XVIe législature
Session ordinaire de 2022-2023

Séance du jeudi 02 mars 2023

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Naïma Moutchou, M. Laurent Marcangeli et plusieurs de leurs collègues visant à mieux lutter contre la récidive (nos 740 deuxième rectification, 863).
La parole est à Mme Naïma Moutchou, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Le texte que je vous présente ce matin a nourri beaucoup de fantasmes et d’inexactitudes. Il a été assez largement caricaturé. Je vais donc m’employer à rétablir quelques vérités, parce que le sujet est sérieux, en commençant par rappeler le contexte dans lequel cette proposition de loi s’inscrit et ce qu’elle contient réellement.
Le contexte, pour ceux qui veulent bien ne pas se mettre d’œillères, est celui d’une multiplication des agressions contre celles et ceux qui incarnent, défendent et font la République : nos policiers, gendarmes, militaires, pompiers, agents de l’administration pénitentiaire, soignants, enseignants, personnels des établissements scolaires, mais aussi, ne les oublions pas, nos agents des caisses d’allocations familiales (CAF) ou de Pôle emploi, nos chauffeurs de bus, conducteurs de train et gardiens d’immeuble.
Ces serviteurs de la collectivité sont toujours plus exposés, et ils le sont physiquement. Nous ne l’acceptons pas.
(Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.) Nous n’acceptons pas la remise en cause de ceux qui incarnent l’autorité. Ils ne sont pas victimes de simples violences, il nous faut le réaffirmer sans démagogie, mais avec force et détermination. Je veux donc redire à tous nos agents publics, au nom de mon groupe et de la représentation nationale, notre soutien dans l’exercice de leurs missions et notre reconnaissance de leur engagement quotidien. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – M. Roger Chudeau applaudit également.)
Le contexte est aussi celui d’une hausse constante de la récidive en dépit des efforts déployés, comme le disent les chiffres et comme le confirme le terrain.
Quels sont les chiffres ? Je n’invente rien, puisqu’ils émanent de « Références statistiques justice », une publication du ministère. La part des récidivistes parmi les condamnés est passée de 11,3 % en 2011 à 15,5 % en 2021. Pour ceux qui voudraient nous expliquer que ce ne sont pas les bons chiffres parce qu’il faudrait prendre en compte une diminution du nombre de réitérants qui aurait entraîné la hausse constatée du nombre de récidivistes,…
Eh bien oui ! …je rappelle d’autres chiffres, toujours de la même source officielle : le cumul des réitérants et des récidivistes augmente aussi entre 2017 et 2021, passant de 40,4 % à 41,8 %. Le taux ne baisse ni ne stagne, il augmente. De l’aveu même des acteurs concernés, la récidive demeure un sujet d’actualité. Les magistrats que j’ai auditionnés, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) qui sont au contact des détenus, les syndicats de police et les avocats, tous s’accordent à dire qu’il est urgent d’agir.
Il y a eu des réformes plus ou moins utiles et opportunes, telles que les fameuses peines planchers créées en 2007 et abrogées en 2014, ou les réformes conduites depuis 2017 pour mettre l’accent sur les alternatives à la détention et les aménagements de peine. Force est de constater que ces réformes n’ont pas été décisives et qu’il faut les compléter. C’est un enjeu de justice et de sécurité pour nos concitoyens – qui le réclament, d’ailleurs. C’est pourquoi nous vous proposons aujourd’hui d’agir autour de deux axes principaux : dissuader et prévenir.
Il faut dissuader par une sanction pénale plus vigoureuse. C’est l’objet de l’article 1er, qui prévoit une peine minimale ciblée et mesurée. Précisons que ce dispositif ne concerne que la récidive légale et non pas les primo-délinquants. Il vise les auteurs de violences volontaires aggravées contre une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public. La peine minimale encourue est d’un an d’emprisonnement et le juge peut y déroger.
Il faut prévenir par le biais de l’accompagnement et de la probation, ce qui est l’objet des articles 3 et 4. Ceux-ci visent, d’une part, à expérimenter des permanences de Spip au sein des tribunaux judiciaires, et, d’autre part, à systématiser l’accompagnement des condamnés en libération sous contrainte par des programmes personnalisés.
Parallèlement à ces deux volets de dissuasion et de prévention, le texte propose de renforcer l’information des maires pour qu’ils aient connaissance des suites judiciaires données aux infractions commises sur le territoire communal. Cette information existe déjà, mais nous souhaitons l’automatiser.
Enfin, parce que la lutte contre la récidive s’inscrit dans le temps long et qu’elle suppose une approche pluridisciplinaire, l’article 5 prévoit l’organisation d’une conférence de consensus. Elle permettra, à l’image de celle tenue il y a dix ans, en 2012-2013, de dresser un état des lieux actualisé des connaissances et de faire émerger de nouvelles solutions.
Tous les articles que je vous ai présentés procèdent d’une approche globale et pondérée, jouant sur différents leviers. Ils n’ont pas été adoptés par la commission. Aucun. Pas plus ceux qui jouent sur la dissuasion que ceux qui agissent sur la réinsertion, comme s’il ne fallait rien faire, comme s’il fallait régler des comptes.
On peut s’opposer coûte que coûte aux peines minimales – pourquoi pas ? Mais rejeter tous les articles d’un même texte alors qu’aucun argument ne résiste à l’analyse, c’est très étonnant. Je suis – avec d’autres – très étonnée de ce qui s’est passé en commission. Il n’y a rien de grave, mais je suis très étonnée.
Comment s’opposer à l’article 2, celui qui renforce l’information des élus locaux ? Il reprend une mesure que notre assemblée a déjà adoptée en 2021, sur proposition du groupe Dem, dont l’intérêt avait été souligné par une mission d’information conduite par Philippe Gosselin et moi-même, et votée à l’unanimité de la commission des lois.
Comment s’opposer à l’article 4, qui place l’accompagnement personnalisé des condamnés au cœur de la probation et de la réinsertion, qui renforce le rôle des Spip et de l’administration pénitentiaire ?
Comment s’opposer à l’article 3, dont le format expérimental rend inopérantes les critiques, qui est une proposition émanant directement des états généraux de la justice mis en place par le ministre après de longs mois d’échanges et de concertation, et alors qu’une mission d’information du Sénat l’a reprise à son compte il y a quinze jours ?
Venons-en à l’article 1er, à propos duquel beaucoup se sont amusés à dire ce qu’il n’est pas ou ce qu’il ne fait pas. Ce serait le retour des illustres peines planchers Dati-Sarkozy de 2007 ? Allons donc, et comparons ce qui n’est pas comparable !
En 2007, les peines planchers allaient jusqu’à quinze ans d’emprisonnement et concernaient tous les délits et crimes punis de plus de trois ans d’emprisonnement, c’est-à-dire plusieurs milliers d’infractions. Il s’agissait d’une révolution du code pénal et même du droit pénal. Comparons cette politique globale de lutte contre la récidive à l’article 1er, plus modeste, qui vous est soumis : il prévoit une peine minimale d’un an concernant un seul type d’infraction, les violences aggravées contre les agents publics. Ni la philosophie ni le périmètre ne se ressemblent. Je vais mettre fin aux fantasmes de ceux qui voulaient en découdre : ce n’est pas le retour des peines planchers de 2007 ; je serai d’ailleurs défavorable aux amendements qui proposent d’y revenir.
(Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Quel problème y a-t-il à vouloir sanctionner plus durement et de manière ciblée l’obstination dans le parcours délinquant de ceux qui s’en prennent à l’autorité ? Serait-ce faire preuve d’humanisme que de s’opposer à une telle mesure ? Je crois que c’est inadapté et déplacé. Les victimes ne sont pas les auteurs, encore moins les auteurs récidivistes. Pardon pour le pléonasme, mais les victimes sont les victimes. J’espère que nous évoquerons le sort des victimes plutôt que l’atténuation de responsabilité des auteurs.
Quel autre problème ? Le dispositif de l’article 1er serait d’inspiration sarkozyste… le péché originel ! C’est absurde, tout cela relève d’un blocage idéologique. Il y a des remèdes.
L’inefficacité des peines planchers ? Celles de 2007 ont été globalement inefficaces, bien qu’à y regarder de plus près, leur bilan en matière de délits soit plus mitigé que ce que l’on veut bien dire. Mais surtout, répétons-le, l’article 1er ne réhabilite pas les peines planchers de 2007 et cela n’a aucun sens scientifique de lui appliquer la même analyse. Ajoutons que l’abrogation des peines planchers en 2014 n’a pas fait baisser la récidive, au contraire.
Eh oui ! L’atteinte à l’individualisation des peines ? La critique n’est pas opérante. Le juge pourra déroger au minimum, comme le confirme l’abondante jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a validé les peines minimales en 2007, 2011 et 2018. Il est assez cocasse de voir une telle levée de boucliers alors qu’il existe des peines plafonds et même, depuis 1994, des peines planchers sans dérogation du juge en matière criminelle. Cela ne choque personne alors que l’on pourrait y voir une atteinte au pouvoir d’appréciation du juge. De nos jours, les gens ne sont plus choqués par grand-chose ! Les peines complémentaires obligatoires, qui s’imposent au juge comme le ferait une peine plancher, ne sont pas rares dans notre droit. Certains diront que ce ne sont que de petites peines, complémentaires à la peine principale, mais elles n’en sont pas moins automatiques. Du reste, il n’y a pas de petites peines. Citons quelques peines complémentaires : le retrait du permis de conduire, la privation des droits civiques, l’interdiction de gérer une entreprise, le retrait de l’autorité parentale – une mesure adoptée par l’Assemblée nationale sur proposition de Mme Isabelle Santiago –, la peine de dix ans d’inéligibilité en cas de violences aggravées, proposée par nos collègues Bergé et Houlié. Quel amateurisme ! (Sourires.) Je ne suis pas sûre que nous puissions les qualifier de petites peines pour les auteurs concernés.
Comment comprendre ceux qui s’opposent ici à l’article 1er, mais proposent « une peine plancher en cas de récidive » dans le cadre du texte Bergé-Houlié ? L’amendement en question n’émane pas de la droite de l’hémicycle, mais, tenez-vous bien, de deux de nos collègues du groupe GDR, dont la porte-parole va pourtant nous dire à la tribune que les peines minimales pour les récidivistes ne sont pas souhaitables.
J’en conclus que les mêmes voteront avec enthousiasme l’article 1er et, à la lumière de ces éléments et de ceux que je développerai plus tard, je gage que cette proposition trouvera un large soutien pour ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire un texte très différent de l’interprétation qu’en donnent certains.
Pour conclure, je veux remercier mes collègues de groupe et mon président pour leur confiance et leur soutien. Je remercie Mme Philippine Ray, notre collaboratrice de groupe, mon équipe et M. Julien Barel, l’administrateur de la commission des lois, pour la qualité des travaux que nous avons conduits.
(Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.) La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. Nous attendons sa réponse avec impatience ! Il faut écouter, monsieur Cordier ! J’ai entendu votre impatience. Ma réponse arrive. Elle ne sera faite ni de règlements de comptes ni de fantasmes, mais d’arguments dont je souhaite que nous puissions débattre.
Permettez-moi, une fois n’est pas coutume, de commencer par une citation : « Conforter le pacte républicain requiert, eu égard à l’importance des missions incarnées par les dépositaires de l’autorité publique, que vous apportiez, mesdames et messieurs les procureurs, des réponses rapides, fermes et visibles contre toutes les atteintes dont les dépositaires de l’autorité publique sont victimes. »
Voilà la directive très ferme et claire que j’ai adressée le 20 septembre dernier à tous les procureurs de France, par le biais de ma circulaire de politique pénale générale, pour leur demander de poursuivre et de punir tous ceux qui osent s’en prendre aux agents publics et aux forces de sécurité intérieure (FSI).
La politique pénale que je mène au nom du Président de la République, de la Première ministre et de cette majorité est une politique pénale ferme, mais dépourvue de démagogie – en un mot, une politique pénale qui vise à répondre aux problèmes plutôt qu’à s’en nourrir. Laisser penser que nous mènerions une politique pénale laxiste, c’est porter une atteinte manifeste à la réalité des faits et remettre en cause l’action courageuse du Président de la République et de ses premiers ministres successifs, ainsi que la détermination affichée par la majorité présidentielle dans toutes ses composantes depuis 2017.
J’en veux pour preuve le fait que la surpopulation carcérale bat tristement des records. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons lancé un grand plan immobilier pénitentiaire, qui prévoit la construction de 15 000 places de prison, dans des établissements qui, pour moitié, seront sortis de terre l’année prochaine. Là encore, nous sommes confrontés au double discours que tiennent ceux qui siègent à la droite extrême de cet hémicycle : alors que certains, sur les plateaux de télévision, demandent des peines planchers et en appellent à une justice expéditive, ils refusent la construction de nouvelles prisons dans leur circonscription. Donnez donc un seul exemple de terrain que vos élus auraient proposé !
Il faut choisir les bons, pas des terres agricoles cultivables ! Les conseillers ne sont jamais les payeurs – pire, ils sont presque toujours les empêcheurs. Il faut savoir les construire, ces établissements ! En matière budgétaire, les mêmes – toujours les mêmes –, dans une abstention coupable, refusent d’ailleurs d’allouer à la justice les moyens dont elle a tant besoin. Très juste ! Vous l’aurez compris : une lutte sincère contre la récidive nécessite d’abord que ceux qui prétendent lutter contre elle ne cherchent pas, in fine , à s’en repaître.
La majorité présidentielle, depuis 2017, et le garde des sceaux que je suis, depuis 2020, menons une politique de répression de la délinquance et de lutte contre la récidive qui nous conduit à mettre de côté toutes les idéologies et tous les dogmatismes pour ne nous en tenir, dans les faits, qu’à une unique considération : notre action fonctionne-t-elle ? Notre approche est ici la même : les peines planchers que vous souhaitez partiellement rétablir dans l’article 1er, supprimé par la commission des lois, ont-elles été utiles pour lutter contre la récidive ? La réponse est claire, nette et sans appel : elles n’ont pas permis, ni de près ni de loin, de mieux réprimer la délinquance ou de mieux lutter contre la récidive. Je l’ai dit et je pense l’avoir démontré : je suis un pragmatique, pas un dogmatique ni un idéologue. Si les peines planchers fonctionnaient, je soutiendrais cette proposition sans l’ombre d’une hésitation.
Il se trouve néanmoins qu’en matière de peines planchers, nous disposons déjà des résultats d’une expérimentation grandeur nature menée sous le quinquennat du président Sarkozy. Le périmètre n’est certes pas le même, madame la rapporteure, mais la philosophie est exactement identique. Les peines planchers n’ont pas entraîné un recours plus important aux peines d’emprisonnement en matière délictuelle, lesquelles étaient déjà très majoritaires dans les condamnations pour des délits commis en récidive. Ainsi, en matière délictuelle, le taux de prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme pour un majeur en récidive était de 54,3 % pour la période 2001-2005, de 55,7 % pour la période 2006-2010, de 57,7 % pour la période 2011-2015 et de 69 % pour la période 2016-2020. Pardon de le dire ainsi, mais je pourrais m’arrêter là.
Je veux néanmoins aller encore plus loin, en ajoutant que l’abrogation des peines planchers n’a pas entraîné une moindre sévérité des juridictions pénales dans les quanta de peine infligés. Elle a même été suivie d’un maintien à un niveau élevé du quantum moyen ferme prononcé contre les récidivistes et d’un accroissement sensible de ce quantum pour les non-récidivistes. Ainsi, en matière délictuelle, le quantum moyen de l’emprisonnement ferme pour un majeur en récidive était de huit mois et demi alors que les peines planchers étaient en vigueur. Il est désormais, après leur abrogation, supérieur à neuf mois. La justice est donc plus sévère sans les peines planchers qu’avec !
Venons-en ensuite aux déclarations selon lesquelles la récidive aurait augmenté de huit points en trois ans – depuis mon arrivée, donc. Votre analyse, madame la rapporteure, me semble erronée : si le nombre d’affaires retenant la récidive légale a bel et bien augmenté, c’est parce que j’ai fermement demandé aux procureurs de retenir le critère de récidive à chaque fois que c’était possible. Là encore, c’est précisément parce que la politique pénale que nous menons est ferme que la récidive est de plus en plus souvent retenue par les magistrats. Ce n’est donc pas la réitération des faits délictueux qui augmente – elle est stable –, mais bien la force de la répression pénale. Je rappelle en effet que le code pénal est bien fait : les peines encourues en cas de récidive sont multipliées par deux – par deux ! D’ailleurs, s’agissant des délits visés par la proposition de loi, la sévérité est encore plus accentuée, puisque le taux d’emprisonnement, en récidive, a atteint 93 % en 2021. Ainsi, les délits passibles de cinq ans d’emprisonnement ou moins sont déjà punis d’une peine moyenne d’emprisonnement de 14,2 mois, soit nettement plus que la peine plancher prévue dans la proposition de loi soumise à notre examen.
Ce point étant éclairci, et dès lors que nous nous accordons tous à reconnaître que les magistrats retiennent avec beaucoup plus de force qu’auparavant la récidive légale, sous l’effet de la politique pénale actuellement conduite, je me propose de m’arrêter un instant sur toutes les mesures que nous avons prises pour mieux réprimer les atteintes aux forces de sécurité intérieure et aux agents publics.
Je rappelle qu’en matière de protection des personnes dépositaires de l’autorité publique, nous avons supprimé, par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire que j’ai défendue en 2021, les remises de peines automatiques pour les agresseurs de personnes chargées d’une mission de service public. Dans la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure que j’ai présentée avec mon collègue Gérald Darmanin, nous avons créé des incriminations spécifiques afin d’aggraver la répression des actes de violence commis à l’encontre de ceux qui assurent notre sécurité dans l’espace public. Il n’était plus tolérable que leur engagement les érige en cible. Enfin, dans la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République défendue, là encore, par Gérald Darmanin et moi-même, nous avons créé deux nouveaux délits protecteurs des forces de l’ordre et des personnes chargées d’une mission de service public, à savoir le délit de menaces séparatistes et celui de mise en danger par la diffusion d’informations personnelles.
Dans la dépêche du 4 novembre 2020, j’ai clairement demandé aux procureurs d’apporter une réponse pénale ferme à toutes les atteintes aux personnes chargées d’une mission de service public. Pour que personne n’ait de doute, je vous livre ici les termes en lesquels je me suis adressé aux procureurs de la République : « Toutes les autres professions dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public – élus, membres du personnel de l’administration pénitentiaire, sapeurs-pompiers, membres du corps enseignant, agents des transports publics… – sont aujourd’hui durement exposées. Il importe que la réponse apportée par vos parquets soit à la hauteur de la gravité des faits et des atteintes portées à l’autorité de l’État. »
Ces mesures de protection, auxquelles s’ajoutent des mesures financières de revalorisation historiques, témoignent du fait que personne ne doute, ni dans ce gouvernement, ni dans cette majorité – ni, je l’espère, dans cet hémicycle – du rôle indispensable, crucial et essentiel que tiennent dans notre République les agents publics et les forces de sécurité intérieure. S’en prendre à eux, c’est s’en prendre à la République tout entière.
Je me félicite donc que la commission des lois ait rejeté l’article 1er instaurant les peines planchers, qui ne sont ni efficaces pour lutter contre la délinquance, ni utiles pour faire baisser la récidive.
Je ne peux qu’insister, enfin, sur le fait que le principe d’individualisation des peines, consacré depuis 1789 par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, doit rester un principe cardinal de notre procédure pénale. Il permet au juge de prononcer une peine juste et adaptée, porteuse de sens pour la personne à laquelle elle est infligée. Notre État de droit est fondé sur la confiscation du droit à la vengeance et sur l’impérative confiance due au juge pour apprécier cette juste peine, dont je rappelle qu’elle est toujours susceptible de recours. S’inscrire dans une position de défiance générale à l’égard de nos magistrats, comme le font ceux qui défendent le mécanisme des peines planchers, revient, en quelque sorte, à miner l’État de droit et à altérer inévitablement la confiance du citoyen dans l’institution judiciaire, en laissant croire que la justice n’est pas au rendez-vous.
S’agissant de l’article 2, je partage la volonté de mieux informer les élus des décisions de justice concernant leurs communes. Depuis mon arrivée à la Chancellerie, j’ai fait de la lutte contre les atteintes aux élus et du renforcement du dialogue institutionnel entre les parquets et ces derniers des priorités absolues, comme en témoignent notamment les circulaires du 6 novembre 2019 et du 7 septembre 2020. Grâce à l’action de mon ministère, presque tous les tribunaux judiciaires avaient désigné, à la fin de l’année 2021, un ou des magistrats chargés d’être les interlocuteurs des élus locaux. Plus de 100 tribunaux ont désigné un magistrat référent sur les problèmes touchant ces élus et ont créé une boîte mail structurelle, une ligne dédiée, ou tout autre circuit rapide consacré aux relations avec les élus locaux.
Un numéro vert ? Il ne s’agit pas d’un numéro vert, mais de la possibilité pour un élu de joindre directement le procureur de la République et d’avoir avec lui une relation constructive, pour répondre aux questions qui se posent en permanence.
En l’état actuel du droit, si le maire est systématiquement informé par le procureur de la République, il l’est seulement à sa demande. Cet équilibre doit, à ce stade, être maintenu.
En effet, la condition de demande préalable par l’élu lui permet de relayer auprès du procureur de la République son appréhension des infractions troublant l’ordre public sur le territoire de sa commune. Or, comme vous le savez, la notion de trouble à l’ordre public varie grandement selon les caractéristiques propres à chaque commune. Vous comprendrez aisément qu’il est impossible de créer une obligation verticale et universelle de transmission pour toutes les communes de France, le nombre de procédures à Paris étant infiniment plus élevé qu’à Digne par exemple.
Dans le premier cas, la transmission pour un parquet qui ne compte qu’une commune dans son ressort se résumera à une information statistique, comme dans la plupart des agglomérations des grandes villes de France. Dans le second cas, cette transmission se heurtera à une impossibilité concrète, le parquet de Digne étant limité dans ses capacités, puisqu’il compte trois magistrats mais 198 communes dans son ressort. C’est ce qu’ont rappelé les procureurs de la République entendus par Mme la rapporteure. Ce n’est pas au moment où les états généraux de la justice vont permettre d’alléger le travail de nos magistrats et de nos greffiers qu’il faut, si j’ose dire, emboliser les parquets.
Ces dispositions générales et uniformes semblent impossibles à mettre en œuvre et manquent complètement leur cible : elles ne permettront pas au maire d’être effectivement informé des suites des affaires les plus significatives qui se sont déroulées dans sa commune.
Pour atteindre toutefois l’objectif que vous vous êtes fixé, madame la rapporteure – et que, bien sûr, je partage –, le ministère développe le logiciel InfoParquet afin de pouvoir mieux informer les élus, d’un simple clic, d’ici à la fin de l’année.
Enfin, je vous annonce que, pour renforcer encore la relation entre élus et justice, je vous proposerai, dans la prochaine loi de programmation, de donner davantage de poids aux conseils de juridiction qui associent toutes les parties prenantes locales – dont, bien sûr, les élus –, en y ajoutant notamment les parlementaires du ressort.
S’agissant de l’article 3, après avoir longuement échangé avec les professionnels de l’insertion et de la probation, j’émets plusieurs réserves.
D’abord, je m’interroge au sujet de la pertinence de l’organisation des permanences au vu de l’allongement de la durée des audiences pénales et de l’alourdissement de la charge de travail du greffe judiciaire que cela induirait, notamment la multiplication de l’édition des pièces judiciaires par le greffe.
Ensuite, sur un plan pratique, la transmission de l’ensemble des pièces judiciaires est impossible lorsque l’audience se poursuit, d’autant plus que le greffier doit déjà accomplir de nombreuses tâches et que le texte vise plutôt une transmission des pièces par le greffe du service de l’application des peines au Spip. Le Spip de permanence lui-même n’aurait pas le temps nécessaire pour en prendre connaissance de manière efficace.
Enfin – vous devez le savoir eu égard à la mobilisation provoquée par cet article –, le retour des CPIP, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, au sein des juridictions serait sans doute considéré par les professionnels et par les organisations syndicales comme une remise en cause profonde de la réforme des Spip de 1999. J’ai entendu à plusieurs reprises les représentants de ces derniers dans le cadre des nombreuses concertations que j’ai organisées pour élaborer le plan d’action issu des états généraux : c’est un refus franc et massif. Je salue donc bien sûr la position de la commission des lois qui, sensible à l’inquiétude des professionnels, a rejeté cet article.
S’agissant de l’article 4, il est important de préciser que l’approche collective et programmatique, dans le cadre de la prise en charge des personnes bénéficiant d’une libération sous contrainte, est privilégiée au vu de la faible durée de cette mesure et de l’accompagnement de ses bénéficiaires en matière de préparation à la sortie. En outre, c’est justement parce qu’il faut éviter les sorties sèches que ces programmes sont mis en œuvre.
Ainsi, la participation à un programme constitue une modalité intensive de suivi et doit donc être réservée aux personnes présentant un risque élevé de récidive. Certains ne sont d’ailleurs pas réceptifs à ce dispositif ou ne disposent pas des compétences sociales nécessaires pour travailler en groupe et doivent donc continuer à faire l’objet d’une prise en charge individuelle.
Enfin, l’article 5 prévoit d’organiser une conférence de consensus de lutte contre la récidive. Je précise qu’une telle conférence s’est déjà tenue en 2013 et qu’elle avait conclu précisément à la nécessité de supprimer les peines planchers, soit l’inverse de ce que propose l’article 1er de ce texte. N’ayant pas le goût de l’effort inutile, vous comprendrez que, si je suis défavorable au rétablissement des peines planchers, je le suis également à l’organisation d’une nouvelle conférence qui viendrait demander la suppression de peines planchers qui auraient été rétablies. Gagnons du temps, de grâce, ne rétablissons pas les peines planchers !
Il y a deux moyens de lutter contre la récidive. D’abord, il faut sanctionner, car la loi doit être respectée – c’est une évidence pour tout le monde. C’est ce que nous faisons avec détermination – j’ai longuement développé ce point. Ensuite, il faut tout mettre en œuvre pour que le délinquant qui a purgé sa peine retrouve le droit chemin dans notre société. C’est, là encore, ce que nous faisons en conditionnant les remises de peine à l’effort et en développant massivement le travail en prison avec la création du contrat du détenu travailleur. S’agissant des mineurs délinquants, vous avez voté le code de justice pénale des mineurs permettant d’appréhender la délinquance des plus jeunes plus rapidement et plus efficacement.
S’agissant de ces axes importants, je veux ici saluer très chaleureusement l’engagement sans faille du président Houlié, mais aussi de Caroline Abadie qui a travaillé sur la question pénitentiaire et celui d’Erwan Balanant qui est à nos côtés lorsqu’il s’agit de toujours mieux prendre en charge les mineurs.
Ma politique pénale est claire. Elle repose sur un équilibre fragile, mais que je m’efforcerai toujours de préserver : fermeté sans démagogie, humanisme sans angélisme.
(Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Pradal. Depuis 2017, le budget a augmenté de 40 %. Ce chiffre, à lui seul, traduit l’immense mobilisation des gouvernements successifs – et en particulier la vôtre, monsieur le garde des sceaux – en faveur de la justice : 15 000 places de prison, une prise en charge différenciée, adaptée au profil et aux besoins des détenus, avec notamment l’ouverture prochaine d’établissements et de structures d’accompagnement vers la sortie, 111 millions d’euros pour permettre l’accès au travail en prison et l’amélioration de la formation professionnelle des détenus et près de 3 millions pour la mise en place d’un dispositif d’évaluation socioprofessionnelle systématique à l’entrée en détention. Cela a été dit, il fallait le rappeler. C’est inédit, c’est ambitieux, c’est heureux.
Il est heureux que le Gouvernement et la majorité présidentielle se donnent les moyens d’une politique à la hauteur des enjeux – je pense à la nécessité de résorber la crise de confiance profonde de nos citoyens envers l’institution judiciaire.
Car oui, cette crise existe et nous ne saurions la négliger. Un sentiment d’inefficacité de la justice et d’impunité des délinquants s’est durablement installé dans l’opinion publique. Réel et légitime, il est à la fois à la source et la conséquence d’un manque de confiance dans l’institution judiciaire. Selon le comité des états généraux de la justice, plus de la moitié des personnes sondées disent avoir peu ou pas du tout confiance en la justice. Il ne s’agit pas de considérer que cette appréciation est systématiquement justifiée, mais elle doit être prise en considération, car la justice ne peut être rendue qu’au nom du peuple français.
Nous assumons de dire que la récidive ou la réitération jouent un rôle particulier dans la formation de cette opinion parce qu’elles cristallisent bien souvent ce malaise chez nos concitoyens. Nous assumons de dire que, malgré l’investissement massif et inédit du ministère de la justice en la matière, ce sujet ne s’épuise malheureusement pas.
Oui, nous nous devons de répondre à cette préoccupation majeure de nos concitoyens parce qu’au-delà d’un simple sentiment, elle témoigne d’une réalité. En 2019, 40 % des personnes condamnées ont récidivé ou réitéré. Le problème se pose de manière encore plus aiguë lorsque les faits de récidive sont commis à l’encontre des agents de service public qui assurent partout la présence de la République et l’effectivité des valeurs républicaines et qui, par leur déploiement et leur action, luttent au quotidien contre le délitement du lien social que peut représenter, pour les victimes, la délinquance d’habitude.
C’est donc avec la conviction profonde qu’il est de notre devoir de proposer des solutions concrètes pour lutter plus efficacement encore contre ce fléau que nous souhaitons, ce matin, poser ensemble les bases d’un projet à la fois extrêmement ferme et équilibré.
Outre les réponses budgétaires fondamentales – je l’ai rappelé –, nous soutenons profondément celle que propose aujourd’hui la rapporteure Moutchou et qui se décompose en quatre temps : sanctionner, informer, accompagner et anticiper. Car oui, cette proposition de loi repose bien sur cet équilibre global ; en négliger un aspect créerait un déséquilibre qui fragiliserait l’édifice.
Sanctionner, d’abord. Le groupe Horizons et apparentés est profondément convaincu de la nécessité de faire preuve d’une extrême fermeté à l’égard de celles et ceux qui attaquent les symboles de notre République et se rendent coupables de délits qui portent un préjudice majeur au corps social tout entier : les auteurs récidivistes de violences commises sur les personnes dépositaires de l’autorité publique, magistrats, élus, chauffeurs de transports en commun, enseignants et personnels soignants. À cet égard, il semble nécessaire d’instaurer une peine minimale pour les délits ciblant les symboles de la République, les institutions et les personnes qui consacrent leur vie professionnelle à l’intérêt général. Cela ne constituerait en rien une marque de défiance à l’égard de l’autorité judiciaire.
Non, il ne s’agit pas d’un rétablissement des peines planchers généralisées. Nous proposons ici un dispositif ciblé, proportionné et justifié par la nécessité de mettre toute notre énergie à lutter contre ce fléau : les actes de récidive visant les personnes qui exercent une mission de service public, bien trop souvent prises pour cibles. Comment peut-on accepter qu’une personne qui violenterait, pour la seconde fois, un chauffeur de bus, une infirmière, un gardien de HLM, une enseignante ou un agent de la CAF n’encoure pas une sanction à la hauteur du préjudice qu’elle cause à toute notre société ?
C’est ce ciblage qui rend la philosophie de cette peine minimale bien différente de celle qui avait guidé le dispositif applicable à partir de 2008. En instaurant une peine minimale pour les violences commises envers ceux qui sont les visages de la République, l’article 1er de cette proposition de loi vise bien à poser une différence essentielle : violenter physiquement une personne exerçant une mission de service public, c’est s’attaquer à la République tout entière.
La peine minimale vise donc à dissuader les auteurs de récidiver. Les magistrats pourront mettre en avant, lors de la première infraction, le fait qu’en cas de récidive ils seraient tenus par la loi, sauf justification, de prononcer une peine de prison ferme.
Ce texte se garde toutefois de tout sentiment simpliste qui pourrait conduire à considérer qu’une action sur l’échelle des peines serait une arme suffisante pour régler le problème complexe de la récidive. Le principe d’une peine minimale dissuasive permettra-t-il à lui seul d’endiguer ce fléau ? Non, mais c’est la première pierre à un édifice global qui repose également sur l’accompagnement, l’information et l’anticipation.
Le groupe Horizons et apparentés est en effet convaincu que cette fermeté ne saurait s’appréhender sans être assortie d’un accompagnement immédiat, appuyé et individualisé des personnes condamnées.
Un accompagnement immédiat d’abord : comme l’ont recommandé le comité des états généraux de la justice et un récent rapport sénatorial, ce texte propose, sous la forme d’une expérimentation, l’organisation de permanences de Spip dans plusieurs juridictions. Une prise en charge immédiate à la sortie de l’audience contribuera, sans nul doute, à mieux accompagner les condamnés. L’accompagnement par les Spip se révèle efficace pour éviter la récidive – ceci est reconnu – mais également pour aider à la prise de conscience, par le délinquant, des conséquences de la condamnation et de l’acte commis sur les victimes. Une intervention précoce des Spip, telle que ce texte propose de l’expérimenter, représente un atout qu’il faut jouer dans la prévention de la récidive.
L’accompagnement doit être soutenu et individualisé, car la lutte contre la récidive passe évidemment par un projet de réinsertion efficace. Ainsi, ce texte propose de rendre obligatoires les programmes de prise en charge dans le cadre des libérations sous contrainte. L’identification des programmes adaptés restera évidemment à la discrétion des Spip afin que celui proposé corresponde au profil du bénéficiaire, dans l’optique constante de prévenir la récidive ou la réitération.
Mais, comme le souligne Mme la rapporteure, pour mener avec justesse le combat contre la récidive, il faut aussi mieux en appréhender les ressorts et mieux évaluer les dispositifs mis en place. C’est l’objectif même de la conférence de consensus ici proposée, dix ans après celle initiée par Mme Taubira. Objectiver les termes de ce débat fondamental et valoriser une approche scientifique, tel sera l’intérêt incontestable de cette conférence.
En outre, je rappelle que la conférence de consensus précédente comptait deux élus locaux parmi ses membres, ce qui démontre leur importance fondamentale dans la chaîne pénale. C’est la raison pour laquelle nous croyons profondément qu’il est nécessaire de fluidifier encore davantage le dialogue entre les parquets et les maires en portant systématiquement à la connaissance des seconds les suites judiciaires données aux infractions ayant causé un trouble à l’ordre public sur leur commune. Les élus souffrent aujourd’hui d’un déficit d’information au sujet des suites des infractions signalées dans le territoire de leur commune, qu’ils soient ou non à l’origine de ce signalement. Or il faut rappeler que les maires, au plus près des habitants de leur commune, sont les plus à même d’identifier des situations à risque et d’anticiper d’éventuelles infractions, et sont de surcroît les employeurs des agents de la police municipale, souvent primo-intervenante auprès de la population. Mieux prévenir la récidive, c’est donc donner les moyens aux élus locaux de participer activement à la politique de prévention, comme l’a établi, dans son rapport du 14 avril 2021, la mission flash sur les entraves opposées à l’exercice des pouvoirs de police des élus municipaux, dont les corapporteurs étaient les députés Naïma Moutchou et Philippe Gosselin.
Ce texte présenté par le groupe Horizons et apparentés vise à affronter sans crainte un problème dont dépend le sentiment de nos concitoyens à l’égard de la justice, donc la confiance pourtant indispensable qu’ils doivent lui accorder. Loin des caricatures faciles, loin d’une vision dont la focale serait fixe, il évite les solutions simplistes et uniques face à une situation complexe qui impose d’activer plusieurs leviers.
Ça, c’est sûr… En clôture de mon propos, confirmant mon soutien à cette proposition de loi, je tiens à saluer le courage, le travail opiniâtre et la détermination de Mme la rapporteure Naïma Moutchou qui, présente depuis le début de son engagement citoyen et politique sur ces sujets, a toujours su mener avec justesse ses combats et qui propose aujourd’hui un texte ambitieux et équilibré. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.) La parole est à Mme Sandra Regol. La lutte contre la récidive est un enjeu réel pour toute la société, mais si de dissuasion nous devons discuter, alors discutons-en vraiment. Or nous en sommes encore loin à ce stade. Après l’inscription des peines planchers dans la loi par la majorité de Nicolas Sarkozy en 2007, ladite majorité n’avait pas cherché à en évaluer l’effet dissuasif, et on comprend rétrospectivement pourquoi. La littérature scientifique nous fournit pourtant des pistes, voire des réponses. Désolée de spoiler : elles ne vont vraiment pas dans votre sens ! Ainsi, l’étude de Thomas Gabor en 1987, celle de Florence de Bruyn en 1997 et celle menée par Sebastian Roché spécifiquement en France en 2007 confirment la contre-productivité de telles mesures.
De même, l’étude d’impact publié en 2013 par le ministère de la justice démontre que la loi de 2007, outre qu’elle n’a en rien résolu le problème des sorties sèches, a entraîné l’allongement de la durée moyenne des peines de prison puisque l’on est passé, de 2008 à 2011, d’environ huit mois à onze mois d’emprisonnement ferme, ce qui s’est traduit par 4 000 années de prison supplémentaires. Une justice engorgée inutilement, des prisons engorgées inutilement… On voit bien que tout cela ne sert pas à grand-chose. Surtout, ces études ont démontré que si les personnes concernées sont sensibles au risque d’être mises en prison, elles ne le sont absolument pas au risque de l’aggravation des peines. Cela ne sert strictement à rien : ce n’est pas moi qui le dis, c’est la science qui le démontre.
Ah ? Vous distinguez, madame la rapporteure, les peines planchers des peines minimales tout en plaidant pour que la justice soit efficace et forte. Ce faisant, votre proposition renvoie surtout à la logique du code pénal, mais celui de 1810, qui instaurait des peines minimales et maximales, amenuisant ainsi largement le pouvoir du juge. Or l’impératif de la justice, c’est de répondre aux besoins d’individualisation et de progressivité des peines, ce qui implique de la doter de véritables outils pour limiter la récidive et pas d’outils de communication.
Madame la rapporteure, je vous le dis : les députés du groupe Écologiste-NUPES ne seront pas de ceux qui prônent le retour au XIXe siècle !
(Exclamations sur les bancs du groupe HOR.)
Il semble que la ZAD se soit drôlement déplacée vers la droite, ces derniers temps…
Le risque, en confondant la communication et l’action, c’est de tomber dans une inaction condamnable qui nuit aux personnes que vous souhaitez protéger. Je crois en votre sincérité mais, en l’état, votre proposition sert tout juste à rappeler à votre base électorale votre positionnement à droite – c’est sûr qu’entre LR et Horizons, on peut parfois s’y perdre. Si cela peut vous rassurer, nous n’avions aucun doute sur le fait que votre logique est tout à fait à droite.
(Mêmes mouvements.) Néanmoins, rendre ainsi un hommage appuyé à l’une des dérives phares de Nicolas Sarkozy – qui a pourtant largement contribué à laminer la droite française – n’est pas la solution la plus raisonnable au vu du coût social aggravé, du coût financier largement documenté et de l’inefficacité des peines planchers, tout cela dans le contexte de l’engorgement de la justice. C’est sûr que vous voulez laisser dehors les récidivistes ! Je vois que je vous réveille toutes et tous, c’est déjà ça…
Je m’interroge sur le but de cette loi, puisque je viens de vous en démontrer l’inefficacité. Vous mettez l’accent sur l’anticipation. On sera d’accord là-dessus, mais celle-ci suppose de renforcer la police dans ses missions et la justice dans son action, ce qui demande d’investir davantage, mais dans le bon sens – l’investigation, la justice, etc. Entrer dans le système carcéral du XXIe siècle revient à remettre enfin la police au service du public et à doter largement la justice en suivant l’exemple des pays européens qui n’incarcèrent pas massivement et où les chiffres de la récidive sont pourtant très bas. Si chercher à éviter la récidive veut vraiment dire chercher à protéger la population, vous voterez alors, mes chers collègues, comme les écologistes de la NUPES, contre ce texte.
(Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES, LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES.) La parole est à Mme Elsa Faucillon. La proposition de loi que nous examinons ce matin s’inscrit selon le groupe GDR-NUPES dans la mouvance d’inflation carcérale, voire de populisme carcéral, que nous combattons à la fois en raison de son inefficacité et de sa dangerosité. Votre texte, madame la rapporteure, s’appuie sur des données tronquées concernant la récidive : non, celle-ci ne subit pas une folle augmentation, elle est même plutôt stable. La sanction carcérale est au cœur de votre proposition, qui prévoit le retour aux peines planchers, et ce dès l’article 1er, dans un texte qui pourtant appelle à mieux lutter contre la récidive.
Aucune étude, d’autres l’ont dit avant moi, n’a prouvé l’efficacité des peines planchers dans la lutte contre la récidive : au contraire, leur introduction en 2007 a été un échec en termes de dissuasion – bien que je voie que vous essayez de vous défaire de cette origine, je dois vous le rappeler. Les statistiques mêmes du ministère de la justice indiquent qu’en 2005, 2,6 % des condamnés pour crime et 6,6 % des condamnés pour délit étaient récidivistes, alors qu’ils étaient respectivement 5,6 % et 11 % trois ans après l’entrée en vigueur de la loi instituant les peines planchers. Nous pensons que notre arsenal législatif est assez riche pour lutter contre les réitérations de violence. Ainsi, le code pénal et le code de procédure pénal prévoient déjà l’aggravation des condamnations lorsqu’il est constaté un état de récidive légale.
Par ailleurs, cette proposition de loi s’oppose en tout point au mouvement de sortie du tout carcéral vers lequel nous devrions tendre. Prévoir une peine de prison systématique pose très clairement un problème au regard de la surpopulation et de la suroccupation des prisons françaises. Rappelons que, trois ans après la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour l’indignité de ses prisons, le comité des ministres du Conseil de l’Europe a une nouvelle fois constaté l’insuffisance des mesures prises par les autorités françaises en demandant l’adoption rapide d’une stratégie globale et cohérente pour réduire la surpopulation carcérale. Voilà à quoi nous devrions plutôt nous atteler au Parlement. Je suis sûre que tous les collègues qui accomplissent leur devoir en usant de leur droit de visite des lieux de privation de liberté l’ont constaté : en 2018, le taux d’occupation des prisons s’élevait à 120 % en moyenne et à 200 % en région parisienne.
Nous croyons profondément qu’il existe des moyens efficaces et respectueux des droits humains pour lutter contre la récidive, même si cela n’a rien d’évident ni de facile. C’est un défi, certes, mais nous devons le relever. Cela nécessite, en premier lieu, des moyens humains et financiers. Or la justice pénitentiaire, en particulier les Spip, subit des coupes budgétaires depuis de nombreuses années : en 2016, les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation n’étaient que 2 300 pour suivre 165 000 personnes en milieu ouvert, dont 11 000 personnes sous bracelet électronique. J’ajoute que l’article 3 de votre proposition de loi poursuit la logique de rationalisation des Spip en proposant des permanences au sein des tribunaux judiciaires, mais c’est méconnaître les interventions ainsi que les revendications de leur personnel.
Enfin, nous regrettons amèrement l’absence de mention des peines alternatives dans la lutte contre la récidive. Les études sont pourtant sans équivoque : l’emprisonnement contient intrinsèquement des conditions qui favorisent la récidive – je pense notamment à la désocialisation. La CEDH recommande, dans un rapport de 2006, d’étendre l’exécution de peines alternatives dans les cas de récidive, considérant que ceux-ci ne sont qu’un symptôme d’une mauvaise réinsertion et qu’il s’agit alors de mieux accompagner les personnes. Le code pénal prévoit d’ailleurs un éventail de peines alternatives à la prison qui peuvent intervenir avant la sentence du juge. Certes, la présente proposition de loi prévoit une systématisation des programmes de prise en charge de condamnés bénéficiant d’une libération sous contrainte, mais sans en préciser les contours. Nous pensons que la liberté conditionnelle, pour être efficace et permettre la réinsertion, doit être préparée individuellement, qu’elle doit s’adapter au profil du condamné et être différenciée.
Cette proposition de loi, madame la rapporteure, loin de s’attaquer aux origines de la récidive, multiplie et aggrave les peines sans leur donner un sens ni les inscrire dans une perspective de réinsertion. Tout cela fait suffisamment de bonnes raisons pour que le groupe GDR-NUPES vote contre un texte qui ne s’appuie que sur de mauvaises raisons.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES.) La parole est à M. Paul Molac. Pour sa première niche parlementaire depuis sa création, le groupe Horizons a fait le choix de rouvrir un débat symbolique et politique, celui des peines planchers. C’est remettre une question polémique à l’ordre du jour. Je ne ferai pas durer le suspense : nous sommes, au groupe LIOT, majoritairement opposés à cette initiative et nous saluons le rejet de l’article 1er par la commission des lois. Je m’interroge sur le but que vous poursuivez, chers collègues, avec ce retour – certes par la petite porte, mais tout de même – des peines planchers.
Quel en est le bilan ? Ont-elles été un frein à la récidive ? Le dispositif a été mis en œuvre en 2007 à la suite de la volonté ferme, on s’en souvient encore, du président de l’époque, Nicolas Sarkozy, de renforcer la répression. L’idée était alors qu’un contrevenant – un délinquant ou un criminel – serait dissuadé de commettre de nouveaux actes répréhensibles dès lors qu’une peine plancher serait instaurée. Entre 2007 et 2014, on a assisté à une augmentation de près de cinq points de la récidive en matière de vol. Il apparaît que ce système de peines planchers n’est pas dissuasif et que, pire encore, il ne fait pas baisser la délinquance que subissent nos concitoyens et ne favorise en aucun cas la réinsertion des individus après leur condamnation. Je crois que l’argumentation que vient d’exposer le garde des sceaux était très claire et a bien montré que ces peines ne résolvent rien, bien au contraire.
Avec cette proposition de loi, s’agit-il d’établir une société où l’on enferme purement et simplement les contrevenants en diminuant les chances d’aboutir à une réinsertion, ou d’œuvrer dans le sens d’une meilleure prévention ? Les mesures que vous proposez, madame la rapporteure, ne nous paraissent pas efficaces et, pour tout dire, assez inutiles. Au fond, on est face à un marqueur idéologique et politique. Chers collègues, vous savez comme moi que les méfaits délictueux ou criminels ont des causes multiples, et que des réponses simplistes à des problèmes complexes sont vouées à l’échec. Enfermer la misère sociale derrière des murs ne règle rien, renforcer les peines non plus. Ce n’est donc pas avec des peines planchers qu’on limitera le passage à l’acte, mais plutôt grâce à un accompagnement efficace et individualisé.
Cela étant dit, je tiens à souligner la qualité du travail fourni par les Spip et le dévouement de leurs agents. C’est bien leur activité, en concertation avec les services judiciaires, qui permet une meilleure réinsertion des personnes condamnées et,
de facto , une baisse de la délinquance. Si je peux me permettre de paraphraser Victor Hugo en la matière : ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.) Ils n’aiment pas l’école ! Comme cela a été souligné en commission, il est bien surprenant de proposer une nouvelle conférence du consensus, tout en faisant évoluer la législation simultanément. Le temps de la concertation intervient après le temps de la décision ; à mon sens, il aurait été plus pertinent d’inverser les choses. En tout cas, cela aurait peut-être permis, après discussion et échanges, d’emporter l’adhésion des professionnels. Car force est de constater que si consensus il y a, c’est plutôt contre ce texte !
Enfin, notre rôle en tant que législateur est bien de fixer un cadre légal pour l’autorité judiciaire, de manière que les magistrats puissent d’eux-mêmes décider de la peine la plus adaptée, en fonction de critères de droit et de fait et des critères liés aux personnes elles-mêmes. Le but est bien entendu de sanctionner, dès lors que cela est nécessaire, mais aussi et surtout de prévenir la récidive et de réinsérer ces personnes dans la société.
Introduire des peines planchers revient à remettre en cause le travail réalisé par les magistrats et l’ensemble de la chaîne du droit. Dans ces temps troublés, où les critiques pleuvent parfois sur la place publique à l’encontre des juges, nous devons réitérer notre confiance dans la justice, et non faire preuve de défiance envers elle.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre cette proposition de loi.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.) La parole est à Mme Caroline Abadie. Madame la rapporteure Naïma Moutchou, vous nous soumettez aujourd’hui une proposition de loi visant à lutter contre la récidive. Nous partageons votre ambition. Nous le devons en tout premier lieu aux victimes, pour qui chaque agression est insoutenable. La récidive, c’est le seul indicateur sur lequel on puisse évaluer l’efficacité de nos politiques pénales. On ne demande pas à la justice de lutter contre les primo-délinquants ; c’est après la commission du premier délit, quand toutes les politiques publiques et toutes les institutions – famille, école, entreprise – ont échoué que l’on demande à la justice de réussir. C’est vrai ! La récidive n’est pas un fait, c’est une qualification juridique. Plus les juges reconnaissent la récidive, pour la punir plus durement, plus la récidive augmente, en conséquence de quoi le nombre de réitérants diminue. Cette statistique est totalement contre-intuitive, mais les vases communiquent bel et bien entre réitérants non punis de récidive et réitérants punis de récidive. Nous constatons d’ailleurs que le total de ces deux indicateurs s’est stabilisé en 2021.
Pour lutter contre la récidive, il faut dissuader par la répression. Tel est justement le sens de l’action que nous menons ensemble depuis 2017, madame la rapporteure, notamment en matière d’agressions visant l’autorité publique : peines plus sévères pour les violences commises contre les forces de sécurité et lors des refus d’obtempérer, limitation des réductions de peine pour les violences graves contre les élus, etc. En même temps, nous nous sommes efforcés de donner à la réinsertion les moyens qu’elle mérite : nous avons recruté 1 500 agents des Spip en cinq ans, créé 2 000 places en structures d’accompagnement vers la sortie (SAS), augmenté la formation professionnelle en détention, favorisé le travail en détention, avec notamment la création d’un statut du détenu salarié. Considérez que je ne cite là que les principaux leviers de désistance mis en lumière par de nombreuses recherches internationales ou nationales ; je pense en particulier aux travaux de l’Observatoire de la récidive et de la désistance.
Les moyens de la lutte contre la récidive que vous nous proposez aujourd’hui doivent être appréciés à la seule lumière de leur efficacité. Comment évalue-t-on une politique pénale ? A-t-elle réussi à dissuader ? Dans le cas des peines planchers, nous avons la réponse. En effet, le mécanisme des peines planchers a été en vigueur de 2007 à 2014, avec un champ d’application plus large, bien sûr, mais selon le même régime. L’évaluation montre clairement que le dispositif ne fonctionnait pas : d’abord, parce que les juges ont fini par le bouder ; ensuite, parce qu’il n’a pas eu d’impact sur les peines d’emprisonnement prononcées, proches de 94 %, avant comme après cette période ; enfin et surtout, parce que la part des récidivistes n’a pas diminué de 2007 à 2014 – au contraire, elle n’a fait qu’augmenter, tout comme le taux de réitérants. Robert Badinter avait raison : les délinquants ne se baladent pas avec un code pénal sous le bras !
L’article 1er nous pose d’autant plus question qu’aujourd’hui les délits visés par le texte, ceux qui sont passibles de cinq ans d’emprisonnement en récidive, sont déjà punis d’une peine moyenne d’emprisonnement de 14,2 mois, au-delà des 12 mois proposés ici. À la lumière de ce bilan défavorable, notre groupe ne soutiendra pas l’article 1er.
Le groupe Renaissance aura pour autre ligne directrice de ne pas vider le texte de sa substance contre la volonté de son auteur – je m’en suis entretenu avec la rapporteure –, au-delà même des réserves qu’appellent les autres dispositions. Par exemple, le retour des Spip au sein des juridictions, prévu à l’article 3, serait considéré par les professionnels comme une vraie remise en cause de la réforme de ces services – c’est ce qu’affirme la Conférence nationale des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation (CNDPIP). S’agissant de l’article 5, il convient de rappeler qu’une conférence de consensus de prévention de la récidive a déjà eu lieu en 2013, laquelle avait justement préconisé de mettre fin aux peines planchers.
Dans la continuité de nos débats en commission, nous adopterons donc une position globalement défavorable. Mais j’aimerais rappeler un dernier point, car je sais que nos collègues du Rassemblement national ne manqueront pas de se saisir de ce débat pour défendre un fantasme frontiste selon lequel la justice de notre pays serait laxiste.
Mais elle est laxiste ! On a un très mauvais ministre ! C’est vrai que vous êtes un excellent député… Nous n’avons jamais manqué de fermeté pour réprimer la délinquance envers les représentants de l’autorité, ni la délinquance en général :… Huit Français sur dix trouvent la justice laxiste ! Vous ne savez pas lire les chiffres, c’est affreux ! …il n’y a qu’à observer la durée d’incarcération moyenne, qui a plus que doublé entre 1980 et 2021, le nombre de condamnations qui, lui aussi, a plus que doublé entre 2002 et 2021, ou encore le nombre de détenus, qui est passé de 53 000 à 73 000 sur la même période, sous l’effet de nos politiques et sans que la délinquance ait évolué. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. le président de la commission des lois applaudit également.) La parole est à M. Timothée Houssin. De prime abord, le titre de votre texte est enthousiasmant : on nous promet de lutter contre la récidive, ce que nous réclamons depuis de nombreuses années ! Pour cette journée de niche parlementaire du groupe Horizons et apparentés, c’est-à-dire la pseudo-droite de la Macronie (« Oh ! » sur les bancs du groupe HOR) , nous pouvions espérer un texte ambitieux, marqué par une ligne politique claire et à même de lutter contre la récidive. Nous pouvions aussi espérer qu’une majorité incluant toute la Macronie s’accorde pour voter ce texte.
Malheureusement, après lecture du titre, on découvre rapidement le contenu de votre proposition de loi. Soyons clairs, celle-ci va dans le bon sens, mais la promesse faite par le titre n’est pas tenue. On comprend vite que l’objectif d’Horizons est de communiquer auprès de l’aile droite de la Macronie sans pour autant froisser l’aile gauche, qui gère réellement les questions de justice par le biais du symbolique Dupond-Moretti. On est dans le fameux « en même temps » macroniste : vous voulez communiquer auprès du public sur un texte de lutte contre la récidive et, en même temps, le Gouvernement entend poursuivre sa politique laxiste.
Le titre de votre proposition de loi nous a fait oublier un instant que, par définition, la ligne d’Horizons est une ligne abstraite qu’on n’atteint jamais.
Comme c’est spirituel ! Finalement, tout le monde a compris que si ce texte est peu ambitieux et passe par le biais de cette niche, c’est parce qu’en réalité il n’y a pas de consensus au sein de la minorité présidentielle en faveur d’un renforcement des peines en cas de récidive, même pour les cas les plus graves ! C’est ce que laisse entendre M. Darmanin lorsqu’il évoque les peines planchers… Vous ne voulez pas changer de discours ? …et c’est ce qu’ont confirmé vos collègues du groupe Renaissance lors du vote du texte en commission.
Nous l’avons dit, cette proposition de loi ne lutte pas contre toutes les récidives ; il lutte uniquement – et ce n’est certes pas sans importance – contre les récidives les plus graves, mais aussi les plus symboliques. Je veux parler des récidives de violences commises contre ceux de nos compatriotes qui sont le plus exposés : nos élus, nos forces de l’ordre, nos pompiers ou encore nos enseignants.
Nous pouvions espérer que l’article 1er, qui renferme une proposition de bon sens, fasse consensus au sein de la représentation nationale, mais ce n’est pas le cas. En commission, la gauche et l’extrême gauche de la NUPES – ceux qui affirment que la police tue – et leurs alliés ont voté contre ce dispositif. Plus surprenant encore : le vote du groupe Renaissance, qui a refusé de soutenir vos propositions et de vous donner une majorité pour mieux lutter contre ce type de récidives. Fidèle à la ligne directrice de votre ministre de la justice, M. Dupond-Moretti, le groupe Renaissance refuse tout renforcement des sanctions contre les délinquants.
Nous l’avons dit, aux yeux du Rassemblement national, votre texte est un minimum en matière de lutte contre la récidive. Certes, le renforcement proposé serait une avancée. Mais nous, nous voudrions protéger tous les Français contre les récidivistes, à l’heure où 40 % des personnes condamnées sont en état de récidive ou de réitération et où la proportion de récidivistes ne fait qu’augmenter, aussi bien en matière délictuelle que criminelle.
Nous aurions voulu protéger Sihem, retrouvée morte le mois dernier dans un chemin ; le casier judiciaire du principal suspect, qui a avoué les faits, comporte quatorze condamnations. Nous aurions voulu protéger Céleste, 15 ans, violée et tuée à Nantes par un récidiviste condamné à dix-huit ans de prison pour neuf viols et quatre agressions, mais qui en est sorti au bout de treize ans.
Des familles lambda, sans titre, sans pouvoir, frappées en France par les drames de la récidive, il y en a des centaines. Elles sont les grandes oubliées de votre proposition de loi, et c’est aussi pour elles que nous voulons légiférer.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) C’est en ce sens que nous proposerons, par voie d’amendement, de rétablir les peines planchers, telles qu’elles ont été créées en 2007.
Notons que nos amendements visant à rétablir la double peine ont été jugés comme des cavaliers législatifs.
À juste titre ! Et pour cause : en matière de lutte contre la récidive, vous ne prévoyez aucun dispositif pour faciliter l’expulsion des délinquants étrangers, alors qu’ils représentent près de 20 % des condamnés. La révocation automatique du sursis en cas de récidive, que nous proposions, a également été déclarée irrecevable – nous le regrettons. Vous ne faites rien non plus pour lutter contre la réitération, qui consiste pour des délinquants à commettre de nouveaux crimes ou délits différents des précédents et ne répondant pas aux critères de la récidive légale. Pourtant, ces délinquants pourrissent la vie des Français !
Vous l’avez compris, votre proposition de loi nous semble insuffisante ; nous vous proposerons donc des pistes pour la renforcer. Toutefois, si elle n’est pas vidée de son contenu par la gauche, sous l’œil bienveillant du garde des sceaux…
Ah ! …et avec la complicité du groupe Renaissance, nous la soutiendrons. Nous sommes fidèles à notre volonté de voter toute proposition qui va dans l’intérêt des Français. Le renforcement des sanctions contre les récidivistes coupables d’agressions de dépositaires de l’autorité de l’État va de soi.
Les députés du Rassemblement national seront aujourd’hui dans l’hémicycle pour contribuer à donner une majorité à ce texte, contre l’extrême gauche de la NUPES et son laxisme, mais aussi contre l’immobilisme coupable des députés du groupe Renaissance, qui refusent de renforcer les sanctions contre des récidives de violences graves, ce dont les Français seront témoins – nous ne manquerons jamais de le rappeler si les groupes que j’ai désignés venaient à faire échouer ce texte.
(« Excellent ! » et applaudissements sur les bancs du groupe RN.) La parole est à Mme Andrée Taurinya. Ah, ça va être autre chose que la bouillie des fachos ! La folie, c’est faire toujours la même chose et s’attendre à un résultat différent. En voici un bel exemple : pour lutter contre la récidive en 2023, la minorité présidentielle propose de rétablir les peines planchers sous les applaudissements du Rassemblement national. (« Ah ! » sur les bancs du groupe RN.) Vous n’avez pas écouté ce qu’a dit le garde des sceaux ? Madame la rapporteure, j’ai cru comprendre que votre proposition de loi faisait grincer des dents, depuis les rangs de votre intergroupe politique jusque dans les bureaux du ministère de la justice. Expliquez-moi ceci : qui sort son code pénal pour vérifier le quantum de la peine encourue avant de commettre une infraction ? Oh ! Je me permets de vous donner la réponse : absolument personne ! C’est évident ! Nul n’est censé ignorer la loi ! Non, les peines planchers n’ont jamais eu aucun effet sur la récidive ou sur le passage à l’acte d’une manière générale. Mais vous, vous proposez de les rétablir. Lorsqu’elles sont introduites par Rachida Dati dans le cadre de la loi du 10 août 2007, les peines planchers ont pour effet d’augmenter la durée d’enfermement des personnes écrouées, et c’est tout. C’est déjà ça ! En attendant, les délinquants ne sont pas dans la rue ! Les prisons se remplissent à tel point que le gouvernement Fillon doit, un an plus tard, faire adopter une loi sur les aménagements de peine. Il n’y avait qu’à construire des prisons ! C’est ce qu’on a fait ! Heureusement que vous êtes là… En 2014, ce dispositif disparaît enfin. Il égratignait le principe constitutionnel d’individualisation de la peine, consacré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Je vous le rappelle, dans un État de droit, la peine et ses modalités d’exécution répondent au niveau de gravité des faits sanctionnés ; elles doivent être adaptées à la situation du condamné. Voilà le deuxième écueil auquel vous vous heurtez. Au mépris de l’avis des organisations syndicales d’insertion et de probation, vous imposez le grand retour des Spip dans les tribunaux en phase postsententielle. Avec quels moyens, avec quel argent et dans quels locaux ? On ne le sait pas.
Ce n’est pas le gage sur les tabacs prévu à l’article 6 qui nous donnera le détail budgétaire de cette mesure.
Vous voulez « garantir la prise en charge immédiate des condamnés à l’issue de l’audience ». Dès le départ, vous saboterez l’adhésion du condamné à tout programme de réinsertion.
Et les victimes, on en parle ? Vous ne tenez pas compte des heures tardives auxquelles s’achèvent les audiences, surtout dans le cadre des comparutions immédiates. Par son automaticité, ce texte casse la logique de l’individualisation de la peine. C’est une véritable méconnaissance du travail des Spip. Oh ! Vous fixez des objectifs irréalisables à l’administration pénitentiaire. Dans ce contexte, vous ne vous donnez ni les effectifs, ni les moyens, ni le temps pour prévenir la récidive.
Difficile de traiter d’un sujet aussi sérieux lorsque votre vision est obstruée par des œillères dogmatiques ! Car tel est bien votre problème : vous vivez dans une réalité parallèle…
C’est une blague ? C’est moi qui vous ai fait ce reproche. …en refusant d’affronter le réel, qui vous insupporte : celui d’une densité carcérale hallucinante, qui n’en finit plus d’augmenter (« C’est vrai ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES) ; celui, en prison, d’un manque d’accès au travail, à la formation professionnelle, à la santé, à la culture, à l’hygiène et à l’intimité ; celui du taux de suicide des détenus et des conditions de travail toujours plus insupportables des surveillants, qui doivent supporter les défaillances de nos politiques publiques en matière de santé mentale.
Certains pensent, dans notre pays, que la justice est laxiste.
(« Oui ! » sur les bancs du groupe RN.) C’est le cas de 80 % des Français ! Qu’ils m’expliquent alors pourquoi nos maisons d’arrêt sont occupées en moyenne à 142 % de leur capacité maximale. (« Bonne question ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) Parce qu’il n’y a pas assez de places de prison ! On en a construit 2 000 au lieu de 15 000 ! Vous voulez vraiment mieux lutter contre la récidive ? Commencez par introduire un mécanisme pérenne de régulation carcérale, que la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté appelle de ses vœux. Luttez contre les conditions de détention indignes dans nos prisons. Luttez contre les sorties sèches en écoutant les recommandations des agents d’insertion et de probation. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) Exactement ! C’est la députée des prisonniers qui s’exprime, pas celle des victimes ! Allégez le fardeau de nos surveillants en sous-effectif, confrontés au quotidien à la perte de sens, dans leurs locaux vétustes. Ce serait un bon début ! Bientôt, les victimes devront s’excuser d’avoir provoqué les criminels ! Pour toutes ces raisons, vous l’avez compris, le groupe La France insoumise s’opposera fermement à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Roger Vicot applaudit également.) Évidemment ! C’est le parti du chaos ! La parole est à M. Ian Boucard. Nous examinons la proposition de loi visant à mieux lutter contre la récidive, présentée par notre collègue Naïma Moutchou, à qui je tiens à rendre hommage pour la qualité de son travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – M. Nicolas Ray applaudit également.)
Ce texte a notamment pour objet de créer une peine minimale d’un an d’emprisonnement pour les délits de violences commis en état de récidive légale et ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) à l’encontre des personnes dépositaires de l’autorité publique et des personnes chargées d’une mission de service public. Bien évidemment, le dispositif prévoit que le juge puisse déroger à ce seuil minimal par une décision spécialement motivée, ce qui invalide l’ensemble des arguments qui ont été opposés à l’article 1er.
La récidive est, malheureusement, un sujet terriblement d’actualité. Et pour cause : le bilan régalien d’Emmanuel Macron est particulièrement mauvais. Ce n’est pas uniquement mon avis et celui de nombreux Français ; ce sont les chiffres du ministère de la justice eux-mêmes qui le disent.
Eh oui ! En effet, 41,7 % des individus condamnés en 2021 étaient des récidivistes ou des réitérants. Ce taux de récidive a d’ailleurs explosé, la proportion de récidivistes en matière délictuelle ayant augmenté de 8 points depuis 2018. Il est donc primordial que le législateur s’empare de ce sujet pour prendre les mesures adéquates, face à une délinquance qui explose et à des peines qui restent dérisoires.
Pour étayer mes propos, je rappelle qu’en 2022, la quasi-totalité des indicateurs de la délinquance enregistrée étaient en hausse par rapport à l’année précédente. Ces hausses sont la poursuite de celles qui avaient été observées avant la crise sanitaire. En 2022, les homicides et les coups et blessures volontaires ont ainsi augmenté de 15 % ; les violences sexuelles, de 11 % ; les escroqueries, de 8 %. Par ailleurs, nos forces de l’ordre sont de plus en plus prises pour cibles. On dénombre chaque jour plus de 100 violences contre les dépositaires de l’autorité publique, nombre qui a crû de 21 % en trois ans.
Pour ne rien arranger à la situation, Emmanuel Macron a délibérément employé, en décembre 2020, l’expression « violences policières » pour désigner des bavures individuelles. En utilisant cette expression typique d’une extrême gauche qui dit chaque jour son désaveu de nos forces de l’ordre,…
Très juste ! Mais non ! …le Président de la République lui-même a abandonné celles et ceux qui risquent chaque jour leur vie pour protéger la nôtre.
Il faut par ailleurs noter une baisse du nombre de délinquants et de criminels derrière les barreaux. Il y a en effet moins d’individus incarcérés aujourd’hui que lorsque Christiane Taubira était garde des sceaux. Au 1er janvier 2022, on comptait 68 345 détenus écroués, contre près de 70 000 en 2017. La France, deuxième pays européen pour le nombre d’agressions, est seulement le dix-septième pour le nombre de détenus !
Face à tous ces problèmes, quelle réponse apporte-t-on à nos concitoyens ? Elle est aujourd’hui inexistante ! En effet, depuis la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, toutes les mesures prises en 2007 par la droite républicaine ont été abrogées.
Pourtant, la loi de 2007 prévoyait une peine minimale dès la première récidive pour les crimes et délits passibles d’au moins trois ans d’emprisonnement. De fait, la peine était d’au moins un tiers de la peine maximale prévue. Bien évidemment, le juge pouvait, uniquement en cas de première récidive, prononcer une peine inférieure, à condition de la motiver spécialement – c’est également ce que vous proposez, madame la rapporteure. Il est vrai que la marge d’appréciation du juge était plus faible en cas de deuxième récidive, notamment pour l’ensemble des délits punis d’au moins dix ans d’emprisonnement, notamment les délits commis avec violence et les agressions ou atteintes sexuelles. La peine minimale ne pouvait alors être atténuée que sur le fondement de « garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion ».
Si la proposition de loi que nous étudions va dans le bon sens, elle édulcore nettement ce que Rachida Dati avait mis en place, car elle restreint le retour des peines planchers aux violences commises à l’égard des personnes dépositaires de l’autorité publique.
J’en viens aux autres dispositions de la proposition de loi. L’article 2 rend systématique l’information des maires par les parquets sur les suites judiciaires données aux infractions constatées sur le territoire communal par la police ou la gendarmerie ; c’est évidemment une bonne chose. L’article 3 instaure l’expérimentation, pendant trois ans et dans cinq départements au moins, de l’organisation de permanences des Spip au sein des tribunaux judiciaires. L’article 4 généralise le suivi de programmes de prise en charge à la sortie de prison des condamnés bénéficiant d’une libération sous contrainte. L’article 5 prévoit l’organisation en 2023 d’une conférence de consensus sur la lutte contre la récidive.
Les peines minimales assurent un juste équilibre entre deux exigences majeures : une répression accrue des actes commis en récidive et le respect des principes fondamentaux de notre droit pénal. Le fait que le juge puisse déroger au principe de la peine minimale permet de respecter pleinement les principes de nécessité et d’individualisation des peines, qui ont, cela a été rappelé, valeur constitutionnelle.
En fin de compte, cette proposition de loi incarne la politique pénale menée par cette majorité depuis 2017. Je vous ai écouté attentivement, monsieur le garde des sceaux. Dans toute la première partie de votre raisonnement, vous avez expliqué que cette proposition de loi n’était pas adéquate parce qu’elle était soutenue par la droite républicaine et par une partie de l’extrême droite.
Je n’ai pas dit cela ! Je vous rappelle qu’elle est présentée par une partie de votre majorité. Sur les questions pénales, la majorité présidentielle montre son éclatement entre une aile droite, qui a la volonté d’écouter les Français et de mener une politique plus répressive, et une jambe gauche. Quand il s’agit de condamner les coupables, cette majorité boite souvent sur sa gauche – en disant cela, je ne regarde pas seulement M. le président de la commission des lois, mais aussi de nombreux membres de la majorité. Tout cela relève du « en même temps ». Le ministre de l’intérieur fait de grandes déclarations et veut mieux protéger les forces de l’ordre ; pour votre part, monsieur le garde des sceaux, vous ne voulez pas avancer en la matière, et je le regrette. C’est dommage ! On en voit les résultats ! En conséquence, le groupe Les Républicains votera en faveur de cette proposition de loi, qui va dans le bon sens. (Applaudissements sur les bancs des groupes LR et HOR.) La parole est à M. Erwan Balanant. Vous l’avez dit, madame la rapporteure, le sujet est sérieux. Il est question en premier lieu de la récidive légale et de la triple peine qu’elle provoque : peine pour les victimes, qui se trouvent ou se retrouvent confrontées à de la violence ; peine pour l’auteur, qui tombe dans la spirale infernale de la délinquance ; peine pour la société, qui fait le constat de son échec, puisqu’elle n’est pas parvenue à réinsérer un individu.
Soyez rassurée, madame la rapporteure, le groupe Démocrate estime comme vous qu’il est primordial de lutter contre la récidive. La politique pénale conduite ces dernières années en témoigne. La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire ont toutes deux visé à mieux préparer la sortie de prison et à favoriser l’insertion. Nous devons continuer dans cette voie. Tel sera le cas avec la loi de programmation de la justice issue des états généraux qui se sont tenus au printemps dernier.
Toutefois, le groupe Démocrate en est convaincu, la solution que vous proposez n’est pas la bonne. Notre histoire en est le témoin. En rejetant le droit de grâce et en instaurant le système des peines fixes, les révolutionnaires avaient souhaité rompre avec l’absolue liberté des parlements de l’Ancien Régime. La détermination légale de la peine et le rôle réduit accordé au juge étaient synonymes de rempart contre l’arbitraire. Heureusement, l’individualisation judiciaire, longtemps redoutée, est désormais réhabilitée.
La peine minimale, aussi appelée peine plancher, va à l’encontre de ce mouvement d’individualisation judiciaire. Plus encore, il va à l’encontre d’un principe fondamental de notre droit : l’individualisation des peines. Peu importe que la peine minimale soit introduite dans le cas particulier du mépris de l’autorité. Il n’en demeure pas moins que la sanction sera fondée sur l’acte constitutif de l’infraction lui-même, à l’exclusion des éléments contextuels et circonstanciels qui l’entourent. Certes, la possibilité de déroger à la peine plancher restera ouverte, mais elle portera fortement atteinte au principe que j’ai rappelé.
La discrétion de l’autorité judiciaire ne peut pas être encadrée de la sorte par le pouvoir législatif. Si je n’oublie pas la décision rendue en 2007 par les sages de la rue Montpensier, je constate l’évolution de la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, qui montre un changement de paradigme et s’inscrit dans la lignée des jurisprudences de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, par une décision du 2 mars 2018, le Conseil constitutionnel a indiqué que le principe de l’individualisation des peines imposait « la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine ». Cette réforme prétorienne est révélatrice de ce mouvement d’individualisation des peines. Dès lors, les sages pourraient invalider votre dispositif.
Au-delà de cet obstacle constitutionnel, il est nécessaire de rappeler le bilan plus que mitigé des peines planchers, qui a conduit, rappelons-le, à leur abrogation en 2014.
Par les socialistes ! Cet argument justifierait à lui seul notre opposition à votre dispositif. C’est un peu court ! En pratique, les dérogations ont été nombreuses, jusqu’à devenir majoritaires dans les décisions des juges, hostiles à ces sanctions quasi automatiques qui portent atteinte à leur office. Face à cette réticence, la ministre de la justice de l’époque avait enjoint aux procureurs de requérir systématiquement la peine plancher durant l’audience et d’interjeter appel si elle n’était pas prononcée par le juge, tout cela sans effet. Preuve en est que, dans 60 % des cas où le juge était censé prononcer une peine minimale, il a fait usage de sa possibilité d’y déroger, ainsi que l’a indiqué la Chancellerie en 2012.
En outre, je crois fermement que nous devons écouter les acteurs du monde judiciaire, directement affectés par votre proposition de loi. Tous nous font part de leur opposition au retour des peines planchers en raison de leur inefficacité.
Néanmoins, je vous rejoins sur un point, madame la rapporteure : il est nécessaire de conduire le débat sur la récidive, et nous devons l’avoir ici. C’est pourquoi le groupe Démocrate votera contre les amendements de suppression.
(Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.) Très bien ! Le groupe Démocrate le réaffirme, et je tiens à conclure sur cet aspect de la question, il est de notre devoir de protéger ceux qui nous protègent. C’est la raison pour laquelle la loi du 22 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure a durci la répression en cas de violences volontaires sur les forces de sécurité. C’est une blague ? Vous l’avez compris, le groupe Démocrate ne votera pas en faveur de ce texte. (M. Jean-Paul Mattei applaudit.) La parole est à M. Roger Vicot. J’ai écouté avec attention votre plaidoyer, madame la rapporteure. Il était dynamique et passionné, mais avait parfois des accents un peu désespérés. Je peux le comprendre, car le texte que vous proposez est assez étonnant, dans la mesure où il s’appuie sur des présupposés contestés par la quasi-totalité des professionnels.
Nous sommes d’accord avec vous sur un seul point, que vous indiquez au début de l’exposé des motifs : la surpopulation carcérale est l’une des causes qui favorisent la récidive. C’est incontestable, et c’est d’ailleurs pourquoi le texte est frappé d’une certaine incohérence. La réintroduction des peines planchers, certes dans des cas très ciblés et lorsque certains critères sont réunis, suscitera un surcroît de condamnations à la prison et, partant, alimentera la surpopulation carcérale que vous déplorez, elle-même facteur de la récidive.
J’ai bien entendu que les peines planchers étaient limitées à certains cas ; toutefois, toutes les études, depuis très longtemps, insistent sur leur inefficacité dans la prévention de la récidive et même sur leurs effets négatifs en la matière. Vous proposez une nouvelle conférence de consensus sur la prévention de la récidive, mais nous savons déjà tout sur le sujet : la conférence de consensus de 2012 a élaboré une bibliographie internationale de 140 pages qui prouve de manière incontestable que, quel que soit le cas, quel que soit le pays, les peines planchers sont inefficaces, et la littérature de ces dix dernières années confirme cette inefficacité. J’ajoute, comme l’a déjà évoqué le garde des sceaux, que la peine plancher est un signe de défiance à l’encontre des magistrats du siège, jugés trop indulgents, et qu’il remet en cause un principe qui figure dans notre droit depuis très longtemps, celui de l’individualisation de la peine. C’était d’ailleurs la sixième conclusion de la précédente conférence de consensus : l’individualisation de la peine, qui prend en compte les conditions du délit ainsi que la personnalité et le parcours du futur condamné, est un point de droit absolument incontestable qu’il nous faut préserver et chérir.
Et les victimes, on y pense parfois ? Par ailleurs, je me demande pour quelle raison vous n’avez pas appuyé vos propositions sur l’expérience des professionnels. Vous proposez que les permanences des Spip se tiennent dans l’enceinte des juridictions. Je vous lis une phrase de la Conférence nationale des directeurs pénitentiaires d’insertion et de probation : « Il est urgent de ne pas retenir un tel article qui aura pour conséquence de mobiliser les Spip sur une intervention chronophage, coûteuse en ressources humaines, sans aucun lien avec leur mission initiale en milieu ouvert, ni aucune plus-value en termes de lutte contre la récidive. »
Enfin, une conférence de consensus est un travail qui prend du temps – la précédente a demandé six mois de préparation – pour faire le point de la manière la plus large, la plus précise et la plus documentée possible sur un sujet, en l’occurrence la prévention de la récidive. C’est à l’issue de ce travail de compilation et de recoupement d’études scientifiques, à partir des conclusions tirées par la conférence, que l’on peut formuler des propositions. Il nous semble que vous prenez les choses à l’envers en proposant d’abord des solutions contestées par tous et en ne suggérant qu’après l’organisation d’une conférence de consensus.
Pour toutes ces raisons, vous l’avez compris, le groupe Socialistes et apparentés ne soutiendra pas ce texte.
(Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.) La parole est à Mme Emmanuelle Ménard. En France, il ne se passe pas une semaine sans que les médias ne se fassent l’écho de crimes ou de délits commis par des délinquants en état de récidive légale ou de réitération. Ici, c’est un cycliste percuté par une voiture conduite par un homme en état de récidive de délit routier ; là, un passage à tabac en réunion et en récidive ; là encore, c’est une femme battue à mort par son conjoint déjà condamné et tout juste sorti de prison.
Les chiffres qui concernent la récidive en France sont particulièrement inquiétants : 41,7 % des individus condamnés en 2021 sont des récidivistes ou des réitérants. Depuis 2007, le taux de récidive légale en matière délictuelle est passé de 9,2 % à 15 % et de 4,1 % à 11,5 % pour les crimes. Sans compter que, selon le ministère de l’intérieur, tous les indicateurs de la délinquance sont en hausse depuis l’an dernier.
Parmi ces chiffres, ceux qui concernent les agressions envers les forces de l’ordre sont tout aussi préoccupants. On dénombre chaque jour plus de 100 actes de violence contre les dépositaires de l’autorité publique, soit une augmentation de 21 % en trois ans. En ce sens, je ne peux qu’apporter mon soutien à l’article 1er, lequel prévoit une peine minimale d’emprisonnement d’un an pour les délits de violences volontaires commises en récidive sur des personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public. Néanmoins, en restreignant cette peine aux agressions contre les dépositaires de l’autorité publique, la proposition de loi ne va pas assez loin et court le risque de ne pas être à la hauteur des enjeux de sécurité publique auxquels nous sommes confrontés.
Pour mémoire, la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs prévoyait une peine minimale, dès la première récidive, pour les crimes et délits passibles d’au moins trois ans d’emprisonnement. Entre 2007 et 2011, près de 43 000 peines planchers avaient été prononcées, principalement pour des vols, des infractions liées aux stupéfiants et des violences. En 2014, durant le quinquennat de François Hollande, la garde des sceaux de l’époque, Christiane Taubira, était revenue définitivement sur ces peines planchers, sous prétexte d’une augmentation trop importante de la surpopulation carcérale et d’une inefficacité alléguée des peines minimales pour lutter contre la récidive. Elle privilégiait alors les peines de probation à l’enfermement pour lutter contre la récidive, une décision dont on connaît aujourd’hui les résultats.
Face à la montée de la violence dans quasiment tous les secteurs de notre société, il nous faut rétablir ces peines planchers. Le plan d’action présenté par le ministre de la justice le 5 janvier dernier n’est pas complet, car il omet volontairement la question des peines planchers que les forces de l’ordre sont de plus en plus nombreuses à réclamer. Le défi reste immense et nous nous devons de corriger sans attendre cette défaillance pour que, le plus rapidement possible, notre société mette un terme à sa faiblesse envers délinquants et criminels et se place clairement, symboliquement, du côté des victimes. Le message doit être clair : tolérance zéro pour les récidivistes par l’application des peines planchers.
L’article 2 de la proposition de loi prévoit l’information systématique – et non plus seulement à sa demande – du maire par le parquet des décisions judiciaires rendues à la suite des infractions causant un trouble à l’ordre public commises sur le territoire de sa commune. Rappelons que la police et la gendarmerie doivent déjà le faire en vertu de l’article L. 2211-3, alinéa 1er, du code général des collectivités territoriales. Rendre automatique cette information de la part des parquets ne pourra que faciliter la coopération entre le maire et les instances judiciaires. Cela permettra au premier magistrat de la ville, le cas échéant, d’introduire un recours ou d’interjeter appel lorsqu’il le jugera nécessaire ou opportun.
Les articles 3 et 4 de la proposition de loi vont également dans le bon sens, même si la question des moyens alloués à une telle expérience se pose naturellement. Faire entrer les services pénitentiaires d’insertion et de probation dans les tribunaux judiciaires pour une meilleure prise en charge des condamnés dès le prononcé de la peine part d’une bonne intention, bien entendu, mais, pour en avoir discuté régulièrement avec les magistrats du siège comme avec ceux du parquet, je sais que leur priorité semble résider dans le renforcement de leurs effectifs.
Bref, c’est une proposition de loi qui va dans le bon sens et que je voterai bien volontiers.
(Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.) La discussion générale est close.
La parole est à Mme la rapporteure.
Il s’agit toujours des mêmes inexactitudes et des mêmes fantasmes. J’aurai l’occasion d’y répondre plus longuement lors de l’examen des amendements. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Le postulat sur lequel repose cette proposition de loi visant à mieux lutter contre la récidive est celui d’un laxisme supposé de la justice (Exclamations sur les bancs du groupe HOR) ,… C’est faux ! …que confirmeraient les chiffres de la récidive. Je voudrais donc donner quelques chiffres et rappeler certaines actions, avant de partager avec vous quelques réflexions.
Le premier chiffre que l’on peut donner est, il est vrai, celui de l’augmentation de la récidive légale. Or, comme l’ont démontré le garde des sceaux et l’une des expertes sur la question carcérale, la réitération et la récidive sont des vases communicants : c’est précisément parce que les juges reconnaissent davantage la récidive légale qu’ils sont plus sévères dans leur qualification des faits et donc qu’ils condamnent davantage. Les chiffres publiés par l’Insee en 2019 et en 2021, et récemment actualisés, démontrent que la sévérité des juges explique l’augmentation de la récidive légale, laquelle n’est rien d’autre que la qualification des faits par le juge.
Le garde des sceaux vous a expliqué tout à l’heure que, pour les infractions donnant lieu à cinq ans d’emprisonnement ou plus, les peines prononcées par les magistrats sont en moyenne de quatorze mois de prison, c’est-à-dire plus que ne le permettrait la proposition de loi. En 2000, les condamnations prononcées par les juges en matière délictuelle étaient en moyenne de 6,8 mois ; vingt et un ans plus tard, en 2021, elles sont de neuf mois, soit une aggravation de deux mois des peines prononcées. En matière criminelle, en 2005, la durée moyenne d’emprisonnement était de 14,4 années. Elle est désormais de 16,1 années, ce qui représente, là aussi, une augmentation significative, avec les conséquences que l’on connaît sur l’emprisonnement. En matière d’emprisonnement ferme, le nombre d’années prononcées est passé de 55 000 en 1999 à 93 000 en 2019 : là encore, ce chiffre combat l’idée que les infractions ne seraient pas réprimées ou qu’elles ne le seraient pas de manière suffisamment sévère, puisque le nombre global de peines prononcées a augmenté de plus de 70 %. En matière de peines fermes, c’est-à-dire celles qui donnent véritablement lieu une incarcération, nous sommes passés, en vingt ans, de 28 % en 2000 à 36 % de peines donnant lieu à une incarcération ; c’est une autre explication à la surpopulation carcérale.
J’en viens aux actions menées sur le terrain de la prévention. Nous avons adopté un code de justice pénale des mineurs, lequel fait actuellement l’objet d’une évaluation par deux de nos collègues de la commission des lois, Cécile Untermaier et Jean Terlier, qui rendront leurs travaux prochainement. Depuis son entrée en vigueur, c’est-à-dire depuis un peu moins de deux ans, le délai de jugement des mineurs a été divisé par deux, passant de dix-huit mois à huit mois. En installant une épée de Damoclès au-dessus de la tête des mineurs, cette accélération a une incidence directe sur la réduction de la délinquance, car l’on sait que la réitération – appelée récidive quand le juge reconnaît le phénomène légal de récidive – se cristallise sur les premiers actes de délinquance. Pour ceux qui voudraient faire un détour par la littérature, il y a d’ailleurs d’excellents récits, comme
L’Éducation d’un malfrat de l’Américain Edward Bunker, qui montrent la fixation de la délinquance juvénile.
Sur la question de l’exécution des peines, les statistiques publiées par le ministère de la justice indiquent que 95 % des peines sont mises à exécution. En outre, plus de la moitié des peines de plus d’un an prononcées en l’absence du condamné ont finalement été exécutées, et les stocks ont significativement baissé. La proposition de loi semble méconnaître ces chiffres ; pourtant, ils ont été clairement exposés.
Voilà qui devrait répondre à un certain nombre de vos questions concernant les peines prononcées, l’exécution des sanctions et l’efficacité – ou le laxisme supposé – de la justice.
J’en viens aux statistiques propres aux forces de l’ordre. Tout d’abord, le taux de présentation devant le procureur de la République est très élevé : il est quasiment multiplié par dix pour les violences commises à l’encontre de forces de sécurité intérieure, ce qui indique une attention particulière des parquets, conséquence directe des circulaires de politique pénale émises à l’encontre des auteurs de ces infractions.
Ensuite, lorsqu’une ITT est constatée pour une personne dépositaire de l’autorité publique, dans 71 % des cas, une peine de prison est prononcée pour la première infraction – pas pour la deuxième, pas pour une récidive légale, mais pour la première ! Rappelons qu’une personne dépositaire de l’autorité publique n’est pas forcément membre des forces de sécurité intérieure ; elle peut aussi être un professeur ou un élu.
Ces bons résultats en matière de lutte contre la délinquance ne sont évidemment pas le fruit du hasard : ils s’expliquent, pour commencer, par les budgets successifs du ministère de la justice que nous avons adoptés. J’observe d’ailleurs que la seule mission du projet de loi de finances pour 2023 qui a été examinée dans son intégralité par le Parlement, et qui a été adoptée, est celle du ministère de la justice, examinée par la commission des lois. Nous avons donc déjà largement débattu des questions que nous abordons aujourd’hui et je ne me souviens pas que nous ayons été amenés à discuter d’un quelconque amendement sur les peines planchers. Sur ce sujet, les positions de certains députés ont d’ailleurs évolué. On pourrait évidemment s’interroger sur les raisons de leur changement, mais on ne peut pas reprocher à la majorité sa constance dans le refus des peines planchers – sauf à être malhonnêtes : nous sommes cohérents.
En ce qui concerne le budget du ministère de la justice, il a connu une hausse de 44 % entre 2017 et 2023 et augmentera de 60 % à l’horizon 2027. Le plan de recrutement est désormais connu : 10 000 fonctionnaires de justice, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers, vont être embauchés d’ici à 2027. Nous devrons évidemment en tenir compte lorsque nous examinerons l’article 2 et la question de savoir quelles tâches devront être confiées à ces magistrats et à ces greffiers, s’agissant notamment de la notification des procédures aux élus.
En ce qui concerne la loi du 24 janvier 2023 d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, la Lopmi, que les députés du groupe Horizons et apparentés ont soutenue, je rappelle qu’ils n’ont pas non plus formulé de propositions sur les infractions à l’encontre des forces de l’ordre lors de sa discussion. Et pour cause : le texte contient plusieurs dispositifs en ce sens. La Lopmi prévoit 15 milliards d’euros pour le ministère de l’intérieur d’ici à 2027 et le recrutement de 8 500 policiers et gendarmes sur cinq ans, en plus des 10 000 postes créés au cours du précédent quinquennat. Vous le voyez, ici non plus, point de laxisme – cela nous a d’ailleurs été maintes fois reproché par des députés de la gauche de l’hémicycle, parmi lesquels on nous range aujourd’hui parce que nous rejetons la proposition de loi !
Qu’avons-nous fait depuis 2017 pour lutter contre la récidive ? Tout d’abord, nous avons fait adopter la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. C’est un texte que vous connaissez bien, madame la rapporteure, puisque vous vous êtes grandement impliquée dans son élaboration. Vous vous étiez d’ailleurs mobilisée, à l’époque, aux côtés du Premier ministre, pour repousser les peines planchers. Édouard Philippe était particulièrement avisé sur cette question puisqu’il avait exercé, trois mois durant, la fonction éminente de ministre de l’intérieur, cumulée à sa fonction de Premier ministre. À cette période, y compris devant les syndicats de policiers, il expliquait l’inefficacité et l’inutilité des peines planchers, qu’il n’entendait donc pas introduire dans la loi.
Eh oui ! Je suis donc surpris que vous présentiez aujourd’hui cette proposition de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe HOR.) On s’en souviendra ! Qu’avons-nous fait au-delà de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ? Tout d’abord, nous avons renforcé les aménagements de peine au-dessous d’un an d’emprisonnement ferme… (Protestations sur les bancs du groupe HOR.) On s’en souviendra ! Vous formulez des menaces, chers collègues ? Quand on défend une position politique, elle est toujours publique. Chacun de nous le sait d’expérience. Je m’étonne de vos menaces… Deux salles, deux ambiances ! (Sourires.) Je reprends : nous avons renforcé les aménagements de peine au-dessous d’un an d’emprisonnement ferme, en excluant – j’insiste sur ce point – du champ des peines supérieures à un an les peines de prison exécutées sans aménagement initial.
Nous avons également systématisé les libérations sous contrainte pour les personnes condamnées à des peines inférieures ou égales à deux ans, sauf pour les personnes condamnées pour des violences sur des policiers. Enfin, comme l’a rappelé M. le garde des sceaux, nous avons supprimé les crédits automatiques de réduction de peine, ainsi que le rappel à la loi et le dispositif qui lui a succédé relatif aux infractions commises à l’égard des personnes dépositaires de l’autorité publique. Enfin, le code de la justice pénale des mineurs a également évolué.
C’est long ! C’est long, en effet, car nous avons pris tellement de mesures que je pourrais passer une journée à vous les décrire ! (Rires et exclamations sur les bancs des groupes RN et HOR.) Qui se justifie s’accuse ! On s’en souviendra ! Je pourrais vous dire aussi que nous avons eu la volonté de créer 15 000 places de prison,… La volonté, pas les actes ! …d’une part pour mieux respecter la dignité des détenus, d’autre part pour en incarcérer davantage, puisque les peines prononcées nécessitent la création de nouvelles places.
Je pourrais vous dire encore que nous avons adopté plusieurs dispositions relatives à la limitation de la durée des peines et aux réductions de peine, mais aussi à l’exclusion de l’application de plein droit de la libération sous contrainte. Aucune de ces dispositions n’a été soutenue par la droite et l’extrême droite.
Il est intéressant de le souligner alors que nous examinons la présente proposition de loi. Rappelons que plusieurs députés de droite et d’extrême droite avaient proposé le rétablissement des peines planchers dans leur programme présidentiel de 2022. C’était le cas de Valérie Pécresse – les députés du groupe Les Républicains défendent systématiquement cette mesure.
Ils sont peu nombreux ce matin… C’était le cas également de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour. Mais ce n’était pas le cas de la majorité présidentielle. Notre position sur la proposition de la loi n’a donc rien de surprenant. La France est un coupe-gorge ! Venons-en aux articles. Je vous ai dit à plusieurs reprises que nous nous opposerions à l’article 1er par cohérence et par fidélité à la position et aux valeurs que la majorité a toujours défendues, mais aussi par pragmatisme, parce que les mesures proposées par le texte sont inefficaces. Par cohérence aussi, nous repousserons l’article 2, comme nous y invite elle-même la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Certains critiquent l’expertise du Sénat en matière de collectivités, mais ce n’est pas mon cas, et, selon Mme Françoise Gatel, les élus n’ont pas besoin d’être informés de toutes les décisions judiciaires rendues à la suite d’infractions causant un trouble à l’ordre public commises dans leur territoire.
M. le garde des sceaux nous a expliqué, par ailleurs, que les procureurs seraient paralysés par la nécessité de communiquer ces informations. En outre, cette disposition ne dit rien des procédures non définitives : dans le cas d’un jugement suspensif en matière pénale, lorsque l’appel est pendant, à quel moment la décision judiciaire devrait-elle être communiquée au maire, et quelle décision ? Faudrait-il lui expliquer que tel individu a été condamné en première instance, mais qu’il a fait appel et qu’il ne l’est donc pas de manière définitive ? Cette mesure introduirait de la confusion et n’aurait donc aucun intérêt.
S’agissant des Spip, nous avons déjà évoqué leur désorganisation. À supposer qu’un délinquant ait commis une infraction à l’encontre d’un membre des forces de l’ordre pour laquelle vous voulez instaurer une peine plancher, ce délinquant ferait sans doute l’objet d’un mandat de dépôt. Dès lors, il serait absurde, alors même qu’on prépare son incarcération, de le maintenir dans les locaux du tribunal pour préparer sa réinsertion. En toute logique, le Spip doit intervenir uniquement dans les locaux de l’administration pénitentiaire.
Quant à la conférence de consensus de lutte contre la récidive que vous voulez organiser en 2023, je rappelle qu’avec tous les magistrats de France et de multiples personnalités, nous venons de passer un an à imaginer la justice de demain. Ni les avocats, que vous connaissez bien, ni les magistrats, ni les Spip, ni les autres acteurs du monde judiciaire n’ont demandé la réintroduction des peines planchers – aucun d’entre eux !
Et les victimes ? Pourquoi convoquer une conférence de consensus sur un sujet sur lequel nous connaissons déjà la position des acteurs du monde judiciaire ? Cela n’aurait pas de sens et ce serait beaucoup de temps perdu. (Exclamations sur les bancs du groupe HOR.) Qu’est-ce que cela change pour les victimes ? C’est long ! Vous voulez un débat, non ? Alors je vous donne des chiffres, je rappelle les textes. Arrêtez de nous faire la leçon ! Nous perdons du temps ! Nous ne sommes pas à la fac ! Si nous étions à la fac et si j’étais le professeur, vous n’auriez peut-être pas fait cette erreur ! (M. Gilles Le Gendre et M. Erwan Balanant applaudissent. – Protestations sur les bancs du groupe HOR.)
Vous reconnaissez sans doute la réflexion de Dominique Strauss-Kahn à Nicolas Sarkozy lors de la campagne des élections européennes de 1999. Vous voyez que je cite les bons auteurs !
Cela fait un quart d’heure que vous parlez ! Entre-temps, il y a déjà eu quinze agressions ! Pour conclure, nous ne soutiendrons donc pas l’article 5 qui propose l’organisation d’une conférence de consensus. Sur ce point, comme sur les autres, vous ne pouvez nullement être surpris de notre opposition. Notre position, cohérente, loyale et pragmatique, s’inscrit dans la continuité de tout ce que nous avons défendu depuis six ans en matière de politique pénale. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) La parole est à M. le garde des sceaux. Le bon sens est une vertu cardinale. Aujourd’hui, quand un récidiviste est jugé, il encourt une peine deux fois plus importante que celle d’un non-récidiviste. Si un non-récidiviste encourt cinq ans de prison pour un délit, un récidiviste encourt dix ans de prison pour ce même délit. En réalité, les peines planchers que l’on nous propose aujourd’hui ne sont pas de véritables peines planchers, puisque le juge a toujours la possibilité d’y déroger – vous ne me contredirez pas sur ce point. D’ailleurs, il serait inconstitutionnel qu’il en soit autrement, car les magistrats de ce pays sont indépendants – je dis bien « de ce pays », mais j’y reviendrai dans un instant.
À quoi servirait donc de rétablir les peines planchers ? Soyons pratiques et pragmatiques. La récidive est constatée pour le prévenu Duchmol, qui encourt non plus cinq ans de prison, mais dix. Vous proposez une peine d’emprisonnement d’un an, à laquelle le juge peut déroger. À quoi servirait votre mesure ?
Comme je l’ai dit dans mon intervention liminaire, nous sommes aujourd’hui non pas mieux-disants, mais mieux-faisants que votre texte, puisque les pénalités prévues pour le périmètre que vous avez choisi, dans le but de protéger les forces de sécurité intérieure – je comprends bien sûr cette intention –, atteignent aujourd’hui 14,2 mois d’emprisonnement ferme. Non seulement notre droit positif est mieux-disant, mais, dans leur sévérité, les magistrats sont également mieux-faisants. À quoi servirait donc votre mesure ? Le bon sens est transpartisan, voyez-vous.
Alors, évidemment, nous allons débattre, car je suis favorable à ce que les débats aient lieu.
Ah ? C’est la moindre des choses quand on est démocrate. Vous l’êtes et je le suis. Mais vous avez sans doute compris que le Front national (« Rassemblement national ! Il faut vous mettre à jour ! » sur les bancs du groupe RN) souhaite s’emparer du texte pour y mettre tout ce qui l’anime depuis longtemps. Et alors ? Nous sommes élus, non ? Certes, mais moi je suis ministre, et je vais en dire quelques mots. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Heureusement qu’on est là ! Madame la présidente, puis-je terminer mon intervention ? (« Oh ! » sur les bancs du groupe RN.) Chers collègues, je vous remercie de bien vouloir écouter l’intervention de M. le ministre jusqu’au bout. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe RN.) Si même le RN se met à bordéliser maintenant ! (Sourires.) Monsieur Balanant, s’il vous plaît ! Puis-je terminer ? Le Rassemblement national (« Ah ! » et applaudissements sur les bancs du groupe RN) raconte partout, sur les plateaux de télé, à la radio et dans les journaux,… Et dans les meetings fascistes… Que vous êtes Mme Taubira en pire ! Oui, ça c’est vrai. Il raconte surtout que la justice est laxiste. Voilà son mantra ! Elle l’est ! Les prisons n’ont jamais été aussi pleines ! Arrêtons-nous deux secondes sur ce point. La vérité n’est pas l’autoproclamation de la vérité. Les prisons n’ont jamais été aussi pleines et vous dites – je vous ai entendus tout à l’heure, car je suis attentif à vos propos – qu’il faut en construire. Or c’est ce que nous faisons. Quant au taux d’occupation des prisons, il est précisément le signe de la sévérité des magistrats. Il est le signe de l’ensauvagement de la société ! Non ! Lors de la séance des questions au Gouvernement (QAG) de cette semaine, je vous ai donné les chiffres de la délinquance dans les Alpes-Maritimes, et je l’avais fait la semaine précédente pour le Var. (Protestations sur les bancs du groupe RN.) C’était faux ! Je poursuis. S’il vous plaît ! Seul monsieur le garde des sceaux a la parole, et vous pourrez vous exprimer ensuite, bien évidemment, sur les amendements. Le taux de surpopulation carcérale… (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Vos chiffres étaient faux ! Ce sont les chiffres. Admettons que ce soit vrai ; cela reste inquiétant ! Je vais vous donner les chiffres. (Les exclamations se poursuivent sur les bancs du groupe RN.) Ce ne sont pas les QAG ! C’est une ZAD, ici ! Soyez brillant, monsieur le ministre ! Je voudrais vous donner les chiffres relatifs au laxisme supposé de la justice dans notre pays. En matière délictuelle, la durée moyenne des peines d’emprisonnement ferme s’élevait à 8,2 mois en 2016 et à 9,4 mois en 2020, ce qui représente une augmentation de la sévérité de l’ordre de 15 %. (« Ah ! » sur les bancs du groupe RN.) En matière criminelle, les jurys populaires, notamment, prononçaient des peines d’emprisonnement de 14,9 années en moyenne en 2016 et de 16,1 années en 2020, ce qui représente une augmentation de 8 %. Le total cumulé d’augmentation de la durée des peines, s’agissant des délits et des crimes, s’élève à 13 %. En cas de récidive, le taux d’emprisonnement ferme est quant à lui passé de 54,3 % dans la période comprise entre 2001 et 2005 à 60,9 % sur la période 2016-2020.
En Europe maintenant,…
Ah ! …il faut que vous sachiez que la durée moyenne d’emprisonnement des détenus condamnés, qui est en France de 38,5 mois, s’élève à 31,69 mois à l’échelle européenne. Et en Suède, qui est peut-être pour vous une référence, elle n’est que de 6,3 mois ! Voilà les chiffres ! Bla bla bla ! C’est en France que la délinquance augmente le plus ! Parlons de la France ! Voilà le tableur Excel ; et maintenant, la réalité ? La réalité, c’est celle-là ! Et je vais vous dire ce que c’est, votre réalité à vous. La réalité qui est la vôtre, elle est victimaire et compassionnelle ; c’est Lola, dont vous n’avez d’ailleurs pas cité le prénom, monsieur le député, Lola ! Le cercueil de cette petite fille sert de marchepied à votre parti ! (Vives protestations sur les bancs du groupe RN.) Vous êtes indécent ! Honteux ! Voilà la réalité ! Vous devriez avoir honte ! Vous devriez vous excuser ! Encore un mot ! (Les protestations se poursuivent sur les bancs du groupe RN.) L’exemplarité est votre seule boussole en matière de politique pénale. Alors je vais vous dire : j’ai entendu l’un des vôtres dire que nul n’est censé ignorer la loi, et – bien sûr –, vous avez raison. Même le garde des sceaux ! Mais, voyez-vous, un homme qui s’apprête à commettre un acte de délinquance a d’abord une conviction chevillée au corps – le bon sens, toujours le bon sens : c’est qu’il ne va pas se faire prendre. Il n’est pas chez vous, le bon sens ! Et Robert Badinter disait la chose suivante : quand on commet une infraction, on ne le fait pas avec un code pénal sous le bras. Si vous daignez regarder un peu l’histoire et prendre un peu de hauteur (« Oh ! » sur les bancs du groupe RN) , au lieu d’utiliser sans cesse une rhétorique compassionnelle qui vous fournit vos seuls arguments, vous verrez qu’il n’y a jamais eu autant de pickpockets que lorsque les condamnations à mort, les exécutions, étaient perpétrées en place publique ! Vous ne voulez pas défendre les victimes, plutôt ? Ministre des prisonniers ! Et j’ai encore plusieurs autres choses à vous dire. Messieurs les députés du Front national (Vives exclamations sur les bancs du groupe RN) , encore un mot. Si demain un garde des sceaux qui trouverait grâce à vos yeux, à qui vous n’envisageriez pas de jeter des peaux de banane (« Quoi ? » sur les bancs du groupe RN) comme vous l’avez fait à un moment… C’est à quelle heure, le karting ? Vous allez être en retard ! Écoutez-moi deux secondes ! Si un tel garde des sceaux, celui que vous appelez de vos vœux, décidait de doubler toutes les peines dans le pays, pensez-vous que cela diminuerait par deux la délinquance ? (« On peut essayer ! » sur les bancs du groupe RN.) Mais vous rêvez ! Vous mentez, vous racontez du vent ! Vous êtes des populistes ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – Protestations sur les bancs du groupe RN.) Pourquoi vous en prenez-vous à nous ? C’est une obsession ! Il faut aller voir un psy ! Je dirai encore un petit mot sur votre crédibilité en matière de justice. Est-ce qu’on peut en revenir au texte, ne serait-ce que par respect pour la rapporteure ? Vous savez ce qui me gêne le plus ? Vous savez de quoi on parle, aujourd’hui ? Ce qui me gêne le plus, c’est que cette proposition de loi offre une tribune à la droite extrême. (Protestations sur les bancs du groupe RN.) Chers collègues, s’il vous plaît. Peut-on écouter dans le calme la fin de l’intervention de M. le garde des sceaux ? Vous aurez la parole ensuite. Écoutez-moi une seconde ! La crédibilité du Rassemblement national en matière de justice (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe RN) , je vais vous la rappeler ! Marine Le Pen, dans son livre blanc sur la justice – ne vous en déplaise –, envisageait la création de 9 000 postes de magistrats pour tout le pays ; or, grâce au budget que vous avez voté (Le garde des sceaux se tourne vers les bancs du groupe HOR) , mais pas les députés du Rassemblement national, nous avions déjà dépassé ce chiffre ! Vous associez vos alliés au RN ? L’heure tourne : répondez à Édouard Philippe ! Quel cinéma ! Après que la remarque lui a été faite, elle a décidé qu’il fallait 18 000 magistrats dans notre pays : on est passé de 9 000 à 18 000 ! (Les exclamations se poursuivent sur les bancs du groupe RN.) Ça n’a rien à voir avec la proposition de loi ! S’il vous plaît ! Peut-on, chers collègues, écouter la fin de l’intervention de M. le garde des sceaux ? Encore un dernier mot. En matière de récidive, votre ancien patron a été condamné dix-sept fois ! (Protestations sur les bancs du groupe RN.) Vous êtes ridicule ! Vous êtes vous-même mis en examen, un peu de pudeur ! Dix-sept fois condamné ! Vous n’êtes pas en examen, vous ? Encore un dernier mot, avant que je m’assoie. (« Ah ! » sur les bancs du groupe RN.) La majorité,… Ah, ça redevient la majorité ! …dans sa diversité, vote les budgets relatifs à la justice. L’argument massue ! Alors, voyez-vous, vouloir améliorer la justice de notre pays et ne pas lui donner les moyens de le faire, c’est assez singulier. Vous êtes Taubira en pire ! Allez vous reposer ! S’agissant des Spip, sur lesquels les états généraux de la justice se sont longuement attardés, deux problèmes se posent. Le premier, c’est qu’il n’y a pas assez de place pour que les Spip soient présents dans les tribunaux – c’est aussi bête que cela. Le deuxième, c’est que si les Spip interviennent tout de suite, on va considérablement réduire le nombre de décisions rendues ; en effet, vous le savez, ils ont besoin de pièces dont j’ai expliqué tout à l’heure qu’il était impossible aux greffiers de les fournir au fur et à mesure.
Enfin, madame Ménard, s’agissant de l’information systématique du maire lui permettant de faire appel de certaines décisions judiciaires, je veux vous dire que nous avons soutenu un texte, la proposition de loi déposée par Mme Nathalie Delattre, visant à permettre aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, un édile victime d’agression ; j’ai fait en sorte qu’elle arrive très vite ici, et elle a été votée. Elle permet aux associations d’élus, y compris l’Assemblée nationale ou une mairie, le cas échéant, de se constituer partie civile ; dans ces conditions, lorsqu’on est partie civile à un procès, on est informé, naturellement : on peut notamment interjeter appel et faire valoir les voies de recours.
(Mme Caroline Abadie applaudit.) Même la majorité ne vous applaudit pas ! La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures dix, est reprise à onze heures quinze.)