XVIe législature
Session ordinaire de 2023-2024

Première séance du lundi 29 avril 2024

Sommaire détaillé
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Première séance du lundi 29 avril 2024

Présidence de M. Sébastien Chenu
vice-président

M. le président

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    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à quinze heures.)

    1. Débat d’orientation et de programmation des finances publiques

    M. le président

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    L’ordre du jour appelle le débat d’orientation et de programmation des finances publiques.
    La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

    M. Maxime Minot

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    Il a un gros dossier, le ministre !

    M. Joël Giraud

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    C’est son discours ! (Sourires.)

    M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

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    Je suis très heureux de vous retrouver pour la présentation du programme de stabilité 2024-2027, en présence du ministre délégué chargé des comptes publics, Thomas Cazenave, du président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, Éric Coquerel, que je salue, et du rapporteur général du budget, Jean-René Cazeneuve.
    J’espère que ce débat nous permettra de poser sereinement et simplement les grandes questions de finances publiques qui se posent à la France et que nous pourrons confronter des visions plutôt que des postures, car ces dernières sont nombreuses depuis quelque temps. Jamais je n’ai vu autant de parlementaires soucieux de la dette publique et de l’équilibre de nos finances ! (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.) Jamais je n’ai vu autant de parlementaires alarmés par le niveau de la dette. (Mme Véronique Louwagie proteste.)

    M. Maxime Minot

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    Un peu d’humilité !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Jamais je n’ai vu autant de parlementaires, notamment dans les oppositions, s’inquiéter du risque de dégradation de la note de la France par les agences de notation Fitch et Moody’s (Mme Valérie Rabault s’exclame) et finalement un peu déçus qu’elles aient décidé de la maintenir,…

    M. Pierre Cordier

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    C’est scandaleux de dire ça !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    …reconnaissant ainsi la crédibilité de notre stratégie de rétablissement des finances publiques (Applaudissements sur les bancs du groupe RE) et la solidité de notre croissance. À l’excès d’indifférence a succédé l’excès d’alarmisme. L’un comme l’autre sont néfastes pour la France. Non, le financement de notre dette n’est pas menacé. Non, la France de 2024 n’est pas la Grèce de 2010.

    M. Pierre Cordier

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    Tant mieux !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Gardons le sens de la mesure et notre sang-froid.
    Je suis un peu surpris devant cette cohorte de parlementaires qui réclamait toujours plus d’argent naguère…

    M. Pierre Cordier

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    Les Républicains ont demandé 25 milliards d’économies !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    …et qui exige toujours plus d’économies maintenant. Je suis surpris des professions de vertu budgétaire d’élus qui, entre 2020 et 2023, étaient saisis par le démon de la dépense. Les « monsieur Plus » d’hier sont devenus les « monsieur Moins » d’aujourd’hui,…

    M. Maxime Minot

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    Eh bien, tant mieux !

    Mme Valérie Rabault

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    Et les mesdames ?

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    …dans une conversion aussi soudaine que douteuse.
    Pour tous ceux qui ont la mémoire courte, j’ai apporté 2 500 courriers que j’ai reçus – vous pouvez voir sur les bancs des ministres les dix dossiers qui les contiennent, tous aussi volumineux que celui-ci (M. le ministre montre une épaisse chemise cartonnée) – de la part de personnes qui, tous partis confondus, exigeaient davantage de dépenses publiques, dans tous les domaines, pour une durée toujours plus longue, et m’accusaient presque de pingrerie ! (Exclamations sur les bancs des groupes LR, LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES.)

    M. Maxime Minot

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    Et après, vous accuserez LFI de provocation !

    M. Pierre Cordier

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    Qui disait vouloir éviter la polémique ?

    Mme la présidente

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    Chers collègues, s’il vous plaît !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    À tous ceux qui ont la mémoire courte et qui ont oublié les heures difficiles que nous avons traversées, je veux rappeler la violence de la crise du covid, le choc le plus grave que notre économie ait connu depuis 1929, et la violence de la crise inflationniste qui a touché nos compatriotes en 2022, la plus forte depuis les années 1970. Qu’aurait-il fallu faire ? Laisser tomber les gens ?

    M. Maxime Minot

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    Il ose tout !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Laisser tomber notre industrie, les entreprises, des pans entiers de notre économie ? Avec la majorité, nous avons fait le choix de protéger massivement l’économie et nous pouvons être fiers de l’efficacité de notre réponse à cette double crise. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
    Nous pouvons être fiers d’avoir sauvé la filière aéronautique et ses sous-traitants en Occitanie, en Normandie et ailleurs – et avec elle, les ingénieurs, les ouvriers, les salariés et les techniciens qui travaillent dans toutes ces entreprises.
    Nous pouvons être fiers d’avoir sauvé Renault en débloquant dans l’urgence un prêt garanti par l’État (PGE) de 5 milliards d’euros. L’entreprise ne serait pas celle qu’elle est aujourd’hui – son activité est dynamique et crée des emplois – si nous ne l’avions pas sauvée en 2021 face à la crise du covid. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
    Nous pouvons être fiers aussi d’avoir sauvé Air France. La compagnie se porte bien aujourd’hui grâce au travail de son président et de son équipe, grâce aussi aux 7 milliards d’euros de prêts bancaires et de l’État qui lui ont été accordés pour faire face à la crise du covid. (Mêmes mouvements.)
    Nous pouvons être fiers d’avoir instauré des dispositifs nouveaux tels que l’activité partielle pour les salariés ou le bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité, qui a protégé nos compatriotes contre la flambée des prix de l’énergie. Ces dispositifs étaient justes et nécessaires. Notre majorité peut être satisfaite de la protection qu’ils ont apportée. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
    Aujourd’hui, les résultats sont là. La France n’a pas connu la récession qui a touché plusieurs pays européens. Elle a amorti le choc inflationniste mieux que d’autres et a été la première en Europe à retrouver son niveau d’activité d’avant la crise. Mesdames et messieurs les députés de la majorité, ce sont vos décisions, prises pendant la crise du covid et pendant la crise inflationniste, qui ont évité une crise économique plus grave et sans doute une crise politique !
    Maintenant que les crises ont été maîtrisées, que le covid et l’inflation sont derrière nous, nous devons reprendre le chemin du redressement des finances publiques, sereinement et fermement, comme nous l’avons fait en 2017, en 2018 et en 2019. Nous sommes la majorité qui a fait repasser le déficit public de la France sous le taux de 3 % du PIB en 2018. (Mme Valérie Rabault s’exclame.) Nous devons être celle qui le fera de nouveau en 2027. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)
    Tel est l’objet du programme de stabilité 2024-2027, qui doit rassembler toutes celles et tous ceux qui, au-delà des polémiques, veulent sincèrement et fermement rétablir les finances publiques de la nation. Je tends la main à tous les parlementaires de l’opposition qui partagent notre volonté, au nom de la souveraineté et de la liberté, de faire passer le déficit public de la France sous la barre des 3 % du PIB et de réduire le niveau de la dette. Avec le ministre délégué chargé des comptes publics, nous vous présentons aujourd’hui une feuille de route conforme à cet objectif.
    La feuille de route du Gouvernement en matière de rétablissement des finances publiques est simple, claire, cohérente et repose sur trois piliers : la croissance et le plein emploi, pour accélérer le désendettement ; les réformes de structure, telles la réforme de l’assurance chômage et le plan de simplification pour les PME ; la réduction des dépenses publiques qui ne rendent pas les services qu’elles devraient – voilà notre stratégie.
    Je le redis, je tends la main à tous les parlementaires qui souhaitent rétablir les finances publiques : participez avec nous à leur rétablissement, défendez cette stratégie et laissons de côté, une bonne fois pour toutes, les querelles politiques qui ne sont pas dans l’intérêt de la France !

    M. Pierre Cordier

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    C’est vous qui avez commencé !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Pourquoi est-ce l’intérêt de la France de rétablir ses finances publiques ? Pourquoi serait-il à la fois dangereux, hasardeux et mauvais pour notre pays de laisser filer les déficits et la dette d’ici à 2027 ?

    M. Pierre Cordier

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    Qu’est-ce que vous faites depuis 2017 ?

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Le rétablissement des finances publiques est nécessaire pour trois raisons simples. Tout d’abord, il nous permettrait de rompre avec la manie française de considérer toute dépense de crise comme une dépense permanente et de confondre les mesures exceptionnelles, nécessaires face au covid et à l’inflation, avec les mesures ordinaires. La fuite en avant de la dépense publique singularise notre pays depuis des décennies et nous sommes déterminés à y mettre un terme.
    Ensuite, le rétablissement des finances publiques nous redonnera les marges de manœuvre financières indispensables aux investissements en matière de défense, de sécurité et de transition climatique. Il nous permettra aussi, si une nouvelle crise survient demain, qu’elle soit géopolitique ou climatique, d’y faire face et de protéger à nouveau nos compatriotes efficacement. Le premier des réarmements doit être financier.
    Enfin, contrairement à ce que prétendent certains, le rétablissement des comptes publics est bon pour la croissance et l’économie. J’entends dire qu’en les rétablissant, en ramenant le déficit public sous la barre des 3 % du PIB et en supprimant les dépenses publiques inutiles et inefficaces, nous tomberions dans l’austérité et nous provoquerions une récession. Je pense que c’est exactement le contraire.

    Mme Aurélie Trouvé

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    Vous êtes le seul !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    En effet, ce sont des comptes publics mal tenus qui provoquent les difficultés économiques et la récession.
    Je m’explique. Le niveau des dépenses publiques en France restera dans les années à venir, quoi qu’il arrive, l’un des plus élevés des pays développés. Nous avons donc une grande marge d’action devant nous avant de tomber dans l’austérité. Le rétablissement des finances publiques a en outre trois conséquences positives majeures.
    La première est la confiance des ménages et des entreprises, incitées à consommer et à investir parce qu’ils savent que les comptes publics sont bien tenus, que nous respectons notre feuille de route et que, sereinement mais fermement, année après année, nous rétablissons les comptes, nous désendettons le pays et nous revenons dans la norme des pays européens avec un déficit public inférieur à 3 % du PIB. Les Français ont un niveau d’épargne supérieur à 17 % de leur revenu disponible brut. Si nous voulons qu’ils consomment et que les entreprises investissent, il faut leur redonner confiance et garantir la stabilité des finances publiques et des impôts. Je le redis avec fermeté : nous refusons d’augmenter les impôts et nous ne les augmenterons ni avant ni après les élections européennes. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) L’augmentation des impôts ne fait pas partie de notre feuille de route et n’en fera jamais partie.
    La deuxième conséquence positive de finances publiques bien tenues est la baisse des taux d’intérêt, qui allège la charge de la dette et les dépenses inutiles qui lui sont liées. Des taux d’intérêt plus bas permettent par ailleurs de soutenir la consommation et l’investissement, soit un élément décisif de la relance économique et de la création d’emplois.
    Moins de déficit et moins de dette, enfin, c’est moins d’argent pour les créanciers de l’État et plus d’argent pour les Français.
    Voilà les trois raisons pour lesquelles il est indispensable de suivre la feuille de route et le programme de stabilité 2024-2027.
    L’ambition de faire revenir notre déficit public sous la barre des 3 % du PIB est-elle hors de portée, comme je l’entends ici ou là ? Puisque d’autres pays l’ont fait en Europe, je ne vois pas pourquoi la France n’en serait pas capable. La Finlande dans les années 1990, la Suède, le Danemark, l’Irlande, le Portugal plus récemment : tous ces pays qui connaissaient des difficultés en matière de finances publiques ont réussi, dans des délais raisonnables, sans imposer l’austérité, à revenir dans le cadre fixé par l’Union européenne. Nous devons faire comme eux.
    Pour cela, au fond, une seule condition est nécessaire. Nous devons faire preuve de courage, de volonté, de constance, de détermination et dépasser nos querelles en rassemblant les forces politiques au service de l’intérêt supérieur de la nation : le rétablissement des comptes publics, le désendettement et la liberté qu’ils procurent. La majorité y est prête. Nous vous tendons la main. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre délégué chargé des comptes publics.

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué chargé des comptes publics

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    Mesdames et messieurs les députés, je suis heureux de m’adresser à vous à l’occasion de ce débat sur le programme de stabilité, lequel tend à actualiser notre trajectoire macroéconomique et de finances publiques. Je tiens d’abord à remercier le président Éric Coquerel de m’avoir offert l’occasion de présenter cette trajectoire devant les membres de la commission des finances, le 17 avril, en compagnie du rapporteur général du budget, Jean-René Cazeneuve. Ce fut l’occasion d’expliquer et de détailler le sens de cette mise à jour mais aussi de répondre, en toute transparence, aux questions soulevées par les parlementaires. Le présent débat nous donne l’occasion d’évoquer à nouveau le sujet devant les députés et – demain – devant les sénateurs.
    L’actualisation de notre trajectoire fait suite au ralentissement de l’économie mondiale que nous avons observé à la fin d’année 2023 et qui nous a conduits à réviser de 1,4 % à 1 % notre croissance pour l’année 2024, comme Bruno Le Maire l’a annoncé dès février. Nous ne sommes pas le seul pays européen à avoir abaissé notre prévision de croissance en début de cette année : en février, l’Allemagne a revu son pronostic à 0,2 %, contre une prévision initiale de 1,3 % ; de son côté, le gouvernement italien table désormais sur une croissance de 1 % cette année, contre 1,2 % précédemment.
    Malgré cette conjoncture moins favorable, les fondamentaux de notre croissance restent solides, soutenus par les réformes structurelles, les investissements réalisés depuis 2017 et, de façon plus conjoncturelle, par l’accélération de la consommation des ménages permise par la baisse de l’inflation et du taux d’épargne. Dans son avis sur le programme de stabilité, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) juge la prévision de croissance optimiste, mais pas hors d’atteinte. La prévision du Gouvernement est d’ailleurs proche de celle de la Commission européenne, qui est de 0,9 %. Le 11 avril, la Banque de France a conforté notre prévision en constatant un PIB en hausse de 0,2 % au premier trimestre, ce qui n’est pas « incompatible avec une prévision de 1 % sur l’année ».

    M. Boris Vallaud

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    Quel enthousiasme !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Enfin, cette prévision est cohérente avec les indicateurs conjoncturels : le climat des affaires retrouve sa moyenne de long terme et la confiance des ménages se redresse.
    Dans ce contexte, nous maintenons les grands principes qui ont conduit notre action jusqu’à présent. À cette occasion, je veux réaffirmer deux choses.
    Premièrement, nous gardons comme boussole la cible des 3 % de déficit public à l’horizon 2027. Pour atteindre cet objectif, nous réajustons notre trajectoire avec une première marche crédible, qui tient compte du double effet de l’exécution du budget 2023 et de la révision de la croissance pour 2024 : ramener de 5,5 % à 5,1 % le déficit en 2024. La suite de la trajectoire est également modifiée : nous visons un déficit de 4,1 % en 2025 et de 3,6 % en 2026, pour atteindre 2,9 % en 2027. Je rappelle qu’au début du premier quinquennat du Président de la République, avant les crises connues depuis 2020, notre politique avait déjà permis de ramener le déficit sous les 3 % : 2,3 % en 2018 et 2,4 % en 2019. Nous maintenons notre engagement à revenir de nouveau sous le seuil des 3 % d’ici à la fin du quinquennat.
    Deuxièmement, on ne change pas une politique économique qui a fait ses preuves. Nous continuons de mener une politique de l’offre, qui, je le disais, soutient la croissance, la création d’emplois et l’activité partout sur notre territoire.

    Mme Aurélie Trouvé

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    Ce n’est pas vrai !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Depuis 2017, ce sont 2,4 millions d’emplois qui ont été créés ; le taux de chômage est au plus bas depuis quarante ans ; la réindustrialisation permet à notre pays d’être l’une des locomotives de la croissance européenne. Mais, je le répète, nous ne prenons pas ces engagements relatifs aux finances publiques pour les agences, ni pour les investisseurs ; nous les prenons pour préserver des marges de manœuvre qui nous permettent de financer nos priorités et de préparer l’avenir du pays.
    Cette trajectoire repose sur un effort partagé.
    S’agissant de l’année 2024, je veux rappeler l’effort déjà consenti à l’occasion du décret d’annulation de février 2024 pour tenir notre objectif : 10 milliards d’euros de crédits ont été annulés sur l’ensemble du budget de l’État dans le cadre prévu par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). C’est inédit dans l’histoire budgétaire et cela témoigne de notre volonté de maîtriser nos comptes malgré l’impact du ralentissement de la croissance. Ce décret a conduit à des mesures d’économie et à des reprogrammations dans tous les ministères. Mais à ceux qui sont tentés de nous accuser d’austérité parce que nous demandons un effort supplémentaire à l’État, je réponds qu’on en est loin. Les 10 milliards de crédits concernés par le décret d’annulation, c’est au total moins de 1,5 % des crédits ouverts pour le périmètre de dépenses de l’État, et c’est à mettre au regard des 1 600 milliards de dépenses publiques.
    Je veux aussi rappeler que les économies ont été fixées en visant les dépenses publiques qui ont le moins d’effet sur notre croissance économique.
    Il y a tout d’abord des économies ciblées, qui portent sur des dispositifs pouvant être pilotés en cours d’année et sur lesquels nos choix permettent de recalibrer et de modérer la hausse prévue en 2024, en veillant à préserver les ménages et les entreprises. Elles concernent notamment l’aide publique au développement (APD), MaPrimeRénov’ et le compte personnel de formation (CPF).
    Il y a par ailleurs un effort d’économie complémentaire réparti entre tous les ministères, en mobilisant notamment leur réserve de précaution. Ce sont des dépenses de fonctionnement et d’intervention, des subventions aux opérateurs et plus largement des dépenses que les ministères peuvent rapidement ajuster.

    M. Pierre Cordier

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    N’oubliez pas les subventions aux collectivités territoriales !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Nous avons ainsi réduit les dépenses de fonctionnement de l’État et des opérateurs, au profit d’un État plus sobre. Ces efforts nous ont déjà conduits à réduire de 150 millions d’euros la facture énergétique de l’État, à céder pour 280 millions de biens immobiliers et à diviser par trois les dépenses de conseil en deux ans. Nous avons également reporté certains investissements immobiliers ou informatiques qui n’étaient pas encore lancés, et nous avons mobilisé la trésorerie des opérateurs sur tous les périmètres, notamment à Bercy. L’effort a été réparti de façon proportionnelle, en tenant compte du montant des dépenses réellement pilotables par les ministères, ce qui a conduit à exclure les dépenses dites de guichet. Au vu du contexte, nous avons par ailleurs sanctuarisé certaines enveloppes comme les dépenses hors masse salariale du ministère des armées ou du ministère de l’agriculture.

    M. Paul Vannier

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    Mais pas de l’éducation nationale !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Chaque ministère a, de manière responsable, pu choisir comment affecter cette baisse de crédits au sein du budget qu’il gère, en identifiant ses marges de manœuvre, en proposant des mesures d’économie, en reportant certains projets et en donnant la priorité à certaines dépenses. Mais nous savons que, pour tenir l’objectif de 5,1 % en 2024, il faudra aller au-delà, avec un effort supplémentaire, et cet effort, estimé à 10 milliards d’euros, devra être lui aussi partagé.
    S’agissant du budget de l’État, une part importante des crédits mis en réserve de précaution ne sera pas utilisée. Les ministères devront, sauf cas exceptionnel, tenir leur budget dans les crédits disponibles, sans mobiliser cette réserve qui s’élève aujourd’hui, pour ce qui les concerne, à plus de 7 milliards. Nous allons piloter la gestion au mois le mois, dépense par dépense, pour le garantir. En cas d’alerte, nous réduirons drastiquement les seuils au-delà desquels un visa de Bercy sera nécessaire pour engager la dépense, afin d’opérer un contrôle quasi systématique.
    En un mot, nous devons tenir la dépense en 2024, comme nous l’avons fait en 2023. Car, oui, les dépenses de l’État ont été tenues en 2023 : l’État a moins dépensé que prévu, et ce à hauteur de 7 milliards par rapport au budget initial, grâce à des mesures de pilotage qui ont porté leurs fruits. En 2023, nous avons augmenté la mise en réserve et pris un décret d’annulation de 5 milliards ; nous avons présenté une loi de finances de fin de gestion portant des annulations nettes ; enfin, nous avons renforcé le suivi de l’exécution des dépenses. En 2024, nous appliquerons la même exigence et la même méthode dans le pilotage des dépenses de l’État. Je le répète, ces mesures de bonne gestion ne remettent pas en cause nos priorités, ni les grands équilibres du budget 2024 : les dépenses vertes continueront d’augmenter en 2024, tout comme les budgets de la sécurité intérieure, des armées, de la justice, de l’éducation nationale et de la recherche.
    En ce qui concerne les collectivités territoriales, nous avons eu l’occasion, avec Bruno Le Maire, Christophe Béchu et Dominique Faure, de redire devant le Haut Conseil des finances publiques locales (HCFPL), le 9 avril, que la maîtrise de nos dépenses publiques restait un effort partagé. L’objectif pour les prochaines années, conformément à la loi de programmation des finances publiques, c’est qu’entre 2024 et 2027, les dépenses de fonctionnement progressent un peu moins vite que l’inflation : 0,5 point en dessous. Cet objectif n’a pas varié depuis le débat sur la loi de programmation et l’adoption de celle-ci. En 2024, cela représente une augmentation maximum de 1,9 %. Pour y arriver, il faut se poser la question de l’efficacité de l’action publique, des conséquences de l’enchevêtrement des responsabilités et de la façon de réduire le coût de notre action publique. Ce sera le sens des missions menées respectivement par Boris Ravignon et par le questeur Éric Woerth – j’en profite pour les saluer tous les deux. Leurs conclusions nous permettront de dégager des pistes de travail. Je demeure convaincu que c’est par le dialogue que l’État et les collectivités territoriales parviendront ensemble à construire des solutions face à la dégradation de nos finances publiques.
    Dans le champ social, nous poursuivrons nos efforts de maîtrise de la dépense afin de tenir la trajectoire prévue par l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). En 2024, nous continuerons à mener des réformes structurelles, pour plus de travail, plus de croissance et plus de recettes, poursuivant notre stratégie économique payante. Je tiens à rappeler qu’en 2023, la trajectoire de l’Ondam a été respectée : les mesures de régulation ont permis de compenser le dépassement des soins de ville mais aussi les aides en trésorerie accordées aux hôpitaux pour pallier l’inflation. Les dépenses de santé liées à la crise sanitaire ont été très significativement réduites, passant de près de 12 milliards en 2022 à 1 milliard en 2023.
    En matière de recettes, enfin, nous avons souffert du ralentissement économique qui s’est produit à l’échelle mondiale en 2023. Au total, ce sont 21 milliards de recettes en moins que nous constatons en 2023, par rapport à ce que nous anticipions. À ceux qui sont tentés par un procès en insincérité, je veux rappeler deux choses : d’abord, ce retournement de la conjoncture et son impact sur nos recettes ont eu lieu tardivement dans l’année et n’ont été avérés qu’après l’adoption de la loi de fin de gestion ;…

    M. David Guiraud

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    C’est faux !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    …ensuite, de tels écarts par rapport aux prévisions de recettes ont déjà été connus dans le passé, certains d’entre vous s’en souviennent probablement. En 2011, l’État avait vu ses recettes baisser de 700 millions d’euros pour l’impôt sur le revenu et de près de 6 milliards pour l’impôt sur les sociétés. En 2013, les recettes avaient également chuté, ce qui avait entraîné un écart de 1,3 point de PIB, soit 25 milliards d’euros de différence, entre l’objectif affiché dans le projet de loi de finances (PLF) et le déficit constaté.
    Ce ralentissement des recettes que nous avons observé en 2023 aura des répercussions pour 2024, mais je le redis et Bruno Le Maire l’a rappelé : nous n’envisageons pas de changer notre politique fiscale. Cela ne veut pas dire que celle-ci ne doit pas permettre de prendre en compte des situations exceptionnelles, dans une logique d’effort partagé. Comme nous l’avons fait par le passé pour les énergéticiens, les sociétés d’autoroutes, les raffineurs de pétrole ou les laboratoires de biologie, nous prendrons des mesures en 2024, nous appuyant notamment – le Premier ministre l’a annoncé – sur les travaux des parlementaires. Je pense en particulier à ceux du rapporteur général Jean-René Cazeneuve, de Nadia Hai, du président Jean-Paul Mattei et de François Jolivet, qui auront l’occasion de présenter leurs conclusions d’ici à l’été. Nous nous sommes d’ores et déjà engagés à travailler sur la question des énergéticiens et des rachats d’actions.
    J’en viens désormais à l’année 2025. Nous pourrons compter sur une croissance solide, prévue à 1,4 %. Cette croissance sera soutenue par la consommation des ménages et par le rebond de l’investissement des entreprises et du commerce extérieur. Je veux le redire, la croissance et l’emploi sont les meilleurs alliés de nos finances publiques.
    Malgré cette croissance solide, nous aurons là encore un effort important à faire, prioritairement sur les dépenses, avec un objectif : celui d’un déficit à 4,1 % pour 2025. Pour y parvenir, nous devrons faire des économies dans tous les champs. Le travail est déjà engagé grâce aux revues de dépenses, qui doivent nous permettre d’identifier le plus finement possible les marges de manœuvre qui sont les nôtres tout en maintenant un haut niveau d’ambition en matière de réformes structurelles. Il est également engagé avec vous, parlementaires, grâce au dialogue que nous avons entamé à l’Assemblée nationale comme au Sénat.
    En conclusion, je veux le redire devant la représentation nationale : dans la période que nous traversons et face à la conjoncture, cette nouvelle trajectoire reflète la détermination du Gouvernement à maîtriser la dépense publique, à tenir nos objectifs et à préparer l’avenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)

    M. Pierre Cordier

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    Il aurait fallu y penser dès 2017 !

    M. le président

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    La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

    M. Éric Coquerel, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

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    Ce programme de stabilité illustre l’échec de votre politique passée et annonce celui de votre politique à venir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.)

    M. Mathieu Lefèvre

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    C’est nuancé !

    M. Éric Coquerel, président de la commission des finances

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    Il signale l’échec de votre politique passée car, après avoir surestimé le niveau de la croissance dans la loi de finances pour 2024, voilà que vous proposez une trajectoire profondément revisitée, six mois seulement après l’adoption de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Même si, à l’époque, les oppositions vous avaient refusé leur vote pour des raisons diverses, toutes s’accordaient sur le manque de crédibilité d’une telle trajectoire. « Manque de crédibilité », c’est d’ailleurs le terme utilisé par le Haut Conseil des finances publiques ; il est plus fort que celui d’« insincérité » car il traduit votre incapacité à atteindre vos propres objectifs et votre refus d’anticiper une conjoncture économique pourtant largement annoncée – y compris dans ces murs.
    Mais c’est surtout la logique que vous suivez qui perd toujours plus en crédibilité. Non, il n’est pas crédible de fonder votre budget pour 2024 sur une prévision de croissance à 1 %, quand aucun organisme ne voit la France à plus de 0,8 %. Pire, les annulations de crédits, dans une période de reflux de l’activité économique, auront un effet récessif sur lequel s’accordent tant le Haut Conseil des finances publiques que l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), lequel prévoit une perte de 0,2 point de PIB en 2024.
    Il n’est pas crédible non plus d’annoncer que le déficit public passera d’un très optimiste 5,1 % du PIB fin 2024 à 2,9 % en 2027, même pour rassurer Bruxelles, compte tenu des nouvelles contraintes décidées pour forcer les pays de la zone euro à intensifier la doxa austéritaire.
    Mais qu’importe, au fond : ce qu’il faut scruter, ce n’est pas tant ce chiffre que le chemin permettant d’y parvenir. La règle d’or comme la dette vous servent de prétexte pour baisser les dépenses publiques et pour attaquer notre système de protection sociale. Rappelons, une fois encore, que notre pays n’est pas au bord de la faillite ; ramenée sur huit ans, soit la durée moyenne de nos emprunts, notre dette ne représente qu’un peu plus de 13 % du PIB. Notre pays – et même notre administration publique à elle seule – a des actifs dont la valeur est autrement plus importante que son déficit. Les marchés savent donc qu’il offre un placement sûr : lors de la dernière émission de bons du Trésor, il y a eu deux fois plus de demande que d’offre, et ce à un taux d’intérêt inférieur à l’inflation. Certes, la charge de la dette s’accroît, mais elle ne passera que de 1,7 % à 2,6 % du PIB, au maximum, en 2027. Bref, il n’y a pas péril en la demeure.
    S’il est nécessaire de ne plus la laisser aux mains du marché, comme ce fut fait au moment du covid, la dette est surtout un épouvantail dont vous vous servez pour justifier votre politique. Comme partout en Europe, celle-ci nous emmène dans le mur ; même les plus lucides des partisans du système le disent. À défaut d’écouter le président de la commission des finances, prêtez attention aux propos de Mario Draghi ! « Notre organisation, notre processus de décision et nos financements, affirme-t-il, sont conçus pour le monde d’hier », qu’il décrit de la manière suivante : « [notre] approche […] de la compétitivité [a été] de baisser les coûts salariaux les uns par rapport aux autres, avec une politique budgétaire procyclique. Cela a eu pour effet d’affaiblir notre demande domestique et de saper notre modèle social. » C’est ainsi que l’ancien directeur de la Banque centrale européenne s’exprime, inquiet qu’il est de voir l’Europe décrocher par rapport aux autres blocs économiques, notamment les États-Unis.
    Cet état des lieux conduit certains, même en Allemagne, à reconsidérer la nécessité de revenir au carcan austéritaire. Une telle politique ne se contente pas d’affaiblir les pays européens dans la concurrence internationale : non seulement elle ne répond pas aux besoins des populations, mais elle va aggraver leur situation. À force de couper dans la dépense publique, votre action a des effets désastreux sur notre modèle social et nos services publics. Vous affirmez avoir brisé le chômage de masse ? L’Insee annonce l’inverse pour fin 2024. Et à quel prix ! Je rappelle qu’environ 1 million de personnes sont considérées comme des travailleurs pauvres, tandis que le nombre de CDI reflue. En outre, vous prévoyez de dégrader la situation de ceux qui ont le moins : après avoir attaqué le système de retraite, c’est au tour de l’assurance chômage. Or, en vous attaquant à ces revenus, vous allez affaiblir la consommation populaire.
    Plus grave, cette politique nous fait rater la bifurcation écologique, pourtant vitale. Vous ne cessez d’affirmer que le budget pour 2024 est historiquement vert ; c’est du greenwashing. En ce domaine, et vous le savez, il est nécessaire d’investir environ 34 milliards d’euros supplémentaires d’ici 2030 ; pour 2024, 3 milliards de crédits étaient initialement prévus, mais ils ont été annulés. La marche, déjà très haute, se révélera infranchissable après les coupes de 50 milliards prévues pour la période 2025-2027.
    Enfin, votre politique en faveur des plus riches, détenteurs du capital, n’est plus supportable. Il ne s’agit pas tant d’augmenter les impôts que d’arrêter de si mal – et si injustement – les baisser. (M. Maxime Laisney applaudit.) Même le chef de l’État est obligé d’admettre que le déficit de 2023 est dû à un manque de recettes, et non à une augmentation des dépenses publiques. Ce qui coûte trop cher au pays, ce ne sont pas les travailleurs privés d’emploi : c’est le CAC40, qui accroît les dividendes et les richesses d’un tout petit nombre bien plus que l’emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

    M. le président

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    Merci, monsieur le président.

    M. Éric Coquerel, président de la commission des finances

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    Je termine en rappelant que le Parlement a le droit de s’emparer de ce débat. Il n’est démocratiquement pas acceptable de nous priver d’un projet de loi de finances rectificative (PLFR) tout en remaniant à ce point le budget pour 2024. (Mêmes mouvements.) Pour cette raison, je maintiens qu’une motion de censure devrait être déposée. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES et sur plusieurs bancs du groupe SOC.)

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

    M. Pierre Cordier

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    Mousquetaire de la finance !

    M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

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    Le programme de stabilité qui nous a été présenté il y a deux semaines par le Gouvernement est on ne peut plus clair :…

    M. Patrick Hetzel

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    C’est bien, vous êtes le seul à y voir clair !

    M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général

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    …nous devons plus que jamais faire preuve de volontarisme pour stabiliser puis réduire notre dette, afin d’atteindre notre objectif qui est de faire passer le déficit sous les 3 % d’ici à 2027. Nous devons le faire malgré un contexte international, géopolitique et économique très tendu, qui a une incidence importante – chacun, ici, devrait le reconnaître – à la fois sur notre déficit, sur notre dette et sur notre croissance.
    Cet objectif des 3 % doit être notre boussole. Malgré le retour de la guerre en Europe depuis deux ans et les tensions au Moyen-Orient, malgré les inquiétudes qui planent sur la croissance européenne et les incertitudes que fait peser l’élection présidentielle américaine, nous devons tenir ce cap.
    Certains ici, à gauche, vont nous parler d’austérité ; ils ont déjà commencé. Mais ils radotent ! Voilà maintenant sept ans qu’ils ont ce mot à la bouche, alors que les dépenses publiques ont augmenté de 300 milliards d’euros depuis 2017.

    M. Mathieu Lefèvre

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    Ça fait cher l’austérité !

    M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général

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    Si c’est cela, l’austérité, on en redemande ! Et s’il fallait encore les rassurer, je le rappelle : jusqu’en 2027, d’après le programme de stabilité que nous examinons aujourd’hui, les dépenses publiques vont augmenter plus vite que l’inflation.
    D’autres, à droite, vont nous parler de gabegie : pour eux, il n’y a jamais assez d’économies,…

    M. Pierre Cordier

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    Ne nous faites pas parler, monsieur Cazeneuve ! Vous ne pouvez pas connaître l’état d’esprit à droite, puisque vous n’y avez jamais été ! Vous ne savez pas ce qu’il y a dans notre tête !

    M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général

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    …alors qu’ils n’ont de cesse, budget après budget, de nous proposer des dépenses supplémentaires.

    M. Pierre Cordier

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    Non, ce n’est pas ce que nous proposons !

    M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général

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    La dernière en date, suggérée par le président des Républicains, consistait en une réduction des cotisations sociales sur les salaires allant jusqu’à trois fois le Smic, soit une dépense supplémentaire de 50 milliards d’euros par an.
    Ni austérité ni gabegie, ce programme de stabilité révèle sur quelle ligne de crête nous nous trouvons, entre maîtrise de nos dépenses publiques et nécessaire investissement dans nos politiques publiques prioritaires. Nous visons un déficit de 5,1 % cette année : aurions-nous pu être plus ambitieux dès 2024 ?

    M. Frédéric Boccaletti

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    Pas plus ambitieux : plus sérieux !

    M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général

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    Je ne le crois pas. Le Gouvernement a réagi très rapidement en annulant 10 milliards d’euros de crédits avant le gel de 10 milliards supplémentaires : difficile de faire plus si l’on veut éviter de casser la croissance que nous voyons poindre à la fin de cette année. Pouvons-nous aller chercher des recettes supplémentaires ? Oui ! C’est l’objectif de la task force que j’anime avec plusieurs autres députés, à la demande du Premier ministre ; elle vise à identifier les effets d’aubaine et les profits anormaux qui, dans un contexte inflationniste, auraient pu profiter à certaines entreprises.
    Revue des dépenses, rapports de la Cour des comptes, dialogue avec les oppositions, travail avec les associations d’élus, et j’en passe : nous avons une méthode pour arriver à notre objectif. Oui, ce programme de stabilité est volontariste, et je ne voudrais pas minimiser les difficultés auxquelles nous sommes confrontés ni les choix que nous aurons à faire. Mais sachons regarder le verre d’Armagnac à moitié plein ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)

    M. Charles Sitzenstuhl

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    Quel chauvin !

    M. Charles Fournier

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    Il ne faut pas s’enivrer dans l’hémicycle !

    M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général

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    La notation de la dette française, d’abord, a été maintenue. Que n’aurions-nous pas entendu si ce n’avait pas été le cas ! La politique économique menée depuis 2017 par Bruno Le Maire et notre majorité porte ses fruits, et l’attractivité de notre pays s’est renforcée ; les perspectives, à l’horizon 2027, ne se réduisent pas à la dette. Le contexte macroéconomique qui se dessine est encourageant pour notre économie : j’en veux pour preuve le reflux de l’inflation, qui a déjà commencé – et dont le programme de stabilité anticipe qu’il se poursuivra –, mais aussi les taux d’intérêt qui baissent et une croissance qui, tirée par la consommation des ménages, devrait retrouver des couleurs dès 2025.
    Alors, chers collègues de l’opposition, je vois bien les jeux politiciens auxquelles vous vous adonnez, les pièges que vous nous tendez et les menaces que vous brandissez à chaque fois que nous examinons un texte budgétaire. Mais face à la gravité du contexte économique et géopolitique, face au poids que ferait peser un dérapage de notre dette sur les générations futures et sur nos politiques publiques,…

    M. Frédéric Boccaletti

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    Dérapage dû à votre gestion !

    M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général

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    …j’en appelle à tous, mes chers collègues, pour que nous travaillions ensemble à atteindre notre objectif. Il est de la responsabilité individuelle de chacune et de chacun, dans notre assemblée mais également au Sénat, que d’œuvrer à la maîtrise de notre dette et de nos dépenses publiques. Nous devons répondre à l’appel du ministre des comptes publics et nous réunir autour de la table pour identifier ces fameuses pistes qui permettront de réaliser des économies.
    Ce programme de stabilité est le meilleur moyen pour préserver et renouveler notre modèle social, pour accélérer la transition écologique et énergétique, et pour renforcer notre économie et l’attractivité de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. Vincent Bru applaudit également.)

    M. Frédéric Boccaletti

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    Vous avez du boulot !

    M. le président

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    Merci, monsieur le rapporteur général, avec modération ! (Sourires.)
    La parole est à Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale de la commission des affaires sociales.

    Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale de la commission des affaires sociales

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    Cette année, le débat sur l’avenir de nos finances publiques revêt une importance d’autant plus cruciale que la trajectoire économique retenue par le Gouvernement dans le programme de stabilité présenté le 17 avril est modifiée par rapport à ce que prévoyait la loi de programmation des finances publiques promulguée en décembre.
    Je note tout d’abord que ce programme se fonde sur un scénario macroéconomique qui illustre la résilience de l’économie française face aux multiples chocs subis à l’occasion des crises sanitaire et énergétique. Oui, malgré un résultat 2023 légèrement inférieur aux prévisions, la croissance française reste supérieure à celle de la zone euro. Elle repartirait à la hausse en 2024, en particulier grâce au recul de l’inflation, qui soutiendrait les salaires réels et alimenterait la consommation. Ainsi, l’inflation atteindrait en moyenne 2,5 % en 2024, et 2 % en 2025. L’activité serait également soutenue par l’assouplissement de la politique monétaire de la Banque centrale européenne et par la baisse des taux d’intérêt, attendue dès cette année.
    Sur le marché du travail, si le rythme des créations d’emplois a naturellement ralenti par rapport au rebond lié à la reprise économique post-pandémie, je note avec satisfaction que les créations d’emploi salarié se sont poursuivies en 2023. Fin 2023, le taux d’emploi s’élevait à 68,4 %, son plus haut niveau depuis qu’il est mesuré.

    M. Pierre Cordier

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    Et chez les plus de 50 ans, qu’est-ce que ça donne ?

    Mme Stéphanie Rist, rapporteure générale

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    Ce résultat traduit l’efficacité des politiques que nous menons sur le front de l’emploi. Qu’il s’agisse de la montée en charge de la réforme des retraites, du déploiement de France Travail ou des réformes de l’assurance chômage, cette stratégie devrait contribuer à nous rapprocher du plein emploi à l’horizon 2027 ; nous devons le reconnaître et nous en féliciter.
    De telles perspectives ne doivent toutefois pas masquer la réalité de la situation de nos finances publiques, les comptes nationaux traduisant un déséquilibre entre les recettes et les dépenses publiques. La sphère sociale n’est bien sûr pas épargnée par ce phénomène, mais le constat diffère selon que l’on s’intéresse au champ des administrations de la sécurité sociale au sens de Maastricht ou à celui de la sécurité sociale stricto sensu. Le secteur des administrations de sécurité sociale (Asso) présente ainsi un excédent de 12,9 milliards d’euros, en amélioration de presque 5 milliards par rapport à 2022. La situation favorable de l’Unedic et des régimes de retraite complémentaires, liée en grande partie aux réformes que j’ai évoquées, devrait poursuivre sa dynamique au cours des prochaines années.
    Le déficit des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) s’est quant à lui établi à 10,7 milliards d’euros, en très nette amélioration par rapport à 2022 mais en dégradation de 2,1 milliards par rapport aux prévisions inscrites dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, du fait du ralentissement des recettes.
    Les prévisions montrent que si nous n’agissons pas, ces déficits persisteront à l’avenir, ce qui remettrait en question notre capacité à amortir la dette sociale à l’horizon 2033. Comme je le disais déjà l’année dernière, réduire notre dépendance à l’emprunt et diminuer notre niveau d’endettement est un enjeu de souveraineté qui, s’agissant de la dette sociale, engage la pérennité de notre modèle social. C’est pourquoi je constate avec satisfaction que le programme de stabilité conserve l’objectif de faire passer le déficit public sous la barre des 3 % du PIB en 2027.
    Alors, que faire ?
    S’agissant des dépenses, un effort de 10 milliards a déjà été réalisé sur les administrations publiques. D’autres pistes ont été étudiées, en particulier celle des indemnités journalières. Les revues de dépenses, auxquelles il est procédé chaque année, nous permettront, grâce à une meilleure analyse de nos marges de manœuvre budgétaires, de dégager des sources d’économie pour atteindre la somme dont nous avons besoin, sans hypothéquer nos perspectives de croissance.
    Pour ce qui est des recettes, notre meilleur outil reste le plein emploi, qui augmente l’assiette des prélèvements. Nous avons déjà considérablement amélioré le taux d’emploi des jeunes, qui était à son niveau le plus bas depuis vingt-cinq ans. Celui des seniors peut encore largement progresser malgré de nets progrès depuis 2017.
    Le Parlement doit prendre toute sa part dans l’identification des mesures qui nous permettront de redresser les finances publiques. Les évaluations menées par la Mecss, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale, dans le cadre du Printemps social de l’évaluation contribueront à alimenter le débat autour de l’efficacité de nos politiques sociales. D’ici à cet été, les travaux que je mène avec Hadrien Clouet nous aurons également permis de dégager des pistes pour mieux gérer la dette sociale.
    La situation nous oblige, toutes et tous, à faire preuve de responsabilité. En la matière, les Français peuvent compter sur notre majorité pour mener les réformes qui s’imposent. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)

    M. le président

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    La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, suppléant M. Pieyre-Alexandre Anglade, président de la commission des affaires européennes.

    M. Charles Sitzenstuhl

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    M’exprimant au nom de la commission des affaires européennes, je commencerai par un petit détour historique relatif à l’Europe. En 1992, la France faisait le choix libre, par référendum, de partager sa souveraineté monétaire et d’utiliser la monnaie unique. En 2002, l’euro entrait en circulation dans la vie quotidienne des Français.
    Chez ses contempteurs de l’époque, que d’inquiétudes et de fantasmes ! La France allait disparaître et son économie, s’effondrer. Les Français seraient soudoyés par la Banque centrale européenne, forcément installée chez les Allemands, à Francfort, et leur épargne s’envolerait on ne sait où. Que d’inepties et de mensonges à propos de l’Europe, déjà, dut-on entendre.
    Nous sommes en 2024, la France est toujours là, les entreprises françaises tournent, le chômage a baissé et notre pays continue d’accumuler une épargne considérable, après avoir subi deux crises économiques mondiales, en 2009 et en 2020, dont il s’est rapidement relevé. Grâce à qui ? À l’euro.
    Faire ce rappel, c’est se souvenir que la monnaie unique est un succès historique de la construction européenne. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.) Sa robustesse est un signe de la réussite du fédéralisme monétaire – je dirais même de la logique fédéraliste tout court. En ces temps où le nationalisme d’extrême droite ne se sent plus, voilà une vérité qu’il est bon de rappeler car elle témoigne de l’immense défaite idéologique de l’extrême droite et des anti-européens.
    Comment aurions-nous traversé la dernière crise, engagé un plan de relance, garanti la qualité de la signature française avec un franc dévalué ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
    Parler du pacte de stabilité, c’est aussi rappeler que l’euro est notre bouclier, qu’il protège notre signature et notre dette.
    Si j’ai parlé de la monnaie unique, c’est parce que les programmes de stabilité ont résulté de la création de la zone euro. Monnaie et budget sont intimement liés.
    « Nous savons tous que l’État est lourdement endetté. Il n’y a pas de politique qui vaille sans responsabilité budgétaire. C’est pour cela qu’il faut réduire nos déficits. La France s’y est engagée mais c’est surtout un devoir à l’égard des générations futures. »
    Ces propos ne sont pas les miens mais ceux qu’Emmanuel Macron écrivait dans le programme présidentiel pour lequel je me suis engagé au printemps 2017. Dès l’origine, le sérieux budgétaire se trouvait bien dans l’ADN de notre majorité.

    M. Kévin Mauvieux

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    Mille milliards de dettes !

    M. Frédéric Boccaletti

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    Sérieusement, regardez les chiffres !

    M. Charles Sitzenstuhl

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    Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, il y a sept ans, nous avons dû faire face à une situation budgétaire difficile (Exclamations sur les bancs du groupe SOC), ce qui devrait inviter plusieurs bancs de cet hémicycle à la modestie. En 2017, la France se trouvait encore sous le coup d’une procédure pour déficit excessif, que le Conseil des ministres de l’Union européenne avait engagée contre elle en 2009.
    C’est en 2018, avec Emmanuel Macron, Bruno Le Maire et les parlementaires de la majorité, que la France est sortie de cette procédure.

    M. David Amiel

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    Eh oui !

    M. Charles Sitzenstuhl

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    Le déficit a été ramené sous la barre des 3 % – 2,3 % en 2018 et 2,4 % en 2019. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.) Personne n’avait vu de telles performances budgétaires depuis 2001 !
    Nous savons donc que le déficit n’est pas une fatalité. La trajectoire de rétablissement des comptes publics est connue : l’objectif de revenir sous les 3 % en 2027 est crédible.
    À nous de maîtriser notre dépense, sans oublier que la compétition internationale obligera les nations européennes à investir toujours davantage pour financer la transition écologique, la défense mais aussi la recherche, domaine dans lequel nous n’avons toujours pas atteint l’objectif de 3 % du PIB fixé en 2000 par la stratégie de Lisbonne.
    Oui, nous devrons continuer à investir en Europe. Mario Draghi l’a récemment rappelé, nous devons renforcer encore davantage notre union économique et monétaire en achevant l’union des marchés des capitaux, en améliorant la convergence fiscale, en passant à la majorité qualifiée en matière fiscale, en fédéralisant de nouvelles dépenses d’investissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. le rapporteur général applaudit également.)

    M. le président

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    Nous en venons aux orateurs des groupes.
    La parole est à M. Jean-Paul Mattei.

    M. Jean-Paul Mattei (Dem)

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    La décision prise vendredi soir par deux agences de notation de ne pas dégrader la note de la dette souveraine française, et plus encore de maintenir une perspective stable, a été, pour certains esprits chagrins, source d’une importante déception. En effet, pour eux, une dégradation aurait dû consacrer leur lecture politique de l’état de nos finances publiques.
    Pour nous, ces décisions ne sont pas une surprise, et nous n’avons pas eu à les fêter : elles viennent simplement conforter la politique que nous menons. Car ce n’est pas uniquement le déficit ou la dette que les agences évaluent : c’est notre capacité à rembourser cette dette dans le futur, c’est le potentiel économique de notre pays.
    Ce potentiel économique nous donne plusieurs raisons d’être optimistes : le pays se réindustrialise, le chômage diminue, la compétitivité s’améliore. Certes, tout n’est pas parfait, loin de là, et la situation de nos finances publiques mérite qu’on y soit attentif car nous avons l’une des dettes en proportion du PIB parmi les plus élevées de la zone euro.
    Plus encore, notre déficit reste trop important. Il faut le dire : si nous devions continuer ainsi, la situation ne serait pas tenable à long terme car nous devrons, dans les prochaines années, relever de nombreux défis. Le vieillissement de la population ne manquera pas d’entraîner une hausse de nos dépenses sociales ; le dérèglement climatique demandera des investissements absolument gigantesques ; le retour des tensions géopolitiques fait peser un risque général sur les économies.
    Pour faire face à ces défis, pour offrir à nos enfants et petits-enfants un pays doté d’autant d’atouts que nous en avons eus, nous avons la responsabilité morale de rétablir nos finances publiques, en partant d’un plan clair, lisible et réaliste qui s’articule en trois parties.
    En premier lieu, la maîtrise de nos comptes publics impose de réduire les dépenses, non pas par des coups de rabot aveugles comme beaucoup l’ont fait avant nous, mais par des choix clairs de politiques publiques. Cette baisse doit reposer sur une évaluation plus poussée de nos politiques. Prenons par exemple l’apprentissage : cette politique est indéniablement une réussite mais les effets d’aubaine qu’elle induit devraient nous inciter à définir des critères pour éviter le gaspillage.
    De même, nous devons réfléchir au fonctionnement de l’État, de ses opérateurs et para-opérateurs, pour fusionner autant que possible des entités, rationaliser la politique immobilière, revenir sur certaines habitudes aujourd’hui inexplicables.
    Pour ce qui est de la sécurité sociale, nous devons investir, pas uniquement financièrement d’ailleurs. Il faudra ainsi renforcer la prévention, parce qu’une maladie évitée, notamment un cancer ou une maladie cardiaque, c’est une dépense écartée pour notre modèle social, mais surtout une vie libérée de ce poids, une famille rassurée.
    Ayons le courage de réformer notre système fiscal. Nous devons conserver l’esprit de la politique instaurée en 2017, qui porte aujourd’hui ses fruits. Mais 2017 n’est pas 2024 et notre monde a beaucoup changé depuis. En matière fiscale, notre groupe a adopté une approche assez simple.

    Mme Marie-Christine Dalloz

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    Taxer ! Taxer ! Taxer !

    M. Jean-Paul Mattei

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    Nous soutenons tout ce qui améliore le fonctionnement de nos entreprises lorsque cela crée de la croissance – le bénéfice utile, en quelque sorte –, mais nous voulons revoir les dispositifs les plus nocifs, les plus inéquitables, ceux qui enrichissent sans cause et qui encouragent l’accumulation d’un patrimoine improductif toujours plus important. Notre groupe aura sans doute, lui aussi, des propositions à vous soumettre.
    Vous connaissez tous notre engagement en la matière et nous continuerons sans relâche à proposer des pistes d’évolution, au niveau national comme européen.
    Mais le plus important pour rétablir nos finances publiques et assurer l’avenir de nos enfants, c’est la croissance – non une croissance alimentée par une dépense publique indifférenciée, hors de tout contrôle et donc insoutenable, mais une croissance assise sur des bases solides et durables.
    Pour cela, nous devons continuer à réformer la France de manière structurelle, en pariant sur la montée en compétence par l’éducation et la formation professionnelle tout au long de la vie, en soutenant l’innovation, en levant les derniers obstacles à l’embauche, en améliorant le fonctionnement de certains marchés encore trop cadenassés, en décomplexifiant l’activité par une simplification des normes.
    Vous l’aurez compris, chers collègues, le groupe démocrate porte dans son ADN le rétablissement des comptes publics. J’ai essayé de dresser ici une feuille de route qui réclame d’agir sur trois leviers : la baisse des dépenses, le renforcement de la justice fiscale, le soutien à la croissance. Nous sommes prêts à travailler, à proposer, à soutenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et RE.)

    M. le président

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    La parole est à M. Boris Vallaud.

    M. Boris Vallaud (SOC)

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    À considérer la situation, nous ne pouvons que constater l’étendue des dégâts et de votre incompétence. Il n’y a pas de quoi être fier. Une incompétence à laquelle vous avez joint le mensonge en ne disant pas la vérité sur les conséquences de vos choix budgétaires et sur l’état de nos finances publiques.
    Depuis plusieurs années, vous avez, en effet, retenu sciemment des perspectives de croissance systématiquement au-dessus des prévisions de la Banque de France ou de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques. Cette année encore, vous dites 1,6 %, mais nous ne dépasserons pas les 0,5 % selon l’OFCE. Dès lors, qui peut s’étonner qu’il manque des milliards d’euros de recettes ? Personne.
    À cela s’ajoute l’addition accablante de vos cadeaux fiscaux jamais financés : 60 milliards au total, parmi lesquels 20 milliards de baisse des impôts de production dont les deux tiers bénéficieront notamment à la banque et aux assurances, lesquelles viennent de battre de nouveaux records en matière de distribution de dividendes. C’est coûteux, et c’est honteux.
    Dans un même élan, vous avez consciencieusement appauvri la sécurité sociale en multipliant les exonérations de cotisations – leur montant a augmenté de 30 % depuis 2017. La protection sociale était excédentaire à votre arrivée, mais les comptes de la sécurité sociale sont aujourd’hui déficitaires de 10 à 15 milliards par an.
    Si encore ces déficits étaient venus servir le pouvoir d’achat des Français, réarmer industriellement le pays, moderniser nos services publics ou accélérer la transition écologique… mais il n’en est rien.
    Vous avez failli, vous avez vidé les caisses et vous voulez désormais vider les poches de celles et ceux que nous avons applaudis à vingt heures. Il faut dire aussi que vous avez négocié un très mauvais pacte de stabilité avec des règles automatiques inadaptées et dangereuses. « Le résultat est un cauchemar », nous dit Jean Pisani-Ferry. Vous êtes aujourd’hui pris au piège de votre dogmatisme.
    Vos orientations budgétaires ne disent qu’une chose : à l’incompétence et au mensonge, vous ajoutez désormais la brutalité sociale, l’inefficacité économique et l’impasse financière. D’ores et déjà, vos 10 milliards d’euros de baisse de dépenses coûteront à notre économie 0,2 point de croissance cette année, 2,2 milliards manqueront à l’écologie, 700 millions à l’école, 900 millions à la recherche, 330 millions à la justice, 230 millions aux forces de l’ordre, etc.
    Votre cure d’austérité sans précédent sera un remède pire que le mal : moins de pouvoir d’achat, moins de droits sociaux, moins de croissance, moins d’investissement mais plus de CO2, plus de pauvreté, plus de chômage, plus de déficits et plus de dette.
    Personne ne vous croit plus. Or le courage, monsieur le ministre, c’est de dire la vérité : vous ne passerez pas en dessous des 3 % de déficit en 2027 à moins d’abîmer la France et de faire souffrir les Français.

    M. Philippe Brun

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    Il a raison !

    M. Boris Vallaud

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    Nous appelons de nos vœux un plan de rebond plutôt que votre grand plongeon. Nous proposons une autre trajectoire dans le cadre d’un projet politique fondé sur la justice et sur la préparation de l’avenir. C’est ainsi que nous garantirons la solvabilité de nos finances publiques.
    Vous vouliez des propositions, en voici une : un quatre-quarts économique, social et écologique au service de finances assainies. C’est le chemin emprunté par Pedro Sanchez, le Premier ministre socialiste en Espagne…

    M. Pierre Cordier

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    Il a failli perdre les élections !

    M. Boris Vallaud

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    …et c’est le programme que nous mettons sur la table aujourd’hui.
    Premier quart : des recettes nouvelles, au nom de la justice fiscale, grâce à celles et ceux qui peuvent faire des efforts supplémentaires. Pour reprendre un fameux slogan, je vous dirai, monsieur le ministre : tax the rich. Renoncement à la suppression de la CVAE, cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, taxation des superprofits ou des superdividendes, des grandes fortunes comme des gros héritages : nous pouvons ainsi trouver 38 milliards de recettes nouvelles pour l’État.
    Deuxième quart : des économies au nom de l’efficacité de la dépense publique. Plutôt que de tailler dans l’éducation, la santé ou le logement, nous proposons d’évaluer chaque aide directe ou indirecte aux entreprises, y compris les exonérations de cotisations sociales, soit plus de 200 milliards par an, de les soumettre à conditions et d’y renoncer dès lors que leur efficacité économique, sociale et environnementale n’est pas établie. Les aides aux entreprises, qui représentaient 3,5 % du PIB au début des années 1980, s’élèvent à plus de 8,5 % aujourd’hui – je rappelle qu’elles sont financées par les ménages et par le déficit public.
    Troisième quart : une action en faveur du pouvoir d’achat et de la consommation des ménages pour soutenir leur pouvoir de vivre mais aussi notre économie. Augmentons le Smic et le point d’indice en proposant une compensation aux collectivités locales, augmentons les minima sociaux, convoquons la conférence salariale tant attendue et limitons les écarts de rémunération – tels que ceux, indécents, dont nous avons eu connaissance ces dernières semaines.
    Quatrième quart : une relance des investissements pour préparer l’avenir, un plan de rebond, des investissements massifs dans les infrastructures de la transition écologique, les énergies renouvelables, le ferroviaire, l’eau potable mais aussi le logement. Nous voulons également que les entreprises industrielles françaises rattrapent leur retard considérable en matière de compétitivité. Grâce à un dispositif de suramortissement, elles pourraient engager la robotisation et la numérisation de leurs processus.
    Monsieur le ministre, nous avons la mémoire longue et vous, les idées courtes. Il existe des solutions alternatives à la violence et à l’impuissance. Votre discours n’est pas une promesse de vertu financière mais uniquement la somme de vos renoncements, de vos petites lâchetés et de vos gros mensonges. Nous n’en voulons pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)

    M. le président

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    La parole est à M. Nicolas Sansu.

    M. Nicolas Sansu (GDR-NUPES)

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    Le programme de stabilité pour 2024 est une caricature encore plus grossière de la doxa libérale qui vous habite depuis 2017. Au prétexte d’une croissance et de recettes fiscales en berne – dont vous êtes responsables, messieurs les ministres – et d’une dette publique au nom de laquelle vous ne cessez de culpabiliser les Français, vous poussez cette année un peu plus encore la logique austéritaire et le rabot sur les dépenses publiques.
    Pourtant, notre pays est riche, immensément riche – l’un des plus riches de la planète. Le paradoxe est que cette richesse ne permet pas à tous nos concitoyens d’être mieux soignés qu’il y a quelques années, qu’elle s’accompagne d’inégalités territoriales délétères – un élève des quartiers populaires est moins soutenu qu’un élève des beaux quartiers – et qu’elle est synonyme, dans nos territoires ruraux, d’abandon de pans entiers du service public. Les habitants de notre pays n’en peuvent plus de subir cette situation.
    Malgré votre autosatisfaction permanente, et sans revenir sur les critiques acerbes du Haut Conseil des finances publiques et de la Cour des comptes, vous avez échoué. Si ce n’est de l’insincérité, alors cela s’apparente à de l’incompétence.
    Vous avez organisé le désarmement fiscal de notre pays et n’êtes donc plus en mesure de répondre aux urgences climatiques, sociales et démocratiques. Les mesures de baisses d’impôt prises depuis 2017 s’élèvent à 76 milliards dont 40 milliards pour les entreprises à travers la baisse de l’IS, l’impôt sur les sociétés, ainsi que la suppression de la CVAE et de la moitié de la CFE, la cotisation foncière des entreprises, l’extension du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, mais aussi 10 milliards accordés aux ménages les plus riches.
    Les choses sont claires : vous réduisez les recettes pour creuser les déficits, lesquels servent à justifier votre discours sur la réduction de la dépense publique. D’ailleurs, toutes les études le montrent, ce n’est pas une explosion des dépenses qui aggrave le déficit mais bien une contraction des recettes.
    Nous savons quels sont vos véritables objectifs : diminuer les protections collectives, faire passer des pans entiers de services rendus de la sphère publique vers la sphère privée. Comme vous l’avez fait pour les travailleurs futurs retraités en 2023, vous vous attaquez désormais aux chômeurs et aux malades qui verront leur reste à charge s’accroître. J’ajoute qu’en commission des finances, M. le ministre des comptes publics a refusé de répondre à propos de la possibilité de supprimer l’indexation des pensions et allocations sociales sur l’inflation pour l’année 2025, une mesure qu’il avait pourtant lui-même annoncée à la radio. Aurons-nous une réponse aujourd’hui ?
    Dans le même temps, vous allez mettre les collectivités locales au régime sec alors qu’elles ne sont pas responsables de la dette publique de fonctionnement puisque leur budget doit respecter l’équilibre – si j’ose dire, Bruno Le Maire fait les poches des maires.

    M. Pierre Cordier

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    Et aussi des régions !

    M. Nicolas Sansu

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    En contraignant les collectivités locales, on se tire une balle dans le pied. Quelle erreur ! Ce n’est pas ainsi que nous devons procéder si nous voulons réussir la transition écologique, améliorer les conditions d’éducation, assurer l’égalité territoriale et apporter tous les services du quotidien.
    Un autre chemin est possible : non pas une augmentation aveugle des impôts, mais une autre répartition des richesses au moyen d’une architecture fiscale plus juste et plus équitable.
    Permettez-moi d’esquisser quelques pistes de réflexion. Notre pays a vu le patrimoine des plus fortunés doubler en trois ans. Dès lors, comment ne pas plaider pour une contribution exceptionnelle sur les très hauts patrimoines afin de financer la bifurcation écologique comme le préconise le rapport de Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz – une idée reprise dans le rapport que j’ai rédigé avec le président Mattei ?
    S’agissant de la sécurité sociale, les exonérations de cotisations sociales compensées par l’État atteignent près de 80 milliards alors qu’elles s’élevaient à moins de 10 milliards il y a vingt ans. Comment ne pas s’interroger sur l’efficacité de cette aide indifférenciée et coûteuse pour le pays ?
    Les distributions de dividendes et les rachats d’actions n’ont cessé de se multiplier pour atteindre des niveaux records. Adossés à des mécanismes de remontées dans des holdings situées dans des paradis fiscaux – entre autres procédés peu reluisants –, des dizaines de milliards de ressources, qui pourraient être utiles pour financer les protections collectives et les services publics, échappent ainsi au budget de l’État.
    Enfin, comment ne pas s’alarmer de la diminution continue de la part des impôts progressifs dans les ressources de l’État, au risque de détruire le consentement à l’impôt ? Oui, il existe une solution alternative à votre doxa libérale qui favorise les 1 %. Nous serons toujours du côté des 99 %.
    Alors que nous fêtions ces derniers jours le cinquantième anniversaire de la fin de la dictature fasciste au Portugal, vos choix politiques, ceux d’une Europe des marchands et des marchandises et non d’une Europe des droits sociaux et humains, font rejaillir le spectre d’une extrême droite conquérante, partout sur le continent.

    M. Mathieu Lefèvre

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    Faites attention à ce que vous dites !

    M. Nicolas Sansu

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    Vous avez échoué. Pire : vous nous emmenez vers le chaos. Monsieur Le Maire, vous ne pourrez pas en être fier. Changez de cap, messieurs les ministres, pour préserver nos valeurs républicaines – liberté, égalité et fraternité. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES.)

    Rappel au règlement

    M. le président

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    La parole est à Mme Valérie Rabault, pour un rappel au règlement.

    Mme Valérie Rabault

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    Il se fonde sur l’article 88, alinéa 2, de la Constitution. Normalement le programme de stabilité s’accompagne d’un document appelé le programme national de réforme que vous devez envoyer à la Commission européenne avant le 30 avril, c’est-à-dire demain. Comptez-vous l’envoyer après le débat de cet après-midi sur les finances publiques ? Ou comptez-vous ne pas l’envoyer ou ne pas le mettre à jour ?

    M. Philippe Brun

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    Que cachez-vous ?

    Mme Valérie Rabault

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    En tant que députés, nous avons le droit d’avoir connaissance du contenu de ce programme national de réforme. Nous aurions dû pouvoir le consulter avant ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Maxime Minot applaudit également.)

    M. Philippe Brun

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    Excellent !

    M. le président

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    Je pense que le Gouvernement a bien pris note de votre demande. Au passage, il me semble que l’article sur lequel se fonde votre rappel au règlement n’est pas le bon.

    Reprise du débat

    M. le président

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    La parole est à M. Charles de Courson.

    M. Charles de Courson (LIOT)

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    Sur la forme, ce débat sur le programme de stabilité traduit un certain mépris du Gouvernement à l’égard du Parlement mais aussi la crainte qu’il éprouve à l’égard de ce dernier. Il intervient après la transmission, ce mois, du programme de stabilité à la Commission européenne, mais sans que soit fourni le programme national de réforme,…

    M. Boris Vallaud

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    Voilà !

    M. Charles de Courson

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    …et est destiné à permettre au Gouvernement d’éviter de déposer un projet de loi de finances rectificative, politiquement très dangereux pour lui.
    Ce programme n’est pas crédible, pour plusieurs raisons. Premièrement, les hypothèses de croissance macroéconomique sur la base desquelles vous l’avez construit sont surévaluées. En juillet 2017 – j’ai de la mémoire, monsieur le ministre de l’économie –, vous nous aviez expliqué que, grâce à la politique que vous alliez mener, le taux de croissance potentielle de la France, estimé à l’époque autour de 1,2 ou 1,3 % allait doubler pour atteindre 2,5 %.

    M. Pierre Cordier

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    C’est vrai ! Il l’a dit !

    M. Charles de Courson

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    Il n’en a rien été : le taux de croissance potentielle est resté aux alentours de 1,1 ou 1,2 %. Le passé plaide donc en votre défaveur.
    Pour la période 2023-2027, vous nous expliquez de nouveau que la croissance va s’accélérer, atteignant 1,35 % par an. Le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis du 16 avril 2024, nous explique que « le maintien sur une longue période » – huit ans depuis 2020 – « d’un écart de production négatif » est « une configuration qui ne s’observe jamais dans les évaluations ex post de l’écart de production ». Cela conforte le diagnostic de ce même Haut Conseil, selon lequel la trajectoire du PIB potentiel retenue dans les prévisions du Gouvernement est surévaluée.
    En septembre 2023, vous aviez retenu pour 2024 une croissance du PIB de 1,4 %, contre tous les prévisionnistes, qui la situaient en moyenne autour de 1 %. Vous venez de baisser votre estimation à 1 % alors que les dernières prévisions évoquent un taux de 0,7 % environ – je pense à celles du FMI, de Consensus Forecasts, de la Banque de France, de l’OFCE ou à celles, encore inférieures, de Rexecode. Vous avez toujours un train de retard. Depuis plusieurs exercices, notre groupe a toujours suggéré au Gouvernement de retenir un taux de croissance raisonnable, de l’ordre de 1,1 %.
    La deuxième raison est que vos hypothèses de modification du comportement des ménages et des entreprises sont elles aussi très fragiles. La baisse prévue par le Gouvernement du taux d’épargne des ménages permettant un rebond de la consommation est discutable. Certes, il est très élevé – autour de 17 % – mais il n’est pas réaliste d’anticiper une baisse très rapide. En effet, ce taux est partiellement lié à une baisse très rapide des taux d’intérêt qui bloque le redémarrage de l’investissement, notamment dans l’immobilier. Or une légère baisse des taux d’intérêt n’est attendue qu’au second semestre 2024. Il en va de même pour l’investissement dans les entreprises : la prévision gouvernementale d’une progression de 0,5 % ne correspond pas aux projections formulées par les responsables des entreprises.
    Troisièmement, l’amélioration continue de la balance commerciale qui, d’après les prévisions gouvernementales, contribuerait à la croissance du PIB, en 2024 à hauteur de 0,4 point, puis en 2025 à hauteur de 0,2 point et enfin en 2026 et en 2027 à hauteur de 0,1 point, suppose un effort de compétitivité considérable que l’on n’a pas constaté sur le long terme. L’excellente année 2023, avec une balance commerciale qui a contribué à hauteur de 0,5 point au taux de croissance du PIB, s’explique davantage par une légère contraction des importations – en baisse de 0,1 % – que par une légère croissance des exportations – en hausse de 1,5 %.
    Quatrièmement, l’hypothèse selon laquelle les dépenses des collectivités territoriales baisseraient en volume de 0,5 % par an, permettant de passer d’un besoin de financement de 0,4 point du PIB – soit 10 milliards – en 2023 et en 2024 à une capacité de financement de 0,1 point du PIB dès 2026 et de 0,4 point en 2027, n’est pas crédible car, en raison des élections municipales prévues en mars 2026, les investissements s’accéléreront en 2025 alors que le Gouvernement retient une croissance de ces investissements de seulement 1,2 %.
    Cinquièmement, les excédents croissants prévus par les administrations publiques de sécurité sociale, qui s’élèvent à 0,2 point du PIB en 2024, soit 5 milliards, sont surréalistes : 0,6 point du PIB en 2025, 0,7 point en 2026 et 1 point pour 2027, ce qui représente 30 milliards. D’après le Gouvernement, la réforme des retraites rapporterait 0,1 point du PIB en 2027, soit 3 milliards. Votre hypothèse, selon laquelle cette réforme rapporterait 0,7 point de PIB en raison d’un accroissement du nombre de travailleurs âgés de 62 à 64 ans, constitue une illusion car, dans cette tranche d’âge, il est peu vraisemblable que l’on retrouve du travail. En outre, l’âge avançant, la productivité baisse.
    Sixièmement, la hausse continue du taux des prélèvements obligatoires à partir de 2024 suscite des interrogations puisque ce chiffre est passé de 43,5 % du PIB en 2023 à 44,1 % du PIB en 2027. Il en va de même du montant de la dette publique dont le poids dans le PIB augmente de façon continue.

    M. le président

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    Monsieur le député, je vous demande de conclure.

    M. Charles de Courson

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    Enfin, septième et dernière raison, monsieur le ministre, on pourrait vous surnommer « monsieur 1 000 milliards » puisque, tout au long de la période pendant laquelle vous aurez occupé vos fonctions, la dette publique se sera accrue de ce montant, passant de 2 254 milliards en 2017 à 3 250 milliards à la fin de 2025.

    M. le président

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    Monsieur le député, votre temps de parole est écoulé.

    M. Charles de Courson

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    Sur ces 1 000 milliards, seuls…

    Rappel au règlement

    M. le président

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    La parole est à M. Philippe Brun, pour un rappel au règlement.

    M. Philippe Brun

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    Il se fonde sur l’article 100 de notre règlement. Comme vient de l’indiquer Valérie Rabault, nous ne pouvons débattre des orientations financières de la France sans disposer de l’annexe au programme de stabilité, à savoir le programme national de réforme. Il conditionne la soutenabilité des prévisions qui sont présentées. Quelles sont les réformes associées à la trajectoire budgétaire gouvernementale ?

    M. le président

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    L’article 100 du règlement n’est pas la référence idoine ; il est relatif aux amendements.

    M. Maxime Minot

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    Alors, on ne sait pas lire un règlement ?

    Reprise du débat

    M. le président

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    La parole est à Mme Eva Sas.

    Mme Eva Sas (Écolo-NUPES)

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    Nous examinons ce programme de stabilité dans un contexte particulièrement tendu. D’un côté, la France se trouve dans une situation déficitaire plus grave qu’anticipée – 5,5 % du PIB en 2023 au lieu des 4,9 % prévus ; de l’autre, malgré l’opposition des écologistes, les règles budgétaires européennes viennent d’être remises en application par les droites européennes et par le groupe de la majorité présidentielle.
    Enserrés dans cette « camisole de force », selon l’expression de Philippe Lamberts, contrainte que vous nous avez imposée au niveau européen, nous devons trouver les moyens de financer nos besoins écologiques, sociaux, géopolitiques ainsi que la reconstruction de nos services malgré une situation budgétaire fortement dégradée.
    Comment en sommes-nous arrivés là ? Une chose est certaine, nous ne partageons pas le même diagnostic. Alors même qu’en 2023, la croissance, avec 0,9 %, s’est révélée très proche de la prévision de 1 % de la loi de finances initiale, vous nous parlez de retournement conjoncturel. Nous parlons, nous, de gabegie fiscale ! Car vous n’avez eu de cesse depuis 2017 de dilapider les marges de manœuvres fiscales de la France. Votre obsession dogmatique pour les baisses d’impôts nous prive d’au moins 52 milliards de recettes : 3,2 milliards du fait de la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), 11 milliards de baisse d’impôts sur les sociétés, 15 milliards de baisse d’impôts de production.
    Ce désarmement fiscal systématique perdure dans le budget pour 2024 avec 1 milliard de baisse de la CVAE. Il fragilise la France. Or votre réaction se résume à des coupes budgétaires abruptes et à l’austérité.

    M. Charles Fournier

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    M. Pisani-Ferry devait être sollicité pour écrire un rapport !

    Mme Eva Sas

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    « Austérité » : les Écologistes n’emploient pas ce mot à la légère. Il est adapté en l’espèce, compte tenu des 20 milliards de coupes budgétaires prévues en 2024 – 27 milliards en 2025.
    Avec 2,2 milliards en moins pour l’isolation des logements, les infrastructures de transport, le fonds Vert des collectivités locales,…

    M. Mathieu Lefèvre

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    Qui l’a voté ?

    Mme Eva Sas

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    …lequel finance la végétalisation de nos villes, la rénovation thermique de nos écoles, la protection contre les inondations ou les incendies, l’écologie, grande sacrifiée, paie déjà, et de loin, le plus lourd tribut à la première tranche – de 10 milliards – d’annulation de crédits.
    Vous sacrifiez non seulement l’avenir de la planète mais aussi la protection des Français contre le dérèglement climatique, déjà présent dans notre quotidien.
    Quel chemin proposent les Écologistes ? D’abord retrouver des marges de manœuvre fiscales.

    M. Mathieu Lefèvre

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    Voilà !

    Mme Eva Sas

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    Il est temps, messieurs les ministres, d’avoir le courage de taxer les ultrariches. À notre proposition d’ISF climatique et à la contribution exceptionnelle sur le patrimoine financier des plus aisés suggérée par Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry, vous avez répondu par une hypothétique taxation internationale qui ne verra pas le jour avant plusieurs années.
    Il est temps aussi de s’attaquer aux « superprofits », à commencer par ceux des énergéticiens. Vous prétendez les taxer grâce à la contribution sur la rente inframarginale de la production d’électricité (Crim), mais vous ne vous attaquez en réalité qu’aux producteurs d’électricité. Les entreprises pétro-gazières échappent à votre impôt et, contrairement à ce qui se fait en Espagne, au Royaume-Uni ou en Italie, vous n’avez rien fait pour les faire contribuer au redressement des comptes publics.
    Vous préférez vous en prendre à la protection sociale des Français, à l’assurance chômage – notamment celle des seniors – ou au remboursement des médicaments alors même que le budget de la sécurité sociale, à l’inverse de celui de l’État, dégage un excédent. Vous préférez protéger Total plutôt que les Français – ces derniers apprécieront !
    Enfin, il est temps de mettre fin à la gabegie que représentent les aides aux entreprises accordées pour la plupart sans condition ni contreparties : 157 milliards d’euros par an, dont 70 milliards d’exonérations de cotisations sociales et 6 milliards de crédit d’impôt recherche (CIR). Le « quoi qu’il en coûte » est fini pour les ménages mais perdure pour les entreprises !
    Partout, des voix s’élèvent pour dénoncer les effets d’aubaine et appeler à la remise à plat de cette politique « open bar » pour les entreprises. Vous avez d’ailleurs vous-mêmes commandé un rapport à Antoine Bozio et Étienne Wasmer sur les exonérations de cotisations sociales.
    Alors, messieurs les ministres, aurez-vous le courage de réguler enfin les aides aux entreprises, de moduler les exonérations de cotisations pour sortir de l’effet de trappe à bas salaires, d’introduire une conditionnalité sociale pour le bénéfice des exonérations de cotisations et une conditionnalité environnementale pour celui du CIR ?
    Ces propositions des Écologistes tracent la voie d’un redressement juste de nos finances publiques et sont nécessaires pour financer à la fois la transition écologique, notre protection sociale et le rétablissement de nos services publics. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES. – M. Philippe Brun applaudit également.)

    Rappel au règlement

    M. le président

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    La parole est à M. Boris Vallaud, pour un rappel au règlement.

    M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général

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    Toujours sur le même sujet !

    M. Nicolas Sansu

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    Et alors ? C’est normal ! Ils en ont bien le droit !

    M. Boris Vallaud

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    Il se fonde sur les articles 1er et suivants du règlement. Mes collègues ont par deux fois posé la question de savoir quel était le programme national de réforme sous-tendant le programme de stabilité. L’Allemagne, le Luxembourg, l’Autriche ont transmis un programme à la Commission européenne.

    M. le président

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    Ce n’est pas le bon article pour fonder un rappel au règlement.

    M. Boris Vallaud

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    J’ai cité le 1er et les suivants…

    M. le président

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    Autant dire tout le règlement ! Nous n’allons pas jouer à cela, monsieur Vallaud.

    Mme Valérie Rabault

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    Dans ce cas, nous demandons une suspension de séance !

    M. le président

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    Elle est de droit, je vous l’accorde.

    Suspension et reprise de la séance

    M. le président

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-cinq.)

    M. le président

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    La séance est reprise.

    Reprise du débat

    M. le président

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    La parole est à M. Mathieu Lefèvre.

    M. Mathieu Lefèvre (RE)

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    Nos collègues socialistes demandent aujourd’hui un programme national de réforme. Pourtant, ils ont œuvré à rejeter la loi de programmation des finances publiques qui sert de trajectoire pluriannuelle au niveau européen ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Protestations sur les bancs du groupe SOC.)
    Chers collègues, vous faisiez certainement partie vendredi dernier de ces nombreux observateurs de la vie politique, de ces oiseaux de malheur qui guettaient et, peut-être pire, espéraient la dégradation de la note de notre pays par les agences de notation.

    M. Boris Vallaud

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    Nous ne sommes pas élus par les agences de notation !

    M. Mathieu Lefèvre

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    Leurs tweets ravageurs étaient déjà prêts : la politique économique du Gouvernement allait être sanctionnée.
    Ce ne fut pas le cas…

    M. Philippe Vigier

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    Absolument !

    M. Mathieu Lefèvre

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    …et ce ne le fut pas grâce à l’action inlassable de la majorité présidentielle, du ministre de l’économie et des finances et grâce à la politique de sérieux que mène le Président de la République depuis 2017. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Cette perspective n’est pas tombée du ciel, elle est le fruit d’une politique courageuse, cohérente et constante, qui récuse à la fois l’austérité et le laxisme.
    Aujourd’hui, nous avons le choix : soit poursuivre cette politique de sérieux, soit subir ou encore nous mentir à nous-mêmes.

    M. Boris Vallaud

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    Vous, vous mentez aux Français !

    M. Mathieu Lefèvre

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    Subir serait considérer que l’endettement est une fatalité. Le président Éric Coquerel a beau dire que la dette est « un épouvantail » et qu’elle ne serait, après tout, pas si préjudiciable que cela pour le pays, il demeure que la charge d’intérêt de la dette représentera la première dépense budgétaire du pays dans quelques années.
    Subir serait considérer qu’il faut sacrifier la souveraineté budgétaire de notre pays à nos créanciers. C’est finalement ce à quoi mènent les programmes marxistes du Rassemblement national et de l’extrême gauche…

    Mme Sandra Regol

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    Heureusement que le ridicule ne tue pas !

    M. Mathieu Lefèvre

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    …qui demain, s’ils étaient appliqués, contribueraient à la ruine de notre pays.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Quel naufrage !

    M. Mathieu Lefèvre

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    Car nous ne nous réformons pas pour faire plaisir à Bruxelles ou bien pour obéir à je ne sais quel diktat venu de l’étranger. L’objectif de 3 % de déficit public ne relève pas du fétichisme ; c’est le seuil en deçà duquel notre pays amorce son désendettement et c’est la seule chose qui compte. (Mme Astrid Panosyan-Bouvet applaudit.)
    Nous réformons pour être en mesure de faire face à la prochaine crise dont personne ne peut prédire la survenance.
    Nous le faisons également pour financer la transition énergétique. Dans cet hémicycle, personne n’était capable d’indiquer comment y parvenir sans multiplier les taxes. Nous, nous la finançons par une politique qui mène au plein emploi.
    Ce serait par ailleurs nous mentir à nous-mêmes que de prôner le sérieux budgétaire sans nous en donner les moyens ou bien de faire croire aux Français que l’on peut répondre à une diminution de recettes par des hausses d’impôts dans un pays qui, malgré les importantes baisses opérées en ce domaine au cours des dernières années, est déjà asphyxié par la charge fiscale.
    En soutenant le Gouvernement, qui sait que le rétablissement des comptes et la prospérité vont de pair, nous avons fait le choix d’agir avec sérieux. Il n’y a pas de croissance sans crédibilité budgétaire et pas de crédibilité budgétaire sans croissance.
    En 2018, nous avons déjà allié crédibilité et croissance sous l’autorité de Bruno Le Maire, de Gérald Darmanin et d’Olivier Dussopt.

    M. Boris Vallaud

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    Ah !

    M. Mathieu Lefèvre

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    Nous y parviendrons de nouveau en 2027 en maintenant le seul cap qui vaille : celui du plein emploi. Car oui, l’emploi est la mère des batailles. Créer des emplois est bon pour la croissance, pour les comptes et pour le financement de notre modèle social. Répétons-le au besoin : si nous avions le même taux d’emploi que nos voisins allemands, le mot « déficit » serait à ranger dans les livres d’histoire.

    Mme Astrid Panosyan-Bouvet

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    Il a raison !

    M. Mathieu Lefèvre

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    Agir avec sérieux, c’est refuser de céder aux sirènes de l’instabilité économique. Au fond, les seules questions auxquelles nous devrions répondre aujourd’hui sont celles-ci : faut-il, oui ou non, rompre avec une politique qui a créé depuis 2017 plus de 2 millions d’emplois,…

    Mme Marine Le Pen

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    Et 1 000 milliards de dette !

    M. Mathieu Lefèvre

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    …dont 130 000 emplois industriels ?
    Et faut-il, oui ou non, rompre avec une politique économique qui a permis de créer près de 400 000 entreprises l’an dernier, rompre avec une politique économique qui a permis de protéger, mieux que n’importe où dans la zone euro, le pouvoir d’achat de nos compatriotes face aux crises que nous avons connues ? En répondant par la négative à ces questions – ce que vous souhaitez tous, j’en suis sûr –, on ne remet en cause ni la politique de l’offre qui est menée depuis 2017 ni le soutien massif et assumé en faveur de nos compatriotes et de leurs entreprises dans les moments difficiles (Applaudissements sur les bancs du groupe RE), ni l’ambition de réduire les dépenses plutôt que d’augmenter les impôts des Français au sortir de pareils moments.
    Dans les mois qui viennent, notre pays sera confronté à des options très claires : soit la pérennité de notre modèle social assurée par l’endettement sans limite, soit la fuite en avant vers l’impôt, soit le financement de notre modèle social par l’emploi. C’est ce choix que font les députés du groupe Renaissance, autour du rapporteur général et de leur président Sylvain Maillard, et ils seront au rendez-vous de la responsabilité, comme ils l’ont toujours été. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)

    M. Boris Vallaud

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    Non !

    M. le président

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    Avant de poursuivre la discussion générale, la parole est à M. le ministre pour une brève intervention qui, je l’espère, permettra d’éviter d’autres suspensions de séance.

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    C’est dans ce but, en effet, que j’informe la représentation nationale qu’elle aura accès au programme national de réforme dès cet après-midi et qu’il sera transmis à tous les parlementaires qui le souhaitent. Vous n’y trouverez aucun point singulier…

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Ça, c’est sûr !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    …par rapport à ce que le Président de la République, le Gouvernement et la majorité défendent depuis plusieurs années.

    Rappel au règlement

    M. le président

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    La parole est à M. Boris Vallaud, pour un rappel au règlement, sur la base de quel article ?

    M. Boris Vallaud

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    Sur la base des articles 1er et suivants.

    M. le président

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    Je vous prie de préciser l’article auquel vous vous référez.

    M. Boris Vallaud

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    Dans ce cas, disons l’article 26.

    M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général

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    Il ne connaît donc pas le règlement ?

    M. le président

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    L’article 26 porte sur les modalités des nominations. Vous êtes président de groupe, monsieur Vallaud. Je vous demande de respecter l’Assemblée et de fonder vos rappels au règlement sur des articles qui correspondent au motif du rappel en question ; autrement, c’est se moquer de l’hémicycle.

    M. Boris Vallaud

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    Soit ; je demande une suspension de séance.

    Suspension et reprise de la séance

    M. le président

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq.)

    M. le président

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    La séance est reprise.

    Reprise du débat

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.

    M. Jean-Philippe Tanguy (RN)

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    Quatre-vingt-quinze milliards d’euros : voici la somme colossale d’économies que votre gouvernement doit réaliser avant 2027 pour espérer atteindre un déficit public équivalant à 3 % du PIB – ce qui, rappelons-le, resterait tout de même encore un déficit. Levons immédiatement le faux suspense, monsieur Le Maire, que vous entretenez ici et dans les médias : vous n’y arriverez jamais. En effet, vous n’avez ni le courage, ni la détermination, ni les solutions pour rétablir les comptes publics et briser la chaîne d’incompétence des gouvernements qui, depuis cinquante ans, ont systématiquement mis les finances de la France en déficit, accumulant 3 000 milliards de dette.
    Vous ne vous attaquez pas aux tabous qui ont ruiné la France, et que seul a le courage de dénoncer le Rassemblement national : le coût de l’immigration évidemment, la facture de l’Union européenne, le mammouth bureaucratique, le millefeuille territorial, les 400 000 normes en vigueur et les oligopoles. Les mêmes causes entraînant les mêmes effets, vous allez continuer à entraîner la France vers la catastrophe.
    Vous vous gargarisez de l’indulgence des marchés financiers et de l’incompétence des agences de notation qui vous épargnent, mais c’est ignorer que la crédibilité de la dette doit tout à la richesse de la France, tout à la force de ses entreprises, tout à la compétence de son administration, et absolument rien à votre gestion, étrillée d’ailleurs par la presse économique, par les analystes financiers, par la Cour des comptes et même par vous-même, qui semblez découvrir dans tous les médias, au bout de sept ans, votre propre bilan. Votre arrogance – encore aujourd’hui !– et votre prétention à réussir demain là où vous avez déjà échoué prouvent que le ridicule ne tue pas. Prenez garde, monsieur le ministre, car ce même ridicule ne vous protégera pas de la débâcle électorale que les Français vont vous infliger le 9 juin en soutenant Jordan Bardella.

    M. Mathieu Lefèvre

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    N’allez pas si vite en besogne !

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    La situation pourrait faire rire si elle n’était pas si grave pour les Français. Le 19 décembre 2023, vous rendiez publique le projet de loi relatif à la trajectoire des finances publiques jusqu’en 2027 – une trajectoire quinquennale qui n’aura tenu que trois pauvres petits mois avant de s’effondrer à l’annonce d’un dérapage historique du déficit. Vous devez donc trouver 95 milliards alors que vous avez épuisé financièrement la France.
    Mais le bilan budgétaire d’Emmanuel Macron, ce n’est pas seulement ce dérapage historique du déficit public : c’est un record historique de taxes, d’impôts et de dépenses, des déficits commerciaux abyssaux et même un déficit de la balance des paiements. Depuis deux ans, vous tenez la plume du budget du début à la fin, privant le Parlement, par vos 49.3, non seulement de son pouvoir budgétaire mais même de sa liberté fondamentale à débattre du budget.
    Chers collègues, pourquoi le Parlement existe-t-il et pourquoi les Français nous ont-ils délégué leur souveraineté ? La cause première de la démocratie représentative, c’est le vote des impôts et des dépenses publiques. Cette tragédie a donc assez duré. Ensemble, sur tous les bancs de cette assemblée, nous devons reprendre le contrôle des finances publiques.
    À entendre les déclarations des membres des oppositions, le Gouvernement n’a plus aucune crédibilité budgétaire. Or, toutes oppositions confondues, nous sommes majoritaires, donc capables de faire tomber ce gouvernement. Aussi, le groupe Rassemblement national demande qu’un projet de loi de finances rectificative soit soumis au Parlement d’ici trente jours et que la discussion budgétaire arrive à son terme sans 49.3. Chacun pourra alors voter ou non, en conscience, le budget de la nation. Si, au terme de ces trente jours, le Gouvernement persiste à ignorer le Parlement, le groupe Rassemblement national déposera une motion de censure. Chaque membre de l’opposition prendra alors ses responsabilités devant les Français.
    Du fait, hélas, du sectarisme délétère qui anime les autres groupes de cette assemblée depuis deux ans, au mépris de l’intérêt national, nous savons qu’une motion déposée par le groupe LIOT ou par Les Républicains serait la plus à même d’être adoptée pour que ce gouvernement soit enfin renversé.
    Aussi, nous invitons nos collègues du groupe Les Républicains, en particulier, à prendre enfin leurs responsabilités : voici deux ans que par sa passivité, une large majorité d’entre eux permet au Gouvernement d’imposer ses choix budgétaires et fiscaux aux Français. Vous n’avez pourtant pas de mots assez durs contre la gestion de ce gouvernement, dans cet hémicycle et encore davantage dans les médias, mais vous n’avez de cesse de le protéger contre toutes les tentatives de censure. Le groupe Les Républicains pense tenir ce gouvernement comme la corde tient le pendu mais, en réalité, c’est Emmanuel Macron qui vous tient tant vous avez peur de la dissolution et du vote des Français. La Macronie se permet même le luxe de vous insulter matin, midi et soir dans tous les médias et à cette tribune, vous accusant de ses propres turpitudes budgétaires. Pourquoi se gênerait-elle puisque vous ne faites rien ?
    Depuis deux ans, les députés du Rassemblement national, guidés par Marine Le Pen, n’ont pour seule boussole que l’intérêt national. Aussi, si le groupe Les Républicains dépose une motion de censure, le groupe Rassemblement national la soutiendra dans le seul but de mettre fin à cette débâcle budgétaire. Nous assumons et continuerons d’assumer nos choix devant les Français ; il est temps, chers collègues Les Républicains, que vous assumiez les vôtres. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

    Mme Marie-Christine Dalloz

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    Merci de parler de nous !

    Mme Marine Le Pen

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    En bien !

    M. le président

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    La parole est à Mme Aurélie Trouvé.

    Mme Aurélie Trouvé (LFI-NUPES)

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    Voici une heure, chers collègues macronistes, que vous débitez vos mensonges et vos inepties économiques. Vous pensez sans doute que ce n’est pas grave et qu’après tout, les gens ne comprennent pas bien l’économie, que vous pouvez continuer, vous, les ex-banquiers, DRH et consultants d’entreprise, à leur raconter des absurdités sans nom auxquelles vous-mêmes ne croyez pas, se disant qu’ils vont bien gober que c’est un déficit public imprévu et qu’« il faut faire des efforts supplémentaires », selon vos propres mots, Bruno Le Maire.
    Mais attention : les gens ne sont pas bêtes. Contrairement à ce que vous pensez, ils savent que vous organisez tout cela depuis sept ans, comme le font d’ailleurs les libéraux depuis cinquante ans. Vous fabriquez vous-mêmes un déficit public puis vous faites mine de le découvrir pour finir par nous dire que c’est une catastrophe et que l’heure est au sacrifice. Les gens savent que vous avez gavé les riches et les multinationales depuis sept ans à coups de nouveaux cadeaux fiscaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Nicolas Sansu applaudit également.) Ces cadeaux coûtent 50 milliards par an aux caisses de l’État, soit le montant de la vaste cure d’austérité budgétaire que vous avez dans vos cartons : 33 milliards décidés dès cette année, auxquels s’ajouteront 20 milliards l’année prochaine. Comprenez bien : cela fera plus de 50 milliards de coupes budgétaires – c’est énorme ! – renouvelées chaque année, dont 1 milliard de moins pour le travail-emploi et 2 milliards de moins pour la transition écologique, par exemple.
    C’est bien pour vos amis les riches et les multinationales que vous allez encore réduire les allocations chômage, les pensions de retraite, la prise en charge du transport en ambulance, le remboursement des médicaments et les recrutements d’enseignants. C’est bien pour vos amis les riches et les multinationales que vous ferez souffrir davantage les chômeurs, les retraités, les malades, les enfants et la planète. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
    Les gens savent bien que vous êtes au pouvoir depuis sept ans et que vous mettez depuis lors en œuvre la politique économique la plus bête du monde : une politique qui plombe la demande populaire et l’investissement productif, qui mine les carnets de commandes des entreprises, l’emploi, les rentrées fiscales et la croissance – rien que ça ! Les gens savent que la seule chose que vous avez réussie – il faut vous l’accorder –, c’est à faire grimper le nombre de milliardaires…

    Mme Clémence Guetté

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    Eh oui !

    Mme Aurélie Trouvé

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    …et les superprofits de quelques multinationales ainsi qu’à faire exploser les revenus des patrimoines financiers et immobiliers, quand les salaires réels diminuent. Vous vous dites « la France du travail », mais vous êtes la France de la finance, la France de la sécession des riches ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
    Je vous entends déjà dire qu’il ne faut pas écouter La France insoumise, que ses membres sont des irresponsables qui ne savent pas gérer un budget d’État. Mais qui sont les vrais irresponsables ? Torpiller la taxe sur les superprofits des multinationales qui amassent des milliards et des milliards sans aucun souci pour l’intérêt général, est-ce responsable ? (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.) Refuser depuis dix ans la taxe sur les transactions financières que propose l’Union européenne elle-même, est-ce responsable ? (« Non ! » sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) Vider ainsi les caisses de l’État pour ensuite tuer l’école publique à coups de coupes budgétaires et nous faire croire qu’on règle les problèmes d’éducation par des uniformes, des sanctions et des groupes de niveaux, est-ce responsable ?

    M. Sébastien Rome

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    Pas du tout !

    Mme Marie-Christine Dalloz

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    Les habitudes de manif, ça vous casse la voix !

    M. Frédéric Cabrolier

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    On n’est pas à Science Po !

    M. Rodrigo Arenas

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    La vérité de Mme Trouvé vous dérange !

    Mme Aurélie Trouvé

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    Vous dites, monsieur Le Maire, que vous avez été efficace. Comment osez-vous ? Les Français – sauf les plus riches – se retrouvent aujourd’hui avec un pouvoir d’achat miné et des prix de l’alimentation ou de l’énergie au plus haut, des problèmes contre lesquels vous n’avez rien fait, en dehors de quelques chèques. Depuis sept ans, vous avez smicardisé et « RSAisé » la France.

    M. Sébastien Rome

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    Exactement !

    Mme Clémence Guetté

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    Même la littérature ne sort pas grandie de ce quinquennat !

    Mme Aurélie Trouvé

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    À propos du taux de chômage, vous venez de mentir, monsieur Cazenave : il a augmenté de 0,7 % depuis un an, d’après les chiffres officiels.

    M. Sébastien Rome

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    C’est catastrophique !

    Mme Aurélie Trouvé

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    Les gens savent, et nous savons, ce qu’il faudrait faire : taxer les riches, taxer les multinationales, taxer la finance (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES), pour soutenir l’école publique, les hôpitaux, les énergies renouvelables, le ferroviaire, l’agroécologie, la protection sociale – bref, tout ce que vous avez décidé de brûler à grand feu pour vos petits amis. Pour relancer l’économie réelle et rendre heureux nos enfants, il faut faire la révolution fiscale dont nous avons besoin.
    John Maynard Keynes disait : « À long terme, nous serons tous morts. » Il le disait aux ultralibéraux comme vous qui promettent un avenir de monts et merveilles aux pauvres gens pour leur faire accepter les cures d’austérité budgétaire et les souffrances d’aujourd’hui. Les heures, les mois, les années passent et le temps de la Macronie détruit des vies, bien trop de vies.
    Alors, si vous avez au moins le courage d’affronter la démocratie, de confronter votre bilan désastreux à un débat public au Parlement, déposez un projet de loi de finances rectificative ! Nous vous le demandons et, à défaut, nous déposerons une motion de censure. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

    Rappel au règlement

    M. le président

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    La parole est à M. Philippe Brun, pour un rappel au règlement. Sur quel fondement ?

    M. Philippe Brun

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    Pour la bonne tenue de nos débats…

    M. le président

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    Sur quel article vous fondez-vous ?

    M. Philippe Brun

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    L’article 101. Nous demandons une suspension de séance.

    M. Joël Giraud et M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général

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    Ce n’est pas possible !

    M. Philippe Brun

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    Le programme national de réforme qui nous a été transmis comporte 25 pages, contre 237 l’année dernière. On se moque du monde ! Ce n’est pas le vrai programme national de réforme…

    M. le président

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    Votre intervention porte sur le fond, monsieur le député. Je vous accorde une suspension d’une minute.

    Suspension et reprise de la séance

    M. le président

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise quelques instants plus tard.)

    M. le président

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    La séance est reprise.

    Reprise du débat

    M. le président

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    La parole est à Mme Véronique Louwagie.

    Mme Véronique Louwagie (LR)

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    Notre pays vient d’échapper à une nouvelle dégradation de ses notes par les agences Fitch et Moody’s, et contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le ministre, nous nous en réjouissons.
    Cela étant, le Gouvernement n’échappe pas à une critique en règle de sa gestion. Après sept années déplorables pour les comptes publics, vous essayez de sauver les meubles en annonçant des milliards d’économies à tout-va mais, hélas, sans convaincre grand monde. Car votre programme de stabilité ne convainc ni les agences de notation, qui ne croient absolument pas à votre promesse d’un retour sous les 3 % de déficit en 2027, ni, surtout, le Haut Conseil des finances publiques, qui se montre plus sceptique que jamais à propos de vos projections et particulièrement sévère quant à la crédibilité de votre trajectoire budgétaire.
    En résumé, la trajectoire de rétablissement des comptes que vous nous proposez aujourd’hui est trop incertaine, trop optimiste et trop lente. Trop optimiste et trop incertaine car vos hypothèses de croissance sont à nouveau surévaluées…

    M. Patrick Hetzel

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    Très bien !

    Mme Véronique Louwagie

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    …même si, pour 2024, vous ne tablez plus désormais sur le chiffre totalement utopique de 1,6 %. À 1 %, votre nouvelle prévision, moins extravagante, reste toutefois bien au-dessus du consensus des économistes. Trop optimiste et trop incertaine car vous annoncez des économies spectaculaires mais les développez si peu qu’elles semblent chimériques. Le Haut Conseil ne s’y trompe pas et dénonce « des prévisions qui manquent de crédibilité » et « une documentation qui, à ce stade, reste lacunaire ».
    Les seules mesures d’économies nouvelles que vous nous avez annoncées reposent surtout sur les collectivités, dont les comptes sont à l’équilibre, ou sur la sécurité sociale. Pire, selon le Haut Conseil, vos objectifs « manquent de cohérence ». Autrement dit, si jamais vous faisiez les 50 milliards d’euros d’économies promises d’ici à 2027, notre croissance en serait mécaniquement affectée. Ces économies ne suffiraient donc pas à rester dans les clous de vos prévisions de déficit. C’est le serpent qui se mord la queue !
    D’autant que votre passif en matière de gestion des comptes publics entame la crédibilité de ces prévisions. Comment croire qu’un gouvernement qui, depuis 2017, a laissé dériver nos comptes comme jamais, qui n’a jamais respecté les prévisions et qui, jusque-là, s’est révélé incapable de faire la moindre économie pourrait réaliser les plus importantes baisses de dépenses de notre histoire budgétaire récente ?
    Même à supposer que tout fonctionne, votre trajectoire est trop lente. Vous avez renoncé à réduire notre dette d’ici à 2027, alors que tous nos voisins sont en train d’y parvenir. La charge de notre dette est donc condamnée à croître de façon exponentielle.
    On a beau prendre l’équation par tous les côtés, respecter ce pacte de stabilité sera quasiment impossible. Le FMI ne s’y trompe d’ailleurs pas et publie des prévisions très différentes des vôtres. Il anticipe un déficit de 4,3 % en 2027 au lieu des 2,9 % que vous annoncez, et il considère que le déficit français ne sera toujours pas repassé sous les 3 % du PIB en 2029.
    La faute originelle tient dans votre gestion des finances publiques depuis 2017, quand vous avez laissé déraper comme jamais les dépenses, le déficit et la dette. Le groupe Les Républicains a d’ailleurs demandé la création d’une commission d’enquête pour faire toute la lumière sur cette dérive.
    Votre bilan, messieurs les ministres, c’est 1 000 milliards d’euros de dette supplémentaire depuis 2017, c’est la France qui a désormais le deuxième pire déficit d’Europe et qui, quoi qu’il arrive, sera, en 2026, la dernière de la classe. Et 2023 restera comme une année noire pour nos finances, avec un déficit à 5,4 % du PIB au lieu des 4,9 % votés en loi de finances.
    Ce n’est pourtant pas faute, pour mon groupe, d’avoir multiplié les alertes et les mises en garde. Mais vous nous avez toujours répondu avec désinvolture, comme pour nous dire : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » En 2022, vous avez refusé le plan de sobriété bureaucratique des députés Les Républicains comme, en 2023, les économies qu’ils proposaient. Cette année, vous nous refusez un projet de loi de finances rectificative, ne détaillez pas vos pistes d’économies et, désormais, parlez de taxer les rentes, c’est-à-dire d’augmenter les impôts !

    M. Pierre Cordier

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    Très bien !

    Mme Véronique Louwagie

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    Vous agissez comme un seigneur féodal sans le sou qui, incapable de remettre en cause son train de vie, préfère faire les poches de ses petites gens. Comme on dit en Normandie, à force de traire une mamelle sèche, on n’obtient rien d’autre qu’un coup de sabot.

    M. Patrick Hetzel

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    Excellent !

    M. Pierre Cordier

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    Très bien, les Normands !

    Mme Véronique Louwagie

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    Les députés du groupe Les Républicains, après vous avoir laissé du temps pour s’engager dans une correction de trajectoire, vous alertent : ressaisissez-vous, car la cote d’alerte est atteinte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Lise Magnier.

    Mme Lise Magnier (HOR)

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    Nous y sommes. Nous sommes au pied du mur. Depuis trop longtemps, chaque année, la puissance publique nationale dépense plus qu’elle ne perçoit. Elle crée des déficits, qui créent de la dette, laquelle s’est accumulée au fil du temps pour atteindre plus de 3 000 milliards d’euros à la fin 2023.
    Nous connaissons tous les raisons qui nous ont conduits, ces dernières années, à faire ce choix nécessaire d’augmenter massivement la dépense publique : d’abord, protéger les Français face aux crises qui se sont succédé ; ensuite, réarmer puissamment les fonctions régaliennes de la nation.
    Être alarmiste serait déplacé, car la France a toujours la confiance de ses créanciers. Mais il serait encore plus dangereux de faire l’autruche car le rétablissement des finances publiques, la seule perspective crédible, doit être notre impératif. C’est un enjeu de souveraineté pour notre pays – et non une exigence dictée par Bruxelles ou par je ne sais quelle puissance financière mondialisée. C’est bien de notre avenir et de notre réalité qu’il s’agit, et nous en sommes responsables.
    Avec une charge des intérêts de la dette qui atteindra des sommets à l’horizon 2027, nous nous privons d’autant d’argent public que nous pourrions investir dans l’école, dans de grands projets d’infrastructure ou dans la transition écologique. Il y va aussi de l’image que nous donnons car nous profitons de la protection apportée par l’euro, notre monnaie, sans nous astreindre aux efforts de bonne tenue des comptes qui vont avec, alors que tous nos voisins s’emploient, eux, à rétablir rapidement leurs finances publiques.
    Surtout, ma conviction profonde est que nous devons enfin affirmer que tout déficit public ou tout endettement supplémentaire consécutif à une augmentation de la dépense ne sera jamais le signe d’une plus grande efficacité de l’action publique. Le nœud du débat est là : nous devons sortir de cette logique mortifère selon laquelle plus on dépense, plus l’action publique sera performante et utile à nos concitoyens.
    Ce discours de vérité est compliqué à tenir et sans doute, pour beaucoup, à entendre, je n’en doute pas. Il est beaucoup plus simple de continuer à dire : « Circulez, il n’y a rien à voir ! Continuons à dépenser, annonçons toujours plus de millions et de milliards supplémentaires pour rassurer ! Pour équilibrer les comptes, nous n’aurons qu’à augmenter les recettes. » Cela ne serait pas juste car cela ne serait pas vrai. Lorsque la dépense publique équivaut à près de 60 % du PIB, le problème n’est pas du côté des recettes : il porte sur l’efficacité de la dépense, sur l’efficacité du modèle social.
    Certes, nous devons agir sur les recettes, ne serait-ce que pour veiller à garantir une réelle et sincère justice fiscale et sociale. En ce sens, nous devons continuer à œuvrer, à l’échelle européenne et à l’échelle mondiale, pour harmoniser les règles fiscales. Je pense à la taxation minimale sur les personnes physiques ou à la taxe sur les transactions financières. Surtout, nous devons continuer sans relâche à combattre toute forme de fraude. Je connais votre engagement en la matière : messieurs les ministres, ne lâchez rien à ce sujet !
    Tout cela ne doit pas toutefois occulter les décisions courageuses que nous devons prendre pour rétablir nos finances publiques par la maîtrise de la dépense. C’est d’abord continuer les réformes, voire les accélérer – des réformes structurelles pour continuer à moderniser notre pays,…

    M. Jean-Paul Lecoq

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    À casser le pays !

    Mme Lise Magnier

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    …à adapter son fonctionnement à la société de 2024, à libérer les énergies. C’est aussi avoir pour seule boussole le souci de l’efficience de la dépense publique. Pour cela, il est urgent de la rationaliser, en arrêtant le saupoudrage et la politique des chèques.
    J’espère sincèrement que, si les travaux de la mission menée par notre collègue Éric Woerth aboutissent à une réforme de la déconcentration et de la décentralisation, celle-ci sera construite pour garantir l’efficience à tous les échelons.
    Le groupe Horizons vous propose qu’ensemble, nous restions optimistes et déterminés à protéger notre souveraineté, qu’ensemble, nous fassions preuve du courage nécessaire pour garantir l’efficacité de notre modèle social et qu’ensemble, nous agissions structurellement pour assurer ce que nous avons de plus cher : l’avenir de nos enfants. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe HOR.)

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Voilà, Édouard Philippe propose de poursuivre ce qui est pourtant un échec !

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Je me contenterai de quelques brèves remarques, avant de laisser le ministre des comptes publics vous apporter des réponses détaillées.
    Tout d’abord, le programme national de réforme vous a été transmis.

    M. Boris Vallaud

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    Il fait vingt-cinq pages, et encore, ce n’est qu’un projet !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Suivant les nouvelles règles de la Commission européenne et des vingt-sept États membres, le programme d’investissement et de réforme fera désormais référence. Il vous sera transmis en septembre ; vous y trouverez le détail des projets de réforme décidés par le Gouvernement et nous en débattrons.

    M. Philippe Brun

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    Ces réformes ne sont pas applicables !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Ensuite, en écoutant vos interventions, j’ai eu le sentiment que vous aviez oublié les crises que nous avons traversées durant trois ans, les plus graves que la France ait connues depuis 1929 et les années 1970 : celles du covid et de l’inflation. C’est un peu facile de nous reprocher de ne pas dépenser suffisamment pendant les périodes de crise et de dépenser trop lorsque la situation revient à la normale. Cette incohérence n’est ni propice au débat public ni honnête intellectuellement.

    Mme Astrid Panosyan-Bouvet

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    Oui, voilà !

    M. Jean-Paul Lecoq

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    On ne vous parle pas de ça !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Entre 2008 et 2010, la précédente crise financière avait entraîné une hausse de la dette publique de vingt-six points. Entre 2020 et 2022, la dette a augmenté de quinze points, ce qui s’inscrit dans la moyenne des États européens. Il fallait le faire pour sauver notre économie et nos emplois, et si c’était à refaire, je referai exactement la même chose ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)
    Un mot sur la sincérité, enfin : on peut débattre des choix politiques, mais pas accuser d’insincérité un gouvernement qui a tenu ses prévisions de déficit et de croissance depuis 2017. Je suis ministre de l’économie et des finances depuis cette date et j’ai tenu – sauf période de crise – les objectifs de déficit et de croissance qui avaient été définis par le Gouvernement et par la majorité.

    M. Boris Vallaud

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    Non, non, non !

    M. Charles de Courson

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    Mais non, pas en 2023 !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Pour l’année 2017, l’écart du déficit public par rapport à la cible était de 0,3 % en moins ; pour 2018, il était de 0,3 % en plus ; pour 2019, nous étions quasiment à la cible ; pour 2021, l’écart était de 0,2 % en plus et pour 2022, il était nul. En effet, un accident de recettes est survenu en 2023, je le reconnais bien volontiers ; il ne doit pas se renouveler.

    M. Charles de Courson

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    Et en 2024 ?

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Cependant, n’établissons pas de parallèle entre un seul accident et sept années durant lesquelles nous avons tenu les objectifs de déficit et de croissance. En 2017, 2018 et 2019, les objectifs de croissance ont été systématiquement supérieurs aux prévisions du Gouvernement : on ne peut accuser d’insincérité un gouvernement qui, pendant quatre années consécutives, a permis une meilleure croissance que celle qu’il avait annoncée.

    M. Maxime Minot

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    C’est une caméra cachée ? On est dans « Surprise sur prise » !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Quant aux oppositions, on voit bien le choix auquel elles nous confrontent : la censure ou la responsabilité. Notre majorité…

    M. Maxime Minot

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    Quelle majorité ? Ah oui, la relative !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    …est pleinement et absolument déterminée à rétablir l’équilibre des finances publiques, à accélérer le désendettement et à ramener le déficit public sous la barre des 3 % du PIB en 2027. Que tous ceux qui croient à ces objectifs nous suivent et nous accompagnent. À nouveau, je tends la main à tous ceux qui pensent sincèrement que le rétablissement des comptes publics relève de l’intérêt supérieur de la nation.

    Mme Nadège Abomangoli

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    Ça, c’est pour les LR !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Si des réductions de dépenses publiques vous paraissent nécessaires, faites-les nous connaître ; si vous souhaitez apporter des compléments à notre stratégie, transmettez-les nous.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Nous avons des propositions de recettes !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    Nous sommes ouverts à toute proposition respectant l’intérêt supérieur de la nation et ayant pour objectif le désendettement, la réduction des dépenses, la relance de la croissance et le retour du déficit public sous la barre des 3 % du PIB en 2027.
    Rétablir les comptes publics, ce n’est ni le laisser-aller généralisé que propose La France insoumise – qui se soucie comme d’une guigne de la dette publique, de la dépense publique et des déficits qui en découlent –, ni l’hypocrisie du Rassemblement national (Protestations sur les bancs du groupe RN) qui, sous les habits de la rigueur, propose un programme communiste de dépenses généralisées :…

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Communiste ?

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Ne nous insultez pas, s’il vous plaît !

    M. Bruno Le Maire, ministre

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    …baisse de la TVA, exonérations de l’impôt sur le revenu pour les contribuables de moins de 30 ans, retraite à 60 ans, nationalisation des autoroutes. Personne n’est dupe : tout cela coûterait des centaines de milliards. Je suis convaincu qu’une majorité de parlementaires fera le choix de la responsabilité plutôt que celui de la censure et du chaos. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE. – M. Vincent Bru applaudit également.)

    M. le président

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Permettez-moi de compléter les éléments de réponse apportés par Bruno Le Maire.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Lesquels ?

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Monsieur le président Coquerel, vous dites que la dette est un épouvantail qui servirait à justifier un programme de réforme auquel vous ne souscrivez pas. Non : la dette, c’est très concret. En 2023, la charge des intérêts de la dette s’élevait à 46 milliards, autant d’argent qui ne peut être utilisé pour investir dans les écoles, les services publics ou la transition écologique.

    M. Éric Coquerel, président de la commission des finances

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    Ça correspond à 2 % du PIB : c’est le pourcentage qui est important !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    En 2027, cette somme dépassera 70 milliards : ce n’est ni un épouvantail ni un concept abstrait ! (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Jen viendrai aux arguments du Rassemblement national dans quelques instants, ne vous inquiétez pas.

    M. Pierre Cordier

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    Ne soyez pas condescendant !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Les résultats de cette politique économique sont également très palpables : réduire le taux de chômage à 7,5 %, alors qu’il dépassait 10 % au début des années 2010 – permettez-moi de le rappeler à M. Boris Vallaud –, c’est très concret !

    Mme Aurélie Trouvé

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    Le chômage, vous l’avez augmenté depuis un an !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Créer 2,5 millions d’emplois, rouvrir des usines, réindustrialiser, c’est très concret ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

    M. Nicolas Sansu

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    Dommage que les gens ne soient pas d’accord !

    M. le président

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    Chers collègues, seul le ministre des comptes publics a la parole.

    M. Jean-Paul Lecoq

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    Mais il raconte n’importe quoi !

    M. Nicolas Sansu

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    C’est le ministre des mécomptes publics !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Monsieur Vallaud, j’ai bien écouté vos contre-propositions. S’agissant de la bonne tenue des comptes publics, permettez-moi de rappeler qu’une perte de recettes est déjà survenue en 2013 ; 25 milliards étaient venus à manquer entre le projet de loi de finances et l’exécution du budget. D’autres majorités ont connu des difficultés à prévoir les recettes ; à l’époque, personne n’a crié à l’insincérité.
    J’en viens maintenant à votre plan de rebond, votre quatre-quarts – assez indigeste. Le premier quart consiste en un choc fiscal inédit – vous l’avez d’ailleurs reconnu –, avec plus de 38 milliards supplémentaires de recettes fiscales.

    M. Boris Vallaud

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    Vous en avez supprimé 60 milliards !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Le deuxième quart, consacré aux économies, ne consiste qu’à évaluer des dispositifs, mais ne présente aucune proposition concrète d’économie.

    M. Boris Vallaud

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    Mais si ! Nous vous les avons présentées dans votre bureau !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Quant aux deux derniers quarts, ils correspondent à des dépenses supplémentaires. Autant dire que ce plan de rebond n’est pas crédible au regard de l’objectif de redressement des finances publiques.
    Madame Sas, nous avons déjà eu l’occasion de constater nos désaccords en matière d’écologie. Même après l’effort de diminution des dépenses de 10 milliards, le budget pour l’année 2024 est le plus vert de notre histoire (Protestations sur les bancs des groupes Écolo-NUPES et GDR-NUPES).

    M. Nicolas Sansu

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    Tout est parfait, alors !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Nous n’avons jamais autant investi dans la transition écologique. Les dépenses vertes, qui s’élèvent à 40 milliards, sont conformes à la méthode qui a été définie et dont M. Coquerel doutait : le budget vert de l’État.

    M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général

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    Très bien !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Nous l’avons d’ailleurs étendue aux collectivités territoriales et aux opérateurs de l’État, afin de savoir précisément où en est la transition écologique. En 2024, nous dépensons 40 milliards pour cette transition.

    M. Sébastien Delogu

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    Ce n’est pas une dépense, c’est un investissement !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Après le décret d’annulation, 8 milliards supplémentaires y ont été affectés. On peut considérer que ce n’est pas assez…

    Mme Eva Sas

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    En effet !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    …mais vous ne pouvez pas dire que nous avons sacrifié la transition écologique.

    Mme Eva Sas

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    Mais si !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Ce n’est pas la réalité des chiffres que vous avez entre les mains.
    M. Tanguy nous donne des leçons de finances publiques mais votre programme prévoit une exonération de l’impôt sur le revenu pour les contribuables de moins de 30 ans, la nationalisation des autoroutes et la baisse de la TVA, ce qui représenterait 100 milliards supplémentaires de déficit. Votre recette miracle consisterait à financer ce programme par la réduction des dépenses liées à l’immigration.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Entre autres !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    C’est à la fois mensonger et insincère.

    M. Frédéric Cabrolier

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    Parole d’expert !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Par ailleurs, sans même débattre du fond, vous réclamez un projet de loi de finances rectificative, mais pour quoi faire ?

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    C’est la démocratie !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    S’agissant de l’année 2024, nous avons pris un décret d’annulation qui respecte scrupuleusement la Lolf, d’initiative parlementaire, qui a été réformée il y a quelques années. Il est possible de recourir à un décret pour procéder à des ajustements en période de crise ; c’est précisément ce que nous avons fait.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    C’est vous, la crise !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    La diminution des dépenses de 10 milliards relève d’une bonne gestion ; elle est permise par la réserve de précaution de l’État, la contribution des collectivités territoriales et de nouvelles recettes. Un PLFR n’est pas nécessaire pour atteindre l’objectif de maintenir le déficit public sous la barre des 5,1 % du PIB, ne vous en déplaise, monsieur Tanguy.
    Ce ne sont pas les finances publiques qui vous intéressent, mais le coup politique que représente le PLFR. Ce sujet a d’ailleurs occupé la moitié de votre intervention !
    Madame Trouvé, vous dites que nous menons la politique économique la plus bête du monde…

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Ça, c’est vrai !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    …mais, manifestement, d’autres nous l’envient ! (Exclamations sur les bancs des groupes RN et LR.)

    Mme Aurélie Trouvé

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    Ah bon ?

    M. Maxime Minot

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    Plus c’est gros, mieux ça passe ! Michel Audiard avait raison !

    M. le président

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    Mes chers collègues, laissez le ministre poursuivre son propos.

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Oui, je vous invite à regarder autour de nous. En Allemagne, le taux de croissance est de 0,2 %, contre 1 % en France !
    À combien avons-nous ramené le taux de chômage ? Avons-nous créé plus d’emplois ? (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe RE.) Notre politique économique produit des résultats et nous avons raison de la poursuivre.

    M. Pierre Cordier

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    Vous deviez résoudre tous les problèmes, mais vous n’avez rien résolu !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    J’en viens aux arguments du groupe Les Républicains. Mme Louwagie est très exigeante en matière de dépenses…

    Mme Véronique Louwagie

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    Je parlais des dépenses non exceptionnelles !

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    …mais comme l’a souligné Bruno Le Maire, vous raisonnez comme si nous n’avions pas traversé quelques crises. (« Ah ! » sur plusieurs bancs LR.) Il était nécessaire de financer des dispositifs exceptionnels, que vous avez appelés de vos vœux et que vous avez soutenus, pour les collectivités territoriales et pour les entreprises, pour l’emploi et le chômage partiel. S’agissant de l’essence, vous vouliez aller beaucoup plus loin que ce que nous avons fait. Vous nous reprochez de ne pas être convaincants, mais nous avons annulé 10 milliards de dépenses en début d’année : ça ne s’était jamais fait ! Ce sont des économies concrètes.
    Vous demandez quelle est notre crédibilité : nous reviendrons sur les économies à réaliser en 2025 à l’occasion du débat sur le prochain PLF.

    Mme Marianne Maximi

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    Il y en aura un ?

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    Dans un programme de stabilité, nous n’allons pas dérouler par le menu les PLF successifs pour les prochaines années. Le propre d’un programme de stabilité consiste à tracer les grandes lignes, avant de débattre, le plus tôt possible je l’espère,…

    Mme Marianne Maximi

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    Avant le 49.3 ?

    M. Thomas Cazenave, ministre délégué

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    …de l’élaboration du budget.
    J’ai examiné en détail le contre-budget du groupe LR : nous sommes d’accord sur plusieurs sujets, comme les dépenses des opérateurs de l’État. En revanche, vous proposez d’économiser 6 milliards sur le régime d’assurance chômage, alors même que le président de votre groupe, il y a peu, nous invitait à ne pas aller aussi loin que nous l’envisagions dans la réforme de ce régime. Nous ne sommes pas d’accord s’agissant des montants des économies figurant dans votre contre-budget.
    Tels sont les éléments de réponse que je souhaitais apporter, en vous remerciant pour la qualité du débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs des groupes Dem et HOR.)

    M. le président

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    Le débat d’orientation et de programmation des finances publiques est clos.

    Suspension et reprise de la séance

    M. le président

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures vingt.)

    M. le président

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    La séance est reprise.

    2. Reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens de 1915

    Discussion d’une proposition de résolution

    M. le président

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    L’ordre du jour appelle la discussion, en application de l’article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de M. Sylvain Maillard et plusieurs de ses collègues portant sur la reconnaissance et la condamnation des persécutions des Assyro-Chaldéens de 1915 comme génocide (no 2512).

    Discussion générale

    M. le président

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    Dans la discussion générale, la parole est à M. Sylvain Maillard.

    M. Sylvain Maillard

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    Il y a seulement cinq jours, la France a célébré le 109e anniversaire du déclenchement du génocide arménien, qui, par son ampleur et sa brutalité, constitue l’une des plaies les plus profondes de ce XXe siècle qui en compte tant. Mais si 1915 restera à jamais une année funeste dans l’histoire de l’humanité, c’est aussi parce qu’elle vit le déclenchement de persécutions contre d’autres communautés chrétiennes – plus petites – de l’Empire ottoman.
    Parmi elles figure celle des Assyro-Chaldéens, aussi appelés Assyriens, Chaldéens, Syriaques ou Araméens. Ces communautés, qui perpétuent l’usage de la langue araméenne, si étroitement liée aux premiers temps du christianisme, ont longtemps été, pendant l’ère ottomane, la cible de répressions, qui ne se comparent toutefois pas à ce qu’elles subirent entre 1915 et 1918 : la population assyrienne de Mésopotamie fut alors massacrée ou déplacée de force. Ainsi, 250 000 Assyro-Chaldéens – la moitié de la population qu’ils formaient à l’époque – auraient été massacrés, non dans le cadre d’actes isolés, mais dans celui d’une opération concertée.
    Ce génocide a provoqué un traumatisme encore vivace dans l’esprit de tous les Assyriens, qui le désignent sous le nom de Sayfo, un terme signifiant « épée » en araméen.
    Qualifier les actes du passé est toujours une entreprise ardue, délicate. Elle est néanmoins nécessaire, non seulement pour les victimes, mais aussi pour leurs descendants, pour ne condamner ni leurs souvenirs ni leurs peines au terrible silence de l’oubli. Nier les horreurs de l’histoire, c’est également condamner le présent qui pourrait les reproduire à en être l’otage. Nous voyons ainsi, en Arménie comme à beaucoup d’autres endroits du Moyen-Orient, croître l’hostilité contre les chrétiens : leur existence et, plus fondamentalement encore, leur culture, s’en trouvent menacées.
    La France, du fait de son histoire et de ses valeurs, entretient depuis longtemps des liens étroits avec les Chrétiens d’Orient. Fidèles à cet héritage, les députés du groupe Renaissance ont souhaité redonner toute sa valeur à la mémoire de ces communautés, dont beaucoup des fils sont fiers d’appartenir à la République française – d’où le dépôt de la proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui. (Mme Anne-Laure Blin s’exclame.)
    Par ce texte, nous entendons reconnaître et condamner formellement les tentatives d’épuration ethnique et culturelle dont les Assyro-Chaldéens furent l’objet entre 1915 et 1918, car elles représentent, au regard de l’histoire, un génocide. La représentation nationale a déjà su reconnaître et nommer les souffrances d’autres communautés ; nous devons donc pouvoir honorer le souvenir des victimes de cet épisode tragique de l’histoire.
    La proposition de résolution vise également à permettre au travail de mémoire de s’exercer pleinement sur ces événements vieux d’un siècle, en encourageant le libre accès aux archives qui les concernent et leur connaissance, par l’enseignement et la culture.
    La résolution est l’aboutissement d’un long cheminement, qui a vu la mobilisation de nombreux parlementaires de divers groupes, que je tiens à saluer.

    M. Pierre Cordier

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    Vous pourriez citer Mme Blin !

    M. Sylvain Maillard

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    Justement, je cite Mme Blin.
    J’espère que l’adoption de ce texte fera consensus sur tous les bancs. Notre assemblée ne fera pas seulement œuvre de justice envers les victimes de crimes trop longtemps oubliés, dont plusieurs de nos concitoyens portent encore la marque douloureuse. Par son vote, elle s’attachera également à dénoncer une fois de plus les crimes contre l’humanité passés, en rappelant à tous que la France ne détournera jamais les yeux des exactions commises contre les peuples ; bien plus, que nous nous opposerons toujours à leur résurgence, dans les temps qui sont les nôtres. C’est pourquoi je vous invite toutes et tous à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)

    M. le président

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    La parole est à M. Alexandre Sabatou.

    M. Alexandre Sabatou

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    « L’oubli est le vrai linceul des morts », selon George Sand. La résolution soumise à notre examen est au service de la mémoire des défunts et, surtout, de la survie de ceux qui restent.
    Sur les 500 000 chrétiens Assyro-Chaldéens qui vivaient à l’époque en Mésopotamie, 250 000 furent massacrés ou déportés par les troupes ottomanes entre 1915 et 1918. Dans l’ouest de la Turquie, le Hakkari ou le Tur Abdin, mais également dans la région perse du lac d’Ourmia, ce peuple, dont la trace se retrouve déjà dans la cité de Babylone, fut éradiqué.
    Depuis que le monde existe, des milliers de massacres ont eu lieu sur Terre. C’est toutefois au sujet des Chrétiens du Levant que Raphael Lemkin – l’inventeur du terme de génocide – nota pour la première fois la différence essentielle entre massacrer des hommes pour ce qu’ils sont et les massacrer pour ce qu’ils font. Quel terrible privilège d’être le peuple pour lequel le mot de génocide a été inventé ! Tel est le fardeau des Assyro-Chaldéens.
    Notre responsabilité est de se rappeler qu’au Levant, il y eut des chrétiens, nombreux et prospères, et que ces chrétiens, de la Turquie à l’Irak en passant par la Syrie, plient sous le joug d’un islam conquérant.
    Qui se souvient de Ninive ? Il n’y reste plus un seul juste, maintenant que les chrétiens y sont morts, ont fui ou ont été convertis de force. Ce ne sont pas des événements décrits dans la Bible que j’évoque, mais ceux survenus en 14 – en 2014, il y a dix ans donc –, à la suite de la prise de Mossoul par le groupe État islamique.
    Nos contemporains sacralisent l’existence et la survie des peuples dits premiers, mais pourquoi ne considèrent-ils pas de la même manière celles des Chrétiens d’Orient ? Certainement car cette sacralisation, très occidentale il est vrai, se heurte, dans la région, à l’hégémonie d’États où la religion tient lieu de code civil et dont la communauté nationale n’est pas celle des citoyens, mais celle des croyants.
    Je ne suis pas naïf : il est toujours facile, depuis cette tribune, de déclamer, de se livrer à des envolées lyriques et de se payer de mots. Je sais aussi, comme le général de Gaulle, qu’il faut se garder d’analyser l’Orient compliqué avec des idées simples.
    Le vœu que les Chrétiens d’Orient jouissent du droit à une existence paisible a peu de chances d’être entendu dans le concert des nations, mais la France, depuis longtemps protectrice de ces peuples, ne fait pas que parler. Depuis plus de 700 ans – dès le règne de Saint Louis, puis sous François Ier ou Napoléon III et plus récemment dans le cadre du mandat confié à la France par la Société des Nations suite au traité de Sèvres –, la diplomatie française suit un fil conducteur : protéger les chrétiens de cette partie du monde.
    Bien qu’il perde au fil des années son rôle d’acteur historique majeur dans la région, notre pays continue de s’interposer et de combattre au Liban – de façon permanente –, en Irak et ailleurs, pour tenter de maintenir des lambeaux de paix, grâce à l’action non seulement de ses diplomates et de ses militaires, mais aussi des Français engagés dans des opérations humanitaires.
    J’ai une pensée particulière pour les Chrétiens d’Orient, désormais privés de terre. Nombre de ceux qui ont survécu et ont pu fuir ont trouvé refuge en France, plus particulièrement dans le Val-d’Oise et dans l’Oise. Ils sont les héritiers de toutes les vagues de réfugiés chrétiens qui fuient les persécutions depuis une centaine d’années.
    Lors de mes nombreux échanges avec eux, ils m’ont alerté sur le fait que des jeunes filles étaient tenues de se vêtir selon des codes qui ne sont pas ceux de notre pays ; que, dans certaines classes, les professeurs ne pouvaient plus enseigner librement certaines matières du programme scolaire ; que l’entrisme islamiste s’insinuait dans nos cantines, dans nos clubs sportifs, mais également dans nos universités.
    Ils constatent, avec une acuité bien supérieure à la nôtre, ce mouvement qu’ils savent mortel, tous ces faits d’apparence anodine qui mettent en danger notre mode de vie commun. Comment leur donner tort quand nous entendons ces jours-ci, du côté de Sciences Po, des activistes qui appellent à soutenir un mouvement terroriste islamiste…

    Mme Nadège Abomangoli

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    Caricature !

    M. Alexandre Sabatou

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    …et quand nous voyons une ministre et la direction de l’école négocier et se soumettre au lieu de sanctionner ?

    M. Pierre Cordier

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    Ce n’est pas faux !

    M. Sylvain Maillard

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    Si, c’est faux !

    M. Alexandre Sabatou

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    Les martyrs assyro-chaldéens nous demandent de faire preuve de courage face à la montée du péril islamiste. Ils nous demandent de faire preuve de courage, afin d’éviter que ce qui s’est passé il y a cent ans chez eux ne se produise un jour en France.
    Oui, il est important de reconnaître le génocide des Assyro-Chaldéens. Si cette mesure symbolique, qui ne ramènera pas la paix dans la région, peut être une première pierre, nos discussions dans cet hémicycle n’auront pas été vaines.
    Je déplore que les noms des députés du groupe Rassemblement National qui avaient signé la proposition de résolution aient été supprimés.

    M. Maxime Minot

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    C’est normal, c’est du sectarisme !

    M. Alexandre Sabatou

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    Sacrifier ce sujet à des fins de politique politicienne ne vous fait pas honneur. Malgré cela, le groupe Rassemblement national votera pour cette reconnaissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

    M. Frédéric Cabrolier

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    Méthode macroniste ! Ça se paiera le 9 juin !

    M. Pierre Cordier

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    C’est vrai que c’est un sujet consensuel ! Ce n’est pas un sujet politique !

    M. le président

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    La parole est à Mme Eva Sas.

    Mme Eva Sas

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    Notre assemblée est invitée à se prononcer sur une question dont la portée historique et mémorielle est considérable : la reconnaissance du génocide des Assyro-Chaldéens entre 1915 et 1918. Ce débat, empreint d’une gravité exceptionnelle, nous convie à une réflexion sur le rôle du Parlement en tant que dépositaire de la mémoire collective, tissée de vérités historiques souvent douloureuses.
    À la veille de la première guerre mondiale et durant celle-ci, l’Empire ottoman était un foyer de tensions et de tragédies, en particulier pour ses minorités chrétiennes. Au tournant du XXe siècle, sous la poussée du mouvement nationaliste des Jeunes-Turcs, une politique agressive de turquisation a été appliquée. Les communautés arméniennes, assyriennes, syriaques, yézidies, chaldéennes, ainsi que les Grecs pontiques, furent particulièrement ciblés et souvent considérés comme des citoyens de second ordre, parfois même perçus comme des menaces pour l’intégrité de l’empire.
    Ces minorités ont été victimes de massacres systématiques, orchestrés, qui se sont intensifiés lorsque l’Empire est entré en guerre. Ces massacres faisaient partie d’une stratégie délibérée d’élimination et de déplacement forcé. Entre 1 million et 1,5 million de personnes ont perdu la vie et des centaines de milliers ont été déplacées. Ce sont là des faits historiques, étayés par un corpus substantiel de recherches et de documentation.
    L’horreur de ces événements tient non seulement à leur brutalité, mais aussi à leur intentionnalité. Les autorités de l’époque, animées par une vision exclusiviste de la nation, ont poursuivi une politique d’éradication culturelle, religieuse et physique. Il est de notre responsabilité de reconnaître ces souffrances, de comprendre leurs causes profondes et d’en tirer les enseignements nécessaires.
    La proposition de résolution qui nous est soumise soulève indéniablement des questions majeures, sur le plan tant historique que diplomatique. Elle nous interpelle sur notre capacité à honorer la mémoire de ceux qui ont été effacés de l’histoire officielle, tout en mesurant les conséquences de nos décisions dans le concert des nations. À cet égard, je souhaite rappeler l’importance de la précision historique dans le cadre de l’exercice de notre mandat parlementaire.
    En vertu de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui sert de référence juridique internationale pour la définition du génocide, un acte est qualifié de génocide s’il est prouvé qu’il a été « commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ». Cette définition édicte un critère d’intentionnalité spécifique et préméditée, qui doit être clairement établie par des preuves concrètes.
    S’il ne fait aucun doute que, sous l’Empire ottoman, les populations chrétiennes – auxquelles appartenaient les Assyro-Chaldéens – ont subi une tragédie, il serait nécessaire, pour qualifier ces massacres de génocide distinct, de réunir un ensemble de preuves et de trouver un consensus historique. Or tel n’est pas encore le cas. En effet, les discussions entre universitaires révèlent des divergences quant au fait de considérer les événements concernant spécifiquement les Assyro-Chaldéens comme un génocide séparé du contexte plus large des massacres de l’Empire ottoman pendant la première guerre mondiale. Les historiens continuent de débattre de l’étendue et de la nature de ces événements. Il est crucial que notre vote reflète une compréhension approfondie et consensuelle de l’histoire. En notre qualité de législateur, notre responsabilité est de soutenir des décisions éclairées par la recherche historique la plus rigoureuse.
    En 2001, notre pays a franchi une étape historique en adoptant la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, perpétré par l’Empire ottoman. Cette loi constitue déjà un cadre solide pour conserver la mémoire historique des tragédies ayant affecté les minorités vivant dans cet empire durant la première guerre mondiale. Il aurait été plus judicieux de l’amender pour traiter la question des Assyro-Chaldéens.
    Malgré ces réserves, le groupe Écologiste-NUPES soutiendra la proposition de résolution, afin de reconnaître la profondeur de la souffrance subie par les Assyro-Chaldéens et par d’autres minorités. Nous invitons néanmoins à poursuivre le dialogue, à approfondir la recherche historique et à réaliser une évaluation soignée des conséquences de nos décisions.
    Nous devons agir avec prudence et responsabilité, en veillant à ce que notre action législative soit à la fois juste et efficace, et fasse l’objet d’un consensus tant académique que politique. C’est ainsi que nous honorerons véritablement la mémoire des victimes et contribuerons à la construction d’un monde où les horreurs du passé ne se répéteront pas. (Mme Astrid Panosyan-Bouvet applaudit.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Anne-Laure Blin.

    Mme Anne-Laure Blin

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    Il y a un an, le Sénat envoyait un premier signal très fort en adoptant la proposition de résolution relative à la reconnaissance officielle du génocide des Assyro-Chaldéens perpétré entre 1915 et 1918. Ce fut un moment historique pour les Chrétiens d’Orient, plus particulièrement pour les communautés assyro-chaldéennes et syriaques, qui attendaient ce geste fort de la France.
    Je salue le travail des sénateurs qui ont repris l’engagement de longue date de notre collègue Valérie Boyer, laquelle a sans cesse défendu la juste cause des Chrétiens d’Orient. Ce vote fort et solennel a beaucoup ému les communautés assyro-chaldéennes et syriaques, alors présentes dans les tribunes du Sénat, comme elles le sont aujourd’hui dans celles de notre hémicycle.
    (L’oratrice se tourne vers les tribunes du public.) Permettez-moi de saluer très chaleureusement le professeur Joseph Yacoub et son épouse, Claire, fervents défenseurs de la cause des Chrétiens d’Orient et des minorités dans le monde, ainsi que l’Association des Assyro-Chaldéens en France et l’Union des Assyro-Chaldéens de France, qui sont à leurs côtés. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme Véronique Besse, M. Frédéric Falcon et M. Jimmy Pahun applaudissent aussi.)
    Leur présence démontre à quel point le message que nous pouvons envoyer au monde depuis notre hémicycle est fort et attendu, car les Chrétiens d’Orient ont toujours été, sont et resteront un pont vers l’Europe. Ils contribuent indéniablement au dialogue des cultures, qui est un enjeu crucial, et nous rappellent que nous-mêmes, chrétiens de l’Occident, sommes les héritiers d’une longue et profonde histoire.
    Les Chrétiens d’Orient sont le berceau de la chrétienté. Si, à l’évidence, les chrétiens européens n’ont pas vécu ce que leurs familles ont subi ou subissent encore, l’Histoire – avec un grand H – nous commande de nous souvenir.
    Le génocide perpétré en 1915, « année de l’épée » en araméen, restera une période sombre, très sombre. Les séquelles de cette tragédie sont encore présentes dans les cœurs de ces familles chrétiennes, qui continuent de lutter pour la reconnaissance, pour la justice et pour la préservation de leur héritage culturel.
    Au fil des ans, beaucoup ont été amenés à s’installer en Europe, notamment en France. Non seulement ils sont profondément attachés à ce pays d’accueil et d’amitié, mais surtout ils y ont trouvé les racines chrétiennes qui sont également les leurs.
    Depuis le baptême de Clovis, la France est la fille aînée de l’Église. Nous pouvons en être fiers, et nous devons aussi en être dignes. Cette reconnaissance ne doit pas seulement se limiter au passé ; elle doit aussi illustrer la ferveur avec laquelle nous devons combattre le fanatisme et la radicalisation partout où ils se trouvent, à l’intérieur de nos frontières et au-delà. Chaque jour, des milliers de chrétiens font face à des massacres, des atrocités et sont menacés de mort.
    Si, en Occident, la tentation est de plus en plus grande de renoncer au christianisme et de sombrer dans le relativisme woke, il est plus qu’essentiel que la France s’engage et rappelle que le christianisme est son histoire, son identité, et qu’il a façonné nos relations humaines.
    La volonté de tout déconstruire et de mettre notre société occidentale et notre civilisation à genoux est une forme de terrorisme, aussi perfide que dangereux. Car c’est bien la foi chrétienne et la foi en l’humanité qui, par leur universalisme, ont œuvré à la construction, tant philosophique que politique, de notre civilisation.
    Parce que la France doit dire qu’elle ne renoncera pas et qu’elle continuera d’agir sans relâche et avec force, j’ai déposé, il y a plus d’un an – à la suite de l’adoption de la proposition de résolution par le Sénat –, un texte tendant à ce que notre assemblée reconnaisse le génocide perpétré à l’encontre des communautés assyro-chaldéennes et syriaques. Depuis, les députés Renaissance nous ont rejoints, partageant notre volonté. Néanmoins, ils ont préféré inscrire leur texte, plutôt que le nôtre, à l’ordre du jour.
    S’il est heureux que les élus de la nation française parlent d’une seule et même voix, certaines attitudes, certaines tactiques – j’ose le dire, monsieur le président Maillard – ne sont pas à la hauteur des enjeux que l’on prétend défendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs du groupe RN. – Mme Véronique Besse applaudit également.)

    M. Sylvain Maillard

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    Ce n’est pas très fair-play !

    Mme Anne-Laure Blin

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    J’ignore si les raisons profondes de cet engagement récent relèvent d’un opportunisme. Finalement, peu importe. La cause pour laquelle j’ai souhaité m’engager – et pour laquelle nous devons tous nous engager – est plus belle, plus grande, plus noble que les querelles politiciennes dans lesquelles certains ont voulu nous entraîner.
    Parce que les Chrétiens d’Orient sont le témoignage vivant que la France est empreinte de son histoire et a encore tant à faire pour marquer de son humanité notre société, je reprendrai ces quelques mots du professeur Joseph Yacoub : « Le peuple assyro-chaldéen a vécu une tragédie tout au long des siècles depuis la chute de Ninive et de Babylone. Et c’est parce qu’il a souffert qu’il porte en lui l’Humanité souffrante. » Notre humanité a souffert et souffre encore. Ne renonçons pas à ces vertus chrétiennes, qui soudent nos peuples.

    M. le président

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    Merci, ma chère collègue…

    Mme Anne-Laure Blin

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    Avec humilité mais aussi fierté, et en faisant preuve d’un engagement sincère, mes collègues du groupe Les Républicains et moi-même voterons, naturellement, en faveur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme Véronique Besse applaudit également.)

    M. Pierre Cordier

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    Très bien !

    M. le président

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    La parole est à M. Jimmy Pahun.

    M. Jimmy Pahun

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    Il y a dix ans, fuyant une fois de plus la guerre et les persécutions, le peuple assyro-chaldéen reprenait les chemins de l’exode. Les atrocités perpétrées par les soldats de Daech contre les minorités chrétiennes d’Irak et de Syrie ravivaient le douloureux souvenir des crimes commis par les troupes ottomanes contre ces mêmes minorités, cent ans plus tôt, dans cette même région. En effet, entre 1915 et 1918, cette population du nord de la Mésopotamie – région située au sud-est de la Turquie et au nord-ouest de l’Iran – a été pour partie massacrée et déplacée de force par les troupes ottomanes et kurdes.
    Nous sommes appelés à reconnaître le caractère génocidaire des crimes commis à l’encontre des populations assyro-chaldéennes et à les condamner comme tels. Les Arméniens et les Assyro-Chaldéens sont des peuples frères, des peuples martyrs, victimes d’un pouvoir ottoman nationaliste et autoritaire devenu génocidaire. Les souffrances des premiers sont cependant mieux connues que celles des seconds.
    Le génocide assyro-chaldéen fait l’objet d’une documentation abondante. Les sources directes sont nombreuses et ne laissent aucun doute quant à la réalité et à l’ampleur des exactions subies par les Assyro-Chaldéens. Il est manifeste que leur extermination a été organisée. En 2007, l’Association internationale des spécialistes des génocides a affirmé que « la campagne ottomane contre les minorités chrétiennes de l’Empire entre 1914 et 1923 constituait un génocide contre les Arméniens, les Assyro-Chaldéens et les Grecs pontiques d’Anatolie ».
    Au nom du groupe Démocrate, je remercie Sylvain Maillard d’avoir pris l’initiative de déposer ce texte. Il a détaillé les faits avec précision et clarté. Des centaines de milliers d’Assyro-Chaldéens ont souffert les pires atrocités : massacres, pillages, destruction de leurs biens d’expression culturelle, déportation, spoliation de leurs terres et de leurs biens, torture, viols. Il s’est agi d’une tentative d’effacement, dont les témoignages contemporains donnaient déjà à voir la cruauté et le caractère systématique, d’un peuple et de sa culture.
    Si nous reconnaissons aujourd’hui les souffrances du peuple assyro-chaldéen, c’est pour mieux célébrer son existence : celle de communautés d’hommes et de femmes à la culture millénaire que les épreuves les plus dures et les bourreaux les plus déterminés n’ont su briser. Certains d’entre eux assistent à nos débats et nous regardent du haut des tribunes, non pas en victimes mais en acteurs de leur propre histoire. Je salue, à cet égard, la détermination avec laquelle l’Association des Assyro-Chaldéens de France œuvre en faveur de la reconnaissance du génocide. (L’orateur se tourne vers les tribunes du public.) Je vous remercie d’être venus de Sarcelles, de Toulouse, de Pau, de la France entière.
    Je rappelle aussi que la France s’engage déjà en faveur de la protection des Chrétiens d’Orient et d’autres minorités du Proche et du Moyen-Orient ; elle protège notamment leur patrimoine culturel et religieux, en soutenant des projets de réhabilitation menés par l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit (Aliph), créée en 2018.
    Je salue enfin les importants travaux de l’historien Joseph Yacoub, car c’est aux historiens qu’il appartient de dire l’histoire. À cet égard, le troisième point de la proposition de résolution est fondamental : la communauté internationale doit pouvoir bénéficier d’un accès sans entrave aux archives relatives aux massacres perpétrés entre 1915 et 1918.
    Le dernier point du texte, qui « encourage le travail de mémoire, en particulier à travers l’enseignement et la culture, afin de mieux faire connaître les événements survenus au cours de cette période de l’histoire », est bienvenu. Je le comprends comme une invitation à préserver et à diffuser la culture assyro-chaldéenne, en considération de son apport à la richesse de l’humanité.
    Vous l’aurez compris, le groupe Démocrate votera en faveur de la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs du groupe RE.)

    M. le président

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    La parole est à M. Jean-François Portarrieu.

    M. Jean-François Portarrieu

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    Le 11 novembre 1918, la première guerre mondiale prenait fin. Ce conflit a entraîné la mort de 20 millions de personnes. Après avoir trahi les peuples et décimé les populations, les empires en sont ressortis fracassés. Ils ont laissé la place aux nations ; les peuples se sont reconstruits. Nous gardons en mémoire le sacrifice de nos aînés, car nous savons qu’oublier le passé, c’est se condamner à le revivre.
    Le travail de mémoire sur ce conflit doit être le plus complet possible et partagé par le plus grand nombre. Notre regard se concentre souvent sur les combats du théâtre européen. Or l’Empire ottoman, engagé aux côtés de l’Allemagne, a commis en 1915 un génocide contre les populations arméniennes. La France s’est honorée en reconnaissant officiellement ce génocide par la loi du 29 janvier 2001.
    Il y a quelques jours, nous avons commémoré cet événement tragique, survenu il y a 109 ans. Le 24 avril 1915, dans les rues de Constantinople, environ 600 intellectuels, médecins, journalistes, avocats, enseignants et hommes politiques arméniens furent raflés – prologue sanglant au massacre programmé et à la déportation de 1,5 million d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards. Il est impensable de ne pas rendre hommage aux victimes du premier génocide du XXe siècle, qui fait toujours l’objet du déni de la Turquie.
    L’amnésie coupable de ce pays ne s’arrête malheureusement pas là. Aux victimes arméniennes s’ajoutent les chrétiens assyriens ou syriaques dans le sud-est de l’Anatolie et dans la province perse d’Azerbaïdjan – rattachés aux églises orthodoxe, assyrienne de l’Orient et catholique chaldéenne. Les Assyro-Chaldéens ont subi, eux aussi, des déplacements forcés et des exécutions de masse. Ce peuple comptait un demi-million de personnes à la fin du XIXe siècle. La moitié d’entre elles ont disparu dans les massacres. Ne laissons pas plus longtemps dans l’ombre ces crimes contre l’humanité.
    La proposition de résolution invite le Gouvernement à reconnaître et à condamner le génocide perpétré par les autorités ottomanes contre les Assyro-Chaldéens. Elle atteint ainsi un double objectif. Il s’agit tout d’abord d’un objectif de justice : les massacres de 1915 sont effectivement constitutifs d’un génocide, selon les critères retenus dans la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide. Ces actes ne peuvent rester sans condamnation. La justice commande de reconnaître la souffrance des peuples.
    Le texte satisfait ensuite un objectif de protection : la reconnaissance des massacres doit mettre en lumière la situation de populations qui sont, aujourd’hui encore, victimes de persécutions. Par cette reconnaissance, nous enverrons un message de soutien aux Chrétiens d’Orient, qui souffrent toujours d’innombrables difficultés, à commencer par la gangrène de l’islamisme radical.
    En février 2022, lors d’une rencontre consacrée aux actions de la France en faveur des Chrétiens d’Orient, le Président de la République a rappelé l’engagement de notre pays dans la défense des droits des minorités et du pluralisme culturel au Moyen-Orient. Cet engagement prend de multiples formes. La France agit de concert avec l’Œuvre d’Orient pour protéger les plus fragiles et favoriser le développement des communautés chrétiennes.
    Le temps est venu d’accompagner ces initiatives d’un véritable travail de mémoire. La proposition de résolution invite le Gouvernement à encourager « un libre accès aux archives », pour « établir et documenter les faits de cette période ». Au-delà de la simple connaissance des faits, un travail de transmission, par l’enseignement et la culture, nous incombe, de sorte que la mémoire de ce génocide remplisse son rôle : permettre aux générations futures de rester vigilantes.
    Le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de cette proposition de résolution, avec lucidité et reconnaissance, dans un souci de justice à l’égard de tous ces chrétiens persécutés il y a un siècle, et pour protéger leurs descendants. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, RE et Dem.)

    M. le président

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    La parole est à M. Stéphane Peu.

    M. Stéphane Peu

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    Une semaine après avoir commémoré le génocide arménien, commis il y a 109 ans, nous étudions une proposition de résolution nous invitant à la reconnaissance d’un génocide qui s’y rattache mais qui a sombré dans l’oubli depuis 1925. Longtemps ignorées, ces persécutions furent perpétrées par l’Empire ottoman dès 1915 sur l’ensemble du territoire turco-persan. Cette année-là, plus de 250 000 Assyro-Chaldéo-Syriaques furent massacrés en raison de leur appartenance religieuse. En 1918, les deux tiers de cette communauté avaient disparu.
    À l’époque, la France s’était montrée solidaire des Assyro-Chaldéens et des Arméniens et avait protesté énergiquement contre les persécutions et les massacres. Pourtant, les promesses faites aux rescapés de ce génocide furent très vite oubliées. Au lendemain de la guerre, dans la nouvelle carte du Proche-Orient dessinée en 1923 par le traité de Lausanne, il ne fut plus question d’une zone autonome kurde, ni d’un foyer arménien en Anatolie, pas plus que de la protection des Assyro-Chaldéens. Avec l’abandon de leurs promesses par la France et l’Empire britannique vint l’oubli du génocide.
    Nous nous réjouissons de pouvoir réparer cet oubli, même s’il est bien tard pour le faire. Ce génocide a été officiellement reconnu par le parlement suédois il y a un peu plus de quinze ans. En 2016, à la suite de la présentation d’une proposition de loi par nos camarades allemands du groupe Die Linke, le Bundestag a adopté une résolution reconnaissant le génocide arménien et associant les Assyro-Chaldéens à cette reconnaissance.
    Déjà, en 2007, l’Association internationale des spécialistes des génocides avait adopté, à une écrasante majorité, une résolution reconnaissant officiellement le génocide des Assyro-Chaldéens. La France a reconnu le génocide arménien il y a plus de vingt ans, en 2001. Elle s’honorerait en reconnaissant le génocide de ces peuples trop souvent oubliés, issus du berceau mésopotamien, qui ont forgé l’identité si riche de cette région.
    La France n’est jamais autant la France que lorsqu’elle est fidèle à sa vocation universelle de défense des droits de l’homme, du droit des personnes à leur histoire et du droit des peuples à la justice. Elle n’est jamais autant elle-même que lorsqu’elle se souvient de sa triste période coloniale et des rêves des peuples qu’elle a brisés.
    Or la France et l’Empire britannique ont brisé les rêves des Assyro-Chaldéens en revenant sur les promesses, formulées à la fin de la première guerre mondiale, de leur donner une autonomie régionale. Dicté par les intérêts supérieurs de la politique impériale, le découpage issu du traité de Lausanne, en 1923, a amorcé les conditions du chaos tragique que connaît actuellement la région. Celle-ci a été le théâtre de conflits permanents dans lesquels les puissances occidentales ont porté de lourdes responsabilités ; c’est encore le cas aujourd’hui.
    Le devoir de mémoire n’a de sens que s’il nous incite à reconsidérer les périodes de notre histoire durant lesquelles nous avons piétiné les droits de l’homme et le droit des peuples. Il n’est utile que s’il nous pousse à agir pour la paix et l’émancipation des peuples. Aujourd’hui, cela signifie notamment agir de toute urgence en faveur d’un cessez-le-feu immédiat en Palestine, afin de stopper la folie meurtrière du gouvernement d’extrême droite israélien, et œuvrer sans relâche pour une solution à deux États. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES.) Cela signifie aussi aider activement les États exsangues de la région qui n’arrivent pas à se relever des dégâts causés par les puissances occidentales et aspirent à se reconstruire.
    Honorer les victimes des actes de barbarie d’hier, c’est œuvrer à construire la paix d’aujourd’hui, pour que de telles horreurs ne se reproduisent plus jamais. Si les lois mémorielles ne peuvent suffire à réparer les maux, elles sont et doivent être des leviers d’espérance et d’action. Vous l’avez compris, nous soutiendrons la proposition de résolution. Nous espérons que son adoption, intervenant après un vote analogue du Sénat, déclenchera une reconnaissance internationale du génocide des Assyro-Chaldéens. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES.)

    M. le président

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    La parole est à M. Michel Castellani.

    M. Michel Castellani

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    Un génocide est un acte par lequel une autorité politique dirige l’assassinat des membres d’une population pour des raisons ethniques, raciales ou religieuses. Il s’agit d’une politique délibérée de destruction de l’autre, souvent accompagnée de la déportation des survivants et de la destruction du patrimoine culturel et historique. Sont admis comme génocides le massacre des Arméniens par les Ottomans en 1915, celui des Ukrainiens par les bolcheviques en 1933, celui des Juifs et des Tziganes par les nazis lors de la seconde guerre mondiale, celui des Tutsis par les Hutus en 1994 et celui des Bosniaques de Srebrenica par les Serbes en 1995. La France reconnaît ces génocides dans la loi ou par des déclarations politiques et solennelles.
    Notre assemblée s’apprête à reconnaître le caractère génocidaire du massacre des Assyriens, Chaldéens, Syriaques et Araméens par les Ottomans entre 1915 et 1918. Nous nous devons d’être fidèles à l’histoire. Nous devons reconnaître et condamner publiquement ce génocide ; nous placer du côté des victimes civiles innocentes ; dire que des crimes abjects ont été commis pour des motifs honteux. Les Assyro-Chaldéens ont été victimes d’un génocide physique, culturel, religieux et territorial, comme ils ont été victimes du déracinement et de l’errance qui en ont résulté. L’objectif était de détruire des peuples au point qu’on ne se souvienne même plus de leur existence.
    C’est à partir d’un faisceau d’indices, solidement établis, que nous pouvons définir objectivement le caractère génocidaire. Mais, nous ne devons jamais l’oublier, une résolution de l’Assemblée nationale, éminemment politique, ne saurait être placée sur le même plan qu’une décision de la justice pénale internationale. Les travaux parlementaires visant à qualifier de génocidaires l’extermination de masse, la déportation et la suppression de l’héritage culturel des Assyro-Chaldéens remontent à la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien en 1915.
    Nous devons au groupe Renaissance l’inscription de cette proposition de résolution à l’ordre du jour, à la suite du vote intervenu au Sénat en février 2023. Je veux, à cet égard, souligner l’engagement d’un certain nombre de collègues, en particulier François Pupponi – mon ami –, et saluer le professeur Yacoub pour son travail inlassable, ainsi que les personnes présentes dans les tribunes du public.
    Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires soutiendra cette proposition de résolution, mais j’aimerais faire trois remarques.
    D’abord, il est dommage qu’à la reconnaissance et à la condamnation du génocide des Assyro-Chaldéens ne soit pas associée une journée de commémoration. Sans occulter les spécificités culturelles des peuples concernés, l’identité des assassins et la concomitance historique des faits auraient justifié que le 24 avril devienne une journée commune consacrée à la mémoire des génocides des Assyro-Chaldéens et des Arméniens.
    Second motif d’insatisfaction : le massacre des Grecs pontiques d’Antioche est mentionné dans l’exposé des motifs du texte sans que cela ait de conséquences. Tout se passe comme si notre assemblée avançait par à-coups… (M. Sébastien Delogu applaudit.)
    Du reste, d’autres crimes contre l’humanité sont perpétrés dans le monde, de nos jours ; nous sommes responsables si nous nous taisons et si nous n’agissons pas. La France ne peut défendre convenablement les droits de l’homme si elle reconnaît le génocide des Assyriens tout en laissant, par exemple, les Ouïghours se faire interner dans des camps de rééducation ou des soldats russes enlever et déporter des enfants ukrainiens. Il faut le dire, la France ne défend pas les valeurs humanistes lorsqu’elle dialogue avec des États qui ont, en ce moment même, le dessein d’effacer la culture d’une minorité ethnique et religieuse.
    Par ailleurs, nous nous interrogeons sur l’opportunité de transmettre, par l’enseignement scolaire et la culture, l’histoire de ce drame quand celle d’autres drames ou réalités historiques plus proches – y compris ceux qui intéressent directement la France et le territoire français – n’est pas transmise de manière satisfaisante. Ce serait la grandeur de l’État de transmettre la mémoire des combats menés par les descendants d’esclaves ou de reconnaître sa responsabilité dans la dureté de certaines répressions et de certaines guerres de conquête qui ont contribué à la formation de la France.
    En conclusion, je veux le dire à nouveau, notre groupe reconnaît sans réserve le génocide des Assyro-Chaldéens ; en conséquence, il soutiendra cette proposition de résolution.

    M. le président

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    La parole est à Mme Véronique Besse.

    Mme Véronique Besse

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    Il existe des peuples que l’histoire semble maltraiter de manière répétitive. Il existe des régions du monde où il n’est pas bon d’être chrétien. Il existe, dans l’histoire, des crimes qui confinent au génocide.
    À l’heure où les Chrétiens d’Orient continuent d’être la cible de massacres et d’exactions diverses, souvent dans la plus grande indifférence, je me réjouis de l’examen de cette proposition de résolution, pour laquelle je voterai. Oui, la France doit reconnaître et condamner publiquement le génocide commis par les autorités ottomanes contre les Assyro-Chaldéens, entre 1915 et 1918. Elle s’honorerait grandement en le faisant.
    Sans mémoire, nous sommes voués à revivre les mêmes drames sans jamais en tirer de leçon. Sans histoire, nous sommes voués à n’être que des pays aseptisés, sans grandeur ni culture. Sans respect pour les peuples martyrs, nous sommes complices de ceux qui veulent bafouer la liberté et cacher la vérité, et nous devenons, à nos dépens, complices de ceux qui, aujourd’hui, renouvellent les crimes barbares commis il y a cent ans.
    Cent ans, qu’est-ce dans la vie d’un peuple ? Il n’est pas trop tard pour reconnaître le génocide assyro-chaldéen, bien au contraire ! À une époque où l’information se périme en vingt-quatre heures, nous devons retrouver le chemin de la mémoire. Commémorer n’est pas le fait des seuls anciens combattants. Commémorer, c’est faire entrer le passé dans notre présent pour ne jamais oublier les leçons de l’histoire.
    À ceux qui hésiteraient à voter pour cette proposition de résolution, je rappelle que la tragédie génocidaire vécue en Anatolie orientale par 250 000 Assyro-Chaldéens a pris la forme, selon les propos de l’historien Joseph Yacoub, d’« une extermination massive, délibérée et concertée de la population, […] dans le but de mettre fin à toute présence non turque, au nom du djihad et de l’islamisme utilisé à cet effet ». Plus de 450 monastères et églises ont été détruits et profanés ; des écoles ont été démolies. Quand on veut rayer de la surface de la terre un peuple et sa culture, on ne s’y prend pas autrement.
    Malgré les voix, notamment françaises, qui se sont élevées dans les années qui suivirent ces massacres, les Assyro-Chaldéens ont souffert du silence coupable qui a entouré ce drame pendant une partie du XXe siècle. Reconnaître ce génocide, c’est donc faire revivre cette mémoire enfouie. C’est nécessaire et utile, car cela nous aidera à agir en conséquence. En effet, commémorer les victimes d’hier ne doit pas nous empêcher de voir celles d’aujourd’hui, qui sont les héritières directes des Assyro-Chaldéens massacrés il y a cent ans. Je parle, évidemment, des Chrétiens d’Orient.
    De fait, le génocide des Assyro-Chaldéens n’a pas abouti à la protection des populations chrétiennes du Moyen-Orient, bien au contraire : leur calvaire n’en finit pas. Le manque de reconnaissance de ce génocide met à mal la visibilité d’un phénomène qui dure : la persécution des minorités chrétiennes par différents pouvoirs ou groupes terroristes depuis plusieurs décennies.
    Reconnaître ce crime du passé, c’est dire aux victimes actuelles que la France ne les oublie pas. La France, protectrice des Chrétiens d’Orient depuis des siècles, doit poursuivre cette mission, par honneur et par principe. Les chrétiens représentent le groupe humain le plus persécuté dans le monde. Agissons en conséquence !
    Je ne peux évoquer un génocide dans cet hémicycle sans me demander quand la France elle-même saura regarder en face son histoire, toute son histoire. Si notre pays prend le temps de reconnaître des génocides perpétrés à l’étranger, qu’attend-il pour passer sa propre histoire au tamis de la vérité ? En tant que Vendéenne et députée de la Vendée, je m’interroge : qu’attendons-nous pour regarder en face ce qui s’est passé dans ce département, l’histoire douloureuse de la Vendée ?
    J’entends déjà la fureur des chantres de la Terreur clamer les bienfaits de la Révolution française. Pourtant, seule l’honnêteté intellectuelle doit nous guider. Peu importe que ces massacres aient été commis il y a plus de 300 ans : les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Les crimes commis en Vendée entre 1793 et 1795 doivent être reconnus.
    La France ne sera plus grande et plus forte que si elle admet l’horreur commise contre sa propre population par le pouvoir révolutionnaire. Alors, elle pourra redevenir le généreux avocat de la cause des plus faibles, des populations martyres, des pays occupés.
    Prenons le temps de regarder avec humilité l’histoire vendéenne, qui fait partie intégrante de l’histoire de France. Aujourd’hui, nous allons inscrire le génocide assyro-chaldéen dans le marbre de la mémoire ; demain, je l’espère, nous y inscrirons le génocide vendéen.

    M. Antoine Léaument

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    N’importe quoi !

    Mme Véronique Besse

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    Le maréchal Foch a dit, à juste titre : « Parce qu’un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir. » Le pardon n’est pas l’oubli. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. Alexandre Sabatou applaudit également.)

    M. le président

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    La parole est à M. Carlos Martens Bilongo.

    M. Carlos Martens Bilongo

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    L’histoire nous invite à évoquer les pires atrocités – les massacres, les viols – et les conversions forcées à l’islam subies par les personnes les plus vulnérables, les hommes âgés, les femmes et les enfants. En 1915, 250 000 Assyro-Chaldéens ont trouvé la mort pendant que se déroulait le génocide arménien. Comme Jean Jaurès le rappelait ici même, le 3 novembre 1896, l’Europe tout entière, y compris la France, a manqué à l’appel pour protéger et sécuriser la vie des Arméniens, donc des Chrétiens d’Orient, selon le traité de Berlin.
    Je souhaite ici rendre hommage à Chamacha Doman, dont le fils, Lionel, mon ami d’enfance, a toujours eu la patience de me raconter la vie, avec pédagogie. Je pense notamment à son exil de Turquie, qu’il a quittée pour commencer une nouvelle vie en Irak, avant de fonder une famille en France. Dans les tribunes du public sont présents des Turcs, des Kurdes, des Assyro-Chaldéens ; ils sont le meilleur contre-exemple du choc des civilisations évoqué par certains ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
    Nous condamnons, sans distinction aucune, tout type de massacre de population. Voilà ce qui nous différencie de vous ! Dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution, vous faites un parallèle entre le massacre des chrétiens en 1915 et ceux perpétrés par l’État islamique en 2014. Or ce parallèle est pour le moins hasardeux, car les deux modes opératoires sont totalement distincts. Par ailleurs, vous n’évoquez pas les Kurdes qui ont combattu Daech tandis que, malheureusement, quelques Français rejoignaient l’État islamique.
    En 2022, j’ai eu la chance de visiter, accompagné de Sevki Albayrak et de Elie Elio, un historien archéologue syriaque, la ville de Midyat, notamment la ville souterraine, vieille de 2 000 ans. J’ai pu y découvrir de nombreux églises et monastères. J’ai également visité Herbolé, un village assyro-chaldéen, dont j’ai rencontré le maire, M. Petrus Karatay, partisan du retour des chrétiens sur leur terre d’origine, qui est en train de reconstruire son village, comme les Yaramis à Gaznar.
    Les Chaldéens sont toujours présents à Aleeh, que j’ai également visité. Je remercie son maire, M. Aslan, et la sœur de celui-ci, Atiké Sabira, pour leur invitation à découvrir ce petit village situé près de la ville de Mardin, où George Aslan Aryo, député assyro-chaldéen au parlement turc, œuvre pour le dialogue et pour le droit au retour dans les meilleures conditions, sans double standard.
    C’est en cela que votre texte n’est pas sincère. Vous parlez des Chrétiens d’Orient sans évoquer la situation des Grecs pontiques dans l’Empire ottoman. Et j’irai plus loin, en disant que, comme face aux persécutions des Coptes d’Égypte dans les années 1990, vous restez silencieux face à la mort des chrétiens de Gaza, auxquels vous ne témoignez aucune compassion (MM. Sébastien Delogu et François Piquemal applaudissent) – et je ne parle pas des églises bombardées à Gaza et des chrétiens de Cisjordanie persécutés à Jérusalem-Est. Je vous invite à voir le film de la réalisatrice française Marie Géniès, Une mémoire contre l’oubli, qui montre notamment la vie d’une famille chrétienne à Gaza.
    Dans la basilique de la Nativité, à Bethléem, un prêtre a appelé la communauté internationale à réclamer un cessez-le-feu et la fin du génocide en cours. Dans l’église assyrienne d’Australie, le célèbre évêque orthodoxe Mar Mari Emmanuel, attaqué lâchement au couteau le 16 avril dernier – et à qui je souhaite un prompt rétablissement –, nous alertait depuis longtemps sur le sort des chrétiens à Gaza. Il a raconté son voyage sur place et ses rencontres, dénonçant avec force et conviction leurs conditions de vie.
    Vous ne pouvez pas raisonnablement prétendre être les plus grands défenseurs des Chrétiens d’Orient quand vos positions sont dictées par votre haine des musulmans et votre volonté de diviser les peuples. À La France insoumise, nous sommes alignés sur le droit international, notamment sur l’ONU s’agissant de la reconnaissance des génocides. Ainsi, si nous parlons de génocide à Gaza, c’est après qu’un arrêt de la Cour internationale de justice a reconnu un risque plausible de génocide. Je vous saurais gré de ne pas instrumentaliser les peines, de ne pas chercher à diviser les communautés et de ne pas défendre des principes à géométrie variable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
    J’encourage également le gouvernement turc à contribuer à la reconstruction des villages et des lieux de culte ainsi que des bâtisses culturelles et à faire en sorte que les conditions soient réunies pour que les Français d’origine assyro-chaldéenne puissent se rendre sur place en toute sécurité. La France et l’ambassade de Turquie ont été alertées à plusieurs reprises sur la disparition d’un couple âgé dans le village de Meer. La plupart des enfants de Shmoni et Hurmuz Diril sont en France et poursuivent depuis plus de quatre ans leur quête de vérité et de justice ; le corps de leur mère a été retrouvé sans vie par leur frère en mars 2020 tandis que leur père reste introuvable. J’exhorte les autorités judiciaires turques à faire la lumière sur cette affaire afin d’apporter des réponses à Virginie et à Remzi Diril – j’ai une pensée affectueuse pour Didier, Georges et Barbara Diril.
    Je pense également à monseigneur Sabri Anar, qui a été nommé, il y a quelques mois, archevêque chaldéen de Turquie.
    Voilà des actions qui œuvrent pour le droit au retour et pour le dialogue entre les communautés de la Mésopotamie. Les Assyro-Chaldéens n’ont aucune haine envers la Turquie et ne tiennent pas le peuple turc pour responsable des agissements du régime du pouvoir jeune-turc. Au contraire, ils veulent des relations apaisées et ils continuent d’entretenir des liens très forts avec la terre de leurs ancêtres. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

    M. le président

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    La parole est à M. Gérard Leseul.

    M. Gérard Leseul

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    Nous sommes invités à débattre d’une proposition de résolution visant à la reconnaissance du génocide assyro-chaldéen perpétré par l’Empire ottoman entre 1915 et 1918. Les événements sur lesquels nous sommes amenés à nous prononcer ont douloureusement marqué l’histoire du XXe siècle.
    À la fin du XIXe siècle, près de 2 millions d’Arméniens vivaient dans l’Empire ottoman et formaient la principale minorité chrétienne. Les Arméniens, considérés comme des citoyens de second ordre, vivaient dans l’insécurité et faisaient déjà l’objet de violentes répressions. Entre 1894 et 1896, plus de 200 000 d’entre eux furent massacrés. À leur arrivée au pouvoir, en 1909, les Jeunes-Turcs abandonnent l’objectif d’un Empire ottoman intégrant les minorités pour défendre un nationalisme turc fondé sur la « turquisation » de l’empire. Ce nationalisme se radicalise dès 1909 par les massacres d’Adana, au cours desquels entre 20 000 et 30 000 Arméniens seront tués.
    Cette répression débouchera sur l’application, à compter de 1915, d’un véritable plan d’extermination des populations arméniennes. Au total, plus de 1 million d’Arméniens furent assassinés. Ce massacre de la population arménienne de l’Empire ottoman fut le premier génocide du XXe siècle.
    Le souvenir des victimes de cette barbarie organisée ne doit pas s’effacer. Une première étape mémorielle a été franchie il y a vingt-trois ans grâce à la loi du 29 janvier 2001 – adoptée sous le gouvernement du Premier ministre Lionel Jospin –, par laquelle la France a reconnu publiquement le génocide arménien de 1915. En 2019, le Président de la République, Emmanuel Macron, a approfondi cette reconnaissance mémorielle en fixant au 24 avril la date de la commémoration annuelle du génocide arménien, en référence à la funeste journée du 24 avril 1915, qui avait marqué le point de départ du génocide. Ce jour-là, à Constantinople, près de 600 intellectuels arméniens avaient été arrêtés par les autorités ottomanes, avant d’être déportés ou assassinés.
    Cette proposition de résolution invite à prolonger et à compléter la politique mémorielle de la France relative au génocide arménien en y associant la communauté assyro-chaldéenne, également victime des exactions de l’Empire ottoman. Il s’agit de prendre acte de l’histoire qui, en l’espèce, fait consensus : le génocide de la communauté assyro-chaldéenne par la puissance ottomane est avéré. En effet, au-delà de la population arménienne, plusieurs communautés chrétiennes ont été victimes de cette politique d’extermination – parmi eux, près de 250 000 Assyro-Chaldéens, soit la moitié de cette population à l’époque. Par leur caractère massif et planifié, ces massacres systématiques d’hommes, de femmes et d’enfants en raison de leur appartenance ethnique constituent effectivement un génocide.
    Le groupe Socialistes et apparentés n’entend nullement, par cette proposition de résolution, influer sur les relations diplomatiques entre la France et la Turquie. Toutefois, nous estimons que la France, fidèle à son héritage et à sa tradition universaliste, doit demeurer vigilante s’agissant de la mémoire du génocide arménien. Le présent texte, en ce qu’il vise à reconnaître et à réhabiliter l’histoire et la mémoire de la communauté assyro-chaldéenne, douloureusement marquée par le génocide, nous paraît s’inscrire dans cette tradition universaliste.
    Certes, nous pourrions considérer qu’en reconnaissant le génocide arménien – qui concerne non seulement les Arméniens, mais aussi l’ensemble des communautés touchées par cette politique d’extermination –, la France n’a pas ignoré la communauté assyro-chaldéenne. Cependant, ce texte a le mérite d’associer plus clairement la population assyro-chaldéenne à l’hommage rendu à tous les morts du génocide perpétré par les autorités ottomanes. C’est pourquoi le groupe Socialistes et apparentés votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Michèle Peyron et M. Stéphane Peu applaudissent également.)

    M. le président

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    La discussion générale est close.
    Sur l’ensemble de la proposition de résolution, je suis saisi par le groupe Renaissance d’une demande de scrutin public.
    Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
    La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du développement et des partenariats internationaux.

    Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État chargée du développement et des partenariats internationaux

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    La présente proposition de résolution porte sur la reconnaissance comme génocide et la condamnation des persécutions subies par les Assyro-Chaldéens en 1915. Les orateurs qui se sont succédé à cette tribune ont rappelé les faits, d’une cruauté inouïe, qui se sont déroulés sur les hauts plateaux anatoliens et dans la plaine de Mésopotamie, au moment même où les Arméniens subissaient, en ces mêmes lieux, un génocide.
    La réalité historique du massacre dont furent victimes les Assyro-Chaldéens ne fait pas de doute. Le nombre de victimes est évalué entre 200 000 et 300 000. Entre 1915 et 1918, plus de la moitié de la population assyro-chaldéenne a ainsi été assassinée. Des actes de torture et de barbarie ont été commis ; des villages ont été rasés ; des églises ont été détruites ou profanées. Les Assyro-Chaldéens ont été exterminés de manière intentionnelle et systématique, comme les Arméniens, en même temps qu’eux et avec eux.
    Les massacres ont été rapportés par de nombreux témoins. Ils ont été abondamment étudiés et documentés par les historiens, notamment le professeur émérite Joseph Yacoub, de l’université de Lyon, avec l’aide de son épouse. Je tiens à saluer leurs travaux.
    Je sais que la mémoire de ces massacres demeure vivante et douloureuse. Elle marque encore l’âme, la chair et les histoires familiales de tous les descendants de ces Arméniens, Assyriens, Chaldéens et Syriaques, orthodoxes ou catholiques, qui ont connu le pire, lors de cette terrible année 1915, sur les rives de la mer Noire.
    Ils sont nombreux à avoir trouvé en France un refuge. Ils en ont appris la langue et en ont épousé la culture. Arrivés avec leur cortège de drames et de souffrances, ils ont néanmoins su s’intégrer dans notre pays ; ils ont apporté leur pierre à notre maison commune, dans les domaines économique, culturel, académique et politique. Je mesure la demande – forte – de reconnaissance de leur identité, de leur histoire et de la tragédie subie par leurs ancêtres. Je tiens à leur rendre hommage, sincèrement et solennellement, au nom du Gouvernement.
    Face à la mémoire, toujours vive, de ce terrible passé, ces peuples méritent toute notre solidarité et tout notre respect. Il y va de notre lien, historique, politique et moral, avec les Chrétiens d’Orient. Comme l’a déclaré, à maintes reprises, le Président de la République, ce passé nous oblige. En 1536, François Ier signait avec Soliman le Magnifique le traité dit des capitulations, par lequel la France s’engageait à protéger les chrétiens de l’Empire ottoman. Ce passé nous oblige tout spécialement aujourd’hui, alors que les chrétiens de la région, comme d’autres minorités, continuent de souffrir. L’histoire et la situation actuelle des Chrétiens d’Orient nous obligent et exigent de nous un engagement sans faille.

    M. Sylvain Maillard

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    Elle a raison !

    Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État

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    C’est pourquoi la France continue et continuera d’agir en faveur des Chrétiens d’Orient et des autres minorités du Proche et du Moyen-Orient.

    M. Carlos Martens Bilongo

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    Les chrétiens de Gaza !

    Mme Chrysoula Zacharopoulou, secrétaire d’État

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    Nous le faisons par fidélité à ces populations et par cohérence avec notre engagement en faveur des droits de l’homme. Nous le faisons aussi parce que nous sommes convaincus que le maintien de la diversité religieuse au Moyen-Orient est une condition indispensable à son cheminement vers la paix, la stabilité et la prospérité.
    C’est la France qui a pris l’initiative d’une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies en mars 2015, avant d’organiser, en septembre de la même année, une conférence internationale pour la protection des victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient, à laquelle a participé le patriarche des Chaldéens catholiques, Louis Raphaël Ier Sako. Le plan d’action adopté à cette occasion demeure une boussole pour la communauté internationale.
    La France agit de manière concrète, sur le terrain. Le fonds de soutien aux victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient a permis de soutenir 130 projets, principalement en Irak, pour un montant dépassant 46 millions d’euros depuis 2015. À la demande du Président de la République, le fonds pour les écoles d’Orient aide désormais, à hauteur de 4 millions d’euros par an, les écoles confessionnelles qui permettent d’éduquer des enfants chrétiens et musulmans, côte à côte, dans le respect des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de tolérance et de respect mutuel. La France agit aussi pour la protection du patrimoine culturel et religieux des Chrétiens d’Orient ou encore contre l’impunité des crimes commis en Syrie et en Irak.
    Ces quelques exemples sont bien minces face à l’épaisseur du drame historique que nous évoquons, mais il était utile de rappeler que la France agit pour améliorer le sort des populations concernées, pour leur permettre de demeurer sur leur terre historique ou, si possible, d’y revenir ; elle agit pour contrer les discours de haine et pour jeter les fondations de sociétés inclusives et apaisées, dans lesquelles chacun, quelle que soit sa confession, pourra vivre en citoyen, dans la paix, la sécurité, la liberté et la dignité.
    J’ai voulu ici, au nom du Gouvernement, rappeler le passé, honorer la mémoire des victimes et avoir une pensée pour les survivants. J’ai voulu rappeler l’engagement de la France à soutenir les membres des minorités ethniques et religieuses du Moyen-Orient, tant éprouvées par les tragédies de l’histoire, et pourtant admirables dans leur fidélité à la terre, à la foi et à l’identité de leurs pères. J’ai voulu rappeler la nécessité d’œuvrer à l’édification d’un Moyen-Orient apaisé, pacifié et prospère, dans lequel chaque homme, chaque femme, chaque enfant pourra vivre dans la sécurité et la dignité, sans distinction d’appartenance ethnique ou religieuse. Telles sont nos priorités. J’espère qu’elles rassembleront très largement les membres de l’Assemblée nationale, au-delà des clivages partisans.
    Je comprends que la proposition de résolution s’inscrit dans le contexte que je viens de décrire. Cependant, je voudrais, au nom du Gouvernement, émettre une réserve de principe : malgré notre conscience des massacres commis en 1915, de leur ampleur, de leur caractère systématique, volontaire et organisé, la reconnaissance de l’existence d’un génocide relève du travail des historiens et de la justice. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE. – M. Vincent Bru applaudit également.)

    Explications de vote

    M. le président

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    Dans les explications de vote, la parole est à M. Dominique Da Silva.

    M. Dominique Da Silva (RE)

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    Il était temps ! Il est grand temps que le Parlement français reconnaisse le génocide subi par les Assyro-Chaldéens entre 1915 et 1918 sous l’Empire ottoman. Après le Sénat, il revient à l’Assemblée nationale de reconnaître cette terrible page de l’histoire, qui a coûté la vie à plus de 250 000 personnes, déraciné un peuple, endeuillé des familles entières et conduit à l’exil des centaines de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants.
    Le vote auquel nous allons prendre part ne revêt pas seulement une importance morale ; il constitue une obligation envers la mémoire des victimes, des survivants et de leurs descendants. C’est un vote pour ne jamais oublier et ne jamais minimiser, qui marquera une étape importante vers une reconnaissance officielle, par la France, du génocide des Assyro-Chaldéens, après celui des Arméniens.
    Ce débat et le vote qui s’ensuivra ont été rendus possibles par la détermination exemplaire et le travail acharné des associations et des représentants des communautés assyro-chaldéennes, dont je tiens à saluer l’engagement – ils sont présents dans les tribunes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.) Je salue aussi notre ancien collègue François Pupponi – je sais le travail qu’il a accompli à ce sujet. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe SOC.) J’ai été témoin au quotidien, dans ma circonscription et à Sarcelles, du dévouement sans faille dont ils font preuve depuis des années pour que la représentation nationale se saisisse de cette question.
    Je remercie également le président du groupe Renaissance, Sylvain Maillard, pour son action efficace et transpartisane (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – Murmures et exclamations sur quelques bancs), grâce à laquelle nous allons pouvoir adopter cette résolution, qui honore les valeurs républicaines et humanistes.

    M. Pierre Cordier

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    Il s’est inspiré du travail de Mme Blin ! Il a juste fait un copier-coller !

    M. Dominique Da Silva

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    Mes chers collègues, ne manquons pas ce rendez-vous avec l’histoire ! Pour que la France reconnaisse officiellement le génocide du peuple assyro-chaldéen, votons tous en faveur de cette proposition de résolution ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)

    M. le président

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    La parole est à M. Sébastien Delogu.

    M. Sébastien Delogu (LFI-NUPES)

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    Vous voulez reconnaître les atrocités et les souffrances subies par les Assyro-Chaldéens entre 1915 et 1918, ainsi que le caractère systématique et intentionnel de ces massacres – nous aussi. Vous voulez souligner l’importance de leur culture et de la préservation de leur mémoire – nous aussi. Vous voulez évoquer le respect qui leur est dû et la dignité de la personne humaine – nous aussi. Vous voulez permettre aux historiens de poursuivre leurs recherches, afin d’établir et de documenter les faits concernant cette période – nous aussi, bien évidemment.
    Toutefois, nous refusons, monsieur Maillard, de cautionner le fait qu’une fois encore, vous et l’alliance des droites, égarés par les thèses nauséabondes de l’extrême droite,…

    M. Frédéric Boccaletti

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    Ça faisait longtemps !

    M. Sébastien Delogu

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    …instrumentalisiez de tels événements pour tenter de donner corps à votre choc des civilisations.

    M. Frédéric Cabrolier

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    C’est vous qui les instrumentalisez !

    M. Sébastien Delogu

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    Nous refusons de cautionner le fait qu’une fois encore, vous réduisiez tout à l’affrontement entre deux religions, en dressant des parallèles inacceptables entre époques différentes. Votre explication par le choc des civilisations, en donnant une place centrale au fait religieux, abandonne toute solution politique au profit de la guerre totale. Elle rendrait impossible toute forme de paix et n’apporterait d’autre issue qu’une destruction qui condamnerait les peuples à une guerre éternelle.

    M. Bruno Studer

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    C’est lunaire !

    M. Sébastien Delogu

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    Je reprends les mots du président arménien.

    Mme Delphine Lingemann

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    On se demande qui instrumentalise qui !

    M. Sébastien Delogu

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    Vous agissez selon des calculs dictés par de basses manœuvres destinées à nourrir une lecture fondée sur votre haine des musulmans. (Vives exclamations sur les bancs des groupes RE et Dem.)

    Mme Rachel Keke

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    Laissez-le parler !

    M. Sébastien Delogu

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    Avant 2014, aucun d’entre vous ne s’est réellement soucié du sort des Chrétiens d’Orient.

    M. Laurent Jacobelli

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    Ces gens salissent tout !

    M. le président

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    Laissez l’orateur terminer !

    M. Sébastien Delogu

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    Permettez-moi de vous poser cette question : où étiez-vous quand ceux-ci mouraient sous les balles de l’Azerbaïdjan et sous les bombes vendues par votre ami Netanyahou, allié d’Erdogan dans cette affaire ?

    Mme Nadège Abomangoli

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    Honte à vous !

    M. Aurélien Taché

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    Pas ça !

    M. Sébastien Delogu

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    Et que faites-vous aujourd’hui alors que vous apportez un soutien inconditionnel à un gouvernement qui persécute ces Chrétiens d’Orient… (Exclamations sur les bancs du groupe RN et sur plusieurs bancs des groupes RE, Dem et LR.)

    M. Philippe Gosselin

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    Scandaleux !

    M. le président

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    Chers collègues, le débat s’est bien tenu jusqu’à présent.

    M. Maxime Minot

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    Justement !

    M. le président

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    Je vous demande de laisser M. Delogu achever son explication de vote, avant que M. Viry ne prenne la parole. Terminons dans le calme et la dignité.

    M. Philippe Gosselin

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    Il faudrait qu’il fasse lui-même preuve de dignité !

    M. Sébastien Delogu

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    Puisque vous m’avez interrompu, vous allez devoir réécouter ma phrase : que faites-vous aujourd’hui alors que vous apportez un soutien inconditionnel à un gouvernement qui a persécuté ces Chrétiens d’Orient dans le quartier arménien de la vieille ville de Jérusalem et qui a bombardé l’église Saint-Porphyre à Gaza ? Où étiez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

    Mme Delphine Lingemann

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    Et vous, où étiez-vous ?

    M. Sébastien Delogu

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    J’étais sur place, madame,...

    M. Laurent Jacobelli

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    À Sciences Po ?

    M. Sébastien Delogu

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    …à Gaza et en Arménie.
    Loin de vos fantasmes autour du choc des civilisations, nous privilégions une application du droit international. C’est à l’organe judiciaire de l’ONU qu’il revient de qualifier ces massacres si complexes, qui charrient tant de souvenirs et de douleurs. Parce que vous faites constamment preuve d’hypocrisie, nous nous abstiendrons sur le vote de cette proposition de résolution caricaturale et politicienne, qui ne fait même pas l’unanimité parmi les associations. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

    M. Aurélien Taché

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    Quelle honte !

    Mme Delphine Lingemann

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    LFI verse dans le complotisme !

    M. le président

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    La parole est à M. Stéphane Viry.

    M. Stéphane Viry (LR)

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    Comme l’a indiqué notre collègue Anne-Laure Blin, qui a été à l’origine du texte dont nous débattons,…

    Mme Véronique Louwagie

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    Il est bon de le rappeler !

    M. Stéphane Viry

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    …le groupe Les Républicains votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs du groupe RE.)
    Cela va de soi car les Assyro-Chaldéens, peuple à l’identité forte et reconnue, ont été victimes d’un massacre exécuté selon un plan d’extermination mû par la volonté d’effacer leur héritage et ce qu’il incarnait dans sa beauté absolue. Reconnaître ces persécutions est donc une juste cause et c’est à bon droit que notre assemblée s’apprête, je l’espère, à adopter cette proposition de résolution.
    La défense des Chrétiens d’Orient est un engagement de longue date des Républicains, à l’Assemblée comme au Sénat.

    Mme Anne-Laure Blin

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    Il a raison !

    M. Stéphane Viry

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    De tout temps, nous avons combattu pour la reconnaissance du génocide dont ils ont été victimes. C’est un message politique que nous portons avec fierté, conviction et sincérité.
    S’agissant d’une cause aussi noble et belle, l’heure n’est pas aux vaines polémiques. Certains propos nous montrent pourtant que l’indignité se confond avec le mensonge. Il est temps, me semble-t-il, que cette proposition de résolution soit adoptée. Donnons acte à Anne-Laure Blin d’avoir permis tout cela grâce au texte qu’elle avait déposé.
    J’oserai dire, monsieur le président Maillard, qu’en présentant cette proposition de résolution, vous vous êtes comporté en coucou.

    M. Carlos Martens Bilongo

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    Et voilà ! C’est toujours pareil !

    M. Stéphane Viry

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    Par cette piètre opération, vous avez spolié la création intellectuelle de notre collègue et vous vous êtes approprié la volonté politique de notre groupe.
    Je tiens ici à réaffirmer deux choses : résolument, notre groupe est favorable à cette proposition de résolution ; résolument, sa paternité lui revient. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

    Vote sur la proposition de résolution

    M. le président

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    Je mets aux voix la proposition de résolution.

    (Il est procédé au scrutin.)

    M. le président

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    Voici le résultat du scrutin :
            Nombre de votants                        120
            Nombre de suffrages exprimés                110
            Majorité absolue                        56
                    Pour l’adoption                110
                    Contre                0

    (La proposition de résolution est adoptée.)

    M. le président

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    J’adresse un salut amical aux représentants d’associations assyro-chaldéennes présents dans les tribunes. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, RN, LR et Dem.)

    Suspension et reprise de la séance

    M. le président

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante.)

    M. le président

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    La séance est reprise.

    3. Haut Conseil de stabilité financière

    Discussion d’une proposition de loi

    M. le président

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    L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Lionel Causse et plusieurs de ses collègues visant à compléter les dispositions applicables au Haut Conseil de stabilité financière (nos 2091, 2459).

    Présentation

    M. le président

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    La parole est à M. Lionel Causse, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

    M. Lionel Causse, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

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    J’ai l’honneur de soumettre à la représentation nationale ma proposition relative au Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), après des semaines de débats enrichissants avec les acteurs du secteur et toutes les parties prenantes à l’Assemblée nationale.
    Rappelons que le Haut Conseil a été créé en 2013 pour assurer la surveillance macroprudentielle du système financier dans son ensemble et en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique. Le HCSF est également chargé de faciliter la coopération et l’échange d’informations entre les institutions que ses membres représentent. Ces échanges permettent de limiter l’existence d’angles morts dans la surveillance et de mieux prendre en compte les risques liés aux interconnexions entre les différents acteurs ou secteurs comme aux interactions entre les réglementations.
    Dans le cadre de sa mission, le Haut Conseil de stabilité financière a été amené à déterminer les conditions d’octroi des prêts immobiliers. Les critères qu’il a établis ont d’abord fait l’objet de recommandations, notamment en 2019, avant de devenir contraignants en 2021.
    Le HCSF a défini des normes pour éviter que les emprunteurs ne s’endettent excessivement : le taux d’endettement individuel ne doit pas dépasser 35 % des revenus et la durée du prêt ne peut excéder vingt-cinq ans. Les banques peuvent toutefois bénéficier d’une dérogation pour 20 % des crédits immobiliers qu’elles accordent, sous certaines conditions.
    De nombreux observateurs considèrent que de telles contraintes empêchent les établissements bancaires d’apprécier eux-mêmes le risque d’endettement excessif de l’emprunteur, et constituent une entrave à l’octroi de crédits. Les acteurs auditionnés, parmi lesquels la Banque de France, ont pourtant reconnu la solidité du marché français du crédit immobilier : il s’appuie sur des taux fixes bas, les marges bancaires sont limitées et le secteur présente une très faible sinistralité. L’aptitude des banques à évaluer correctement la capacité de remboursement des emprunteurs est unanimement admise ; la pratique du prêt responsable, qui y fait office de doctrine, a permis au marché français de l’accession à la propriété de surmonter de nombreuses crises.
    Le dépôt de cette proposition de loi a été motivé par plusieurs constats. L’octroi de crédits immobiliers est en forte baisse : seuls 780 000 crédits immobiliers ont été accordés en 2023, soit presque moitié moins qu’en 2021, avant l’entrée en vigueur des normes contraignantes définies par le HCSF. Cette diminution du volume se reflète aussi sur les montants : 7,6 milliards d’euros de crédit à l’habitat – hors renégociations – ont été accordés en janvier 2024. Il faut remonter jusqu’en 2014 pour trouver un chiffre plus bas. Enfin, l’emprunteur doit fournir un effort de plus en plus important : au quatrième trimestre de 2022, l’apport personnel moyen était supérieur de 43,5 % à ce qu’il était au quatrième trimestre de 2019.
    Il y a cinq ans, l’édiction de normes par le HCSF avait été motivée par la nécessité d’éviter une surchauffe du crédit immobilier. Alors que les prix demeurent élevés, la hausse des taux et l’attentisme des ménages ne permettent plus d’en justifier l’application : il faut relancer la machine. Si l’on observe depuis quelques mois l’amorce d’une baisse des taux d’intérêt, le pourcentage de propriétaires en France continue de stagner. Il est de notre responsabilité d’accompagner les ménages dans leur projet d’avenir et de restaurer la confiance tant espérée par le secteur bancaire. Pour cela, il convient de réformer le Haut Conseil de stabilité financière.
    Il revient à la représentation nationale de se saisir de ce sujet au moment où nous traversons une crise du logement que personne ici ne contestera. Cette crise est protéiforme et profonde ; je ne prétends pas l’enrayer par cette proposition de loi, qui n’apporte pas une solution à tous nos maux. En ouvrant le marché de la propriété à des ménages parfaitement solvables qui pouvaient autrefois se heurter aux critères établis par le HCSF, elle apporte toutefois une pierre à l’édifice. La crise de l’accession à la propriété est un pan de la crise du logement : elle doit d’autant plus nous mobiliser que l’attachement à la propriété reste très fort en France.
    En prenant à bras-le-corps le sujet du HCSF, notre assemblée se donne les moyens d’en démocratiser le fonctionnement et d’en questionner la rigidité. Comme je l’ai dit en commission, cette proposition de loi n’a pas non plus pour ambition de remettre en cause l’indépendance du HCSF, ni son pouvoir normatif.

    M. Nicolas Sansu

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    Encore heureux !

    M. Lionel Causse, rapporteur

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    Le Haut Conseil est chargé de garantir la stabilité financière, et une telle mission requiert la plus grande des vigilances. Nous gardons à l’esprit la crise de 2008, qui a mis des milliers d’Américains à la rue, et les a contraints à dormir dans leur voiture. Ce séisme a d’ailleurs précipité la création du HCSF, qui reste et restera un rempart contre la dérégulation.
    Pour autant, une telle mission doit s’exercer sous le regard attentif des Françaises et des Français, et plus particulièrement de leurs représentants, qui auront un rôle à jouer dans la définition de ces normes si importantes.
    Ainsi, l’article 1er de la proposition de loi vise à compléter la composition du Haut Conseil de stabilité financière, en y incluant un député et un sénateur. Après des auditions devant les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, les présidents de chaque chambre désigneront les parlementaires qui rejoindront le HCSF – une femme et un homme, afin de respecter la parité.
    Le HCSF doit rester un organe technique ; mais ses décisions ayant un impact sur l’accès au crédit immobilier, il ne doit pas devenir un organe technocratique. La présence de parlementaires permettrait de stimuler le débat public portant sur les évolutions envisagées et de renforcer la légitimité démocratique des mesures prises. L’indépendance du HCSF à l’égard du pouvoir politique ne serait nullement réduite puisque les parlementaires membres ne sauraient peser à eux seuls sur le sens des décisions. Le vrai pouvoir au sein de l’autorité réside en effet dans la faculté de proposer des mesures contraignantes, qui appartient au seul gouverneur de la Banque de France.
    L’article 2 vise d’abord à ce que le HCSF puisse autoriser les établissements de crédit à déroger à ses normes, en fonction des variations d’offre et de demande de crédit, et sur proposition du gouverneur de la Banque de France. Si le texte de la commission propose de réviser tous les trois mois les décisions du HCSF déterminant les conditions d’octroi de crédit, je propose de porter ce délai à six mois. On pourra ainsi mieux adapter les normes à la conjoncture, sans porter atteinte à la mission principale du HCSF – assurer la stabilité financière. Il est primordial de préserver un équilibre entre des normes macroprudentielles efficaces et un principe plus général de transparence, qui sera appliqué à l’occasion de l’enrichissement des décisions du HCSF.
    Dans la même logique, cet article dispose également qu’il reviendra au HCSF de tenir compte des enjeux économiques et de croissance. Cet ajout n’est pas anodin : il s’agit de rapprocher le Haut Conseil de la vie des Françaises et des Français. La transparence passe par une meilleure contextualisation des décisions.
    L’article 3 est un apport de la commission des finances : il vise à soumettre les parlementaires à des obligations déontologiques – au même titre que les membres actuels du Haut Conseil de stabilité financière – afin d’assurer leur pleine indépendance à l’égard des pressions extérieures, de prévenir l’apparition de conflits d’intérêts et, par ricochet, de garantir la qualité des décisions rendues.
    L’article 4 comporte les dispositions nécessaires à l’application du texte en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.
    Je souhaite que nous continuions à enrichir le texte comme nous avons commencé à le faire lors de nos débats en commission. Il est important que la représentation nationale s’empare de ce sujet : nous devons jouer notre rôle d’instance de contrôle et de moteur d’évolution pour rendre le fonctionnement du Haut Conseil plus démocratique et pour que ses décisions paraissent plus légitimes aux yeux des Français. (Mme Nadia Hai applaudit.)

    M. le président

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    La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation.

    Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation

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    Parce que c’est bien souvent un projet de vie à part entière, l’accès à la propriété immobilière est au cœur de notre pacte social – et donc au cœur de notre projet politique.
    L’accès à la propriété ne doit pas mettre en danger les propriétaires qui s’endettent, voire l’ensemble de l’économie lorsqu’une bulle se constitue. En 2008, la grande crise financière est née des excès de la distribution du crédit immobilier aux États-Unis. Les fameux crédits subprimes ont été distribués massivement et sans discernement à des ménages trop fragiles pour pouvoir faire face à une évolution des taux. La crise financière ne s’est pas arrêtée à la sphère financière : elle a contaminé toute l’activité économique.
    Le rôle des autorités publiques est de construire un cadre favorable à l’accession à la propriété, tout en protégeant les emprunteurs et la société des risques liés à un endettement excessif – ce subtil équilibre doit être préservé. C’est pour cette raison qu’a été créé le Haut Conseil de stabilité financière en 2013, à la suite de la grande crise financière.
    La répartition des rôles est clairement définie : la représentation nationale et le Gouvernement sont responsables de la politique d’accès au logement, quand le HCSF, institution indépendante, prévient les risques que la politique d’octroi de crédit des banques peut présenter pour la stabilité financière et l’économie réelle. Le Haut Conseil est chargé d’exercer la surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d’en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique. C’est au nom de cet objectif de stabilité financière que le HCSF encadre la politique de distribution de crédit des établissements financiers.
    En 2019, le HCSF a établi un diagnostic préoccupant, pointant la dégradation des conditions d’octroi de crédit en France et l’endettement des ménages. Le taux d’effort moyen était élevé : un quart des prêts était associé à un taux d’effort supérieur à 35 %. Un diagnostic similaire avait été établi par le Comité européen du risque systémique (CERS), qui a alerté officiellement la France sur les risques liés au marché immobilier résidentiel.
    Une dette trop importante des ménages en proportion de leur revenu disponible constitue un risque important pour notre économie et peut avoir un effet cumulatif. La crise de 2008 l’a montré : des ménages trop endettés d’un côté de l’Atlantique, ce sont en fin de compte des usines qui ferment de l’autre côté.
    Par conséquent, en 2019, le HCSF a formulé des recommandations afin d’encadrer les conditions d’octroi. Il recommande que la majorité des crédits immobiliers soient accordés pour une durée inférieure à vingt-cinq ans et conditionnés à un taux d’effort inférieur à 35 %. Les établissements de crédit peuvent déroger à la norme – au taux d’effort comme à la durée – pour 20 % de leur production trimestrielle de crédits. Cette recommandation est devenue juridiquement contraignante à partir de janvier 2022 : c’est la fameuse norme HCSF d’encadrement du crédit immobilier.
    Depuis plus d’un an, cette dernière est vilipendée : elle serait responsable de la chute de la distribution de crédit immobilier. Il faut rappeler ici les faits : nous faisons bien face à une baisse historique – la distribution a baissé de 60 % entre février 2022 et février 2024. Cette baisse est en premier lieu le reflet de la hausse historique des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne (BCE),…

    M. Sébastien Rome

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    C’est vrai.

    Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée

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    …destinée à combattre l’inflation. Les taux de la BCE ont augmenté de 450 points de base entre juillet 2022 et septembre 2023. En France, le taux d’intérêt moyen pour un crédit à l’habitat est ainsi passé de 1,5 % en moyenne en 2022 à 3,3 % en 2023, avant d’atteindre 4,17 % en janvier 2024. La hausse dans le reste de la zone euro est comparable : le taux moyen a atteint 4,15 % en janvier 2024.
    Soyons clairs : ce n’est pas le HCSF qui détermine les taux d’intérêt et la dynamique du marché du crédit, mais la Banque centrale qui joue son rôle en adaptant sa politique monétaire à l’inflation.

    M. Sébastien Rome

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    Eh oui.

    Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée

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    Ce n’est pas non plus le HCSF qui détermine la dynamique du crédit immobilier, mais la politique monétaire.
    Cependant, comme l’accès à la propriété est au cœur de notre pacte social, il est sain que la représentation nationale demande des comptes et exige la transparence.

    M. Romain Daubié

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    C’est sûr !

    Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée

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    C’est encore plus légitime lorsque le marché immobilier a subi un choc aussi fort que celui que nous connaissons depuis un an et demi à cause de la remontée très rapide des taux d’intérêt. C’est pour cette raison que le Gouvernement défend l’approche des députés de la majorité qui ont déposé ce texte.
    Aujourd’hui, le crédit immobilier redémarre – toutes les remontées du terrain l’indiquent. Depuis janvier, les taux d’intérêt du crédit immobilier ont baissé de près de trente points de base.
    Nous devons préserver un équilibre subtil entre soutien à l’accession à la propriété à court terme et vigilance de long terme en matière de stabilité financière, entre interrogations légitimes exprimées par la représentation nationale et garanties d’indépendance données au HCSF.
    Pour inscrire cet équilibre dans la loi, il faut renforcer les obligations de transparence et d’information du HCSF envers le Parlement, tout en préservant les compétences du HCSF et son indépendance, gage de notre stabilité financière.
    Le Gouvernement soutient la logique d’accountability – de responsabilisation –, pour reprendre un terme cher aux démocraties anglo-saxonnes, défendue par les députés. Mais il souhaite préserver l’indépendance du Haut Conseil, essentielle à sa crédibilité en matière de préservation de la stabilité financière. C’est la raison pour laquelle j’appelle à soutenir les amendements précisant l’article 2 : il doit permettre de formaliser la procédure de définition des normes HCSF, sans empiéter sur la compétence du Haut Conseil en matière de définition au fond. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)

    M. le président

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    La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.

    M. Éric Coquerel, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

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    Ce texte, dans sa version d’origine, m’inquiétait dans la mesure où il participait de la dérégulation des normes – sauf celles qui sont utiles pour renforcer la logique du marché et ses acteurs. Il semblait suggérer que, si la population n’arrive plus à se loger, il faut laisser les banques libres de surendetter nos concitoyens. Il semblait également réserver au Haut Conseil de stabilité financière un rôle affaibli.
    Je pense au contraire qu’il faut intervenir pour lutter contre l’inefficience du marché et protéger la population contre ses effets pernicieux. Quand il existe des structures comme le Haut Conseil de stabilité financière, il faut les renforcer et non les dépouiller. Je vous rappelle que cette instance a été créée en 2013 pour remédier aux effets de la libéralisation excessive de notre économie et de la dérégulation de la finance, qui ont conduit à la crise de 2008. Quel message enverrions-nous à l’affaiblir ?
    J’ai bien compris, monsieur le rapporteur, que vous vous préoccupiez avant tout de la crise du logement, mais je ne crois pas qu’on puisse la régler en supprimant des normes relatives aux emprunts, en permettant à nos concitoyens d’emprunter à plus long terme et de se surendetter davantage. Je le crois d’autant moins que les banques ont, par rapport aux offres de crédit, des droits de dérogation dont les plafonds, comme vous le savez, sont très loin d’être atteints. S’il y a quelque chose à modifier, c’est la nécessité, pour l’emprunteur, d’avoir un apport personnel considérable, qui opère une sélection sociale sans signification véritable par rapport au crédit. Quant à la suppression des normes, elle encouragerait surtout le surendettement, avec des conséquences économiques et sociales désastreuses. Elle aurait également un effet négatif sur les prix, qui représentent aujourd’hui le problème principal en matière de logements. Ceux-ci sont trop chers ; pourtant, en 2023, seuls quelque 300 000 ont été mis en chantier, soit 71 800 de moins que l’année précédente. Il faut remonter au début des années 1990 pour observer de tels chiffres. Par ailleurs, cela fait une trentaine d’années qu’on n’avait pas eu un bilan aussi catastrophique en matière de construction et de livraison de logements sociaux, ce qui, bien sûr, a un effet sur les prix.
    Le texte a heureusement évolué en commission, mais il comporte toujours un recul que je regrette : il est désormais proposé que le Haut Conseil fixe les règles de l’endettement pour trois mois seulement. Cela veut dire qu’à chaque réunion, les règles devront être rediscutées pour être éventuellement renouvelées. Cette nouvelle rédaction risque de paralyser le HCSF : discuter de ces règles à chaque réunion, c’est autant de temps perdu pour les échanges sur les autres leviers permettant de stabiliser notre système financier. Au-delà de ce risque, cette nouvelle mesure se révèle inutile. Ce rythme, bien trop régulier, ne colle pas avec la conjoncture économique ou la variation du risque systémique qui pèse sur notre économie. Le projet risque donc d’emboliser une instance régulatrice pour rien. En matière d’optimisation des moyens, j’ai déjà vu mieux !
    Malgré cette disposition qui m’inquiète, vous l’aurez compris, j’admets que le texte représente une avancée dans la mesure où il prévoit que deux parlementaires rejoignent le HCSF. Je vois d’un bon œil que des représentants élus par le peuple diversifient la composition d’une instance indépendante qui prend des décisions politiques. Cependant, pour assurer le pluralisme, puisque des représentants choisis par l’exécutif siègent déjà en son sein, il serait préférable que ces deux parlementaires soient issus des rangs de l’opposition. Pour s’en assurer, leur désignation devrait revenir au président ou à la présidente de la commission des finances de l’Assemblée et du Sénat.

    M. Romain Daubié

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    Ben voyons !

    M. Éric Coquerel, président de la commission des finances

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    Nous gagnerions à garantir l’expression de voix diverses lors de la prise de décisions aussi importantes pour notre système financier, et donc pour la population.

    Discussion générale

    M. le président

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    Dans la discussion générale, la parole est à M. Jocelyn Dessigny.

    M. Jocelyn Dessigny

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    La proposition de loi que nous étudions mélange deux sujets différents : un enjeu d’actualité, à savoir les conditions d’octroi des crédits immobiliers en pleine crise du logement, et un autre problème, celui des pouvoirs, voire de l’utilité, d’une institution totalement inconnue des Français, le Haut Conseil de stabilité financière.
    S’agissant du premier sujet, nous voyons cette proposition de loi d’un bon œil. En effet, depuis 2019, en matière de crédit immobilier, les prêteurs doivent respecter un taux d’effort de 35 %, ce qui signifie que les mensualités de remboursement de l’emprunteur, y compris l’assurance de prêt, ne doivent pas dépasser 35 % de ses revenus. Face à des prix immobiliers qui ont, ces dernières années, augmenté beaucoup plus vite que les salaires, la remontée explosive des taux a mécaniquement exclu les emprunteurs dépassant ce taux d’endettement. C’est le cas pour les primo-accédants et les investisseurs ; pour les autres, la capacité d’emprunt a fortement diminué, entraînant des abandons de projets.
    La proposition de loi qui nous est soumise ne va pas révolutionner le marché de l’immobilier, ni résoudre la crise du logement en France, mais elle permettra aux établissements prêteurs de s’affranchir de la règle du taux d’effort dans certains cas précis. Dans le contexte actuel, c’est plutôt une bonne chose.
    Cependant le texte a un deuxième aspect, dont nous avons longuement discuté en commission. Pour arriver au résultat que je viens d’évoquer, il est obligé d’affaiblir les pouvoirs d’une institution méconnue créée en 2013, le HCSF – énième organisme gravitant de façon plus ou moins indépendante autour de Bercy, énième démembrement de l’administration, énième exemple de la comitologie et de la complexité administrative qui sévit en France. Selon le code monétaire et financier qui organise ses missions, le HCSF est chargé d’« exerce[r] la surveillance du système financier dans son ensemble » et de veiller aux règles de bonne gouvernance. Rien que cela ! Nous sommes quelque part entre les missions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et celles de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), deux autorités administratives indépendantes qui sont déjà chargées de la stabilité financière et de la bonne gouvernance.
    Quelle est donc, dès lors, la mission exacte du Haut Conseil ? En 2013, après la crise immobilière aux États-Unis, le législateur a décidé de dépouiller le ministre de l’économie d’un de ses pouvoirs, celui de dire les conditions du crédit en France. Ce pouvoir ne serait manifestement pas à la portée d’un ministre de l’économie, et les parlementaires que nous sommes, notamment les membres de la commission des finances, ne serions pas capables d’exercer notre pouvoir de contrôle de l’action du Gouvernement. Non, il faut confier ce pouvoir à des autorités indépendantes, à des hauts conseils, à des comités d’experts. Et une fois qu’il leur est confié, les experts exercent ce pouvoir qu’on leur a abandonné, d’abord d’une manière non contraignante, puis d’une manière qui l’est de plus en plus. Comme vous le savez, les décisions du HCSF sont depuis peu juridiquement contraignantes. Nous voici, nous parlementaires, dans une situation grotesque : nous discutons de la nécessité d’affaiblir le pouvoir d’un organisme inutile que nous avions nous-mêmes créé dix ans plus tôt ! Allons au bout de la logique et supprimons directement le Haut Conseil !

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Eh oui !

    M. Jocelyn Dessigny

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    Certains d’entre vous ont déposé des amendements visant à faire entrer des parlementaires au HCSF ; mais notre rôle de parlementaires n’est pas de servir de caution démocratique ou de supplétifs à des instances d’experts ; il est de contrôler l’action du Gouvernement et d’auditionner le ministre. C’est à celui-ci de dire quelle doit être la politique de crédit dans notre pays, et c’est aux commissaires des finances du Parlement de l’auditionner et de le contrôler.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Absolument !

    M. Jocelyn Dessigny

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    Chers collègues, le groupe Rassemblement national votera en faveur de la proposition de loi en raison de l’objectif visé : l’assouplissement des conditions de crédit. Mais pour des raisons de simplification et de principe, nous appelons à la suppression du HCSF. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)

    M. le président

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    La parole est à M. Sébastien Rome.

    M. Sébastien Rome

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    Celui qui croyait que l’économie tourne comme la mécanique céleste et celui qui n’y croyait pas… Mais quand la crise financière vient, « fou qui fait le délicat » !
    Le Haut Conseil de stabilité financière est une institution dont l’utilité est d’éviter les crises systémiques dans un système capitaliste, un système d’économie libérale où la recherche du profit continuellement grandissant, notamment à travers la distribution irréfléchie de crédits, conduit inévitablement les plus avides d’argent à prendre des risques, un système où les profits sont privatisés et les pertes, socialisées.
    La dette prétendument insupportable que l’on agite aujourd’hui est d’abord la conséquence de crises systémiques passées. Après la crise née de la guerre en Irak en 1991, celle de 2008 due à la crise immobilière américaine, puis celle du covid, la dette publique est passée par paliers de 40 % à 60 % du PIB, puis à 80 % et enfin à 110 %. En même temps, depuis 2002, la richesse des milliardaires a, elle, été multipliée par six, preuve s’il en fallait une que ce sont les mêmes – comme toujours – qui paient trois fois : les classes populaires paient d’abord les crises par la hausse du chômage, dont elles ne sont pas responsables, et par la pression sur les salaires ; elles les paient ensuite car les gouvernements successifs en profitent pour démonter notre modèle social issu du Conseil national de la Résistance, avec le recul de l’âge de la retraite, le déremboursement des médicaments et une augmentation de l’insécurité face au risque du chômage ; elles les paient enfin car les investissements dans l’éducation, la santé, l’environnement et les transports ne sont pas au rendez-vous. Les crises sont toujours l’occasion de faire les poches des classes populaires et de protéger, voire de faire grossir, les portefeuilles de certains, déjà bien remplis par vos cadeaux.
    Dans ce contexte, mieux vaut un Haut Conseil de stabilité financière indépendant qu’un Haut Conseil sous la tutelle de lobbys ou d’un courant politique. À La France insoumise, nous ne croyons pas que l’économie appliquée à la politique soit une science.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    On a remarqué !

    M. Sébastien Rome

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    C’est un habillage idéologique d’options politiques, qui consiste à déterminer à qui on prend et à qui on donne. C’est pourquoi la proposition de loi du rapporteur Lionel Causse a un intérêt pour nous : elle consacre notre athéisme économique – nous ne croyons pas à la prétendue indépendance d’organismes techniques de régulation financière. Les choix sont toujours politiques et il est normal que la représentation nationale s’y intéresse.
    La première intention de ce texte était de contraindre politiquement le HCSF à sortir des règles prudentielles pour essayer de régler la crise de l’immobilier que le Gouvernement a lui-même organisée et entretenue par son inaction. Le HCSF n’est responsable ni de la crise ni de sa solution. Ses vessies ne seront pas nos lanternes ! Nous pouvons être favorables à la réforme du HCSF si, et seulement si, la représentation nationale y entre de manière équilibrée, si on y fait place à la pluralité politique, aux différents points de vue.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Il faut le mettre à la poubelle !

    M. Sébastien Rome

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    Collègues, pensez cette réforme comme si vous étiez dans l’opposition, aujourd’hui ou demain. La démocratie ne se limite pas au choix de la majorité ; elle se mesure par sa capacité à garantir un certain équilibre qui s’apprécie à la place laissée aux oppositions. Montesquieu écrivait : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » C’est pourquoi nous jugerons le texte en fonction de l’équilibre qui sera trouvé à l’article 1er et de sa capacité à éviter la tutelle majoritaire. Malgré la réécriture complète de l’article 2, preuve de la précipitation qui présida à la rédaction de cette proposition de loi, il nous semble que l’action stabilisatrice du Haut Conseil n’est pas encore garantie. Lorsque la durée des règles macroprudentielles est inférieure à un an, la stabilité n’est pas au rendez-vous.
    Enfin, saisissons l’occasion de ce texte pour, d’une part, encourager la production de produits financiers écologiquement et socialement responsables et, d’autre part, permettre au Haut Conseil de faire revenir à la maison une partie de la dette française afin de nous libérer de possibles pressions internationales dans ce domaine. Il y va de notre indépendance, il y va de la nécessité impérieuse d’arrêter de faire payer la dette aux classes populaires alors que celle-ci est issue de l’avidité et des errements d’une élite financière qui a fait sécession du peuple.
    Et gageons que « de Bretagne ou du Jura […] le Grillon rechantera » ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)

    M. le président

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    Pour le groupe Les Républicains, ce ne sera pas le chant du grillon : la parole est à Mme Marie-Christine Dalloz. (Sourires.)

    Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée

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    Ce n’est pas loin : c’est la cigale du Jura !

    Mme Marie-Christine Dalloz

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    Faciliter l’accès des ménages au crédit immobilier en réformant les dispositions applicables au Haut Conseil de stabilité financière, tel est l’objectif de la proposition de loi qui nous est présentée. Le Haut Conseil de stabilité financière, placé sous l’égide de Bercy, est l’autorité macroprudentielle française chargée d’exercer la surveillance du système financier dans son ensemble et d’en assurer la stabilité.
    Toutefois, les règles du Haut Conseil régissant l’octroi du crédit immobilier, juridiquement opposables aux établissements bancaires depuis le 1er janvier 2022, ne paraissent plus du tout adaptées à la conjoncture économique actuelle. En effet, elles ont été fixées à un moment où les taux d’intérêt étaient faibles, voire négatifs. Elles se justifiaient parfaitement dans ce contexte, mais elles constituent désormais, en période de remontée des taux et de forte inflation, un frein trop important à l’accès des ménages au crédit.
    La règle des 35 % d’endettement maximal constitue à ce titre le point de crispation sur lequel il semble nécessaire de revenir. De nombreuses demandes de prêt se retrouvent bloquées en raison d’un taux d’endettement dépassant les 35 %, alors que le reste à vivre des ménages concernés demeure élevé ou satisfaisant. Nous assistons donc depuis plusieurs mois à une chute historique de la production de crédits à l’habitat. Selon les données de la Banque de France, l’octroi de nouveaux crédits immobiliers a nettement chuté : leur nombre a reculé de plus de 41 % en un an ; le volume des emprunts est passé de 19 milliards d’euros en juin 2022 à 11,1 milliards en juin 2023.
    Les ventes reculent, la construction neuve est à l’arrêt et le prix des logements reste très élevé, excluant en grande majorité les jeunes actifs de l’accession à la propriété. La chute des ventes dans l’immobilier neuf menace particulièrement le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP), qui est pourtant, on le sait, un facteur clé de la relance économique. La Fédération française du bâtiment (FFB), qui avait estimé en septembre 2023 à 5,1 % la baisse de la production de logements neufs, l’a réévaluée à 7,8 % début 2024, et craint que cela n’entraîne la perte de 150 000 emplois en deux ans.
    Après ce gel spectaculaire du marché immobilier en 2023, nous devons permettre l’amorce d’un dégel dès cette année, en agissant sur les conditions d’emprunt. Il n’est évidemment pas question de remettre en cause l’existence du Haut Conseil de stabilité financière, qui nous protège de pratiques bancaires dérégulées. Mais nous défendons un assouplissement des critères qui régissent l’accès au crédit, pour redonner plus de souplesse aux banques.
    Ce texte, présenté par notre collègue Lionel Causse, vise deux objectifs : la transparence et la flexibilité. Il modifie d’abord la composition du HCSF en intégrant deux parlementaires, un député et un sénateur, respectivement désignés par la présidence de leur chambre. Il permet ensuite aux établissements bancaires de s’affranchir de la règle des 35 % de taux d’effort maximal autorisé, pour les dossiers ne comportant pas de risque excessif de surendettement. Cela suppose de pouvoir s’appuyer sur l’expertise de nos établissements bancaires, qui jugeront au cas par cas de la solidité financière des dossiers présentés. À mon avis, faire entrer des parlementaires au sein du Haut Conseil est une mesure importante et bienvenue, qui évitera un fonctionnement trop technocratique et possiblement déconnecté des enjeux du terrain.
    Il nous paraît essentiel de relâcher l’étau enserrant le crédit immobilier pour relancer la capacité d’investissement des ménages et, plus généralement, l’activité économique dans son ensemble. Nous regrettons seulement que cette proposition de loi arrive un peu tard, alors que la crise du logement laisse déjà des traces et que le reflux des taux d’intérêt pourrait s’amorcer dès cette année. On le constate : malgré la baisse des taux d’intérêt, de nombreux blocages persistent – je l’observe régulièrement, lorsque des ménages viennent m’exposer leurs difficultés d’accès au crédit immobilier. De tels blocages ne sont pas acceptables et auront des conséquences durables sur le secteur du BTP. Néanmoins, pour toutes les raisons que j’ai évoquées, les députés du groupe Les Républicains voteront en faveur de la proposition de loi. (Mme Véronique Louwagie applaudit.)

    M. le président

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    La parole est à M. Romain Daubié.

    M. Romain Daubié

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    Il y a trois semaines, la commission des finances examinait et adoptait la proposition de loi visant à compléter les dispositions applicables au Haut Conseil de stabilité financière. Nous en discutons alors que la France connaît une crise du logement inédite. Sous l’effet d’une politique de resserrement monétaire de la BCE visant à lutter contre l’inflation, la production de crédits immobiliers s’est effondrée depuis 2022. Les taux d’intérêt ont atteint le niveau record de 4,2 % en janvier 2024, contre 1 % en janvier 2022. De nombreux ménages ont dû renoncer à investir, leur capacité d’emprunt, réduite par la hausse des taux, ne leur permettant plus d’acquérir un logement correspondant à leurs besoins.
    L’auteur de la proposition de loi considère que la chute de la production de crédits aurait pu être limitée si les exigences édictées par le HCSF en matière d’octroi de crédit avaient été plus en phase avec les évolutions économiques. L’article 1er procède à une modification de la composition du HCSF, afin d’y faire entrer un député et un sénateur. Cette extension reflète la volonté de réinscrire les décisions du Haut Conseil dans le débat public et de diminuer la nature discrétionnaire de ses pouvoirs. En commission des finances, plusieurs amendements ont précisé les modalités de désignation de ses membres.
    L’article 2 tend à assouplir les normes du taux d’effort édictées par le HCSF en matière d’octroi de crédit immobilier, en donnant la possibilité aux sociétés de financement et aux établissements de crédit d’y déroger s’ils démontrent que les candidats à l’emprunt ne présentent pas un risque d’endettement excessif. C’est évidemment un point positif. Une telle mesure étant de nature à affecter la stabilité financière de l’ensemble de la zone euro, elle devra faire l’objet d’une consultation de la BCE. Cet article constitue le cœur du texte ; s’il n’a pas de portée normative s’agissant des conditions d’octroi des prêts immobiliers par les banques, il impose au HCSF de nouvelles règles encadrant la prise de ses décisions, afin d’en améliorer la transparence et de mieux les adapter à la conjoncture économique.
    Deux nouveaux articles ont été adoptés en commission des finances. L’article 3 définit les obligations déontologiques des parlementaires désignés pour siéger au HCSF. L’article 4 prévoit les mesures de coordination nécessaires à l’application des dispositions du texte en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.
    En matière de stabilité financière, il ne faut toucher la norme que d’une main tremblante, de peur qu’une décision apparemment de bon aloi entraîne des effets de bord catastrophiques, que nous n’avions pas pris en compte. Le rôle du Haut Conseil de stabilité financière est donc essentiel : il complète le cadre défini par les accords de Bâle et mis en œuvre par l’ACPR.
    Les membres du groupe Démocrate étaient un peu circonspects quant à la rédaction initiale, mais nous saluons le travail mené par le rapporteur, en collaboration avec le ministère des finances et la Banque de France, pour mieux calibrer le dispositif. Le travail accompli en commission des finances a ainsi amélioré le texte dans le sens d’une transparence accrue des décisions prises par le HCSF, sans pour autant menacer la solidité de notre système financier. La réécriture de l’article 2 a notamment permis d’aboutir à une version plus équilibrée et mieux encadrée.
    Il nous semble essentiel de pouvoir adapter les conditions d’octroi des crédits immobiliers aux variations d’offre et de demande liées à la conjoncture économique, et d’améliorer la transparence des décisions prises par le Haut Conseil de stabilité financière. À titre personnel, je regrette que le calcul du taux d’endettement, en particulier le calcul dit en différentiel, n’ait pas été inscrit plus clairement dans le texte. Très attaché à la stabilité financière et au sérieux financier, le groupe Démocrate votera évidemment en faveur de la proposition de loi. (M. le rapporteur et Mme Nadia Hai applaudissent.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Félicie Gérard.

    Mme Félicie Gérard

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    La proposition de loi de notre collègue Lionel Causse vise à étendre le champ d’action et les prérogatives du Haut Conseil de stabilité financière, notamment en ce qui concerne les conditions d’octroi des crédits immobiliers et le taux d’effort des emprunteurs, qui ne doit pas excéder 35 % de leur revenu. Elle nous offre l’occasion d’un débat important sur le rôle du HCSF.
    Le logement est un sujet particulièrement complexe en ce moment. L’effet conjugué de la hausse des taux et de la baisse du nombre de constructions, donc du manque d’offre disponible dans le parc tant social que privé, provoque une situation inédite de tension sur le marché immobilier. Dans ce contexte, les règles macroprudentielles encadrant l’octroi des crédits immobiliers doivent être examinées avec attention, pour envisager des améliorations. Le but est de fluidifier le marché sans faire peser un risque trop important sur notre système économique.
    Dans sa rédaction initiale, l’article 2 visait à permettre aux établissements bancaires de déroger à la règle du taux d’effort maximal de 35 %, à condition de démontrer que le concours proposé ne présente pas de risque d’endettement excessif. Les débats que nous avons eus en commission à ce sujet montrent à quel point cette question est complexe.
    Comme nous l’avons dit alors, le groupe Horizons et apparentés est évidemment attaché à la liberté de chacun de recourir à l’emprunt, ainsi qu’à la liberté des banques d’octroyer des prêts. Cependant, nous n’étions pas convaincus par cette rédaction initiale, car elle revenait à déréguler très fortement la réglementation macroprudentielle en vigueur, ce qui pouvait ouvrir la voie à des défauts de remboursement, voire à des situations de surendettement. En parallèle, dans certains cas, notamment ceux où le reste à vivre permettrait un emprunt plus important et très peu risqué, la règle uniforme limitant le taux d’effort à 35 % est peu pertinente.
    Il faudra que nous puissions échanger avec le Haut Conseil de stabilité financière sur cette notion de reste à vivre. Il peut effectivement s’avérer opportun, en fonction de la situation économique, de laisser la possibilité aux banques d’octroyer des prêts en dérogeant à la règle des 35 %. Un tel débat sera d’autant plus pertinent que l’article 1er tend à ajouter un député et un sénateur dans la composition du Haut Conseil. Cela nous permettra de faire entendre la voix de nos concitoyens au sein de cette instance, donc de participer de manière plus pertinente à ses travaux et à l’élaboration de ses recommandations.
    La réécriture de l’article 2, proposée par le rapporteur et adoptée par la commission des finances, nous semble aller dans le bon sens. L’article prévoit désormais que les possibilités de dérogation aux normes fixées en matière de conditions d’octroi de crédit seront déterminées par le Haut Conseil de stabilité financière, sur proposition du gouverneur de la Banque de France – proposition qui sera rendue publique, à l’exception des informations couvertes par le secret professionnel – et en tenant compte des variations de l’offre et de la demande de crédit. Il prévoit en outre que les décisions du HCSF relatives aux conditions d’octroi de crédit seront prises pour une période maximale de trois mois, renouvelable si les conditions le justifient.
    Ces différentes mesures vont dans le bon sens, celui d’une plus grande transparence de la prise de décision du HCSF ; nous ne pouvons que nous en réjouir. Nous avons l’occasion de poursuivre la discussion engagée en commission des finances, afin que le texte soit le plus pertinent et le plus opérant possible. En tout état de cause, le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de la proposition de loi. (M. le rapporteur et Mme Nadia Hai applaudissent.)

    M. le président

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    La parole est à M. Philippe Brun.

    M. Philippe Brun

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    Le sujet dont nous débattons ce soir est important et ne manque pas d’intérêt pour nos concitoyens. En 2023, la production de crédits à l’habitat a atteint son niveau le plus faible depuis quinze ans, à peine 129,5 milliards d’euros, ce qui représente une baisse de 40 % par rapport à 2022. Les refus de crédit se traduisent par autant d’abandons de projets immobiliers, ce qui ne peut qu’aggraver encore les difficultés qu’ont nos concitoyens à se loger.
    C’est précisément à cette situation que le rapporteur se propose de mettre fin grâce au texte qu’il nous soumet. Il prévoit tout d’abord de revoir la gouvernance du Haut Conseil de stabilité financière – sans doute pense-t-on que l’entrée de deux parlementaires permettrait d’assouplir les règles d’octroi de crédit. Il propose ensuite de revenir sur le taux d’effort de 35 % du revenu annuel, au-delà duquel l’emprunteur ne peut s’endetter. Pourtant, cette règle nous paraît importante et nécessaire pour éviter les excès d’endettement qui ont pu se produire dans d’autres pays. La France a ainsi été épargnée par la crise des subprimes, même si elle en a subi les répercussions économiques.
    Cette proposition de loi, selon nous, ne va pas dans le bon sens. Les raisons qui ont conduit à rationner le crédit et à assécher la production de logements sont bien plus profondes et dépassent largement la simple question du taux d’effort des ménages. Du reste, le taux d’effort moyen en 2023, de l’ordre de 30 %, reste inférieur à 35 %. Il était au même niveau il y a dix ans. Ce n’est donc pas cette règle qui empêche nos concitoyens d’obtenir un prêt, mais bel et bien la politique monétaire. Les mesures prises pour lutter contre l’inflation ont conduit à la hausse des taux d’intérêt et, par conséquent, à celle du coût du crédit.
    N’oublions pas, par ailleurs, l’explosion des coûts de la construction, du fait de la pénurie de main-d’œuvre et du prix des matières premières, en particulier des matériaux à forte intensité énergétique. Je vous sais, madame la ministre, très sensible au problème de l’explosion des prix de l’électricité. Les tuiles étant cuites dans des fours qui fonctionnent au gaz ou à l’électricité, on comprend pourquoi les coûts de construction augmentent autant.
    C’est pour cette raison que le groupe Socialistes et apparentés considère votre réponse à la chute de la construction de logements comme insuffisante, voire dangereuse.
    Des mesures avaient déjà été proposées dans le plan de rebond économique, social et écologique de notre groupe, pour aider les primo-accédants à acquérir un logement. (M. Inaki Echaniz applaudit.) Je vous propose, avec Valérie Rabault et Boris Vallaud, une disposition qui va dans le même sens, afin de garantir, pour un emprunt inférieur à 100 000 euros, une baisse de deux points du taux d’emprunt immobilier aux primo-accédants qui voudraient acquérir un logement neuf. Cette mesure devrait permettre à chaque Français d’obtenir un crédit pour accéder à la propriété, ce qui relancerait la construction de logements dans notre pays. Pour les ménages qui contractent un crédit sur vingt ans, elle représenterait un gain de 19 000 euros par an,…

    M. Inaki Echaniz

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    Tout à fait !

    M. Philippe Brun

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    …ce qui se traduirait, chaque mois, par des mensualités moins élevées.
    Au-delà, nous devons agir à tous les niveaux de la chaîne de la construction, pour répondre aussi bien à la pénurie de matériaux qu’à celle de main-d’œuvre. Je salue à cet égard le travail de mon collègue Inaki Echaniz, spécialiste des questions immobilières au sein de notre groupe.
    Ce n’est certainement pas en assouplissant les conditions d’octroi de crédit et en prenant le risque de mettre en péril la stabilité financière de notre pays que nous relèverons l’immense défi qui se présente à nous. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et Écolo-NUPES.)

    M. Inaki Echaniz

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    Très bien !

    M. le président

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    La parole est à M. Nicolas Sansu.

    M. Nicolas Sansu

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    La présente proposition de loi, relative au Haut Conseil de stabilité financière, se veut avant tout une réponse à la crise du logement, en particulier à l’effondrement du nombre de crédits immobiliers accordés depuis deux ans. Elle ratera sa cible.
    Sur les préludes du constat, nous pourrions nous entendre : depuis deux ans, l’augmentation des taux directeurs de la BCE, de 0 % à 4 %, a conduit à une hausse des taux d’intérêt commerciaux en particulier ceux des crédits immobiliers, qui sont passés en moyenne de 1,5 % début 2022 à 4 % aujourd’hui. Cet accroissement rapide a conduit à l’effondrement des crédits et, par ricochet, à celui des achats de biens immobiliers, ce qui a des conséquences néfastes pour certains secteurs économiques mais aussi pour de nombreux ménages, dont les projets, parfois ceux d’une vie, ont été brisés en un rien de temps.
    En pleine crise du logement, cette baisse brutale des achats immobiliers est une très mauvaise nouvelle pour certaines collectivités, comme les départements, qui voient s’effondrer les recettes de droits de mutation à titre onéreux (DMTO).
    Comment agir contre cette situation ? C’est là que nos positions divergent. Serait-il raisonnable de se ranger derrière celle de Bruno Le Maire et de la majorité ? Nous ne le croyons pas. Ils considèrent en effet qu’à la suite de la montée des taux, la règle du taux d’effort de 35 % est trop rigide et qu’il faudrait la rendre plus flexible pour permettre aux ménages de s’endetter plus fortement. Tel était d’ailleurs, en substance, le sens des déclarations de Bruno Le Maire en décembre 2023.
    Or cette règle des 35 % ne constitue en rien une norme arbitraire et bureaucratique. Fixée par le HCSF, elle vise un objectif important : limiter les risques d’insolvabilité des ménages emprunteurs. Les propos de Mme la ministre, plutôt réticente à cette dérégulation, sont de nature à nous rassurer.
    Outre qu’elle laisserait certains ménages se faire emporter par la spirale du surendettement, l’insolvabilité des agents économiques ferait également peser un risque sur la stabilité financière de notre pays, comme l’a démontré la crise des subprimes. La règle des 35 % est donc un outil nécessaire dans le cadre de la politique de stabilité financière, et efficace, comme l’ont rappelé non seulement le HCSF mais aussi le gouverneur de la Banque de France. En conséquence, le Haut Conseil a choisi de maintenir la règle des 35 % d’endettement, contre l’avis du ministre de l’économie et des finances.
    Voilà donc la genèse de cette proposition de loi, dont l’objectif est, ni plus ni moins, de reprendre la main sur le Haut Conseil de stabilité financière,…

    M. Pierre Dharréville

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    Eh oui !

    M. Nicolas Sansu

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    …en modifiant sa gouvernance et en créant une règle dérogatoire aux 35 %, au mépris des risques financiers et des drames qui pourraient en résulter pour les ménages surendettés.

    M. Pierre Dharréville

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    Voilà !

    M. Nicolas Sansu

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    L’article 1er prévoit d’intégrer dans le HCSF deux parlementaires. Nous aurions pu, à la rigueur, le comprendre, s’il n’était pas écrit dans l’exposé des motifs que le « pouvoir discrétionnaire » du HCSF « a pour effet de soustraire à tout débat public les évolutions décidées par [le même] HCSF, et ce alors même que l’accès au crédit immobilier intéresse plusieurs millions de Français ». Cette remarque est intéressante mais je m’étonne qu’elle émane de parlementaires qui défendent, depuis le traité de Maastricht, l’indépendance de la BCE, laquelle décide, de manière discrétionnaire, de la politique monétaire, qui a elle aussi des conséquences pour des millions de Français et pour la conduite des politiques publiques. Nous avons là deux poids, deux mesures ; c’est un peu étrange…
    Cet article aurait pu nous rassembler s’il ne s’agissait de cacher une manœuvre permettant en réalité au ministre de l’économie de faire jouer son influence sur une instance qui n’obéirait pas au doigt et à l’œil au Gouvernement.
    L’article 2 vise à faciliter les dérogations à la règle des 35 %, afin de satisfaire enfin les chantres du tout-marché ! Dans la version initiale, vous n’aviez même pas pris de pincettes, puisque vous laissiez le soin aux banques de créer elles-mêmes leurs propres règles. Désormais, la règle devra être définie par le Haut Conseil, qui a pourtant lui-même considéré qu’il n’était pas nécessaire d’introduire de dérogations supplémentaires, car celles qui existent n’étaient pas pleinement utilisées.
    Nous ne réglerons pas la crise du logement en poussant les ménages à s’endetter toujours plus ; ce serait une erreur. L’accès à la propriété est freiné par deux facteurs : les prix de l’immobilier et le coût du crédit. Les solutions existent : d’une part, lutter contre la vacance des logements et la multiplication des résidences secondaires afin de ralentir la spéculation immobilière à l’œuvre dans certaines zones – quand allez-vous enfin vous y attaquer ? –, d’autre part, réduire les taux d’intérêt pour les ménages modestes et les primo-accédants, en étendant le champ d’attribution des prêts à taux zéro. Ce sont autant de mesures efficaces et alternatives à la perspective du surendettement.
    Pour l’heure, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera contre cette proposition de loi. (Mme Francesca Pasquini et M. Sébastien Peytavie applaudissent.)

    M. Pierre Dharréville

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    Très bien !

    M. le président

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    La parole est à M. Michel Castellani.

    M. Michel Castellani

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    La crise immobilière, qui s’est durablement installée dans notre pays, pose de graves problèmes : difficultés pour les ménages d’accéder à la propriété, baisse d’activité pour les professionnels du bâtiment, pertes de recettes fiscales pour les départements, constructions insuffisantes pour répondre aux mutations démographiques.
    Cette crise peut s’expliquer par l’inflation et la saturation du marché. Elle est aggravée par l’assèchement du canal du crédit. Les taux sont en effet particulièrement élevés, en raison notamment de la politique monétaire restrictive menée par la BCE pour lutter contre l’inflation. Dans ce contexte, les récentes décisions du Haut Conseil de stabilité financière relatives au taux d’effort maximal des ménages ont été critiquées.
    Rappelons que le HCSF a été créé pour éviter tout éclatement d’une bulle spéculative sur le marché immobilier et, ainsi, prévenir une nouvelle crise bancaire. Il est donc un acteur important de la politique prudentielle à l’échelle nationale, en lien avec la réglementation européenne. Pourtant, l’activité du HCSF a récemment été mise en cause. Bien que son mandat soit clair, les décisions prises depuis la crise sanitaire en matière de taux d’effort ont entraîné une rupture de confiance entre les professionnels et le Haut Conseil.
    L’objet de la présente proposition de loi est donc de soutenir le Haut Conseil dans son rôle de prévention des crises tout en rompant avec une sorte d’isolement.
    Nous saluons l’entrée au HCSF de deux parlementaires, prévue à l’article 1er, dans le respect de la parité entre les hommes et les femmes, comme un moyen de mieux suivre les travaux de cette institution. Il serait judicieux que ces nominations respectent l’équilibre des forces politiques, afin que le pluralisme s’exerce convenablement. Nous avions soutenu cet article en commission et le ferons à nouveau en séance.
    Mais là n’est pas le plus important. Je voudrais en effet revenir sur l’article 2. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires était opposé à sa rédaction initiale, pour plusieurs raisons.
    D’abord, la possibilité pour les établissements bancaires de déroger systématiquement aux règles du Haut Conseil aurait supprimé tout caractère contraignant et toute crédibilité à l’institution. Son efficacité même aurait été remise en question.
    Ensuite, cette libéralisation des règles macroprudentielles aurait été pérenne, alors que la crise actuelle est, espérons-le, conjoncturelle. Une telle disposition menacerait la stabilité financière si la croissance repartait à la hausse. Par ailleurs, la flexibilité offerte par le droit en vigueur n’est pas pleinement utilisée par les établissements bancaires. Des marges de manœuvre sont donc possibles sans modification du droit.
    Enfin, le HCSF ne doit pas devenir un bouc émissaire. Il importe de rappeler que la frilosité des banques explique également la restriction de l’accès au crédit.
    Dès lors, nous saluons la réécriture de l’article 2, qui précise le mandat du HCSF, ce qui améliorera, nous l’espérons, sa réactivité à la conjoncture.
    Soulignons au passage le rôle essentiel que joue le secteur du BTP dans l’activité économique. Par son coefficient multiplicateur, son effet de levier, il constitue une force d’entraînement de premier ordre, sans compter son irremplaçable fonction sociale de mise à disposition de logements et de locaux. Nous regrettons par conséquent que le secteur du BTP soit considéré comme une variable d’ajustement des finances publiques et soumis à de trop fortes contraintes budgétaires.
    Pour résumer, la réécriture du texte a conservé l’article 1er, que nous soutenions, et a levé nos réserves sur l’article 2. Notre groupe votera donc pour la proposition de loi.

    M. le président

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    La parole est à Mme Christine Arrighi.

    Mme Christine Arrighi

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    La proposition de loi de notre collègue Lionel Causse vise à résoudre les problèmes que soulève le pouvoir discrétionnaire dont bénéficie le Haut Conseil de stabilité financière, ce pouvoir ayant pour effet de soustraire au débat public les évolutions qu’il décide, alors même que l’accès au crédit immobilier intéresse plusieurs millions de nos concitoyens.
    Malgré la technicité des travaux du HCSF, je suis convaincue de l’importance, pour la représentation nationale, de débattre du fonctionnement et des missions de cette autorité, dont les récentes décisions en matière de fixation des conditions d’octroi de crédit ont fait l’objet de commentaires pour le moins contrastés.
    Je rappelle que le CERS, chargé de la surveillance macroprudentielle au niveau européen, précise que l’autorité macroprudentielle doit bénéficier d’une indépendance opérationnelle vis-à-vis des organes politiques et de l’industrie financière. Cette préconisation n’est pas tout à fait respectée, puisque le ministre de l’économie et des finances, qui est une autorité politique, est membre de droit du HCSF, qu’il préside d’ailleurs.
    Si cette présence d’une autorité politique n’a pas entravé jusqu’à présent l’indépendance du HCSF – la voix de Bruno Le Maire n’est peut-être pas suffisante pour lui permettre d’imposer ses vues –, l’instance saura bien évidemment composer avec la présence de parlementaires. Celle-ci garantira à la fois sa nécessaire indépendance et le besoin de transparence vis-à-vis des Français, ainsi représentés par leurs élus.
    L’extension de la composition du HCSF aux parlementaires traduit une volonté légitime de réinscrire ses décisions dans le débat public et de diminuer la nature discrétionnaire de ses pouvoirs. Lors de l’examen du texte en commission, nous avons soutenu cette mesure et proposé des amendements allant dans le même sens. Aujourd’hui, nous vous proposerons un amendement visant à assurer une représentation au sein du HCSF équilibrée en genre et en nombre entre les deux chambres du Parlement.
    L’article 2 concerne l’assouplissement des conditions d’accès aux prêts immobilier. C’est, en quelque sorte, le cœur du réacteur.
    Il est évident que notre pays fait face à une crise du logement. Les taux d’intérêt sont passés de 1 % en 2021 – niveau historiquement bas – à 4 % aujourd’hui. Cette situation appelle de notre part des réponses adaptées et durables. La solution qui consiste à permettre de passer outre les limites du taux d’effort et de la durée d’emprunt actuellement en vigueur – respectivement 35 % et vingt-cinq ans – n’est pas la bonne. Elle nous expose en effet à des situations de vulnérabilité. Plusieurs orateurs ont évoqué le risque d’une crise financière, dont les conséquences sont bien connues, mais l’auteur de la proposition de loi semble les avoir oubliées – je pense à tous les drames humains qui y sont associés.
    Je rappelle aussi que les banques ont déjà la possibilité de déroger à ces limites, à hauteur de 20 % de leurs dossiers tous les trois mois. Or elles font très peu usage de cette faculté. Dès lors, pourquoi l’étendre ?
    Nous devons plutôt agir sur les coûts d’approvisionnement des matériaux de construction afin de réduire les coûts d’accès à la propriété – les élections européennes sont là pour nous le rappeler. Nous devons également favoriser la construction de logements. À cet égard, l’épargne populaire des Français, par exemple celle du livret A, doit être davantage mobilisée et consacrée prioritairement à cet objet, non au financement de l’industrie de la défense ou du nucléaire – vous soutiendrez, j’en suis sûre, ma proposition de loi en ce sens. La solution ne peut être de favoriser le surendettement, ce qui induirait en outre un risque inflationniste.
    En conclusion, il aurait été vraiment souhaitable qu’un travail parlementaire plus substantiel soit réalisé sur l’accès au logement, sur les parcours résidentiels, sur les emprunts contractés par les ménages et sur le rôle de la surveillance macroprudentielle des banques en matière de crédit immobilier. Nous aurions pu notamment disposer d’une étude d’impact de la mesure proposée sur le système financier. Or, une fois encore, le Gouvernement avance masqué, au mépris de la démocratie parlementaire. Plutôt qu’un projet de loi qui aurait pu être l’occasion d’un débat démocratique au sein de notre assemblée, vous soumettez une proposition de loi qui nous empêche de débattre et, surtout, de nous prononcer réellement sur cette question. (M. Romain Daubié s’exclame.)
    En l’état, le groupe Écologiste-NUPES votera donc contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Nadia Hai.

    Mme Nadia Hai

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    Les émissions de crédits ont chuté de 40 % entre décembre 2022 et novembre 2023. Cette baisse de la production de crédits continue d’alimenter la crise immobilière que nous traversons. Cela se traduit par des difficultés pour acheter une résidence principale mais aussi pour réaliser des investissements locatifs. Si le niveau d’investissements est moins élevé, les logements à la location seront moins nombreux et le marché de l’immobilier continuera à se tendre. Par ailleurs, ma collègue Marie-Christine Dalloz est revenue sur les conséquences économiques d’une telle situation, notamment pour le secteur du bâtiment.
    Cette baisse de la production de crédits se justifie, d’un côté, par la hausse des taux d’intérêt – passés de 1 % en 2021, niveau historiquement bas, à 4 % cette année – et, de l’autre, par les critères d’octroi de crédit fixés par le HCSF. Il est prévu que 20 % des nouveaux dossiers de prêt peuvent déroger aux normes. Monsieur le président Coquerel, vous nous dites que, malgré cette souplesse, les banques n’ont pas recours à la dérogation et qu’il n’est donc pas nécessaire de légiférer davantage. Pardonnez-moi, mais vous faites fausse route : si les banques n’utilisent pas entièrement leur capacité de dérogation, c’est en raison du risque qu’elles courent en cas de dépassement de ce contingent de 20 % et des sanctions auxquelles elles s’exposent.
    J’ajoute que les conditions de recours à ces dérogations sont strictement encadrées, par des conditions contraignantes, ce qui explique aussi le faible recours. Nous l’avons dit en commission et je le répète devant vous : nous devons redonner aux banques plus de flexibilité dans l’octroi de crédit, pour permettre aux Français de se loger.
    Soyez assurés que les banques étudient le risque lié au crédit selon les règles prudentielles des autorités de contrôle auxquelles elles sont assujetties. Elles ne jouent pas avec l’endettement des ménages, ni avec leurs engagements. Elles n’ont aucun intérêt à ce que leurs clients se trouvent en situation de surendettement. Pour qu’il n’y ait aucune équivoque, je précise qu’on ne peut pas lutter contre la crise immobilière si on ne lève pas les freins à l’accès à la propriété, notamment de biens locatifs ; cela favorisera tant les transactions immobilières que le logement des locataires du privé. Ce texte apporte une brique supplémentaire à l’édifice.
    La proposition de loi prévoit en outre de modifier la composition du HCSF en y intégrant un député et un sénateur.
    Initialement, cette instance, née de la crise économique et financière de 2008, devait regrouper l’ensemble des superviseurs financiers. Parce qu’il y a des interconnexions entre la stabilité financière et la politique économique, la présence du ministre de l’économie est justifiée. C’est un gouvernement socialiste qui a décidé, en 2013, de créer le HCSF. La majorité alors aux responsabilités avait considéré que la présence du ministre de l’économie au sein de cette instance était utile. Bruno Le Maire y siège donc aujourd’hui, comme tous ses prédécesseurs. D’ailleurs, je le rappelle, le ministre de l’économie ne fixe ni l’ordre du jour ni les propositions du HCSF. J’ajoute – s’il était encore besoin de justifier la raison d’être de cette autorité – que c’est en raison des crises financières qu’il est apparu nécessaire de créer une entité de surveillance macroprudentielle.
    Donc, non, mesdames et messieurs du Rassemblement national, le HCSF n’est pas un « machin » socialiste qui se serait autoattribué des pouvoirs ; c’est une institution qui régule notamment l’octroi de prêts. Ses missions et sa composition sont claires, et nous proposons de les faire évoluer. Nous savons pertinemment que le Rassemblement national – dont aucun député n’est présent dans l’hémicycle au moment où je m’exprime – a un problème avec le partage de la décision et avec la déconcentration du pouvoir. Ne lui en déplaise, tant que nous serons aux responsabilités, le HCSF perdurera ! (Mme Claire Guichard acquiesce.)
    Nous pensons qu’il est de bon aloi d’intégrer des parlementaires au sein d’un organe qui prend des décisions ayant une incidence réelle sur la vie des Français. Nous devons cependant prêter une attention particulière à la préservation des équilibres. C’est pourquoi cette proposition de loi prévoit que le HCSF passe de huit à dix membres, ce qui nous semble préserver l’esprit initial de sa composition – au-delà, nous créerions un déséquilibre manifeste.
    Nous comprenons que cette solution ne soit pas pleinement satisfaisante aux yeux de nos collègues de la NUPES. C’est pourquoi le groupe Renaissance a déposé un amendement qui vise à assurer une représentation pluraliste : les parlementaires désignés ne seront issus ni à 100 % de la majorité, ni à 100 % de l’opposition. Il s’agit d’un enjeu démocratique et de transparence. Cela ne remettra pas fondamentalement en question l’équilibre dans la composition du HCSF.
    Il paraît essentiel de remédier à la crise du logement en facilitant l’accès aux crédits. C’est pourquoi le groupe Renaissance votera pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. le rapporteur applaudit également.)

    M. le président

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    La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.

    Mme Emmanuelle Ménard

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    Le Haut Conseil de stabilité financière a été créé en 2013 pour assurer la surveillance macroprudentielle du système financier. Derrière ce vocabulaire un tantinet abscons, il lui revient notamment – ce qui est tout de suite plus aisé à comprendre – de fixer les conditions d’octroi des crédits afin de limiter le surendettement des ménages.
    Les règles retenues par le HCSF sont assez simples : le taux d’endettement individuel ne doit pas dépasser 35 % des revenus des ménages emprunteurs – c’est le fameux taux d’effort – et la durée de l’emprunt ne doit pas excéder vingt-cinq ans, les banques ayant néanmoins la possibilité de déroger à ces deux règles, sous certaines conditions, pour 20 % des prêts immobiliers accordés.
    La hausse des taux d’intérêt, celle de l’apport personnel moyen et le maintien des prix de l’immobilier à un niveau élevé n’aident pas à réduire l’ampleur de la crise du logement qui sévit en France. Si l’on ajoute à ces trois facteurs que la production de crédits immobiliers a été presque divisée par deux entre 2021 et 2023 – seuls 780 000 crédits immobiliers ont été accordés l’an dernier –, le moins que l’on puisse dire est que le marché du crédit immobilier n’est pas au beau fixe. Or, nous le savons bien, la crise immobilière est liée en grande partie aux difficultés d’accès à l’emprunt.
    Quel était l’objectif de cette proposition de loi ? Je passe rapidement sur son article 1er, qui vise à modifier la composition du HCSF en y adjoignant deux parlementaires. Cela permettra au Parlement d’exercer un droit de regard sur les décisions qui y sont prises. Pourquoi pas, à condition que l’instance dirigeante du HCSF ne se transforme pas en tribune politique ! Dans ce cas, la prise de décision serait plus complexe encore, alors que nous avons besoin, avant tout, d’efficacité.
    Avant son examen en commission, l’article 2 posait davantage de problèmes, puisqu’il offrait la possibilité aux établissements bancaires de déroger systématiquement aux deux règles – les 35 % et les vingt-cinq ans – fixées par le Haut Conseil en matière d’octroi de crédit. Il s’agit pourtant de deux critères de bon sens qui tendent à éviter, je l’ai dit, le surendettement des ménages. Cependant, ils ne sont pas suffisants à eux seuls, car ils font fi des facteurs humains.
    C’est là que la possibilité de dérogation, dans 20 % des cas, par les établissements bancaires entre en jeu. Qui, mieux que le banquier qui examine un dossier – lorsqu’il le fait consciencieusement, bien entendu –, est à même de juger du sérieux d’un ménage emprunteur ? Les critères sont simples : il s’agit, entre autres, du train de vie, de l’argent mis de côté ou non au fil des ans, des éventuels découverts bancaires du ménage, bref tout ce que les banques nomment le sérieux de l’emprunteur. Ce sont les agences locales – encore une fois un facteur humain – qui permettent d’évaluer ce sérieux.
    En réalité, la flexibilité prévue – 20 % des dossiers peuvent déroger aux critères du HCSF – n’est utilisée qu’en partie, à hauteur de 15 % selon le gouverneur de la Banque de France, M. François Villeroy de Galhau. Or quel rapport y a-t-il entre un ménage qui gagne 3 000 ou 4 000 euros par mois et s’endette à hauteur de 35 % de ses revenus et un autre qui gagne plus de 10 000 euros mensuels et doit lui aussi respecter la règle des 35 % ? Le reste à vivre des deux foyers n’est évidemment pas le même.
    Ce constat effectué, pourquoi aurions-nous besoin de revenir sur des critères fixes alors qu’il n’est pas pleinement fait usage des possibilités d’y déroger ? La balle est donc bel et bien dans le camp des banquiers. Plus exactement, il serait souhaitable de prévoir un assouplissement de la marge de flexibilité accordée aux banques, dont les critères d’utilisation ne semblent pas toujours très simples à gérer.
    Plus globalement, il nous faudrait répondre à une question que nous n’abordons pas ce soir : quelle France voulons-nous construire ? Une France de propriétaires, qui offrirait un peu de sérénité et de sécurité aux Français – sans compter la possibilité de transmettre leur patrimoine ? Ou une France de locataires, dont la précarité s’accentue, malheureusement, notamment au moment de leur retraite, lorsque leurs revenus diminuent drastiquement tandis que la part du loyer dans leurs dépenses grimpe en flèche ? Selon l’Insee, la proportion de locataires en France progresse et s’établit à un taux largement supérieur à la moyenne des pays de l’Union européenne. Il est donc temps de réagir, pour nos enfants, mais aussi pour la sécurité de nos parents.

    M. le président

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    La discussion générale est close.

    La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    4. Ordre du jour de la prochaine séance

    M. le président

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    Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
    Suite de la discussion de la proposition de loi visant à compléter les dispositions applicables au Haut Conseil de stabilité financière.
    La séance est levée.

    (La séance est levée à vingt heures.)

    Le directeur des comptes rendus
    Serge Ezdra