Deuxième séance du jeudi 07 mars 2024
- Présidence de Mme Caroline Fiat
- 1. Professionnaliser l’enseignement de la danse en tenant compte de la diversité des pratiques
- Présentation
- Discussion générale
- Discussion des articles
- Article 1er
- M. Elie Califer
- M. Olivier Serva
- Amendements nos 5, 18, 50, 6, 33 et 58
- Suspension et reprise de la séance
- Article 2
- Amendement no 32
- Article 3
- Après l’article 3
- Amendement no 7
- Article 4
- Article 5
- Après l’article 5
- Article 6
- Article 7
- Article 8
- Suspension et reprise de la séance
- Article 9
- Après l’article 9
- Article 1er
- Explications de vote
- Vote sur l’ensemble
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Caroline Fiat
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
(La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise.)
1. Professionnaliser l’enseignement de la danse en tenant compte de la diversité des pratiques
Discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mmes Fabienne Colboc et Valérie Bazin-Malgras visant à professionnaliser l’enseignement de la danse en tenant compte de la diversité des pratiques (nos 1149, 2245).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à Mme Fabienne Colboc, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
Mme Fabienne Colboc, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation
La proposition de loi visant à professionnaliser l’enseignement de la danse en tenant compte de la diversité des pratiques a été adoptée en commission la semaine dernière. Elle s’inscrit dans la continuité d’une mission flash menée en 2021 avec ma corapporteure, Mme Valérie Bazin-Malgras. Je la remercie pour nos échanges de qualité, qui ont permis de prolonger notre collaboration et de déboucher sur cette initiative législative transpartisane.
Dans le cadre de la mission flash, qui portait sur la répartition des compétences pour la politique de la danse, nous avions présenté un ensemble de préconisations, parmi lesquelles figurait déjà celle d’étendre le diplôme d’État (DE) de professeur de danse à d’autres esthétiques qui représentent une part importante de notre patrimoine chorégraphique.
Le travail de concertation mené avec les représentants du secteur de la danse rencontrés à l’occasion de cette mission s’est poursuivi avec le ministère de la culture, la direction générale de la création artistique (DGCA) ayant été saisie par des professionnels issus de différentes disciplines chorégraphiques souhaitant que leur art soit mieux reconnu, mieux enseigné, mieux encadré et donc mieux pratiqué. Le travail de consultation entamé alors a donné lieu à une réflexion commune sur la mise en place d’un diplôme d’État repensé, dont le référentiel serait élaboré en collaboration avec les acteurs concernés.
La présente proposition de loi est le résultat direct de ces efforts. Nous espérons que ce dispositif recueillera une large adhésion et rassurera les parties prenantes car il crée des droits et sera un vecteur de reconnaissance pour de nombreux professionnels déjà engagés dans l’enseignement de la danse.
Naturellement, comme toute évolution, celle-ci suscite des inquiétudes ; elles ont notamment été exprimées lors des auditions menées ces dernières semaines auprès des diverses associations, écoles et collectifs, et nous les avons entendues. Je remercie ces acteurs pour le dialogue constructif qui s’est instauré, ainsi que les députés des différents groupes – je salue en particulier le travail de Violette Spillebout, cheffe de file du groupe Renaissance sur le sujet.
Nous avons ainsi été alertées sur la nécessité d’un travail concerté et approfondi quant aux conditions d’application du texte : nous avons relayé ces inquiétudes auprès de la ministre, qui s’est engagée à apporter un soin particulier au dialogue avec les acteurs concernés.
Les mesures d’application en cours d’élaboration au ministère de la culture devraient être de nature à rassurer les acteurs, dès lors que des conditions de dispense partielle ou totale du diplôme d’État permettront de faire valoir l’expérience déjà acquise, et que les professionnels concernés seront accompagnés pour se mettre en conformité avec les exigences nouvelles de la loi.
Il nous faut ici insister sur un point : le présent texte n’a pas pour objectif d’instrumentaliser quelque discipline artistique que ce soit, ni de brider son évolution. Il s’agit bien au contraire de renforcer la diffusion de nouvelles esthétiques et d’accompagner leur développement pour donner aux cultures auxquelles elles sont associées la reconnaissance qu’elles méritent. Cela passera par une professionnalisation encore plus poussée de leur enseignement, notamment – mais pas exclusivement – dans les établissements publics d’enseignement artistique. Cette revalorisation de la formation nous paraît importante compte tenu des publics qui suivent ces enseignements, majoritairement des jeunes et des enfants, dont il faut protéger la vulnérabilité tant physique que mentale.
Nous avons conçu cette proposition de loi pour qu’elle offre de nouveaux droits aux futurs titulaires du diplôme d’État de professeur de danse – des professionnels qui jusqu’ici ne pouvaient pas accéder à ce statut car ils ne pratiquaient pas les disciplines reconnues par la loi. L’accès au diplôme d’État leur offrira désormais la possibilité d’accéder à la fonction publique territoriale en tant qu’assistant territorial d’enseignement artistique (ATEA) – cadre d’emploi au sein des conservatoires –, ainsi que d’exercer au sein de l’enseignement supérieur en fonction des parcours. Ils bénéficieront donc de perspectives professionnelles et de possibilités de reconversion renouvelées, davantage alignées sur celles des professionnels dont la discipline est déjà reconnue dans le cadre du DE.
L’encadrement d’activités d’initiation à la danse par des professionnels de l’animation diplômés dans leur secteur ne sera pas remis en cause, tant qu’il ne s’agit pas d’enseignement à proprement parler.
Nous souhaitons également que cette proposition de loi contribue à renforcer les conditions d’honorabilité requises s’agissant de l’enseignement de la danse, ainsi qu’à rendre plus dissuasives les amendes sanctionnant les infractions relatives aux exigences de sécurité indispensables.
Enfin, avec ma collègue corapporteure, nous nous engageons à créer un groupe de travail transpartisan au sein de l’Assemblée nationale pour assurer un suivi de l’application de ce texte. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE, LR et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation
Après l’introduction générale de ma corapporteure, que je remercie pour notre excellente collaboration, je vais maintenant vous présenter un peu plus en détail le dispositif de notre proposition de loi.
L’article 1er vise à réécrire l’article L. 362-1 du code de l’éducation afin d’étendre à de nouvelles pratiques chorégraphiques l’usage du titre de professeur de danse : cette évolution constitue le cœur de la proposition de loi. Elle permettra la reconnaissance progressive de nouvelles disciplines au sein du diplôme d’État, en fonction de la structuration des filières d’enseignement existantes et de la manifestation d’une volonté des acteurs.
Cette démarche progressive devra se faire dans la plus grande transparence et la plus grande concertation : il nous reviendra, à nous parlementaires, de nous faire les observateurs attentifs de ces consultations. Il n’est pas normal que la loi contraigne des conservatoires à confier par exemple des enseignements de danse hip-hop à des enseignants diplômés dans les disciplines de danse classique, jazz, ou contemporaine, alors qu’un vivier de professionnels existe dans la discipline concernée.
Il nous faut valoriser ce vivier et le faire prospérer dans l’enseignement public comme dans les structures privées, qui ont tout à gagner à affirmer une exigence de professionnalisation. L’alignement du diplôme d’État de danse sur ceux de professeur de musique et de cirque placera le premier au niveau licence et au niveau 6 de certification professionnelle. Cette revalorisation du diplôme d’État est attendue par les acteurs du secteur et contribuera à une meilleure reconnaissance du métier de professeur de danse.
L’article 2 de la proposition de loi ne modifie pas les modalités d’accès à l’usage du titre de professeur de danse ou à l’enseignement de la danse pour les ressortissants d’un État membre de l’Union européenne ou d’un autre État ayant signé l’accord sur l’Espace économique européen (EEE), mais tend à supprimer la mention de l’application exclusive aux danses classique, contemporaine et jazz. Ainsi, il élargit l’application de ces modalités d’accès à toutes les disciplines chorégraphiques concernées par l’élargissement du diplôme d’État.
L’article 3 de la proposition de loi tend à abroger l’article L. 362-2 du code de l’éducation, qui deviendrait sans objet du fait des modifications opérées par l’article 1er de la proposition de loi.
L’article 4 prévoit l’augmentation de trois à quatre ans de la période d’exercice professionnel requise pour l’obtention de la dispense de diplôme, ce qui correspond à l’accroissement du niveau de certification prévu pour le diplôme d’État et à l’allongement de la durée d’études afférent.
Les personnes qui auront enseigné plus de quatre ans une discipline de danse jusqu’alors non encadrée par la loi et concernée par l’arrêté ministériel pris sur le fondement du nouvel article L. 362-1 pourront être dispensées de l’obtention du diplôme de professeur de danse dès lors qu’elles satisferont aux critères fixés par le ministère de la culture. Ces critères seront précisés lors de la rédaction du nouvel arrêté ministériel et devront prendre en compte les difficultés résultant de la situation sanitaire qui prévalait en 2020 et en 2021. De nombreux professionnels actuellement en activité pourront donc bénéficier, de façon totale ou partielle, de la dispense de diplôme prévue.
L’article 5 vise à renforcer les conditions d’honorabilité requises pour l’enseignement de la danse. Il reprend celles qui ont été retenues à l’article L. 212-9 du code du sport pour l’encadrement et l’enseignement du sport. Cet article a été modifié en commission par un amendement de nos collègues socialistes en vue d’une harmonisation avec la proposition de loi sur l’honorabilité dans le sport récemment adoptée par notre assemblée.
M. Arthur Delaporte
Tout à fait !
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
Les articles 6 à 9 visent à renforcer les obligations incombant aux exploitants d’établissement d’enseignement de la danse et aux professeurs, en durcissant et en élargissant les obligations en matière de travaux, en étendant les possibilités d’interdiction d’ouverture et de fermeture administrative aux cas de non-respect des obligations de diplômes et d’affichage prévues aux articles L. 462-2 et L. 462-3 du code de l’éducation et en augmentant le montant des amendes prévues à l’article L. 462-5 du code de l’éducation, de façon à les mettre en cohérence avec les dispositions du code pénal et du code du sport relatives au même sujet.
Pour conclure, je souhaite insister sur l’importance de la concertation, condition essentielle pour une application réussie de la future loi. La consultation de tous les acteurs concernés est indispensable, notamment pour élaborer les référentiels du diplôme et définir les conditions de dispense. C’est la raison pour laquelle ma corapporteure et moi-même défendrons deux amendements sur ces sujets. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RE.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Rachida Dati, ministre de la culture
La proposition de loi qui nous réunit est un texte pragmatique, qui apporte des réponses aux besoins exprimés par tout le secteur de la danse en France.
Aujourd’hui, on peut apprendre et pratiquer un grand nombre de danses, ce qui est une chance. L’État ne valorise cependant pas suffisamment cette diversité : certains enseignants – et à travers eux certaines danses – ne reçoivent pas à l’heure actuelle la reconnaissance qu’ils méritent.
Depuis plus de trente-cinq ans, la loi sur le diplôme d’État de professeur de danse permet de valoriser la formation et les compétences des danseurs et des professeurs en matière de danse classique, contemporaine et jazz. Cela contribue à l’excellence de ces filières et à leur reconnaissance, notamment au-delà de nos frontières.
Néanmoins, se limiter à ces trois styles de danse n’a plus de sens. Il est urgent de reconnaître la diversité des pratiques qui composent cet art de la danse. De nombreux Français pratiquent le hip-hop – j’espère qu’il y en a parmi vous ! (Sourires) –, la danse indienne, le flamenco ou encore la country. Derrière ces pratiques, il y a des hommes et des femmes qui transmettent ces danses sans bénéficier pour l’instant d’un statut suffisamment protecteur leur permettant de travailler dans de bonnes conditions.
La première application de cette proposition de loi – la première urgence – concerne l’enseignement du hip-hop, en particulier auprès de la jeunesse. Il ne peut y avoir de hiérarchie culturelle au sein d’un même art. Permettez-moi de rappeler, comme je l’ai fait précédemment, que les cultures urbaines participent pleinement de notre culture commune. Elles ne méritent ni mépris, ni indifférence, ni, pire encore, une appropriation culturelle cynique. La France est le deuxième marché mondial pour la musique hip-hop, qui constitue, avec la danse, la culture hip-hop. Non seulement le hip-hop fait partie intégrante du quotidien de nombreux Français, mais cet été, les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) le mettront à l’honneur pour la première fois de leur histoire avec les épreuves de breaking.
Ce texte ne vise pas à encadrer le hip-hop, qui est une danse très créative et très libre, mais à octroyer un statut à ceux qui l’enseignent. Il importe donc d’accompagner ce grand mouvement en le structurant au mieux, tout en lui permettant de conserver sa force inventive, grâce à la souplesse et à l’agilité qu’apportera ce texte. Il ne s’agit donc pas d’imposer quoi que ce soit par le haut, surtout à des professionnels qui ne nous ont pas attendus pour se structurer depuis plus de cinquante ans. Oui, mesdames et messieurs, nous parlons d’une pratique qui a désormais un demi-siècle !
Avec cette proposition de loi, nous répondons à une demande émanant du terrain. Je tiens à remercier Fabienne Colboc et Valérie Bazin-Malgras pour leur travail approfondi ; elles n’ont eu de cesse d’écouter et de rassurer les acteurs du secteur dans le but d’enrichir la proposition de loi.
Nous voici en mesure d’aider cette culture si vivante et dynamique à poursuivre son développement. Cela commence par le statut des professeurs de danse. Le cœur du problème est simple : le cadre législatif n’est tout simplement pas adapté. La loi du 10 juillet 1989 relative à l’enseignement de la danse ne prend pas en considération l’évolution et la diversité que j’ai évoquées, et ce, pour deux raisons principales.
La première tient à la santé et à la sécurité de ceux qui apprennent : le diplôme d’État généraliste ne garantit pas un niveau de protection suffisant en la matière. En 1989, on s’inquiétait de la santé des jeunes filles qui devaient monter sur leurs pointes toute la journée ; la loi a permis de prévenir les risques correspondants. Aujourd’hui, on fait faire à des jeunes des figures particulièrement acrobatiques sans aucune précaution ni formation spécifique, et sans attention à leur santé. L’extension du diplôme d’État est donc envisagée comme une garantie de précaution pour l’intégrité physique de tous les pratiquants, y compris les enseignants.
La seconde raison qui rend nécessaire l’évolution du cadre législatif tient à la reconnaissance du niveau de qualification de ceux qui enseignent. Le diplôme d’État équivaut à un niveau bac + 2 et ne permet pas d’accéder au niveau de la licence de certification professionnelle, contrairement à d’autres diplômes d’enseignement artistique – dans le cirque ou la musique, par exemple. Avec l’adoption de cette proposition de loi, le diplôme sera réévalué au niveau bac + 3 et sera ouvert à d’autres voies d’accès comme l’alternance ou l’apprentissage.
Pour finir, je voudrais insister à nouveau sur la logique de coconstruction qui a prévalu dans l’élaboration de ce texte. Nous souhaitons adapter le diplôme d’État en lien avec les professionnels de la danse. J’entends les craintes de certains, qui considèrent d’un mauvais œil toute tentative d’institutionnaliser leur danse ou qui redoutent la nouvelle concurrence que représenterait l’offre publique pour celle déjà existante. Disons-le à nouveau : ce texte n’a pas vocation à encadrer le hip-hop et sa liberté, mais à octroyer un statut aux professeurs. Je tiens à les rassurer : nous prendrons le temps nécessaire pour élaborer ensemble le contenu de ce diplôme d’État. Nous ne prévoyons d’ailleurs de l’instituer que d’ici à trois ou cinq ans, en prévoyant des dispenses tenant compte de la valorisation des acquis pour les professionnels qualifiés et la contribution des centres de formation à l’identification des prérequis.
De même, de nombreuses craintes ont été exprimées s’agissant du statut des animateurs, qui souhaitent continuer à animer des ateliers sans être détenteurs du diplôme d’État. Nous clarifierons ce point dans le décret d’application, afin de maintenir la souplesse nécessaire. Toutefois, un animateur n’est pas un enseignant ; la même rigidité ne s’appliquera pas à leur statut.
Cette proposition de loi constitue notre meilleur outil pour soutenir l’enseignement de la danse, encourager sa diversité et permettre aux promoteurs du hip-hop d’enseigner eux-mêmes leur discipline, afin d’éviter toute appropriation. Pour l’instant, ceux qui pratiquent le hip-hop ne peuvent pas l’enseigner ; dans les conservatoires et les centres de danse, ce sont les professeurs de danse classique ou de jazz qui le font.
Cette proposition de loi permettra de renforcer notre modèle culturel, pour les professeurs comme pour les pratiquants, en assurant la pérennité et la sécurité de chaque enseignement. Permettez-moi de remercier Kambod Kashani, organisateur des assises du hip-hop, mais aussi William Messi de l’OH2N…
Mme Nadège Abomangoli
L’ON2H !
Mme Rachida Dati, ministre
…l’organisation nationale de hip-hop, Karla Pollux et tant d’autres artistes, qui ont parfois contesté ce texte, sans en avoir toujours pris entièrement connaissance. Je tiens à leur dire que nous poursuivrons nos échanges et que nous parviendrons, j’en suis sûre, à un compromis.
En votant pour ce texte, vous votez pour la reconnaissance de compétences et de talents qui s’expriment partout sur notre territoire ; mais vous votez aussi pour permettre à des pratiques artistiques contemporaines majeures comme le hip-hop de trouver enfin leur juste place au sein de la culture française. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et HOR.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte
« Ils dansent », nous chante MC Solaar :
« Ça break, ça danse, on est dans la street
Les groupes se forment, y’a des gars, des filles
Y’a du hop-rock et y’a des défis
Et puis y’a c’mec en apesanteur
Moitié condor et moitié breaker
Un performeur, j’te le jure, j’insiste […]
Ici on s’fout des vuvuzelas
Avec béquille, il devient gymnaste
Il gère l’espace, il est trop classe »…
Telle est la liberté et la beauté de ces danses de rue ; c’est aussi ce que nous cherchons, avec cette proposition de loi, à préserver. L’adoption de la proposition de loi que nous examinons permettra de réparer une grande injustice, celle établie par la loi de 1989, qui avait restreint l’encadrement et l’enseignement professionnel de la danse aux professeurs de danse classique, contemporaine et jazz. En réparant cette injustice, nous permettrons à ceux qui ont grandi avec cette culture, qui l’ont fait grandir et qui la font vivre depuis près d’une quarantaine d’années, d’obtenir le cadre de stabilité dont ils ont besoin – ils l’ont évoqué lors des auditions – et de se professionnaliser.
Ce texte vise à octroyer de nouveaux droits pour les enseignants et non à sanctionner ceux qui ne seraient pas candidats au diplôme d’État. L’obtention de ce dernier est une manière d’intégrer la fonction publique, de gravir des échelons professionnels, de bénéficier des conditions applicables aux fonctionnaires, notamment de droits à la retraite – même si le Gouvernement les réduit progressivement. Elle est également le moyen d’accéder à la licence, grâce à l’intégration de ce diplôme dans le format universitaire LMD – licence-master-doctorat. Ce diplôme constitue aussi une promesse d’égalité républicaine, parce que les seules formations existantes sont privées ; certaines coûtent plusieurs milliers, voire des dizaines de milliers d’euros. L’offre de cursus publics permettra de réduire le coût des formations et d’en certifier la qualité.
Cette proposition de loi vise également à reconnaître une pratique, culturelle ou sportive, une danse qui présente des risques pour le corps. Disposer d’enseignants formés permettra de protéger le corps des élèves et d’améliorer la sécurité de tout un chacun, particulièrement des plus jeunes.
Je me réjouis de la présence, dans ce texte de loi, de dispositifs relatifs à l’honorabilité. J’en profite pour saluer ma collègue Sabrina Sebaihi, qui a été rapporteure de la récente commission d’enquête relative aux violences dans le sport. Nous savons à quel point ce sujet reste d’actualité. Les contrôles devront être renforcés et les moyens nécessaires débloqués pour vérifier le caractère effectif des dispositifs que nous allons adopter.
Je tiens également à saluer ma collègue Claudia Rouaux, puisque dans la version qui est soumise aujourd’hui à notre examen, le texte tend à appliquer au diplôme d’État de professeur de danse les modalités figurant dans sa proposition de loi adoptée la semaine dernière. (M. Mickaël Bouloux applaudit.)
Aujourd’hui, nous allons faire évoluer le droit dans le sens de l’histoire. En 1989, nos prédécesseurs s’étaient arrêtés à mi-parcours, pourrait-on dire. Ils avaient dû prendre en considération les mêmes arguments que ceux qui nous sont opposés aujourd’hui. À cette époque, les danseurs de l’Opéra de Paris craignaient que la danse classique – une pratique culturelle qui était considérée comme dominante –, ainsi que la danse contemporaine et le jazz – qui introduisaient de nouvelles esthétiques –, ne soient codifiées, voire rigidifiées. Toutes ces confrontations montrent la capacité de la République à intégrer ces danses et à permettre à chacun de se former, tout en préservant la vitalité culturelle.
Cette vitalité culturelle est d’ailleurs reconnue et protégée. Ainsi, en 2014, l’Unesco a inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité le gwoka : musique, chants, danses et pratique culturelle représentatifs de l’identité guadeloupéenne. Cette danse, créée par les esclaves, était un espace de résistance ; elle est aujourd’hui un aspect culturel essentiel de la Guadeloupe. J’en profite pour saluer mon collègue Elie Califer.
Nous aurions pu également parler de la farandole provençale, des danses basques, de la maraîchine dans le Poitou et en Bretagne ou encore de la sautière en Corrèze. Avec la création d’un DE de professeur de danse, toutes ces danses traditionnelles locales pourront bénéficier d’un cadre universel, tout en continuant à exister et à se développer en dehors. Il conviendra de les soutenir également, avec des financements que l’État préservera et amplifiera, je l’espère. Il y va de votre responsabilité, madame la ministre.
Permettez-moi de terminer mon propos comme je l’ai commencé, en citant MC Solaar dans « Qui sème le vent récolte le tempo » : « Car j’suis un MC d’attaque, sans tic, authentique pas en toc / Prêt à frapper sur le beat pour le mouvement hip-hop » – en toute liberté, nous en sommes convaincus. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC, sur plusieurs bancs des groupes RE, LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES, ainsi que sur les bancs des commissions.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Béatrice Bellamy.
Mme Béatrice Bellamy
La danse est une émotion et un langage à part entière, une véritable littérature du corps. Elle est mouvement, dynamique et engagement de soi. C’est pourquoi la danse est la passion de plusieurs millions de nos compatriotes. Chaque jour, les clubs, les associations et les compagnies qui maillent nos territoires font vivre ces derniers. Qu’ils soient pratiquants amateurs ou professionnels, les danseurs tiennent à la dimension artistique de leur passion et la revendiquent à raison.
Les associations de danse font partie de celles qui ont le plus souffert des effets de la crise sanitaire. Certaines n’ont pas encore retrouvé les effectifs d’avant le covid-19. Permettez-moi de saluer tous les professeurs de danse, les animateurs, les encadrants et les bénévoles et de les remercier. Rappelons que le maître-mot de cette proposition de loi est la reconnaissance.
C’est aussi dans le contexte qui a suivi la crise sanitaire que Mmes les rapporteures ont mené, en 2021, une mission flash sur les politiques publiques de la danse. Cette mission a permis d’établir l’état des lieux de la situation et de mener une large concertation avec les acteurs culturels. La proposition de loi s’inscrit dans la continuité de ce travail.
La danse est un fait de société et est plurielle. Ses pratiques évoluent, se transforment, s’adaptent, se diversifient ; de nouvelles esthétiques artistiques et chorégraphiques se sont développées. En premier lieu, je pense bien évidemment au hip-hop, dont la pratique est en pleine expansion. Cette discipline a obtenu la reconnaissance des institutions culturelles en tant qu’art à part entière, pratiqué dans tous les départements de notre pays. Elle est accompagnée et subventionnée par les directions régionales des affaires culturelles (Drac), par les institutions labellisées et par les collectivités. Il apparaît donc plus que légitime que notre assemblée se penche sur les conditions d’enseignement et de pratique de la danse, d’autant que le cadre juridique actuel, fixé il y a plus de trente ans, laisse un vide juridique autour de l’enseignement des danses autres que les danses classique, contemporaine et jazz.
J’ajouterai qu’en plus d’être une activité artistique, la danse est une activité sportive, qui met en jeu l’intégrité physique de ses pratiquants. Il me semble donc évident que son enseignement doit être dispensé par des personnes formées.
Le travail transpartisan mené par les deux corapporteures permet d’ouvrir la voie à l’actualisation du cadre législatif, de répondre aux exigences nouvelles et aux demandes de nombreux professionnels. Le groupe Horizons et apparentés partage les constats et l’ambition modernisatrice de cette proposition de loi : ses membres soutiennent l’élargissement du diplôme d’État à de nouvelles esthétiques chorégraphiques et notamment au hip-hop. Ils accompagneront la valorisation du métier de professeur de danse grâce à une réévaluation du diplôme et un accès facilité à celui-ci ; ils soutiennent également les mesures de validation des acquis de l’expérience (VAE) et de dispense.
La proposition de loi a donné lieu à de riches débats en commission. Les réponses apportées doivent permettre d’apaiser les inquiétudes et d’éviter les instrumentalisations. Tout changement provoque de l’inquiétude, et c’est bien normal ! Nous devons être particulièrement attentifs aux mesures d’application de ce texte et veiller à ce qu’elles soient progressives. Ce texte ne vise pas à limiter la liberté créatrice : l’inscription des pratiques de danse dans la loi permet au contraire d’en garantir l’existence et la pérennité.
Nous l’avons récemment constaté : cette proposition de loi est un gage de reconnaissance et de démocratisation de la pratique ; elle permettra d’associer à certaines danses les mêmes droits et les mêmes devoirs que les autres disciplines. Je me réjouis qu’elle offre une première avancée dans la lutte contre les violences, les discriminations et les violences sexistes et sexuelles (VSS). Ses articles 5 et 9 tendent à élever le niveau d’honorabilité requis et à durcir les sanctions en cas de non-respect des critères fixés : ils répondent ainsi à la recrudescence des signalements. Dans ce domaine, il faut aller vite et concourir à briser le silence, et je pense qu’il faudra nécessairement aller plus loin. Madame la ministre, le travail déjà engagé dans le monde du sport doit également être mené dans celui de la danse et de la culture, qui ne doit pas faire figure d’exception.
Pour conclure, je rappellerai que les Jeux olympiques de Paris seront, en 2024, l’occasion de mettre en lumière le breakdance : c’est une excellente nouvelle, mais au lendemain de cet événement, il nous faudra promouvoir les autres esthétiques de danse, qui ont elles aussi besoin d’un coup de projecteur et d’un soutien renouvelé. C’est essentiel pour le maillage artistique local et sa diversité. Le groupe Horizons et apparentés soutient et votera ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et LR, ainsi que sur les bancs des commissions.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
Je voudrais commencer mon intervention en citant Akhenaton, lui-même opposé à cette proposition de loi : « la vie, c’est pas blanc ou noir, c’est un joyeux bordel ». Non, tout ne peut pas entrer dans des cases, tout n’a pas vocation à être dirigé de la même manière et si parfois tout se ressemble, rien ne s’assemble. Hip-hop, danses traditionnelles, niçoises ou franc-comtoises, breakdance : autant d’expressions artistiques qui n’entrent dans aucun cadre, qui sont porteuses d’un héritage culturel et artistique qui leur est propre, qui transmettent un patrimoine, une histoire et un récit. Certaines d’entre elles émergent des rues, des quartiers, sont formées par les histoires et les luttes de communautés marginalisées. Elles nous rappellent que la créativité n’a ni limite, ni cadre : essayez d’enfermer la liberté, elle ressortira par la fenêtre.
Elles sont nombreuses, ces pratiques de danse, à redonner de l’espoir et un cap à des jeunes parfois déscolarisés et laissés au bord du chemin. Ces pratiques ne s’apprennent pas en suivant des cours de neuf heures à dix-sept heures dans des centres de formation trop étriqués pour y rêver confortablement. Elles s’apprennent plutôt dans les gares de RER, au pied des cités ou encore dans le quartier du Châtelet. Elles ont été apprises à Sarcelles par les Twins, désormais danseurs officiels de Beyoncé, à Corbeil-Essonne par Kantyn, qui a arraché le prix de meilleur danseur hip-hop en 2022 ou à Lyon par Brahim Zaibat, chorégraphe et danseur de Madonna.
Ce ne sont pas des diplômes ou des cours académiques qui ont forgé hier les talents d’aujourd’hui. À cet égard, je regrette le manque de concertation avec les acteurs concernés, qui ont été nombreux à nous faire part de leurs craintes vis-à-vis de l’application de cette proposition de loi. Celle-ci prévoit l’extension d’un système qu’ils jugent inquiétant, en opposition duquel ils se sont construits : il leur imposera une pensée unique, une pratique unique, diffusée dans l’ensemble du territoire par un diplôme d’État.
Néanmoins, certaines dispositions ouvrent la voie à des évolutions bénéfiques de la loi. La danse, en tant que moyen d’expression, doit en effet être exercée dans des lieux sécurisés, propices à l’épanouissement et à la confiance. Comme nous l’avons indiqué dans le cadre des débats de commission, nous accueillons ainsi favorablement l’extension du contrôle de l’honorabilité à l’ensemble des professeurs de danse. Dans une discipline où le rapport au corps est omniprésent, une telle mesure était nécessaire, pour les victimes de Julien Vincent en Guadeloupe, pour Yanis Marshall et tant d’autres. Mais elle doit être strictement limitée et viser, par exemple, les coupables d’agressions sexistes et sexuelles, d’apologie du terrorisme ou de violences. Nous ne voyons en revanche aucune pertinence à prononcer une interdiction d’exercer contre des personnes ayant participé à des manifestations non déclarées. Si une telle disposition était votée, elle porterait un sérieux coup de canif à la réinsertion sociale, que la majorité d’entre nous appelle pourtant de ses vœux.
Il nous est donc impossible de voter en l’état cette proposition de loi – qui peut toutefois évoluer au fur et à mesure de nos discussions. Impossible, car dans sa rédaction même, ce texte tend à encadrer la liberté. Impossible, car dans son esprit, il théorise la créativité. Impossible enfin, car il prétend faire la leçon à des artistes qui sont aujourd’hui au sommet de la scène chorégraphique française. Nous avons pourtant tenté d’adoucir les conséquences de cette proposition de loi, en travaillant – et je les en remercie – avec les rapporteures et des députés de la majorité, notamment Violette Spillebout. Je vous le demande : n’enfermez pas la liberté. Les grands danseurs ne sont pas grands grâce à leur technique, ils le sont grâce à leur passion. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet
La volonté du législateur d’étendre à de nouvelles esthétiques le cadre du diplôme d’État de professeur de danse n’est pas sans précédent. Dès les années 1990, les tentatives d’encadrement institutionnel de la danse hip-hop se sont heurtées à l’opposition et à la mobilisation du secteur, avant d’être abandonnées. Trente ans plus tard, nous voilà de nouveau à examiner une proposition de loi qui, loin de faire consensus comme l’affirment les députées qui en ont pris l’initiative, provoque la plus vive indignation chez un grand nombre de professionnels et pratiquants, comme en témoignent les plus de 10 000 signatures de la pétition en demandant le retrait.
Que ce soit pour le hip-hop, les danses régionales de France ou les danses dites du monde, l’élargissement du champ d’application du DE, prévu à l’article 1er, instaurerait une forme de sélection sociale dans l’accès au titre de professeur de danse, étant donné le coût et la durée d’une telle formation. Or ce sont les classes populaires qui ont fait naître et évoluer ces pratiques culturelles, dans une logique d’accessibilité. L’institutionnalisation de la danse aurait donc pour effet d’en déposséder celles et ceux qui sont à son origine.
De plus, les éventuelles restrictions imposées par ce diplôme contreviendraient ainsi aux engagements de la France en matière de sauvegarde et de respect du patrimoine culturel immatériel, en ce qu’elles imposeraient une institutionnalisation forcée de l’enseignement des danses traditionnelles.
Enfin, nous devons également manifester notre inquiétude vis-à-vis des conséquences de la suppression de la limitation de l’application de la loi de 1989 à la danse classique, à la danse contemporaine et à la danse jazz. L’adoption de la présente proposition de loi pourrait en effet induire une précarisation de l’emploi, résultat d’une concurrence accrue entre animateurs ayant obtenu un certificat de qualification professionnelle et les diplômés d’État.
Pour toutes ces raisons, les députés du groupe GDR-NUPES avaient, dès l’examen du texte en commission, proposé par voie d’amendement la suppression de l’article 1er et la relance d’une vaste concertation avec l’ensemble des professionnels du secteur, laquelle devrait aboutir à la proposition de qualifications professionnelles alternatives au diplôme d’État.
S’agissant de l’article 5, nous sommes favorables au renforcement des conditions d’honorabilité, pour mieux protéger l’ensemble des pratiquants. Nous devons pourtant dénoncer l’inclusion, au sein de celui-ci, des dispositions récemment introduites dans le code pénal et résultant d’une certaine dérive sécuritaire. Tel qu’il est rédigé, l’article 5 comprend, parmi ceux qui justifient le contrôle d’honorabilité, le délit de dissimulation du visage ou celui de participation à une manifestation illicite. Leur inclusion surprend, car elle ne paraît pas justifiée par l’impératif de protéger mineurs et pratiquants, d’éventuelles violences sexistes et sexuelles.
L’article 8 prévoit quant à lui une augmentation du montant des amendes infligées en cas de non-respect de l’obligation d’affichage des diplômes ou d’usage frauduleux du titre de professeur de danse, mais cette hausse ne présente aucun effet dissuasif. Nous lui préférons une politique de prévention, qui favoriserait l’accessibilité à la formation professionnelle.
Chers collègues, l’extension du diplôme d’État de professeur de danse à de nouvelles esthétiques ne répond aucunement aux attentes des professionnels. Bien au contraire, il porte atteinte à des pratiques culturelles que nous devons défendre, en raison de leur caractère populaire et accessible à tous. C’est pour ces raisons que le groupe GDR-NUPES votera contre ce texte.
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
C’est dommage !
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Lenormand.
M. Stéphane Lenormand
Enseigner la danse, c’est transmettre une passion, un art. C’est apprendre à user de son corps pour transmettre une émotion, un message. C’est aussi une exigence physique et même sportive. Enseigner la danse, c’est tout à la fois enseigner une technique et transmettre une pratique artistique et culturelle.
Au-delà de la technique, de la pédagogie, la complexité de la danse tient à son caractère social et culturel : toute danse a son histoire. Ainsi, le groupe LIOT a une exigence : que la professionnalisation de son enseignement n’atténue pas l’aspect culturel et traditionnel et ne restreigne pas la pratique de la danse en amateur.
Jusqu’à présent, la politique du ministère de la culture s’est essentiellement concentrée sur l’enseignement en conservatoire et l’octroi du diplôme d’État, laissant ainsi de côté la pratique en amateur au sein des écoles privées et associatives, alors que celles-ci représentent la grande majorité des lieux de pratique. Cette distinction a pu conduire à un manque de reconnaissance de la pratique en amateur et raréfier les échanges entre ces écoles et le ministère, mais elle a aussi pour conséquence le développement d’un enseignement de la danse sans encadrement ni contrôle. En restreignant le diplôme d’État aux seules options classique, contemporaine et jazz, l’État a toléré le développement d’un vide juridique pour l’enseignement des autres danses. Ainsi, la danse est aujourd’hui la seule activité physique dont l’enseignement ne soit pas encadré, au détriment de la santé et de l’intégrité physique des pratiquants – certaines pratiques sollicitant fortement le corps –, mais également de la sécurité des élèves, souvent mineurs.
Ce problème est accentué par le développement de nouvelles formes de danse et nous invite à renforcer les règles en matière d’honorabilité et les obligations fixées en matière d’ouverture des salles. Nous soutiendrons donc les dispositions allant dans ce sens.
Des exigences importantes, comparables à celles applicables aux encadrants sportifs rémunérés ou bénévoles, doivent être affirmées, mais nous doutons que les moyens consacrés au contrôle de nouvelles obligations soient suffisants, sachant que les Drac ne comptent qu’un seul conseiller danse.
Si notre groupe comprend et partage l’objectif visé par les articles proposant de faire évoluer le diplôme d’État de professeur de danse, reconnaissons que le texte qui nous est présenté soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Les nombreuses alertes reçues ces derniers jours en témoignent.
Contrairement à ce qui a pu être avancé, le texte ne fait pas l’objet d’un consensus, mais nourrit des inquiétudes auxquelles il faudra répondre. En commission, les rapporteures ont pu préciser leurs intentions, en insistant sur le caractère non obligatoire du diplôme d’État, mais encore faut-il l’écrire clairement.
Olivier Serva et Max Mathiasin présenteront des amendements au sujet des danses régionales et traditionnelles, chères à notre groupe, car nos interrogations persistent. Nous ne souhaitons pas porter préjudice à la diversité et à la liberté artistique et culturelle. S’il était adopté en l’état, le texte pourrait empêcher certains acteurs d’enseigner les danses traditionnelles contre rétribution parce qu’ils n’ont pas de diplôme d’État : aucun doute ne devra persister à ce sujet.
D’autres questions se posent. Le relèvement du niveau de qualification n’est pas sans effet sur la durée de la formation, le référentiel de compétences, les exigences imposées. Les établissements habilités par le ministère de la culture sont-ils prêts ? Sont-ils en nombre suffisant ?
Le principal enjeu est de développer les écoles publiques, pour ne pas rendre dissuasif le coût de la formation et de l’obtention du diplôme d’État, ce qui se traduirait par un accès inégal à la professionnalisation.
Le relèvement du niveau de qualification devrait également avoir un effet sur celui de la rémunération. Comment les écoles privées et associatives envisagent-elles cet aspect ?
Par ailleurs, les conservatoires sont-ils prêts à ouvrir des postes dans ces disciplines ?
Finalement, si la création d’un cadre général est intéressante et positive, la réussite de cette proposition de loi dépend du référentiel de formation et des critères requis pour bénéficier d’une dispense, dont l’élaboration est renvoyée à un décret. Or cela nous inquiète. Les textes d’application doivent absolument être élaborés avec tous les acteurs concernés – nous remercions les rapporteures de nous avoir écoutés sur ce point.
Nous attendons des débats à venir qu’ils dissipent nos inquiétudes. Ce texte ne doit porter préjudice ni aux enseignants ni aux pratiquants de toutes les disciplines de danse.
Mme la présidente
La parole est à Mme Violette Spillebout.
Mme Violette Spillebout
Au nom du groupe Renaissance, je me réjouis que ce texte, dont Fabienne Colboc et Valérie Bazin-Malgras sont les corapporteures, propose un nouveau choix à ceux qui animent des cours de danse partout en France : celui de professionnaliser leur enseignement, quelle que soit leur pratique.
Il s’agit de reconnaître leur amour de la danse et de leur donner de nouvelles perspectives professionnelles. Au-delà du classique, du jazz ou du contemporain, ceux qui transmettent leur passion de la danse urbaine, des danses du monde ou des danses traditionnelles pourront, s’ils le souhaitent, chercher à obtenir un diplôme d’État, reconnu, valorisé, sécurisant, soit en suivant une formation de trois ans, soit en bénéficiant d’une dispense liée à l’expérience qu’ils ont acquise.
Cette grande avancée suscite des réactions et inquiète parfois. La danse, c’est la liberté, la créativité, la passion, en particulier lorsqu’elle naît dans la rue, à l’instar du mouvement hip-hop. Bien plus qu’une danse, ce dernier est une culture tout entière, urbaine, libre, autonome, solidaire, partagée, accessible à tous, qui n’a pas envie d’être enfermée dans un cadre ou dans un style imposé. Le monde du hip-hop s’imagine mal survivre à un encadrement contraint par des normes artistiques nouvelles. Il ne veut être ni intellectualisé ni institutionnalisé. Il a raison.
C’est pourquoi je tiens à lui adresser un message, au nom de mes collègues du groupe Renaissance : dans nos territoires, nous avons échangé avec des acteurs locaux – danseurs, professeurs, directeurs d’école de danse, animateurs associatifs, chorégraphes ; j’en ai rencontré à Lille et dans les Hauts-de-France. Nous entendons leurs craintes, et nous souhaitons que rien dans ce texte n’empêche ces passeurs de passion, ces transmetteurs de mouvements, ces animateurs d’ateliers artistiques du mouvement hip-hop et de la danse, et, plus généralement, les danseurs, de poursuivre leur engagement et de préserver leur liberté de créer avec leur communauté. Nous le savons, la culture hip-hop ne s’apprend pas uniquement dans un studio. Elle se transmet de manière horizontale, entre pairs, elle se montre, se partage, fait partie d’un lifestyle – un mode de vie.
Je tiens à l’affirmer à nouveau : l’instauration d’un diplôme d’État constitue non une restriction nouvelle mais une occasion supplémentaire. Bien que le hip-hop ne soit pas une danse de studio, et que ses plus grands talents internationaux soient autodidactes, il est légitime de reconnaître le haut niveau des professeurs, en leur permettant d’être diplômés d’État. Parmi ces acteurs, certains souhaitent depuis longtemps la reconnaissance de leur compétence, de leurs années de sueur et d’efforts, de leur expérience pédagogique. Ceux qui veulent obtenir un statut sécurisant et stable, intégrer la fonction publique dans une école municipale ou un conservatoire, pourront donc désormais obtenir un diplôme d’État.
Celui-ci pourra être obtenu auprès de centres de référence, que nous souhaitons voir se multiplier dans le secteur public, mais aussi sous la forme d’une dispense accordée par un comité de validation, sous l’égide du ministère de la culture, qui tiendra compte de l’expérience artistique et pédagogique. J’ai tenu à ce que le groupe Renaissance soit très attentif aux modalités d’application de cette dispense. Nous défendrons un amendement visant à en simplifier l’obtention dans le cas de professionnels ayant déjà suivi une formation diplômante durant de longues années.
Désormais, c’est au ministère de la culture d’entamer un travail de confiance avec les artistes et les professionnels. Nous souhaitons, madame la ministre, que la génération hip-hop d’aujourd’hui, celle qui a dix, vingt, trente ans d’expérience, puisse être pleinement associée à la construction du contenu pédagogique du futur diplôme d’État et à l’examen des demandes de dispenses. Je sais que vous partagez ma préoccupation : il faut non pas déconsidérer mais valoriser.
Alors oui, le mouvement hip-hop est à un tournant : en 2024, le breakdance devient discipline olympique, et bientôt les enseignants de ce mouvement pourront obtenir un DE. Je sais pouvoir compter sur l’engagement des deux corapporteures pour assurer le service après-vente de cette loi : garantir son application dans des conditions sereines dans toutes les régions de France, et suivre son évaluation. À cet égard, le groupe Renaissance a déposé un amendement qui vise à demander au Gouvernement un rapport destiné à évaluer « les effets de l’application de la loi sur l’enseignement de la danse, notamment dans le champ des nouvelles disciplines chorégraphiques intégrées au diplôme d’État ». Notre message est clair : nous souhaitons soutenir l’art et la danse, nous ne voulons pas freiner la liberté artistique.
Cinquante ans après sa naissance dans le Bronx, après des années à l’écart, mal reconnu, mal rémunéré, voire maltraité, le hip-hop est enfin pris au sérieux. Il fait l’objet d’une vraie politique culturelle, grâce à tous les acteurs qui se battent avec talent depuis des dizaines d’années pour le faire reconnaître comme un art à part entière. Aussi le groupe Renaissance votera-t-il la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR, ainsi que sur les bancs des commissions.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Blanc.
Mme Sophie Blanc
La danse, forme d’expression artistique riche et diversifiée, reflète les cultures, les traditions et les identités à travers le monde. Pourtant, son enseignement est mal reconnu et manque souvent de normes professionnelles.
La proposition de loi apporte des améliorations notables mais comporte plusieurs lacunes significatives. Elle ne tient pas compte des spécificités régionales ou locales en ce qui concerne les pratiques de danse, ce qui pourrait entraîner des difficultés d’application. En effet, l’épanouissement des danses régionales en France – chacune ancrée dans l’histoire, la culture et les traditions de sa région – se heurte au manque de moyens financiers consacrés à les promouvoir. Ces danses constituent non seulement des moyens d’expression artistique, mais aussi des témoignages vivants de l’identité et de la richesse culturelle de chaque région. Il faut donc les préserver et soutenir leur enseignement. La création de programmes de formation continue et de perfectionnement professionnel pour les enseignants de danse régionale est essentielle pour préserver et transmettre ces traditions. Or la loi ne prévoit pas ce type de financement, pourtant nécessaire à la transmission de notre patrimoine culturel vivant.
Une formation spécifique à l’accueil des personnes en situation de handicap est également nécessaire. Hélas, la proposition de loi ne prend pas en considération les besoins des personnes handicapées ; elle ne fait de place ni à l’inclusivité ni à l’accessibilité.
Nous notons néanmoins une avancée s’agissant du contrôle de l’honorabilité des professeurs de danse, à l’instar de celui que prévoit le code du sport pour les entraîneurs sportifs. Il est d’autant plus légitime de le renforcer que ces professeurs sont amenés à enseigner à des mineurs. L’encadrement de la construction, de la modification et de la suppression de locaux d’enseignement est du même ordre : il s’agit d’une garantie de sécurité et de santé publiques.
C’est pour ces raisons que nous trouvons pertinent de donner aux animateurs de hip-hop et de toutes les danses urbaines la possibilité d’accéder, à l’issue d’une formation, au statut de professeur. C’est une façon d’assurer la qualité des cours suivis par les élèves, de garantir l’avenir des enseignants et de pérenniser leur profession.
Professionnaliser l’enseignement des danses urbaines, ce n’est pas annihiler la créativité de ces expressions artistiques, qui pourront toujours s’inspirer de la rue et de la culture populaire. Un diplôme d’État n’est pas fait pour brider l’art. Au contraire, il lui permettra de rayonner tout en apportant une sécurité aux différents acteurs du secteur.
Malgré quelques réserves, le groupe Rassemblement national salue les avancées de ce texte qui tend à favoriser le bien-être des professeurs de danse et de leurs élèves. Nous le voterons donc. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Carlos Martens Bilongo.
M. Carlos Martens Bilongo
La proposition de loi que nous examinons vise à imposer aux enseignants de toutes les danses la possession d’un diplôme d’État pour exercer leur activité. En l’absence de ce diplôme, les professionnels s’exposeraient à une amende pouvant s’élever jusqu’à 15 000 euros ou à une fermeture administrative des locaux de l’entreprise ou de l’association qui les emploie. À l’heure actuelle, le DE n’est obligatoire que pour l’enseignement des danses classique, contemporaine et jazz. Vous proposez d’étendre l’obligation à toutes les autres danses, telles que le hip-hop, le flamenco, le tango, la danse baroque et les danses régionales ; c’est une erreur.
Ce texte présente de nombreux défauts. Nous sommes favorables à la création d’un diplôme et à la reconnaissance d’un statut pour les professeurs de danse, mais pas à vos conditions.
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
Ah !
M. Carlos Martens Bilongo
L’article L. 362-1 du code de l’éducation prévoit qu’une personne peut enseigner la danse si elle est dispose d’une « dispense accordée en raison de la renommée particulière ou de l’expérience confirmée en matière d’enseignement de la danse, dont [elle] peut se prévaloir ». Cela ne serait plus possible à l’issue des modifications apportées à ces dispositions par l’article 1er de la proposition de loi. Le diplôme d’État serait obligatoire pour faire usage du titre de professeur ou pour enseigner la danse contre rétribution – c’est écrit.
Lors de l’examen du texte en commission, madame la rapporteure Valérie Bazin-Malgras, vous nous avez rassurés : les personnes proposant des master class pourraient continuer à enseigner sans prétendre au titre de professeur de danse. Par ailleurs, les personnes possédant un certificat de qualification professionnelle – CQP – pourraient continuer à animer des cours de danse sans avoir le titre de professeur. Une classification élitiste est donc prévue.
Mme Rachida Dati, ministre
Elle existe déjà !
M. Carlos Martens Bilongo
Oui, elle existe. Finalement, les personnes qui font du hip-hop seront animateurs et les personnes qui donnent des cours de danse classique auront un DE. Les personnes sont donc classées.
Mme Rachida Dati, ministre
Non, on en discute après !
M. Carlos Martens Bilongo
À vous, artistes, qui êtes ici et nous regardez, à vous les danseurs et les danseuses, à vous les créateurs et les créatrices, à vous qui ne trichez pas – car les danseurs ne trichent pas dès qu’ils commencent à danser, vous le savez –,…
Mme Rachida Dati, ministre
Je me sens concernée !
M. Carlos Martens Bilongo
…à vous qui voulez transmettre, enseigner, partager, à vous qui voulez valoriser ce qui vous a été transmis, j’espère que vous pourrez continuer d’enseigner. Je comprends votre frustration, les alertes que vous lancez. Il faut les entendre. Mais certains ne vous écoutent pas assez. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme Rachida Dati, ministre
Nous les entendons !
M. Carlos Martens Bilongo
Vos mouvements et vos revendications sont politiques et ne doivent subir aucune injonction ni appropriation. Certains rayonnent dans le monde et font rayonner la France ; ils l’ont fait sans diplôme. Je pense à ces danseurs de Sarcelles, de Villiers-le-Bel, de Garges-lès-Gonesse ; aux Twins, à la compagnie d’Éric Checco, à celle de Didier Mayemba ; à tous ces danseurs qui ont appris dans la rue et qui dansent encore dans la rue.
Ce texte n’évoque pas le manque de moyens consacrés aux danseurs et aux danseuses ou le nombre insuffisant d’infrastructures. Combien d’associations de danseurs et de danseuses se retrouvent dans une maison des jeunes et de la culture – MJC – sans miroir, à attendre des moyens ? Il ne faut pas prendre les choses à l’envers.
La proposition de loi n’évoque pas non plus la question des rémunérations ni celle des retraites des artistes.
Mme Rachida Dati, ministre
Si, justement !
M. Carlos Martens Bilongo
Que deviennent les danseurs à l’âge de 40, 45 ou 50 ans ? Ce n’est pas l’extension du diplôme d’État qui résoudra ce problème.
Mme Rachida Dati, ministre
Si, c’est une protection !
M. Carlos Martens Bilongo
Vous souhaitez imposer l’obtention d’un diplôme d’État à tous les professeurs de danse. Mais jusqu’où irons-nous ? C’est le même mécanisme que celui à l’œuvre dans la proposition de loi pour un soutien pérenne de la filière musicale française – que vous avez signée, madame Colboc. La taxe streaming vise à mettre à contribution les plateformes qui diffusent beaucoup de rap. Certes, c’est un autre sujet, mais je tiens à l’aborder aujourd’hui. Les producteurs de rap et les rappeurs, qui obtiennent de bons scores sur les plateformes de streaming, seront donc taxés pour financer le Centre national de la musique – CNM –, lequel ne subventionne pas le monde du hip-hop.
C’est toujours la même chose : vous cherchez à vous imposer dans un champ artistique sans tenir compte des artistes. Je sais que l’initiative n’est pas de vous puisque c’est M. Macron qui l’a annoncée le 21 juin.
Mme Nadège Abomangoli
Ils n’aiment pas le hip-hop ! (« Si ! » sur les bancs du Gouvernement et des commissions.)
M. Carlos Martens Bilongo
Vous n’aimez pas le hip-hop, mais nous aurons le temps d’aborder le sujet lors de la discussion des articles.
Mme la présidente
La parole est à Mme Isabelle Périgault.
Mme Isabelle Périgault
Ce texte est l’aboutissement d’un processus pour professionnaliser des danses qui n’entraient pas dans le cadre de l’esthétique classique. Il est aussi la concrétisation d’une réflexion entamée dans les années 2000 et actualisée par la mission flash menée par mesdames les rapporteures dans le courant de l’année 2021. Je le qualifierais d’utile, mais il aura suscité certaines inquiétudes de la part des différents acteurs concernés, largement relayées lors de vos auditions en commission. Certaines de ces inquiétudes relevaient de l’ignorance des dispositions du texte, d’autres d’une forme d’esprit de chapelle traversant les différents courants, d’autres encore d’une mauvaise foi indéniable – à laquelle quelques collègues ont opportunément fait écho.
Des doutes demeuraient cependant au sujet de l’institution de ce diplôme d’État et des nécessaires dispenses octroyées aux professionnels reconnus du hip-hop : vous les avez levés un à un au fil de vos interventions en commission.
Il me semble néanmoins important de rappeler que nous devrons nous montrer très vigilants lors de l’application des dispositions du texte. Celui-ci opère en effet, pour les disciplines concernées, un vrai changement de paradigme. Il faudra donc les accompagner, d’une part en s’assurant de la qualité des moyens mis à disposition et, d’autre part, en identifiant rapidement les difficultés éventuelles rencontrées par les acteurs sur le terrain. Notre rôle de parlementaire consiste à s’assurer que la transition s’effectue en bon ordre et sans effet de bord.
Cette proposition de loi, cela a été dit, répond à une double exigence : sécuriser la pratique de ces danses – choisie par un nombre croissant d’élèves – et valoriser ces esthétiques nouvelles en leur apportant la reconnaissance de l’État.
Inclure la danse hip-hop dans le cadre commun permettra par ailleurs de contrôler l’honorabilité des professeurs de danse concernés – une nécessité dont nous mesurons tous l’importance, quels que soient nos bancs.
Le groupe Les Républicains votera ce texte, et je tiens à saluer, en notre nom à tous, l’engagement, le travail et la ténacité manifestés par les rapporteures pour le faire aboutir – quand certains de leurs prédécesseurs avaient reculé devant les vents contraires des lobbys et des intérêts particuliers.
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Esquenet-Goxes.
M. Laurent Esquenet-Goxes
Si j’osais, je vous dirais : yo !
Plus sérieusement, la danse est un art qui exprime des idées, suscite des émotions et raconte très souvent une histoire, mais aussi un sport, qu’un certain nombre de nos concitoyens pratiquent dans le cadre de leurs activités hebdomadaires.
Le diplôme d’État de professeur de danse, institué par la loi du 10 juillet 1989 relative à l’enseignement de la danse, est obligatoire pour enseigner la danse classique, contemporaine ou jazz. Depuis l’adoption de cette loi, la reconnaissance du métier de professeur de danse s’appuie sur des compétences pédagogiques et un niveau de qualification professionnelle : ces garanties structurent la profession. Or bien d’autres esthétiques sont enseignées, en particulier le hip-hop et les danses urbaines, qui se sont largement répandues ces dernières années. Elles l’ont fait dans un vide juridique, de sorte que les cours de danse, de plus en plus nombreux, étaient animés par des personnes non diplômées. Cela ne va pas sans poser problème s’agissant d’activités qui peuvent s’avérer dangereuses et s’adressent souvent à des enfants ou des adolescents.
Conscient de ces enjeux, le texte proposé, dans la continuité de la mission flash relative à la politique de la danse menée en 2021, vise à adapter l’encadrement de l’enseignement de la danse pour tenir compte des nouvelles disciplines chorégraphiques ainsi que des différentes voies d’accès à la formation professionnelle.
Le groupe Démocrate tient à vous remercier, mesdames les rapporteures, pour votre travail. Nous soutiendrons cette proposition de loi pour trois raisons principales. Premièrement, parce qu’elle prend en compte l’évolution et la diversité des pratiques de la danse : le hip-hop, puis les danses régionales de France – qu’il ne faut pas oublier –, la danse baroque, les danses du monde. Deuxièmement, parce qu’elle garantit, pour ces nouvelles esthétiques, un niveau de qualification pédagogique tenant compte des enjeux relatifs à l’anatomie du corps en mouvement dansé, à la santé et à la sécurité. Enfin, parce qu’elle autorise la formation par la voie de l’alternance.
Il s’agit de mettre à niveau un diplôme et une profession, celle de professeur de danse, et de faire en sorte que des professionnels issus de différents horizons esthétiques obtiennent le diplôme d’État après avoir suivi une formation spécifique.
Cette ouverture est particulièrement bienvenue au moment où le breaking, une des disciplines du hip-hop, est invité aux Jeux olympiques de 2024. Les performances en breakdance réalisées à cette occasion ne manqueront pas de susciter des vocations. Il importe donc que nous puissions répondre aux nouvelles demandes.
Nous saluons également le travail effectué en commission. Nous avons pu voter à l’unanimité l’amendement de notre collègue socialiste, M. Delaporte, visant à aligner les conditions d’honorabilité de la danse sur celles du sport. La protection des danseurs, dont la pratique artistique concourt bien souvent à leur construction personnelle, est une exigence sur laquelle nous ne pouvons transiger.
Si ce texte, issu d’un travail transpartisan, fait dans l’ensemble consensus auprès de la communauté artistique, deux points méritent notre vigilance : l’un concerne le devenir des professeurs de danse actuellement non diplômés – aussi des dispenses pour les professionnels qualifiés semblent-elles effectivement indispensables pour lever l’incertitude les concernant ; l’autre, les modalités d’institutionnalisation du hip-hop, qui ne sauraient le figer dans un certain style – les maquettes pédagogiques du DE devront ainsi garantir la représentation de ses différents courants.
Si la proposition de loi est votée, les décrets d’application devront donc tenir compte de l’avis des professionnels pour garantir que ce diplôme d’État ne dénature pas la culture du hip-hop et des danses urbaines. Il incombera au ministère concerné d’assurer progressivement l’accompagnement de l’écosystème en lui laissant le temps de s’adapter. À nous, législateurs, d’y être attentifs.
Pour toutes ces raisons, le groupe Démocrate votera ce texte.
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Mme la présidente
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Article 1er
Mme la présidente
La parole est à M. Elie Califer.
M. Elie Califer
Ce texte est présenté comme un progrès. Je peux l’entendre. Néanmoins, dans les outre-mer, il suscite de nombreuses inquiétudes. Il est bon que nous puissions les évoquer.
Dans le rapport parlementaire sur la proposition de loi, il est écrit que « les rapporteures souhaitent particulièrement insister sur le point suivant : les esthétiques chorégraphiques destinées à rejoindre le champ d’application de la loi du 10 juillet 1989 doivent pouvoir le faire à l’issue d’une manifestation collective de volonté des artistes et professionnels qui font vivre ces expressions artistiques dans notre pays ». En d’autres termes, la contrainte de posséder un diplôme d’État de professeur de danse ne saurait s’imposer à aucune filière de danse sans avoir fait, au préalable, l’objet d’une manifestation collective et d’une large concertation avec la filière artistique concernée. N’est-ce pas ?
La nécessité de posséder un diplôme d’État ne devrait donc pas empêcher la bonne transmission des danses traditionnelles et culturelles en outre-mer. Ces danses – le gwoka, la biguine, la mazurka, le maloya, le quadrille, la danse indienne – sont les fruits de notre histoire singulière et douloureuse. Elles font de nous ce que nous sommes. Elles sont consubstantielles à notre être social.
Aussi voudrais-je connaître le dispositif juridique qui garantit d’une part que les filières de danses régionales ne seront concernées ni aujourd’hui ni demain et, d’autre part, que toute inscription de l’une d’elles dans le cadre du diplôme ne pourra être que la résultante d’une démarche volontaire. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point, mesdames les rapporteures ?
Mme la présidente
Sur l’amendement no 5 et identiques, je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Olivier Serva.
M. Olivier Serva
Toumblack, danse de l’amour, de la fertilité ; kaladja, danse du chagrin ; woulé, valse piquée, généralement dansée avec un foulard ; graj, danse du travail ; padjanbèl, danse du travail, comportant des mouvements similaires à ceux des esclaves dans les plantations ; menndè, danse de carnaval, synonyme d’évasion collective ; léwòz, rythme guerrier, en résonance avec les attaques de la plantation. Tels sont les sept rythmes du gwoka : cette danse, inscrite en 2014 par l’Unesco sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, revêt un caractère émancipateur et spirituel. Elle est rythmée au son du ka, qui est chez nous un instrument de percussion et a participé à l’émancipation de nos ancêtres en état de servilité.
Nou pé po opronn manman noufè ti moun ! « Nous ne pouvons pas apprendre à nos mères à faire des enfants ! » Avant d’instituer un diplôme d’État pour les professeurs de gwoka, il faut apprendre et appréhender correctement le caractère mystique de cette danse, indissociable du créole.
Nous, députés de Guadeloupe, avons travaillé étroitement avec les mèt a manniok – professeurs – de nos danses traditionnelles, que je remercie de manière appuyée. J’ai parlé du gwoka mais je pense également au bèlè, à la biguine, au quadrille, aux danses traditionnelles – chinoises et autres – pratiquées en Guadeloupe. Ce texte nous a donné l’occasion de travailler, de manière solidaire – tèt kolé – pour structurer nos filières. Or cela doit se faire en respectant l’essence même de ces esthétiques chorégraphiques qui, pour la plupart, puisent leurs origines dans le douloureux passé esclavagiste de la Guadeloupe.
C’est pourquoi nous appelons de nos vœux la création de formations préparant au diplôme d’État à l’échelon régional, toujours en concertation avec les acteurs et les sachants du terrain.
Enfin, nous appelons Mme la ministre à garantir la rémunération des formateurs de nos danses traditionnelles.
Mme la présidente
Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 5, 18 et 50, tendant à supprimer l’article 1er.
La parole est à M. Hendrik Davi, pour soutenir l’amendement no 5.
M. Hendrik Davi
Nous ne sommes pas opposés à l’idée que certaines communautés artistiques, décidées à se professionnaliser davantage, puissent disposer d’un diplôme d’État. Ce n’est toutefois pas le seul objet de la proposition de loi : si elle est votée, toutes les danses, pour pouvoir être enseignées, devraient l’être par le titulaire d’un diplôme d’État, et toute contravention serait passible d’une amende de 15 000 euros. Cela, ça ne va pas. C’est pourquoi nous défendons un amendement de suppression de l’article 1er.
Lors de l’examen du texte en commission, nous avons débattu du caractère obligatoire de ce diplôme. Vous auriez levé les incertitudes sur ce point, affirment certains – peut-être est-ce l’objet de certains de vos amendements ? –, mais mes doutes subsistent.
Dans l’exposé des motifs, vous écrivez que l’article 1er « institue le principe de l’obtention du diplôme ou d’un titre équivalent pour enseignement de la danse contre rétribution ». Si l’on regarde la rédaction du code de l’éducation tel qu’elle serait modifiée par le texte, on lit que « Nul ne peut enseigner la danse contre rétribution ou faire usage du titre de professeur de danse ou d’un titre équivalent s’il n’est muni : […] soit du diplôme d’État de professeur de danse, soit d’un certificat d’aptitude aux fonctions de professeur de danse ». En réalité, cette loi chamboulera l’ensemble des pratiques. Nous ne sommes pas sûrs de disposer, par la suite, de suffisamment de formateurs ni de professeurs de danse titulaires du diplôme d’État. Un très grand nombre de danses – folkloriques, flamenco, tango et, évidemment, hip-hop – risquent ainsi de manquer d’enseignants. De plus, une grande partie des professeurs actuels pourraient se retrouver en difficulté ou dans une situation de précarité.
Nous discuterons de la validation d’acquis que vous évoquez mais la rédaction actuelle manque de précision et de clarté. C’est la raison pour laquelle une partie de la communauté hip-hop, notamment, s’insurge contre le texte. Une pétition a tout de même réuni plus de 1 000 signatures. C’est la raison pour laquelle il faut voter cet amendement de suppression.
Mme la présidente
La parole est à M. Yannick Monnet, pour soutenir l’amendement no 18.
M. Yannick Monnet
Pour notre part, nous sommes convaincus que l’instauration de ce diplôme d’État renforcera la sélection sociale car, en raison de son coût et de sa durée, la formation ne sera pas accessible à tous. En outre, cette sélection sociale aura pour conséquence d’appauvrir la diversité et la créativité des disciplines concernées.
Nous préférons, quant à nous, préserver la dimension populaire de ces pratiques culturelles. Il faut souffrir, madame la ministre, que certaines de ces pratiques soient indomptables par nature, et c’est très bien ainsi : elles doivent le demeurer pour exprimer toute leur créativité. (M. Carlos Martens Bilongo applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi, pour soutenir l’amendement no 50.
Mme Sabrina Sebaihi
Je rejoins les orateurs précédents. Nous ne sommes pas contre l’idée d’un diplôme ; ce qui nous pose problème, c’est que, dans le texte, il apparaisse comme obligatoire. Il faut donc dissiper le doute qui demeure sur ce point, car le monde du hip-hop notamment a exprimé de nombreuses inquiétudes et interrogations à ce sujet.
De fait, dans cette discipline, c’est la pratique et la reconnaissance par les pairs qui priment. Pour être reconnu comme un bon danseur de hip-hop, il faut avoir pratiqué pendant dix à quinze années. Ce ne sont donc pas les trois années de formation au diplôme d’État qui feront de celui qui l’aura suivie un brillant danseur ou un professeur.
Par ailleurs, des questions se posent à propos des personnes déjà diplômées, de la validation des acquis, des dispenses – nous y viendrons ultérieurement. Jusqu’à présent, malgré les réponses qui ont été données, la communauté du hip-hop, en particulier, n’est pas rassurée par le texte. C’est pourquoi nous avons déposé cet amendement de suppression.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Fabienne Colboc, rapporteure
Je comprends vraiment les inquiétudes – nous avons eu de nombreux échanges à ce sujet. Mais l’article 1er est le cœur du texte ; nous ne pouvons donc qu’être opposées à sa suppression. Il a pour objet d’offrir aux esthétiques qui le désirent la possibilité d’être incluses dans le dispositif du diplôme d’État. Il n’y a donc aucune obligation. Des réunions de concertation seront organisées avec l’ensemble des acteurs – un amendement vise du reste à le préciser. La filière devra être structurée.
Encore une fois, il n’est aucunement question d’imposer l’extension du cadre actuel à toutes les danses ; ce point relève du décret, comme cela est indiqué dans le texte. Actuellement, trois danses académiques sont concernées, ce qui borne le dispositif. La proposition de loi, quant à elle, confie à un décret le soin de préciser quelles danses seront concernées par le DE. Nous n’avons aucunement la volonté que ce soit le ministère de la culture, notamment la DGCA, qui prenne la décision. Ce n’est pas possible.
Pourquoi avons-nous déposé cette proposition de loi ? Si, comme vous l’avez indiqué, de nombreuses personnes sont inquiètes et opposées au dispositif – nous les avons entendues, et nous voulons les rassurer –, beaucoup d’autres sont favorables à la professionnalisation et à l’ascension sociale qu’elle permettra ; elles veulent passer le diplôme d’État, entrer dans la fonction publique, pouvoir bénéficier d’une reconversion professionnelle. Il faut entendre les unes et les autres, et nous faire comprendre – je crois que nous n’en sommes pas loin.
Encore une fois, les conditions d’application de l’article 1er seront déterminées par décret. Je m’engage à créer, avec l’ensemble des députés qui le souhaitent, un groupe de travail transpartisan chargé d’y réfléchir.
M. Carlos Martens Bilongo
Il fallait le faire avant !
Mme Fabienne Colboc, rapporteure
Moi-même, je ne souhaite pas imposer quoi que ce soit ; c’est aux esthétiques elles-mêmes d’en décider dans le cadre d’une concertation, qui débouchera sur la rédaction du décret d’application. Comment voulez-vous que nous décidions à leur place ? Imaginez la fronde si nous avions inscrit le hip-hop dans la loi, par exemple !
Mme Catherine Couturier
Il fallait l’écrire avant, le décret !
Mme Fabienne Colboc, rapporteure
Nous ne pouvons pas décider quelles danses sont concernées alors que la concertation n’est pas achevée. Il faut être cohérent ! Soit on les inscrit dans la loi – comme c’est le cas pour le classique, le jazz et le contemporain –, soit on attend l’issue de la concertation pour rédiger le décret d’application. Je ne vois pas comment je pourrais mieux expliquer les choses. Avis défavorable.
Mme la présidente
La parole est à Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure.
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
Je souhaite vous apporter à mon tour quelques précisions et, surtout, vous rassurer. Vos propos traduisent des inquiétudes bien légitimes mais, comme l’a dit ma corapporteure, de nombreuses personnes, qui pratiquent différentes esthétiques, souhaitent accéder au diplôme. Pourquoi les en empêcherions-nous ? Nous voulons sécuriser les parcours et la reconversion de certains danseurs. Mais, entendez-le bien tous, nous n’obligeons personne à passer le diplôme d’État.
Comme Mme Colboc l’a dit à plusieurs reprises, l’esthétique qui en exprimera le souhait travaillera en concertation avec le ministère – Mme la ministre vous le confirmera – à l’élaboration d’un référentiel. Mais elle le fera si, et seulement si, elle souhaite entrer dans le dispositif du diplôme d’État. Donc, soyez rassurés : nous n’obligeons personne, nous ne dégradons rien. Nous souhaitons simplement apporter de la valeur à des métiers et à des personnes qui souhaitent enseigner de manière professionnelle. Avis défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre
Lorsque ce texte plus ou moins transpartisan m’a été soumis, je l’ai jugé d’autant plus intéressant que je souhaite créer une maison nationale du hip-hop.
Mme Nadège Abomangoli
La classe !
Mme Rachida Dati, ministre
Cette pratique désormais très ancienne fait partie de la culture française. Or, très souvent, on la réduit, avec beaucoup de mépris, à une catégorie – pour ne pas dire une catégorie sociale. C’est faux : elle concerne un très grand nombre de Français, et pas uniquement des jeunes.
Il s’agit ici d’élaborer un cadre réglementaire pour des danses qui, à ce jour, ne sont pas concernées par le titre de professeur, c’est-à-dire pour d’autres types de danse que le classique, le contemporain et le jazz. J’estime, pour ma part, que c’est une bonne chose.
D’abord, le titre de professeur confère un statut protecteur. Il protège l’enseignant, mais également les pratiquants, qu’il s’agisse d’enfants, de jeunes ou d’adultes – je pense en particulier à la question de la responsabilité. Lorsque vous confiez vos enfants à un enseignant ou lorsque vous pratiquez une activité, vous souhaitez qu’en cas de problème, on puisse vous rendre des comptes.
On parle beaucoup actuellement des violences sexuelles et sexistes et des agressions de mineurs. Si vous avez des enfants, vous n’allez pas les confier à une personne qui n’exerce pas dans un cadre réglementaire. Car ce cadre crée des droits, confère une autorité, donne une qualification. Cette protection me semble nécessaire ; nous la devons aux pratiquants de ces disciplines. Nous devrions donc tous nous accorder, par esprit de responsabilité, sur la création d’un tel cadre.
Ce statut confère également des droits. Si vous êtes au chômage, vous pouvez percevoir une indemnité ; vous obtenez des droits à la retraite. Actuellement, vous le savez, ce n’est pas le cas. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
M. Hendrik Davi
C’est le statut qui donne des droits !
Mme Rachida Dati, ministre
La pratique culturelle dont on parle est très libre. Vous l’avez dit, monsieur Bilongo, le danseur ne peut pas mentir – je ne suis pas en mesure de vous le démontrer, hélas. (Sourires.) Prenons l’exemple du hip-hop : moi, cela me gêne qu’un prof de danse classique, parce qu’il a un diplôme, s’approprie cet art et l’exerce au nom des autres. Pas vous ? Ce n’est pas votre combat ? Je pense que nous pouvons le mener ensemble, en particulier dans le domaine de la danse. Il est important que nous convergions sur ce point.
Quant à la reconnaissance par les pairs, madame Sebaihi, nous pouvons la codifier ensemble dans le cadre du décret. Du reste, je vous rejoins : cette reconnaissance doit être incluse dans le statut. Là encore, le décret le permettrait.
Enfin, monsieur Monnet, vous avez indiqué, et vous avez raison, que certaines pratiques sont indomptables. La vie est indomptable !
M. Erwan Balanant
Certaines ministres le sont aussi !
Mme Rachida Dati, ministre
On m’a souvent dit que je l’étais. Savez-vous pourquoi ? Pour m’empêcher de faire des études, d’accéder à un métier. Je veux donc qu’il soit possible d’accéder à un diplôme et à un métier pour que d’autres ne s’approprient pas les pratiques indomptables. Quant à moi, je suis ravie d’avoir pu inscrire la mienne dans un cadre réglementaire : c’est ce qui me permet de m’exprimer devant vous aujourd’hui. Avis défavorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
Mme la présidente
La parole est à M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte
L’article 1er fixe le cadre général du texte : si on le supprime, autant supprimer la proposition de loi. Or l’extension du diplôme d’État à un certain nombre de danses est demandée par beaucoup. Certes, des inquiétudes s’expriment, mais le cadre proposé ne se substituera pas à l’enseignement actuel, notamment dans les MJC. En revanche, il permettra aux nombreux acteurs qui le demandent d’avoir un métier et le titre de professeur de danse.
M. Erwan Balanant
M. Delaporte devient de plus en plus raisonnable !
M. Pierre Cazeneuve
Il est bon !
Mme Estelle Folest
Excellent, même !
Mme la présidente
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet
Je veux dire à mon collègue Delaporte que je ne sais pas si c’est une bonne chose qu’il soit félicité par la majorité…
La question des conditions d’accès demeure un point noir. Quelles seront-elles ? Comment garantir l’accès à la formation ? Nous craignons que cette formation ne favorise la sélection sociale. De fait, rien ne garantit que tout le monde y aura accès.
Mme Rachida Dati, ministre
Bien sûr que si !
M. Yannick Monnet
Non. Du reste, c’est le cas de toutes les formations : aucune n’est accessible à tous.
Quant à la méthode, madame la ministre, vous décidez, puis vous organisez une concertation. Il me semble qu’un décret est rédigé par le ministère. Que des éléments soient décidés de cette manière, cela ne me dérange pas. Mais pourquoi ne pas se mettre d’accord avant ?
M. Carlos Martens Bilongo
Voilà !
M. Yannick Monnet
Pourquoi la concertation interviendra-t-elle après le vote de la loi ?
M. Erwan Balanant
Parce que c’est d’ordre réglementaire !
M. Yannick Monnet
J’ai en tête de nombreux exemples où, malgré les engagements qu’il avait pris, le ministre a décidé seul. Comprenez que nous ne vous fassions pas complètement confiance.
M. Carlos Martens Bilongo
Il a raison !
M. Yannick Monnet
Plutôt que de décider maintenant, alors qu’il n’y a aucun enjeu de calendrier, prenons le temps de discuter – des acteurs veulent être entendus : écrivons le décret avant que la loi soit votée – on l’a déjà fait – et, vous verrez, vous obtiendrez un consensus au sein de cette assemblée. (M. Carlos Martens Bilongo applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Hendrik Davi.
M. Hendrik Davi
On ne se comprend pas. Ce que vous avez indiqué, mesdames les rapporteures, ne se trouve pas dans la loi. Je lis le début du texte de l’article L. 362-1 du code de l’éducation tel qu’il résulterait de l’adoption de l’article 1er : « Nul ne peut enseigner la danse contre rétribution ou faire usage du titre de professeur de danse ou d’un titre équivalent s’il n’est muni :
1° Soit du diplôme d’État de professeur de danse ou du certificat d’aptitude aux fonctions de professeur de danse ; […] ». La personne qui ne remplit pas ces conditions serait passible d’une amende de 15 000 euros.
Voilà ce qui serait écrit dans la loi ! Je ne vois pas comment vous pourriez, par un décret, lui faire dire autre chose. D’ailleurs, dans le doute – nous en avons discuté en commission –, j’ai même soumis la question à des juristes. Vous nous mentez !
Madame la ministre, ce n’est pas le diplôme qui offre des protections,…
Mme Rachida Dati, ministre
Il donne un statut !
M. Hendrik Davi
…c’est le statut. Certes, il est préférable d’avoir un diplôme pour bénéficier d’un statut, mais c’est bien celui-ci qui protège. Or, à aucun moment, la loi ne traite du statut, des rémunérations…
Mme Rachida Dati, ministre
Bien sûr que si !
M. Hendrik Davi
…ou des moyens que l’on alloue aux MJC et à l’éducation populaire pour rémunérer véritablement les acteurs.
M. Carlos Martens Bilongo
Exactement ! La loi ne dit rien des vrais sujets !
M. Hendrik Davi
C’est pour cette raison que nous ne sommes pas d’accord avec vous.
Mme la présidente
La parole est à Mme Violette Spillebout.
Mme Violette Spillebout
Je souhaite apporter une précision. Quel que soit le groupe, on observe que le diplôme d’État suscite l’intérêt, mais que l’on est inquiet des modalités d’application. Voilà ce que j’ai compris, après avoir eu de nombreux échanges avec les rapporteures : il s’agit d’offrir à d’autres danses que le jazz, le classique et le contemporain la possibilité, qu’elles n’ont pas actuellement, de bénéficier d’un diplôme d’État. Il ne s’agit pas de créer, par ce texte, le diplôme d’État de professeur de hip-hop, par exemple.
Quelle sera l’étape suivante ? Une concertation sera organisée par les deux rapporteures, le ministère de la culture et les filières – je pense en particulier à celle du hip-hop, dont on sait qu’elle est divisée, mais aussi à celle des danses indiennes, qui est assez demandeuse. Si la concertation aboutit, que tous les acteurs d’une filière perçoivent les bénéfices qu’elle peut tirer de ce cadre, et qu’ils sont rassurés sur la méthode de dispense, le contenu pédagogique du DE et les moyens publics consacrés par le ministère de la culture à la création dans chaque région d’un centre de formation public et accessible, alors le DE pourra voir le jour.
Contentons-nous, aujourd’hui, d’ouvrir cette possibilité, et prenons le temps, par la suite, d’écouter les filières professionnelles qui décideront – ou non – de s’en saisir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Fabienne Colboc, rapporteure.
Mme Fabienne Colboc, rapporteure
Je comprends les doutes qui s’expriment, mais précisons, au risque de répéter ce que notre collègue Violette Spillebout vient d’indiquer, que la promulgation de ce texte n’entraînera pas automatiquement la prise du décret d’application. Il s’agit, en quelque sorte, d’une loi-cadre, dont le but est de permettre à différentes esthétiques chorégraphiques, si elles le souhaitent…
Mme Estelle Folest
Voilà, si elles le souhaitent !
Mme Fabienne Colboc, rapporteure
…de bénéficier du diplôme d’État. Une loi-cadre fixe une méthode et engage un processus ; des concertations interviendront par la suite, comme le préciseront plusieurs amendements. Elles permettront d’élaborer cette reconnaissance éventuelle de différentes esthétiques par le diplôme d’État.
On ne peut pas, d’un côté, réclamer des concertations et, de l’autre, nous reprocher de n’avoir rien inscrit de précis dans la loi. Il faut appréhender ce texte comme un processus d’élaboration, à la manière d’une loi-cadre. La promulgation du texte vise à pouvoir élargir le diplôme d’État à d’autres danses, mais elle ne procédera pas à cet élargissement. Aucun décret n’est déjà prêt, qui préciserait d’emblée quelle danse serait concernée par l’élargissement du DE.
M. Quentin Bataillon
Très clair !
Mme la présidente
La parole est à Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure.
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
Mes chers collègues, afin de vous rassurer, nous vous disons et redisons – et nous vous le rappellerons, s’il le faut, toute l’après-midi – qu’il s’agit seulement de créer un cadre ouvrant la possibilité, à chaque esthétique de la danse, d’obtenir un diplôme d’État. En 1989, nous avions créé le diplôme d’État de professeur de danse pour le jazz, le classique et le contemporain. Aujourd’hui, nous l’ouvrons à toutes les danses ; nous n’obligeons personne.
M. Carlos Martens Bilongo, M. Hendrik Davi et M. Yannick Monnet
Si !
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
Les filières qui ne souhaiteront pas bénéficier du diplôme n’auront pas à le solliciter. Telle danse traditionnelle,…
M. Erwan Balanant
La sarabande ! On n’en parle pas assez de la sarabande !
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
…comme celle de mon département de l’Aube, pourra souhaiter intégrer le diplôme, quand d’autres n’en auront pas envie. Nous n’obligeons personne ; nous ouvrons la possibilité, pour ceux qui le souhaitent, de le faire.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre
Je reprends la parole, car je souhaite vraiment vous convaincre. Vous demandiez tout à l’heure que le DE soit accessible à tous : c’est là un combat à mener, analogue à celui qui a permis de réunir, sur les bancs de cette assemblée, des parcours, des origines et des expériences professionnelles différentes. Dans de nombreux cas, ce qui permet d’accéder au diplôme d’État, ce sont l’alternance et l’apprentissage ; or ces voies sont inscrites dans le texte, afin de rendre le diplôme accessible à tous. Vous n’allez quand même pas refuser les dispenses de formation initiale pour l’obtention du DE, prévues pour prendre en compte l’apprentissage et l’alternance !
Le diplôme – vous le savez bien, monsieur le député Davi – permet d’accéder à un statut, qui garantit, à son tour, une échelle de rémunérations. Par ailleurs, comme Mme Rauch l’a souligné, le décret viendra après la loi, et je m’engage à recevoir tous les acteurs pour discuter de son contenu.
Mme Fabienne Colboc, rapporteure
Voilà !
Mme Rachida Dati, ministre
Comme les deux rapporteures l’ont indiqué, il s’agit d’une loi-cadre, qui élargit le champ d’un diplôme, afin d’offrir une reconnaissance à de nouvelles pratiques, et de garantir, tant à celui qui les enseigne qu’à celui qui souhaite les pratiquer, de nouvelles protections. Le décret précisera les conditions d’accès à ce diplôme – par dispense, par validation d’acquis professionnels, ou par une formation académique plus classique. Tel est l’enjeu de l’article 1er.
Mme la présidente
Je mets aux voix les amendements identiques nos 5, 18 et 50.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 56
Nombre de suffrages exprimés 55
Majorité absolue 28
Pour l’adoption 12
Contre 43
(Les amendements identiques nos 5, 18 et 50 ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente
Sur l’amendement no 33, je suis saisie par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Hendrik Davi, pour soutenir l’amendement no 6.
M. Hendrik Davi
Vous êtes manifestement déjà d’accord, mesdames les rapporteurs et madame la ministre, avec cet amendement de réécriture. En effet, nous venons de vous expliquer que, selon l’article 1er tel que vous l’avez rédigé, la détention d’un diplôme d’État est une obligation ; or vous rétorquez qu’il n’en est rien et qu’il ne s’agit pas d’une obligation. Cela tombe bien, car cet amendement de réécriture prévoit qu’une concertation sur le titre de professeur de danse est engagée, avant le 1er juillet 2024, avec les fédérations agréées et les organisations syndicales de professionnels de la danse – représentatives au niveau national et interprofessionnel – qui, si elles le souhaitent, ouvrent une négociation au sujet des formations diplômantes et du diplôme d’État de professeur de danse. Cette réécriture correspond exactement aux propos que vous avancez pour défendre la proposition de loi ; votez-la ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.)
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Fabienne Colboc, rapporteure
Nous proposerons, par les amendements nos 44 et 45 qui seront étudiés par la suite (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES), et conformément à l’engagement pris en commission, d’instaurer une concertation, en précisant son objet, afin que rien ne soit omis. Cette concertation devra donc se tenir en application de la proposition de loi. Avis défavorable.
Mme la présidente
La parole est à Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure.
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
Je souhaiterais apporter une précision. Vous dites, chers collègues, que nous obligeons celui qui prétendrait au titre de professeur de danse à passer le diplôme d’État : c’est vrai ! Si on ne passe pas le DE, on ne pourra certainement pas se faire appeler professeur de danse.
Mme Rachida Dati, ministre
Bah oui !
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
Je suis donc également défavorable à cet amendement.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre
Même avis.
Mme la présidente
La parole est à M. Hendrik Davi.
M. Hendrik Davi
Je réagis à ce que vient de dire Mme la rapporteure Bazin-Malgras. L’obligation de détenir le diplôme d’État ne concerne pas seulement celui qui voudrait être appelé professeur de danse, mais également toute personne qui voudrait enseigner la danse contre rétribution ! Vous n’avez pas le droit d’être rémunéré pour votre enseignement de la danse si vous n’avez pas de diplôme d’État : voilà le vrai problème.
M. Carlos Martens Bilongo
Eh oui !
M. Hendrik Davi
C’est pour cette raison que vous devriez voter cet amendement de réécriture.
(L’amendement no 6 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Serva, pour soutenir l’amendement no 33.
M. Olivier Serva
Je m’exprime au nom des députés Mathiasin et Lenormand, membres du groupe LIOT. Vous affirmez, mesdames les rapporteures, madame la ministre, vouloir nous rassurer. Je veux bien vous croire – je salue d’ailleurs la qualité des échanges que nous avons eus avec les rapporteures et le cabinet de la ministre. À votre tour, faites-nous confiance : nous estimons, malgré la réécriture concernant les animateurs que propose l’amendement no 58 à venir, que le terme d’animateur sous-entend la détention d’un diplôme. Or la personne qui enseigne nos danses traditionnelles n’est parfois rien d’autre qu’un sachant – un mèt a manniok –, et non un animateur diplômé. À moins que pour vous, le rôle d’animateur n’implique pas nécessairement la détention d’un quelconque diplôme ?
Compte tenu de cette interrogation, nous considérons qu’il est plus sage, en attendant les décrets d’application et l’instauration d’une concertation, de ne pas conditionner l’enseignement de la danse – qu’il soit le fait d’un professeur, d’un animateur, ou d’un sachant tel qu’un mèt a manniok – à quelque rétribution que ce soit. En effet, ne pas retirer cette condition, qui est une forme de sanction, instillerait un doute quant à l’objectif de la proposition de loi – professionnaliser sans sanctionner, pour reprendre vos mots.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
Il est bien évident qu’un animateur qui travaille dans une association est rémunéré ; nous ne revenons pas là-dessus, et cela ne pose aucun problème. Cependant, il est appelé « animateur », et non « professeur de danse ». Toutefois, si cet animateur souhaite devenir professeur de danse, il peut accéder à la dispense sans difficulté.
Mme Rachida Dati, ministre
Voilà !
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
En revanche, s’il n’est pas diplômé, il ne sera pas professeur ; il restera animateur de danse dans une association, ou dans l’éducation populaire – et nous ne changeons rien à cela. Avis défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre
J’ai reçu tous les acteurs de l’éducation populaire – MJC, centres culturels, etc. Il faut les préserver des dispositions de ce texte. L’amendement no 58 du Gouvernement visera d’ailleurs à le préciser, et à consolider ce point. C’est le mot « enseigner » qui pose problème, puisqu’il renvoie à enseignant, et donc à professeur. Des enseignants qui donneraient des cours de hip-hop ou d’autres danses dans le cadre d’une animation – dans une MJC ou un centre culturel, par exemple – ne sont absolument pas concernés par ce texte. La question de la rétribution se pose seulement dans le cas d’un professeur.
Il existe des institutions et des organismes particuliers où vous ne pouvez pas enseigner la danse si vous n’êtes pas professeur, et ces établissements n’emploient pas d’animateurs. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons préciser que ces organismes ne peuvent pas rétribuer quelqu’un qui ne serait pas professeur. Cependant, les acteurs de l’éducation populaire continueront de pratiquer comme ils le font aujourd’hui ; et s’ils veulent changer de statut, ils pourront le faire par l’alternance, l’apprentissage, ou la validation d’acquis professionnels.
Mme la présidente
La parole est à M. Elie Califer.
M. Elie Califer
Nous avançons timidement, et nous rencontrons quelques difficultés à dire les choses. Nous avons travaillé avec Mmes les rapporteures, et nous leur avons exposé le problème, qui se pose à nous comme à bon nombre d’acteurs de l’éducation populaire. En Guadeloupe, comme l’indiquait à l’instant le collègue Serva, grâce au travail mené par l’éducation populaire, notre danse – le gwoka – a pu être reconnue par l’Unesco comme partie du patrimoine immatériel de l’humanité. Cette reconnaissance importante fut rendue possible par un enseignement de cette danse qui intégrait des rétributions. Le texte ne parvient pas, dans sa formulation, à garantir que les gens pourront continuer à pratiquer comme ils le veulent. Or quand vous faites de la danse en salle, il faut bien avoir une rétribution pour payer la location de cette salle !
La disposition, reprise par l’article 1er au code de l’éducation, selon laquelle « nul ne peut enseigner la danse contre rétribution […] », fait donc difficulté. Si nous parvenons à nous accorder sur une écriture clarifiant la chose sans équivoque, nous pourrons – ainsi que ceux qui nous regardent – poursuivre l’examen du texte avec sérénité.
Vous renvoyez à certains amendements à venir, ou à un décret d’application. Mais tout cela n’interviendra que plus tard. Or comme on dit chez nous, moun pa ka achté chat an sak – on n’achète pas un chat enfermé dans un sac –, et il faut nous dire les choses clairement pour que nous puissions avancer. (M. Carlos Martens Bilongo applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Serva.
M. Olivier Serva
Le député Califer a raison. Vous avez employé les bons termes, madame la ministre, en évoquant les « acteurs de l’éducation populaire ». Or ils ne figurent pas dans votre amendement no 58, qui ne mentionne que les animateurs. La différence est importante, car « animateur » connote la détention d’un diplôme, alors que nous avons, en Guadeloupe, des gens – les mèt a manniok – qui n’ont aucun diplôme particulier, mais qui sont des passeurs de culture, de savoir et de sensations.
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation et Mme Rachida Dati, ministre de la culture
Oui.
M. Olivier Serva
Dès lors, si vous pouviez remplacer, dans l’amendement no 58, le mot « animateur » – un terme connoté, en Guadeloupe – par les mots que vous avez employés – « acteurs de l’éducation populaire » –, cela nous conviendrait.
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 33. Ne courez pas dans les travées ! Je me permets de vous le dire, même si j’ai un diplôme d’État qui me permettra de vous soigner si vous tombez. (Sourires.)
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
Nous sommes sauvés !
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 47
Nombre de suffrages exprimés 47
Majorité absolue 24
Pour l’adoption 11
Contre 36
(L’amendement no 33 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre, pour soutenir l’amendement no 58.
Mme Rachida Dati, ministre
Vous êtes aide-soignante grâce à un diplôme d’État, madame la présidente : pour ma part, je le suis par validation des acquis professionnels.
Mme la présidente
Le plus beau métier du monde, madame la ministre !
Mme Rachida Dati, ministre
Vous avez raison.
De deux choses l’une : soit nous sous-amendons maintenant le présent amendement, soit nous ajustons la rédaction de la disposition qu’il contient d’ici à l’examen du texte par le Sénat. Pour ma part, j’estime qu’il serait plus prudent de vérifier que la notion d’« acteur de l’éducation populaire » est correcte sur le plan juridique,…
M. Erwan Balanant
Ce n’est pas sûr !
Mme Rachida Dati, ministre
…ce dont je ne suis pas certaine, mais je suis d’accord avec vous sur le fond, monsieur Serva : le qualificatif d’« animateur » est probablement trop restrictif.
Je souhaite que tous les acteurs de l’éducation populaire continuent de se sentir libres avec ce texte, et je m’engage à trouver le bon terme : peut-être pourrons-nous d’ailleurs le faire ensemble. Je le répète, les mots « acteur de l’éducation populaire » ne sont peut-être pas ceux qu’il convient d’inscrire dans la loi – j’ai appris à faire en sorte que les propositions de loi ne soient pas que bavardes.
Si vous en êtes d’accord, corrigeons le texte avant son examen par le Sénat. (M. Olivier Serva approuve.) Dans cette attente, j’espère que les acteurs de l’éducation populaire seront rassurés sur nos intentions.
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
C’est bien !
Mme la présidente
Je vous prie de m’excuser si mes connexions synaptiques fonctionnent mal en raison des microbes dont je suis assaillie, mais est-ce bien la présentation de l’amendement no 58 que vous venez de faire, madame la ministre ?
Mme Rachida Dati, ministre
Oui, madame la présidente.
Mme la présidente
Très bien. Dans ce cas, chers collègues qui êtes nombreux à souhaiter répondre, je vais d’abord donner la parole à Mme la rapporteure Colboc pour donner l’avis de la commission, afin de faire les choses dans l’ordre.
M. Erwan Balanant
Vos connexions ne fonctionnent pas si mal que cela, madame la présidente !
Mme Fabienne Colboc, rapporteure
La commission émet évidemment un avis favorable à cet amendement. Nous avons d’ailleurs travaillé à cette différenciation avec Mme la ministre, même si le terme « animation » n’est pas celui qui convient – pas plus, peut-être, que les termes « acteur de l’éducation populaire », dont la validité juridique est à vérifier.
Quoi qu’il en soit, nous souhaitons bien distinguer les activités d’animation en général de celles d’enseignement. Nous les retrouvons dans les centres sociaux, dans les MJC, et les personnels de ces organismes que nous avons auditionnés sont favorables à une telle différenciation.
Mme la ministre insiste sur la nécessité de réfléchir à la bonne rédaction, mais je crois que nous sommes d’accord sur l’esprit. Engagement a été pris, lequel figurera au compte rendu de nos débats : soyez assurés que nous travaillerons sur cet amendement lors de la navette, car je ne pense pas que nous puissions trouver immédiatement la bonne formulation juridique et la transcrire dans un sous-amendement.
Mme la présidente
La parole est à Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure.
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
Je suis également tout à fait d’accord avec la proposition de Mme la ministre et je vous remercie, cher collègue Serva, de nous avoir écoutées. Vous l’avez dit, nous avons bien travaillé ensemble, et la solution que vous suggérez semble la bonne. Elle a inspiré Mme la ministre : tant mieux ! Nous ne pouvons que nous en féliciter. (Mme la ministre sourit.)
Mme la présidente
Quatre députés souhaitent s’exprimer. Ne souhaitant pas jouer un rôle de gendarme – je l’ai trop fait hier –, je vais le leur permettre.
La parole est à M. Hendrik Davi.
M. Hendrik Davi
Vous connaissez tous l’expression « quand c’est flou, il y a un loup ».
Mme Delphine Lingemann
Il y a toujours quelque chose de flou avec LFI !
M. Hendrik Davi
Votre proposition de loi est mal engagée depuis l’origine, dans la mesure où elle rend obligatoire l’obtention d’un diplôme.
M. Erwan Balanant
Mais non !
M. Hendrik Davi
En conséquence, les animateurs de hip-hop craignent que cette obligation ne les concerne même si, par cet amendement, vous affirmez que ce ne sera pas le cas. Voilà, en quelques mots, le cheminement de nos réflexions.
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
N’importe quoi !
Mme Fabienne Colboc, rapporteure
Il le fait exprès !
M. Hendrik Davi
Le problème, c’est que le présent amendement ne circonscrit pas les choses si clairement que cela. Je prendrai l’exemple de l’association Cré Scène 13, active dans ma circonscription. Cette association propose des séances de hip-hop aux gamins, ce qui peut s’apparenter à de l’animation, mais il s’y pratique aussi du hip-hop très professionnel, l’association présentant parfois de grandes représentations de cette danse à Marseille. Les danseurs qui y travaillent se considèrent d’ailleurs comme des professeurs de hip-hop, même s’ils ne sont pas détenteurs d’un diplôme. Vous ne pouvez donc pas si facilement séparer les activités d’animation de celles d’enseignement, particulièrement dans des structures qui, le plus souvent, sont hybrides.
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
On ne sépare pas !
Mme Rachida Dati, ministre
C’est le cadre actuel !
M. Hendrik Davi
Je ne crois donc pas que nous réglerons le problème de l’obligation de détention d’un diplôme, induit par la proposition de loi, par un simple amendement comme celui-ci, que l’on peut qualifier de pirouette.
M. Erwan Balanant
C’est capillotracté !
Mme la présidente
La parole est à M. Elie Califer.
M. Elie Califer
Si Mme la ministre est inspirée, c’est que nous sommes sur la bonne voie ! Nous ne savons pas encore quels termes juridiques seront retenus, mais si l’engagement conduit à préserver les pratiques qui ont prévalu jusqu’à maintenant, alors les choses sont réglées !
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
Voilà !
Mme Rachida Dati, ministre
Nous sommes d’accord !
M. Elie Califer
Dès lors que les choses sont dites de manière forte et claire, les acteurs qui œuvrent à la transmission des savoirs, des pratiques culturelles et des expressions chorégraphiques seront rassurés.
Nous ne savons pas ce que ce que décidera le Sénat, ni quand il examinera le texte : tout n’est pas encore clair.
M. Erwan Balanant
Les choses le sont toujours avec la présidente Fiat !
M. Elie Califer
Cela étant, nous travaillons en bonne intelligence avec Mmes les rapporteures et ne souhaitons donc pas remettre en question le travail réalisé jusqu’à présent. Nous avons fait part d’une interrogation relative aux acteurs qui n’entrent pas dans la dynamique que le texte cherche à impulser. Ces personnes doivent être assurées qu’elles pourront continuer de pratiquer leur art,…
Mme Rachida Dati, ministre
Exactement !
M. Elie Califer
…ce qui nous permettra aussi de préserver nos patrimoines. Ce qui est important pour nous, ainsi que pour les personnes qui pratiquent les danses régionales – et pas seulement le hip-hop –, c’est qu’il reste des gens pour perpétuer les savoirs.
Il est vrai que l’idée de devoir obligatoirement détenir un diplôme pour enseigner la danse contre rétribution nous pose problème, mais si nous affirmons que les pratiques qui ont prévalu jusqu’à maintenant seront pérennisées, alors il n’y a pas de problème !
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Lenormand.
M. Stéphane Lenormand
Je demande une courte suspension de séance, madame la présidente, afin d’éclaircir les points obscurs relevés par M. Califer et mon collègue Olivier Serva, et d’avancer plus sereinement dans l’examen du texte.
Mme la présidente
La suspension de séance est de droit.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
Je reviens sur le cœur de ce qui pose problème : depuis le début, il y a une confusion entre la notion d’enseignement et le fait d’enseigner. Or il est écrit qu’on ne peut pas enseigner contre rétribution sans diplôme d’État. Ce n’est pas la fonction d’enseignant qui est visée, mais la transmission du savoir, que l’on soit animateur, passeur ou qu’on entraîne ses pairs.
Si l’on ne peut plus transmettre son savoir contre rétribution, cela pose, je le répète, un problème. En l’état de sa rédaction, le texte n’est pas clair, car il faut disposer d’un diplôme d’État pour être rétribué. Il faut clarifier les choses pour avancer.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre
Si cela vous convient, actons le terme de « professionnel reconnu » et renvoyons la liste au décret. Nous pourrons également toiletter le texte – si vous me permettez l’expression – au Sénat.
(L’amendement no 58 est adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Elie Califer, pour soutenir l’amendement no 4.
M. Elie Califer
Il s’agit de s’assurer que le référentiel du diplôme pour les danses nouvellement visées est déterminé avec tous les acteurs concernés. Chaque danse possède sa particularité ; il est important que les référentiels reflètent et respectent les diversités culturelles de toutes ces danses. L’amendement prévoit une concertation avec les fédérations agréées, les organisations syndicales des professionnels de la danse représentatives au niveau national et interprofessionnel.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Valérie Bazin-Malgras, rapporteure
Nous partageons votre analyse. L’amendement que nous avons déposé, et que nous examinerons ultérieurement, devrait vous donner satisfaction. Je vous encourage à le voter et émets donc un avis défavorable.
(L’amendement no 4, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Elie Califer, pour soutenir l’amendement no 24.
M. Elie Califer
C’est un amendement têtu, qui nous permettra de poursuivre la discussion. Mais nous sommes sereins, et nous abordons le sujet tranquillement. Il s’agit d’exclure de l’exigence de l’obtention d’un diplôme d’État tout enseignement de danses traditionnelles et régionales dont la rareté de l’offre et de la maîtrise technique aurait été constatée.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Fabienne Colboc, rapporteure
Pour faire suite à nos discussions, je m’en remets à la sagesse de notre assemblée. Si une telle disposition est de nature à rassurer, c’est l’objectif visé.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre
Sagesse.
(L’amendement no 24 est adopté.)
Mme la présidente
Je suis saisie de l’amendement no 42 de M. Olivier Serva.
(L’amendement no 42 de M. Olivier Serva est retiré.)
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Serva, pour soutenir l’amendement no 43.
M. Olivier Serva
Nous avons bien noté votre volonté d’engager, en lien avec les Drac, la concertation avec les sachants locaux pour tout ce qui ne relève pas des danses jazz, contemporaine ou classique. Nous souhaiterions que la particularité des danses inscrites au patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco soit prise en compte. Ainsi, pour le gwoka, par exemple, nous plaidons pour une concertation supplémentaire avec les passeurs de savoir, les acteurs de terrain, les professionnels reconnus afin de s’assurer de la régionalisation des enseignements, en lien avec les Drac de chacune des régions.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Fabienne Colboc, rapporteure