Deuxième séance du mercredi 31 janvier 2024
- Présidence de Mme Caroline Fiat
- 1. Encadrer l’intervention des cabinets de conseil privés
- Rappel au règlement
- Présentation
- Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement
- M. Nicolas Sansu, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- M. Bruno Millienne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Discussion générale
- Discussion des articles
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Caroline Fiat
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
1. Encadrer l’intervention des cabinets de conseil privés
Discussion d’une proposition de loi adoptée par le Sénat
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques (nos 366, 2112).
Rappel au règlement
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Mathieu, pour un rappel au règlement.
M. Frédéric Mathieu
Sur la base des articles 80-1 sur les conflits d’intérêts et 100 sur la bonne tenue des débats, il me semble que Mme Marie Lebec, en tant qu’ancienne salariée de cabinet de conseil, est en position de conflit d’intérêts. Changer de ministre au banc serait de bon aloi. Elle ne peut pas, raisonnablement, intervenir au nom du Gouvernement, donc dans l’intérêt général, alors qu’elle a été salariée du cabinet de conseil Euralia, qui était il y a peu engagé contractuellement avec le Gouvernement : il est intervenu dans le cadre de la préparation de la réforme des retraites et était encore sous contrat avec lui l’année dernière. Pour un bon respect de cette assemblée et une bonne prévention des conflits d’intérêts, il convient que Mme la ministre se déporte et qu’un autre ministre la remplace au banc.
M. Nicolas Sansu, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
C’est normal !
Mme la présidente
Pour votre information, le Gouvernement envoie au banc le ministre qu’il souhaite lors des débats qui se tiennent dans l’hémicycle.
M. Bruno Millienne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Très bien, madame la présidente !
Présentation
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement
Quinze mois après son adoption par le Sénat, nous sommes réunis pour débattre de la proposition de loi visant à encadrer l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. Cette proposition de loi fait partie de celles qui sont observées, car elle porte sur un sujet qui a parfois conduit à l’outrance. Ainsi le rapport de la commission d’enquête sénatoriale de mars 2022 évoquait-il un « phénomène tentaculaire ».
Les travaux en commission l’ont montré, nous partageons le même objectif :…
M. Pierre Dharréville
À vérifier !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
…renforcer la puissance publique, sans jamais céder à l’outrance et en privilégiant toujours l’intérêt de nos compatriotes.
Il nous faut donc agir avec pragmatisme, objectivité et efficacité. Sans affirmer qu’aucune action nouvelle ne s’impose en matière de recours aux cabinets de conseil, nous pouvons reconnaître que plusieurs mesures structurantes ont été prises – je l’affirmais déjà lorsque j’étais députée et responsable d’une mission flash sur le sujet avec le rapporteur Nicolas Sansu.
La volonté du Gouvernement d’avancer, en lien avec les recommandations du Parlement, n’est donc plus à démontrer. Bien que sa position ne converge pas toujours avec celle des rapporteurs, le travail engagé tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale atteste de la pertinence de la mission de contrôle du Parlement.
Je souhaite néanmoins être très claire sur la position du Gouvernement. L’État doit-il pouvoir faire appel à des compétences dont il ne dispose pas en interne ? Oui.
M. Philippe Gosselin
C’est l’excès qui est mauvais !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
L’État doit-il se réarmer, développer ses compétences, renforcer le cadre applicable en matière de prestations de conseil externes ? Oui, bien sûr.
M. Philippe Gosselin
Réarmer, on l’entend beaucoup !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
L’État doit-il rationaliser son recours aux prestations extérieures ? Oui, évidemment.
À l’heure de légiférer sur le sujet, je tiens à rappeler le bilan du Gouvernement. Ces dernières années, nous avons agi efficacement, concrètement, sans démagogie, afin d’encadrer le recours aux prestations de conseil.
Tout d’abord, la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 a fixé à la fois des modalités de contrôle interne et un cap en matière de réduction des dépenses de conseil à court terme – rationalisation qui s’impose face à l’impérieuse nécessité de réduire nos dépenses publiques.
L’application de cette circulaire a favorisé la définition d’une véritable stratégie de pilotage des dépenses de conseil qui a permis de réduire drastiquement les commandes de prestations de conseil au sein des ministères. Entre 2021 et 2022, les dépenses ont ainsi baissé de moitié, passant de 271 millions d’euros à 137 millions. Elles ont été divisées par trois entre 2021 et 2023, pour s’établir à 80 millions l’an passé.
Mme Clémentine Autain
De combien les aviez-vous fait exploser avant ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
En juillet 2022, le ministre de la transformation et de la fonction publiques Stanislas Guerini a publié un accord-cadre relatif à la réalisation de prestations de conseil pour la période 2023-2027 qui s’applique à tous les ministères, hors celui des armées. Entré en vigueur en janvier 2023, celui-ci intègre les recommandations de la commission d’enquête du Sénat et, d’ores et déjà, celles de la présente proposition de loi. Il prévoit notamment le renforcement des règles en matière de transparence, d’évaluation des prestataires et de déontologie, ainsi qu’une déclaration d’intérêts pour les consultants et une extension des pénalités en cas de manquement des prestataires. Les missions pro bono sont également fermement encadrées, et le démarchage prohibé.
Afin de réarmer concrètement l’État,…
M. Philippe Gosselin
Très très armé !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
…en complément des inspections et du renforcement des capacités des administrations à conduire leurs projets, l’agence de conseil interne de l’État, rattachée à la direction interministérielle de la transformation publique (DITP), a vu ses ressources multipliées par trois depuis 2022 : elle compte 75 équivalents temps plein (ETP) en 2024. Le Gouvernement proposera de renforcer encore ses effectifs dans les prochains projets de loi de finances (PLF). Les prestations de l’agence, qui sont les plus substituables aux prestations externes, permettront d’assurer en interne l’équivalent d’un tiers des besoins de conseil externe.
Par ailleurs, le Gouvernement a engagé une réforme de l’Institut national du service public (INSP) pour mieux sélectionner et former ses cadres supérieurs et ainsi mieux répondre aux besoins des administrations. La formation initiale et continue de tous sera renforcée dans le même sens. Le campus de la transformation publique permettra notamment de doter les agents publics de compétences qui sont aujourd’hui très externalisées : gestion de projet, design, facilitation, réingénierie de processus, simplification des parcours usagers ; autant de compétences dont nous avons besoin pour une action publique plus proche, plus simple et plus efficace.
Enfin, nous avons effectué en 2023 une synthèse de l’ensemble des dépenses de conseil de l’État. Pour la première fois, ce document a été annexé au projet de loi de finances pour 2023. Il est depuis gravé dans le marbre, puisqu’il est devenu un jaune budgétaire, c’est-à-dire une annexe pérenne dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances. Le volume – près d’une centaine de pages –, la précision et la granularité des informations qui sont portées à votre connaissance dans ce jaune budgétaire sont importants.
M. Pierre Dharréville
Granularité, c’est beau !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Comme vous le voyez, nous avançons, nous agissons et nous prenons des dispositions pour renforcer l’État, en tenant compte des recommandations du Sénat et de l’Assemblée nationale. Le Gouvernement partage les objectifs du texte : une meilleure maîtrise par la puissance publique des moyens qu’elle mobilise ; la neutralité des prestations de conseil sur la décision publique, laquelle doit rester pleine et entière ; la mise en place d’un cadre légal clair et stable.
En revanche, le texte doit demeurer proportionné – principe auquel nous devrons nous astreindre au cours de nos débats. Alourdir le travail des fonctionnaires pour les inciter à renoncer à des prestations externes ne peut constituer une réponse satisfaisante.
Mme Clémentine Autain
Recrutez des fonctionnaires !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Nous pouvons en effet avoir besoin d’une aide extérieure ponctuelle pour servir les Français.
M. Philippe Gosselin et M. Pierre Dharréville
Ponctuelle !
Mme Clémentine Autain
C’est le bilan d’un cabinet de conseil !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Permettez-moi de vous présenter les trois axes identifiés par le Gouvernement. Ils devraient pouvoir faire l’objet d’un consensus.
Le premier a trait au périmètre de la proposition de loi. C’est à dessein que j’ai parlé de puissance publique, car il me semble essentiel que le cadre proposé par le texte s’applique également aux collectivités territoriales, qui ont elles aussi recours aux cabinets de conseil.
M. Philippe Gosselin
Ça, c’est l’amendement tiré du chapeau !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Le rapport que nous avions rendu avec Nicolas Sansu, sans rien ignorer de nos désaccords, faisait état d’un montant global de recours aux prestations de conseil par les collectivités supérieur à un demi-milliard d’euros. Ce chiffre reste certes une estimation, mais il est bien supérieur à celui de l’État. Le Gouvernement est donc favorable à ce que les dispositions de la proposition de loi s’appliquent aux collectivités les plus importantes. Nous avons néanmoins pris en compte vos observations, messieurs les rapporteurs, et avons par conséquent adapté le champ des obligations.
M. Pierre Dharréville
Cela s’appelle une diversion !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Aussi, je présenterai un amendement de compromis…
M. Philippe Gosselin
C’est vous qui le qualifiez ainsi !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
…visant à appliquer les articles de la proposition de loi qui s’y prêtent aux collectivités et intercommunalités de plus de 100 000 habitants.
Cela constituera un point de départ pour les discussions avec les associations d’élus ; le dispositif sera ensuite affiné au fil de la navette parlementaire.
Le deuxième axe concerne la transparence, qu’il s’agisse des prestations fournies ou des compétences de l’État. Le Gouvernement ne s’oppose pas au principe d’un rapport qui viendrait compléter le document budgétaire existant, mais il proposera que celui-ci se concentre sur l’internalisation des compétences, afin de disposer d’un panorama particulièrement précis et complet. La consolidation du rapport prévu à l’article 3, en sus du jaune budgétaire, permettra de satisfaire les articles 4 et 8 ; c’est pourquoi le Gouvernement proposera de les supprimer.
Le troisième axe concerne le mécanisme de contrôle déontologique et les sanctions. Je souhaite que le contrôle exercé soit proportionnel à l’objectif fixé, car je pense très sincèrement que c’est une condition d’effectivité des mesures proposées. Nous aurons à en discuter s’agissant des déclarations d’intérêts exigées pour les consultants, des mécanismes de contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et de la régulation des mouvements entre le secteur public et celui du conseil.
Dans le domaine de la déontologie, le Gouvernement ne varie pas. Nous ne souhaitons pas confier à la HATVP un pouvoir de sanction administrative : ce n’est pas son rôle et nous n’entendons pas modifier celui-ci. Nous tenons à ce que les mécanismes de contrôle et de sanction restent cohérents avec l’existant. Le dispositif actuel a fait ses preuves ; son application aux prestataires de conseil est la solution la plus opportune.
Tels sont les trois champs dans lesquels le Gouvernement formulera des propositions. Nous aurons un véritable débat de fond, j’en suis convaincue, et nous pourrons ainsi nous assurer de la bonne effectivité de la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. – M. Bruno Millienne, rapporteur, applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Sansu, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Nicolas Sansu, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Notre assemblée est saisie ce soir de la proposition de loi encadrant le recours aux cabinets de conseil privés dans la conduite des politiques publiques. Il était temps, alors même que nos concitoyens doutent – c’est un euphémisme – de notre capacité collective à assurer et à assumer la transparence et des règles déontologiques plus fortes, dans tous les domaines de la vie publique. Il était temps, alors que la parole politique se voit ébranlée par des lames de fond que le pouvoir néglige, voire méprise.
Cette proposition de loi sénatoriale ne vient pas de nulle part, madame la ministre. De nombreux travaux parlementaires ont eu lieu dès 2014. La Cour des comptes s’est saisie et a été saisie par les citoyens de ce sujet. Plusieurs ouvrages, grâce à des enquêtes fouillées, ont exposé sans concession les dérives des interventions du conseil privé pour le compte des États, voire des mélanges qui confinent parfois à une forme de consanguinité. C’est tout cela que le travail remarquable de nos collègues sénateurs Éliane Assassi et Arnaud Bazin a mis en lumière. Il y a là des pratiques non seulement inacceptables, mais dangereuses pour notre démocratie et notre République.
Comment ne pas rappeler ce fameux rapport, payé 500 000 euros à McKinsey, sur un colloque qui ne s’est jamais tenu consacré à l’avenir des professeurs au XXIe siècle ? Ou bien la mise à disposition pour quarante-cinq jours d’un agent de liaison du même cabinet McKinsey, moyennant 169 000 euros, pour éviter les frictions entre le ministère de la santé et Santé publique France, dont la direction alerte et crise est pourtant censée remplir cette mission ?
Au-delà de ces exemples emblématiques, qui font pour certains l’objet d’une saisine du parquet national financier (PNF), ce qui pose problème, c’est que cette pratique fait système ; c’est que ce recours obéissait à une dynamique incontrôlée ; c’est qu’il s’agit d’une véritable addiction.
En fait, nous sommes devant une alternative : soit l’on pense, ce qui est mon cas, qu’il faut redonner à la fonction publique les moyens d’exercer toutes ses missions, soit l’on pense, comme le Président de la République et sa majorité, que le privé est toujours plus efficace et plus efficient – le recours aux cabinets de conseil devenant par conséquent une habitude de la start-up nation –, alors même que la commission d’enquête du Sénat a révélé des prestations de qualité inégale, voire médiocre.
Le seul dogmatisme ne peut expliquer cette habitude. C’est un choix assumé pour promouvoir une politique de casse des services publics, une politique d’intégration des fameuses « méthodes du privé » au cœur des administrations centrales. Il n’y a pas de hasard : les cabinets de conseil privés ont été les porte-flingues du Gouvernement quand il s’est agi de réduire les aides personnalisées au logement (APL) – objet d’une mission de McKinsey – ou d’enfoncer des coins dans les dispositifs de solidarité de l’assurance chômage – objet d’un rapport du cabinet Ernst & Young.
M. Laurent Croizier
C’est pour ça que vous les utilisez dans les collectivités !
M. Nicolas Sansu, rapporteur
Bien sûr, le Gouvernement a dû faire amende honorable. Il nous explique que des correctifs ont déjà été apportés, mais c’est largement insuffisant. N’oublions pas que tout a été fait pour torpiller l’examen du présent texte et amoindrir sa portée par le biais d’amendements qui corsètent ou limitent les dispositions sénatoriales !
M. Frédéric Mathieu
C’est vrai !
M. Nicolas Sansu, rapporteur
Toutes les auditions que j’ai conduites avec Bruno Millienne, dans un esprit de pleine confiance, ont été animées par une seule volonté : la recherche du meilleur équilibre et de l’efficacité opérationnelle des dispositions.
La proposition de loi ne vise pas à interdire le recours aux cabinets de conseil, mais à le soumettre au respect de trois grands principes : le principe de transparence – la liste exhaustive des prestations de conseil dressée à l’article 1er et les montants budgétaires y afférents seraient publiés chaque année ; le respect de règles déontologiques renforcées par l’interdiction des missions de pro bono et le suivi des données collectées ; une meilleure prévention des conflits d’intérêts et leur sanction.
C’est pourquoi, mes chers collègues, j’en appelle à notre responsabilité collective pour que l’esprit de la proposition de loi ne soit pas dévoyé. L’objectif est simple : il s’agit d’en finir avec l’opacité du recours aux cabinets de conseil par les administrations centrales et les gros établissements publics de l’État, pour l’essentiel.
Il y va d’une exigence de transparence et d’exemplarité dans l’utilisation des moyens publics. Les comportements dispendieux nourrissent la défiance des citoyens et altèrent la crédibilité de l’État. Il s’agit également – c’est une question de souveraineté – d’engager la reconquête de compétences qui pourraient manquer, ou plutôt de mobiliser des compétences existantes, parfois méprisées parce que trop attachées au service public, à l’esprit de service public.
Je veux, pour conclure, m’adresser au Gouvernement. Lorsqu’on s’oppose à un texte, madame la ministre, il faut aller au bout du chemin. Après les méandres qu’il a dû parcourir jusqu’à son inscription à notre ordre du jour, vous tentez de le vider de sa substance sans le dire. Assumez : demandez la suppression de chacun des articles ! Soyez claire et courageuse : c’est cela, l’engagement politique ! Ou alors acceptez le travail transpartisan qui a abouti à son adoption unanime en commission.
Mes chers collègues, Bruno Millienne et moi, nous vous appellerons à respecter les travaux de la commission en préservant les dispositions qui en sont issues et en repoussant les amendements du Gouvernement. Vous ferez ainsi œuvre utile pour la démocratie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES et LFI-NUPES, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe Écolo-NUPES.)
M. Sébastien Peytavie
Excellent !
Mme la présidente
La parole est à M. Bruno Millienne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Bruno Millienne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
À la demande des groupes Démocrate et Gauche démocrate et républicaine, la conférence des présidents de notre assemblée a finalement décidé, près de quinze mois après sa transmission, d’inscrire à notre ordre du jour la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques.
Ce texte est très attendu. Il fait suite, comme l’a rappelé mon collègue Nicolas Sansu – avec qui j’ai eu grand plaisir à travailler –, à la commission d’enquête du Sénat sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques, qui avait dressé un constat mitigé du recours par l’État auxdits cabinets et relevé l’importance des dépenses consacrées à leurs conseils ainsi que les insuffisances du cadre actuel.
La proposition de loi traduit sous forme législative l’essentiel des recommandations de la commission d’enquête. Elle comporte des mesures nouvelles applicables aux cabinets de conseil comme aux administrations, mesures que l’on peut classer en trois catégories : celles relevant du principe de transparence, les règles déontologiques et les obligations déclaratives. Je tiens à souligner que le Gouvernement a procédé à des ajustements majeurs dans son recours aux cabinets de conseil, en prenant en compte les remarques de nos collègues sénateurs.
Ces dispositions sont ambitieuses, mais souvent trop lourdes. Au cours de nos travaux, nous avons donc été soucieux de rechercher un meilleur équilibre entre les obligations prévues par le texte et le nécessaire encadrement de l’action des cabinets de conseil. Nous avons cherché à mieux proportionner ces obligations aux risques et aux enjeux, de façon à les rendre plus opérationnelles. La commission des lois a ainsi adopté soixante-quatre amendements et procédé à des ajustements significatifs.
Tout d’abord, elle a recentré le champ d’application du texte, qu’il s’agisse des administrations bénéficiaires ou des prestations de conseil concernées. Nous avons ainsi réduit la catégorie des établissements publics de l’État concernés aux seuls établissements dont les dépenses de fonctionnement sont supérieures à 60 millions d’euros, afin de ne pas y attraire les plus petits d’entre eux, pour lesquels les enjeux paraissent limités.
Nous avons exclu la Caisse des dépôts, du fait des spécificités de cet établissement, tout en prévoyant des obligations de transparence équivalentes, mais selon des modalités adaptées. Je soutiendrai, pour des raisons analogues, l’amendement de Gilles Le Gendre et celui de Jean-René Cazeneuve qui visent à exclure respectivement les établissements non administratifs et l’Agence des participations de l’État (APE) du champ du texte. La commission a également modifié le périmètre des prestations informatiques concernées pour le limiter aux seules prestations les plus stratégiques.
S’agissant des collectivités, nous avons préféré, comme l’a rappelé Nicolas Sansu, approfondir la question plutôt que nous prononcer hâtivement.
Ensuite, la commission a recherché une meilleure proportionnalité et une plus grande subsidiarité dans la mise en œuvre des obligations déontologiques. Nous avons donc transformé la déclaration exhaustive, exacte et sincère des intérêts en une attestation d’absence de conflit d’intérêts, pour les prestataires comme pour les consultants. Ainsi, dans le cas où le prestataire ou le consultant estimerait être en situation de potentiel conflit d’intérêts, il devrait en déclarer les raisons à l’administration ; seules les informations pertinentes seraient alors transmises à cette dernière.
Plusieurs difficultés avaient été soulevées concernant la déclaration d’intérêts telle qu’elle était envisagée dans le texte du Sénat : les informations exigées étaient trop nombreuses, trop intrusives, trop complexes à contrôler et potentiellement sans lien avec les risques en présence. Le nouveau dispositif est plus souple, mais il n’en est pas moins exigeant. S’agissant d’un document opposable, il sera tout aussi efficace juridiquement pour prévenir les conflits d’intérêts. Nous avons par ailleurs décidé d’associer les référents déontologues des administrations concernées, dans une recherche de subsidiarité.
Par ailleurs, notre commission a approuvé le principe des obligations de transparence inscrit dans le texte et n’a pas modifié, sur le fond, la nature des informations concernées. À l’article 6, elle a prévu que l’évaluation de la prestation, qui doit être systématiquement réalisée, doit justifier les raisons pour lesquelles l’administration a recouru à une prestation de conseil plutôt qu’à des ressources internes.
Nous avons également harmonisé les obligations de publication avec les protections prévues par le droit de la communication des documents administratifs et explicitement prévu la compétence de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) pour statuer sur les éventuels refus de communication.
Enfin, nous avons allégé d’autres obligations, notamment en assouplissant celles relatives aux audits de sécurité informatique.
Pour conclure, le texte que nous nous apprêtons à examiner est important et attendu par nos concitoyens. Des allégements supplémentaires, de forme et non de fond, vous seront présentés par le Gouvernement. Parce que les crises que nous traversons nous imposent de mettre fin à la suradministration qui gangrène les moyens de l’État, je soutiendrai ces simplifications et vous appelle, en responsabilité, à faire de même. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et RE.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Paul Mattei.
M. Jean-Paul Mattei
La proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques est l’aboutissement d’un long processus fait de polémiques médiatiques et politiques ; elle a donc le mérite de tenter de clore une controverse. Il est vrai que le recours par l’État aux cabinets de conseil était jusqu’à présent entouré de certaines zones d’ombre, qui ont conduit à une utilisation parfois jugée abusive desdits cabinets. Sans doute un encadrement est-il nécessaire, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’argent public.
En tout état de cause, il nous a semblé indispensable que le débat ait lieu. C’est pourquoi le groupe Démocrate a souhaité que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée.
M. Pierre Dharréville
Très bien !
M. Jean-Paul Mattei
Il est normal, en effet, que la question ne soit pas traitée uniquement dans la sphère médiatique et que la représentation nationale puisse en débattre sereinement.
La commission d’enquête sénatoriale a permis d’analyser finement et de manière détaillée l’ensemble des pratiques ayant cours dans ce domaine. Son constat est clair : l’État recourt de plus en plus aux cabinets de conseil, dont les interventions sont peu encadrées par le droit. Cette opacité a pu conduire à des dérives et peut, en conséquence, présenter des risques déontologiques et de conflits d’intérêts.
En la matière, le Gouvernement a immédiatement pris des mesures. D’abord, une circulaire a encadré le recours par les administrations et les établissements publics de l’État aux prestations intellectuelles. Ensuite, le cahier des clauses administratives particulières de l’accord-cadre de la direction interministérielle de la transformation publique a été refondu. Enfin, le syndicat représentatif des cabinets de conseil français a rédigé une charte de déontologie s’appliquant aux interventions de conseil auprès du secteur public.
Ces décisions étaient nécessaires, mais comme toute décision prise dans l’urgence, elles n’offraient que des solutions de court terme, qui devaient être complétées par des mesures de plus long terme élaborées avec l’ensemble des acteurs.
Tel est l’objet de la proposition de loi, qui vient compléter notre arsenal législatif en mettant en œuvre les recommandations de la commission d’enquête. Le texte a évolué au cours de la navette, de sorte que certaines dispositions initiales, trop lourdes pour les administrations, qui n’auraient pas été en mesure de supporter une telle augmentation de leur activité, ont été allégées.
Ce point est très important : nous devons rester vigilants aux monstres normatifs que nous créons quotidiennement dans cet hémicycle et qui justifient parfois le rejet exprimé par nos concitoyens, comme en témoigne l’une des revendications de nos agriculteurs. Nous sommes les garants de la bonne utilisation de l’argent public. Il est donc normal de contrôler ces dépenses, mais certaines sont compréhensibles lorsqu’on les étudie en détail.
Bien entendu, je comprends la volonté affichée sur nombre de ces bancs d’éclairer les zones d’ombre et d’éviter que des dérives, inacceptables, n’affectent la construction des politiques publiques. Mais n’empêchons pas nos administrations de travailler, et faisons en sorte de préserver leurs compétences et leur savoir en déléguant certaines prestations.
Ainsi, l’État n’a pas nécessairement intérêt à investir dans des compétences internes dans le domaine informatique, qui évolue constamment. Si nous avions maintenu la programmation et la maintenance informatique dans le champ du texte, nous aurions pris le risque de laisser l’administration prendre du retard sur le privé, et cela aurait été contraire au choc de simplification que nous appelons de nos vœux.
J’entends dire que le texte serait vidé de sa substance, mais regardons plutôt les avancées qu’il comporte : encadrement du recours aux cabinets de conseil et des pratiques des consultants, établissement d’un code de conduite pour lutter contre les conflits d’intérêts, déclaration sur l’honneur attestant de l’absence de conflits d’intérêts, saisine de la HATVP en cas de manquement déontologique. Voilà une belle illustration de l’utilité du travail parlementaire et de l’efficacité de la démarche transpartisane !
Ce texte utile s’attaque aux dérives et définit un cadre – j’espère que, lors de notre discussion, nous déciderons de réintégrer dans le champ de la proposition de loi les collectivités territoriales, qui ont massivement recours à ces prestations extérieures. Toutefois, sous d’autres aspects, il reste lourd ; certains de ses articles devront être examinés et débattus afin que nous parvenions au bon équilibre.
Merci aux rapporteurs pour leur travail et pour avoir constamment cherché à préserver l’équilibre entre, d’une part, l’Assemblée et le Sénat et, d’autre part, les forces politiques de nos assemblées.
Pour l’ensemble de ces raisons, et pourvu que certaines dispositions soient allégées, le groupe Démocrate votera en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et RE. – Mme Cyrielle Chatelain et M. Bruno Millienne, rapporteur, applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Cécile Untermaier.
Mme Cécile Untermaier
En préambule, je veux saluer la qualité du travail parlementaire qui a conduit à la genèse de cette proposition de loi. En premier lieu, la commission d’enquête sénatoriale a fourni des conclusions alarmantes et choquantes au sujet de la force de frappe des cabinets de conseil et de leur influence grandissante dans les politiques publiques – je ne reviens pas sur le constat alarmant dressé par M. Sansu. Puis, une fois dissipée l’écume du scandale des cabinets de conseil, le législateur s’est saisi de l’enjeu majeur de l’intégrité de l’action publique.
Enjeu complexe en ce qu’il met en question les compétences des fonctionnaires et souligne la nécessité de donner du sens à la fonction publique grâce à une formation qui lui permette de progresser et de s’adapter aux demandes nouvelles.
Complexe, il l’est aussi parce que nous savons tous que les cabinets de conseil sont indispensables dans certains pans de l’action publique ; l’administration, en dépit de l’excellence de ses fonctionnaires, ne pourra être performante dans tous les secteurs. Cependant, en toutes circonstances, l’État doit avoir pour objectif de maintenir la qualité et de maîtriser les orientations des politiques publiques. C’est pourquoi nous soutenons l’amendement, adopté en commission, qui rappelle que les projets de loi étant l’affaire de l’administration, leur rédaction ne peut être confiée à un cabinet de conseil.
L’État doit également conserver la maîtrise des missions confiées à un cabinet de conseil et être en mesure d’en assurer le contrôle, l’évaluation et les suites.
D’autre part, il apparaît nécessaire de réguler l’intervention des cabinets de conseil dans l’action publique. Depuis plusieurs années, cette intervention des cabinets privés auprès de l’État ne cesse de s’accroître, pour définir une stratégie, élaborer une politique publique, concevoir une organisation ou une gestion des ressources humaines. Dans l’opacité la plus totale, l’État a eu recours à des prestations dont le montant atteignait parfois plusieurs millions d’euros. En 2021, les dépenses de conseil ont dépassé le milliard d’euros, dont 893 millions pour les ministères. Ces montants excessivement élevés concernent des prestations parfois évitables, sans réel contrôle ni évaluation. En cela, la circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 constitue la première pierre d’un arsenal juridique à consolider.
Sur le fond, le présent texte remplit plusieurs objectifs. Il renforce les obligations de transparence, avec la publication par les ministères d’un rapport énumérant les prestations de conseil auxquelles ils ont eu recours. L’exigence de transparence doit également s’imposer avant l’exécution de la prestation, en particulier pour les agents publics concernés, qui doivent en être informés – ne serait-ce que par respect pour leur travail. Le texte encadre davantage le recours aux prestations, en renforçant leur évaluation a posteriori. Il conforte les principes déontologiques applicables aux consultants. Je suis heureuse de constater qu’enfin, dans cet hémicycle, le terme de « déontologie » n’est plus un vilain mot.
Cependant, la prévention des conflits d’intérêts et le respect des principes déontologiques ne peuvent reposer sur la seule Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Comme l’a souligné le rapporteur Millienne, le référent déontologue désigné au sein de chaque administration doit prendre toute sa part dans cette mission. Grâce à ce texte, nous participerons à la diffusion d’une culture déontologique à laquelle je suis très attachée ; c’est un des éléments de la lutte contre la corruption, thème sur lequel j’ai eu l’occasion d’interroger Bruno Le Maire cet après-midi lors des questions au Gouvernement.
Nous nous interrogeons sur le champ d’application de ce texte, qui n’inclut pas les collectivités territoriales. Notre amendement, bien que revu et atténué, a été déclaré irrecevable ; nous le regrettons et peinons à le comprendre, puisqu’il avait été jugé recevable en commission.
M. Bruno Millienne, rapporteur
C’est vrai.
Mme Cécile Untermaier
Il faudra que l’Assemblée nationale progresse afin de rendre cohérentes et lisibles les décisions de recevabilité. Nous concevons que la charge administrative puisse être trop lourde pour de petites collectivités, mais si nous ne réussissons pas à intégrer dans le texte, d’une manière ou d’une autre, les collectivités territoriales – au moins en exigeant d’elles un devoir de transparence –, nous risquons de faire l’impasse sur un volet important de l’intervention des cabinets dans l’élaboration des politiques publiques. C’est en tout cas le point de vue de mon groupe.
À travers nos débats, il nous appartient de remobiliser la fonction publique dans sa mission essentielle. Merci aux rapporteurs pour l’excellent travail mené en commission des lois. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES. – M. Gilles Le Gendre applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback.
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback
La transparence garantit-elle la confiance ? C’est un sujet presque philosophique qui pourrait nous rassembler ce soir. Permettez-moi tout d’abord de retracer brièvement l’évolution de la régulation des liens entre secteurs privé et public : suppression du financement des partis et des campagnes par les entreprises, plafonnement des dons des particuliers et des dépenses de campagne, publication des comptes des partis et des candidats… Jusqu’aux années 2000, sous la pression saine de l’opinion publique, un bond énorme a été effectué dans la moralisation des relations financières entre les pouvoirs publics et économiques. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Cependant, depuis quelques années, nous avons basculé dans une autre dimension. De cette indépendance financière nécessaire, nous sommes passés à une défiance a priori envers les élus, envers leurs interactions avec les acteurs privés, et plus généralement envers leur entourage. Je reprendrai à mon compte l’image choisie par – au hasard – Édouard Philippe (Sourires),…
M. Philippe Gosselin
Quel hasard !
M. Bruno Millienne, rapporteur
Le hasard fait bien les choses !
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback
…dans son livre Impressions et lignes claires, celle d’un « balancier, longtemps bloqué du côté d’un très grand laxisme », et qui « a été lancé avec la force de l’opprobre ». Il y a eu des abus, et je ne vous dirai pas que tous les politiques sont formidables, et que corruption et inefficacité n’existent plus. Je constate seulement que la transparence excessive peut avoir des effets délétères sur la classe politique. Loin de servir l’objectif louable qui est visé, cet excès de normes relatives à la moralisation de la vie publique s’avère parfois contre-productif.
J’irai même plus loin. L’affaissement de la classe politique et la pénurie de vocations pour renouveler les élus ne me paraît pas sans lien avec l’empilement des normes et l’excès de transparence. Le soupçon – voire la suspicion de conflit d’intérêts – qui pèse a priori sur le personnel politique peut contribuer à décourager des personnes talentueuses et de bonne volonté, alors qu’elles auraient beaucoup à apporter à la collectivité. Si, demain, celles-là refusent de s’engager, qui le fera ?
Le balancier que j’évoquais a arrêté sa trajectoire au niveau de l’État en tant que personne morale, incluant ses administrations et ses partenaires, au premier rang desquels les fameux cabinets de conseil. C’est l’objet de la présente proposition de loi.
Loin d’être nostalgiques des pratiques d’antan, les députés du groupe Horizons soutiennent la nécessité de mettre fin aux abus de certains cabinets. Assurer la traçabilité de leur participation à la décision et garantir une meilleure information de nos concitoyens sur celle-ci constituent des enjeux primordiaux pour un meilleur fonctionnement de notre démocratie.
Cependant, ne considérons pas que les pratiques honteuses de certains résument l’ensemble d’une communauté. À cet égard, rappelons quelques évidences. Nous pensons que les relations entre public et privé sont bénéfiques,…
M. Pierre Dharréville
Elles ne sont pas mutuellement avantageuses !
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback
…que de ces échanges mutuels naissent des synergies qui rendent l’action publique plus efficace. Nous pensons aussi que la conduite de l’action publique nécessite, dans certains cas précisément identifiés, de recourir à des prestations intellectuelles extérieures – par exemple, lorsque les compétences en interne ne sont pas rapidement mobilisables et que les délais sont raccourcis.
Beaucoup a déjà été fait par la majorité, depuis 2017, pour encadrer le recours aux cabinets de conseil. La circulaire du Premier ministre du 19 janvier 2022 répond ainsi à nombre des inquiétudes soulevées durant les auditions de la commission d’enquête du Sénat.
Les lignes rouges fixées par notre groupe sont les mêmes que lors de l’examen en commission, en particulier s’agissant de l’inclusion des collectivités locales dans le périmètre de la proposition de loi. Alors que nous souhaitons simplifier la vie des élus – notamment des maires –, il est question de créer de nouvelles contraintes administratives qui s’ajouteraient aux nombreuses exigences de transparence en vigueur : contrôle de légalité du préfet, contrôle de la chambre régionale des comptes, traçabilité, entre autres. Hier, le Premier ministre indiquait vouloir « débureaucratiser » et « déverrouiller » – nous nous retrouvons parfaitement dans cette ambition. Permettez-moi de la trouver contradictoire avec la volonté d’appliquer aux collectivités locales des dispositions ne concernant que les administrations de l’État.
M. Davy Rimane
Cela n’a rien à voir !
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback
En conclusion, cette proposition de loi est révélatrice des défis auxquels l’administration fait face, et des efforts que nous devons poursuivre afin de permettre sa transformation. Dans de nombreux secteurs d’activité, notamment l’agriculture, l’enjeu est de clarifier et de simplifier les relations. Nous nous opposerions à une proposition imposant de nouvelles contraintes, en particulier aux collectivités. Le bon sens doit parler. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et Dem, ainsi que sur quelques bancs du groupe RE.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandra Regol.
Mme Sandra Regol
Un an. Il aura fallu plus d’un an pour que le présent texte, issu du Sénat, soit enfin inscrit à notre ordre du jour. Pourtant, la moralisation de la vie politique – si ma mémoire est bonne – était la promesse fondatrice d’Emmanuel Macron. Cette promesse – celle d’une éthique dans la vie politique – était même, à l’époque, la clé de voûte de son alliance avec le MODEM.
Les citoyens qui ont cru en cette promesse en auront été pour leurs frais. Enquête après enquête, les journalistes n’en finissent pas de montrer combien elle s’est éloignée. Il y a un peu plus d’un an, des révélations ciblaient le « pognon de dingue » dévolu aux cabinets de conseils depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron.
M. Pierre Dharréville
C’est vrai !
Mme Sandra Regol
Le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste du Sénat avait alors demandé l’ouverture d’une enquête sur l’influence de ces cabinets, par souci de transparence. C’est sur les conclusions de cette commission d’enquête que ce texte a été bâti. Merci aux sénateurs pour leur initiative, et à nos collègues députés de l’avoir reprise. Le Sénat a voté le texte à l’unanimité ; espérons qu’il en sera de même ici.
La commission d’enquête a démontré que le coût des prestations facturées à l’État par des cabinets de conseil privés avait été multiplié par trois depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Le recours à des structures extérieures, disposant de connaissances techniques dont l’administration est dépourvue, constitue-t-il un problème ? Non. Mais lorsque tous les domaines de la vie publique passent entre des mains externes, sans contrôle et presque sans encadrement, oui, le problème se pose. En effet, l’influence des cabinets de conseil s’étend à des pans entiers – et sensibles – des politiques publiques, tels que la gestion de la crise sanitaire, la stratégie nationale de santé, l’avenir du métier d’enseignant ou la mise en œuvre de la réforme des APL.
M. Pierre Dharréville
Des externalisations scandaleuses !
Mme Sandra Regol
Le travail du Sénat a montré que ces missions étaient externalisées sans raison, massivement, et avec un résultat trop souvent médiocre, parfois même inachevé.
Mme Cyrielle Chatelain
Un scandale !
Mme Sandra Regol
Pourtant, ces prestations étaient dans tous les cas, et sans aucune évaluation, payées rubis sur l’ongle par l’État, à des prix exorbitants. Les chiffres sont vertigineux, et probablement sous-évalués. À tel point que Bruno Le Maire lui-même confessait, en novembre 2022, qu’il y avait eu « des abus » et « une dérive » dans le recours du Gouvernement aux cabinets de conseil privés.
M. Sébastien Peytavie
Une honte !
Mme Sandra Regol
Et pour cause : 957 000 euros pour préparer une réforme des retraites, abandonnée puis reprise ; 500 000 euros pour réfléchir à l’avenir du métier d’enseignant ; 235 600 euros pour un guide du télétravail ; 3,88 millions d’euros pour la réforme des APL ; 41 millions pour la stratégie à adopter face à la crise du covid-19. Que d’argent dépensé !
En réalité, l’État demande aux cabinets privés de se substituer au travail de son administration. Une administration formée, à laquelle il demande de faire plus avec moins, et qu’il « définance » – j’essaye de parler le Gabriel Attal pour me faire mieux comprendre.
M. Pierre Dharréville
Non, ce n’est pas la peine !
Mme Sandra Regol
À force de la sous-payer – de la « dépayer » –, nous sommes en train de rendre l’administration inutile. Cela permet alors de justifier la diminution de son budget, selon une prophétie autoréalisatrice permettant d’aller toujours plus loin.
Mme Cyrielle Chatelain
Elle a raison !
Mme Sandra Regol
Les fonctionnaires nous permettent pourtant de vivre et d’avancer, de nous former et de nous soigner, assurent notre sécurité et la justice, et finalement toute la vie de notre république. Ces personnels se battent pour fonctionner avec de moins en moins de moyens. Nous devrions leur rendre hommage au lieu de diminuer leurs budgets.
Nous avons déposé quelques amendements pour tirer le texte vers le haut, pour réintroduire certaines mesures et pour étendre son champ d’application aux collectivités territoriales et aux cabinets d’avocats, fréquemment sollicités. Encadrer, évaluer, être capables de rendre compte aux Français de la façon dont l’État dépense l’argent public fait partie de notre travail. C’est la raison pour laquelle le groupe Écologiste-NUPES votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Davy Rimane.
M. Davy Rimane
Il ne s’agit pas ce soir d’examiner un texte visant à interdire, par principe, le recours à des cabinets de conseil privés, mais de fixer un cadre clair pour mettre fin à des dérapages considérables. Il ne s’agit pas d’examiner un texte qui viserait à nier une réalité ancienne, à savoir le besoin pour les pouvoirs publics de s’appuyer sur des compétences extérieures. Il est des domaines techniques où elles sont utiles aux administrations ; encore faut-il que cela se fasse en toute transparence.
Il ne s’agit pas non plus de nier que de petites avancées ont été réalisées dans la période récente. Elles l’ont certainement été sous la pression de l’actualité, mais aussi – nous l’espérons – par la prise de conscience qu’une gestion de l’État « en mode start-up » n’a de sens que si notre horizon politique se limite à ressasser des « PowerPoint », à monter des « benchmarks », à organiser des « briefings », ou à accumuler des post-its sur un « paperboard ».
Madame la ministre, est-ce là votre horizon indépassable ? Pouvons-nous juger acceptable que l’État dépense plus d’un milliard d’euros en prestations de cabinets de conseil privés, comme ce fut le cas en 2021, sans transparence, sans contrôle, sans cadre ? Pouvons-nous juger acceptable que derrière la réforme inique de l’assurance chômage, on trouve des cabinets de conseil aux manettes ? Que derrière l’amputation des APL, qui précarise les familles monoparentales et les étudiants, McKinsey tire les ficelles ? Pouvons-nous juger acceptable que nos deniers publics servent à rémunérer grassement des cabinets aux dirigeants pantouflards, qui ont des intérêts particuliers ?
On dit que Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. Au-delà des dérives et scandales qui ont été révélés, c’est la nécessité d’une prise de conscience morale et politique qui nous réunit aujourd’hui. Il est temps pour le Gouvernement de sécher ses larmes de crocodile face à la crise de confiance démocratique qu’il encourage et alimente sans cesse, et de renoncer à ses tentatives de vider la présente proposition de loi qui est, elle, au service d’une probité renforcée.
N’oublions pas que tout a été fait pour tenter de torpiller l’arrivée du texte ici, puis d’en amoindrir la portée. Je pense notamment à la tentative assez indécente du Gouvernement de faire supprimer l’interdiction de recourir à des cabinets privés pour étudier l’impact de ses lois sur notre société. Selon lui, une telle interdiction ne serait pas justifiée. Allez donc dire cela à ceux dont vous allez sucrer l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ! Allez dire cela à ceux que vous allez contraindre à travailler gratuitement ! Allez dire cela à ceux à qui vous avez arraché deux ans de vie ! Vous qui imposez l’injustifiable, vous n’attendrissez personne.
Trois questions doivent guider notre réflexion. Comment empêcher des prestataires externes d’influencer des politiques publiques censées porter un projet de société ? Comment prévenir la destruction de compétences internes ? Comment relever nos services publics de l’émiettement, de la diminution du nombre de fonctionnaires, de la fermeture de services ? L’augmentation de 45 % en à peine trois ans – entre 2018 et 2021 – des dépenses de l’État en prestations de cabinets de conseil est symptomatique d’une politique de déresponsabilisation des pouvoirs publics, qui utilisent nos deniers pour faire réaliser par d’autres leurs propres missions.
Je terminerai en rappelant que ce texte nous arrive du Sénat, où il a été voté à l’unanimité, et qu’il est issu d’une démarche transpartisane dans laquelle des groupes politiques siégeant sur des bancs bien éloignés les uns des autres ont travaillé de concert. Il nous revient, dans un esprit de responsabilité, de nous en tenir à l’esprit initial de la loi et à son champ d’application. Rien n’empêchera en effet le législateur d’aller plus loin a posteriori, ni la majorité présidentielle, puisqu’elle a l’air si déterminée à accabler les collectivités territoriales, d’étudier en détail le recours à des cabinets à l’échelle locale.
Aborder dès aujourd’hui ce sujet reviendrait à aller à l’encontre d’un consensus parlementaire et à diluer le sens même du texte en y intégrant des mesures sans pertinence ni utilité avérée. Au niveau local, le recours à des prestataires externes est déjà encadré par le code de la commande publique et fait l’objet d’un contrôle auprès des assemblées délibérantes. De surcroît, les prestations y sont en général bien différentes de celles auxquelles l’État recourt, lui, à tour de bras, sans avoir à en référer à qui que ce soit. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et Écolo-NUPES, ainsi que sur ceux des commissions.)
Mme la présidente
La parole est à M. Bertrand Pancher.
M. Bertrand Pancher
Nous ne pouvons que nous féliciter de l’examen de ce texte qui permet de faire progresser efficacement la transparence de notre vie publique. Il va, fort heureusement, dans le sens de notre histoire : alors que nous avons déjà encadré les dérives liées au pantouflage et au lobbying, ce texte est une nouvelle garantie pour rétablir la confiance que nos citoyens n’auraient jamais dû perdre en leur administration. Il doit mettre un point final à toutes les failles qui permettaient aux cabinets de conseil, jusqu’à maintenant, de prendre une place exorbitante et inappropriée au sein de nos institutions et de s’emparer exagérément de l’élaboration de notre action publique, sapant la qualité, la crédibilité et même la légitimité des décisions.
M. Pierre Dharréville
Et leur orientation !
M. Bertrand Pancher
Le scandale McKinsey, en pleine crise sanitaire, aura donc eu au moins un mérite : celui de faire éclater au grand jour de graves dysfonctionnements dans la prise de décision et de conduire à une commission d’enquête sénatoriale. Les conclusions de cette dernière furent, il faut bien le dire, édifiantes : un coût faramineux des dépenses de conseil engagées par l’État – dépassant 1 milliard d’euros, avec un doublement ces dernières années – pour aboutir trop régulièrement soit à des décisions en complet décalage avec les besoins de notre pays, soit à aucun projet concret. Autant dire que l’État jetait l’argent par les fenêtres ! Une administration et des fonctionnaires contraints de s’effacer devant des cabinets privés auxquels plusieurs ministères confiaient leurs expertises.
Quelque temps plus tard, un rapport de la Cour des comptes venait, hélas, appuyer et confirmer ces constats. En tant que parlementaires, nous sommes nombreux à avoir été choqués par ces révélations. Et que dire de nos concitoyens, qui avaient pris de plein fouet une crise covid gérée à l’emporte-pièce sur les conseils de ces cabinets privés ! Le groupe LIOT s’étonne que des pans entiers de l’action publique, relevant parfois même du domaine régalien, aient pu se voir ainsi confiés à des consultants et que l’État se soit régulièrement permis de refuser des moyens et des hausses de rémunération aux fonctionnaires – je pense surtout aux personnels soignants et aux enseignants – alors qu’il n’hésitait pas à payer un consultant 1 528 euros par jour !
Il était donc plus que temps de tourner définitivement cette page de notre action, voire inaction publique. Ce texte, qui n’a cessé de s’améliorer au cours des débats, le permettra de toute évidence. Entendons-nous bien : son objet n’est pas de tirer un trait sur les prestations de conseil, qui peuvent être utiles ; mais désormais, les cabinets auront des règles parfaitement établies et un vrai cadre à respecter. Nous saluons en particulier la transparence que cette proposition de loi assure, tant à l’égard du Parlement, avec la transmission d’un rapport dédié lors de l’examen annuel du budget, qu’à l’égard de nos concitoyens, avec des informations ouvertes et facilement accessibles à tous.
Nous saluons également le rôle de contrôle, central, confié à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique pour assurer le respect de ces nouvelles règles. Le volet répressif est une des clefs de ce texte. Le Parlement doit affirmer sa volonté d’être intraitable en cas de manquements aux règles de probité et de déontologie. C’est de cette manière qu’aucune société de conseil ne pourra plus passer entre les mailles du filet de la transparence.
Je regrette toutefois quelques reculs décidés en commission, notamment l’allègement des obligations de déclaration d’intérêts et la quasi-exclusion de la Caisse des dépôts du périmètre du texte. Enfin, notre groupe considère qu’une dernière étape reste à franchir : adapter ce type d’encadrement aux collectivités territoriales. Nous constatons qu’un amendement du Gouvernement entend les inclure dès à présent. Je comprends la volonté d’agir vite, mais je maintiens qu’il aurait été préférable de prendre du recul : une mission d’information dédiée à la question permettrait d’élaborer dans un second temps une loi sur mesure pour les collectivités.
Au-delà de ces réserves, le groupe LIOT réaffirme son plein soutien à cette proposition de loi qui constitue une belle avancée pour la transparence de nos politiques publiques. (M. Nicolas Sansu, rapporteur, applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Laure Miller.
Mme Laure Miller
Nous examinons ce soir une proposition de loi du Sénat, fruit des recommandations de la commission d’enquête consacrée à l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Ce texte, que nous avons vu venir, est abordé par bon nombre d’entre vous de façon démagogique, parfois populiste. La tentation est sans aucun doute très forte, compte tenu de la médiatisation du rapport de la commission d’enquête, publié en 2022, à trois semaines du premier tour de l’élection présidentielle.
M. Philippe Gosselin
Il y avait matière !
Mme Laure Miller
Permettez-moi toutefois, chers collègues, de reprendre, comme je l’ai fait en commission, les mots de François Sureau prononcés récemment devant l’Académie des sciences morales et politiques. Il déclarait : « La France est un étrange pays, visiblement gouverné par le principe de l’échange des rôles. Chacun y fait le travail d’un autre. Les ministres twittent comme des journalistes, parfois parlent comme des fonctionnaires. […] Les parlementaires se rêvent juges d’instruction et convoquent l’une après l’autre des commissions d’enquête. »
M. Philippe Gosselin
C’est l’une de nos missions selon l’article 24 de la Constitution.
Mme Laure Miller
Oui, la tentation est grande de s’ériger en juge d’instruction. Mais il n’y en a aucun ici, et notre mission est de répondre posément à la problématique. L’État doit-il pouvoir faire appel à des compétences qu’il n’a pas, pour que nos politiques publiques soient efficacement construites et mises en œuvre ? La réponse est oui : ce recours à des cabinets de conseils est sain, parfois souhaitable, et exercé chez nos voisins européens – de façon d’ailleurs plus substantielle que chez nous.
M. Timothée Houssin
On n’en a jamais douté !
Mme Laure Miller
Non, la vocation de ce texte n’est pas d’interdire, mais d’encadrer. Là-dessus, nous nous retrouvons tous. Qui pourrait, en effet, s’opposer à l’idée de faire la transparence sur les prestations de conseil et de mieux encadrer le recours à celles-ci ? Qui, ici, pourrait sérieusement refuser de renforcer les obligations déontologiques des consultants et la protection des données de l’administration ? La course à la transparence permettra-t-elle, finalement, le retour de la confiance ? C’est un vaste sujet et la réponse demeure incertaine.
Ce qui est sûr, en revanche, c’est que nos concitoyens veulent avoir l’assurance que les acteurs publics, de manière générale, dépensent utilement et raisonnablement l’argent public. Il est vrai aussi que des polémiques peuvent, parfois légitimement, faire évoluer la législation et permettre ainsi que d’un mal, puisse émerger un bien. En effet, il est bon de préciser que le Gouvernement a pris ses responsabilités sur le sujet. Mme la ministre l’a longuement évoqué tout à l’heure : circulaire du 22 janvier 2022, nouvel accord-cadre en juillet 2022, loi de finances pour 2023 et, enfin, circulaire de la Première ministre du 8 février 2023. Toutes ces évolutions ont permis de construire notre arsenal juridique pour lutter contre certaines dérives du recours aux cabinets de conseil.
Sans doute est-il nécessaire de transcrire cette régulation dans la loi. En revanche, au nom du groupe Renaissance, je souhaite soulever deux points d’alerte, qui sont autant de limites à notre adhésion à cette proposition de loi. Le premier est que si nos administrations doivent gagner en compétences, elles ne peuvent, de toute évidence, pas disposer de toutes les expertises parfois techniques, a fortiori en présence de sujets urgents et spécifiques. Ne caricaturons donc pas la situation en empêchant tout recours à des expertises extérieures,…
M. Philippe Gosselin
Le texte n’empêche pas, il encadre !
Mme Laure Miller
…sauf à vouloir créer un État omnipotent employant des agents supplémentaires qui seraient en veille la plupart du temps et sollicités ponctuellement. Cette situation ne serait pas raisonnable.
M. Philippe Gosselin
Nous sommes raisonnables !
Mme Laure Miller
Deuxièmement, je suis certaine que vous l’entendez comme moi chaque jour : notre droit est trop complexe, nous construisons chaque semaine dans cette enceinte la démobilisation générale, qu’elle soit économique ou sociale, parce que nous empilons des normes sur des normes et finissons, en voulant protéger, par empêcher toutes les initiatives. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.) Le Premier ministre nous l’a dit hier : les normes oppressent, brident et empêchent de faire et d’avancer. (Mêmes mouvements.)
M. Philippe Gosselin
C’est une indignation à géométrie variable !
Mme Laure Miller
Ces normes, ces démarches et complexités du quotidien, représentent un coût énorme, estimé à 60 milliards d’euros.
M. Frédéric Mathieu
Toujours dans l’outrance !
Mme Laure Miller
Il est bien sûr très sain de vouloir encadrer le recours aux cabinets de conseil, puisqu’il s’agit de l’argent des Français. Il est légitime de briser cette espèce de relation de dépendance qui s’est parfois installée entre les cabinets de conseil et le secteur public.
M. Philippe Gosselin
Une endogamie !
Mme Laure Miller
Veillons néanmoins, chers collègues, à ne pas bâtir de règles disproportionnées au but recherché, à ne pas construire d’usines à gaz comme nous savons tous si bien le faire dans notre rôle de législateur…
M. Philippe Gosselin
Ce n’est pas le cas !
Mme Laure Miller
…et à ne pas aboutir à privilégier les grosses structures, ce qui serait contraire à l’objectif poursuivi.
M. Philippe Gosselin
Absolument pas ! C’est excessif !
Mme Laure Miller
C’est pourquoi notre groupe a déposé plusieurs amendements…
M. Philippe Gosselin
Il détricote…
Mme Laure Miller
…que nous vous invitons à adopter, afin que l’objectif poursuivi – et que nous avons tous en partage – soit bel et bien respecté. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs des groupes Dem et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Timothée Houssin.
M. Timothée Houssin
La commission d’enquête sénatoriale ne s’est pas trompée en évoquant un phénomène tentaculaire pour parler de l’influence des cabinets de conseil sur les politiques de l’État. Pourtant, le recours massif aux cabinets de conseil n’avait jamais donné lieu à un débat public ni à des votes. Nous, députés, contrôlons l’action du Gouvernement, mais qui contrôle l’action des cabinets de conseil ?
Contrôler le recours à ces cabinets et leur action dans les politiques publiques, c’est ce qu’entend ou entendait faire ce texte. J’envisage de parler au passé, car si ce texte a été adopté à la quasi-unanimité au Sénat, nous ne sommes pas dupes des manœuvres employées ici, à l’Assemblée nationale, par un Gouvernement qui semble très embêté par son contenu et qui propose, par le biais d’amendements, de le rendre inopérant. Ainsi, la Macronie entend saccager le travail de la commission d’enquête et des sénateurs, en particulier en matière de transparence. Déjà, l’article 10 relatif aux conflits d’intérêts a été amoindri en commission, tandis que l’article 15, qui vise à exclure facilement les cabinets sanctionnés de la commande publique, et l’article 16, relatif au pantouflage, ont été littéralement supprimés à l’initiative de la minorité présidentielle.
Nous proposerons d’ailleurs, comme d’autres groupes de l’opposition, et dans certains cas les rapporteurs, de rétablir les articles voulus par la commission d’enquête et adoptés par le Sénat.
Le Gouvernement entend également supprimer l’article 3, qui permettrait à la représentation nationale de contrôler le recours aux cabinets de conseil par l’État et qui constitue le cœur du texte. Rappelons que le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques sont deux missions confiées aux parlementaires par la Constitution.
Le Gouvernement a traîné des pieds pendant plus d’un an avant que ce texte, adopté par le Sénat en octobre 2022, soit inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Maintenant qu’il est contraint de l’examiner, il cherche à le dévitaliser. Et pour cause : depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, le montant des dépenses des différents ministères en prestations de conseil a triplé, atteignant 1 milliard d’euros en 2021. L’omniprésence de ces cabinets, en particulier de McKinsey, avait commencé dès la campagne du futur président : une vingtaine de consultants du cabinet y ont participé, sans que ce travail soit facturé ni déclaré au titre des comptes de campagne.
M. Philippe Gosselin
C’était du bénévolat !
M. Timothée Houssin
Au sein de la cellule « idées et perspectives » de la campagne Macron, des consultants analysaient des enquêtes d’opinion et des contributions de citoyens pour construire les propositions du candidat – tout un programme !
Nous ne sommes pas sûrs que les Français aient choisi le meilleur candidat, mais c’était un bon choix pour les cabinets de conseil, en particulier McKinsey. Ce sont d’ailleurs les abus et ladite affaire McKinsey qui ont alerté l’opinion publique sur le recours massif de l’État à ces cabinets et conduit à la création de la commission d’enquête sénatoriale dont sont issues les propositions que nous examinons ce soir.
Il faut dire que c’est à McKinsey que le Gouvernement a confié la gestion de la crise du covid, pour un montant de 12 millions d’euros. McKinsey, encore, qui a été payé 4 millions pour suggérer à l’État de baisser les APL de 5 euros. McKinsey, toujours, qui a facturé près d’un demi-million d’euros l’organisation d’un colloque sur l’avenir du métier d’enseignant, colloque qui n’a jamais eu lieu. McKinsey, enfin, qui n’a pas payé un seul euro d’impôts en France en dix ans, et dont les dirigeants se seraient payé le luxe de mentir sous serment lors de leur audition par la commission d’enquête.
Néanmoins, nous aurions tort de n’incriminer que McKinsey. Ce cabinet, devenu symbolique, n’est que l’arbre qui cache la forêt de la privatisation de la décision publique vers laquelle nous nous dirigeons si nous ne prenons pas de mesures. Nous constatons déjà les effets de cette privatisation lorsque l’État va jusqu’à s’en remettre à des cabinets de conseil pour définir sa stratégie militaire, les choix budgétaires du ministère des armées ou le plan d’économies de Bercy, la lutte contre la radicalisation, la gestion de la crise sanitaire, la stratégie nationale de santé, la réforme de l’aide au logement, les états généraux de la justice ou encore l’avenir du métier d’enseignant.
Cette privatisation de la décision publique a un coût. Il revient en moyenne quatre fois plus cher de recourir à un consultant plutôt qu’à un fonctionnaire : 2 à 3 milliards d’euros par an de dépenses publiques sont consacrés aux cabinets de conseil – un montant supérieur au budget de certaines régions et proche de celui du ministère de la santé, alors que la France a déjà l’un des niveaux de dépenses publiques les plus élevés au monde !
Au vu de ces chiffres, l’encadrement du recours des collectivités locales aux cabinets de conseil est à terme nécessaire. Toutefois, nous ne sommes pas dupes : inclure ces dernières dans la présente proposition de loi nuirait à l’adoption d’un texte commun aux deux chambres dans un délai rapide et permettrait au Gouvernement de renvoyer ces dispositions aux calendes grecques.
Enfin, le recours massif aux cabinets de conseil se traduit par une perte de savoir-faire des fonctionnaires, des ministères et de l’État lui-même, donc, in fine, par une perte de souveraineté. Si le recours à ces cabinets peut se justifier pour gérer une situation exceptionnelle ou apporter un regard extérieur sur un dossier, il doit être strictement justifié, encadré et transparent : ces trois piliers forment notre politique en la matière.
Nous voterons ce texte, car nous approuvons la limitation des dérives du recours aux cabinets de conseil pour ce qui est des conflits d’intérêts, de la réalité des prestations ou de l’opacité des contrats. Cependant, nous estimons qu’il n’encadre pas suffisamment le recours de la puissance publique aux prestations de ces cabinets et que nous risquons de continuer à aller vers la privatisation de la décision publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Mathieu.
M. Frédéric Mathieu
Quinze mois ! Il aura fallu attendre quinze mois pour que cette proposition de loi sénatoriale encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés soit inscrite à l’ordre du jour de notre Assemblée. D’ailleurs, je tiens à remercier nos deux collègues sénateurs Éliane Assassi et Arnaud Bazin, qui ont dressé un constat implacable de ce qu’ils nomment, à raison, « un phénomène tentaculaire », à savoir le recours excessif aux cabinets de conseil depuis 2017.
Le nom de McKinsey est certes dans toutes les têtes ; toutefois, il n’est que l’arbre qui cache la jungle. Et c’est peu dire ! Citons des exemples, désormais connus, mais toujours utiles à rappeler : un demi-million d’euros facturé pour préparer un séminaire de réflexion sur l’avenir du métier d’enseignant – séminaire qui n’a jamais eu lieu ; réforme du mode de calcul des APL, pour un coût de 4 millions ; prestation de conseil de gestion des radars routiers, facturée 82 millions. Bref, plus de 2 000 cabinets de conseil privés ont été consultés durant le premier mandat de Macron, sur tout et n’importe quoi, y compris lorsque l’administration disposait des compétences requises en interne.
Même durant l’épidémie de covid, alors que nous étions confinés et inquiets autant pour nous que pour nos proches, il a fallu que Macron dispense ses largesses : plus de 41 millions d’euros ont ainsi été dépensés auprès des cabinets de conseil pour des prestations qui faisaient pourtant partie du cœur même de l’action publique de l’État face à une crise de ce type.
M. Benjamin Lucas
Eh oui !
M. Frédéric Mathieu
La gestion de l’approvisionnement des masques et de leur distribution ? Cabinet de conseil ! L’organisation de la campagne vaccinale ? Cabinet de conseil ! McKinsey reste le symbole du scandale et de la compromission.
Mme Danièle Obono
Eh oui !
M. Frédéric Mathieu
Et pour cause ! Entre Macron et McKinsey, c’est en effet une histoire d’amour qui va jusqu’au partage de personnels à titre gratuit, au profit des campagnes électorales de Jupiter Ier,…
M. René Pilato
Eh oui !
M. Frédéric Mathieu
…et la récompense en marchés publics, grassement rémunérés, après son élection. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES et sur plusieurs bancs du groupe Écolo-NUPES.) Cousinage malsain qui a naturellement conduit le parquet national financier à l’ouverture de deux informations judiciaires : l’une pour tenue non conforme des comptes de campagne, l’autre pour favoritisme et recel de favoritisme dans le cadre des campagnes de 2017 et de 2022.
M. Laurent Croizier
Et la société de Mme Chikirou ? N’était-ce pas le cabinet de conseil de La France insoumise ?
M. Frédéric Mathieu
La situation ne se résume pas à un oubli de formulation d’une doctrine de gestion administrative et budgétaire.
M. René Pilato
Les voyous !
M. Frédéric Mathieu
Il s’agit bien d’une vision de l’État, dans laquelle le service public et les besoins sociaux qui y sont attachés sont tenus pour quantité négligeable. Le service public est ici traité comme une monnaie d’échange entre personnes issues du même monde, qui partagent le même paradigme ordolibéral et se renvoient l’ascenseur autant qu’elles le peuvent.
La Cour des comptes n’est d’ailleurs pas en reste, elle qui affirme en juillet 2023 que les cabinets de conseil coûtent cher pour un résultat incertain et une intrusion excessive dans les prérogatives de la puissance publique.
Fort logiquement, le Gouvernement ne veut pas de la présente proposition de loi. La Macronie s’emploiera à minimiser l’ampleur des dégâts et à réduire l’impact de la future loi, notamment sur le champ et l’intensité des obligations et des contrôles opposables aux cabinets de conseil.
Nous défendons, au contraire, une vision exhaustive et exigeante des activités de conseil, sans aucun angle mort. Selon l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Souveraineté et démocratie sont donc indissociables. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.) Lorsque le rapport de la commission d’enquête sénatoriale précise que les cabinets de conseil défendent parfois de véritables programmes politiques basés sur une doctrine de la transformation, et le plus souvent une vision de réduction des dépenses publiques et de la fiscalité, ce n’est donc pas de gestion qu’il s’agit, mais bien d’une atteinte à la démocratie elle-même ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES et Écolo-NUPES.)
Le conseil est la forme aboutie et raffinée du lobbying. Grâce à Macron, les lobbyistes ont dépassé le domaine du contact pour se livrer à l’intrusion, l’ingérence au sein même des services de l’État : appropriation des logos ministériels pour leurs documents, obtention d’adresses mail siglées, qui les font confondre avec des agents permanents du service public. Il ne s’agit pas là d’une commodité matérielle déplacée. Quand je pense que partout en France, des maires se battent pour maintenir un niveau de service public à même de répondre aux besoins de leurs concitoyens ! Dans ma région, en Bretagne, de nombreux maires se fédèrent pour sauver leurs Ehpad communaux pendant que l’argent coule à flots pour les cabinets de conseil !
Une députée du groupe LFI-NUPES
Une honte !
Mme Geneviève Darrieussecq
Les maires utilisent aussi des cabinets de conseil !
M. Laurent Croizier
J’ai souvenir de mairies socialistes qui ont déjà fait appel à des cabinets de conseils !
M. Emmanuel Mandon
Il doit avoir des pertes de mémoire !
M. Frédéric Mathieu
La mise à sac de nos services publics rapporte à ceux qui offrent des services privés, car les besoins sociaux ne disparaissent pas. Elle rapporte aux plus riches à qui vous refusez de prélever des impôts, mais à qui vous empruntez de l’argent à taux variable ! Oui, madame Darrieussecq, même si cela vous déplaît de l’entendre ! Elle rapporte aussi aux cabinets de conseil, fers de lance de l’idéologie ordolibérale. Les cabinets de conseil s’insèrent dans un grand tout vorace et rapace : tout doit être monétisé, entre des mains et des intérêts privés.
La présente proposition de loi ne vise pas seulement à encadrer un secteur d’activité qui était jusqu’à présent à l’abri des regards. Elle est le prolongement de ce que nombre de nos prédécesseurs ont fait avant nous : prémunir l’intérêt général et protéger le service public. Notre exigence est simple : gouverner selon les besoins ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES et sur plusieurs bancs des groupes Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin
Mon réquisitoire, ou ma déclaration…
M. Bruno Millienne, rapporteur
Réquisitoire est le bon terme !
M. Philippe Gosselin
…qui était presque un réquisitoire, apparaîtra finalement comme une jolie plaidoirie en comparaison du discours de notre collègue Mathieu !
Enfin, nous y voilà. Nous y voilà, car comme le soulignait le rapporteur Nicolas Sansu tout à l’heure, tout a été fait, depuis quinze mois, pour ralentir la marche des choses et limiter le plus possible l’examen de cette proposition de loi, qui restera sans doute connue sous le nom de code de McKinsey. Toutefois, ne nous y trompons pas : ne jetons pas en pâture un cabinet en particulier ; il y en a beaucoup d’autres, qui sont autant d’arbres qui cachent la forêt.
Sans doute faut-il voir un lien avec l’aide bénévole, je ne sais comment la qualifier, apportée à un certain candidat pendant la campagne présidentielle de 2022 – vous trouverez facilement quelques références dans la presse. Cette affaire a donné lieu à l’ouverture de deux informations judiciaires par le PNF et les enquêtes sont en cours : laissons faire la justice.
Je tenais tout d’abord, comme d’autres, à saluer le travail de nos collègues sénateurs, Arnaud Bazin et Éliane Assassi, qui ont permis de mettre en lumière un « phénomène tentaculaire » d’influence des cabinets de conseil privés. C’est un réquisitoire : opacité, foisonnement incontrôlé des conseils, dépossession de l’État de certaines missions stratégiques et risques déontologiques non maîtrisés. Fermez le ban. Il en faudrait plus pour déstabiliser certains ; toutefois, ce réquisitoire porte ses fruits.
Et comme un bonheur ne vient jamais seul, la Cour des comptes a rendu en juillet 2023, à l’issue de la première consultation citoyenne, un rapport très intéressant, qui confirme cette dérive. Ses conclusions sont accablantes et font état de véritables intrusions des prestataires privés au cœur des missions de l’État, souvent dans la plus grande opacité et au mépris des règles de la commande publique. Véronique Louwagie, du groupe Les Républicains, comme Cendra Motin, qui avaient publié en 2022 un rapport d’information sur les différentes missions confiées par l’administration de l’État à des prestataires extérieurs, allaient dans le même sens.
Permettez-moi, à cet égard, de reprendre notre collègue Laure Miller, qui citait tout à l’heure François Sureau. Non, les parlementaires ne se prennent pas pour des juges d’instruction ! Ils exercent tout simplement les compétences qui leur sont confiées par l’article 24 de la Constitution – désolé si je parais un peu pédant : le Parlement vote la loi, il contrôle l’action du Gouvernement, il évalue les politiques publiques. Ce n’est pas jouer les shérifs ou les redresseurs de torts. Nous exerçons nos missions parlementaires, et elles sont importantes.
Mme Emmanuelle Anthoine
Tout simplement !
M. Philippe Gosselin
Quoi qu’il en soit, les dépenses ont effectivement très largement augmenté ces dernières années, passant de quelques millions d’euros en 2014 à 230 millions en 2021 pour les ministères civils, mais la réalité dépasse le milliard d’euros. C’est exponentiel ! Nous constatons donc, en quelque sorte, une dépossession de l’État.
Bien sûr, il s’agit non d’interdire tout recours à des cabinets extérieurs – des besoins particuliers peuvent justifier de recourir à l’externalité –, mais d’encadrer et de limiter les recours excessifs. Si l’État dispose de certaines compétences internes, il doit les utiliser en priorité ; en revanche, sur des sujets très pointus, il n’y a pas d’opposition à ce qu’il recoure à un éclairage extérieur. Toutefois, ce dernier doit s’exercer dans la transparence et il est nécessaire de fixer des règles pour éviter une certaine endogamie.
Aussi est-il préférable d’exclure les collectivités locales du champ d’application de la présente proposition de loi. Le Gouvernement revient à la charge sur ce point, par le biais d’un amendement déposé il y a quelques jours, après la réunion de la commission des lois sur ce texte – c’est à mon avis totalement abusif, et je rejoins sur ce point plusieurs collègues. Nous ne disposons d’aucun chiffre en la matière ;…
M. Jean-René Cazeneuve
Justement !
M. Philippe Gosselin
…les apports stratégiques concernent des domaines très différents de ceux de l’État, qui ne portent pas sur le régalien, l’ordre ou la sécurité.
M. Pierre Dharréville
Ni la santé !
M. Philippe Gosselin
Il n’y a aucune étude d’impact, alors que ce sont des éléments importants. On part du principe qu’il y a une forme de parallélisme des formes et des compétences, sans doute pour noyer le poisson.
M. Pierre Dharréville
C’est exactement cela !
M. Philippe Gosselin
Le pauvre, il n’y est pour rien !
La prise de décision publique doit rester autant que possible dans le giron public, sans s’interdire, s’il le faut, des recours à des missions extérieures.
M. Yannick Neuder
C’est du bon sens !
M. Philippe Gosselin
Mais parce que c’est l’État, parce que c’est la France, nous devons rester au cœur de la responsabilité de nos missions régaliennes.
Voilà pourquoi Les Républicains soutiendront ce texte, dans sa version adoptée à l’unanimité par le Sénat, et non celle qui risque d’être largement modifiée au vu des amendements déposés notamment par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – M. Pierre Dharréville applaudit aussi.)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
La parole est à M. Bruno Millienne, rapporteur.
M. Bruno Millienne, rapporteur
Je remercie les intervenants pour leurs remarques et M. Mattei pour son intervention équilibrée, ce qui n’est pas une surprise venant des bancs du groupe Démocrate.
M. Pierre Dharréville
Vous êtes entre vous, on ne vous dérange pas ?
M. Bruno Millienne, rapporteur
Permettez, d’abord, une observation sur les collectivités territoriales, que le Gouvernement propose d’intégrer dans le champ de la proposition de loi. J’étais favorable à cette modification mais l’étude du texte m’a conduit à identifier quelques chausse-trapes et à considérer qu’il fallait approfondir notre réflexion avant d’avancer sur cette question – nous en avons discuté en commission avec Mme Untermaier.
Je pense que c’est au Gouvernement qu’il revient de cranter l’encadrement du recours des collectivités territoriales aux prestations de conseil et que nous devons disposer d’études d’impact avant de nous engouffrer dans la question – la navette, j’espère, permettra cette évaluation.
Je suis désolé, Monsieur Gosselin, l’abus de l’assistance à maître d’ouvrage dans certaines régions pose question.
M. Yannick Neuder
Ce n’est pas une réponse !
M. Bruno Millienne, rapporteur
Si, et vous le savez pertinemment : le recours aux cabinets de conseil, au-delà des consultations que l’État impose dans le cadre de certaines réalisations, est très fréquent. Le chiffre cité par la ministre est juste : les collectivités territoriales dépensent entre 500 millions et 1 milliard d’euros en prestations de conseil.
M. Philippe Gosselin
Nous en reparlerons, monsieur Millienne !
M. Bruno Millienne, rapporteur
Il est normal, aussi, de vouloir protéger les élus locaux de tout soupçon qui pourrait peser sur eux.
Madame Regol, je retrouve dans vos propos le sens de la mesure dont vous avez toujours fait preuve, avant même que vous ne soyez élue députée.
Mme Sandra Regol
Toujours !
M. Bruno Millienne, rapporteur
Vous n’étiez pas là quand nous avons voté, lors du premier quinquennat, la loi pour la confiance dans la vie politique – qui concernait tout de même quelques élus… Avant de vous souhaiter la bienvenue, en 2022, nous avions donc un peu travaillé. Je vous le dis avec humour.
Mme Marianne Maximi
C’est du paternalisme.
M. Bruno Millienne, rapporteur
Vous appelez tous de vos vœux l’exemplarité ; mais avant de l’exiger des autres, il faut soi-même faire partie d’un groupe exemplaire, monsieur Mathieu.
Mme Catherine Couturier
Encore des leçons !
M. Bruno Millienne, rapporteur
Or quelques mises en examen témoignent que le vôtre ne l’est pas tout à fait.
M. Frédéric Mathieu
Pourriez-vous remonter le niveau ?
M. Bruno Millienne, rapporteur
Je suis désolé, mais il faut de la mesure et c’est ce qui manque à chaque fois à vos prises de parole.
Monsieur Gosselin, je vous répondrai, en toute amitié…
M. Philippe Gosselin
Je me méfie quand vous commencez ainsi. (Sourires.)
M. Bruno Millienne, rapporteur
… que les recours aux cabinets de conseil ne datent pas de 2017. Ils ont commencé bien avant, mais de façon masquée. Reconnaissez que la majorité s’est emparée du sujet depuis les travaux de la commission d’enquête du Sénat et que le Gouvernement n’est pas resté sans agir…
M. Philippe Gosselin
Ce n’est pas fait.
M. Bruno Millienne, rapporteur
…, contrairement à ce qui se passait avant.
M. Philippe Gosselin
Cela date de 2014.
M. Bruno Millienne, rapporteur
Le recours aux cabinets de conseil date d’un peu avant, vous le savez très bien.
M. Philippe Gosselin
Dans des proportions limitées.
M. Jean-René Cazeneuve
Et l’affaire des sondages de l’Élysée ?
M. Bruno Millienne, rapporteur
Nous n’avons pas de chiffres, mais l’État avait déjà recours aux prestations de conseil. Je crains que les facilités données à certaines directions d’administration n’aient poussé à aller toujours plus loin.
Monsieur Houssin, je vous l’ai dit : McKinsey n’est plus là, mais j’aimerais être sûr que McPoutine n’intervient plus dans votre groupe non plus.
M. Timothée Houssin
Oui, vous avez déjà fait la blague en commission…
M. Bruno Millienne, rapporteur
Je la partage avec les députés présents dans l’hémicycle !
M. Jean-René Cazeneuve
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Sansu, rapporteur.
M. Nicolas Sansu, rapporteur
Je remercie les groupes qui ont annoncé qu’ils voteraient en faveur du texte issu des travaux de notre commission. L’important, c’est de ne pas dévoyer cette proposition de loi et les dispositions qui y figurent. Bien sûr, nous allons délibérer, mais un certain nombre de dispositions, si elles étaient adoptées, videraient de sa substance le texte sénatorial, déjà modifié en commission.
M. Jean-Paul Mattei
Nous délibérerons.
M. Nicolas Sansu, rapporteur
Mme Miller a mis en garde contre une approche populiste du texte. Mais le terme ne doit pas prêter à confusion. Ne pas encadrer l’intervention des cabinets de conseil privés reviendrait précisément à donner des armes à celles et ceux qui n’aiment pas la démocratie.
M. Pierre Dharréville
Très juste !
M. Nicolas Sansu, rapporteur
Je vous le dis : si demain, nous adoptons un texte vide, qui n’a plus rien à voir avec le texte sénatorial, non seulement nous aurons fait trois fois rien, mais nous aurons reculé d’un pas, ce qui est très dangereux.
M. Sébastien Peytavie
C’est vrai !
M. Nicolas Sansu, rapporteur
C’est notre responsabilité. Sur ce sujet, nos concitoyens nous observent et nous aurions tort de le prendre à la légère en considérant qu’il n’est pas nécessaire d’agir. Je vous invite à considérer le travail qui a été mené de manière transpartisane au Sénat et ici, en commission des lois.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Je demande une suspension de séance.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures cinquante-cinq.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
Discussion des articles
Mme la présidente
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Article 1er
Mme la présidente
La parole est à M. Timothée Houssin.
M. Timothée Houssin
L’article 1er définit le périmètre des prestations et les acteurs publics concernés. Sa rédaction, en l’état, nous convient, mais je formulerai trois remarques.
D’abord, nous avons du mal à comprendre que nos amendements tendant à réintroduire les collectivités dans le champ d’application ont été jugés irrecevables alors que des amendements semblables ont été examinés en commission. Nous ne voulons pas voir intégrer toutes les catégories – les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) devraient rester en dehors du champ – mais les régions et les départements, dont les budgets s’élèvent à des centaines de millions, voire à plusieurs milliards d’euros, devraient être concernés.
Ensuite, nous estimons que les dirigeants des cabinets de conseil ont été oubliés. Il est question du cabinet de conseil, en tant que personne morale, des consultants du cabinet de conseil, salariés ou indépendants, en tant que personnes physiques, mais, pour le moment, les dirigeants des cabinets de conseil sont totalement absents des déclarations d’intérêt, ce qui est un problème.
Enfin, nous observons, dès cet article 1er, les premières manœuvres de la Macronie pour tuer le texte. Des amendements tendent à ce que les prestations, les prestataires et les établissements publics concernés soient définis par décret. Les gouvernements, sous cette majorité, sont ceux qui, dans l’histoire, ont le plus utilisé les cabinets de conseil – le recours à leurs prestations a triplé, les dépenses des ministères s’élèvent désormais à 1 milliard d’euros par an. Et c’est le Gouvernement qui demande à définir le champ d’application d’un texte qui vise à garantir aux élus et aux citoyens plus de transparence et de contrôle sur le recours de l’État – donc le sien – à ces fameux cabinets de conseil ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Gilles Le Gendre, pour soutenir l’amendement no 139.
M. Gilles Le Gendre
Je défends cet amendement, auquel le rapporteur Millienne a fait allusion dans son propos introductif, avec le président de la commission des lois, M. Houlié, et notre collègue M. Gouffier Valente. Nous voulons limiter le champ d’application de cette loi aux établissements publics administratifs (EPA).
La proposition de loi vise, comme son titre l’indique, à encadrer l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques. Si les établissements publics administratifs participent bel et bien à l’élaboration de celles-ci, les établissements publics industriels et commerciaux (Epic) sont un tout autre type d’acteurs, qui remplissent un tout autre type de missions, qui ne justifient pas le même encadrement.
Maintenir les Epic dans le champ d’application de cette loi reviendrait à introduire une distorsion de concurrence fort regrettable. Ainsi, la SNCF, société anonyme agissant dans le domaine des transports ferroviaires, désormais ouvert à la concurrence, échapperait à ces dispositions alors que la RATP, qui est un Epic, y serait soumise.
M. Pierre Dharréville
C’est l’amendement « Castex » !
M. Gilles Le Gendre
Je précise que si cet amendement était adopté, l’amendement no 140 n’aurait plus de raison d’être puisqu’il s’agit d’un amendement de repli.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Bruno Millienne, rapporteur
Comme je l’ai annoncé, je suis favorable à cet amendement. Les Epic relèvent davantage du droit privé que du droit public, eu égard à la nature de leurs activités, des contrats passés avec les usagers et des relations de travail. Cela les rapproche des entreprises privées. Selon la jurisprudence du Conseil d’État, la qualification d’Epic est retenue si l’objet est assimilable à celui d’une entreprise privée, si le financement est principalement tiré de l’activité en cause et si les modalités d’organisation et de fonctionnement se distinguent de celles de l’administration.
Les obligations prévues par la proposition de loi feraient peser sur ces établissements trop de contraintes. Vous avez cité le cas de la SNCF, qui est en concurrence avec la RATP, mais elle n’est pas seule concernée. Il faut avoir notamment à l’esprit nos trois plus grands ports.
La commission n’a pas examiné cet amendement et, à titre personnel, j’y suis favorable :…
M. Benjamin Lucas
Qui l’eût cru !
M. Bruno Millienne, rapporteur
…il importe de retirer les Epic du champ d’application de la loi pour ne conserver que les établissements publics administratifs.
M. Sylvain Maillard
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Sansu, rapporteur.
M. Nicolas Sansu, rapporteur
Je suis désolé, cela va être un peu long, car M. Millienne et moi avons parfois des avis divergents. C’est le cas pour cet amendement. Comme vous, j’ai été contacté par la RATP… mais je ne vois pas pourquoi on intégrerait les collectivités locales dans le champ d’application, au motif qu’elles reçoivent des deniers publics, et pas la RATP, qui en touche aussi pour accomplir ses missions.
M. René Pilato
Très juste !
M. Nicolas Sansu, rapporteur
Rappelons que l’objectif de cette proposition de loi est d’encadrer le recours de la puissance publique aux cabinets de conseils. Vous soulignez que la SNCF échappe aux obligations qu’elle pose. C’est bien dommage : il se trouve que le plan de discontinuité, qui va casser le fret public, a été adopté à la suite d’une mission menée par McKinsey en 2018. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
Au lieu de retirer les Epic, mieux vaudrait réfléchir au moyen de faire entrer toutes les entreprises publiques dans le champ de ces dispositions afin de les protéger.
M. Pierre Dharréville
En effet !
M. Nicolas Sansu, rapporteur
Arrêtez de dire qu’appliquer ces dispositions aux Epic fausserait la concurrence : je ne vois pas en quoi demander à une entreprise comme la RATP de faire une évaluation du recours aux prestations de cabinets de conseil la mettrait en péril par rapport à ses concurrents. Ne racontez pas d’histoires !
Ce genre d’amendement me paraît faire partie du petit jeu qui contribuera à dévitaliser cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
M. Frédéric Mathieu
Exactement !
M. Nicolas Sansu, rapporteur
Je suis donc très défavorable à l’amendement no 139.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
Le Gouvernement est soucieux des enjeux auxquels cette proposition de loi peut exposer certains opérateurs de l’État. S’il ne lui paraît pas illégitime que certains Epic soient soumis aux obligations qu’elle pose, il partage votre volonté de voir ceux qui sont en concurrence avec des acteurs privés retirés du champ d’application de la loi.
M. Benjamin Lucas
Quelle surprise !
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
La présente proposition de loi et l’article 164 de la loi de finances pour 2023 ont établi certains garde-fous susceptibles de préserver les intérêts des Epic, notamment en prenant en considération le secret des affaires dans les mentions qui seront faites dans le rapport relatif au recours aux cabinets de conseil remis par le Gouvernement au Parlement. En outre, le fait de restreindre le champ d’application de la loi aux seuls établissements publics administratifs pourrait poser problème.
Néanmoins, il ne faudrait pas mettre en difficulté les Epic qui poursuivent leurs activités dans des secteurs concurrentiels.
Mme Catherine Couturier
La faute à qui ?
Mme Marie Lebec, ministre déléguée
C’est la raison pour laquelle je m’en remettrai à la sagesse de votre assemblée.
M. Nicolas Sansu, rapporteur
Ce qui veut dire « défavorable » !
Mme la présidente
La parole est à M. Daniel Labaronne.
M. Daniel Labaronne
Je ne connais pas bien le sujet… (Rires et exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
M. Philippe Gosselin
Ça commence mal !
M. Daniel Labaronne
… et je me pose beaucoup de questions. Après tout, nous sommes là pour débattre et éclairer la représentation nationale.
Je prendrai le cas du château de Chambord.
Plusieurs députés du groupe LFI-NUPES
Ah !
M. Benjamin Lucas
Vous craignez pour les chasses de M. Macron ?
M. Daniel Labaronne
Il se trouve que cet Epic a vu son activité commerciale se développer très fortement après avoir eu recours à des cabinets de conseil en communication et en marketing touristique pour l’aménagement de ses jardins, domaines qui s’éloignaient du métier du conservateur national du château de Chambord.
Mme Ségolène Amiot
Quelles missions de service public remplit le château de Chambord ?
M. Daniel Labaronne
Et le château a connu une véritable transfiguration.
M. Benjamin Lucas