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Amendement n°CL18

Déposé le samedi 19 novembre 2022
Discuté
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Supprimer cet article.

Exposé sommaire

Cet amendement a pour objet de supprimer l’article portant création d’une juridiction spécialisée dans le contentieux de l’expulsion.

Cette proposition de loi a deux effets délétères sur ce contentieux : elle dessaisit les tribunaux administratifs et elle accélère la procédure contentieuse en supprimant la voie de l’appel et en raccourcissant les délais de recours.

Sur le principe, ce texte est symptomatique de la frénésie législative qui s’empare d’une partie de l’échiquier politique en matière de droit des étrangers. On comprend à sa lecture qu’il s’agit moins de trouver une solution utile à un problème bien identifié que de marquer les esprits avec une mesure « tape-à-l’œil ».  Le choix de l’appellation – « Cour de sûreté de la République » – suffit à s’en convaincre ; un choix déplacé qui fait référénce à une page sombre de notre histoire, celle de la guerre d'Algérie, au cours de laquelle a été mise en place la Cour de sûreté de l’Etat, juridiction d'exception. 

Sur le fond, comme nous l’a confirmé le Syndicat de la juridiction administrative, cette proposition de loi fragilise le droit à un recours effectif et bouleverse le contentieux de l’expulsion, sans aucune justification. Les garanties d’une protection effective du droit au recours ne peuvent être affaiblies que si un intérêt supérieur le requiert. Or, la nécessité de déroger au droit commun, notamment en introduisant des délais de recours contraints (15 jours pour se pourvoir en cassation dans le cadre d'un recours en annulation et 7 jours dans le cadre d’un référé), n’est ici soutenue par aucun état des lieux. 

En premier lieu, le problème auquel est supposé répondre le texte n'est pas identifié. 

Tel est en particulier le cas de l’idée selon laquelle le contentieux actuel freinerait, par sa complexité, la mise en œuvre d’une expulsion. Ce diagnostic est tout simplement faux : rappelons en effet qu’en droit des étrangers, ni la saisine des juges du fond, ni celle du Conseil d’État en cassation n’autorise la suspension de l’exécution d’une expulsion. Seule l’utilisation d’une procédure d’urgence le permet, et ce, de manière temporaire et dans des délais très resserrés (15 jours pour saisir le juge des référés). L’accélération de la procédure contentieuse que favorise ce texte ne répond donc à aucune nécessité.

Il en va également ainsi au sujet du dessaisissement des tribunaux administratifs auquel procède le texte. Les conseillers des tribunaux administratifs feraient-ils structurellement obstacle à l’efficacité du droit des expulsions ?  C’est ce que laisse supposer cette évolution alors rien ne permet de l’affirmer. L’auteur de la proposition se borne à faire valoir, sans la démontrer, la nécessité d’homogénéiser la jurisprudence. Quand bien même ce besoin serait établi, il n’est pas indispensable de créer une juridiction spécialisée pour le satisfaire : le simple fait de transférer la compétence à une cour administrative d’appel ou au Conseil d’état en premier et dernier ressort suffirait à atteindre l’objectif poursuivi. Là encore, aucune étude d’option n’a été envisagée.

En second lieu, les raisons invoquées dans l’exposé des motifs ne sont pas de nature à justifier cette réforme. Mieux, aucun lien logique ne les rattache au dispositif.

D’abord la lutte contre le terrorisme est brandie comme une raison suffisante pour modifier la totalité du contentieux de l’expulsion. Il s’agit là d’une grave approximation puisqu’il y a, dans notre législation, trois niveaux d’expulsion et la majorité d’entre-elles est prononcée à l’égard de personnes condamnées pour atteinte à l’intégrité physique, trafic de stupéfiants ou récidive d’infractions mineures. Les comportements liés à des activités terroristes représentent une infime partie des hypothèses d’expulsions. Faute d’arguments, celui de la lutte contre le terrorisme est une fois de plus instrumentalisé.  

Par ailleurs, l’exposé des motifs met en cause le fond du droit applicable aux expulsions, à savoir une jurisprudence administrative qui s’efforce de rechercher l’équilibre entre la sauvegarde de l’ordre public et la protection de la vie privée et familiale des étrangers. Rappelons que le droit à une vie privée et familiale consacré à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme n’est pas, contrairement à ce qui est affirmé, une considération accessoire par laquelle se laisserait distraire le juge de l’expulsion. Surtout, on peine à saisir la logique de l’argumentation : ce n’est pas en créant une juridiction spécialisée composée de membres du Conseil d’Etat et dont les décisions sont susceptibles de faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant cette même juridiction qu’il sera mis fin au contrôle de proportionnalité mis en oeuvre dans tout Etat de droit qui se respecte.

En conclusion, nous sommes devant une disposition d'affichage qui repose sur des raccourcis et des présupposés et non sur une analyse étayée de notre législation. C’est pourquoi, mon groupe propose de supprimer cet article.