XVe législature
Session ordinaire de 2019-2020

Séance du jeudi 07 mai 2020

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi tendant à proroger l’état d’urgence sanitaire et à compléter ses dispositions (nos 2902, 2905).
Cet après-midi, l’Assemblée a commencé la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement no 385 à l’article 1er.
Je suis saisi de deux amendements, nos 385 et 386, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour les soutenir.
Ces amendements tendent à préciser que le juge « peut » prendre en considération la situation de l’état d’urgence sanitaire, « notamment » le niveau des connaissances scientifiques au moment des faits.
En effet, je ne voudrais pas qu’en introduisant une disposition conjoncturelle – certes, l’épidémie de covid-19 n’est pas mentionnée mais le lien avec la crise sanitaire est évident – on oblige le juge à prêter une attention particulière aux questions scientifiques.
Les sujets scientifiques sont, par nature, controversés mais les décideurs politiques ne doivent pas en profiter pour se dégager de leurs responsabilités en s’abritant derrière les propos d’un scientifique. Vous trouverez toujours des scientifiques pour, au même moment, défendre des théories opposées. Certains affirment que les masques sont nécessaires, d’autres qu’ils ne le sont pas. Je ne l’ai pas inventé ; le Premier ministre l’a dit lui-même – ce qui augure peut-être une stratégie de défense particulière du Gouvernement, le moment venu, devant la Cour de justice de la République.
Les magistrats doivent pouvoir examiner l’intégralité de la situation. La rédaction de l’article telle que nous la proposons permettrait de répondre à votre volonté de rassurer les élus chez qui vous avez fait naître des inquiétudes – ce qui reste votre problème –, tout en restant fidèle au dispositif de la loi Fauchon de 2000. Ainsi, j’ai fait la synthèse de vos propositions !
La parole est à Mme Marie Guévenoux, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission. Avis défavorable car ces amendements tendent à laisser au juge la possibilité de prendre en compte ou non l’état des connaissances scientifiques. Or, nous souhaitons qu’il les prenne en compte systématiquement et rende sa décision à la lumière du contexte scientifique. Il n’aura pas le choix. Il le fera de toute façon ! La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement. Même avis. La parole est à Mme Danièle Obono. Vous aurez tous compris que par ces amendements, nous réagissons au choix de la majorité, à la suite des sénateurs, d’introduire une disposition qui non seulement nous semble inutile au regard de la législation existante, issue de la loi Fauchon, mais surtout tend à déresponsabiliser les décideurs politiques, ce qui est particulièrement malvenu dans le contexte actuel.
Les raisons en sont évidentes : tout le monde aura constaté l’incapacité du Gouvernement à assumer sa mission de protection lors du déclenchement de l’épidémie. Votre stratégie, dès lors, est simple : individualiser les risques pour vous défausser sur d’autres acteurs, en particulier les élus locaux.
Ce constat est partagé, ce qui explique que nous ayons été nombreux à interpeller le Gouvernement. Nos amendements tendent à corriger la situation. Vous envoyez en effet un mauvais signal à nos concitoyens : plus personne n’étant responsable de quoi que ce soit, chacun doit – passez-moi l’expression – se « démerder » comme il peut. C’est le système D des élus, des soignants, au niveau local. Au contraire, un gouvernement responsable devrait accorder aux services de l’État les moyens de fonctionner correctement. Il devrait permettre aux agents et aux élus locaux de répondre avec cohérence et efficacité aux problèmes qui se posent. Le Gouvernement actuel en a été incapable mais ce n’est pas une raison pour enfoncer un coin dans une procédure déjà complexe qui garantit l’accès au droit et à la réparation. Elle doit demeurer efficace.
(Les amendements nos 385 et 386, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l’amendement no 562. Nous reprenons le débat sur l’opportunité de modifier ou non l’article 121-3 du code pénal, qui pose la question de l’application de la loi Fauchon aux procès que pourrait générer cette crise, dès lors qu’il a été décidé de modifier l’équilibre antérieur et d’inscrire dans la loi l’obligation pour le juge d’apprécier l’état des connaissances scientifiques au moment des faits. À ce propos, Mme Vichnievsky reconnaissait elle-même hier, en commission, que la rédaction du dispositif pourrait être améliorée. Je vous propose ainsi d’adopter cet amendement qui tend, la loi pénale étant d’interprétation stricte, à ce que l’appréciation des connaissances scientifiques au moment des faits ne soit qu’un critère parmi d’autres. On parle souvent du détenteur de l’autorité publique pour apprécier la qualité de l’accusé. Faisons en sorte que le maire rural ne soit pas placé au même niveau que les experts. Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable car le juge pourra toujours tenir compte d’autres critères. Quel est l’avis du Gouvernement ? Je répète, à la suite des amendements qui viennent d’être déposés ce soir, tant par M. Bernalicis que M. Brindeau, que le juge apprécie déjà la responsabilité en tenant compte d’un certain nombre d’éléments, énoncés à l’article 121-3 du code pénal – la nature des fonctions, des missions, des compétences ou encore le pouvoir et les moyens dont la personne en cause disposait, entre autres. Il vous est simplement proposé d’ajouter le critère de l’état des connaissances scientifiques. Le juge pourra apprécier les faits in concreto selon plusieurs paramètres, dont celui de l’état des connaissances scientifiques. Avis défavorable. La parole est à M. Ugo Bernalicis. C’est amusant, madame la ministre : vous venez de dire que le juge « pourra apprécier », ce qui ressemble étonnamment à la rédaction que je vous proposais.
Entendons-nous bien : doit-il le faire ou peut-il le faire ? En droit, les conséquences ne seront pas les mêmes. Le nœud du problème est là : vous voulez contraindre le juge et non plus lui laisser la latitude que lui permet la rédaction actuelle de la loi, silencieuse sur ce point. Vous voulez le contraindre à prendre en compte l’état des connaissances scientifiques tout en cherchant à nous assurer que vous ne modifiez pas la loi Fauchon. En effet, ce n’est pas votre intention, mais vous tenez tout de même à rassurer les uns et les autres. Dans ce cas, offrons toutes les garanties pour que le juge puisse apprécier la responsabilité en fonction du critère des connaissances scientifiques, entre autres. Nos amendements ainsi que celui de M. Brindeau, que je voterai, vont dans ce sens.
Si vous maintenez votre rédaction, je me demande quelle considération vous portez aux juges ! Que pensez-vous vraiment d’eux ? Croyez-vous qu’ils n’apprécient pas déjà la responsabilité en fonction des circonstances ?
Et vous, monsieur Bernalicis ? Je pense, madame la ministre, qu’il conviendrait de leur garantir la plus complète liberté d’appréciation. La parole est à M. Pascal Brindeau. L’introduction de la mention de l’état des connaissances scientifiques en commission, hier soir, modifie le sens de l’article 121-3 du code pénal car, la loi pénale étant d’appréciation stricte, le critère de l’état des connaissances scientifiques devient prépondérant, ce qui pourrait empêcher de distinguer entre les élus qui auraient pu détenir des informations scientifiques du fait de leur statut ou de leur place dans la chaîne décisionnelle – critères mentionnés à l’article 121-3 du code pénal – et ceux qui ne pouvaient pas accéder à cette connaissance.
Le débat est juridique, bien sûr, mais il est également politique. Personne ne veut laisser penser que l’Assemblée ou le Gouvernement prépareraient le terrain pour déresponsabiliser ou amnistier certains hauts responsables de l’administration. Parce que personne ne le souhaite, nous devons prendre toutes nos précautions.
(M. Ugo Bernalicis applaudit.)
(L’amendement no 562 n’est pas adopté.) La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 387. Je ne désespère pas de convaincre ceux de mes collègues qui, dans cet hémicycle, refuseraient de dégager quiconque de sa responsabilité pénale dans ce pays.
Cet amendement tend à introduire, à l’alinéa 3, après le terme « sanitaire », le mot « notamment », pour que l’état des connaissances scientifiques soit pris en compte au même titre que d’autres éléments.
Notre collègue l’a dit, la loi pénale est d’interprétation stricte. Nous ne voudrions pas que certains s’abritent derrière les controverses scientifiques, qui sont bien réelles.
Notre crainte est d’autant plus justifiée que les autorités politiques se servent déjà des controverses scientifiques pour se dédire, semaine après semaine, et essayer ainsi de nous convaincre qu’ils avaient eu raison, il y a deux mois, de déconseiller le port du masque.
En insérant ces petits mots, « entre autres », « notamment », on laisse toute latitude aux juges de peser le pour et le contre, à charge et à décharge. En ne le faisant pas, on contraint le juge à prendre en compte l’état des connaissances scientifiques. Il est bien évident que le juge, au vu du contexte, ne les négligera pas. Ce serait dommage ! Mais leur mention dans la loi pourrait introduire une hiérarchisation dans les moyens utilisés pour poursuivre une personne. Or je pense que ce n’est pas judicieux en l’état actuel du droit.
Vous le savez si bien vous-même, madame la garde des sceaux, que votre position initiale consistait de ne pas modifier la loi Fauchon.
Eh oui ! Ce n’est qu’en raison du débat qui a surgi chez les maires, les enseignants et les directeurs d’établissements scolaires que vous êtes contrainte de vous replier sur des formulations griffonnées sur un coin de table – ce que nous devons tous faire en ce moment, vu les délais. Mais c’est du code pénal qu’il s’agit ici, et il me semble préférable d’éviter de le modifier sur un coin de table. Quel est l’avis de la commission ? Je vais tenter de répondre une dernière fois sur le sujet, en clarifiant mes propos pour M. Bernalicis. C’est très clair ! Le juge doit tenir compte de l’état des connaissances scientifiques, mais il n’est pas obligé d’en tirer les conséquences. Ce sera à lui d’apprécier la situation. (Exclamations sur les bancs du groupe FI et sur plusieurs bancs du groupe LR.) Encore heureux ! C’est ainsi que fonctionne la justice. Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Aurélien Pradié. Je n’imagine pas que la rigueur qui a présidé à chacune de vos prises de parole dans l’hémicycle, madame la garde des sceaux – quand vous nous invitiez à ne pas faire de lois bavardes, à ne pas broder et à ne pas toucher inutilement des mastodontes comme le code pénal –, je n’imagine pas que cette partie de vous ait totalement déserté la mission que vous remplissez aujourd’hui, et je suppose que vous n’êtes pas à l’aise dans ce rôle-là. Je dis simplement ceci : au mieux, ce que nous sommes en train de faire ne servira à rien,… Eh oui ! …au pire, cela instillera un soupçon détestable dans l’idée que l’on se fait de l’engagement politique.
Il faut le dire à l’ensemble des maires, qui expriment une préoccupation légitime : ce que nous faisons dans cet alinéa ne les protégera pas davantage. Et, en vérité, ils n’espèrent pas être mieux protégés, le jour hypothétique où ils se trouveraient devant le juge pénal.
Ce qu’ils veulent, c’est que l’État participe mieux à la protection de leurs concitoyens sur le territoire national. Quoi que l’on décide de modifier du code pénal, cela n’effacera pas le bricolage, les incertitudes, les va-et-vient, les mensonges qui ont pu être prononcés par le Gouvernement et qui ont installé la défiance entre les élus locaux et le pouvoir exécutif. C’est cela, le cœur du sujet : vous pouvez bricoler autant que vous voulez, cela n’enlèvera rien à la défiance qui existe aujourd’hui entre ceux qui sont au cœur de l’action, ceux qui assurent la protection de nos concitoyens, et l’exécutif.
La parole est à M. André Chassaigne. Même si je participe au vote de la loi depuis longtemps, je ne suis absolument pas juriste, aussi m’appuierai-je davantage sur le bon sens et sur mon expérience pour émettre un avis sur cette affaire que j’essaie de comprendre.
Quand j’ai reçu, le week-end dernier, les protocoles sanitaires, je me suis empressé de les lire. J’ai lu celui relatif aux écoles, car l’une de mes filles est professeure des écoles et parce que j’ai moi-même été maire, pendant vingt-sept ans, d’un village où se trouve une école primaire. Et puis, ayant été principal de collège pendant vingt-et-un ans, j’ai aussi ouvert celui relatif aux collèges et lycées. J’en ai discuté avec des collègues, avec ma fille et avec des habitants de mon village, et j’en ai déduit que ces deux protocoles sanitaires ne sont pas applicables dans leur totalité. Je pourrais vous en faire la revue page par page : ils ne sont pas applicables.
Mais bien sûr ! En tant que principal de collège, je ne peux pas être poursuivi au niveau pénal ; ma hiérarchie peut éventuellement me sanctionner d’un blâme si je fais mal mon travail. Si j’applique le protocole de façon incomplète, je fais la démonstration qu’il est inapplicable, mais je mets alors en danger les collégiens que je reçois, à moins que ces protocoles ne soient un immense parasol de garanties, destinés à éviter que ceux qui les ont rédigés ne soient inquiétés par la suite. Je me demande notamment ce qu’apporte l’ajout qui a été fait.
J’ai été assez convaincu par Laurence Vichnievsky, qui disait tout à l’heure, avec beaucoup d’honnêteté intellectuelle, que l’alinéa n’ajoutait rien de particulier au niveau juridique, car la jurisprudence suffit, mais qu’il permettait de sécuriser ceux qui sont confrontés aux protocoles : un maire qui hésiterait à prendre sa décision, ou un principal de collège qui paniquerait au moment de recevoir les collégiens. C’est du moins ainsi que je l’ai compris. Mais, si c’est le seul mérite de cet ajout et seulement cela,…
Ce n’est même pas cela ! …et au vu de ses conséquences politiques et médiatiques, je pense que c’est une erreur de le laisser dans le texte. Bien sûr ! Ça va foutre un jaja incroyable alors que, juridiquement, cela n’apporte rien de plus. La parole est à M. Erwan Balanant. Revenons sur l’histoire de l’alinéa que nous examinons. Il est une réponse à l’émoi, sûrement légitime, de certains maires, qui a poussé les sénateurs à les rassurer, en adoptant un amendement qui a posé problème au Mouvement démocrate car il touche aux fondamentaux de la loi Fauchon, que nous pensons parfaitement équilibrée.
Il serait douteux qu’une grande magistrate comme Laurence Vichnievsky souhaite un jour exonérer quelqu’un de sa responsabilité. C’était, après tout, son métier.
Ce n’est pas sa culture ! Il n’y a pas plus anticlérical qu’un curé défroqué ! Un juge d’instruction instruit à charge et à décharge ! Elle est désormais une très bonne députée qui, tirant parti de son expérience, a corrigé l’erreur faite par les sénateurs – il arrive aussi à l’Assemblée de commettre des erreurs ensuite corrigées par le Sénat – afin de parvenir à une formulation qui respecte à la lettre la loi Fauchon. Non ! L’alinéa ainsi rédigé a un avantage : celui d’inscrire dans le texte la jurisprudence sur la question, afin de rassurer les maires. Loi bavarde ! Messieurs les Républicains, c’est vous qui avez voulu les rassurer ainsi… Il est insupportable ! Vite, mettez-lui un masque ! (Sourires.) …et je ne comprends pas l’entière mauvaise foi dont vous faites preuve sur ce point. Au Sénat, l’amendement de retrait du Gouvernement a fait zéro voix ! Si l’on fait la loi en respectant la loi, on ne fait plus la loi… La parole est à M. Didier Paris. J’ai tardé à prendre la parole car je souhaitais laisser le débat suivre son cours, mais j’avoue être excédé par la situation. Nous sommes dans un lieu où l’on fait de la politique, et c’est naturel, mais pas à n’importe quel prix et pas dans n’importe quelles conditions.
J’écoute avec attention M. Pradié qui donne des leçons depuis tout à l’heure. Il nous disait cet après-midi : « Je suis opposé à l’amnistie. » Le terme n’est pas le bon, comme l’a indiqué la garde des sceaux, mais l’idée est là. Pourtant, l’amendement qu’il a proposé commençait par : « Nul ne peut voir sa responsabilité pénale engagée. » Je ne sais pas exactement ce qu’il entend par là, il devra peut-être nous l’expliquer.
Lisez juste après ! Ne faites pas l’idiot ! Notre autre excellent collègue Philippe Gosselin, que j’apprécie beaucoup, a dit une chose que je n’aurais jamais cru entendre dans l’hémicycle : il nous a reproché le fait que la loi pénale s’applique à tout le monde. Mais c’est le propre de la loi pénale ! Vous exonérez y compris vos copains, et vous remettez une pièce dans la machine ! Chers collègues, n’oublions pas les fondamentaux, n’oublions pas la manière dont nous construisons la loi.
Nous reconnaissons tous la valeur de la loi Fauchon. Relisez-la : nulle part vous n’y verrez les termes « élu », « décideur public » ou « décideur privé ». Elle s’applique à tous, à ceci près – puisque nous sommes tous un peu juristes – que le code général des collectivités territoriales contient, pour les maires, présidents de département et de conseil régional, un renvoi explicite à la loi Fauchon. À l’époque, le but n’était rien de plus que de les rassurer en rappelant que les élus font face à une responsabilité telle qu’ils sont, eux aussi, soumis à la règle collective de responsabilité spécifique.
Pas du tout ! Mme Vichnievsky a dit tout à l’heure qu’elle l’avait utilisée en tant que magistrate ! Cela a été utilisé, ce n’est pas de l’affichage ! Nous nous trouvons dans un contexte particulièrement difficile, celui d’une crise sanitaire que nous n’avons jamais connue, et il est légitime de rassurer les élus. Tel est le sens de l’amendement déposé par les groupes MODEM et LaREM en commission, qui spécifie qu’il sera tenu compte de la situation particulière que rencontre tout décideur public. Ce n’est pas la peine ! Arrêtez d’instrumentaliser une situation qui ne le mérite pas, vous vous grandirez. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.) Quel melon ! L’humilité est une vertu ! La parole est à M. Ugo Bernalicis. Je comprends les difficultés auxquelles sont confrontés les maires. En effet, comme l’a rappelé en commission notre collègue Raphaël Schellenberger, ils sont à la fois politiquement responsables devant leurs électeurs et agents de l’État. Oui, pour l’état civil ! Dans les circonstances actuelles, la double casquette que leur confère la loi les place dans une situation délicate, notamment en ce qui concerne les protocoles sanitaires relatifs à la réouverture des écoles.
Ce qui m’a frappé, c’est qu’ensuite, les enseignants et directeurs d’établissements se sont mêlés aux maires pour demander : si nous devons, nous aussi, faire appliquer les protocoles, risquons-nous d’être mis en cause s’ils sont mal appliqués, ou trop, ou pas assez ? C’est cette interrogation qu’il faut entendre, car ils ne sont pas sécurisés dans leur manière de fonctionner au quotidien.
En effet, la loi a d’autres aspects : un fonctionnaire ne doit pas obéir à un ordre manifestement illégal, ou qui pourrait mettre en danger les usagers du service public. Or quel chef d’établissement oserait dire : « Je pense que nous mettons les élèves en danger, je n’appliquerai pas vos méthodes » ? Il s’exposerait à des sanctions de la part de son administration. Et pourquoi ? Entre autres, parce que nous n’avons toujours pas fait avancer la question du statut des lanceurs d’alerte. Je dis cela en passant car c’est un sujet que j’ai défendu.
La situation restera donc inextricable tant que le Gouvernement n’assumera pas clairement l’entière responsabilité des décisions prises, qu’il s’agisse des protocoles sanitaires dans les établissements scolaires, du plan de déconfinement ou des transports en commun.
Vous plaidez Jupiter ! Que Jupiter se débrouille avec lui-même ! Je pense qu’il va vite redescendre sur Terre et que cela se finira mal pour lui. Allez, allez… Quoi qu’il en soit, il ne me paraît pas souhaitable d’introduire des éléments de circonstance, comme la « catastrophe sanitaire », dans le texte. Lors de la prochaine crise environnementale, ajouterez-vous un nouvel alinéa pour prendre en compte les connaissances scientifiques pour ceux qui n’auraient pas su prédire tel séisme ou tel phénomène ? Ce n’est pas sérieux ! Il a raison !
(L’amendement no 387 n’est pas adopté.) La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l’amendement no 561. Pour une énième tentative ! On en a pour toute la nuit. On devrait réunir la commission mixte paritaire tout de suite ! J’ai bien compris que la majorité était à peu près hermétique à toute velléité d’aménagement de l’amendement adopté par la commission hier soir. Elle ne se rend pas service à elle-même. Ça, c’est sûr ! Je continuerai néanmoins d’essayer. Au-delà du problème juridique, la question politique demeure : il ne faudrait pas laisser penser qu’en aménageant le code pénal, si ce n’est la loi Fauchon, nous cherchons à dédouaner les décideurs. De ce point de vue, la question de l’inquiétude des maires et des entrepreneurs est accessoire.
La notion de « connaissances scientifiques » introduite dans le texte est générale : on considérera que le directeur général de la santé et le maire d’une commune rurale ont les mêmes connaissances scientifiques, ce qui est en réalité impossible. L’amendement vise donc à ajouter, après le mot « scientifiques », les mots « de l’auteur des faits ». Puisque l’on insère des éléments de jurisprudence dans le texte, et que le juge a l’habitude d’utiliser la jurisprudence pour apprécier une situation, cette formule permettra d’être certain que le niveau de responsabilité est corrélé à l’éventuelle mise en cause.
Quel est l’avis de la commission ? Défavorable,… Comme d’habitude ! …car l’amendement vise les connaissances scientifiques de l’auteur des faits. Or nous ne demandons pas à un maire d’avoir des connaissances scientifiques mais de s’en être tenu informé. Mais c’est dingue, ça ! Quel est l’avis du Gouvernement ? Comme Mme la rapporteure, je pense que l’ajout que propose l’amendement ne me paraît pas utile, puisque, je le répète, lorsque le juge a à traiter une question de responsabilité, il l’apprécie au cas par cas, en fonction des responsabilités qu’exerce la personne qu’il a devant lui, de son niveau de compétence et de son niveau d’information.
Il ne sera pas exigé du maire d’une petite commune ou d’un petit artisan le même niveau de connaissance scientifique que du directeur général de la santé, cela va de soi. C’est la raison pour laquelle votre amendement me semble satisfait.
La parole est à M. Antoine Savignat. Ce que vous dites est totalement dingue puisque, depuis tout à l’heure, vous défendez votre rédaction de ces dispositions en arguant qu’il faut rassurer les personnes dont la responsabilité pourrait être engagée.
Or ce que vous avez dit à l’instant va à l’inverse de ce qu’a soutenu hier soir Mme Vichnievsky lors de la présentation de son amendement. Elle a déclaré qu’il aurait été préférable de préciser qu’il s’agissait des connaissances scientifiques de l’auteur des faits, parce que, tel qu’il est rédigé, l’alinéa ne permet pas de savoir de quelles connaissances scientifiques il s’agit ni sur quelles autorités scientifiques elles reposent – le docteur Raoult ou le docteur Salomon – ce qui pose un vrai problème. Vous venez de le dire !
Exactement ! Madame la garde des sceaux, dans la période que nous traversons, des textes sortent à peu près tous les jours. Je vous renvoie à la réalité du terrain : tous les jours les inspecteurs du travail effectuent des contrôles et exigent des chefs d’entreprise qu’ils respectent des dispositions publiées seulement la veille.
Il faut évidemment préciser que les connaissances scientifiques sont celles de l’auteur des faits qui lui sont reprochés. Sinon, il sera donné libre cours à toute appréciation.
C’est évident. Non, ce ne sera pas évident, puisque cela ne sera pas précisé. La parole est à M. Pascal Brindeau. Je suis prêt à vous suivre, madame la garde des sceaux, mais à une condition : si vos propos valent pour cet amendement, ils valent également pour l’amendement qui a été adopté hier soir en commission des lois. Il faut donc, par cohérence, non pas le conserver mais le supprimer, puisque le juge a déjà la capacité d’apprécier au cas par cas les connaissances scientifiques, y compris de l’auteur des faits. Cela va de soi. Ou alors, vous nous cachez quelque chose. La parole est à M. Stéphane Peu. Nous avons souligné à plusieurs reprises à quel point la modification de la loi Fauchon nous paraît vraiment dangereuse,… Eh oui ! Nous avons entendu de belles démonstrations. …y compris pour préserver la confiance des Français dans l’action publique : une telle modification instillera dans la société française le doute qui, en la matière, peut se révéler un véritable poison. Malheureusement, vous vous entêtez.
Nous voterons cet amendement, parce que, qu’on soit maire d’un petit village ou d’une grande ville, cela revient au même. J’habite une grande agglomération d’un département qui est resté rouge ce soir – c’est bien la première fois que je me plains de voir mon département en rouge.
(Sourires.) Or, qu’il s’agisse du maire de Saint-Denis, du préfet ou des directeurs d’école, aucun de ces décideurs de la réouverture des écoles ne possède de connaissances scientifiques. Ils ne font qu’appliquer une directive et un protocole. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe LR.) Exactement. Soixante-trois pages ! C’est pourquoi cet amendement apporte une précision utile. Autrement, quelle conclusion tirer, sinon que l’intégration des connaissances scientifiques ne concerne que les responsables gouvernementaux et la haute administration ? Et pas les maires ! Personne d’autre ! Et voilà ! Il a fallu du temps, mais la démonstration est faite et elle est infaillible.
(L’amendement no 561 n’est pas adopté.) La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 140. Il mettra tout le monde d’accord puisqu’il précise la manière dont doit être élaboré l’état des connaissances scientifiques : « L’État des connaissances scientifiques au moment des faits est dressé par un collège de médecins reconnus compétents dans les soins des maladies infectieuses et représentatifs de l’ensemble du territoire français. » Il sera donc possible de rassembler à la fois M. Salomon et M. Raoult.
En effet, l’état des connaissances scientifiques au moment des faits est souvent approximatif compte tenu de la disparité des avis scientifiques donnés sur la pandémie pendant toute la durée de la crise sanitaire.
Certains médecins ont d’ailleurs reproché au Gouvernement sa gestion jacobine de la crise sanitaire et sa préférence marquée pour l’avis des collèges de médecins parisiens, ce qui n’étonnera personne. L’amendement vise à confier cet avis à un collège de médecins issus de toute la France, compétents dans la gestion des maladies infectieuses du type du SARS-CoV-1, de faire entendre les connaissances scientifiques qui ont été rapportées par leurs voix au Gouvernement et aux élus.
Quel est l’avis de la commission ? Défavorable. Outre que le collège visé par l’amendement existe déjà et rend régulièrement ses avis – c’est le comité scientifique prévu par la loi d’état d’urgence sanitaire –, il convient non pas d’arrêter l’état des connaissances à un instant donné mais bien de laisser au juge la possibilité d’apprécier l’information qui était disponible lors de la commission des actes et les moyens dont la personne concernée disposait pour s’en saisir. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Sébastien Huyghe. Cet amendement et l’avis de la rapporteure montrent bien que l’amendement précédent, celui de M. Brindeau, était justifié.
En effet, madame la rapporteure, vous avez souligné qu’il n’est pas besoin qu’un collège spécifique de médecins définisse l’état des connaissances scientifiques puisque le comité scientifique existe déjà. Toutefois, que les connaissances scientifiques soient à la disposition du grand public grâce à ce comité ne détermine pas l’état des connaissances dont disposait la personne, en l’occurrence le maire, qui sera mis en cause spécifiquement.
Il y a donc une contradiction entre les explications que vous venez de donner pour rejeter le présent amendement – l’état des connaissances sont à la disposition du grand public grâce au comité scientifique – et celles que vous avez fournies contre celui de M. Brindeau, arguant qu’il n’était nul besoin de viser les connaissances scientifiques « de l’auteur des faits ». Il faut donc revenir à l’amendement de M. Brindeau pour l’adopter.
Cela prouve bien que l’objectif n’est pas de sécuriser les maires ! La parole est à M. Christophe Bouillon. Mme la rapporteure vient d’affirmer que le comité scientifique nous permet de connaître l’état des connaissances scientifiques. Or que préconise justement le comité scientifique sur la réouverture des écoles ? D’attendre le mois de septembre. Et voilà ! Cet exemple prouve à quel point il nous est difficile d’établir l’état des connaissances scientifiques.
D’autre part, les maires ne cherchent pas à ne pas assumer leurs responsabilités : ils le font tous les jours dans le cadre de missions difficiles.
Exactement ! Seulement, ils ne veulent pas payer pour d’autres : tel est le sentiment qui domine chez eux. C’est que l’État se défausse. Si 90 % des communes vont rouvrir les écoles, c’est que les maires ont fait preuve de bonne volonté devant la situation difficile qu’on leur impose. Comme l’a souligné M. Chassaigne, ils ont pris au sérieux le protocole sanitaire. Ils sont prêts à répondre présents : ils ont de l’allant. Ils n’ont toutefois pas envie que le Gouvernement se défausse sur eux de son casse-tête.
Il faut que les maires soient assurés que, lorsqu’ils mettront en œuvre le protocole sanitaire à l’échelon local, la responsabilité en incombera non pas à eux mais à ceux qui l’ont rédigé. Il existe également un problème de validation. Lorsqu’ils mettent en place un plan de reprise local, on ne le leur valide même pas, si bien qu’ils ne savent pas s’il est conforme au protocole sanitaire. C’est un des nœuds du problème.
Vous ne récrivez pas la loi Fauchon : l’amendement proposé par Mme Vichnievsky vise simplement l’article 121-3 du code pénal tel que la loi Fauchon l’a récrit. Répondez à l’inquiétude des maires ! Vous ne le faites pas aujourd’hui.
Il y a un ajout à l’article 121-3 du code pénal. Oui, mais il n’apporte rien. C’est une assurance. Moi, je pense qu’il cornérise. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard. Étant d’accord avec les deux précédentes interventions, je souhaite seulement répondre à Mme la rapporteure que l’amendement ne vise pas l’état des connaissances scientifiques dressé au moment des faits : c’est l’état des connaissances scientifiques au moment des faits qui sera ensuite dressé par ce collège. Or vous n’avez pas traité cette proposition en donnant l’avis de la commission.
(L’amendement no 140 n’est pas adopté.) Je suis saisi de deux amendements, nos 188 et 205, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour soutenir l’amendement no 188.
Nous avons bien compris qu’il ne faut pas toucher à la rédaction, telle qu’elle a été adoptée en commission des lois, des alinéas 2 et 3 de l’article 1er. C’est pourquoi le présent amendement vise à ajouter après l’alinéa 3 un alinéa spécifique aux maires. Ce sont eux, en effet, qui sont en première ligne : ils ont donc besoin d’une protection supplémentaire.
Je ferai plaisir à Mme la rapporteure, puisque j’exclus le cas du manquement délibéré de la part du maire.
L’amendement vise à exonérer de responsabilité le maire dans le cadre de l’application des mesures exceptionnelles résultant de la crise sanitaire que nous traversons : celle du covid-19. En effet, en temps normal, les maires assument toutes leurs responsabilités de leurs actes, du fait qu’ils se sont présentés à une élection.
En revanche, dans le cas spécifique de cette crise sanitaire, l’État impose au maire des mesures qu’il n’a pas décidé de prendre et qui sortent du cadre habituel de sa responsabilité de maire. L’État demande ainsi au maire de rouvrir les écoles maternelles et primaires qui sont sous sa responsabilité, sans lui donner toujours les moyens d’assumer cette réouverture dans des conditions de sécurité totale, qu’il s’agisse des enfants, des enseignants et des familles, lorsque les enfants rentreront chez eux le soir.
Le maire, étant obligé d’agir dans un cadre qu’il n’a pas choisi, a donc besoin d’une protection spécifique dans la situation actuelle. Vous, au contraire, souhaitez légiférer dans un cadre traditionnel, sans prendre en considération la situation exceptionnelle créée par le covid-19.
Puisque nous sommes dans le cadre d’un projet de loi d’exception, je vous propose une disposition exceptionnelle.
L’amendement no 205 de Mme Marie-Christine Dalloz est défendu.
Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
Nous avons déjà eu ce débat : nous ne voulons pas créer de responsabilité pénale particulière pour des catégories de personnes remplissant des fonctions particulières. Avis défavorable. C’est exactement ce qu’ils veulent écrire. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. Ce régime d’exonération de responsabilité ne correspond pas aux objectifs du texte. La parole est à M. Philippe Gosselin. Christophe Bouillon a raison de rendre hommage aux maires : ce sont les sentinelles de nos petites républiques locales qui, ne l’oublions pas, font la grande. La loi municipale de 1884, cette charte des communes, a mené à la décentralisation et ce n’est pas rien ! Voilà 230 ans que les élus des communes prennent à bras-le-corps l’ensemble de leurs responsabilités. Peut-être le Gouvernement ne découvre-t-il qu’aujourd’hui l’intérêt d’avoir des élus locaux ? Mais sans ce maillage territorial, bien des politiques de l’État n’arriveraient pas dans nos territoires. Quel maire de petite commune ne s’est jamais déplacé personnellement pour apporter à des personnes isolées du réconfort, voire des médicaments ?
Il existe une solidarité extraordinaire mais, dans les villes comme dans les campagnes, les élus locaux – les maires en particulier – ne veulent pas être des lampistes ! Or, avec des protocoles de plusieurs dizaines de pages qui semblent parfois imbuvables, incompréhensibles et surtout inapplicables, vers qui se retourne-t-on ? Vers nous, les maires, qui sommes connus et identifiés, et ne pouvons pas nous cacher derrière l’anonymat d’une fonction d’autorité ! Nous sommes à portée d’engueulade, mais également à portée d’un recours devant un tribunal, le cas échéant.
Je crois qu’il faut donc tout de même établir une distinction entre celles et ceux qui conçoivent les réglementations relatives au déconfinement et à la reprise de l’activité économique, sociale, scolaire, et ceux qui doivent les appliquer. Tel est le cœur du débat ! Les amendements ne découlent pas d’une volonté d’exonérer les responsables locaux de leurs responsabilités, mais de la nécessité de leur permettre de fonctionner dans les meilleures conditions possibles. Je terminerai avec ce mot de Tocqueville : « C’est pourtant dans les communes que réside la force des peuples libres. » Alors laissons les maires en liberté et en démocratie !
Tocqueville, cela fait toujours son petit effet ! La parole est à Mme Danièle Obono. Je voudrais réagir aux interventions qui visaient à justifier les modifications apportées à la loi existante par la volonté de rassurer la population. Je pense que modifier une loi ou le code pénal dans le seul but de rassurer est une mauvaise idée. À mon sens, ce n’est pas à cela que sert la loi, qui permet d’exprimer et d’organiser concrètement les principes de la vie en société, de sorte qu’elle soit régulée, ordonnée et garantisse les droits de toutes et tous.
Or, en voulant rassurer une partie de la population, on envoie à la majorité de la population un message contraire, ce qui alimente à son tour la volonté et le réflexe de demander des comptes aux différents interlocuteurs et interlocutrices. C’est un cercle vicieux ! En cherchant à donner des gages pour rassurer, la majorité ne fait qu’alimenter une défiance politique et sociale qui existe déjà et qui continuera si le texte est adopté en l’état.
La meilleure réponse à apporter pour rassurer est de fournir concrètement aux agents municipaux et aux maires des moyens opérationnels. Comme cela a été dit par d’autres collègues, il faut que le Gouvernement soit capable, au-delà des discours et des présentations devant les médias, d’apporter des réponses concrètes s’agissant de la validation des protocoles, de la fourniture des masques, des tests ou des moyens nécessaires à la réouverture des écoles. Tant qu’il n’apportera pas ces réponses, ni les maires ni la population ne lui feront confiance.
(M. Ugo Bernalicis applaudit.)
(Les amendements nos 188 et 205, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) La parole est à Mme Frédérique Tuffnell, pour soutenir l’amendement no 97. Il s’agit d’un amendement de Yolaine de Courson, cosigné par plusieurs députés de la majorité. Il a été élaboré avec l’avocat de l’association des maires ruraux de France pour, je l’espère, apporter une nouvelle rédaction au dernier alinéa de l’article L. 121-3 du code pénal. J’ai entendu tous les argumentaires qui viennent d’être exposés mais l’objectif – faut-il le répéter ? – est bien d’éviter que les maires, en tant qu’agents de l’État, ne soient tenus responsables pénalement des décisions prises sur directives du gouvernement pendant l’état d’urgence – hors cas de faute intentionnelle, d’imprudence, négligence ou violation délibérée de la loi. C’est bien cela ! Je rappelle que faire référence, dans le texte, à l’état des connaissances scientifiques est au mieux, inutile, au pire, une ouverture du champ de la responsabilité des maires, qui ne sont absolument pas des experts en médecine et en santé publique. Nous sommes d’accord ! Dans tous les cas, cela complique le droit actuel, qui se suffit pourtant à lui-même.
Madame la ministre, la formulation actuelle est juridiquement inutilisable et implaidable, puisqu’elle laisse toute liberté d’appréciation au juge. Or, vous l’avez dit tout à l’heure, il s’agit effectivement d’une question d’appréciation !
C’est donc en pensant surtout aux maires ruraux, ces maîtres de nos circonscriptions qui sont à la manœuvre, que nous vous proposons une nouvelle formulation. Ils sont un peu désemparés dans l’application de bien des protocoles – nous en avons déjà parlé – et subissent la pression des habitants et des parents. Nous n’avons pas à les abandonner et, avec mes collègues, je vous propose donc de rédiger ainsi le dernier alinéa de l’article L. 121-3 du code pénal : « Il n’y a point de contravention en cas de force majeure ou en cas de décision prise par les maires ou des élus municipaux délégués dans le cas de la mise en œuvre de directives prises par le Gouvernement en lien avec un état d’urgence sanitaire tel que défini à l’article L. 3131-12 du code de la santé publique. »
Parfait ! Quel est l’avis de la commission ? Pour les mêmes raisons que précédemment, défavorable. Pourtant, ce ne sont pas les mêmes arguments ! Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. C’est un peu court ! La parole est à M. Ugo Bernalicis. Je ne suis pas favorable à cet amendement car, comme vous l’avez vous-même souligné dans votre argumentaire, la loi actuelle n’a pas pour effet que les élus locaux soient poursuivis lorsqu’ils appliquent le protocole décidé par l’État. Il est inutile de rajouter une disposition. L’ajout proposé par le Gouvernement ne servait à rien non plus, sauf sur un point, que la discussion que nous avons est en train d’éclaircir : on voit bien que la référence à l’état des connaissances scientifiques est inapplicable à un élu local. On se fiche de l’état de ses connaissances scientifiques puisque, pas plus d’ailleurs qu’un chef d’établissement, il n’a de comité scientifique à sa disposition. Par conséquent, cette référence ne permettra jamais ni de la poursuivre, ni de le protéger ! C’est un artifice ! En revanche, qui pourrait se prévaloir de cet état de la connaissance scientifique, en dehors des directeurs d’administrations centrales qui, en réalité, ne font qu’appliquer les décisions prises par les ministres ? Ce sont bien les ministres eux-mêmes qui, le moment venu, feront valoir le fait que l’état de la connaissance scientifique ne leur permettait pas de prendre de bonnes décisions pour le pays et qu’ils ont fait comme ils pouvaient.
Cette petite musique s’instille déjà, de conférence de presse en conférence de presse, comme aujourd’hui encore lors de la défense de l’incurie du Gouvernement – et hélas de l’État – dans la gestion de la crise, notamment s’agissant des masques.
(L’amendement no 97 n’est pas adopté.) La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 58. On l’a déjà été dit mais il est bon de le répéter : aujourd’hui, les maires sont absolument prêts à assumer leurs responsabilités. La plupart d’entre eux ne demandent rien et font leur travail, tout simplement parce que c’est leur conception de la fonction.
Certains, cependant, s’inquiètent du possible engagement de leur responsabilité pénale dans des circonstances aussi particulières qu’une crise sanitaire ; je propose donc d’ajouter, après l’alinéa 3, un alinéa visant à compléter l’article 4-1 du code de procédure pénale. Celui-ci serait ainsi rédigé : « L’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions civiles afin d’obtenir la réparation d’un dommage sur le fondement de l’article 1241 du code civil si l’existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale si l’existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie, en tenant compte des circonstances exceptionnelles, telles qu’une crise sanitaire avérée ». Cela permettrait de rassurer complètement ceux qui ont besoin de l’être.
Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. Si l’on peut admettre que les circonstances soient appréciées au niveau pénal, puisqu’il s’agit de déterminer la sanction qui sera appliquée à la personne ayant commis le manquement et que le principe de proportionnalité s’impose, on ne peut accepter que cela soit également le cas en matière de réparation, car la personne ayant subi le dommage serait alors lésée.
Par ailleurs, la responsabilité civile est couverte par les assurances. Votre amendement reviendrait à les dégager de leur obligation de couverture des risques en matière civile.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Arnaud Viala. Madame la ministre, je pense que nos débats auront au moins réussi à convaincre tous les maires qui n’avaient pas encore trop peur qu’ils ont des raisons d’avoir peur… (Rires sur les bancs des groupes LR, SOC et FI) .
…tout comme les décideurs privés, qui appliquent déjà certaines décisions et vont devoir en mettre d’autres en œuvre.
Nos débats auront aussi convaincu à peu près tous les Français que quelque chose n’est pas clair.
Eh oui ! Je crois que nous avons maintenant le devoir de trancher la question de la responsabilité car, lorsque l’on écoute les arguments des uns et des autres, on se rend compte que, non content de ne pas rassurer ceux qui espéraient l’être, on apeure tout le monde, et que les différents amendements adoptés hier par la commission des lois aboutissent à une contradiction absolue.
Mettons-nous dans la peau d’un juge qui, demain, devrait apprécier une décision qui serait contestée – au sujet de l’ouverture des écoles, par exemple. D’un côté, il aurait un maire ayant ouvert les écoles sur injonction du gouvernement, de l’autre, l’état de la connaissance scientifique au moment où il a ouvert l’école, qui indiquait de ne pas le faire. En effet, le conseil scientifique a bien dit qu’il ne fallait pas rouvrir les écoles.
Ce qui a été écrit pour protéger les décideurs locaux ne fait donc que les surexposer. On ne peut pas laisser une chose aussi absurde dans le texte.
(Mme Emmanuelle Ménard applaudit.)
(L’amendement no 58 n’est pas adopté.) La parole est à M. Pierre-Henri Dumont, pour soutenir l’amendement no 399. Nous débattons de la question de la responsabilité. Nous avons déjà évoqué la responsabilité supposée des ministres dans la prise de décision, mais également celle des élus locaux, qui ont besoin d’être rassurés.
L’amendement déposé par Daniel Fasquelle vise, pour rassurer ces derniers, à définir clairement les responsabilités des employeurs et chefs d’entreprises privées qui ont pour mission et devoir de rouvrir leur entreprise, comme le maire a ceux de rouvrir les écoles.
Pour assurer aux créateurs de richesses que sont les chefs d’entreprises qu’ils peuvent rouvrir en toute sécurité, tant pour leurs employés que pour eux-mêmes, il est donc nécessaire de définir un cadre juridique précis et complet. En effet, c’est bien souvent à partir de leurs propres investissements, financier et personnel, qu’ils réussissent à apporter leur petite pierre au redémarrage de l’économie, que je sais si souhaitée par l’ensemble des députés sur les bancs.
L’amendement vise donc à mieux définir les conditions dans lesquelles les employeurs peuvent redémarrer leur activité dès le début du déconfinement, sans engagement de leur responsabilité.
Quel est l’avis de la commission ? Même avis que précédemment, défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Il est vrai que nous percevons des inquiétudes en matière de responsabilité civile des employeurs.
S’agissant de la responsabilité pénale, nous venons de discuter des règles et de ce que nous pensions possible de faire pour clarifier les textes sans pour autant détruire les équilibres de la loi dite Fauchon.
S’agissant de la responsabilité civile, qui est l’autre versant de la responsabilité des employeurs, la jurisprudence actuelle me semble relativement protectrice pour les employeurs. En effet, depuis l’arrêt Air France du 25 novembre 2015, la jurisprudence est très claire : l’employeur qui a pris les mesures de protection nécessaires ne risque pas de voir sa responsabilité civile engagée. Dans la situation actuelle, je ne sais pas s’il est opportun d’aller au-delà de cette jurisprudence.
La parole est à M. Antoine Savignat. Nous avons beaucoup parlé des maires et des élus locaux, au fil de l’examen de ce texte, mais l’autre enjeu majeur du déconfinement est la reprise de l’activité économique. Nous savons tous, en effet, qu’il en va de l’intérêt général. Or Mme la rapporteure se contente de répondre par le « même avis » que pour le reste. Autrement dit, on s’en fout ! Peu importe ; ils feront ce qu’ils veulent, qu’ils se débrouillent !
En clair, le texte que nous examinons revient à mettre, lundi 11 mai au matin, l’ensemble des employeurs publics et privés, des maires et des élus locaux, dans un avion, en les informant du fonctionnement d’un parachute et en leur laissant le choix de sauter ou pas tout en leur disant qu’on ignore s’ils sont équipés d’un parachute ou d’un sac à dos !
Mais qui est le steward ? Édouard Philippe ? C’est tout simplement honteux !
Nous sommes ici pour trouver des solutions pour que le pays surmonte la crise dans les meilleures conditions possibles. Nous vous disons qu’il faut rassurer les employeurs, car ils sont inquiets après que leurs entreprises sont restées fermées pendant plusieurs semaines. On leur a indiqué qu’ils reprendraient le travail quand des garanties sanitaires seraient apportées, permettant de protéger leurs salariés, mais on n’est pas en mesure de leur indiquer où, quand et comment ils trouveront des masques ou du gel hydroalcoolique. On leur demande de ne pas s’inquiéter, qu’un protocole a été établi, prévoyant le port de petits gants en plastique mais allez expliquer cela sur les chantiers de travaux publics où un gant en plastique a une durée de vie de cinq à quinze secondes et se trouve hors d’usage à la première manutention ! En outre, vous ne souhaitez pas non plus leur envoyer un message fort pour les rassurer. Alors que le Gouvernement a pris seul la décision de déconfiner et de permettre le retour au travail, il ne veut pas leur apporter la garantie nécessaire à cette reprise.
(M. Aurélien Pradié applaudit.) La parole est à Mme la garde des sceaux. Je n’ai pas bien compris la fable du parachute, mais M. Savignat pourra nous la réexpliquer.
Je précise simplement que les dispositions relatives à la responsabilité pénale s’appliquent tant aux décideurs publics qu’aux décideurs privés, petits artisans et chefs d’entreprise. Il n’y a là aucune mésestime.
Je redis par ailleurs, comme je l’ai indiqué en donnant mon avis sur l’amendement de M. le député Fasquelle, que la responsabilité civile des employeurs me semble assez préservée. Il appartient au Parlement de réfléchir à une clarification, le cas échéant, mais la jurisprudence me semble stable et claire.
La parole est à M. Pierre-Henri Dumont. Madame la garde des sceaux, vous demandez au Parlement de prendre ses responsabilités en clarifiant les choses. Or c’est ce bien ce que nous faisons lorsque nous déposons des amendements visant à clarifier la situation et à garantir aux employeurs une meilleure sécurité juridique.
D’autre part, vous expliquez que cet amendement vous semble superfétatoire dans la mesure où la jurisprudence permet déjà de garantir la sécurité juridique des employeurs et d’assurer que leur responsabilité ne sera pas engagée. Or vous avez développé un argument contraire lorsqu’il s’est agi, il y a quelques instants, d’affirmer par un bout de phrase supplémentaire qu’il était nécessaire de consulter les données scientifiques du moment, alors que cela figurait déjà dans la jurisprudence. Vous ne pouvez pas avoir un double argumentaire. Vous ne pouvez pas affirmer que, même lorsqu’un élément figure dans la jurisprudence, il doit être ajouté dans la loi, tout en estimant par ailleurs, sur un sujet similaire, que ce n’est pas nécessaire ! Je vous invite à davantage de cohérence dans vos explications. J’invite mes collègues de la majorité à se montrer également cohérents dans leur vote et à ne pas affirmer des principes différents en fonction du camp que l’on défend.
Cela dépend d’où vient l’amendement ! S’il vient de l’opposition, c’est non ; s’il vient de la majorité, c’est oui ! La parole est à Mme la rapporteure. J’aimerais répondre à l’interpellation qui m’a été adressée. Vous ne pouvez pas affirmer, monsieur Savignat, que nous ne nous soucions pas des chefs d’entreprise, des dirigeants de société, des directeurs d’école et de tous les responsables devant exécuter les décisions qui ont été prises. Cela n’est absolument pas vrai et c’est justement pour eux que nous avons voulu préciser les choses – je ne reviendrai pas sur le débat que nous avons eu précédemment. En revanche, nous ne souhaitons pas créer des catégories particulières pour les décideurs ou pour les maires : ce faisant, on les exonérerait ou bien l’on atténuerait leur responsabilité, ce que nous refusons. Cela ne signifie pas que nous ne soucions pas de leurs inquiétudes, légitimes en temps de crise. Notre intention est uniquement de ne pas créer de catégories. Je vous prie de ne pas travestir mes propos.
(L’amendement no 399 n’est pas adopté.)
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour un rappel au règlement. Ce rappel se fonde sur l’article 98, relatif à la recevabilité des amendements. Je m’étonne que l’amendement no 388, dont nous allons être saisis, ainsi que l’amendement identique déposé par M. Ciotti, aient été jugés recevables. Nos amendements sont habituellement rejetés plus facilement, au titre de l’article 45 ou de l’article 40 (Rires sur plusieurs bancs du groupe LR.) mais, dans le cas présent, il apparaît que l’on peut amender une ordonnance, qui n’a pas été ratifiée par l’Assemblée nationale. Il est clair que nous sommes en plein état d’urgence, voire dans un monde parallèle ! Dans la quatrième dimension ! Je ne comprends pas bien ce qui se passe. On nous a même expliqué que nous pouvions revoir entièrement le contenu de nos niches parlementaires et déposer de nouveaux textes !
En vérité, monsieur le président, je m’étonne, puisque cet amendement est recevable, que de nombreux autres ne le soient pas ! Ce point soulève la question de la difficulté de l’appréciation, par les services de la séance et ceux des commissions, de la recevabilité des amendements ; vous évoquiez tout à l’heure une interprétation stricte. En réalité, les décisions sont plutôt prises en fonction de considérations politiques.
Non ! En l’occurrence, cela nous arrange… Non, attendez… … et c’est tant mieux. Il faudra néanmoins s’en souvenir pour les occasions suivantes. Monsieur Bernalicis, je ne peux pas vous laisser dire que la recevabilité des amendements est décidée en fonction de considérations politiques. Une telle affirmation constitue un manque de respect pour le service de la séance, qui émet des avis. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupe LaREM et MODEM.) Cela mérite des excuses ! La procédure est ensuite déroulée. Le Conseil constitutionnel s’est systématiquement prononcé lorsqu’il a été saisi sur ce sujet. Je vous remercie pour votre rappel au règlement. Si vous pensez que votre amendement n’est pas conforme à la Constitution, je vous propose de le retirer, afin que nous évitions le risque d’anticonstitutionnalité.
Je suis saisi de trois amendements, nos 258, 388 et 550, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 258 et 388 sont identiques.
La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement no 258.
Pour ma part, je me réjouis de la recevabilité de mon amendement qui vise à abroger l’ordonnance adaptant la politique pénale. Cette ordonnance a eu de nombreuses conséquences. Un débat aura certainement lieu sur la détention provisoire, dont nous avons longuement parlé hier soir en commission des lois. Mais cette ordonnance a eu surtout pour conséquence de vider nos prisons. Selon les chiffres que vous avez vous-même annoncés hier soir lors d’une interview, madame la ministre, il y a 12 500 détenus de moins dans les prisons françaises que le 16 mars : ils étaient alors 72 500, contre 60 056 hier soir.
Madame la garde des sceaux, j’ignore si la croissance économique repartira – je l’espère du fond du cœur –, mais je suis certain que la croissance de la délinquance, nourrie par le profond plan de relance que votre politique a instauré, redémarrera fortement.
(Murmures sur plusieurs bancs des groupes LaREM, SOC et FI.)
Rappelez-vous des conséquences des grâces collectives des 14 juillet passés. Cette pratique, abrogée de longue date, s’assortissait systématiquement d’une très forte augmentation de la délinquance. Je vous mets en garde contre les dangers de cette politique qui se poursuit. À ce rythme, il y aura dans quelques jours 20 000 détenus de moins dans nos prisons, ce qui fera peser une menace sur la sécurité de nos concitoyens. Après la crise sanitaire, la crise économique et la crise sociale, nous serons confrontés à une crise sécuritaire si vous ne mettez pas fin à cette politique irresponsable. Des policiers risquent leur vie au quotidien ; des menaces sont proférées. Vous avez même reconnu avoir libéré des détenus de droit commun en voie de radicalisation, qui sont de plus en plus nombreux. Cela est dangereux pour notre société et pour notre pacte républicain. (M. Aurélien Pradié applaudit.) Monsieur Bernalicis, souhaitez-vous défendre votre amendement no 388 ? Avec délectation ! Je suis d’accord avec monsieur Ciotti (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) : il faut supprimer l’ordonnance pénale de Mme Belloubet. Mais notre accord s’arrête là et je n’irai pas plus loin ! Vous commenciez bien ! Oui, vous étiez sur le bon chemin ! En matière de gestion des détentions, j’ai proposé – je ne suis pas le seul – l’adoption d’une loi d’amnistie, qui dépasse l’ordonnance actuelle. Elle ne concernerait pas les élus mais les auteurs de délits actuellement en détention et viserait à repartir sur des bases saines pour, un jour peut-être, atteindre l’objectif de l’encellulement individuel. En effet, madame la ministre, bien que vous racontiez ces fables dans différents médias, en annonçant qu’il y a désormais le bon nombre de détenus pour les places dont nous disposons, nous n’avons pas encore atteint cet objectif ! D’ailleurs, lorsque j’ai souhaité me rendre dans un établissement pénitentiaire à Béthune, vous avez répliqué que je ne pouvais pas venir avec les journalistes car la surpopulation atteignait encore 140 % – c’était hier ! Nous ne sommes donc pas encore arrivés au bout du chemin.
J’en viens à votre ordonnance : il faut la supprimer dans son intégralité, car le problème n’est pas uniquement la détention provisoire. En commission, de nombreux collègues se sont émus du fait que, pendant deux mois, nous avions prolongé de deux, trois ou six mois la détention de personnes qui n’avaient pas encore été jugées. Fort bien – mais il nous aura fallu deux mois pour nous en rendre compte, alors que cette ordonnance a fait l’objet d’interpellations dès le lendemain de sa publication. Soit. Mais que pensez-vous de la prolongation, sans présentation au parquet et à un magistrat, de la détention provisoire des mineurs de plus de seize ans ? Laissons-nous cette disposition perdurer ? N’est-il pas grave d’aligner le droit des mineurs sur celui des majeurs ? Je pense pour ma part qu’une analyse plus fine devrait être faite pour déterminer tout ce qu’il conviendrait de supprimer de cette ordonnance pénale, qui n’a aucun lien avec les objectifs poursuivis dans le cadre de la lutte contre le coronavirus.
Si l’on souhaite garantir les libertés individuelles et les libertés fondamentales, et réaffirmer que la France est un État de droit, il serait préférable de retirer cette ordonnance. Peut-être reverrez-vous votre copie, madame la ministre, puisque vous pourrez toujours prendre d’autres ordonnances.
La parole est à M. Paul Molac, pour soutenir l’amendement no 550. Le présent amendement, déposé par M. Orphelin, concerne également la détention provisoire. Il vise à revenir à la rédaction votée par le Sénat. En effet, la rédaction adoptée en commission des lois à l’Assemblée permet de prolonger la détention provisoire de deux, quatre ou six mois. Ces durées nous paraissent disproportionnées pour certains délits, d’autant plus que les personnes ainsi placées en détention provisoire le sont parfois dans des conditions sanitaires que notre collègue Bernalicis a rappelées. À quatre dans une cellule de douze mètres carrés, il est compliqué pour les détenus de respecter les gestes barrières et de ne pas transmettre les maladies. Quel est l’avis de la commission ? Monsieur Bernalicis, nous avons eu ce débat hier en commission. J’ai suivi ! Nous savons, et avons alors souligné, que l’ordonnance n’est pas parfaite. C’est la raison pour laquelle Mme Avia dépose des amendements, après avoir travaillé sur les dispositions relatives à la détention provisoire avec la commission des lois et avec Mme la garde des sceaux. Si ce point précis posait problème, nous considérons en revanche que toutes les autres dispositions étaient justifiées par la crise sanitaire. Elles ont pour but de maintenir, autant que possible, le fonctionnement des juridictions. J’imagine que vous vous êtes entretenu avec des présidents de juridiction ; pour ma part j’ai échangé avec celui de ma circonscription. Je suis même allé sur place ! Il m’a expliqué que, dans la mesure où il faut éviter les contacts, il lui semble judicieux de faciliter les huis-clos, de permettre la vidéoconférence, de faciliter les libérations conditionnelles et d’autoriser la conversion de poursuites classiques en procédures alternatives, comme le permet la composition pénale. Enfin, n’oubliez pas que cette ordonnance a permis de mettre un terme à la surpopulation carcérale. C’est ce que je disais ; merci de le reconnaître ! C’est faux ! Si seulement c’était vrai ! Je ne suis pas d’accord avec les auteurs de l’amendement suivant quand ils prétendent que celui adopté par la commission des lois à l’initiative de Laetitia Avia permettrait de prolonger à nouveau les détentions provisoires jusqu’à six mois : c’est bien sûr tout à fait faux, c’est même le contraire. La rédaction adoptée par la commission permet des prolongations de détention provisoire selon les règles de droit commun, dans la limite maximale et dans la durée prévues par le droit commun. Il s’agit seulement de prendre en compte le fait que les juges d’instruction ne pourront pas organiser en quinze jours un débat contradictoire avec tous ceux qui sont libérables au même moment. Il faut encore un peu de souplesse pour permettre un retour progressif au droit commun dans un délai très bref.
Notre amendement est bien plus satisfaisant que celui du Sénat puisqu’il s’inscrit dans le droit proprement dit, sans que nous ayons à nous engager dans une modification de l’habilitation d’une ordonnance déjà publiée dont on peine à prédire l’issue. Pour ces raisons, je suis défavorable à ces amendements.
Quel est l’avis du Gouvernement ? L’avis sera bien sûr défavorable. Je voudrais simplement en deux mots rappeler le fondement de cette ordonnance pénale dont on me demande la suppression à droite comme à gauche.
La pandémie est la seule chose qui nous a conduits dans cette direction, celle-ci rendant impossible un fonctionnement normal des tribunaux, bien qu’ils aient cependant continué à fonctionner…
Très peu ! …comme elle rendait impossible de ne pas prendre en compte la situation particulière de la détention. Deux types de mesures en ont découlé.
Le premier visait à ce que la pandémie ne progresse pas en détention. Je crois y avoir à peu près réussi grâce à tous ceux qui, au sein de l’administration pénitentiaire, m’y ont aidée, du directeur au surveillant. Ces mesures ont permis de libérer préventivement des détenus en fin de peine, c’est-à-dire des gens qui étaient à deux mois de la sortie.
Et alors ? Cela signifie qu’un certain nombre d’entre eux seraient déjà sortis aujourd’hui de toute façon. Ce n’est donc pas cela, monsieur Ciotti, qui va faire flamber la délinquance lors de la levée du confinement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Prenons date ! Nous n’ignorons pas que la délinquance va reprendre, monsieur le député, mais ce ne sera pas du fait de ces mesures de libération anticipée.
Par ailleurs, la diminution du nombre de détenus, qui est aujourd’hui de 59 900, soit un taux d’occupation des établissements pénitentiaires de 98 %, n’est pas seulement due aux mesures que nous avons prises, mais également à la réduction de l’activité des tribunaux – j’ai déjà eu l’occasion de le dire devant vous.
Parlez-en aux policiers ! Vous avez contesté une autre mesure prise dans le cadre de cette ordonnance dont vous me demandez l’abrogation : celle visant à prolonger de plein droit les délais de détention provisoire. Si nous avons décidé de prolonger ces délais, c’est parce que, les tribunaux ne pouvant pas fonctionner normalement, il n’était pas possible pour les magistrats d’organiser tous les débats préalables à de telles décisions. C’est vous qui avez décidé qu’ils n’étaient pas disponibles ! J’ai toujours dit, notamment devant votre commission, madame la présidente, que nous reviendrions au droit commun dès que possible. Grâce à vous, nous allons pouvoir le faire dès maintenant, ce qui est tout à fait salutaire.
Ce qu’il faut retenir, c’est que ces mesures ont été prises pour faire face à cette pandémie. À en croire M. Ciotti, cette ordonnance doit être abrogée parce qu’elle serait beaucoup trop clémente ; à en croire M. Bernalicis, elle doit être abrogée parce qu’elle serait beaucoup trop sévère. Je la maintiens donc.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Elle n’est pas sévère, elle est contraire à l’État de droit ! Mettre des gens en prison sans l’intervention de la justice, il fallait le faire ! La parole est à M. Éric Ciotti. Merci, madame la ministre, pour avoir tenu un langage de vérité et reconnu que la délinquance allait repartir. Mais oui ! C’est très exactement ce que je crains et la raison pour laquelle je déplore la mise en œuvre de cette politique pénale. Ne jouez pas à la vierge effarouchée, monsieur Ciotti ! Nous débattons de deux sujets très différents. J’ai eu hier soir l’occasion de dire, à l’issue de l’examen de l’amendement de Laetitia Avia, que le prolongement de la détention provisoire en dehors de toute règle habituelle était un vrai problème, mais la remise en liberté de personnes qui devraient être encore en prison aujourd’hui ne l’est pas moins. Vous ne croyez même pas à ce que vous dites ! Depuis votre interview d’hier soir, nos prisons comptent 150 détenus de moins : c’est à peu près le rythme journalier des remises en liberté. À ce rythme, elles compteront près de 20 000 détenus en moins à la fin mai. Mais non ! Je le répète, cela prélude à un choc de délinquance majeur, et je ne suis pas le seul à le dire : tous les policiers confrontés sur le terrain à cette délinquance, tous ceux qui se souviennent des conséquences des lois d’amnistie savent ce qui va se passer.
Une telle politique est dangereuse. Vous l’assumez, fort bien, mais vous devrez également en assumer les conséquences.
Très bien ! La parole est à M. Pascal Brindeau. Les débats auxquels ces amendements ont donné lieu et qui se poursuivront à l’occasion de l’examen des autres amendements relatifs aux ordonnances pénales démontrent au moins une chose : cette situation ne peut pas durer, ces mesures relatives à la détention, outre qu’il s’agit de la liberté des gens, posant des problèmes d’organisation de la justice extrêmement importants.
Par ailleurs, madame la garde des sceaux, je ne tirerai pas la même conclusion que vous : dès lors qu’Éric Ciotti dépose le même amendement qu’Ugo Bernalicis…
…pour des raisons opposées ! … pour des raisons diamétralement opposées, c’est que cette ordonnance ne satisfait personne et qu’il faut la supprimer. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) C’est la preuve que ce sont des amendements purement politiques ! La parole est à M. Ugo Bernalicis. Je suis obligé de faire un tout petit peu de mathématiques, monsieur le président, même si c’est un peu pénible !
À vous entendre, la surpopulation carcérale aurait disparu d’un coup de baguette magique : 61 100 détenus pour 61 100 places de détention égale zéro surpopulation carcérale. C’est oublier deux ou trois bricoles, notamment le fait qu’il n’y a pas que les maisons d’arrêt, où sont incarcérés les condamnés à des peines inférieures à deux ans et tous ceux qui sont en détention provisoire : il y a aussi les centres de détention, où l’encellulement individuel est obligatoire et dont le taux d’occupation est déjà inférieur à 100 %, et les maisons centrales, où sont incarcérés les détenus les plus dangereux et les longues peines, également en cellule individuelle, et dont le taux d’occupation n’atteindra jamais 100 %.
Vous mélangez tous ces éléments et, hop !, vous arrivez au taux de 98 %. C’est oublier que notre pays compte encore des tas de maisons d’arrêt qui souffrent de surpopulation carcérale, même au regard d’une norme de deux détenus par cellule. On est donc à des années-lumière de l’encellulement individuel !
Voilà pourquoi il faudra aller beaucoup plus loin que votre ordonnance si l’on veut assainir la situation. D’où ma proposition d’une loi d’amnistie, en fixant bien sûr des critères rigoureux, comme vous l’avez fait pour les remises de peine exceptionnelles – elle bénéficierait à ceux qui ne sont pas loin de la sortie ou qui auraient commis des délits mineurs. Voilà ce qu’il faudrait faire.
Vous ne m’avez pas répondu sur le point particulier de la possibilité de prolonger la garde-à-vue de mineurs âgés de seize à dix-huit ans sans les présenter au parquet. Ça ne choque personne, apparemment : restons-en là et passons à la suite. Pardon, mais ça ne vous choque pas qu’au bout de douze jours d’hospitalisation sous contrainte, le juge des libertés et de la détention, le JLD, puisse se prononcer sur sa prolongation sans voir la personne en cause ni son avocat et sans avis médical ? C’est cool, tout va bien ? Et vous nous dites après cela que l’État de droit n’est pas mis en quarantaine ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
Revoyez votre copie pour la rendre conforme à l’État de droit, madame la ministre, et vous aurez peut-être notre assentiment.
La parole est à Mme George Pau-Langevin. Il faut reconnaître qu’une ordonnance qui permet de prolonger ainsi la détention sans que le détenu puisse s’expliquer avec l’appui de son avocat choque profondément notre conception de l’État de droit. Certes, les circonstances étaient exceptionnelles, mais convenez, madame la ministre, qu’il est urgent que cette affaire s’arrête. On ne peut pas mettre ainsi la justice à l’arrêt : il faut qu’elle redémarre. Je suis étonnée que, à un moment où tout le monde utilise la visioconférence, il n’ait pas été possible d’y recourir pour que ces personnes puissent s’expliquer devant un magistrat ! Eh oui ! Je ne suis pas contre le fait qu’on réduise le nombre des détenus, notamment ceux qui sont en fin de peine, au contraire : cela fait des années que nous avons voté le principe de l’encellulement individuel…