Première séance du jeudi 22 juin 2023
- Présidence de Mme Valérie Rabault
- 1. Accompagnement des élus locaux dans la lutte contre l’artificialisation des sols
- Présentation
- Motion de rejet préalable
- Discussion générale
- Discussion des articles
- Article 1er
- M. Elie Califer
- M. Yannick Monnet
- Mme Mathilde Paris
- M. William Martinet
- M. Marc Le Fur
- Amendements nos 168, 152, 607, 214, 451, 456, 364, 390, 541 et 392
- Suspension et reprise de la séance
- Après l’article 1er
- Amendements nos 134
- Sous-amendement nos 840, 843
- Amendements nos 380 rectifié, 534 rectifié, 381 rectifié, 535 rectifié, 382 rectifié, 536 rectifié, 786, 369, 383 rectifié, 567, 537 rectifié, 700 rectifié, 590, 111, 368, 538 rectifié, 566, 597 rectifié, 565 et 112
- Article 1er
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Valérie Rabault
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures.)
1. Accompagnement des élus locaux dans la lutte contre l’artificialisation des sols
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi adoptée par le Sénat
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols (nos 958, 1359).
(La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise.)
Présentation
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Je suis très heureux de vous retrouver ce matin dans cet hémicycle pour l’examen de la proposition de loi visant à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols. Peu de sujets concentrent autant d’enjeux.
La lutte contre l’artificialisation des sols participe en effet à la lutte contre l’érosion de la biodiversité, car l’artificialisation en est la première cause ; à la lutte contre le dérèglement du cycle de l’eau, car un sol artificialisé ne peut plus jouer son rôle dans ce cycle du fait qu’il empêche la nappe phréatique de se recharger et accélère ainsi les phénomènes de ruissellement ; à la lutte contre le dérèglement climatique, car un sol artificialisé ne stocke plus de CO?. Elle contribue en outre à la préservation de la souveraineté alimentaire de notre pays, car elle participe à la conservation d’espaces pour l’agriculture dans un contexte où on voudrait lui faire porter beaucoup de choses, sans toujours tenir compte de la réalité.
Depuis 1981, 2 millions d’hectares ont été artificialisés. Autrement dit, nous avons plus artificialisé les sols de notre pays en cinquante ans qu’en cinq cents ans, alors que cette augmentation n’est pas corrélée à la hausse de la population durant cette période et que le ratio du nombre de mètres carrés artificialisés par habitant montre que nous avons davantage construit que nos voisins.
Face à l’urgence, le Parlement – votre assemblée et le Sénat – a adopté une trajectoire de zéro artificialisation nette (ZAN) dans le cadre de la loi « climat et résilience », qui traduit un double engagement.
Le premier est de diviser par deux la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) au cours de la décennie 2021-2031 par rapport à la décennie 2011-2021, ce qui revient à prolonger la baisse déjà observée de la consommation d’espaces naturels, avec un effort supplémentaire permettant de tenir un objectif moyen de consommation de l’ordre de 12 500 hectares par an. La loi n’a donc pas créé une rupture dans les pratiques d’aménagement, puisqu’elle ne fait qu’amplifier une tendance, tout en demandant aux territoires un effort supplémentaire, mais limité.
La marche suivante est de parvenir en trente ans à un usage des sols de zéro artificialisation nette. Cet objectif, que nous devrons donc atteindre en 2050, devra être mesuré par le solde entre les surfaces nouvellement artificialisées et les surfaces rendues à la nature – à l’occasion de certains débats, j’ai parfois l’impression que certains considèrent que cet objectif est déjà atteint.
Je précise que nous ne sommes pas seuls : bon nombre de nos partenaires européens ont d’ores et déjà adopté des mesures pour limiter l’artificialisation des sols et partagent l’objectif de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050.
Depuis le début du parcours de ce texte, souhaité par le Sénat, notre objectif constant est de garantir l’application et le respect de cette trajectoire en privilégiant le dialogue et la concertation avec les élus locaux, à la fois parce qu’elle est issue d’un large vote de la représentation nationale et parce qu’elle est indispensable, pour toutes les raisons que je viens d’invoquer.
Cet esprit nous a donc animés dès la première lecture au Sénat. Il nous a conduits à y défendre des mesures de bon sens et de facilitation et s’est traduit par la volonté d’éviter que n’y soient adoptées des dispositions qui videraient de sa substance la trajectoire de sobriété foncière. De ce point de vue, le texte adopté au Sénat nous paraît améliorable, car trop de dispositions votées nous semblent compromettre la crédibilité de cette trajectoire.
Nous nous sommes donc efforcés, avant que ce texte ne soit examiné par l’Assemblée nationale, de mener de nouvelles concertations approfondies avec les associations d’élus, en particulier avec l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF), pour tenter de trouver le chemin du consensus dont notre pays a besoin.
Nous devons remettre sur le métier l’ouvrage législatif afin de garantir que les mesures de bon sens et de facilitation sur lesquelles nous sommes en accord depuis le début soient votées. Il s’agit de la prise en compte de la renaturation avant 2031 ; de la création de nouveaux outils – extension du droit de préemption ou mise en place de périmètres de sursis à statuer – pour aider les communes à mieux maîtriser les projets avant 2031 ; de la communication aux communes des données dont elles ont besoin pour mieux mesurer les effets de l’artificialisation et y réagir ; de la possibilité offerte aux communes littorales d’anticiper le recul du trait de côte ; de dispositions, cruciales dans cette discussion législative, relatives à la prise en compte des grands projets nationaux et au principe d’une garantie rurale.
La première difficulté est que certains grands projets de l’État, par exemple des infrastructures majeures telles que le canal Seine-Nord Europe, consomment beaucoup d’espaces à l’échelle d’une région.
M. Sébastien Jumel
L’EPR aussi !
M. Christophe Béchu, ministre
De très nombreuses demandes convergent pour compter à part ces grands projets.
M. Sébastien Jumel
Dont l’EPR !
M. Christophe Béchu, ministre
J’y suis favorable, à la condition que cela ne remette pas en cause l’objectif de réduction de 50 % de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers.
M. Sébastien Jumel
Ne me regardez pas ainsi du coin de l’œil ! (Sourires.)
M. Christophe Béchu, ministre
Il me semble donc nécessaire que la liste des grands projets reste définie par l’État et qu’une péréquation entre les régions permette, globalement, de s’assurer du respect de l’objectif.
À l’autre bout du spectre, il convient, dans le cadre de la garantie rurale, que les communes puissent bénéficier d’une espérance et d’un droit aux projets. Le Gouvernement est favorable au principe de la garantie rurale. La question qui se pose ici est relative à son ciblage, afin qu’elle puisse bénéficier de manière effective aux communes rurales.
L’examen en commission a permis de rééquilibrer le texte issu du Sénat, en renvoyant au décret les dispositions relevant du domaine réglementaire afin de recentrer les discussions sur les articles relevant strictement du domaine de la loi, si nous considérons que les mesures permettant d’atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette sont perfectibles.
Le texte issu de la commission est un texte de compromis, qui permet d’adapter les dispositions de la loi « climat et résilience » aux réalités des territoires telles qu’elles nous ont été remontées du terrain.
Parvenir à un consensus sur un sujet aussi ambitieux n’est en rien un renoncement : c’est assumer l’idée qu’une ambition écologique forte doit passer par la capacité à entraîner la majeure partie de nos concitoyens et de nos territoires. Le chemin que nous construirons au cours des heures de débat qui nous attendent doit aboutir à un accord. Nous ne quitterons pas cet hémicycle sans avoir voté avant le milieu du mois de juillet, après une commission mixte paritaire (CMP) conclusive, un dispositif opérant et qui réponde aux demandes d’assouplissement, relayées par la Haute Assemblée, de milliers de maires partout sur le territoire. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem, ainsi que sur les bancs des commissions.)
Mme la présidente
La parole est à M. Bastien Marchive, rapporteur de la commission des affaires économiques.
M. Bastien Marchive, rapporteur de la commission des affaires économiques
Depuis plusieurs décennies, chaque année, la France construit sur ses espaces naturels l’équivalent de deux à trois fois la superficie de la ville de Paris, ce qui fait de nous le plus mauvais élève européen en termes de sobriété foncière. À titre de comparaison, nous avons consommé 15 % de terres en plus que l’Allemagne, qui est pourtant bien plus peuplée, et 57 % de plus que le Royaume-Uni, dont la population est comparable. On pourrait se dire : « Et alors ? ». Mais ce serait dénier le réchauffement climatique, l’érosion de la biodiversité ou la perturbation du cycle de l’eau que l’artificialisation implique. Ce serait également oublier que les sols ont la capacité de capter le CO? et que nos terres sont les garantes de notre souveraineté alimentaire.
Notre assemblée a préféré faire preuve d’esprit de responsabilité lorsque, il y a deux ans, elle a voté la loi « climat et résilience » qui fixait une trajectoire de réduction de l’artificialisation. Il ne s’agit pas aujourd’hui de revenir sur ces ambitions. Elles doivent, au contraire, demeurer intactes et nous devons maintenir un cap clair, celui de diviser par deux la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers en dix ans afin de parvenir à l’objectif de zéro artificialisation nette d’ici 2050.
Toutefois, des questions se posent : comment garantir que les grands projets de demain aboutissent ? Comment mieux accompagner les communes, en particulier rurales, pour atteindre ces objectifs ? En bref, comment faire pour que construire mieux ne soit pas synonyme de ne plus construire ?
L’enjeu de ce texte est de répondre à ces questions, qui sont autant d’objectifs à décliner à l’échelle des territoires, car ils relèvent de la compétence des communes. Par l’intermédiaire de leurs documents d’urbanisme – schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet), schéma de cohérence territoriale (Scot), plan local d’urbanisme (PLU), plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), plan d’aménagement et de développement durable de Corse (Padduc) et autres –, elles sont en effet les chevilles ouvrières de la construction, nous aurons l’occasion d’en parler abondamment.
De nombreuses collectivités locales nous ont fait part de leurs craintes de ne plus pouvoir se développer, de voir la ruralité oubliée en cours de route ou les bons élèves pénalisés. Elles craignent également de ne pouvoir mettre en œuvre la loi « climat et résilience » en raison de coûts excessifs ou d’un déficit d’ingénierie les privant de l’expertise nécessaire.
C’est pour répondre à ces alertes que M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a pris la décision de suspendre les décrets d’application. La période de réflexion et de concertation qui a suivi nous a donné l’occasion de rencontrer ou d’auditionner l’ensemble des acteurs concernés, au premier rang desquels les associations d’élus, mais aussi les associations environnementales, les agriculteurs, les promoteurs, les acteurs du logement et du monde économique et, plus globalement, tous ceux qui sont concernés par les objectifs ambitieux que nous défendons.
Trois grands principes ont guidé mes travaux de rapporteur. Il convient d’abord de maintenir le cap des ambitions environnementales fixées par la Convention citoyenne pour le climat (CCC), qui a inspiré la loi du 22 août 2021. La protection des sols constitue en effet l’un des piliers de la transition environnementale et nous ne saurions revenir sur de tels objectifs deux ans après les avoir adoptés et alors qu’ils commencent seulement à être déclinés. Ensuite, il faut tenir compte de la particularité française – ces villages et ces paysages auxquels nous sommes tous attachés –, en veillant à la justice territoriale dans la répartition des droits à construire. Ce n’est qu’ainsi, en confiance et dans le respect de la liberté des élus locaux, que nous réussirons. Il vous sera donc proposé de créer une garantie rurale, un sursis à statuer ou encore un accompagnement de la réalisation de projets d’intérêt régional ou intercommunal. Enfin, pour la transition environnementale et pour notre souveraineté, il faut garantir la réalisation des projets d’envergure nationale qui justifient, par leur objet et leur ampleur, que l’effort en découlant soit solidairement et efficacement partagé.
Le travail mené conjointement en commission des affaires économiques s’inscrit dans cette logique et je souhaite qu’il en soit également ainsi durant ces débats. À ceux qui s’inquiéteraient pour l’atteinte de nos objectifs environnementaux, je veux dire que nos ambitions sont intactes et qu’ils sont bel et bien respectés. À ceux qui redouteraient le blocage de projets décisifs pour l’avenir de notre pays, je veux dire que ceux-ci sont sécurisés. À ceux qui craindraient pour le développement des communes rurales, je veux dire que nous l’avons ici garanti. Le présent texte adopté en commission respecte ces grands équilibres. Il nous appartient désormais collectivement de les préserver. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Lionel Causse, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
M. Lionel Causse, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Le présent texte, qui vise à renforcer le rôle des élus locaux dans la lutte contre l’artificialisation, s’inscrit dans la trajectoire de sobriété foncière que nous avions fixée. Je rappelle qu’en 2011, la Commission européenne a inscrit celle-ci dans sa feuille de route pour tous les États membres, en leur assignant notamment un objectif de zéro artificialisation nette en 2050. En 2016, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a transféré la compétence en matière de sobriété foncière aux régions, à travers les Sraddet. Enfin, en 2021, la loi « climat et résilience » a confirmé ces objectifs et esquissé un premier calendrier, celui d’une division par deux de la consommation des Enaf entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente. Entre 2011 et 2021, nous avons consommé chaque année 250 000 hectares, soit un peu plus du double de la superficie de la ville de Paris. Il faudrait, au cours de la présente décennie, en consommer annuellement 125 000, soit un peu plus d’une fois la superficie de cette ville. Le présent texte décline et précise l’inscription territoriale de ces objectifs.
Sur le temps plus long, rappelons que depuis 1982, le taux d’artificialisation des sols a augmenté de 72 % dans notre pays,…
M. Vincent Descoeur
Le problème concerne surtout l’Île-de-France, pas vraiment le Cantal !
M. Philippe Gosselin
Ni la Manche !
M. Lionel Causse, rapporteur pour avis
…alors que la population n’a augmenté que de 19 %. On le voit, nous avons la responsabilité de nous interroger sur l’aménagement du territoire pour les années à venir, d’autant que l’artificialisation des sols est la première cause de perte de biodiversité.
Cette proposition de loi issue du Sénat, examinée en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et en commission des affaires économiques, permettra d’apporter de nouveaux outils aux décideurs locaux, en particulier aux élus locaux – tant ceux des communes rurales que ceux des communes urbaines, des départements, des régions, des Scot et des intercommunalités. C’est le résultat d’un long travail mené avec le Sénat et, bien entendu, le Gouvernement – merci, monsieur le ministre –, les associations d’élus et cette assemblée – je remercie également tous nos collègues parlementaires mobilisés sur ce sujet depuis de nombreux mois, voire de nombreuses années. Il en résulte un équilibre, qui sera, je tiens à le rappeler, temporaire : l’objectif d’atteindre le ZAN pour 2050 nécessitera d’autres projets ou propositions de loi, ne serait-ce que pour préparer la décennie 2031-2041, dont nous devrons débattre le moment venu.
Plus tôt nous protégerons nos sols, meilleure sera notre adaptation aux risques et crises écologiques futures. Il ne s’agit pas de figer nos territoires, mais de les transformer, de les embellir, en gérant au mieux l’existant. Je le dis avec conviction : les villes qui s’inscrivent dans cette trajectoire, par exemple celles membres du programme Petites Villes de demain, montrent que nous pouvons y parvenir. J’ajoute que « zéro artificialisation » ne signifie pas « zéro construction ».
Notre responsabilité de législateur nous impose d’accompagner les territoires. Il ne serait pas sérieux de faire croire aux élus locaux que la date fixée pour l’atteinte des objectifs de sobriété foncière pourrait être repoussée. Je vous invite donc à aborder ce débat avec sérieux et détermination. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR, ainsi que sur les bancs des commissions et sur certains bancs du groupe GDR-NUPES.)
Motion de rejet préalable
Mme la présidente
J’ai reçu de M. Marc Le Fur une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Marc Le Fur.
M. Marc Le Fur
Cette motion de rejet vise très explicitement le principe même du ZAN et l’idéologie qui le sous-tend. Même si le présent texte apporte des améliorations, il ne remet malheureusement pas en cause l’essentiel d’un dispositif que je juge contraire aux intérêts des territoires – nos élus locaux, qui découvrent ce que cache ce sigle, sont effrayés, car ils en mesurent déjà les incidences redoutables pour leur commune.
Si chacun comprend la nécessité de la sobriété, il faut bien admettre que le ZAN instaure un système de rationnement. L’objectif de zéro artificialisation nette, c’est-à-dire de glaciation de notre territoire,…
Mme Catherine Couturier
On parle plutôt de réchauffement en ce moment !
M. Marc Le Fur
…s’il est fixé pour 2050, comme vous l’indiquez, monsieur le ministre, affecte déjà considérablement la capacité de construire.
Le ZAN est né d’une demande certes légitime, la protection de la terre agricole, mais je constate que, dans ma région comme ailleurs, ce ne sont ni l’industrie ni le logement qui menacent l’élevage – filière agricole que certains ici connaissent bien –, mais la végétalisation, la transformation d’exploitations d’élevage, notamment laitier, en cultures, quand ce n’est pas en jachère.
M. Sébastien Jumel
Non, ce qui menace l’élevage, c’est l’absence de prix rémunérateurs !
M. Philippe Gosselin
Aussi !
M. Marc Le Fur
Comme trop souvent, une intention vertueuse, en l’occurrence la protection de la terre agricole, a donné naissance à un monstre technocratique. Avec ce texte, nous adopterons les normes les plus exigeantes d’Europe, alors que nous disposons d’espace. La densité de notre population est l’une des plus basses parmi les grands pays européens, avec 117 habitants par kilomètre carré – contre, je le rappelle, 239 pour l’Allemagne, soit le double ; 277 pour la Grande-Bretagne, soit plus du double ; 200 pour l’Italie, sans parler des Pays-Bas, dont la densité est de 519 habitants par kilomètre carré. L’espace disponible constitue l’un des avantages comparatifs de la France en Europe.
Le degré d’exigence imposé par le ZAN aurait pu être pertinent s’il n’avait concerné que les métropoles et leur périphérie, c’est-à-dire là où l’excès de consommation d’espace est constaté. Hélas, au nom d’un principe jacobin absurde, la même règle s’appliquera à l’Île-de-France et à la Lozère, la Haute-Loire et la Manche, entre autres départements qui n’ont pas été atteints par le phénomène métropolitain.
Interdire au monde rural d’utiliser l’espace dont il dispose revient à lui interdire tout développement, à lui faire perdre son attractivité. En effet, cet espace plus grand, plus libre constitue son avantage relatif – qui contrebalance les distances plus longues à parcourir qu’en ville pour accéder aux commerces, aux services et parfois à son lieu de travail, ainsi que l’obligation de recourir à un système de transport plus coûteux. Cet avantage relatif disparaîtra, car le ZAN est ruralicide. Il ne faudra pas pleurer demain sur la fermeture des écoles, faute d’enfants, puisque nous aurons interdit à leurs parents de bâtir et de s’installer dans certaines communes. Il faudra assumer les conséquences.
Tous les effets pervers que nous avions annoncés lors du débat législatif sur la loi « climat et résilience » se manifestent désormais. Prenons l’exemple de la réindustrialisation, qui fait l’objet d’injonctions contradictoires. Le Président de la République indique qu’elle est nécessaire. J’adhère à ce constat et j’imagine ne pas être le seul, car il faut reconquérir notre souveraineté industrielle – seulement 10 % du PIB français est lié à l’industrie, contre 20 % en Allemagne et 15 % en Italie. Or, qu’elle soit verte ou non, l’industrie a besoin de foncier.
Je viens de l’un de ces rares territoires français qui ont su préserver l’emploi industriel ; les effectifs du secteur secondaire, la population ouvrière, se sont même accrus. L’un des arguments ayant permis la création de ces emplois industriels est l’existence de zones d’activité spacieuses, capables d’accueillir de vastes sites industriels. On n’installe pas une usine comme on installe les bureaux d’une société d’assurance : il faut de l’espace, une certaine distance avec le voisinage immédiat, mais ces éléments de bon sens ont, semble-t-il, échappé à certains.
Les effets du rationnement foncier commencent à se faire sentir. Un cas a récemment défrayé la chronique, celui du projet d’implantation d’une usine Bridor à Liffré, en Ille-et-Vilaine. Alors qu’il aurait permis la création de 500 emplois et devait couvrir 21 hectares, ce projet dû à Louis Le Duff – véritable capitaine d’industrie auquel je souhaite rendre hommage – est à l’abandon à cause de la multiplicité des contraintes administratives et spatiales. Je ne suis pas sûr que l’on puisse encore trouver l’espace qui lui est nécessaire, en Bretagne ou dans les autres régions, à cause des réglementations que vous nous imposez.
Au-delà de l’industrie, le décompte prévu des bâtiments agricoles en tant que surfaces artificialisées dans le cadre de l’objectif de ZAN posera également bien des problèmes aux agriculteurs. Alors que la modernisation des bâtiments d’élevage est indispensable à la compétitivité des éleveurs, elle sera impossible.
M. Vincent Descoeur
C’est un vrai sujet !
M. Marc Le Fur
Le monde paysan découvre qu’alors qu’il a été utilisé pour justifier les exigences de la non-artificialisation, il fait partie de ses premières victimes.
M. Philippe Gosselin
Ne mettons pas les campagnes sous cloche !
M. Marc Le Fur
Le logement fait lui aussi l’objet d’injonctions contradictoires. Certaines régions rurales attirent des populations, ne serait-ce que parce qu’on y trouve du travail, mais encore faut-il pouvoir les héberger, alors que le logement n’a cessé de se renchérir. Naguère, des revenus moyens, voire modestes, permettaient, au prix de quelques efforts, d’accéder à la propriété, au moins dans les petites villes et le monde rural. Ce n’est plus le cas, notamment à cause de la hausse du prix du foncier.
M. Sébastien Jumel
Il n’y a plus que les bourgeois qui peuvent acheter !
M. Marc Le Fur
Le ZAN, en rendant artificiellement rare le foncier constructible, aggravera encore le problème. Pourtant, quels maires n’appellent à pas la construction de nouvelles maisons sur le territoire de leur commune, car ils préfèrent sept ou huit maisons, de nouvelles familles, des enfants qui grandiront, à un hectare de maïs ?
Comment le Gouvernement et la majorité peuvent-ils être aussi sourds aux besoins de la population française ? Même si je sais que cela ne plaît pas de ce côté-ci du périphérique, les Français aspirent à la propriété d’une maison individuelle. Tous les sondages le confirment : cette aspiration de nos concitoyens n’a cessé de croître ces dernières années, notamment après l’épisode du covid, qui a renforcé le besoin d’une telle bulle de protection individuelle.
Vous décriez la maison individuelle, mais plaidez pourtant pour le développement d’équipements plus faciles à installer en maison individuelle qu’en logement collectif : je pense par exemple aux branchements pour voitures électriques ou hybrides, aux pompes à chaleur ou au compostage – une pratique nécessaire et de bon sens.
Sur le logement toujours, il nous faut du logement social, tout le monde en convient.
M. Sébastien Jumel
C’est sûr ! Même dans les villes de droite !
M. Marc Le Fur
Or ce dernier ne bénéficiera, a priori, d’aucune dérogation lui permettant d’échapper au ZAN. Il sera donc soumis aux mêmes contraintes que les logements privés ! Nous avons d’autant plus besoin de logements sociaux que le pouvoir d’achat de nos concitoyens s’est effondré – et c’est partiellement dû à votre politique, monsieur le ministre, pardonnez-moi de vous le répéter.
M. Philippe Gosselin
Et au fait qu’il n’y a jamais eu autant de demandes de logements sociaux !
M. William Martinet
La droite défend les logements sociaux, c’est formidable ! Il faudrait en parler aux maires Les Républicains…
M. Marc Le Fur
Nous avons d’autant plus besoin de logements sociaux que l’accession à la propriété est de plus en plus coûteuse. C’est aussi cela la réalité !
M. Sébastien Jumel
Et c’est le groupe LR qui le dit !
Mme la présidente
Monsieur Jumel, s’il vous plaît, seul M. Le Fur a la parole. On vous entend plus que l’orateur…
M. Sébastien Jumel
C’est juste parce que j’ai une grosse voix, madame la présidente !
M. Philippe Gosselin
Nous partageons votre constat, monsieur Jumel, vous le savez !
M. Marc Le Fur
La population aspire à vivre dans certains territoires et y sollicite des logements sociaux. Or, demain, ils ne pourront plus être construits.
En outre, jusqu’à récemment, au moins dans les secteurs ruraux et les petites villes, certains résidents du parc locatif social pouvaient accéder à la propriété, dans le cadre de ce qu’on appelle le parcours résidentiel. Il n’est désormais plus possible du fait de la hausse des prix de l’immobilier.
Enfin, comment vont faire les communes qui ne remplissent pas encore leurs obligations au titre de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) et ne pourront plus construire ? Elles seront soumises à des injonctions contradictoires : on exigera d’elles des constructions au titre de la loi SRU et on les soumettra à l’amende si elles ne le font pas ; pour autant, les logements sociaux ne bénéficieront pas de la dérogation au titre du ZAN…
Sur ce point, il devrait tout de même être possible d’évoluer !
Avec le ZAN, nous allons entrer dans des arcanes technocratiques et administratifs ubuesques. Nombre de communes sont déjà soumises à de multiples contraintes : celles de la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne – la loi « montagne » –, celles de la loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral – la loi « littoral » –, celles résultant des réglementations portant respectivement sur les zones humides et sur les zones inondables. Quand un maire voit s’accumuler toutes ces difficultés, il ne peut que trouver ardu, voire impossible, de construire !
Alors que, naguère, le maire pouvait dessiner sa ville pour les vingt ou trente ans à venir – c’était toute la noblesse de sa mission –, désormais, avec le ZAN, cela lui sera interdit. Il ne sera plus qu’un exécutant.
Les arbitrages multiples que l’on va exiger des maires et des élus locaux vont occasionner des difficultés et des querelles au sein des intercommunalités. Comment effectuer le partage avec un tel rationnement ?
Enfin, cela va également engendrer des problèmes en droit privé, car certains terrains actuellement constructibles ne le seront plus demain. Ainsi, un président d’intercommunalité m’expliquait que 80 % des terrains constructibles de son territoire ne le seront bientôt plus ! Certains de nos concitoyens vont donc perdre leur patrimoine. Ils s’adresseront alors à leur maire qui leur répondra qu’il n’y peut rien. Ils viendront donc vous voir, monsieur le ministre, et vous leur exposerez votre idéologie ! (MM. Sébastien Jumel et Yannick Monnet sourient.)
M. Sébastien Jumel
C’est une description objective de la situation !
M. Marc Le Fur
Les gens vont perdre de l’argent… Bon courage aux élus locaux qui devront le leur expliquer !
Comme toujours, on multiplie les règles et comme toujours, quand on a des règles, on cherche des exceptions. D’où la notion de grands projets nationaux, qui pourront déroger au ZAN… J’ai lu dans les gazettes, monsieur le ministre, que vous vous querelliez avec votre collègue Bruno Le Maire, l’un défendant l’industrie et l’autre l’idéologie – inutile que je précise le camp de chacun. Vous savez l’affection que je vous porte – nous avons fait des campagnes ensemble –, mais j’espère que vous ne gagnerez pas ces arbitrages et que nous préserverons nos capacités à construire pour l’industrie.
Ces arbitrages vont être très pénibles. Un cas très concret : on pourra déroger au ZAN pour les zones d’atterrage des câbles sous-marins des éoliennes. Mais, c’est vrai, les éoliennes ont droit à toutes les exceptions, tous les privilèges et avantages, en mer comme sur terre !
Mme Marina Ferrari
Eh oui !
M. Marc Le Fur
Il paraît qu’il sera impossible de déroger au ZAN pour un hôpital, mais que ce sera envisageable pour les prisons. Quelle hiérarchie implicite cela révèle-t-il ? Nous sommes en Absurdistan !
Le ZAN interdira le développement des secteurs ruraux et encouragera la métropolisation de notre pays. C’est donc bien un dispositif ruralicide. Vous l’avez compris, mon propos ne porte pas sur le texte que nous examinons – non dépourvu d’intérêt, mais mineur –, mais sur le principe même de zéro artificialisation nette. La proposition de loi s’efforce de limiter les dégâts, mais il ne faudrait pas qu’elle cache l’essentiel.
Nous ne cautionnons pas le principe de ce ZAN, pas plus que l’ensemble des processus de décroissance inhérents à cette logique.
M. Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques
Ce n’est pas sérieux ! C’est même comique…
M. Marc Le Fur
Si le terme de décroissance n’apparaît pas, le ZAN intègre implicitement cette notion. Nous ne rejetons pas le texte issu du Sénat mais, je le répète, le principe même de ZAN. Je me devais d’exprimer notre conviction et, le règlement de l’Assemblée m’ayant permis de le faire à cette tribune, je retire ma motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
M. Sébastien Jumel
Tout ça pour ça…
M. Vincent Descoeur
Le ministre est frustré !
(La motion de rejet préalable est retirée.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel
Je remercie notre collègue, Marc Le Fur, pour son beau cours de dialectique marxiste ! (Sourires.)
M. Marc Le Fur
Nous n’avons pourtant pas été à la même école !
M. Sébastien Jumel
Une opposition radicale, puis une pirouette pour, au bout du compte, renoncer à assumer sa position. Celle du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES sera plus pragmatique.
La préservation du foncier est l’un des enjeux de la transition écologique. C’est aussi un enjeu majeur pour notre souveraineté alimentaire. Cause massive de l’érosion de la biodiversité, l’artificialisation des sols est un phénomène qu’il serait irresponsable de ne pas prendre en compte. Personne ici ne peut nier cette nécessité vitale.
M. Philippe Gosselin
Évidemment !
M. Vincent Descoeur
Tout à fait !
M. Sébastien Jumel
Or l’écologie ne peut être punitive et une stratégie n’est valable que lorsqu’elle s’accompagne d’une mise en pratique efficace et partagée.
M. Philippe Gosselin
Décidément, nous sommes bien proches !
M. Sébastien Jumel
C’est ce qui, dès les premiers jours de mise en œuvre du principe de ZAN, n’a pas été le cas. Bien au contraire, il est apparu très rapidement comme une « usine à emmerdements » et comme le refus d’une ruralité vivante.
M. Marc Le Fur
Tout à fait !
M. Philippe Gosselin
Technocratique !
M. Sébastien Jumel
Déjà malmenées par une décennie d’abandons en tout genre, des fermetures de services publics aux baisses de leurs moyens, les communes ont exprimé leur refus de payer seules les effets de bord de décisions bancales venues d’en haut.
Mme Isabelle Valentin
C’est tellement juste !
M. Sébastien Jumel
En renvoyant la mise en œuvre du ZAN à deux décrets, publiés dans la précipitation entre les deux tours de l’élection présidentielle, sans concertation, le pouvoir s’est offert une occasion de plus de marquer sa distance, voire sa déconnexion, avec la France d’en bas.
M. Philippe Gosselin
Sa méconnaissance, oui !
M. Sébastien Jumel
C’est vrai pour le ZAN comme pour le reste : une décision n’est acceptée que lorsque les parties prenantes sont respectées. Pour les élus du groupe GDR-NUPES, contrôler l’artificialisation des sols est synonyme de recherche d’un équilibre – d’une ligne de crête – difficile à obtenir, mais nécessaire.
M. Philippe Gosselin
Oui !
M. Sébastien Jumel
Cet équilibre, la présente proposition de loi, issue du travail transpartisan du Sénat, tente de l’atteindre, en conciliant les enjeux de préservation du foncier avec la libre administration des collectivités, à laquelle nous sommes profondément attachés. Le droit au projet n’est pas une pétition de principe, mais bien un droit réel pour les communes. Les maires doivent demeurer souverains dans l’aménagement de leurs communes.
M. Philippe Gosselin
Très bien !
M. Sébastien Jumel
Dans mon territoire entre terre et mer, les maires, nombreux, sont intelligents, attachés à préserver la beauté de leurs paysages et toujours soucieux des équilibres de leurs territoires.
M. Philippe Gosselin
Faisons-leur confiance !
M. Sébastien Jumel
Ils ne supportent ni la tutelle de l’État ni celle des régions. Pour que nous avancions sur ce sujet ô combien crucial pour l’avenir, il faut respecter la démocratie, c’est-à-dire ceux qui la font vivre – et, de ce point de vue, la commune est le symbole de la démocratie vivante.
Ce principe posé, les débats ont pu se tenir. La version du Sénat nous semblait plus protectrice que le texte adopté en commission, qui fait la part belle au renvoi à des décrets pour près de la moitié des articles initiaux. Monsieur le ministre, je vous l’ai dit en tête-à-tête, il ne faudra pas trop vous habituer à cette manière de légiférer, même si, en l’espèce, nous avons compris que procéder de la sorte permettait une plus grande efficacité.
Si le texte va dans le bon sens, par exemple en prévoyant un droit à l’aménagement pour les communes avec la garantie rurale, ou en prenant en compte le recul du trait de côte – un sujet crucial en Normandie –, certains points pourraient encore être améliorés.
M. Philippe Gosselin
Oh oui !
M. Sébastien Jumel
Il faut donner des garanties plus fortes aux territoires qui vont accueillir de grands projets. Je me réjouis que mon amendement visant à reconnaître l’EPR (réacteur pressurisé européen) comme projet d’intérêt national et européen ait été retenu en commission. Mais je compte sur mes collègues, attachés à la relance de la filière nucléaire, pour aller plus loin en intégrant les hectares des parkings nécessaires – 12 hectares à Penly. Il s’agit d’une artificialisation réversible, comme celle nécessaire aux hébergements temporaires.
M. Philippe Gosselin
Bien sûr !
M. Sébastien Jumel
Il faut aussi intégrer les dizaines d’hectares nécessaires pour les postes des lignes à haute tension du parc éolien offshore du Tréport – un projet dont je suis au demeurant devenu un farouche opposant.
Avançons sur les grands projets si nous voulons qu’ils soient exemplaires sur les plans social et environnemental.
Pour finir, je tiens à porter la parole de mes collègues ultramarins. N’oublions pas la spécificité des outre-mer. (M. Frédéric Maillot applaudit.) Sinon, ils ne pourront envisager un développement harmonieux et cohérent de leurs territoires. Monsieur le ministre, nous comptons sur vous.
Il faudra aussi accompagner concrètement les maires pour les fonds « friches », en soutenant les petites communes dans l’ingénierie de gestion de leurs friches industrielles.
En conclusion, le groupe GDR-NUPES arrive donc dans un état d’esprit constructif pour examiner ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.)
M. Philippe Gosselin
Très bien ! Pour l’essentiel, nous partageons votre analyse.
Mme la présidente
La parole est à M. Luc Lamirault.
M. Luc Lamirault
Les dix dernières années ont été marquées par une diminution progressive des surfaces artificialisées, de 40 000 hectares par an dans les années 2000 à 20 000 en 2021. La consommation de terres agricoles et naturelles a un impact désormais reconnu sur le réchauffement climatique. Il nous faut donc être volontaristes pour diminuer à la fois les risques qui pèsent sur notre environnement, notre biodiversité, et ceux liés au ruissellement, comme en témoignent les récentes images des inondations dans de nombreux territoires.
Cependant, nous ne pouvons pas changer de mode de vie aussi rapidement. Lors des débats sur la loi « climat et résilience », nous avons donc fait le choix de diviser par deux la consommation d’espaces naturels et forestiers d’ici 2031, puis de mettre en œuvre une politique de zéro artificialisation nette pour 2050.
Une accélération aussi violente a suscité inquiétude et incompréhension. Le texte que nous examinons est le fruit du travail conjoint entre les sénateurs, nos deux rapporteurs, Lionel Causse et Bastien Marchive, et le ministre Christophe Béchu, afin de surmonter les difficultés de mise en œuvre rencontrées par les élus locaux.
L’article 1er de la proposition de loi améliorera le dialogue et permettra de déterminer les objectifs partagés localement. Les conférences régionales de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation des sols seront plus représentatives et donneront davantage la parole aux élus locaux. Dans le cadre de ces conférences, les régions devront faire preuve de conviction et de pédagogie pour expliquer leur position, parfois plus stricte que la loi.
Par exemple, la région Centre-Val de Loire a choisi d’inscrire dans son schéma régional l’objectif de réduire l’artificialisation de 50 % d’ici à 2025 et de parvenir à zéro artificialisation nette d’ici à 2040. Il faut définir l’espace à mobiliser en fonction des projets, et non l’inverse – c’est aussi la position de l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Cette logique doit guider l’instauration du dialogue avec les régions.
Le mécanisme de garantie rurale et la possibilité de mutualiser des projets permettront au conseil municipal de chaque commune d’agir concrètement pour son développement et de discuter avec l’intercommunalité de l’éventualité de mutualiser des droits à construire pour réaliser des projets de plus grande ampleur.
Dans les territoires touchés par la montée des eaux et le recul du trait de côte, les zones devenues inutilisables seront considérées renaturées. Par ailleurs, nous avancerons de 2031 à 2021 la prise en compte des espaces renaturés, afin de considérer les efforts déjà consentis. La commission a clarifié la définition des projets d’ampleur nationale et européenne et des projets d’industrie verte. Leur emprise ne remettra pas en cause les objectifs fixés dans la loi « climat et résilience ».
Réduire la consommation foncière oblige à porter une attention particulière aux programmes de restauration du bâti dans les villages et les centres-bourgs. La restauration constituera un outil majeur pour satisfaire nos besoins de logements.
En matière de développement économique, l’État devra poursuivre les efforts financiers déjà consentis dans le cadre du fonds Vert et du fonds « friches », qui devront également concerner les projets de renaturation.
Plusieurs décrets compléteront le texte. Les projets des deux principaux nous ont été présentés le 13 juin ; ils concernent la nomenclature du ZAN et son application par les Sraddet.
Cette proposition de loi répond aux questions de nombreux élus ; elle contribuera à améliorer le dialogue avec eux, tout en participant à relever progressivement les défis climatiques. Le groupe Horizons et apparentés votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et Dem et sur quelques bancs des groupes RE et LIOT.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Lisa Belluco.
Mme Lisa Belluco
Nous avons toujours sous les pieds la même planète, mais plus tout à fait la même terre. Depuis deux siècles en effet, nous avons regardé la terre comme une simple surface à découvrir, à conquérir, à cultiver, à bâtir. Le monde n’avait que deux dimensions, la longueur et la largeur, comme la parcelle cadastrale. À cause de cette représentation à plat, nous avons condamné nos sols à mort, oubliant qu’ils étaient vivants par essence. Alors que la population croît à peine, nous artificialisons encore 25 000 hectares par an. Chaque année en France, l’équivalent de deux fois et demie la surface de Paris est enseveli sous le béton. Au XXIe siècle, il nous faut atterrir, comme disait Bruno Latour, quitter cette vision littéralement hors-sol, pour considérer les sols non plus comme de simples supports, mais comme des écosystèmes indispensables au bon fonctionnement de la société et du vivant.
Les sols vivants retiennent l’eau, lui permettent de s’infiltrer et de recharger les nappes. Ils réduisent les risques d’inondation et assurent notre résilience en cas de sécheresse. Ils abritent des millions de micro-organismes, sources de fertilité et de régulation des ravageurs. Ils limitent l’effet de lessivage et retiennent jusqu’à 80 tonnes de carbone par hectare. Ils constituent l’outil de travail des paysans et paysannes qui nous nourrissent au quotidien : de leur préservation dépend notre souveraineté alimentaire.
La loi « climat et résilience » votée à l’issue de la Convention citoyenne pour le climat comporte peu d’avancées. Mais cette assemblée a voté la fin de l’artificialisation des sols, en réduisant l’artificialisation par deux d’ici à 2031, et en la conditionnant à une renaturation d’ici à 2050. Aucun élu ne peut prétendre défendre l’environnement ou les agriculteurs, s’il vote pour remettre en cause ces acquis.
M. Vincent Descoeur
Les agriculteurs ont besoin de voisins !
M. Francis Dubois
On ne veut pas l’Amazonie, on veut pouvoir y vivre ! (Mme Cyrielle Chatelain s’exclame.)
Mme Lisa Belluco
Telle est pourtant la ligne commune de la droite et de l’extrême droite, qui ont déposé des amendements identiques visant à supprimer tous les objectifs et tous les outils capables de garder les sols vivants et de préserver notre souveraineté alimentaire. C’est la ligne de ceux qui votent pour que des autoroutes traversent nos terroirs, qu’ils affirment pourtant chérir. C’est la ligne de ceux qui proclament un droit au sol, sans jamais penser au droit des sols qui nous nourrissent. Quand on aime son pays, on ne l’ensevelit pas sous le béton.
À l’inverse, monsieur le ministre, bien que vous souteniez, main dans la main avec les bétonneurs-destructeurs, la dissolution de groupes écologistes qui luttent contre cette tendance,…
M. Hervé de Lépinau
Des écoterroristes !
Mme Lisa Belluco
…je salue votre engagement de tenir ces objectifs malgré les assauts de votre collègue Bruno Le Maire pour ne pas comptabiliser l’artificialisation due aux projets industriels. Le travail que nous avons mené en commission a déjà permis de supprimer du texte les dispositions les plus inquiétantes.
Néanmoins, beaucoup reste à faire pour protéger les sols. D’abord, il faut abolir le blanc-seing en matière de grands projets inutiles et imposés. Les pharaons ont érigé les pyramides, Louis XIV a fait construire son fastueux château de Versailles ; vos grands projets sont des autoroutes, des centrales nucléaires, des lignes à grande vitesse (LGV), des gigafactories. Quel que soit le régime politique, le pouvoir manifeste et assure sa domination par la grandiloquence d’infrastructures supposées recueillir l’accueil enthousiaste de citoyens flattés. (Exclamations sur les bancs des groupes LR et RN.)
Mme Cyrielle Chatelain
Un peu de respect pour l’oratrice !
Mme la présidente
Allons, chers collègues, seule l’oratrice a la parole.
Mme Lisa Belluco
Quelques chiffres pour se convaincre du caractère délétère de ces constructions d’un autre temps, du seul point de vue de la destruction des sols : le projet ferroviaire Lyon-Turin causera l’artificialisation irréversible de 1 500 hectares ; l’autoroute Castres-Toulouse, celle de 400 hectares ; la ligne Bordeaux-Toulouse, de 6 300 hectares. Au total, 15 000 hectares seront détruits par ces projets, et ce n’est qu’une estimation, car il est déjà prévu que ce plafond pourra être dépassé !
Pour réduire l’artificialisation dans les années à venir, il faut la planifier à l’échelle locale, afin que les surfaces concernées soient employées à réaliser des projets locaux : construction de pistes cyclables pour relier les bourgs, réouverture de lignes ferroviaires du quotidien, développement d’unités de production artisanales, infrastructures accueillant des services publics.
Ce sont des éléments de cette nature qui assureront un développement rural, et non la mesure simpliste, pour ne pas dire démagogique, qui consiste à garantir une artificialisation rurale pour tous et sans condition. Toutes les communes n’ont pas les mêmes projets, qu’elles aient 40 habitants ou 10 000 ! L’approche doit être équitable plutôt qu’égalitariste. Nous ne disposons d’aucune étude d’impact sur les effets d’une telle mesure, qu’il s’agisse de l’état des sols ou de la planification à l’échelle intercommunale. Il faut au moins s’assurer que seules les communes ayant fait preuve de sobriété foncière pourront en bénéficier, et que la garantie sera plafonnée.
Si ces mesures contre-productives ne sont pas supprimées, ou si d’autres viennent à être adoptées, le groupe Écologiste-NUPES ne pourra pas se prononcer en faveur de cette proposition de loi. À l’inverse, si nous nous saisissons collectivement de l’occasion qui nous est donnée de planifier la transition écologique à l’échelle des territoires et de renforcer les mesures de protection des sols, nous pourrons la soutenir. (Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES, LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Delautrette.
M. Stéphane Delautrette
Urgente, la transition écologique repose sur plusieurs piliers, avec des effets croisés : transition énergétique par la décarbonation et la sobriété ; transition agroécologique ; préservation de la biodiversité et de la ressource en eau.
Nous artificialisons l’équivalent de quatre terrains de football par heure, soit en vingt ans la surface totale de mon département, la Haute-Vienne. Ce rythme est trois fois et demie plus dynamique que celui de la démographie. Or l’artificialisation des sols porte considérablement atteinte à la biodiversité, contribue au réchauffement climatique en réduisant la capacité de stockage de carbone du sol et perturbe le bon écoulement des eaux, ce qui augmente les risques naturels.
Convaincu que ce rythme n’était plus tenable, le groupe Socialistes et apparentés a soutenu et voté, dans la loi « climat et résilience » de 2021, l’objectif national de parvenir à une artificialisation nette nulle d’ici à 2050, avec une première réduction de moitié avant 2031.
Nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner les conditions de mise en œuvre de cette première phase. Malheureusement, nous sommes collectivement à côté du sujet. En effet, la présente proposition de loi, qui visait à corriger les insuffisances du ZAN, ne répond pas au besoin de mesures de programmation en matière de maîtrise foncière et d’usage des sols, alors que nous prévoyons leur raréfaction.
En nous donnant l’objectif de diviser par deux la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers au cours de la décennie à venir, nous engageons une course au foncier qui appelle une double régulation. La première concerne l’usage : il faut veiller à éviter la concurrence avec les autres objectifs de politique publique, comme la construction de logements et la réindustrialisation. La seconde régulation est économique : nous devons nous donner les outils pour maîtriser la valeur du foncier, afin de limiter la spéculation et la rétention foncières, qui ne feraient que rendre plus complexe l’équilibre économique de certains projets, au détriment de l’intérêt général. Cela vaut également pour les surfaces déjà artificialisées, qu’il faudra densifier, recycler, réhabiliter et parfois renaturer pour atteindre les objectifs.
Une grande loi de programmation foncière est donc urgente, monsieur le ministre ; mainte fois annoncée, elle est désormais indispensable. La prochaine loi de finances devra par ailleurs prévoir des crédits et des mesures fiscales volontaristes pour accompagner les collectivités, en particulier les plus petites, dans la réhabilitation d’immeubles, la transformation de friches et la préservation des Enaf constructibles. Sans ces outils, nos objectifs resteront des vœux pieux.
J’en viens au fond du texte. Faute d’avoir les moyens de réhabiliter ou de transformer leurs espaces déjà urbanisés, parfois de réaliser des documents d’urbanisme, les petites communes rurales lancent un appel à l’aide pour conserver une perspective de développement. C’est ainsi qu’il faut comprendre la demande de garantie rurale. Dans l’attente d’autres outils pour qu’elles puissent se développer à l’intérieur des zones urbanisées, nous proposerons de continuer à donner de la flexibilité et de l’agilité à cette garantie rurale, de favoriser la mutualisation intercommunale et de ne pas pénaliser les communes relevant du RNU – règlement national d’urbanisme –, sans pour autant remettre en cause le principe de constructibilité limitée. Autrement dit, une garantie rurale souple et intelligente est possible.
Nous proposerons également de préciser le périmètre des projets d’intérêt national ou européen : c’est nécessaire pour respecter l’enveloppe du forfait national, donc pour préserver celle disponible pour les projets régionaux et locaux. Il faudra veiller à bien préciser comment elles s’articuleront, afin que leur addition ne nuise pas à l’objectif de réduire de moitié le rythme d’artificialisation.
Enfin, nous devrons préciser les mesures applicables dans la bande littorale, autant pour éviter les abus que pour mieux prendre en considération les spécificités des territoires ultramarins.
L’examen en commission a fait favorablement évoluer le texte concernant les délais, la définition des projets et leur comptabilisation. Nous pouvons encore l’améliorer et donner des raisons aux sénateurs de se rallier à notre rédaction. Saisissez notre main tendue. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Francis Dubois
Excellent, la garantie rurale !
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac
Les membres du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires considèrent que ce texte est nécessaire et bienvenu.
Étant donné l’artificialisation continue de nos terres, il est évidemment nécessaire de réduire la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers. Toutefois, nous n’y parviendrons qu’à condition de faire en sorte que l’objectif zéro artificialisation nette soit atteignable et acceptable. Il doit être conciliable avec les enjeux locaux, notamment économiques, ainsi qu’avec une politique d’habitat et d’accueil des populations nouvelles.
Nous avons tous reçu des remontées de terrain d’élus et d’acteurs locaux nous faisant part de leurs inquiétudes face au risque de ne plus pouvoir construire ou aménager leurs territoires. Ont aussi été portées à notre connaissance des difficultés résultant d’un manque de visibilité sur les règles applicables, qu’il s’agisse de la nomenclature des sols artificialisés – en cours de réécriture – ou du manque de données relatives à l’artificialisation passée.
Les sénateurs ont saisi la nécessité d’apporter davantage de flexibilité à un principe inadapté aux réalités territoriales ; ils ont bien fait. Le développement et la vitalité des zones rurales sont au cœur de nos préoccupations. C’est en ce sens que le groupe LIOT accueille favorablement la garantie rurale visant à permettre aux plus petites communes de dégager des marges de manœuvre pour créer des infrastructures de service, développer des capacités de logement, notamment dans les zones tendues, ou encore procéder à des constructions nécessaires à l’activité agricole, par exemple.
Le ZAN ne doit pas se traduire par une application purement mathématique et rigide, mais au contraire, permettre la prise en compte de la diversité des territoires et de leur structuration. En Bretagne administrative – celle qui compte quatre départements, contrairement à la Bretagne qui en compte cinq –, la population augmente de plus de 20 000 habitants chaque année. La pression foncière qui résulte de cette dynamique démographique provoque de fortes tensions économiques et sociales, qui ne sauraient être négligées. C’est pourquoi le groupe LIOT proposera de prendre en considération ces évolutions démographiques dans la territorialisation de l’objectif zéro artificialisation nette.
Par ailleurs, je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur un point fondamental, qui pourrait créer un effet de bord. La dotation globale de fonctionnement (DGF) versée aux collectivités est directement corrélée à leur croissance et à leur développement. Plus une collectivité compte d’infrastructures, de logements et d’artificialisation, plus la DGF est élevée ; cela pose un problème. Tôt ou tard, il sera nécessaire de revoir la façon dont est octroyée la DGF aux communes qui préservent la terre agricole et les espaces naturels.
La prise en considération des projets d’envergure nationale est une autre source de préoccupation dans nos territoires. Vous proposez l’instauration d’un forfait national de 15 000 hectares, qui sera décompté des 125 000 hectares de l’enveloppe nationale. Le reste de l’enveloppe – 110 000 hectares, donc – devra être réparti entre les régions selon un système de pondération. Nous avons toujours des doutes quant au caractère opérant de cette proposition. Les régions qui accueillent peu de projets d’ampleur accepteront-elles de supporter le poids collectif alors qu’elles n’en percevront pas les retombées ?
Enfin, n’oublions pas que si nous légiférons, ce sont les élus locaux qui seront en première ligne face à nos concitoyens et à leurs doléances en matière d’urbanisation. L’État doit être au rendez-vous et les accompagner, afin que cet objectif louable de préservation des terres agricoles n’aboutisse pas à des manifestations massives résultant de situations de crise. Je dis cela à dessein : je vis dans un territoire qui subit une crise majeure du logement, dans lequel la colère monte et commence à se faire sentir.
Pour toutes ces raisons, les députés du groupe LIOT seront favorables aux mesures d’adaptation des objectifs du ZAN aux réalités territoriales, ainsi qu’aux assouplissements bienvenus au bénéfice des élus locaux.
On évoque souvent l’Allemagne et le Royaume-Uni, mais ces pays sont beaucoup plus industrialisés et urbanisés que la France. Pour définir le milieu urbain, l’Insee a retenu le chiffre de 2 000 habitants agglomérés, alors que l’Italie a retenu celui de 5 000. On voit bien que ce chiffre vise à surjouer et qu’en réalité la France reste un pays rural : il ne faudrait pas oublier que cela fait partie de ce que nous sommes. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
Mme la présidente
La parole est à M. Pascal Lavergne.
M. Pascal Lavergne
Les enjeux environnementaux et de protection de la biodiversité ont été saisis à bras-le-corps par le groupe Renaissance et la majorité présidentielle. Du fait de leur transversalité, ils touchent tous les secteurs des politiques publiques. Le débat qui s’ouvre aujourd’hui me touche tout particulièrement. En tant qu’ancien maire d’une commune rurale et vice-président d’une communauté de communes, chargé de l’urbanisme, j’ai pu mesurer la passion qui entoure la construction d’un projet d’urbanisme commun, dans lequel se joue l’avenir des territoires. J’ai pu également constater que l’on admet trop facilement que développer un territoire revient à grignoter les terres agricoles – souvent les plus fertiles sur le plan agronomique – au profit d’un désir de maison individuelle avec un jardin de 2 500 mètres carrés, enfermant les populations dans des contraintes pendulaires non anticipées.
Entre 2011 et 2021, plus de 250 000 hectares ont été consommés, soit l’équivalent du département des Yvelines. Le foncier renvoie à de multiples enjeux, qui sont au cœur des politiques d’aménagement du territoire : la répartition équilibrée des hommes et des activités, les enjeux agricoles et la souveraineté alimentaire, la production énergétique verte ou encore le développement d’infrastructures de transport, de services ou industrielles.
Notre pays est riche de territoires où les modes d’urbanisme rivalisent d’ingéniosité : je pense aux bastides, au nombre de soixante-quatre en Aquitaine, dont huit dans le département de la Gironde. J’ai eu la chance d’être le maire de la plus belle d’entre elles, Monségur. Cet urbanisme vieux de 750 ans dévoile toute sa pertinence aujourd’hui : peu gourmand en foncier, le bâti s’organise autour d’une place centrale et d’un plan à quadrillage, sur des lots d’une largeur pour trois profondeurs. Le pourtour de la place est le lieu où s’établissent les commerces et les services ; le cœur de la place est celui du marché et des foires, mais aussi de l’épanouissement de la vie culturelle. La place est aussi une agora, où l’on s’engueule le lundi avec son beau-frère partisan des Insoumis et où l’on se réconcilie le mercredi soir autour d’une entrecôte, lors du marché nocturne. (Sourires sur les bancs des commissions.)
Ces propos visent à nous encourager à être aussi inventifs et audacieux dans nos projets urbains, en les rendant plus humains, plus ouverts au vivre-ensemble et moins dispendieux de notre terre. En ce sens, la loi « climat et résilience » du 22 août 2021 a formulé un double objectif : réduire de moitié le rythme d’artificialisation nouvelle entre 2021 et 2031 par rapport à la décennie précédente et atteindre, d’ici à 2050, le ZAN – au moins autant de surfaces renaturées que de surfaces artificialisées.
Tout ceci va dans le bon sens. Les objectifs du présent texte sont clairs. Tout d’abord, favoriser le dialogue territorial et renforcer la gouvernance décentralisée ; en permettant le dialogue des collectivités dans le cadre d’une conférence régionale, on encourage les coopérations fertiles et les regards croisés, et on renforce l’action locale à laquelle je suis pleinement attaché. Puis, accompagner les projets structurants de demain, la comptabilisation des projets nationaux et régionaux permettant à chacun de prendre ses responsabilités et d’être en phase avec son besoin de développement, sans obérer celui du territoire « supra » ou « infra ». Ensuite, mieux prendre en considération les spécificités des territoires grâce à la garantie rurale, qui fixera un minimum de superficie urbanisable pour respecter chaque commune. En mon for intérieur, je pense que ce minimum ne dépend pas tant d’un nombre d’habitants que d’autres critères, tels qu’ils ont été définis dans le cadre du PLUI dont j’avais la charge, par exemple la disponibilité en eau ou la présence de services publics structurants. Faisons confiance aux territoires pour coopérer et trouver les bonnes solutions à partir des projets construits collectivement. Enfin, il s’agit de prévoir les outils de transition vers le ZAN.
Le texte issu des travaux parlementaires au Sénat ainsi que des travaux des commissions des affaires économiques et du développement durable de l’Assemblée nationale permet un meilleur équilibre entre les projets nationaux, régionaux et locaux. Sur ces sujets, la tentation électoraliste est forte, mais c’est l’intérêt national de ce dispositif qui doit être apprécié. Face aux défis qui nous menacent, nous avons le devoir de produire le texte le plus consensuel possible, tenant compte de tous les enjeux et répondant aux inquiétudes du monde rural. Dans la version précédente du texte, celui-ci s’estimait en effet dépossédé de toute marge de manœuvre pour se développer. Le fait régional, le fait territorial et le fait communautaire existent bel et bien ; chacun doit prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE ainsi que sur les bancs des commissions.)
M. Christophe Béchu, ministre
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à Mme Christine Engrand.
Mme Christine Engrand
« Le législateur devrait cesser d’ériger en dogme, en recette miracle, en vérité absolue, des notions telles que le renouvellement urbain ou la densification, qui peuvent s’avérer pertinentes ici ou là selon la qualité des projets urbains qui les concrétisent, mais ne peuvent prétendre constituer la seule pierre de touche de la politique urbaine. » Ces mots justes, écrits en 2012, ne sont pas ceux du Rassemblement national ; ils sont issus d’un article de Sylvain Pérignon, ancien directeur de recherche au centre de recherches, d’information et de documentation notariales (Cridon) de Paris, intitulé « Densification, une vérité devenue folle… ». Neuf ans plus tard, en 2021, vous adoptiez la loi « climat et résilience », un texte bardé de contraintes normatives, relevant davantage de la pensée magique que d’une réflexion politique équilibrée sur la densification. Les députés du Rassemblement national n’étaient alors pas suffisamment nombreux pour s’opposer à l’application de ces objectifs inadaptés aux territoires – auxquels, chers collègues du groupe LR, vous n’aviez alors rien trouvé à redire, ce qui peut s’expliquer par le fait que les élections sénatoriales avaient déjà eu lieu…
Pourtant, notre présidente de groupe prédisait déjà l’échec de l’écologie punitive, dont le fameux zéro artificialisation nette, plus communément appelé ZAN, détient certainement la palme d’or. De ces objectifs, les plus drastiques d’Europe, la plupart des maires ne retiennent d’ailleurs que l’iniquité qui en découle : les communes qui ont le plus artificialisé ces dernières années peuvent continuer, tandis que les communes rurales ou peu peuplées, qui n’artificialisent que très peu, sont d’ores et déjà condamnées.
Dans votre frénésie normative, vous ne voyez pas de problème à contraindre indistinctement les communes de quelques centaines d’habitants et les immenses métropoles, avec toutes les conséquences que l’on connaît pour l’installation de services essentiels, qu’il s’agisse d’infrastructures sportives, de centres de soins ou de services publics, dans une pléthore de communes qui n’ont pas attendu le législateur pour faire preuve de sobriété foncière. En outre, on retrouve dans les zones de revitalisation rurale (ZRR) une véritable éthique foncière chez les élus, souvent issus d’un milieu agricole qui ne nécessite pas de contraintes particulières. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 28 % des communes françaises représentent seulement 5 % de la consommation foncière du pays entre 2009 et 2021.
Mais parce que votre sens de la justice est voilé d’indifférence, vous allez au hasard et chacun de vos tâtonnements est comme un coup d’épée dans notre société exsangue. Ces tâtonnements ne relèvent pas de votre inconséquence, mais d’un véritable projet d’affaiblissement de la cellule communale et de stigmatisation des petits propriétaires. Sinon, comment interpréter la réaction de M. Marchive, qui assume pleinement le renchérissement des prix du foncier et la crise du logement ? Même repeinte en vert fluo, votre politique antisociale est trahie par vos choix d’aménagements. Aux aspirations à l’horizontalité pavillonnaire de 80 % des Français – selon l’Ifop –, vous opposez une fois de plus la verticalité : celle de vos immeubles fades et de vos décisions de cabinet.
Mme Annick Cousin
Elle a raison !
Mme Christine Engrand
Comme s’il n’existait pas un juste milieu entre la réduction du mitage et l’entassement métropolitain ! Comme s’il fallait forcément choisir entre artificialiser partout ou n’artificialiser nulle part ! Alors que certains appelaient à construire des Versailles pour le peuple, vous proposez des Grigny dans la Creuse. La caricature est à peine exagérée : avec un déficit annoncé de 850 000 logements en 2030, d’évidence, le renouvellement urbain, qu’il passe par la réhabilitation des friches ou la renaturation, ne suffira pas à absorber la demande. Pour respecter le ZAN et loger les citoyens que la hausse des prix du foncier privera de l’accès à la propriété, même en zones rurales, il faudra disposer de plus d’immeubles collectifs et redécouper les bâtisses existantes ; en d’autres termes, loger plus de monde dans moins d’espace. Les écolos en ont rêvé, vous les exaucez : le logement individuel avec jardin, le rêve de nombreux Français, devient un véritable luxe.
Vous êtes, tous autant que vous êtes, comptables de cet échec collectif. Nous sommes les seuls à ne pas avoir eu notre mot à dire. Alors cette fois-ci, nous le disons franchement : le ZAN ne saurait être l’alpha et l’oméga de l’aménagement du territoire. Une politique de réduction de l’artificialisation des sols réussie passe nécessairement par une déclinaison adaptée de ces objectifs aux spécificités territoriales, conciliant à la fois la densification et le développement local nécessaires à la démétropolisation. À ce titre, le ZAN doit être recalibré pour peser principalement sur les mauvais élèves et récompenser, ou du moins ne pas handicaper, les très nombreuses communes qui ont toujours respecté la terre et ceux qui en vivent.
L’instauration d’une politique de réduction de l’artificialisation des sols cohérente territorialement et raisonnable juridiquement est possible : nous la défendrons contre vos demi-mesures. Mais elle ne pourra faire l’économie d’une réappropriation de ces objectifs par les élus municipaux, desquels vous devez cesser de vous défier, chers collègues. La régionalisation ne saurait se substituer à leur bon sens : il y va de l’avenir des communes et des aspirations des Français. Le groupe Rassemblement national se positionnera sur ce texte en fonction des avancées issues des débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. Hervé de Lépinau
Excellent !
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Couturier.
Mme Catherine Couturier
Quatre terrains de foot sont artificialisés chaque heure. Voilà l’image de notre territoire, qui résulte de l’explosion de la bétonisation et du tout-voiture.
Ce texte a pour objectif de réduire de 50 % brut l’artificialisation à l’horizon 2031 – seuls 125 000 hectares pourraient être artificialisés –, puis de stopper toute artificialisation nette à l’horizon 2050. Or nous pourrions viser une neutralité foncière dès 2040, puisque 170 000 hectares de friches ont été recensés. Tel est l’objet d’un amendement que nous avons déposé.
Alors que de très nombreuses communes ont joué le jeu de la sobriété foncière et que les communes rurales les plus vertueuses considèrent le ZAN comme une injustice, à l’article 4, le Gouvernement dresse une liste interminable des projets d’envergure nationale ou européenne, qui inclut tout projet déclaré d’utilité publique par décret et non par la loi. Pis, cette liste comporte des projets écocides qui ne contribuent pas à l’intérêt général. On peut se demander en quoi l’autoroute de 16 kilomètres, construite dans le Bas-Chablais, la liaison Lyon-Turin, l’A69 reliant Toulouse et Castres ou les projets nucléaires, que M. le ministre a qualifiés de projets d’envergure nationale en commission, répondent à l’intérêt général. La sobriété environnementale ne peut être à géométrie variable. (M. Paul Vannier applaudit.)
J’appelle votre attention sur le fait que, le 15 juin dernier, le Sénat a voté l’exclusion des projets d’industrie – soi-disant verte – de l’enveloppe d’artificialisation, comme le souhaitait M. Le Maire. Encore une fois, la droite sauve la Macronie grâce à de petits arrangements en sous-main.
Monsieur le ministre Béchu, messieurs les rapporteurs, vous avez affirmé vouloir inclure les grands projets d’État dans l’enveloppe globale d’artificialisation ; vous avez eu raison. Allez-vous plier devant Bercy et céder aux sénateurs qui cherchent à se faire réélire, ou prendrez-vous vos responsabilités pour faire face au scénario à 4 degrés ? Les députés du groupe LFI-NUPES resteront vigilants.
S’agissant de la garantie rurale, prévue à l’article 7, la rédaction de votre texte est encore trop imprécise ; elle ne répond pas aux attentes des habitants de la ruralité, et ne protège ni les terres agricoles ni les forêts. En fonction de la taille des communes, 1 hectare représente une très petite ou une trop grande surface. C’est pourquoi nous préférons fixer un pourcentage d’artificialisation.
En outre, nous proposons que l’accès à la garantie rurale dépende du taux de logements vacants, ainsi que du respect des normes environnementales et des dispositifs de la loi SRU. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.) Ce n’est pas la garantie rurale qui redynamisera nos campagnes, mais bien une volonté politique d’aménagement du territoire, qui passerait par plus de services publics, de transports du quotidien, d’écoles, de petits commerces en centre-bourg, de médecins et d’emploi local.
Parlons de ce que le texte ne contient pas. Monsieur le ministre, vous aviez clairement affirmé en commission que des dispositions spécifiques aux territoires d’outre-mer devaient être prévues. Tel n’est pas le cas, mais vous avez encore la possibilité d’y remédier.
De plus, comme le préconise l’Association des maires ruraux de France, la France a besoin d’un véritable plan Marshall pour le bâti vacant, car plus d’un logement sur dix est libre. Il est indispensable d’instaurer un droit de préemption et de faciliter l’acquisition des biens vacants sans maître par les communes.
Ce texte ne revient pas sur le cas des friches industrielles, qui occupent 170 000 hectares. Il se contente de répartir le gâteau et de donner des directives aux collectivités, sans leur accorder les moyens de les appliquer. Ainsi, il ne prévoit aucun levier de procédure, ne comporte aucune mesure en matière de simplification administrative, n’alloue aucun moyen supplémentaire. Votre gouvernement se défausse encore sur les collectivités, alors même qu’elles souffrent déjà de la suppression des impôts locaux et de la CVAE – cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – et du fait que la DGF ne soit pas indexée sur l’inflation. Ne me dites pas que c’est faux : toutes les associations d’élus ont boycotté vos assises des finances publiques.
Finalement, aucun levier fiscal n’est prévu. La fiscalité locale encourage encore les communes à bâtir toujours plus, car leurs recettes dépendent notamment des produits de la taxe d’aménagement et de la taxe foncière. C’est d’autant plus vrai que l’instauration du ZAN risque d’entraîner une augmentation des prix du foncier et davantage de spéculation. Les groupes de la NUPES ont donc proposé des amendements visant à combattre ce fléau. Or, encore une fois, l’Assemblée nationale, chambre du peuple et lieu d’expression de la volonté populaire, n’a pu s’exprimer, en raison de l’application du fameux article 40 de la Constitution.
Monsieur le ministre, en commission, vous avez renvoyé le débat sur la transition fiscale à l’examen du projet de loi de finances – PLF. Nous vous attendrons avec de nombreuses propositions, à condition que vous choisissiez le débat et non le recours au 49.3.
Collègues, ce texte est loin d’être à la hauteur des ambitions que nous devons nous fixer. Nous avons proposé des amendements visant à garantir plus d’équité territoriale et à définir plus d’ambitions environnementales. De leur adoption dépendra notre position finale sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Rolland.
M. Vincent Rolland
L’Assemblée nationale examine une proposition de loi particulièrement importante pour nos concitoyens. Ce texte d’apparence technique concerne en réalité tous les Français, puisqu’il traite à la fois de l’aménagement du territoire et des répercussions sur la construction de nouveaux logements et sur le développement économique dans son ensemble. À ce titre, la question du foncier est un sujet brûlant.
Oui, l’utilisation plus vertueuse de nos terres est une ambition partagée par tous. Mais encore faut-il que cette ambition soit réaliste, et qu’elle ne vienne pas tuer toute initiative de développement dans nos communes. Or c’est ce à quoi nous assistons.
La réalité est que, depuis des décennies, la France s’est désindustrialisée et que nous avons besoin de faire revenir les emplois sur notre territoire, ce qui implique évidemment de trouver du foncier. Je profite de cette tribune pour rappeler à toute personne soucieuse de la préservation de l’environnement qu’au-delà même de l’intérêt économique des productions locales, qui ont un effet sur l’emploi, nous devrions tous nous réjouir de leur développement plutôt que de fermer les yeux sur le bilan carbone de nos importations. Du reste, nous ne pouvons que regretter les contestations de minorités radicales qui préfèrent s’opposer à tout, tout le temps, même lorsque les implantations d’entreprises contribueraient à la transition écologique de notre économie.
Pour notre groupe, les défis climatiques méritent mieux que les coups de communication. Défendre une ambition ne doit pas se traduire par l’application de politiques publiques hors-sol. C’est le cas pour le ZAN comme pour l’instauration des zones à faibles émissions, dites ZFE. Si aucune aide massive n’est allouée aux ménages, cette politique consistera tout bonnement à exclure les familles modestes de nos agglomérations.
M. Marc Le Fur
Tout à fait !
M. Vincent Rolland
Nous l’affirmons, l’écologie punitive est socialement insoutenable. Après avoir dressé ce constat édifiant, autant dire qu’appliquer le ZAN, tel que voté en 2019 dans la loi « climat et résilience », issue de la Convention citoyenne pour le climat, porterait un rude coup à toutes les initiatives soutenues par nos élus locaux.
Proposé par nos collègues sénateurs, le texte que nous examinons a fait l’objet de plusieurs modifications en commission. Il est le fruit d’un travail transpartisan, mené en toute confiance par les sénateurs de tout bord, du groupe Les Républicains à celui comprenant les communistes, et constituant une réponse aux injonctions irréalistes, conduisant à une logique de décroissance, votées sous la précédente législature. Notre groupe entend agir pour l’améliorer, à défaut de pouvoir revenir sur la philosophie générale.
L’attente est forte. Dans les territoires de montagne comme dans tous les territoires ruraux, l’inquiétude ne cesse de croître concernant l’application du ZAN. Les risques sont multiples, dont celui de stopper net le développement économique des territoires au profit des pôles urbains, et, surtout, d’entraver la construction d’habitats permanents au moment même où les Français n’arrivent plus à se loger. C’est mécanique : la trajectoire vers le zéro artificialisation nette en 2050 en opérant une réduction de 50 % tous les dix ans raréfiera le foncier et les prix ne cesseront d’augmenter.
M. Francis Dubois
C’est ça, l’enjeu !
M. Vincent Rolland
L’enjeu est de répartir l’effort territorialement sans que nos petites communes soient pénalisées, et de préserver l’équilibre entre le développement rural et le développement urbain. Des communes du littoral en passant par les plus rurales, sans oublier celles de montagne, auxquelles vous savez mon attachement, il convient de tenir compte de leurs spécificités afin de préserver leur attrait économique et touristique.
Nous préférerons toujours de modestes avancées au statu quo. Nous aurons à cœur de faire valoir nos arguments lors de ces débats, qui, je l’espère, emporteront l’adhésion du Gouvernement et peut-être de l’Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Aude Luquet.
Mme Aude Luquet
À la fin de la discussion générale, en France, nous aurons artificialisé l’équivalent de huit terrains de football. Qui dit artificialisation, dit terres naturelles grignotées, entraînant les conséquences que l’on connaît, non seulement sur le vivant et notre biodiversité, mais aussi sur nos concitoyens, que l’on éloigne toujours un peu plus des centres et des services qui y sont disponibles.
Diviser par deux l’artificialisation des sols d’ici 2031, pour aller vers le zéro artificialisation nette en 2050, est donc une mesure à la fois environnementale, sociale et économique.
Dispositif environnemental d’abord, car il nous permet de lutter contre la fragmentation des espaces naturels et de replacer la nature et ses vertus au cœur de nos projets d’aménagement, pour le bien commun. Dans des territoires carencés en espaces verts, où la biodiversité est en déclin, rebâtir la ville sur elle-même doit permettre de développer de nouvelles formes d’intégration de la nature. C’est un enjeu fondamental pour faire face aux conséquences du changement climatique et pour renforcer le bien-être de ceux qui y vivent ou y travaillent, en ne considérant plus le sol comme une simple surface, mais en prenant pleinement en considération ses fonctions écologiques – par exemple celles de réduction des îlots de chaleur, de captation des pluies, de filtration des polluants et de refuge pour la biodiversité.
Mesure sociale ensuite, car lutter contre l’artificialisation irraisonnée permet de limiter l’étalement urbain et ses effets négatifs sur le quotidien de ceux qui le subissent – difficultés d’accès aux services publics, insuffisance de commerces de proximité ou encore absence de transports collectifs. Tout cela entraîne bien souvent une paupérisation des ménages concernés et les condamne à un usage contraint de la voiture individuelle, entraînant un coût environnemental et financier.
Dispositif économique enfin, car rapprocher les habitants des lieux d’activité conduit à vivifier un territoire en favorisant les interactions. L’enjeu de la proximité est en effet central. Il faut recréer du lien entre habitat, emploi et lieux de consommation, en procédant à des rééquilibrages, notamment à l’échelle régionale, grâce au redéploiement de certaines activités – petites industries, artisanat – et au renforcement des polarités locales.
Raisonner notre manière d’artificialiser, c’est donc avant tout mieux construire en optimisant les zones déjà artificialisées. Il faut aller vers une plus grande densification et une réduction de la fragmentation urbaine. Surélévation de bâtiments, transformation des sous-sols, changement d’usages, mobilisation des bâtiments vacants et des friches – qui représentent 170 000 hectares à elles seules – sont autant de solutions à privilégier pour optimiser l’existant.
J’appelle votre attention sur le fait qu’il ne s’agit pas d’entasser et d’étouffer les populations dans des villes cloisonnées, mais plutôt de repenser les modalités d’aménagement qui ont prévalu jusqu’à présent, en travaillant sur la qualité architecturale des bâtiments et leur multifonctionnalité ; en répondant aux besoins d’espaces verts et en préservant les espaces de pleine terre ; en développant les équipements et les mobilités de proximité ; en réalisant de véritables trames vertes qui doivent être le support de mobilités actives, de connexions entre les espaces urbains denses et les espaces verts périphériques, ainsi que de véritables corridors écologiques jouant le rôle de poumons.
Des villes et villages plus compacts, c’est l’assurance d’un accès facilité à l’ensemble des besoins du quotidien, s’accompagnant d’une moindre dépendance à la voiture individuelle. Entendons-nous bien, je n’oppose pas la ville à la ruralité. Chacun doit pouvoir préserver les conditions de son attractivité. Cependant, nous devons insister sur la nécessité de renforcer la planification de l’aménagement des territoires à l’échelle régionale et locale.
Les élus locaux savent que ces enjeux sont fondamentaux et ils ne sont pas réfractaires à une meilleure prise en compte de la lutte contre l’artificialisation. À la suite de l’adoption de la loi « climat et résilience », votée en 2021, ces élus ont cependant exprimé des craintes quant à un éventuel impact négatif sur le développement et l’attractivité de leurs communes. Nous avons entendu leurs inquiétudes, ainsi que leur besoin d’être mieux accompagnés.
C’est pourquoi la proposition de loi d’initiative sénatoriale que nous examinons doit nous permettre, sans revenir sur nos engagements, d’apporter des réponses concrètes en améliorant l’encadrement et en facilitant la mise en œuvre des objectifs du ZAN. Dans ce texte, nous nous sommes fixé des objectifs forts et ambitieux pour parvenir à un juste équilibre entre protection de la biodiversité et attractivité de nos territoires, notamment dans la perspective de la réindustrialisation.
Nos débats en commission ont permis d’évoquer des enjeux majeurs, qu’il s’agisse des projets d’intérêt national, régional et intercommunal, du droit minimal à construire ou de la prise en compte des efforts passés en matière de sobriété foncière.
Le groupe Démocrate se félicite de l’adoption par la commission de ses amendements relatifs à la création d’un forfait national de 15 000 hectares décomptés du ZAN pour des projets dont la liste est établie, à la création d’une enveloppe de projets d’intérêt régional et à la possibilité pour les maires de mutualiser leur garantie rurale.
Vous l’aurez compris, notre groupe défend l’impérieuse nécessité de maintenir le cap fixé par le ZAN tout en étant favorable aux ajustements et aux précisions de sa mise en œuvre, qui doivent nous donner les moyens d’atteindre nos objectifs tout en respectant nos élus et nos territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Béchu, ministre
Je serai bref, car les réponses aux orateurs de la discussion générale seront apportées, pour l’essentiel, au cours de la discussion des articles.
Tout d’abord, je remercie le député Le Fur pour son vibrant plaidoyer en faveur de la proposition de loi qui vous est soumise. En effet, après avoir affirmé que le ZAN risquait d’entraver la réindustrialisation et de menacer la ruralité, il a expliqué in fine, de manière très cohérente, les raisons pour lesquelles il retirait sa motion de rejet préalable, soulignant ainsi combien ce texte est nécessaire.
Je souhaite cependant vous mettre en garde contre certaines facilités. Le talent n’excluant pas le travail, il convient de regarder la réalité objective des chiffres. On peut rendre le ZAN responsable de beaucoup de choses, mais il faut faire preuve d’un minimum d’objectivité pour être certain de ne pas se tromper de constat.
Nous faisons face à une crise du logement qui sévit également dans de nombreux pays d’Europe, dont certains ne se sont pas fixé un objectif de zéro artificialisation nette. Et pour cause : cette crise s’explique par l’inflation du coût des matériaux et la remontée des taux d’intérêt. Ces phénomènes, parce qu’ils pèsent sur le pouvoir d’achat, expliquent en partie les difficultés rencontrées dans ce secteur. Ce serait donc une facilité, voire une erreur de diagnostic que de laisser penser que le ZAN est source de tous les maux.
M. Philippe Gosselin
Personne ne prétend que c’est la cause unique du problème : c’est un des éléments !
M. Christophe Béchu, ministre
Cela a tout de même été évoqué par plusieurs orateurs ce matin. Par crainte que cet argument ne revienne de manière trop régulière au cours de nos débats, j’ai préféré formuler cette remarque d’emblée.
De même, laisser penser que le ZAN impliquerait la fin de la maison individuelle, c’est se livrer à une caricature qui ne correspond pas à la réalité. Respecter une trajectoire foncière de division par deux, cela veut simplement dire passer de lotissements comptant en moyenne huit pavillons par hectare – responsables de la moitié de l’artificialisation depuis dix ans – à des lotissements comptant en moyenne seize pavillons par hectare, donc passer de jardins de 1 200 mètres carrés à des jardins de 600 mètres carrés. Il s’agit bien d’une moyenne,…
Mme Isabelle Valentin
Un jardin, ce n’est pas de l’artificialisation !
M. Christophe Béchu, ministre
…car une grande partie des jardins ont une superficie de plus de 2 500 mètres carrés. Nous n’imposons pas un modèle ; nous nous inscrivons dans une trajectoire de sobriété.
Laisser penser qu’il s’agirait d’un texte de décroissance, c’est également aller à l’encontre de la réalité des chiffres et de la réflexion que nous devons avoir sur notre patrimoine. Paysages, forêts, sols, espaces agricoles forment une partie de notre bien commun. Ce sont eux, notamment, qui nous offrent des espaces de développement et sont en partie à l’origine de la vitalité du tourisme. Ce sont des atouts pour notre pays.
J’ai relevé la multiplicité des questions dont nous devrions discuter : certains considèrent que la liste des grands projets d’envergure nationale est trop longue, d’autres la jugent trop restrictive ; certains souhaitent que l’on se préoccupe des territoires littoraux, d’autres des territoires de montagne – et j’en passe.
Notre intention – et cela, je l’ai entendu sur tous les bancs – est à la fois de tenir l’objectif de sobriété foncière et de redonner de la souplesse en faisant confiance aux élus de terrain.
M. Philippe Gosselin
C’est bien le problème : vous ne leur faites pas confiance !
M. Christophe Béchu, ministre
C’est le cœur du texte, d’une partie des dispositifs. Aussi, je me réjouis que nous ne soyons pas allés au terme de la discussion de la motion de rejet préalable, qui aurait laissé penser que le droit existant est préférable aux adaptations qui vous sont soumises. Celles-ci ont fait l’objet de travaux substantiels en commission et nous permettront, au cours des heures qui viennent, de faire œuvre utile en conciliant notre ambition et sa mise en œuvre pragmatique.
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques
Nous allons entamer la discussion des articles de la proposition de loi, sur lesquels plus de 600 amendements ont été déposés – c’est beaucoup ! Je souhaite donc que la discussion débute, comme cela est prévu, par l’examen des articles 1er et 2, puis – afin que les débats essentiels puissent se tenir en présence du plus grand nombre d’entre nous – que nous passions directement, après la discussion des amendements portant article additionnel après l’article 2, à l’examen des deux articles ayant suscité le plus de débats en commission, à savoir l’article 4, relatif aux projets d’ampleur nationale, et l’article 7, qui a trait à la garantie rurale.
C’est pourquoi je demande, madame la présidente, qu’en application de l’article 95, alinéa 4, de notre règlement, soient examinés en priorité les articles 4 et 7 de la proposition de loi ainsi que les amendements portant article additionnel avant et après chacun de ces deux articles.
Mme la présidente
La priorité est de droit lorsqu’elle est demandée par la commission.
Discussion des articles
Mme la présidente
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Article 1er
Mme la présidente
Sur l’amendement no 168, je suis saisie par le groupe Renaissance d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Elie Califer.
M. Elie Califer
À l’heure où s’ouvre un débat sur la non-artificialisation des sols, je tenais à saluer la correction essentielle qui a été apportée par la commission des affaires économiques aux dispositions s’appliquant notamment outre-mer.
En effet, un amendement a été adopté qui permet d’écarter l’application automatique d’un objectif de réduction de 50 % au niveau infrarégional en cas de retard à l’échelon régional. Avant l’adoption de cet amendement salvateur, les collectivités locales d’outre-mer autres que les régions auraient pu se voir imposer mécaniquement une réduction de 50 % de l’artificialisation des sols si les schémas d’aménagement régionaux n’étaient pas modifiés dans les temps, soit une obligation chiffrée bien plus stricte que l’objectif prévalant à l’échelon régional. Il fallait donc revenir sur cette incohérence.
Au-delà, je me réjouis de la présentation de ce texte, qui revêt, outre-mer, une dimension particulière. Si nous convenons tous de la nécessité de préserver notre capital environnemental, il serait, je crois, contre-productif de nous imposer des objectifs et des normes inadaptés, au mépris de la réalité des territoires.
Je pense aux territoires exigus comme le mien, dont plus de 60 % de la superficie est classée soit en zone agricole, soit en zone forestière, soit en zone littorale à préserver. Il faut impérativement que les lois que nous adoptons concilient pleinement nos exigences environnementales avec nos besoins de développement, nos besoins humains. C’est pourquoi les amendements que je défendrai auront principalement pour objet d’adapter les objectifs à la réalité des besoins de chaque territoire ultramarin. (M. Frédéric Maillot applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet
Alors que nous entamons l’examen des articles de la proposition de loi, je voudrais redire notre attachement à la conduite d’une politique ambitieuse de réduction de l’artificialisation des sols. Toutefois, une telle politique ne peut être menée contre les territoires ruraux et favoriser l’hyperurbanisation de certaines zones.
Nous accueillons donc favorablement les mesures d’assouplissement proposées dans le texte, tout en estimant que nous ne devons pas en rabattre sur les objectifs. En effet, l’artificialisation de l’équivalent de quatre terrains de football par heure n’est pas tenable, tant du point de vue de la lutte contre le changement climatique que du point de vue de la préservation de notre agriculture, nécessaire pour reconquérir notre souveraineté alimentaire, ou de la biodiversité.
L’artificialisation excessive a deux causes majeures : d’une part, la métropolisation à laquelle nous avons réduit les politiques d’aménagement du territoire, d’autre part, l’artificialisation excessive des zones littorales, de la Gironde au Morbihan et sur le pourtour méditerranéen – je vous renvoie, sur ce point, à la carte de 2020 du Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema).
Or le texte soumis à notre examen tient insuffisamment compte de ces réalités et des disparités territoriales. Il donne du mou à un dispositif trop rigide en laissant de côté certaines questions majeures. Ainsi, il ne comporte pas, alors qu’elles sont essentielles, de mesures visant à réhabiliter le bâti vacant dans les communes rurales en prévoyant des moyens financiers conséquents, à proposer un réel accompagnement en matière d’ingénierie et à créer des outils juridiques facilitant le changement de destination du bâti agricole ni de mesures visant à renforcer l’attractivité des centres-bourgs et des villes moyennes, notamment grâce à la présence des services publics.
Il ne comporte pas non plus de volet fiscal visant à lutter contre la vacance des logements ou contre leur sous-occupation lorsqu’il s’agit de résidences secondaires, ni de mesures ayant trait aux centres commerciaux, aux entrepôts logistiques et aux zones commerciales, qui sont des leviers de sobriété foncière.
Nous regrettons que le texte n’aille pas plus loin dans la voie des propositions concrètes, même s’il permet des bougés importants. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Mathilde Paris.
Mme Mathilde Paris
Nous regrettons que l’article 1er ait été vidé de sa substance lors de son passage en commission des affaires économiques. En effet, il prévoyait d’allonger d’un an par rapport à ce qui était prévu dans la loi « climat et résilience » les délais de mise en conformité des documents d’urbanisme. Or nos petites communes ont besoin d’un tel délai ; nous avons tous eu, me semble-t-il, des remontées du terrain en ce sens. Pourquoi l’avoir supprimé ?
Il faut bien comprendre que nos petites communes n’ont pas les services techniques qui leur permettraient de procéder rapidement à cette mise en conformité. Nous défendrons donc un amendement visant à rétablir ce délai d’un an, en espérant qu’il sera adopté. En tout état de cause, nous voterons pour l’article 1er, car il va dans le bon sens.
Par ailleurs, nous regrettons la suppression de la consultation du public et des personnalités publiques associées (PPA) lors de la modification des documents d’urbanisme.
Nous souhaitons que, sur ces deux points, vous revoyiez votre position.
Mme la présidente
La parole est à M. William Martinet.
M. William Martinet
Le groupe LFI-NUPES aborde cette discussion de la manière la plus constructive possible, avec l’objectif de faire évoluer le texte afin qu’il soit un outil non pas de détricotage du ZAN, mais d’amélioration de sa mise en œuvre.
Toutefois, être le plus constructif possible ne signifie pas faire abstraction du contexte. Nous ne pouvons pas faire comme si nous ne savions pas ce qui se passe dans le pays en matière d’écologie. Je fais ici référence à la décision qui a été prise hier par le ministre Darmanin de dissoudre le mouvement Les Soulèvements de la Terre.
M. Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques
Excellente décision !
M. Francis Dubois
Il était temps !
M. William Martinet
Ce qui s’est passé est grave ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.) C’est une décision historique : pour la première fois dans notre histoire, un groupement écologiste est dissous.
Pis, les moyens de la loi contre le séparatisme, justifiés par la lutte contre le terrorisme islamiste, ont été utilisés pour criminaliser et réprimer un mouvement écologiste (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES) dont le seul objectif est de rappeler à notre pays les limites planétaires et d’essayer d’éviter la catastrophe écologique vers laquelle, hélas ! nous nous dirigeons.
Monsieur le ministre, nous écouterons avec attention tous les arguments que vous utiliserez pour nous convaincre que vous luttez contre l’artificialisation des sols et que vous êtes préoccupés par la question écologique. Mais nous n’oublierons pas que vous faites partie d’un gouvernement qui criminalise le mouvement écologiste. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Marc Le Fur.
M. Marc Le Fur
Je remercie tout d’abord le président de la commission des affaires économiques d’avoir demandé l’examen prioritaire des articles 4 et 7 : nous pourrons ainsi aborder les questions principales assez rapidement et en présence du plus grand nombre d’entre nous.
Monsieur le ministre, je souhaite mettre en exergue un certain nombre de contradictions que j’ai relevées dans votre propos.
Vous n’êtes pas, dites-vous, opposés à la maison individuelle. Mais vous proposez seize maisons à l’hectare.
M. Christophe Béchu, ministre
Non !
M. Marc Le Fur
Si, vous venez de citer ce chiffre.
M. Christophe Béchu, ministre
Ce n’est pas une proposition, c’est une moyenne !
M. Marc Le Fur
Or, prenons le cas de communes très rurales : si l’on applique cette règle, on va entasser les gens,…
M. Bastien Marchive, rapporteur
Avec des jardins de 600 mètres carrés ?
M. Marc Le Fur
…alors que des espaces sont disponibles à côté,…
Mme Cyrielle Chatelain
Des espaces naturels et agricoles !
M. Marc Le Fur
… et priver le monde rural de son principal avantage relatif, à savoir la possibilité d’y disposer d’espace. Je crois que vous commettez une erreur.
Par ailleurs, j’ai bien entendu Mme la Première ministre indiquer, lorsqu’elle a présenté son plan « logement », qu’elle interdirait le prêt à taux zéro pour l’achat de maisons individuelles, alors que ce dispositif va devenir très important et très utile en cette période de remontée des taux d’intérêt.
Pardonnez-moi, monsieur le ministre, ce n’est peut-être pas votre cas personnel, mais le gouvernement auquel vous appartenez n’aime pas la maison individuelle.
Enfin, paradoxe absolu qui heurte le bon sens : vous considérez que non seulement la maison contribue à l’artificialisation – j’en conviens –, mais aussi le jardin !
M. Christophe Béchu, ministre
Non !
M. Marc Le Fur
Si, c’est ce que vous préconisez.
Lorsque je cultive mon petit jardin, mon petit potager,…
M. Vincent Descoeur
Dont le sol est perméable !
M. Marc Le Fur
… je préserve la biodiversité – et c’est le lot de bien des Français. Or vous assimilez cette véritable biodiversité à de l’artificialisation. Il y a là une contradiction étonnante !
M. Francis Dubois
C’est important, les poules qui pondent des œufs !
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement no 168.
M. Philippe Gosselin
Le sujet est délicat et fait l’objet de toutes les caricatures possibles. Si l’on est contre ce fameux zéro artificialisation nette des sols, on est forcément pour le bétonnage. Or, pas du tout : tout le monde a à cœur de défendre la sobriété foncière. Ce bon usage des sols, notamment dans un objectif agricole, nourricier, et de biodiversité, nul ne le conteste – pas même moi, qui propose la suppression de ce ZAN.
On peut en effet partager les objectifs sans être d’accord sur les moyens. Le ZAN, aujourd’hui et demain, c’est empêcher presque totalement le développement des territoires ruraux qui sont sous cloche. J’ai réuni les maires de ma circonscription au mois de septembre dernier, puis ce printemps : le droit à construire les préoccupe. Ils sont bloqués. Même en zone rurale, dans mon département, on ne peut plus construire ou très peu parce qu’on ne le peut plus même sur les terres soumises au RNU ou dans les « dents creuses ».
La crise du logement n’est certes pas créée, mais aggravée par les ZAN. En fait, notre économie est de plus en plus administrée. Les collectivités locales – surtout les communes – sont sous tutelle de l’État. La libre administration des collectivités, ça fait belle lurette que c’est devenu un vain mot.
M. Marc Le Fur
Exactement !
M. Philippe Gosselin
Cette gestion technocratique n’est pas ce que nous souhaitons. Plusieurs d’entre nous, ici, ont été maires pendant des années, avant que la loi sur le non-cumul des mandats ne vienne sabrer le lien entre mandat local et mandat national. Nous avons alors eu à cœur de développer harmonieusement nos territoires sur le plan économique – industriel, notamment –, mais aussi d’accueillir de nouvelles populations. Bien sûr, on doit réhabiliter des logements anciens, réhabiliter le parc de la reconstruction – c’est le cas chez moi. Mais quand on doit compter avec la loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, les règles applicables dans la bande littorale des 100 mètres, les règles concernant les surfaces submersibles, etc., vient le moment où l’on ne peut plus rien faire.
Mme la présidente
Merci, monsieur Gosselin.
M. Philippe Gosselin
Je termine, madame la présidente. Il faut donc, je le répète, changer non pas les objectifs, mais les modalités pour y parvenir.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Bastien Marchive, rapporteur
Ce que vous voulez, en fait, en supprimant le ZAN, c’est semer le trouble dans l’application des objectifs fixés.
M. Philippe Gosselin
Pas du tout !
M. Bastien Marchive, rapporteur
Ainsi, vous reniez les objectifs environnementaux.
M. Philippe Gosselin
Absolument pas !
M. Bastien Marchive, rapporteur
En supprimant le ZAN, on poursuit comme avant l’étalement urbain,…
M. Philippe Gosselin
Vous faites dans la caricature !
M. Bastien Marchive, rapporteur
…on continue l’installation de zones d’activité économique (ZAE) périphériques, on se fiche des risques d’inondation, de la dégradation de la biodiversité, de la déprise agricole.
M. Philippe Gosselin
Mais qui a dit ça ? Quelle caricature !
M. Vincent Descoeur et M. Vincent Rolland
Ça commence mal !
M. Bastien Marchive, rapporteur
Vous dites qu’il faut être sobre sur le plan foncier ; or vous proposez de supprimer ce qui va précisément permettre la déclinaison de cette sobriété. Où est la cohérence ?
M. Philippe Gosselin
Pas dans vos propos caricaturaux en tout cas !
M. Bastien Marchive, rapporteur
J’ai tout de même le sentiment que vous vous êtes trompé de texte. Il ne s’agit pas ici de la loi « climat et résilience ». La présente proposition de loi a pour vocation d’assouplir la législation en vigueur. M. Le Fur l’a qualifiée de texte mineur ; je la considérerais pour ma part plutôt comme un texte structurant visant à mieux accompagner les élus.
M. Philippe Gosselin
Des élus sous tutelle !
M. Bastien Marchive, rapporteur
Vous dénoncez la technocratie alors que cette proposition de loi a précisément pour vocation, je viens de le dire, de mieux accompagner les élus. Vous recommencez avec deux ans de retard, j’y insiste, le débat de la loi « climat et résilience ».
M. Philippe Gosselin
Et vous, vous êtes dans la caricature !
M. Bastien Marchive, rapporteur
J’émets donc un avis défavorable.
M. Philippe Gosselin
Je ne remets pas en question les objectifs !
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Béchu, ministre
J’aurais aimé que le député Gosselin aille au bout de sa logique. Sortons des caricatures des deux côtés : à la fois en n’affirmant pas que le ZAN serait responsable de tout,…
M. Philippe Gosselin
J’ai dit le contraire, monsieur le ministre !
M. Christophe Béchu, ministre
…et en ne niant pas qu’il est nécessaire d’assouplir les règles en vigueur.
M. Philippe Gosselin
Mais trouvez d’autres moyens !
M. Christophe Béchu, ministre
C’est très exactement pourquoi on ne peut pas être favorable à l’amendement : il reviendrait à s’en tenir au statu quo législatif et à n’entendre ni l’AMF ni le Sénat. Je souhaite que le caractère très transpartisan des dispositions que ce dernier a adoptées ne soit pas remis en cause par le vote de cet amendement.
Mme la présidente
La parole est à M. Hervé de Lépinau.
M. Hervé de Lépinau
Bien sûr, les députés du groupe Rassemblement national vont soutenir cet amendement qui renvoie à un problème auquel vous avez peut-être été confronté, monsieur le ministre, lorsque vous étiez maire – on vous sent d’ailleurs assis entre deux bancs : votre expérience municipale vous contrarie dans la réalisation de la mission que le Gouvernement vous a confiée.
Mme Sandra Marsaud
C’est le contraire !
M. Hervé de Lépinau
Je me suis battu, pour ma part, au sein de mon intercommunalité, contre le développement des zones commerciales et, à l’époque, les élus socialistes, communistes, verts, me rigolaient au nez en soutenant que ces zones étaient absolument nécessaires pour le développement économique.
Mme Marie Pochon
Ça m’étonnerait qu’ils vous aient dit ça !
M. Hervé de Lépinau
Je leur répondais : attention, le foncier est rare, réservons ces espaces à l’industrie, pour la production de valeur ajoutée. Nous n’avons pas été écoutés et nous avons eu des McDo et autres Mr.Bricolage.
M. Marc Le Fur
Mr.Bricolage, on connaît !
M. Pierre-Henri Dumont
Oui, c’est le Président de la République !
M. Hervé de Lépinau
On opère ici un virage à 180 degrés non pas suivant la volonté populaire, exprimée dans les urnes et traduite par le travail de la représentation nationale, mais suivant cette fameuse Convention citoyenne qui a pollué le débat démocratique pendant le premier quinquennat Macron, où, visiblement, on préférait s’intéresser à des lobbies – et j’assume le terme, puisque cette convention a été envahie par des militants écolos –…
Mme Marie Pochon
Ça s’appelle des scientifiques !
M. Hervé de Lépinau
…plutôt que mener un débat à l’Assemblée et au Sénat qui se seraient montrés bien plus raisonnables.
C’est pourquoi il me paraît nécessaire de voter l’amendement Gosselin, dont l’adoption remettra quelque peu l’église au milieu du village. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Pascal Lavergne.
M. Pascal Lavergne
Il s’agit d’un amendement complètement démagogique. Je rappellerai aux députés du groupe LR que le texte instaurant le ZAN a été voté en commission mixte paritaire avec la présence de députés et de sénateurs LR. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. David Valence
C’est bien de le rappeler !
M. Pascal Lavergne
Les députés du groupe LR s’opposent à la présente proposition de loi sénatoriale qui pourtant touche à un sujet consensuel. Vous êtes en pleine démagogie ; aussi, revenez à un peu plus de raison. Écoutez les territoires qui ont certes besoin de se développer, mais qui doivent également économiser le foncier pour que l’agriculture, pour que les énergies renouvelables se développent normalement. On a besoin de la terre pour tout cela et il faut par conséquent la partager intelligemment. N’enfermez pas les populations dans des modèles de développement de l’habitat antédiluviens,…
M. Philippe Gosselin
Propos démagogique !
M. Pascal Lavergne
…modèles très consommateurs de foncier, alors que nous avons la possibilité, avec l’inventivité des urbanistes, de proposer des modèles beaucoup plus intégrateurs et au service du vivre-ensemble dans nos campagnes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)
M. Francis Dubois
Laissons vivre nos campagnes, partageons avec la ville !
Mme la présidente
La parole est à Mme Marina Ferrari.
Mme Marina Ferrari
Bien sûr, les députés du groupe Démocrate s’opposeront à l’amendement de M. Gosselin. J’entends l’inquiétude des élus locaux comme les préoccupations du groupe LR, mais le texte est équilibré et va y répondre. Dans mon territoire, en vingt-sept ans, ce sont l’équivalent de 200 hectares par an qui ont été urbanisés, pour l’essentiel au détriment des terres rurales.
Le présent texte nous offre un équilibre entre la possibilité de continuer à développer nos territoires et la protection des terres agricoles, des espaces forestiers et naturels. Nous devons donc aller au bout de l’examen d’une proposition de loi sénatoriale très attendue par les élus locaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs du groupe RE.)
Mme la présidente
La parole est à M. William Martinet.
M. Guillaume Kasbarian, président de la commission des affaires économiques
Mais, nous en sommes déjà aux explications de vote sur l’ensemble du texte ?
M. William Martinet
Avec cet amendement, les collègues du groupe LR sont pris en flagrant délit de déni climatique. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Francis Dubois
Ah, la bonne blague !
M. William Martinet
Vous pouvez dire ce que vous voulez pour défendre votre vision archaïque du développement des territoires, elle n’empêchera pas l’artificialisation des sols. Or nous sommes confrontés à une limite planétaire. (Mêmes mouvements. – M. Marcellin Nadeau applaudit également.) Et les limites planétaires, on peut en penser ce qu’on veut, on ne les négocie pas, on ne les remet pas en cause, parce que la question est de maintenir un écosystème compatible avec la vie humaine. Voilà tout.
M. Marc Le Fur
Et la liberté de penser ?
M. William Martinet
Il s’agit de préserver le cycle de l’eau, le cycle du carbone, d’éviter que la bétonisation des terres n’aggrave les conséquences des catastrophes climatiques.
M. Philippe Gosselin
Caricature complète !
M. Marc Le Fur
C’est de l’idéologie !
M. Francis Dubois
C’est en Corrèze et dans le Cantal que la qualité de l’air est la meilleure et pourtant il y a là-bas des vaches qui pètent ! (Sourires sur les bancs du groupe LR.)
M. William Martinet
Vous abordez le débat d’une façon tout à fait négative et contre-productive, puisque vous essayez de remettre en cause ce qui, malheureusement, est un processus écologique. Nous devrions plutôt discuter, et ce serait intéressant, de la manière de changer le modèle de développement, de casser le lien entre développement et artificialisation des sols. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.) Il faut arrêter avec ça ! On peut développer des territoires, et surtout des territoires ruraux, d’une autre manière qu’en construisant des lotissements pavillonnaires ou des supermarchés sur des terres agricoles ou naturelles. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
M. Philippe Gosselin