XVIe législature
Session ordinaire de 2022-2023
Séance du mardi 23 mai 2023
- Présidence de M. Sébastien Chenu
- 1. Programmation militaire 2024-2030
- Discussion des articles (suite)
- Article 2 et rapport annexé (suite)
- Amendements nos 857 et 858
- M. Jean-Michel Jacques, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées
- M. Sébastien Lecornu, ministre des armées
- Amendements nos 861, 862 et 165
- M. Thomas Gassilloud, président de la commission de la défense nationale et des forces armées
- Amendements nos 517, 1485, 1583, 1591, 576 et 673
- Rappel au règlement
- Article 2 et rapport annexé (suite)
- Rappel au règlement
- Article 2 et rapport annexé (suite)
- Article 2 et rapport annexé (suite)
- Discussion des articles (suite)
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
3e séance
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (nos 1033, 1234 rectifié).
Cet après-midi, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’amendement no 857 au rapport annexé à l’article 2.
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 857 et 858.
La parole est à M. Emmanuel Fernandes, pour soutenir l’amendement no 857. Il a pour but de mettre fin à l’opération Sentinelle et d’en finir avec la militarisation des actions de police. Selon un rapport publié le 12 septembre 2022 par la Cour des comptes, les forces militaires, qui ne disposent ni du renseignement intérieur, ni de pouvoirs de police, ni des armements appropriés en zone urbaine, ne paraissent pas les mieux placées pour faire face à la nouvelle forme de menace terroriste.
Nous pensons en effet que l’opération Sentinelle est coûteuse et, pour tout dire, inefficace. Elle use inutilement les soldats et les expose. Elle repose sur l’idée illusoire d’un quadrillage total du territoire qui permettrait aux soldats d’intervenir en cas de nécessité. Or, par définition, le fait de déjouer un attentat ne peut pas relever d’une logique de flagrant délit.
La Cour dénonce l’affichage de militaires dans les rues à des fins de tranquillité publique et de perception plus que d’efficacité militaire. S’appuyant sur un rapport de l’inspection des armées, la Cour note une banalisation et un amalgame des militaires avec les policiers et gendarmes.
Selon le groupe LFI-NUPES, cette loi de programmation militaire doit aussi être l’occasion de renforcer et protéger les libertés publiques. Il faut sortir de cette pente dangereuse que constitue la confusion entre sécurité publique et défense. Oh là là ! En réalité, l’évocation d’un continuum sécurité-défense sert de justification à la militarisation des actions de police et à la restriction des libertés publiques. L’inscription de l’état d’urgence dans le droit ordinaire est emblématique de cette dérive, de même que la tentation de recourir à l’armée pour régler toutes sortes de problèmes comme le maintien de l’ordre lors de manifestations dans les banlieues, selon l’expression stigmatisante souvent utilisée, ou encore dans la formation des jeunes décrocheurs.
Nous demandons donc la fin de l’opération Sentinelle qui permettra aux soldats de se concentrer sur leurs missions. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) L’amendement no 858 de M. Aurélien Saintoul est défendu.
La parole est à M. Jean-Michel Jacques, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour donner l’avis de la commission. Vous faites comme si la menace terroriste avait disparu, ce qui n’est pas du tout le cas. L’opération Sentinelle a un rôle à jouer dans la situation actuelle, et ce n’est certainement pas le moment de la supprimer alors que nous allons accueillir les Jeux olympiques (JO), ce qui fait peser d’autres menaces que nous percevons déjà.
Vous affirmez aussi que déjouer un attentat ne peut pas relever d’une logique de flagrant délit. À Marseille, un militaire réserviste de l’opération Sentinelle avait pourtant empêché un attentat avec efficacité. Exactement ! C’est la preuve que votre propos n’est pas justifié. Avis défavorable. La parole est à M. le ministre des armées, pour donner l’avis du Gouvernement. Même avis. Votre groupe a déposé d’autres amendements sur l’opération Sentinelle, qui arrivent à un moment plus propice du débat sur le rapport annexé. Plutôt que de refaire plusieurs fois le même débat, je préfère désormais intervenir de manière plus détaillée aux bons moments. La parole est à M. Aurélien Saintoul. Non, nous ne disons pas que la menace terroriste a disparu. Nous n’avons pas cette naïveté. Nous faisons partie de ceux qui, au contraire, considèrent qu’il faut donner des moyens à toutes les forces compétentes dans la lutte contre les menaces terroristes en tous genres, y compris quand il s’agit de menaces venues de l’extrême droite, particulièrement saillantes comme l’a rappelé le directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) en personne devant la représentation nationale. Elles ne sont pas islamistes du tout ! Pas islamo-gauchistes non plus ! Nous ne sommes pas des gens naïfs. En revanche, nous observons une militarisation des problèmes de sécurité intérieure, et, d’une certaine façon, nous nous faisons le porte-voix de nombreux militaires qui s’inquiètent d’un mélange des genres entre notamment le maintien de l’ordre et les missions des armées elles-mêmes. Nous savons que ces sujets ont été mis sur la table à l’occasion de grands mouvements sociaux.
Nous savons aussi, comme vient de le dire mon collègue Fernandes, qu’il est illusoire d’imaginer lutter contre le terrorisme, quelle que soit son origine, en recherchant le flagrant délit. Certes, il y a des hasards, des coïncidences, mais ces hasards et coïncidences peuvent aussi être provoqués : les personnels en uniforme peuvent malheureusement être perçus comme des cibles par des terroristes. À tout prendre, ce n’est donc pas un bon raisonnement.
Partant de l’intervention de policiers en dehors de leur service ou en civil lors d’attentats comme celui du Bataclan, vous pouvez aussi en déduire un raisonnement par l’absurde : tout le monde devrait devenir policier ou porter une arme à feu. Vous vous trompez sur nos intentions : nous voulons des moyens pour la police et les armées, mais des missions clairement identifiées pour chaque entité. La parole est à Mme Danielle Brulebois. Je voudrais rendre hommage à nos armées qui assurent la sécurité des Français face à quelque péril que ce soit. Dans des circonstances difficiles et en cas de danger, nous pouvons toujours compter sur leur sens de l’engagement, leur professionnalisme, leur courage et leurs qualités professionnelles. Je pense aux militaires de l’opération Sentinelle qui luttent contre la menace terroriste, à ceux de l’opération Héphaïstos qui combattent les feux de forêt chaque été dans le sud de la France, à ceux de l’opération Harpie qui se battent contre l’orpaillage illégal en Guyane ou ceux de l’opération Résilience, engagés contre la propagation de la covid-19. Merci à nos armées, nous avons besoin d’elles. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur plusieurs bancs du groupe RN. – MM. Laurent Croizier et Loïc Kervran applaudissent également.) J’en reste au principe consistant à ne prendre que deux intervenants par amendement : un pour, un contre. Nous allons donc passer au vote. (Les amendements identiques nos 857 et 858 ne sont pas adoptés.) Je suis saisi de trois amendements, nos 861, 862 et 165, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 861 et 862 sont identiques.
La parole est à M. Bastien Lachaud, pour soutenir l’amendement no 861. Nous abordons la discussion sur la dissuasion nucléaire avec cet amendement qui part de l’idée que nul n’est capable de nous assurer que, dans cinquante ou soixante ans, la dissuasion nucléaire que nous connaissons sera toujours d’actualité.
Des dirigeants un tant soit peu responsables ne doivent donc pas prendre le moindre risque dans ce domaine. Il est nécessaire de réfléchir à toute forme de dissuasion, y compris non nucléaire, qui pourrait un jour remplacer une dissuasion nucléaire devenue inopérante. Il ne s’agit pas de dire que la dissuasion nucléaire actuelle n’est pas crédible, mais que cela pourrait advenir. Nous ne pouvons pas prendre le moindre risque parce qu’il y va de la survie de la nation.
Puisqu’il faut réfléchir à toute autre forme de dissuasion, nous suggérons qu’elle pourrait venir de l’espace – nous aurions aussi pu évoquer une cyberdissuasion. Les ruptures technologiques sont telles que nous devons réfléchir à l’après-dissuasion nucléaire, d’autant que nous avons signé et ratifié le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), dont l’article VI nous engage à œuvrer pour le désarmement nucléaire multilatéral.
Nous devons respecter la parole de la France. Nous devons avancer et entamer des négociations pour en finir avec l’arme nucléaire, et, dans le même temps, nous devons essayer de travailler à une dissuasion. Voilà le sens de cet amendement qui invite à la réflexion. Réfléchir ne peut pas faire de mal. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) La parole est à M. Aurélien Saintoul, pour soutenir l’amendement no 862. Compte tenu de la gravité et de la précision que requiert un sujet comme celui de la dissuasion nucléaire, je vais commencer par vous lire le texte de notre amendement.
Nous proposons de rédiger ainsi l’alinéa 7 : « Les nouvelles technologies peuvent ouvrir la voie à des stratégies dissuasives qui ne seraient pas nucléaires. Disposer des moyens d’atteindre à coup sûr un dispositif de sécurité en son cœur du fait d’un avantage technologique pourrait bien être l’enjeu de la future dissuasion française. Ce pourrait être le cas d’une dissuasion spatiale dont la capacité à désorganiser une société en visant le cœur de ses infrastructures serait moins létale, mais potentiellement aussi dissuasive que l’arme nucléaire elle-même. En clair, si à l’avenir la discrétion des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins devait être compromise par un certain nombre de nouvelles technologies, la France devrait pouvoir disposer d’un mécanisme alternatif de dissuasion. Il faut y penser dès maintenant. »
J’ai pris la peine de me livrer à cet exercice un peu fastidieux pour vous et pour moi, afin que nous ne nous exposions pas à un risque de caricature. Comme l’a dit mon collègue, il ne s’agit pas de renoncer à la dissuasion nucléaire aujourd’hui, mais d’anticiper en ayant à l’esprit que les ruptures technologiques, auxquelles nous sommes confrontés depuis au moins une décennie, vont en s’accélérant, alors que le temps de développement des programmes de dissuasion et d’armement demeure, lui, incompressible.
Si nous ne voulons pas être pris au dépourvu, nous devons envisager dès maintenant l’éventualité d’alternatives, d’attitudes ou de stratégies dissuasives qui ne soient pas strictement nucléaires. Contrairement aux spécialistes, nous n’entrerons pas dans le débat sur le thème : faut-il penser une dissuasion conventionnelle ? Ce n’est pas notre angle d’approche. Nous ne voulons pas parler d’une stratégie de dissuasion conventionnelle, mais de solutions alternatives à la dissuasion nucléaire. La parole est à M. Fabien Roussel, pour soutenir l’amendement no 165. Nous abordons une discussion concernant nos choix en matière de dissuasion nucléaire. Puisque nous aurons l’occasion de nous exprimer plusieurs fois, je vais consacrer mes deux premières minutes d’intervention à saluer les choix de la France depuis qu’elle s’est engagée dans la dissuasion nucléaire.
Elle a ratifié des traités visant au désarmement et à la non-prolifération nucléaires – le traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) et le TNP – et Jacques Chirac a mis fin aux essais nucléaires en 1996. Ce sont des choix importants.
Dans ce domaine, notre pays se montre aussi beaucoup plus transparent que d’autres, qui font le choix de l’opacité et du secret. Avec ses 300 têtes nucléaires, la France est d’ailleurs bien loin d’être la principale puissance nucléaire, le podium étant occupé par les États-Unis, la Chine et la Russie.
Cela étant, la menace nucléaire n’a jamais été aussi forte dans le monde, un monde où l’on ne sait plus se parler et négocier, et où l’on règle ses problèmes par les armes. Dans ce contexte, l’arme de destruction massive qu’est la bombe atomique fait peser une énorme menace sur l’avenir de la planète et de l’humanité.
Les hommages rendus aux victimes de Hiroshima et de Nagasaki, lors du dernier G7, sont à garder en mémoire : l’arme nucléaire ne doit plus jamais être utilisée. C’est pourquoi nous proposons une série d’amendements invitant la France à prendre des initiatives pour un désarmement nucléaire multilatéral : il faut que notre pays soit à l’initiative dans ce domaine. Cependant, je précise bien que tant qu’il n’y a pas de désarmement multilatéral, nous acceptons que le nucléaire reste la clef de voûte de notre défense nationale. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ? Ils soulèvent deux questions distinctes. La première concerne la R&D (recherche et développement) et les travaux d’innovation susceptibles d’être menés pour identifier un hypothétique moyen de développer une dissuasion non nucléaire. La LPM prévoit de consacrer d’importants moyens à la recherche, au développement et à l’innovation. Toutes les actions nécessaires et envisageables pour aider la France à se renforcer et à assurer sa dissuasion sont entreprises. Votre demande est donc, en quelque sorte, satisfaite.
S’agissant ensuite du débat soulevé par le parti communiste, la France s’en tient à une dissuasion strictement suffisante, qui constitue son assurance vie. J’émets donc un avis défavorable aux trois amendements. La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Alors que nous entamons une série d’amendements relatifs à la dissuasion, je tiens à dire quelques mots. J’ai eu l’occasion, tout à l’heure, d’indiquer à Fabien Roussel combien le débat autour de la dissuasion était vif en France, notamment au sein de la commission de la défense. J’y vois là la condition de la crédibilité, de la durabilité et du caractère acceptable de la dissuasion.
Peut-être est-il utile de rappeler à ceux de nos collègues qui ne sont pas membres de la commission en quoi consiste la dissuasion. Son objectif consiste tout simplement à permettre à la nation française, viscéralement attachée à sa liberté, de menacer de causer des dommages inacceptables à quiconque s’en prendrait à ses intérêts vitaux. Bien entendu, la dissuasion est une arme de non-emploi, strictement défensive. Pour préserver sa crédibilité, nous avons besoin de la moderniser, d’où les choix qui vous sont proposés aujourd’hui. Nous devons également inscrire cet effort de modernisation dans la continuité, afin d’éviter les errements observés en matière de nucléaire civil, lesquels ont parfois pu conduire à l’arrêt d’une filière. Nous avons en outre besoin de visibilité, les programmes de dissuasion s’inscrivant dans le temps long. Notre collègue Yannick Chenevard rappelait par exemple que la mise à l’eau d’un sous-marin nous engageait pour près d’une centaine d’années. C’est pourquoi nous avons choisi de nous inscrire dans la continuité des efforts déjà fournis.
Je remercie enfin notre collègue Fabien Roussel d’avoir rappelé que la dissuasion nucléaire reste, même à ses yeux, la clef de voûte de notre défense nationale : j’y vois là une évolution positive, dont je me réjouis. Merci, par ailleurs, d’avoir rappelé que la France se montre exemplaire en la matière : outre le fait que nous sommes, avec le Royaume-Uni, le premier État à avoir signé le TICE, nous avons démantelé de façon transparente nos sites d’essais et nos installations de production de matières fissiles, avons supprimé les composantes terrestres de notre dissuasion – les missiles balistiques sol-sol stockés sur le plateau d’Albion, mais aussi les missiles tactiques Pluton ou Hadès – et menons une stratégie de stricte suffisance en matière de porteurs, de vecteurs et de têtes nucléaires. La France, tout en se donnant les moyens d’une dissuasion crédible, applique sa stratégie de stricte suffisance de manière tout à fait exemplaire. C’est pourquoi nous pouvons, à mon sens, nous satisfaire des choix opérés dans le cadre de ce projet de LPM. Quel est l’avis du Gouvernement ? Je commencerai par remercier l’ensemble des intervenants précédents pour la précision avec laquelle ils ont abordé le débat, car nos échanges sur ces questions sont écoutés avec attention. Sous le contrôle des plus expérimentés de vos collègues, je tiens d’ailleurs à souligner qu’il est assez rare, me semble-t-il, que des discussions de ce niveau se tiennent à propos de la dissuasion nucléaire au cours d’une séance publique à l’Assemblée nationale. Comme vous, monsieur Roussel, je ne suis pas certain que d’autres démocraties dotées de l’arme nucléaire se conforment au même niveau de débat public sur leur dissuasion actuelle et future, que ce soit en commission ou dans l’hémicycle.
Vous êtes revenu sur la singularité française en matière de doctrine et de conception de la dissuasion nucléaire. Merci pour cette remarque, qui laisse voir combien la France a pris du temps pour déployer sa dissuasion nucléaire – ce qui n’est pas sans difficulté dans la vie politique actuelle, très largement dictée par le temps court.
D’abord, elle s’est lancée dans l’aventure technologique nucléaire seule contre tous – nous y reviendrons lorsque nous évoquerons l’Otan et la décision du général de Gaulle d’en quitter le commandement intégré en 1966 –, et pour cause : la situation n’était pas tout à fait la même qu’à l’heure actuelle. Souvenons-nous comment le secrétaire à la défense américain de l’époque, Robert McNamara, à chaque réunion ministérielle de l’Otan, faisait part à Pierre Messmer de l’opposition des États-Unis d’Amérique et d’autres à l’obtention par la République française du statut de puissance dotée.
Après l’aventure technologique est venue, si j’ose dire, celle de la suffisance et de la permanence de celle-ci – c’est-à-dire de la capacité, pour l’armée de l’air, la marine et, à l’époque, l’armée de terre, à mettre en œuvre la dissuasion nucléaire à tout moment, y compris pendant les épisodes très divers que le pays a connus au cours de la guerre froide.
Et puis, vous avez eu raison de le souligner, le président Mitterrand a pris à propos des essais nucléaires des décisions que le président Chirac a ensuite mises en œuvre ou adaptées, et dont nous aurons l’occasion d’évoquer les effets en Polynésie. Vous savez qu’en tant qu’ancien ministre des outre-mer, ce dossier me tient à cœur et que j’ai eu l’occasion, dans le cadre de ces fonctions, de prendre quelques décisions en matière de transparence.
L’histoire de la dissuasion est donc marquée d’une empreinte spécifiquement française. Je vous remercie de l’avoir souligné, car si l’on peut s’opposer à cette particularité, il importe de la garder à l’esprit si l’on entend traiter cette question sérieusement.
Ensuite, les deux amendements d’appel déposés par les députés du groupe La France insoumise sont relativement compliqués à appréhender, dans la mesure où la rédaction proposée par leurs auteurs ne s’inscrit pas dans une temporalité de court ou de moyen terme, mais nous incite à nous projeter. Je m’efforcerai de le faire avec vous, avec toutes les contraintes qui s’imposent à un ministre des armées s’exprimant en séance publique et dans le respect du secret défense.
D’après la doctrine française – car, comme le député Roussel l’a souligné, la France applique certainement une des doctrines les plus lisibles au monde – de dissuasion, cette dernière, pour faire très bref, doit être défensive, strictement suffisante et capable de causer des dommages inacceptables à la partie adverse. J’ajouterai volontiers un quatrième critère. Elle doit être souveraine ! Son caractère souverain coule de source. Il figure dans la grammaire ! Le caractère souverain de la dissuasion est acquis et n’est pas remis en cause, mais il ne figure pas dans la doctrine. À strictement parler, cette dernière prévoit la défense des intérêts vitaux, un usage défensif, un caractère strictement suffisant et avec un ultime avertissement pour rétablir la dissuasion. Voilà les éléments de doctrine tels qu’ils ont été réaffirmés au fil du temps, un quinquennat ou un septennat après l’autre, au long d’une construction de nature quasiment géologique, itérative et incrémentale, chaque chef d’État étant venu préciser la doctrine applicable. Celle-ci, bien que plus lisible que dans beaucoup d’autres pays, garde des parts de flou : ce dernier, comme vous l’avez vous-mêmes rappelé de nombreuses fois en commission, fait partie intégrante de la grammaire de la dissuasion.
Le fait de réfléchir à la dissuasion de demain ou d’après-demain pose une première difficulté, consistant à savoir si elle sera nucléaire ou non. Vous suggérez, dans la rédaction proposée, d’envisager le cas d’une dissuasion nucléaire devenue inopérante. Si je ne peux réfuter ce raisonnement intellectuel et conceptuel, je vous invite à en revenir à la notion de dommages inacceptables : la source de la dissuasion, c’est la peur. C’est terrible, mais, de fait, l’arme nucléaire reste un outil terrifiant : c’est bien en cela qu’elle dissuade les autres compétiteurs – dont j’ai oublié de préciser qu’ils doivent, en vertu de notre doctrine, être d’origine étatique – de s’en prendre à nos intérêts vitaux. Si nous suivions votre raisonnement, nous devrions donc trouver – pour continuer de nous appuyer sur le sentiment humain de peur – quelque chose d’aussi terrifiant que l’arme nucléaire pour assurer notre dissuasion. Vous comprenez bien quels tiroirs nous ouvririons ainsi. Je me prête toutefois à l’exercice démocratique et de transparence qui consiste à envisager cette possibilité avec vous.
Le premier tiroir que nous ouvrons involontairement en ayant cette conversation est celui de la prolifération, même si cette dernière n’est pas de nature nucléaire : si la dissuasion nucléaire devient inopérante, d’autres pourraient envisager d’avoir recours à des armes biologiques, etc. Ce serait l’exact inverse de la dissuasion nucléaire telle que la France, la République, notre démocratie, l’appréhende et telle que nous venons de la décrire – vous l’aurez compris, on touche là aux limites de l’échange à voix haute.
Le deuxième tiroir ouvert par l’amendement – et c’est pour cette raison que j’émettrai un avis défavorable à l’ajout de ce paragraphe au rapport annexé – concerne le fait que la dissuasion repose sur son efficacité et son effectivité. Toute expression de doute, en la matière, est par essence nuisible. Exactement ! Je remercie d’ailleurs le député Roussel d’avoir indiqué, avant la suspension de vingt heures, que, bien qu’opposé à la dissuasion nucléaire, il la moderniserait tout de même s’il était aux responsabilités, dans la mesure où la dissuasion est indispensable tant que la menace existe – pour synthétiser son propos. Réfléchir au fait que la dissuasion continue de jouer son rôle est un travail à temps plein, mené par de nombreuses personnes au sein du ministère des armées. Par définition, ce travail est mené secrètement, car le contraire impliquerait que nous envisageons la possibilité de ne plus dissuader – pardon pour ce raisonnement alambiqué, mais c’est celui qu’il faut tenir.
Dernier point : avec tout le respect et l’amitié que j’ai pour le président de la commission de la défense, je me permettrai de corriger un élément de son intervention. C’est nécessaire ! L’arme nucléaire n’est pas une arme de non-emploi : elle est défensive et strictement suffisante. Nous en revenons ainsi à l’essence même de la doctrine : par définition, si un de nos compétiteurs s’en prend à nos intérêts vitaux… – je ne finis pas ma phrase, mais vous m’aurez compris. La parole est à M. Marc Le Fur. Merci, monsieur le ministre, pour cette réponse que les élus du groupe Les Républicains jugent parfaite. On est tenté d’inviter certains de vos collègues du Gouvernement, qui nous privent parfois de réponses de qualité, donnant ainsi lieu à des débats d’une autre nature, à prendre exemple sur vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs des groupes RN et LFI-NUPES.) C’est parce que c’est un ministre de qualité ! Ce doit être l’exception ! Il a été normand ! Il a de bonnes origines, même si elles ont un peu évolué au fil du temps. (Sourires.)
Je tenais à souligner que cet amendement, déposé par des députés situés très à gauche de l’échiquier politique, me semble très intéressant, même si j’y suis résolument opposé.
Pourquoi est-il très intéressant ? Parce que M. Roussel, qui n’est pas un simple député, puisqu’il exerce des responsabilités au sein d’un parti qui fait tout de même partie de notre histoire, a utilisé le terme « clef de voûte ». Je constate en outre que notre collègue Saintoul, tout en évoquant la nécessité d’un débat, ne remet pas en cause la dissuasion elle-même. Ainsi, sur une question aussi grave et fondamentale et dans une des assemblées les plus divisées que j’ai eu l’occasion de connaître, nous parvenons à des positions très proches.
Pour ma part, je m’en réjouis, d’autant que cet hommage rendu par la gauche s’adresse aux pionniers de la dissuasion. Rappelons en effet qu’à une époque, seuls les gaullistes la défendaient explicitement :… C’est vrai ! …sur les bancs de la gauche modérée, du centre et bien évidemment de l’extrême gauche, ne s’exprimaient alors que des oppositions. Cela signifie, chers collègues, qu’il faut savoir être minoritaires à l’occasion pour être très majoritaires plus tard. Absolument ! Il faut parfois attendre un peu, j’en conviens. (Sourires sur les bancs du groupe RE.) Le tout est d’avoir raison à un moment donné ! En tout état de cause, je suis résolument opposé à cet amendement, parce qu’il ne saurait exister de continuum entre la dissuasion nucléaire et les autres armements : il y a entre eux une différence majeure, totale et sensible. Merci de conclure, monsieur le député. Pour cette raison, évoquer une dissuasion autre que nucléaire n’est pas pertinent. (M. Jean-Louis Thiériot applaudit.) La parole est à M. Jean-Paul Lecoq. Un mot d’abord sur le vocabulaire utilisé : pardon, mais, à quatorze mois des Jeux olympiques de 2024, qualifier nos ennemis potentiels de « compétiteurs » me semble poser problème. Ce terme, plus souvent utilisé dans le sport, ne paraît pas adapté. Il est cependant utilisé dans la grammaire de la dissuasion. Je le sais bien. Néanmoins, au sein de l’Assemblée nationale du pays qui s’apprête à accueillir les Jeux olympiques, je préfère parler d’« ennemis potentiels ». Vous êtes plus libre que moi ! Ensuite, la doctrine du parti communiste en matière de dissuasion nucléaire, que Fabien Roussel a présentée, inclut aussi la volonté de participer activement à toutes les démarches envisageables pour éliminer l’arme nucléaire partout sur la planète. Nous avons signé le TNP, dont l’article VI prévoit le désarmement nucléaire. Ayant signé ce traité, nous devons tout mettre en œuvre pour procéder à ce désarmement. Le statu quo , que ce soit en géopolitique ou en matière nucléaire, n’est jamais satisfaisant.
Ceux qui ont inscrit l’objectif de désarmement dans le TNP ont d’ailleurs envisagé la possibilité qu’un incident ou une catastrophe survienne. Nous avons d’ailleurs, dans l’histoire de l’arme nucléaire, frôlé la catastrophe à bien des moments. À l’heure où des hackers sont capables de s’introduire dans les réseaux les plus sécurisés du monde, l’arme nucléaire devient une cible potentielle – peut-être a-t-elle d’ailleurs déjà fait l’objet d’attaques, qui ont été déjouées. À titre personnel, je préfère que cette cible n’existe pas, plutôt que de devoir imaginer qu’une catastrophe pourrait se produire un jour – sans même parler de ceux qui pourraient décider d’appuyer sur le bouton. (Les amendements identiques nos 861 et 862 ne sont pas adoptés.) (L’amendement no 165 n’est pas adopté.) Sur les amendements nos 517 et identiques, je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisi de quatre amendements identiques, nos 517, 1485, 1583 et 1591.
La parole est à M. Fabien Roussel, pour soutenir l’amendement no 517. Les termes du débat étant posés, entrons dans le vif du sujet. Lors de l’examen de la motion de rejet préalable, vous m’aviez répondu, monsieur le ministre, qu’il ne fallait pas comparer, comme je l’avais fait, le coût de cette loi de programmation militaire – 413 milliards d’euros – à d’autres dépenses, notamment sociales, qui pourraient être utiles pour les Français.
Dans son avant-propos au rapport d’information qui rassemble les auditions de la commission sur la dissuasion nucléaire, le président Gassilloud lui-même note pourtant que celle-ci représente quelque « 7 euros par mois et par Français ». C’est un coût. Il s’élève à 54 milliards pour notre pays pour la période 2024-2030, soit 21 millions d’euros par jour en 2030 contre 15 millions aujourd’hui. C’est un montant considérable, peut-être le plus élevé de toutes les dépenses d’armement. Cela mérite un grand débat afin que les Français puissent mesurer le coût de cette politique.
D’autre part, c’est une chose de dire que nous devons entretenir notre dissuasion nucléaire et faire en sorte que notre voix soit respectée parmi les puissances nucléaires. De ce point de vue, c’est vrai, pourquoi ne pas procéder à une modernisation ? Je dirai même : allons-y !
En revanche, c’est une autre chose que de vouloir accroître notre puissance nucléaire en travaillant à une nouvelle génération d’armes, de missiles comme l’ASN4G, d’avions ou de porte-avions qui seront produits demain. Je pourrais également évoquer les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération ou encore le projet Scaf, le système de combat aérien du futur.
Nous ne partageons pas cette deuxième orientation car, au fond, elle consiste, pour la France, à s’engager non pas sur la voie de la non-prolifération, mais au contraire sur celle de l’accroissement de la puissance nucléaire. La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l’amendement no 1485. Monsieur le ministre, en matière de défense comme dans d’autres domaines, nous sommes les héritiers de toute une histoire. Vous avez rappelé la singularité de celle-ci.
Il faut aujourd’hui faire un constat : la dissuasion nucléaire est au cœur de l’organisation de notre armée et de notre politique de défense. C’est un fait, on ne peut que le reconnaître.
À présent, nous nous demandons tous comment nous projeter dans l’avenir. Nous, écologistes, estimons qu’il doit être possible de vivre, demain, dans un monde où l’arme nucléaire n’existe plus, ce qui suppose d’aller vers un désarmement multilatéral, donc de l’ensemble des puissances dotées de l’arme nucléaire.
Si le mot « non-emploi » a été utilisé, ce n’est pas pour rien. La puissance destructrice de l’arme nucléaire est tellement importante que sa force réside dans le caractère potentiel de son utilisation. C’est le principe ! Le jour où elle est utilisée, elle produit des dommages inacceptables, au niveau à la fois humain, environnemental et matériel. C’est toujours mieux qu’une guerre ! On ignore jusqu’où un tel engrenage nous mènerait, aussi bien vis-à-vis de nos amis que de nous-mêmes. Au fond, pendant la guerre froide, nous avons vécu avec l’idée qu’il était possible que l’arme nucléaire soit utilisée. Si la tension est parfois montée, elle n’a toutefois jamais été utilisée dans ce contexte. Si elle devait l’être, on ignore l’engrenage dans lequel on entrerait tout comme les destructions qui seraient occasionnées.
Selon nous, la France doit perpétuer cette tradition qui consiste à se faire le porte-parole de la paix et du désarmement. Par conséquent, tout en reconnaissant la réalité de notre politique de défense actuelle, nous devons commencer à poser des actes marquant une progression sur la voie du désarmement. La première étape, c’est l’application – réelle – des mesures du traité de non-prolifération. Que la France s’empare de cette question et passe à l’action de manière diplomatique, forte et claire. (Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES, LFI-NUPES et GDR-NUPES.) La parole est à M. Aurélien Saintoul, pour soutenir l’amendement no 1583. Monsieur le ministre, je souhaite m’associer aux propos de M. Le Fur qui vous a remercié pour la haute tenue de votre réponse. Elle s’est révélée sérieuse, exacte et rigoureuse. Son style devrait en effet inspirer vos collègues du Gouvernement.
Au nom de la rigueur historique, je ne peux pas ne pas répondre au collègue Le Fur qu’à l’origine, parmi les personnes favorables au principe de la dissuasion nucléaire, figure Pierre Mendès France, lequel siégeait plutôt de notre côté de l’hémicycle.
Je salue également le fait que, dans sa réponse, le ministre ait précisé que, d’après la doctrine française, la dissuasion nucléaire concerne les menaces étatiques. Malheureusement, on a pu lire dans certains amendements déposés par le groupe LR qu’elle pouvait aussi porter sur des menaces non étatiques, ce qui me semble poser problème.
J’en viens à l’amendement. Il vise à mettre en exergue du rapport annexé la volonté de la France – qui est manifeste, puisque nous avons signé et ratifié le TNP – d’œuvrer à la stricte application de l’article VI du TNP, lequel prévoit un désarmement négocié et, évidemment, non pas unilatéral, mais bien multilatéral. Dès lors que nous affirmons que notre système de défense repose sur la dissuasion, il est indispensable que nous ne renoncions pas pour autant à l’objectif de désarmement global que la France s’est elle-même donné. Une telle démarche correspond selon moi à une forme d’équilibre – un mot que vous avez souvent employé.
Par ailleurs, j’aimerais réagir à ce que vous avez dit concernant les solutions alternatives à la dissuasion nucléaire que nous avons exposées dans les amendements précédents – autrement dit, la dissuasion de demain. Selon vous, si notre proposition était mise en œuvre, on ouvrirait à la fois le tiroir de la prolifération et celui du doute.
D’une part, ce que vous appelez un risque de prolifération correspond en réalité à la course aux armements. Or celle-ci existe déjà – que les armes soient nucléaires ou non. S’agissant des domaines visés par nos amendements, on peut espérer que la parenthèse actuelle se referme un jour, que le droit international prévale et que l’on assiste donc à une forme de retrait.
D’autre part, votre argument relatif au doute apparaît comme un paralogisme. Cela revient en effet à considérer qu’il faudrait s’interdire d’agir maintenant… Monsieur le député, je vous remercie. …alors que l’avenir est incertain. La parole est à M. Bastien Lachaud, pour soutenir l’amendement no 1591. Monsieur le ministre, en commission, vous nous avez expliqué pendant de longues heures que la NUPES était divisée sur les questions de défense. Elle l’est ! Or, nous le voyons ici, plusieurs groupes de la NUPES ont déposé un amendement identique visant à réaffirmer que la dissuasion nucléaire est aujourd’hui – parce que nous n’avons pas le choix – la clef de voûte de notre politique de défense, mais que, dans le même temps, il est important que la France respecte ses engagements, notamment ceux qui ont été pris lors de la ratification du traité de non-prolifération, comme le fait d’agir diplomatiquement en faveur d’un désarmement multilatéral s’agissant du nucléaire.
On pourrait nous rétorquer que ce n’est pas le bon moment, car le risque nucléaire n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui, qu’il a atteint son summum. Or, précisément, les Américains et les Soviétiques ont décidé de commencer à discuter juste après la crise des fusées de Cuba parce qu’ils savaient que le monde était passé tout près – à quelques secondes – de la destruction.
Pour la même raison, nous devons prendre aujourd’hui une initiative en faveur du désarmement. Car la France est le seul pays doté de l’arme nucléaire qui soit en mesure de tenir ce discours. Nous sommes la seule nation dont le passé est marqué par l’indépendance, l’autonomie, ce qui nous permet de nous adresser à l’ensemble des nations du monde pour leur dire qu’il est temps d’avancer ensemble.
Évidemment, notre pays n’a pas le potentiel destructeur des États-Unis et de la Russie, voire de la Chine, précisément parce que nous avons adopté le principe de la stricte suffisance. Par conséquent, la France ne doit pas être le premier pays à désarmer, mais c’est elle qui doit prendre l’initiative diplomatique en ce sens. D’ailleurs, quelles démarches notre pays a-t-il entreprises en la matière dans la période actuelle ? Depuis combien de temps n’a-t-il pas appelé les autres dirigeants du monde à désarmer ? Nous devons le faire. Il y va de l’honneur de notre nation. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.) Quel est l’avis de la commission ? La France respecte totalement ses engagements internationaux. Je ne répéterai pas ce qui a déjà été dit par le président Gassilloud, mais je pourrais citer le format de la dissuasion, en cohérence avec le principe de la stricte suffisance évidente, l’abandon des composantes terrestres ou encore le démantèlement irréversible de ses anciens sites de production de matières fissiles pour les armes et de ses anciens sites d’essais nucléaires. Je n’y reviendrai pas.
J’aimerais simplement réagir aux propos du président Roussel à propos du coût du nucléaire, qu’il s’agisse des sous-marins… Il n’est pas président ! C’est pour bientôt ! C’est vrai, il est secrétaire national. Excusez-moi ! (Sourires)
Je comprends votre argument. Cependant, ces coûts sont obligatoires, sinon la dissuasion n’est pas possible. Vous dites que vous êtes favorables à une rénovation de la dissuasion, mais sans l’enrichir des nouvelles technologies qui représentent un coût supplémentaire. Le problème, c’est que, dans ce cas, vous n’êtes plus dans une logique de dissuasion. La France descendrait d’un rang par rapport aux autres pays qui ne l’ont pas attendue pour monter en gamme. De mon point de vue, votre raisonnement ne tient pas debout. J’émets un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements. Quel est l’avis du Gouvernement ? Ces amendements nous invitent à poursuivre la réflexion que vous avez ouverte à propos de la place de la dissuasion nucléaire dans la défense des intérêts vitaux de notre nation et de son efficacité. Nous continuons ainsi à avoir le débat que le secrétaire national et député Roussel a réclamé tout à l’heure.
La dissuasion nucléaire est en tout cas un sujet grave, qui mérite que nous en débattions le plus calmement possible. J’espère au passage que nous garderons en mémoire la séance de ce soir. Il faudrait demander à nos équipes de vérifier mais, à mon avis, cela fait en effet très longtemps que n’avait pas eu lieu un débat d’une telle sensibilité sur ce sujet. Je vous remercie pour vos mots, mais nous savons bien qu’un tel exercice – le débat intellectuel et politique noble – se pratique à plusieurs. C’est bien, les débats ! Je distinguerai les propos que vous avez tenus ce soir de ce qui est écrit dans vos amendements identiques. On peut lire dans ces derniers : « Afin d’œuvrer à une paix durable, la France doit engager l’élaboration d’une stratégie de dissuasion non nucléaire […]. »
Je ne peux évidemment pas donner un avis favorable… Sagesse, dans ce cas ! Non, pas sur des amendements qui laissent penser que notre dissuasion ne dissuade pas. C’est en tout cas ainsi que je comprends cette phrase.
Dans un souci de transparence vis-à-vis de l’ensemble des bancs, je préviens que j’émettrai un avis défavorable sur ces amendements ainsi que sur la plupart de ceux qui suivront, jusqu’au no 1435 de Mme Chatelain, qui prévoit d’inscrire dans le rapport annexé les engagements de la France en matière de non-prolifération. En effet, la lutte contre la prolifération fait partie de la doctrine française. Cet amendement bien écrit et équilibré se réfère au droit international, puisqu’il mentionne un traité sur lequel la France s’est déjà engagée. C’est la première fois qu’une LPM mentionnerait une telle démarche. La parole est à Mme Stéphanie Galzy. Protéger et garantir notre dissuasion nucléaire tout en agissant diplomatiquement dans l’objectif d’une future non-prolifération n’est pas incompatible. Les nouveaux dangers qui nous menacent et qui menacent la paix doivent nous encourager à maintenir notre capacité de dissuasion nucléaire, et ce sans la partager ni l’abandonner ni la céder. C’est bien ainsi que la France restera un acteur essentiel dans le concert des nations, un pays que l’on écoute et qui participe à l’équilibre mondial par sa dissuasion et en retrouvant une pleine et entière souveraineté. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.) La parole est à Mme Anna Pic. Au nom du groupe Socialistes et apparentés, j’indique que nous nous abstiendrons sur ces amendements. Nous respectons les engagements du TNP et tenons à le rappeler. Mais, comme le souligne l’amendement no 1435, monsieur le ministre, si notre pays tient absolument à poursuivre les engagements qu’il a pris lorsqu’il a signé le TNP, les temps actuels ne nous paraissent pas propices à une action beaucoup plus active de sa part dans ce domaine, et il faut bien envisager d’autres formes d’action extrêmement dangereuses et contre lesquelles la dissuasion nucléaire ne pourra nous protéger : je pense notamment aux cyberattaques qui pourraient demain provoquer des drames, ce qui suppose de travailler à d’autres formes de dissuasion. Sans remettre en cause le traité de non-prolifération nucléaire, une réflexion doit donc se poursuivre autour de la question de la dissuasion nucléaire. La parole est à M. Aurélien Saintoul. Nos deux amendements évoquent certes l’idée d’une dissuasion alternative et donc non nucléaire, mais vous aurez compris, monsieur le ministre, qu’il s’agissait d’amendements de repli permettant d’articuler la projection dans le temps, que nous soumettions ainsi à votre réflexion, avec l’idée d’une alternative à la dissuasion actuelle, sans que cette nouvelle stratégie empêche de poursuivre la concrétisation de nos obligations dans le domaine du désarmement. C’est la raison pour laquelle les deux aspects de la question sont liés, peut-être de façon malhabile selon vous, mais il était intéressant, au moins pour le débat, de montrer comment ils pouvaient s’articuler. Au sein du groupe LFI-NUPES, nous nous inscrivons dans une logique de désarmement, mais nous sommes lucides et nous savons bien que celui-ci ne se réalisera pas d’un claquement de doigts et qu’il faut donc proposer une stratégie qui comporte pour les États dotés la possibilité de se savoir protégés quoi qu’il arrive.
S’agissant du concept de stricte suffisance, qui a été évoqué tout à l’heure, je voudrais vous apporter, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon témoignage. J’ai eu la chance de rencontrer à Hiroshima au mois de janvier dernier une hibakusha , une très vieille dame bien sûr, qui m’a dit (Rires et exclamations sur les bancs du groupe RN) … Je pense que le sort des hibakushas ne devrait pas susciter l’hilarité, même si je ne m’attends à rien de digne de la part de l’extrême droite. C’est en effet incroyable ! Cette dame, alors que je lui expliquais la doctrine française, reposant notamment sur le principe de stricte suffisance, a eu un mot d’une naïveté qui continue à me faire réfléchir : « Mais, monsieur, si vous avez 300 ogives et que vous appelez cela de la stricte suffisance, c’est que ce sont des normes techniques, oubliant que la technique devrait obéir au politique. » Je soumets cette phrase au débat. Je connais l’importance des raisons techniques en ce domaine, j’ai rencontré des industriels et des militaires qui me l’ont expliquée, mais je trouve que ces raisons méritent aussi d’être questionnées d’un autre point de vue, ne serait-ce que par le biais de cette phrase pleine de dignité et de lucidité que j’avais envie de partager avec vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) Je mets aux voix les amendements identiques nos 517, 1485, 1583 et 1591. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 173
Nombre de suffrages exprimés 168
Majorité absolue 85
Pour l’adoption 28
Contre 140 (Les amendements identiques nos 517, 1485, 1583 et 1591 ne sont pas adoptés.) Nous en venons à deux amendements identiques, nos 576 et 673.
J’annonce que je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public sur ces amendements.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Bastien Lachaud, pour soutenir l’amendement no 576. Toujours s’agissant de la doctrine de la dissuasion française, je rappelle qu’il fut un temps, pas si éloigné, où celle-ci était considérée comme le cœur souverain de notre défense, qu’il ne s’agissait pas de partager. Certains présidents ont ensuite jugé utile de prévoir qu’elle puisse l’être avec nos alliés européens. Mais ces derniers bénéficient déjà, dans le cadre de l’Otan, du bouclier nucléaire américain. Qu’ont-ils alors besoin d’une double protection ?
Vous dites, monsieur le ministre, que l’important, c’est la crédibilité de notre dissuasion et donc qu’il n’y ait pas de doute sur la définition de nos intérêts vitaux ; mais à trop l’élargir cette définition, ne crée-t-on pas un doute, augmentant ainsi une incertitude qui finira par empêcher le doigt de presser le bouton, ce qui rendrait la dissuasion inopérante ? Ne devrions-nous pas en rester à une définition plus stricte, et donc plus nationale, de nos intérêts vitaux ? Cela ne veut pas dire abandonner nos alliés européens qui, je le répète, sont de toute façon défendus dans le cadre de l’Otan par le bouclier nucléaire américain, vous ne cessez de nous le rappeler, mais aussi par l’article 42 du traité de l’Union européenne qui a la même force juridique à cet égard que l’article 5 de l’Otan, fondé sur le principe de la défense en cas d’attaque.
Toutefois, cela n’implique pas forcément une riposte nucléaire, et je vois donc dans cette évolution un glissement par rapport à la doctrine qui a été élaborée par le général de Gaulle – nos amis Les Républicains ne cessent de le rappeler –, glissement qui nous inquiète. C’est pourquoi nous souhaitons, dans le cadre de cette LPM, revenir à l’essence originelle de la doctrine. (Mme Danièle Obono applaudit.) L’amendement no 673 de M. Aurélien Saintoul est défendu.
Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable, parce qu’il y a une confusion entre le partage de la dissuasion nucléaire et les intérêts vitaux qui peuvent, eux, être également européens. Quel est l’avis du Gouvernement ? Nous abordons le troisième volet qui permet, en pointillé, de poursuivre la discussion sur le fonctionnement de la dissuasion, même si nous serons davantage au cœur de la doctrine quand nous aurons des débats plus technologiques sur les contrats opérationnels en fonction des vecteurs et des équipements capacitaires.
Premièrement, il est utile de rappeler que notre pays ne participe pas à la planification nucléaire de l’Otan – vous remarquerez qu’en disant cela, je fais honneur à votre penchant pour la dialectique, qui explique sans doute votre intérêt pour la dissuasion nucléaire.
Deuxièmement, le rapporteur l’a dit, mais je vais me permettre de développer ce point en complétant la réponse que j’ai faite précédemment au député Giletti au sujet de la notion de souveraineté. Le vocabulaire relatif à la dissuasion nucléaire étant très codifié, il importe d’être précis : il n’y a pas de partage dans l’usage de cette dissuasion, et il en est ainsi depuis les années soixante. On l’espère bien ! C’est la deuxième raison qui justifie l’avis défavorable du Gouvernement. Je rappelle au passage que cette absence de partage est l’un des motifs – je fais un peu d’histoire, puisque le député Le Fur nous y a invités – pour lesquels plusieurs familles politiques se sont longtemps opposées à cette dissuasion voulue par les gaullistes, en majorité relative entre 1958 et 1962. En effet, les centristes voulaient qu’elle soit partagée sous la forme d’un bouton européen, alors que d’autres suivaient les ordres venus de Moscou et que d’autres encore, notamment à l’extrême droite, s’opposaient systématiquement au général de Gaulle, peu importe ce qu’il proposait.
Il est donc vrai que la dissuasion nucléaire a pris du temps à être acceptée au cours des années soixante – même si, cela a été rappelé ici, Pierre Mendès France avait créé dès la décennie précédente l’embryon de la DAM, la direction des applications militaires. Il est vrai qu’il avait été membre du gouvernement du général de Gaulle et qu’au lendemain de la Libération, les Résistants se disaient : « Plus jamais juin 1940 » – comme d’autres ont pu se dire quelques années plus tard : « Plus jamais l’humiliation de Suez ».
Troisièmement, je suis tout à fait opposé à ce que nos intérêts vitaux soient d’une manière ou d’une autre encadrés, parce que la force de notre modèle de dissuasion – et j’ai en effet bien compris que vos amendements étaient d’appel et visaient à susciter à nouveau un débat sur le sujet –, c’est qu’ils ne le sont pas. Sinon, ce serait un des moyens de l’affaiblir, de l’amoindrir. Bien sûr, un président de la République, et lui seul selon la logique de notre système institutionnel, pourrait en décider autrement et souhaiter clarifier cette notion d’intérêts vitaux dans les grammaires de la dissuasion et de la diplomatie, s’il l’estimait nécessaire en tant que chef des armées et chef de la diplomatie. Sans aller beaucoup plus loin dans la démonstration, je rappelle que quand les présidents Chirac, Sarkozy et Hollande, puis le président Macron, ont dit que nos intérêts vitaux avaient nécessairement une dimension européenne, cela n’a jamais signifié que l’usage de la dissuasion devait être partagé au niveau européen, mais qu’ils estimaient que la sécurité de la France peut aussi se mesurer en fonction de ce qui peut se passer autour. Je n’en dirai pas plus parce que c’est aussi la force de la dissuasion que de ne pas en dire plus sur ce que sont les intérêts vitaux.
Pour l’ensemble de ces raisons, j’émets un avis défavorable. La parole est à M. Hervé de Lépinau. Tout d’abord, je rappelle qu’il n’y a pas ici une extrême droite :… Elle est pire qu’ailleurs ! Vous savez saluer, vous ! …il y a une droite patriote (Exclamations sur divers bancs) , une droite gaulliste ou gaullienne, mais en tout état de cause, il y a une droite qui aime la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Vous qui êtes un homme courtois et précis, monsieur le ministre, je pense que vous pouvez l’entendre.
Ensuite, je note que, une fois n’est pas coutume, ces deux amendements de la NUPES sont très intéressants, car ils renvoient aux principes. Aujourd’hui, on a politiquement et au niveau national une interrogation : que va faire M. Macron après 2027, puisqu’il sera un jeune retraité ? Pour notre part, nous avons cru comprendre que devenir le premier président d’une Europe fédérale ne lui déplairait pas ; or, pour ce faire, il faut bien qu’il transmette des éléments de souveraineté à cette entité supranationale qu’est l’Union européenne. Il verrait bien ainsi notre siège au Conseil de sécurité de l’ONU transféré à l’Union européenne…
Et puis il y a notre dissuasion. Je souligne qu’elle fait partie de notre souveraineté, qu’elle constitue même le cœur de notre protection, et que les contribuables français l’ont financée depuis des décennies, contrairement aux autres contribuables de l’actuelle Union européenne. Ma foi, apporter un tel joyau dans la corbeille de mariage serait du plus bel effet… Nous pensons donc qu’il est prudent d’inscrire dès à présent dans le marbre de la loi que la dissuasion nucléaire ne se partage pas. (Mêmes mouvements.) La parole est à M. Jean-Paul Lecoq. Je n’appellerai jamais un joyau une arme capable de détruire des millions de personnes en même temps. Jamais. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES.)
Monsieur le ministre, sur les intérêts vitaux, on vous suit, car on comprend qu’il ne soit pas question de donner la liste des cibles dont l’atteinte vaudrait dissuasion. Par contre, on ne peut pas vous suivre quand vous proposez de mettre autant d’argent dans la modernisation de l’arme nucléaire, parce que cela revient en fait à la rendre plus efficace, donc encore plus meurtrière. Plus dissuasive. Plus dissuasive, dites-vous, mais au regard du TNP, cela revient à de la prolifération. Et c’est bien pourquoi la mise en œuvre de ce traité n’avance pas sur le plan du désarmement : les pays dotés font de la surenchère en investissant régulièrement dans l’arme nucléaire. On a évoqué les années « Ni Pershing, ni SS-20 », mais comment cela a-t-il abouti à un relatif désarmement ? Pourquoi a-t-on abandonné le plateau d’Albion ? C’est parce que l’opinion publique s’était saisie de la question de l’arme nucléaire – et vous avez raison, monsieur le ministre : c’est bien qu’elle suive aujourd’hui ce débat.
Il y avait dans les années 1970 et 1980 de nombreuses manifestations dont le mot d’ordre était « Ni Pershing, ni SS-20 », et tout le monde avait compris que l’arme nucléaire était capable de détruire la planète et l’humanité tout entière. Vous oubliez qu’il y avait l’URSS ! Il ne faut jamais l’oublier : l’arme nucléaire est capable de détruire la planète ! (Exclamations sur les bancs du groupe RE.) Vous pouvez moderniser notre force tout en la réduisant dans le cadre du traité, ce que nous vous invitons à faire. Mais, compte tenu du flou qui entoure les sommes en jeu, dont je veux bien entendre qu’il s’agit d’un flou stratégique, nous ne pouvons pas vous suivre. La parole est à M. le ministre. Monsieur Lecoq, la modernisation ne s’apparente pas à de la prolifération ; ce n’est pas vrai, je ne peux pas laisser dire ça. Disons que vous ne voulez pas l’admettre ! Ensuite, il a été entendu, lors de mes échanges avec M. Roussel, que l’argent mis sur la table ne servait pas à durcir la dissuasion, mais à la maintenir à niveau pour qu’elle demeure dissuasive. Je vous ai donné des exemples précis, notamment celui de la discrétion acoustique ; sans pouvoir en dire beaucoup plus, je vous parle là d’une réalité qui nécessite de l’argent, tout comme en demande la vétusté de l’actuelle génération de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Tous les vingt ou trente ans commence un nouveau cycle, et vous examinez actuellement la LPM qui va amorcer le cycle des sous-marins nucléaires de troisième génération : par définition, cela exige des investissements, et je ne veux pas qu’on entretienne le flou sur cette question.
Merci de ce que vous dites sur les intérêts vitaux – j’y reviendrai dans un instant. Quoi qu’il en soit, je réaffirme ici devant vous, au nom du Gouvernement de la République et au nom du chef des armées, le Président de la République, qu’il n’y a pas de modification de la doctrine. Mieux, comme je le disais tout à l’heure, à partir de l’amendement no 1435 de Mme Châtelain, nous allons reprendre les engagements sur la non-prolifération et les intégrer au rapport annexé.
Monsieur de Lépinau, quand j’ai parlé des députés d’extrême droite, je parlais de ceux qui s’en prenaient aux gaullistes en 1960. Si vous le prenez pour vous, c’est qu’au fond vous vous sentez les héritiers de ceux-là, et au moins les choses sont claires ! (Protestations sur les bancs du groupe RN. – Applaudissements sur les bancs du groupe RE .) Il me semble avoir fait preuve, depuis le début de nos discussions, à la fois d’ouverture, de calme et de sérieux, mais je ne veux pas de caricatures ! L’extrême droite a combattu le général de Gaulle et ses gouvernements ; elle s’est opposée à la première loi de programmation militaire en 1960, puis, en 1964, à celle qui a installé la dissuasion nucléaire que vous prétendez défendre aujourd’hui ! (Mêmes mouvements.) Alors, pas de faux procès, pas de faux-semblants, pas de caricatures ! (Les députés du groupe RE se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Dem, SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.) Je ne fais pas de procès d’intention, mais on ne revoit pas l’histoire quand cela nous arrange !
Vous souhaitez encadrer ce que sont nos intérêts vitaux, comme vous l’avez laissé entendre en vous exprimant sur les amendements de MM. Lachaud et Saintoul. Or, précisément, l’un des héritages du général de Gaulle, jamais remis en cause par aucun de ses successeurs depuis 1962 et l’élection du président de la République au suffrage universel, a été de ne pas encadrer ces intérêts vitaux et de ne pas en faire une notion à la portée limitée. Vous entendez voter, par un scrutin public que vous avez demandé, en faveur d’amendements de La France insoumise qui affaiblissent l’héritage du général de Gaulle : eh bien, allez-y ! Au moins, les choses seront claires. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.) Absolument !
La parole est à M. Emmanuel Fernandes, pour soutenir l’amendement no 857. Il a pour but de mettre fin à l’opération Sentinelle et d’en finir avec la militarisation des actions de police. Selon un rapport publié le 12 septembre 2022 par la Cour des comptes, les forces militaires, qui ne disposent ni du renseignement intérieur, ni de pouvoirs de police, ni des armements appropriés en zone urbaine, ne paraissent pas les mieux placées pour faire face à la nouvelle forme de menace terroriste.
Nous pensons en effet que l’opération Sentinelle est coûteuse et, pour tout dire, inefficace. Elle use inutilement les soldats et les expose. Elle repose sur l’idée illusoire d’un quadrillage total du territoire qui permettrait aux soldats d’intervenir en cas de nécessité. Or, par définition, le fait de déjouer un attentat ne peut pas relever d’une logique de flagrant délit.
La Cour dénonce l’affichage de militaires dans les rues à des fins de tranquillité publique et de perception plus que d’efficacité militaire. S’appuyant sur un rapport de l’inspection des armées, la Cour note une banalisation et un amalgame des militaires avec les policiers et gendarmes.
Selon le groupe LFI-NUPES, cette loi de programmation militaire doit aussi être l’occasion de renforcer et protéger les libertés publiques. Il faut sortir de cette pente dangereuse que constitue la confusion entre sécurité publique et défense. Oh là là ! En réalité, l’évocation d’un continuum sécurité-défense sert de justification à la militarisation des actions de police et à la restriction des libertés publiques. L’inscription de l’état d’urgence dans le droit ordinaire est emblématique de cette dérive, de même que la tentation de recourir à l’armée pour régler toutes sortes de problèmes comme le maintien de l’ordre lors de manifestations dans les banlieues, selon l’expression stigmatisante souvent utilisée, ou encore dans la formation des jeunes décrocheurs.
Nous demandons donc la fin de l’opération Sentinelle qui permettra aux soldats de se concentrer sur leurs missions. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) L’amendement no 858 de M. Aurélien Saintoul est défendu.
La parole est à M. Jean-Michel Jacques, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour donner l’avis de la commission. Vous faites comme si la menace terroriste avait disparu, ce qui n’est pas du tout le cas. L’opération Sentinelle a un rôle à jouer dans la situation actuelle, et ce n’est certainement pas le moment de la supprimer alors que nous allons accueillir les Jeux olympiques (JO), ce qui fait peser d’autres menaces que nous percevons déjà.
Vous affirmez aussi que déjouer un attentat ne peut pas relever d’une logique de flagrant délit. À Marseille, un militaire réserviste de l’opération Sentinelle avait pourtant empêché un attentat avec efficacité. Exactement ! C’est la preuve que votre propos n’est pas justifié. Avis défavorable. La parole est à M. le ministre des armées, pour donner l’avis du Gouvernement. Même avis. Votre groupe a déposé d’autres amendements sur l’opération Sentinelle, qui arrivent à un moment plus propice du débat sur le rapport annexé. Plutôt que de refaire plusieurs fois le même débat, je préfère désormais intervenir de manière plus détaillée aux bons moments. La parole est à M. Aurélien Saintoul. Non, nous ne disons pas que la menace terroriste a disparu. Nous n’avons pas cette naïveté. Nous faisons partie de ceux qui, au contraire, considèrent qu’il faut donner des moyens à toutes les forces compétentes dans la lutte contre les menaces terroristes en tous genres, y compris quand il s’agit de menaces venues de l’extrême droite, particulièrement saillantes comme l’a rappelé le directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) en personne devant la représentation nationale. Elles ne sont pas islamistes du tout ! Pas islamo-gauchistes non plus ! Nous ne sommes pas des gens naïfs. En revanche, nous observons une militarisation des problèmes de sécurité intérieure, et, d’une certaine façon, nous nous faisons le porte-voix de nombreux militaires qui s’inquiètent d’un mélange des genres entre notamment le maintien de l’ordre et les missions des armées elles-mêmes. Nous savons que ces sujets ont été mis sur la table à l’occasion de grands mouvements sociaux.
Nous savons aussi, comme vient de le dire mon collègue Fernandes, qu’il est illusoire d’imaginer lutter contre le terrorisme, quelle que soit son origine, en recherchant le flagrant délit. Certes, il y a des hasards, des coïncidences, mais ces hasards et coïncidences peuvent aussi être provoqués : les personnels en uniforme peuvent malheureusement être perçus comme des cibles par des terroristes. À tout prendre, ce n’est donc pas un bon raisonnement.
Partant de l’intervention de policiers en dehors de leur service ou en civil lors d’attentats comme celui du Bataclan, vous pouvez aussi en déduire un raisonnement par l’absurde : tout le monde devrait devenir policier ou porter une arme à feu. Vous vous trompez sur nos intentions : nous voulons des moyens pour la police et les armées, mais des missions clairement identifiées pour chaque entité. La parole est à Mme Danielle Brulebois. Je voudrais rendre hommage à nos armées qui assurent la sécurité des Français face à quelque péril que ce soit. Dans des circonstances difficiles et en cas de danger, nous pouvons toujours compter sur leur sens de l’engagement, leur professionnalisme, leur courage et leurs qualités professionnelles. Je pense aux militaires de l’opération Sentinelle qui luttent contre la menace terroriste, à ceux de l’opération Héphaïstos qui combattent les feux de forêt chaque été dans le sud de la France, à ceux de l’opération Harpie qui se battent contre l’orpaillage illégal en Guyane ou ceux de l’opération Résilience, engagés contre la propagation de la covid-19. Merci à nos armées, nous avons besoin d’elles. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur plusieurs bancs du groupe RN. – MM. Laurent Croizier et Loïc Kervran applaudissent également.) J’en reste au principe consistant à ne prendre que deux intervenants par amendement : un pour, un contre. Nous allons donc passer au vote. (Les amendements identiques nos 857 et 858 ne sont pas adoptés.) Je suis saisi de trois amendements, nos 861, 862 et 165, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 861 et 862 sont identiques.
La parole est à M. Bastien Lachaud, pour soutenir l’amendement no 861. Nous abordons la discussion sur la dissuasion nucléaire avec cet amendement qui part de l’idée que nul n’est capable de nous assurer que, dans cinquante ou soixante ans, la dissuasion nucléaire que nous connaissons sera toujours d’actualité.
Des dirigeants un tant soit peu responsables ne doivent donc pas prendre le moindre risque dans ce domaine. Il est nécessaire de réfléchir à toute forme de dissuasion, y compris non nucléaire, qui pourrait un jour remplacer une dissuasion nucléaire devenue inopérante. Il ne s’agit pas de dire que la dissuasion nucléaire actuelle n’est pas crédible, mais que cela pourrait advenir. Nous ne pouvons pas prendre le moindre risque parce qu’il y va de la survie de la nation.
Puisqu’il faut réfléchir à toute autre forme de dissuasion, nous suggérons qu’elle pourrait venir de l’espace – nous aurions aussi pu évoquer une cyberdissuasion. Les ruptures technologiques sont telles que nous devons réfléchir à l’après-dissuasion nucléaire, d’autant que nous avons signé et ratifié le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), dont l’article VI nous engage à œuvrer pour le désarmement nucléaire multilatéral.
Nous devons respecter la parole de la France. Nous devons avancer et entamer des négociations pour en finir avec l’arme nucléaire, et, dans le même temps, nous devons essayer de travailler à une dissuasion. Voilà le sens de cet amendement qui invite à la réflexion. Réfléchir ne peut pas faire de mal. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) La parole est à M. Aurélien Saintoul, pour soutenir l’amendement no 862. Compte tenu de la gravité et de la précision que requiert un sujet comme celui de la dissuasion nucléaire, je vais commencer par vous lire le texte de notre amendement.
Nous proposons de rédiger ainsi l’alinéa 7 : « Les nouvelles technologies peuvent ouvrir la voie à des stratégies dissuasives qui ne seraient pas nucléaires. Disposer des moyens d’atteindre à coup sûr un dispositif de sécurité en son cœur du fait d’un avantage technologique pourrait bien être l’enjeu de la future dissuasion française. Ce pourrait être le cas d’une dissuasion spatiale dont la capacité à désorganiser une société en visant le cœur de ses infrastructures serait moins létale, mais potentiellement aussi dissuasive que l’arme nucléaire elle-même. En clair, si à l’avenir la discrétion des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins devait être compromise par un certain nombre de nouvelles technologies, la France devrait pouvoir disposer d’un mécanisme alternatif de dissuasion. Il faut y penser dès maintenant. »
J’ai pris la peine de me livrer à cet exercice un peu fastidieux pour vous et pour moi, afin que nous ne nous exposions pas à un risque de caricature. Comme l’a dit mon collègue, il ne s’agit pas de renoncer à la dissuasion nucléaire aujourd’hui, mais d’anticiper en ayant à l’esprit que les ruptures technologiques, auxquelles nous sommes confrontés depuis au moins une décennie, vont en s’accélérant, alors que le temps de développement des programmes de dissuasion et d’armement demeure, lui, incompressible.
Si nous ne voulons pas être pris au dépourvu, nous devons envisager dès maintenant l’éventualité d’alternatives, d’attitudes ou de stratégies dissuasives qui ne soient pas strictement nucléaires. Contrairement aux spécialistes, nous n’entrerons pas dans le débat sur le thème : faut-il penser une dissuasion conventionnelle ? Ce n’est pas notre angle d’approche. Nous ne voulons pas parler d’une stratégie de dissuasion conventionnelle, mais de solutions alternatives à la dissuasion nucléaire. La parole est à M. Fabien Roussel, pour soutenir l’amendement no 165. Nous abordons une discussion concernant nos choix en matière de dissuasion nucléaire. Puisque nous aurons l’occasion de nous exprimer plusieurs fois, je vais consacrer mes deux premières minutes d’intervention à saluer les choix de la France depuis qu’elle s’est engagée dans la dissuasion nucléaire.
Elle a ratifié des traités visant au désarmement et à la non-prolifération nucléaires – le traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) et le TNP – et Jacques Chirac a mis fin aux essais nucléaires en 1996. Ce sont des choix importants.
Dans ce domaine, notre pays se montre aussi beaucoup plus transparent que d’autres, qui font le choix de l’opacité et du secret. Avec ses 300 têtes nucléaires, la France est d’ailleurs bien loin d’être la principale puissance nucléaire, le podium étant occupé par les États-Unis, la Chine et la Russie.
Cela étant, la menace nucléaire n’a jamais été aussi forte dans le monde, un monde où l’on ne sait plus se parler et négocier, et où l’on règle ses problèmes par les armes. Dans ce contexte, l’arme de destruction massive qu’est la bombe atomique fait peser une énorme menace sur l’avenir de la planète et de l’humanité.
Les hommages rendus aux victimes de Hiroshima et de Nagasaki, lors du dernier G7, sont à garder en mémoire : l’arme nucléaire ne doit plus jamais être utilisée. C’est pourquoi nous proposons une série d’amendements invitant la France à prendre des initiatives pour un désarmement nucléaire multilatéral : il faut que notre pays soit à l’initiative dans ce domaine. Cependant, je précise bien que tant qu’il n’y a pas de désarmement multilatéral, nous acceptons que le nucléaire reste la clef de voûte de notre défense nationale. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ? Ils soulèvent deux questions distinctes. La première concerne la R&D (recherche et développement) et les travaux d’innovation susceptibles d’être menés pour identifier un hypothétique moyen de développer une dissuasion non nucléaire. La LPM prévoit de consacrer d’importants moyens à la recherche, au développement et à l’innovation. Toutes les actions nécessaires et envisageables pour aider la France à se renforcer et à assurer sa dissuasion sont entreprises. Votre demande est donc, en quelque sorte, satisfaite.
S’agissant ensuite du débat soulevé par le parti communiste, la France s’en tient à une dissuasion strictement suffisante, qui constitue son assurance vie. J’émets donc un avis défavorable aux trois amendements. La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Alors que nous entamons une série d’amendements relatifs à la dissuasion, je tiens à dire quelques mots. J’ai eu l’occasion, tout à l’heure, d’indiquer à Fabien Roussel combien le débat autour de la dissuasion était vif en France, notamment au sein de la commission de la défense. J’y vois là la condition de la crédibilité, de la durabilité et du caractère acceptable de la dissuasion.
Peut-être est-il utile de rappeler à ceux de nos collègues qui ne sont pas membres de la commission en quoi consiste la dissuasion. Son objectif consiste tout simplement à permettre à la nation française, viscéralement attachée à sa liberté, de menacer de causer des dommages inacceptables à quiconque s’en prendrait à ses intérêts vitaux. Bien entendu, la dissuasion est une arme de non-emploi, strictement défensive. Pour préserver sa crédibilité, nous avons besoin de la moderniser, d’où les choix qui vous sont proposés aujourd’hui. Nous devons également inscrire cet effort de modernisation dans la continuité, afin d’éviter les errements observés en matière de nucléaire civil, lesquels ont parfois pu conduire à l’arrêt d’une filière. Nous avons en outre besoin de visibilité, les programmes de dissuasion s’inscrivant dans le temps long. Notre collègue Yannick Chenevard rappelait par exemple que la mise à l’eau d’un sous-marin nous engageait pour près d’une centaine d’années. C’est pourquoi nous avons choisi de nous inscrire dans la continuité des efforts déjà fournis.
Je remercie enfin notre collègue Fabien Roussel d’avoir rappelé que la dissuasion nucléaire reste, même à ses yeux, la clef de voûte de notre défense nationale : j’y vois là une évolution positive, dont je me réjouis. Merci, par ailleurs, d’avoir rappelé que la France se montre exemplaire en la matière : outre le fait que nous sommes, avec le Royaume-Uni, le premier État à avoir signé le TICE, nous avons démantelé de façon transparente nos sites d’essais et nos installations de production de matières fissiles, avons supprimé les composantes terrestres de notre dissuasion – les missiles balistiques sol-sol stockés sur le plateau d’Albion, mais aussi les missiles tactiques Pluton ou Hadès – et menons une stratégie de stricte suffisance en matière de porteurs, de vecteurs et de têtes nucléaires. La France, tout en se donnant les moyens d’une dissuasion crédible, applique sa stratégie de stricte suffisance de manière tout à fait exemplaire. C’est pourquoi nous pouvons, à mon sens, nous satisfaire des choix opérés dans le cadre de ce projet de LPM. Quel est l’avis du Gouvernement ? Je commencerai par remercier l’ensemble des intervenants précédents pour la précision avec laquelle ils ont abordé le débat, car nos échanges sur ces questions sont écoutés avec attention. Sous le contrôle des plus expérimentés de vos collègues, je tiens d’ailleurs à souligner qu’il est assez rare, me semble-t-il, que des discussions de ce niveau se tiennent à propos de la dissuasion nucléaire au cours d’une séance publique à l’Assemblée nationale. Comme vous, monsieur Roussel, je ne suis pas certain que d’autres démocraties dotées de l’arme nucléaire se conforment au même niveau de débat public sur leur dissuasion actuelle et future, que ce soit en commission ou dans l’hémicycle.
Vous êtes revenu sur la singularité française en matière de doctrine et de conception de la dissuasion nucléaire. Merci pour cette remarque, qui laisse voir combien la France a pris du temps pour déployer sa dissuasion nucléaire – ce qui n’est pas sans difficulté dans la vie politique actuelle, très largement dictée par le temps court.
D’abord, elle s’est lancée dans l’aventure technologique nucléaire seule contre tous – nous y reviendrons lorsque nous évoquerons l’Otan et la décision du général de Gaulle d’en quitter le commandement intégré en 1966 –, et pour cause : la situation n’était pas tout à fait la même qu’à l’heure actuelle. Souvenons-nous comment le secrétaire à la défense américain de l’époque, Robert McNamara, à chaque réunion ministérielle de l’Otan, faisait part à Pierre Messmer de l’opposition des États-Unis d’Amérique et d’autres à l’obtention par la République française du statut de puissance dotée.
Après l’aventure technologique est venue, si j’ose dire, celle de la suffisance et de la permanence de celle-ci – c’est-à-dire de la capacité, pour l’armée de l’air, la marine et, à l’époque, l’armée de terre, à mettre en œuvre la dissuasion nucléaire à tout moment, y compris pendant les épisodes très divers que le pays a connus au cours de la guerre froide.
Et puis, vous avez eu raison de le souligner, le président Mitterrand a pris à propos des essais nucléaires des décisions que le président Chirac a ensuite mises en œuvre ou adaptées, et dont nous aurons l’occasion d’évoquer les effets en Polynésie. Vous savez qu’en tant qu’ancien ministre des outre-mer, ce dossier me tient à cœur et que j’ai eu l’occasion, dans le cadre de ces fonctions, de prendre quelques décisions en matière de transparence.
L’histoire de la dissuasion est donc marquée d’une empreinte spécifiquement française. Je vous remercie de l’avoir souligné, car si l’on peut s’opposer à cette particularité, il importe de la garder à l’esprit si l’on entend traiter cette question sérieusement.
Ensuite, les deux amendements d’appel déposés par les députés du groupe La France insoumise sont relativement compliqués à appréhender, dans la mesure où la rédaction proposée par leurs auteurs ne s’inscrit pas dans une temporalité de court ou de moyen terme, mais nous incite à nous projeter. Je m’efforcerai de le faire avec vous, avec toutes les contraintes qui s’imposent à un ministre des armées s’exprimant en séance publique et dans le respect du secret défense.
D’après la doctrine française – car, comme le député Roussel l’a souligné, la France applique certainement une des doctrines les plus lisibles au monde – de dissuasion, cette dernière, pour faire très bref, doit être défensive, strictement suffisante et capable de causer des dommages inacceptables à la partie adverse. J’ajouterai volontiers un quatrième critère. Elle doit être souveraine ! Son caractère souverain coule de source. Il figure dans la grammaire ! Le caractère souverain de la dissuasion est acquis et n’est pas remis en cause, mais il ne figure pas dans la doctrine. À strictement parler, cette dernière prévoit la défense des intérêts vitaux, un usage défensif, un caractère strictement suffisant et avec un ultime avertissement pour rétablir la dissuasion. Voilà les éléments de doctrine tels qu’ils ont été réaffirmés au fil du temps, un quinquennat ou un septennat après l’autre, au long d’une construction de nature quasiment géologique, itérative et incrémentale, chaque chef d’État étant venu préciser la doctrine applicable. Celle-ci, bien que plus lisible que dans beaucoup d’autres pays, garde des parts de flou : ce dernier, comme vous l’avez vous-mêmes rappelé de nombreuses fois en commission, fait partie intégrante de la grammaire de la dissuasion.
Le fait de réfléchir à la dissuasion de demain ou d’après-demain pose une première difficulté, consistant à savoir si elle sera nucléaire ou non. Vous suggérez, dans la rédaction proposée, d’envisager le cas d’une dissuasion nucléaire devenue inopérante. Si je ne peux réfuter ce raisonnement intellectuel et conceptuel, je vous invite à en revenir à la notion de dommages inacceptables : la source de la dissuasion, c’est la peur. C’est terrible, mais, de fait, l’arme nucléaire reste un outil terrifiant : c’est bien en cela qu’elle dissuade les autres compétiteurs – dont j’ai oublié de préciser qu’ils doivent, en vertu de notre doctrine, être d’origine étatique – de s’en prendre à nos intérêts vitaux. Si nous suivions votre raisonnement, nous devrions donc trouver – pour continuer de nous appuyer sur le sentiment humain de peur – quelque chose d’aussi terrifiant que l’arme nucléaire pour assurer notre dissuasion. Vous comprenez bien quels tiroirs nous ouvririons ainsi. Je me prête toutefois à l’exercice démocratique et de transparence qui consiste à envisager cette possibilité avec vous.
Le premier tiroir que nous ouvrons involontairement en ayant cette conversation est celui de la prolifération, même si cette dernière n’est pas de nature nucléaire : si la dissuasion nucléaire devient inopérante, d’autres pourraient envisager d’avoir recours à des armes biologiques, etc. Ce serait l’exact inverse de la dissuasion nucléaire telle que la France, la République, notre démocratie, l’appréhende et telle que nous venons de la décrire – vous l’aurez compris, on touche là aux limites de l’échange à voix haute.
Le deuxième tiroir ouvert par l’amendement – et c’est pour cette raison que j’émettrai un avis défavorable à l’ajout de ce paragraphe au rapport annexé – concerne le fait que la dissuasion repose sur son efficacité et son effectivité. Toute expression de doute, en la matière, est par essence nuisible. Exactement ! Je remercie d’ailleurs le député Roussel d’avoir indiqué, avant la suspension de vingt heures, que, bien qu’opposé à la dissuasion nucléaire, il la moderniserait tout de même s’il était aux responsabilités, dans la mesure où la dissuasion est indispensable tant que la menace existe – pour synthétiser son propos. Réfléchir au fait que la dissuasion continue de jouer son rôle est un travail à temps plein, mené par de nombreuses personnes au sein du ministère des armées. Par définition, ce travail est mené secrètement, car le contraire impliquerait que nous envisageons la possibilité de ne plus dissuader – pardon pour ce raisonnement alambiqué, mais c’est celui qu’il faut tenir.
Dernier point : avec tout le respect et l’amitié que j’ai pour le président de la commission de la défense, je me permettrai de corriger un élément de son intervention. C’est nécessaire ! L’arme nucléaire n’est pas une arme de non-emploi : elle est défensive et strictement suffisante. Nous en revenons ainsi à l’essence même de la doctrine : par définition, si un de nos compétiteurs s’en prend à nos intérêts vitaux… – je ne finis pas ma phrase, mais vous m’aurez compris. La parole est à M. Marc Le Fur. Merci, monsieur le ministre, pour cette réponse que les élus du groupe Les Républicains jugent parfaite. On est tenté d’inviter certains de vos collègues du Gouvernement, qui nous privent parfois de réponses de qualité, donnant ainsi lieu à des débats d’une autre nature, à prendre exemple sur vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs des groupes RN et LFI-NUPES.) C’est parce que c’est un ministre de qualité ! Ce doit être l’exception ! Il a été normand ! Il a de bonnes origines, même si elles ont un peu évolué au fil du temps. (Sourires.)
Je tenais à souligner que cet amendement, déposé par des députés situés très à gauche de l’échiquier politique, me semble très intéressant, même si j’y suis résolument opposé.
Pourquoi est-il très intéressant ? Parce que M. Roussel, qui n’est pas un simple député, puisqu’il exerce des responsabilités au sein d’un parti qui fait tout de même partie de notre histoire, a utilisé le terme « clef de voûte ». Je constate en outre que notre collègue Saintoul, tout en évoquant la nécessité d’un débat, ne remet pas en cause la dissuasion elle-même. Ainsi, sur une question aussi grave et fondamentale et dans une des assemblées les plus divisées que j’ai eu l’occasion de connaître, nous parvenons à des positions très proches.
Pour ma part, je m’en réjouis, d’autant que cet hommage rendu par la gauche s’adresse aux pionniers de la dissuasion. Rappelons en effet qu’à une époque, seuls les gaullistes la défendaient explicitement :… C’est vrai ! …sur les bancs de la gauche modérée, du centre et bien évidemment de l’extrême gauche, ne s’exprimaient alors que des oppositions. Cela signifie, chers collègues, qu’il faut savoir être minoritaires à l’occasion pour être très majoritaires plus tard. Absolument ! Il faut parfois attendre un peu, j’en conviens. (Sourires sur les bancs du groupe RE.) Le tout est d’avoir raison à un moment donné ! En tout état de cause, je suis résolument opposé à cet amendement, parce qu’il ne saurait exister de continuum entre la dissuasion nucléaire et les autres armements : il y a entre eux une différence majeure, totale et sensible. Merci de conclure, monsieur le député. Pour cette raison, évoquer une dissuasion autre que nucléaire n’est pas pertinent. (M. Jean-Louis Thiériot applaudit.) La parole est à M. Jean-Paul Lecoq. Un mot d’abord sur le vocabulaire utilisé : pardon, mais, à quatorze mois des Jeux olympiques de 2024, qualifier nos ennemis potentiels de « compétiteurs » me semble poser problème. Ce terme, plus souvent utilisé dans le sport, ne paraît pas adapté. Il est cependant utilisé dans la grammaire de la dissuasion. Je le sais bien. Néanmoins, au sein de l’Assemblée nationale du pays qui s’apprête à accueillir les Jeux olympiques, je préfère parler d’« ennemis potentiels ». Vous êtes plus libre que moi ! Ensuite, la doctrine du parti communiste en matière de dissuasion nucléaire, que Fabien Roussel a présentée, inclut aussi la volonté de participer activement à toutes les démarches envisageables pour éliminer l’arme nucléaire partout sur la planète. Nous avons signé le TNP, dont l’article VI prévoit le désarmement nucléaire. Ayant signé ce traité, nous devons tout mettre en œuvre pour procéder à ce désarmement. Le statu quo , que ce soit en géopolitique ou en matière nucléaire, n’est jamais satisfaisant.
Ceux qui ont inscrit l’objectif de désarmement dans le TNP ont d’ailleurs envisagé la possibilité qu’un incident ou une catastrophe survienne. Nous avons d’ailleurs, dans l’histoire de l’arme nucléaire, frôlé la catastrophe à bien des moments. À l’heure où des hackers sont capables de s’introduire dans les réseaux les plus sécurisés du monde, l’arme nucléaire devient une cible potentielle – peut-être a-t-elle d’ailleurs déjà fait l’objet d’attaques, qui ont été déjouées. À titre personnel, je préfère que cette cible n’existe pas, plutôt que de devoir imaginer qu’une catastrophe pourrait se produire un jour – sans même parler de ceux qui pourraient décider d’appuyer sur le bouton. (Les amendements identiques nos 861 et 862 ne sont pas adoptés.) (L’amendement no 165 n’est pas adopté.) Sur les amendements nos 517 et identiques, je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisi de quatre amendements identiques, nos 517, 1485, 1583 et 1591.
La parole est à M. Fabien Roussel, pour soutenir l’amendement no 517. Les termes du débat étant posés, entrons dans le vif du sujet. Lors de l’examen de la motion de rejet préalable, vous m’aviez répondu, monsieur le ministre, qu’il ne fallait pas comparer, comme je l’avais fait, le coût de cette loi de programmation militaire – 413 milliards d’euros – à d’autres dépenses, notamment sociales, qui pourraient être utiles pour les Français.
Dans son avant-propos au rapport d’information qui rassemble les auditions de la commission sur la dissuasion nucléaire, le président Gassilloud lui-même note pourtant que celle-ci représente quelque « 7 euros par mois et par Français ». C’est un coût. Il s’élève à 54 milliards pour notre pays pour la période 2024-2030, soit 21 millions d’euros par jour en 2030 contre 15 millions aujourd’hui. C’est un montant considérable, peut-être le plus élevé de toutes les dépenses d’armement. Cela mérite un grand débat afin que les Français puissent mesurer le coût de cette politique.
D’autre part, c’est une chose de dire que nous devons entretenir notre dissuasion nucléaire et faire en sorte que notre voix soit respectée parmi les puissances nucléaires. De ce point de vue, c’est vrai, pourquoi ne pas procéder à une modernisation ? Je dirai même : allons-y !
En revanche, c’est une autre chose que de vouloir accroître notre puissance nucléaire en travaillant à une nouvelle génération d’armes, de missiles comme l’ASN4G, d’avions ou de porte-avions qui seront produits demain. Je pourrais également évoquer les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de troisième génération ou encore le projet Scaf, le système de combat aérien du futur.
Nous ne partageons pas cette deuxième orientation car, au fond, elle consiste, pour la France, à s’engager non pas sur la voie de la non-prolifération, mais au contraire sur celle de l’accroissement de la puissance nucléaire. La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l’amendement no 1485. Monsieur le ministre, en matière de défense comme dans d’autres domaines, nous sommes les héritiers de toute une histoire. Vous avez rappelé la singularité de celle-ci.
Il faut aujourd’hui faire un constat : la dissuasion nucléaire est au cœur de l’organisation de notre armée et de notre politique de défense. C’est un fait, on ne peut que le reconnaître.
À présent, nous nous demandons tous comment nous projeter dans l’avenir. Nous, écologistes, estimons qu’il doit être possible de vivre, demain, dans un monde où l’arme nucléaire n’existe plus, ce qui suppose d’aller vers un désarmement multilatéral, donc de l’ensemble des puissances dotées de l’arme nucléaire.
Si le mot « non-emploi » a été utilisé, ce n’est pas pour rien. La puissance destructrice de l’arme nucléaire est tellement importante que sa force réside dans le caractère potentiel de son utilisation. C’est le principe ! Le jour où elle est utilisée, elle produit des dommages inacceptables, au niveau à la fois humain, environnemental et matériel. C’est toujours mieux qu’une guerre ! On ignore jusqu’où un tel engrenage nous mènerait, aussi bien vis-à-vis de nos amis que de nous-mêmes. Au fond, pendant la guerre froide, nous avons vécu avec l’idée qu’il était possible que l’arme nucléaire soit utilisée. Si la tension est parfois montée, elle n’a toutefois jamais été utilisée dans ce contexte. Si elle devait l’être, on ignore l’engrenage dans lequel on entrerait tout comme les destructions qui seraient occasionnées.
Selon nous, la France doit perpétuer cette tradition qui consiste à se faire le porte-parole de la paix et du désarmement. Par conséquent, tout en reconnaissant la réalité de notre politique de défense actuelle, nous devons commencer à poser des actes marquant une progression sur la voie du désarmement. La première étape, c’est l’application – réelle – des mesures du traité de non-prolifération. Que la France s’empare de cette question et passe à l’action de manière diplomatique, forte et claire. (Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES, LFI-NUPES et GDR-NUPES.) La parole est à M. Aurélien Saintoul, pour soutenir l’amendement no 1583. Monsieur le ministre, je souhaite m’associer aux propos de M. Le Fur qui vous a remercié pour la haute tenue de votre réponse. Elle s’est révélée sérieuse, exacte et rigoureuse. Son style devrait en effet inspirer vos collègues du Gouvernement.
Au nom de la rigueur historique, je ne peux pas ne pas répondre au collègue Le Fur qu’à l’origine, parmi les personnes favorables au principe de la dissuasion nucléaire, figure Pierre Mendès France, lequel siégeait plutôt de notre côté de l’hémicycle.
Je salue également le fait que, dans sa réponse, le ministre ait précisé que, d’après la doctrine française, la dissuasion nucléaire concerne les menaces étatiques. Malheureusement, on a pu lire dans certains amendements déposés par le groupe LR qu’elle pouvait aussi porter sur des menaces non étatiques, ce qui me semble poser problème.
J’en viens à l’amendement. Il vise à mettre en exergue du rapport annexé la volonté de la France – qui est manifeste, puisque nous avons signé et ratifié le TNP – d’œuvrer à la stricte application de l’article VI du TNP, lequel prévoit un désarmement négocié et, évidemment, non pas unilatéral, mais bien multilatéral. Dès lors que nous affirmons que notre système de défense repose sur la dissuasion, il est indispensable que nous ne renoncions pas pour autant à l’objectif de désarmement global que la France s’est elle-même donné. Une telle démarche correspond selon moi à une forme d’équilibre – un mot que vous avez souvent employé.
Par ailleurs, j’aimerais réagir à ce que vous avez dit concernant les solutions alternatives à la dissuasion nucléaire que nous avons exposées dans les amendements précédents – autrement dit, la dissuasion de demain. Selon vous, si notre proposition était mise en œuvre, on ouvrirait à la fois le tiroir de la prolifération et celui du doute.
D’une part, ce que vous appelez un risque de prolifération correspond en réalité à la course aux armements. Or celle-ci existe déjà – que les armes soient nucléaires ou non. S’agissant des domaines visés par nos amendements, on peut espérer que la parenthèse actuelle se referme un jour, que le droit international prévale et que l’on assiste donc à une forme de retrait.
D’autre part, votre argument relatif au doute apparaît comme un paralogisme. Cela revient en effet à considérer qu’il faudrait s’interdire d’agir maintenant… Monsieur le député, je vous remercie. …alors que l’avenir est incertain. La parole est à M. Bastien Lachaud, pour soutenir l’amendement no 1591. Monsieur le ministre, en commission, vous nous avez expliqué pendant de longues heures que la NUPES était divisée sur les questions de défense. Elle l’est ! Or, nous le voyons ici, plusieurs groupes de la NUPES ont déposé un amendement identique visant à réaffirmer que la dissuasion nucléaire est aujourd’hui – parce que nous n’avons pas le choix – la clef de voûte de notre politique de défense, mais que, dans le même temps, il est important que la France respecte ses engagements, notamment ceux qui ont été pris lors de la ratification du traité de non-prolifération, comme le fait d’agir diplomatiquement en faveur d’un désarmement multilatéral s’agissant du nucléaire.
On pourrait nous rétorquer que ce n’est pas le bon moment, car le risque nucléaire n’a jamais été aussi grand qu’aujourd’hui, qu’il a atteint son summum. Or, précisément, les Américains et les Soviétiques ont décidé de commencer à discuter juste après la crise des fusées de Cuba parce qu’ils savaient que le monde était passé tout près – à quelques secondes – de la destruction.
Pour la même raison, nous devons prendre aujourd’hui une initiative en faveur du désarmement. Car la France est le seul pays doté de l’arme nucléaire qui soit en mesure de tenir ce discours. Nous sommes la seule nation dont le passé est marqué par l’indépendance, l’autonomie, ce qui nous permet de nous adresser à l’ensemble des nations du monde pour leur dire qu’il est temps d’avancer ensemble.
Évidemment, notre pays n’a pas le potentiel destructeur des États-Unis et de la Russie, voire de la Chine, précisément parce que nous avons adopté le principe de la stricte suffisance. Par conséquent, la France ne doit pas être le premier pays à désarmer, mais c’est elle qui doit prendre l’initiative diplomatique en ce sens. D’ailleurs, quelles démarches notre pays a-t-il entreprises en la matière dans la période actuelle ? Depuis combien de temps n’a-t-il pas appelé les autres dirigeants du monde à désarmer ? Nous devons le faire. Il y va de l’honneur de notre nation. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.) Quel est l’avis de la commission ? La France respecte totalement ses engagements internationaux. Je ne répéterai pas ce qui a déjà été dit par le président Gassilloud, mais je pourrais citer le format de la dissuasion, en cohérence avec le principe de la stricte suffisance évidente, l’abandon des composantes terrestres ou encore le démantèlement irréversible de ses anciens sites de production de matières fissiles pour les armes et de ses anciens sites d’essais nucléaires. Je n’y reviendrai pas.
J’aimerais simplement réagir aux propos du président Roussel à propos du coût du nucléaire, qu’il s’agisse des sous-marins… Il n’est pas président ! C’est pour bientôt ! C’est vrai, il est secrétaire national. Excusez-moi ! (Sourires)
Je comprends votre argument. Cependant, ces coûts sont obligatoires, sinon la dissuasion n’est pas possible. Vous dites que vous êtes favorables à une rénovation de la dissuasion, mais sans l’enrichir des nouvelles technologies qui représentent un coût supplémentaire. Le problème, c’est que, dans ce cas, vous n’êtes plus dans une logique de dissuasion. La France descendrait d’un rang par rapport aux autres pays qui ne l’ont pas attendue pour monter en gamme. De mon point de vue, votre raisonnement ne tient pas debout. J’émets un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements. Quel est l’avis du Gouvernement ? Ces amendements nous invitent à poursuivre la réflexion que vous avez ouverte à propos de la place de la dissuasion nucléaire dans la défense des intérêts vitaux de notre nation et de son efficacité. Nous continuons ainsi à avoir le débat que le secrétaire national et député Roussel a réclamé tout à l’heure.
La dissuasion nucléaire est en tout cas un sujet grave, qui mérite que nous en débattions le plus calmement possible. J’espère au passage que nous garderons en mémoire la séance de ce soir. Il faudrait demander à nos équipes de vérifier mais, à mon avis, cela fait en effet très longtemps que n’avait pas eu lieu un débat d’une telle sensibilité sur ce sujet. Je vous remercie pour vos mots, mais nous savons bien qu’un tel exercice – le débat intellectuel et politique noble – se pratique à plusieurs. C’est bien, les débats ! Je distinguerai les propos que vous avez tenus ce soir de ce qui est écrit dans vos amendements identiques. On peut lire dans ces derniers : « Afin d’œuvrer à une paix durable, la France doit engager l’élaboration d’une stratégie de dissuasion non nucléaire […]. »
Je ne peux évidemment pas donner un avis favorable… Sagesse, dans ce cas ! Non, pas sur des amendements qui laissent penser que notre dissuasion ne dissuade pas. C’est en tout cas ainsi que je comprends cette phrase.
Dans un souci de transparence vis-à-vis de l’ensemble des bancs, je préviens que j’émettrai un avis défavorable sur ces amendements ainsi que sur la plupart de ceux qui suivront, jusqu’au no 1435 de Mme Chatelain, qui prévoit d’inscrire dans le rapport annexé les engagements de la France en matière de non-prolifération. En effet, la lutte contre la prolifération fait partie de la doctrine française. Cet amendement bien écrit et équilibré se réfère au droit international, puisqu’il mentionne un traité sur lequel la France s’est déjà engagée. C’est la première fois qu’une LPM mentionnerait une telle démarche. La parole est à Mme Stéphanie Galzy. Protéger et garantir notre dissuasion nucléaire tout en agissant diplomatiquement dans l’objectif d’une future non-prolifération n’est pas incompatible. Les nouveaux dangers qui nous menacent et qui menacent la paix doivent nous encourager à maintenir notre capacité de dissuasion nucléaire, et ce sans la partager ni l’abandonner ni la céder. C’est bien ainsi que la France restera un acteur essentiel dans le concert des nations, un pays que l’on écoute et qui participe à l’équilibre mondial par sa dissuasion et en retrouvant une pleine et entière souveraineté. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.) La parole est à Mme Anna Pic. Au nom du groupe Socialistes et apparentés, j’indique que nous nous abstiendrons sur ces amendements. Nous respectons les engagements du TNP et tenons à le rappeler. Mais, comme le souligne l’amendement no 1435, monsieur le ministre, si notre pays tient absolument à poursuivre les engagements qu’il a pris lorsqu’il a signé le TNP, les temps actuels ne nous paraissent pas propices à une action beaucoup plus active de sa part dans ce domaine, et il faut bien envisager d’autres formes d’action extrêmement dangereuses et contre lesquelles la dissuasion nucléaire ne pourra nous protéger : je pense notamment aux cyberattaques qui pourraient demain provoquer des drames, ce qui suppose de travailler à d’autres formes de dissuasion. Sans remettre en cause le traité de non-prolifération nucléaire, une réflexion doit donc se poursuivre autour de la question de la dissuasion nucléaire. La parole est à M. Aurélien Saintoul. Nos deux amendements évoquent certes l’idée d’une dissuasion alternative et donc non nucléaire, mais vous aurez compris, monsieur le ministre, qu’il s’agissait d’amendements de repli permettant d’articuler la projection dans le temps, que nous soumettions ainsi à votre réflexion, avec l’idée d’une alternative à la dissuasion actuelle, sans que cette nouvelle stratégie empêche de poursuivre la concrétisation de nos obligations dans le domaine du désarmement. C’est la raison pour laquelle les deux aspects de la question sont liés, peut-être de façon malhabile selon vous, mais il était intéressant, au moins pour le débat, de montrer comment ils pouvaient s’articuler. Au sein du groupe LFI-NUPES, nous nous inscrivons dans une logique de désarmement, mais nous sommes lucides et nous savons bien que celui-ci ne se réalisera pas d’un claquement de doigts et qu’il faut donc proposer une stratégie qui comporte pour les États dotés la possibilité de se savoir protégés quoi qu’il arrive.
S’agissant du concept de stricte suffisance, qui a été évoqué tout à l’heure, je voudrais vous apporter, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon témoignage. J’ai eu la chance de rencontrer à Hiroshima au mois de janvier dernier une hibakusha , une très vieille dame bien sûr, qui m’a dit (Rires et exclamations sur les bancs du groupe RN) … Je pense que le sort des hibakushas ne devrait pas susciter l’hilarité, même si je ne m’attends à rien de digne de la part de l’extrême droite. C’est en effet incroyable ! Cette dame, alors que je lui expliquais la doctrine française, reposant notamment sur le principe de stricte suffisance, a eu un mot d’une naïveté qui continue à me faire réfléchir : « Mais, monsieur, si vous avez 300 ogives et que vous appelez cela de la stricte suffisance, c’est que ce sont des normes techniques, oubliant que la technique devrait obéir au politique. » Je soumets cette phrase au débat. Je connais l’importance des raisons techniques en ce domaine, j’ai rencontré des industriels et des militaires qui me l’ont expliquée, mais je trouve que ces raisons méritent aussi d’être questionnées d’un autre point de vue, ne serait-ce que par le biais de cette phrase pleine de dignité et de lucidité que j’avais envie de partager avec vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) Je mets aux voix les amendements identiques nos 517, 1485, 1583 et 1591. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 173
Nombre de suffrages exprimés 168
Majorité absolue 85
Pour l’adoption 28
Contre 140 (Les amendements identiques nos 517, 1485, 1583 et 1591 ne sont pas adoptés.) Nous en venons à deux amendements identiques, nos 576 et 673.
J’annonce que je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public sur ces amendements.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Bastien Lachaud, pour soutenir l’amendement no 576. Toujours s’agissant de la doctrine de la dissuasion française, je rappelle qu’il fut un temps, pas si éloigné, où celle-ci était considérée comme le cœur souverain de notre défense, qu’il ne s’agissait pas de partager. Certains présidents ont ensuite jugé utile de prévoir qu’elle puisse l’être avec nos alliés européens. Mais ces derniers bénéficient déjà, dans le cadre de l’Otan, du bouclier nucléaire américain. Qu’ont-ils alors besoin d’une double protection ?
Vous dites, monsieur le ministre, que l’important, c’est la crédibilité de notre dissuasion et donc qu’il n’y ait pas de doute sur la définition de nos intérêts vitaux ; mais à trop l’élargir cette définition, ne crée-t-on pas un doute, augmentant ainsi une incertitude qui finira par empêcher le doigt de presser le bouton, ce qui rendrait la dissuasion inopérante ? Ne devrions-nous pas en rester à une définition plus stricte, et donc plus nationale, de nos intérêts vitaux ? Cela ne veut pas dire abandonner nos alliés européens qui, je le répète, sont de toute façon défendus dans le cadre de l’Otan par le bouclier nucléaire américain, vous ne cessez de nous le rappeler, mais aussi par l’article 42 du traité de l’Union européenne qui a la même force juridique à cet égard que l’article 5 de l’Otan, fondé sur le principe de la défense en cas d’attaque.
Toutefois, cela n’implique pas forcément une riposte nucléaire, et je vois donc dans cette évolution un glissement par rapport à la doctrine qui a été élaborée par le général de Gaulle – nos amis Les Républicains ne cessent de le rappeler –, glissement qui nous inquiète. C’est pourquoi nous souhaitons, dans le cadre de cette LPM, revenir à l’essence originelle de la doctrine. (Mme Danièle Obono applaudit.) L’amendement no 673 de M. Aurélien Saintoul est défendu.
Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable, parce qu’il y a une confusion entre le partage de la dissuasion nucléaire et les intérêts vitaux qui peuvent, eux, être également européens. Quel est l’avis du Gouvernement ? Nous abordons le troisième volet qui permet, en pointillé, de poursuivre la discussion sur le fonctionnement de la dissuasion, même si nous serons davantage au cœur de la doctrine quand nous aurons des débats plus technologiques sur les contrats opérationnels en fonction des vecteurs et des équipements capacitaires.
Premièrement, il est utile de rappeler que notre pays ne participe pas à la planification nucléaire de l’Otan – vous remarquerez qu’en disant cela, je fais honneur à votre penchant pour la dialectique, qui explique sans doute votre intérêt pour la dissuasion nucléaire.
Deuxièmement, le rapporteur l’a dit, mais je vais me permettre de développer ce point en complétant la réponse que j’ai faite précédemment au député Giletti au sujet de la notion de souveraineté. Le vocabulaire relatif à la dissuasion nucléaire étant très codifié, il importe d’être précis : il n’y a pas de partage dans l’usage de cette dissuasion, et il en est ainsi depuis les années soixante. On l’espère bien ! C’est la deuxième raison qui justifie l’avis défavorable du Gouvernement. Je rappelle au passage que cette absence de partage est l’un des motifs – je fais un peu d’histoire, puisque le député Le Fur nous y a invités – pour lesquels plusieurs familles politiques se sont longtemps opposées à cette dissuasion voulue par les gaullistes, en majorité relative entre 1958 et 1962. En effet, les centristes voulaient qu’elle soit partagée sous la forme d’un bouton européen, alors que d’autres suivaient les ordres venus de Moscou et que d’autres encore, notamment à l’extrême droite, s’opposaient systématiquement au général de Gaulle, peu importe ce qu’il proposait.
Il est donc vrai que la dissuasion nucléaire a pris du temps à être acceptée au cours des années soixante – même si, cela a été rappelé ici, Pierre Mendès France avait créé dès la décennie précédente l’embryon de la DAM, la direction des applications militaires. Il est vrai qu’il avait été membre du gouvernement du général de Gaulle et qu’au lendemain de la Libération, les Résistants se disaient : « Plus jamais juin 1940 » – comme d’autres ont pu se dire quelques années plus tard : « Plus jamais l’humiliation de Suez ».
Troisièmement, je suis tout à fait opposé à ce que nos intérêts vitaux soient d’une manière ou d’une autre encadrés, parce que la force de notre modèle de dissuasion – et j’ai en effet bien compris que vos amendements étaient d’appel et visaient à susciter à nouveau un débat sur le sujet –, c’est qu’ils ne le sont pas. Sinon, ce serait un des moyens de l’affaiblir, de l’amoindrir. Bien sûr, un président de la République, et lui seul selon la logique de notre système institutionnel, pourrait en décider autrement et souhaiter clarifier cette notion d’intérêts vitaux dans les grammaires de la dissuasion et de la diplomatie, s’il l’estimait nécessaire en tant que chef des armées et chef de la diplomatie. Sans aller beaucoup plus loin dans la démonstration, je rappelle que quand les présidents Chirac, Sarkozy et Hollande, puis le président Macron, ont dit que nos intérêts vitaux avaient nécessairement une dimension européenne, cela n’a jamais signifié que l’usage de la dissuasion devait être partagé au niveau européen, mais qu’ils estimaient que la sécurité de la France peut aussi se mesurer en fonction de ce qui peut se passer autour. Je n’en dirai pas plus parce que c’est aussi la force de la dissuasion que de ne pas en dire plus sur ce que sont les intérêts vitaux.
Pour l’ensemble de ces raisons, j’émets un avis défavorable. La parole est à M. Hervé de Lépinau. Tout d’abord, je rappelle qu’il n’y a pas ici une extrême droite :… Elle est pire qu’ailleurs ! Vous savez saluer, vous ! …il y a une droite patriote (Exclamations sur divers bancs) , une droite gaulliste ou gaullienne, mais en tout état de cause, il y a une droite qui aime la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Vous qui êtes un homme courtois et précis, monsieur le ministre, je pense que vous pouvez l’entendre.
Ensuite, je note que, une fois n’est pas coutume, ces deux amendements de la NUPES sont très intéressants, car ils renvoient aux principes. Aujourd’hui, on a politiquement et au niveau national une interrogation : que va faire M. Macron après 2027, puisqu’il sera un jeune retraité ? Pour notre part, nous avons cru comprendre que devenir le premier président d’une Europe fédérale ne lui déplairait pas ; or, pour ce faire, il faut bien qu’il transmette des éléments de souveraineté à cette entité supranationale qu’est l’Union européenne. Il verrait bien ainsi notre siège au Conseil de sécurité de l’ONU transféré à l’Union européenne…
Et puis il y a notre dissuasion. Je souligne qu’elle fait partie de notre souveraineté, qu’elle constitue même le cœur de notre protection, et que les contribuables français l’ont financée depuis des décennies, contrairement aux autres contribuables de l’actuelle Union européenne. Ma foi, apporter un tel joyau dans la corbeille de mariage serait du plus bel effet… Nous pensons donc qu’il est prudent d’inscrire dès à présent dans le marbre de la loi que la dissuasion nucléaire ne se partage pas. (Mêmes mouvements.) La parole est à M. Jean-Paul Lecoq. Je n’appellerai jamais un joyau une arme capable de détruire des millions de personnes en même temps. Jamais. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et Écolo-NUPES.)
Monsieur le ministre, sur les intérêts vitaux, on vous suit, car on comprend qu’il ne soit pas question de donner la liste des cibles dont l’atteinte vaudrait dissuasion. Par contre, on ne peut pas vous suivre quand vous proposez de mettre autant d’argent dans la modernisation de l’arme nucléaire, parce que cela revient en fait à la rendre plus efficace, donc encore plus meurtrière. Plus dissuasive. Plus dissuasive, dites-vous, mais au regard du TNP, cela revient à de la prolifération. Et c’est bien pourquoi la mise en œuvre de ce traité n’avance pas sur le plan du désarmement : les pays dotés font de la surenchère en investissant régulièrement dans l’arme nucléaire. On a évoqué les années « Ni Pershing, ni SS-20 », mais comment cela a-t-il abouti à un relatif désarmement ? Pourquoi a-t-on abandonné le plateau d’Albion ? C’est parce que l’opinion publique s’était saisie de la question de l’arme nucléaire – et vous avez raison, monsieur le ministre : c’est bien qu’elle suive aujourd’hui ce débat.
Il y avait dans les années 1970 et 1980 de nombreuses manifestations dont le mot d’ordre était « Ni Pershing, ni SS-20 », et tout le monde avait compris que l’arme nucléaire était capable de détruire la planète et l’humanité tout entière. Vous oubliez qu’il y avait l’URSS ! Il ne faut jamais l’oublier : l’arme nucléaire est capable de détruire la planète ! (Exclamations sur les bancs du groupe RE.) Vous pouvez moderniser notre force tout en la réduisant dans le cadre du traité, ce que nous vous invitons à faire. Mais, compte tenu du flou qui entoure les sommes en jeu, dont je veux bien entendre qu’il s’agit d’un flou stratégique, nous ne pouvons pas vous suivre. La parole est à M. le ministre. Monsieur Lecoq, la modernisation ne s’apparente pas à de la prolifération ; ce n’est pas vrai, je ne peux pas laisser dire ça. Disons que vous ne voulez pas l’admettre ! Ensuite, il a été entendu, lors de mes échanges avec M. Roussel, que l’argent mis sur la table ne servait pas à durcir la dissuasion, mais à la maintenir à niveau pour qu’elle demeure dissuasive. Je vous ai donné des exemples précis, notamment celui de la discrétion acoustique ; sans pouvoir en dire beaucoup plus, je vous parle là d’une réalité qui nécessite de l’argent, tout comme en demande la vétusté de l’actuelle génération de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Tous les vingt ou trente ans commence un nouveau cycle, et vous examinez actuellement la LPM qui va amorcer le cycle des sous-marins nucléaires de troisième génération : par définition, cela exige des investissements, et je ne veux pas qu’on entretienne le flou sur cette question.
Merci de ce que vous dites sur les intérêts vitaux – j’y reviendrai dans un instant. Quoi qu’il en soit, je réaffirme ici devant vous, au nom du Gouvernement de la République et au nom du chef des armées, le Président de la République, qu’il n’y a pas de modification de la doctrine. Mieux, comme je le disais tout à l’heure, à partir de l’amendement no 1435 de Mme Châtelain, nous allons reprendre les engagements sur la non-prolifération et les intégrer au rapport annexé.
Monsieur de Lépinau, quand j’ai parlé des députés d’extrême droite, je parlais de ceux qui s’en prenaient aux gaullistes en 1960. Si vous le prenez pour vous, c’est qu’au fond vous vous sentez les héritiers de ceux-là, et au moins les choses sont claires ! (Protestations sur les bancs du groupe RN. – Applaudissements sur les bancs du groupe RE .) Il me semble avoir fait preuve, depuis le début de nos discussions, à la fois d’ouverture, de calme et de sérieux, mais je ne veux pas de caricatures ! L’extrême droite a combattu le général de Gaulle et ses gouvernements ; elle s’est opposée à la première loi de programmation militaire en 1960, puis, en 1964, à celle qui a installé la dissuasion nucléaire que vous prétendez défendre aujourd’hui ! (Mêmes mouvements.) Alors, pas de faux procès, pas de faux-semblants, pas de caricatures ! (Les députés du groupe RE se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Dem, SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.) Je ne fais pas de procès d’intention, mais on ne revoit pas l’histoire quand cela nous arrange !
Vous souhaitez encadrer ce que sont nos intérêts vitaux, comme vous l’avez laissé entendre en vous exprimant sur les amendements de MM. Lachaud et Saintoul. Or, précisément, l’un des héritages du général de Gaulle, jamais remis en cause par aucun de ses successeurs depuis 1962 et l’élection du président de la République au suffrage universel, a été de ne pas encadrer ces intérêts vitaux et de ne pas en faire une notion à la portée limitée. Vous entendez voter, par un scrutin public que vous avez demandé, en faveur d’amendements de La France insoumise qui affaiblissent l’héritage du général de Gaulle : eh bien, allez-y ! Au moins, les choses seront claires. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.) Absolument !
La parole est à M. Bastien Lachaud, pour un rappel au règlement.
Sur le fondement de l’article 54, alinéa 5, monsieur le président. C’est un sujet d’importance. Nous parlons des intérêts vitaux de la nation depuis maintenant une heure et avons un débat de très haut niveau, grâce aux orateurs qui s’expriment sur l’ensemble des bancs. Je pense qu’il serait utile que vous autorisiez tous les groupes qui le souhaitent à s’exprimer sur cet amendement, de manière que l’Assemblée soit pleinement éclairée
(« Non ! » sur divers bancs)
sur un sujet essentiel nécessitant l’engagement de plusieurs milliards au cours des prochaines années.
Merci de votre conseil, mais nous allons continuer comme nous avons commencé.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 576 et 673.
(Il est procédé au scrutin.)
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 187
Nombre de suffrages exprimés 186
Majorité absolue 94
Pour l’adoption 68
Contre 118 (Les amendements identiques nos 576 et 673 ne sont pas adoptés.) Sur l’amendement no 65, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Caroline Colombier, pour soutenir l’amendement no 55. C’est un amendement rédactionnel. Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Je ne le trouve pas si rédactionnel que ça, car il change légèrement le sens de la phrase. Sur un sujet comme la dissuasion, je préfère en rester à la rédaction initiale. C’est donc un avis défavorable ou une demande de retrait. (L’amendement no 55 est retiré.) La parole est à Mme Caroline Colombier, pour soutenir l’amendement no 65. Cet amendement reprend le dispositif de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir la force de dissuasion nucléaire, que notre groupe avait déposée.
Pour que la France puisse assurer son rôle de puissance d’équilibre et garantir la sécurité de ses intérêts au regard des menaces qui pèsent sur elle, elle dispose de cette capacité de dissuasion, devenue avec le temps un outil indispensable pour peser et porter avec crédibilité la voix et l’influence de la France sur la scène internationale.
Pourtant, cet outil indispensable fait, depuis de nombreuses années, l’objet de remises en cause et de contestations – même si l’on constate ce soir quelques progrès de la part de la gauche, longtemps bloquée sur un logiciel d’un autre âge. Certains trouvent la force de dissuasion nucléaire trop coûteuse ; d’autres rêvent d’un partage idéaliste et fantasmé au sein d’une Europe de la défense ; les idéologues de l’écologie, enfin, voient dans la dissuasion une menace pour le climat.
Il nous paraît donc indispensable, puisque nous sommes tous d’accord sur ce point, d’inscrire dans la loi, que « l’organisation, la gestion et la mise en condition d’emploi de la dissuasion ne peuvent faire l’objet d’aucun abandon, d’aucune cession ni d’aucun partage ». (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. Le rapport annexé n’a pas vocation à servir de doctrine d’emploi pour la dissuasion nucléaire. Quel est l’avis du Gouvernement ? En matière de dissuasion, on doit être le plus précis possible. Vous vous référez à l’organisation : il n’y a aucun doute sur ce point – la comparaison avec la Grande-Bretagne est inutile pour montrer que c’est bien une spécificité française ; il en va de même pour la gestion ; en revanche, en ce qui concerne la mise en condition d’emploi, on en revient à la doctrine et aux intérêts vitaux, et votre formulation en la matière n’a rien de précis. C’est donc, là encore, un avis défavorable. Nous parlons d’un sujet sur lequel on ne peut se permettre d’être bavard. La parole est à M. Aurélien Saintoul. Je saisis l’occasion de revenir sur mon amendement précédent pour vous répondre, monsieur le ministre. Il ne s’agissait pas de définir les intérêts vitaux, mais plutôt d’évoquer la notion de partage. J’avais compris. Si le mot même de partage ne figurait pas dans l’amendement, l’idée a été évoquée et elle est dans l’air, y compris en Europe. Pour notre part, elle nous conduit aussi à rappeler que nous ne souscrivons pas à la croyance en un « parapluie nucléaire » – même si c’est un problème qui concerne davantage les autres nations que la nôtre, c’est une question à laquelle il faut réfléchir quand on est membre d’une alliance comme l’Otan.
J’ajoute que cette idée du partage a notamment été évoquée outre-Rhin et que depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, la question est posée des risques pesant sur le financement de la dissuasion nucléaire. Il était donc normal d’évoquer le sujet, sans qu’il s’agisse pour nous de chercher à circonscrire les intérêts vitaux de la nation.
Pour le reste, l’amendement du RN est imprécis, vous l’avez bien dit. La parole est à Mme Caroline Colombier. L’amendement pourrait être conservé sans la mention de la mise en condition d’emploi, car je maintiens qu’il est important de préciser que la cession ou le partage ne sont pas envisageables. La parole est à M. le ministre. Il me semble que le débat a été tranché dès le départ, avec l’adoption de notre modèle. C’est intéressant, car les propos du député Saintoul sur la doctrine conduisent plus loin encore que là où nous sommes. En effet, qui dit parapluie parle d’une autre doctrine, en l’occurrence développée par les Américains. Et là, on change d’emblée d’univers, puisqu’on parle d’armes prépositionnées dans les autres pays. Nous aurons l’occasion d’évoquer le Scaf, mais pourquoi croyez-vous que nos amis allemands achètent aussi des avions américains ? Tout simplement parce que ce sont eux qui peuvent transporter la bombe. Oui ! Les choses sont claires, et il faut le dire. Au regard du système de la « double clef », ce qui fait la lisibilité de notre doctrine nucléaire depuis le début, c’est qu’elle est intrinsèquement souveraine. Elle ne se partage pas, elle n’est pas cessible. C’est bien de le réaffirmer ! On ne doit pas laisser planer le doute là-dessus, et c’est clairement écrit dans la LPM : cela résulte de la rédaction des dispositions relatives aux contrats et de la manière dont sont structurées la force océanique stratégique (Fost), les forces aériennes stratégiques (FAS) et la force aéronavale nucléaire (Fanu). En tout état de cause, il suffit de comparer avec la dissuasion américaine pour voir que nos deux organisations n’obéissent pas à la même logique.
On en revient une fois de plus à l’élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962, à la répartition des compétences en matière de défense, à ce qui, aux termes du code de la défense nationale, définit qui assure et assume le contrôle des armes au sein du Gouvernement – notamment votre serviteur. Tout est lié ! Tout ceci figure clairement dans la loi, si bien qu’à trop vouloir être bavard sur la dissuasion, on finit par dessiner en creux des sous-jacents étranges.
En la matière, je suis un peu le gardien du temple, ce qui explique – et vous m’en excuserez – que je me sois tout à l’heure un peu agacé sur la question des intérêts vitaux, parce que je ne veux pas qu’on les encadre.
De même, l’incessibilité participe intrinsèquement de notre modèle de dissuasion depuis 1960, et nos débats, dont je vous remercie pour leur qualité, montrent que de l’ensemble de vos bancs s’élève le souhait unanime que cela demeure ainsi. C’est une bonne chose. Je mets aux voix l’amendement no 65. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 184
Nombre de suffrages exprimés 183
Majorité absolue 92
Pour l’adoption 50
Contre 133 (L’amendement no 65 n’est pas adopté.) Je suis saisi de six amendements, nos 153, 674, 1145, 1445, 1438 et 166, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 153, 674, 1145 et 1445 sont identiques.
La parole est à M. Hubert Julien-Laferrière, pour soutenir l’amendement no 153. Par cet amendement, nous proposons que la France rejoigne le traité sur l’interdiction des armes nucléaires, le Tian – en tant qu’observateur, je le précise.
On le répète depuis hier : parmi les neuf puissances nucléaires, il en est qui représentent une menace grandissante. À cet égard, sans doute certains d’entre vous connaissent-ils les travaux de l’université de Chicago, notamment l’horloge de la fin du monde, the Doomsday Clock , qui permet de montrer que l’apocalypse nucléaire marquant la fin du monde n’a jamais été aussi proche puisque, si la fin du monde survient à minuit, il était, en janvier dernier, vingt-trois heures cinquante-huit.
Face à cette menace qui s’approche, on nous répondra dissuasion. Mais l’escalade doit-elle être le seul horizon que nous puissions offrir à nos sociétés et aux générations futures ? Toujours plus d’escalade, toujours plus d’argent public, pour aboutir, peut-être, à une catastrophe nucléaire ?
Nous considérons que la France doit être à l’avant-garde des puissances nucléaires et devenir membre observateur du Tian, pour favoriser un désarmement qui, évidemment, ne soit pas unilatéral. Nous sommes conscients qu’il est encore d’actualité de déclarer que « les pacifistes sont à l’ouest et les missiles sont à l’Est », mais par ce traité sur l’interdiction des armes nucléaires, qui n’est pas en contradiction avec le TNP – il le complète –, la France doit montrer la voie vers un autre horizon que l’escalade nucléaire.
J’ajoute que le Tian comporte un volet important d’assistance humanitaire, lequel oblige à mieux indemniser les victimes d’essais nucléaires. La question concerne évidemment la France, qui a opéré des essais dans le Sahara algérien et en Polynésie. La parole est à M. Aurélien Saintoul, pour soutenir l’amendement no 674. Vous avez ici une nouvelle démonstration de l’entente au sein de la NUPES, monsieur le ministre : ce sont des amendements identiques issus de nos groupes que vous avez devant vous. Et les Socialistes ? Il s’agit de demander que la France adhère au Tian en tant que membre observateur. Ce faisant, le pays honorerait d’une certaine façon sa signature du TNP, qui l’engage à prendre de bonne foi toutes les initiatives en vue d’un désarmement.
Il ne s’agit pas de reconnaître dès à présent une obligation de désarmement unilatéral, vous l’aurez bien compris. Et pour appuyer la pertinence de ce devoir moral que nous nous imposerions, je citerai, comme je l’ai fait en commission, l’exemple de l’Allemagne, qui n’a pas rechigné à se présenter à la première conférence d’examen du Tian, tout comme l’ont fait de nombreux autres États croyant en la dissuasion nucléaire pour s’être placés sous le parapluie états-unien. Ces pays ont ainsi choisi de ne pas balayer d’un revers de main cette initiative de la société civile internationale, le Tian étant le fruit de l’action de l’Ican – campagne internationale pour abolir les armes nucléaires.
Nous estimons qu’il est désormais possible de porter un œil bienveillant sur cette initiative. Il nous semble même qu’il serait dangereux pour la position française de continuer, comme le Gouvernement l’a fait ces dernières années, de faire pression sur nos amis et alliés, en leur demandant de contester la légitimité de la stratégie de l’Ican. Nous nous isolerions en continuant d’agir de la sorte et nous nous montrerions arrogants, pour ne pas dire hautains à l’égard des États non dotés. Il faut que nous fassions ce geste de compréhension à l’égard de la société civile internationale. Merci, monsieur Saintoul. Je le répète, il ne s’agit pas d’aller vers un désarmement unilatéral, mais d’adresser un signe d’ouverture. La parole est à M. Christophe Bex, pour soutenir l’amendement no 1145. Si notre modèle de dissuasion est opérant dans le champ actuel des relations internationales, il ne doit pas nous empêcher d’imaginer un monde débarrassé des armes de destruction massive. La France, en tant que membre observateur du traité sur l’interdiction des armes nucléaires, pourrait contribuer aux travaux conduits par les signataires et à leurs avancées.
Nous ne pouvons évidemment pas mettre un terme à la dissuasion en l’absence d’un processus multilatéral de désarmement nucléaire : disposer d’un arsenal atomique représente à l’heure actuelle une garantie pour la sécurité des Français et des Françaises. Nous pouvons néanmoins renforcer notre engagement dans l’ensemble des processus internationaux visant à établir des relations pacifiées. Cette démarche est en adéquation avec notre vision du rôle international de la France : elle doit promouvoir une conception universelle et non dévoyée des droits humains au service de la paix.
Nous aspirons à travailler à un monde plus juste dans lequel les rapports entre les différentes nations seraient fondés sur la coopération ; un monde dans lequel quelques États ne jouiraient pas d’une sécurité supérieure aux autres parce qu’ils disposent d’un arsenal atomique. Allons plus loin et œuvrons pour une LPM du XXIe siècle. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.) La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l’amendement no 1445. Si vous l’autorisez, monsieur le président, je dépasserai légèrement mes deux minutes de temps de parole (Protestations sur quelques bancs) , mais je défendrai aussi par anticipation mon amendement no 1438. Je vous en prie. Tout d’abord, je rejoins les trois interventions précédentes et je tiens à insister sur l’importance du geste que représenterait l’adhésion de la France au Tian en tant que membre observateur. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, notre pays a toujours eu une position et une voix singulières en matière de dissuasion. En définitive, nous prolongerions cette histoire en accomplissant ce geste alors que nous sommes un pays doté pour lequel la dissuasion nucléaire – cela a été dit dès le début du débat – occupe une place très importante. Ce serait la marque forte de notre engagement en vue d’une interdiction multilatérale des armes nucléaires, dont la dangerosité a aussi été rappelée.
Car s’il s’agit d’un outil de défense qui peut nous donner le sentiment d’être protégés, c’est aussi une crainte et un danger pour l’ensemble de l’humanité. Avancer dans la perspective d’un désarmement reviendrait au fond à prendre en compte la sécurité humaine dans son ensemble. C’est bien dans cette logique de recherche et de maintien de la paix que la France pourrait devenir observatrice. Pour le groupe Écologiste-NUPES, il s’agit de la solution la plus pertinente.
Toutefois, si cette perspective devait être rejetée, nous proposons que, sous l’égide de l’ONU, la France amorce des discussions avec l’ensemble des États dotés ainsi que ses partenaires européens, en vue de la signature du Tian : c’est l’objet de l’amendement no 1438. Dit autrement, si vous estimez qu’un poste d’observateur représenterait un marqueur trop important, commençons de simples négociations. Nous le savons, c’est lors des plus fortes tensions que nous avons obtenu des avancées en matière de dénucléarisation de nos armées. Je le répète, une autre possibilité serait de nous placer sous l’égide de l’ONU et de lancer des discussions, y compris avec les États dotés, pour entrer dans une trajectoire de sortie des armes nucléaires. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Écolo-NUPES et LFI-NUPES.) Madame la présidente Chatelain, je considère que l’amendement no 1438, que vous venez de présenter, est défendu.
La parole est à M. Fabien Roussel, pour soutenir l’amendement no 166. Il y a quelques jours, devant le mémorial de la paix d’Hiroshima, monument dédié aux victimes des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, l’ensemble des représentants des pays du G7 se sont recueillis. Le communiqué final de cette réunion indique que la France et les autres membres du G7 s’engagent à « approfondir les efforts de désarmement et de non-prolifération visant à atteindre l’objectif ultime d’un monde sans armes nucléaires ». Le Président de la République française a donc signé en faveur de « l’objectif ultime d’un monde sans armes nucléaires ».
Je rêve d’une France et d’une République française qui passerait de la parole aux actes. Je rêve d’un président de la République, peut-être en 2027 (M. Christophe Barthès s’exclame) , qui prendrait la tête de ce combat et qui ferait le tour des puissances nucléaires pour leur demander de s’engager dans le désarmement et de participer en tant qu’observateurs au traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
Des pays européens, certains étant même membres de l’Union européenne, y participent déjà en tant qu’observateurs : je pense à l’Allemagne, à la Finlande, à la Norvège, à la Suède, à la Suisse. Deux grands pays comme le Brésil et l’Indonésie ont également fait le choix d’y adhérer en tant qu’observateurs. Ce serait l’honneur de la France d’emprunter le même chemin, ce qui ne remettrait pas en cause la dissuasion nucléaire comme pilier de notre défense.
J’espère que ce sera aussi notre choix et qu’il sera inscrit dans le projet de loi de programmation militaire. Quel est l’avis de la commission sur les six amendements en discussion commune ? Le Tian n’est pas compatible avec l’approche réaliste et progressive du désarmement nucléaire de la France, laquelle suppose de tenir compte de l’environnement stratégique. J’émets donc un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements. La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Je souhaite dire un dernier mot sur la dissuasion. Pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées tout à l’heure, la France est exemplaire en matière de désarmement et respecte totalement ses engagements dans le cadre du TNP, traité qui la définit comme l’un des cinq États dotés d’armes nucléaires.
Le TNP a été signé par 191 États et sauf erreur de ma part, seuls quatre pays ont refusé d’y adhérer.
Le Tian me semble totalement inadapté au contexte sécuritaire international. La Russie emploie une rhétorique nucléaire agressive, la Chine prévoit de doubler son arsenal nucléaire, tandis que l’Iran et la Corée du Nord représentent des menaces. Ainsi, non seulement le Tian est incompatible avec ce contexte, mais il fragilise même le TNP. Il n’a été signé que par soixante-huit États et il bloque la possibilité d’avancer de bonne foi vers le désarmement.
Enfin, à qui ce Tian s’adresse-t-il ? Uniquement aux démocraties occidentales, où le débat est possible. S’adresse-t-il à la Chine ou à la Russie ? Sûrement pas. Si nous y adhérions en tant que membre observateur, nous nous exposerions au chantage nucléaire des démocraties occidentales. Je le répète, non seulement cela nous affaiblirait, mais j’estime sincèrement que cela ne contribuerait pas à la progression de bonne foi vers un désarmement. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements ? Nous poursuivons le débat engagé depuis vingt et une heure trente sur la dissuasion nucléaire, et nous voyons bien que les choses doivent être très équilibrées. Nous avons commencé nos discussions en nous entendant sur le fait qu’un désarmement unilatéral de la France ne saurait être envisagé. Peut-être n’est-ce pas un acquis, mais je garde cet élément en mémoire pour le relier à ma réponse sur ces amendements. Nous nous sommes ensuite interrogés sur l’avenir de la dissuasion : je n’y reviens pas. Puis nous avons abordé la notion d’intérêts vitaux et celle de souveraineté technologique.
S’agissant maintenant du Tian, commençons par ne pas banaliser le statut d’observateur, chose qui m’a frappé dans vos interventions. Vous dites qu’il serait important, pour un pays comme le nôtre, d’y adhérer, mais ce pas serait en réalité si important qu’il reviendrait à mettre le doigt dans un engrenage, en l’occurrence celui consistant à entamer un désarmement unilatéral : soyons clairs. Les mots ont un sens : un traité d’interdiction, quand vous y adhérez vous-même, cela commence à ressembler à du désarmement unilatéral, madame et messieurs les députés. Pas en tant qu’observateur ! Si, ne banalisez pas le statut d’observateur.
De plus, le président de la commission de la défense a raison de le dire, eu égard au contexte que nous connaissons : tout signal, y compris émanant du Parlement, qui donnerait l’impression que nous ne croyons pas en notre capacité à dissuader nos compétiteurs – veuillez me pardonner, monsieur Lecoq, mais il s’agit de l’expression consacrée dans la grammaire de la dissuasion – serait un mauvais signal.
Cela a été rappelé de nombreuses fois, la France est exemplaire dans le domaine nucléaire, mais avancer dans la voie qui mène à un traité d’interdiction, même en tant qu’observateur, constituerait le début du commencement d’un virage vers le désarmement unilatéral,… Absolument ! …que vous le vouliez ou non – et je ne mets pas en cause votre bonne foi.
Vous souhaitez une démarche multilatérale mais, lorsque nous examinons un projet de loi de programmation militaire définissant le format des armées françaises et notre action internationale, vous proposez de nous engager progressivement sur le chemin qui mène au désarmement unilatéral. Nous le refusons.
Je demande le retrait de ces six amendements ; à défaut l’avis du Gouvernement sera défavorable. Être exemplaire ne veut pas dire s’affaiblir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – Mme Sophie Mette applaudit également.) La parole est à M. Jean-Louis Thiériot. Je suis impressionné par le sens du timing de tous ceux qui ont défendu ces amendements. Oui ! Alors que l’Ukraine est sous les bombes, nous avons besoin de profiter de l’ambiguïté entourant la notion d’intérêts vitaux pour que les Russes soient conscients que certains franchissements de seuil pourraient mettre en péril leurs ambitions. Ah ! Notre dissuasion contribue à cette ambiguïté. À cet égard, le cardinal de Retz ne disait-il pas qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment ?
Et vous, au moment précis où nos armes nucléaires sont plus que jamais utiles, vous proposez que nous rejoignions le Tian !
J’écoutais notre collègue Roussel, notre camarade qui, avec l’héritage de l’URSS et de ses missiles, nous disait avoir le rêve qu’en 2027 lui ou ses amis soient au pouvoir. Oui ! Mais ce rêve est un cauchemar ! Bien sûr, c’est l’anti-France ! On connaît ce discours. L’escalade dont parlait M. Julien-Laferrière, c’est vous ! Si demain nous ne disposons plus de la dissuasion, que nous restera-t-il ? Une dissuasion conventionnelle. Il ne nous faudra alors pas consacrer 2 % du PIB à la défense, mais 3, 4 ou 5 % du PIB, comme le font les Polonais.
Le moment est venu de se souvenir des propos de François Mitterrand, qui, bien que venant de la gauche, avait repris à son compte l’héritage du général de Gaulle : « Le pacifisme est à l’Ouest et les euromissiles sont à l’Est. » (Applaudissements sur les bancs des groupes LR et HOR, ainsi que sur quelques bancs du groupe Dem.) La parole est à M. Jean-Paul Lecoq. Notre collègue a bien fait de parler de la guerre en Ukraine car la dissuasion nucléaire ne l’a pas empêchée. (Exclamations sur quelques bancs du groupe RE.) L’Ukraine a abandonné ses armes nucléaires il y a plus de vingt-cinq ans ! Je n’étais pas d’accord avec M. Thiériot, mais je l’ai écouté. Je ne devrais pas avoir à le rappeler, monsieur le président.
Nous allons tous sur les marchés pour discuter avec les gens. Souvenez-vous de ce qu’ils avaient en tête l’année dernière, au moment où la Russie envahissait l’Ukraine. Ils pensaient alors à la bombe atomique russe et disaient leur effroi de voir une puissance nucléaire déclencher une guerre. C’est l’héritage communiste ! Je me souviens avoir rencontré des gens terrorisés et notamment des jeunes, qui voyaient leurs rêves et leur espoir dans l’avenir être menacés par cette guerre. On a vite oublié ce moment-là !
Je constate par ailleurs qu’il existe des États dotés de l’arme atomique, qui sont d’ailleurs tous opposés au Tian, et des États qui n’en sont pas dotés, car, en théorie, le droit international leur interdit de détenir cette arme. Au nom de quoi certains États peuvent-ils bénéficier de la dissuasion nucléaire et d’autres ne le peuvent-ils pas ? Au nom de quoi la défense de leur pays coûterait-elle moins cher aux Français, grâce à la dissuasion nucléaire, alors que d’autres doivent financer une défense conventionnelle plus coûteuse ? Comment justifier une telle inégalité ?
Un monde pacifié ne pourra voir le jour que par une collaboration d’égal à égal. Il nous faut solder l’héritage de la deuxième guerre mondiale et abandonner la bombe atomique. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES, ainsi que sur quelques bancs des groupes SOC et Écolo-NUPES.) (Les amendements identiques nos 153, 674, 1145 et 1445 ne sont pas adoptés.) (Les amendements nos 1438 et 166, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) Je vous informe que, sur l’amendement no 1333, je suis saisi par le groupe Renaissance d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Mélanie Thomin, pour soutenir cet amendement. Notre politique de dissuasion nucléaire est d’abord la garantie de la paix sur l’ensemble du territoire national et, nous voulons le réaffirmer ce soir, sur l’ensemble du territoire européen. Pour préserver nos intérêts vitaux dans le monde actuel, la dissuasion est nécessaire.
Nous saluons les engagements de la France en matière de réduction des armements nucléaires et nous rappelons qu’elle s’est donné des obligations en la matière. Les réflexions sur le désarmement exprimées ce soir par nos collègues nous semblent particulièrement légitimes. Elles rejoignent celles de militants de ma circonscription, qui ont manifesté ces dernières semaines face à la base de l’île Longue, sur les processus de désarmement nucléaire. Nous devons être attentifs à leur message, qui peut alimenter nos débats.
Le groupe Socialistes et apparentés est favorable à l’idée qu’une stratégie garantissant la paix n’est pas immorale. Une telle stratégie pourra nous permettre, à terme, de nous passer de l’arme nucléaire. Toutefois, le contexte international actuel ne nous autorise aucune faiblesse.
Nous avons pu entendre ce soir plusieurs références historiques – notre collègue Thiériot vient d’évoquer le président Mitterrand. Je souhaite pour ma part rappeler les propos que le président Hollande a tenus en 2015 dans un discours prononcé à Istres : « Le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé. » Il avait également affirmé dans ce même discours que la dissuasion « n’a pas sa place dans le cadre d’une stratégie offensive, elle n’est conçue que dans une stratégie défensive ». Vous l’avez d’ailleurs rappelé, monsieur le ministre. Merci, madame la députée. Par cet amendement, nous souhaitons réaffirmer notre crédibilité en matière de dissuasion. Je suis saisi de deux demandes de scrutin public : l’une sur l’amendement no 1435, à la demande du groupe Renaissance, et l’autre sur l’amendement no 504, à la demande du groupe Rassemblement national.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement no 1333 ? La crédibilité est le fondement même de notre dissuasion. Avis favorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Je vous remercie pour votre intervention, madame Thomin. Elle rappelle l’histoire politique de votre groupe parlementaire au cours de la Ve République et notamment le travail important accompli par le président Mitterrand au début des années 1980 pour amener une partie de la gauche à adhérer à la doctrine défensive de la dissuasion nucléaire.
Votre amendement est limpide. La crédibilité est un des mots-clés de notre doctrine. Avis favorable. Plusieurs d’entre vous demandent à prendre la parole pour défendre les positions favorable, défavorable ou abstentionniste. Pour défendre l’abstention, la parole est à M. Fabien Roussel. Ce qu’il ne faut pas faire ! Si vous êtes contre ou pour, je ne pourrai plus donner la parole à un autre orateur du même avis. Voilà à quoi nous en sommes réduits pour bénéficier de deux modestes minutes afin de nous exprimer sur un sujet aussi important et sur un amendement pour lequel le groupe Renaissance a demandé un scrutin public !
Que mettons-nous derrière le mot « crédibilité » ? On peut en même temps y mettre tout et n’importe quoi, beaucoup et peu.
La puissance explosive de la bombe larguée sur Hiroshima était de 20 kilotonnes. Elle a provoqué la mort de toutes les personnes qui se trouvaient dans une zone de 1 kilomètre carré autour du point d’impact ainsi que des dégâts irréversibles dans une zone de plusieurs dizaines de kilomètres carrés, avec des conséquences constatées pendant des décennies, qui persistent encore aujourd’hui. Nos têtes nucléaires ont aujourd’hui une puissance de 100 kilotonnes et les missiles M45 et M51 peuvent en porter six chacun, soit une puissance de frappe mille fois supérieure à celle de la bombe d’Hiroshima. On peut donc se demander si notre dissuasion nucléaire n’est pas déjà assez crédible.
Nous entendons et je l’ai d’ailleurs déjà dit, qu’il faut l’entretenir afin qu’elle conserve son efficacité et son poids dissuasif, mais pourquoi le projet de loi prévoit-il de renforcer les têtes nucléaires afin qu’elles soient plus efficaces et plus meurtrières ? Le fait que nos bombes soient mille fois plus puissantes que celle d’Hiroshima amène à s’interroger, non pas sur la crédibilité, mais sur le choix de renforcer notre arsenal nucléaire. Cette ambiguïté explique notre abstention, que nous avons décidée sans malice, monsieur le ministre. La parole est à M. Aurélien Saintoul. Je souhaite répondre à notre collègue Thiériot, qui s’est dit impressionné. Il lui en faut peu ! Il nous montre encore une fois qu’à un débat serein et raisonné, tel que nous l’avons mené jusqu’à présent, il préfère la caricature. C’est d’autant plus regrettable qu’il a déposé un amendement grâce auquel, selon lui, nous pourrions éradiquer Daech avec l’arme nucléaire. Cet amendement, qui contredit la doctrine nucléaire française dans sa pureté, n’est pas à la hauteur de nos débats.
Il nous a aussi gratifiés de son savoir encyclopédique en matière de citations littéraires, mais, que je sache, le cardinal de Retz n’était pas partisan de la dissuasion nucléaire, pas plus qu’il n’était fin connaisseur de sa grammaire.
L’amendement de nos collègues du groupe Socialistes me semble un peu superfétatoire puisque les textes faisant autorité en la matière ne dissocient pas la notion de crédibilité de celle de dissuasion. Nous soutenons cette logique : l’une ne peut exister sans l’autre. La parole est à M. Yannick Chenevard. Nous avons tous ici conscience de l’horreur qu’est l’utilisation de l’arme nucléaire. Certains ont d’ailleurs rappelé les conséquences de l’explosion à Hiroshima d’une bombe de 15 kilotonnes. Cette conscience de l’horreur fait partie de la dissuasion : le nucléaire dissuade parce qu’il est horrible.
On trouve dans certains des propos tenus depuis tout à l’heure du Chamberlain et du Daladier. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) Eh oui ! Ces propos manifestent un esprit positif et pacifiste. Il faut y faire attention, car cet esprit ne fait pas gagner une guerre et risque de faire disparaître la nation. Prenons-y garde ! Notre collègue communiste a évoqué l’Ukraine : qui peut imaginer un instant qu’elle aurait été attaquée par les Russes si elle avait refusé de se séparer de son arsenal nucléaire en 1992 ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.) Je mets aux voix l’amendement no 1333. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 177
Nombre de suffrages exprimés 127
Majorité absolue 64
Pour l’adoption 123
Contre 4 (L’amendement no 1333 est adopté.) La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l’amendement no 1435. Il vient sans doute clôturer les presque deux heures de débat de ce soir sur la dissuasion nucléaire, question extrêmement importante pour notre politique de défense. Je voudrais souligner, comme l’ont fait de nombreux collègues, la qualité de ces échanges.
Au cours de ce débat, la NUPES a démontré sa volonté commune et constante de tracer un chemin vers la paix afin de construire un monde où l’arme nucléaire ne serait plus nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
L’Assemblée s’est prononcée sur nos nombreux amendements. J’espère que celui-là fera l’objet d’un accord, pour lequel, monsieur le ministre, vous avez d’ailleurs ouvert la porte. Il vise en effet à rappeler l’engagement de la France à respecter les obligations qu’elle s’est données en ratifiant le traité de non-prolifération des armes nucléaires. Ce traité est très important, car il a donné du temps aux diplomates et aux responsables politiques pour poursuivre une démarche de désarmement, que nous souhaitons amplifier.
L’inscription de ces obligations pour la première fois dans le rapport annexé d’une loi de programmation militaire serait un symbole fort qui rappellerait l’importance que nous accordons à la parole de la France concernant le TNP. Quel est l’avis de la commission ? La France respecte toujours les traités qu’elle signe. Je m’interroge donc sur la nécessité de le rappeler dans le rapport annexé. Avis de sagesse. Quel est l’avis du Gouvernement ? Ce sujet pourrait également pourrait faire l’unanimité. La voix française s’exprime à travers les engagements internationaux concernant la non-prolifération, pris dans le passé par notre pays après avoir été débattus dans cet hémicycle. Ceux-ci sont désormais acceptés par tout le monde, en tout cas par le Gouvernement. J’émets un avis favorable.
Ne sous-estimons pas la force symbolique d’un tel amendement, moins vain que certains autres dont nous débattons pourtant longtemps pour quelques mots. Certes, il n’apporte pas de nouveauté du point de vue du droit, mais faire figurer clairement dans un document de nature militaire le respect du traité de non-prolifération permet d’affirmer la cohérence de la dissuasion nucléaire, outre celle de notre diplomatie.
Cet amendement permet ainsi d’achever ce cycle de deux heures de débat sur la dissuasion nucléaire et montre bien au fond, que ce n’est pas tant l’unité entre les membres de la NUPES qu’il faut trouver (Sourires) que celle entre les Françaises et les Français, au service de la sécurité de la nation. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et HOR.) La parole est à M. Bastien Lachaud. C’est justement l’unité de la NUPES qui permet d’aboutir à celle de la nation. (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES ainsi que sur plusieurs bancs des groupes SOC et Écolo-NUPES.)
Monsieur le ministre, au-delà ce point, je salue votre réponse. Votre avis favorable confirme que ce sont dans les périodes de crise, où les tensions sont les plus extrêmes, que les grandes démocraties doivent réaffirmer leur attachement au droit international et à leur volonté de désarmement. (M. Emmanuel Fernandes applaudit.) Il importe de le dire et de faire figurer cette mention dans le projet de LPM, en mandatant ainsi l’exécutif pour mener les négociations prévues dans le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Ainsi, celui-ci ne sera pas seulement une incantation, mais l’incarnation de la volonté, que j’espère la plus large possible, d’aller vers un indispensable désarmement. C’est, répétons-le, la force de la démocratie de le rappeler en période de crise. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Écolo-NUPES.) La parole est à M. Laurent Jacobelli. Le groupe Rassemblement national s’abstiendra, car, selon nous, écrire que la France respectera ses traités est une lapalissade. Cela signifierait qu’en l’absence d’une telle mention, elle ne les respecterait pas. On créerait une suspicion que nous ne pouvons tolérer.
En outre, parce que le diable se cache souvent chez vous dans les détails, j’ai lu l’exposé sommaire de l’amendement. Celui-ci précise l’objectif que vous gardez en tête : en finir avec la dissuasion nucléaire. J’espère que vous aussi, à terme ! Pour notre part, nous croyons à la dissuasion nucléaire, nous croyons que plus nous assumons son renforcement, plus elle fait peur, mieux elle nous protège. Tous les signaux qui laisseraient penser que nous doutons, que l’opinion publique la rejette, sont autant de coups de canif portés à son efficacité.
Nous nous abstiendrons sur cet amendement – nous ne saurions voter contre, puisque nous voulons bien évidemment que la France respecte les traités qu’elle a signés. Et les traités européens, comptez-vous aussi les respecter ? Je mets aux voix l’amendement no 1435. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 174
Nombre de suffrages exprimés 127
Majorité absolue 64
Pour l’adoption 116
Contre 11 (L’amendement no 1435 est adopté.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES, ainsi que sur quelques bancs du groupe RE.) La parole est à M. Frank Giletti, pour soutenir l’amendement no 504.
Nombre de votants 187
Nombre de suffrages exprimés 186
Majorité absolue 94
Pour l’adoption 68
Contre 118 (Les amendements identiques nos 576 et 673 ne sont pas adoptés.) Sur l’amendement no 65, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Caroline Colombier, pour soutenir l’amendement no 55. C’est un amendement rédactionnel. Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Je ne le trouve pas si rédactionnel que ça, car il change légèrement le sens de la phrase. Sur un sujet comme la dissuasion, je préfère en rester à la rédaction initiale. C’est donc un avis défavorable ou une demande de retrait. (L’amendement no 55 est retiré.) La parole est à Mme Caroline Colombier, pour soutenir l’amendement no 65. Cet amendement reprend le dispositif de la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir la force de dissuasion nucléaire, que notre groupe avait déposée.
Pour que la France puisse assurer son rôle de puissance d’équilibre et garantir la sécurité de ses intérêts au regard des menaces qui pèsent sur elle, elle dispose de cette capacité de dissuasion, devenue avec le temps un outil indispensable pour peser et porter avec crédibilité la voix et l’influence de la France sur la scène internationale.
Pourtant, cet outil indispensable fait, depuis de nombreuses années, l’objet de remises en cause et de contestations – même si l’on constate ce soir quelques progrès de la part de la gauche, longtemps bloquée sur un logiciel d’un autre âge. Certains trouvent la force de dissuasion nucléaire trop coûteuse ; d’autres rêvent d’un partage idéaliste et fantasmé au sein d’une Europe de la défense ; les idéologues de l’écologie, enfin, voient dans la dissuasion une menace pour le climat.
Il nous paraît donc indispensable, puisque nous sommes tous d’accord sur ce point, d’inscrire dans la loi, que « l’organisation, la gestion et la mise en condition d’emploi de la dissuasion ne peuvent faire l’objet d’aucun abandon, d’aucune cession ni d’aucun partage ». (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. Le rapport annexé n’a pas vocation à servir de doctrine d’emploi pour la dissuasion nucléaire. Quel est l’avis du Gouvernement ? En matière de dissuasion, on doit être le plus précis possible. Vous vous référez à l’organisation : il n’y a aucun doute sur ce point – la comparaison avec la Grande-Bretagne est inutile pour montrer que c’est bien une spécificité française ; il en va de même pour la gestion ; en revanche, en ce qui concerne la mise en condition d’emploi, on en revient à la doctrine et aux intérêts vitaux, et votre formulation en la matière n’a rien de précis. C’est donc, là encore, un avis défavorable. Nous parlons d’un sujet sur lequel on ne peut se permettre d’être bavard. La parole est à M. Aurélien Saintoul. Je saisis l’occasion de revenir sur mon amendement précédent pour vous répondre, monsieur le ministre. Il ne s’agissait pas de définir les intérêts vitaux, mais plutôt d’évoquer la notion de partage. J’avais compris. Si le mot même de partage ne figurait pas dans l’amendement, l’idée a été évoquée et elle est dans l’air, y compris en Europe. Pour notre part, elle nous conduit aussi à rappeler que nous ne souscrivons pas à la croyance en un « parapluie nucléaire » – même si c’est un problème qui concerne davantage les autres nations que la nôtre, c’est une question à laquelle il faut réfléchir quand on est membre d’une alliance comme l’Otan.
J’ajoute que cette idée du partage a notamment été évoquée outre-Rhin et que depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, la question est posée des risques pesant sur le financement de la dissuasion nucléaire. Il était donc normal d’évoquer le sujet, sans qu’il s’agisse pour nous de chercher à circonscrire les intérêts vitaux de la nation.
Pour le reste, l’amendement du RN est imprécis, vous l’avez bien dit. La parole est à Mme Caroline Colombier. L’amendement pourrait être conservé sans la mention de la mise en condition d’emploi, car je maintiens qu’il est important de préciser que la cession ou le partage ne sont pas envisageables. La parole est à M. le ministre. Il me semble que le débat a été tranché dès le départ, avec l’adoption de notre modèle. C’est intéressant, car les propos du député Saintoul sur la doctrine conduisent plus loin encore que là où nous sommes. En effet, qui dit parapluie parle d’une autre doctrine, en l’occurrence développée par les Américains. Et là, on change d’emblée d’univers, puisqu’on parle d’armes prépositionnées dans les autres pays. Nous aurons l’occasion d’évoquer le Scaf, mais pourquoi croyez-vous que nos amis allemands achètent aussi des avions américains ? Tout simplement parce que ce sont eux qui peuvent transporter la bombe. Oui ! Les choses sont claires, et il faut le dire. Au regard du système de la « double clef », ce qui fait la lisibilité de notre doctrine nucléaire depuis le début, c’est qu’elle est intrinsèquement souveraine. Elle ne se partage pas, elle n’est pas cessible. C’est bien de le réaffirmer ! On ne doit pas laisser planer le doute là-dessus, et c’est clairement écrit dans la LPM : cela résulte de la rédaction des dispositions relatives aux contrats et de la manière dont sont structurées la force océanique stratégique (Fost), les forces aériennes stratégiques (FAS) et la force aéronavale nucléaire (Fanu). En tout état de cause, il suffit de comparer avec la dissuasion américaine pour voir que nos deux organisations n’obéissent pas à la même logique.
On en revient une fois de plus à l’élection du président de la République au suffrage universel direct en 1962, à la répartition des compétences en matière de défense, à ce qui, aux termes du code de la défense nationale, définit qui assure et assume le contrôle des armes au sein du Gouvernement – notamment votre serviteur. Tout est lié ! Tout ceci figure clairement dans la loi, si bien qu’à trop vouloir être bavard sur la dissuasion, on finit par dessiner en creux des sous-jacents étranges.
En la matière, je suis un peu le gardien du temple, ce qui explique – et vous m’en excuserez – que je me sois tout à l’heure un peu agacé sur la question des intérêts vitaux, parce que je ne veux pas qu’on les encadre.
De même, l’incessibilité participe intrinsèquement de notre modèle de dissuasion depuis 1960, et nos débats, dont je vous remercie pour leur qualité, montrent que de l’ensemble de vos bancs s’élève le souhait unanime que cela demeure ainsi. C’est une bonne chose. Je mets aux voix l’amendement no 65. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 184
Nombre de suffrages exprimés 183
Majorité absolue 92
Pour l’adoption 50
Contre 133 (L’amendement no 65 n’est pas adopté.) Je suis saisi de six amendements, nos 153, 674, 1145, 1445, 1438 et 166, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 153, 674, 1145 et 1445 sont identiques.
La parole est à M. Hubert Julien-Laferrière, pour soutenir l’amendement no 153. Par cet amendement, nous proposons que la France rejoigne le traité sur l’interdiction des armes nucléaires, le Tian – en tant qu’observateur, je le précise.
On le répète depuis hier : parmi les neuf puissances nucléaires, il en est qui représentent une menace grandissante. À cet égard, sans doute certains d’entre vous connaissent-ils les travaux de l’université de Chicago, notamment l’horloge de la fin du monde, the Doomsday Clock , qui permet de montrer que l’apocalypse nucléaire marquant la fin du monde n’a jamais été aussi proche puisque, si la fin du monde survient à minuit, il était, en janvier dernier, vingt-trois heures cinquante-huit.
Face à cette menace qui s’approche, on nous répondra dissuasion. Mais l’escalade doit-elle être le seul horizon que nous puissions offrir à nos sociétés et aux générations futures ? Toujours plus d’escalade, toujours plus d’argent public, pour aboutir, peut-être, à une catastrophe nucléaire ?
Nous considérons que la France doit être à l’avant-garde des puissances nucléaires et devenir membre observateur du Tian, pour favoriser un désarmement qui, évidemment, ne soit pas unilatéral. Nous sommes conscients qu’il est encore d’actualité de déclarer que « les pacifistes sont à l’ouest et les missiles sont à l’Est », mais par ce traité sur l’interdiction des armes nucléaires, qui n’est pas en contradiction avec le TNP – il le complète –, la France doit montrer la voie vers un autre horizon que l’escalade nucléaire.
J’ajoute que le Tian comporte un volet important d’assistance humanitaire, lequel oblige à mieux indemniser les victimes d’essais nucléaires. La question concerne évidemment la France, qui a opéré des essais dans le Sahara algérien et en Polynésie. La parole est à M. Aurélien Saintoul, pour soutenir l’amendement no 674. Vous avez ici une nouvelle démonstration de l’entente au sein de la NUPES, monsieur le ministre : ce sont des amendements identiques issus de nos groupes que vous avez devant vous. Et les Socialistes ? Il s’agit de demander que la France adhère au Tian en tant que membre observateur. Ce faisant, le pays honorerait d’une certaine façon sa signature du TNP, qui l’engage à prendre de bonne foi toutes les initiatives en vue d’un désarmement.
Il ne s’agit pas de reconnaître dès à présent une obligation de désarmement unilatéral, vous l’aurez bien compris. Et pour appuyer la pertinence de ce devoir moral que nous nous imposerions, je citerai, comme je l’ai fait en commission, l’exemple de l’Allemagne, qui n’a pas rechigné à se présenter à la première conférence d’examen du Tian, tout comme l’ont fait de nombreux autres États croyant en la dissuasion nucléaire pour s’être placés sous le parapluie états-unien. Ces pays ont ainsi choisi de ne pas balayer d’un revers de main cette initiative de la société civile internationale, le Tian étant le fruit de l’action de l’Ican – campagne internationale pour abolir les armes nucléaires.
Nous estimons qu’il est désormais possible de porter un œil bienveillant sur cette initiative. Il nous semble même qu’il serait dangereux pour la position française de continuer, comme le Gouvernement l’a fait ces dernières années, de faire pression sur nos amis et alliés, en leur demandant de contester la légitimité de la stratégie de l’Ican. Nous nous isolerions en continuant d’agir de la sorte et nous nous montrerions arrogants, pour ne pas dire hautains à l’égard des États non dotés. Il faut que nous fassions ce geste de compréhension à l’égard de la société civile internationale. Merci, monsieur Saintoul. Je le répète, il ne s’agit pas d’aller vers un désarmement unilatéral, mais d’adresser un signe d’ouverture. La parole est à M. Christophe Bex, pour soutenir l’amendement no 1145. Si notre modèle de dissuasion est opérant dans le champ actuel des relations internationales, il ne doit pas nous empêcher d’imaginer un monde débarrassé des armes de destruction massive. La France, en tant que membre observateur du traité sur l’interdiction des armes nucléaires, pourrait contribuer aux travaux conduits par les signataires et à leurs avancées.
Nous ne pouvons évidemment pas mettre un terme à la dissuasion en l’absence d’un processus multilatéral de désarmement nucléaire : disposer d’un arsenal atomique représente à l’heure actuelle une garantie pour la sécurité des Français et des Françaises. Nous pouvons néanmoins renforcer notre engagement dans l’ensemble des processus internationaux visant à établir des relations pacifiées. Cette démarche est en adéquation avec notre vision du rôle international de la France : elle doit promouvoir une conception universelle et non dévoyée des droits humains au service de la paix.
Nous aspirons à travailler à un monde plus juste dans lequel les rapports entre les différentes nations seraient fondés sur la coopération ; un monde dans lequel quelques États ne jouiraient pas d’une sécurité supérieure aux autres parce qu’ils disposent d’un arsenal atomique. Allons plus loin et œuvrons pour une LPM du XXIe siècle. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.) La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l’amendement no 1445. Si vous l’autorisez, monsieur le président, je dépasserai légèrement mes deux minutes de temps de parole (Protestations sur quelques bancs) , mais je défendrai aussi par anticipation mon amendement no 1438. Je vous en prie. Tout d’abord, je rejoins les trois interventions précédentes et je tiens à insister sur l’importance du geste que représenterait l’adhésion de la France au Tian en tant que membre observateur. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, notre pays a toujours eu une position et une voix singulières en matière de dissuasion. En définitive, nous prolongerions cette histoire en accomplissant ce geste alors que nous sommes un pays doté pour lequel la dissuasion nucléaire – cela a été dit dès le début du débat – occupe une place très importante. Ce serait la marque forte de notre engagement en vue d’une interdiction multilatérale des armes nucléaires, dont la dangerosité a aussi été rappelée.
Car s’il s’agit d’un outil de défense qui peut nous donner le sentiment d’être protégés, c’est aussi une crainte et un danger pour l’ensemble de l’humanité. Avancer dans la perspective d’un désarmement reviendrait au fond à prendre en compte la sécurité humaine dans son ensemble. C’est bien dans cette logique de recherche et de maintien de la paix que la France pourrait devenir observatrice. Pour le groupe Écologiste-NUPES, il s’agit de la solution la plus pertinente.
Toutefois, si cette perspective devait être rejetée, nous proposons que, sous l’égide de l’ONU, la France amorce des discussions avec l’ensemble des États dotés ainsi que ses partenaires européens, en vue de la signature du Tian : c’est l’objet de l’amendement no 1438. Dit autrement, si vous estimez qu’un poste d’observateur représenterait un marqueur trop important, commençons de simples négociations. Nous le savons, c’est lors des plus fortes tensions que nous avons obtenu des avancées en matière de dénucléarisation de nos armées. Je le répète, une autre possibilité serait de nous placer sous l’égide de l’ONU et de lancer des discussions, y compris avec les États dotés, pour entrer dans une trajectoire de sortie des armes nucléaires. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Écolo-NUPES et LFI-NUPES.) Madame la présidente Chatelain, je considère que l’amendement no 1438, que vous venez de présenter, est défendu.
La parole est à M. Fabien Roussel, pour soutenir l’amendement no 166. Il y a quelques jours, devant le mémorial de la paix d’Hiroshima, monument dédié aux victimes des bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, l’ensemble des représentants des pays du G7 se sont recueillis. Le communiqué final de cette réunion indique que la France et les autres membres du G7 s’engagent à « approfondir les efforts de désarmement et de non-prolifération visant à atteindre l’objectif ultime d’un monde sans armes nucléaires ». Le Président de la République française a donc signé en faveur de « l’objectif ultime d’un monde sans armes nucléaires ».
Je rêve d’une France et d’une République française qui passerait de la parole aux actes. Je rêve d’un président de la République, peut-être en 2027 (M. Christophe Barthès s’exclame) , qui prendrait la tête de ce combat et qui ferait le tour des puissances nucléaires pour leur demander de s’engager dans le désarmement et de participer en tant qu’observateurs au traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
Des pays européens, certains étant même membres de l’Union européenne, y participent déjà en tant qu’observateurs : je pense à l’Allemagne, à la Finlande, à la Norvège, à la Suède, à la Suisse. Deux grands pays comme le Brésil et l’Indonésie ont également fait le choix d’y adhérer en tant qu’observateurs. Ce serait l’honneur de la France d’emprunter le même chemin, ce qui ne remettrait pas en cause la dissuasion nucléaire comme pilier de notre défense.
J’espère que ce sera aussi notre choix et qu’il sera inscrit dans le projet de loi de programmation militaire. Quel est l’avis de la commission sur les six amendements en discussion commune ? Le Tian n’est pas compatible avec l’approche réaliste et progressive du désarmement nucléaire de la France, laquelle suppose de tenir compte de l’environnement stratégique. J’émets donc un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements. La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Je souhaite dire un dernier mot sur la dissuasion. Pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées tout à l’heure, la France est exemplaire en matière de désarmement et respecte totalement ses engagements dans le cadre du TNP, traité qui la définit comme l’un des cinq États dotés d’armes nucléaires.
Le TNP a été signé par 191 États et sauf erreur de ma part, seuls quatre pays ont refusé d’y adhérer.
Le Tian me semble totalement inadapté au contexte sécuritaire international. La Russie emploie une rhétorique nucléaire agressive, la Chine prévoit de doubler son arsenal nucléaire, tandis que l’Iran et la Corée du Nord représentent des menaces. Ainsi, non seulement le Tian est incompatible avec ce contexte, mais il fragilise même le TNP. Il n’a été signé que par soixante-huit États et il bloque la possibilité d’avancer de bonne foi vers le désarmement.
Enfin, à qui ce Tian s’adresse-t-il ? Uniquement aux démocraties occidentales, où le débat est possible. S’adresse-t-il à la Chine ou à la Russie ? Sûrement pas. Si nous y adhérions en tant que membre observateur, nous nous exposerions au chantage nucléaire des démocraties occidentales. Je le répète, non seulement cela nous affaiblirait, mais j’estime sincèrement que cela ne contribuerait pas à la progression de bonne foi vers un désarmement. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements ? Nous poursuivons le débat engagé depuis vingt et une heure trente sur la dissuasion nucléaire, et nous voyons bien que les choses doivent être très équilibrées. Nous avons commencé nos discussions en nous entendant sur le fait qu’un désarmement unilatéral de la France ne saurait être envisagé. Peut-être n’est-ce pas un acquis, mais je garde cet élément en mémoire pour le relier à ma réponse sur ces amendements. Nous nous sommes ensuite interrogés sur l’avenir de la dissuasion : je n’y reviens pas. Puis nous avons abordé la notion d’intérêts vitaux et celle de souveraineté technologique.
S’agissant maintenant du Tian, commençons par ne pas banaliser le statut d’observateur, chose qui m’a frappé dans vos interventions. Vous dites qu’il serait important, pour un pays comme le nôtre, d’y adhérer, mais ce pas serait en réalité si important qu’il reviendrait à mettre le doigt dans un engrenage, en l’occurrence celui consistant à entamer un désarmement unilatéral : soyons clairs. Les mots ont un sens : un traité d’interdiction, quand vous y adhérez vous-même, cela commence à ressembler à du désarmement unilatéral, madame et messieurs les députés. Pas en tant qu’observateur ! Si, ne banalisez pas le statut d’observateur.
De plus, le président de la commission de la défense a raison de le dire, eu égard au contexte que nous connaissons : tout signal, y compris émanant du Parlement, qui donnerait l’impression que nous ne croyons pas en notre capacité à dissuader nos compétiteurs – veuillez me pardonner, monsieur Lecoq, mais il s’agit de l’expression consacrée dans la grammaire de la dissuasion – serait un mauvais signal.
Cela a été rappelé de nombreuses fois, la France est exemplaire dans le domaine nucléaire, mais avancer dans la voie qui mène à un traité d’interdiction, même en tant qu’observateur, constituerait le début du commencement d’un virage vers le désarmement unilatéral,… Absolument ! …que vous le vouliez ou non – et je ne mets pas en cause votre bonne foi.
Vous souhaitez une démarche multilatérale mais, lorsque nous examinons un projet de loi de programmation militaire définissant le format des armées françaises et notre action internationale, vous proposez de nous engager progressivement sur le chemin qui mène au désarmement unilatéral. Nous le refusons.
Je demande le retrait de ces six amendements ; à défaut l’avis du Gouvernement sera défavorable. Être exemplaire ne veut pas dire s’affaiblir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE. – Mme Sophie Mette applaudit également.) La parole est à M. Jean-Louis Thiériot. Je suis impressionné par le sens du timing de tous ceux qui ont défendu ces amendements. Oui ! Alors que l’Ukraine est sous les bombes, nous avons besoin de profiter de l’ambiguïté entourant la notion d’intérêts vitaux pour que les Russes soient conscients que certains franchissements de seuil pourraient mettre en péril leurs ambitions. Ah ! Notre dissuasion contribue à cette ambiguïté. À cet égard, le cardinal de Retz ne disait-il pas qu’on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment ?
Et vous, au moment précis où nos armes nucléaires sont plus que jamais utiles, vous proposez que nous rejoignions le Tian !
J’écoutais notre collègue Roussel, notre camarade qui, avec l’héritage de l’URSS et de ses missiles, nous disait avoir le rêve qu’en 2027 lui ou ses amis soient au pouvoir. Oui ! Mais ce rêve est un cauchemar ! Bien sûr, c’est l’anti-France ! On connaît ce discours. L’escalade dont parlait M. Julien-Laferrière, c’est vous ! Si demain nous ne disposons plus de la dissuasion, que nous restera-t-il ? Une dissuasion conventionnelle. Il ne nous faudra alors pas consacrer 2 % du PIB à la défense, mais 3, 4 ou 5 % du PIB, comme le font les Polonais.
Le moment est venu de se souvenir des propos de François Mitterrand, qui, bien que venant de la gauche, avait repris à son compte l’héritage du général de Gaulle : « Le pacifisme est à l’Ouest et les euromissiles sont à l’Est. » (Applaudissements sur les bancs des groupes LR et HOR, ainsi que sur quelques bancs du groupe Dem.) La parole est à M. Jean-Paul Lecoq. Notre collègue a bien fait de parler de la guerre en Ukraine car la dissuasion nucléaire ne l’a pas empêchée. (Exclamations sur quelques bancs du groupe RE.) L’Ukraine a abandonné ses armes nucléaires il y a plus de vingt-cinq ans ! Je n’étais pas d’accord avec M. Thiériot, mais je l’ai écouté. Je ne devrais pas avoir à le rappeler, monsieur le président.
Nous allons tous sur les marchés pour discuter avec les gens. Souvenez-vous de ce qu’ils avaient en tête l’année dernière, au moment où la Russie envahissait l’Ukraine. Ils pensaient alors à la bombe atomique russe et disaient leur effroi de voir une puissance nucléaire déclencher une guerre. C’est l’héritage communiste ! Je me souviens avoir rencontré des gens terrorisés et notamment des jeunes, qui voyaient leurs rêves et leur espoir dans l’avenir être menacés par cette guerre. On a vite oublié ce moment-là !
Je constate par ailleurs qu’il existe des États dotés de l’arme atomique, qui sont d’ailleurs tous opposés au Tian, et des États qui n’en sont pas dotés, car, en théorie, le droit international leur interdit de détenir cette arme. Au nom de quoi certains États peuvent-ils bénéficier de la dissuasion nucléaire et d’autres ne le peuvent-ils pas ? Au nom de quoi la défense de leur pays coûterait-elle moins cher aux Français, grâce à la dissuasion nucléaire, alors que d’autres doivent financer une défense conventionnelle plus coûteuse ? Comment justifier une telle inégalité ?
Un monde pacifié ne pourra voir le jour que par une collaboration d’égal à égal. Il nous faut solder l’héritage de la deuxième guerre mondiale et abandonner la bombe atomique. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR-NUPES, ainsi que sur quelques bancs des groupes SOC et Écolo-NUPES.) (Les amendements identiques nos 153, 674, 1145 et 1445 ne sont pas adoptés.) (Les amendements nos 1438 et 166, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) Je vous informe que, sur l’amendement no 1333, je suis saisi par le groupe Renaissance d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Mélanie Thomin, pour soutenir cet amendement. Notre politique de dissuasion nucléaire est d’abord la garantie de la paix sur l’ensemble du territoire national et, nous voulons le réaffirmer ce soir, sur l’ensemble du territoire européen. Pour préserver nos intérêts vitaux dans le monde actuel, la dissuasion est nécessaire.
Nous saluons les engagements de la France en matière de réduction des armements nucléaires et nous rappelons qu’elle s’est donné des obligations en la matière. Les réflexions sur le désarmement exprimées ce soir par nos collègues nous semblent particulièrement légitimes. Elles rejoignent celles de militants de ma circonscription, qui ont manifesté ces dernières semaines face à la base de l’île Longue, sur les processus de désarmement nucléaire. Nous devons être attentifs à leur message, qui peut alimenter nos débats.
Le groupe Socialistes et apparentés est favorable à l’idée qu’une stratégie garantissant la paix n’est pas immorale. Une telle stratégie pourra nous permettre, à terme, de nous passer de l’arme nucléaire. Toutefois, le contexte international actuel ne nous autorise aucune faiblesse.
Nous avons pu entendre ce soir plusieurs références historiques – notre collègue Thiériot vient d’évoquer le président Mitterrand. Je souhaite pour ma part rappeler les propos que le président Hollande a tenus en 2015 dans un discours prononcé à Istres : « Le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé. » Il avait également affirmé dans ce même discours que la dissuasion « n’a pas sa place dans le cadre d’une stratégie offensive, elle n’est conçue que dans une stratégie défensive ». Vous l’avez d’ailleurs rappelé, monsieur le ministre. Merci, madame la députée. Par cet amendement, nous souhaitons réaffirmer notre crédibilité en matière de dissuasion. Je suis saisi de deux demandes de scrutin public : l’une sur l’amendement no 1435, à la demande du groupe Renaissance, et l’autre sur l’amendement no 504, à la demande du groupe Rassemblement national.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement no 1333 ? La crédibilité est le fondement même de notre dissuasion. Avis favorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Je vous remercie pour votre intervention, madame Thomin. Elle rappelle l’histoire politique de votre groupe parlementaire au cours de la Ve République et notamment le travail important accompli par le président Mitterrand au début des années 1980 pour amener une partie de la gauche à adhérer à la doctrine défensive de la dissuasion nucléaire.
Votre amendement est limpide. La crédibilité est un des mots-clés de notre doctrine. Avis favorable. Plusieurs d’entre vous demandent à prendre la parole pour défendre les positions favorable, défavorable ou abstentionniste. Pour défendre l’abstention, la parole est à M. Fabien Roussel. Ce qu’il ne faut pas faire ! Si vous êtes contre ou pour, je ne pourrai plus donner la parole à un autre orateur du même avis. Voilà à quoi nous en sommes réduits pour bénéficier de deux modestes minutes afin de nous exprimer sur un sujet aussi important et sur un amendement pour lequel le groupe Renaissance a demandé un scrutin public !
Que mettons-nous derrière le mot « crédibilité » ? On peut en même temps y mettre tout et n’importe quoi, beaucoup et peu.
La puissance explosive de la bombe larguée sur Hiroshima était de 20 kilotonnes. Elle a provoqué la mort de toutes les personnes qui se trouvaient dans une zone de 1 kilomètre carré autour du point d’impact ainsi que des dégâts irréversibles dans une zone de plusieurs dizaines de kilomètres carrés, avec des conséquences constatées pendant des décennies, qui persistent encore aujourd’hui. Nos têtes nucléaires ont aujourd’hui une puissance de 100 kilotonnes et les missiles M45 et M51 peuvent en porter six chacun, soit une puissance de frappe mille fois supérieure à celle de la bombe d’Hiroshima. On peut donc se demander si notre dissuasion nucléaire n’est pas déjà assez crédible.
Nous entendons et je l’ai d’ailleurs déjà dit, qu’il faut l’entretenir afin qu’elle conserve son efficacité et son poids dissuasif, mais pourquoi le projet de loi prévoit-il de renforcer les têtes nucléaires afin qu’elles soient plus efficaces et plus meurtrières ? Le fait que nos bombes soient mille fois plus puissantes que celle d’Hiroshima amène à s’interroger, non pas sur la crédibilité, mais sur le choix de renforcer notre arsenal nucléaire. Cette ambiguïté explique notre abstention, que nous avons décidée sans malice, monsieur le ministre. La parole est à M. Aurélien Saintoul. Je souhaite répondre à notre collègue Thiériot, qui s’est dit impressionné. Il lui en faut peu ! Il nous montre encore une fois qu’à un débat serein et raisonné, tel que nous l’avons mené jusqu’à présent, il préfère la caricature. C’est d’autant plus regrettable qu’il a déposé un amendement grâce auquel, selon lui, nous pourrions éradiquer Daech avec l’arme nucléaire. Cet amendement, qui contredit la doctrine nucléaire française dans sa pureté, n’est pas à la hauteur de nos débats.
Il nous a aussi gratifiés de son savoir encyclopédique en matière de citations littéraires, mais, que je sache, le cardinal de Retz n’était pas partisan de la dissuasion nucléaire, pas plus qu’il n’était fin connaisseur de sa grammaire.
L’amendement de nos collègues du groupe Socialistes me semble un peu superfétatoire puisque les textes faisant autorité en la matière ne dissocient pas la notion de crédibilité de celle de dissuasion. Nous soutenons cette logique : l’une ne peut exister sans l’autre. La parole est à M. Yannick Chenevard. Nous avons tous ici conscience de l’horreur qu’est l’utilisation de l’arme nucléaire. Certains ont d’ailleurs rappelé les conséquences de l’explosion à Hiroshima d’une bombe de 15 kilotonnes. Cette conscience de l’horreur fait partie de la dissuasion : le nucléaire dissuade parce qu’il est horrible.
On trouve dans certains des propos tenus depuis tout à l’heure du Chamberlain et du Daladier. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) Eh oui ! Ces propos manifestent un esprit positif et pacifiste. Il faut y faire attention, car cet esprit ne fait pas gagner une guerre et risque de faire disparaître la nation. Prenons-y garde ! Notre collègue communiste a évoqué l’Ukraine : qui peut imaginer un instant qu’elle aurait été attaquée par les Russes si elle avait refusé de se séparer de son arsenal nucléaire en 1992 ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.) Je mets aux voix l’amendement no 1333. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 177
Nombre de suffrages exprimés 127
Majorité absolue 64
Pour l’adoption 123
Contre 4 (L’amendement no 1333 est adopté.) La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l’amendement no 1435. Il vient sans doute clôturer les presque deux heures de débat de ce soir sur la dissuasion nucléaire, question extrêmement importante pour notre politique de défense. Je voudrais souligner, comme l’ont fait de nombreux collègues, la qualité de ces échanges.
Au cours de ce débat, la NUPES a démontré sa volonté commune et constante de tracer un chemin vers la paix afin de construire un monde où l’arme nucléaire ne serait plus nécessaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
L’Assemblée s’est prononcée sur nos nombreux amendements. J’espère que celui-là fera l’objet d’un accord, pour lequel, monsieur le ministre, vous avez d’ailleurs ouvert la porte. Il vise en effet à rappeler l’engagement de la France à respecter les obligations qu’elle s’est données en ratifiant le traité de non-prolifération des armes nucléaires. Ce traité est très important, car il a donné du temps aux diplomates et aux responsables politiques pour poursuivre une démarche de désarmement, que nous souhaitons amplifier.
L’inscription de ces obligations pour la première fois dans le rapport annexé d’une loi de programmation militaire serait un symbole fort qui rappellerait l’importance que nous accordons à la parole de la France concernant le TNP. Quel est l’avis de la commission ? La France respecte toujours les traités qu’elle signe. Je m’interroge donc sur la nécessité de le rappeler dans le rapport annexé. Avis de sagesse. Quel est l’avis du Gouvernement ? Ce sujet pourrait également pourrait faire l’unanimité. La voix française s’exprime à travers les engagements internationaux concernant la non-prolifération, pris dans le passé par notre pays après avoir été débattus dans cet hémicycle. Ceux-ci sont désormais acceptés par tout le monde, en tout cas par le Gouvernement. J’émets un avis favorable.
Ne sous-estimons pas la force symbolique d’un tel amendement, moins vain que certains autres dont nous débattons pourtant longtemps pour quelques mots. Certes, il n’apporte pas de nouveauté du point de vue du droit, mais faire figurer clairement dans un document de nature militaire le respect du traité de non-prolifération permet d’affirmer la cohérence de la dissuasion nucléaire, outre celle de notre diplomatie.
Cet amendement permet ainsi d’achever ce cycle de deux heures de débat sur la dissuasion nucléaire et montre bien au fond, que ce n’est pas tant l’unité entre les membres de la NUPES qu’il faut trouver (Sourires) que celle entre les Françaises et les Français, au service de la sécurité de la nation. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et HOR.) La parole est à M. Bastien Lachaud. C’est justement l’unité de la NUPES qui permet d’aboutir à celle de la nation. (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES ainsi que sur plusieurs bancs des groupes SOC et Écolo-NUPES.)
Monsieur le ministre, au-delà ce point, je salue votre réponse. Votre avis favorable confirme que ce sont dans les périodes de crise, où les tensions sont les plus extrêmes, que les grandes démocraties doivent réaffirmer leur attachement au droit international et à leur volonté de désarmement. (M. Emmanuel Fernandes applaudit.) Il importe de le dire et de faire figurer cette mention dans le projet de LPM, en mandatant ainsi l’exécutif pour mener les négociations prévues dans le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Ainsi, celui-ci ne sera pas seulement une incantation, mais l’incarnation de la volonté, que j’espère la plus large possible, d’aller vers un indispensable désarmement. C’est, répétons-le, la force de la démocratie de le rappeler en période de crise. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Écolo-NUPES.) La parole est à M. Laurent Jacobelli. Le groupe Rassemblement national s’abstiendra, car, selon nous, écrire que la France respectera ses traités est une lapalissade. Cela signifierait qu’en l’absence d’une telle mention, elle ne les respecterait pas. On créerait une suspicion que nous ne pouvons tolérer.
En outre, parce que le diable se cache souvent chez vous dans les détails, j’ai lu l’exposé sommaire de l’amendement. Celui-ci précise l’objectif que vous gardez en tête : en finir avec la dissuasion nucléaire. J’espère que vous aussi, à terme ! Pour notre part, nous croyons à la dissuasion nucléaire, nous croyons que plus nous assumons son renforcement, plus elle fait peur, mieux elle nous protège. Tous les signaux qui laisseraient penser que nous doutons, que l’opinion publique la rejette, sont autant de coups de canif portés à son efficacité.
Nous nous abstiendrons sur cet amendement – nous ne saurions voter contre, puisque nous voulons bien évidemment que la France respecte les traités qu’elle a signés. Et les traités européens, comptez-vous aussi les respecter ? Je mets aux voix l’amendement no 1435. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 174
Nombre de suffrages exprimés 127
Majorité absolue 64
Pour l’adoption 116
Contre 11 (L’amendement no 1435 est adopté.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES, ainsi que sur quelques bancs du groupe RE.) La parole est à M. Frank Giletti, pour soutenir l’amendement no 504.