XVe législature
Session ordinaire de 2020-2021

Troisième séance du mardi 08 décembre 2020

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Troisième séance du mardi 08 décembre 2020

Présidence de M. David Habib
vice-président

M. le président

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    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à vingt et une heures.)

    1. Parquet européen et justice pénale spécialisée

    Suite de la discussiond’un projet de loi

    M. le président

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    L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée (nos 2731, 3592).

    Discussion des articles

    M. le président

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    J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.

    Article 1er

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    Au début de l’examen de l’article 1er, le groupe UDI et indépendants souhaite marquer son soutien à la création d’un parquet européen, mais – je le répète même si notre collègue Pascal Brindeau l’a déjà dit, car l’art de la pédagogie est la répétition – regrette que son objet soit si limité. Ce n’est pas le fait de l’Assemblée nationale ni celui du Gouvernement, je l’espère, monsieur le garde des sceaux. J’ai déjà eu l’occasion de le regretter devant l’ensemble des Français.
    À l’occasion de la création d’un parquet européen pour lutter contre les infractions financières au budget européen, je souhaite que le Gouvernement, la majorité et l’Assemblée nationale promeuvent une idée simple : dans un espace de libre-échange des biens et des personnes, il n’y a pas que le budget européen qui compte, mais aussi les infractions liées au crime terroriste, à la criminalité organisée et à la criminalité transfrontalière. De nombreux concitoyens vivent aux frontières de la Belgique, de l’Italie ou de l’Espagne.
    Le progrès consiste à faire en sorte que le parquet européen soit non seulement adapté aux fraudes au budget européen et à la TVA, mais surtout à la criminalité organisée. Comme l’a dit Pascal Brindeau, les frontières arrêtent les juges, les magistrats et les policiers, mais pas les malfrats. Nous avons créé un espace de libre-échange : il faut malheureusement aussi nous adapter au libre-échange de la criminalité organisée. Elle est terroriste, elle est financière, elle concerne la drogue, les armements, la traite des êtres humains ; c’est aussi de cela que le parquet européen devra traiter. Je souhaite que le Gouvernement défende cette dimension dans les conseils européens auxquels il participe, pour faire comprendre à l’ensemble des Européens qu’on ne peut pas avoir un espace de libre-échange qui ne profite qu’aux délinquants et pas à la police ni à la magistrature.

    M. le président

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    La parole est à M. Jean Lassalle.

    M. Jean Lassalle

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    Ayant parcouru ce qui suit le titre du projet de loi, je me suis dit : qu’en mots choisis tout ceci est dit !
    Comme tout à l’heure, je n’interviens pas au nom du groupe Libertés et territoires, mais en tant que député de la nation, élu par le peuple souverain au suffrage universel ; éventuellement en tant que citoyen, voire en tant que républicain.
    En cette période trouble que traversent la France et l’Europe, voire l’humanité, nous ne cessons d’invoquer la République, la justice, le droit inaliénable à la liberté d’informer…

    M. Raphaël Schellenberger

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    J’aime ça !

    M. Jean Lassalle

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    …notamment le peuple. Nous examinons ce texte décisif – qui ne vise rien moins qu’à créer un parquet européen – en présence d’une petite trentaine de députés, un mardi soir.

    M. Fabien Di Filippo

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    C’est la qualité qui compte !

    M. Jean Lassalle

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    Je voulais simplement savoir à quel moment nous disons la vérité, alors que seulement 30 % à 40 % de nos concitoyens se rendent aux urnes et que l’on ne sait même pas si le Président de la République pourra terminer son mandat actuel. (Murmures sur les bancs du groupe LaREM.)

    M. Ugo Bernalicis

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    Il l’a dit lui-même !

    M. Fabien Di Filippo

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    Excellente question !

    M. Jean Lassalle

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    La dernière fois que nous avons interrogé le peuple sur un sujet – le traité européen –, je crois me souvenir de sa réponse ; je me souviens aussi de celle que nous avons apportée à sa place, tous réunis à Versailles.

    M. Raphaël Schellenberger et M. Fabien Di Filippo

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    Non, pas tous !

    M. Jean Lassalle

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    Et je me souviens malheureusement des chiffres de l’abstention qui ont cours depuis. (M. Jean-Paul Lecoq applaudit.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Sabine Thillaye.

    Mme Sabine Thillaye

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    Le premier article est central dans l’examen du projet de loi, pour deux raisons.
    Tout d’abord, pour ce qu’il dit : au travers d’une cinquantaine d’articles insérés dans le code de procédure pénale français, il définit les attributions et les compétences des procureurs européens délégués et précise les conditions de saisine du parquet européen, ainsi que l’articulation des compétences entre les différentes autorités. Le Gouvernement a d’ailleurs ajouté, durant l’examen du texte en commission, la possibilité pour le procureur européen délégué de constituer une équipe commune d’enquête avec le consentement du ou des autres États membres concernés, après en avoir informé le ministre de la justice, mais sans rendre son accord nécessaire. Il faut saluer cette disposition, qui assure l’indépendance des cinq procureurs européens délégués français et la bonne coordination avec leurs homologues européens. (Mme Cécile Untermaier applaudit.)
    L’article 1er est également central pour ce qu’il ne dit pas encore. Le nouvel article 696-108 du code de procédure pénale précise le champ de compétence des procureurs européens délégués, à savoir rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union.
    J’entends et je comprends les aspirations d’élargissement des compétences aux questions terroristes. Les récentes attaques qui ont frappé les pays européens ont démontré que nous devions mener une lutte commune. Néanmoins, je rejoins le garde des sceaux sur ce point : si l’extension des compétences du parquet à la lutte contre le terrorisme peut se faire dans le cadre de l’article 86 du TFUE – traité sur le fonctionnement de l’Union européenne –, elle requiert l’unanimité. Laissons déjà ce nouveau parquet se construire : cela représente beaucoup de travail. Dans un second temps, les vingt-deux États membres pourront discuter d’un élargissement des compétences. (M. Jean Lassalle applaudit.)

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis.

    M. Ugo Bernalicis

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    Je n’ai pas envie d’employer la formule « vous n’avez pas le monopole… » ; il n’y a pourtant pas, d’un côté, les pro-européens et de l’autre, les anti-européens.  Si, si ! » sur les bancs du groupe LaREM.) Non ! Il y a les pro-Union européenne et les anti-Union européenne et anti-traités européens tels qu’ils sont. Ça, c’est clair !

    M. Fabien Di Filippo

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    Ils aiment le manichéisme dans la majorité.

    M. Ugo Bernalicis

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    Il y a peut-être des anti-européens, mais pas ici. L’idée européenne et l’idéal européen sont d’ailleurs plutôt issus de notre camp politique que des autres.

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    Mais oui, bien sûr !

    M. Ugo Bernalicis

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    Oui, je le dis !

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    C’est l’internationalisme qui caractérise votre camp !

    M. Ugo Bernalicis

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    L’internationalisme, oui, cher monsieur Lagarde ; vous avez raison de mettre des mots sur des concepts idéologiques promus par ce camp politique.

    M. le président

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    Monsieur Lagarde ! Laissez M. Ugo Bernalicis poursuivre.

    M. Ugo Bernalicis

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    Je tenais à le dire préalablement, parce que notre objectif n’est pas de rejeter la coopération judiciaire ou policière au niveau européen, voire international. En matière de lutte contre la délinquance économique et financière, il existe une filière franco-israélienne, une filière franco-russe et des filières franco-asiatiques, toutes bien identifiées. Se limiter à un parquet européen ne réglera donc pas tous les problèmes, notamment les infractions à la réglementation de l’Union européenne. La mondialisation fonctionne de telle sorte que les multinationales qui fraudent sur notre territoire et sur celui de l’Union européenne ne sont pas forcément européennes. Je ne parlerai ni d’Amazon, ni de Microsoft, ni d’Apple, pour ne pas vous brusquer, mais si vous étiez cohérents, vous créeriez un parquet mondial (M. Jean Lassalle applaudit) plutôt que de prétendre régler ces problèmes au niveau européen, parce que les traités de libre-échange sont mondiaux ; c’est vous qui les avez signés, pas nous !

    M. le président

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    Nous en venons aux amendements de suppression. Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 102 et 111.
    La parole est à Mme Catherine Pujol, pour soutenir l’amendement no 102.

    Mme Catherine Pujol

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    C’est une nouvelle fois au détour d’un projet de loi de transposition que vous envisagez de rogner un peu plus la souveraineté nationale et d’affaiblir les prérogatives régaliennes de l’État.
    Évidemment, les Français ne seront pas consultés, mais cela fait bien longtemps que vous ne vous en souciez plus. Il faut dire que la possibilité de créer un parquet européen est prévue par l’article 86 du TFUE, grâce au traité de Lisbonne – vous savez, ce traité auquel les Français s’étaient opposés par référendum !
    Il faut bien sûr lutter contre la fraude, Marine Le Pen l’évoque régulièrement. Pour ce faire, les parquets nationaux sont tout à fait compétents, à condition que nous leur donnions les moyens et l’impulsion politique. Le cas échéant, la coopération entre parquets nationaux peut être tout à fait performante pour les cas de fraude affectant plusieurs États.
    Sur le fond, je m’étonne de la création de postes de procureurs européens, qui auront plus de pouvoirs que les procureurs français. En outre, il est fort à craindre que pour justifier leur existence, ces nouveaux procureurs aient tendance à s’approprier abusivement des affaires, ce qui entraînera indéniablement des conflits de compétences, qui deviendront des nids à contentieux.
    Enfin, on ne connaît que trop bien la politique de pas à pas de l’Union européenne ; il est évident qu’une fois le Parquet européen en place, les institutions européennes feront en sorte d’étendre ses compétences à d’autres domaines, rognant toujours plus les prérogatives des États.

    Mme Cécile Untermaier et M. Pacôme Rupin

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    Tant mieux !

    Mme Catherine Pujol

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    L’amendement a pour objet la suppression de l’article 1er créant un parquet européen. J’ose espérer que tous ceux qui sont attachés à la notion de souveraineté et qui la défendent sur les plateaux de télévision – je pense bien sûr aux députés du groupe Les Républicains – voteront en sa faveur.

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 111.

    M. Ugo Bernalicis

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    Il vise à supprimer l’article 1er qui crée le parquet européen. Allons jusqu’au bout de la logique de la souveraineté et de l’organisation du futur parquet européen : le bureau central – j’en ai parlé tout à l’heure – comptera vingt-deux procureurs du parquet européen, désignés par chaque État membre ; la politique pénale sera définie par le collège. La chambre permanente est un autre organe, qui conduira la politique pénale concernant les affaires individuelles en tant que telles ; de façon hiérarchique, elle aura le pouvoir de retirer un dossier à un procureur européen délégué au profit d’un autre. À qui cette chambre rendra-t-elle des comptes ? À quelle instance démocratique ? À quelle instance politique ?

    M. Fabien Di Filippo

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    À personne !

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    Et aujourd’hui ?

    M. Ugo Bernalicis

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    Lorsque j’ai parlé de la réforme du parquet en France et de sa nécessaire indépendance, on m’a rétorqué, à juste titre : « Vous ne voulez tout de même pas le gouvernement des juges, monsieur Bernalicis ? » Il doit en effet y avoir une responsabilité politique ; le seul souverain que l’on connaisse, c’est le peuple et personne d’autre !

    M. Julien Aubert

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    Eh oui ! C’est qui le patron ?

    M. Fabien Di Filippo

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    Ce n’est pas Macron en tout cas !

    M. Ugo Bernalicis

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    Mais là, parce qu’on est au niveau de l’Union, il y aurait un état de souveraineté européen, comme ça, dans l’air, qui ne repose sur rien… Vous m’opposerez les traités, mais la dernière fois que le peuple français a voté – faut-il vous le rappeler ? –, la réponse, c’était « non ». Bien sûr, le Parlement réuni en Congrès – c’est une pierre dans le jardin de la droite, mais c’est son problème – en a décidé autrement.
    Je le dis très tranquillement : nous nous opposons à ce parquet européen, et non à la coopération européenne en matière de justice et de police.

    M. le président

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    Merci, monsieur Bernalicis.

    M. Ugo Bernalicis

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    On nous expliquait tout à l’heure qu’il y aurait davantage de moyens ; mais ce seront les mêmes services de police qui travailleront sur les mêmes affaires !

    M. le président

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    La parole est à Mme Naïma Moutchou, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

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    Vous êtes hostiles, l’un à gauche de l’hémicycle et l’autre à sa droite, à la création du parquet européen. C’est votre droit, mais l’argument tiré de l’abandon de la souveraineté nationale ne tient pas. Nous sommes très loin de la première mouture du règlement européen : à l’origine, le problème se posait, puisque l’on avait imaginé un procureur unique qui détenait tous les pouvoirs au détriment des États membres. Mais le texte a été revu par le Conseil européen, et prévoit désormais un mécanisme en deux temps : un niveau central, le parquet européen, et un niveau décentralisé, avec des procureurs européens délégués qui s’intègrent à notre appareil judiciaire national. Ce sont le code pénal et le code de procédure pénale qui s’appliquent.
    Par ailleurs, nous ne créons pas, vous le savez aussi, de magistrature européenne : les procureurs européens délégués seront français, et soumis à la loi française. Ils auront un statut hybride, c’est vrai, dont nous débattrons tout à l’heure.

    M. Ugo Bernalicis

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    C’est le détachement !

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Mais ils s’intègrent parfaitement à notre système, moyennant quelques ajustements auxquels nous avons procédé.
    J’ajoute que la compétence du parquet européen n’est pas exclusive, mais concurrente de celle des juridictions nationales, exactement comme pour les parquets spécialisés vis-à-vis des parquets de droit commun.

    M. Ugo Bernalicis

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    Non, absolument pas ! Ce n’est pas vrai !

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    En cas de conflit, ce sont les juridictions nationales qui trancheront.
    Enfin, ce sont les juridictions de jugement françaises qui auront le dernier mot. M. Aubert disait tout à l’heure que la justice était rendue au nom du peuple français : ce sera toujours le cas.
    Avis défavorable.

    M. le président

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    La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

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    Ce sont bien les juridictions françaises qui rendront les décisions, donc au nom du peuple français : de ce point de vue, rien ne changera.
    Pour le reste, je suis toujours très intéressé de voir que la Terre est ronde et que les extrêmes se rejoignent parfois : quel bel amendement, qui réunit Ugo Bernalicis et Marine Le Pen ! C’est l’avenir…

    M. Ugo Bernalicis

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    Les extrêmes ? Vous voulez qu’on parle de la loi relative à la sécurité globale ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Ces amendements de suppression sont l’expression du différend idéologique qui nous sépare. Nous croyons en l’Europe ; nous croyons aux progrès de l’espace judiciaire européen. Nous croyons qu’il est important de protéger le budget de l’Union, car c’est ce qui nous permet d’agir ensemble.

    M. Ugo Bernalicis

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    Que vient faire ici le budget de l’Union ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Évidemment, je ne peux qu’être extrêmement défavorable à ce double amendement, issu de l’union sacrée des extrêmes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)

    M. Ugo Bernalicis

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    C’est minable !

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    Quand on n’aime pas l’Europe, on lui fait dire n’importe quoi, et on dit n’importe quoi ! Je prends l’exemple de la défense de l’amendement de suppression déposé par Mme Le Pen : notre collègue nous explique que cette disposition est l’effet d’une transposition. Non, chère collègue, ce texte est le résultat d’une coopération renforcée ; il n’y a pas de directive européenne, et l’Europe n’impose rien ; ce dont nous débattons, c’est d’un texte qui marque la volonté de mener, ensemble, une politique européenne qui nous rendrait plus efficaces.
    Je répète, monsieur le garde des sceaux, que nous regrettons pour notre part que l’on n’aille pas plus loin. Le Gouvernement soutient-il cette idée ? L’article 86 du TFUE prévoit déjà certaines coopérations. Il ne faudrait pas grand-chose d’autre que la bonne volonté des Européens et la force de conviction de la France pour étendre les compétences du parquet européen à des infractions dont tous les Européens sont victimes.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Eh oui !

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    Aujourd’hui, certains usent et abusent de nos frontières : elles arrêtent policiers et magistrats, mais elles n’arrêtent pas les malfrats ; le rôle des parlements nationaux comme du Parlement européen devrait être de pousser pour avancer dans ce sens.
    J’espère qu’un jour, un gouvernement le comprendra : une coopération renforcée à vingt-deux, c’est déjà très bien ; mais encore faudrait-il ne pas s’occuper uniquement du budget européen, mais aussi de la sécurité, de la santé et de la moralité de l’ensemble des peuples de l’Union européenne.

    M. Bruno Questel

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    La moralité, vraiment ?

    M. le président

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    La parole est à M. Julien Aubert.

    M. Julien Aubert

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    Ce débat mérite mieux que des caricatures. La question de savoir si ce texte porte atteinte à la souveraineté de notre pays a été tranchée, puisqu’il a fallu réviser la Constitution pour rendre possible l’adoption d’un parquet européen. On ne peut dès lors pas retourner l’argument en prétendant que rien dans notre texte fondateur ne fait obstacle à la création de ce parquet ! La souveraineté, comme principe, est bien en cause.
    Je voudrais poser quelques questions précises. Vous nous dites qu’il ne s’agit que d’une coopération renforcée. Juridiquement, c’est vrai. Mais nous ne parlons pas ici de n’importe quelle action de l’État, mais de la justice. (M. Jean Lassalle applaudit.) Merci, cher collègue.
    Première question : à quoi sert Eurojust ? Puisque l’on nous explique que ce Parquet européen est indispensable pour combattre la délinquance, ne faudrait-il dissoudre les instances qui ne fonctionnent pas ?
    Deuxième question : à qui cette instance rendra-t-elle des comptes ?

    M. Ugo Bernalicis

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    Exactement !

    M. Julien Aubert

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    Vous n’avez pas répondu sur ce point, monsieur le ministre. Dans « politique pénale », il y a « pénale », mais aussi « politique ». Qui donnera des instructions de politique pénale à ces fonctionnaires ? Quand on vous écoute, madame la rapporteure, on a l’impression qu’il n’y a qu’une mise à disposition, que ces magistrats restent français. Mais ils ne répondront plus au Gouvernement, n’est-ce pas ?
    N’est-on pas en train de créer un demi-troisième ordre de juridiction, au-delà de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire ? Il y aurait alors une sorte d’entre-deux, européen, qui aurait sa propre politique.
    J’aimerais des réponses sur ces points. (Mme Emmanuelle Anthoine applaudit.)

    (Les amendements identiques nos 102 et 111 ne sont pas adoptés.)

    M. Julien Aubert

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    Pas de réponse ?

    M. Ugo Bernalicis

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    Pas de réponse, bien sûr, à part la caricature !

    M. le président

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    La parole est à Mme Émilie Cariou, pour soutenir l’amendement no 131.

    Mme Émilie Cariou

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    Il vise à solidifier les pouvoirs de direction des enquêtes judiciaires dont sont investis par le présent texte les procureurs européens délégués, afin de leur donner des prérogatives réelles, comme le règlement le prévoit. Nous proposons qu’ils aient bien les prérogatives effectives de retrait temporaire ou définitif de leur habilitation pour les officiers de police judiciaire – OPJ – chargés des investigations policières. L’amendement aligne ces prérogatives sur celles des procureurs nationaux, qui devraient disposer d’un pouvoir minimal de contrôle et de sanction temporaire des OPJ, le tout sous le contrôle et la direction de leur procureur général.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Le procureur délégué européen exerce son autorité sur la police judiciaire, puisqu’il est chargé de rechercher les auteurs d’infraction ; conformément au droit national, il peut déjà saisir la chambre de l’instruction ou le président de celle-ci en cas de manquement professionnel de l’OPJ.
    Il ne me semble donc pas approprié de modifier, comme vous le proposez, l’article 16-1 du code de procédure pénale. Le pouvoir de sanction doit demeurer une prérogative de magistrats qui ne sont pas, comme le procureur délégué européen, en position de détachement.
    Avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Même avis, pour les raisons clairement exposées par Mme la rapporteure.

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis.

    M. Ugo Bernalicis

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    Cet amendement montre bien que nous sommes dans un régime un peu étrange : on plaque une dimension européenne sur un droit national qui n’est pas prévu pour cela… On donne des pouvoirs de l’instruction au procureur européen, ce qui amène logiquement à s’interroger sur le statut de la police judiciaire.
    Nous avons bien compris qu’il n’y aura pas d’effectifs nouveaux : les policiers qui enquêteront seront ceux qui luttent déjà contre la délinquance économique et financière. Le gain de moyens escompté est une illusion : ce seront les mêmes services, pour les mêmes enquêtes, sauf que le parquet se sera dessaisi au profit du parquet européen.
    Vous dites, madame la rapporteure, qu’il n’y a pas de problème de souveraineté parce que les juridictions nationales auront le dernier mot sur l’attribution des dossiers. Mais je lis dans le texte que l’article 696-112 du code de procédure pénale sera rédigé comme ceci : « Lorsque le parquet européen décide d’exercer sa compétence, le procureur de la République ou le juge d’instruction saisi d’une enquête ou d’une information portant sur des faits relevant de l’article 696-108 est tenu de se dessaisir de la procédure au profit du parquet européen en application du 1 de l’article 25 et du 5 de l’article 27 du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil du 12 octobre 2017 précité. » Il est tenu de se dessaisir ! Il n’y a pas de discussion !

    M. Fabien Di Filippo

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    Il y a quelque chose à éclaircir !

    M. Ugo Bernalicis

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    Si nous voulons débattre, nous devons au moins nous entendre sur ce qui va se passer. On peut être d’accord ou pas d’accord, mais on ne peut pas balayer d’un revers de main le problème de souveraineté. Je veux bien entendre que, comme le dit M. le ministre, le jugement sera rendu au nom du peuple français, puisque c’est le tribunal judiciaire de Paris qui est compétent. C’est vrai. Mais la justice se limite-t-elle au jugement ? Non, je ne le crois pas.

    M. le président

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    La parole est à M. Jean Lassalle.

    M. Jean Lassalle

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    Madame la rapporteure, vous dites que les magistrats seront bien français. Mais je tiens à vous rassurer : nos députés européens le sont aussi, dans leur immense majorité.
    Monsieur le ministre, avez-vous vu que j’étais là ? Je vous ai entendu faire un classement pour le moins étrange. J’ai reçu beaucoup de qualificatifs, mais jamais celui d’extrémiste. Engagé, certainement, radicalisé, peut-être… Mais si vous m’avez vu, monsieur le ministre, et que vous ne me classez pas parmi les extrémistes, je voudrais vous dire que je campe sur ma position.
    Le problème dans tout ce que vous dites – et je parle aussi au brillantissime avocat que vous êtes – est celui-ci : où est passé le peuple ?

    (L’amendement no 131 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l’amendement no 55.

    M. Pascal Brindeau

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    Le groupe UDI et indépendants a ce soir un fil rouge, vous l’avez compris : cet amendement vous propose d’étendre sans plus attendre les prérogatives des procureurs européens délégués aux « infractions terroristes ou relevant de la criminalité organisée affectant plusieurs États membres ». Il s’appuie sur l’article 86 du TFUE, qui prévoit déjà de telles coopérations renforcées.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    C’est peut-être un amendement visionnaire ! La question du périmètre d’action du parquet européen est sur la table ; mais le sujet n’est pas mûr. Cette extension pourrait concerner le terrorisme, mais aussi l’environnement, la cybercriminalité… Mais l’unanimité des États membres est nécessaire ; il faut donc de la concertation et du dialogue. Il faut surtout, à mon sens, que le parquet européen fasse ses preuves. Nous dresserons ensuite un bilan des avantages et des éventuelles difficultés. Alors seulement nous pourrons avancer.
    Les sujets que vous soulevez sont importants, mais sensibles et politiques : ils s’inscriront nécessairement dans une négociation entre les États membres.
    Avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Monsieur Brindeau, monsieur Lagarde – puisque vous avez soulevé également la question qui fait l’objet de l’amendement –, la réponse vient de vous être apportée par Mme la rapporteure. Le Président de la République a évoqué lui aussi un autre horizon et d’autres perspectives, notamment la possibilité pour le parquet européen de s’emparer de la question du terrorisme. Mais pour cela, vous le savez, il faut obtenir l’unanimité des vingt-sept États membres. À titre personnel, je partage votre point de vue et je souhaite que l’on y parvienne. La France essaiera de faire avancer le dossier lorsqu’elle accédera, en 2022, à la présidence du Conseil de l’Union européenne.
    Pour répondre à votre question, monsieur…

    Plusieurs députés

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    Lassalle !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    …monsieur Lassalle, le peuple est ici, vous le représentez, et je ne l’ai pas oublié.

    M. le président

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    La parole est à M. Julien Aubert.

    M. Julien Aubert

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    Pour ma part, je qualifierai plutôt de ligne rouge ce que nos collègues du groupe UDI et indépendants considèrent comme leur fil rouge. À peine avons-nous donné au parquet européen ses premières compétences que certains de nos collègues estiment nécessaire de lui en confier davantage. Je ne conteste pas l’idée qu’il puisse exister un parquet européen qui s’occupe de nombreuses affaires, mais il est arrivé, rappelons-le, que des cours supranationales se mettent progressivement à légiférer – c’est le mot juste – sur tous les sujets. Or cela pose un vrai problème de démocratie, car encore faut-il en avoir décidé ainsi au préalable.
    Monsieur le ministre, soit vous ne voulez pas répondre à mes questions, soit elles vous mettent mal à l’aise.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    C’est vous qui êtes mal à l’aise !

    M. Julien Aubert

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    J’y reviens car, comme vous n’êtes pas timide, vous allez finir, j’en suis sûr, par descendre dans l’arène.
    Premièrement, les compétences du parquet européen mordent non seulement sur celles du parquet, mais aussi, vous l’avez indiqué vous-même, sur celles du juge d’instruction. Autrement dit, elles sont à cheval sur celles des magistrats du parquet et sur celles des magistrats du siège. Dès lors, en quoi le parquet européen n’est-il pas un troisième ordre de juridiction ?
    Deuxièmement, à partir du moment où le parquet européen aura décidé qu’une affaire relève d’un enjeu européen – puisqu’il peut désigner lui-même ce qu’est un enjeu de cette nature –, les instances judiciaires nationales ne pourront plus s’en saisir. Dans la mesure où il détiendra la compétence de sa compétence, il y aura un risque d’engrenage : en invoquant les intérêts financiers de l’Union, il pourra aborder d’autres sujets, notamment le terrorisme. Dès lors, comment ferez-vous respecter le principe de subsidiarité ? Comment lutterez-vous contre ce que j’appellerais « l’extension du domaine de la lutte », proposée notamment par nos amis centristes ?
    Troisièmement, il y avait d’autres solutions que la création d’un parquet européen. En droit international existe déjà l’actio popularis, qui permet à un État de se faire procureur, au nom de tous les États, pour des crimes tels que l’esclavage ou la traite des êtres humains. Pourquoi ne s’est-on pas inspiré de ce mécanisme ? On aurait pu permettre à tout procureur de devenir procureur de l’Europe pour tel crime ou tel délit, au nom de l’ensemble des États européens, dans leur intérêt général.

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    Madame la rapporteure, monsieur le garde des sceaux, je comprends parfaitement vos réponses, mais la vie politique est un combat, et nous menons le combat européen, qui est l’honneur de notre famille politique. Bien sûr, l’accord d’autres États membres est nécessaire, mais nous vous incitons à aller de l’avant, comme le font nos amis qui mènent le même combat dans ces autres États.
    Le débat que nous avons est noble, y compris les réflexions de M. Aubert. En 1978, nous étions le « parti de l’étranger », mais je ne doute pas, monsieur Aubert, que vous en viendrez à constater un jour qu’un corps intégré est plus efficace que la coopération internationale – qui est utile et va, au demeurant, bien au-delà des frontières de l’Union – pour poursuivre certaines infractions, non seulement les atteintes aux intérêts financiers de l’Union, mais aussi celles qui relèvent du terrorisme, de la criminalité organisée, de la traite des êtres humains ou du trafic de drogue.
    Si Salah Abdeslam, qui venait de participer aux attentats du Bataclan, n’a pas été arrêté à la frontière franco-belge, c’est parce que personne en Belgique ne savait qu’il était recherché, le parquet français venant de lancer la recherche. Il a fui en Belgique, et on a mis quatre mois à le retrouver.
    Les gouvernements extérieurs qui refusent la logique du parquet européen – je ne parle pas de nos collègues Les Républicains – sont involontairement en train de servir les intérêts des malfrats, et de les faire rire ! Car eux savent bien à quoi servent les frontières : à faire du business, à faire du fric, tout en meurtrissant, hélas, nos sociétés.

    M. le président

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    La parole est à M. le garde des sceaux.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Monsieur le président Lagarde, vous avez pris l’exemple que je souhaitais mettre en exergue. Mais il s’agissait d’une res nullius et vous êtes bien sûr pardonné, je n’ai pas été suffisamment rapide.
    Monsieur Aubert, je ne sais pas lequel de nous deux est le plus mal à l’aise. Ce n’est pas moi qu’il faut convaincre, mais vos amis du Sénat. Faisant de la politique depuis peu de temps, je pensais qu’il y avait une discipline de parti. Mais non ! Le groupe Les Républicains du Sénat a voté ce texte à l’unanimité. Si quelqu’un est mal à l’aise, monsieur Aubert, c’est vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.  M. Jean Lassalle applaudit également.)

    M. le président

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    Je ne peux pas vous donner la parole, monsieur Lassalle, car je dois appliquer le règlement, qui limite à deux le nombre d’orateurs après les avis.

    M. Ugo Bernalicis

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    Ce n’est pas une obligation, c’est une possibilité !

    M. le président

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    Vous aurez bien sûr la possibilité de vous exprimer sur d’autres amendements, monsieur Lassalle.

    (L’amendement no 55 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 112 et 171.
    La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 112.

    M. Ugo Bernalicis

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    Il vise à supprimer les alinéas 16 et 17, relatifs aux règles de dessaisissement automatique au profit du parquet européen.
    À la lecture de l’étude d’impact, on comprend qu’une bonne partie des dossiers actuellement traités par le parquet national financier, le PNF,…

    M. Fabien Di Filippo

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    C’est d’actualité !

    M. Ugo Bernalicis

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    …seront confiés demain aux procureurs européens délégués, qui s’appuieront sur les mêmes services d’enquête, sans pour autant disposer de l’expérience du PNF, ni de l’expertise qu’il a développée, notamment grâce à ses assistants de justice. En fin de compte, je m’interroge sur la plus-value de ces procureurs.
    En réalité, la seule piste intéressante serait de développer les groupes d’enquête composés d’enquêteurs de différents pays. Cette possibilité existe déjà, mais requiert l’accord des services d’enquête de chacun des pays concernés, ce qui est normal – on comprend bien pourquoi.
    Je le répète, je ne vois pas quelle est leur plus-value. Les dossiers en question sont déjà suivis par le PNF ou les JIRS, les juridictions interrégionales spécialisées. Ceux-ci pourchassent déjà des criminels au-delà des frontières. Il existe en outre, je le rappelle, des centres de coopération policière et douanière, notamment avec la Belgique et l’Espagne. Ils fonctionnent, mais peut-être conviendrait-il de les renforcer ; ce serait une mesure concrète et opérationnelle.
    Je ne comprends pas pourquoi on prévoit un mécanisme de dessaisissement automatique. Je pourrais encore comprendre que les procureurs européens délégués soient dotés d’une compétence exclusive. Mais, en l’espèce, on crée un machin au profit d’un Parquet européen qui, rappelons-le, ne rendra de comptes politiques à aucune instance démocratique. Les procureurs se rendront des comptes entre eux, comme si l’existence d’infractions européennes était le seul fondement aux poursuites intentées contre leurs auteurs. Je ne suis pas d’accord : l’opportunité des poursuites et la conduite des enquêtes sont trop précieuses pour qu’on laisse les procureurs en décider ainsi, hors sol, en l’absence de tout contrôle.

    M. le président

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    La parole est à Mme Marie-France Lorho, pour soutenir l’amendement no 171.

    Mme Marie-France Lorho

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    Il relève du même esprit que le précédent. Le système prévu par les alinéas 16 et 17 risque de réduire considérablement les pouvoirs des procureurs de la République, en empiétant sur leurs prérogatives. C’est pourquoi il serait plus pertinent de supprimer ces alinéas.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Monsieur Bernalicis, madame Lorho – puisque vous formez de nouveau, sur cet amendement, un équipage de circonstance –, que voudriez-vous ? Que le parquet européen ne puisse pas évoquer de dossier relevant du champ de ses compétences ? Mais à quoi le projet de loi servirait-il alors ? Et que ferions-nous ici ce soir ?
    Je le redis, le projet de loi prévoit, de manière logique, l’articulation des compétences concurrentes. En cas de désaccord, le dernier mot reviendra, selon les cas, soit au procureur général, soit à la chambre criminelle de la Cour de cassation.
    Je vais vous dire quelle sera la plus-value des procureurs européens délégués : ils connaîtront de contentieux pénaux spécifiques. Il en existe déjà un certain nombre, depuis 1986 au moins, en matière terroriste.
    C’est précisément l’exigence de spécialisation qui a amené l’Europe à réfléchir à un dispositif permettant de mieux lutter contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Pourquoi ? Parce que, vous le savez, plusieurs dizaines de milliards d’euros sont détournées chaque année, en dépit des dispositifs qui existent dans le droit interne des États membres. En outre, les États ne sont pas égaux en la matière. Il s’agit, je le répète, d’une délinquance transfrontalière, internationalisée, contre laquelle un État membre ne peut agir isolément avec efficacité.
    Telle est l’exigence qui motive ce projet de loi relatif au parquet européen. J’émets donc un avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Madame Lorho, monsieur Bernalicis, les compétences respectives du parquet européen et des juridictions nationales sont parfaitement bien articulées dans le règlement relatif à la création du parquet européen. Les craintes qui portent sur l’efficacité et l’indépendance de cette institution sont infondées ; elles relèvent en réalité d’un procès d’intention. L’avis est défavorable.
    J’ajoute, naïvement sans doute, que je ne regrette pas d’être ici ce soir. D’une part, il s’agit d’un texte très important. D’autre part, je découvre la politique, certes parfois avec les yeux de Candide qui circulerait au Conseil d’État.

    M. Philippe Gosselin

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    Cultivez votre jardin, monsieur le ministre !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Voilà les LR complètement déchirés entre ceux de l’Assemblée et ceux du Sénat. Et voilà, à propos de ce texte, un PACS parlementaire entre La France insoumise et le Front national. C’est extraordinaire ! Je ne vais probablement pas en dormir de la nuit ! (M. Jean-Christophe Lagarde applaudit.)

    M. le président

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    Je donnerai la parole à deux orateurs : M. Lassalle, puis M. Paris.

    M. Ugo Bernalicis

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    Si ceux qui ont défendu les amendements ne peuvent pas répondre aux avis, vous appliquez le règlement de manière contestable !

    M. le président

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    La parole est à M. Jean Lassalle.

    M. Jean Lassalle

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    Vous avez dit tout à l’heure, madame la rapporteure, que l’on avait imaginé un parquet européen doté de compétences beaucoup plus étendues. Qui est donc ce « on » ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Le Conseil européen.

    M. Jean Lassalle

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    Je vous remercie de votre réponse.
    Monsieur le garde des sceaux, je ne vous en veux pas d’avoir oublié mon nom. Rassurez-vous, vous n’êtes pas le seul : bien que je siège ici depuis bientôt vingt ans, beaucoup l’ont oublié – et pas seulement dans la sphère politique, c’est pratiquement le cas partout. D’ailleurs, craignant que M. le président ne l’oublie à son tour dans quelques instants, je vais tâcher d’anticiper une réponse que vous pourriez me faire.
    La dernière fois que le peuple français a été interrogé à propos de l’Union européenne, il a voté « non » à 53 %. Depuis lors, il n’a plus été consulté. Vous pourriez me répondre, et vous auriez en partie raison, que M. le Président de la République a été élu sur un programme très européen et qu’il est en droit, dès lors, de nous soumettre le présent projet de loi. Cependant, il a aussi été élu pour son côté très humaniste ou humain. Il pourrait donc nous proposer la création d’un parquet mondial.

    M. Ugo Bernalicis

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    Ah !

    M. Jean Lassalle

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    S’il le faisait, nous faudrait-il l’approuver ? Je laisse la question en suspens.
    Je ne vous embêterai pas davantage, monsieur le président, et je ne troublerai pas votre sommeil, monsieur le ministre, vous ne méritez rien de tel. En revanche, je crains que les quelques questions que nous avons posées ce soir ne le fassent dans les semaines ou les mois qui viennent. (M. Didier Paris applaudit.)

    M. le président

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    Finalement, vous ne souhaitez pas prendre la parole, monsieur Paris ? Je mets donc aux voix… (M. Ugo Bernalicis proteste.)
    Monsieur Bernalicis, nous n’allons pas engager un dialogue maintenant. Si vous n’êtes pas d’accord avec la manière dont j’applique le règlement, faites-le savoir au président de l’Assemblée nationale. Chaque fois que je préside, vous voulez absolument vous distinguer.

    M. Pierre Cordier

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    Que voulez-vous, monsieur Bernalicis, le président ne vous aime pas…

    M. le président

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    Je vous propose donc de vous distinguer par une lettre que vous enverrez au président de l’Assemblée. Pour le moment, c’est moi qui préside, pas vous. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)

    (Les amendements identiques nos 112 et 171 ne sont pas adoptés.)

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 113.

    Un député

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    Défendu !

    M. Ugo Bernalicis

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    Jusqu’à preuve du contraire, monsieur le ministre, c’est votre gouvernement qui applique des pans entiers du programme du Rassemblement national, pas nous. (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.)
    Je le dis très tranquillement. Parlez-en avec votre collègue Darmanin, ce sera vite vu.

    M. Bruno Questel

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    M. Bernalicis est énervé…

    M. Ugo Bernalicis

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    Peut-être nous opposons-nous à votre politique, mais une chose est certaine : en matière de justice, nous ne voulons pas faire la même chose que le RN.

    Un député du groupe LaREM

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    La même chose que le Venezuela, alors ?

    M. Ugo Bernalicis

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    Toutefois, nous n’aurons guère le loisir d’en discuter, puisque nombre de nos amendements ont été, une fois de plus, déclarés irrecevables.
    Vous êtes en poste depuis peu, monsieur le ministre, mais l’association de malfaiteurs en vue de commettre un délit était une mesure revendiquée par l’extrême droite depuis longtemps, et la pénalisation de l’intentionnalité a été instaurée par les gouvernements successifs. Quant aux mesures administratives contre les terroristes, que vous vilipendiez en tant qu’avocat, elles ont été prises par l’actuel Gouvernement, qui a introduit les dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun. (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.)

    M. Bruno Questel

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    N’importe quoi ! Quelle honte !

    M. Ugo Bernalicis

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    Aussi, nous faire la leçon en disant que nous serions main dans la main avec le Rassemblement national alors que, comme vous le savez parfaitement, tout nous oppose, ce n’est qu’un effet de manche ! En ce qui me concerne, je ne suis pas venu assister à la représentation de M. Dupond-Moretti. Sans doute votre pièce est-elle très bonne, mais il faudrait la jouer ailleurs – hélas, nous ne pouvons toujours pas retourner au théâtre.
    Ne nous faites donc pas de tels procès car à la fin, monsieur le ministre, cela va vous retomber sur le coin de la figure ! (Mêmes mouvements.) L’application du programme du Rassemblement national, c’est vous et votre gouvernement qui en êtes les experts ! Personne d’autre ! On ne peut être un rempart face au Rassemblement national en appliquant son programme !

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    C’est mauvais !

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ?

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    Quel amendement ?

    M. le président

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    Monsieur Lagarde, s’il vous plaît.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    L’amendement n’a pas été défendu ; c’est un avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    L’amendement n’a pas été défendu ; c’est un avis défavorable.

    Mme Danielle Brulebois

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    Bravo, monsieur le ministre !

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis.

    M. Ugo Bernalicis

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    Je sais que vous l’avez lu : vous avez tous de petites fiches devant vous. Cet amendement…

    M. Jean-Michel Fauvergue

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    …de M. Bernalicis du Rassemblement national !

    M. Ugo Bernalicis

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    N’hésitez pas à prendre le micro, cher collègue Fauvergue, vous qui appliquez avec zèle le programme du Rassemblement national. Allez-y, demandez la parole et faites-nous un cours sur l’article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale ! Dites-nous comment appliquer le programme des syndicats de police ; faites-vous plaisir ! (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.) Ou bien formulez un rappel au règlement pour fait personnel, mais faites en sorte de parler dans le micro. Assumez !
    L’amendement no 113 propose que le futur procureur européen délégué ne puisse passer à sa guise du cadre de l’enquête préliminaire à celui de l’instruction, ce qui serait une nouvelle bizarrerie dans notre droit. En effet, alors que le parquet se voit déjà attribuer un nombre croissant de prérogatives appartenant au juge d’instruction, nous nous demandons ce qui restera à ce dernier. Certes, le Conseil constitutionnel avait censuré quelques mesures de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, laissant au juge d’instruction quelques compétences différentes de celles du procureur de la République. Mais avec une telle disposition, il est clair qu’il n’y aurait plus de différence entre les deux fonctions.
    Par conséquent, oui, certains craignent que dans la continuité de ce texte, l’existence du juge d’instruction soit supprimée. Ce n’est d’ailleurs pas qu’une crainte, puisque c’est ce qui va être fait. Votre successeur, monsieur le ministre, aura beau jeu de dire que les choses ont bien fonctionné au niveau européen – ce que je ne crois pas –, que l’expérimentation est intéressante et qu’il convient de l’étendre.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Attendez une seconde !

    Un député du groupe LaREM

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    C’est hors sujet !

    M. Ugo Bernalicis

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    Voilà comment les gouvernements successifs ont agi en matière pénale. Il y a un effet cliquet et une continuité dans les mesures qui sont prises. C’est la réalité et vous aurez beau me dire que les choses ne se dérouleront pas de cette manière, jusqu’à présent nous avons plutôt eu raison en l’affirmant.

    M. le président

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    La parole est à Mme Marie-France Lorho.

    Mme Marie-France Lorho

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    Je souhaite simplement vous préciser, monsieur le ministre, que je ne fais pas partie du Rassemblement national, mais d’un parti qui s’appelle la Ligue du Sud, implanté dans le Vaucluse.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Oui, mais vous êtes proches !

    Mme Marie-France Lorho

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    Notre parti a sa différence !

    (L’amendement no 113 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l’amendement no 56.

    M. Pascal Brindeau

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    Je le disais lors de la discussion générale, si nous soutenons la création d’un parquet européen composé de procureurs délégués, nous formulons une précaution quant au cumul des fonctions de procureur et de juge d’instruction s’agissant de certains actes de procédure. C’est la raison pour laquelle le présent amendement vise à supprimer l’alinéa 34 et donc à ne pas permettre qu’un procureur délégué puisse prendre seul des décisions en matière de mise en examen et de mandat de recherche ou d’amener. Ces actes nous apparaissent particulièrement lourds de conséquences pour la personne mise en cause et devraient selon nous impliquer un partage de la responsabilité avec l’instruction.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Il est vrai, monsieur Brindeau, qu’une même autorité ne devrait pas concentrer tous les pouvoirs et toutes les compétences. Cela pourrait être jugé excessif et attentatoire aux libertés individuelles. C’est d’ailleurs pour cette raison que le procureur européen délégué dispose des compétences du parquet français, mais pas exactement des mêmes prérogatives que le juge d’instruction.
    En cherchant à supprimer la possibilité, pour le procureur européen, de délivrer des mandats de recherche ou d’amener, vous souhaitez le priver de la possibilité de conduire des enquêtes. Or, comme vous le savez, le règlement européen lui impose d’exercer l’action publique jusqu’à ce que l’affaire ait été définitivement tranchée. Le procureur européen aura donc besoin de mener ce type d’acte pour rechercher les auteurs d’infractions. La question est donc de savoir s’il pourra exercer seul cette prérogative. La réponse est oui, étant donné que ces actes ne sont pas les plus attentatoires aux libertés, contrairement au mandat d’arrêt ou à la détention provisoire qui, eux, nécessiteront bien l’intervention d’un juge des libertés et de la détention – JLD.
    L’avis est donc défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Pour les mêmes raisons que celles qui viennent d’être clairement exposées, je donne aussi un avis défavorable.

    M. le président

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    La parole est à M. Julien Aubert.

    M. Julien Aubert

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    Je souhaite d’abord répondre à M. le ministre, qui disait tout à l’heure ne pas comprendre Les Républicains, car alors que les sénateurs appartenant au parti ont voté en faveur du texte, les députés émettent des critiques. Au fond, je crois que vous n’aimez pas la diversité. Vous souhaitez d’ailleurs absolument que le Front national et La France insoumise disent la même chose.
    Et si vous vous croyez candide, permettez-moi d’utiliser une métaphore pour que vous compreniez les différences qui peuvent exister entre le Sénat et l’Assemblée nationale.

    M. Pierre Cordier

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    François Patriat n’est pas toujours d’accord avec les députés de La République en marche !

    M. Julien Aubert

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    Quand M. Darmanin parle d’ensauvagement, d’autres membres du Gouvernement lui répondent qu’il n’en est rien et que cela entretient un sentiment d’insécurité.

    M. Ugo Bernalicis

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    Très bien !

    M. Julien Aubert

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    Entre les deux déclarations, il n’y a pas de cohérence ! Remplacez donc « M. Darmanin » par « Sénat » et « M. Dupond-Moretti » par « Assemblée nationale » et vous obtiendrez à peu près le même niveau de cohérence et de diversité. (M. Ugo Bernalicis applaudit.)
    Nous sommes un grand parti, monsieur le ministre, composé de diverses sensibilités et, y compris parmi mes collègues députés, nous sommes plus ou moins hostiles à l’établissement d’un parquet européen.
    Ayant répondu à votre interrogation, j’en profite pour vous demander de répondre aux miennes. Créez-vous, oui ou non, un troisième ordre ou semi-ordre de juridiction ? Comment le chef de l’État pourrait-il être le garant de l’autorité judiciaire de fonctionnaires qui ne relèvent plus du tout de sa compétence ?
    Quant à la mise en examen – je reviens ici à l’objet de l’amendement que nous examinons –, imaginons qu’une personnalité politique de premier plan apparaisse un jour dans un dossier européen : sommes-nous bien d’accord qu’un procureur, par exemple néerlandais, pourrait mettre en accusation, en application de son droit national, un ancien Président de la République ou un ancien Premier ministre, avec mandat d’amener ? Dans cette configuration, il suffirait que son nom apparaisse dans un dossier et que le procureur estime que l’entendre est important pour son enquête. Ou bien existe-t-il une procédure qui permettrait à une autorité nationale de dire à ce procureur qu’il fait fausse route ou qu’il n’a pas le droit d’accomplir un tel acte ? Comment cette articulation va-t-elle s’opérer ?

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    Le groupe UDI et indépendants nourrit une véritable interrogation s’agissant de cette articulation. Nous connaissons le contenu de l’accord européen, mais les systèmes judiciaires des États membres sont tous différents, et notre spécificité est d’avoir établi une claire différence entre le procureur de la République, dont le cordon ombilical qui le lie à la chancellerie n’est pas tout à fait coupé – même si nous pourrions en débattre –, et le juge d’instruction.
    Cela étant, pour dire les choses franchement, je n’ai, à titre personnel, aucune confiance dans les enquêtes préliminaires.

    M. Julien Aubert

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    Moi non plus !

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    Qu’elles n’ouvrent pas de droits aux personnes visées, qu’elles puissent durer indéfiniment et que l’on dise qu’elles sont conduites par des magistrats indépendants alors qu’ils ne le sont pas – pourquoi d’ailleurs seraient-ils dispensés de rendre des comptes à la nation alors qu’ils enquêtent en son nom ? –, tout cela me paraît discutable.
    S’agissant du mandat de recherche, vous avez raison, madame la rapporteure. Mais pour ce qui concerne le mandat d’amener, qui n’est pas tout à fait le même acte, je me demande s’il ne serait tout de même pas préférable de faire intervenir le juge des libertés et de la détention, du moins dans le cadre des enquêtes préliminaires puisque c’est ce dont il est question avec le parquet européen. Peut-être y a-t-il ici quelque chose à tester, ou à faire évoluer ?
    Et contrairement à ce que disait notre collègue Aubert, dont la réflexion est parfaitement valable, ce n’est pas parce qu’on instaure un nouveau système que nous devons le fondre dans l’ensemble préexistant. Il convient de réfléchir à son articulation. C’est tout l’objet de l’amendement de Pascal Brindeau, qui ne vise pas seulement à supprimer des dispositions, mais aussi à réfléchir à certaines des spécificités françaises, en conférant certains pouvoirs au juge d’instruction réputé indépendant, en en accordant moins au procureur, ou encore en exerçant un contrôle.
    Je suis désolé de le répéter, mais j’ai davantage confiance en certains systèmes judiciaires européens qu’en le système judiciaire français : le procureur peut également excéder ses pouvoirs, notamment dans le cadre de cet objet juridiquement bizarre…

    M. le président

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    Veuillez conclure, monsieur Lagarde.

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    …qu’est l’enquête préliminaire, qui n’accorde aucun droit à la personne mise en cause et qui permet tous les abus.

    (L’amendement no 56 n’est pas adopté.)

    Rappel au règlement

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour un rappel au règlement.

    M. Ugo Bernalicis

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    Il se fonde sur l’article 100, relatif à l’organisation de nos débats et notamment des prises de parole sur les amendements.
    Tout à l’heure, vous m’avez mis en cause, monsieur le président, indiquant que je protestais contre vos décisions. Mais deux interventions sont censées être accordées et M. Paris ayant finalement renoncé à prendre la parole, il me semblait légitime de pouvoir m’exprimer à sa place, d’autant plus que la discussion portait sur un amendement que je venais de défendre.
    S’il est clair que le règlement n’oblige pas à accorder plus deux prises de parole, il ne l’empêche pas non plus. Je vous rappelle que lors de certains débats qui nous semblaient importants, quinze ou vingt interventions ont pu être acceptées.

    M. Pierre Cordier

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    Il a raison !

    M. Ugo Bernalicis

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    Une certaine souplesse est souvent observée.
    Mais si, me concernant, vous souhaitez employer la méthode dure lors de chacune des séances que vous présiderez, ce n’est pas grave ! En revanche, il vous faudra appliquer le règlement à la lettre, ni plus ni moins ! Je le dis parce que le seul recours que j’ai à ma disposition est d’écrire une lettre au président de l’Assemblée nationale.

    M. le président

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    Faites-le !

    M. Ugo Bernalicis

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    Je le ferai ; cela ne me coûte rien. Mais il convient aussi que vous jouiez le jeu un minimum !

    M. Pacôme Rupin

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    Vous aussi, jouez le jeu !

    M. Ugo Bernalicis

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    Nous sommes au tout début de l’examen des articles et vous…

    M. le président

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    Monsieur Bernalicis, vous être probablement le député qui a le plus parlé depuis le début de la séance. De ce point de vue, je crois que j’ai joué le jeu, comme vous dites !

    M. Ugo Bernalicis

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    Encore heureux ! Pardonnez-moi d’avoir des choses à dire ! Ai-je outrepassé le règlement ?

    M. le président

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    Jouer le jeu, c’est appliquer le règlement.

    M. Ugo Bernalicis

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    Je ne vous dois rien, monsieur le président !

    M. le président

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    Bien. Je vous propose désormais de poursuivre nos travaux.

    Article 1er(suite)

    M. le président

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    Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 103 et 114.
    La parole est à Mme Catherine Pujol, pour soutenir l’amendement no 103.

    M. Ugo Bernalicis

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    Je ne vous dois rien ! Pour qui vous prenez-vous, monsieur le président ? Je suis autant député que vous ! Et vous n’êtes pas en train de m’accorder une faveur en me donnant la parole !

    M. le président

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    Je vous invite, madame Pujol, à ne pas vous laisser impressionner.

    Mme Catherine Pujol

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    Avant de présenter l’amendement, je souhaiterais vous indiquer que moi aussi, j’ai levé la main pour demander la parole, monsieur le président. Il est vrai que je ne suis pas très grande, aussi peut-être ne m’avez-vous pas vue.
    Je souhaiterais également dire à ceux qui ont manifestement fait un arrêt sur image et qui demeurent à l’ère du Front national, que je fais partie d’un mouvement, que je représente ce soir, dont le nom est Rassemblement national. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)

    Plusieurs députés du groupe LaREM

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    C’est la même chose !

    Mme Catherine Pujol

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    Non, ce n’est pas la même chose ; dans le cas contraire, je ne serais pas ici aujourd’hui. Je vous le répète, je représente un mouvement qui s’intitule Rassemblement national. Il semblerait d’ailleurs que ce soit sa fête ce soir. Vous m’en voyez d’ailleurs ravie parce que, comme on dit, en politique, l’important est de faire parler de soi. Je vous remercie donc de parler du Rassemblement national.

    M. Philippe Gosselin

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    C’est une page de pub !

    Mme Catherine Pujol

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    L’amendement no 103 vise à supprimer l’ensemble des dispositifs qui permettront au procureur européen, qui ne sera pas soumis à la Constitution française, d’appliquer des mesures privatives de libertés. Comme cela a été dit lors de l’examen des amendements de suppression de cet article, la justice est une fonction régalienne et souveraine, ce qui apparaît de manière particulièrement concrète lorsqu’elle prive des hommes de liberté.
    Aux termes de l’article 66 de la Constitution, « l’autorité judiciaire » – française, cela va de soi – est la « gardienne de la liberté individuelle » en France. Ainsi, aucune institution supranationale – en l’espèce, le procureur européen – ne devrait pouvoir s’imposer à l’autorité judiciaire française et donc décider seule de mesures privatives de liberté, le juge des libertés et de la détention n’intervenant qu’après.

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 114.

    M. Ugo Bernalicis

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    Il vise à rappeler, comme l’a fait notre collègue Aubert, qu’il existe des principes constitutionnels dans notre pays. Je ne suis pas nécessairement en accord avec eux, mais ils sont néanmoins en vigueur et disposent que le Président de la République est le garant de l’autorité judiciaire et que le garde des sceaux, ministre de la justice, conduit la politique pénale. Celui-ci se trouve à la tête de la hiérarchie du parquet et peut rédiger des circulaires de politique pénale.
    Or, dans ce texte, finalement, on s’en fiche, puisqu’on donne des pouvoirs à un « procureur » qui n’est ni procureur ni juge d’instruction, mais les deux à la fois. Je suis content d’avoir entendu notre collègue Lagarde parler de machin ou de bizarrerie juridique tout à l’heure, car c’est le cas : nous sommes en train de créer une chimère pour entrer dans les clous de la coopération européenne renforcée en matière de justice mais, en fin de compte, ce changement irriguera nécessairement le reste du code de procédure pénale.
    Par ailleurs, monsieur le garde des sceaux, vous avez dit que vous nous soumettriez un projet de loi d’ici à la fin du quinquennat – ce qui n’est déjà pas mal – pour réformer la procédure pénale, le parquet, etc. Mais quelle sera la continuité du projet de loi que nous examinons ? Que comptez-vous faire après ? Comptez-vous en améliorer les dispositions en séparant davantage l’enquête préliminaire de l’instruction ? Souhaitez-vous donner davantage de droits à la défense, pour rééquilibrer le fait que tous les pouvoirs sont entre les mains de la même personne ? Allez-vous rendre le parquet français véritablement indépendant de l’exécutif en changeant les règles de nomination ? Quel est le coup d’après ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Mais quel rapport ?

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Monsieur Bernalicis, ce que vous dites est faux : le procureur européen délégué n’est pas en même temps procureur et juge d’instruction ; il est d’abord procureur, comme lors d’une enquête préliminaire ou d’une enquête de flagrance, et, quand des actes d’investigation poussés ou quand la complexité de l’affaire le nécessitent, il peut exercer les prérogatives de juge d’instruction. Ce n’est pas la même chose.
    Je ne vois pas, madame Lorho, en quoi le procureur européen délégué serait au-dessus de la Constitution. Que dit la Constitution ? Elle dit que la protection des libertés fondamentales des individus requiert l’intervention du juge judiciaire. C’est bien ce qui est prévu par le texte, puisque les mesures de sûreté – le mandat d’arrêt – et tous les actes qui portent atteinte à la vie privée – géolocalisation, mise sur écoute – seront décidés avec l’intervention du juge des libertés et de la détention. Toutes les voies de recours seront ouvertes, comme c’est le cas en droit interne, garantissant ainsi le respect des droits des parties, y compris, bien évidemment, de ceux de la défense. Le procureur européen délégué ne pourra pas agir seul, sauf dans un sens plus favorable, par exemple pour lever un contrôle judiciaire ou mettre fin à une détention provisoire par une remise en liberté.
    En réalité, le sujet est plus compliqué. Le Conseil constitutionnel se fonde sur la gravité des faits de l’infraction et sur les garanties qui encadrent la mise en œuvre des mesures. Ce n’est donc pas qu’une question de juge judiciaire. Le Conseil constitutionnel a validé la réalisation de perquisitions au cours de l’enquête préliminaire avec l’autorisation du juge des libertés et de la détention, ainsi que la possibilité de procéder à des géolocalisations, uniquement si elles sont autorisées par le parquet, pendant quinze jours. La problématique est donc plus large que la simple phrase : « Il faut un juge judiciaire », puisque le Conseil constitutionnel indique qu’il faut tenir compte de la proportionnalité entre les faits et les atteintes portées aux libertés.
    Avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Défavorable.

    M. le président

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    La parole est à M. Didier Paris.

    M. Didier Paris

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    Je suis un peu gêné par la discussion d’opposition droite-gauche, extrême ou pas, que j’entends depuis tout à l’heure. Ce n’est pas mon problème ; le problème est de répondre aux arguments avancés. Or j’ai l’impression que nous voulons à la fois construire un espace judiciaire européen qui permette la défense des intérêts budgétaires propres de l’Union européenne et, en même temps, le détruire. On ne peut pas dire, d’un côté, qu’il nous faut un parquet européen digne de ce nom avec des capacités d’enquête, d’investigation et de poursuite, qui puisse envoyer en jugement, et, en même temps, lui retirer ses capacités d’action.
    Il est impératif de garder en mémoire que le parquet européen est totalement indépendant. De ce fait, il ne peut pas confier ses dossiers à un juge d’instruction, car cela lui en ferait perdre la maîtrise. Comme l’indique clairement le texte, il ne reçoit aucune indication des parquets généraux et agit de manière indépendante. La seule réserve fondamentale – qui est, pour répondre à l’un des arguments avancés, une réserve constitutionnelle – est qu’il ne peut prendre aucune mesure privative ou restrictive de liberté sans l’intervention, en France, d’un juge du siège.
    Soyons attentifs au fait que notre fonctionnement judiciaire n’est pas identique à celui des autres pays. Nous devons absolument respecter l’indépendance intégrale des parquets européens pour leur permettre de ne pas se retrouver en confrontation avec d’autres systèmes judiciaires qui seraient moins tolérants que le nôtre à leur égard. À chaque instant, des mesures de sécurité s’imposent au parquet européen, et il ne peut en aucune façon prendre seul des mesures restrictives ou privatives de liberté.

    M. le président

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    La parole est à M. Julien Aubert.

    M. Julien Aubert

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    Je viens de comprendre que c’est en fait Mme la rapporteure qui répond à la place du ministre. Je m’adresse donc à vous, puisque je n’ai pas de réponse de la part du garde des sceaux.
    Premièrement, le Président de la République sera-t-il toujours garant de l’autorité judiciaire pour la partie qui concerne le parquet européen ?
    Deuxième question, que j’ai déjà posée quatre fois et que je continuerai de poser : le texte ne crée-t-il pas au niveau européen un troisième ordre de juridiction, qui n’est ni administratif ni judiciaire, mais en partie intégré et hybride ?
    Troisièmement : à qui le parquet européen rend-il des comptes ? On dit qu’il est indépendant, mais est-il indépendant de toutes les structures judiciaires et politiques des États membres ? Dans ce cas, qui définira les instructions de la politique pénale européenne ? Le sujet n’est pas purement administratif, il ne s’agit pas seulement de créer un service, il faut aussi lui donner une orientation. Imaginez-vous un service fiscal européen qui n’aurait aucune orientation de politique fiscale ? Je ne peux pas y croire.
    Enfin, pouvez-vous me confirmer que n’importe quel ressortissant français, y compris un responsable ou ancien responsable politique, pourrait être mis en examen par un parquet ou par un procureur européen délégué d’un pays étranger, ou une disposition dans le texte permet-elle d’y mettre des barrières ? Il est déjà arrivé des affaires judiciaires touchant à la politique, et il vaut mieux comprendre ce que nous votons avant, plutôt qu’après. Je pose donc ces questions très précises pour comprendre et cerner le système.

    (Les amendements identiques nos 103 et 114 ne sont pas adoptés.)

    M. le président

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    La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l’amendement no 57.

    M. Pascal Brindeau

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    Il est dans le même ordre d’idées.
    J’aimerais revenir sur la réponse de Mme la rapporteure à notre collègue Bernalicis, selon laquelle on ne peut pas dire qu’il y a confusion entre le rôle de procureur de la République et celui de juge d’instruction, dans la mesure où le procureur est chargé de l’enquête préliminaire et que le juge d’instruction prend le relais ensuite. Or, dans le cas présent, c’est bien la même personne qui décidera d’actes de procédure en matière d’instruction, sur la base de la procédure qu’elle aura elle-même engagée lors de l’enquête préliminaire. C’est un fait et, sans cela, il n’est pas possible que le parquet européen fonctionne, mais convenons que cela choque la culture judiciaire française, laquelle prévoit une séparation stricte entre les prérogatives du parquet et celles du juge d’instruction.
    Les amendements que nous déposons ne contestent pas la possibilité donnée au procureur européen délégué de prendre des actes de procédure, mais ils proposent qu’il ne puisse pas les prendre seul, en plaçant le procureur européen délégué sous le contrôle du juge des libertés et de la détention pour certains actes, notamment lorsqu’il s’agit de placer une personne sous contrôle judiciaire. On sait bien qu’un contrôle judiciaire, un mandat d’amener, une mise en examen, sont tout sauf neutres dans la procédure, aussi bien du point de vue du poursuivant que de celui qui est mis en cause.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Il est vrai que le procureur européen délégué nous met face à notre singularité pénale, monsieur Brindeau. Mais, avec les quelques ajustements prévus – car c’est une vérité qu’il y a quelques ajustements –, je constate qu’il s’intègre convenablement au droit interne, sur le plan de l’enquête préliminaire ou de l’enquête de flagrance comme sur le plan de l’instruction.

    M. Philippe Gosselin

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    Nous y sommes très attachés !

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Je suis sensible à l’inquiétude exprimée dans l’amendement no 57 et il est vrai que le sujet est important. Le procureur européen délégué peut-il décider seul d’un placement sous contrôle judiciaire ? Je crois que oui. D’abord, parce qu’il a un statut d’indépendance renforcée – ce n’est pas le procureur français tel que nous le connaissons. Ensuite, parce qu’il est entouré de garde-fous : le juge des libertés et de la détention peut être saisi immédiatement et doit rendre sa décision dans les soixante-douze heures. Un magistrat du siège peut donc intervenir dans des délais extrêmement brefs.
    Les libertés sont sauvegardées, tout en donnant au procureur européen délégué la main sur la conduite de l’enquête, conformément au règlement européen ; je crois donc que nous sommes parvenus à un équilibre correct.
    Avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Monsieur Brindeau, c’est un paradoxe : au fond, vous êtes favorables au parquet européen, mais vous souhaitez le dépouiller de ses prérogatives.

    M. Philippe Gosselin

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    On veut les éclaircir !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Il faudrait m’expliquer comment cela marche. En l’occurrence, ce que vous mettez en cause, c’est la possibilité, pour le procureur européen délégué, de décider d’un placement sous contrôle judiciaire.

    M. Pascal Brindeau

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    Seul !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Tout d’abord, je rappelle que le Conseil d’État a émis un avis sur la question. Par ailleurs, la personne mise en cause pourra contester cette décision devant un juge des libertés et de la détention, puis en appel : il y a donc deux regards qui ne sont pas celui du procureur européen délégué.
    J’en profite pour vous répondre, monsieur Aubert.

    M. Julien Aubert

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    Ah !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Premièrement, si vous ne m’avez pas entendu, c’est parce que j’étais en plein accord avec Mme la rapporteure. Ce n’était donc pas la peine de répéter la même chose, à moins de vouloir faire inutilement durer les débats, et je n’ai pas le goût de l’effort inutile. Vous mélangez un certain nombre de choses. Tout d’abord, le procureur européen délégué a des comptes à rendre au Parlement européen – je l’ai dit tout à l’heure, mais vous n’avez pas été attentif et, même si ce n’est pas pour cette raison que je n’ai pas repris la parole, je constate que, quand je l’ai prise, vous ne m’avez pas écouté – et il peut également rendre des comptes au parlement national, c’est-à-dire à vous.
    Deuxièmement, vous vous inquiétez du sort des hommes politiques et de la façon dont ils seront traités, et vous avez raison. Je rappelle toutefois que les règles de procédure qui s’appliquent en France, ce sont les nôtres ; à l’étranger, ce sont celles de l’État dans lequel les faits se sont déroulés. Si c’est cela qui vous préoccupe, les immunités seront maintenues, n’ayez aucune crainte.
    Enfin, puisque vous avez cru devoir comparer mes propos à ceux du ministre de l’intérieur, je tiens à vous dire une dernière chose : ne confondez pas, je vous en supplie, quelques différences de sensibilité ou sémantiques avec de vraies différences de fond, même si je sais que cela vous pique. Au Sénat, le groupe Les Républicains a voté le texte à l’unanimité ; vous pouvez avoir un avis différent aujourd’hui, mais je puis naïvement m’en étonner.

    M. le président

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    La parole est à M. Arnaud Viala.

    M. Arnaud Viala

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    Ce que notre collègue Aubert essaye de comprendre, nous avec lui, et les Français avec nous, c’est l’articulation entre les prérogatives du parquet européen et la justice française. Or la réponse que vous venez de nous faire n’éclaircit pas la question posée. Vous nous dites que le procureur européen délégué « peut » rendre des comptes devant le Parlement français, et Mme la rapporteure nous a dit qu’il « peut » saisir le juge des libertés et de la détention, mais nous voulons connaître les conditions dans lesquelles le procureur européen délégué saisit ou non le juge des libertés et de la détention et rend ou non des comptes au Parlement européen.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Lisez le texte !

    M. Arnaud Viala

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    Non, nous voulons savoir les modalités.
    Quant à l’exemple des politiques choisi par mon collègue Aubert, il ne vise pas à défendre le pré carré, les privilèges ou l’immunité de quiconque ; c’est un exemple.

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis.

    M. Ugo Bernalicis

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    L’amendement du collègue Brindeau est très intéressant car, à la différence d’autres dispositions du texte, qui demandent a priori l’autorisation du juge des libertés et de la détention, celle-ci la demande a posteriori en cas de contestation. J’aimerais savoir ce qui a motivé ce choix. Pourquoi ne pas avoir décidé d’un contrôle a priori du JLD ?
    La question renvoie au débat sur le JLD lui-même et sur l’effectivité du contrôle des mesures qui lui sont soumises. Car, de texte en texte, on ne cesse de dire que c’est le JLD qui va faire ci ou contrôler ça. Il n’y a pas un texte qui ne lui file pas des pouvoirs ! Tant mieux pour les JLD, mais je ne crois pas que leurs effectifs le permettent, d’autant que cela finit par leur demander des connaissances fines pour entrer dans le détail de dossiers complexes et évaluer la proportionnalité des mesures. Or la réalité, c’est qu’ils n’ont aujourd’hui pas le temps de le faire. La garantie que vous proposez n’est donc ni suffisante ni satisfaisante.
    C’est bien pour cette raison que, dans notre droit interne, il existe une distinction entre le procureur de la République et le juge d’instruction, entre un magistrat du parquet et un magistrat du siège. Ainsi, par exemple, il n’existe pour le procureur européen délégué aucune garantie d’inamovibilité et le magistrat qui sera nommé à cette fonction n’apportera pas toutes les garanties offertes par un juge d’instruction. Ne me faites pas annoncer des mesures que le texte que vous proposez ne prévoit pas !
    Par ailleurs, s’agissant des comptes que le futur parquet européen devra rendre au Parlement national, je souscris, monsieur le ministre, à la question qui vient de vous être posée : quelles seront les modalités de cette disposition ?

    (L’amendement no 57 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir les amendements nos 58 et 59, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.

    M. Pascal Brindeau

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    Ils suivent la même logique que l’amendement précédent.
    Monsieur le ministre, j’ai bien entendu votre explication s’agissant de la possibilité, pour la personne mise en cause dans le cadre d’un contrôle judiciaire, de faire ensuite appel au juge des libertés et de la détention. Mais c’est une possibilité offerte a posteriori. Vous dites que le procureur européen délégué, en tant que juge d’instruction et parce qu’il est rattaché au procureur européen, est totalement indépendant, son rôle se rapprochant donc de celui du juge d’instruction. Cette confusion des genres pourrait le conduire, dans son rôle de juge d’instruction, à ne pas instruire à la fois à charge et à décharge, comme le veut l’essence de son rôle dans le système judiciaire français. Voilà ce que nous craignons, d’une certaine façon, avec l’organisation complexe que vous souhaitez instaurer.
    De notre point de vue, la cohérence voudrait que, dès qu’un acte de procédure touche individuellement et directement le mis en cause dans son intégrité – mise en examen, placement sous contrôle judiciaire, mandat d’amener –, même s’il est partie à l’instruction, ou que des mesures privatives de liberté sont prises, le procureur délégué intervienne a priori sous contrôle du JLD ou d’une instance d’instruction de la justice française ; c’est normalement déjà le cas pour les mesures privatives de liberté. Je comprends que vous y soyez opposé en raison de l’équilibre qui a été trouvé lors de la première lecture au Sénat, mais permettez que nous défendions notre conception.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Votre question est tout à fait légitime, et nous aurions en effet pu retenir l’option que vous présentez, où le contrôle judiciaire serait ordonné par le juge des libertés et de la détention, saisi par le procureur français. Mais cette option a été écartée au profit d’une solution plus souple, plus efficace et en même temps sécurisée, puisqu’elle fait intervenir immédiatement le juge des libertés et de la détention, selon les voies de recours classiques.
    S’agissant plus précisément de l’amendement concernant les horaires, je vous indique que nous retrouvons un procureur européen avec la casquette du procureur français. Ensuite, il me semble que les mesures proposées, si elles sont limitées, sont plutôt favorables à la personne mise en cause et ne remettent en rien en question l’équilibre de la mesure de contrôle décidée.
    Par conséquent, double avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Avec tout mon respect, monsieur Brindeau, j’avoue que j’ai du mal à vous suivre. Au fond, il est plus simple de permettre aux procureurs européens délégués d’aménager les horaires d’une assignation à résidence avec surveillance électronique – ARSE –, à la demande de l’intéressé et dans son seul intérêt, plutôt que d’exiger l’intervention du JLD. Je tiens à rappeler qu’il s’agit d’une mesure favorable au mis en cause, et je ne comprends pas comment vous pouvez envisager de supprimer la possibilité, donnée au procureur délégué, de modifier les horaires.
    Quant au deuxième amendement – qui est de même facture, si vous me permettez cette familiarité –, il supprimerait la possibilité, pour le procureur délégué, de décider du placement sous contrôle judiciaire. Mais là encore, il s’agit d’une mesure favorable au mis en cause. C’est, à mon sens, un oxymore que de vouloir instaurer un procureur européen et, en même temps, le dépouiller de ses attributions.
    La situation est complexe et les Belges ont choisi une autre solution – qui n’est pas simple non plus, tant s’en faut –, en maintenant un juge d’instruction. Cela pose aussi des difficultés techniques.
    Face à une situation qui sort de l’ordinaire, nous sommes obligés d’instaurer le dispositif proposé. Non, d’ailleurs, ce n’est pas une obligation mais, en ce qui nous concerne, une volonté. Tout à l’heure, vous avez eu cette formule magique : les frontières n’arrêtent pas les délinquants, mais arrêtent les policiers et les magistrats. Avec ce texte, ce ne sera plus le cas. Il faut que le procureur ait les moyens de sa politique pénale : sans cela, les mesures seraient illusoires.
    Je suis donc doublement défavorable à vos amendements.

    M. le président

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    La parole est à M. Julien Aubert.

    M. Julien Aubert

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    Grâce aux réponses de M. le ministre, nous avançons – lentement, mais sûrement. Vous avez dit, monsieur le ministre, que le procureur européen délégué rendrait des comptes sur ses orientations générales devant le Parlement européen, mais également la Commission européenne et le Conseil européen, et qu’il pourrait être révoqué par la Cour de justice de l’Union européenne – CJUE. Dont acte.
    Vous avez également indiqué que le procureur délégué rendrait compte de son action devant le Parlement français. Mais, monsieur le ministre, pouvez-vous me citer l’exemple d’un seul procureur français venant rendre des comptes sur son action devant la représentation nationale ? Il n’y en a aucun !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Ce n’est pas le même système !

    M. Julien Aubert

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    Nous créons donc un procureur sui generis, au statut particulier.
    Deuxièmement, ce procureur travaillera en anglais – oui, c’est ce qui a été décidé. Mais pouvez-vous me citer l’exemple d’une seule administration française, responsable devant le Parlement, qui ne travaille pas en français ? Moi, je n’en connais pas.
    Vous dites que tout cela est constitutionnel. Comme c’est indépendant du pouvoir politique français, je vous ai demandé, tout à l’heure, si le chef de l’État, garant de l’autorité judiciaire, était garant du procureur européen délégué. Personnellement, je ne pense pas. Dans ce cas, n’est-ce pas un pouvoir judiciaire européen ? Le cas échéant, il faut le nommer, et il devient contraire à la Constitution, qui fait référence à une autorité judiciaire. J’aimerais donc que nous débattions du sujet.
    Je terminerai avec un point de droit : monsieur le ministre, vous dites ne pas comprendre que l’Assemblée nationale n’adopte pas des dispositions pourtant adoptées par le Sénat. Mais, monsieur le ministre, les députés ne représentent pas leur parti politique ! Dans d’autres pays, ils sont peut-être l’expression d’un parti politique, mais pour notre part, nous sommes, à l’inverse du régime des partis, les représentants de la nation : si nous pouvons appartenir à un parti, nous privilégions avant tout la représentation des citoyens nous ayant élus, plutôt que les responsables administratifs et notre siège.

    M. le président

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    La parole est à M. Pascal Brindeau.

    M. Pascal Brindeau

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    Il me semble important que nous ayons ce débat, d’autant que, vous l’avez dit vous-même, il s’agit d’un sujet complexe et que d’autres pays ont adopté des solutions différentes. C’est le cas de la Belgique, qui a choisi de maintenir un juge d’instruction, ce qui n’est pas non plus sans difficultés. C’est la preuve que chaque système a sa propre cohérence et engendre des difficultés qui lui sont propres.
    À travers ces amendements, que vous pensez oxymoriques, j’essaie de démontrer que pour coller au mieux à notre tradition judiciaire, qui prône une séparation stricte entre le ministère public et l’instruction à charge et à décharge, toute décision ayant des conséquences sur le mis en cause, qu’elles soient positives ou négatives, doit être prise sous contrôle du JLD. C’est uniquement cela que je défends, et cela me semble être aussi cohérent que le dispositif proposé.

    M. le président

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    La parole est à M. Didier Paris.

    M. Didier Paris

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    Je souhaitais réagir sur la question – épineuse, il est vrai – des modalités d’intervention d’un procureur européen devant un Parlement national. Il faut garder à l’esprit plusieurs éléments.
    Tout d’abord, sauf erreur, cette disposition figure déjà en toutes lettres dans le règlement européen de 2017, qui définit le rôle du procureur européen. Ainsi, et pour répondre à une question soulevée tout à l’heure, il n’existe pas de loi de transposition puisque le règlement est d’application directe.
    En outre, mes chers collègues, rappelez-vous qu’une loi récente, défendue par Christiane Taubira en 2013, a expressément prévu que le ministre de la justice s’exprime tous les ans, devant le Parlement, pour présenter et discuter sa politique pénale. Avec mon collègue Bernalicis, nous regrettions d’ailleurs, dans notre rapport sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire, que cette disposition ne soit pas utilisée. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour en faire bon usage !
    Enfin, dans la mesure où il revient à chaque législation nationale d’adapter la prise en considération du règlement européen, peut-être pourrions-nous envisager que le ministre français de la justice vienne expliquer au Parlement les mesures appliquées par les procureurs européens délégués pour assurer la défense des intérêts communautaires ?

    (Les amendements nos 58 et 59, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

    M. le président

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    L’amendement no 140 de Mme la rapporteure est un amendement de coordination.

    (L’amendement no 140, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

    M. le président

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    La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l’amendement no 60.

    M. Pascal Brindeau

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    Il relève de la même philosophie…

    M. le président

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    Monsieur Aubert, ce ne peut pas être un débat uniquement entre vous, la rapporteure et le ministre ! Vous levez immédiatement la main, mais peut-être d’autres députés veulent-ils s’exprimer.

    M. Julien Aubert

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    Ils n’ont qu’à lever la main !

    M. le président

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    Ils m’ont effectivement fait signe : ne soyez donc pas surpris si je leur donne la parole, même si vous avez levé la main.
    Nous vous écoutons, monsieur Brindeau.

    M. Julien Aubert

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    En même temps, priorité à droite ! (M. Pascal Brindeau rit.)

    M. Pascal Brindeau

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    Pour trente secondes, ce sera tout de même priorité au centre ! (Sourires.)
    L’amendement, qui concerne toujours la détention provisoire, se situe dans la même logique que les précédents.

    M. le président

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    Avant de vous laisser la parole, madame la rapporteure, je vous indique que sur l’article 1er, je suis saisi par le groupe La République en marche d’une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Afin que nous les ayons tous bien en tête, je voudrais rappeler les options qui s’offraient au Gouvernement au moment non pas de transposer le règlement – qui, comme l’a rappelé mon collègue Didier Paris, est d’application directe –, mais d’adapter le fonctionnement du parquet européen.
    Nous aurions pu, comme le soulevait M. Julien Aubert, créer un troisième ordre de magistrats, mais cela aurait été très éloigné de notre culture pénale et judiciaire, engendrant une sorte d’usine à gaz. Nous avons donc évidemment écarté cette option. Nous aurions pu maintenir le dispositif existant, comme l’a fait la Belgique, et conserver un procureur et un juge d’instruction français. Cette option est très périlleuse, et la Belgique va au-devant de nombreux contentieux en matière de compétences. En tout état de cause, elle était impossible à instaurer en France : comme nous l’avons dit, le procureur européen délégué exerce l’action publique jusqu’à ce que l’affaire soit définitivement jugée. Ainsi, il enquête, poursuit et met l’affaire en état. Si le procureur français se dessaisissait de cette compétence au profit du juge d’instruction, qui, indépendant, ne reçoit aucune instruction et agit en toute autonomie dans la conduite des affaires, cela serait contraire au règlement européen.
    D’où l’option finalement choisie de disposer d’un procureur délégué qui sera capable d’endosser successivement le rôle de parquetier et de juge d’instruction. Particulièrement astucieuse, cette disposition permet, sans changer totalement de cadre et sans nous dépayser, de nous conformer aux règlements européens.
    Avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    En droit commun, après la clôture d’une instruction, par exemple, ou lorsque la détention est décidée par un tribunal correctionnel, c’est déjà le procureur qui se charge de son exécution ; cela ne pose strictement aucun problème.
    Plus généralement, je voudrais à ce stade, si vous m’y autorisez, ajouter quelques précisions fort utiles.
    Tout d’abord, le Président de la République est le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire française : s’agissant d’une autorité judiciaire telle que celle que nous envisageons de créer, il ne peut jouer ce rôle, non plus qu’aucun autre chef d’État. Ensuite, M. Paris a répondu avec précision au sujet des comptes qu’aura à rendre ce procureur européen ; ces dispositions ont déjà été gravées dans le marbre, devant le Parlement européen et devant les parlements nationaux. Enfin, monsieur Brindeau, vous mélangez la langue de travail du parquet et la langue de la procédure, qui est le français en France, l’espagnol en Espagne, l’italien en Italie.
    Un dernier mot, puisque vous êtes à ce point préoccupé par la constitutionnalité de ce texte : je ne vais pas polémiquer toute la soirée avec vous au sujet du Sénat, je vous ai déjà répondu ; mais je vous encourage vivement à lire l’avis du Conseil d’État, qui répond à toutes vos interrogations. Bien évidemment, je serai défavorable à votre amendement.  

    M. le président

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    La parole est à M. Julien Aubert.

    M. Julien Aubert

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    Monsieur Paris, vous parlez d’un règlement qui est donc d’applicabilité directe ; dans le même temps, vous aurez noté que le Parlement doit adopter un projet de loi d’application. En toute logique pourtant, nous ne devrions avoir ni marge de contestation, ni vote.

    M. Didier Paris

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    Ce n’est pas incompatible !

    M. Julien Aubert

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    Par ailleurs, selon vous, Mme Taubira a prévu que le ministre de la justice soit responsable devant le Parlement. C’est constitutionnel : je suis tout à fait d’accord avec vous. Mais en l’occurrence, il ne s’agit pas d’un ministre ; votre raisonnement pèche par là. Ce procureur européen aurait en réalité rang de ministre, puisqu’il serait responsable devant le Parlement.

    Mme Cécile Untermaier

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    Non !

    M. Julien Aubert

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    Il ne s’agit donc pas seulement d’une coopération administrative, mais bien de l’émergence d’un pouvoir politique européen, responsable devant des instances relevant soit de l’exécutif, soit du législatif européen, soit du judiciaire, et responsable également sur le plan national. En cela, votre approche est fédérale.
    Lorsque je demandais qui déterminerait la politique pénale, M. le ministre n’a jamais répondu. Dans les faits, c’est bien ce procureur européen qui, sans être un personnage politique, la définira pour des centaines de millions d’Européens.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Mais non !

    M. Julien Aubert

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    Là encore, ce n’est pas anodin. Nous sommes en train de forger une entité qui a un pied au siège, un pied au parquet, dont la langue de travail n’est pas la langue nationale, qui échappe à l’autorité du Président de la République car ne faisant pas partie de la justice française mais qui a néanmoins autorité sur notre territoire, ainsi qu’une responsabilité politique devant un parlement. En bref, merci de nous avoir démontré par a + b que nous créons ce soir un pouvoir judiciaire supranational ayant autorité sur le territoire français.
    Enfin, même si le contrôle de constitutionnalité est plutôt le fait du Conseil constitutionnel, j’ai lu l’avis du Conseil d’État. Celui-ci relève qu’à partir du moment où nous retranchons de la Constitution tout ce qui rend des dispositions européennes inconstitutionnelles, l’existence de ce procureur sera, en effet, conforme à la Constitution.

    M. le président

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    La parole est à Mme Sabine Thillaye.

    Mme Sabine Thillaye

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    Il ne s’agit tout de même pas de créer un parquet européen de manière totalement abstraite ! Ce que nous voulons, c’est être efficaces et défendre l’État de droit. Pour cela, nous avons besoin d’une institution forte, qui puisse travailler d’une manière correcte ; ne serait-ce qu’en raison des fraudes transfrontalières, cela réclame que les États membres qui le souhaitent agissent de concert. Quant à la question linguistique, à un moment donné, il faut également la considérer du point de vue de l’efficacité : nous avons besoin de l’expertise juridique des procureurs délégués, qui ne peuvent apprendre vingt-deux langues, d’où la nécessité d’en choisir une seule.  

    (L’amendement no 60 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 115.

    M. Ugo Bernalicis

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    Ce procureur ayant également les pouvoirs du juge d’instruction lorsqu’il lui en prend envie, nous proposons par cet amendement de modifier les règles de la constitution de partie civile, afin que celles qui sont actuellement en vigueur dans notre droit national ne varient pas demain, notamment pour les associations. Cet amendement nous a d’ailleurs été suggéré par plusieurs de ces dernières, Sherpa entre autres, qui mènent des actions en justice.
    Étant donné que l’enquête de flagrance, l’enquête préliminaire et l’instruction seront conduites par la même entité, certaines voies, certaines modalités de recours se trouveront fermées aux parties civiles ; ce n’est pas admissible, encore moins s’agissant de contentieux transnationaux dans lesquels les associations ont montré que, sur le plan national comme sur le plan international, elles apportaient une plus-value à l’œuvre de justice. Le reconnaître ne constituerait pas un effort considérable pour nous, législateur français, et nous serait profitable à tous, car ces associations agissent dans l’intérêt général. Par conséquent, cet amendement vise à ce que les dispositions actuelles du code de procédure pénale en matière de constitution de partie civile soient appliquées auprès du procureur délégué européen.        

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Monsieur Bernalicis, vous déformez à la fois le texte et la réalité. Le procureur européen n’est pas juge d’instruction quand il le veut, mais dans le cadre prévu par le texte, c’est-à-dire lorsque l’affaire est complexe, lorsque des actes d’investigation sont nécessaires. C’est exactement ce qui se passe en droit interne, mais vous ne considérez pas, je suppose, que le procureur français peut ouvrir une information judiciaire à sa discrétion ? C’est exactement la même chose. Avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Même avis.

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis.

    M. Ugo Bernalicis

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    Si si, madame la rapporteure : en droit interne, je conteste un certain nombre d’éléments de la procédure.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Ah oui ! Dans ce cas…

    M. Ugo Bernalicis

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    Il y a des affaires que je ne suis pas content de voir classées sans suite par le procureur ; heureusement qu’il y a des procédures pour demander la désignation d’un juge d’instruction et nous constituer partie civile.
    Excusez-moi, mais je ne déforme pas le texte : c’est celui-ci qui déforme le droit existant. N’inversez pas les choses, c’est vous qui créez ce machin, entraînant des bizarreries juridiques qui font que l’on ne sait même plus comment une association, dans le cadre de la procédure, peut se constituer partie civile ! Ce n’est pas moi qui l’ai rédigé, votre texte ! Je suis là pour vous interpeller, pour vous dire qu’en l’état actuel des choses, la constitution de partie civile ne sera plus possible à une association dans les conditions établies par le droit judiciaire normal, classique, de notre pays. Je vous propose donc de résoudre ce problème.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Oh, mais c’est pas vrai !

    M. Ugo Bernalicis

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    Voilà tout. Vous me dites que je déforme je ne sais trop quoi, mais c’est vous qui déformez la procédure judiciaire existante en créant une chimère, en mêlant les prérogatives du parquet et celles du juge d’instruction.
    Qui décide de recourir à des moyens d’instruction ? Qui décide que l’affaire est complexe, que le procureur délégué européen aura besoin de mesures d’investigation complémentaires ? Ce même procureur ! Au moins, en droit interne, deux personnes distinctes interviennent. Il peut y avoir un minimum de débat, certes entre deux magistrats et au sein de l’institution judiciaire, si bien qu’ils sont en général du même avis ; reste que l’un est du siège, l’autre du parquet. Le fonctionnement de notre système judiciaire fournit ainsi quelques garanties.
    Il n’en fournit pas suffisamment à mon sens : c’est pourquoi je propose que nous changions tout cela, que le parquet devienne complètement indépendant et ne rende de comptes qu’au Conseil supérieur de la magistrature, lui-même modifié…

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Oui, c’est sûr !

    M. Ugo Bernalicis

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    …dans sa composition, afin de faire intervenir le peuple de manière plus directe.

    M. le président

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    Veuillez conclure…

    M. Ugo Bernalicis

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    Telle est notre philosophie, car le peuple demeure souverain. En revanche, il n’y a plus de souverain au niveau européen.    

    M. le président

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    La parole est à Mme la rapporteure.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Monsieur Bernalicis, vous confondez les règles…

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Mais oui !

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    …en matière de constitution de partie civile. Par cet amendement, vous proposez que les parties civiles puissent se constituer devant le tribunal correctionnel : c’est déjà le cas, et le droit commun continuera de s’appliquer. En revanche, la possibilité de se constituer partie civile pendant l’enquête n’existe pas en droit français, et il est logique que le droit européen ne la prévoie pas non plus. Quant à la plainte avec constitution de partie civile, c’est un tout autre sujet.

    (L’amendement no 115 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    L’amendement no 61 de M. Pascal Brindeau est rédactionnel.

    M. Pascal Brindeau

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    Il concerne la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

    (L’amendement no 61, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

    M. le président

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    Je mets aux voix l’article 1er, tel qu’il a été amendé.

    (Il est procédé au scrutin.)

    M. le président

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    Voici le résultat du scrutin :
            Nombre de votants                        118
            Nombre de suffrages exprimés                117
            Majorité absolue                        59
                    Pour l’adoption                105
                    Contre                12

    (L’article 1er, amendé, est adopté.)

    Article 1er bis

    M. le président

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    L’amendement no 141 de Mme la rapporteure est un amendement de précision.

    (L’amendement no 141, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

    (L’article 1er bis, amendé, est adopté.)

    Article 2

    (L’article 2 est adopté.)

    Article 3

    (L’article 3 est adopté.)

    Article 3 bis

    M. le président

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    La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement no 166.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Il vise à réécrire l’article 3 bis, portant sur la prise en charge des cotisations sociales des procureurs européens délégués nommés pour la France, afin de permettre leur affiliation au régime spécial de sécurité sociale de la fonction publique.

    M. le président

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    La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir le sous-amendement no 173 et donner l’avis de la commission sur l’amendement du Gouvernement.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Il s’agit d’un sous-amendement de précision. Je remercie le ministre d’avoir débloqué la situation : le parquet européen pourra ainsi être créé très rapidement. Avis favorable à l’amendement.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement sur le sous-amendement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Totalement favorable.

    (Le sous-amendement no 173 est adopté.)

    (L’amendement no 166, sous-amendé, est adopté ; en conséquence, l’article 3 bis est ainsi rédigé.)

    Article 4

    (L’article 4 est adopté.)

    Article 4 bis

    M. le président

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    La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 143 rectifié.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    C’est un amendement légistique.

    (L’amendement no 143 rectifié, accepté par le Gouvernement, est adopté.)

    (L’article 4 bis, amendé, est adopté.)

    Article 4 ter

    (L’article 4 ter est adopté.)

    Article 4 quater

    (L’article 4 quater est adopté.)

    Après l’article 4 quater

    M. le président

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    La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 163, portant article additionnel après l’article 4 quater.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Je le retire.

    (L’amendement no 163 est retiré.)

    Article 5

    M. le président

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    La parole est à M. Didier Paris, pour soutenir l’amendement no 78.

    M. Didier Paris

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    Il s’agit en quelque sorte d’un amendement de coordination. Dans la mesure où le parquet national antiterroriste est compétent en matière d’application des peines pour les crimes contre l’humanité et les crimes et délits de guerre, il paraît logique qu’il le soit également en matière d’application des peines. Cette mesure nous semble nécessaire pour une bonne continuité de la surveillance pénale.

    (L’amendement no 78, accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.)

    M. le président

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    Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 76 rectifié et 145 rectifié.
    La parole est à M. Didier Paris, pour soutenir l’amendement no 76 rectifié.

    M. Didier Paris

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    Cet amendement porte sur un point extrêmement important en matière de lutte contre le terrorisme, celui de la transmission des renseignements. Actuellement, les procureurs de la République ont la possibilité de participer aux groupes d’évaluation départementaux aux côtés du préfet. Il est important qu’ils le fassent dans de bonnes conditions en matière de terrorisme, ce qui n’est pas prévu en l’état actuel du texte. À l’instar des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance – MICAS – et des visites domiciliaires, cet amendement vise à permettre au procureur de la République de transmettre les renseignements aux services spécialisés.
    Par ailleurs, il procède à une coordination ayant pour objet de tirer les conséquences de la création du parquet national antiterroriste, qui pourra transmettre aux services de renseignement des éléments des procédures judiciaires.

    M. le président

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    L’amendement no 145 rectifié de la commission est défendu.

    (Les amendements identiques nos 76 rectifié et 145 rectifié, acceptés par le Gouvernement, sont adoptés.)

    M. le président

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    La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 146.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Cet amendement légistique est retiré, monsieur le président.

    (L’amendement no 146 est retiré.)

    M. le président

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    La parole est à M. le garde des sceaux, pour soutenir l’amendement no 167.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Cet amendement vise à inscrire dans la loi l’existence des assistants spécialisés pour la prévention du terrorisme.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Lors des auditions auxquelles nous avons procédé, le parquet national antiterroriste nous a fait part de son souhait de pouvoir bénéficier du concours d’assistants spécialisés, ce qui constitue un moyen de renforcer la lutte contre le terrorisme. J’émets donc un avis favorable.

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis.

    M. Ugo Bernalicis

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    J’avoue être pris entre deux feux au sujet de cet amendement, qui comporte un aspect dérangeant. D’un côté, il est bon que le magistrat ait à ses côtés des gens connaissant bien la matière qu’il analyse.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Eh oui !

    M. Ugo Bernalicis

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    De l’autre, en théorie, les spécialistes censés assister le magistrat dans son enquête en soulevant des moyens de droit ou des éléments de preuve en matière de terrorisme, sont précisément les services d’enquête.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Non !

    M. Ugo Bernalicis

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    La création des assistants spécialisés, qui sera un plus pour le PNF et sans doute pour le PNAT, met donc aussi en évidence le fait que la police judiciaire manque de compétences spécialisées pour mener des investigations complètes. Cela m’amène à m’interroger sur la capacité de la police et de la gendarmerie nationales à trouver en leur sein ou à faire venir les éléments susceptibles de permettre aux magistrats de mener leurs enquêtes en allant au fond des choses – je rappelle en effet que l’enquête est conduite par le magistrat, qu’il s’agisse du procureur au stade préliminaire ou du juge d’instruction dans le cadre de l’information judiciaire.
    Peut-être la création des assistants spécialisés préfigure-t-elle l’organisation de demain, où des effectifs de police judiciaire pourraient être directement détachés auprès du magistrat, afin que celui-ci ait soit entouré de services d’enquête ayant vocation à conduire son enquête.
    Je tenais à faire part de mes doutes sur ce point car il me semble que, sous couvert de faire preuve de pragmatisme, on veut créer des assistants spécialisés, et il a même été question de consultants…

    M. le président

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    Merci, monsieur Bernalicis.

    (L’amendement no 167 est adopté.)

    (L’article 5, amendé, est adopté.)

    Après l’article 5

    M. le président

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    La parole est à Mme Catherine Pujol, pour soutenir l’amendement no 104, portant article additionnel après l’article 5.

    Mme Catherine Pujol

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    Nos collègues du groupe Les Républicains s’en souviennent peut-être, c’est Jean-Paul Garraud, aujourd’hui député européen élu sur la liste RN, qui avait lancé dès novembre 2015 l’idée d’un parquet national antiterroriste. Si cette idée a été reprise l’année dernière par le Président de la République, il lui manque en sa constitution actuelle un élément important, à savoir le maillage territorial.
    Afin d’y remédier, cet amendement propose d’installer au sein des JIRS  des délégués du procureur de la République antiterroriste.
    L’imbrication de la grande délinquance et du terrorisme est une réalité. En outre, le lien hiérarchique entre ces magistrats et le procureur de la République antiterroriste donne à ce dernier un ancrage territorial ; un simple lien d’information serait susceptible de diminuer l’efficacité de ces antennes décentralisées.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Les JIRS regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction, qui ont une expérience en matière de lutte contre la criminalité et la délinquance financière, dans des affaires qui présentent une grande complexité. De ce point de vue, avec votre proposition d’amendement, on s’éloigne beaucoup du sujet des JIRS.
    Par ailleurs, cette mesure pourrait avoir pour conséquence de supprimer les magistrats chargés des dossiers liés à la menace terroriste qui peuvent déjà exercer au sein de tribunaux judiciaires.
    J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement qui me paraît à la fois inopérant et dangereux.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Le code de l’organisation judiciaire prévoit déjà que des magistrats délégués à la lutte contre le terrorisme sont implantés au sein des tribunaux dans le ressort desquels est susceptible de se trouver une forte concentration de radicalisés. La liste de ces tribunaux est fixée par le ministre de la justice. Dès lors, je ne vois pas ce que votre amendement peut apporter et j’émets un avis défavorable.

    (L’amendement no 104 n’est pas adopté.)

    Article 5 bis

    (L’article 5 bis est adopté.)

    Article 6

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva.

    M. Jean-Félix Acquaviva

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    Plusieurs de mes amendements à cet article comportant diverses mesures de lutte contre la criminalité organisée ayant été déclarés irrecevables, je me suis inscrit sur l’article afin de pouvoir aborder un sujet grave, celui de la prégnance du milieu sur une partie de l’économie en Corse, qui donne même lieu à des assassinats. Cette situation est particulièrement inquiétante, d’autant que le taux d’élucidation des homicides sur l’île considérés comme des règlements de comptes est faible : seuls vingt-neuf homicides ont été résolus entre 2017 et 2019, dont treize considérés comme des règlements de comptes, qui conduisent à peu de mises en examen.
    Certes, cette situation n’est pas nouvelle, mais elle pourrit, devient complexe et suscite de légitimes interrogations au sein de la société insulaire, qui se mobilise actuellement pour faire prendre conscience de la gravité du phénomène et interpeller les acteurs politiques et les autorités judiciaires.
    Par ailleurs, et ceci est particulièrement inquiétant et révoltant, ces dernières semaines ont eu lieu des révélations mettant en cause certains membres de la police judiciaire exerçant en Corse, qui ont fait l’objet de deux enquêtes de l’IGPN – inspection générale de la police nationale – après des soupçons de fuites dans l’enquête sur une tentative d’assassinat. À cela s’ajoute la constatation de divers problèmes de procédure impliquant cette même police judiciaire et l’Office central de lutte contre le crime organisé – OCLCO –, basé à Paris.
    Que ces soupçons soit confirmés ou non, il est évident que la situation conduit à s’interroger sur le fonctionnement en Corse de la justice, de la police et de la gendarmerie, qui relèvent des fonctions régaliennes de l’État. Sans acrimonie, nous insistons sur ce point en espérant que la célérité et la détermination du garde des sceaux pourront faire avancer les choses.

    M. le président

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    Je suis saisi de quatre amendements, nos 99, 19, 29 et 51, pouvant être soumis à une discussion commune.
    Les amendements nos 29 et 51 sont identiques.
    La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva, pour soutenir l’amendement no 99.

    M. Jean-Félix Acquaviva

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    Cet amendement de Bertrand Pancher, cosigné par notre groupe Libertés et territoires, précise qu’en matière de lutte contre la délinquance criminalisée, en cas d’urgence, le juge d’instruction doit pouvoir prendre des mesures appropriées en présence d’atteintes graves et imminentes à l’environnement et non pas simplement aux personnes et aux choses.

    M. le président

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    La parole est à M. Hubert Julien-Laferrière, pour soutenir l’amendement no 19.

    M. Hubert Julien-Laferrière

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    Cet amendement propose qu’entrent dans le champ des techniques spécialisées d’enquête, que le juge d’instruction peut autoriser sans l’avis du procureur de la République, non seulement les biens et les personnes, mais également les atteintes graves et imminentes à l’environnement. Il est issu d’une proposition de l’association France Nature Environnement – FNE – et a été retravaillé à la suite de son examen en commission des lois afin de remplacer le mot « choses » par le mot « biens ».

    M. le président

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    La parole est à M. Alain David, pour soutenir l’amendement no 29.

    M. Alain David

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    Cet amendement vise à permettre au juge d’instruction, en cas d’urgence, de prendre des mesures appropriées en présence d’atteintes graves et imminentes au patrimoine naturel et non pas simplement aux personnes et aux biens. Il s’agit ainsi de renforcer les moyens de lutte contre la délinquance criminalisée en matière environnementale.

    M. le président

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    L’amendement no 51 de M. Erwan Balanant est défendu.
    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Ces amendements, que j’ai examinés de près, sont intéressants. Cependant, il me semble qu’ils n’entrent pas dans le cadre des techniques spéciales d’enquête auxquelles, conformément à ce que prévoit la loi de programmation 2018-2022, le juge d’instruction peut ordonner de recourir sans avis préalable du procureur de la République lorsqu’il s’agit d’un cas d’urgence résultant d’un risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens.
    J’ai demandé qu’une telle mesure soit expertisée au regard du droit de l’environnement et il en ressort qu’il n’existe pas de cas d’urgence tel qu’il nécessiterait de passer outre l’accord qui doit être demandé par le juge d’instruction au procureur de la République – en pratique, cela se fait par un simple appel téléphonique. J’émets donc un avis défavorable à ces amendements qui me paraissent tout à fait inopérants.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Juridiquement, il n’existe que deux catégories, à savoir les personnes et les biens, et à l’évidence le préjudice environnemental doit s’entendre comme une atteinte aux biens, c’est pourquoi j’émets un avis défavorable.

    M. le président

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    La parole est à Mme Cécile Untermaier.

    Mme Cécile Untermaier

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    Je me permets d’insister un peu sur ces amendements en discussion commune car, à mon sens, le risque imminent de dépérissement des preuves existe en cas de préjudice écologique. Pouvoir prouver une atteinte environnementale nécessite parfois des mesures conservatoires telles que des relevés immédiats.
    Par ailleurs, M. le ministre nous répond qu’il n’existe que les biens et les personnes : justement, l’objet même de ces amendements est d’ajouter une catégorie ! Il faut bien sûr prendre en considération les atteintes à l’environnement de ces personnes et de ces biens. J’estime que le XXIe siècle doit pouvoir introduire cette dimension nouvelle, et je regrette qu’on ne puisse pas avancer sur ce point.

    M. le président

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    La parole est à M. Hubert Julien-Laferrière.

    M. Hubert Julien-Laferrière

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    Si M. le ministre estime que l’atteinte aux biens englobe l’atteinte à l’environnement, je ne vois pas ce qui empêche de l’écrire dans l’article.

    (Les amendements nos 99 et 19, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)

    (Les amendements identiques nos 29 et 51 ne sont pas adoptés.)

    (L’article 6 est adopté.)

    Article 7

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva.

    M. Jean-Félix Acquaviva

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    Cet article qui a trait à la délinquance économique me donne l’occasion d’interroger encore une fois le Gouvernement et la commission sur le sort de la proposition de loi visant à améliorer la trésorerie des associations, adoptée en première lecture par notre assemblée. Peut-on recevoir la garantie qu’elle sera prochainement inscrite à l’ordre du jour pour une lecture définitive ?
    Comme chacun sait, ce texte comporte un article qui permet à l’État de confier à des associations d’intérêt général la gestion d’un bien immobilier dont il est devenu propriétaire à la suite de procédures pénales de saisie menées par l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués – AGRASC. Cette disposition pénale mérite, à mon sens, d’être rapidement intégrée dans le droit interne. La suspension depuis le 29 novembre 2019 de la navette parlementaire rend largement incertaine son ajout dans le code de procédure pénale. D’où ma question.

    (L’article 7 est adopté.)

    Article 7 bis

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement de suppression no 118.

    M. Ugo Bernalicis

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    Nous nous opposons au recours à la convention judiciaire d’intérêt public – CJIP – en matière environnementale et demandons donc la suppression de l’article 7 bis.
    Je suis aussi opposé à la CJIP en matière fiscale, et nous y reviendrons avec un amendement ultérieur, mais je reconnais que certains arguments peuvent être entendus : dans ces histoires de gros sous, cet instrument transactionnel permettrait de récupérer le pognon rapidement ; demander un contrôle de la mise en conformité par l’Agence française anticorruption – AFA – serait suffisant et irait plus vite.
    En revanche, les dispositions de l’article 7 bis concernent des infractions qui portent atteinte à l’environnement : il ne s’agit pas simplement d’un enjeu économique, d’une question de recouvrement. La question éminemment politique qui est posée, une question de politique pénale judiciaire, est la suivante : en matière environnementale, est-il possible de transiger ? Ou alors face aux personnes morales ayant commis des atteintes à l’environnement, faut-il suivre la procédure pénale telle qu’elle existe aujourd’hui ?
    Qu’on ne vienne pas me dire…

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Non, non…

    M. Ugo Bernalicis

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    …que la CJIP permet de demander des mises en conformité, contrôlées non par l’AFA en l’occurrence mais par l’Observatoire national de la biodiversité ou un autre organisme, alors que ce ne serait pas possible dans le cadre d’un procès. C’est faux ! Il en va de même pour le recouvrement : rappelons qu’un jugement a condamné la banque UBS à une amende d’un montant bien supérieur à celui prévu par la CJIP.
    C’est bien un choix qui s’offre à nous. Que la CJIP marche mieux que tout le reste, que ce soit un outil génial à déployer en matière environnementale n’a aucun caractère d’évidence.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Je suis radicalement opposée à la position de M. Bernalicis au sujet de la CJIP et je m’inscris en faux contre les arguments qu’il vient de développer.
    D’abord, les mécanismes transactionnels et les alternatives aux poursuites progressent dans toutes les branches de la procédure pénale. Ce n’est pas nouveau.
    Ensuite, la loi portant réforme de la justice, l’an dernier, a facilité les compositions pénales, les comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité – CRPC – et même la forfaitisation des amendes délictuelles. Vous ne pouvez pas dire qu’il y a un droit pour les individus et un autre pour les entreprises ! Ce n’est pas vrai, compte tenu des améliorations que notre majorité a apportées au droit en vigueur.
    Je considère que la CJIP est un outil qui fonctionne, et qui fonctionne bien.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Très bien !

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Il a montré ses capacités – il suffit de regarder l’étude d’impact – et pas simplement sur le plan financier, monsieur Bernalicis : il offre des avantages en termes de pédagogie et de sensibilisation, y compris en matière environnementale, nous le verrons tout à l’heure. Il apporte une plus-value par rapport au procès.
    Les CJIP sont efficaces pour la mise en conformité des entreprises, contrairement à ce que vous dites. Elles permettent d’imposer des programmes contrôlés par l’AFA de manière très sérieuse, surveillance qui a valeur de pédagogie sur les questions financières.
    D’une façon générale, contrairement là encore à ce que vous dites, je pense que ces conventions ont fait leurs preuves. Étant moi-même à l’origine de l’introduction de cet article 7 bis, je suis bien évidemment défavorable à sa suppression.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Défavorable pour les mêmes raisons.
    La CJIP a fait ses preuves, en effet. C’est une procédure rapide, efficace, qui permet de prononcer des amendes lourdes. Regardons la manière dont les choses fonctionnent aujourd’hui : la mise en conformité vise à prévenir tout risque de réitération d’une infraction. Je ne vois pas comment on peut s’opposer à ces dispositions.

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis.

    M. Ugo Bernalicis

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    Il y a quand même une différence, madame la rapporteure, entre une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et une CJIP : cette dernière ne permet pas de reconnaissance de culpabilité. Même dans le cas de la composition pénale, il y a inscription au casier judiciaire, montrant qu’il y a eu une condamnation, une peine, même si c’est une alternative aux poursuites – la chose est assez récente dans notre droit. Mais c’est un élément absent dans la CJIP.
    Vous pouvez toujours me dire que la décision de la CJIP est rendue publique : j’insiste, il n’y a pas de reconnaissance de culpabilité ! Vous pouvez aussi me dire que vous vous en fichez. Ce n’est pas notre position : cette reconnaissance de culpabilité constitue pour nous un enjeu important.
    Enfin, s’agissant de la mise en conformité, je ne vous dis pas qu’elle n’existe pas dans la CJIP, je vous dis simplement qu’on ne peut pas s’en tenir à votre argument selon lequel la CJIP est géniale parce qu’elle permet la mise en conformité. Le procès aussi, c’est génial ! Rien n’empêche d’ailleurs que le jugement prévoie une mise en conformité suivie par l’AFA !
    Peut-être y a-t-il un manque de formation chez les magistrats, qui ne savent pas assez qu’ils peuvent avoir recours à de telles mesures à l’encontre des personnes morales. Peut-être que les procureurs, à qui l’on dit que la CJIP est un outil génial, pourraient eux aussi être mieux formés. Mais l’organisation judiciaire, les formations, les capacités des uns et des autres à mobiliser le code de procédure pénale et le code pénal sont de notre responsabilité, et surtout de celle du ministre de la justice !
    Il ne vous aura pas échappé, madame la rapporteure, que pendant la discussion du projet de loi de programmation de la justice 2018-2022, j’ai soutenu des amendements visant à supprimer la CRPC, la composition pénale ou la comparution immédiate.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Ben oui !

    M. Ugo Bernalicis

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    Eh oui, parce que je pense qu’il y a des avantages au procès tel qu’il est aujourd’hui. Bien sûr, que les mesures alternatives aux poursuites se développent aujourd’hui : dans ce pays, on ne fait plus que de la gestion de flux, loin des procédures !

    M. le président

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    La parole est à Mme la rapporteure.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Monsieur Bernalicis, le droit pénal ne se résume pas au procès. Vous ne pouvez pas tout attendre de celui-ci, comme vous ne pouvez pas tout attendre de la prison, vous le savez bien.
    Un procès pour atteinte environnementale peut être très long. C’est une matière complexe, technique, dont nous n’appréhendons pas encore toute l’ampleur dans la sphère judiciaire. Un procès est susceptible d’avoir une durée telle que les dommages causés à l’environnement seraient irréversibles.
    Comme je l’ai dit en commission, je préfère un bon accord à un mauvais et long procès.

    (L’amendement no 118 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 116.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Là, c’est le pompon !

    M. Ugo Bernalicis

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    Cet amendement, qui repose sur la même logique, réaffirme notre opposition à la CJIP y compris en matière fiscale.
    Je ne sais ce qu’est un bon accord par rapport à un mauvais procès.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Si !

    M. Ugo Bernalicis

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    Je ne sais pas ce qu’est un mauvais procès.

    M. Julien Aubert

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    C’est un procès où on a un mauvais avocat. Un bon procès, c’est un procès où on a un bon juge !

    M. Ugo Bernalicis

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    Peut-être allez-vous me donner des exemples pour me l’expliquer. Ou alors peut-être ne faites-vous pas confiance aux juges ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Ça, c’est vous qui le dites !

    M. Ugo Bernalicis

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    C’est cela qu’il faudrait que je comprenne : que les juges font mal leur travail, que les délibérés seraient mauvais, tout comme serait mauvaise l’organisation des débats, et qu’il serait préférable de donner des pouvoirs au procureur, qui ferait mieux son boulot que les magistrats du siège ?
    Je sais que telles ne sont pas vos intentions et que ce n’est pas ainsi que je dois l’entendre. N’empêche pas que c’est comme cela que l’on pourrait traduire vos positions.
    Que nous avez-vous seriné au sujet du code de justice pénale des mineurs ?  Faites confiance aux juges ! Eh bien allez-y, faites-leur confiance, ayez confiance dans le procès, dans le délibéré et dans l’impartialité. Vous verrez que cela peut bien se passer.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Pardon, monsieur Bernalicis, mais ce n’est pas moi qui martèle depuis trois ans que les juges sont mauvais.

    M. Ugo Bernalicis

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    Ce n’est pas moi non plus !

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Vous avez compris ma position sur la CJIP. C’est donc un avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    On va le dire comme ça, monsieur Bernalicis : mieux vaut entendre ça que d’être sourd. Quand on sait ce que vous avez dit de votre côté, et des policiers, et des procureurs, et des magistrats…

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Eh oui, depuis trois ans !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Souvenez-vous de la fameuse perquisition et du « La République, c’est moi » ! Franchement, vous feriez mieux d’être un peu modeste. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
    Avis défavorable.

    M. le président

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    La parole est à Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.

    Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

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    Je crois qu’il faut expliquer, monsieur Bernalicis, que la convention est un accord. Les parties ne sont pas obligées de l’accepter.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Voilà !

    Mme Souad Zitouni, rapporteure pour avis

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    Le mauvais procès est un procès qui va durer longtemps et qui comporte des risques inconnus. Mieux vaut accepter une décision avec un accord que l’on connaît qu’un long procès dont ignore l’issue.
    Je ne sais pas si vous avez déjà eu affaire à la justice. Si vous voyiez ce que c’est, vous comprendriez.

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis.

    M. Ugo Bernalicis

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    Je vois que nous en sommes au stade des arguments d’autorité et des expériences personnelles. Monsieur le ministre, je ne suis pas en cause dans l’affaire à laquelle vous faites allusion. Je sais que pour votre part, en tant qu’avocat, vous avez défendu des personnes face à nous. J’ignore si c’est une situation de conflit d’intérêts, toujours est-il que, pour sûr, vous avez de l’expérience en la matière. D’ailleurs, je crois que l’un de vos collègues vous a reproché d’avoir oublié de défendre l’un de vos clients lors de l’audience. C’est peut-être ça un mauvais procès finalement : c’est quand on n’a pas forcément le bon conseil.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Peut-être !

    M. Ugo Bernalicis

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    En tout cas, cet aspect-là ne dépend pas des magistrats.

    M. Julien Aubert

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    Vous ne feriez pas un mauvais procès, là ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Merci, monsieur Aubert, de nous défendre.

    M. Ugo Bernalicis

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    Si le procès est mauvais parce que les parties sont mal organisées et ne savent pas comment être défendues correctement, que voulez-vous que je vous dise ?
    Madame la rapporteure pour avis, je sais parfaitement que la logique du CJIP est transactionnelle : c’est un accord que l’on peut refuser. Mais en disant cela, vous vous placez du point de vue de l’entreprise qui est en fraude. Ce n’est pas cette perspective que j’adopte. Je m’en fiche qu’elle ait de la prévisibilité dans cette procédure.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Non mais franchement !

    M. Ugo Bernalicis

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    Ou plutôt c’est que je reproche à cette convention : elle laisse à la personne morale la possibilité de s’organiser, de provisionner les sommes pour un éventuel contentieux et de transiger à la fin.
    Heureusement, et c’est un argument que vous avez oublié d’invoquer, il reste l’homologation du juge, qui apporte un minimum de garanties !

    (L’amendement no 116 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l’amendement no 62.

    M. Pascal Brindeau

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    Permettez-moi de m’immiscer sur la pointe des pieds dans ce débat entre M. Bernalicis, le ministre et la rapporteur sur la CJIP.
    Je ne partage pas toute l’analyse qu’en fait notre collègue mais comme lui, j’estime qu’il faut faire preuve de prudence à l’égard de cette alternative au procès qui est clairement d’inspiration anglo-saxonne. Ce n’est pas quelque chose qui relève de la culture judiciaire française.

    M. Julien Aubert

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    Eh oui !

    M. Pascal Brindeau

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    On peut reconnaître que la CJIP présente quelques avantages. Dans certains cas, elle garantit que des sanctions sont appliquées à l’encontre de l’auteur des faits. Mais, de mon point de vue, il faudrait que la personne morale soit soumise à l’obligation de reconnaître de sa culpabilité. Dans la négociation, le ministère public, dirai-je de manière impropre, est dans une position déséquilibrée par rapport à la personne morale mise en cause. Celle-ci n’a en effet pas besoin de reconnaître sa propre culpabilité pour bénéficier d’une décision sinon clémente du moins négociée. Je trouve qu’il y a au plan des principes quelque chose qui n’est pas acceptable dans notre culture judiciaire française.
    A minima, si la CJIP doit être élargie à des domaines autres que financiers, alors un préalable serait la reconnaissance de culpabilité, d’où cet amendement.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Défavorable. Si nous avons supprimé la condition de reconnaissance des faits, c’est pour mettre en cohérence la CJIP en phase d’enquête et la CJIP en phase d’instruction. Jusqu’à présent, la reconnaissance des faits n’existait pas dans la première, mais uniquement dans la seconde, ce qui créait un déséquilibre et une iniquité injustifiables. Nous avons donc aligné les systèmes.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    J’ajoute que la CJIP doit être incitative. C’est la raison pour laquelle nous sommes défavorables à l’amendement.

    M. le président

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    La parole est à M. Didier Paris.

    M. Didier Paris

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    J’aimerais répondre à Ugo Bernalicis et à Pascal Brindeau. Être contre la CJIP – ce qui peut se comprendre, d’un point de vue philosophique ou politique – équivaut, selon les amendements d’Ugo Bernalicis, à supprimer l’article 41-1-2 du code de procédure pénale : en définitive, c’est refuser d’infliger à une personne morale une amende d’intérêt public versée au trésor public, et de lui imposer un programme de mise en conformité. Ce serait parfaitement contraire à l’objectif de protection de l’environnement que nous visons absolument.
    Je comprends par ailleurs votre remarque, monsieur Brindeau, mais dans une procédure d’instruction, il arrive un moment où il faut purger les choses.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Oui !

    M. Didier Paris

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    Quand la vérité s’est manifestée, le processus s’interrompt et on ouvre une CJIP ; si on exigeait au préalable une reconnaissance de culpabilité, cela ne pourrait pas fonctionner. Cela renvoie très exactement au parallèle qu’a établi Mme la rapporteure entre la phase d’enquête et la phase d’instruction. Il nous semble important que la CJIP puisse intervenir – c’est la grande nouveauté du texte – y compris dans des dossiers d’instruction pour atteindre l’objectif que nous visons absolument, le cas échéant en prononçant des indemnités majeures, pouvant atteindre 30 % du chiffre d’affaires annuel moyen d’une personne morale.

    M. le président

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    La parole est à Mme Cécile Untermaier.

    M. Julien Aubert

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    J’avais pourtant quelque chose d’intéressant à dire ! On me bâillonne, comme le jambon !

    Mme Cécile Untermaier

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    La CJIP a été créée en 2016 par la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, et a montré son efficacité pour lutter contre la délinquance « en col blanc ». Or nous parlons ici de tout autre chose : le préjudice écologique. Aucune raison procédurale n’oblige à calquer les cas de préjudice écologique sur un dispositif qui a été créé pour combattre des infractions financières.
    Je suis favorable à l’amendement de M. Brindeau, car dans les situations dont nous débattons, il y a bien, au départ, un préjudice écologique. Il s’agit de réparer un préjudice écologique, sachant que le pollueur a intérêt à aboutir à une telle réparation, mais sachant aussi que le dossier devra être examiné devant les tribunaux.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Oui !

    Mme Cécile Untermaier

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    La convention est un moyen supplémentaire offert à une entreprise ayant causé un préjudice écologique, mais n’a pas vocation à ce que les parties conviennent ensemble d’une réparation sans reconnaissance de culpabilité. La culpabilité est essentielle. Contrairement à ce qui a été dit en commission, la reconnaissance de culpabilité ne fera pas obstacle à la CJIP : au contraire, elle en renforcera le caractère essentiel, comme de nombreuses organisations non gouvernementales le réclament.

    (L’amendement no 62 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    L’amendement no 63 de M. Pascal Brindeau est rédactionnel.

    M. Pascal Brindeau

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    Si vous me le permettez, monsieur le président, je souhaite le défendre.

    M. le président

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    Vous avez la parole.

    M. Pascal Brindeau

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    Je profite de cet amendement pour répondre à M. le ministre et à Mme la rapporteure.

    M. Julien Aubert

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    Sur l’amendement précédent !

    M. Pascal Brindeau

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    J’entends vos arguments concernant l’alignement de la procédure d’enquête et de la procédure d’instruction, mais j’eus alors préféré qu’on alignât la  en sens inverse. En droit anglo-saxon, un procureur ne propose pas un accord à un mis en cause si ce dernier ne reconnaît pas les faits. C’est le fondement même de l’accord. La CJIP procède d’un même esprit – c’est même ce qui rend possible la négociation d’une peine : de toute évidence, les faits doivent être reconnus. Si l’on permet aux mis en cause de ne pas reconnaître les faits et de bénéficier d’un accord possiblement plus favorable qu’une procédure judiciaire aboutie, de très grandes entreprises verront dans l’accord une issue facile : pour elles, ce sera tout bénéfice !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Eh non !

    M. Pascal Brindeau

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    Pour le reste, l’amendement est rédactionnel.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Favorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Même avis.

    M. le président

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    La parole est à M. Julien Aubert, qui souhaite intervenir sur cet amendement rédactionnel.

    M. Julien Aubert

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    Je voulais faire entendre une troisième voix sur l’amendement précédent, mais le couperet de la guillotine est tombé après deux intervenants ; je me greffe donc sur l’élégant amendement de M. Brindeau.
    Puisqu’il s’agit d’étudier les expériences juridiques étrangères et de s’inspirer du droit anglo-saxon, je vous propose d’approfondir votre réflexion en prenant exemple sur le droit écossais : entre les verdicts de coupable et d’innocent, il prévoit un troisième verdict de « non prouvé » – « not proven » –, dans lequel le juge reconnaît qu’il n’a pas suffisamment de preuves pour condamner la personne, mais estime, dans son intime conviction, qu’elle est coupable. Puisque vous vous inspirez de conventions relevant essentiellement du droit anglo-saxon, vous pourriez prévoir un tel statut intermédiaire : plutôt que de proposer à la personne morale de reconnaître sa culpabilité ou de la blanchir, vous estimeriez que le préjudice n’est pas prouvé. Cela permettrait de rapprocher les positions qui viennent de s’exprimer.

    (L’amendement no 63 est adopté.)

    (L’article 7 bis, amendé, est adopté.)

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Merci, monsieur le président ! C’est la seule fois de la soirée que j’avais levé la main !

    M. le président

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    En effet, monsieur Lecoq, je vous présente mes excuses ! Je vous donnerai la parole juste après.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Non, ce n’est pas grave, je me débrouillerai tout seul ! (Sourires.)

    M. le président

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    Je devais être trop pressé de mettre aux voix cet amendement rédactionnel – depuis vingt ans que je siège, c’est une nouveauté de cette législature que de faire de grandes tirades sur des amendements rédactionnels ! Mille excuses, monsieur Lecoq.

    M. Julien Aubert

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    Voilà, c’est ma faute !

    M. le président

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    Oui, c’est bien vous que je vise, monsieur Aubert !

    M. Julien Aubert

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    Moi, j’applique le règlement !

    Après l’article 7 bis

    M. le président

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    La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 147 portant article additionnel après l’article 7 bis.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    C’est un amendement d’appel. Jusqu’à présent, les CJIP ne s’adressent qu’aux personnes morales, c’est-à-dire aux entreprises. Mon amendement vise à préciser que dans la perspective d’une convention passée avec une personne morale, le procureur de la République peut également engager une composition pénale avec les personnes physiques concernées par l’affaire.
    Il me semble important de gagner en cohérence en la matière, pour ne pas créer de différence de traitement entre les personnes morales et les personnes physiques : on comprendrait difficilement qu’une même procédure se termine par une transaction pour les unes, et par un procès pour les autres. Par souci de cohérence, je propose donc de préciser que le procureur de la République peut lier le sort des entreprises et des personnes physiques ;  par conséquent, je propose d’adapter à la marge la procédure de la composition pénale.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Je comprends qu’il s’agit d’un amendement d’appel. J’en demande le retrait ; à défaut, mon avis sera défavorable. Nous voyons une véritable difficulté dans la possibilité d’instaurer une CJIP pour les personnes physiques – nous avons déjà débattu de nos divergences. Pour nous, la CJIP appliquée aux personnes physiques ne comporterait que des avantages : non-inscription au casier judiciaire, absence de reconnaissance des faits, et sanction inférieure à celle que pourrait prononcer la juridiction pénale. Dans notre lutte pour la probité, cette évolution ne nous paraît pas souhaitable.

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis.

    M. Ugo Bernalicis

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    Je suis également défavorable à cet amendement. Je comprends votre logique concernant la CJIP pour les personnes morales : vous vous dites que quand une nouvelle direction d’entreprise entrera en fonction, elle fera un peu de ménage, constatera qu’il y a du contentieux et purgera la situation en portant elle-même les dossiers devant la justice pour transiger et clore le sujet, plutôt que d’être saisie dans une temporalité qu’elle n’aura pas choisi et de faire les frais d’un mauvais buzz. Néanmoins, nous étions convenus qu’il n’en allait pas de même pour les personnes physiques : cela poserait des problèmes de responsabilité individuelle et de reconnaissance de culpabilité.
    Mes collègues et moi avions bien dit qu’après avoir vanté la CJIP pour les personnes morales, vous la proposeriez pour les personnes physiques ! On nous a accusés de faire des procès d’intention : « Jamais de la vie, ce sera toujours différent ! Il y aura toujours d’un côté la CJIP pour les personnes morales, et d’un autre côté des poursuites pour les personnes physiques ! » Et voilà pourtant que vous nous proposez une composition pénale – aménagée, de surcroît – pour les personnes physiques, sans obligation de reconnaître les faits.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Comme la CJIP !

    M. Ugo Bernalicis

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    C’est la fête ! Dans ces conditions, je vais ouvrir une entreprise et frauder : il suffit de budgétiser la sanction ! Si frauder me rapporte plus que de respecter la loi, je ne vais pas me gêner, en tant que personne morale et en tant que personne physique !

    M. Julien Aubert

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    Seriez-vous une personne morale, si vous faisiez ça ?

    M. Ugo Bernalicis

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    Quand il y a un gain financier à la clé, certains sont peu scrupuleux. Il faut donc des outils dissuasifs. C’est la raison pour laquelle je suis opposé à la CJIP, et encore davantage au dispositif proposé dans cet amendement.

    M. le président

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    La parole est à M. Pascal Brindeau.

    M. Pascal Brindeau

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    Je comprends et je partage l’objectif initial de l’amendement. Comme vous, madame la rapporteure, je trouve anormal qu’une personne morale puisse bénéficier d’une convention judiciaire – par conséquent, d’une négociation – alors qu’une personne physique emportée par une procédure générale n’a pas cette possibilité mais doit affronter une procédure contentieuse et un procès. Je ne partage pas l’avis de M. le garde des sceaux selon lequel le dispositif proposé par l’amendement n’aurait que des bénéfices en ce qu’il dispenserait d’une inscription au casier judiciaire et d’une reconnaissance de culpabilité, et imposerait une peine automatiquement inférieure à celle que prononcerait une juridiction pénale.
    Par ailleurs, l’amendement vise les représentants légaux, actuels ou anciens, de la personne morale ; or dans une procédure de cette nature, d’autres personnes physiques que les représentants légaux peuvent être mises en cause.
    Imaginons qu’un bateau s’échoue au large des côtes bretonnes et déverse des quantités industrielles d’hydrocarbures. Personnes morales mises en cause : l’armateur, la compagnie pétrolière ; personnes physiques mises en cause : les représentants légaux de la compagnie, mais peut-être aussi des membres du personnel du bateau qui auraient commis des erreurs de navigation, si l’enquête venait à le démontrer. C’est un ensemble qu’il faudrait viser sur ces conventions judiciaires. C’est pourquoi il conviendrait de rédiger cet amendement d’une autre manière. Mais j’en partage l’esprit.

    M. le président

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    La parole est à Mme la rapporteure.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Monsieur Bernalicis, dans le droit il n’y a pas que la culture du contentieux et du conflit, il y a tous les modes alternatifs, de la médiation à la transaction.
    Je vais retirer mon amendement, les arguments de M. le ministre, redéployés par M. Brindeau, m’ayant convaincue : la composition pénale peut poser problème. Il faudrait certainement réfléchir à l’avenir à un alignement en termes de CJIP, ce qui nécessitera d’autres débats. Je retire mon amendement.

    (L’amendement no 147 est retiré.)

    Article 8

    M. le président

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    Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 11, 14 et 117.
    La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour soutenir l’amendement no 11.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Nous vous proposons de supprimer la convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale. Je suis membre de la commission des affaires étrangères où je suis les conventions à l’ONU, et la position que la France y soutient. Actuellement, la France intervient très fortement en matière de crimes environnementaux. Je parle bien de crimes. C’est sur ce point que je souhaitais vous interpeller tout à l’heure : on a l’impression que tout peut être traité de la même manière, les délits et les crimes. Or ce n’est pas la même chose. Nous pensons que la CJIP ne peut pas être reconnue pour les questions environnementales.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Ah bon ?

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Lors d’une enquête et d’un procès en matière environnementale, quand on tire le fil, on découvre généralement bien plus que ce qu’on avait vu de prime abord. Et si l’on fait un accord tout de suite avec une CJIP, des choses peuvent rester cachées.
    Vous dites souvent « C’est notre majorité qui l’a fait ». Oui, cette majorité l’a fait : elle a fait le droit à l’erreur, la loi sur le secret des affaires, et aujourd’hui ceci. Avec ces trois dispositifs réunis, les multinationales pourront faire ce qu’elles voudront. Rendez-vous compte : Lafarge, qui a déversé des produits dans la Seine, invoque le droit à l’erreur ! Je ne suis pas sûr que ceux qui subiront le préjudice s’en tiendront là, au vu des moyens dont Lafarge dispose. Voilà pourquoi nous vous proposons de supprimer les alinéas 2 à 11 de l’article 8, autrement dit la référence à la CJIP.

    M. le président

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    La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement no 14.

    M. Dominique Potier

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    J’ai été rapporteur de la loi Sapin 2 : j’intervenais plutôt sur les volets économiques, moins sur les volets juridiques et de corruption, mais j’étais au cœur du dispositif. À l’époque, avec Michel Sapin et le garde des sceaux, nous étions convaincus que la CJIP constituait un progrès dans le domaine de la fraude fiscale : il y avait là une forme de pragmatisme, nous étions dans la même matière qui s’échangeait, qui se régulait, il y avait une forme d’intérêt des deux parties, c’était clair, transparent.
    En matière environnementale en revanche, on risque d’assister à la lutte du pot de fer contre le pot de terre – une terre dont les dégâts peuvent être irréversibles.
    J’ai écouté le Président de la République qui clôturait les travaux de Planet A. Il évoquait les questions relatives à la biodiversité, au concept one health – une seule santé – qui habite aujourd’hui la pensée politique, à l’évaluation des préjudices alors que les dégâts systémiques sont peu évaluables, ici et ailleurs, aujourd’hui et demain. Il y a là une question de pédagogie et de fabrique du droit. Lorsque nous instruisons un procès, nous prenons certes du temps, mais nous racontons une histoire, celle de la déformation de la fabrique, des pratiques qui ont provoqué du mal et qui peuvent continuer à en provoquer. Il faut apprendre, réparer, prévenir, et la transaction ne permet pas tout cela : elle fait un calcul, elle évite la pédagogie, elle est loin de l’éthique que nous partageons ensemble. Il faut renoncer à cet article.

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 117.

    M. Ugo Bernalicis

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    Il est identique, et dans la continuité de mes amendements précédents.
    Même si je suis opposé à la CJIP en matière fiscale, elle présente une cohérence interne que l’on ne retrouve pas en matière environnementale.
    Monsieur Paris, il est vrai que la CJIP permet d’infliger des amendes lourdes et oblige à des mises en conformité – mais le procès aussi permet d’infliger des amendes lourdes, comme l’a montré le cas d’UBS, et peut obliger à des mises en conformité ! Rien dans le code n’indique que c’est cantonné à la convention judiciaire d’intérêt public. Le magistrat peut prononcer une obligation de mise en conformité, contrôlée par l’AFA en matière fiscale et demain par l’Office français de la biodiversité ou tout ce que vous voulez.
    Cessez de nous dire qu’il n’y a point de salut au-delà de la CJIP. C’est juste un des outils qui est offert au procureur, un outil que je souhaite supprimer. Ne dévaluez pas le procès pénal classique, traditionnel, qui a ses vertus.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Mais on ne le dévalue pas !

    M. Ugo Bernalicis

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    Certes la CJIP fait l’objet d’une publicité, mais seulement à la fin, pas lors de la négociation. Dans le procès pénal en revanche, il y a publicité des débats, de l’audience. Actuellement, un ancien chef de l’État est en procès : les gens peuvent le voir, l’écouter, regarder comment la justice est rendue. Particulièrement en matière environnementale, où l’attente des Français est forte, il ne faut pas passer par le biais d’un truc transactionnel, mais bien agir à la vue de toutes et tous.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Je vous rassure : nous n’anéantissons pas les procès en matière environnementale. Avec les CJIP, nous ajoutons un outil supplémentaire dans le droit en matière d’environnement.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Bien sûr !

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Je voudrais convaincre nos collègues socialistes, ceux qui ont eu l’audace de créer la CJIP, qui, à l’époque, ne faisait pas non plus l’unanimité. C’est un pas supplémentaire que de l’ouvrir aujourd’hui au droit de l’environnement.
    Cette procédure permet de contourner un aléa qui existe dans le procès, celui de la longueur de la procédure. Même en matière criminelle, l’issue d’un procès n’est jamais certaine.
    Le projet de loi propose de transposer la CJIP en matière environnementale, avec une politique de dissuasion, puisque l’amende pourra représenter 30 % du chiffre d’affaires. Je pense que Lafarge, que vous citiez tout à l’heure, y réfléchira à deux fois avant d’aller polluer à nouveau les eaux ou les sols.
    Surtout, vous négligez un point important de la CJIP qui, à mon avis, prend toute son envergure en matière environnementale : le programme de mise en conformité, qui permettra à des inspecteurs d’aller dans l’entreprise, de sensibiliser aux enjeux environnementaux non seulement les représentants légaux mais l’ensemble des personnels. Ce qui nous manque aujourd’hui en matière de droit de l’environnement, c’est cette accoutumance. Cet outil qui n’existait pas aura, à mon sens, une efficacité que le procès ne permet pas.
    Enfin, la CJIP permettra la réparation des préjudices – le préjudice écologique bien sûr, ainsi que le préjudice de la victime – dans des temps qui, il faut l’avouer, ne sont pas ceux du procès. J’ai du mal à comprendre vos objections. Un procès qui dure dix ans si le groupe invoque des nullités de procédure – c’est le jeu – est-il préférable à une transaction qui sanctionnera plus rapidement les mauvais comportements et permettra de réparer les préjudices subis ?
    Les exemples qui ont été cités par M. Bernalicis montrent que parfois le CJIP a pu aboutir à des amendes moindres que celle prononcée à l’audience. C’est vrai, mais parlons aussi des procès qui aboutissent à des non-lieux et des relaxes, ou à des condamnations mais bien des années plus tard, et avec des sanctions qui ne sont pas proportionnées ou en tout cas qui ne paraissent pas telles à une opinion publique qui y est très attentive.
    Nous avons suffisamment encadré la CJIP en matière environnementale pour qu’elle produise demain de bons résultats, comme elle la fait jusqu’à présent en matière financière. Je suis donc défavorable à ces amendements identiques.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Mme la rapporteure a raison, et il faut rappeler ici certains éléments.
    Lorsque les socialistes ont créé la CJIP, elle a été éminemment discutée : on était en train de faire un cadeau aux fraudeurs ! Mais les socialistes l’ont créée, et ça marche bien. Je pense que la CJIP est transposable utilement en matière environnementale, pour trois raisons.
    D’abord, les affaires portant sur une atteinte à l’environnement sont toujours extraordinairement longues. Certaines affaires ont dépassé les dix années, en restant dans le cadre du cours ordinaire de la justice – première instance, appel, pourvoi en cassation.
     
    Ensuite, l’extinction publique est conditionnée par la réparation. C’est très incitatif. Ce l’est en matière fiscale, ce l’est en matière environnementale.
    Enfin, les amendes prononcées dans le cadre de la CJIP sont nettement supérieures aux amendes en droit commun. D’ailleurs, elles sont proportionnées au chiffre d’affaires.
    Telles sont les trois excellentes raisons pour lesquelles je suis défavorable à ces amendements.

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Madame la rapporteure, vous opposez la longueur des procès au règlement immédiat en matière d’environnement, mais si la fuite d’un pipeline par exemple se met à dégrader tout l’environnement, on commence par reboucher la fuite, sans attendre ! Il y a des mises en demeure immédiates, c’est-à-dire qu’on fait d’abord cesser les choses, puis que le procès suit son cours. Encore heureux !

    M. Ugo Bernalicis

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    Il a raison !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Non, non !

    M. Jean-Paul Lecoq

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    La CJIP ne prend pas en compte le temps long. S’il y a un accord sur une atteinte à l’environnement, laquelle génère une atteinte à la santé trente ans plus tard, contre qui pourront alors se retourner les victimes ? Contre l’entreprise ? Celle-ci répondra qu’elle a obtenu un accord et qu’elle n’a plus rien à se reprocher. On se retournera donc contre l’État qui aura conclu cet accord avec l’entreprise et qui du coup devra prendre sa part et assumer à sa place.
    En matière environnementale, il faut prendre en compte toute la dimension du problème. C’est pourquoi, y compris en cas de procès, la question des parties civiles potentielles est importante. Comment cela se passera-t-il avec la CJIP ? Je ne suis pas sûr que tout ce travail-là soit fait.

    M. le président

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    La parole est à M. Didier Paris.

    M. Didier Paris

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    À chacun son expérience. M. Potier nous explique, à juste titre, comment il a travaillé sur la loi Sapin. Pour ma part, avant d’être député, j’étais patron d’un groupe privé et je peux vous dire que nous étions relativement inquiets de la pression engendrée par la loi Sapin et de ses conséquences, y compris s’agissant de la CJIP compte tenu du montant des pénalités encourues.
    Je me réjouis que les dix CJIP qui ont été réalisées depuis l’adoption de ce texte aient permis de condamner Airbus, la banque de Chine, Google ou encore la Société générale. C’est un outil extrêmement précieux et puissant de lutte contre les infractions qui avaient été constatées à l’époque. L’étendre au volet environnemental est absolument déterminant pour poursuivre notre objectif de limiter les pollutions sous toutes leurs formes et de faire en sorte que les dirigeants qui s’y prêteraient, par inadvertance dirai-je pour être poli, voient enfin leur comportement limité drastiquement.
    Comme l’a dit Mme la rapporteure, la CJIP est un élément parmi d’autres dans la main du procureur de la République, qui suppose l’accord des deux parties. Dans certaines hypothèses, je conçois fort bien que le procureur préfère engager des poursuites de fond contre un délinquant. Je le répète, la CJIP est une réponse pénale différenciée qui nous paraît très précieuse.

    (Les amendements identiques nos 11, 14 et 117 ne sont pas adoptés.)

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva, pour soutenir l’amendement no 87.

    M. Jean-Félix Acquaviva

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    Réserver le bénéfice de la CJIP aux seules personnes morales, en excluant de fait les personnes physiques, pourrait conduire à une forme de différence de traitement. Les personnes morales seraient ainsi exonérées pénalement, tandis que les personnes physiques qui leur sont liées pourraient être poursuivies. Il nous semble donc nécessaire d’écarter d’éventuelles difficultés de cet ordre. Nous rejoignons ainsi, comme sur d’autres points, la position de divers organismes, tels que le Conseil national des barreaux, qui souhaitent étendre la CJIP aux personnes physiques  intrinsèquement liées aux personnes morales mises en cause.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Monsieur Acquaviva, comme vous l’avez compris, je suis favorable sur le fond à cette évolution et j’ai d’ailleurs proposé moi-même un amendement visant à élargir une composition pénale un peu modifiée aux personnes physiques. Cependant, comme je l’ai dit en commission, on ne peut pas étendre aussi simplement le principe transactionnel aux dirigeants de l’entreprise par le biais de la CJIP. Celle-ci, en effet, a été conçue pour les entreprises : on ne pourrait pas inclure dans une telle convention une personne physique. Celle-ci en effet pourrait peut-être dégager un chiffre d’affaires, mais on ne pourrait imaginer qu’elle soit examinée par l’Agence française anticorruption, ni qu’on établisse un dispositif d’alerte interne à une personne physique ! Vous voyez que ce dispositif n’est pas fait pour cela et qu’on ne peut pas y faire entrer de force des hommes ou des femmes. Je vous invite donc à retirer cet amendement. À défaut, avis défavorable.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Même position, monsieur le président.

    M. le président

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    La parole est à M. Julien Aubert.

    M. Julien Aubert

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    Je voudrais, même avec un temps de retard, ajouter un élément au débat que nous avons eu tout à l’heure : ce qui sépare les adversaires et les promoteurs de la CJIP est la question de l’exemplarité. Qu’attend-on, en effet, de la réparation ? On peut l’envisager comme une forme de réparation financière des dégâts, mais pour ceux qui sont opposés à l’idée d’un conventionnement, il s’agit d’empêcher un procès qui entraîne une exemplarité permettant de donner de la publicité à l’infraction. Je ne suis pas favorable aux procès-spectacles, surtout quand ils tournent au lynchage, mais on sait bien aussi que la publicité permet de faire réfléchir certaines personnes morales.
    Dans la formulation proposée, ce conventionnement ne peut pas s’appliquer aux crimes et délits relatifs aux personnes relevant du titre II du code pénal, mais cela signifie-t-il, par exemple, qu’une marée noire qui n’aurait pas d’impact sur les personnes pourrait faire l’objet d’un conventionnement ? Cela me choque car, en termes de graduation, le fait que des délits dont l’impact environnemental est faible fassent l’objet d’un conventionnement est un critère d’efficacité, mais je ne suis pas d’accord avec vous lorsque vous dites que c’est la longueur des procès qui justifie l’instauration de procédures rapides.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Ce n’est pas ce que je dis !

    M. Julien Aubert

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    En effet, il existe de nombreux autres domaines dans lesquels les Français préféreraient échapper à de longs procès et l’on ne peut pas exciper de la lourdeur bureaucratique de la justice pour instaurer des mécanismes d’exonération.

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Non, non, non !

    M. Julien Aubert

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    Je souhaiterais que vous répondiez à cette question : de tels délits environnementaux très importants pourraient-ils faire l’objet d’un conventionnement ?

    (L’amendement no 87 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l’amendement no 64.

    M. Pascal Brindeau

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    Il s’agit d’un amendement « fromage et dessert » (Sourires) : tel qu’il est rédigé, l’article 8 prévoit que, dans le cadre d’une CJIP, le procureur peut prononcer une ou plusieurs des mesures prévues, mais pas forcément la totalité. Cela revient à permettre à une entreprise de se dédouaner de sa responsabilité en payant, certes, mais sans nécessairement réparer le dommage écologique causé. Or, toute la philosophie de ce droit spécial de l’environnement, à laquelle souscrivent, je le pense, tous ceux qui siègent sur les bancs de cette assemblée, est bien que le préjudice écologique soit réparé et que non seulement l’entreprise qui se serait rendue coupable d’une pollution particulière paie, mais qu’elle répare le préjudice qu’elle a causé à l’environnement, et par voie de conséquence, le cas échéant, aux habitants du territoire.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Si c’est réparable.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Je demande le retrait de cet amendement, non pas tant à cause d’un désaccord sur le fond que pour des raisons de logique et de souplesse. Les trois obligations que permet la CJIP sont, comme vous le savez, l’amende, la mise en conformité et la réparation du préjudice. Je souscris à l’idée que ces obligations doivent, lorsque c’est possible, être imposées : c’est toujours le cas pour l’amende, mais pas toujours pour les deux autres. Imaginons, par exemple, qu’un armateur perde son seul navire dans des conditions fautives : quelle mise en conformité peut-on lui imposer, alors que la totalité de sa flotte a disparu ? Imaginons maintenant une pollution dont une entreprise est responsable, mais dont le préjudice écologique n’est pas réparable : à quoi cela rimerait-il d’en prévoir la réparation, puisqu’elle est impossible ?
    Faisons donc confiance au magistrat,…

    M. Ugo Bernalicis

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    Voilà ! Faisons confiance aux magistrats !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Eh bien oui !

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    …qui connaît la réalité du dossier et qui est le plus à même d’apprécier s’il faut imposer l’une des deux dernières obligations.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Avis défavorable. En réalité, le procureur de la République doit pouvoir apprécier la ou les mesures qui lui semblent les plus pertinentes, et c’est lui qui choisit entre fromage et dessert – ou qui choisit fromage, dessert et addition ! Au fond, c’est bien normal et on ne peut pas envisager les choses autrement.

    (L’amendement no 64 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    La parole est à M. Pascal Brindeau, pour soutenir l’amendement no 65.

    M. Pascal Brindeau

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    Il tend à porter le plafond de l’amende de 30 % à 40 % du chiffre d’affaires. Il s’agit ici d’un débat de fond : il ne faut pas seulement que ces sanctions soient lourdes, mais aussi qu’elles aient valeur de prévention et que l’entreprise considère qu’elle a tellement à perdre à être peu précautionneuse dans ses activités et à porter atteinte à l’environnement qu’elle doit dégager les moyens nécessaires pour éviter de devoir un jour payer des réparations à hauteur de 40 % de son chiffre d’affaires.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Je ne vois pas d’objection de principe à discuter du montant maximal des amendes qui peuvent être infligées, mais je suis un peu étonnée : qu’est-ce qui justifierait que le plafond soit fixé à 40 % du chiffre d’affaires en matière environnementale alors qu’il reste à 30 % dans les cas de corruption ou de fraude fiscale, domaine pour lequel vous n’avez pas proposé de le relever par amendement ?

    M. Pascal Brindeau

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    On ne peut pas penser à tout !

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Il y a là une complication, et nous aurions intérêt à garder assez proches les régimes des différentes CJIP. Je demande donc le retrait de l’amendement.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Monsieur le député Brindeau, c’est la fièvre qui vous pousse ! Quarante pour cent du chiffre d’affaires, c’est colossal ! Sachant que 30 %, ce n’est déjà pas mal… Il n’y a aucune raison de ne pas appliquer le même régime en matière environnementale et en matière fiscale. À moins que vous ne souhaitiez déposer une proposition de loi destinée à faire bouger les choses sur le plan fiscal ! En attendant, avis défavorable.

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    Monsieur le ministre, je tiens à vous rassurer : M. Brindeau va très bien et n’a pas de fièvre. Vous venez de dire qu’un plafond de 30 % vous convient, dans le domaine fiscal comme dans le domaine environnemental. Nous pensons, quant à nous, que l’environnement est plus important que la fiscalité, et c’est la raison pour laquelle nous proposons un plafond plus élevé.
    Plus sérieusement, la logique que nous défendons est la suivante : en matière fiscale, on a l’habitude d’une sanction dissuasive, mais l’environnement est un autre domaine et il y a, en quelque sorte, un entre-deux. Dans le droit français de philosophie européenne – puisque les Britanniques nous quittent – c’est la sanction, l’amende, qui permet de payer l’essentiel. Dans le droit anglo-saxon, en particulier aux États-Unis d’Amérique, la dissuasion en matière environnementale – et nous croyons à cette démarche – tient à ce qu’il coûtera tellement cher d’enfreindre la règle qu’on s’y ruinera. C’est ce qu’on voit bien en ce moment avec les vaccins aux États-Unis, où la question n’est pas tant celle de leur l’efficacité que le fait qu’une armée d’avocats soient en train de garantir Pfizer et d’autres laboratoires pour leur éviter le risque de payer des milliards.
    Je ne dis pas que l’amendement permettrait de trouver un terrain d’équilibre, mais nous souhaitons que le gourdin soit tellement lourd que les sociétés, avant de commettre des erreurs majeures, soient obligées de sécuriser leurs actions. Il existe deux logiques : celle du système français, dans lequel, si on enfreint la norme, on est censé être sanctionné, et celle du système anglo-saxon, dans lequel l’infraction entraîne une amende tellement lourde qu’on ne s’en sortira pas.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    On se retrouve ruiné !

    M. le président

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    La parole est à M. Didier Paris.

    M. Didier Paris

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    Je partage l’analyse de M. Lagarde quant au fait que l’élément central d’une CJIP est la dissuasion, qui peut opérer par plusieurs éléments. Le premier est financier. Je ne sais pas, à cet égard, s’il faut fixer le plafond à 30 % ou à 40 %, mais 30 % du chiffre d’affaires annuel moyen d’une entreprise représente déjà un montant énorme qui bouffe, si vous me passez l’expression, tout l’EBITDA – bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement – de l’entreprise, laquelle n’a plus ni ressources ni résultat net, et perd toutes ses qualifications bancaires.
    Deuxième élément : la dissuasion n’est pas seulement financière. Elle touche aussi, même si nous n’avons pas assez développé ce point, au regard de l’opinion publique sur le comportement des entreprises. C’est la raison pour laquelle nous avons fait évoluer le texte en y inscrivant en dur cet aspect. Contrairement à ce qui a pu être dit tout à l’heure, les mesures de publicité ont été renforcées, puisque le montant de l’amende d’intérêt public et la convention sont publiés sur le site internet du ministère de la justice, du ministère chargé de l’environnement et de la commune sur le territoire de laquelle l’infraction a été de commise – ou, à défaut, de l’établissement public de coopération intercommunale.
    Nous sommes donc passés d’une situation dans laquelle les choses avançaient, si je puis dire, en catimini, avec une publication sur un site presque inconnu du grand public, à une publication sciemment publique et qui fait appel à ce regard de plus en plus fort, de plus en plus cru et de plus en plus critique de l’opinion publique en la matière.

    (L’amendement no 65 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 30, dernier de la soirée.

    Plusieurs députés du groupe LaREM

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    Oh, non ! Monsieur le président !

    M. Jean-Christophe Lagarde

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    C’est le règlement. Ce n’est pas nous qui l’avons voté, c’est vous !

    M. le président

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    Merci de le rappeler, monsieur Lagarde. Vous avez la parole, madame Untermaier.

    Mme Cécile Untermaier

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    Il s’agit toujours de la CJIP. Nous avons voté en faveur de cette arme de dissuasion qu’aurait représenté un taux fixé à 40 % du  chiffre d’affaires, et cela d’autant plus qu’il s’agit d’un plafond : le taux décidé peut être moindre.

    M. Pascal Brindeau

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    Eh oui !

    Mme Cécile Untermaier

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    En effet, la CJIP est également destinée à intimider. La prévention en matière de préjudice écologique est vraiment la règle à suivre, car ce préjudice ne se répare pas, ou très mal.
    Cela étant dit, nous pourrions, pour ce qui concerne la CJIP, avancer de manière consensuelle et constructive en encadrant ce dispositif au regard du domaine environnemental traité. C’est pourquoi l’amendement propose, monsieur le ministre – et cela nous paraît fondamental – que les associations de protection de l’environnement agréées puissent être entendues par le procureur avant que celui-ci ne détermine le montant de la réparation.
    Comme on vient de le dire, la question environnementale est complexe : quel procureur peut-il se passer de l’avis d’associations de protection de l’environnement, qui ont évidemment vocation à l’éclairer en la matière ? Il nous paraît donc tout à fait important, au contraire de ce qui a pu être dit à propos de la fraude fiscale, que les associations de protection de l’environnement, aux côtés des victimes s’il y a lieu, puissent se faire entendre par le procureur.

    M. le président

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    Quel est l’avis de la commission ?

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    C’est une demande de retrait, madame Untermaier, ou un avis défavorable de précaution.
    Je l’ai dit en commission des lois, je n’imagine vraiment pas un procureur conduire une enquête ou un juge instruire sans jamais entendre les victimes du fait dommageable. Votre amendement pose donc en pratique la seule obligation d’entendre les associations de protection de l’environnement agréées. Cela soulève deux questions.
    D’abord, quel type d’association ? Comme vous ne le précisez pas, ce seraient toutes les associations agréées de protection de l’environnement. Dans le Val d’Oise il y en a neuf : faudra-t-il toutes les entendre pour chaque procédure ? Faudra-t-il consulter celles des départements voisins ? Toutes les associations nationales ? Vous ne le dites pas.

    M. Ugo Bernalicis

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    L’amendement dit : « À leur demande » !

    Mme Naïma Moutchou, rapporteure

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    Deuxième question : si le juge oublie de consulter une association, quelles seront les conséquences pour la procédure ? Sera-telle frappée de nullité ? Si oui, quels en seront les effets sur la prescription et sur la responsabilité finale du pollueur ? Ce sont là de vraies questions juridiques.
    Votre amendement soulève beaucoup trop de difficultés pour des avantages qui me paraissent limités. Je pense que nous ne gagnerions rien à accabler les magistrats d’autant d’obligations de consultation, d’où ma demande de retrait ou mon avis défavorable de précaution.

    M. le président

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    Quel est l’avis du Gouvernement ?

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Vous avez mille fois raison, madame Untermaier, mais comme la CJIP sera décidée à l’issue d’une enquête préliminaire ou d’une instruction, par définition et par la force des choses, les victimes auront déjà été entendues. Dans ces conditions, je suis défavorable à votre amendement.

    M. Gérard Leseul et Mme Cécile Untermaier

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    Il ne s’agit pas des victimes !

    M. le président

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    La parole est à M. Dominique Potier.

    M. Dominique Potier

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    Je ne suis pas sûr, monsieur le ministre, qu’on puisse mettre les associations sur le même plan que les victimes. En revanche je suis très attentif à leur expertise, qui existe bien. Face aux géants du BTP que vous évoquiez tout à l’heure – mais on pourrait en dire autant des géants des pesticides, domaine que je connais davantage – qui ont un savoir scientifique de niveau international, la justice doit elle-même être éclairée par une expertise au moins nationale, sinon européenne, voire mondiale. C’est celle qu’acquièrent les ONG, puisque cela relève de leur mission, par leur capacité à enquêter, s’informer, rendre compte et porter des plaidoyers ici et partout dans le monde. Face aux informations scientifiques certainement très pointues détenues par l’entreprise responsable d’un préjudice, l’administration ne doit pas se priver d’une connaissance équivalente venant de l’autre partie.
    C’est vrai, madame la rapporteure, vous avez identifié une vraie difficulté en évoquant le choix des ONG. Je l’admets, mais votre réponse pourrait être justement de construire une force associative, experte à l’échelle nationale, susceptible d’être consultée lors des préjudices environnementaux dont notre connaissance des effets sur la santé humaine est encore balbutiante.

    M. le président

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    La parole est à M. Ugo Bernalicis.

    M. Ugo Bernalicis

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    L’amendement de nos collègues socialistes précise dès le début que les associations seraient entendues « à leur demande » : voilà qui répond à votre question. On peut certes juger que cela risque de faire beaucoup d’associations, mais il est possible de rédiger une mesure de restriction pendant la navette.
    Sauf qu’il y a un problème de fond qui vous embête : la CJIP, qui a un caractère transactionnel, ne peut pas se faire dans la transparence ; ce n’est que le résultat de la négociation qui sera rendu public sur le site du ministère de la justice, mais la négociation elle-même et ses éléments ne le seront pas, à la différence de ce qui se passe dans un procès. C’est pourquoi les associations demandent à pouvoir être présentes dans le cadre de la CJIP, comme elles peuvent déjà l’être dans celui d’une action en justice classique. Je pense que cette demande est légitime et que si vous vouliez être aussi transparents que vous le prétendez, vous adopteriez cet amendement, quitte à revoir sa rédaction d’ici à la prochaine lecture.

    M. Alain Perea

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    On marche sur la tête !

    M. le président

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    La parole est à M. le garde des sceaux.

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Rien n’interdit de désigner un expert, dans le cadre de l’enquête préliminaire que j’évoquais tout à l’heure comme dans celui d’une instruction.

    M. Jean-Charles Colas-Roy

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    Évidemment !

    M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux

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    Excusez-moi de vous le dire, mais les associations n’ont pas vocation  à remplacer les experts, sauf à bafouer toutes les règles du procès équitable.

    Plusieurs députés du groupe LaREM

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    Bien sûr !

    (L’amendement no 30 n’est pas adopté.)

    M. le président

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    La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    2. Ordre du jour de la prochaine séance

    M. le président

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    Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
    Prestation de serment d’une juge suppléante à la Cour de justice de la République ;
    Suite de la discussion du projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée.
    La séance est levée.

    (La séance est levée, le mercredi 9 décembre 2020, à zéro heure cinq.)

    Le Directeur du service du compte rendu de la séance
    de l’Assemblée nationale
    Serge Ezdra