XVe législature
Session ordinaire de 2021-2022
Séance du mercredi 12 janvier 2022
- Présidence de M. Hugues Renson
- 1. Gestion des risques climatiques en agriculture
- Présentation
- Discussion générale
- Discussion des articles
- Article 1er
- Après l’article 1er
- Article 2
- M. André Villiers
- M. André Chassaigne
- M. Jean-Baptiste Moreau
- Amendements nos 111, 112, 72, 113, 109, 172 et 48
- Suspension et reprise de la séance
- Sous-amendement no 276
- Article 3
- Après l’article 3
- Amendement no 59
- Article 4
- Amendements nos6, 169, 189, 209, 257, 258, 52, 5, 82, 99, 146 et 156, 190, 208
- Article 5
- Après l’article 5
- Amendements nos 204 rectifié et 238
- Article 6
- Article 7
- Article 8
- Article 9
- Amendement no 105
- Article 10
- Amendement no 241
- Article 11
- Article 12
- M. Julien Dive
- Amendements nos 124 et 242, deuxième rectification
- Après l’article 12
- Vote sur l’ensemble
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
Séance unique
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture (nos 4758, 4874).
La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Je suis ravi de vous présenter cet après-midi un texte absolument crucial pour l’avenir de notre agriculture. Comme vous le savez, le changement climatique est une réalité et les agriculteurs sont les premiers à en subir les conséquences en raison de l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques. Nous l’avons vu encore au printemps dernier, avec ce terrible épisode de gel qui a constitué la plus grande catastrophe agronomique de ce début du XXIe siècle. C’est une véritable épée de Damoclès qui pèse sur notre agriculture, mais c’est aussi un frein majeur à l’installation, car qui peut accepter d’investir des centaines de milliers d’euros pour s’installer, innover, devenir un acteur de la transition en prenant le risque de voir le fruit de son travail réduit à néant dès les premières années ? Ce n’est pas une coïncidence si le Président de la République a annoncé la réforme dont nous discutons aujourd’hui le 10 septembre dernier, devant les jeunes agriculteurs réunis à la foire agricole Les Terres de Jim – et ce qui est vrai pour l’installation de nos jeunes agriculteurs l’est, bien sûr, tout autant pour nos agriculteurs déjà installés.
Aujourd’hui, le statu quo n’est plus possible, il serait contraire à l’objectif de souveraineté agricole et alimentaire qui est le fil conducteur de notre politique agricole. Car s’il est un point qui fait consensus sur tous les bancs, dans toutes les filières, parmi tous les acteurs, c’est que le système actuel ne fonctionne pas : il n’est pas assez accessible, il n’est pas assez avantageux, il est trop complexe, il est parfois injuste et, enfin, il est soumis à des délais beaucoup trop longs pour ce qui concerne les calamités agricoles.
C’est pourquoi nous devons procéder à une véritable refondation du régime d’indemnisation des pertes de récolte, aujourd’hui unanimement considéré comme à bout de souffle. Nous devons le faire non pas pour deux ou trois ans, mais pour les décennies à venir : c’est une réforme essentielle pour l’avenir de notre agriculture, pour garantir son adaptation au changement climatique. Cela fait des années que la réforme est évoquée et attendue, mais toujours repoussée. De nombreux systèmes ont été proposés, mais aucun n’a jamais abouti. Pourquoi ? Tout simplement parce que toutes les propositions émises par le passé étaient fondées sur un même principe, selon lequel les agriculteurs devaient seuls faire face aux risques climatiques.
Or cela ne peut pas fonctionner, cela n’est plus possible. D’ailleurs les choses ne se passent comme ça dans aucun autre secteur socio-économique. Qu’il s’agisse de l’automobile, du logement ou de n’importe quel autre secteur de l’économie, c’est à chaque fois une solidarité nationale qui est organisée pour faire face aux aléas climatiques. Ce n’était pas le cas jusqu’à présent dans le domaine agricole, mais les choses vont changer, car le premier principe – essentiel – de cette réforme est qu’elle se fonde sur la solidarité nationale. Sur ce point, l’engagement du Gouvernement est très clair : il s’agit de porter à 600 millions d’euros le financement de la couverture des risques climatiques dès le prochain projet de loi de finances. Nous proposons donc une refondation du système avec comme premier principe cette solidarité nationale, qui constitue un changement de paradigme, conformément à l’engagement pris de manière très claire par le Président de la République.
Le deuxième principe de la réforme consiste en la création d’une couverture dite universelle. Tout agriculteur doit y avoir accès, quelle que soit la culture et qu’il soit assuré ou non, alors qu’actuellement, les deux systèmes coexistent et entrent en concurrence pour certaines cultures, ce qui aboutit à laisser des pans entiers de l’agriculture française sans réponse.
Le troisième principe, c’est de rendre plus accessible l’assurance multirisque climatique (MRC) en incitant à y recourir sans pour autant la rendre obligatoire. En effet, si seulement 18 % de la surface agricole utile bénéficie aujourd’hui de cette assurance, ce n’est en aucun cas parce que nos agriculteurs sont de mauvais gestionnaires, mais précisément parce que la MRC n’est pas suffisamment attractive.
Le quatrième principe, c’est que l’assurance devra être régulée de manière plus actuarielle – j’insiste sur ce point –, grâce à la constitution d’un pool mutualisant les risques, l’élaboration d’une tarification technique commune et une plus grande transparence dans la constitution des prix, afin de renforcer la confiance dans le système assurantiel, d’en limiter le coût et de permettre que le risque soit équitablement réparti pour lutter contre toute aversion au risque, pour reprendre les termes assurantiels.
Enfin, le nouveau système sera plus juste, car il tendra vers une plus grande individualisation des modalités d’indemnisation et favorisera la prévention, en cohérence avec d’autres pans de la politique publique que j’ai l’honneur de diriger à la tête de ce ministère, notamment les investissements massifs que nous faisons naître dans le cadre du plan France relance – nous consacrons, par exemple, près de 200 millions d’euros aux équipements de protection et d’adaptation au changement climatique. Grâce au plan France 2030, cet effort d’investissement dans la lutte contre le changement climatique va aller croissant.
En somme, ce dont nous allons discuter cet après-midi, c’est tout simplement d’une ceinture de sécurité pour les agriculteurs, fondée sur la solidarité nationale et destinée à protéger ces derniers face aux accidents climatiques, le tout au bénéfice de notre souveraineté agricole et alimentaire.
Avant de conclure, je voudrais préciser le contenu de ce projet de loi. L’architecture de la nouvelle gestion des risques climatiques est constituée de trois étages, selon un principe de partage des risques entre tous les acteurs. Le premier étage relève de l’agriculteur, qui peut prendre, avec le soutien de l’État, des mesures de prévention et de protection. Le deuxième étage relève de l’assureur, qui doit aussi assumer ses responsabilités. Je le dis clairement, l’objectif du Gouvernement est d’utiliser au maximum les possibilités offertes par la réglementation, dite omnibus, relative aux règles financières de l’Union européenne, de sorte que la prime d’assurance soit davantage subventionnée. Enfin, au-dessus d’un certain seuil de perte, le troisième étage relève de l’État.
Cette architecture à trois étages permet l’universalité que j’évoquais tout à l’heure, mais aussi de diminuer le coût de l’assurance pour l’agriculteur, tant grâce à l’augmentation des subventions aux primes d’assurance que par la limitation du risque auquel les assureurs sont exposés. En effet, ce qui coûte très cher aux assureurs, c’est de devoir mettre des actifs en face des risques qu’ils prennent ; à partir du moment où on limite le risque, l’assureur a moins d’actifs à mobiliser, donc moins de coûts à répercuter sur les agriculteurs.
Selon nos premières simulations, cette architecture devrait représenter un progrès très encourageant. Elle permettra de proposer un système beaucoup plus attractif pour nos agriculteurs, mais aussi d’éviter que certains assureurs couvrent uniquement les « bons » risques, délaissant les autres. C’est notamment l’objet de l’article 7 du projet de loi – ô combien important à mes yeux –, qui prévoit de mutualiser les données et les risques au sein d’un pool d’assureurs, conformément aux engagements du Président de la République. Afin de garantir un large accès des agriculteurs à cet étage assurantiel, les assureurs doivent être obligés de proposer un contrat d’assurance aux agriculteurs, et vos amendements nous permettront de préciser vos intentions en la matière. Enfin, nous allons créer un organe de concertation et de copilotage du dispositif entre État, agriculteurs et assureurs, afin que les décisions soient collectivement assumées par les parties prenantes, année après année.
Ce texte somme toute assez court, puisqu’il ne comporte que douze articles, pose les fondations d’un nouveau système de couverture des risques, mais il ne permet pas de décorer les murs ou de fixer la taille des pièces. Je pense ici à la fixation des différents seuils et des différents critères, qui relève du pouvoir réglementaire et n’interviendra donc qu’une fois que le projet de loi aura été adopté, à l’issue – j’insiste sur ce point, car c’est ma méthode de travail – d’un long processus de concertation associant évidemment l’ensemble des filières des acteurs.
Cependant, soyons clairs, ma volonté, celle du Gouvernement, celle du Président de la République – et, je le sais, celle de chacun de vous, au-delà des clivages politiques – est très clairement de pousser au maximum pour que les différents critères que nous fixerons par voie réglementaire soient définis dans l’intérêt de nos agriculteurs. Très bien ! Je le répète, je suis très favorable au fait de subventionner les polices d’assurance au maximum de ce que permet la réglementation européenne dite omnibus. Mais il me paraît absolument essentiel que les différents seuils restent fixés par voie réglementaire : c’est très important pour garantir l’approche dynamique de la réforme que nous proposons.
Cette réforme est très largement inspirée du système espagnol créé à la fin des années 1970 et qui constitue aujourd’hui le principal outil de politique publique de notre voisin. En somme, c’est d’une réforme historique que nous allons discuter cet après-midi, probablement l’une des plus structurelles de celles qui, depuis des décennies, ont visé à favoriser la résilience de notre agriculture. Le futur régime sera universel. Il sera plus simple, plus efficace et plus lisible. Surtout, il permettra de mieux protéger nos agricultures et de mieux les accompagner sur le chemin de l’adaptation au changement climatique. C’est, en fin de compte, un acte tangible en faveur de la souveraineté agricole.
Ce texte résulte d’un très long travail, d’un très large processus de concertation effectué dans le cadre du Varennes agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, à l’occasion duquel nous avions réuni toutes les parties prenantes. Le groupe de travail a œuvré d’arrache-pied pendant de nombreuses semaines pour que son président, le député Frédéric Descrozaille, puisse remettre ses conclusions au Gouvernement à la fin du mois de juillet.
Je voudrais conclure en saluant l’engagement des parties prenantes, et tout particulièrement celui de M. Descrozaille, rapporteur du texte, qui s’est énormément investi sur ce sujet avec plusieurs de vos collègues : je le remercie très chaleureusement. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.) Ses travaux s’appuient eux-mêmes sur ceux entrepris par mes prédécesseurs, Didier Guillaume et Stéphane Travert, que je salue. Je ne doute pas que nos débats seront passionnants. Le sujet auquel ils se rapportent le mérite, puisque c’est rien de moins que l’aventure de l’agriculture face au changement climatique qui est en jeu. En un mot, je compte sur vous. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LR et LT.) La parole est à M. Frédéric Descrozaille, rapporteur de la commission des affaires économiques. La gestion des risques climatiques apparaît comme une question technique ayant l’étroitesse de la spécialité. Aussi aimerais-je insister sur le fait que c’est d’alimentation, d’agriculture et d’accès à l’eau qu’il s’agit dans ce projet de loi dont la discussion s’inscrit dans un calendrier plus large, celui du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique.
L’eau et l’alimentation comptent parmi les ressources les plus stratégiques de toute nation. Je suis profondément convaincu que lorsque l’on a compris comment une population accède aux cinq ressources essentielles que sont l’eau, l’alimentation, l’énergie, la monnaie et les armes, on est en mesure de décoder pratiquement n’importe quelle situation géopolitique. C’est dire l’importance de l’enjeu qui nous occupe cet après-midi.
Ce n’est pas la première fois au cours de la législature que nous nous penchons sur la question de l’alimentation. Nous avons déjà matérialisé à travers des dispositions législatives les exigences de la nation en ce domaine, exigences en évolution qui ont un impact considérable sur les systèmes de production.
Ces exigences sont propres à un pays qui entretient un rapport très particulier à son alimentation et donc à son agriculture : un pays dont on ne saurait comprendre l’histoire, selon un historien américain francophile, sans prendre en considération le lien qui unit ses habitants au pain ; un pays qui compte 350 voire 450 sortes de fromages ; un pays dont le sous-sol, la végétation et le relief changent tous les 50 kilomètres, comme le soulignent les agronomes ; un pays composé d’une mosaïque de micro-identités dont nous sommes tous porteurs ici, en tant que membres de la représentation nationale ; un pays uni autour d’une conception de l’alimentation qui rayonne dans le monde entier.
S’il s’agit de porter si haut le principe de solidarité nationale dans le dispositif dont nous allons discuter, ce n’est pas parce qu’il importe de tendre une main secourable à un secteur qui affronte des difficultés croissantes. Non, c’est parce qu’il appartient à la représentation nationale de reconnaître l’extraordinaire contribution de l’agriculture à la qualité de vie des Français depuis des décennies.
Rappelons qu’en 1946, les tickets de rationnement étaient encore de mise à Paris et que le poste de l’alimentation représentait près de 40 % du budget des ménages pour une population totale de 40 millions alors que sa part n’est plus aujourd’hui que de 13 %. Les géants de la grande distribution et de l’agro-industrie ont émergé et, quoi qu’on en dise, nous mangeons mieux et sûrement de manière plus fiable. Tout cela grâce à un secteur qui a cédé l’essentiel de ses gains de productivité à ses clients. Aucun autre ne peut se vanter de l’avoir fait dans de telles proportions, si ce n’est peut-être celui de l’automobile.
Cette contribution du secteur agroalimentaire qui a fait de la pression sur ses marges, ses prix et ses salaires l’alpha et l’oméga de la mesure de son progrès, cette contribution dont ont largement profité les citoyens français, il est temps que la représentation nationale la reconnaisse, au moment où les risques que doit affronter ce secteur s’aggravent. La nation doit assumer ce qu’elle attend de son alimentation et de son agriculture et garantir un regain de solidarité nationale pour rendre possible le maintien de ce rayonnement et de ce potentiel de production.
Nous avons des exigences pour notre propre alimentation, qu’il s’agisse de la restauration collective, des restaurants ou de la cuisine que nous élaborons au sein de chacun de nos foyers, mais nous avons aussi une responsabilité au niveau international. Nous exportons en effet une tonne de blé sur deux, principalement vers les pays d’Afrique du Nord. Depuis le début de la crise sanitaire, les bateaux ont navigué, les camions ont roulé. La France est un fournisseur fiable et la contribution des filières céréalières à la stabilité géopolitique de nos voisins méditerranéens est absolument déterminante.
Alors qu’il existe beaucoup de foyers de déstabilisation dans le monde, il s’agit de maintenir ce potentiel et ce rayonnement de notre agriculture en rendant possible son adaptation au réchauffement climatique et donc son avenir – je pense ici à la formule de Saint-Exupéry : l’avenir, « tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre ».
Comment atteindre cet objectif ? En posant des principes, à commencer par celui de la solidarité nationale qu’a longuement évoqué le ministre. Nous devons rendre éligibles tous les agriculteurs à une indemnisation pour pertes exceptionnelles assurée par l’État. « Éligibles » ! Pour cela, il nous faut revenir sur un système qui n’a pas été efficace. En demandant aux agriculteurs de choisir entre le régime des calamités agricoles et la logique assurantielle, il a introduit l’idée qu’il y avait des filières réputées assurables et d’autres qui ne l’étaient pas.
Le projet de loi repose sur une autre approche. Il ne prétend pas définir la frontière entre ce qui est assurable et ce qui ne l’est pas : d’abord, parce que celle-ci est appelée à se modifier dans les années à venir ; ensuite, parce qu’il n’appartient ni à la représentation nationale ni à l’État de la fixer car elle ne peut être définitive. Il s’agit donc d’instaurer un dispositif grâce auquel agriculteurs et assureurs soient en mesure, en bonne intelligence, de s’adapter à son évolution. Le but est de permettre tout à la fois le développement du marché de l’assurance, l’acculturation à la gestion du risque et la couverture par l’État des pertes exceptionnelles, selon une formule à l’impact budgétaire maîtrisé.
Le deuxième principe est celui de l’universalité. Il faut veiller à ce que le développement du marché de l’assurance récolte ne favorise pas ce que la théorie des jeux appelle des comportements de tricheur : un opérateur pourrait être tenté de déclarer de son propre chef et de manière unilatérale qu’il arrête de couvrir tel risque pour telle filière dans tel bassin.
Le suivi de cette frontière sera soumis à l’examen des spécialistes que sont les assureurs mais fera aussi l’objet d’une concertation. Nous allons vous proposer de créer un outil susceptible d’ajuster deux pas de temps non superposables. Le premier est le temps long que réclame l’adaptation de l’agriculture. Je vous renvoie à la séquence 2 du Varenne de l’eau qui prévoit des plans d’adaptation très ambitieux portant sur des changements de pratiques, l’introduction de nouvelles variétés, y compris tropicales, et la diversification – sans parler de l’investissement dans des équipements de protection et de prévention. Le deuxième pas de temps est celui de la réactivité commerciale des assureurs, qui repose sur un rythme annuel voire infra-annuel. Le dispositif alliera accompagnement des risques susceptibles pour certains de devenir non assurables et adaptation de l’agriculture en vue du maintien, voire de l’augmentation de son potentiel.
Le troisième principe est celui de la liberté. Nous vous proposons un système dans lequel les agriculteurs doivent avoir le choix de s’assurer ou non, et où ces derniers se verront proposer des polices d’assurance inventives et innovantes, qu’il s’agisse de polices paramétriques ou indicielles ne reposant pas sur la logique de l’indemnité et offrant donc des prix plus abordables ou de polices d’assurance plus traditionnelles, de nature indemnitaire, se fondant sur un rapport personnalisé plus humain avec l’assureur.
Le quatrième et dernier principe est celui de l’efficacité. Je tiens ici à saluer la détermination du ministre. Comme il s’est d’emblée emparé de ce sujet et qu’il a eu le courage de le traiter, selon une méthode qui lui est habituelle, nous avons pu tenir les délais. La réforme entrera en vigueur au 1er janvier 2023, ce qui nous permettra d’honorer nos engagements. (M. Jean-René Cazeneuve applaudit.)
Pour finir, je remercierai tous ceux qui se sont mobilisés : outre le ministre, les agriculteurs, les assureurs et réassureurs, les services de l’État, avec lesquels j’ai eu l’honneur de beaucoup travailler et qui ont fait preuve d’un professionnalisme et d’un soutien fort et bien sûr celles et ceux de mes collègues qui se sont impliqués sur ces questions. (Applaudissement sur les bancs des groupes LaREM et Dem et sur quelques bancs du groupe LR.)
Aujourd’hui, le statu quo n’est plus possible, il serait contraire à l’objectif de souveraineté agricole et alimentaire qui est le fil conducteur de notre politique agricole. Car s’il est un point qui fait consensus sur tous les bancs, dans toutes les filières, parmi tous les acteurs, c’est que le système actuel ne fonctionne pas : il n’est pas assez accessible, il n’est pas assez avantageux, il est trop complexe, il est parfois injuste et, enfin, il est soumis à des délais beaucoup trop longs pour ce qui concerne les calamités agricoles.
C’est pourquoi nous devons procéder à une véritable refondation du régime d’indemnisation des pertes de récolte, aujourd’hui unanimement considéré comme à bout de souffle. Nous devons le faire non pas pour deux ou trois ans, mais pour les décennies à venir : c’est une réforme essentielle pour l’avenir de notre agriculture, pour garantir son adaptation au changement climatique. Cela fait des années que la réforme est évoquée et attendue, mais toujours repoussée. De nombreux systèmes ont été proposés, mais aucun n’a jamais abouti. Pourquoi ? Tout simplement parce que toutes les propositions émises par le passé étaient fondées sur un même principe, selon lequel les agriculteurs devaient seuls faire face aux risques climatiques.
Or cela ne peut pas fonctionner, cela n’est plus possible. D’ailleurs les choses ne se passent comme ça dans aucun autre secteur socio-économique. Qu’il s’agisse de l’automobile, du logement ou de n’importe quel autre secteur de l’économie, c’est à chaque fois une solidarité nationale qui est organisée pour faire face aux aléas climatiques. Ce n’était pas le cas jusqu’à présent dans le domaine agricole, mais les choses vont changer, car le premier principe – essentiel – de cette réforme est qu’elle se fonde sur la solidarité nationale. Sur ce point, l’engagement du Gouvernement est très clair : il s’agit de porter à 600 millions d’euros le financement de la couverture des risques climatiques dès le prochain projet de loi de finances. Nous proposons donc une refondation du système avec comme premier principe cette solidarité nationale, qui constitue un changement de paradigme, conformément à l’engagement pris de manière très claire par le Président de la République.
Le deuxième principe de la réforme consiste en la création d’une couverture dite universelle. Tout agriculteur doit y avoir accès, quelle que soit la culture et qu’il soit assuré ou non, alors qu’actuellement, les deux systèmes coexistent et entrent en concurrence pour certaines cultures, ce qui aboutit à laisser des pans entiers de l’agriculture française sans réponse.
Le troisième principe, c’est de rendre plus accessible l’assurance multirisque climatique (MRC) en incitant à y recourir sans pour autant la rendre obligatoire. En effet, si seulement 18 % de la surface agricole utile bénéficie aujourd’hui de cette assurance, ce n’est en aucun cas parce que nos agriculteurs sont de mauvais gestionnaires, mais précisément parce que la MRC n’est pas suffisamment attractive.
Le quatrième principe, c’est que l’assurance devra être régulée de manière plus actuarielle – j’insiste sur ce point –, grâce à la constitution d’un pool mutualisant les risques, l’élaboration d’une tarification technique commune et une plus grande transparence dans la constitution des prix, afin de renforcer la confiance dans le système assurantiel, d’en limiter le coût et de permettre que le risque soit équitablement réparti pour lutter contre toute aversion au risque, pour reprendre les termes assurantiels.
Enfin, le nouveau système sera plus juste, car il tendra vers une plus grande individualisation des modalités d’indemnisation et favorisera la prévention, en cohérence avec d’autres pans de la politique publique que j’ai l’honneur de diriger à la tête de ce ministère, notamment les investissements massifs que nous faisons naître dans le cadre du plan France relance – nous consacrons, par exemple, près de 200 millions d’euros aux équipements de protection et d’adaptation au changement climatique. Grâce au plan France 2030, cet effort d’investissement dans la lutte contre le changement climatique va aller croissant.
En somme, ce dont nous allons discuter cet après-midi, c’est tout simplement d’une ceinture de sécurité pour les agriculteurs, fondée sur la solidarité nationale et destinée à protéger ces derniers face aux accidents climatiques, le tout au bénéfice de notre souveraineté agricole et alimentaire.
Avant de conclure, je voudrais préciser le contenu de ce projet de loi. L’architecture de la nouvelle gestion des risques climatiques est constituée de trois étages, selon un principe de partage des risques entre tous les acteurs. Le premier étage relève de l’agriculteur, qui peut prendre, avec le soutien de l’État, des mesures de prévention et de protection. Le deuxième étage relève de l’assureur, qui doit aussi assumer ses responsabilités. Je le dis clairement, l’objectif du Gouvernement est d’utiliser au maximum les possibilités offertes par la réglementation, dite omnibus, relative aux règles financières de l’Union européenne, de sorte que la prime d’assurance soit davantage subventionnée. Enfin, au-dessus d’un certain seuil de perte, le troisième étage relève de l’État.
Cette architecture à trois étages permet l’universalité que j’évoquais tout à l’heure, mais aussi de diminuer le coût de l’assurance pour l’agriculteur, tant grâce à l’augmentation des subventions aux primes d’assurance que par la limitation du risque auquel les assureurs sont exposés. En effet, ce qui coûte très cher aux assureurs, c’est de devoir mettre des actifs en face des risques qu’ils prennent ; à partir du moment où on limite le risque, l’assureur a moins d’actifs à mobiliser, donc moins de coûts à répercuter sur les agriculteurs.
Selon nos premières simulations, cette architecture devrait représenter un progrès très encourageant. Elle permettra de proposer un système beaucoup plus attractif pour nos agriculteurs, mais aussi d’éviter que certains assureurs couvrent uniquement les « bons » risques, délaissant les autres. C’est notamment l’objet de l’article 7 du projet de loi – ô combien important à mes yeux –, qui prévoit de mutualiser les données et les risques au sein d’un pool d’assureurs, conformément aux engagements du Président de la République. Afin de garantir un large accès des agriculteurs à cet étage assurantiel, les assureurs doivent être obligés de proposer un contrat d’assurance aux agriculteurs, et vos amendements nous permettront de préciser vos intentions en la matière. Enfin, nous allons créer un organe de concertation et de copilotage du dispositif entre État, agriculteurs et assureurs, afin que les décisions soient collectivement assumées par les parties prenantes, année après année.
Ce texte somme toute assez court, puisqu’il ne comporte que douze articles, pose les fondations d’un nouveau système de couverture des risques, mais il ne permet pas de décorer les murs ou de fixer la taille des pièces. Je pense ici à la fixation des différents seuils et des différents critères, qui relève du pouvoir réglementaire et n’interviendra donc qu’une fois que le projet de loi aura été adopté, à l’issue – j’insiste sur ce point, car c’est ma méthode de travail – d’un long processus de concertation associant évidemment l’ensemble des filières des acteurs.
Cependant, soyons clairs, ma volonté, celle du Gouvernement, celle du Président de la République – et, je le sais, celle de chacun de vous, au-delà des clivages politiques – est très clairement de pousser au maximum pour que les différents critères que nous fixerons par voie réglementaire soient définis dans l’intérêt de nos agriculteurs. Très bien ! Je le répète, je suis très favorable au fait de subventionner les polices d’assurance au maximum de ce que permet la réglementation européenne dite omnibus. Mais il me paraît absolument essentiel que les différents seuils restent fixés par voie réglementaire : c’est très important pour garantir l’approche dynamique de la réforme que nous proposons.
Cette réforme est très largement inspirée du système espagnol créé à la fin des années 1970 et qui constitue aujourd’hui le principal outil de politique publique de notre voisin. En somme, c’est d’une réforme historique que nous allons discuter cet après-midi, probablement l’une des plus structurelles de celles qui, depuis des décennies, ont visé à favoriser la résilience de notre agriculture. Le futur régime sera universel. Il sera plus simple, plus efficace et plus lisible. Surtout, il permettra de mieux protéger nos agricultures et de mieux les accompagner sur le chemin de l’adaptation au changement climatique. C’est, en fin de compte, un acte tangible en faveur de la souveraineté agricole.
Ce texte résulte d’un très long travail, d’un très large processus de concertation effectué dans le cadre du Varennes agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, à l’occasion duquel nous avions réuni toutes les parties prenantes. Le groupe de travail a œuvré d’arrache-pied pendant de nombreuses semaines pour que son président, le député Frédéric Descrozaille, puisse remettre ses conclusions au Gouvernement à la fin du mois de juillet.
Je voudrais conclure en saluant l’engagement des parties prenantes, et tout particulièrement celui de M. Descrozaille, rapporteur du texte, qui s’est énormément investi sur ce sujet avec plusieurs de vos collègues : je le remercie très chaleureusement. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.) Ses travaux s’appuient eux-mêmes sur ceux entrepris par mes prédécesseurs, Didier Guillaume et Stéphane Travert, que je salue. Je ne doute pas que nos débats seront passionnants. Le sujet auquel ils se rapportent le mérite, puisque c’est rien de moins que l’aventure de l’agriculture face au changement climatique qui est en jeu. En un mot, je compte sur vous. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, Dem et Agir ens ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LR et LT.) La parole est à M. Frédéric Descrozaille, rapporteur de la commission des affaires économiques. La gestion des risques climatiques apparaît comme une question technique ayant l’étroitesse de la spécialité. Aussi aimerais-je insister sur le fait que c’est d’alimentation, d’agriculture et d’accès à l’eau qu’il s’agit dans ce projet de loi dont la discussion s’inscrit dans un calendrier plus large, celui du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique.
L’eau et l’alimentation comptent parmi les ressources les plus stratégiques de toute nation. Je suis profondément convaincu que lorsque l’on a compris comment une population accède aux cinq ressources essentielles que sont l’eau, l’alimentation, l’énergie, la monnaie et les armes, on est en mesure de décoder pratiquement n’importe quelle situation géopolitique. C’est dire l’importance de l’enjeu qui nous occupe cet après-midi.
Ce n’est pas la première fois au cours de la législature que nous nous penchons sur la question de l’alimentation. Nous avons déjà matérialisé à travers des dispositions législatives les exigences de la nation en ce domaine, exigences en évolution qui ont un impact considérable sur les systèmes de production.
Ces exigences sont propres à un pays qui entretient un rapport très particulier à son alimentation et donc à son agriculture : un pays dont on ne saurait comprendre l’histoire, selon un historien américain francophile, sans prendre en considération le lien qui unit ses habitants au pain ; un pays qui compte 350 voire 450 sortes de fromages ; un pays dont le sous-sol, la végétation et le relief changent tous les 50 kilomètres, comme le soulignent les agronomes ; un pays composé d’une mosaïque de micro-identités dont nous sommes tous porteurs ici, en tant que membres de la représentation nationale ; un pays uni autour d’une conception de l’alimentation qui rayonne dans le monde entier.
S’il s’agit de porter si haut le principe de solidarité nationale dans le dispositif dont nous allons discuter, ce n’est pas parce qu’il importe de tendre une main secourable à un secteur qui affronte des difficultés croissantes. Non, c’est parce qu’il appartient à la représentation nationale de reconnaître l’extraordinaire contribution de l’agriculture à la qualité de vie des Français depuis des décennies.
Rappelons qu’en 1946, les tickets de rationnement étaient encore de mise à Paris et que le poste de l’alimentation représentait près de 40 % du budget des ménages pour une population totale de 40 millions alors que sa part n’est plus aujourd’hui que de 13 %. Les géants de la grande distribution et de l’agro-industrie ont émergé et, quoi qu’on en dise, nous mangeons mieux et sûrement de manière plus fiable. Tout cela grâce à un secteur qui a cédé l’essentiel de ses gains de productivité à ses clients. Aucun autre ne peut se vanter de l’avoir fait dans de telles proportions, si ce n’est peut-être celui de l’automobile.
Cette contribution du secteur agroalimentaire qui a fait de la pression sur ses marges, ses prix et ses salaires l’alpha et l’oméga de la mesure de son progrès, cette contribution dont ont largement profité les citoyens français, il est temps que la représentation nationale la reconnaisse, au moment où les risques que doit affronter ce secteur s’aggravent. La nation doit assumer ce qu’elle attend de son alimentation et de son agriculture et garantir un regain de solidarité nationale pour rendre possible le maintien de ce rayonnement et de ce potentiel de production.
Nous avons des exigences pour notre propre alimentation, qu’il s’agisse de la restauration collective, des restaurants ou de la cuisine que nous élaborons au sein de chacun de nos foyers, mais nous avons aussi une responsabilité au niveau international. Nous exportons en effet une tonne de blé sur deux, principalement vers les pays d’Afrique du Nord. Depuis le début de la crise sanitaire, les bateaux ont navigué, les camions ont roulé. La France est un fournisseur fiable et la contribution des filières céréalières à la stabilité géopolitique de nos voisins méditerranéens est absolument déterminante.
Alors qu’il existe beaucoup de foyers de déstabilisation dans le monde, il s’agit de maintenir ce potentiel et ce rayonnement de notre agriculture en rendant possible son adaptation au réchauffement climatique et donc son avenir – je pense ici à la formule de Saint-Exupéry : l’avenir, « tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre ».
Comment atteindre cet objectif ? En posant des principes, à commencer par celui de la solidarité nationale qu’a longuement évoqué le ministre. Nous devons rendre éligibles tous les agriculteurs à une indemnisation pour pertes exceptionnelles assurée par l’État. « Éligibles » ! Pour cela, il nous faut revenir sur un système qui n’a pas été efficace. En demandant aux agriculteurs de choisir entre le régime des calamités agricoles et la logique assurantielle, il a introduit l’idée qu’il y avait des filières réputées assurables et d’autres qui ne l’étaient pas.
Le projet de loi repose sur une autre approche. Il ne prétend pas définir la frontière entre ce qui est assurable et ce qui ne l’est pas : d’abord, parce que celle-ci est appelée à se modifier dans les années à venir ; ensuite, parce qu’il n’appartient ni à la représentation nationale ni à l’État de la fixer car elle ne peut être définitive. Il s’agit donc d’instaurer un dispositif grâce auquel agriculteurs et assureurs soient en mesure, en bonne intelligence, de s’adapter à son évolution. Le but est de permettre tout à la fois le développement du marché de l’assurance, l’acculturation à la gestion du risque et la couverture par l’État des pertes exceptionnelles, selon une formule à l’impact budgétaire maîtrisé.
Le deuxième principe est celui de l’universalité. Il faut veiller à ce que le développement du marché de l’assurance récolte ne favorise pas ce que la théorie des jeux appelle des comportements de tricheur : un opérateur pourrait être tenté de déclarer de son propre chef et de manière unilatérale qu’il arrête de couvrir tel risque pour telle filière dans tel bassin.
Le suivi de cette frontière sera soumis à l’examen des spécialistes que sont les assureurs mais fera aussi l’objet d’une concertation. Nous allons vous proposer de créer un outil susceptible d’ajuster deux pas de temps non superposables. Le premier est le temps long que réclame l’adaptation de l’agriculture. Je vous renvoie à la séquence 2 du Varenne de l’eau qui prévoit des plans d’adaptation très ambitieux portant sur des changements de pratiques, l’introduction de nouvelles variétés, y compris tropicales, et la diversification – sans parler de l’investissement dans des équipements de protection et de prévention. Le deuxième pas de temps est celui de la réactivité commerciale des assureurs, qui repose sur un rythme annuel voire infra-annuel. Le dispositif alliera accompagnement des risques susceptibles pour certains de devenir non assurables et adaptation de l’agriculture en vue du maintien, voire de l’augmentation de son potentiel.
Le troisième principe est celui de la liberté. Nous vous proposons un système dans lequel les agriculteurs doivent avoir le choix de s’assurer ou non, et où ces derniers se verront proposer des polices d’assurance inventives et innovantes, qu’il s’agisse de polices paramétriques ou indicielles ne reposant pas sur la logique de l’indemnité et offrant donc des prix plus abordables ou de polices d’assurance plus traditionnelles, de nature indemnitaire, se fondant sur un rapport personnalisé plus humain avec l’assureur.
Le quatrième et dernier principe est celui de l’efficacité. Je tiens ici à saluer la détermination du ministre. Comme il s’est d’emblée emparé de ce sujet et qu’il a eu le courage de le traiter, selon une méthode qui lui est habituelle, nous avons pu tenir les délais. La réforme entrera en vigueur au 1er janvier 2023, ce qui nous permettra d’honorer nos engagements. (M. Jean-René Cazeneuve applaudit.)
Pour finir, je remercierai tous ceux qui se sont mobilisés : outre le ministre, les agriculteurs, les assureurs et réassureurs, les services de l’État, avec lesquels j’ai eu l’honneur de beaucoup travailler et qui ont fait preuve d’un professionnalisme et d’un soutien fort et bien sûr celles et ceux de mes collègues qui se sont impliqués sur ces questions. (Applaudissement sur les bancs des groupes LaREM et Dem et sur quelques bancs du groupe LR.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Antoine Herth.
Qu’est-ce que l’agriculture ? Elle est avant tout le résultat de l’interaction, guidée par la main de l’homme, entre un climat, un sol et des plantes. Le fait que sa finalité soit de nourrir l’humanité en fait une règle universelle qui est au fondement même des civilisations. Certaines d’entre elles, dit-on, celles des Mayas, des Sumériens, des Égyptiens de l’Antiquité ont fait la douloureuse expérience des effets brutaux des changements climatiques. Rappelons aussi que l’un des déclencheurs de la Révolution française, du moins de la mobilisation populaire, fut la succession d’hivers rudes et de maigres récoltes.
Le triangle magique climat, sol, plantes n’est productif que grâce à l’intervention humaine, celle des agricultrices et des agriculteurs, celle de nos agronomes qui, terroir par terroir, production par production, année après année, contribuent à faire de la table française l’une des plus généreuses et des plus diversifiées du monde.
Et si le miracle gastronomique français avait une fin ? C’est bien la question que nous devons nous poser devant les prévisions relatives aux impacts du changement climatique sur notre agriculture.
De tout temps, les agriculteurs se sont regroupés et ont cherché à mutualiser les outils qui leur permettent de faire face aux aléas. Ainsi furent-ils les premiers à mettre en œuvre les assurances contre les effets de la grêle. Le rapporteur, dans son excellent rapport, a rappelé qu’en 2006, la loi d’orientation agricole a complété le système des calamités par une nouvelle assurance multirisque climatique. Nous disposons d’un recul d’une quinzaine d’années et nous connaissons désormais les potentialités de ces contrats dont le taux de pénétration n’est que de 18 %, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. Nous pouvons considérer qu’ils sont des prototypes à partir desquels nous devons bâtir une nouvelle génération de modalités de couverture assurantielle. Les évolutions de la réglementation européenne nous donnent d’ailleurs davantage de latitude pour intervenir dans ce système.
Il faut donc une réforme systémique pour être à la hauteur des enjeux. Et je voudrais vous féliciter, monsieur le ministre, de vous être emparé de ce sujet à bras-le-corps. Cela n’avait rien d’évident car il n’est pas toujours facile de s’engager dans des combats supposant des arbitrages budgétaires qui ne sont pas gagnés à l’avance. Je saluerai bien évidemment le rapporteur dont le rapport précédent, élaboré dans le cadre du groupe de travail « gestion des risques et développement de l’assurance récolte », rapport extrêmement technique mais pédagogique, a éclairé nos travaux sur le présent projet de loi.
Il importe de conserver l’équilibre sur lequel repose le texte relativement succinct sur lequel nous nous penchons : à la loi de fixer le cadre et au règlement de déterminer les modalités d’application. C’est d’autant plus important qu’il nous faut évidemment remobiliser les assureurs, dont certains ont quitté le secteur de l’assurance multirisque climatique, et mobiliser les filières – je ne sais encore comment – pour mettre en œuvre le dispositif prévu. La réglementation doit pouvoir évoluer et intégrer l’ensemble des parties prenantes dans le tour de table. Dans cette perspective, il appartient au Parlement de s’impliquer pleinement en assurant un suivi annuel de l’évolution du dispositif et en étant au rendez-vous chaque année au moment de l’examen du projet de loi de finances pour voter les crédits nécessaires à sa bonne application.
La lecture de Histoire de l’homme, vingt-deux ans d’amphi au Collège de France, d’Yves Coppens renvoie à une évidence : l’homme est apparu en tant qu’espèce à cause d’un changement climatique intervenu dans le Rift est-africain et a pu évoluer grâce à sa capacité à s’adapter aux aléas. C’est tout l’enjeu de ce texte que de nous permettre à nous, hommes et femmes du XXIe siècle, de nous adapter aux changements climatiques qui sont devant nous.
Aussi, monsieur le ministre, le groupe Agir ensemble soutient avec détermination une réforme structurelle grâce à laquelle notre agriculture pourra continuer d’assurer sa belle mission, avec la certitude – c’est important – d’avoir derrière elle, en cas d’accident climatique, la nation tout entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens et sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.) La parole est à M. Thierry Benoit. Au nom du groupe UDI et indépendants, André Villiers et moi-même accompagnerons et soutiendrons votre texte, monsieur le ministre. Dans l’histoire contemporaine de l’agriculture française, les professionnels, jusqu’à ce jour, disposaient de leur propre régime assurantiel classique et bénéficiaient parfois du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles ou du régime des calamités agricoles. Ce projet de loi traduit la volonté politique de prendre en considération une spécificité de notre temps, sur laquelle notre collègue Descrozaille a bien travaillé, ce que nous saluons : les aléas, particulièrement climatiques.
Ainsi que vient de le rappeler Antoine Herth, les agriculteurs travaillent le vivant, le sol, les règnes végétal et animal ; appartenant au secteur primaire, ils sont soumis à la multitude de ces aléas. Ceux-ci peuvent être politiques, par exemple, il y a quelques années, l’embargo russe touchant la filière porcine ; sanitaires, comme les pandémies – nous en savons quelque chose ; climatiques, comme la sécheresse, les orages, le gel, et j’en passe. Le texte soumis à notre examen est donc naturellement bienvenu… Peut-être ! …et je ne vois pas qui, même dans la partie gauche de l’hémicycle, pourrait s’y opposer.
L’article 1er établit un principe général de solidarité nationale vis-à-vis des agriculteurs mis en difficulté par les aléas climatiques. Si l’application ou l’articulation de ce principe peuvent être débattues, vous avez bien exprimé hier, monsieur le ministre, son caractère nécessaire et novateur.
L’article 2 dispose que le cumul de l’aide nationale et de la contribution de l’Union européenne ne peut excéder 70 % de la prime ou de la cotisation d’assurance ainsi partiellement prise en charge. Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé dans votre propos liminaire : des fonds européens, des outils comme le règlement « omnibus » concourent à l’accompagnement des agriculteurs ou des agricultures en difficulté. Par ailleurs, dans un contexte de marché, puisqu’au sein de l’Union la concurrence demeure libre et non faussée, les agriculteurs sont d’une certaine manière fragilisés : il importe d’assurer leur sécurité. Vous avez rappelé hier à juste titre que la mère des batailles était le travail collectif relatif aux négociations commerciales, impliquant tous les groupes parlementaires et mené par le Gouvernement, afin de leur assurer un meilleur revenu ; il est bon que nous venions également en appui concernant la question des assurances.
Bien entendu, ce texte ne sera pas la panacée. Reste qu’en mettant les différents acteurs face à leurs responsabilités, il manifeste concrètement, je le répète, la volonté politique que la solidarité nationale intervienne aux côtés des assureurs en vue de soutenir l’agriculture française. Encore une fois, monsieur le ministre, André Villiers, ici présent, et moi-même soutiendrons donc le texte que vous nous proposez. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-I, LaREM et Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe LR.) La parole est à Mme Sylvia Pinel. Permettez-moi, au début de cette intervention, d’avoir une pensée pour les victimes des inondations qui touchent en ce moment mon département et ma région.
En Occitanie, le souvenir du gel tardif de mai 2021 est encore vif dans de nombreux esprits : quelques heures avaient suffi à dévaster des centaines de milliers d’hectares de terres agricoles. Les exploitants savent que ce drame, loin d’être exceptionnel, risque de devenir de moins en moins rare. Face aux conséquences du dérèglement climatique, ils tentent de protéger leurs champs autant que possible ; les arboriculteurs, les viticulteurs posent des filets antigrêle afin de limiter leurs pertes. Bien souvent, ces mesures préventives ne suffisent pas à sauver les cultures. Lorsque les dégâts sont trop importants, les conséquences économiques trop graves, les exploitants n’ont d’autre recours que le système d’indemnisation des pertes de récoltes résultant d’aléas climatiques ; mais ce régime, à bout de souffle, peine à remplir ses fonctions.
Seules 18 % des surfaces agricoles sont couvertes par une assurance multirisque climatique, ce qui pose un problème d’autant plus important que le régime des calamités agricoles exclut par exemple la viticulture, laissant sans réponse, en cas d’événement climatique majeur, des pans entiers de l’agriculture française. En outre, les compagnies d’assurance sont confrontées à des déficits structurels qui remettent en cause leur capacité à faire face aux aléas à venir : ces dix dernières années, le ratio annuel de sinistres sur primes s’est élevé en moyenne à 105 %.
Dans ce contexte, une réforme du système assurantiel s’imposait. Je regrette toutefois le calendrier retenu en raison de la proximité des élections, d’autant plus que les nombreux renvois à des ordonnances ou à des décrets – à échéance parfois lointaine – que prévoit le texte laissent en fait au futur gouvernement une bonne partie du soin de son application : en l’état actuel des choses, il est difficile de savoir quels seront alors les arbitrages. Cela dit, je souscris aux grandes orientations du nouveau dispositif. Solidarité, simplicité, accessibilité doivent se trouver au cœur de la réforme en vue d’assurer une large couverture contre les risques climatiques, ce qui était d’ailleurs l’objectif de la proposition de loi que j’avais déposée en 2008 et qui visait à rendre obligatoire l’assurance récolte.
La voie que vous avez choisie est différente : vous souhaitez avant tout encourager les agriculteurs à s’assurer en augmentant le soutien public aux primes d’assurance. J’y suis néanmoins favorable. Nous avons en revanche quelques divergences concernant les modalités de subvention aux cotisations : je défends par exemple leur prise en charge à 70 %, et non dans la limite de 70 %, par le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNRGA), ainsi qu’une franchise de 20 %, voire de 10 %, pour les cultures qui comportent le plus de risques. De même, l’article 2 devrait s’appliquer aussi bien aux contrats « à la culture » qu’aux contrats « à l’exploitation ». Monsieur le ministre, vous avez tenu à nous rassurer sur ce point en commission des affaires économiques ; les inquiétudes persistent cependant, et une clarification du texte serait bienvenue.
De plus, un débat doit avoir lieu au sujet de la prise en compte de la moyenne olympique comme base de calcul pour l’indemnisation des pertes de récoltes. La fréquence croissante des aléas climatiques tire en effet les rendements moyens vers le bas, ce qui risque d’affecter l’attractivité des produits assurantiels. Le texte renvoie d’ailleurs massivement à des décrets pour déterminer les seuils au-delà desquels les agriculteurs verront leurs pertes couvertes par les différents dispositifs. Nous comprenons ce besoin de flexibilité, car l’évolution de la sinistralité pourrait imposer une révision rapide desdits seuils ; il faudra cependant veiller à ce qu’ils soient fixés en concertation avec les parties prenantes.
Un mot, enfin, de la gouvernance du dispositif, plus précisément du pool d’entreprises d’assurance : je regrette que la forme juridique et les modalités de fonctionnement de celui-ci, essentiel à la bonne marche de l’ensemble, ne soient pas arrêtées à ce stade. Je m’inquiète en outre, à l’instar de l’Autorité de la concurrence, de ce qu’une mutualisation mal encadrée des données et des risques au sein d’un organisme unique pourrait entraîner un renchérissement du coût de l’assurance pour les agriculteurs.
Espérons que l’examen du projet de loi en séance publique permettra de dissiper nos derniers doutes et d’appliquer rapidement cette réforme. Nos agriculteurs ont besoin d’outils qui couvrent efficacement les conséquences économiques des risques naturels et assurent la résilience de leurs exploitations. Il vous restera ensuite, monsieur le ministre, à vous attaquer aux aléas sanitaires. (M. le rapporteur applaudit.) La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon. Pour bénéficier des indemnités universelles, il faut avoir signé un contrat d’assurance, l’indemnisation des non-assurés ne pouvant être supérieure à 50 % de celle des assurés. Vos dispositifs ne font donc que renforcer l’inégalité entre les paysans assurés et les autres. Pas de contrat privé, c’est moins d’aides publiques : il s’agit de jeter les agriculteurs dans les bras des assureurs. De surcroît, l’augmentation de 300 millions d’euros des dépenses publiques bénéficiera en priorité aux exploitants les plus aisés, aux exploitations les plus rentables.
Parmi les propositions du rapporteur Descrozaille, remises lors du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, figure la baisse d’ici à 2030, tendant à la suppression pure et simple, des indemnisations des non-assurés ; il en résulte que moins de la moitié des surfaces agricoles seront assurées en 2030. Les exploitations les moins rentables ne donnent pas les moyens de se payer une assurance : elles se retrouveront pénalisées par une moindre couverture solidaire. Dans le même temps, vous voulez démanteler le régime des calamités agricoles au profit des assurances privées ; or certains secteurs, par exemple l’apiculture, l’arboriculture, le maraîchage diversifié, ne sont pas, ou difficilement, assurables, car ils n’intéressent pas ces dernières. Par conséquent, le système que vous proposez, loin d’être universel, abandonne des pans entiers de l’agriculture française et subventionne le secteur privé afin de permettre l’émergence d’un marché voué au profit.
Nous savons tous que la gestion des risques intermédiaires est confiée aux entreprises d’assurance : le Gouvernement impose aux agriculteurs ces intermédiaires privés qui ne recherchent que les bénéfices, et comme cela ne suffit pas, les récalcitrants qui ne consentiraient pas à s’assurer sur le marché seront sanctionnés par la privation d’aides publiques en cas d’événement climatique majeur. La solidarité nationale est ici à géométrie variable : au lieu de soutenir directement les paysans, ou de créer, comme le souhaite la Confédération paysanne, un fonds mutuel et solidaire associant tous les acteurs de la filière, le Gouvernement poursuit sa politique de subventions aux acteurs privés. Le système actuel est certes obsolète à l’heure où la fréquence et l’intensité des aléas climatiques augmentent sans cesse ; il faudrait donc réformer progressivement le régime des calamités agricoles, afin de permettre de meilleures indemnisations et des réponses dans les plus brefs délais, et créer le fonds que je viens d’évoquer, lequel assurerait une couverture de base de toutes les exploitations, de toutes les cultures, y compris diversifiées, face au risque climatique quel qu’il soit.
Vous souhaitez également sauver les profits des assurances privées en abaissant le seuil d’éligibilité aux subventions et en augmentant leur taux maximal. Les assureurs indemnisent désormais plus qu’ils ne collectent : le marché de l’assurance multirisque climatique est très peu rentable, le secteur des assurances agricoles extrêmement concentré – dix entreprises seulement, dont les deux plus grandes se partagent à elles seules 70 % du marché – et les coûts voués à devenir de plus en plus élevés en raison du changement climatique. Subventionnés par le Gouvernement pour leur permettre de continuer d’exister, ces assureurs pèseront sur les services publics et menaceront l’égalité de traitement sur laquelle ces derniers sont fondés.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement souhaite décider à lui seul des modalités de gestion et de gouvernance du futur système. De plus, les agriculteurs confrontés à davantage de risques climatiques risquent de se voir proposer des contrats d’assurance aux tarifs exorbitants. Quand il s’agit de contraindre les entreprises et d’établir d’éventuelles sanctions, préfère-t-on passer par ordonnance ? À mon sens, le Parlement devrait avoir son mot à dire.
De même, alors que les départements d’outre-mer sont dans une situation sociale, économique et sanitaire catastrophique et qu’ils sont les premiers affectés par le dérèglement climatique, le Gouvernement évite de débattre avec le Parlement de la gestion des risques climatiques pour les agricultures ultramarines. Les territoires d’outre-mer ne méritent-ils pas un débat parlementaire au même titre que les autres ? Le groupe La France insoumise ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne. Comme nous l’avons indiqué en commission, ce projet de loi suscite l’inquiétude de notre groupe tant du point de vue de son orientation générale que des modalités de sa mise en œuvre. Vous le savez : compte tenu de l’ampleur des menaces climatiques, sanitaires et environnementales qui pèseront sur notre agriculture dans les décennies à venir, les députés communistes réclament un véritable régime public d’assurance et de gestion des risques en agriculture, englobant l’ensemble des risques. Avec mon collègue André Chassaigne, nous avions d’ailleurs déposé en avril 2020 une proposition de loi en ce sens.
Nous défendons un système dans lequel chaque agriculteur, quelle que soit sa production, serait couvert ; un système dans lequel les agriculteurs et les décideurs publics détermineraient les objectifs et les moyens de les atteindre, notamment en prévoyant des ressources pérennes pour répondre chaque année aux besoins identifiés. Le texte tourne le dos à cette ambition – même si vous vous en défendez, monsieur le ministre, en affirmant qu’il vise à « [consolider] feu le régime des calamités agricoles tout en rendant bien plus accessible l’assurance privée ». Consolider le régime des calamités en pénalisant lourdement – à hauteur de 50 % des montants d’indemnisation du troisième étage public – les agriculteurs qui ne souscriraient pas de contrat multirisque climatique : voilà une drôle de façon de présenter les choses.
Par ailleurs, vous justifiez l’imprécision de la réforme – on ne connaît ni le détail des seuils applicables, ni les conditions de fixation des contrats proposés aux agriculteurs – en arguant de votre volonté de rester le plus fidèle possible à l’évolution du droit européen et aux possibilités offertes par le règlement « omnibus ». Mais de quel niveau de couverture parlez-vous quand les critères fondamentaux soit sont laissés intégralement à l’appréciation du pouvoir réglementaire, soit feront l’objet de décisions techniques du futur comité chargé de l’orientation et du développement de l’assurance récolte (CODAR) ? Comment le législateur peut-il se prononcer sur un système dont il ne connaît pas les mécanismes ?
Vous parlez d’une assurance plus juste, mais le texte ne fait pas mention des inégalités de revenus entre exploitations et ne prévoit aucune progressivité des soutiens à l’assurance récolte en fonction de la structure et des revenus de ces dernières. Il ne traduit pas non plus la moindre volonté d’aborder ces questions. Pourtant, au vu du fiasco que représentent les contrats actuels d’assurance récolte, nous savons bien qu’il s’agit du problème de fond. Excellent ! Nos amendements destinés à apporter plus de justice aux exploitations en difficulté viennent d’ailleurs, une fois encore, d’être déclarés irrecevables.
Enfin, nous ne sommes pas dupes du poids grandissant dont disposeront les assureurs dans la définition des contrats et des modalités d’indemnisation. Avec 70 % d’aides publiques à la souscription des contrats et une surreprésentation au sein du nouveau CODAR, vous assurez avant tout les assureurs. C’est bien dit ! En effet ! Ce glissement vers une gestion privée n’est pas nouveau. Vous l’assumez en favorisant l’extension de l’assurance récolte, organisée autour d’un système de seuils intermédiaires volontairement flou, mais que les compagnies d’assurance pourront juger profitable en raison des très forts soutiens publics européens et nationaux qu’il recevra. Vous le savez, la quête permanente du soutien de l’État pour assurer la rentabilité artificielle de produits assurantiels privés nous paraît très discutable. Elle l’est d’autant plus lorsque l’on apprend que les sociétés d’assurance qui seront chargées de définir le contenu des contrats et des niveaux de couverture des pertes au sein du CODAR viennent d’annoncer aux agriculteurs qu’elles augmenteront leurs tarifs de 10 à 25 % dès 2022 ! Curieuse coïncidence.
Enfin, monsieur le ministre, vous avez confirmé en commission le transfert à des interlocuteurs privés de la gestion des deux étages d’indemnisation et de l’évaluation des pertes. Cette délégation de service public, effectuée après appel d’offres, dépossédera de fait les services déconcentrés de l’État de leur mission actuelle. Vous confiez en réalité toute la gestion du système aux assureurs, qui deviendront juge et partie.
Aussi, malgré la présentation séduisante de votre réforme, nous demeurons très circonspects quant à son impact réel sur le niveau de couverture des risques climatiques de nos agriculteurs, et dubitatifs quant aux conditions de la mise en œuvre de cette nouvelle usine à gaz. Nous sommes également inquiets quant à la place et au rôle confiés aux assureurs privés. Si aucune modification substantielle des articles du projet de loi ne vient lever ces craintes au cours de nos débats, nous ne voterons pas le texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI. – M. Dominique Potier et Mme Émilie Cariou applaudissent également.) La parole est à M. Hervé Pellois. Je voudrais avant toute chose remercier Jean-Baptiste Moreau de me permettre de prendre la parole pour notre groupe aujourd’hui – pas seulement parce que cette intervention sera ma dernière depuis la tribune, mais aussi parce qu’en tant que rapporteur du budget agricole au sein de la commission des finances, j’ai eu l’occasion de m’intéresser à l’efficacité des mécanismes de prévention des aléas et des fonds de gestion de crise dans le secteur agricole en 2020, à l’occasion du Printemps de l’évaluation.
Projet de loi de finances après projet de loi de finances, je mesurais l’importance croissante de cette question au niveau budgétaire. La quinzaine d’auditions auxquelles j’ai procédé m’a permis de dresser les mêmes constats que les vôtres, monsieur le ministre. Tous mes interlocuteurs s’accordaient en effet pour dénoncer l’inefficacité du système et l’absence de cohérence entre les règles applicables en matière d’assurance et celles relatives aux calamités agricoles, qu’il s’agisse de l’estimation des pertes ou des modalités d’indemnisation. On ne sentait pas chez eux, néanmoins, de vent d’optimisme quant à la possibilité d’une réforme rapide.
C’était toutefois sans compter sur votre détermination, monsieur le ministre, que j’avais déjà notée lors de notre rencontre en septembre 2020. Vous avez su convaincre tous les niveaux de l’État et mettre en œuvre une organisation efficace pour relever ce défi. En confiant à notre collègue Frédéric Descrozaille, il y a un an, un rapport d’étape et le soin de proposer des solutions pour sortir de l’impasse, vous avez fait un très bon choix. Le texte que le Gouvernement nous propose aujourd’hui pour parachever cette réflexion était particulièrement attendu par la profession.
Nous le savons, le changement climatique multiplie les phénomènes météorologiques extrêmes, détériore les rendements et met en danger notre agriculture. Le nouveau système imaginé se veut plus juste, plus accessible et plus efficace, autour d’une structure à trois étages partagée entre agriculteurs, assureurs et État. Il traduit une volonté de protéger notre agriculture contre cette menace. Le texte se veut ambitieux, en créant un régime universel d’indemnisation du risque climatique : tous les agriculteurs, quel que soit leur type de culture, qu’ils soient assurés ou non, bénéficieront de l’intervention de l’État en cas d’aléas exceptionnels.
J’avais eu l’occasion de relever l’efficacité insuffisante de la procédure du Fonds national de gestion des risques, s’agissant des délais d’instruction et de versement ou des différences méthodologiques entre les intervenants. J’espère que le présent texte nous donnera l’occasion de revenir sur certaines lourdeurs du système et, ainsi, d’assurer une indemnisation plus rapide et plus juste aux agriculteurs grâce aux progrès des techniques satellitaires.
Le constat général, concernant l’assurance multirisque climatique agricole, est celui de sa trop faible couverture – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. Le régime proposé s’appuie sur une répartition du risque entre tous les acteurs et subventionne davantage l’assurance multirisque. L’intervention de l’État, qui passera de 300 à 600 millions d’euros par an, devrait contribuer à enrayer l’augmentation des tarifs et ainsi encourager les exploitants à entrer dans le système assurantiel.
Enfin, le présent texte responsabilise les agriculteurs face au défi climatique. Cette impulsion n’est pas nouvelle et s’inscrit dans la continuité de ce que nous nous efforçons de faire depuis quelques années : la mise en place de la dotation pour épargne de précaution en 2019, les aides à la modernisation des exploitations mais aussi les aides à l’investissement dans le matériel pour faire face aux principaux aléas climatiques, financées dans le cadre du plan de relance.
Quelques dispositions restent à préciser par la voie réglementaire. Nous ne doutons pas que l’augmentation ou la diminution des seuils voulue par le Gouvernement sera l’occasion d’aller aussi loin que la réglementation européenne le permet. Comme l’a rappelé notre Président, « il n’y a pas de grand pays sans agriculture forte ». Notre majorité, réforme après réforme, tend à préserver cette grandeur. J’en profite pour rappeler l’aide de 1 milliard d’euros accordée aux agriculteurs pour compenser les pertes occasionnées par un épisode de gel inouï en avril dernier. Notre majorité continuera à répondre présente lors d’événements climatiques d’une telle ampleur.
Le présent projet de loi est également un outil supplémentaire pour garantir le revenu des agriculteurs. Cet objectif a été fixé dès le début du quinquennat, avec l’organisation des états généraux de l’alimentation, et il reste d’actualité. S’il ne fallait en citer que quelques-unes, les lois EGALIM 1 et 2, la mise en place de la déduction pour épargne de précaution et la revalorisation des retraites agricoles sont autant d’avancées pour la profession. Le chemin reste long mais la volonté ne tarit pas. Nous poursuivons nos efforts et le groupe LaREM votera évidemment ce texte ambitieux. Le débat budgétaire, en fin d’année, permettra de le concrétiser. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. Julien Dive. Non, le dérèglement climatique n’est pas une vue de l’esprit de la doxa populaire. Très bien ! Je crois en la science, qui doit être placée au cœur de nos débats et sur laquelle se fondent nos décisions. Or on ne peut pas y croire seulement quand cela nous arrange. Alors quand les scientifiques nous expliquent, rapport après rapport, année après année, que le climat change, qui peut ne pas le croire ? Quelqu’un de chez vous ! C’est d’autant plus vrai lorsque l’on a les pieds dans la terre, dans nos vallées, nos coteaux, nos vergers, nos prairies…
L’épisode de gel massif d’avril 2021 n’a épargné quasiment aucune région française ; il a provoqué des pertes de 100 % en arboriculture et dans la culture des petits fruits, ainsi que des pertes importantes en viticulture et même en grandes cultures, obligeant certains betteraviers à semer à nouveau. Citons aussi les épisodes généralisés de sécheresse en 2020 et en 2016, ainsi que les épisodes de grêle, les tempêtes répétitives ou encore les incendies : la recrudescence des événements climatiques défavorables ces dernières années place de plus en plus d’acteurs du monde agricole au bord de la rupture.
Ce phénomène dépasse la dimension purement financière des pertes subies ou l’enjeu de la souveraineté alimentaire de la France – pourtant déjà fortement mise à mal en raison du déséquilibre normatif dont nous souffrons par rapport à nos concurrents étrangers. En effet, la pression psychologique et les dommages moraux occasionnés par ces aléas climatiques nourrissent le malaise de nombreux exploitants, entraînant parfois des conséquences dramatiques. Si nos agriculteurs ont des difficultés, les compagnies d’assurance en ont également, d’ordre économique. Elles redoutent en effet la multiplication de ces épisodes climatiques qui les conduisent à dépenser plus qu’elles ne collectent – ce qui démontre que le système est à bout de souffle.
Il fallait donc répondre à une demande exprimée par les filières depuis plus de vingt ans. La question de la réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture avait été amorcée avec le Varenne de l’eau, dont les travaux – menés avec rigueur, je dois le dire, monsieur le rapporteur – ont débouché sur le projet de loi que nous examinons aujourd’hui.
Spontanément, on s’interroge et l’on est surpris, de façon légitime, par le calendrier choisi : nous sommes en effet à quatre-vingt-dix jours de l’élection présidentielle. Mais l’urgence est bien là et il faudra y répondre, tôt ou tard.
Au passage, je déplore la difficulté pour le législateur d’amender un texte de cette nature : l’article 40 restreignant fortement la possibilité de proposer des modifications, la plupart de nos amendements ne peuvent quasiment porter que sur la forme.
C’est un projet de loi nécessaire, urgent, dont j’approuve les grands principes – la solidarité nationale, la liberté pour les agriculteurs de s’assurer ou de ne pas s’assurer, la complémentarité indispensable entre les assurances et l’État –, mais qui suscite aussi plusieurs interrogations.
Interrogation tout d’abord sur l’application du texte, qui doit s’étaler jusqu’à 2023 : cela signifie qu’elle dépendra de textes réglementaires d’application qui interviendront après les élections présidentielle et législatives. Interrogation manifestée par les assureurs : à l’article 7, vous envisagez de mettre en place un pool d’assureurs de manière à simplifier et harmoniser le recours à l’assurance privée et l’accès au nouveau dispositif d’indemnisation publique. Ce pool pourrait jouer un rôle de tiers de confiance mais pour être efficace, il doit absolument mutualiser les risques. Si vous voulez que chacun y adhère, l’obligation ne doit pas uniquement consister en un partage de données. Il est impératif d’éviter un tri par les compagnies d’assurance entre les « bons » et les « mauvais » risques.
Enfin, cette belle architecture sera sans effet si les financements ne suivent pas. Or vous avez écarté la possibilité de flécher des crédits dès le projet de loi de finances pour 2022. Tout reposera donc sur les discussions budgétaires post-élections législatives afin que l’enveloppe dédiée couvre les besoins nécessaires pour garantir la bonne marche de ces outils de gestion des risques. Le succès de la réforme tient au taux d’adhésion des agriculteurs, viticulteurs, arboriculteurs, apiculteurs, éleveurs. Il est donc indispensable d’associer toutes les filières, chacune avec sa particularité. C’est l’objet d’amendements relatifs à la composition du CODAR que mon groupe défendra à l’article 5.
Le groupe Les Républicains soutiendra la démarche portée par ce projet de loi et votera en sa faveur. Il vous faudra néanmoins lever nos doutes en matière d’application, de garantie de financement et de compatibilité avec le droit de la concurrence. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. le rapporteur applaudit également.) La parole est à M. Dominique Potier. Dans l’histoire agricole, il y a un lien indéfectible, notamment à partir du XIXe siècle, entre les mouvements mutualistes, solidaires, coopératifs et la prospérité de l’agriculture. On peut dire que la solidarité est devenue une sorte d’assurance vie pour notre agriculture.
Mais les temps changent et de nouveaux risques apparaissent, auxquels nous devons faire face. Je fais partie de ceux qui disent aujourd’hui avec clarté que le statu quo n’est pas acceptable. La situation nous impose, monsieur le ministre, une certaine humilité, puisque nous n’avons pas réformé le régime d’assurance des calamités agricoles alors que le sujet ne date pas d’hier : depuis dix ans au moins il est l’objet de discussions au sein du monde agricole, des syndicats, des cercles sociaux-démocrates auquel nous appartenons. Pourtant, nous n’avons pas pris le taureau par les cornes ni mené à bien cette réforme indispensable.
Je le répète, le statu quo n’est pas possible : il y a des productions orphelines ; les risques augmentent de façon patente ; moins de 20 % des 28 millions d’hectares de surface agricole utile (SAU) française relèvent des assurances multirisques climat ; le régime actuel de calamités et de catastrophe naturelle est inopérant et fait l’objet tant de pressions et de négociations politiques que d’objectivation scientifique. Nous abordons donc avec bienveillance, curiosité et disponibilité la réforme qui nous est proposée.
Les principes que vous posez sont a priori sympathiques, et pas seulement parce que le rapporteur s’y est beaucoup investi et n’a pas été pas avare de dialogue et de pédagogie, épris qu’il est, lui aussi, d’une forme d’éthique de l’économie sociale de marché : un accord public-privé, une dimension universelle, une cogestion au sein du CODAR, tout cela nous parle et nous séduit au premier abord. Mais si aujourd’hui nous sommes plutôt, entre dubitatifs et circonspects, dans une logique qui nous rend disponibles pour un vote favorable, négatif ou une abstention, c’est pour deux raisons très simples.
Premièrement, nous aurions pu imaginer une solution alternative – cela dit sans arrogance puisque nous ne l’avons pas proposée plus tôt –, valide sur le plan conceptuel et pratique, pourvu qu’on y mette des moyens publics, ce qui n’est pas tellement la tradition : l’alliance de l’aide publique telle qu’elle existe aujourd’hui sous la forme de subventions et de prise en charge en cas de catastrophe avec un système de contribution universelle du monde agricole – comparable aux contributions volontaires obligatoires, les CVO. Nous aurions ainsi un système mutualiste organisé par l’État, le CVO étant un hybride de la politique publique et de la dynamique privée, de l’appareil d’État et de la profession. Une telle solution aurait permis de ne pas passer par les assurances privées. Voilà pour l’idéal.
Deuxièmement, il aurait fallu nous donner des garanties. Nous ne sommes pas dupes : la hausse récente est une sorte d’anticipation d’une machine qui pourrait s’emballer, d’un pouvoir qui pourrait devenir exorbitant. Tant que des seuils conformes à la justice, à l’éthique ne sont pas fixés par avance, plutôt que renvoyés à des ordonnances ou à des décisions ultérieures, nous pourrons craindre une mainmise de l’assurance privée, dont les contrats conditionnent désormais quasiment toute l’aide publique au monde agricole.
Dans cette perspective, nous serons attentifs à ouvrir au moins le débat. Le rapporteur s’est engagé à ce qu’il y ait une discussion de fond sur la possibilité d’une offre alternative. Nous veillerons au minimum à ce que les conditions posées aux aides publiques puissent être adossées à autre chose qu’à l’assurance privée et que l’assurance privée soit au moins soumise à des exigences éthiques. Nous qui avons été habitués ces dernières années à distribuer, du fait de la pandémie, de l’argent public massivement et sans condition, nous sommes en train de poser les principes d’un nouveau système qui pourrait être fondé sur une éthique de partage de la valeur, afin que l’argent public et celui des agriculteurs n’alimentent pas une cash machine des assurances privées qui échapperait à toute raison et à la solidarité que nous entendons défendre ici. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR. – Mme Émilie Cariou applaudit également.) La parole est à M. Nicolas Turquois. L’agriculture se caractérise par des cycles de production généralement longs, qui l’exposent tout particulièrement aux aléas climatiques. Au fond, le risque climatique est consubstantiel à l’agriculture. Il est d’ailleurs depuis longtemps intégré dans le raisonnement de nos agriculteurs. Les cultures peuvent être variées pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ; les dates de semis sont étalées, ni trop précoces, pour éviter les gelées hivernales, ni trop tardives, pour ne pas subir les sécheresses estivales. Même s’il ne s’agit pas d’en faire une liste exhaustive, les pratiques sont nombreuses pour limiter, voire éviter les conséquences des risques climatiques en agriculture.
Cependant, ces stratégies d’évitement ne fonctionnent que pour parer des risques limités, clairement identifiés, d’une fréquence faible à moyenne. Une sécheresse tous les cinq ans en période estivale est supportable par un système d’exploitation adapté et diversifié ; deux sécheresses drastiques en quatre ans peuvent condamner une exploitation. Or les événements climatiques d’ampleur se multiplient, à l’instar du gel de 2021 qui a si durement touché les vignes et les vergers notamment. L’agriculture n’est pas en mesure de s’adapter à des phénomènes climatiques à la fois plus violents et plus fréquents.
Certes, des dispositifs de type assurantiel existent pour faire face à ces aléas : le régime des calamités agricoles d’abord, créé en 1964, qui s’appuie sur la solidarité nationale, et des assurances de droit privé, les assurances multirisques climatiques, dont environ deux tiers du coût est pris en charge par des financements européens, le reste étant à la charge de l’agriculteur.
Mais le constat est clair : ces dispositifs ne sont plus adaptés. Moins de 30 % des agriculteurs souscrivent à la multirisque climatique, en raison de son coût mais également à cause des franchises intervenant lors des règlements. Quant au régime des calamités, il est particulièrement complexe, entraîne des délais d’indemnisation très longs et est souvent injuste, puisqu’il conduit à mieux indemniser ceux qui ne sont pas assurés que ceux qui le sont, les deux mécanismes n’étant pas articulés l’un avec l’autre.
Dans ce contexte, la réforme que vous proposez, monsieur le ministre, va dans le bon sens. Elle part de deux constats simples. Premièrement, l’agriculture française n’est pas en mesure d’assurer seule des risques qui la dépassent du fait du changement climatique. Deuxièmement, l’architecture entre les deux dispositifs n’est plus fonctionnelle, d’où un système complexe, incohérent, voire contre-productif.
À ces deux constats, la réponse apportée est claire, ce dont nous vous savons gré : un effort financier sans précédent avec le doublement du budget consacré à l’assurance récolte, qui passe de 300 à 600 millions d’euros ; la mise en place d’un système de protection unifié, applicable à l’ensemble des productions et qui se structure autour de trois niveaux de risque sur lequel je veux revenir.
Le premier niveau, c’est l’équivalent de la franchise qui reste à payer quand on a été victime d’un sinistre. C’est tout simplement le risque de l’agriculteur. Cette notion est importante. Il y a des productions qui ne sont pas ou ne sont plus possibles dans certains contextes agro-climatiques. Vouloir les prendre en charge reviendrait à enlever toute responsabilité au producteur.
Le deuxième niveau est celui, facultatif, de l’assurance privée qui a la charge des risques moyens par leur fréquence et leur intensité. Au-delà d’un certain seuil, les dégâts de tous, assurés ou non, sont pris en charge par les pouvoirs publics : c’est le troisième niveau. C’est aussi une façon de réduire le coût d’accès à l’assurance privée, qui se voit déchargée de la couverture des risques exceptionnels.
Si le texte est clair et cohérent, il reste des points importants sur lesquels je veux attirer votre attention. L’application du système doit être rapide, concomitante de la réforme de la politique agricole commune (PAC) en 2023. Le pool d’assureurs doit être organisé de telle sorte qu’il puisse proposer des assurances accessibles au plus grand nombre d’agriculteurs, quelles que soient les productions et les territoires – il ne s’agit pas de ne laisser aux assureurs que les bons risques. Il convient aussi de travailler à une définition du potentiel de rendement assurable : la moyenne olympique actuellement utilisée est objective, mais présente aussi des inconvénients majeurs. Il faut enfin sensibiliser davantage nos agriculteurs à l’intérêt de s’assurer. L’assurance récolte ne doit pas être considérée comme un investissement financier mais comme une ceinture de sécurité susceptible de sauver la vie d’une exploitation. Ce travail de sensibilisation doit être le fait à la fois des pouvoirs publics et des organisations professionnelles agricoles.
Nous serons vigilants sur ces points mais, vous l’aurez compris, le groupe Démocrate est extrêmement favorable à ce texte. Il s’inscrit pleinement dans la réflexion d’ensemble que vous menez en faveur de l’agriculture française, qui passe notamment par le travail sur le prix payé aux agriculteurs ou l’accès à l’eau. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe LaREM.) La parole est à Mme Émilie Cariou. Au printemps dernier, un épisode de gel est venu frapper nos vignes et plusieurs de nos cultures. Conséquence directe : l’État a dû débloquer 1 milliard d’euros afin de soutenir le monde agricole. Ce triste épisode a mis en exergue l’impact du dérèglement climatique sur nos territoires et notre agriculture et nous a conduits à nous interroger sur les moyens de gérer ces risques que nous ne maîtrisons pas.
Ce projet de loi est la réponse apportée par le Gouvernement à la suite des différents épisodes climatiques vécus en France ces dernières années.
Le coût des sinistres a doublé par rapport aux années 2010-2015 et l’essoufflement du système actuel d’indemnisation des pertes de récolte résultant d’aléas climatiques est un constat partagé par tous et toutes : mécanismes trop complexes, peu lisibles, exploitants non assurés et donc dénués de solution s’ils ne sont pas éligibles au régime des calamités agricoles. Nos agriculteurs souffrent de plus en plus du dérèglement climatique. Nous ne pouvons plus laisser des pans entiers de notre agriculture subir ces aléas majeurs, appelés à devenir de plus en plus réguliers et violents.
C’est pourquoi nous voulons saluer la volonté du Gouvernement de réviser une gestion des aléas climatiques jugée quasiment obsolète par la majorité des acteurs concernés. Il est vital que les inquiétudes légitimes de nos exploitants et futurs exploitants agricoles soient entendues. Elles peuvent en effet se traduire par un certain découragement des exploitants : on voit aujourd’hui, à l’occasion de la crise du prix du beurre, combien l’abandon des exploitations laitières, activité contraignante et mal rémunérée, peut mettre notre souveraineté alimentaire en péril.
C’est pourquoi l’objectif de généralisation du recours aux assurances est une bonne chose, sous réserve qu’il soit strictement encadré par la loi. Si nous comprenons la nécessité de recourir aux ordonnances sur certains aspects du texte – notamment la fixation des seuils de déclenchement – nous ne saurions donner un blanc-seing au Gouvernement pour mener à bien cette réforme qui, je le rappelle, est nécessaire et attendue.
La place centrale donnée aux assureurs privés dans le projet de loi ne doit pas conduire à leur garantir un soutien de l’État au détriment des agriculteurs. Nous entendons les arguments du secteur de l’assurance qui s’inquiète de la viabilité économique de cette activité. Toutefois, dans notre volonté de réformer la gestion des risques, nous ne pouvons leur laisser les pleins pouvoirs.
Nous regrettons également que cette réforme tant attendue comporte encore plusieurs inconnues : il est notamment dommage que le texte actuel prévoit d’habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour la création du fameux pool d’assureurs permettant de garantir la mutualisation des données et des risques.
Cela fait des mois et des années que nous sommes alertés sur le montant trop élevé des franchises, ainsi que sur le coût des assurances. Nous demandons une mutualisation générale des calamités et la consolidation des financements des outils de prévention, afin de lutter efficacement contre les aléas climatiques.
Même si nous comprenons la volonté du Gouvernement d’inciter les agriculteurs à recourir à une assurance récolte, ce dispositif ne nous semble pas réaliste au vu du coût actuel des assurances, du montant des franchises à payer et des seuils de déclenchement qui sont jugés encore trop élevés par une majorité d’acteurs.
L’efficacité d’une telle réforme passera donc nécessairement par une intervention résolue de l’État, que ce soit par le biais des aides directes ou des négociations avec les assurances, afin de faire émerger des offres assurantielles abordables et sérieuses. Soutenir nos exploitants agricoles permettrait de lutter contre leur paupérisation dans un contexte où les catastrophes naturelles seront de plus en plus récurrentes.
Accompagner le monde de l’agriculture et ses acteurs face au dérèglement climatique représente l’un des défis majeurs de notre siècle. L’agriculture n’est pas un secteur d’activité comme les autres et nous devinons que le calendrier retenu pour la présentation du projet de loi n’est pas anodin. Toutefois, alors que les incidents climatiques deviennent de plus en plus fréquents, il est urgent que le Gouvernement écoute les propositions de tous les groupes afin d’apaiser les inquiétudes légitimes des exploitants agricoles. Ces derniers attendent de l’exécutif qu’il soit à la hauteur de la tâche.
Compte tenu des incertitudes relatives à l’application de ce nouveau système assurantiel, je ne m’opposerai pas à ce texte, mais je ne pourrai pas non plus voter en sa faveur. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR.) La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre. Je constate, pour commencer, que tout le monde s’accorde à la fois sur le défi à relever et sur l’impérieuse nécessité de sortir du statu quo . Il est toujours plus simple, pour trouver une solution à un problème, de partager le même constat.
Ensuite, différentes positions ont été exprimées dans cet hémicycle. Plusieurs d’entre vous, je pense aux députés Antoine Herth, Thierry Benoit, Hervé Pellois et Nicolas Turquois, ont salué le travail du rapporteur et la pertinence du dispositif présenté dans le projet de loi : je les en remercie car ce texte est l’aboutissement d’un très long travail de concertation et de nombreuses discussions.
D’autres, tels que Julien Dive, Sylvia Pinel et Émilie Cariou reconnaissent la pertinence du dispositif mais s’interrogent sur son calendrier et ses modalités d’application. Mais on ne peut nous faire un procès d’opportunisme… Cela ne nous a même pas effleurés ! …dans la mesure où nous avons annoncé cette réforme il y a déjà un an et demi.
Certains considèrent à juste titre que l’intention de faire de cette réforme le socle d’une politique publique fondée sur la solidarité nationale devra être confirmée dans le projet de loi de finances et que sa concrétisation dépendra de la détermination du ministre qui sera à ma place dans quelques mois.
Je vous le dis très humblement : votre plus grande assurance, mesdames et messieurs les députés, est de soutenir très clairement celles et ceux qui proposent cette réforme. On la reprendra ! (Sourires.) Cela vous évitera, monsieur Dive, tout discours à cette tribune au sujet des climatosceptiques. (Sourires.) Soutenez le texte, faites-en une œuvre collective au service des agriculteurs !
M. Potier, quant à lui, défend un autre modèle – que nous avons également étudié –, fondé sur la CVO. L’idée est que les agriculteurs n’assument pas seuls les risques, mais soient soutenus en cela par l’ensemble des acteurs de la filière. Ce faisant, vous exprimez la même intention que nous : celle de ne pas laisser les agriculteurs seuls. Cependant, alors que nous nous fondons sur la solidarité nationale, vous défendez une autre forme de solidarité.
La contribution volontaire obligatoire est une invention assez incroyable… Néanmoins, elle ne relève pas de l’État mais résulte d’accords interprofessionnels : les professionnels concernés sollicitent l’État pour qu’il étende la CVO à tous les acteurs de la filière. Autrement dit, il faudrait que dans chaque filière intervenant en aval dans la chaîne des productions agricoles, plus de 70 % des acteurs se mettent d’accord pour demander au Gouvernement d’étendre à tous ce dispositif de contribution. Dans la mesure où il existe plus de quarante-deux filières, autant dire que cela n’arrivera jamais. La seule solution serait alors d’instituer une taxe plutôt qu’une CVO. Or il ne vous aura pas échappé que la majorité à laquelle j’appartiens est très attachée à ne pas instaurer de nouvelles taxes ou de nouveaux impôts (M. Antoine Herth applaudit.) C’est dommage ! Une dernière partie d’entre vous s’est déclarée opposée au projet de loi. Je distinguerai tout d’abord l’opposition exprimée par M. le député Dufrègne, qui s’appuie sur une différence idéologique : il souhaite que ce système fondé sur la solidarité nationale relève exclusivement du domaine public – j’en ai parlé avec le président Chassaigne en commission et je respecte cette position. Le mécanisme que nous proposons comporte en effet une part de responsabilité assumée par les assureurs, alors que vous préféreriez que le dispositif ne relève que de la solidarité nationale. Je pense pour ma part qu’il faut conserver une part de responsabilité prise en charge par les assurances. Même si j’aime bien échanger des points de vue idéologiques avec le groupe communiste, nous ne pourrons pas nous rejoindre sur cette approche. Je n’ai pas prononcé le mot ! Je vous l’accorde, monsieur le député.
Enfin, l’opposition de Jean-Hugues Ratenon se fonde sur de fausses affirmations : par exemple, lorsqu’il dit que la réforme soumettrait certaines aides à la souscription par les agriculteurs d’un contrat d’assurance. Cela n’est écrit nulle part dans le texte et c’est strictement faux. Ensuite, et c’est étrange, il a ajouté que les assureurs avaient organisé un système dans lequel deux d’entre eux se partageaient le gâteau – en réalité, ils sont un peu plus nombreux, mais peu importe. C’est presque du darwinisme économique : croyez-vous que le secteur de l’assurance multirisque climatique n’attirerait que deux acteurs principaux s’il était si lucratif et rentable ? Non, à l’évidence. C’est bien pour cela que le système ne peut pas fonctionner ! Pour quelles raisons les assureurs se désengagent-ils progressivement de l’assurance multirisque climatique ? Pas pour laisser deux d’entre eux se partager seuls un gâteau particulièrement riche ! Vous défendez une vision incohérente du système économique qu’en tout état de cause, après cinq ans de débats avec vous, je ne comprends pas et ne comprendrai jamais. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Je vous expliquerai !
Le triangle magique climat, sol, plantes n’est productif que grâce à l’intervention humaine, celle des agricultrices et des agriculteurs, celle de nos agronomes qui, terroir par terroir, production par production, année après année, contribuent à faire de la table française l’une des plus généreuses et des plus diversifiées du monde.
Et si le miracle gastronomique français avait une fin ? C’est bien la question que nous devons nous poser devant les prévisions relatives aux impacts du changement climatique sur notre agriculture.
De tout temps, les agriculteurs se sont regroupés et ont cherché à mutualiser les outils qui leur permettent de faire face aux aléas. Ainsi furent-ils les premiers à mettre en œuvre les assurances contre les effets de la grêle. Le rapporteur, dans son excellent rapport, a rappelé qu’en 2006, la loi d’orientation agricole a complété le système des calamités par une nouvelle assurance multirisque climatique. Nous disposons d’un recul d’une quinzaine d’années et nous connaissons désormais les potentialités de ces contrats dont le taux de pénétration n’est que de 18 %, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. Nous pouvons considérer qu’ils sont des prototypes à partir desquels nous devons bâtir une nouvelle génération de modalités de couverture assurantielle. Les évolutions de la réglementation européenne nous donnent d’ailleurs davantage de latitude pour intervenir dans ce système.
Il faut donc une réforme systémique pour être à la hauteur des enjeux. Et je voudrais vous féliciter, monsieur le ministre, de vous être emparé de ce sujet à bras-le-corps. Cela n’avait rien d’évident car il n’est pas toujours facile de s’engager dans des combats supposant des arbitrages budgétaires qui ne sont pas gagnés à l’avance. Je saluerai bien évidemment le rapporteur dont le rapport précédent, élaboré dans le cadre du groupe de travail « gestion des risques et développement de l’assurance récolte », rapport extrêmement technique mais pédagogique, a éclairé nos travaux sur le présent projet de loi.
Il importe de conserver l’équilibre sur lequel repose le texte relativement succinct sur lequel nous nous penchons : à la loi de fixer le cadre et au règlement de déterminer les modalités d’application. C’est d’autant plus important qu’il nous faut évidemment remobiliser les assureurs, dont certains ont quitté le secteur de l’assurance multirisque climatique, et mobiliser les filières – je ne sais encore comment – pour mettre en œuvre le dispositif prévu. La réglementation doit pouvoir évoluer et intégrer l’ensemble des parties prenantes dans le tour de table. Dans cette perspective, il appartient au Parlement de s’impliquer pleinement en assurant un suivi annuel de l’évolution du dispositif et en étant au rendez-vous chaque année au moment de l’examen du projet de loi de finances pour voter les crédits nécessaires à sa bonne application.
La lecture de Histoire de l’homme, vingt-deux ans d’amphi au Collège de France, d’Yves Coppens renvoie à une évidence : l’homme est apparu en tant qu’espèce à cause d’un changement climatique intervenu dans le Rift est-africain et a pu évoluer grâce à sa capacité à s’adapter aux aléas. C’est tout l’enjeu de ce texte que de nous permettre à nous, hommes et femmes du XXIe siècle, de nous adapter aux changements climatiques qui sont devant nous.
Aussi, monsieur le ministre, le groupe Agir ensemble soutient avec détermination une réforme structurelle grâce à laquelle notre agriculture pourra continuer d’assurer sa belle mission, avec la certitude – c’est important – d’avoir derrière elle, en cas d’accident climatique, la nation tout entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe Agir ens et sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.) La parole est à M. Thierry Benoit. Au nom du groupe UDI et indépendants, André Villiers et moi-même accompagnerons et soutiendrons votre texte, monsieur le ministre. Dans l’histoire contemporaine de l’agriculture française, les professionnels, jusqu’à ce jour, disposaient de leur propre régime assurantiel classique et bénéficiaient parfois du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles ou du régime des calamités agricoles. Ce projet de loi traduit la volonté politique de prendre en considération une spécificité de notre temps, sur laquelle notre collègue Descrozaille a bien travaillé, ce que nous saluons : les aléas, particulièrement climatiques.
Ainsi que vient de le rappeler Antoine Herth, les agriculteurs travaillent le vivant, le sol, les règnes végétal et animal ; appartenant au secteur primaire, ils sont soumis à la multitude de ces aléas. Ceux-ci peuvent être politiques, par exemple, il y a quelques années, l’embargo russe touchant la filière porcine ; sanitaires, comme les pandémies – nous en savons quelque chose ; climatiques, comme la sécheresse, les orages, le gel, et j’en passe. Le texte soumis à notre examen est donc naturellement bienvenu… Peut-être ! …et je ne vois pas qui, même dans la partie gauche de l’hémicycle, pourrait s’y opposer.
L’article 1er établit un principe général de solidarité nationale vis-à-vis des agriculteurs mis en difficulté par les aléas climatiques. Si l’application ou l’articulation de ce principe peuvent être débattues, vous avez bien exprimé hier, monsieur le ministre, son caractère nécessaire et novateur.
L’article 2 dispose que le cumul de l’aide nationale et de la contribution de l’Union européenne ne peut excéder 70 % de la prime ou de la cotisation d’assurance ainsi partiellement prise en charge. Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé dans votre propos liminaire : des fonds européens, des outils comme le règlement « omnibus » concourent à l’accompagnement des agriculteurs ou des agricultures en difficulté. Par ailleurs, dans un contexte de marché, puisqu’au sein de l’Union la concurrence demeure libre et non faussée, les agriculteurs sont d’une certaine manière fragilisés : il importe d’assurer leur sécurité. Vous avez rappelé hier à juste titre que la mère des batailles était le travail collectif relatif aux négociations commerciales, impliquant tous les groupes parlementaires et mené par le Gouvernement, afin de leur assurer un meilleur revenu ; il est bon que nous venions également en appui concernant la question des assurances.
Bien entendu, ce texte ne sera pas la panacée. Reste qu’en mettant les différents acteurs face à leurs responsabilités, il manifeste concrètement, je le répète, la volonté politique que la solidarité nationale intervienne aux côtés des assureurs en vue de soutenir l’agriculture française. Encore une fois, monsieur le ministre, André Villiers, ici présent, et moi-même soutiendrons donc le texte que vous nous proposez. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-I, LaREM et Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe LR.) La parole est à Mme Sylvia Pinel. Permettez-moi, au début de cette intervention, d’avoir une pensée pour les victimes des inondations qui touchent en ce moment mon département et ma région.
En Occitanie, le souvenir du gel tardif de mai 2021 est encore vif dans de nombreux esprits : quelques heures avaient suffi à dévaster des centaines de milliers d’hectares de terres agricoles. Les exploitants savent que ce drame, loin d’être exceptionnel, risque de devenir de moins en moins rare. Face aux conséquences du dérèglement climatique, ils tentent de protéger leurs champs autant que possible ; les arboriculteurs, les viticulteurs posent des filets antigrêle afin de limiter leurs pertes. Bien souvent, ces mesures préventives ne suffisent pas à sauver les cultures. Lorsque les dégâts sont trop importants, les conséquences économiques trop graves, les exploitants n’ont d’autre recours que le système d’indemnisation des pertes de récoltes résultant d’aléas climatiques ; mais ce régime, à bout de souffle, peine à remplir ses fonctions.
Seules 18 % des surfaces agricoles sont couvertes par une assurance multirisque climatique, ce qui pose un problème d’autant plus important que le régime des calamités agricoles exclut par exemple la viticulture, laissant sans réponse, en cas d’événement climatique majeur, des pans entiers de l’agriculture française. En outre, les compagnies d’assurance sont confrontées à des déficits structurels qui remettent en cause leur capacité à faire face aux aléas à venir : ces dix dernières années, le ratio annuel de sinistres sur primes s’est élevé en moyenne à 105 %.
Dans ce contexte, une réforme du système assurantiel s’imposait. Je regrette toutefois le calendrier retenu en raison de la proximité des élections, d’autant plus que les nombreux renvois à des ordonnances ou à des décrets – à échéance parfois lointaine – que prévoit le texte laissent en fait au futur gouvernement une bonne partie du soin de son application : en l’état actuel des choses, il est difficile de savoir quels seront alors les arbitrages. Cela dit, je souscris aux grandes orientations du nouveau dispositif. Solidarité, simplicité, accessibilité doivent se trouver au cœur de la réforme en vue d’assurer une large couverture contre les risques climatiques, ce qui était d’ailleurs l’objectif de la proposition de loi que j’avais déposée en 2008 et qui visait à rendre obligatoire l’assurance récolte.
La voie que vous avez choisie est différente : vous souhaitez avant tout encourager les agriculteurs à s’assurer en augmentant le soutien public aux primes d’assurance. J’y suis néanmoins favorable. Nous avons en revanche quelques divergences concernant les modalités de subvention aux cotisations : je défends par exemple leur prise en charge à 70 %, et non dans la limite de 70 %, par le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNRGA), ainsi qu’une franchise de 20 %, voire de 10 %, pour les cultures qui comportent le plus de risques. De même, l’article 2 devrait s’appliquer aussi bien aux contrats « à la culture » qu’aux contrats « à l’exploitation ». Monsieur le ministre, vous avez tenu à nous rassurer sur ce point en commission des affaires économiques ; les inquiétudes persistent cependant, et une clarification du texte serait bienvenue.
De plus, un débat doit avoir lieu au sujet de la prise en compte de la moyenne olympique comme base de calcul pour l’indemnisation des pertes de récoltes. La fréquence croissante des aléas climatiques tire en effet les rendements moyens vers le bas, ce qui risque d’affecter l’attractivité des produits assurantiels. Le texte renvoie d’ailleurs massivement à des décrets pour déterminer les seuils au-delà desquels les agriculteurs verront leurs pertes couvertes par les différents dispositifs. Nous comprenons ce besoin de flexibilité, car l’évolution de la sinistralité pourrait imposer une révision rapide desdits seuils ; il faudra cependant veiller à ce qu’ils soient fixés en concertation avec les parties prenantes.
Un mot, enfin, de la gouvernance du dispositif, plus précisément du pool d’entreprises d’assurance : je regrette que la forme juridique et les modalités de fonctionnement de celui-ci, essentiel à la bonne marche de l’ensemble, ne soient pas arrêtées à ce stade. Je m’inquiète en outre, à l’instar de l’Autorité de la concurrence, de ce qu’une mutualisation mal encadrée des données et des risques au sein d’un organisme unique pourrait entraîner un renchérissement du coût de l’assurance pour les agriculteurs.
Espérons que l’examen du projet de loi en séance publique permettra de dissiper nos derniers doutes et d’appliquer rapidement cette réforme. Nos agriculteurs ont besoin d’outils qui couvrent efficacement les conséquences économiques des risques naturels et assurent la résilience de leurs exploitations. Il vous restera ensuite, monsieur le ministre, à vous attaquer aux aléas sanitaires. (M. le rapporteur applaudit.) La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon. Pour bénéficier des indemnités universelles, il faut avoir signé un contrat d’assurance, l’indemnisation des non-assurés ne pouvant être supérieure à 50 % de celle des assurés. Vos dispositifs ne font donc que renforcer l’inégalité entre les paysans assurés et les autres. Pas de contrat privé, c’est moins d’aides publiques : il s’agit de jeter les agriculteurs dans les bras des assureurs. De surcroît, l’augmentation de 300 millions d’euros des dépenses publiques bénéficiera en priorité aux exploitants les plus aisés, aux exploitations les plus rentables.
Parmi les propositions du rapporteur Descrozaille, remises lors du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, figure la baisse d’ici à 2030, tendant à la suppression pure et simple, des indemnisations des non-assurés ; il en résulte que moins de la moitié des surfaces agricoles seront assurées en 2030. Les exploitations les moins rentables ne donnent pas les moyens de se payer une assurance : elles se retrouveront pénalisées par une moindre couverture solidaire. Dans le même temps, vous voulez démanteler le régime des calamités agricoles au profit des assurances privées ; or certains secteurs, par exemple l’apiculture, l’arboriculture, le maraîchage diversifié, ne sont pas, ou difficilement, assurables, car ils n’intéressent pas ces dernières. Par conséquent, le système que vous proposez, loin d’être universel, abandonne des pans entiers de l’agriculture française et subventionne le secteur privé afin de permettre l’émergence d’un marché voué au profit.
Nous savons tous que la gestion des risques intermédiaires est confiée aux entreprises d’assurance : le Gouvernement impose aux agriculteurs ces intermédiaires privés qui ne recherchent que les bénéfices, et comme cela ne suffit pas, les récalcitrants qui ne consentiraient pas à s’assurer sur le marché seront sanctionnés par la privation d’aides publiques en cas d’événement climatique majeur. La solidarité nationale est ici à géométrie variable : au lieu de soutenir directement les paysans, ou de créer, comme le souhaite la Confédération paysanne, un fonds mutuel et solidaire associant tous les acteurs de la filière, le Gouvernement poursuit sa politique de subventions aux acteurs privés. Le système actuel est certes obsolète à l’heure où la fréquence et l’intensité des aléas climatiques augmentent sans cesse ; il faudrait donc réformer progressivement le régime des calamités agricoles, afin de permettre de meilleures indemnisations et des réponses dans les plus brefs délais, et créer le fonds que je viens d’évoquer, lequel assurerait une couverture de base de toutes les exploitations, de toutes les cultures, y compris diversifiées, face au risque climatique quel qu’il soit.
Vous souhaitez également sauver les profits des assurances privées en abaissant le seuil d’éligibilité aux subventions et en augmentant leur taux maximal. Les assureurs indemnisent désormais plus qu’ils ne collectent : le marché de l’assurance multirisque climatique est très peu rentable, le secteur des assurances agricoles extrêmement concentré – dix entreprises seulement, dont les deux plus grandes se partagent à elles seules 70 % du marché – et les coûts voués à devenir de plus en plus élevés en raison du changement climatique. Subventionnés par le Gouvernement pour leur permettre de continuer d’exister, ces assureurs pèseront sur les services publics et menaceront l’égalité de traitement sur laquelle ces derniers sont fondés.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement souhaite décider à lui seul des modalités de gestion et de gouvernance du futur système. De plus, les agriculteurs confrontés à davantage de risques climatiques risquent de se voir proposer des contrats d’assurance aux tarifs exorbitants. Quand il s’agit de contraindre les entreprises et d’établir d’éventuelles sanctions, préfère-t-on passer par ordonnance ? À mon sens, le Parlement devrait avoir son mot à dire.
De même, alors que les départements d’outre-mer sont dans une situation sociale, économique et sanitaire catastrophique et qu’ils sont les premiers affectés par le dérèglement climatique, le Gouvernement évite de débattre avec le Parlement de la gestion des risques climatiques pour les agricultures ultramarines. Les territoires d’outre-mer ne méritent-ils pas un débat parlementaire au même titre que les autres ? Le groupe La France insoumise ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne. Comme nous l’avons indiqué en commission, ce projet de loi suscite l’inquiétude de notre groupe tant du point de vue de son orientation générale que des modalités de sa mise en œuvre. Vous le savez : compte tenu de l’ampleur des menaces climatiques, sanitaires et environnementales qui pèseront sur notre agriculture dans les décennies à venir, les députés communistes réclament un véritable régime public d’assurance et de gestion des risques en agriculture, englobant l’ensemble des risques. Avec mon collègue André Chassaigne, nous avions d’ailleurs déposé en avril 2020 une proposition de loi en ce sens.
Nous défendons un système dans lequel chaque agriculteur, quelle que soit sa production, serait couvert ; un système dans lequel les agriculteurs et les décideurs publics détermineraient les objectifs et les moyens de les atteindre, notamment en prévoyant des ressources pérennes pour répondre chaque année aux besoins identifiés. Le texte tourne le dos à cette ambition – même si vous vous en défendez, monsieur le ministre, en affirmant qu’il vise à « [consolider] feu le régime des calamités agricoles tout en rendant bien plus accessible l’assurance privée ». Consolider le régime des calamités en pénalisant lourdement – à hauteur de 50 % des montants d’indemnisation du troisième étage public – les agriculteurs qui ne souscriraient pas de contrat multirisque climatique : voilà une drôle de façon de présenter les choses.
Par ailleurs, vous justifiez l’imprécision de la réforme – on ne connaît ni le détail des seuils applicables, ni les conditions de fixation des contrats proposés aux agriculteurs – en arguant de votre volonté de rester le plus fidèle possible à l’évolution du droit européen et aux possibilités offertes par le règlement « omnibus ». Mais de quel niveau de couverture parlez-vous quand les critères fondamentaux soit sont laissés intégralement à l’appréciation du pouvoir réglementaire, soit feront l’objet de décisions techniques du futur comité chargé de l’orientation et du développement de l’assurance récolte (CODAR) ? Comment le législateur peut-il se prononcer sur un système dont il ne connaît pas les mécanismes ?
Vous parlez d’une assurance plus juste, mais le texte ne fait pas mention des inégalités de revenus entre exploitations et ne prévoit aucune progressivité des soutiens à l’assurance récolte en fonction de la structure et des revenus de ces dernières. Il ne traduit pas non plus la moindre volonté d’aborder ces questions. Pourtant, au vu du fiasco que représentent les contrats actuels d’assurance récolte, nous savons bien qu’il s’agit du problème de fond. Excellent ! Nos amendements destinés à apporter plus de justice aux exploitations en difficulté viennent d’ailleurs, une fois encore, d’être déclarés irrecevables.
Enfin, nous ne sommes pas dupes du poids grandissant dont disposeront les assureurs dans la définition des contrats et des modalités d’indemnisation. Avec 70 % d’aides publiques à la souscription des contrats et une surreprésentation au sein du nouveau CODAR, vous assurez avant tout les assureurs. C’est bien dit ! En effet ! Ce glissement vers une gestion privée n’est pas nouveau. Vous l’assumez en favorisant l’extension de l’assurance récolte, organisée autour d’un système de seuils intermédiaires volontairement flou, mais que les compagnies d’assurance pourront juger profitable en raison des très forts soutiens publics européens et nationaux qu’il recevra. Vous le savez, la quête permanente du soutien de l’État pour assurer la rentabilité artificielle de produits assurantiels privés nous paraît très discutable. Elle l’est d’autant plus lorsque l’on apprend que les sociétés d’assurance qui seront chargées de définir le contenu des contrats et des niveaux de couverture des pertes au sein du CODAR viennent d’annoncer aux agriculteurs qu’elles augmenteront leurs tarifs de 10 à 25 % dès 2022 ! Curieuse coïncidence.
Enfin, monsieur le ministre, vous avez confirmé en commission le transfert à des interlocuteurs privés de la gestion des deux étages d’indemnisation et de l’évaluation des pertes. Cette délégation de service public, effectuée après appel d’offres, dépossédera de fait les services déconcentrés de l’État de leur mission actuelle. Vous confiez en réalité toute la gestion du système aux assureurs, qui deviendront juge et partie.
Aussi, malgré la présentation séduisante de votre réforme, nous demeurons très circonspects quant à son impact réel sur le niveau de couverture des risques climatiques de nos agriculteurs, et dubitatifs quant aux conditions de la mise en œuvre de cette nouvelle usine à gaz. Nous sommes également inquiets quant à la place et au rôle confiés aux assureurs privés. Si aucune modification substantielle des articles du projet de loi ne vient lever ces craintes au cours de nos débats, nous ne voterons pas le texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI. – M. Dominique Potier et Mme Émilie Cariou applaudissent également.) La parole est à M. Hervé Pellois. Je voudrais avant toute chose remercier Jean-Baptiste Moreau de me permettre de prendre la parole pour notre groupe aujourd’hui – pas seulement parce que cette intervention sera ma dernière depuis la tribune, mais aussi parce qu’en tant que rapporteur du budget agricole au sein de la commission des finances, j’ai eu l’occasion de m’intéresser à l’efficacité des mécanismes de prévention des aléas et des fonds de gestion de crise dans le secteur agricole en 2020, à l’occasion du Printemps de l’évaluation.
Projet de loi de finances après projet de loi de finances, je mesurais l’importance croissante de cette question au niveau budgétaire. La quinzaine d’auditions auxquelles j’ai procédé m’a permis de dresser les mêmes constats que les vôtres, monsieur le ministre. Tous mes interlocuteurs s’accordaient en effet pour dénoncer l’inefficacité du système et l’absence de cohérence entre les règles applicables en matière d’assurance et celles relatives aux calamités agricoles, qu’il s’agisse de l’estimation des pertes ou des modalités d’indemnisation. On ne sentait pas chez eux, néanmoins, de vent d’optimisme quant à la possibilité d’une réforme rapide.
C’était toutefois sans compter sur votre détermination, monsieur le ministre, que j’avais déjà notée lors de notre rencontre en septembre 2020. Vous avez su convaincre tous les niveaux de l’État et mettre en œuvre une organisation efficace pour relever ce défi. En confiant à notre collègue Frédéric Descrozaille, il y a un an, un rapport d’étape et le soin de proposer des solutions pour sortir de l’impasse, vous avez fait un très bon choix. Le texte que le Gouvernement nous propose aujourd’hui pour parachever cette réflexion était particulièrement attendu par la profession.
Nous le savons, le changement climatique multiplie les phénomènes météorologiques extrêmes, détériore les rendements et met en danger notre agriculture. Le nouveau système imaginé se veut plus juste, plus accessible et plus efficace, autour d’une structure à trois étages partagée entre agriculteurs, assureurs et État. Il traduit une volonté de protéger notre agriculture contre cette menace. Le texte se veut ambitieux, en créant un régime universel d’indemnisation du risque climatique : tous les agriculteurs, quel que soit leur type de culture, qu’ils soient assurés ou non, bénéficieront de l’intervention de l’État en cas d’aléas exceptionnels.
J’avais eu l’occasion de relever l’efficacité insuffisante de la procédure du Fonds national de gestion des risques, s’agissant des délais d’instruction et de versement ou des différences méthodologiques entre les intervenants. J’espère que le présent texte nous donnera l’occasion de revenir sur certaines lourdeurs du système et, ainsi, d’assurer une indemnisation plus rapide et plus juste aux agriculteurs grâce aux progrès des techniques satellitaires.
Le constat général, concernant l’assurance multirisque climatique agricole, est celui de sa trop faible couverture – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. Le régime proposé s’appuie sur une répartition du risque entre tous les acteurs et subventionne davantage l’assurance multirisque. L’intervention de l’État, qui passera de 300 à 600 millions d’euros par an, devrait contribuer à enrayer l’augmentation des tarifs et ainsi encourager les exploitants à entrer dans le système assurantiel.
Enfin, le présent texte responsabilise les agriculteurs face au défi climatique. Cette impulsion n’est pas nouvelle et s’inscrit dans la continuité de ce que nous nous efforçons de faire depuis quelques années : la mise en place de la dotation pour épargne de précaution en 2019, les aides à la modernisation des exploitations mais aussi les aides à l’investissement dans le matériel pour faire face aux principaux aléas climatiques, financées dans le cadre du plan de relance.
Quelques dispositions restent à préciser par la voie réglementaire. Nous ne doutons pas que l’augmentation ou la diminution des seuils voulue par le Gouvernement sera l’occasion d’aller aussi loin que la réglementation européenne le permet. Comme l’a rappelé notre Président, « il n’y a pas de grand pays sans agriculture forte ». Notre majorité, réforme après réforme, tend à préserver cette grandeur. J’en profite pour rappeler l’aide de 1 milliard d’euros accordée aux agriculteurs pour compenser les pertes occasionnées par un épisode de gel inouï en avril dernier. Notre majorité continuera à répondre présente lors d’événements climatiques d’une telle ampleur.
Le présent projet de loi est également un outil supplémentaire pour garantir le revenu des agriculteurs. Cet objectif a été fixé dès le début du quinquennat, avec l’organisation des états généraux de l’alimentation, et il reste d’actualité. S’il ne fallait en citer que quelques-unes, les lois EGALIM 1 et 2, la mise en place de la déduction pour épargne de précaution et la revalorisation des retraites agricoles sont autant d’avancées pour la profession. Le chemin reste long mais la volonté ne tarit pas. Nous poursuivons nos efforts et le groupe LaREM votera évidemment ce texte ambitieux. Le débat budgétaire, en fin d’année, permettra de le concrétiser. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. Julien Dive. Non, le dérèglement climatique n’est pas une vue de l’esprit de la doxa populaire. Très bien ! Je crois en la science, qui doit être placée au cœur de nos débats et sur laquelle se fondent nos décisions. Or on ne peut pas y croire seulement quand cela nous arrange. Alors quand les scientifiques nous expliquent, rapport après rapport, année après année, que le climat change, qui peut ne pas le croire ? Quelqu’un de chez vous ! C’est d’autant plus vrai lorsque l’on a les pieds dans la terre, dans nos vallées, nos coteaux, nos vergers, nos prairies…
L’épisode de gel massif d’avril 2021 n’a épargné quasiment aucune région française ; il a provoqué des pertes de 100 % en arboriculture et dans la culture des petits fruits, ainsi que des pertes importantes en viticulture et même en grandes cultures, obligeant certains betteraviers à semer à nouveau. Citons aussi les épisodes généralisés de sécheresse en 2020 et en 2016, ainsi que les épisodes de grêle, les tempêtes répétitives ou encore les incendies : la recrudescence des événements climatiques défavorables ces dernières années place de plus en plus d’acteurs du monde agricole au bord de la rupture.
Ce phénomène dépasse la dimension purement financière des pertes subies ou l’enjeu de la souveraineté alimentaire de la France – pourtant déjà fortement mise à mal en raison du déséquilibre normatif dont nous souffrons par rapport à nos concurrents étrangers. En effet, la pression psychologique et les dommages moraux occasionnés par ces aléas climatiques nourrissent le malaise de nombreux exploitants, entraînant parfois des conséquences dramatiques. Si nos agriculteurs ont des difficultés, les compagnies d’assurance en ont également, d’ordre économique. Elles redoutent en effet la multiplication de ces épisodes climatiques qui les conduisent à dépenser plus qu’elles ne collectent – ce qui démontre que le système est à bout de souffle.
Il fallait donc répondre à une demande exprimée par les filières depuis plus de vingt ans. La question de la réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture avait été amorcée avec le Varenne de l’eau, dont les travaux – menés avec rigueur, je dois le dire, monsieur le rapporteur – ont débouché sur le projet de loi que nous examinons aujourd’hui.
Spontanément, on s’interroge et l’on est surpris, de façon légitime, par le calendrier choisi : nous sommes en effet à quatre-vingt-dix jours de l’élection présidentielle. Mais l’urgence est bien là et il faudra y répondre, tôt ou tard.
Au passage, je déplore la difficulté pour le législateur d’amender un texte de cette nature : l’article 40 restreignant fortement la possibilité de proposer des modifications, la plupart de nos amendements ne peuvent quasiment porter que sur la forme.
C’est un projet de loi nécessaire, urgent, dont j’approuve les grands principes – la solidarité nationale, la liberté pour les agriculteurs de s’assurer ou de ne pas s’assurer, la complémentarité indispensable entre les assurances et l’État –, mais qui suscite aussi plusieurs interrogations.
Interrogation tout d’abord sur l’application du texte, qui doit s’étaler jusqu’à 2023 : cela signifie qu’elle dépendra de textes réglementaires d’application qui interviendront après les élections présidentielle et législatives. Interrogation manifestée par les assureurs : à l’article 7, vous envisagez de mettre en place un pool d’assureurs de manière à simplifier et harmoniser le recours à l’assurance privée et l’accès au nouveau dispositif d’indemnisation publique. Ce pool pourrait jouer un rôle de tiers de confiance mais pour être efficace, il doit absolument mutualiser les risques. Si vous voulez que chacun y adhère, l’obligation ne doit pas uniquement consister en un partage de données. Il est impératif d’éviter un tri par les compagnies d’assurance entre les « bons » et les « mauvais » risques.
Enfin, cette belle architecture sera sans effet si les financements ne suivent pas. Or vous avez écarté la possibilité de flécher des crédits dès le projet de loi de finances pour 2022. Tout reposera donc sur les discussions budgétaires post-élections législatives afin que l’enveloppe dédiée couvre les besoins nécessaires pour garantir la bonne marche de ces outils de gestion des risques. Le succès de la réforme tient au taux d’adhésion des agriculteurs, viticulteurs, arboriculteurs, apiculteurs, éleveurs. Il est donc indispensable d’associer toutes les filières, chacune avec sa particularité. C’est l’objet d’amendements relatifs à la composition du CODAR que mon groupe défendra à l’article 5.
Le groupe Les Républicains soutiendra la démarche portée par ce projet de loi et votera en sa faveur. Il vous faudra néanmoins lever nos doutes en matière d’application, de garantie de financement et de compatibilité avec le droit de la concurrence. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. le rapporteur applaudit également.) La parole est à M. Dominique Potier. Dans l’histoire agricole, il y a un lien indéfectible, notamment à partir du XIXe siècle, entre les mouvements mutualistes, solidaires, coopératifs et la prospérité de l’agriculture. On peut dire que la solidarité est devenue une sorte d’assurance vie pour notre agriculture.
Mais les temps changent et de nouveaux risques apparaissent, auxquels nous devons faire face. Je fais partie de ceux qui disent aujourd’hui avec clarté que le statu quo n’est pas acceptable. La situation nous impose, monsieur le ministre, une certaine humilité, puisque nous n’avons pas réformé le régime d’assurance des calamités agricoles alors que le sujet ne date pas d’hier : depuis dix ans au moins il est l’objet de discussions au sein du monde agricole, des syndicats, des cercles sociaux-démocrates auquel nous appartenons. Pourtant, nous n’avons pas pris le taureau par les cornes ni mené à bien cette réforme indispensable.
Je le répète, le statu quo n’est pas possible : il y a des productions orphelines ; les risques augmentent de façon patente ; moins de 20 % des 28 millions d’hectares de surface agricole utile (SAU) française relèvent des assurances multirisques climat ; le régime actuel de calamités et de catastrophe naturelle est inopérant et fait l’objet tant de pressions et de négociations politiques que d’objectivation scientifique. Nous abordons donc avec bienveillance, curiosité et disponibilité la réforme qui nous est proposée.
Les principes que vous posez sont a priori sympathiques, et pas seulement parce que le rapporteur s’y est beaucoup investi et n’a pas été pas avare de dialogue et de pédagogie, épris qu’il est, lui aussi, d’une forme d’éthique de l’économie sociale de marché : un accord public-privé, une dimension universelle, une cogestion au sein du CODAR, tout cela nous parle et nous séduit au premier abord. Mais si aujourd’hui nous sommes plutôt, entre dubitatifs et circonspects, dans une logique qui nous rend disponibles pour un vote favorable, négatif ou une abstention, c’est pour deux raisons très simples.
Premièrement, nous aurions pu imaginer une solution alternative – cela dit sans arrogance puisque nous ne l’avons pas proposée plus tôt –, valide sur le plan conceptuel et pratique, pourvu qu’on y mette des moyens publics, ce qui n’est pas tellement la tradition : l’alliance de l’aide publique telle qu’elle existe aujourd’hui sous la forme de subventions et de prise en charge en cas de catastrophe avec un système de contribution universelle du monde agricole – comparable aux contributions volontaires obligatoires, les CVO. Nous aurions ainsi un système mutualiste organisé par l’État, le CVO étant un hybride de la politique publique et de la dynamique privée, de l’appareil d’État et de la profession. Une telle solution aurait permis de ne pas passer par les assurances privées. Voilà pour l’idéal.
Deuxièmement, il aurait fallu nous donner des garanties. Nous ne sommes pas dupes : la hausse récente est une sorte d’anticipation d’une machine qui pourrait s’emballer, d’un pouvoir qui pourrait devenir exorbitant. Tant que des seuils conformes à la justice, à l’éthique ne sont pas fixés par avance, plutôt que renvoyés à des ordonnances ou à des décisions ultérieures, nous pourrons craindre une mainmise de l’assurance privée, dont les contrats conditionnent désormais quasiment toute l’aide publique au monde agricole.
Dans cette perspective, nous serons attentifs à ouvrir au moins le débat. Le rapporteur s’est engagé à ce qu’il y ait une discussion de fond sur la possibilité d’une offre alternative. Nous veillerons au minimum à ce que les conditions posées aux aides publiques puissent être adossées à autre chose qu’à l’assurance privée et que l’assurance privée soit au moins soumise à des exigences éthiques. Nous qui avons été habitués ces dernières années à distribuer, du fait de la pandémie, de l’argent public massivement et sans condition, nous sommes en train de poser les principes d’un nouveau système qui pourrait être fondé sur une éthique de partage de la valeur, afin que l’argent public et celui des agriculteurs n’alimentent pas une cash machine des assurances privées qui échapperait à toute raison et à la solidarité que nous entendons défendre ici. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR. – Mme Émilie Cariou applaudit également.) La parole est à M. Nicolas Turquois. L’agriculture se caractérise par des cycles de production généralement longs, qui l’exposent tout particulièrement aux aléas climatiques. Au fond, le risque climatique est consubstantiel à l’agriculture. Il est d’ailleurs depuis longtemps intégré dans le raisonnement de nos agriculteurs. Les cultures peuvent être variées pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier ; les dates de semis sont étalées, ni trop précoces, pour éviter les gelées hivernales, ni trop tardives, pour ne pas subir les sécheresses estivales. Même s’il ne s’agit pas d’en faire une liste exhaustive, les pratiques sont nombreuses pour limiter, voire éviter les conséquences des risques climatiques en agriculture.
Cependant, ces stratégies d’évitement ne fonctionnent que pour parer des risques limités, clairement identifiés, d’une fréquence faible à moyenne. Une sécheresse tous les cinq ans en période estivale est supportable par un système d’exploitation adapté et diversifié ; deux sécheresses drastiques en quatre ans peuvent condamner une exploitation. Or les événements climatiques d’ampleur se multiplient, à l’instar du gel de 2021 qui a si durement touché les vignes et les vergers notamment. L’agriculture n’est pas en mesure de s’adapter à des phénomènes climatiques à la fois plus violents et plus fréquents.
Certes, des dispositifs de type assurantiel existent pour faire face à ces aléas : le régime des calamités agricoles d’abord, créé en 1964, qui s’appuie sur la solidarité nationale, et des assurances de droit privé, les assurances multirisques climatiques, dont environ deux tiers du coût est pris en charge par des financements européens, le reste étant à la charge de l’agriculteur.
Mais le constat est clair : ces dispositifs ne sont plus adaptés. Moins de 30 % des agriculteurs souscrivent à la multirisque climatique, en raison de son coût mais également à cause des franchises intervenant lors des règlements. Quant au régime des calamités, il est particulièrement complexe, entraîne des délais d’indemnisation très longs et est souvent injuste, puisqu’il conduit à mieux indemniser ceux qui ne sont pas assurés que ceux qui le sont, les deux mécanismes n’étant pas articulés l’un avec l’autre.
Dans ce contexte, la réforme que vous proposez, monsieur le ministre, va dans le bon sens. Elle part de deux constats simples. Premièrement, l’agriculture française n’est pas en mesure d’assurer seule des risques qui la dépassent du fait du changement climatique. Deuxièmement, l’architecture entre les deux dispositifs n’est plus fonctionnelle, d’où un système complexe, incohérent, voire contre-productif.
À ces deux constats, la réponse apportée est claire, ce dont nous vous savons gré : un effort financier sans précédent avec le doublement du budget consacré à l’assurance récolte, qui passe de 300 à 600 millions d’euros ; la mise en place d’un système de protection unifié, applicable à l’ensemble des productions et qui se structure autour de trois niveaux de risque sur lequel je veux revenir.
Le premier niveau, c’est l’équivalent de la franchise qui reste à payer quand on a été victime d’un sinistre. C’est tout simplement le risque de l’agriculteur. Cette notion est importante. Il y a des productions qui ne sont pas ou ne sont plus possibles dans certains contextes agro-climatiques. Vouloir les prendre en charge reviendrait à enlever toute responsabilité au producteur.
Le deuxième niveau est celui, facultatif, de l’assurance privée qui a la charge des risques moyens par leur fréquence et leur intensité. Au-delà d’un certain seuil, les dégâts de tous, assurés ou non, sont pris en charge par les pouvoirs publics : c’est le troisième niveau. C’est aussi une façon de réduire le coût d’accès à l’assurance privée, qui se voit déchargée de la couverture des risques exceptionnels.
Si le texte est clair et cohérent, il reste des points importants sur lesquels je veux attirer votre attention. L’application du système doit être rapide, concomitante de la réforme de la politique agricole commune (PAC) en 2023. Le pool d’assureurs doit être organisé de telle sorte qu’il puisse proposer des assurances accessibles au plus grand nombre d’agriculteurs, quelles que soient les productions et les territoires – il ne s’agit pas de ne laisser aux assureurs que les bons risques. Il convient aussi de travailler à une définition du potentiel de rendement assurable : la moyenne olympique actuellement utilisée est objective, mais présente aussi des inconvénients majeurs. Il faut enfin sensibiliser davantage nos agriculteurs à l’intérêt de s’assurer. L’assurance récolte ne doit pas être considérée comme un investissement financier mais comme une ceinture de sécurité susceptible de sauver la vie d’une exploitation. Ce travail de sensibilisation doit être le fait à la fois des pouvoirs publics et des organisations professionnelles agricoles.
Nous serons vigilants sur ces points mais, vous l’aurez compris, le groupe Démocrate est extrêmement favorable à ce texte. Il s’inscrit pleinement dans la réflexion d’ensemble que vous menez en faveur de l’agriculture française, qui passe notamment par le travail sur le prix payé aux agriculteurs ou l’accès à l’eau. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe LaREM.) La parole est à Mme Émilie Cariou. Au printemps dernier, un épisode de gel est venu frapper nos vignes et plusieurs de nos cultures. Conséquence directe : l’État a dû débloquer 1 milliard d’euros afin de soutenir le monde agricole. Ce triste épisode a mis en exergue l’impact du dérèglement climatique sur nos territoires et notre agriculture et nous a conduits à nous interroger sur les moyens de gérer ces risques que nous ne maîtrisons pas.
Ce projet de loi est la réponse apportée par le Gouvernement à la suite des différents épisodes climatiques vécus en France ces dernières années.
Le coût des sinistres a doublé par rapport aux années 2010-2015 et l’essoufflement du système actuel d’indemnisation des pertes de récolte résultant d’aléas climatiques est un constat partagé par tous et toutes : mécanismes trop complexes, peu lisibles, exploitants non assurés et donc dénués de solution s’ils ne sont pas éligibles au régime des calamités agricoles. Nos agriculteurs souffrent de plus en plus du dérèglement climatique. Nous ne pouvons plus laisser des pans entiers de notre agriculture subir ces aléas majeurs, appelés à devenir de plus en plus réguliers et violents.
C’est pourquoi nous voulons saluer la volonté du Gouvernement de réviser une gestion des aléas climatiques jugée quasiment obsolète par la majorité des acteurs concernés. Il est vital que les inquiétudes légitimes de nos exploitants et futurs exploitants agricoles soient entendues. Elles peuvent en effet se traduire par un certain découragement des exploitants : on voit aujourd’hui, à l’occasion de la crise du prix du beurre, combien l’abandon des exploitations laitières, activité contraignante et mal rémunérée, peut mettre notre souveraineté alimentaire en péril.
C’est pourquoi l’objectif de généralisation du recours aux assurances est une bonne chose, sous réserve qu’il soit strictement encadré par la loi. Si nous comprenons la nécessité de recourir aux ordonnances sur certains aspects du texte – notamment la fixation des seuils de déclenchement – nous ne saurions donner un blanc-seing au Gouvernement pour mener à bien cette réforme qui, je le rappelle, est nécessaire et attendue.
La place centrale donnée aux assureurs privés dans le projet de loi ne doit pas conduire à leur garantir un soutien de l’État au détriment des agriculteurs. Nous entendons les arguments du secteur de l’assurance qui s’inquiète de la viabilité économique de cette activité. Toutefois, dans notre volonté de réformer la gestion des risques, nous ne pouvons leur laisser les pleins pouvoirs.
Nous regrettons également que cette réforme tant attendue comporte encore plusieurs inconnues : il est notamment dommage que le texte actuel prévoit d’habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour la création du fameux pool d’assureurs permettant de garantir la mutualisation des données et des risques.
Cela fait des mois et des années que nous sommes alertés sur le montant trop élevé des franchises, ainsi que sur le coût des assurances. Nous demandons une mutualisation générale des calamités et la consolidation des financements des outils de prévention, afin de lutter efficacement contre les aléas climatiques.
Même si nous comprenons la volonté du Gouvernement d’inciter les agriculteurs à recourir à une assurance récolte, ce dispositif ne nous semble pas réaliste au vu du coût actuel des assurances, du montant des franchises à payer et des seuils de déclenchement qui sont jugés encore trop élevés par une majorité d’acteurs.
L’efficacité d’une telle réforme passera donc nécessairement par une intervention résolue de l’État, que ce soit par le biais des aides directes ou des négociations avec les assurances, afin de faire émerger des offres assurantielles abordables et sérieuses. Soutenir nos exploitants agricoles permettrait de lutter contre leur paupérisation dans un contexte où les catastrophes naturelles seront de plus en plus récurrentes.
Accompagner le monde de l’agriculture et ses acteurs face au dérèglement climatique représente l’un des défis majeurs de notre siècle. L’agriculture n’est pas un secteur d’activité comme les autres et nous devinons que le calendrier retenu pour la présentation du projet de loi n’est pas anodin. Toutefois, alors que les incidents climatiques deviennent de plus en plus fréquents, il est urgent que le Gouvernement écoute les propositions de tous les groupes afin d’apaiser les inquiétudes légitimes des exploitants agricoles. Ces derniers attendent de l’exécutif qu’il soit à la hauteur de la tâche.
Compte tenu des incertitudes relatives à l’application de ce nouveau système assurantiel, je ne m’opposerai pas à ce texte, mais je ne pourrai pas non plus voter en sa faveur. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR.) La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre. Je constate, pour commencer, que tout le monde s’accorde à la fois sur le défi à relever et sur l’impérieuse nécessité de sortir du statu quo . Il est toujours plus simple, pour trouver une solution à un problème, de partager le même constat.
Ensuite, différentes positions ont été exprimées dans cet hémicycle. Plusieurs d’entre vous, je pense aux députés Antoine Herth, Thierry Benoit, Hervé Pellois et Nicolas Turquois, ont salué le travail du rapporteur et la pertinence du dispositif présenté dans le projet de loi : je les en remercie car ce texte est l’aboutissement d’un très long travail de concertation et de nombreuses discussions.
D’autres, tels que Julien Dive, Sylvia Pinel et Émilie Cariou reconnaissent la pertinence du dispositif mais s’interrogent sur son calendrier et ses modalités d’application. Mais on ne peut nous faire un procès d’opportunisme… Cela ne nous a même pas effleurés ! …dans la mesure où nous avons annoncé cette réforme il y a déjà un an et demi.
Certains considèrent à juste titre que l’intention de faire de cette réforme le socle d’une politique publique fondée sur la solidarité nationale devra être confirmée dans le projet de loi de finances et que sa concrétisation dépendra de la détermination du ministre qui sera à ma place dans quelques mois.
Je vous le dis très humblement : votre plus grande assurance, mesdames et messieurs les députés, est de soutenir très clairement celles et ceux qui proposent cette réforme. On la reprendra ! (Sourires.) Cela vous évitera, monsieur Dive, tout discours à cette tribune au sujet des climatosceptiques. (Sourires.) Soutenez le texte, faites-en une œuvre collective au service des agriculteurs !
M. Potier, quant à lui, défend un autre modèle – que nous avons également étudié –, fondé sur la CVO. L’idée est que les agriculteurs n’assument pas seuls les risques, mais soient soutenus en cela par l’ensemble des acteurs de la filière. Ce faisant, vous exprimez la même intention que nous : celle de ne pas laisser les agriculteurs seuls. Cependant, alors que nous nous fondons sur la solidarité nationale, vous défendez une autre forme de solidarité.
La contribution volontaire obligatoire est une invention assez incroyable… Néanmoins, elle ne relève pas de l’État mais résulte d’accords interprofessionnels : les professionnels concernés sollicitent l’État pour qu’il étende la CVO à tous les acteurs de la filière. Autrement dit, il faudrait que dans chaque filière intervenant en aval dans la chaîne des productions agricoles, plus de 70 % des acteurs se mettent d’accord pour demander au Gouvernement d’étendre à tous ce dispositif de contribution. Dans la mesure où il existe plus de quarante-deux filières, autant dire que cela n’arrivera jamais. La seule solution serait alors d’instituer une taxe plutôt qu’une CVO. Or il ne vous aura pas échappé que la majorité à laquelle j’appartiens est très attachée à ne pas instaurer de nouvelles taxes ou de nouveaux impôts (M. Antoine Herth applaudit.) C’est dommage ! Une dernière partie d’entre vous s’est déclarée opposée au projet de loi. Je distinguerai tout d’abord l’opposition exprimée par M. le député Dufrègne, qui s’appuie sur une différence idéologique : il souhaite que ce système fondé sur la solidarité nationale relève exclusivement du domaine public – j’en ai parlé avec le président Chassaigne en commission et je respecte cette position. Le mécanisme que nous proposons comporte en effet une part de responsabilité assumée par les assureurs, alors que vous préféreriez que le dispositif ne relève que de la solidarité nationale. Je pense pour ma part qu’il faut conserver une part de responsabilité prise en charge par les assurances. Même si j’aime bien échanger des points de vue idéologiques avec le groupe communiste, nous ne pourrons pas nous rejoindre sur cette approche. Je n’ai pas prononcé le mot ! Je vous l’accorde, monsieur le député.
Enfin, l’opposition de Jean-Hugues Ratenon se fonde sur de fausses affirmations : par exemple, lorsqu’il dit que la réforme soumettrait certaines aides à la souscription par les agriculteurs d’un contrat d’assurance. Cela n’est écrit nulle part dans le texte et c’est strictement faux. Ensuite, et c’est étrange, il a ajouté que les assureurs avaient organisé un système dans lequel deux d’entre eux se partageaient le gâteau – en réalité, ils sont un peu plus nombreux, mais peu importe. C’est presque du darwinisme économique : croyez-vous que le secteur de l’assurance multirisque climatique n’attirerait que deux acteurs principaux s’il était si lucratif et rentable ? Non, à l’évidence. C’est bien pour cela que le système ne peut pas fonctionner ! Pour quelles raisons les assureurs se désengagent-ils progressivement de l’assurance multirisque climatique ? Pas pour laisser deux d’entre eux se partager seuls un gâteau particulièrement riche ! Vous défendez une vision incohérente du système économique qu’en tout état de cause, après cinq ans de débats avec vous, je ne comprends pas et ne comprendrai jamais. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Je vous expliquerai !
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
La parole est à M. André Villiers.
Les événements météorologiques sont de plus en plus fréquents et la gravité de leurs effets augmente, en particulier pour les agriculteurs, en raison du changement climatique qui cause et renforce les phénomènes extrêmes.
L’épisode survenu en avril dernier dans un département qui m’est cher, l’Yonne – trois jours de gel et des températures avoisinant moins 8 degrés – a fortement touché les arboriculteurs et les viticulteurs. Ceux-ci ont été reconnus victimes de calamités agricoles et peuvent, depuis hier, établir leur télédéclaration en ligne – presque un an après les faits, vous conviendrez que les délais sont bien trop longs.
Cet exemple d’un département sinistré parmi tant d’autres illustre que la frontière entre ce qui est assurable et ce qui ne l’est pas – et doit donc relever de l’État – est de plus en plus floue. L’articulation entre le volet assurantiel – les contrats d’assurance multirisque climatique – et le régime des calamités agricoles – lié à l’État – doit donc évoluer.
Or la France connaît toujours une guerre des prix agricoles et alimentaires qui affaiblit les revenus des agriculteurs et les empêche de constituer une épargne suffisante pour surmonter les événements climatiques. De plus, le risque inflationniste imputé aux carburants pèse désormais sur les prix des produits alimentaires : l’annonce vient d’être faite que l’augmentation de 30 % du prix du blé entraînera, dans les box de négociations, une hausse de 2,5 % du prix des pâtes – c’est scandaleux !
Ce texte, qui vise à généraliser la couverture assurantielle des agriculteurs, va donc dans la bonne direction car, à l’heure actuelle, trop peu de cultures sont concernées : seulement 30 %, hors prairies. Mais l’objectif d’atteindre 60 % de surfaces assurées d’ici à 2030 semble bien trop progressif. Je vous remercie de conclure. Je vais le faire. La nécessaire solidarité nationale ne saurait être dévoyée : l’impôt sécheresse hante encore les esprits d’une opinion publique toujours prête à stigmatiser les agriculteurs,… Merci. …pourtant chargés de la mission la plus noble qui soit : celle d’assurer la souveraineté alimentaire.
Monsieur le président, je dirai juste un mot à M. le ministre… Je vais vous laisser terminer, monsieur Villiers, mais je rappelle que les orateurs inscrits sur les articles ne disposent que de deux minutes. J’aurais achevé mon propos si vous ne m’aviez pas interrompu… (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et SOC.) Dans ces conditions, la parole est à M. Loïc Prud’homme. Pour commencer, je souhaite répondre rapidement à M. le ministre : il n’y avait pas dans les propos de mon collègue Ratenon de mensonges ni d’inexactitudes. Lorsqu’il parlait des aides, il évoquait celles qui entrent dans le cadre des assurances : le versement des aides publiques est donc bien, dans ce cas, soumis à la souscription d’une assurance privée.
Par ailleurs, ne faites pas semblant de ne pas comprendre ce que nous avons voulu dire s’agissant des deux assureurs privés qui détiennent 70 % du marché et sont en situation de quasi-monopole ou, tout au moins, bénéficient d’un puissant rapport de force. Le rapporteur a admis lui-même que l’on s’en remettrait à eux pour déterminer ce qui pourra être assuré et ce qui ne le sera pas ; en d’autres termes, on les laissera décider à quel moment ils cesseront d’indemniser certains risques parce que ce ne sera plus rentable pour leur activité. Cela reviendra à laisser une majorité d’agriculteurs face à des risques déclarés non assurables parce que non rentables par les assureurs, dont la logique est purement financière, alors que la solidarité nationale implique une mutualisation des risques au sein du milieu agricole. La parole est à M. André Chassaigne. « Au commencement était le Verbe » : quand nous commençons l’examen d’un projet de loi, nous avons droit aux envolées du ministre et du rapporteur ; cela fait partie de l’exercice parlementaire. « Le texte est formidable, absolument révolutionnaire, il répondra à toutes les attentes », nous explique-t-on… Quelques années plus tard, voire plus tôt, nous constatons que l’atterrissage est fort décevant par rapport aux envolées initiales. C’est vrai ! Le présent projet de loi n’y échappera pas. Concernant l’article 1er, chacun saute sur sa chaise comme un cabri en disant : « solidarité nationale, solidarité nationale, solidarité nationale ! » Mais si je sors mon couteau de Thiers (Sourires) et que je gratte un peu, je découvre que derrière cette solidarité nationale se cache avant tout une solidarité pour les assureurs : il faut rassurer les assureurs ; et pour les rassurer, il faut les réassurer. Cela aboutit en définitive à une forme de privatisation des gains et à une socialisation des pertes. Vous l’avez dit, monsieur le ministre : le secteur est dominé par deux acteurs, Pacifica et Groupama, qui représentent 70 % du marché. Ce sont eux qui tirent les ficelles.
Nous interviendrons souvent sur les articles pour expliquer notre position, puisque la moitié de nos amendements ont été liquidés – je ne me fais pas d’illusion sur le sort de l’autre moitié. Je l’affirme donc : ce que vous proposez est un copier-coller non pas du système espagnol, mais du système américain. De l’argent public issu de la solidarité nationale profitera à quelques-uns seulement. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Jean-Louis Bricout applaudit aussi.) La parole est à M. Jean-Baptiste Moreau. L’article 1er est l’exact contraire de ce que vous décrivez, monsieur Chassaigne. Il annonce l’esprit même du texte et son principe fondamental : l’universalité. Contrairement à la situation actuelle, tous les agriculteurs seront désormais protégés. Mais à des niveaux différents ! Que l’agriculteur soit assuré ou non, il pourra se tourner vers un interlocuteur unique qui indemnisera ses pertes si elles dépassent un certain seuil – et ce grâce à la solidarité nationale. À hauteur de 50 % seulement ! Si l’agriculteur est assuré, l’indemnisation issue de la solidarité nationale s’ajoutera à celle qui sera versée par l’assureur. S’il n’est pas assuré, il sera tout de même indemnisé, mais ne pourra pas toucher plus de 50 % de ce que percevra un agriculteur assuré : il s’agit là d’une règle européenne qui est déjà en vigueur.
L’article 1er énonce un principe fondamental : ne laisser personne sur le bord de la route et pallier les carences d’un système qui, en raison des lourdeurs administratives du régime des calamités agricoles, laissait trop souvent les agriculteurs dans une impasse économique – voire, s’ils n’étaient pas éligibles, sans la moindre solution d’accompagnement. Le principe d’universalité est indispensable pour répondre à des aléas climatiques de plus en plus fréquents. L’architecture proposée est simplifiée. Elle est composée de trois étages, en fonction des risques : au premier étage, une prise en charge par l’agriculteur des risques faibles ; au deuxième étage, une prise en charge par l’assurance, subventionnée par l’État, des risques moyens ; au troisième étage, une prise en charge par l’État des risques dits exceptionnels. Cette architecture est plus simple, plus lisible et plus équitable que le système actuel pour les agriculteurs. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.) La parole est à M. Guillaume Larrivé. Je me réjouis qu’en cette fin de législature, nous parvenions collectivement à avancer dans le dossier très important de la protection des agriculteurs contre les dérèglements climatiques. En tant que député de l’Yonne, comme mon collègue André Villiers, je sais combien les agriculteurs, les arboriculteurs et les viticulteurs ont été durement frappés, ces dernières années, par des épisodes climatiques difficiles. Pensons au chablis ! Or le système actuel ne fonctionne pas correctement : le régime des calamités agricoles intervient trop tard, et le régime assurantiel est trop parcellaire.
La logique que vous proposez, qui a été étudiée par la commission, est la bonne. Elle consiste en un régime universel accessible à tout agriculteur, selon un principe de liberté – loin d’un système obligatoire à la soviétique, elle respecte la liberté entrepreneuriale. Elle se décompose en trois étages : une franchise, un régime assurantiel et une strate de solidarité nationale. Ce principe me convient.
Je souhaite toutefois appeler votre attention sur deux points de vigilance. Le premier est juridique – Charles de Courson l’évoquera tout à l’heure : nous avons pris connaissance avec une certaine inquiétude de l’avis de l’Autorité de la concurrence, et souhaitons être assurés que la future loi pourra être appliquée sans difficulté, sans contrevenir au droit européen. Par ailleurs, comme l’exposera Julien Dive au nom des Républicains, nous tenons à ce que toutes les filières soient impliquées dans la mise en œuvre du dispositif. Il est donc essentiel que toutes soient représentées au CODAR. De toute évidence, les producteurs de cerises de Jussy, dans ma circonscription, de Chablis ou d’Irancy n’ont pas les mêmes contraintes : ils n’exercent pas exactement le même métier, ne sont pas soumis aux mêmes calendriers et n’ont pas les mêmes préoccupations. Aussi les acteurs de terrain doivent-ils absolument être associés à l’application du dispositif. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.) La parole est à M. le ministre. Permettez-moi de répondre à ces interventions ; ainsi, je serai plus bref par la suite. Je partage vos propos, monsieur Moreau. Par ailleurs, monsieur Larrivé et monsieur Villiers, le récent épisode de gel offre une parfaite illustration de notre démarche : nous avons développé un dispositif ad hoc – Mme Verdier-Jouclas peut en témoigner – qui dessine les prémisses de l’assurance récolte. Vous jugez la procédure trop longue, monsieur Villiers, mais interrogez les agriculteurs sur le terrain : beaucoup vous diront que les dispositifs n’ont jamais été aussi rapides – nous ne nous en satisfaisons pas pour autant. Les producteurs de fruits à noyau ont par exemple reçu les premières indemnisations dès l’été, alors qu’ils attendent normalement un an et demi à deux ans. Exactement ! Nous nous occupons désormais des producteurs de fruits à pépins – le décalage s’explique en partie par les cycles de déclaration et les dates de fin de production.
Notre réaction face à l’épisode de gel constitue donc l’un des prémisses du dispositif que nous proposons. Nous devons aller encore plus loin : c’est l’objet du projet de loi.
Par ailleurs, monsieur Chassaigne, il importe surtout que le Verbe se fasse chair ! Ça, c’est pour Dominique Potier ! (Sourires) L’indemnisation à 50 % que vous évoquez est la stricte application de la réglementation européenne ; elle est déjà en vigueur dans le Comité national de la gestion des risques en agriculture (CNGRA). Vraiment ? C’est ainsi que cela fonctionne aujourd’hui, et c’est un copier-coller de la réglementation européenne.
J’en viens à la question de l’équilibre, qu’ont notamment évoquée Guillaume Larrivé et André Chassaigne. Les études ont démontré que même si tous les agriculteurs s’assuraient, comme le font les conducteurs de voitures, la mutualisation des risques ne ferait pas baisser le coût de l’assurance. Voilà la grande difficulté. Ah bon ? Cette option, qui fut un temps envisagée, a donc été écartée. Aussi avons-nous réfléchi à un autre dispositif, qui doit nécessairement reposer sur la solidarité nationale : sans elle, cela ne fonctionnera pas.
Comment expliquer que la mutualisation des risques de l’ensemble des agriculteurs ne diminue pas le coût de l’assurance, comme c’est le cas pour l’assurance automobile ? La raison est la suivante : aujourd’hui, les 18 % de surfaces assurées représentent les risques les moins élevés dans les territoires les plus à risque ; or cela équivaut à peu près à la moyenne des risques dans le territoire national. Sachant que le système ne fonctionne pas pour 18 % des surfaces, il ne fonctionnera pas davantage pour l’ensemble des surfaces avec une moyenne de risque équivalente. Le premier pilier de la réforme est donc la solidarité nationale – j’y insiste. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. Loïc Prud’homme, pour soutenir l’amendement no 110 tendant à supprimer l’article 1er. Nous proposons de supprimer cet article, qui pose la première pierre d’une solidarité nationale à géométrie variable pour les agriculteurs face aux aléas climatiques. Il prévoit que les agriculteurs bénéficient d’une indemnisation sur la solidarité nationale dans les conditions prévues à l’article 3 du projet de loi ; or selon celui-ci, les exploitants agricoles n’ayant pas souscrit un contrat d’assurance multirisque climatique ne pourront pas toucher plus de 50 % de l’indemnisation perçue par les agriculteurs assurés.
Ce faisant, le Gouvernement instaure une conditionnalité des aides publiques au profit des assureurs et des plus grandes exploitations agricoles. Il est plus que probable que la moitié des agriculteurs ne pourront pas souscrire une telle police d’assurance d’ici à 2030 – comme l’indique l’étude d’impact, la surface assurée cible à la fin de la décennie est d’ailleurs de 46 %, et même de 30 % pour l’horticulture, l’arboriculture ou encore les prairies. Dans ces secteurs comme dans d’autres, notamment l’apiculture, l’absence de protection des agriculteurs tient à la fois à leurs faibles revenus et à la réticence des sociétés d’assurance à les couvrir. Cela nous renvoie au débat sur les exploitations assurables ou non assurables : qui fixe le curseur ? Dès lors, prôner une solidarité nationale qui favorise les exploitations ayant les moyens de s’assurer est pour le moins inopportun, pour ne pas dire légèrement hypocrite. Quel est l’avis de la commission ? Il y a toujours beaucoup à dire sur un amendement de suppression. J’essayerai de ne pas être trop long, sachant que nous venons d’évoquer le sujet que vous soulevez.
Si le dispositif était aussi favorable aux assureurs que vous le dites, ils seraient les premiers à le soutenir et à le promouvoir. Il ne vous aura pas échappé que ce n’est pas vraiment le cas. Au contraire, ils freinent des quatre fers : ils craignent de devoir supporter des obligations et continuer à fournir un produit qui ne leur permet pas de gagner de l’argent. À ce sujet, je m’étonne chaque fois que je vous entends – vous ou certains de vos collègues – parler des gens qui gagnent de l’argent. En quoi est-il problématique que quelqu’un s’enrichisse s’il rend un service de manière morale, avec le souci de satisfaire ses clients ? Je l’assume totalement : il s’agit bien de créer un dispositif dans lequel les assureurs, dont le métier est de couvrir des aléas, pourront dégager un résultat qui leur permettra d’investir, de payer leurs salariés, de prospecter et de prospérer économiquement.
Telle est bien la logique du texte. Pour autant, le dispositif n’est fait ni pour les gros, ni contre les petits. Le projet de loi est d’ailleurs soutenu par un syndicat représentatif, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Vous avez souvent à cœur de décrier cette dernière, mais je vous rappelle que 60 % des agriculteurs votent aux élections des chambres d’agriculture, contre seulement 8 % de leurs concitoyens aux élections prud’homales, et que la FNSEA est largement majoritaire. L’État a peu d’interlocuteurs dont la représentativité est aussi avérée. J’ajoute que ce syndicat représente toutes les filières ; il compte des petits acteurs comme des grands, de toutes sensibilités politiques. Je m’inscris donc en faux contre vos propos : le dispositif n’est pas au profit des assureurs. Nous veillerons cependant à ce que la logique assurantielle n’aille pas au détriment des clients – nous en parlerons à l’article 7. Un groupement devra par ailleurs être créé, afin de développer une intelligence collective. Des garde-fous sont donc prévus, dans une logique de développement de marché.
Enfin, monsieur Potier, les contributions volontaires étendues – dites aussi contributions volontaires obligatoires, terminologie quelque peu contradictoire qui, je le reconnais, prête à sourire – sont définies par des interprofessions d’initiative et de droit privé : il n’appartient ni à l’État ni au législateur de leur dicter une assiette, un taux et un objet. Je peux vous dire d’expérience qu’une interprofession est en équilibre instable. C’est comme un vélo : si elle n’avance pas, elle tombe, et moins l’État s’en occupe, mieux elle se porte.
Enfin, la solidarité nationale doit s’exercer hors secteur alimentaire. Il s’agit uniquement de venir au secours, de garantir le soutien de la nation à l’ensemble d’une chaîne de valeur qui écrase ses prix, ses salaires et ses marges depuis des décennies. On ne résoudra pas le problème en prenant de l’argent en aval, dans une filière où le rapport de forces est tel qu’en général elle récupère cet argent sur ses propres achats – c’est ce dont nous avons discuté à l’occasion de l’examen des lois EGALIM 1 et 2. Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Défavorable. La parole est à M. Loïc Prud’homme. Monsieur le rapporteur, nous avons en effet une différence d’approche philosophique. Vous nous refaites le jeu de la mutualisation du risque, qui relève d’un système assurantiel mutuel, mais uniquement avec des assureurs privés qui vont gagner de l’argent. La question est toujours celle du rapport entre les bénéfices et les coûts : rémunérer des assureurs privés et leurs actionnaires coûte plus cher qu’un service mutuel aux mains des souscripteurs.
Quant à l’idée que si ce mécanisme était si favorable, les assureurs se seraient manifestés pour le soutenir, que dire des quatorze organisations et syndicats d’agriculteurs qui considèrent qu’il leur est défavorable et qui ne soutiennent pas votre texte ? Il y a bien là aussi un problème ! Peut-être cela n’arrange-t-il pas les banquiers, mais du côté des futurs assurés, un front assez large et uni se manifeste pour dire que cette mesure ne répond pas aux besoins actuels de leur profession. La parole est à M. Charles de Courson. Notre groupe Libertés et territoires est tout à fait favorable à cet article 1er, qui prévoit premièrement la liberté d’assurance pour chaque assuré, sans assurance obligatoire, et deuxièmement la responsabilité. Il est en effet tout à fait logique que ceux qui s’assurent soient mieux indemnisés par le système collectif que ceux qui ne s’assurent pas.
C’est en effet le drame du système actuel que le fonds des calamités n’intervienne que pour ceux qui ne sont pas assurés : c’est l’exemple même d’un dispositif d’irresponsabilité collective, alors qu’on rétablit le principe de responsabilité. Bien sûr ! Quant à la solidarité de la nation, dire – comme vous le faites dans l’exposé sommaire de votre amendement – que vous vous opposez « à la logique générale de ce texte qui prévoit de contraindre les agriculteurs à se jeter dans les bras des assureurs privés et, à défaut, de les laisser sur le bas-côté » est entièrement faux, car tout le monde bénéficiera du fonds, même les non-assurés, pour qui les conditions seront moins avantageuses que pour ceux qui sont assurés, mais qui ne seront pas envoyés dans les bras des assureurs privés, puisqu’ils sont libres de le faire ou non. On ne peut donc pas accepter votre amendement, qui est contraire au texte même de l’article 1er. (L’amendement no 110 n’est pas adopté.) La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne, pour soutenir l’amendement no 171. Monsieur le rapporteur, je ne parlerai pas des gens qui gagnent de l’argent, mais de ceux qui risquent d’en perdre, notamment avec la rédaction de cet article 3 sur lequel vous êtes revenu tout à l’heure, qui minore de 50 % les montants d’indemnisation dont pourraient bénéficier les exploitants agricoles n’ayant pas souscrit de contrat d’assurance multirisque climatique, qui fait d’ailleurs bondir notre collègue de Courson.
Cette mesure de pénalisation, dont l’objectif est – je le comprends bien – de pousser les exploitants agricoles à s’assurer, se révélera particulièrement inégalitaire et dangereuse, notamment pour les exploitations déjà en difficulté ou ayant les revenus les plus faibles, qui font souvent le pari de ne pas s’assurer parce que c’est une dépense en moins alors qu’elles ne parviennent déjà pas à faire face aux autres. Je connais, en particulier, de nombreuses exploitations d’élevage qui n’ont aujourd’hui pas les moyens de souscrire de contrat MRC et dont le passage de 65 % à 70 % d’aide publique à la souscription ne changera pas profondément la capacité à y souscrire.
Si ce dispositif est, comme cela vient de nous être précisé, un copier-coller de la législation européenne, nous devons nous interroger sur la manière dont on pourrait néanmoins soutenir les agriculteurs qui n’ont pas souscrit de contrat multirisque climatique et se voient amputer de 50 % de l’indemnisation à laquelle ils auraient pu prétendre s’ils l’avaient fait, notamment les agriculteurs les plus fragiles, afin de ne pas les pousser encore plus vite vers des difficultés souvent grandissantes. Quel est l’avis de la commission ? Monsieur Dufrègne, monsieur le président Chassaigne, je vous dirai deux choses. La première concerne les agriculteurs en difficulté, qui ne dégagent pas un résultat leur permettant d’avoir une stratégie incluant des souscriptions à des contrats d’assurance, voire d’épargner. C’est un drame bien réel de l’agriculture et ce projet de loi ne permet assurément pas de réparer cette injustice. Nous avons adopté des lois qui tentent de protéger le revenu agricole, mais les agriculteurs sont soumis à un rapport de forces économique qui leur est très défavorable et ce n’est pas avec un produit d’assurance que l’on protège un revenu. L’idée traîne, dans le monde agricole, que l’assurance doit pouvoir garantir une sorte de revenu minimum, mais personne ne calcule le taux de rentabilité d’un contrat d’assurance ! Personne n’attend une inondation, un incendie ou quelque autre événement que ce soit pour être remboursé de ce que lui coûte son contrat d’assurance habitation !
Il nous faut donc, humblement, être très clairs sur le fait que ce projet de loi n’est pas destiné à venir au secours du revenu agricole, mais d’une capacité de résilience : il s’agit de ne pas avoir à fermer boutique, mettre la clé sous la porte à l’occasion d’une catastrophe ou de la succession de quelques accidents climatiques. Je reconnais cependant, je le répète, qu’il existe des agriculteurs en très grande difficulté, à qui il sera difficile de souscrire un contrat d’assurance et d’avoir une stratégie – mais c’est une autre question.
Deuxième point : l’abattement de 50 %. Il s’agit là, il est vrai, de la réglementation européenne, mais si cette mesure ne figurait pas dans le texte européen, j’aurais tout de même souhaité qu’elle soit rédigée ainsi, car lorsqu’on demande aujourd’hui à des agriculteurs si l’assurance récolte doit être obligatoire, deux camps irréconciliables se dessinent, qui répondront chacun avec le même aplomb. Pour les uns, elle doit être absolument obligatoire ; pour les autres, c’est hors de question. Je respecte ces choix, qui sont déchirants dans le monde agricole. Si vous interrogez des viticulteurs des Pyrénées-Orientales – pas des gros : des petits, qui n’ont pas beaucoup de revenus –, les accidents climatiques qu’ils vivent dans le pourtour méditerranéen leur feront probablement dire qu’ils sont favorables à l’assurance obligatoire. En Bretagne, en revanche, il y a des chances que les agriculteurs vous disent que c’est hors de question. Il ne faut mépriser personne. L’assurance ne doit pas être obligatoire pour ceux qui considèrent qu’elle ne doit pas l’être, et chacun doit rester libre, mais il faut aussi dire à ceux qui voudraient qu’elle soit obligatoire que nous inciterons les agriculteurs à s’assurer et à définir des stratégies d’entreprise de calcul et de transfert du risque. Je vous rappelle, monsieur le rapporteur, qu’hormis celle du Gouvernement, toutes les interventions sur les amendements sont limitées à deux minutes. Cela vaut également pour le rapporteur.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Monsieur Dufrègne, le chiffre inscrit noir sur blanc dans le règlement est bien de 50 %. Je pourrai vous faire passer ce document, et j’insiste sur ce point.
Par ailleurs, parce que je connais votre implication en la matière, je rappelle que selon un arrêté de 2010, le pourcentage d’indemnisation retenu par le CNGRA pour la prairie est de 28 %. Dès lors donc que la perte excède 30 %, l’indemnisation est de 28 % à partir du premier euro de perte. Cette mesure est conforme au chiffre de 50 % fixé par la réglementation européenne et qui a donné lieu à cet arrêté, mais le chiffre est désormais de 28 %, avec une différence à partir du premier euro de perte.
Le projet ne crée donc en rien un étau qui serait moins favorable que le dispositif existant. Je tiens à être très rassurant à ce propos : il s’agit de retranscrire les règles fixées par la réglementation européenne, mais qui sont déjà en vigueur aujourd’hui. Avis défavorable. La parole est à M. Fabrice Brun. Dans le prolongement des propos de mes collègues Julien Dive et Guillaume Larrivé, je tiens à dire que le groupe Les Républicains est favorable à ce texte et à son article 1er. Permettez-moi cependant, au début de nos débats, de rappeler que, sur fond de dérèglement climatique, la meilleure des assurances réside avant tout dans les équipements de protection, qui sont coûteux et difficiles à amortir pour les exploitations agricoles, d’où l’importance de l’intervention de l’État et des collectivités territoriales pour accompagner ces dernières. La meilleure des assurances récoltes est aussi l’irrigation – et je ne parle pas là de celle des années 1980, mais bien de 2022 : il ne s’agit pas d’intensification de l’agriculture, mais de sécurisation du revenu des agriculteurs sur l’ensemble du territoire national. Je sais notamment, monsieur le ministre, que vous êtes convaincu de l’intérêt du stockage hivernal de l’eau, mais vos services ont encore bien du chemin à faire sur le terrain pour que des projets dans ce domaine deviennent réalité.
Pour ce qui est du projet de loi que nous examinons, le rôle de notre débat est d’apporter des garanties, d’abord à propos des 70 % de subvention et de la franchise subventionnable de 20 % minimum appliqués intégralement à toutes les productions et à tous les contrats. Il faut en effet avoir bien conscience que sans cela, il n’y aura pas de dynamique positive pour aller plus loin que ce qui se fait actuellement. Il faut aussi clarifier les modalités d’intervention du fonds des calamités agricoles, mutualiser tous les risques – nous y reviendrons longuement, notamment à l’article 7. Il faut enfin, même si cela a été dit et écrit, garantir par des preuves concrètes une entrée en vigueur du texte au 1er janvier 2023 au plus tard. Ce sera l’objet d’amendements déposés notamment par notre groupe. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.) La parole est à M. André Chassaigne. Je ne reviendrai pas sur les propos tenus tout à l’heure par le rapporteur, qui s’inspiraient de Guizot disant : « Enrichissez-vous, enrichissez-vous ! » Le travail ! Les temps ont évolué depuis la monarchie de Juillet.
Pour ce qui est de la couverture, ce texte a pour objectif de faire en sorte que ceux qui ne s’assurent pas ne soient plus indemnisés. Vous l’avez du reste dit vous-même, monsieur le rapporteur, et j’ai ici un article de presse dans lequel vous affirmez qu’à terme, les non-assurés ne devraient plus bénéficier de l’intervention de l’État pour être indemnisés. J’ignore si vous confirmez ces propos, mais ils sont bien là. La réalité, c’est que certains ne pourront pas s’assurer, parce que leur revenu ne le leur permettra pas. Les 70 % d’aide apportés pour l’assurance bénéficieront donc seulement à ceux qui pourront s’assurer.
D’autre part, l’abattement de 50 % concernera aussi, selon vous, ceux qui sont assurés, mais je ne le crois pas. Il y aura donc bien une différence entre ceux qui sont assurés et ceux qui ne le sont pas.
Du reste, tout dépend du seuil, et la différence avec la situation antérieure peut être très pénalisante. Au troisième étage de la fusée, c’est-à-dire au moment où l’État intervient à nouveau en complément de l’assurance privée, tout dépend du niveau fixé, qui définira aussi le niveau de perte par rapport à ce qu’assuraient les dispositions antérieures. Je reviendrai plus tard sur le système herbager, qui devrait être très concerné par ces questions.
Quoiqu’il en soit, cette mesure est très sélective : ceux qui ont le plus de difficultés ne pourront pas s’assurer et les aides publiques destinées à payer les cotisations d’assurance iront uniquement à ceux qui seront assurés, tandis que le reste sera rogné. Ce n’est pas vrai ! (L’amendement no 171 n’est pas adopté.) Sur l’article 1er, je suis saisi par le groupe La République en marche d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Guillaume Garot, pour soutenir l’amendement no 42. Je comprends la volonté du Gouvernement d’apporter des réponses à toutes les questions liées à la protection apportée par l’assurance face au dérèglement climatique. L’objectif poursuivi n’est cependant pas celui de couverture universelle qui est affiché. D’abord, comme cela a abondamment été dit avant moi, tous les agriculteurs ne souscrivent pas une assurance récolte, parce qu’ils n’en ont tout simplement pas les moyens. Ensuite, toutes les productions ne sont pas éligibles à ce type d’assurance – je pense en particulier, et sous réserve de vérification, à l’apiculture.
Comment faire une réforme sans être dans la main des assureurs ? C’est en ces termes que le groupe Socialistes et apparentés voudrait poser le problème, afin de préserver les objectifs d’intérêt général et de soutenir l’ensemble d’un secteur sans financer indirectement un autre secteur. Nous proposons donc d’instituer un comité scientifique qui aurait deux missions. La première serait de travailler sur le niveau d’indemnisation, au-delà des risques qualifiés de catastrophiques.
Il est important que des experts soient sollicités pour participer bénévolement à ce comité scientifique et mener ce travail de manière collégiale.
Une deuxième mission sera assignée à ce comité, dans la droite ligne de ce qu’expliquait tout à l’heure Dominique Potier : déterminer comment mobiliser une diversité de contributeurs à cette solidarité, afin que ne s’exerce pas seulement une solidarité nationale, mais aussi une solidarité de filière. J’ai bien entendu vos arguments – intéressants – sur la CVO, mais nous devons aller plus loin. C’est en tout cas la proposition que nous faisons, afin de parvenir au système le plus juste et le plus efficace possible, qui réponde bien à l’objectif d’assurance universelle. Quel est l’avis de la commission ? Il est défavorable, pour deux raisons. D’une part, je ne reviens pas sur la contribution de solidarité ciblée sur certains acteurs de la filière : il s’agit d’accroître la part de l’État dans le soutien à l’agriculture française, et non de faire contribuer tel acteur plutôt que tel autre au sein des filières.
D’autre part, je souscris totalement à vos propos sur le comité de suivi : il faudra, sans aucun doute, qu’un comité d’experts veille à la bonne application de la loi. Seulement, ce rôle reviendra au futur CODAR – ou à la CODAR, si elle prend la forme d’une commission : nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen d’amendements portant sur ce point. Cette instance aura bien vocation à réunir l’expertise des assureurs et des professionnels agricoles pour identifier, au plus près du terrain, les secteurs où la réforme produira ses effets et ceux où elle ne fonctionnera pas, une revue à mi-parcours étant prévue en 2026. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis, pour les mêmes raisons. La parole est à M. Charles de Courson. J’ajouterai un argument, que j’estime puissant, contre cet amendement et le suivant : vous entendez faire payer l’aval, mais uniquement l’aval situé en France, puisque vous ne pourrez pas imposer une telle contribution à des acteurs situés en Angleterre, en Allemagne ou aux Pays-Bas. Si votre amendement était adopté et si le comité scientifique que vous souhaitez créer concluait qu’il faut taxer l’aval pour financer l’amont, les activités agro-industrielles françaises s’en trouveraient donc pénalisées.
Je ne suis d’ailleurs même pas certain qu’une telle disposition soit conforme au droit communautaire : si un agriculteur exporte la moitié de son blé à l’étranger et que vous faites payer uniquement les meuniers français, puisque vous ne pourrez pas faire payer les meuniers belges qui réexporteront ensuite leur farine en France, vous créez une discrimination contre l’agro-industrie française. L’esprit de cet amendement me semble donc complètement contraire aux intérêts des filières agroalimentaires françaises. (L’amendement no 42 n’est pas adopté.) La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement no 43. Charles de Courson s’inquiète pour les acteurs de l’industrie agroalimentaire. Nous nous soucions, quant à nous, des revenus des paysans en cas d’aléas climatiques : généralement, dans ces situations, l’aval s’en tire plutôt bien. La question est donc bien celle des producteurs.
J’ai entendu les arguments du rapporteur, qui expliquait tout à l’heure que la difficulté à mobiliser l’ensemble des interprofessions était l’obstacle principal à la création de CVO. En même temps, il a vanté la puissance du syndicat majoritaire, désigné au cours d’élections mobilisant sept paysans sur dix, ce qui lui confère la capacité à représenter tous les métiers et tous les territoires. Cette argumentation présente pour le moins un paradoxe.
J’ai le plus grand respect pour la FNSEA et pour le fait syndical en général. Néanmoins, le rapporteur aurait pu explorer avec les interprofessions, dans leur diversité, la voie de la régulation et du partage des risques. Je rappelle que lorsque nous nous étions opposés à la réintroduction des néonicotinoïdes, nous avions calculé le coût, sur une bouteille de soda, d’une taxe destinée à collecter les 300 millions d’euros nécessaires pour combler le déficit lié à l’aléa causé par le puceron vert et la jaunisse de la betterave. Le surcoût aurait représenté quelques centimes par bouteille pendant trois ans.
Autrement dit, les acteurs de l’aval seraient parfaitement capables de se montrer solidaires des mutations de la production et les interprofessions pourraient mobiliser cette ressource. Les agro-industriels ne pourraient d’ailleurs plus faire porter cette charge additionnelle sur les producteurs, puisque, je le dis sans ironie, depuis l’adoption de la loi EGALIM 2, les prix sont construits par le bas, sur la base des coûts de production – du moins l’espérons-nous.
Enfin, il n’a jamais été question de créer des CVO dans chaque interprofession et de dispenser l’État de sa contribution : il s’agissait bien de construire un système dans lequel la puissance publique et l’interprofession, ensemble, gèrent conjointement un système d’assurance mutualiste et étatique. À défaut d’être universelle, cette possibilité alternative devrait au moins être proposée aux agriculteurs, parallèlement à l’assurance privée. Tel est le sens de l’amendement que nous déposons, qui prend la forme d’une demande de rapport rédigé par un comité scientifique pour ne pas tomber sous le coup de l’article 40 de la Constitution. Quel est l’avis de la commission ? Pour les raisons déjà exposées précédemment, j’émets un avis défavorable.
Je n’ai pas dit qu’il n’était pas possible de créer des CVO : j’ai souligné que cela ne pouvait relever que d’initiatives privées. Nous pouvons toujours inviter les acteurs concernés à s’emparer de cette possibilité, mais ni l’exécutif ni le législateur ne peuvent imposer à une interprofession de monter un projet en ce sens : c’est tout simplement impossible. L’État assure un contrôle de conformité dans le cadre d’une éventuelle extension, mais c’est bien l’interprofession qui en prend l’initiative. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Nicolas Turquois. Je suis assez surpris des amendements déposés sur l’article 1er. À travers ce projet de loi, l’État s’engage à prendre à sa charge des risques qui ne pèseront donc plus sur le monde agricole, au-delà des seules catastrophes exceptionnelles. C’est tout de même la meilleure réponse à donner aux agriculteurs, y compris à ceux qui sont le plus en difficulté !
Certes, comme le rapporteur l’a souligné, certains n’ont pas les moyens de financer une assurance. Mais le fait d’élargir le spectre de l’assurance permettra de renforcer le système et de développer une culture du risque – car si certains exploitants ne peuvent pas souscrire d’assurance, d’autres ne le souhaitent pas, parce qu’ils appliquent une logique de retour sur investissement. Or, je l’indiquais tout à l’heure, l’assurance doit être considérée comme une ceinture de sécurité, qui protège les exploitations en cas de risque majeur : il ne s’agit pas d’un placement, mais d’une protection.
Nous devrions nous réjouir que l’État intervienne comme il se propose de le faire. Cela n’empêche nullement de prendre en considération les problèmes de rentabilité qui affectent certains agriculteurs et qui doivent être traités par ailleurs. La parole est à M. André Chassaigne. Je soutiens l’amendement de notre collègue. Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’inscrivaient dans une démarche similaire lorsqu’ils avaient déposé, le 7 avril 2020, une proposition de loi dont l’article 6, comme nous l’indiquions dans l’exposé des motifs, instaurait « une contribution obligatoire des entreprises du secteur bancaire et assurantiel, ainsi que du secteur agricole et agroalimentaire, au bénéfice du Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA). Cette nouvelle contribution, dont l’assiette et le taux seraient définis par décret, porte uniquement sur les revenus financiers, c’est-à-dire la somme des dividendes bruts et assimilés et des intérêts bruts perçus ».
Je tenais à le souligner, car il était hors de question que je me fasse doubler sur ma gauche par Dominique Potier ! (Sourires.) (L’amendement no 43 n’est pas adopté.) Je mets aux voix l’article 1er. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 103
Nombre de suffrages exprimés 95
Majorité absolue 48
Pour l’adoption 94
Contre 1 (L’article 1er est adopté.) (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
L’épisode survenu en avril dernier dans un département qui m’est cher, l’Yonne – trois jours de gel et des températures avoisinant moins 8 degrés – a fortement touché les arboriculteurs et les viticulteurs. Ceux-ci ont été reconnus victimes de calamités agricoles et peuvent, depuis hier, établir leur télédéclaration en ligne – presque un an après les faits, vous conviendrez que les délais sont bien trop longs.
Cet exemple d’un département sinistré parmi tant d’autres illustre que la frontière entre ce qui est assurable et ce qui ne l’est pas – et doit donc relever de l’État – est de plus en plus floue. L’articulation entre le volet assurantiel – les contrats d’assurance multirisque climatique – et le régime des calamités agricoles – lié à l’État – doit donc évoluer.
Or la France connaît toujours une guerre des prix agricoles et alimentaires qui affaiblit les revenus des agriculteurs et les empêche de constituer une épargne suffisante pour surmonter les événements climatiques. De plus, le risque inflationniste imputé aux carburants pèse désormais sur les prix des produits alimentaires : l’annonce vient d’être faite que l’augmentation de 30 % du prix du blé entraînera, dans les box de négociations, une hausse de 2,5 % du prix des pâtes – c’est scandaleux !
Ce texte, qui vise à généraliser la couverture assurantielle des agriculteurs, va donc dans la bonne direction car, à l’heure actuelle, trop peu de cultures sont concernées : seulement 30 %, hors prairies. Mais l’objectif d’atteindre 60 % de surfaces assurées d’ici à 2030 semble bien trop progressif. Je vous remercie de conclure. Je vais le faire. La nécessaire solidarité nationale ne saurait être dévoyée : l’impôt sécheresse hante encore les esprits d’une opinion publique toujours prête à stigmatiser les agriculteurs,… Merci. …pourtant chargés de la mission la plus noble qui soit : celle d’assurer la souveraineté alimentaire.
Monsieur le président, je dirai juste un mot à M. le ministre… Je vais vous laisser terminer, monsieur Villiers, mais je rappelle que les orateurs inscrits sur les articles ne disposent que de deux minutes. J’aurais achevé mon propos si vous ne m’aviez pas interrompu… (Exclamations sur les bancs des groupes LaREM et SOC.) Dans ces conditions, la parole est à M. Loïc Prud’homme. Pour commencer, je souhaite répondre rapidement à M. le ministre : il n’y avait pas dans les propos de mon collègue Ratenon de mensonges ni d’inexactitudes. Lorsqu’il parlait des aides, il évoquait celles qui entrent dans le cadre des assurances : le versement des aides publiques est donc bien, dans ce cas, soumis à la souscription d’une assurance privée.
Par ailleurs, ne faites pas semblant de ne pas comprendre ce que nous avons voulu dire s’agissant des deux assureurs privés qui détiennent 70 % du marché et sont en situation de quasi-monopole ou, tout au moins, bénéficient d’un puissant rapport de force. Le rapporteur a admis lui-même que l’on s’en remettrait à eux pour déterminer ce qui pourra être assuré et ce qui ne le sera pas ; en d’autres termes, on les laissera décider à quel moment ils cesseront d’indemniser certains risques parce que ce ne sera plus rentable pour leur activité. Cela reviendra à laisser une majorité d’agriculteurs face à des risques déclarés non assurables parce que non rentables par les assureurs, dont la logique est purement financière, alors que la solidarité nationale implique une mutualisation des risques au sein du milieu agricole. La parole est à M. André Chassaigne. « Au commencement était le Verbe » : quand nous commençons l’examen d’un projet de loi, nous avons droit aux envolées du ministre et du rapporteur ; cela fait partie de l’exercice parlementaire. « Le texte est formidable, absolument révolutionnaire, il répondra à toutes les attentes », nous explique-t-on… Quelques années plus tard, voire plus tôt, nous constatons que l’atterrissage est fort décevant par rapport aux envolées initiales. C’est vrai ! Le présent projet de loi n’y échappera pas. Concernant l’article 1er, chacun saute sur sa chaise comme un cabri en disant : « solidarité nationale, solidarité nationale, solidarité nationale ! » Mais si je sors mon couteau de Thiers (Sourires) et que je gratte un peu, je découvre que derrière cette solidarité nationale se cache avant tout une solidarité pour les assureurs : il faut rassurer les assureurs ; et pour les rassurer, il faut les réassurer. Cela aboutit en définitive à une forme de privatisation des gains et à une socialisation des pertes. Vous l’avez dit, monsieur le ministre : le secteur est dominé par deux acteurs, Pacifica et Groupama, qui représentent 70 % du marché. Ce sont eux qui tirent les ficelles.
Nous interviendrons souvent sur les articles pour expliquer notre position, puisque la moitié de nos amendements ont été liquidés – je ne me fais pas d’illusion sur le sort de l’autre moitié. Je l’affirme donc : ce que vous proposez est un copier-coller non pas du système espagnol, mais du système américain. De l’argent public issu de la solidarité nationale profitera à quelques-uns seulement. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Jean-Louis Bricout applaudit aussi.) La parole est à M. Jean-Baptiste Moreau. L’article 1er est l’exact contraire de ce que vous décrivez, monsieur Chassaigne. Il annonce l’esprit même du texte et son principe fondamental : l’universalité. Contrairement à la situation actuelle, tous les agriculteurs seront désormais protégés. Mais à des niveaux différents ! Que l’agriculteur soit assuré ou non, il pourra se tourner vers un interlocuteur unique qui indemnisera ses pertes si elles dépassent un certain seuil – et ce grâce à la solidarité nationale. À hauteur de 50 % seulement ! Si l’agriculteur est assuré, l’indemnisation issue de la solidarité nationale s’ajoutera à celle qui sera versée par l’assureur. S’il n’est pas assuré, il sera tout de même indemnisé, mais ne pourra pas toucher plus de 50 % de ce que percevra un agriculteur assuré : il s’agit là d’une règle européenne qui est déjà en vigueur.
L’article 1er énonce un principe fondamental : ne laisser personne sur le bord de la route et pallier les carences d’un système qui, en raison des lourdeurs administratives du régime des calamités agricoles, laissait trop souvent les agriculteurs dans une impasse économique – voire, s’ils n’étaient pas éligibles, sans la moindre solution d’accompagnement. Le principe d’universalité est indispensable pour répondre à des aléas climatiques de plus en plus fréquents. L’architecture proposée est simplifiée. Elle est composée de trois étages, en fonction des risques : au premier étage, une prise en charge par l’agriculteur des risques faibles ; au deuxième étage, une prise en charge par l’assurance, subventionnée par l’État, des risques moyens ; au troisième étage, une prise en charge par l’État des risques dits exceptionnels. Cette architecture est plus simple, plus lisible et plus équitable que le système actuel pour les agriculteurs. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et Dem.) La parole est à M. Guillaume Larrivé. Je me réjouis qu’en cette fin de législature, nous parvenions collectivement à avancer dans le dossier très important de la protection des agriculteurs contre les dérèglements climatiques. En tant que député de l’Yonne, comme mon collègue André Villiers, je sais combien les agriculteurs, les arboriculteurs et les viticulteurs ont été durement frappés, ces dernières années, par des épisodes climatiques difficiles. Pensons au chablis ! Or le système actuel ne fonctionne pas correctement : le régime des calamités agricoles intervient trop tard, et le régime assurantiel est trop parcellaire.
La logique que vous proposez, qui a été étudiée par la commission, est la bonne. Elle consiste en un régime universel accessible à tout agriculteur, selon un principe de liberté – loin d’un système obligatoire à la soviétique, elle respecte la liberté entrepreneuriale. Elle se décompose en trois étages : une franchise, un régime assurantiel et une strate de solidarité nationale. Ce principe me convient.
Je souhaite toutefois appeler votre attention sur deux points de vigilance. Le premier est juridique – Charles de Courson l’évoquera tout à l’heure : nous avons pris connaissance avec une certaine inquiétude de l’avis de l’Autorité de la concurrence, et souhaitons être assurés que la future loi pourra être appliquée sans difficulté, sans contrevenir au droit européen. Par ailleurs, comme l’exposera Julien Dive au nom des Républicains, nous tenons à ce que toutes les filières soient impliquées dans la mise en œuvre du dispositif. Il est donc essentiel que toutes soient représentées au CODAR. De toute évidence, les producteurs de cerises de Jussy, dans ma circonscription, de Chablis ou d’Irancy n’ont pas les mêmes contraintes : ils n’exercent pas exactement le même métier, ne sont pas soumis aux mêmes calendriers et n’ont pas les mêmes préoccupations. Aussi les acteurs de terrain doivent-ils absolument être associés à l’application du dispositif. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.) La parole est à M. le ministre. Permettez-moi de répondre à ces interventions ; ainsi, je serai plus bref par la suite. Je partage vos propos, monsieur Moreau. Par ailleurs, monsieur Larrivé et monsieur Villiers, le récent épisode de gel offre une parfaite illustration de notre démarche : nous avons développé un dispositif ad hoc – Mme Verdier-Jouclas peut en témoigner – qui dessine les prémisses de l’assurance récolte. Vous jugez la procédure trop longue, monsieur Villiers, mais interrogez les agriculteurs sur le terrain : beaucoup vous diront que les dispositifs n’ont jamais été aussi rapides – nous ne nous en satisfaisons pas pour autant. Les producteurs de fruits à noyau ont par exemple reçu les premières indemnisations dès l’été, alors qu’ils attendent normalement un an et demi à deux ans. Exactement ! Nous nous occupons désormais des producteurs de fruits à pépins – le décalage s’explique en partie par les cycles de déclaration et les dates de fin de production.
Notre réaction face à l’épisode de gel constitue donc l’un des prémisses du dispositif que nous proposons. Nous devons aller encore plus loin : c’est l’objet du projet de loi.
Par ailleurs, monsieur Chassaigne, il importe surtout que le Verbe se fasse chair ! Ça, c’est pour Dominique Potier ! (Sourires) L’indemnisation à 50 % que vous évoquez est la stricte application de la réglementation européenne ; elle est déjà en vigueur dans le Comité national de la gestion des risques en agriculture (CNGRA). Vraiment ? C’est ainsi que cela fonctionne aujourd’hui, et c’est un copier-coller de la réglementation européenne.
J’en viens à la question de l’équilibre, qu’ont notamment évoquée Guillaume Larrivé et André Chassaigne. Les études ont démontré que même si tous les agriculteurs s’assuraient, comme le font les conducteurs de voitures, la mutualisation des risques ne ferait pas baisser le coût de l’assurance. Voilà la grande difficulté. Ah bon ? Cette option, qui fut un temps envisagée, a donc été écartée. Aussi avons-nous réfléchi à un autre dispositif, qui doit nécessairement reposer sur la solidarité nationale : sans elle, cela ne fonctionnera pas.
Comment expliquer que la mutualisation des risques de l’ensemble des agriculteurs ne diminue pas le coût de l’assurance, comme c’est le cas pour l’assurance automobile ? La raison est la suivante : aujourd’hui, les 18 % de surfaces assurées représentent les risques les moins élevés dans les territoires les plus à risque ; or cela équivaut à peu près à la moyenne des risques dans le territoire national. Sachant que le système ne fonctionne pas pour 18 % des surfaces, il ne fonctionnera pas davantage pour l’ensemble des surfaces avec une moyenne de risque équivalente. Le premier pilier de la réforme est donc la solidarité nationale – j’y insiste. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. Loïc Prud’homme, pour soutenir l’amendement no 110 tendant à supprimer l’article 1er. Nous proposons de supprimer cet article, qui pose la première pierre d’une solidarité nationale à géométrie variable pour les agriculteurs face aux aléas climatiques. Il prévoit que les agriculteurs bénéficient d’une indemnisation sur la solidarité nationale dans les conditions prévues à l’article 3 du projet de loi ; or selon celui-ci, les exploitants agricoles n’ayant pas souscrit un contrat d’assurance multirisque climatique ne pourront pas toucher plus de 50 % de l’indemnisation perçue par les agriculteurs assurés.
Ce faisant, le Gouvernement instaure une conditionnalité des aides publiques au profit des assureurs et des plus grandes exploitations agricoles. Il est plus que probable que la moitié des agriculteurs ne pourront pas souscrire une telle police d’assurance d’ici à 2030 – comme l’indique l’étude d’impact, la surface assurée cible à la fin de la décennie est d’ailleurs de 46 %, et même de 30 % pour l’horticulture, l’arboriculture ou encore les prairies. Dans ces secteurs comme dans d’autres, notamment l’apiculture, l’absence de protection des agriculteurs tient à la fois à leurs faibles revenus et à la réticence des sociétés d’assurance à les couvrir. Cela nous renvoie au débat sur les exploitations assurables ou non assurables : qui fixe le curseur ? Dès lors, prôner une solidarité nationale qui favorise les exploitations ayant les moyens de s’assurer est pour le moins inopportun, pour ne pas dire légèrement hypocrite. Quel est l’avis de la commission ? Il y a toujours beaucoup à dire sur un amendement de suppression. J’essayerai de ne pas être trop long, sachant que nous venons d’évoquer le sujet que vous soulevez.
Si le dispositif était aussi favorable aux assureurs que vous le dites, ils seraient les premiers à le soutenir et à le promouvoir. Il ne vous aura pas échappé que ce n’est pas vraiment le cas. Au contraire, ils freinent des quatre fers : ils craignent de devoir supporter des obligations et continuer à fournir un produit qui ne leur permet pas de gagner de l’argent. À ce sujet, je m’étonne chaque fois que je vous entends – vous ou certains de vos collègues – parler des gens qui gagnent de l’argent. En quoi est-il problématique que quelqu’un s’enrichisse s’il rend un service de manière morale, avec le souci de satisfaire ses clients ? Je l’assume totalement : il s’agit bien de créer un dispositif dans lequel les assureurs, dont le métier est de couvrir des aléas, pourront dégager un résultat qui leur permettra d’investir, de payer leurs salariés, de prospecter et de prospérer économiquement.
Telle est bien la logique du texte. Pour autant, le dispositif n’est fait ni pour les gros, ni contre les petits. Le projet de loi est d’ailleurs soutenu par un syndicat représentatif, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Vous avez souvent à cœur de décrier cette dernière, mais je vous rappelle que 60 % des agriculteurs votent aux élections des chambres d’agriculture, contre seulement 8 % de leurs concitoyens aux élections prud’homales, et que la FNSEA est largement majoritaire. L’État a peu d’interlocuteurs dont la représentativité est aussi avérée. J’ajoute que ce syndicat représente toutes les filières ; il compte des petits acteurs comme des grands, de toutes sensibilités politiques. Je m’inscris donc en faux contre vos propos : le dispositif n’est pas au profit des assureurs. Nous veillerons cependant à ce que la logique assurantielle n’aille pas au détriment des clients – nous en parlerons à l’article 7. Un groupement devra par ailleurs être créé, afin de développer une intelligence collective. Des garde-fous sont donc prévus, dans une logique de développement de marché.
Enfin, monsieur Potier, les contributions volontaires étendues – dites aussi contributions volontaires obligatoires, terminologie quelque peu contradictoire qui, je le reconnais, prête à sourire – sont définies par des interprofessions d’initiative et de droit privé : il n’appartient ni à l’État ni au législateur de leur dicter une assiette, un taux et un objet. Je peux vous dire d’expérience qu’une interprofession est en équilibre instable. C’est comme un vélo : si elle n’avance pas, elle tombe, et moins l’État s’en occupe, mieux elle se porte.
Enfin, la solidarité nationale doit s’exercer hors secteur alimentaire. Il s’agit uniquement de venir au secours, de garantir le soutien de la nation à l’ensemble d’une chaîne de valeur qui écrase ses prix, ses salaires et ses marges depuis des décennies. On ne résoudra pas le problème en prenant de l’argent en aval, dans une filière où le rapport de forces est tel qu’en général elle récupère cet argent sur ses propres achats – c’est ce dont nous avons discuté à l’occasion de l’examen des lois EGALIM 1 et 2. Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Défavorable. La parole est à M. Loïc Prud’homme. Monsieur le rapporteur, nous avons en effet une différence d’approche philosophique. Vous nous refaites le jeu de la mutualisation du risque, qui relève d’un système assurantiel mutuel, mais uniquement avec des assureurs privés qui vont gagner de l’argent. La question est toujours celle du rapport entre les bénéfices et les coûts : rémunérer des assureurs privés et leurs actionnaires coûte plus cher qu’un service mutuel aux mains des souscripteurs.
Quant à l’idée que si ce mécanisme était si favorable, les assureurs se seraient manifestés pour le soutenir, que dire des quatorze organisations et syndicats d’agriculteurs qui considèrent qu’il leur est défavorable et qui ne soutiennent pas votre texte ? Il y a bien là aussi un problème ! Peut-être cela n’arrange-t-il pas les banquiers, mais du côté des futurs assurés, un front assez large et uni se manifeste pour dire que cette mesure ne répond pas aux besoins actuels de leur profession. La parole est à M. Charles de Courson. Notre groupe Libertés et territoires est tout à fait favorable à cet article 1er, qui prévoit premièrement la liberté d’assurance pour chaque assuré, sans assurance obligatoire, et deuxièmement la responsabilité. Il est en effet tout à fait logique que ceux qui s’assurent soient mieux indemnisés par le système collectif que ceux qui ne s’assurent pas.
C’est en effet le drame du système actuel que le fonds des calamités n’intervienne que pour ceux qui ne sont pas assurés : c’est l’exemple même d’un dispositif d’irresponsabilité collective, alors qu’on rétablit le principe de responsabilité. Bien sûr ! Quant à la solidarité de la nation, dire – comme vous le faites dans l’exposé sommaire de votre amendement – que vous vous opposez « à la logique générale de ce texte qui prévoit de contraindre les agriculteurs à se jeter dans les bras des assureurs privés et, à défaut, de les laisser sur le bas-côté » est entièrement faux, car tout le monde bénéficiera du fonds, même les non-assurés, pour qui les conditions seront moins avantageuses que pour ceux qui sont assurés, mais qui ne seront pas envoyés dans les bras des assureurs privés, puisqu’ils sont libres de le faire ou non. On ne peut donc pas accepter votre amendement, qui est contraire au texte même de l’article 1er. (L’amendement no 110 n’est pas adopté.) La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne, pour soutenir l’amendement no 171. Monsieur le rapporteur, je ne parlerai pas des gens qui gagnent de l’argent, mais de ceux qui risquent d’en perdre, notamment avec la rédaction de cet article 3 sur lequel vous êtes revenu tout à l’heure, qui minore de 50 % les montants d’indemnisation dont pourraient bénéficier les exploitants agricoles n’ayant pas souscrit de contrat d’assurance multirisque climatique, qui fait d’ailleurs bondir notre collègue de Courson.
Cette mesure de pénalisation, dont l’objectif est – je le comprends bien – de pousser les exploitants agricoles à s’assurer, se révélera particulièrement inégalitaire et dangereuse, notamment pour les exploitations déjà en difficulté ou ayant les revenus les plus faibles, qui font souvent le pari de ne pas s’assurer parce que c’est une dépense en moins alors qu’elles ne parviennent déjà pas à faire face aux autres. Je connais, en particulier, de nombreuses exploitations d’élevage qui n’ont aujourd’hui pas les moyens de souscrire de contrat MRC et dont le passage de 65 % à 70 % d’aide publique à la souscription ne changera pas profondément la capacité à y souscrire.
Si ce dispositif est, comme cela vient de nous être précisé, un copier-coller de la législation européenne, nous devons nous interroger sur la manière dont on pourrait néanmoins soutenir les agriculteurs qui n’ont pas souscrit de contrat multirisque climatique et se voient amputer de 50 % de l’indemnisation à laquelle ils auraient pu prétendre s’ils l’avaient fait, notamment les agriculteurs les plus fragiles, afin de ne pas les pousser encore plus vite vers des difficultés souvent grandissantes. Quel est l’avis de la commission ? Monsieur Dufrègne, monsieur le président Chassaigne, je vous dirai deux choses. La première concerne les agriculteurs en difficulté, qui ne dégagent pas un résultat leur permettant d’avoir une stratégie incluant des souscriptions à des contrats d’assurance, voire d’épargner. C’est un drame bien réel de l’agriculture et ce projet de loi ne permet assurément pas de réparer cette injustice. Nous avons adopté des lois qui tentent de protéger le revenu agricole, mais les agriculteurs sont soumis à un rapport de forces économique qui leur est très défavorable et ce n’est pas avec un produit d’assurance que l’on protège un revenu. L’idée traîne, dans le monde agricole, que l’assurance doit pouvoir garantir une sorte de revenu minimum, mais personne ne calcule le taux de rentabilité d’un contrat d’assurance ! Personne n’attend une inondation, un incendie ou quelque autre événement que ce soit pour être remboursé de ce que lui coûte son contrat d’assurance habitation !
Il nous faut donc, humblement, être très clairs sur le fait que ce projet de loi n’est pas destiné à venir au secours du revenu agricole, mais d’une capacité de résilience : il s’agit de ne pas avoir à fermer boutique, mettre la clé sous la porte à l’occasion d’une catastrophe ou de la succession de quelques accidents climatiques. Je reconnais cependant, je le répète, qu’il existe des agriculteurs en très grande difficulté, à qui il sera difficile de souscrire un contrat d’assurance et d’avoir une stratégie – mais c’est une autre question.
Deuxième point : l’abattement de 50 %. Il s’agit là, il est vrai, de la réglementation européenne, mais si cette mesure ne figurait pas dans le texte européen, j’aurais tout de même souhaité qu’elle soit rédigée ainsi, car lorsqu’on demande aujourd’hui à des agriculteurs si l’assurance récolte doit être obligatoire, deux camps irréconciliables se dessinent, qui répondront chacun avec le même aplomb. Pour les uns, elle doit être absolument obligatoire ; pour les autres, c’est hors de question. Je respecte ces choix, qui sont déchirants dans le monde agricole. Si vous interrogez des viticulteurs des Pyrénées-Orientales – pas des gros : des petits, qui n’ont pas beaucoup de revenus –, les accidents climatiques qu’ils vivent dans le pourtour méditerranéen leur feront probablement dire qu’ils sont favorables à l’assurance obligatoire. En Bretagne, en revanche, il y a des chances que les agriculteurs vous disent que c’est hors de question. Il ne faut mépriser personne. L’assurance ne doit pas être obligatoire pour ceux qui considèrent qu’elle ne doit pas l’être, et chacun doit rester libre, mais il faut aussi dire à ceux qui voudraient qu’elle soit obligatoire que nous inciterons les agriculteurs à s’assurer et à définir des stratégies d’entreprise de calcul et de transfert du risque. Je vous rappelle, monsieur le rapporteur, qu’hormis celle du Gouvernement, toutes les interventions sur les amendements sont limitées à deux minutes. Cela vaut également pour le rapporteur.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Monsieur Dufrègne, le chiffre inscrit noir sur blanc dans le règlement est bien de 50 %. Je pourrai vous faire passer ce document, et j’insiste sur ce point.
Par ailleurs, parce que je connais votre implication en la matière, je rappelle que selon un arrêté de 2010, le pourcentage d’indemnisation retenu par le CNGRA pour la prairie est de 28 %. Dès lors donc que la perte excède 30 %, l’indemnisation est de 28 % à partir du premier euro de perte. Cette mesure est conforme au chiffre de 50 % fixé par la réglementation européenne et qui a donné lieu à cet arrêté, mais le chiffre est désormais de 28 %, avec une différence à partir du premier euro de perte.
Le projet ne crée donc en rien un étau qui serait moins favorable que le dispositif existant. Je tiens à être très rassurant à ce propos : il s’agit de retranscrire les règles fixées par la réglementation européenne, mais qui sont déjà en vigueur aujourd’hui. Avis défavorable. La parole est à M. Fabrice Brun. Dans le prolongement des propos de mes collègues Julien Dive et Guillaume Larrivé, je tiens à dire que le groupe Les Républicains est favorable à ce texte et à son article 1er. Permettez-moi cependant, au début de nos débats, de rappeler que, sur fond de dérèglement climatique, la meilleure des assurances réside avant tout dans les équipements de protection, qui sont coûteux et difficiles à amortir pour les exploitations agricoles, d’où l’importance de l’intervention de l’État et des collectivités territoriales pour accompagner ces dernières. La meilleure des assurances récoltes est aussi l’irrigation – et je ne parle pas là de celle des années 1980, mais bien de 2022 : il ne s’agit pas d’intensification de l’agriculture, mais de sécurisation du revenu des agriculteurs sur l’ensemble du territoire national. Je sais notamment, monsieur le ministre, que vous êtes convaincu de l’intérêt du stockage hivernal de l’eau, mais vos services ont encore bien du chemin à faire sur le terrain pour que des projets dans ce domaine deviennent réalité.
Pour ce qui est du projet de loi que nous examinons, le rôle de notre débat est d’apporter des garanties, d’abord à propos des 70 % de subvention et de la franchise subventionnable de 20 % minimum appliqués intégralement à toutes les productions et à tous les contrats. Il faut en effet avoir bien conscience que sans cela, il n’y aura pas de dynamique positive pour aller plus loin que ce qui se fait actuellement. Il faut aussi clarifier les modalités d’intervention du fonds des calamités agricoles, mutualiser tous les risques – nous y reviendrons longuement, notamment à l’article 7. Il faut enfin, même si cela a été dit et écrit, garantir par des preuves concrètes une entrée en vigueur du texte au 1er janvier 2023 au plus tard. Ce sera l’objet d’amendements déposés notamment par notre groupe. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.) La parole est à M. André Chassaigne. Je ne reviendrai pas sur les propos tenus tout à l’heure par le rapporteur, qui s’inspiraient de Guizot disant : « Enrichissez-vous, enrichissez-vous ! » Le travail ! Les temps ont évolué depuis la monarchie de Juillet.
Pour ce qui est de la couverture, ce texte a pour objectif de faire en sorte que ceux qui ne s’assurent pas ne soient plus indemnisés. Vous l’avez du reste dit vous-même, monsieur le rapporteur, et j’ai ici un article de presse dans lequel vous affirmez qu’à terme, les non-assurés ne devraient plus bénéficier de l’intervention de l’État pour être indemnisés. J’ignore si vous confirmez ces propos, mais ils sont bien là. La réalité, c’est que certains ne pourront pas s’assurer, parce que leur revenu ne le leur permettra pas. Les 70 % d’aide apportés pour l’assurance bénéficieront donc seulement à ceux qui pourront s’assurer.
D’autre part, l’abattement de 50 % concernera aussi, selon vous, ceux qui sont assurés, mais je ne le crois pas. Il y aura donc bien une différence entre ceux qui sont assurés et ceux qui ne le sont pas.
Du reste, tout dépend du seuil, et la différence avec la situation antérieure peut être très pénalisante. Au troisième étage de la fusée, c’est-à-dire au moment où l’État intervient à nouveau en complément de l’assurance privée, tout dépend du niveau fixé, qui définira aussi le niveau de perte par rapport à ce qu’assuraient les dispositions antérieures. Je reviendrai plus tard sur le système herbager, qui devrait être très concerné par ces questions.
Quoiqu’il en soit, cette mesure est très sélective : ceux qui ont le plus de difficultés ne pourront pas s’assurer et les aides publiques destinées à payer les cotisations d’assurance iront uniquement à ceux qui seront assurés, tandis que le reste sera rogné. Ce n’est pas vrai ! (L’amendement no 171 n’est pas adopté.) Sur l’article 1er, je suis saisi par le groupe La République en marche d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Guillaume Garot, pour soutenir l’amendement no 42. Je comprends la volonté du Gouvernement d’apporter des réponses à toutes les questions liées à la protection apportée par l’assurance face au dérèglement climatique. L’objectif poursuivi n’est cependant pas celui de couverture universelle qui est affiché. D’abord, comme cela a abondamment été dit avant moi, tous les agriculteurs ne souscrivent pas une assurance récolte, parce qu’ils n’en ont tout simplement pas les moyens. Ensuite, toutes les productions ne sont pas éligibles à ce type d’assurance – je pense en particulier, et sous réserve de vérification, à l’apiculture.
Comment faire une réforme sans être dans la main des assureurs ? C’est en ces termes que le groupe Socialistes et apparentés voudrait poser le problème, afin de préserver les objectifs d’intérêt général et de soutenir l’ensemble d’un secteur sans financer indirectement un autre secteur. Nous proposons donc d’instituer un comité scientifique qui aurait deux missions. La première serait de travailler sur le niveau d’indemnisation, au-delà des risques qualifiés de catastrophiques.
Il est important que des experts soient sollicités pour participer bénévolement à ce comité scientifique et mener ce travail de manière collégiale.
Une deuxième mission sera assignée à ce comité, dans la droite ligne de ce qu’expliquait tout à l’heure Dominique Potier : déterminer comment mobiliser une diversité de contributeurs à cette solidarité, afin que ne s’exerce pas seulement une solidarité nationale, mais aussi une solidarité de filière. J’ai bien entendu vos arguments – intéressants – sur la CVO, mais nous devons aller plus loin. C’est en tout cas la proposition que nous faisons, afin de parvenir au système le plus juste et le plus efficace possible, qui réponde bien à l’objectif d’assurance universelle. Quel est l’avis de la commission ? Il est défavorable, pour deux raisons. D’une part, je ne reviens pas sur la contribution de solidarité ciblée sur certains acteurs de la filière : il s’agit d’accroître la part de l’État dans le soutien à l’agriculture française, et non de faire contribuer tel acteur plutôt que tel autre au sein des filières.
D’autre part, je souscris totalement à vos propos sur le comité de suivi : il faudra, sans aucun doute, qu’un comité d’experts veille à la bonne application de la loi. Seulement, ce rôle reviendra au futur CODAR – ou à la CODAR, si elle prend la forme d’une commission : nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen d’amendements portant sur ce point. Cette instance aura bien vocation à réunir l’expertise des assureurs et des professionnels agricoles pour identifier, au plus près du terrain, les secteurs où la réforme produira ses effets et ceux où elle ne fonctionnera pas, une revue à mi-parcours étant prévue en 2026. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis, pour les mêmes raisons. La parole est à M. Charles de Courson. J’ajouterai un argument, que j’estime puissant, contre cet amendement et le suivant : vous entendez faire payer l’aval, mais uniquement l’aval situé en France, puisque vous ne pourrez pas imposer une telle contribution à des acteurs situés en Angleterre, en Allemagne ou aux Pays-Bas. Si votre amendement était adopté et si le comité scientifique que vous souhaitez créer concluait qu’il faut taxer l’aval pour financer l’amont, les activités agro-industrielles françaises s’en trouveraient donc pénalisées.
Je ne suis d’ailleurs même pas certain qu’une telle disposition soit conforme au droit communautaire : si un agriculteur exporte la moitié de son blé à l’étranger et que vous faites payer uniquement les meuniers français, puisque vous ne pourrez pas faire payer les meuniers belges qui réexporteront ensuite leur farine en France, vous créez une discrimination contre l’agro-industrie française. L’esprit de cet amendement me semble donc complètement contraire aux intérêts des filières agroalimentaires françaises. (L’amendement no 42 n’est pas adopté.) La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement no 43. Charles de Courson s’inquiète pour les acteurs de l’industrie agroalimentaire. Nous nous soucions, quant à nous, des revenus des paysans en cas d’aléas climatiques : généralement, dans ces situations, l’aval s’en tire plutôt bien. La question est donc bien celle des producteurs.
J’ai entendu les arguments du rapporteur, qui expliquait tout à l’heure que la difficulté à mobiliser l’ensemble des interprofessions était l’obstacle principal à la création de CVO. En même temps, il a vanté la puissance du syndicat majoritaire, désigné au cours d’élections mobilisant sept paysans sur dix, ce qui lui confère la capacité à représenter tous les métiers et tous les territoires. Cette argumentation présente pour le moins un paradoxe.
J’ai le plus grand respect pour la FNSEA et pour le fait syndical en général. Néanmoins, le rapporteur aurait pu explorer avec les interprofessions, dans leur diversité, la voie de la régulation et du partage des risques. Je rappelle que lorsque nous nous étions opposés à la réintroduction des néonicotinoïdes, nous avions calculé le coût, sur une bouteille de soda, d’une taxe destinée à collecter les 300 millions d’euros nécessaires pour combler le déficit lié à l’aléa causé par le puceron vert et la jaunisse de la betterave. Le surcoût aurait représenté quelques centimes par bouteille pendant trois ans.
Autrement dit, les acteurs de l’aval seraient parfaitement capables de se montrer solidaires des mutations de la production et les interprofessions pourraient mobiliser cette ressource. Les agro-industriels ne pourraient d’ailleurs plus faire porter cette charge additionnelle sur les producteurs, puisque, je le dis sans ironie, depuis l’adoption de la loi EGALIM 2, les prix sont construits par le bas, sur la base des coûts de production – du moins l’espérons-nous.
Enfin, il n’a jamais été question de créer des CVO dans chaque interprofession et de dispenser l’État de sa contribution : il s’agissait bien de construire un système dans lequel la puissance publique et l’interprofession, ensemble, gèrent conjointement un système d’assurance mutualiste et étatique. À défaut d’être universelle, cette possibilité alternative devrait au moins être proposée aux agriculteurs, parallèlement à l’assurance privée. Tel est le sens de l’amendement que nous déposons, qui prend la forme d’une demande de rapport rédigé par un comité scientifique pour ne pas tomber sous le coup de l’article 40 de la Constitution. Quel est l’avis de la commission ? Pour les raisons déjà exposées précédemment, j’émets un avis défavorable.
Je n’ai pas dit qu’il n’était pas possible de créer des CVO : j’ai souligné que cela ne pouvait relever que d’initiatives privées. Nous pouvons toujours inviter les acteurs concernés à s’emparer de cette possibilité, mais ni l’exécutif ni le législateur ne peuvent imposer à une interprofession de monter un projet en ce sens : c’est tout simplement impossible. L’État assure un contrôle de conformité dans le cadre d’une éventuelle extension, mais c’est bien l’interprofession qui en prend l’initiative. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Nicolas Turquois. Je suis assez surpris des amendements déposés sur l’article 1er. À travers ce projet de loi, l’État s’engage à prendre à sa charge des risques qui ne pèseront donc plus sur le monde agricole, au-delà des seules catastrophes exceptionnelles. C’est tout de même la meilleure réponse à donner aux agriculteurs, y compris à ceux qui sont le plus en difficulté !
Certes, comme le rapporteur l’a souligné, certains n’ont pas les moyens de financer une assurance. Mais le fait d’élargir le spectre de l’assurance permettra de renforcer le système et de développer une culture du risque – car si certains exploitants ne peuvent pas souscrire d’assurance, d’autres ne le souhaitent pas, parce qu’ils appliquent une logique de retour sur investissement. Or, je l’indiquais tout à l’heure, l’assurance doit être considérée comme une ceinture de sécurité, qui protège les exploitations en cas de risque majeur : il ne s’agit pas d’un placement, mais d’une protection.
Nous devrions nous réjouir que l’État intervienne comme il se propose de le faire. Cela n’empêche nullement de prendre en considération les problèmes de rentabilité qui affectent certains agriculteurs et qui doivent être traités par ailleurs. La parole est à M. André Chassaigne. Je soutiens l’amendement de notre collègue. Les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’inscrivaient dans une démarche similaire lorsqu’ils avaient déposé, le 7 avril 2020, une proposition de loi dont l’article 6, comme nous l’indiquions dans l’exposé des motifs, instaurait « une contribution obligatoire des entreprises du secteur bancaire et assurantiel, ainsi que du secteur agricole et agroalimentaire, au bénéfice du Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA). Cette nouvelle contribution, dont l’assiette et le taux seraient définis par décret, porte uniquement sur les revenus financiers, c’est-à-dire la somme des dividendes bruts et assimilés et des intérêts bruts perçus ».
Je tenais à le souligner, car il était hors de question que je me fasse doubler sur ma gauche par Dominique Potier ! (Sourires.) (L’amendement no 43 n’est pas adopté.) Je mets aux voix l’article 1er. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 103
Nombre de suffrages exprimés 95
Majorité absolue 48
Pour l’adoption 94
Contre 1 (L’article 1er est adopté.) (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 129 portant article additionnel après l’article 1er.
Il vise à modifier les conséquences de l’utilisation de l’épargne professionnelle constituée dans le cadre de la déduction pour épargne de précaution (DEP), en supprimant la réintégration fiscale des déductions utilisées pour faire face aux conséquences d’un aléa d’origine climatique, naturelle ou sanitaire. La dispense de réintégration fiscale serait limitée aux dépenses liées aux aléas survenus, c’est-à-dire à celles qui n’auraient pas été engagées en leur absence.
La conjoncture n’a probablement jamais été aussi propice à une telle évolution, les agriculteurs prenant pleinement conscience du fait que les mécanismes de soutien sont appelés à changer. Cette modification constituerait en outre – cerise sur le gâteau – une prime à la bonne gestion. Quel est l’avis de la commission ? En toute sincérité, j’étais initialement favorable à votre amendement. J’émettrai néanmoins un avis défavorable, pour plusieurs raisons. D’une part – et j’avoue que je n’y avais pas pensé immédiatement –, l’amendement, s’il était adopté, affecterait le plafonnement des aides de minimis , qui relèvent de l’échelon communautaire. Nous ne disposons d’aucune visibilité sur l’incidence potentielle de votre proposition, les données en la matière étant inexistantes.
Par ailleurs, la DEP, qui rencontre un grand succès, repose sur un principe de simplification et d’efficacité accrue par rapport à la déduction pour aléas (DPA) qui existait précédemment. N’y touchons pas pour l’instant : attendons de voir comment le dispositif évolue. Même si je considère que vos motivations et votre idée étaient bonnes, j’émets un avis défavorable à ce stade. (L’amendement no 129, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à M. Jean-Baptiste Moreau, pour soutenir l’amendement no 228. Il a pour objet de compléter l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, afin de préciser les objectifs des politiques publiques en matière de prévention et de gestion des risques climatiques en agriculture. Il s’agit de graver dans le marbre le caractère universel du système de gestion des risques proposé. La majorité s’est en effet engagée, depuis maintenant cinq ans, dans une politique publique de prévention, avec un double objectif : améliorer la résilience des systèmes de production agricole face au changement climatique et créer des outils de prévention et de couverture des risques.
Je tiens à rappeler que le projet de loi que nous examinons intervient en complément du plan France relance, dans le cadre duquel nous avons consacré 160 millions d’euros aux outils de prévention et 1,2 milliard d’euros à la transition agricole et à la transformation de notre modèle de production. Il s’inscrit aussi dans la continuité des mesures annoncées par le Président de la République dans le cadre du plan France 2030, qui fait de la transformation de notre agriculture un de ses objectifs. Enfin, comme l’a rappelé M. le ministre, l’enveloppe consacrée à la lutte contre les aléas climatiques se voit doublée et portée à 600 millions d’euros. Quel est l’avis de la commission ? Cet amendement a le mérite de clarifier, donc d’asseoir un peu plus, l’intention du législateur et de mieux encadrer l’interprétation du texte par le pouvoir exécutif chargé d’en décliner l’application réglementaire, quel qu’il soit. J’y suis résolument favorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Je suis moi aussi très favorable à cet amendement.
Je tiens à faire remarquer au président Chassaigne que si la politique est toujours compliquée, elle nous réserve parfois quelques mystères difficiles à percer. En l’occurrence, je présente un projet de loi du Gouvernement proposant, grâce à la solidarité nationale, de porter la somme consacrée à la lutte contre les aléas climatiques de 300 millions à 600 millions d’euros par an… C’est vrai, je le reconnais. …et de créer un dispositif qui a fait l’objet de dix-huit mois de travaux, de très nombreuses consultations et d’un vote unanime du Conseil de l’agriculture française (CAF). De très nombreuses parties prenantes ont été associées à l’élaboration de ce texte – j’ai même personnellement échangé avec vous.
Pourtant, une petite musique se fait entendre selon laquelle nous chercherions à créer un système moins profitable aux agriculteurs que le dispositif existant. Nous n’avons pas dit cela ! Soyons sérieux ! Croyez-vous vraiment que nous aurions consacré autant de temps et d’énergie à arracher les arbitrages afin d’obtenir un doublement de la contribution de l’État au titre de la solidarité nationale pour, in fine , proposer un système moins efficace pour les agriculteurs ?
Je vais vous faire une confession : jamais, au grand jamais, ma préoccupation n’a été de savoir si les assureurs seraient contents de la réforme – au vu du nombre de mails que nous recevons, je crois savoir qu’ils ne le sont pas. Ceux qui me suivent depuis que j’ai pris mes fonctions le savent d’ailleurs : j’ai toujours fait de cette indifférence un marqueur, parce que je ne connais que trop bien cette profession. Ma seule boussole, c’est la résilience de l’agriculture française ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Voilà ce pour quoi nous nous battons !
Je vous accorderai un point, monsieur Chassaigne : les seuils ne sont pas fixés dans la loi. Mais je vous lance un défi : puisque vous connaissez parfaitement mon intention et celle du Président de la République, faisons en sorte d’aller jusqu’au bout et de mener cette réforme à son terme. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.) La parole est à M. Charles de Courson. On ne peut qu’être favorable à l’amendement plein de bon sens de M. Moreau. Merci ! Il n’est pas tout à fait normatif, mais il ne mange pas de pain.
Il évoque l’adaptation des systèmes de production. J’aimerais en donner un exemple. Chez moi, en Champagne, les gens ne s’assurent pas parce que nous avons mis en place un dispositif, la réserve individuelle, devenu pérenne après une expérimentation de plusieurs années. Cela consiste à mettre de côté du vin obtenu pendant les bonnes années – ce qui suppose bien sûr de supporter le coût de stockage. Quand ça va mal, on peut piocher dans la réserve individuelle. Cela a été le cas lors des dernières vendanges : le rendement, qui avait été fixé à 10 000 kilos par hectare, n’a été que de 6 000 mais grâce à la réserve individuelle, qui s’élevait cette année à 8 000 kilos par hectare, le marché de Champagne n’a pas connu de tensions.
Voilà un bel exemple… C’est un privilège ! …d’adaptation du système qui ne coûte rien – cela ne nécessite pas un sou d’argent public, ce qui prouve qu’on n’en a pas toujours besoin. Je sais que ce dispositif intéresse d’autres types de viticulture. Évidemment, ce n’est pas possible dans le Beaujolais, où la vigne a un cycle annuel. Mais dans d’autres vignobles, comme le Bordelais, je sais qu’on y travaille. Il existe donc bien des exemples d’adaptation des systèmes et des règles de production permettant d’offrir une assurance collective.
Je peux vous donner un autre exemple, tout récent, celui de la filière de la pomme de terre de consommation. Un grand accord vient d’être signé entre McCain et 800 producteurs. Il prévoit que les prix seront stabilisés non plus sur trois ans, comme c’est le cas actuellement, mais sur six ans, afin de garantir une plus grande lisibilité.
Ce sont aussi toutes les initiatives de ce type qui permettent d’éviter les problèmes climatiques ou d’y remédier. La parole est à M. André Chassaigne. Je signale à M. le ministre que nous avons tout à fait conscience de l’augmentation des moyens mis par l’État pour cette réforme. La question que nous posons est : qui en bénéficie ? Qui en profite ? Les agriculteurs. Notre réponse n’est pas forcément la même que la vôtre.
L’amendement de notre collègue Moreau porte essentiellement sur la résilience de nos systèmes de production, un objectif que nous partageons évidemment. J’apporterai cependant un bémol : il ne faudrait pas que se dessine, au nom de la résilience, une spécialisation encore plus poussée des territoires en fonction de leurs avantages climatiques. Si l’on accroît encore la spécialisation, cela peut poser des problèmes d’écoulement de la production, de pollution induite ou de délocalisation d’autres productions disponibles sur notre territoire. Il faut être très vigilant sur ce point.
Tout à l’heure, on a évoqué François Guizot, mais on pourrait aussi parler d’un économiste anglais de la même époque, David Ricardo, auteur d’une théorie des avantages comparatifs préconisant de produire là où c’est rentable et de ne plus produire là où ça ne l’est pas. Le résultat de cette politique a été le recours aux importations, notamment depuis l’Amérique du sud. Restons attentifs afin d’éviter d’en arriver à une telle conclusion. (L’amendement no 228 est adopté.)
La conjoncture n’a probablement jamais été aussi propice à une telle évolution, les agriculteurs prenant pleinement conscience du fait que les mécanismes de soutien sont appelés à changer. Cette modification constituerait en outre – cerise sur le gâteau – une prime à la bonne gestion. Quel est l’avis de la commission ? En toute sincérité, j’étais initialement favorable à votre amendement. J’émettrai néanmoins un avis défavorable, pour plusieurs raisons. D’une part – et j’avoue que je n’y avais pas pensé immédiatement –, l’amendement, s’il était adopté, affecterait le plafonnement des aides de minimis , qui relèvent de l’échelon communautaire. Nous ne disposons d’aucune visibilité sur l’incidence potentielle de votre proposition, les données en la matière étant inexistantes.
Par ailleurs, la DEP, qui rencontre un grand succès, repose sur un principe de simplification et d’efficacité accrue par rapport à la déduction pour aléas (DPA) qui existait précédemment. N’y touchons pas pour l’instant : attendons de voir comment le dispositif évolue. Même si je considère que vos motivations et votre idée étaient bonnes, j’émets un avis défavorable à ce stade. (L’amendement no 129, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à M. Jean-Baptiste Moreau, pour soutenir l’amendement no 228. Il a pour objet de compléter l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, afin de préciser les objectifs des politiques publiques en matière de prévention et de gestion des risques climatiques en agriculture. Il s’agit de graver dans le marbre le caractère universel du système de gestion des risques proposé. La majorité s’est en effet engagée, depuis maintenant cinq ans, dans une politique publique de prévention, avec un double objectif : améliorer la résilience des systèmes de production agricole face au changement climatique et créer des outils de prévention et de couverture des risques.
Je tiens à rappeler que le projet de loi que nous examinons intervient en complément du plan France relance, dans le cadre duquel nous avons consacré 160 millions d’euros aux outils de prévention et 1,2 milliard d’euros à la transition agricole et à la transformation de notre modèle de production. Il s’inscrit aussi dans la continuité des mesures annoncées par le Président de la République dans le cadre du plan France 2030, qui fait de la transformation de notre agriculture un de ses objectifs. Enfin, comme l’a rappelé M. le ministre, l’enveloppe consacrée à la lutte contre les aléas climatiques se voit doublée et portée à 600 millions d’euros. Quel est l’avis de la commission ? Cet amendement a le mérite de clarifier, donc d’asseoir un peu plus, l’intention du législateur et de mieux encadrer l’interprétation du texte par le pouvoir exécutif chargé d’en décliner l’application réglementaire, quel qu’il soit. J’y suis résolument favorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Je suis moi aussi très favorable à cet amendement.
Je tiens à faire remarquer au président Chassaigne que si la politique est toujours compliquée, elle nous réserve parfois quelques mystères difficiles à percer. En l’occurrence, je présente un projet de loi du Gouvernement proposant, grâce à la solidarité nationale, de porter la somme consacrée à la lutte contre les aléas climatiques de 300 millions à 600 millions d’euros par an… C’est vrai, je le reconnais. …et de créer un dispositif qui a fait l’objet de dix-huit mois de travaux, de très nombreuses consultations et d’un vote unanime du Conseil de l’agriculture française (CAF). De très nombreuses parties prenantes ont été associées à l’élaboration de ce texte – j’ai même personnellement échangé avec vous.
Pourtant, une petite musique se fait entendre selon laquelle nous chercherions à créer un système moins profitable aux agriculteurs que le dispositif existant. Nous n’avons pas dit cela ! Soyons sérieux ! Croyez-vous vraiment que nous aurions consacré autant de temps et d’énergie à arracher les arbitrages afin d’obtenir un doublement de la contribution de l’État au titre de la solidarité nationale pour, in fine , proposer un système moins efficace pour les agriculteurs ?
Je vais vous faire une confession : jamais, au grand jamais, ma préoccupation n’a été de savoir si les assureurs seraient contents de la réforme – au vu du nombre de mails que nous recevons, je crois savoir qu’ils ne le sont pas. Ceux qui me suivent depuis que j’ai pris mes fonctions le savent d’ailleurs : j’ai toujours fait de cette indifférence un marqueur, parce que je ne connais que trop bien cette profession. Ma seule boussole, c’est la résilience de l’agriculture française ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Voilà ce pour quoi nous nous battons !
Je vous accorderai un point, monsieur Chassaigne : les seuils ne sont pas fixés dans la loi. Mais je vous lance un défi : puisque vous connaissez parfaitement mon intention et celle du Président de la République, faisons en sorte d’aller jusqu’au bout et de mener cette réforme à son terme. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.) La parole est à M. Charles de Courson. On ne peut qu’être favorable à l’amendement plein de bon sens de M. Moreau. Merci ! Il n’est pas tout à fait normatif, mais il ne mange pas de pain.
Il évoque l’adaptation des systèmes de production. J’aimerais en donner un exemple. Chez moi, en Champagne, les gens ne s’assurent pas parce que nous avons mis en place un dispositif, la réserve individuelle, devenu pérenne après une expérimentation de plusieurs années. Cela consiste à mettre de côté du vin obtenu pendant les bonnes années – ce qui suppose bien sûr de supporter le coût de stockage. Quand ça va mal, on peut piocher dans la réserve individuelle. Cela a été le cas lors des dernières vendanges : le rendement, qui avait été fixé à 10 000 kilos par hectare, n’a été que de 6 000 mais grâce à la réserve individuelle, qui s’élevait cette année à 8 000 kilos par hectare, le marché de Champagne n’a pas connu de tensions.
Voilà un bel exemple… C’est un privilège ! …d’adaptation du système qui ne coûte rien – cela ne nécessite pas un sou d’argent public, ce qui prouve qu’on n’en a pas toujours besoin. Je sais que ce dispositif intéresse d’autres types de viticulture. Évidemment, ce n’est pas possible dans le Beaujolais, où la vigne a un cycle annuel. Mais dans d’autres vignobles, comme le Bordelais, je sais qu’on y travaille. Il existe donc bien des exemples d’adaptation des systèmes et des règles de production permettant d’offrir une assurance collective.
Je peux vous donner un autre exemple, tout récent, celui de la filière de la pomme de terre de consommation. Un grand accord vient d’être signé entre McCain et 800 producteurs. Il prévoit que les prix seront stabilisés non plus sur trois ans, comme c’est le cas actuellement, mais sur six ans, afin de garantir une plus grande lisibilité.
Ce sont aussi toutes les initiatives de ce type qui permettent d’éviter les problèmes climatiques ou d’y remédier. La parole est à M. André Chassaigne. Je signale à M. le ministre que nous avons tout à fait conscience de l’augmentation des moyens mis par l’État pour cette réforme. La question que nous posons est : qui en bénéficie ? Qui en profite ? Les agriculteurs. Notre réponse n’est pas forcément la même que la vôtre.
L’amendement de notre collègue Moreau porte essentiellement sur la résilience de nos systèmes de production, un objectif que nous partageons évidemment. J’apporterai cependant un bémol : il ne faudrait pas que se dessine, au nom de la résilience, une spécialisation encore plus poussée des territoires en fonction de leurs avantages climatiques. Si l’on accroît encore la spécialisation, cela peut poser des problèmes d’écoulement de la production, de pollution induite ou de délocalisation d’autres productions disponibles sur notre territoire. Il faut être très vigilant sur ce point.
Tout à l’heure, on a évoqué François Guizot, mais on pourrait aussi parler d’un économiste anglais de la même époque, David Ricardo, auteur d’une théorie des avantages comparatifs préconisant de produire là où c’est rentable et de ne plus produire là où ça ne l’est pas. Le résultat de cette politique a été le recours aux importations, notamment depuis l’Amérique du sud. Restons attentifs afin d’éviter d’en arriver à une telle conclusion. (L’amendement no 228 est adopté.)
La parole est à M. André Villiers.
L’objectif de 60 % des surfaces assurées en 2030 semble bien progressif, peut-être trop. Nous nous interrogeons sur les capacités de cette réforme à atteindre l’objectif annoncé d’une couverture universelle. Je rappelle au passage que les paysans viennent d’être échaudés par les espoirs déçus de la loi EGALIM.
Enfin, la profession agricole s’inquiète de voir beaucoup de questions renvoyées à des décrets et à des ordonnances prévues dans le projet de loi. Il serait souhaitable que les modalités soient précisées dans le texte, ou que le Gouvernement prenne du moins des engagements clairs.
Monsieur le ministre, je retiens le triptyque que vous avez évoqué tout à l’heure : un régime universel, plus simple et plus efficace. C’est avec bienveillance que je vous donne rendez-vous. En attendant, je soutiendrai votre projet de loi. La parole est à M. André Chassaigne. Je pèserai mes mots, car je suis tétanisé lorsque je m’exprime ici en présence de l’éleveur Jean-Baptiste Moreau, de Jean-Paul Dufrègne et d’autres députés qui connaissent bien mieux que moi les problèmes concrets rencontrés par les éleveurs herbagers. Ces derniers se retrouvent en première ligne face aux aléas climatiques.
Chacun le sait, l’adaptation des exploitations agricoles au changement climatique est un enjeu majeur sur le long terme. Il doit donc s’accompagner d’une sécurisation forte des exploitations face aux aléas climatiques, aux événements extrêmes récurrents.
Reste à savoir si ce projet de loi répondra à cette inquiétude, d’autant plus que les éleveurs sont ceux qui disposent des niveaux de trésorerie et de rentabilité les plus faibles. Il faut donc faire très attention à l’impact de ce projet de loi.
La grande spécificité de l’élevage des ruminants tient à qu’une absence de récolte n’entraîne pas uniquement une diminution des ventes, mais aussi un achat supplémentaire de fourrage et par conséquent un accroissement des difficultés de trésorerie.
J’en viens plus précisément au point que je voulais aborder concernant l’article 2. Jusqu’à présent, l’évaluation des pertes de prairie devait être faite en fonction de données portant sur une longue période historique. J’ai cru comprendre que ce calcul se ferait désormais à partir d’une moyenne olympique quinquennale.
Ce changement est-il un avantage ou un inconvénient ? On m’a dit que c’était un inconvénient, mais Jean-Paul Dufrègne m’assure que cela peut aussi être positif. N’étant pas assez spécialiste en la matière, je ne peux en juger. Or le texte prévoit que les modalités seront fixées par décret. Pourrait-on néanmoins avoir quelques précisions ? La moyenne annuelle sera-t-elle calculée à partir de la moyenne olympique quinquennale ou de données portant sur une plus longue période ? La parole est à M. Jean-Baptiste Moreau. Ce projet de loi prévoit une gestion du risque à trois étages, le premier relevant de l’agriculteur, le deuxième de l’assurance subventionnée et le troisième de l’État. L’article 2, qui vient renforcer le système de prise en charge publique des contrats d’assurance subventionnés, concerne donc le deuxième étage de la réforme.
Grâce au projet de loi, le taux minimal de prise en charge publique des contrats passe de 65 à 70 % des pertes. Cet article prévoit un abaissement, de 30 % à 20 %, du seuil de pertes à partir duquel les contrats deviennent éligibles au mécanisme de subvention.
Toutes ces modifications sont effectuées conformément au droit européen, les seuils étant définis par décret, ce qui permet de faire preuve d’une intelligence collective pour répondre aux spécificités de chaque filière.
M. Chassaigne parlait des risques que ferait peser le nouveau mécanisme, mais c’est bien aujourd’hui que des problèmes de trésorerie se posent. En effet, on perçoit souvent l’indemnité sécheresse au mieux dix-huit mois après avoir subi ce phénomène climatique, alors qu’il est nécessaire d’acheter du fourrage deux ou trois mois après l’épisode de sécheresse – voire pendant celui-ci. Ce mécanisme vise donc bien à améliorer l’efficacité et la rapidité du versement de ces indemnités, les trésoreries n’étant pas abondées par le système tel qu’il existe aujourd’hui. La parole est à M. Loïc Prud’homme, pour soutenir l’amendement no 111, qui tend à supprimer l’article 2. Nous souhaitons en effet, par cet amendement, supprimer cet article qui vise à autoriser l’augmentation des subventions aux primes d’assurance multirisque climatique.
L’article 2 vise à prendre en charge une partie des primes d’assurance en portant le taux maximal de subvention de 65 % à 70 %. Le surplus d’argent public va donc permettre aux compagnies d’assurance privées à but lucratif, dont nous parlons depuis tout à l’heure, de trouver un marché auprès des agriculteurs ayant la capacité financière de s’assurer.
Alors même qu’avec un taux de subvention proche des deux tiers, seule 18 % de la surface agricole utile est aujourd’hui assurée, ce surplus de subvention apparaît avant tout comme un cadeau fait aux quelques sociétés d’assurance qui composent ce secteur – nous en avons déjà parlé. Actuellement, seuls dix assureurs proposent ces produits, deux groupes se partageant 70 % du marché.
Ce dispositif semble d’autant plus coûteux qu’il ne met aucun frein à la hausse plus que probable des primes d’assurance – comme celle déjà prévue et annoncée par les assureurs pour 2022.
À l’avenir, il faudra donc certainement continuer à augmenter les montants d’argent public nécessaires à la subvention du fonctionnement du marché de l’assurance récolte pour garantir la rentabilité importante qu’attendent les acteurs de ce marché.
Nous revenons au débat que nous avions tout à l’heure : puisque le marché et la marchandisation ont fait la preuve de leur inefficacité, n’existerait-il pas une option moins onéreuse – je citais tout à l’heure la mutualisation – et plus conforme à l’intérêt général ?
À l’instar du Conseil d’État, qui a rendu un avis en ce sens, nous regrettons que l’étude d’impact demeure insatisfaisante en ce qui concerne les options alternatives qui auraient pu ou dû être retenues. Ainsi, un fonds professionnel mutuel et solidaire nous semblerait plus économique – puisqu’il ne rémunère pas d’actionnaires – et plus protecteur pour nos agriculteurs, leurs récoltes et leurs revenus, ce qui est tout de même l’objectif que nous partageons tous. Quel est l’avis de la commission ? Je vais essayer d’être rapide, mais cette question est importante.
Vous proposez de supprimer la possibilité de tenir compte du règlement omnibus dans la loi. Je vous suggère de vous faire inviter par des syndicats à une assemblée générale et de tenter de justifier ce point de vue auprès des agriculteurs. Bon courage !
Vous dites que l’on subventionne les assureurs. L’État contribue à rendre un produit attractif et les agriculteurs ont accès à un produit moins cher. Il est impossible de déclarer ainsi, en regardant la situation de loin, que ce sont les assureurs qui profitent de la subvention.
S’agissant du fonds mutuel, votre approche est parfaitement légitime. Nous l’avons d’ailleurs envisagée au sein du groupe de travail qui s’est réuni dans le cadre du Varenne de l’eau et du changement climatique, et nous en avons discuté. Je salue au passage la participation des syndicats qui, s’ils s’opposent aujourd’hui au projet de loi, sont restés assidus pendant toute la durée des travaux, en prenant part à la discussion dans un état d’esprit positif.
Du point de vue budgétaire, cependant, la solution alternative d’un fonds mutuel représente un montant qui n’a rien à voir avec notre proposition. Sachez que nous avons fait les calculs, car nous avons examiné cette hypothèse. Parmi les scénarios possibles – que nous avons tous étudiés – figurait bien celui d’une assurance obligatoire publique, d’un fonds mutuel. Il reposait sur l’idée que l’État devait intervenir le premier et que l’assurance ne jouerait un rôle éventuel que dans une logique, sinon de confort, du moins de réponse à un besoin non vital de l’exploitation.
Dans cette hypothèse, plus lourde du point de vue budgétaire, on donne comme gage aux agriculteurs que l’État permettra de maintenir et de protéger l’agriculture telle qu’elle est aujourd’hui. Or la logique actuelle n’est pas celle-là. L’agriculture va être transformée, soumise à des bouleversements. Le message qu’il faut faire passer, c’est donc que chaque filière et chaque exploitant doivent avoir pour stratégie de se soustraire le plus possible aux risques qui s’aggravent, dans une logique d’acculturation, de calcul et de transfert de risques, l’État intervenant non pas en premier, mais en dernier, en cas de sinistre catastrophique. Avis défavorable. (L’amendement no 111, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à M. Loïc Prud’homme, pour soutenir l’amendement no 112. Par cet amendement, nous proposons de supprimer toute subvention aux primes d’assurance par le Fonds national de gestion des risques en agriculture.
Nous allons ainsi radicalement dans le sens inverse du projet de loi, qui vise à augmenter les subventions aux assurances privées dans l’espoir d’augmenter le taux de couverture des agriculteurs. Les subventions actuelles ne permettant pas au marché de fonctionner convenablement, vous considérez qu’il faut les augmenter. Qu’importent les effets inégalitaires et les inefficacités constatées antérieurement !
En outre, et c’est important, le FNGRA est financé par tous les agriculteurs, dont les taxes sont appelées à augmenter, alors qu’une minorité d’entre eux bénéficient d’une couverture assurantielle.
En effet, le rapport Descrozaille, produit dans le cadre du Varenne de l’eau, prévoit un doublement des taxes dédiées pour tous les agriculteurs et une hausse substantielle de la contribution de l’État. C’est à ces conditions seulement qu’il anticipe un équilibre budgétaire en 2030, et pour seulement moins de 50 % des agriculteurs.
Ce système relève moins du ruissellement ou de la solidarité nationale dont vous nous rebattez les oreilles que du siphonnage des taxes de tout le monde par les plus riches. En effet, une minorité des agriculteurs sont assurés. Par conséquent, leurs primes d’assurance sont subventionnées par l’ensemble de la communauté agricole – et des contribuables – à travers le budget de l’État. Mais seule la catégorie la plus aisément assurable et la plus aisée des agriculteurs en bénéficiera, dans la mesure où elle dispose de la trésorerie nécessaire pour payer au moins une partie de ces primes d’assurance.
Je n’en démords pas, ces subventions permettent de rentabiliser l’activité des assureurs privés, qui peuvent en profiter pour augmenter leurs tarifs. Ils ont déjà dit qu’ils le feraient, puisque quelques semaines après avoir découvert le projet de loi, les sociétés d’assurances ont annoncé une hausse de 15 à 25 %.
Cette architecture fait donc peser le risque d’une captation des deniers publics au profit des assureurs. C’est pourquoi nous proposons de supprimer toute contribution financière du FNGRA aux primes d’assurance. Quel est l’avis de la commission ? Défavorable. Je ne répéterai pas les arguments que je viens de développer, mais j’en ajouterai un. Vous parlez de taxes siphonnées par les plus riches, mais je vous invite à demander aux viticulteurs et aux céréaliers leur opinion sur le régime actuel, auquel ils contribuent sans y être éligibles. Ce que nous proposons est beaucoup plus juste, puisque le principe selon lequel « je contribue donc j’ai droit » devient universel. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz. J’aimerais répondre à notre collègue Prud’homme. La réalité, c’est que la suppression du dispositif prévu à l’article 2 remettrait en cause l’intégralité des trois étages de l’architecture proposée. Or l’intérêt de cet article, c’est justement qu’il augmente le taux maximal de subvention de la prime d’assurance en le portant de 65 % à 70 %. En outre, sans cet article, la réforme des modalités d’intervention du FNGRA au titre de la solidarité nationale n’aurait plus de sens. Il est donc fondamental, et c’est pourquoi il faut l’adopter. (L’amendement no 112 n’est pas adopté.) La parole est à M. Jean-Louis Bricout, pour soutenir l’amendement no 72. Cet amendement vise à préciser que la part de subvention publique pourrait également varier selon le coût des contrats d’assurance. À défaut de pouvoir appliquer le taux de subvention maximal de 70 % à tous les secteurs de production, la variation de ce taux en fonction du coût du contrat constituerait une piste intéressante pour mieux prendre en compte la réalité du contexte assurantiel. Dans un contexte de hausse des tarifs des contrats d’assurance MRC – Groupama a annoncé pour 2022 des hausses comprises entre 10 % et 15 %, voire 25 % pour certaines cultures –, il convient en effet de s’assurer que le niveau de subvention publique est maximal pour les productions difficilement assurables. Je pense au maraîchage diversifié, à l’apiculture ou encore aux plantes aromatiques et médicinales, productions pour lesquelles les tarifs proposés par les assureurs sont de fait les plus élevés. Quel est l’avis de la commission ? Cet amendement est déjà satisfait, mon cher collègue. J’insiste, car c’est très important : tel qu’il est rédigé, le texte reprend presque mot pour mot ce qui est prévu au niveau communautaire. Autrement dit, il garantit qu’en 2023, l’État pourra indemniser exactement dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui au titre du régime des calamités agricoles – y compris s’agissant des éleveurs herbagers, monsieur Chassaigne. Les variations de prise en charge par le FNGRA à partir de 30 % de pertes tiennent compte de la nature du risque et des clauses du contrat pour apporter le plus de souplesse possible et pour rendre la réforme la plus indolore possible, puisqu’il s’agit bien de convaincre, l’entrée dans le dispositif étant facultative. Nous prendrons le temps qu’il faudra pour cela. Le CODAR suivra la mise en ?uvre du dispositif. Je sais que tout cela a été mal compris par certains et les inquiétait : c’est le moment de rassurer. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. J’insisterai sur deux points, à commencer par ce que vient de dire le rapporteur, qui est essentiel. Il y a en effet eu des craintes. Je rappelle qu’avant M. Descrozaille, une autre commission avait travaillé sur le sujet pendant près d’un an et demi. Dans ce cadre avaient été émises des propositions, issues de la concertation, préconisant de réduire l’attrait du régime des calamités agricoles pour favoriser l’adhésion à l’assurance dans le but d’améliorer le système. C’est précisément à cette conclusion que je me suis opposé et c’est pourquoi j’ai demandé à Frédéric Descrozaille de rédiger son rapport et plaidé auprès du Premier ministre et du Président de la République pour que soit retenue ce qui était à mes yeux la seule solution, à savoir non pas dégrader l’intérêt de l’un pour favoriser l’autre, mais introduire la notion de solidarité nationale pour convaincre les agriculteurs de se tourner vers ce nouveau système.
Le second point sur lequel je veux insister, c’est que le texte nous permettra d’accompagner les agriculteurs, avec des dispositifs mieux-disants qu’auparavant, tout en étant dynamiques en fonction de la réalité du terrain, c’est-à-dire de l’existence ou non d’offres d’assurance réellement accessibles.
Quant à l’amendement, je pense qu’il est contre-productif. Il ne faudrait en aucun cas que le législateur prévoie que le niveau de prime dépend du coût de l’assurance, sauf à inciter l’assureur à augmenter ce dernier. Car si le niveau de subvention est fonction du niveau des primes, cela fera naître chez certains assureurs l’idée d’augmenter les primes à due concurrence,… Tout à fait ! …nous obligeant ensuite à augmenter le niveau de subvention – et pour l’agriculteur, zéro bénéfice ! C’est exactement l’inverse qu’il faut faire pour que le système bénéficie bien à l’agriculteur et non à l’assureur – mais je ne voudrais pas faire croire que je suis encore plus à gauche que MM. Potier, Dufrègne, Bricout et Chassaigne. (Sourires.)
Voilà pourquoi le niveau de prime, dans le texte, dépend de la nature de la production, c’est-à-dire de leur contexte. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) L’amendement est-il retiré ? Je retire notre amendement, car je reconnais que sa rédaction prête à confusion. Mais s’il est mal rédigé sur le plan juridique, je tiens à en rétablir la motivation : l’exposé sommaire précise bien que c’est là où il y a un déficit d’assurabilité lié au mode de production qu’il faut subventionner de façon plus importante. Qu’il n’y ait pas de malentendu sur notre intention ! (L’amendement no 72 est retiré.) La parole est à M. Loïc Prud’homme, pour soutenir l’amendement no 113. Cet amendement de repli propose de maintenir le taux de subvention à 65 %. Comme notre amendement précédent, il a été rédigé avec la Confédération paysanne. Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable pour les mêmes motifs que ceux que je vous ai déjà exposés, les précisions que vient d’apporter le ministre complétant mon argumentation. (L’amendement no 113, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement no 109. C’est un amendement de réflexion. Je rappelle que dans l’état actuel du droit, le seuil de pertes à partir duquel l’État peut subventionner est de 30 %. Le règlement communautaire omnibus l’a abaissé à 20 %. Le Gouvernement propose donc dans cet article de se caler sur les 20 %. Cet amendement vise à réserver ce nouveau seuil aux cas les plus difficiles, c’est-à-dire à l’arboriculture et aux prairies, l’étude d’impact montrant que dans ces deux secteurs, les coûts assurantiels sont très élevés. Ce sont eux qu’il faut le plus aider. Pour les autres, ce serait 25 %, soit déjà une amélioration par rapport au système existant, à savoir 30 %. Peut-être me répondrez-vous que vous êtes d’accord avec moi mais que vous procéderez par voie réglementaire, monsieur le ministre. Quoi qu’il en soit, j’attends avec impatience votre réponse. Quel est l’avis de la commission ? Je suis défavorable à cet amendement, monsieur de Courson, car je considère qu’il faut inscrire dans le texte que le Gouvernement peut aller jusqu’au maximum de ce qu’autorise le règlement omnibus, et ce pour toutes les filières. Je peux vous dire que pour les grandes cultures, le seuil de 20 % est très attendu, parce que les risques qui les menacent le plus ne sont pas tant des catastrophes type gel, qui peuvent ruiner 100 % d’un verger, que la récurrence de risques moyens, soit entre 20 % et 40 % de pertes.
J’aurais bien sûr adoré pouvoir annoncer tout de suite aux filières : « On va démarrer dès 2023 avec omnibus plein pot. » Mais je respecte l’esprit de la réforme : nous en définissons aujourd’hui le cadre légal ; il appartiendra ensuite au Parlement d’en tirer les conséquences budgétaires lors de la prochaine législature. Je pense personnellement qu’il faudra appliquer ce règlement dans son intégralité en 2023 pour toutes les filières. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis, pour exactement les mêmes raisons. J’insiste sur le fait qu’on ne peut établir de seuils ayant des incidences financières, quelles qu’elles soient – franchise, taux total de subvention – que dans un projet de loi de finances, leur application étant alors précisée par voie réglementaire. Mais la position du Gouvernement est d’ores et déjà très claire : ce sera bien 600 millions d’euros de subvention à l’assurance et à l’indemnisation des pertes de récolte en 2023.
Deuxième point : je suis résolument favorable à ce qu’on applique le règlement omnibus en allant le plus loin possible.
Troisième point : j’attire l’attention sur la nécessité d’une approche très pragmatique. Si je suis favorable à ce qu’on utilise le règlement omnibus plein pot, ce qui m’intéresse à la fin des fins, c’est le prix payé par l’agriculteur. Voilà ma seule boussole, ma seule ancre. Pour revenir sur la discussion que nous venons d’avoir, si l’augmentation de la subvention du contrat d’assurance aboutit à celle de la prime, je ne ferai pas partie de ce jeu-là. Je vous renvoie à cet égard à l’article 7 sur la régulation du système actuariel, qui est essentiel. Le Gouvernement sera d’autant plus à l’aise pour utiliser le règlement omnibus plein pot que votre assemblée aura été ambitieuse sur l’article 7. C’est très important.
Enfin, je souligne que tout l’équilibre du système repose sur trois critères : la franchise, le taux de subvention, mais aussi le seuil, parce qu’en fonction du niveau de ce dernier, l’assureur n’assume pas le même niveau de responsabilité, n’a pas à prévoir le même nombre d’actifs face au risque, et modifie d’autant le prix qu’il fait payer à l’agriculteur. C’est donc filière par filière, culture par culture, que tout doit être étudié, d’où l’importance d’avoir une ambition sur l’article 7 pour s’assurer que ce qu’on va réussir à faire revienne bien à l’agriculteur et pas à l’assureur. Ce n’est pas une réforme pour les assureurs, mais une réforme pour les agriculteurs. C’est une évidence, mais ça va mieux en le disant. Cela étant dit, je tiens vraiment à saluer les assureurs qui, pour certains d’entre eux, cherchent aussi des solutions pour la pérennité du dispositif : ne tombons pas dans la caricature, voire dans la stigmatisation. Vous connaissez comme moi des assureurs qui sont proches du territoire. Mais il n’empêche, je le redis, que c’est une réforme pour les agriculteurs. La parole est à M. Charles de Courson. Si j’ai déposé cet amendement, c’était pour vous tendre une perche et vous permettre de déclarer que vous feriez les efforts les plus importants en direction de l’arboriculture et des prairies, parce que c’est dans ces deux secteurs que les problèmes d’assurance sont les plus aigus. Vous n’avez pas voulu aller jusque-là dans votre réponse… Si, si ! Il suffisait de me le dire pour que je retire mon amendement, monsieur le ministre, puisque c’était son but.
Monsieur le rapporteur, vous renvoyez à la loi de finances – mais oui et non, puisque c’est le pouvoir réglementaire qui fixera ensuite les taux, filière par filière. Sachant que les moyens budgétaires sont limités, mon amendement avait pour but d’inciter le Gouvernement à concentrer les aides sur ces deux secteurs, puisque toutes les études d’impact montrent que c’est là où le problème est le plus difficile. L’amendement est-il retiré, monsieur de Courson ? J’attends une réponse claire de M. le ministre. La parole est à M. le ministre. Je veux vraiment rebondir sur ce que vous dites, monsieur de Courson, pour qu’il n’y ait pas de malentendu. Aujourd’hui, les secteurs que vous évoquez sont considérés comme non assurables et bénéficient à ce titre des interventions du CNGRA. Comme on crée un système universel, on va y inclure d’autres cultures. Certains craignent que cela se fasse au détriment de ceux qui sont déjà assurés, mais la réponse est non, archi non ! Je ne cesse de répéter que cette réforme ne tient que par son principe fondamental, l’augmentation de la solidarité nationale. Elle n’aboutira donc pas du tout à un transfert des uns vers les autres. Arrêtons de dire aux agriculteurs : « Débrouillez-vous tout seuls. » En tant que garants de la souveraineté agroalimentaire de notre pays, il faut leur dire : « Qui que vous soyez, assurables ou non assurables aujourd’hui, nous avons bien en tête que vous ne pouvez pas faire face seuls, donc nous venons vous aider, mais pas dans la sphère existante, puisque ce sera du plus. » La parole est à M. Charles de Courson. Je retire mon amendement, monsieur le ministre, mais il n’en demeure pas moins qu’on ne sait pas si le fait de passer de 300 millions à 600 millions permettra de régler le problème de fond en se concentrant sur les secteurs les plus difficiles. (L’amendement no 109 est retiré.) La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement no 172. Il vise à garantir que les organisations syndicales seront consultées. Monsieur le rapporteur, en commission, vous m’aviez répondu que c’était acquis. En bon Auvergnat, vous avais-je répondu, je n’achète jamais un âne dans un sac. (Sourires) Je préfère donc que les choses soient précisées dans la loi – même si cette mention constitue selon vous une sorte de pléonasme, puisque vous trouvez cela évident.
J’en profite pour revenir sur vos propos concernant les éleveurs herbagers. Selon vous, ils n’y perdront pas par rapport à ce qu’ils touchent aujourd’hui dans le cadre du régime des calamités agricoles. Votre argument peut aussi signifier que leur situation ne sera sans doute pas mieux prise en considération alors que les aléas climatiques se multiplient. Tout cela mérite d’être précisé. Il ne faudrait pas que les 600 millions d’euros dont nous parlait M. le ministre ne profitent qu’à quelques-uns tandis que d’autres, qui auraient pourtant pu en bénéficier, ne voient pas leur système assurantiel s’améliorer.
Il est également essentiel que les assureurs ne territorialisent pas les primes d’assurance – vous vous étiez prononcé en ce sens en commission, monsieur le ministre, et j’en prends acte. Dans le cadre de la solidarité nationale, il faut que le montant des primes soit identique, par production, sur tout le territoire. Ça ne peut pas être à géométrie variable selon l’endroit… Le seuil ! J’ai cru comprendre que c’était ce que vous aviez dit, mais je me suis peut-être trompé. Dans ce cas, vous rectifierez. Je peux avoir manqué de perspicacité. Quel est l’avis de la commission ? Si vous le voulez bien, monsieur Chassaigne, nous reparlerons de l’harmonisation du niveau des primes ultérieurement, car il en est question à d’autres articles.
Je vous l’ai dit, vous l’avez rappelé, et je vous le répète : votre amendement est satisfait puisque le CODAR – il faudra d’ailleurs dire la CODAR si nous adoptons l’amendement qui vise à transformer le comité en commission – est issu du CNGRA. Vos motivations sont parfaitement légitimes, et je souscris pleinement à votre objectif, mais il serait superfétatoire d’introduire dans le texte le dispositif prévu par votre amendement. Je vous demande donc de le retirer. Je ne suis pas juriste, mais c’est une question de bonne légistique. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. (L’amendement no 172 est retiré.) La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement no 48.
Enfin, la profession agricole s’inquiète de voir beaucoup de questions renvoyées à des décrets et à des ordonnances prévues dans le projet de loi. Il serait souhaitable que les modalités soient précisées dans le texte, ou que le Gouvernement prenne du moins des engagements clairs.
Monsieur le ministre, je retiens le triptyque que vous avez évoqué tout à l’heure : un régime universel, plus simple et plus efficace. C’est avec bienveillance que je vous donne rendez-vous. En attendant, je soutiendrai votre projet de loi. La parole est à M. André Chassaigne. Je pèserai mes mots, car je suis tétanisé lorsque je m’exprime ici en présence de l’éleveur Jean-Baptiste Moreau, de Jean-Paul Dufrègne et d’autres députés qui connaissent bien mieux que moi les problèmes concrets rencontrés par les éleveurs herbagers. Ces derniers se retrouvent en première ligne face aux aléas climatiques.
Chacun le sait, l’adaptation des exploitations agricoles au changement climatique est un enjeu majeur sur le long terme. Il doit donc s’accompagner d’une sécurisation forte des exploitations face aux aléas climatiques, aux événements extrêmes récurrents.
Reste à savoir si ce projet de loi répondra à cette inquiétude, d’autant plus que les éleveurs sont ceux qui disposent des niveaux de trésorerie et de rentabilité les plus faibles. Il faut donc faire très attention à l’impact de ce projet de loi.
La grande spécificité de l’élevage des ruminants tient à qu’une absence de récolte n’entraîne pas uniquement une diminution des ventes, mais aussi un achat supplémentaire de fourrage et par conséquent un accroissement des difficultés de trésorerie.
J’en viens plus précisément au point que je voulais aborder concernant l’article 2. Jusqu’à présent, l’évaluation des pertes de prairie devait être faite en fonction de données portant sur une longue période historique. J’ai cru comprendre que ce calcul se ferait désormais à partir d’une moyenne olympique quinquennale.
Ce changement est-il un avantage ou un inconvénient ? On m’a dit que c’était un inconvénient, mais Jean-Paul Dufrègne m’assure que cela peut aussi être positif. N’étant pas assez spécialiste en la matière, je ne peux en juger. Or le texte prévoit que les modalités seront fixées par décret. Pourrait-on néanmoins avoir quelques précisions ? La moyenne annuelle sera-t-elle calculée à partir de la moyenne olympique quinquennale ou de données portant sur une plus longue période ? La parole est à M. Jean-Baptiste Moreau. Ce projet de loi prévoit une gestion du risque à trois étages, le premier relevant de l’agriculteur, le deuxième de l’assurance subventionnée et le troisième de l’État. L’article 2, qui vient renforcer le système de prise en charge publique des contrats d’assurance subventionnés, concerne donc le deuxième étage de la réforme.
Grâce au projet de loi, le taux minimal de prise en charge publique des contrats passe de 65 à 70 % des pertes. Cet article prévoit un abaissement, de 30 % à 20 %, du seuil de pertes à partir duquel les contrats deviennent éligibles au mécanisme de subvention.
Toutes ces modifications sont effectuées conformément au droit européen, les seuils étant définis par décret, ce qui permet de faire preuve d’une intelligence collective pour répondre aux spécificités de chaque filière.
M. Chassaigne parlait des risques que ferait peser le nouveau mécanisme, mais c’est bien aujourd’hui que des problèmes de trésorerie se posent. En effet, on perçoit souvent l’indemnité sécheresse au mieux dix-huit mois après avoir subi ce phénomène climatique, alors qu’il est nécessaire d’acheter du fourrage deux ou trois mois après l’épisode de sécheresse – voire pendant celui-ci. Ce mécanisme vise donc bien à améliorer l’efficacité et la rapidité du versement de ces indemnités, les trésoreries n’étant pas abondées par le système tel qu’il existe aujourd’hui. La parole est à M. Loïc Prud’homme, pour soutenir l’amendement no 111, qui tend à supprimer l’article 2. Nous souhaitons en effet, par cet amendement, supprimer cet article qui vise à autoriser l’augmentation des subventions aux primes d’assurance multirisque climatique.
L’article 2 vise à prendre en charge une partie des primes d’assurance en portant le taux maximal de subvention de 65 % à 70 %. Le surplus d’argent public va donc permettre aux compagnies d’assurance privées à but lucratif, dont nous parlons depuis tout à l’heure, de trouver un marché auprès des agriculteurs ayant la capacité financière de s’assurer.
Alors même qu’avec un taux de subvention proche des deux tiers, seule 18 % de la surface agricole utile est aujourd’hui assurée, ce surplus de subvention apparaît avant tout comme un cadeau fait aux quelques sociétés d’assurance qui composent ce secteur – nous en avons déjà parlé. Actuellement, seuls dix assureurs proposent ces produits, deux groupes se partageant 70 % du marché.
Ce dispositif semble d’autant plus coûteux qu’il ne met aucun frein à la hausse plus que probable des primes d’assurance – comme celle déjà prévue et annoncée par les assureurs pour 2022.
À l’avenir, il faudra donc certainement continuer à augmenter les montants d’argent public nécessaires à la subvention du fonctionnement du marché de l’assurance récolte pour garantir la rentabilité importante qu’attendent les acteurs de ce marché.
Nous revenons au débat que nous avions tout à l’heure : puisque le marché et la marchandisation ont fait la preuve de leur inefficacité, n’existerait-il pas une option moins onéreuse – je citais tout à l’heure la mutualisation – et plus conforme à l’intérêt général ?
À l’instar du Conseil d’État, qui a rendu un avis en ce sens, nous regrettons que l’étude d’impact demeure insatisfaisante en ce qui concerne les options alternatives qui auraient pu ou dû être retenues. Ainsi, un fonds professionnel mutuel et solidaire nous semblerait plus économique – puisqu’il ne rémunère pas d’actionnaires – et plus protecteur pour nos agriculteurs, leurs récoltes et leurs revenus, ce qui est tout de même l’objectif que nous partageons tous. Quel est l’avis de la commission ? Je vais essayer d’être rapide, mais cette question est importante.
Vous proposez de supprimer la possibilité de tenir compte du règlement omnibus dans la loi. Je vous suggère de vous faire inviter par des syndicats à une assemblée générale et de tenter de justifier ce point de vue auprès des agriculteurs. Bon courage !
Vous dites que l’on subventionne les assureurs. L’État contribue à rendre un produit attractif et les agriculteurs ont accès à un produit moins cher. Il est impossible de déclarer ainsi, en regardant la situation de loin, que ce sont les assureurs qui profitent de la subvention.
S’agissant du fonds mutuel, votre approche est parfaitement légitime. Nous l’avons d’ailleurs envisagée au sein du groupe de travail qui s’est réuni dans le cadre du Varenne de l’eau et du changement climatique, et nous en avons discuté. Je salue au passage la participation des syndicats qui, s’ils s’opposent aujourd’hui au projet de loi, sont restés assidus pendant toute la durée des travaux, en prenant part à la discussion dans un état d’esprit positif.
Du point de vue budgétaire, cependant, la solution alternative d’un fonds mutuel représente un montant qui n’a rien à voir avec notre proposition. Sachez que nous avons fait les calculs, car nous avons examiné cette hypothèse. Parmi les scénarios possibles – que nous avons tous étudiés – figurait bien celui d’une assurance obligatoire publique, d’un fonds mutuel. Il reposait sur l’idée que l’État devait intervenir le premier et que l’assurance ne jouerait un rôle éventuel que dans une logique, sinon de confort, du moins de réponse à un besoin non vital de l’exploitation.
Dans cette hypothèse, plus lourde du point de vue budgétaire, on donne comme gage aux agriculteurs que l’État permettra de maintenir et de protéger l’agriculture telle qu’elle est aujourd’hui. Or la logique actuelle n’est pas celle-là. L’agriculture va être transformée, soumise à des bouleversements. Le message qu’il faut faire passer, c’est donc que chaque filière et chaque exploitant doivent avoir pour stratégie de se soustraire le plus possible aux risques qui s’aggravent, dans une logique d’acculturation, de calcul et de transfert de risques, l’État intervenant non pas en premier, mais en dernier, en cas de sinistre catastrophique. Avis défavorable. (L’amendement no 111, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à M. Loïc Prud’homme, pour soutenir l’amendement no 112. Par cet amendement, nous proposons de supprimer toute subvention aux primes d’assurance par le Fonds national de gestion des risques en agriculture.
Nous allons ainsi radicalement dans le sens inverse du projet de loi, qui vise à augmenter les subventions aux assurances privées dans l’espoir d’augmenter le taux de couverture des agriculteurs. Les subventions actuelles ne permettant pas au marché de fonctionner convenablement, vous considérez qu’il faut les augmenter. Qu’importent les effets inégalitaires et les inefficacités constatées antérieurement !
En outre, et c’est important, le FNGRA est financé par tous les agriculteurs, dont les taxes sont appelées à augmenter, alors qu’une minorité d’entre eux bénéficient d’une couverture assurantielle.
En effet, le rapport Descrozaille, produit dans le cadre du Varenne de l’eau, prévoit un doublement des taxes dédiées pour tous les agriculteurs et une hausse substantielle de la contribution de l’État. C’est à ces conditions seulement qu’il anticipe un équilibre budgétaire en 2030, et pour seulement moins de 50 % des agriculteurs.
Ce système relève moins du ruissellement ou de la solidarité nationale dont vous nous rebattez les oreilles que du siphonnage des taxes de tout le monde par les plus riches. En effet, une minorité des agriculteurs sont assurés. Par conséquent, leurs primes d’assurance sont subventionnées par l’ensemble de la communauté agricole – et des contribuables – à travers le budget de l’État. Mais seule la catégorie la plus aisément assurable et la plus aisée des agriculteurs en bénéficiera, dans la mesure où elle dispose de la trésorerie nécessaire pour payer au moins une partie de ces primes d’assurance.
Je n’en démords pas, ces subventions permettent de rentabiliser l’activité des assureurs privés, qui peuvent en profiter pour augmenter leurs tarifs. Ils ont déjà dit qu’ils le feraient, puisque quelques semaines après avoir découvert le projet de loi, les sociétés d’assurances ont annoncé une hausse de 15 à 25 %.
Cette architecture fait donc peser le risque d’une captation des deniers publics au profit des assureurs. C’est pourquoi nous proposons de supprimer toute contribution financière du FNGRA aux primes d’assurance. Quel est l’avis de la commission ? Défavorable. Je ne répéterai pas les arguments que je viens de développer, mais j’en ajouterai un. Vous parlez de taxes siphonnées par les plus riches, mais je vous invite à demander aux viticulteurs et aux céréaliers leur opinion sur le régime actuel, auquel ils contribuent sans y être éligibles. Ce que nous proposons est beaucoup plus juste, puisque le principe selon lequel « je contribue donc j’ai droit » devient universel. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à Mme Marie-Christine Dalloz. J’aimerais répondre à notre collègue Prud’homme. La réalité, c’est que la suppression du dispositif prévu à l’article 2 remettrait en cause l’intégralité des trois étages de l’architecture proposée. Or l’intérêt de cet article, c’est justement qu’il augmente le taux maximal de subvention de la prime d’assurance en le portant de 65 % à 70 %. En outre, sans cet article, la réforme des modalités d’intervention du FNGRA au titre de la solidarité nationale n’aurait plus de sens. Il est donc fondamental, et c’est pourquoi il faut l’adopter. (L’amendement no 112 n’est pas adopté.) La parole est à M. Jean-Louis Bricout, pour soutenir l’amendement no 72. Cet amendement vise à préciser que la part de subvention publique pourrait également varier selon le coût des contrats d’assurance. À défaut de pouvoir appliquer le taux de subvention maximal de 70 % à tous les secteurs de production, la variation de ce taux en fonction du coût du contrat constituerait une piste intéressante pour mieux prendre en compte la réalité du contexte assurantiel. Dans un contexte de hausse des tarifs des contrats d’assurance MRC – Groupama a annoncé pour 2022 des hausses comprises entre 10 % et 15 %, voire 25 % pour certaines cultures –, il convient en effet de s’assurer que le niveau de subvention publique est maximal pour les productions difficilement assurables. Je pense au maraîchage diversifié, à l’apiculture ou encore aux plantes aromatiques et médicinales, productions pour lesquelles les tarifs proposés par les assureurs sont de fait les plus élevés. Quel est l’avis de la commission ? Cet amendement est déjà satisfait, mon cher collègue. J’insiste, car c’est très important : tel qu’il est rédigé, le texte reprend presque mot pour mot ce qui est prévu au niveau communautaire. Autrement dit, il garantit qu’en 2023, l’État pourra indemniser exactement dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui au titre du régime des calamités agricoles – y compris s’agissant des éleveurs herbagers, monsieur Chassaigne. Les variations de prise en charge par le FNGRA à partir de 30 % de pertes tiennent compte de la nature du risque et des clauses du contrat pour apporter le plus de souplesse possible et pour rendre la réforme la plus indolore possible, puisqu’il s’agit bien de convaincre, l’entrée dans le dispositif étant facultative. Nous prendrons le temps qu’il faudra pour cela. Le CODAR suivra la mise en ?uvre du dispositif. Je sais que tout cela a été mal compris par certains et les inquiétait : c’est le moment de rassurer. Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. J’insisterai sur deux points, à commencer par ce que vient de dire le rapporteur, qui est essentiel. Il y a en effet eu des craintes. Je rappelle qu’avant M. Descrozaille, une autre commission avait travaillé sur le sujet pendant près d’un an et demi. Dans ce cadre avaient été émises des propositions, issues de la concertation, préconisant de réduire l’attrait du régime des calamités agricoles pour favoriser l’adhésion à l’assurance dans le but d’améliorer le système. C’est précisément à cette conclusion que je me suis opposé et c’est pourquoi j’ai demandé à Frédéric Descrozaille de rédiger son rapport et plaidé auprès du Premier ministre et du Président de la République pour que soit retenue ce qui était à mes yeux la seule solution, à savoir non pas dégrader l’intérêt de l’un pour favoriser l’autre, mais introduire la notion de solidarité nationale pour convaincre les agriculteurs de se tourner vers ce nouveau système.
Le second point sur lequel je veux insister, c’est que le texte nous permettra d’accompagner les agriculteurs, avec des dispositifs mieux-disants qu’auparavant, tout en étant dynamiques en fonction de la réalité du terrain, c’est-à-dire de l’existence ou non d’offres d’assurance réellement accessibles.
Quant à l’amendement, je pense qu’il est contre-productif. Il ne faudrait en aucun cas que le législateur prévoie que le niveau de prime dépend du coût de l’assurance, sauf à inciter l’assureur à augmenter ce dernier. Car si le niveau de subvention est fonction du niveau des primes, cela fera naître chez certains assureurs l’idée d’augmenter les primes à due concurrence,… Tout à fait ! …nous obligeant ensuite à augmenter le niveau de subvention – et pour l’agriculteur, zéro bénéfice ! C’est exactement l’inverse qu’il faut faire pour que le système bénéficie bien à l’agriculteur et non à l’assureur – mais je ne voudrais pas faire croire que je suis encore plus à gauche que MM. Potier, Dufrègne, Bricout et Chassaigne. (Sourires.)
Voilà pourquoi le niveau de prime, dans le texte, dépend de la nature de la production, c’est-à-dire de leur contexte. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) L’amendement est-il retiré ? Je retire notre amendement, car je reconnais que sa rédaction prête à confusion. Mais s’il est mal rédigé sur le plan juridique, je tiens à en rétablir la motivation : l’exposé sommaire précise bien que c’est là où il y a un déficit d’assurabilité lié au mode de production qu’il faut subventionner de façon plus importante. Qu’il n’y ait pas de malentendu sur notre intention ! (L’amendement no 72 est retiré.) La parole est à M. Loïc Prud’homme, pour soutenir l’amendement no 113. Cet amendement de repli propose de maintenir le taux de subvention à 65 %. Comme notre amendement précédent, il a été rédigé avec la Confédération paysanne. Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable pour les mêmes motifs que ceux que je vous ai déjà exposés, les précisions que vient d’apporter le ministre complétant mon argumentation. (L’amendement no 113, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à M. Charles de Courson, pour soutenir l’amendement no 109. C’est un amendement de réflexion. Je rappelle que dans l’état actuel du droit, le seuil de pertes à partir duquel l’État peut subventionner est de 30 %. Le règlement communautaire omnibus l’a abaissé à 20 %. Le Gouvernement propose donc dans cet article de se caler sur les 20 %. Cet amendement vise à réserver ce nouveau seuil aux cas les plus difficiles, c’est-à-dire à l’arboriculture et aux prairies, l’étude d’impact montrant que dans ces deux secteurs, les coûts assurantiels sont très élevés. Ce sont eux qu’il faut le plus aider. Pour les autres, ce serait 25 %, soit déjà une amélioration par rapport au système existant, à savoir 30 %. Peut-être me répondrez-vous que vous êtes d’accord avec moi mais que vous procéderez par voie réglementaire, monsieur le ministre. Quoi qu’il en soit, j’attends avec impatience votre réponse. Quel est l’avis de la commission ? Je suis défavorable à cet amendement, monsieur de Courson, car je considère qu’il faut inscrire dans le texte que le Gouvernement peut aller jusqu’au maximum de ce qu’autorise le règlement omnibus, et ce pour toutes les filières. Je peux vous dire que pour les grandes cultures, le seuil de 20 % est très attendu, parce que les risques qui les menacent le plus ne sont pas tant des catastrophes type gel, qui peuvent ruiner 100 % d’un verger, que la récurrence de risques moyens, soit entre 20 % et 40 % de pertes.
J’aurais bien sûr adoré pouvoir annoncer tout de suite aux filières : « On va démarrer dès 2023 avec omnibus plein pot. » Mais je respecte l’esprit de la réforme : nous en définissons aujourd’hui le cadre légal ; il appartiendra ensuite au Parlement d’en tirer les conséquences budgétaires lors de la prochaine législature. Je pense personnellement qu’il faudra appliquer ce règlement dans son intégralité en 2023 pour toutes les filières. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis, pour exactement les mêmes raisons. J’insiste sur le fait qu’on ne peut établir de seuils ayant des incidences financières, quelles qu’elles soient – franchise, taux total de subvention – que dans un projet de loi de finances, leur application étant alors précisée par voie réglementaire. Mais la position du Gouvernement est d’ores et déjà très claire : ce sera bien 600 millions d’euros de subvention à l’assurance et à l’indemnisation des pertes de récolte en 2023.
Deuxième point : je suis résolument favorable à ce qu’on applique le règlement omnibus en allant le plus loin possible.
Troisième point : j’attire l’attention sur la nécessité d’une approche très pragmatique. Si je suis favorable à ce qu’on utilise le règlement omnibus plein pot, ce qui m’intéresse à la fin des fins, c’est le prix payé par l’agriculteur. Voilà ma seule boussole, ma seule ancre. Pour revenir sur la discussion que nous venons d’avoir, si l’augmentation de la subvention du contrat d’assurance aboutit à celle de la prime, je ne ferai pas partie de ce jeu-là. Je vous renvoie à cet égard à l’article 7 sur la régulation du système actuariel, qui est essentiel. Le Gouvernement sera d’autant plus à l’aise pour utiliser le règlement omnibus plein pot que votre assemblée aura été ambitieuse sur l’article 7. C’est très important.
Enfin, je souligne que tout l’équilibre du système repose sur trois critères : la franchise, le taux de subvention, mais aussi le seuil, parce qu’en fonction du niveau de ce dernier, l’assureur n’assume pas le même niveau de responsabilité, n’a pas à prévoir le même nombre d’actifs face au risque, et modifie d’autant le prix qu’il fait payer à l’agriculteur. C’est donc filière par filière, culture par culture, que tout doit être étudié, d’où l’importance d’avoir une ambition sur l’article 7 pour s’assurer que ce qu’on va réussir à faire revienne bien à l’agriculteur et pas à l’assureur. Ce n’est pas une réforme pour les assureurs, mais une réforme pour les agriculteurs. C’est une évidence, mais ça va mieux en le disant. Cela étant dit, je tiens vraiment à saluer les assureurs qui, pour certains d’entre eux, cherchent aussi des solutions pour la pérennité du dispositif : ne tombons pas dans la caricature, voire dans la stigmatisation. Vous connaissez comme moi des assureurs qui sont proches du territoire. Mais il n’empêche, je le redis, que c’est une réforme pour les agriculteurs. La parole est à M. Charles de Courson. Si j’ai déposé cet amendement, c’était pour vous tendre une perche et vous permettre de déclarer que vous feriez les efforts les plus importants en direction de l’arboriculture et des prairies, parce que c’est dans ces deux secteurs que les problèmes d’assurance sont les plus aigus. Vous n’avez pas voulu aller jusque-là dans votre réponse… Si, si ! Il suffisait de me le dire pour que je retire mon amendement, monsieur le ministre, puisque c’était son but.
Monsieur le rapporteur, vous renvoyez à la loi de finances – mais oui et non, puisque c’est le pouvoir réglementaire qui fixera ensuite les taux, filière par filière. Sachant que les moyens budgétaires sont limités, mon amendement avait pour but d’inciter le Gouvernement à concentrer les aides sur ces deux secteurs, puisque toutes les études d’impact montrent que c’est là où le problème est le plus difficile. L’amendement est-il retiré, monsieur de Courson ? J’attends une réponse claire de M. le ministre. La parole est à M. le ministre. Je veux vraiment rebondir sur ce que vous dites, monsieur de Courson, pour qu’il n’y ait pas de malentendu. Aujourd’hui, les secteurs que vous évoquez sont considérés comme non assurables et bénéficient à ce titre des interventions du CNGRA. Comme on crée un système universel, on va y inclure d’autres cultures. Certains craignent que cela se fasse au détriment de ceux qui sont déjà assurés, mais la réponse est non, archi non ! Je ne cesse de répéter que cette réforme ne tient que par son principe fondamental, l’augmentation de la solidarité nationale. Elle n’aboutira donc pas du tout à un transfert des uns vers les autres. Arrêtons de dire aux agriculteurs : « Débrouillez-vous tout seuls. » En tant que garants de la souveraineté agroalimentaire de notre pays, il faut leur dire : « Qui que vous soyez, assurables ou non assurables aujourd’hui, nous avons bien en tête que vous ne pouvez pas faire face seuls, donc nous venons vous aider, mais pas dans la sphère existante, puisque ce sera du plus. » La parole est à M. Charles de Courson. Je retire mon amendement, monsieur le ministre, mais il n’en demeure pas moins qu’on ne sait pas si le fait de passer de 300 millions à 600 millions permettra de régler le problème de fond en se concentrant sur les secteurs les plus difficiles. (L’amendement no 109 est retiré.) La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement no 172. Il vise à garantir que les organisations syndicales seront consultées. Monsieur le rapporteur, en commission, vous m’aviez répondu que c’était acquis. En bon Auvergnat, vous avais-je répondu, je n’achète jamais un âne dans un sac. (Sourires) Je préfère donc que les choses soient précisées dans la loi – même si cette mention constitue selon vous une sorte de pléonasme, puisque vous trouvez cela évident.
J’en profite pour revenir sur vos propos concernant les éleveurs herbagers. Selon vous, ils n’y perdront pas par rapport à ce qu’ils touchent aujourd’hui dans le cadre du régime des calamités agricoles. Votre argument peut aussi signifier que leur situation ne sera sans doute pas mieux prise en considération alors que les aléas climatiques se multiplient. Tout cela mérite d’être précisé. Il ne faudrait pas que les 600 millions d’euros dont nous parlait M. le ministre ne profitent qu’à quelques-uns tandis que d’autres, qui auraient pourtant pu en bénéficier, ne voient pas leur système assurantiel s’améliorer.
Il est également essentiel que les assureurs ne territorialisent pas les primes d’assurance – vous vous étiez prononcé en ce sens en commission, monsieur le ministre, et j’en prends acte. Dans le cadre de la solidarité nationale, il faut que le montant des primes soit identique, par production, sur tout le territoire. Ça ne peut pas être à géométrie variable selon l’endroit… Le seuil ! J’ai cru comprendre que c’était ce que vous aviez dit, mais je me suis peut-être trompé. Dans ce cas, vous rectifierez. Je peux avoir manqué de perspicacité. Quel est l’avis de la commission ? Si vous le voulez bien, monsieur Chassaigne, nous reparlerons de l’harmonisation du niveau des primes ultérieurement, car il en est question à d’autres articles.
Je vous l’ai dit, vous l’avez rappelé, et je vous le répète : votre amendement est satisfait puisque le CODAR – il faudra d’ailleurs dire la CODAR si nous adoptons l’amendement qui vise à transformer le comité en commission – est issu du CNGRA. Vos motivations sont parfaitement légitimes, et je souscris pleinement à votre objectif, mais il serait superfétatoire d’introduire dans le texte le dispositif prévu par votre amendement. Je vous demande donc de le retirer. Je ne suis pas juriste, mais c’est une question de bonne légistique. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. (L’amendement no 172 est retiré.) La parole est à M. Dominique Potier, pour soutenir l’amendement no 48.