- Texte visé : Texte sur le projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 (n°1346)., n° 1440-A0
- Stade de lecture : 1ère lecture (2ème assemblée saisie)
- Examiné par : Assemblée nationale (séance publique)
- Code concerné : Code pénal
I. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° À la fin du premier alinéa de l’article 181, les mots : « , sous réserve de l’article 181‑1 » sont supprimés ;
2° Les articles 181‑1 et 181‑2 sont abrogés ;
3° Au premier alinéa de l’article 186, la référence : « 181‑1, » est supprimée ;
4° À la fin du premier alinéa de l’article 186‑3, les mots : « ou devant la cour criminelle départementale » sont supprimés ;
5° L’article 214 est ainsi modifié :
a) À la fin du premier alinéa, les mots : « ou devant la cour criminelle départementale » sont supprimés ;
b) Au second alinéa, les mots : « la juridiction criminelle compétente » sont remplacés par les mots : « cette juridiction » ;
6° À la fin de l’intitulé du titre Ier du livre II, les mots : « et de la cour criminelle départementale » sont supprimés ;
7° Au début du premier alinéa de l’article 231, les mots : « Sous réserve des dispositions de l’article 380‑16, » sont supprimés ;
8° Les articles 380‑16 à 380‑22 sont abrogés ;
9° L’article 888‑1 est abrogé.
II. – L’article 10 de la loi n° 2021‑1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire est abrogé.
III. – Les personnes ayant fait l’objet d’une mise en accusation devant la cour criminelle départementale avant l’entrée en vigueur de la présente loi, sans avoir été jugées à cette date, sont renvoyées devant la cour d’assises sur décision du premier président de la cour d’appel.
Cet amendement vise à supprimer les cours criminelles départementales pérennisées par la loi n°2021-1729 pour la confiance dans l’institution judiciaire.
Depuis 2021, la loi dispose que les personnes majeures accusées d’un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle, hors récidive légale, sont jugées en premier ressort par une cour criminelle composée de juges professionnels. Cette juridiction remplace le jury populaire, composante fondamentale de la justice criminelle dans notre pays depuis la Révolution.
Cette loi s’était fixée trois objectifs : limiter la correctionnalisation des affaires criminelles, diminuer le temps d’audiencement par rapport aux assises, et baisser le coût global d’une journée d’audience. Aucun n’a été réellement atteint.
· Selon le rapport le plus complet établi sur la question (rapport du comité d’évaluation des cours criminelles en date d’octobre 2022, p. 27 et s.), aucune dé-correctionnalisation significative n’a pu être mesurée. La CNCDH confirme cette absence de dé-correctionnalisation significative dans sa note d’avril 2023.
· Le délai d’audiencement fixé à 6 mois pour le jugement des accusés détenus n’a pas été respecté comme le montre un rapport parlementaire d’octobre 2022. Les derniers chiffres relatifs au taux d’appel, qui sont également mentionnés dans le rapport d’octobre 2022, montrent que le taux d’appel des arrêts rendus par les CCD (21%) est supérieur à celui des arrêts rendus par les cours d’assises (15%).
· Le rapport d’octobre 2022 fait état d’un gain financier d’environ 1.000 € par jour d’audience. Il serait néanmoins plutôt proche de 725 €, en raison de deux arrêtés pris par le garde des Sceaux le 10 novembre 2022 : l’un qui fixe la rémunération (conséquente) des avocats honoraires qui viendront siéger dans les CCD, l’autre multipliant par trois la rémunération des MTT pour l’aligner sur celle desdits avocats. La rémunération des MTT et avocats honoraires est environ trois fois plus importantes que l’indemnisation des jurés citoyens tirés au sort.
D’autres arguments plaident pour un retour au jury populaire. Tout d’abord, on observe une détérioration de la qualité de la justice. La durée des audiences tend à diminuer, ce qui porte un coup fatal au principe d’oralité des débats. A côté de la correctionnalisation, il faut désormais composer avec un autre phénomène : la cour-criminalisation, consistant pour le juge d’instruction à « oublier » la circonstance aggravante d’une infraction pour que la peine encourue reste plafonnée à 20 ans de réclusion criminelle, et relève ainsi de la compétence de la CCD.
Par ailleurs, les victimes de viol sont globalement déconsidérées par cette juridiction. En effet, les affaires de viol représentent 90% du contentieux jugé par les CCD. Tout se passe comme si le législateur avait créé une sorte de super-tribunal correctionnel du viol ou de sous-cour d’assises du viol, en opérant une distinction symbolique entre les crimes de première division (meurtre, empoisonnement, assassinat, etc.) qui méritent encore le regard des citoyens pour être jugés, et les crimes de seconde division, dont le principal représentant est le viol, qui ne le méritent plus. Dans son rapport sur la question, la CNCDH souligne que le viol est symboliquement devenu un « petit crime ». De nombreuses victimes de viol interrogées vivent très mal le fait d’être privées d’un jury populaire pour le jugement de leur affaire.
Enfin, on peut s’interroger sur la pertinence de priver les citoyens d’un dispositif unanimement reconnu pour favoriser une meilleure compréhension de la justice et diffuser une image positive de l’institution judiciaire.
Pour toutes ces raisons, nous proposons la suppression des cours criminelles.