XVIe législature
Session ordinaire de 2022-2023

Séance du jeudi 06 avril 2023

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Julien Bayou et des membres du groupe Écologiste-NUPES visant à interdire les vols en jets privés (nos 885, 1017).
La parole est à M. Julien Bayou, rapporteur de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. « Le temps, pour les décideurs, est précieux », déclarait, il y a quelques semaines, l’ancien ministre des transports pour justifier le maintien des activités de l’aviation d’affaires, c’est-à-dire les jets privés. Telle est la vision des ministres d’Emmanuel Macron : la mobilité pour les riches, dont le temps serait précieux, et tant pis pour les autres, qui galèrent dans les transports du quotidien, faute d’investissements à la hauteur ! Mais que feront les décideurs de leur temps si précieux lorsque notre planète sera devenue complètement inhabitable ou en proie aux conséquences dramatiques du dérèglement climatique ?
Dans le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), résumé de plus de 10 000 pages d’analyses du réchauffement climatique publiées au cours des huit dernières années, les scientifiques décrivent des changements d’une ampleur inédite qui ont des effets néfastes dans le monde entier. À chaque fraction de degré supplémentaire, les risques s’intensifient.
Surtout, le rapport nous renseigne sur l’ampleur des inégalités observées dans la transition écologique – c’est sur ce point que je souhaite insister : les moins responsables sont les plus vulnérables. Ceux et celles qui contribuent le moins au changement climatique sont touchés de manière disproportionnée par ses conséquences.
La conclusion politique qu’il faut en tirer est limpide : le temps de l’action et d’une transition écologique ambitieuse est venu, si nous voulons maintenir un monde vivable ; surtout, cette transition doit être guidée par la justice : les efforts doivent être partagés par tous, en particulier par ceux qui polluent le plus.
Nous allons citer de nombreux chiffres, mais s’il fallait n’en retenir que quelques-uns, ce seraient ceux-ci : une Française ou un Français émet en moyenne 10 tonnes de CO2 par an : moins de 5 tonnes pour les classes populaires et moyennes, plus de 8 000 tonnes pour les ultrariches. Je répète : 10 tonnes en moyenne, 5 tonnes pour les classes moyennes et populaires et 8 000 tonnes pour les ultrariches.
Les riches ne portent pas l’effort collectif. De fait, on le constate tous les jours, le Gouvernement et sa majorité sont incapables d’imposer des contraintes aux plus aisés, craignent de leur demander la moindre contribution. Et le pire, c’est qu’ils n’en sont pas incapables : ils font le choix délibéré de les favoriser, au détriment de l’immense majorité des Françaises et des Français.
Pourtant, la majorité gouvernementale a justifié des restrictions importantes de circulation au sein des zones à faibles émissions (ZFE), et ces restrictions sont nécessaires pour la santé publique. Elle a également accepté d’interdire les liaisons aériennes commerciales si une alternative en train de moins de deux heures trente existe. Je me réjouis de cette mesure, mais je m’en réjouirais davantage si elle s’appliquait à l’ensemble de la population. Car les vols en jets privés ne sont pas concernés par cette interdiction.
Eh oui ! Ainsi, l’offre aérienne a été régulée pour la population générale alors que dans le même temps, le moindre débat sur la régulation des transports des plus riches est balayé d’un revers de la main. Avoir les moyens financiers vous permet donc de vous affranchir des lois de la République et de vous épargner le moindre effort écologique. Tel est le message envoyé par le Gouvernement. C’est une honte qui mine, qui sape, qui sabote le consentement de la population à la transition écologique.
Contrairement à ce que j’ai entendu lors de l’examen de la proposition de loi en commission, je ne souhaite pas punir les plus riches. Je souhaite juste les ramener sur terre, au même niveau que le commun des mortels, car je m’inquiète des effets de cette absence de régulation sur la cohésion sociale. Ce qu’il faut bien percevoir, c’est le risque que nous prenons si l’acceptabilité sociale de la transition n’est pas assurée. Lors de son audition, Yamina Saheb, autrice du Giec, l’a dit : « La transition doit être juste ou nous aurons la guerre. »
La proposition de loi relative à l’interdiction des vols en jets privés que je vous présente repose précisément sur les enseignements et préconisations du Giec et des scientifiques. L’enjeu est d’assurer la transition écologique urgente et nécessaire du secteur aérien tout en garantissant son acceptabilité sociale. Pour la première fois, la proposition de loi vise à faire reposer en premier lieu les efforts sur les plus riches, car ce sont eux qui contribuent le plus, et de loin, à la pollution et au dérèglement climatique.
Non, l’aérien n’est pas anecdotique : le secteur émet 24 millions de tonnes de CO2 selon une étude de l’Agence de la transition écologique (Ademe) – soit 5,3 % des émissions totales de la France en 2019 – et ses émissions sont en très forte croissance. Au sein de l’aviation générale, l’empreinte carbone des avions privés est, de façon indéniable, disproportionnée par rapport aux autres types de trajets réalisés : ils sont, par passager, dix fois plus polluants que les avions commerciaux. Sans parler du scandale des vols à vide, qui représentent jusqu’à 40 % des vols pour les trajets Lyon-Chambéry ou Lyon-Courchevel, par exemple.
Dans ce domaine, la France est le pays de tous les records, comme le montre un rapport de Greenpeace publié le 30 mars dernier. Entre 2021 et 2022, le nombre de vols en jet privé au départ de notre pays a augmenté de 55 % et les émissions produites de 93 %. La France est le pays de l’Union européenne qui compte le plus de vols en jet privé et quatre villes françaises se trouvent dans le top 10 des trajets le plus souvent effectués.
Lorsque l’urgence climatique est déclarée, tous les secteurs doivent engager une politique de sobriété et de décarbonation, y compris celui de l’aviation. Il faut d’abord réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), et ensuite décarboner ce qui ne peut pas être réduit. C’est forcément dans cet ordre-là que l’on agit : réduire, puis décarboner. Or la réduction du trafic aérien commence par celle de l’aviation privée.
On nous dit que les jets privés sont utilisés à des fins purement professionnelles ; c’est faux. Les statistiques avancées par les représentants de l’aviation d’affaires que j’ai auditionnés ne reposent sur aucune donnée fiable. Quand l’avion du groupe Bolloré, par exemple, fait, dans la même journée, Paris-Toulon, Toulon-Corfou et Corfou-Paris, ces vols sont considérés par le secteur comme des vols d’affaires parce qu’ils sont facturés à l’entreprise Bolloré. Il s’agit, certes, d’un remarquable outil de défiscalisation, car ce ne sont pas des déplacements professionnels.
Exactement ! L’argument des affaires est d’autant plus contestable que les vols insensés se multiplient : Nice-Cannes, Bordeaux-Arcachon, Rennes-Saint-Malo, Saint-Tropez-Cannes, Chambéry-Courchevel, Lille-Le Touquet… Il s’agit de voyages d’agrément, de loisirs, de sauts de puce qu’on peut faire en train, de vols caprices, mais aucunement de déplacements professionnels. Et les vols les plus fréquents – Paris-Nice, Paris-Genève ou Paris-Londres – correspondent à des trajets classiques, dont les destinations sont très bien desservies par le transport ferroviaire ou les lignes aériennes classiques.
Notre proposition de loi vise simplement à déplacer la mobilité des plus riches du jet vers l’aviation commerciale régulière ou le train. Il n’est en rien radical d’exiger d’une personne qu’elle se rende à Bruxelles en Thalys ou à Londres en Eurostar.
Si elle le veut bien : cela s’appelle la liberté ! Il n’est en rien radical d’interdire un vol en jet privé entre Cannes et Nice, deux villes qui sont séparées d’à peine 30 kilomètres et qui sont desservies par la route et le train. En résumé, ce serait un petit pas pour Bernard Arnault et un grand pas pour le climat ! On parle de 0,1 % des émissions de gaz à effet de serre ! La proposition de loi comporte deux articles. En droit, les jets privés n’existent pas : on parle de transport à la demande et de déplacements non réguliers de passagers. Le cadre dans lequel une personne peut utiliser un jet privé relève de deux situations juridiques distinctes.
Soit l’usager est le propriétaire du jet, et il s’agit d’un transport non commercial de passagers –– c’est l’objet de l’article 1er –, soit le jet est affrété contre rémunération, à la demande, et alors, les règles du transport aérien dit commercial s’appliquent – c’est l’objet de l’article 2.
Nous avons fixé un seuil de soixante passagers pour éviter d’affecter certains charters que les Français utilisent pour rejoindre les Antilles ou traverser la Méditerranée. En outre, j’ai fait le choix de prévoir une série d’exceptions, au nom de l’intérêt public. Ainsi, ne sont concernés ni les vols des aéronefs d’État et militaires, ni les vols affectés à un service public, ni les vols de sécurité civile, sanitaire et médicale, ni même les vols d’entraînement et ceux qui sont effectués dans un aéroclub.
C’est très raisonnable ! Quant à l’outre-mer, il n’est pas concerné en raison de spécificités géographiques et topographiques.
Rassurez-vous : sur le plan juridique, le dispositif tient la route, que ce soit en droit interne ou en droit européen. En effet, la proposition de loi est conforme à notre Constitution, en particulier au préambule de la Charte de l’environnement. Le Conseil constitutionnel a en effet consacré en 2020 la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, comme « objectif à valeur constitutionnelle ». Il a même considéré, en août 2022, que la protection de l’environnement relevait des « intérêts fondamentaux du pays ». Le texte est également conforme au droit européen, puisque la restriction des droits de trafic prévue dans la loi « climat et résilience » a été jugée conforme par la Commission européenne.
Je remercie les chefs de file des différents groupes politiques. Nous n’étions pas d’accord sur tout, mais nous avons eu, en commission, un débat de bonne tenue qui, je l’espère, se poursuivra en séance publique.
L’interdiction que je vous propose est la mesure qui pénalise le moins de monde et qui aura l’effet le plus grand sur l’environnement et sur l’adhésion à l’indispensable projet de transition écologique. C’est l’élément clé d’une politique environnementale empreinte de justice sociale.
Absolument ! On nous dit qu’une telle interdiction est impossible, mais aux Pays-Bas, le principal aéroport d’Amsterdam – équivalent à Charles-de-Gaulle –, le deuxième aéroport européen, vient d’annoncer qu’il interdisait les jets privés, pour un motif très clair : ils sont trop polluants, provoquent des nuisances sonores intolérables et les principales destinations desservies – Ibiza ou Cannes – le sont aussi par l’aviation commerciale régulière.
Grâce à cette proposition de loi, nous pouvons ramener les riches sur terre. Les Pays-Bas tracent un chemin. Le débat a lieu partout en Europe. La France doit être à la hauteur : faisons en sorte qu’elle rallume les étoiles de l’action climatique et montre la voie de la justice environnementale !
(Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES, LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES.) Bravo ! La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports. C’était très clair. Je crois qu’on peut s’arrêter là ! (Sourires.) Belle vision de la démocratie, monsieur Ruffin ! Ils n’aiment pas l’humour… Ni la démocratie ! Vous avez raison, monsieur Bayou, le sujet qui nous réunit ce soir n’est pas anecdotique. Il est important car il touche à la transition écologique, à la sobriété énergétique et à des pratiques que ces deux exigences rendent parfois choquantes, souvent décalées, de temps en temps inacceptables.
Notre imaginaire commun ou nos références, pour les plus jeunes, doivent-ils être ceux d’une star internationale – chanteur, actrice, footballeur ou grande sportive – qui s’affiche seule dans un avion privé ? Je ne le crois pas ; j’ai du reste moi-même ouvert et assumé le débat sur cette question. S’agit-il ici d’un symbole qui heurte ou d’une pratique qui a un impact puissant sur nos émissions de gaz à effet de serre ? Devant le Parlement, qui fait la loi, nous devons être justes, précis et complets.
Oui, il s’agit d’abord de symboles, et les symboles, dans un moment d’effort collectif, cela compte.
Nous devons aussi rappeler que les émissions de gaz à effet de serre en France sont dues pour 4 % au secteur de l’aviation, 2 % de ces 4 % étant le fait de l’aviation privée,…
C’est énorme ! Ça fait 50 % ! …soit, au total, moins de 0,1 % de l’ensemble des émissions de notre pays – et c’est la même proportion à peu près partout en Europe.
Disons-le aussi, derrière les jets privés – qui ne correspondent à aucune notion juridique, que ce soit en droit français ou en droit européen –, il y a des réalités différentes et des usages très variables, qu’on ne peut pas tous mettre sur le même plan. Face à cette réalité, dont il faut regarder objectivement et sereinement toutes les facettes, surgissent un petit nombre de questions simples. Aura-t-on besoin des avions dans les années qui viennent ? Oui, résolument : pour le trafic international, bien sûr, mais aussi pour la desserte de territoires enclavés, y compris dans notre pays. Pour tout vous dire, il ne se passe pas une semaine sans que, de tous les bancs de cette assemblée comme du Sénat, je reçoive des demandes de prolongement de lignes – aériennes, évidemment – d’aménagement du territoire pour relier Limoges, Carcassonne, Tarbes, Saint-Étienne, ou d’autres villes encore, à notre capitale.
Et le train ! Quand bien même on investit dans le train, madame Arrighi, il ne vous aura pas échappé qu’il faut parfois du temps pour construire ou rénover une ligne. Pour l’instant, on n’investit pas ! Vous êtes contre les nouveaux projets de train ! Contre les projets utiles, jamais ! On va faire un peu de pédagogie et vous expliquer ! Je pourrais vous citer ainsi toutes les demandes de prolongement de ligne et d’aménagement du territoire : vous seriez sans doute surprise, madame la députée, de constater à quel point elles sont politiquement assez œcuméniques.
Autre question : les avions sont-ils condamnés à être des émetteurs significatifs de CO2 pour l’éternité ? Non. L’avion bas-carbone, l’avion zéro carbone ne sont plus de la science-fiction, et ce n’est ni de la communication ni du
greenwashing , mais une trajectoire qui se dessine, sur laquelle notre pays peut être pionnier, même si, évidemment, cela prendra plusieurs années, mais sans doute moins d’une génération, pour atteindre l’objectif de décarbonation totale de ce secteur d’ici 2050 – c’est crédible et réaliste. Il y a urgence ! Doit-on revoir, modérer, entraver parfois certains usages devenus incompréhensibles ? Oui, je le crois. Mais faut-il, s’agissant de l’aviation privée, tout interdire, interdire toujours, comme seule réponse au défi du changement climatique et d’une transition écologique efficace ? Je ne le crois pas.
À cette question, j’assume de répondre non, car l’interdiction générale, si elle donne le sentiment illusoire d’avoir agi avec force,…
Surtout avec efficacité ! …aboutit souvent au résultat inverse : vous l’avez vous-même reconnu, monsieur le rapporteur, le champ de l’interdiction serait mité de dérogations, car qui peut prédire et définir, dans une loi globale, tous les usages d’un jet, bons ou mauvais, pour les années qui viennent ? Nous, le législateur ! C’est bien ce qui nous différencie. Je n’ai pas cette prétention… Ne soyez pas si modeste ! …et je crois que vous ne devriez pas l’avoir.
Je note, monsieur Bayou, votre volonté, d’ailleurs respectable et constructive, de prévoir un certain nombre de dérogations à l’interdiction absolue que vous prôniez dans un premier mouvement. Mais les obstacles à cette approche sont, reconnaissons-le, nombreux voire innombrables. Qui dit dérogation dit vérification et sanction. Il faudrait ainsi, pour les jets venant de l’étranger ou à destination d’un autre pays, pour ceux qui feraient l’objet des exemptions que vous proposez vous-même – vols souverains, vols sanitaires –, vérifier systématiquement qu’il s’agit bien de vols autorisés et donc demander aux administrations de l’aviation civile de tous les pays d’où partent des vols vers la France de disposer des informations nécessaires sur le nombre de passagers et l’usage précis du vol.
Au niveau européen, c’est possible ! C’est bien pour cela que je dis qu’il faut avancer en empruntant la voie européenne. Ça fait soixante ans que l’on pourrait avancer ! Je ne pense pas qu’il soit souhaitable, ni crédible, de transformer la direction générale de l’aviation civile (DGAC) dont j’ai la responsabilité et les 11 000 contrôleurs aériens en police des jets.
Il y a des obstacles juridiques. On peut les contester, ils sont néanmoins robustes. Il est de bon ton de faire parler par avance le Conseil constitutionnel ; je n’aurai pas non plus cette prétention, mais avouez qu’il est plus que douteux qu’il entérine une interdiction absolue et générale,…
Du coup, on ne fait rien ! …et que l’on puisse déroger ainsi à la liberté d’aller et venir et à la liberté du commerce et de l’industrie. La question avait d’ailleurs été débattue lors de l’examen de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, la loi « climat et résilience », au sujet de l’interdiction des vols intérieurs pour les distances parcourues par le train en moins de deux heures trente. Il fallait mettre la limite à quatre heures ! Le Conseil constitutionnel a certes pour habitude de concilier des objectifs distincts, mais le risque juridique est immense et, s’il n’était pas constitutionnel, il serait à coup sûr européen et international, car la France s’est engagée depuis plusieurs décennies, comme tous ses partenaires européens, à garantir sur son territoire la liberté de circulation, de transit, d’arrivée et de départ des vols internationaux, quelle que soit leur nature. Allez à Amsterdam ! J’y viens, madame Arrighi : ne soyez pas impatiente. Sur le fond, les cas particuliers sont discutables ou justifiables à l’infini, car il y a ceux qui sont évoqués dans votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, mais il y a aussi les transports de marchandises ou d’œuvres d’art ; et puis il faut admettre le cas des acteurs économiques : je prendrai l’exemple d’une entreprise française, un fleuron industriel, Michelin, la seule entreprise du CAC40 à avoir son siège en dehors de la région parisienne, à Clermont-Ferrand, qui ne bénéficie pas d’une desserte ferroviaire suffisante… Investissez dans la Polt – la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse ! Il ne s’agit pas de la Polt, c’est une autre ligne. Michelin, donc, a parfois besoin d’une prestation commerciale aérienne privée pour faire voyager ses cadres ou recevoir des délégations internationales… Oui, mais lui, au moins, fait voyager ses ouvriers ! Il me semble que c’est un cas différent des stars du football qui s’affichent sur les réseaux sociaux. Les situations justifiant une dérogation sur laquelle nous pourrions tous nous accorder ici sont donc nombreuses, difficiles à prévoir, et l’interdiction générale ne me paraît pas le bon remède. Et puis vous savez bien que face à une interdiction générale, nos concitoyens sont souvent très créatifs en matière de stratégies de contournement ou de diversion. Il suffirait par exemple, aux termes mêmes de votre loi, de créer sous forme associative un aéroclub pour utiliser allègrement son jet privé sans qu’il soit aisé de vérifier l’usage précis dudit avion. Vous n’avez qu’à déposer un amendement ! Notre boussole, au fond, est simple ; elle tient en deux mots : sobriété et efficacité. Sobriété dans les usages, d’abord. Oui, et je l’ai d’ailleurs dit il y a quelques mois, en même temps que vous, monsieur le rapporteur : il faut réguler l’aviation en général et l’aviation d’affaires en particulier. Cette régulation, nous l’avons engagée de manière concrète, en activant de multiples leviers, à commencer par la fiscalité, comme le prévoient plusieurs amendements. La taxation n’est pas un tabou, et le Parlement a voté dans le cadre de la loi de finances pour 2023, à l’initiative de Jean-Marc Zulesi et Jean-René Cazeneuve,… Voté, voté… ne remuez pas le couteau dans la plaie ! Vous savez qu’il y a eu un 49.3 ? …un relèvement de 70 % de la taxe sur les carburants pour l’aviation privée. Il ne vise qu’une toute petite partie ! Une augmentation de 70 %, voilà qui devrait en réjouir certains sur ces bancs. Et je vous annonce que nous irons plus loin encore dans le budget pour 2024… On pourra le voter, celui-là ? Vous aurez sans doute l’occasion d’en débattre et de le voter… C’est trop aimable ! Nous proposerons donc que l’aviation commerciale privée fasse l’objet, si vous en êtes d’accord, d’une contribution supplémentaire, une écocontribution revue à la hausse, qui tiendra précisément compte des différents comportements. Ce sont là les bons leviers, qu’il faut également actionner au niveau européen. C’est ce que la France a engagé en soutenant la révision de la taxation de l’énergie, pour mettre fin à l’exemption sur le kérosène, dont l’impact est considérable ; nous poussons même pour que l’aviation d’affaires soit soumise à une taxation plus forte et plus rapide.
Les leviers réglementaires sont également importants. Je ne reviens pas en détail sur la mesure de limitation à deux heures trente, en cours d’examen par le Conseil d’État et qui sera prochainement effective. La France est le seul pays d’Europe à avoir mis en place une telle mesure. Faut-il aller plus loin ? Évaluons-la.
C’est déjà évalué ! Vous avez fait une Convention citoyenne pour le climat ! Vous sembliez dire, monsieur Bayou, que la Commission européenne était friande de ce type de mesures, mais il a fallu un an de négociations pour obtenir la validation, pour trois ans seulement, de ce décret. Je vous propose donc de l’évaluer avant d’envisager son extension.
Il est totalement faux de dire que les Pays-Bas sont en train d’interdire tous les vols de jet. Ils ont pris une mesure de plafonnement du nombre total de vols, toutes natures confondues, à l’aéroport de Schiphol, principalement pour des questions de nuisances sonores. C’est ce que nous faisons depuis des années, notamment à l’aéroport d’Orly, et j’ai moi-même pris une telle mesure pour plusieurs aéroports en région, à Lille, par exemple. Les Néerlandais avaient évoqué l’idée que s’il fallait plafonner le nombre de vols, on fasse plutôt porter la contrainte sur les vols privés, les fameux jets, mais la justice néerlandaise vient de sanctionner ce plafonnement, hier, et cette interdiction n’a donc rien d’évident. En tout état de cause, ce n’est absolument pas une interdiction de circuler en jet privé sur le territoire néerlandais.
Enfin, et surtout, il nous faut de la sobriété en termes d’impact environnemental. L’aviation verte, ce n’est pas un oxymore.
Ça n’existe pas ! Nous avons de multiples leviers pour rendre l’avion plus sobre et non consommateur de carbone en moins d’une génération. La première étape pour réaliser cette ambition majeure, qui devrait tous nous réunir, ce sont les carburants d’aviation durables. Votre parlement – et c’est l’honneur de la France – a été le premier en Europe à prévoir des obligations d’incorporation de ces carburants durables dans tous les avions. À prévoir, mais pas à faire ! Ces règles françaises ont été étendues au niveau européen, et nous serons le premier continent au monde, je l’espère, sous impulsion française, à imposer une obligation d’incorporation de 10 % de carburants durables d’ici la fin de la décennie.
Ces règles européennes, nous devons les renforcer et admettre qu’il faut, pour soutenir cet effort de transformation majeur, accompagner cette filière d’excellence, créatrice d’emplois, qu’est l’aéronautique en France, y compris, parfois, par des subventions de l’État – je l’assume. Nous avons investi cette année 400 millions d’euros dans le passage aux carburants verts,…
Vous aviez six ans pour le faire ! …pour que l’avion bas-carbone soit une réalité et que nous soyons le premier pays du monde,… Il y a aussi le Canada ! …que l’Europe soit le premier continent au monde, à avoir cet avion bas-carbone, pour que dans quelques années, nos débats de ce soir ne soient plus qu’un lointain souvenir.
Tous ces efforts sont à partager, à amplifier, à accélérer aux niveaux européen et international. J’ai moi-même plaidé au mois de septembre, au nom de la France, pour que l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), soit plus de 180 pays, adopte l’obligation de décarbonation générale en 2050.
C’est par ces actions, par cette coopération, par ces mesures, contraignantes parfois, pragmatiques toujours, que nous avancerons. Vous le voyez, je crois à la régulation, et en particulier aux règles européennes ; j’y suis engagé, j’y suis prêt. Les progrès sont importants. Je vous propose donc plutôt de travailler ensemble, dans la perspective du projet de loi de finances pour 2024, parce que si une interdiction générale donne bonne conscience, elle ne fait pas progresser la transition écologique.
(Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem.)
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Christine Arrighi. Bravo, Christine ! Dis-leur la vérité ! « Il faut que tout change pour que rien ne change » disait Tancrède Falconeri dans Le Guépard . Et en effet, si nous voulons transmettre aux générations futures une planète habitable, pour que rien ne change, nous devons tout changer et être des législateurs déterminés à « un développement qui réponde aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », pour reprendre les mots de Gro Harlem Brundtland, Première ministre norvégienne, en 1992 au Sommet de la Terre, à Rio.
C’est dans cette lignée que s’inscrivent toutes les propositions de loi que nous avons choisi de vous présenter aujourd’hui : alimentation saine ; meilleure prise en compte des conséquences du changement climatique sur les biens immobiliers ; protection de la jeunesse contre la précarité ; accès sécurisé à la nature et, bien évidemment, réduction de la pollution par l’encadrement de l’utilisation des jets privés.
Le texte que nous étudions s’inscrit dans une approche globale : celle des mobilités en général et du transport aérien en particulier, puisque l’avion est aujourd’hui le moyen de transport le plus fortement émetteur de CO2. Selon l’Ademe, l’avion émet 145 grammes de CO2 par kilomètre parcouru et par personne transportée, ce qui représente 171 % des émissions de la voiture, 725 % des émissions du bus et 1 450 % des émissions du train.
Ça fait beaucoup ! Un état des lieux de la politique publique du transport aérien permet de déceler un vaste éventail de mesures avantageuses pour ce secteur, en totale contradiction avec les engagements français et européens de réduction des gaz à effet de serre. Cet état des lieux met également en lumière une fiscalité particulièrement avantageuse pour le transport aérien en Europe, et notamment en France, au détriment du climat. À titre d’exemples, le kérosène est complètement exonéré de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et de TVA, contrairement aux autres modes de transport, hormis le fioul maritime ; le taux de TVA est réduit sur les billets achetés pour des vols nationaux et nul pour les billets internationaux ; la taxe de solidarité est faible en comparaison d’autres taxes appliquées aux billets à l’étranger.
À cela s’ajoute la frilosité du Gouvernement, notamment sur la suppression des vols intérieurs inscrite à l’article 145 de la loi « climat et résilience », qui a limité l’interdiction des vols intérieurs dont le trajet est également assuré sur le réseau ferré national sans correspondance aux liaisons d’une durée inférieure à deux heures trente, alors que la Convention citoyenne pour le climat avait proposé quatre heures. Les critères fixés par la loi devaient aboutir à la fermeture de cinq lignes exploitées par Air France ; les lignes en correspondance, elles, allaient pouvoir être exemptées. À ce propos, nous attendons toujours le décret d’application.
Cette mesure est bien plus favorable que celle proposée par la Convention citoyenne. Je viens de le dire : l’analyse de vos politiques publiques des transports permet de conclure aisément que la France est un véritable paradis fiscal pour le transport aérien.
Ainsi, alors que le transport aérien a des effets nettement plus néfastes sur l’environnement que les autres moyens de transport, il bénéficie d’une fiscalité et d’un soutien public très avantageux, bien davantage d’ailleurs que les solutions alternatives, y compris le ferroviaire.
Exactement ! Pourtant, alors que notre pays a un besoin urgent de financements très importants pour procéder à des investissements vertueux dans les infrastructures de transport, l’aérien continue de ne pas être mis à contribution à hauteur de son impact environnemental, ce qui lui permet de proposer des prix sans rapport avec son coût économique réel.
Ce constat général étant fait, venons-en à la question spécifique des vols en jet privé. Ces derniers sont emblématiques de l’injustice sociale, environnementale et fiscale liée au transport aérien. Je citerai quelques statistiques afin d’illustrer l’impact de ces aéronefs sur notre environnement, tout en gardant à l’esprit la comparaison précédemment exposée entre les différents modes de transport que sont l’avion, la voiture, le bus et le train.
Les jets privés émettent jusqu’à quatorze fois plus de CO2 qu’un vol commercial et cinquante fois plus que le même trajet en train. De plus, 40 % des trajets de jets privés ont lieu à vide, alors qu’ils comptent pour près de 10 % des vols commerciaux. Un jet privé émet autant de CO2 en quatre heures de vol – je dis bien quatre heures de vol – qu’un Français moyen en une année.
Incroyable ! Près de 60 % des émissions de gaz à effet de serre générées par les jets privés sont liées à des trajets concernant deux aéroports : ceux de Paris-Le Bourget et de Nice. Enfin, nous l’avons déjà dit, le nombre de vols en jet privé au départ de Nice triple durant les mois d’été, car il est bien connu qu’on fait beaucoup d’affaires dans cette ville en cette saison. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Écolo-NUPES et LFI-NUPES.)
Malgré leur impact démesuré sur le climat, les vols en jet privé ne sont pas taxés, notamment en raison des exemptions prévues par le système européen d’échange de quotas de CO2 : vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre délégué. Cela fait près de quatre-vingts ans que cela dure, en l’occurrence depuis les accords de Chicago de 1944, mais il ne se passe rien.
En France, depuis la loi de finances pour 2023, la taxation du carburant des jets privés est identique à celle de l’essence dans des situations tout à fait exceptionnelles, nous y reviendrons.
Malgré ces réalités incontestables, la présente proposition de loi suscite une hostilité particulière de la part de la droite, et notamment de M. Villedieu qui, dans son amendement no 46, la qualifie d’« idéologique », de « totalitaire » et d’« inefficace »,…
Tout à fait d’accord ! …illustrant ainsi le déni des enjeux écologiques par le Rassemblement national et son mépris total pour les Françaises et les Français de la classe moyenne, ceux-là mêmes qu’il prétend défendre. Les députés de ce groupe montrent ce soir de quel côté ils sont.
Parmi les quarante-neuf amendements devant être discutés, dix-sept visent à supprimer les deux articles de la proposition de loi. Et sur ces dix-sept amendements de suppression, cinq ont été déposés par le groupe Rassemblement national,…
Si on n’existait pas, il faudrait nous inventer ! …deux par Mme Ménard, six par le groupe Les Républicains, deux par le groupe Renaissance et deux par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires. Ce sont donc dix-sept amendements qui visent à supprimer la mesure qui pénaliserait le moins grand nombre de personnes pour l’impact le plus important et le plus immédiat en faveur du climat.
Ce texte n’est pas radical. Il propose des exceptions et des aménagements permettant le maintien de certains trajets en aéronef. Chaque année, 1 000 vols sont effectués en jet privé entre Paris et Nice ; ils polluent autant que 40 000 familles qui effectueraient le même trajet avec une voiture thermique. La proposition de loi que nous vous soumettons n’est donc pas « aussi totémique qu’inutile », comme l’affirme Mme Ménard dans ses amendements de suppression,…
Au contraire ! …elle constitue une mesure sociale et environnementale – préoccupation dont elle semble peu se soucier. Exactement ! J’ai également lu dans les amendements déposés par M. Adam et ses collègues du groupe Renaissance que la proposition de loi serait inconstitutionnelle parce que contraire à la liberté d’aller et venir et à la liberté d’entreprendre que la Constitution consacre. Il semble que celles et ceux qui se prévalent de ces arguments ignorent que la liberté d’entreprendre peut parfaitement faire l’objet d’un encadrement, sur le fondement de la Charte de l’environnement. C’est sûr, on peut tout interdire ! Je rappelle qu’elle a valeur constitutionnelle (Applaudissements sur les bancs du groupe Écolo-NUPES) et qu’elle consacre le principe de précaution, à son article 5, et le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, à son article 1er. Je me permets de faire ce rappel, car vous ne semblez pas bien maîtriser notre texte suprême dans la hiérarchie des normes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Écolo-NUPES.) Il n’y a pas que le 49.3 ! Notre texte ne constitue pas une opposition à la liberté d’entreprendre ; il illustre plutôt la nécessité d’une juste conciliation de celle-ci avec les enjeux environnementaux. Je précise donc à Mme Alexandra Masson que les écologistes ne sont pas dans une posture d’interdiction basée sur des raisons purement idéologiques, comme elle et ses collègues du groupe Rassemblement national l’ont dit dans leurs amendements de suppression. Nous souhaitons simplement le respect et l’application de la Constitution. Tout simplement ! Notre proposition de loi répond aussi à des enjeux de santé publique. La pollution de l’air engendre en effet entre 48 000 et 80 000 décès prématurés par an. Aux conséquences financières de ce phénomène s’ajoutent les effets des vols en jet privé sur la santé physique et psychique des populations. Ainsi, l’observatoire du bruit en Île-de-France (Bruitparif) remarque que les habitants de Stains, ville proche du Bourget – qui est, je le rappelle, le premier aéroport pour l’aviation d’affaires en France, avec un trafic qui a explosé ces dernières années –, perdent plus de vingt et un mois d’espérance de vie en bonne santé. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Écolo-NUPES.) Toujours les mêmes ! Avec un humour particulièrement moqueur, Mme Véronique Louwagie indique pour sa part, à l’appui de son amendement de suppression no 20, que « le secteur aérien privé représente près de 120 000 emplois directs et indirects en France » quand, en comparaison, « la filière du vélo en France compte 13 000 emplois ». Elle a raison ! Outre que le fait que le chiffre de 13 000 emplois vient de l’Ademe alors que celui de 120 000 emplois provient du secteur de l’aviation lui-même, je rappellerai à Mme Louwagie – qui n’est pas présente, mais je lui dirai gentiment lorsque je la croiserai dans les couloirs de l’Assemblée nationale – que nous ne proposons pas d’aller à Tokyo à vélo.
Puisque vous semblez vous préoccuper des emplois, je vous renverrai à Joseph Schumpeter et à sa théorie économique de la destruction créatrice,…
Ils n’aiment pas Schumpeter ! …théorie qui a, je crois, toujours guidé la droite. En demandant aux entreprises d’innover davantage, en développant des moteurs moins énergivores ou des carburants durables, et de s’adapter aux enjeux de notre temps, nous œuvrons en faveur de leur compétitivité sur les marchés innovants et d’un leadership qui garantisse la demande ainsi que le maintien des emplois. En tant que députée de Toulouse, ville de l’aéronautique par excellence, je sais de quoi je parle. Pauvres Toulousains ! Ce texte ne suffira pas à lui seul à sauver le climat,… Ça, c’est sûr ! …mais il s’inscrit résolument dans une exigence d’exemplarité, alors que nous demandons au plus grand nombre d’adapter leurs habitudes de mobilité avec l’instauration des zones à faibles émissions afin de contribuer à la lutte contre la pollution et le changement climatique. Que direz-vous à nos concitoyens, à vos électrices et vos électeurs, le jour où vous leur expliquerez que vous n’avez pas voté cette proposition de loi, mais qu’ils ne pourront plus utiliser leur véhicule ? Que leur direz-vous ? Eh oui ! À l’heure du changement climatique, les efforts doivent être consentis par toutes et tous. C’est à cette seule condition que l’acceptabilité sociale de la transition écologique et énergétique sera assurée. Je vous invite donc à nous emboîter le pas en votant ce texte qui, je le rappelle, pénalise le moins grand nombre de personnes pour l’impact le plus important et le plus immédiat en faveur du climat. (Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES, LFI-NUPES, SOC et GDR-NUPES.) La parole est à M. Hubert Wulfranc. Le communisme à lui tout seul ! Je ne ferai pas dans la demi-mesure. (« Ah ! » sur divers bancs.) Merci, Hubert ! On ne va pas y passer la soirée, aussi adopterai-je tout de suite une posture idéologique. (Sourires.) Pas possible ! En effet, je ne vais pas donner dans l’évaluation en disant que si les vols en jet ne représentent finalement qu’une très faible part des émissions, cette question est tout de même importante.
Je ne vais pas donner dans la comparaison entre un vol en jet et un trajet en train sur une distance de moins de 200 ou 400 kilomètres.
Je ne vais pas donner dans la différenciation entre les vols en jet pour les affaires ou ceux pour les loisirs.
Je ne vais pas non plus donner dans l’opposition entre la majorité de Français à qui on demande beaucoup de sobriété et ces quelques ultrariches qui, effectivement, ne participent pas.
Je ne vais pas donner dans la contradiction, dans la mesure où, effectivement, on interdit à cette majorité de Français l’accès aux centres-villes par l’application autoritaire de ZFE.
Je ne vais pas donner dans la reconversion, car si le texte risquerait bien de détruire des emplois, notre collègue de Toulouse l’a dit à l’instant, les filières de la mobilité sont aptes à se déployer largement et à réunir les conditions d’une reconversion de l’emploi. Notons d’ailleurs que vous n’avez pas eu les mêmes scrupules lorsque vous avez fermé les centrales à charbon.
Enfin, je ne vais pas non plus donner dans les contre-propositions, telles que l’augmentation massive de la taxation du kérosène ou le recours au train pour les trajets de moins de deux heures, voire de quatre heures.
Non, j’adopterai simplement une posture idéologique
(Sourires) ,… Très bien ! …en affirmant que tout ce qui peut entraver une pratique sociale – il y en a d’autres – de la grande bourgeoisie mérite d’être soutenu. Il faut interdire les vols en jet privé. Et comme j’avais dit que je n’y passerai pas la soirée, j’en terminerai là ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES, SOC et Écolo-NUPES. – Sourires.) Ça fait du bien, un peu de subtilité ! Limpide ! La parole est à M. David Taupiac. La proposition de loi que nous examinons ce soir nous questionne sur la place de la justice sociale dans la transition écologique. Il a raison ! En effet, alors que la loi « climat et résilience » a interdit les vols intérieurs dès lors qu’un trajet alternatif en train d’une durée inférieure à deux heures trente existe, les jets privés ont été exclus de cette mesure.
Cette question des jets privés nourrit des polémiques depuis plusieurs mois, dans un contexte où les premières manifestations du dérèglement climatique se traduisent par des difficultés sociales pour nos concitoyens. Les jets privés étant devenus l’un des symboles d’une injustice sociale dans le partage des efforts face à la crise climatique, il est légitime de nous interroger sur le poids réel de cette pratique émettrice de gaz à effet de serre.
Car faire de l’interdiction des vols en jet privé un sujet phare de la lutte contre le réchauffement climatique, c’est leur donner une importance qu’ils n’ont pas. À l’échelle mondiale, les avions privés ne représentent que 2 % des 2 % du total des émissions imputables à l’aviation – et 5 % du total des émissions imputables à l’aviation en France. Dans notre pays, les jets privés ne représentent donc pas plus de 0,1 % du total des émissions de gaz à effet de serre. Leur impact est minime.
À titre de comparaison, une année de fonctionnement de l’ensemble de la flotte de Falcon en service dans le monde équivaut à vingt-quatre heures de flux mondial de streaming vidéo, à cinq heures du trafic mondial de camions, et à dux jours et demi de fonctionnement des centrales thermiques allemandes.
Il est nécessaire d’éviter la confusion qui conduirait à interdire les vols en jet privé parce qu’ils polluent, alors qu’ils posent en réalité la question de l’acceptabilité politique du coût de la transition face à une consommation ostentatoire des plus riches.
Les deux ! Derrière la question de l’interdiction des vols en jet privé, il faut en effet prendre en compte le poids économique d’un secteur qui représente en France plus de 100 000 emplois directs ou indirects, quand la filière du vélo ne compte au total que 13 000 emplois – cela a été rappelé tout à l’heure. Ce sont les chiffres du secteur de l’aviation ! Veuillez écouter ! C’est parce que j’écoute que je réagis ! Comme vous, madame Arrighi, je suis élu d’Occitanie, territoire où l’aéronautique est fortement implantée et contribue largement à la vitalité du tissu économique local. Depuis des dizaines d’années, la filière est celle qui consent le plus d’efforts de décarbonation au monde, afin d’évoluer vers la fabrication d’avions peu polluants. Ainsi les Falcon et les TBM sont-ils dès à présent en mesure d’utiliser un mélange composé à 50 % de SAF – carburants durables d’aviation. La prochaine génération d’avions d’affaires, à laquelle appartiendra par exemple le Falcon 10X, est d’ores et déjà conçue pour fonctionner à 100 % avec des SAF.
La consommation par passager et par kilomètre a été divisée par deux entre 1990 et 2018, et nous ne sommes qu’au commencement du verdissement de l’industrie. De nouveaux acteurs du secteur aéronautique annoncent l’arrivée, dès 2025, d’avions de petite capacité – moins de dix-neuf sièges – qui pourraient voler à l’électrique ou à l’hydrogène pour des trajets de moins de 1 500 kilomètres. L’Occitanie accompagne ce type de projets innovants, préparant l’aviation de demain, comme avec le constructeur Aura Aero.
Tous ces éléments invitent davantage à la régulation qu’à l’interdiction stricte, d’autant plus que seuls 2,5 % des vols en jet privé ont lieu en France, contre 70 % aux États-Unis à titre de comparaison. Nous l’avons dit en commission, nous estimons qu’une interdiction pure et simple des jets privés risquerait d’entraîner la délocalisation des avions vers d’autres aéroports de partance et d’arrivée plutôt que la diminution du nombre total de vols. Nous ne souhaitons pas opposer l’acceptabilité sociale de l’usage d’avions privés, devenus des objets politiques, à l’efficacité des mesures d’interdiction, qui pourraient déstabiliser la chaîne de production et menacer des emplois.
En conclusion, je tiens à dire que les débats que nous avons eus en commission ont été très intéressants.
Elle est bien, cette commission ! Notre pays doit se projeter avec force dans un effort inédit de recherche et d’innovation afin d’améliorer la performance environnementale de nos moyens de transport, et ce dans une logique de rupture technologique. La France doit être précurseur dans le développement des filières de carburant durable.
Là où nous pouvons trouver un terrain d’entente, c’est sur la nécessité d’avancer sur la fiscalisation du kérosène à l’échelle européenne, qui est l’échelle la plus pertinente pour traiter des problématiques relatives à l’aéronautique.
Voilà pourquoi le groupe LIOT, au nom de la raison, ne pourra voter cette proposition de loi.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT. – M. Laurent Esquenet-Goxes applaudit également.) La parole est à M. Damien Adam. Nous étudions aujourd’hui une proposition de loi qui vise à interdire les « jets privés ». Merci, on a lu l’ordre du jour ! Je mets des guillemets car en réalité, cette proposition de loi interdit plutôt, dans son article 1er, certains usages de l’aviation que sont les vols privés, et dans son article 2, les vols de transport public non réguliers de moins de soixante sièges. Merci, on a lu la proposition de loi ! Pour bien débuter mon intervention, il me semble important de rappeler quelques faits. Tout d’abord, la priorité absolue aujourd’hui est la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Le transport aérien en France représente 5 % du total des émissions. Si on ne prend que les émissions du secteur aérien, le transport en jet privé en représente moins de 2 %. Autrement dit, il représente 0,09 % du total des émissions de gaz à effet de serre de notre pays – je répète : 0,09 % ! Le ministre délégué l’a déjà dit ! Et alors ? Ce n’est pas une raison ! Ensuite, vous faites un raccourci simpliste en indiquant que jet privé égale ultrariche. Il ne serait pas sincère de nier qu’en effet, les jets privés sont utilisés par certains riches comme un moyen de transport du quotidien pour passer de ville en ville ou de pays en pays, mais je vous invite à ne pas vous laisser emporter par votre élan antiriche.
Le transport en jet privé, ce sont aussi des vols pour des usages sanitaires – 8 % des trajets en jet en France –, qui ont besoin de la flexibilité et de la rapidité de cet outil de transport.
Vous n’avez pas écouté M. Bayou ! Vite, un ORL ! Des dérogations sont prévues ! Ce sont aussi des vols pour les besoins de l’État – 10 % du total –, pour les services publics comme la lutte contre les incendies, pour les aéroclubs ou pour la formation de futurs pilotes. Enfin, ce sont aussi des vols pour des entreprises qui participent à l’aménagement de nos territoires, notamment loin des métropoles. Sans ces capacités, beaucoup d’entreprises qui ont des unités de production ou de décision dans des territoires non desservis par le train à grande vitesse les fermeraient et les relocaliseraient ailleurs, supprimant ainsi les emplois et portant préjudice à l’économie dont dépendent ces territoires pour leur développement.
Enfin, l’aviation d’affaires représente en France 100 000 emplois et une contribution économique estimée à 32 milliards. Avec un taux de prélèvements obligatoires de 47 %, votre proposition de loi aurait pour effet de priver le budget de l’État de 15 milliards. N’hésitez pas à nous dire quelles dépenses vous supprimerez dans le budget !
Alors que faut-il faire ? Votre modèle est clair et nous le retrouvons aujourd’hui dans les textes que vous soumettez au débat ou dans vos prises de parole : interdire, interdire, interdire ! Interdire les jets privés, interdire la publicité, interdire la chasse. Depuis le début de la nouvelle législature, vous allez bien au-delà : vous proposez aussi l’interdiction des barbecues, l’interdiction de la viande, l’interdiction des sapins de Noël, l’interdiction de produits sur les marchés de Noël, et j’en oublie sûrement.
(Protestations sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.) C’est bien simple, vous n’êtes plus Europe Écologie-Les Verts, vous êtes devenus Europe Interdiction-Les Verts ! Attention, un anarchiste à la tribune ! Votre modèle, c’est l’interdiction ; notre vision, c’est la régulation ! Laisser faire, laisser faire, laisser faire ! Où est la régulation ? Et, mes chers collègues, la régulation, ça marche ! Oh oui, la régulation, ça marche super bien ! Vous l’avez sûrement vu, le Citepa – Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique – vient de publier les premières données sur les émissions de gaz à effet de serre de la France en 2022 et la réalité, c’est que les émissions de notre pays ont baissé ! Elles ont baissé de 13 % depuis 2017 et de 2,5 % rien qu’en 2022, notamment grâce à l’impact du plan de sobriété, qui a commencé à l’automne dernier. Depuis 2018, la France tient sa trajectoire carbone fixée dans la stratégie nationale bas-carbone. Celle que vous avez révisée à la hausse ? On ne pouvait pas en dire autant sous la majorité écolo-socialiste pendant le quinquennat Hollande.
Le secteur aérien, et particulièrement celui des jets privés, se doit d’être exemplaire. C’est pour cela que nous n’avons pas attendu votre proposition de loi pour agir, tant au niveau national qu’au niveau européen. Ce sont des obligations d’incorporation de carburant durable dans la loi française et au niveau européen, dans ReFuelUE Aviation ;…
Utiliser les terres agricoles pour faire du biocarburant, quelle idée de génie ! …c’est le renforcement de la taxation des carburants utilisés par l’aviation privée ou de la taxe de solidarité des billets d’avion, pour que le secteur aérien participe au financement des infrastructures de transport. Enfin, ce sont aussi des aides financières pour aider le secteur aérien à accélérer sa décarbonation en développant l’avion neutre en carbone d’ici 2035. C’est une vue de l’esprit ! Faut-il aller plus loin ? Oui, la régulation doit régulièrement se renforcer, non pas en interdisant mais avec des réglementations prises au bon niveau. Est-ce le jet privé le problème ? Non,… C’est son utilisateur ! …c’est son carburant qui en fait un émetteur de gaz à effet de serre. C’est donc là-dessus qu’il faut agir. L’échelle nationale est-elle le bon niveau ? Non, c’est au niveau européen qu’il faut agir, l’aviation d’affaires étant par nature un usage qui va au-delà de nos frontières nationales. Vous ne faites rien au niveau européen ! Pour être efficace, c’est donc au niveau européen que nous devons agir. C’est la raison pour laquelle je travaille à une proposition de résolution pour que nous, Parlement français, appelions le gouvernement de notre pays à soutenir au niveau européen la fin des énergies fossiles dans l’aviation d’affaires au plus tard en 2035.
Régulation, carburants d’aviation durable, décarbonation, électrification et développement des alternatives à l’avion, voilà les enjeux pour l’aviation dans les prochaines années, et tous ces sujets sont absents de votre proposition de loi.
Un carburant sans émissions de gaz à effet de serre, ça n’existe pas ! Parce qu’il prend ses responsabilités et que nous croyons dans la transition et non dans l’interdiction, le groupe Renaissance rejettera cette proposition de loi et défendra des amendements de suppression. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.) La parole est à Mme Alexandra Masson. La proposition de loi de M. Bayou et du groupe Écologiste-NUPES prétend répondre au défi climatique. Selon son exposé des motifs, cela « nécessite d’instaurer des solutions écologistes combinant tant l’efficacité environnementale que la justice sociale » ; mais l’efficacité environnementale revient à chercher des solutions alternatives, non à interdire sans autre forme de procès. L’aviation privée est d’ailleurs active pour parvenir à une aviation décarbonée. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES, puis, en réponse, sur plusieurs bancs des groupes RE et RN.) Le groupe Renaissance fait la police pour le groupe Rassemblement national ! Le biocarburant aérien, le SAF, y est déjà largement utilisé. (Protestations sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.) Autre réalité : l’aviation privée représente en France 3 % des émissions de CO2 du transport aérien et 0,2 % des émissions pour l’ensemble du pays.
La proposition de loi prend la précaution de préserver le transport sanitaire, mais un avion privé peut être utilisé sur un même vol aller-retour pour du transport médical dans un sens et du transport privé de personnes dans l’autre. En réalité, cette proposition de loi n’est pas écologique, elle est idéologique !
(Applaudissements sur les bancs du groupe RN. Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.) Vous n’aimez pas les idées ! Chers collègues, s’il vous plaît, écoutez l’oratrice ! Je vous demande un peu de calme ! Elle fauche et détruit donc tout un pan de l’activité économique nationale sous couvert de combattre les jets privés. L’exposé des motifs indique précisément que « la notion de vols en jets privés ne correspond à aucune définition juridique au sens strict ». Ce n’est plus 1789, c’est 1793 !
Tout cela pourrait franchement faire sourire, mais l’interdiction de l’aviation privée en France aurait concrètement des conséquences dramatiques pour de grandes entreprises françaises comme Daher, Dassault Aviation et Airbus. Ces fleurons de notre industrie aéronautique emploient tous un très grand nombre de salariés en France.
Vous protégez Dassault ! Nous protégeons les salariés ! Elle est nulle, votre niche ! Retournez-y, à la niche ! Mes chers collègues, pouvons-nous écouter l’oratrice ? Elles font également travailler de nombreuses PME en tant que fournisseurs.
Rien que pour Dassault Aviation, le secteur civil représente 2 740 salariés, dont la plus grande partie travaillent en France, pour un chiffre d’affaires de 2,1 milliards. Dassault est le concepteur des avions Falcon, leader mondial dans le transport privé de personnes, notamment pour la reconnaissance maritime et l’évacuation sanitaire. Au total, le secteur aérien privé représente un peu plus de 100 000 emplois directs et indirects.
À aucun moment je n’ai entendu quiconque, de l’autre côté de l’hémicycle, parler d’économie. Dans le seul département des Alpes-Maritimes, où se trouve ma circonscription, les aéroports de Nice-Côte d’Azur et de Cannes-Mandelieu, dédiés au trafic privé, génèrent 910 millions de PIB…
Ah, d’accord… Les millions, les millions ! …et 11 000 emplois directs et indirects. Le panel des métiers est très large : personnels au sol, en charge de la fabrication, de la restauration, du pilotage, de l’entretien. En termes d’impact économique global – direct, indirect et induit –, les activités aéroportuaires de la Côte d’Azur contribuent au PIB à hauteur de 5,8 milliards par an. Et en termes d’impact écologique ? Mais, hélas, la proposition de loi ne se limite pas à l’interdiction de l’utilisation d’un avion privé ne faisant pas l’objet d’un vol commercial. Elle va bien au-delà, puisque son article 2 prévoit la disparition des vols de moins de soixante passagers sur le territoire métropolitain français. Cette disposition arbitraire est mortifère, car elle ignore une nouvelle fois la réalité économique. Avec 340 aérodromes et 120 aéroports accueillant des vols commerciaux, la France détient le record d’Europe de densité aéroportuaire. Triste record ! Nous en sommes fiers ! Il y a d’ailleurs des vols commerciaux de moins de soixante passagers sur certaines lignes intérieures. Mais surtout, les vols privés sont indispensables quand il est nécessaire de rejoindre une destination pour laquelle il n’existe pas de desserte commerciale. Certaines entreprises n’ont pas d’autre moyen pour déplacer leurs salariés qui doivent répondre à une urgence professionnelle ou à une panne sur une chaîne de production dans une usine.
Pour l’ensemble de ces raisons, et pour d’autres que nous exposerons lors de la discussion des amendements, le groupe Rassemblement national votera évidemment contre cette proposition de loi.
(Les députés du groupe RN, dont plusieurs se lèvent, applaudissent.) Les meilleurs amis des milliardaires ! Bolloré vous dit merci ! La parole est à M. Rodrigo Arenas. Vous le savez : ici, nous faisons partie des 10 % des personnes les plus riches de France. Mélenchon fait partie des 1 % les plus riches ! Alors nous polluons, bien sûr, mais figurez-vous qu’il y a encore pire que nous ! Qui ? Tout simplement ceux qui sont encore plus riches que nous. Nous ne voulons pas de lutte des classes ! Les 0,01 % de personnes les plus riches du monde émettent 388 fois plus de CO2 que la moyenne mondiale. Vous le voyez, en matière de pollution, chers collègues, nous sommes tous libres, mais nous ne sommes pas tous égaux. Merci, donc, pour cette proposition de loi visant à mettre enfin un terme aux pratiques abusives d’une petite – toute petite – catégorie de nos concitoyens. Autre chiffre effarant, publié par une étude : les soixante-trois plus grandes fortunes françaises et leur patrimoine financier émettent autant de gaz à effet de serre que la moitié de la population française, ce qui signifie que soixante-trois Françaises et Français polluent autant qu’environ 35 millions de citoyens ! C’est vrai ! Voilà le monde étrange que nous léguons à nos enfants : un monde où les plus riches, revendiquant leur droit à faire ce qu’ils veulent de leur argent, s’arrogent le droit d’abîmer la santé de tous les autres, de saccager l’avenir de tous les enfants et de spolier les biens environnementaux du plus grand nombre. Ne nous voilons pas la face : les pratiques des plus riches sont les plus néfastes pour l’environnement. C’est un fait, calculé, avéré, confirmé par les chiffres. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
L’utilisation des jets privés en est une illustration éloquente. Un seul vol de Paris à Marseille en Cessna Citation, un petit modèle courant de jet privé, représente à peu près le même impact climatique qu’un an de voiture pour un foyer français. Notre beau pays, où s’épanouissent si bien les grandes fortunes, tient une performance de haut vol…
C’est le cas de le dire ! …au sommet de ces records regrettables : la France est à ce jour le pays de l’Union européenne où les émissions liées aux jets privés sont les plus importantes – et elles augmentent.
Vous l’avez déjà entendu, mais je le rappelle : sur les dix trajets les plus empruntés par des vols privés, quatre partent de Paris et Nice ou y arrivent. Avec Genève, Londres, Rome, Milan, Cannes et Zürich, ces quelques villes, qui concentrent la majeure partie des déplacements, dessinent la carte, très familière, du terrain de jeu de nos chers milliardaires. Pas vraiment de destinations exotiques, mais des distances relativement proches, des trajets banals pour lesquelles existent des alternatives en quelques heures de train et même par les airs.
Ils n’aiment pas la SNCF ! Ils n’aiment pas le service public ! La traction humaine, c’est pas mal non plus ! Ou à dos de dromadaire ! Mais même pour le confort luxueux de la classe affaires des vols commerciaux, nos nouveaux aristocrates n’ont que dédain – elle les place peut-être encore trop près des gens. Ils diront qu’on les brime, qu’on leur coupe les ailes. Ils se poseront en victimes et se plaindront comme des nobles d’Ancien Régime, mais c’est toujours le cas lorsqu’on vous rappelle que vous ne pouvez pas tout vous permettre car il y a des limites à vos désirs et à vos lubies, et des conséquences à vos actes.
N’est-ce pas ce genre de valeurs que nous tentons d’inculquer à nos enfants ? Nous essayons toutes et tous de leur apprendre ces petits gestes du quotidien dans l’espoir de réduire leur impact environnemental : fermer le robinet d’eau quand on se brosse les dents, bannir le bain pour la douche, éteindre ses appareils électriques la nuit, baisser le chauffage d’un degré. On a même eu les cols roulés ! Et voilà qu’en un coup d’aile, un de nos concitoyens efface tous nos efforts parce qu’il ne veut pas rater je ne sais quel événement de la jet-set à Nice ou à Milan !
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
Avec cette proposition de loi, nous nous penchons aujourd’hui, au nom de l’intérêt général, sur des cas particuliers. Nous évaluons les conséquences des comportements de quelques privilégiés sur l’ensemble de la collectivité. Nous voulons qu’ils comprennent qu’ils ne sont pas seuls dans ce monde. En fait, avec ce texte, nous leur disons simplement : puisque vous ne voulez pas prendre vos responsabilités, nous les prendrons pour vous.
Chers collègues, vous avez beaucoup insisté sur la liberté de nos aristocrates. Vous avez raison, la liberté d’aller et venir est importante. En dignes héritiers des utopies de Mai 68, vous pensez peut-être qu’il est interdit d’interdire, mais cette liberté-là empiète sur les nôtres.
Je vais vous en parler, de Mai 68 ! La liberté individuelle ne va pas sans responsabilité. L’interdiction des jets privés n’est absolument pas une entrave à la liberté de circuler. Au lieu de débattre des façons de faire prendre conscience de ses responsabilités à une petite minorité, vous préférez voter des amendements de suppression. Quelle honte ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.) Bravo ! Et l’empreinte carbone de vos baskets New Balance, on en débat ? Alors oui, nous assumons pleinement qu’il faille parfois des interdictions. C’est une mesure de justice : la liberté de quelques-uns ne peut pas se payer du prix de notre environnement à toutes et tous. La richesse ne dispense pas de la responsabilité à l’égard de la planète et des générations futures. Démagogie ! C’est aussi une mesure pédagogique : il y a des limites, planétaires et sociales, qui s’imposent à tout le monde, même et surtout aux puissants. Il est temps que nous mesurions toutes et tous les conséquences de nos actes individuels. Dites-vous bien qu’à chaque Paris-Marseille ou Paris-Londres en jet privé, c’est l’océan qui monte de quelques centimètres, c’est quelques jours de pluie en moins pour nos agriculteurs, c’est quelques millions d’euros de dégâts supplémentaires à cause d’une tempête encore plus violente, c’est quelques hectares de forêt en plus qui brûleront cet été dans les Landes. Pensez-y ! Nous sommes nombreuses et nombreux dans cet hémicycle à avoir des enfants, des nièces, des neveux ou encore des petits-enfants à qui nous devons livrer une planète vivable,… Vous en avez parlé avec Mélenchon ? …où tout le monde, et en particulier les plus fortunés, doit s’engager à respecter notre environnement. C’est pourquoi nous soutenons sans réserve la proposition de loi de Julien Bayou. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES et sur quelques bancs du groupe Écolo-NUPES.)
Chers collègues de la majorité – je m’adresse surtout à ceux d’entre vous qui croient vraiment aux engagements écologistes du Gouvernement –,…
Les cinq minutes sont écoulées ! C’est fini ! Merci de conclure, cher collègue. …cette modeste proposition de loi vous offre une occasion de défendre sans ambiguïté l’intérêt général contre les intérêts privés de quelques-uns. Absolument ! Vous n’avez rien compris ! C’est l’occasion d’envoyer un message clair et positif à nos concitoyens. C’est fini ! Oui, certaines pratiques et certains privilèges ne sont plus acceptables face aux urgences écologiques. Ils ne respectent même pas le temps de parole ! Oui, tout le monde prendra sa juste part dans la lutte contre le dérèglement climatique. Oui, donnons ainsi à nos enfants les moyens de sauver le futur du monde abîmé que vous leur léguerez ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.) La parole est à M. Nicolas Ray. Le présent texte vise à interdire les jets privés en France. Merci, on l’a lu ! Remarquez, ça veut dire qu’il a au moins lu le titre ! Si l’idée peut sembler séduisante au premier abord, un examen détaillé de cette proposition de loi et de ses effets potentiels montre ses nombreux inconvénients, son inefficacité, mais aussi son caractère idéologique. Excellent ! Vous n’aimez pas les idées, parce que vous n’en avez plus ! Comme indiqué précédemment, le secteur de l’aviation d’affaires représente très peu d’émissions de gaz à effet de serre, si bien que l’interdiction n’aurait qu’un impact symbolique. Par ailleurs, il faut savoir que 80 % des vols effectués en France le sont à des fins professionnelles et surtout pour des motifs urgents… Ces voyages seraient urgents ? Un peu de compassion pour les riches ! …tels que – pour reprendre des exemples déjà cités – la réparation d’équipements industriels ou d’installations nucléaires, plutôt que pour les loisirs ou par souci de confort.
Par ailleurs, la petite aviation demeure très utile pour désenclaver les territoires ruraux, souvent mal desservis.
Désenclaver, vraiment ? Elle est encore un complément indispensable au train et à l’aviation de ligne pour toute une clientèle de petites PME qui doivent rallier ces territoires. Vous connaissez beaucoup de dirigeants de PME qui utilisent des jets privés ? C’est un crash argumentaire ! Par exemple, le trajet entre Clermont-Ferrand et Reims, d’un peu plus de 500 kilomètres, prend six heures par la route et huit heures par le train, avec un passage obligé par la désastreuse ligne Clermont-Ferrand-Paris, mais à peine une heure dix en vol privé. Interdire brutalement les jets reviendrait à se priver d’un outil de développement économique et de désenclavement des territoires ruraux,… Désenclaver Nice ? …mais aussi à plonger toute une filière industrielle dans l’impasse, avec à la clef des milliers d’emplois supprimés. (Exclamations sur les bancs du groupe Écolo-NUPES.) On le sait, la France est l’un des rares pays à disposer encore d’une filière aéronautique puissante, exportatrice, dont nous devons être fiers. C’est la radio Rire & Chansons, la suite ! Elle représente plus de 100 000 emplois directs et indirects et une contribution économique équivalente à plus de 30 milliards d’euros, qui nous est bien utile pour financer nos écoles, nos transports, notre système de santé, surtout eu égard à l’endettement public actuel.
Décider l’interdiction de ces vols – qui ne s’appliquerait d’ailleurs pas à l’étranger, notamment chez nos voisins – reviendrait à abandonner cette activité à nos concurrents, sans avoir contribué en rien à la lutte contre le changement climatique. On le sait bien, les émissions de gaz à effet de serre ne s’arrêtent pas aux frontières des États.
Alors ne faisons rien, laissons la planète cramer ! Le secteur de la petite aviation est aussi fondamental car ce sont sur les petits avions que sont testées les innovations en matière de décarbonation. L’aviation d’affaires participe largement aux programmes de recherche sur les carburants durables,… Les milliardaires, ces bienfaiteurs de l’humanité ! …les batteries électriques ou le e-kérosène. Les abbés Pierre du ciel ! Monsieur le rapporteur, nous avons pris connaissance de vos amendements visant à exempter de l’interdiction les avions qui utiliseraient ces modes de propulsion alternatifs. Mais en l’état, le secteur n’est pas prêt et a besoin d’encore un peu de temps pour développer ces solutions de décarbonation. Justement, on n’a plus le temps ! Alors que faire ? Il ne faut pas seulement critiquer, il faut aussi proposer. Plus tard, c’est trop tard ! À l’interdiction pure et simple de ces vols, qui fragiliserait tout le secteur, nous préférons la régulation, que ce soit par la réglementation ou la fiscalité. Des incitations sont possibles, comme l’obligation d’utiliser des carburants d’aviation durable, l’instauration de critères environnementaux pour l’attribution de licences d’exploitation… Nous pouvons aussi, tout simplement, inciter les entreprises à adopter un usage sobre des jets privés.
Sur la fiscalité, nous proposons de soumettre ces activités à une taxe, au bénéfice du financement des infrastructures de transport. Des amendements ont été déposés en ce sens, vous l’avez vu. Ainsi, ceux qui utilisent des vols privés participeraient au financement du réseau ferroviaire et des routes qui bénéficient à l’ensemble de la population, ce qui facilitera l’acceptation sociale de cette activité.
Vous parlez toujours au futur ou au conditionnel. Nous, nous parlons au présent ! Sur un vol Paris-New York, par exemple, le montant de cette taxe serait de 4 000 euros, ce qui n’est pas exorbitant – c’est 5 % du tarif de location d’un jet privé. Cette taxation permettrait d’internaliser les coûts écologiques, dans une logique pollueur-payeur. Elle mettrait davantage à contribution les usagers qui, c’est vrai, ont plus de moyens et sont disposés à payer ces surcoûts.
Nous financerions ainsi nos besoins en infrastructures, qui sont considérables – je pense notamment au plan ferroviaire de 100 milliards d’euros, annoncé il y a quelques jours par Mme la Première ministre, dont le financement, qui n’est pas assuré, risque de retomber sur les collectivités.
Tout à fait ! Ce n’est pourtant pas leur genre ! Monsieur le rapporteur, lors d’une conférence de presse, vous avez déclaré que ce texte permettrait de « ramener les riches sur terre ». Il nous faut surtout garder les pieds sur terre, en nous rendant compte qu’en l’état, votre texte ne permet pas de réduire efficacement les émissions de gaz à effet de serre. À l’interdiction, privilégions toujours l’innovation, la régulation et l’incitation. Un discours de droite… Les membres du groupe Les Républicains ne pourront donc pas voter en faveur de votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) La parole est à M. Laurent Esquenet-Goxes. Depuis toujours, l’aviation fait rêver. Depuis Vercingétorix ! Cet usage du mot « toujours »… Tais-toi, bordel ! Et Icare ? Elle inspirait déjà Socrate, dans l’Antiquité, qui affirmait que l’élévation permettrait à l’homme de comprendre mieux le monde dans lequel il vit. Elle obnubilait déjà Léonard de Vinci – son rêve de voler est l’un des rares qu’il n’a jamais réalisé. Elle obsédait également Pierre de Saint-Roman, dans sa traversée tragique de l’Atlantique, ou Saint-Exupéry, qui se fonda dans Vol de nuit sur les prouesses de l’Aéropostale à Toulouse,… Bolloré n’est pas Saint-Exupéry ! …qui permirent de relier les hommes de part et d’autre de l’océan.
Monsieur Lucas, j’ai écouté vos collègues tout à l’heure, merci de faire de même. Aujourd’hui encore, huit Français sur dix ont une très bonne image des transports aériens.
Depuis toujours aussi, comme n’importe quelle activité humaine, l’aviation a un impact sur l’environnement.