l’Union européenne et la Grande-Bretagne pour entériner l’acte de retrait et préparer la future relation, par une déclaration dont vous avez largement évoqué le possible contenu.
Une négociation de plusieurs mois a abouti à un texte validé par les deux parties, qui devait être soumis lundi dernier au vote du parlement britannique. La Première ministre, pensant manquer de soutien, a décidé de surseoir à ce vote. Nous butons sur un point majeur, appelé
backstop ou clause de sauvegarde, celui de la solution de repli de longue durée évitant le rétablissement d’une frontière dure entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord. Le texte de l’acte de retrait contenait une solution, validée par les deux parties, consistant à régler cette question par un filet de sécurité, qui était, jusqu’à preuve du contraire, la participation, dans le futur, de la Grande-Bretagne à l’union douanière, avec ce que cela comporte d’obligations.
Ce point, validé par les deux parties, fait débat, d’où le report du vote demandé par la Première ministre britannique. Elle rencontrera demain les chefs d’État et de gouvernement des vingt-sept, mais il n’y aura pas de renégociation, même si des observations seront peut-être formulées. Vous le savez, la Première ministre est en difficulté dans son propre parti et affronte ce soir une motion de censure. Nous nous trouvons donc dans une situation complexe, qui n’entame pas notre détermination à avoir, dans l’avenir, de bonnes relations avec la Grande-Bretagne.
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.)
La parole est à Mme Géraldine Bannier. Monsieur le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, l’actualité, insupportable, rappelle sans cesse à tous l’importance cruciale de l’ambition pour le pilier fondamental de notre démocratie qu’est l’éducation.
À l’heure où l’intolérance, qu’elle soit religieuse ou idéologique pour n’évoquer que celles-ci, est en recrudescence, à l’heure où la violence des mots a envahi les réseaux sociaux et déborde même crûment dans la réalité, l’école est le premier rempart de la République, incontournable et essentiel. Les enseignants sont les appuis de ce rempart, les fondations de notre école républicaine. Pourtant, ils sont trop souvent mal considérés, notamment parce que leur autorité au sein de la classe est souvent remise en cause, voire injustement contestée.
Le projet de loi que vous défendrez prochainement devant notre assemblée a une ambition, celle de rétablir la confiance en l’école et dans l’école. Le projet de loi à venir prévoit d’amener les enfants au plus tôt, dès trois ans, aux apprentissages scolaires, pour combattre à la racine l’inégalité des chances. Il proposera également de démocratiser et de réduire les inégalités par un large accès aux langues étrangères, via des établissements à vocation internationale. Il ambitionne de replacer la famille au cœur du processus éducatif. Il semble indispensable aussi, alors que notre société est confrontée à une crise profonde de l’autorité, que le sujet puisse être abordé sans détours ni tabous, alors que le respect d’autrui, valeur fondamentale que vous portez haut, monsieur le ministre, doit redevenir partout incontournable.
L’avenir de l’école et celui de la démocratie sont intimement liés. Pouvez-vous nous présenter votre ambition pour l’école et le rôle que vous lui voyez jouer dans la défense des valeurs démocratiques ?
(Applaudissements sur les bancs du MODEM et sur quelques bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Votre question est évidemment fondamentale et nous renvoie aux missions essentielles de l’école. Nous devons le répéter sans relâche, l’école sert à transmettre des connaissances et des valeurs. La transmission de connaissances implique bien entendu celle de valeurs, et inversement.
Nous devons assumer cette mission éducative. La famille et l’école éduquent ensemble les enfants. La société doit soutenir la famille, lorsqu’il y a des carences, et responsabiliser chacun. La responsabilisation s’apprend au cours du parcours. C’est pourquoi j’ai tant insisté, et je vous remercie de l’avoir souligné, sur l’expression « respecter autrui ». Nous avions l’habitude de dire « lire, écrire, compter », nous voulons désormais dire « lire, écrire, compter et respecter autrui ».
Ces termes sont riches, et, malheureusement, l’actualité signale tout ce qu’ils contiennent. Le respect d’autrui est, en effet, un projet de société. Nous devons prendre conscience que le degré de violence de notre société dit quelque chose de celle-ci. L’éducation est, évidemment, le contraire de la violence, parce qu’elle est le langage et le respect d’autrui, d’abord et avant tout.
Cela passe par des éléments extrêmement concrets, comme la lutte contre le cyberharcèlement, à laquelle nous avons donné une dimension plus forte. L’article 1er du projet de loi pour l’école de la confiance affirme le caractère primordial du respect et de l’excellence des relations entre la famille, d’une part, les professeurs et l’école de l’autre. Ces relations sont un enjeu fondamental pour l’évolution de notre système scolaire et de notre société.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du MODEM et sur quelques bancs du groupe LaREM.) Nous avons terminé les questions au Gouvernement. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de Mme Carole Bureau-Bonnard.) La séance est reprise.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, modifiée par le Sénat, visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer (nos 850, 1452).
La parole est à Mme la ministre des outre-mer. Il y a quelques jours, je suis rentrée de La Réunion, où j’étais aux côtés des Réunionnaises et des Réunionnais afin de les aider à surmonter la profonde crise – dont le mouvement des « gilets jaunes » a été le déclencheur – affectant l’île.
Nous avons évoqué le sujet qui nous occupe ici. Au cours des nombreux dialogues que j’ai menés sur le terrain, la question foncière a été soulevée à plusieurs reprises, bien souvent associée – ce qui semblera relever de l’évidence – au problème plus général du logement.
À vrai dire, il aurait été surprenant qu’elle ne soit pas abordée, tant les enjeux fonciers sont un trait commun de nos territoires ultramarins. Plus que jamais, nos concitoyens y attendent de leurs représentants des actions concrètes et des réponses pratiques à leurs difficultés quotidiennes.
Dès lors que votre proposition de loi, monsieur le rapporteur Letchimy, allait dans ce sens, le Gouvernement a d’emblée choisi de la soutenir. Je me réjouis que votre démarche ait reçu le soutien des parlementaires ultramarins, qui ont participé nombreux à l’élaboration du texte soumis aujourd’hui à votre examen, mesdames, messieurs les députés.
Par ailleurs, je remercie la commission des lois de l’investissement dont elle a fait preuve sur ce sujet essentiel pour nos concitoyens d’outre-mer. Madame la présidente de la commission, il s’agit bel et bien d’un beau travail parlementaire, comme vous me le faisiez observer au cours de la suspension de séance.
À l’issue d’une première lecture dans chaque chambre, la proposition de loi qui vous est soumise est – pour l’essentiel – aboutie. Les préoccupations que j’ai exprimées devant vous lors de la première lecture du texte, relatives à son indispensable équilibre, n’ont plus lieu d’être, car celui-ci, me semble-t-il, est atteint.
L’audace nécessaire au déblocage des situations d’indivision – qui entravent le développement des territoires ultramarins – ne vous a pas empêchés, mesdames, messieurs les députés, de préserver le respect du droit de propriété et du principe d’égalité devant la loi.
Au demeurant, le Gouvernement a choisi d’accompagner plus avant la proposition de loi en proposant de maintenir – sous réserve de l’adoption d’une correction minime de l’article 2 bis – l’élargissement aux autres territoires d’outre-mer de l’exonération fiscale en vigueur à Mayotte. Une fiscalité incitative sera donc instaurée, afin de dynamiser le dispositif législatif et de le rendre plus attractif encore.
Sur le fond, le Gouvernement se contentera de proposer des modifications mineures. La première, en plein accord avec les parlementaires de la Polynésie française, vise à faire en sorte que nous ne trahissions pas notre volonté partagée d’adapter au mieux la législation aux réalités locales.
L’ampleur des litiges fonciers en Polynésie française – où le problème revêt un aspect distinct de celui qu’il présente à Mayotte ou aux Antilles – a amené à envisager des adaptations du droit et des procédures en vigueur. Des réformes ont été menées, notamment la création par l’État d’un tribunal foncier et la réorganisation – lancée par le pays – de l’administration polynésienne en charge des affaires foncières.
En matière juridique, un travail de fond a été engagé. Il associe l’État – sous l’égide de la Chancellerie –, des parlementaires et le pays. Si ce groupe de travail a inspiré certains articles du texte, ses réflexions ne sont pas achevées à ce jour.
Nous avons donc, d’un commun accord, retiré du texte les dispositions relatives à la Polynésie française afin de les renvoyer à un projet de loi dont l’examen aura normalement lieu au cours du premier semestre 2019. Tel est l’objet de trois amendements du Gouvernement, que je défendrai tout à l’heure.
La seconde modification proposée est issue des échanges en cours au sujet de la Polynésie française. Elle consiste en une correction rédactionnelle de l’article 6 visant à y introduire la notion de formalité de la publicité foncière, qui est préférable à celle de transcription. En effet, elle est d’acception plus large et davantage appropriée à notre travail.
Permettez-moi, avant de conclure, d’ajouter encore deux mots. Je voudrais d’abord répondre à Sylvain Brial. La question foncière a suscité des inquiétudes au sein de la population des îles de Wallis et de Futuna, notamment à cause de l’ordonnance du 28 septembre 2016 qui a pu donner le sentiment qu’elle portait atteinte à la répartition des compétences opérée par le statut de 1961. Il n’en est rien, monsieur le député ! Il faut le répéter afin d’apaiser la population sur ce point. Je vous ai bien entendu ; l’État procède aujourd’hui à l’élaboration de la partie réglementaire de cette ordonnance et le ministère des outre-mer veillera scrupuleusement à ce que la prééminence de la coutume soit préservée. Le caractère inaliénable et incessible des terres coutumières, et le rôle des autorités coutumières dans leur gestion sont garantis ; il ne faut pas en douter.
Je tiens enfin à réaffirmer que s’agissant du foncier, le Gouvernement n’entend pas s’arrêter à ce texte. Comme je l’ai déjà souligné – et d’autres avant moi –, nous devons, dans certains territoires, proposer des solutions en matière de titrement. La loi a plusieurs fois tenté d’apporter des réponses, mais – nous pouvons tous le constater – sans changer grand-chose sur le terrain. Nous avons donc besoin de faire un travail complémentaire ; aussi ai-je demandé à la direction générale des outre-mer de piloter, en lien étroit avec la chancellerie, une réflexion à laquelle les parlementaires seront associés pour avancer sur ce sujet crucial. Je souhaite que d’ici juin 2019, des propositions aussi concrètes que les vôtres en matière d’indivision, monsieur le rapporteur, soient mises sur la table pour être débattues.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Mme Josette Manin applaudit également.) La parole est à M. Serge Letchimy, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Permettez-moi tout d’abord de m’associer, au nom de tout l’outre-mer, à l’élan de solidarité qui s’est exprimé devant le drame de Strasbourg.
Madame la ministre, je voudrais commencer par des remerciements. Vous – mais aussi la ministre de la justice et d’autres figures telles que la présidente de la commission des lois, le Président de la République et les membres du Gouvernement dont le Premier ministre – avez bien compris l’urgence de la question et l’intérêt public de la voir traitée. Dans le débat que nous avons mené lors de la première lecture du texte, en janvier – et il en était de même lors de la première lecture au Sénat, en avril –, nous avons ressenti une émotion commune. Vous n’avez pas uniquement cherché des solutions techniques et juridiques au problème foncier de l’indivision successorale, vous avez également – je suis sûr que mes collègues Justine Benin, Maina Sage et d’autres seront d’accord – accompagné une initiative essentielle. Je le dis comme je le pense : le droit à la différence n’est pas l’ennemi de l’égalité, ni l’égalité, l’ennemie du droit à la différence. À ce propos, le Président de la République a utilisé le terme de « différenciation » ; en effet, considérer qu’on peut traiter les choses de la même manière alors qu’elles sont différentes relève d’une absurdité intellectuelle, morale et politique. C’est dans ce sens que j’ai beaucoup apprécié votre esprit d’ouverture. Guillaume Vuilletet, ici présent, a également été un acteur essentiel du processus. La majorité comme tous les autres groupes ont parfaitement compris qu’il y allait de l’intérêt public.
De quoi s’agit-il ? Nous avons une histoire et une société différentes ; cependant nous faisons partie de la République. Au sein de celle-ci, nous ne sommes pas qu’un handicap : nous lui apportons beaucoup. On a souvent tendance à raisonner, philosophiquement, en termes de handicap et c’est ainsi que le Gouvernement nous voit, alors même que nous avons beaucoup d’atouts. Je vous rappelle que 97 % des surfaces maritimes françaises et 80 % de la biodiversité se trouvent dans l’outre-mer. Demain, lorsque l’or vert sera mis en scène et en exploitation dans le monde entier, cela donnera à la France une position magistrale, exceptionnelle. Nous voulons être de ceux qui construisent l’ingénierie de la pensée du développement. Cette expression me semble donc vitale, à la fois pour l’Europe, pour la France, pour la République et pour nous-mêmes.
Cela étant, comment peut-on vivre avec 40 à 50 % de terres en indivision ? Comment fait-on lorsque ce taux atteint 83 %, comme dans la commune de Macouba, au nord de la Martinique ? Comment voulez-vous traiter, dans ces conditions, la question de l’hygiène et de la santé ? En effet, la prévalence des bâtiments ou terrains en indivision induit des conséquences sanitaires graves, tels que le chikungunya, des problèmes d’insécurité et des difficultés de promotion immobilière ; elle engendre surtout une explosion sociale et familiale. Ces situations ne peuvent être réglées que de deux façons : soit par des histoires entre familles, qui ne se terminent jamais – les indivisions durant dix, vingt ou trente ans, on a le temps de mourir sans jamais tirer profit de son bien familial, de ce que papa et maman ont construit –, soit par la décision unanime des indivisaires de sortir de l’indivision ; mais comment l’espérer lorsque la règle d’unanimité ne peut pas être respectée ? C’est pourquoi cette proposition de loi a proposé de revenir, pendant une dizaine d’années, à la règle de la majorité simple, et vous l’avez accepté. Cette exception accordée à l’outre-mer a une valeur très forte : c’est le premier texte de loi de différenciation accepté par la République depuis très longtemps.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et SOC. – Mmes Huguette Bello, Justine Benin et Maina Sage applaudissent également.)
Cette loi est à ce titre exceptionnelle et montre ce que l’on pourrait faire en matière législative. Madame la présidente de la commission, décorer d’un soleil, d’une plage ou d’un cocotier un texte de loi qui émane du centre – de la République, de l’Assemblée nationale –, ce n’est pas respecter l’outre-mer. Faire en sorte que la loi soit construite intellectuellement par nous-mêmes, et présentée telle quelle à l’Assemblée nationale et demain dans nos instances locales : c’est cela, l’ère moderne de la construction de la loi dans la République ! Nous souhaitons donc obtenir un vote conforme, et nous y parviendrons grâce au dialogue et au respect des uns et des autres. J’étais ainsi très favorable à l’idée d’appliquer le dispositif aux indivisions ouvertes depuis plus de cinq ans. Je maintiens d’ailleurs ma position à ce sujet ; en même temps – comme vous le dites si souvent – j’y vois un petit risque, qu’il faut apprécier. J’accepte donc le principe des dix ans, en accord avec mon collègue Vuilletet.
Les territoires au départ étrangers au texte – Saint-Martin, Saint-Barthélémy, Saint-Pierre-et-Miquelon – souhaitent désormais en être ; bienvenue ! Cela permettra de construire un corpus juridique particulier sur le foncier et la sortie de l’indivision. La Corse a déjà beaucoup avancé dans ce domaine, et tant mieux. Je n’avais pas proposé d’introduire la règle de la majorité pour les actes d’administration et de gestion ; cela a été fait par le Sénat, et je m’en réjouis. Cette disposition nous permettra d’aller plus vite, notamment dans la lutte contre l’insalubrité et la gestion du patrimoine. L’instauration par le Sénat du droit de préemption représente également une solution intéressante, car en cas de cession, elle donne la possibilité à un membre de la famille de préempter le bien en question, comme peut le faire le maire. Cela me semble une bonne chose. Le texte clarifie aussi les règles en matière de défaut d’opposition : celui-ci sera désormais opposable à ceux qui n’ont pas réagi lorsque l’indivisaire majoritaire a atteint les 51 %.
S’agissant de l’exonération des droits de partage, je ne veux ni sourire ni bondir car je ne formule jamais de demandes financières ; mais je trouve cependant que sans tout réparer, le Gouvernement a fait un geste extrêmement appréciable en levant le gage, et j’en suis heureux. Enfin, pour ce qui est de la Polynésie, on pourrait dire qu’il s’agit d’une affaire polynésienne ; mais les affaires polynésiennes sont aussi des affaires martiniquaises, antillaises, et plus largement relatives aux territoires d’outre-mer. Une solution se profile pour janvier grâce au texte de loi qui sera débattu entre les Polynésiens et le Gouvernement ; le fait qu’il pose des problématiques purement locales lui permettra d’apporter des solutions adéquates.
Quel sera le sort du texte débattu aujourd’hui ? Issu d’une initiative du groupe Socialistes et apparentés, il est devenu un texte commun, celui de tous pour tous. Chaque fois que je le présente en Guadeloupe, à Paris, dans l’Hexagone ou à Fort-de-France, ce sont 200 à 400 personnes qui se réunissent dans la salle pour en réclamer l’adoption. Il est donc très important de trouver un vote commun, entérinant une rédaction inchangée. Le texte faisant l’objet de quelques amendements rédactionnels, c’est donc le Sénat qui aura le privilège de procéder à un vote dit conforme ; j’accepte, en toute humilité, de partager cette ambition avec la chambre haute.
(Sourires.)
Ce texte de loi permettra bien sûr de lancer beaucoup de programmes de logement nouveaux, mais je voudrais tempérer un peu cette idée. Ce texte que nous avons conçu collectivement est aussi un texte patrimonial, loin de toute concession à la spéculation immobilière. Il ne s’agit pas de faire en sorte que le patrimoine local soit systématiquement reversé dans une dynamique immobilière. Oui, il faut construire des logements ; mais nous devons aussi restaurer et respecter notre propre patrimoine créole, afin de sauvegarder la sémantique et la sémiologie de notre architecture – la case. Plutôt que de tout démolir, il s’agit de tout faire pour redynamiser les cœurs de ville, abîmés par l’absence d’appropriation collective du patrimoine bâti. Ce texte permettra de sortir des grandes difficultés que nous connaissons aujourd’hui : au-delà de la question du logement, nous avons besoin d’une dynamique économique fondée sur la conception de programmes adaptés aux réalités commerciales et économiques locales.
Pour conclure, ce texte augure peut-être d’une ère nouvelle, préfigurant ce qu’on pourrait faire demain. Je souhaite que dans le cadre de la réforme de la Constitution à venir, vous soyez à l’écoute. Plutôt que de donner l’impression que vous subissez l’outre-mer, vous devez partager cette richesse et cette beauté avec nous, afin que demain, on puisse construire les textes de loi dans les meilleures conditions. Je voudrais que vous compreniez que l’outre-mer n’est pas un territoire en panne ni un handicap, mais une chance pour la France ainsi que pour nous-mêmes, et qu’il faut nous permettre de construire notre avenir en commun avec la République.
(Applaudissements sur tous les bancs.) Bravo ! Merci pour ce discours magnifique !
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Josette Manin. Dans l’ensemble des « quatre vieilles » que forment la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion, le rapport des habitants avec la propriété foncière, bâtie ou non bâtie, est extrêmement puissant et imprégné d’histoire. D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement dans des territoires comme les nôtres où l’essentiel des habitants a commencé à faire l’expérience de la liberté et de la propriété privée il y a tout juste 170 ans, une fois libéré de l’infamie de l’esclavage ? L’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises date de 1848 ; et voilà qu’en 2018, les députés de la nation sont appelés à se pencher sur une loi de sortie de l’indivision successorale et de relance de la politique du logement en outre-mer. Mais quel est le rapport, pourriez-vous me demander ?
Je ne ferai offense à personne ici si j’affirme que l’un des ressorts structurels de l’indivision successorale dans les Antilles françaises tient à l’inégale répartition des terres entre les hommes libres de ces sociétés coloniales d’après 1848. Si à l’époque, les anciens esclaves ont arraché eux-mêmes leur propre liberté, l’oligarchie économique et terrienne d’alors a conservé jalousement la majorité du foncier de ces territoires insulaires. Bien évidemment, d’autres ressorts plus contemporains ont accentué l’indivision successorale dans les outre-mer, parmi lesquels on peut citer l’urbanisation et la périurbanisation galopante consécutives à l’aménagement progressif de nos territoires. Vous serez peut-être surpris d’apprendre que la Martinique est la deuxième région française pour la densité de population, derrière l’Île-de-France et devant la Réunion. La proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer arrive par conséquent à un moment crucial dans l’histoire du logement et de l’aménagement durable dans les outre-mer.
Pourquoi cela ? Parce que, si les outre-mer sont les trésors français de la biodiversité mondiale, là-bas, plus que nulle part ailleurs, il est désormais indispensable de conjuguer le développement raisonné des activités humaines avec l’impératif de préserver nos éco-systèmes.
Les territoires ultramarins sont de véritables écrins naturels. Cependant, parce qu’ils sont essentiellement insulaires, ils ne sont pas extensibles, et sont extrêmement sensibles aux appétits croissants d’urbanisation de nos sociétés modernes. Il est donc essentiel d’y optimiser les opérations de construction, de cession, et de réhabilitation de l’habitat collectif ou individuel.
Or vous n’ignorez pas que, dans les travées de cette même assemblée, le Gouvernement a procédé à une coupe drastique dans les dispositifs fiscaux mis en place pour financer la construction et la réhabilitation du logement social pour les outre-mer. Par le biais de l’article 11 du projet de loi de finances pour 2019, ce sont 60 millions d’euros de dispositifs fiscaux en faveur du logement social dans les outre-mer qui ont été supprimés malgré les protestations des députés, hexagonaux ou non.
Bien évidemment, l’indivision successorale concerne la France dans son ensemble. Cependant, elle reste un enjeu majeur dans les outre-mer, puisqu’elle se conjugue à la crise récurrente du logement dont souffrent ces territoires. Si l’on se réfère à la Martinique, c’est 40 % – oui, 40 % ! – du foncier privé qui peut y être gelé du fait de l’indivision successorale.
Songez au manque à gagner pour le secteur du BTP, mais aussi pour les finances publiques, puisque le recouvrement de l’impôt sur ces biens tombés en indivision n’en est que plus compliqué, et qu’avec le temps, mais aussi du fait d’un manque d’entretien ou d’une vacance chronique, leur valeur décroît ! Songez aussi à tout le circuit économique local que ce foncier bâti ou non bâti pourrait alimenter, s’il était dûment entretenu et partagé entre tous les ayants droit !
Nous n’oublions pas non plus que les collectivités territoriales doivent souvent faire face à de véritables difficultés en matière d’aménagement et d’urbanisme, surtout lorsque les biens en indivision font courir un péril – effondrement, glissement de terrain, ou risque sanitaire – à la population.
Cette proposition de loi va enfin permettre d’adapter le régime juridique en vigueur et de faciliter la sortie de l’indivision successorale, grâce à l’autorisation donnée aux indivisaires possédant plus de la moitié des droits d’un bien à en disposer dans les meilleurs délais.
Pratiquement tous les notaires et avocats de nos territoires ont eu à connaître de dossiers de succession devant être classés « sans suite » ou, au contraire, ayant nécessité un suivi continu au cours des cinquante dernières années. Des actes empreints de subtilités juridiques complexes pour les familles se perpétuent ainsi parfois sur plusieurs générations. Le coût financier pour les familles est vertigineux !
Les affaires de succession sont souvent porteuses de tensions et de crispations qui viennent s’ajouter, pour les familles, à la perte de l’être cher et au temps du deuil qui doit se faire. Il faut comprendre le drame qui se joue derrière cette question lorsque la succession provoque, comme trop souvent, la dislocation des familles, mais aussi la précarité de certains ayants droit : beaucoup de fils et de filles, de neveux et de nièces ont dû abandonner le confort d’une construction, d’un toit familial tombé en indivision, pour vivre en location, et certains se retrouvent même sans domicile fixe.
Cette proposition de loi est finalement une question de bon sens, car de nombreux biens immobiliers sont détenus en indivision par des héritiers souvent nombreux et géographiquement éloignés les uns des autres.
Le texte que nous examinons en deuxième lecture a sensiblement évolué depuis son dépôt initial, il y a un an. Plusieurs nouveaux articles sont venus s’y ajouter, et de nombreux amendements ont été déposés, dont beaucoup ont été adoptés. Pour mémoire, en première lecture à l’Assemblée, seize amendements avaient été discutés en commission, et cinquante-trois en séance publique.
Alors que le texte initial s’intéressait aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, le débat parlementaire a permis d’étendre à la Polynésie française et à Saint-Pierre-et-Miquelon les dispositions prévues par cette proposition de loi – mais j’ai bien entendu les précisions apportées à ce sujet par Mme la ministre.
Je veux conclure mon propos en rappelant que le rôle qui est le nôtre, en tant que législateurs, est notamment de défaire les nœuds de notre société, et de donner au droit toute l’objectivité et la pertinence qui permettent de faciliter et de fluidifier les relations sociales.
Je veux saluer le travail pugnace, volontaire et sérieux entrepris par les professionnels du droit et des finances publiques, les fonctionnaires territoriaux et de l’État, les élus locaux et les universitaires qui ont ouvert la voie à cette proposition de loi. Je veux enfin saluer la reprise de ce dossier par le député Serge Letchimy, qui lui a donné une issue décisive en associant tous les parlementaires des outre-mer et de la France hexagonale.
Formant le vœu que nous soyons, jusqu’au bout, tous autant que nous sommes, à la hauteur de l’enjeu, je vous invite à adopter cette proposition de loi de façon unanime.
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LR, UDI-Agir, FI et GDR.) La parole est à M. Mansour Kamardine. Nous avons pu le constater lors des débats en première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat : la proposition de loi visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale est une proposition consensuelle dont le principe emporte l’adhésion de tous les groupes politiques et de tous les parlementaires.
La mobilisation du foncier est en effet une condition incontournable du développement et de l’aménagement des territoires ultramarins. C’est particulièrement vrai à Mayotte, qui connaît, après la région Île-de-France, la plus forte densité de population. Or les difficultés actuelles de sortie de l’indivision successorale sont, dans un contexte de forte croissance démographique, un frein au développement de l’habitat, à la résorption de l’habitat insalubre – qui représente dans nos territoires une forte proportion des logements, atteignant 54 % à Mayotte –, et au développement agricole, industriel et des services, alors même que les collectivités d’outre-mer en général, et Mayotte en particulier, ont justement besoin d’un rattrapage dans ce domaine.
C’est pourquoi le groupe Les Républicains soutient la proposition de loi et souhaite son adoption unanime. De même, nous nous prononcerons bien évidemment, sur les quelques amendements proposés, avec un esprit d’ouverture et à la lumière des échanges qui vont suivre dans cet hémicycle.
Néanmoins, les échanges et la navette parlementaire ont mis en lumière quelques difficultés qu’il convient de prendre en considération.
Si l’on prend l’exemple de Mayotte, dans de très nombreux cas, c’est la fiscalité des successions et les coûts d’enregistrement qui font obstacle à la sortie de l’indivision. La proposition de loi n’ayant pas vocation à traiter de cette question, j’appelle donc le Gouvernement à prévoir des dispositions en ce sens dans les prochains textes financiers que nous aurons à examiner.
Par ailleurs, à Mayotte, des dizaines de milliers de personnes vivent dans des habitations illégales, construites sur des terrains appartenant à autrui, non viabilisés et situés en zones dangereuses.
De plus, la présence et l’activité des officiers ministériels, notaires et huissiers, déjà faibles dans tous les territoires ultramarins, sont notablement insuffisantes à Mayotte. Comment, dès lors, assurer le respect du droit et susciter la mobilisation foncière si le nombre d’offices notariaux et d’études d’huissiers n’est pas doublé ou triplé, comme le suggère l’excellent rapport d’information de la délégation sénatoriale à l’outre-mer de 2016 ? J’appelle donc de nouveau le Gouvernement à prendre les décisions qui s’imposent en matière de continuité et de présence du service public.
J’appelle en outre notre attention, chers collègues, sur le fait que l’éducation nationale est arrivée extrêmement tard dans ces territoires. C’est particulièrement vrai de ceux qui relèvent, ou ont relevé, de l’article 74 de notre Constitution. Ainsi, il a fallu attendre 1983 pour connaître la première promotion de bacheliers mahorais – dont faisait partie notre collègue Mme Ali, que je salue au passage. Dans notre île, l’éducation nationale, y compris dans le primaire, ne s’est donc généralisée qu’au tournant du siècle, il y a à peine vingt ans, et encore, dans des conditions tout à fait inacceptables, puisque 60 % de classes fonctionnent actuellement par rotation : une partie des élèves sont scolarisés le matin et l’autre l’après-midi ! Ainsi une proportion importante des adultes sont-ils lettrés uniquement en langue régionale, et une partie des jeunes encore imparfaitement lettrés en français.
Il est donc nécessaire de prévoir que la publicité prévue à l’article 2 pour informer les personnes concernées de la sortie d’une indivision soit non seulement effectuée en langue française et en langues régionales, mais également, compte tenu du caractère oral de nos cultures, diffusée en langues régionales sur les radios et télévisions locales. Je demande au Gouvernement de prévoir des dispositions en ce sens dans le décret d’application à venir.
Enfin, outre-mer, les évolutions des modes de vie, mais aussi le départ de certains habitants loin de leur terre de naissance, qui accroît la distance entre membres d’une même famille, font qu’il est souvent plus difficile de dresser la liste des héritiers et, par voie de conséquence, des indivisaires. Ce phénomène indéniable est amplifié à Mayotte du fait de l’établissement tardif, à partir de 2000 seulement, d’un état civil de droit commun. Le processus, qui devait être achevé en trois ans, a même duré jusqu’en 2011, et malgré cela, l’état civil est toujours incomplet, en grande partie pour les raisons précédemment exposées. Pour que l’État de droit demeure et afin d’écarter tout risque d’évincer des héritiers indivisaires, il est donc nécessaire que les notaires chargés de sorties d’indivisions successorales aient recours à des généalogistes professionnels ou à des cabinets de généalogie. Mais de telles activités ont un coût et il convient d’en prévoir les modalités de financement pour les héritiers les plus démunis, peut-être à travers l’aide juridictionnelle.
J’appelle donc une nouvelle fois le Gouvernement à rédiger en ce sens le décret d’application : si ne sont pas prévus l’intervention d’experts généalogistes auprès des notaires et les moyens de la financer, les dispositions de la future loi seront vaines.
Pour conclure, j’observe que la proposition de loi est peu bavarde : elle fixe, en six articles et vingt-quatre alinéas, un objectif clair et des outils simples pour l’atteindre. C’est la marque que ses auteurs – cher collègue Letchimy – et ceux qui ont examiné le texte en commission des lois, puis en séance publique, ont recherché l’efficacité. Le groupe Les Républicains se réjouit qu’un sujet de cette importance ait fait l’objet d’une telle démarche : des objectifs politiques clairs, des dispositions législatives et réglementaires que ne le sont pas moins ; bref, des décisions simples et compréhensibles par plus grand nombre. Le Gouvernement, madame la ministre, gagnerait à s’en inspirer de façon plus générale : tout irait alors au mieux dans notre belle et grande France. En cette période de trouble, où plus personne ne maîtrise plus rien, en ce moment d’inquiétude où le destin de toute une nation fait l’objet d’interrogations, le Gouvernement et sa majorité seraient sans doute bien inspirés de jeter à la rivière les ego, le mépris et l’arrogance pour fixer un cap clair, prendre des décisions qui emportent l’adhésion, et s’imposer comme unique discipline le service de l’intérêt général.
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes LR, MODEM, GDR et FI. – M. Serge Letchimy, rapporteur, applaudit également.) La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon. Avant tout, j’ai une pensée particulière pour les victimes de l’attentat qui a eu lieu hier à Strasbourg. J’exprime ma solidarité envers les familles et l’ensemble des personnes concernées par cet événement qui nous glace le sang.
La situation du logement en outre-mer est particulièrement complexe. Pour peu que s’y mêle la question de la transmission du patrimoine, les choses peuvent même devenir conflictuelles. Mais comment aborder un tel sujet sans revenir sur la grande mobilisation populaire que connaît La Réunion depuis le 17 novembre ? En effet, la problématique du logement n’est pas étrangère à la crise actuelle. La récente visite de trois jours que vous avez effectuée sur place, madame la ministre, vous donnait d’ailleurs une occasion de l’aborder. Or rien n’a été dit, comme si le problème n’existait pas.
Il s’agit pourtant d’une des nombreuses inégalités dont vous avez souligné l’existence à votre descente d’avion.
De même, le discours du Président de la République a totalement ignoré la question du logement, pourtant primordiale dans la vie des gens. Pire, sur les autres thèmes, il nous a menti – mais j’aurai l’occasion d’en reparler.
Pour revenir au texte que nous examinons, nous connaissons tous des familles dont les membres se sont déchirés sur une question d’héritage et notamment d’indivision. Dans d’autres cas, on ne parvient pas à retrouver un membre de la famille. À La Réunion, il semblerait que 25 % des affaires civiles portent sur des problèmes fonciers : c’est un chiffre important. Toutes ces affaires ne sont pas en lien avec l’indivision, bien évidemment, mais on peut penser qu’elle en prend une bonne part.
Ce texte propose de faciliter la sortie de l’indivision en outre-mer en facilitant la procédure de vente. Il est possible qu’il apporte une solution à des conflits de famille ou à des contentieux juridiques. Cependant, je reste convaincu que le logement souffre surtout, en outre-mer, d’une certaine lourdeur administrative et d’une inadaptation des outils proposés par l’État. La question du financement et de la programmation même est majeure ; pensons à la suppression de l’aide personnalisée au logement-accession à la propriété – APL-accession – demandée par la ministre des outre-mer.
De plus, il existe des possibilités de vente sous contrôle du tribunal qui protègent déjà les droits des autres indivisaires. Il aurait fallu évaluer ce dispositif avant d’instaurer une autre procédure.
Il est vrai qu’une procédure judiciaire prend du temps et engendre des frais pour chacune des parties. Mais c’est justement pourquoi l’augmentation des moyens humains et financiers de la justice est à mes yeux incontournable.
Par ailleurs, nous devons veiller à ce que les nouvelles dispositions ne permettent pas aux profiteurs et spéculateurs de brader les patrimoines familiaux en abusant de la précarité de certains indivisaires. À cet égard, notre groupe soutiendra les amendements déposés, dont nous estimons qu’ils améliorent le texte : celui de notre collègue Jean-Philippe Nilor, qui prévoit une évaluation claire de la situation actuelle, mais aussi des futurs effets de la loi, et ceux de notre collègue Moetai Brotherson, qui adaptent au mieux le dispositif à la réalité de la Polynésie française.
Je voterai donc ce texte, car j’estime et j’espère qu’il pourra régler un grand nombre de cas et ainsi améliorer la situation du logement outre-mer.
Cela dit, je veux m’adresser maintenant au Gouvernement : il ne faut surtout pas négliger les conséquences du manque de pouvoir d’achat sur l’accès au logement. Le mouvement des gilets jaunes, notamment à La Réunion, apporte plusieurs enseignements ; les négliger, c’est négliger le peuple.
Mme la ministre est sûrement favorable à ce texte, mais, comme je l’ai déjà dit, elle soutient la politique désastreuse du Gouvernement, et notamment dans le domaine de l’accès au logement. Heureusement qu’il n’y a pas de taxe sur l’hypocrisie : de nombreux ministres seraient ruinés, et le président Macron aussi.
Devant l’insistance de la population, et le manque de courage d’une grande majorité de la classe politique réunionnaise –
la cour kilote dan la main , en créole –, quelles réponses ont été apportées ? Rien, mais rien de rien sur le logement. Rien sur l’allocation logement. Rien sur le drame de l’APL-accession. Rien sur la relance de la construction de logements neufs afin de répondre aux besoins des familles et des entreprises. Rien sur le manque de logement pour les étudiants. Rien sur les logements adaptés pour les personnes âgées ou handicapées. Rien sur la relance de la réhabilitation alors que beaucoup de logements tombent en ruines et abîment la santé de leurs occupants. Rien sur la cherté de la vie. Rien sur le coût de construction.
Concernant ce dernier point, l’Autorité de la concurrence a révélé au mois d’octobre dernier les surcoûts importants s’appliquant aux matériaux : ciment, bois de charpente, granulats, carreaux de céramique. Ils coûtent en moyenne 39 % de plus à La Réunion que dans l’Hexagone ! Le bois est plus de 60 % plus cher, l’enduit jusqu’à 250 % plus cher.
L’éloignement n’explique pas tout. Les abus sur les marges, la fiscalité, le transport, la réglementation de la construction pèsent sur les coûts, mais c’est le degré de concentration économique, c’est-à-dire l’insuffisance de la concurrence, qui influe le plus fortement sur les prix. L’Autorité de la concurrence parle d’oligopole, soulignant ainsi la suprématie de quelques acteurs ; elle s’interroge sur l’existence de comportements anticoncurrentiels et soupçonnerait des abus de position ou des accords d’importation exclusive.
Dans les réponses du Gouvernement, rien sur l’application de la loi SRU, alors que dix communes sur vingt-quatre ne respectent pas le quota de construction de logements sociaux. Rien sur la revalorisation des revenus et des salaires pour permettre aux locataires d’améliorer leurs conditions de vie et d’habitation.
Pa la ek sa, y met do fé avec jericane l’essence, après y donne un ti bouteille de lo pour éteinde. Le dernier discours d’Emmanuel Macron le démontre clairement.
Parce qu’elle n’écoute que les riches, la majorité En Marche refuse d’entendre le constat que je suis obligé de répéter : 81 000 Réunionnais sont mal logés ; 36 000 logements n’ont pas l’eau chaude, et 6 000 n’ont ni baignoire ni douche ; 35 % des logements sociaux sont surpeuplés ; entre 500 et 600 logements ont été construits en 2016 et 2017 alors que les demandes sont dix fois plus importantes ; entre 300 et 400 personnes sont sans abri ; 40 000 appels ont été passés au 115 pour trouver des hébergements d’urgence en 2017 ; plus de 100 ménages ont été expulsés avec le concours des forces de l’ordre, sans solution de relogement.
Derrière ces chiffres, il y a des vies. Je pense notamment à ces deux familles que j’ai rencontrées avant de prendre, hier, l’avion pour Paris. La première vit à sept personnes dans un trois-pièces : la grand-mère, son conjoint, sa fille et ses quatre petits-enfants scolarisés. Imaginez le tableau ! La deuxième, c’est ce couple avec deux enfants en bas âge et un troisième à naître dans deux mois, et qui n’a qu’une seule chambre dans son logement. Je peux passer toute la journée à vous raconter des histoires vraies comme celles-là.
Face à cela, comment accepter les larmes de crocodiles du président Macron lors de son allocution de ce lundi soir ? Il aurait bien mérité un Molière du meilleur comédien. C’est dramatique.
Chers députés de la majorité, la situation est catastrophique ; mais vous n’entendez rien ni personne. Aucun signal de détresse ne semble vous atteindre. Je vous demande d’entendre raison, même si comme l’ensemble du peuple français je doute de votre capacité à changer d’avis. Alors voilà, une fois encore, vous êtes prévenus, et cette fois dans le cadre solennel de l’hémicycle : écoutez, agissez dans le bon sens. Sinon, l’histoire vous jugera.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à Mme Huguette Bello. Ainsi que vous l’avez clairement et unanimement démontré, mes chers collègues, ce texte sur l’indivision est très attendu dans les outre-mer ; son adoption en première lecture a même suscité une certaine impatience. Qu’elles aient trait à la nécessaire relance de la politique du logement et de l’aménagement du territoire, à la sécurité publique, aux urgences sanitaires, au développement économique, à la sauvegarde du patrimoine, ou tout simplement à la bonne entente dans les familles, les raisons sont nombreuses qui placent la question foncière au carrefour des politiques publiques outre-mer et des trajectoires familiales.
C’est pourquoi notre responsabilité en tant que législateur est de faire preuve de la plus grande exigence afin d’aboutir à un dispositif littéralement incontestable tout au long des dix années de sa durée d’application. Rien ne serait plus désastreux qu’une mise en œuvre provoquant conflits et contentieux ou – pire – de nouvelles impasses. Le scénario du groupement d’intérêt public – GIP – chargé de la reconstitution des titres de propriété, dont les résultats sont plus que limités dix ans après son inscription dans la loi, est notre contre-exemple absolu. Cet échec est sans doute encore plus mal vécu dans les territoires comme La Réunion où la commission départementale de vérification des titres instituée par la loi du 30 décembre 1996 n’existe tout simplement pas.
Les lectures à l’Assemblée nationale et au Sénat ont permis de parvenir à un équilibre entre l’objectif de faciliter les sorties d’indivision dans nos territoires et des considérations aussi fondamentales que le droit de propriété et la protection des indivisaires minoritaires, du conjoint survivant, des descendants mineurs ou encore des personnes vulnérables.
Cette nouvelle lecture est l’occasion de renforcer la portée de ce dispositif et de peaufiner les équilibres juridiques.
À l’article 1er, deux questions sont encore en suspens : faut-il privilégier une plus large application du texte en visant les successions ouvertes depuis plus de cinq ans, ou alors la stricte cohérence avec le délai de dix ans de droit commun des actions en matière de filiation ? La volonté de sécuriser au maximum le dispositif plaide plutôt en faveur de la seconde solution. Il en est de même quant à l’harmonisation des seuils pour tous les actes d’administration et de gestion : gardons la règle commune des deux tiers et réservons celle de la majorité absolue à l’acte de sortie de l’indivision.
Dans un cas comme dans l’autre, il est préférable de ne pas ajouter de nouvelles dérogations à la différenciation majeure que constitue le dispositif de sortie de l’indivision pour les outre-mer. Autrement dit, il faut sécuriser au maximum le texte, et donc nos concitoyens qui en feront usage.
Dans la même logique, nous devons défendre les dérogations lorsqu’elles contribuent à rendre ce nouveau dispositif efficient, notamment lorsqu’elles empêchent qu’il ne soit entravé par des considérations financières. C’est en ce sens que l’exonération du droit de 2,5 % sur les actes de partage prévue à l’article 2 bis est capitale. Revenir sur cette disposition, que l’article 73 de la Constitution permet d’envisager et qui existe d’ailleurs déjà à Mayotte, signifierait que pour bon nombre d’indivisaires ce texte resterait lettre morte. Notons au passage que le calendrier législatif permet de traduire dès cette année cette mesure d’ordre fiscal dans la loi de finances et ainsi de respecter la règle édictée par le Gouvernement.
L’article 5 adapte et élargit les dispositions relatives à l’attribution préférentielle qui pourra être sollicitée par un indivisaire faisant la preuve qu’il réside sur la propriété depuis plus de dix ans au moment de l’introduction de la demande de partage. Pour importante qu’elle soit, cette avancée ne résout pas l’épineuse question du versement d’une soulte. Nous avions longuement abordé, lors de la première lecture, l’hypothèse d’une requalification des renonciations, qui ne seraient ainsi plus assimilées à une libéralité soumise de ce fait à une taxation. La solution du cantonnement prévue pour les successions testamentaires semblait sur la bonne voie. Elle ne figure pas encore dans le texte, comme d’ailleurs aucune autre solution. Il s’agit là d’un obstacle de taille pour l’application réelle de ce texte. Mais, encore une fois, le calendrier budgétaire se prête à une issue favorable.
Notre collègue Moetai Brotherson, qui avait prévu de s’exprimer à cette tribune la semaine dernière, m’a confié le soin de dire combien cette loi a suscité d’attentes en Polynésie. Il constate qu’après moult péripéties et de multiples discussions parfois tendues, la Polynésie ne prendra plus place dans ce texte.
Le partage par souche proposé par l’article 5 A est ambitieux. Mais la rédaction ne satisfait pas aux exigences de la Cour de Cassation qui veille à ce que tous les plus hauts vivants de toutes les souches viennent en représentation. Et que dire des difficultés que va poser l’omission d’héritiers en Polynésie, où un contexte local déjà conflictuel au sujet des « affaires de terre » aboutit systématiquement au partage judiciaire ? Selon notre collègue, c’est la paix sociale qui doit être privilégiée et non la légitimation au moins partielle du recel successoral. Aussi plaide-t-il pour qu’un temps de réflexion supplémentaire soit laissé à la Polynésie.
(Applaudissements sur les bancs des groupes FI et SOC.) La parole est à M. Sylvain Brial. Je veux saluer le travail de notre collègue Serge Letchimy, qui est à l’origine de cette proposition : ce n’était pas simple, et il a manifestement convaincu puisque le texte qui nous arrive a été approuvé très largement.
Le foncier en outre-mer est un véritable sujet ; il faut, pour le traiter, humilité, volontarisme et respect des spécificités de chaque territoire. Il constitue un problème lorsque des successions non abouties privent des individus d’un capital, bloquent les transactions et le développement de l’immobilier.
C’est pourquoi, dans l’intérêt de nos territoires, il est nécessaire de trouver une solution, notamment en se fondant sur les besoins exprimés localement. C’est ce que fait cette proposition de loi.
En effet, comme vous avez pu le dire en commission, monsieur Letchimy, ce texte a été véritablement pensé localement et travaillé au niveau national, en vue de son adoption par le Parlement. Frappé au coin du bon sens, il répond à des problématiques majeures en outre-mer. Il rendra donc pleinement effectif le principe d’adaptation prévu à l’article 73 de notre Constitution, c’est-à-dire l’application de dispositions très différenciées dans les territoires ultramarins. Vous avez donc pu affirmer à juste titre qu’il représente « la première vraie loi de différenciation », et, comme vous, le groupe Libertés et territoires souhaite que demain « nous puissions penser un texte de loi localement, l’adopter localement et qu’il soit ensuite approuvé par le Parlement ».
Je veux, par ailleurs, parler de la situation du foncier à Wallis et Futuna. Je vous remercie, cher collègue, d’avoir su respecter nos fondements culturels en n’intégrant pas notre territoire dans votre proposition de loi. Vous avez compris notre attachement à la coutume selon laquelle le foncier doit rester dans les familles, passant de génération en génération, sans cadastre – un bien inaliénable, comme le reconnaît notre statut.
Un rapport d’information du Sénat de 2014, qui précise le régime coutumier de propriété foncière à Wallis et Futuna, distingue trois types de propriété : la propriété publique des autorités coutumières, objet de droits coutumiers, qui concerne des zones non cultivées, des routes et le rivage à marée basse ; la propriété de village, appartenant à des propriétaires mais laissée sous la direction du chef de village – un modèle qui n’existe pas à Futuna ; la propriété familiale, qui confère au groupe familial un droit perpétuel, exclusif et inaliénable sur le sol qu’il exploite.
Notre sensibilité, notre susceptibilité sur le sujet n’ont pas toujours été comprises. Il convient qu’ici, à Paris, nos administrations fassent preuve – selon votre exemple, monsieur le rapporteur – de plus d’ouverture et de compréhension à l’égard de notre culture, afin d’éviter des tensions inutiles.
Oui, le foncier ne suscite pas le même attachement, ni la même gestion sur nos îles ou en métropole. La population est unanime à ce sujet : si, lors des assises des outre-mer, les habitants ont fait beaucoup de propositions, personne n’a remis en cause ce fondement de notre culture. Lorsque des conflits surviennent, comme cela arrive, la coutume apporte des réponses. Il en est de même lorsqu’un terrain est nécessaire pour telle ou telle construction d’intérêt commun : les chefferies trouvent une solution. Dès lors que l’on respecte la coutume, il est parfaitement possible de satisfaire les attentes de chacun.
Nous entendons donc surveiller ce qui se fait chez nous : nous ne souhaitons pas voir notre territoire se doter de résidences hôtelières imposantes accueillant, au mépris de l’environnement, des populations trop nombreuses adeptes de toutes sortes de loisirs. Nous ne souhaitons pas que des investisseurs sans scrupule viennent détruire nos îlots, condamner nos récifs coralliens ou tout simplement spéculer.
La suite qui sera donnée au livre bleu des outre-mer nous donnera l’occasion de proposer des formes d’adaptation au monde moderne issues de nos propres réflexions, élaborées en commun et conformément à notre coutume.
Cette proposition de loi respecte chacun. Les solutions qu’elle apporte sont certes imparfaites, mais permettent d’aller de l’avant. Voilà pourquoi je voterai ce texte, et appelle mon groupe à en faire autant.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LT, UDI-Agir, SOC et GDR.) La parole est à M. Guillaume Vuilletet. Je voudrais d’abord saluer le travail de mes collègues, le rapporteur Serge Letchimy et le président de la délégation aux outre-mer, Olivier Serva. J’ajoute une pensée pour ma complice de la commission des lois, Maina Sage, avec laquelle j’ai eu de nombreux échanges.
Évidemment, dans cette assemblée, on ne fait que du bon travail. Mais, certaines fois, on a le sentiment que l’ouvrage est encore de meilleure qualité. C’est le cas avec ce texte, auquel je suis heureux d’avoir participé auprès de vous, chers collègues d’outre-mer.
Très bien ! Ce texte aura été le fruit d’une concertation fructueuse au sein de l’Assemblée, tous groupes confondus, et avec le Sénat. Dans l’intérêt des territoires insulaires, il a transcendé les clivages politiques, et son application, je le sais, améliorera concrètement les conditions de vie et d’existence des populations ultramarines. Je tenais particulièrement à le souligner, de même que je tenais à saluer le travail remarquable accompli par le Sénat, sous la houlette du sénateur de Mayotte Thani Mohamed Soilihi, par ailleurs membre du groupe La République en marche au Sénat.
Comme l’a souligné le rapporteur Serge Letchimy, ce texte est d’intérêt public en raison de la situation particulièrement sensible dans laquelle se trouvent les départements et régions d’outre-mer, qui connaissent une multiplication des successions non réglées, aboutissant à des indivisions, le plus souvent non gérées, ce qui donne lieu à des situations familiales bien souvent inextricables. Une part non négligeable du foncier de ces territoires se trouve donc paralysée et en déshérence. En Martinique, on estime à 26 % la part du foncier privé géré en indivision. À Mayotte, des communes entières se trouvent ainsi en situation d’indivision.
C’est cette réalité, particulièrement dommageable au développement des territoires concernés, que la proposition de loi entend prendre en compte et traiter. Son objectif est simple : favoriser et accélérer les règlements successoraux, afin de rendre le foncier plus facilement disponible sur les territoires insulaires où celui-ci est rare. En substance, il s’agit, pour ces indivisions qui durent depuis plusieurs générations et qui concernent parfois des centaines d’indivisaires, de permettre à la majorité d’entre eux, dès lors qu’ils se sont mis d’accord, de surmonter le blocage grâce à la vente ou le partage des biens.
Ce sujet sensible mérite que l’on s’y arrête. Il est sensible non seulement juridiquement, parce qu’il écorne le droit de propriété inscrit dans notre constitution, mais également parce qu’il concerne des situations profondément humaines, dans lesquelles les attaches familiales se mêlent au rapport à la terre, au déracinement et à la complexité des descendances. Et il mérite que l’on s’y arrête car cette réalité concerne près de 40 % du foncier de ces territoires et provoque de nombreux désordres.
La première conséquence, et peut-être la principale, est le blocage de l’aménagement de ces territoires. Comment reconstituer le tissu urbain et l’adapter aux nécessités du temps lorsque la moitié, voire les trois quarts du foncier sont immobilisés, et que le moindre coup de pioche est susceptible de provoquer un contentieux ?
L’ordre public est également en jeu, dans la mesure où les biens laissés en déshérence peuvent non seulement poser des problèmes de sécurité mais également entraîner des troubles sociaux – lorsqu’il faut en déloger les occupants – ou encore être source de menaces sanitaires.
Parler de la terre autour de laquelle se nouent des relations familiales complexes, c’est évoquer aussi le recours à la justice et à une forme de brutalité que l’on ne doit pas manquer de prendre en considération.
Notre objectif doit donc être de régler ces situations avec davantage d’humanité. Souvent, les biens considérés sont occupés par des indivisaires, lesquels ont parfois noué des accords, tacites ou formels, avec d’autres indivisaires. Or ces occupants n’ont ni les moyens de racheter leurs parts, ni d’entretenir le patrimoine.
Parfois encore, certains héritiers sont tout simplement inconnus, soit qu’ils se soient éloignés de milliers de kilomètres, soit que la succession concerne plusieurs générations. La seule issue est souvent le tribunal, c’est-à-dire un conflit familial, en rupture avec les pratiques sociales et culturelles de ces territoires.
Il s’agit donc de clarifier et de pacifier des conflits familiaux qui perdurent depuis des générations, parfois du fait de la mauvaise volonté de certains, mais souvent, parce que les personnes concernées sont réellement démunies face à la situation.
Il s’agit ensuite de mettre fin aux désordres publics que j’ai évoqués – occupations illicites ou réseaux sanitaires hors d’usage –, qui font que des quartiers entiers se nécrosent et se replient sur eux-mêmes, faute d’aménagements et d’entretien, jusqu’à devenir sinon des zones de non-droit, du moins des zones en marge de la société. Dans le cas d’une dégradation des réseaux, le risque peut même devenir sanitaire.
Il s’agit enfin de faire droit au nécessaire aménagement du territoire. L’outre-mer n’échappe pas à l’exigence du pays de redéfinir son espace urbain. L’exiguïté insulaire renforce même cette nécessité : reconstruire la ville sur la ville, l’adapter aux nouvelles populations, renforcer son attractivité et son efficacité au regard des mutations sociales, environnementales, sanitaires et technologiques demande une pleine capacité à intervenir sur le foncier.
Le Gouvernement entend provoquer un choc d’offre en matière de logement par la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ELAN, dont j’ai été le rapporteur au nom de la commission des lois. Dans la situation qui est la nôtre, l’expression est en effet pertinente : c’est bien un choc quantitatif et qualitatif que nous devons provoquer en tout point du pays.
Et nous devons le faire en cohérence avec le livre bleu qui définit la politique du Gouvernement dans les outre-mer. Comment, en effet, loger correctement une population en constante évolution si près de la moitié du territoire qu’elle occupe est littéralement figée ?
En première lecture, la proposition de loi dont nous discutons avait été votée à l’unanimité par la commission, le 10 janvier dernier. Je m’en étais alors félicité, même si nous savions tous qu’il y avait des sujets en suspens. En effet, la loi se devait non seulement d’être opérationnelle et solide, de respecter la Constitution, mais aussi d’être efficace. Or sans être paralysés par la peur du Conseil constitutionnel, nous estimions inutile d’adopter un texte en sachant qu’il nous ferait aller directement dans le mur !
Les mesures dérogatoires stabilisées proposées aujourd’hui sont cependant de nature à débloquer la situation. Partant du constat que les indivisions constituent un obstacle à la réhabilitation ou à la reconstruction des biens, l’article 1er du texte prévoit ainsi de déroger à la règle de droit commun sur le régime des indivisions successorales.
Jusqu’à aujourd’hui, si une majorité des deux tiers des indivisaires suffisait pour accomplir certains actes conservatoires et d’administration sur le bien, le consentement de chacun d’entre eux était exigé pour pouvoir effectuer tout acte de disposition. De telles modalités constituaient un frein évident au développement du logement et à la résorption de la pénurie qui touche ce secteur. Il convient donc de faciliter la sortie de l’indivision successorale en dérogeant à la règle de l’unanimité en matière de consentement.
Un régime de soutien est par ailleurs institué au bénéfice du conjoint survivant, de l’enfant mineur et du majeur objet d’une mesure de protection. Ainsi, la procédure ne pourra pas s’appliquer dans trois cas : lorsqu’il s’agit d’un local d’habitation et que le conjoint survivant du défunt y réside ; lorsque le défunt laisse un ou plusieurs descendants mineurs ; lorsque l’un des indivisaires se trouve hors d’état de manifester sa volonté. Accommoder le droit de la propriété demandait en effet quelques précautions, et induisait une notion évidente de proportionnalité. De ce point de vue, l’équilibre trouvé permet à l’évidence d’assurer la constitutionnalité du dispositif.
Je me félicite que le dialogue poursuivi ait permis de s’accorder sur la teneur du dispositif, dont un objectif essentiel, la préservation des intérêts des personnes, est ici atteint.
Dans la continuité des travaux de l’Assemblée nationale, le Sénat a voté des modifications de nature à renforcer encore l’efficacité du dispositif, tout en lui apportant de nouvelles garanties en matière de sécurité juridique.
Il a en particulier prévu qu’il ne s’appliquerait qu’aux successions ouvertes depuis plus de dix ans, au lieu de cinq. J’entends que ce point fait débat mais, je le répète, il importait de sécuriser le dispositif. De toute façon, le stock des dossiers en cours est malheureusement tel qu’il donnera largement matière à s’occuper pendant les dix ans que durera l’expérience.
Par souci de cohérence, le Sénat a aussi modifié la majorité requise pour effectuer des actes d’administration ou de gestion, jusqu’à présent fixée à deux tiers des droits indivis, afin d’éviter qu’il ne soit plus difficile d’effectuer ces actes que de procéder à des actes de disposition.
Je veux insister sur la publicité dont doit impérativement s’entourer l’application du dispositif. Nous devons absolument nous donner les moyens de garantir que personne ne soit laissé dans l’ignorance ou mis de côté.
Pour encourager les héritiers à partager les biens indivis, le Sénat a également introduit un nouvel article relatif à une exonération du droit de partage de 2,5 % pour les immeubles situés dans les territoires ultramarins concernés par le dispositif dérogatoire de sortie d’indivision.
Je voudrais m’arrêter un instant sur ce point. Nous parlons de biens dont la valorisation est complexe – c’est la conséquence de leur état d’abandon. Leurs multiples propriétaires sont très souvent démunis. Il leur est difficile d’engager des fonds sans que les biens n’aient été valorisés. Cet encouragement fiscal est donc nécessaire, et je me réjouis de constater que le Gouvernement a décidé de lever le gage. Je salue à cet égard l’opiniâtre volonté dont nos collègues ont fait preuve – notamment Olivier Serva – pour obtenir ce résultat.
Le Sénat a par ailleurs souhaité voter un texte traitant de l’ensemble des outre-mer, et donc également applicable à la Polynésie française mais, comme nous le savons à présent, la situation de ce dernier territoire exige que nous poursuivions notre travail, d’autant que d’autres supports seraient sans doute mieux adaptés pour l’évoquer. Nous nous en tiendrons donc à une version plus légère.
Cette proposition de loi ne résoudra évidemment pas toutes les difficultés, mais elle constitue un signal majeur, signifiant que les outre-mer, sous l’impulsion de leurs élus et avec le soutien de la nation, ont décidé de tourner la page de l’immobilisme.
La République est une et indivisible, mais elle se nourrit des enseignements que lui apportent ses diversités. Au travers de ce texte, l’outre-mer nous montre un chemin. Je parie que, sous peu, nous saurons nous en inspirer pour traiter d’autres problèmes, qui concernent l’ensemble de la nation.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.) La parole est à Mme Maina Sage. En cette journée un peu particulière, je veux également adresser, au nom du groupe UDI-Agir mais aussi, je le pense, de l’ensemble de mes collègues, des pensées amicales à toutes les victimes de Strasbourg mais aussi à celles des derniers week-ends.
Vu de l’Hexagone, la sortie de l’indivision successorale est un sujet qui peut paraître anodin. Or il est en fait essentiel pour le développement – mais aussi pour l’apaisement – des territoires d’outre-mer. Depuis des décennies, l’indivision pose en effet de graves problèmes au sein des familles : elle y est source d’incompréhensions et d’inimitiés, voire, dans certains cas, de violences. À mon sens, le sujet est donc d’abord social avant d’intéresser le logement et l’aménagement. Il s’agit également d’un enjeu majeur pour le désenclavement des territoires. Au début de l’année, lorsque nous débattions du titre de la proposition de loi, j’avais fait valoir que celle-ci ne se réduisait pas à la seule question du logement. En effet, la sortie de l’indivision résout bien d’autres problèmes.
Avant d’en venir à la Polynésie, je tiens à remercier Serge Letchimy pour son ouverture à la situation des autres territoires et pour sa patience ; Guillaume Vuilletet – ce n’était pas évident au début, mais il a su entendre nos messages et comprendre les difficultés que connaissent nos territoires – ; le ministère des outre-mer et celui de la justice avec lequel nous travaillons actuellement pour finaliser des mesures propres à notre territoire ; nos collègues de l’outre-mer et de l’hexagone ainsi que les députés présents aujourd’hui, qui s’intéressent aux spécificités ultramarines.
En Polynésie, l’indivision constitue un problème social, familial et de développement, ce que je voudrais illustrer par quelques chiffres, ainsi 678 dossiers sont en cours de traitement au bureau des avocats – une structure d’aide juridictionnelle intégrée à la direction des affaires foncières et qui constitue un exemple sans doute unique dans la République, puisqu’elle permet, depuis plus de vingt ans, d’accompagner les familles dans la sortie de l’indivision.
Dans la plupart des familles, les indivisaires d’un bien sont des dizaines, voire des centaines, ce qui n’est pas évident à gérer. L’accompagnement est donc indispensable. À cet égard, je salue le rôle du gouvernement de Polynésie, notamment de la direction des affaires foncières, et de tous les professionnels impliqués. Depuis plus de cinq ans, nous travaillons régulièrement sur ces questions avec l’État, les juges, les notaires, les avocats. C’est un vrai travail d’équipe qui mérite d’être applaudi – d’autant que de nombreux experts ont pris bénévolement sur leur temps pour nous aider à aboutir – je l’espère pour la Polynésie – très prochainement.
Devant le tribunal foncier, on compte 1253 dossiers ouverts, dont plus de 500 concernent le partage par souche. Pour ceux qui se posent encore des questions sur le sujet – sur lequel nous aurons l’occasion de revenir très bientôt –, je précise nous nous bornons à reprendre la jurisprudence. En effet, aujourd’hui, en Polynésie, les juges de première instance autorisent le partage par souche, mais leurs décisions sont fragilisées par la position de la Cour de cassation qui ne l’admet pas. Nous souhaitons donc inscrire le partage par souche dans le droit afin de sécuriser les décisions des tribunaux polynésiens.
Un rapport datant de 2014 estimait qu’à moyens constants, le traitement du stock de dossiers demanderait vingt années de procédures judiciaires – pouvez-vous l’imaginer ? En Polynésie, le principe n’est pas le règlement à l’amiable, mais le contentieux, et 68 % du contentieux immobilier y est généré par l’indivision – un chiffre proche de ceux que connaissent les DOM. Il est donc grand temps de faire quelque chose.
Qu’avons-nous fait depuis dix ans ? En 2004, à l’occasion de la loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie, la possibilité a été donnée de dédier un tribunal aux affaires de terre. Mais il a fallu dix ans pour que le tribunal foncier soit effectivement créé – un véritable parcours du combattant. Je remercie tous les gouvernements précédents ainsi que mes collègues – je me souviens de Colette Capdevielle et de mon prédécesseur Édouard Fritch qui avait porté les amendements en commission – pour ce qui fut un travail de longue haleine. Désormais, le tribunal foncier fait l’objet d’une convention trisannuelle avec l’État aux termes de laquelle le ministère de la justice lui attribue des moyens spécifiques, lesquels vont disparaître fin 2018. Madame la ministre – j’avais déjà saisi votre collègue du ministère de la justice –, pouvez-nous rassurer sur le maintien de ces moyens ?
La création du tribunal foncier devait absolument s’accompagner d’une adaptation du droit civil. Dès lors que plusieurs dispositions de cette proposition de loi rejoignent les préoccupations de la Polynésie, nous avons profité du vecteur législatif pour introduire deux dispositions – l’une sur l’attribution préférentielle, l’autre sur l’omission d’héritier – qui pourront bénéficier aux autres territoires, et j’en suis ravie.
Nous travaillons sur d’autres sujets tels que l’option d’héritier, le droit de retour, le partage par souche – la modification introduite au Sénat fait toujours l’objet de discussions. Par conséquent, en plein accord avec le Gouvernement, il a été décidé de retirer de cette proposition de loi toutes les dispositions concernant la Polynésie en vue de les intégrer dans le projet de loi simple devant compléter le projet de loi organique relatif à la révision du statut de la Polynésie, qui devrait nous être soumis très bientôt, et don nous souhaitons qu’il comporte un titre dédié au droit foncier. J’espère que cette solution permettra une adoption plus aisée de la proposition de loi, et je remercie une nouvelle fois Serge Letchimy pour son sens de l’écoute.
Les propositions que nous ferons serviront peut-être à d’autres plus tard, sous réserve d’adaptations, mais il nous paraît opportun de les adopter en un bloc. Les travaux avancent bien ; nous organisons des visioconférences entre l’ensemble des experts en Polynésie et le ministère de la justice – la dernière s’est tenue avant-hier et a permis d’aboutir à une rédaction sur un grand nombre de points. Je tiens à rassurer mes collègues, les dispositions envisagées seront évidemment présentées au conseil des ministres de Polynésie ainsi qu’aux élus locaux afin de recueillir leurs avis avant que le texte soit examiné par notre Assemblée.
Le groupe UDI-Agir soutiendra évidemment cette proposition de loi. Ce bel exemple de travail transpartisan peut montrer le chemin à suivre pour d’autres sujets plus difficiles que nous avons à traiter.
(MM. Guillaume Vuilletet et Serge Letchimy, rapporteur, ainsi que Mmes Huguette Bello et George Pau-Langevin applaudissent.) La parole est à Mme Justine Benin. Au nom du Mouvement démocrate, je souhaite adresser mes pensées solidaires à toutes les familles de victimes ou de blessés, à la ville de Strasbourg mais aussi aux forces de sécurité et de secours.
Le groupe MODEM et apparentés tient à saluer la deuxième lecture de cette proposition de loi, déposée par le groupe Socialistes dans le cadre de sa niche en janvier dernier. Je tiens à féliciter le rapporteur pour le travail qu’il a effectué sans relâche.
Cette proposition de loi est – vous l’avez dit, monsieur le rapporteur – un texte de tous pour tous, un texte d’intérêt public qui transcende les clivages politiques. Elle offre une respiration bienvenue en ces temps troublés et difficiles. Adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, puis au Sénat, elle est très attendue sur le terrain. C’est donc une bonne chose que le Gouvernement et le groupe majoritaire aient souhaité son adoption avant la fin de l’année pour permettre une entrée en vigueur dès 2019.
En effet, ce texte propose de premières pistes pour résoudre un problème parfois méconnu et pourtant particulièrement prégnant dans nos territoires ultramarins. Si la question du logement est sensible sur l’ensemble du territoire français, elle est particulièrement exacerbée en outre-mer.
Dans les territoires ultramarins, les surfaces foncières disponibles sont assez restreintes, et l’accès au terrain est notamment rendu difficile par les problèmes associés à l’indivision. En pratique, de nombreux biens immobiliers sont détenus en indivision par de multiples héritiers, souvent dispersés, ce qui a pour conséquence d’immobiliser un nombre important de terrains constructibles.
Cette situation contribue au manque de logements dont souffrent les territoires ultramarins. En effet, qu’il s’agisse de logements intermédiaires ou de logements sociaux, d’achat ou de location, nos compatriotes sont nombreux, en outre-mer, à éprouver les pires difficultés pour se loger décemment à des prix correspondant à leurs moyens et à leur situation familiale. Certes, les causes de ces difficultés sont multiples mais la disponibilité du foncier est un des obstacles majeurs à la construction et au développement d’une offre plus importante.
À ce sujet, la proposition de loi de M. Letchimy comporte des dispositions très intéressantes qui permettraient de libérer le foncier tout en offrant de véritables garanties non seulement aux indivisaires, mais aussi aux conjoints, aux enfants majeurs ou incapables copropriétaires d’une parcelle ou d’un bien bâti.
Je l’ai dit en commission, mais je tiens à le répéter à cette tribune, environ 40 % du foncier est paralysé en Martinique et en Guadeloupe ; à La Réunion, la situation n’est guère meilleure.
L’article 1er propose un changement radical aux effets positifs. Il vise à permettre de déroger à la règle de l’unanimité en matière de consentement et à autoriser, pour toute succession ouverte depuis plus de dix ans – le Sénat a allongé le délai de cinq ans initialement prévu –, les indivisaires titulaires en pleine propriété d’au moins la moitié des droits indivis à procéder au partage du bien concerné.
Cette possibilité serait cependant exclue – et cette protection nous paraît indispensable – dans trois cas : si le conjoint survivant vit toujours sur place ; si le défunt laisse un ou plusieurs descendants mineurs ; si l’un des indivisaires est incapable majeur. Compte tenu de la sécurité assurée par ces exceptions, et les blocages étant dus, dans la très grande majorité des cas, à une minorité d’indivisaires, nous sommes favorables à la démarche de notre collègue Serge Letchimy.
Par ailleurs, l’application de l’article 1er serait limitée dans le temps, puisqu’il concernerait les projets de vente ou de partage notifiés avant le 31 décembre 2028, ce qui laisserait largement le temps d’obtenir les résultats escomptés sans pour autant modifier définitivement notre droit. Tout l’enjeu est donc de faire de cette fenêtre temporaire une respiration au service de la libération du foncier et de la construction.
Le Sénat a choisi de s’inscrire dans la continuité des travaux engagés par l’Assemblée nationale, tout en apportant quelques modifications qui nous semblent de nature à renforcer l’efficacité et la sécurité du dispositif. Notre groupe soutient donc cette proposition de loi telle que le Sénat l’a enrichie. Nous exprimons cependant une réserve réelle, du point de vue du droit, sur l’article 5 A, introduit par nos collègues sénateurs. Celui-ci évoque un partage « par souche » ; or nous doutons de la réalité juridique de cette notion. Nous avons vu en commission, avec notre collègue Maina Sage, que cette question pourrait être résolue dans un texte à venir, spécifiquement consacré à la Polynésie française. À cet égard, je salue l’amendement déposé par le Gouvernement.
Cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité en première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat, illustre parfaitement l’intérêt, pour un territoire, pour nos territoires, d’adopter une législation différenciée, même temporaire, afin de remédier au mieux à leurs problèmes spécifiques. Cette différenciation, si utile à l’outre-mer, peut également l’être sur le territoire métropolitain. Ce texte sera enrichi par d’autres amendements et fera l’objet, je l’espère, d’un vote conforme au Sénat.
Pour toutes ces raisons, le groupe MODEM et apparentés estime que le Parlement ferait œuvre utile en adoptant ce texte. Nous le soutiendrons donc avec enthousiasme.
(Mme Huguette Bello, M. Philippe Dunoyer, Mme Catherine Kamowski et M. Guillaume Vuilletet applaudissent.) La parole est à M. Jean-Philippe Nilor. Dans nos territoires dits d’outre-mer – car on est toujours l’outre-mer de quelqu’un d’autre, et il y a toujours, quelque part dans le monde, quelqu’un qui est votre outre-mer – et singulièrement en Martinique, nombreuses sont les familles pour qui la sortie de l’indivision constitue un enjeu vital, à plus d’un titre. Ces familles nous attendent, nous entendent et nous observent.
Je souhaite vraiment que ce texte, une fois voté, même s’il n’a pas la prétention de tout régler, permette, durant les dix années d’expérimentation prévues, de remédier à un maximum de cas d’indivision. Néanmoins, jusqu’à son adoption, nous ne pouvons pas faire l’économie de continuer à l’enrichir et à le muscler.
L’impact économique et social des situations de blocage dues à l’indivision est certainement sous-évalué. Des mesures spécifiques sont donc nécessaires pour nos territoires micro-insulaires, par définition non extensibles, où, plus qu’ailleurs, le foncier doit être optimisé et protégé. D’où l’importance, si une loi dérogatoire spécifique est adoptée, de l’adapter afin qu’elle colle au mieux à nos réalités, les dispositions actuelles du droit positif ayant largement montré leurs limites.
C’est pourquoi j’ai d’emblée, dans un état d’esprit constructif, soutenu cette proposition de loi défendue par Serge Letchimy, dont je salue l’initiative et l’engagement, tout en proposant, en première lecture, un nombre certain d’amendements visant à pallier les limites du texte initial, à le sécuriser et à le rendre plus efficace. Ces amendements de bons sens, élaborés avec les professionnels concernés, ont été pour beaucoup rejetés en première lecture. Toutefois, onze mois plus tard, j’observe avec satisfaction qu’ils ont été intégrés dans la version proposée en deuxième lecture.
Je veux parler notamment de trois modifications cruciales, dont le texte a finalement été enrichi – et heureusement ! La première est l’application du dispositif aux successions ouvertes depuis plus de dix ans. Le délai de cinq ans nous paraissait inapproprié, car l’article 330 du code civil accorde à un enfant non reconnu la possibilité de faire établir sa filiation par possession d’état pendant dix ans. L’application du texte aux successions ouvertes depuis seulement cinq ans aurait donc emporté une part de risque que les notaires eux-mêmes n’auraient pas été prêts à prendre, les situations d’enfants non reconnus demeurant encore assez fréquentes chez nous.
Deuxièmement, il fallait mettre en cohérence la présente proposition de loi avec d’autres dispositions du code civil qui lui étaient liées de manière incidente, afin de ne pas créer de nouvelles incohérences au sein d’un même article dudit code. Un nouveau paragraphe, II bis, a même été intégré au sein de l’article 1er, et je m’en réjouis ; c’était le sens de l’amendement no 28 que j’avais défendu en première lecture. Dans sa version initiale, le texte rendait plus aisée la vente d’un logement en indivision, puisqu’il suffisait désormais de l’accord de la moitié des indivisaires, que la vente des meubles indivis pour payer les dettes de l’indivision, opération qui nécessitait l’accord d’au moins les deux tiers des coïndivisaires.
Troisièmement, la loi ne prévoyait – comble de l’aberration ! – aucune disposition financière. Or il importait d’étendre à nos collectivités l’exonération du droit de 2,5 % dont bénéficiaient déjà la Corse et Mayotte. En effet, pour faciliter concrètement la sortie de l’indivision, il faut s’attaquer à l’un des problèmes majeurs : la nécessité d’acquitter des frais et droits de succession et de partage, véritable nœud de l’indivision. Cette disposition, désormais retenue dans la proposition de loi, la rendra plus efficace.
Aujourd’hui plus que jamais, je salue le fait que l’on ait finalement entendu raison et que ce texte ait pris de la consistance au fil de son parcours. J’en profite pour saluer le travail remarquable réalisé par le Sénat. J’exprime en particulier mon profond respect au sénateur Thani Mohamed Soilihi pour son apport décisif. En tout état de cause, j’espère que ce texte sera voté et permettra de faciliter la résolution des trop nombreux cas en suspens dans les cabinets des notaires.
Puisqu’il s’agit d’une loi expérimentale, elle ne saurait être dépourvue d’un outil d’évaluation, par exemple un observatoire, qui permettrait d’en dresser un bilan positif. Telle est la proposition que je comptais défendre lors de nos discussions ; je suis arrivé ce matin de Martinique à cette fin. Or coup de théâtre : à midi trente, l’amendement a été déclaré irrecevable au nom d’un improbable article 108 du règlement.
Pourtant, nous gagnerions à disposer de chiffres précis sur les successions ouvertes, sur les dossiers en cours de traitement et ceux qui seront traités pendant la période expérimentale, sur les causes de blocage à l’origine du maintien de l’indivision, sur les cas de litige ayant entraîné la saisine du tribunal, sur la réalité de l’abandon manifeste, sur le foncier disponible pour le logement et les activités économiques, etc. Ces données objectives nous auraient permis de mieux apprécier l’opportunité de proroger éventuellement le dispositif ou de l’améliorer, conformément au souhait exprimé dans le préambule du texte initial.
Je regrette ce qui s’est passé et je considère que cette pratique ne fait honneur ni à l’Assemblée nationale ni au travail parlementaire. Malgré tout, dans l’intérêt supérieur de nos compatriotes, et compte tenu de la qualité du texte finalement proposé, je voterai celui-ci avec force, conviction et détermination.
(Applaudissements sur plusieurs bancs.) Et je suis fier – je le dis en regardant Serge Letchimy dans les yeux – de constater que, pour une fois, l’indivision ne nous aura pas divisés ! (Sourires et applaudissements sur de nombreux bancs.) La parole est à M. Olivier Serva. Tout d’abord, je salue la mémoire des victimes de l’attentat de Strasbourg et exprime à leurs familles toute la solidarité de l’Assemblée nationale.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture répond à des enjeux économiques et sociaux essentiels pour les territoires d’outre-mer. Elle a pour objet d’adapter le régime des successions aux caractéristiques de ces territoires en instaurant une dérogation à la règle de l’unanimité en matière de consentement, afin de faciliter aux héritiers la sortie de l’indivision. Ainsi, les indivisaires majoritaires, c’est-à-dire ceux qui détiennent plus de la moitié des droits indivis, pourront présenter au notaire un projet de partage ou de vente du bien, ce qui favorisera la sortie de l’indivision.
Je salue le travail, discret mais très efficace, de notre collègue Guillaume Vuilletet,…
Très juste !