XVIe législature
Session ordinaire de 2023-2024

Séance du jeudi 09 novembre 2023

(La séance est ouverte à vingt-deux heures.)
L’ordre du jour appelle la discussion et le vote sur la motion de censure déposée, en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, par Mme Mathilde Panot et soixante-dix-sept membres de l’Assemblée, la Première ministre ayant engagé la responsabilité du Gouvernement sur l’adoption de la seconde partie et de l’ensemble du projet de loi de finances pour 2024.
Les bancs du Gouvernement sont très fournis mais je ne vois pas Éric Dupond-Moretti, c’est bizarre. Il est occupé ?
(Rires sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Madame la Première ministre : Dégagez ! Dégagez !
Du balai ! Dehors ! Ça suffit ! Voilà ce que nous vous disons avec notre motion de censure. Voilà ce que vous disent, avec nous, des millions de Français qui chantent « Macron démission ! ».
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.)
Partez, madame la Première ministre, car vous abîmez la France et sa République.
Vous en avez encore fait la démonstration, il y a deux jours, avec votre seizième 49.3. Nos compatriotes doivent savoir comment tout cela s’est passé car vous avez transformé l’Assemblée nationale en théâtre de marionnettes.
(Exclamations sur les bancs du Gouvernement.)

Je vous raconte la pièce. Mardi, à vingt-trois heures quarante, la séance est suspendue : changement de décor. Vous entrez dans l’hémicycle avec un grand sourire. Changement de présidente de séance : tout est en place. À vingt-trois heures quarante-huit, la pièce de théâtre commence ! La présidente de l’Assemblée vous convoque à la tribune, elle se marre. Le public des marionnettes macronistes…
…se lève et applaudit à tout rompre sa propre mise à mort parlementaire.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.)

Puis vous prenez la parole, triomphale, sûre de votre force. Vous connaissez votre texte par cœur puisque vous l’avez déjà prononcé quinze fois : « Sur le fondement de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, j’engage la responsabilité de mon gouvernement, bla bla bla ». À vingt-trois heures cinquante-deux, quatre minutes plus tard, c’est déjà la fin de la pièce : rideau et applaudissements des marionnettes.
(Rires sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

Vous ne faites même plus semblant d’en avoir quelque chose à faire. Vous écrabouillez l’Assemblée nationale en quatre minutes chrono, avec un grand sourire. Vous piétinez le Parlement et vous vous en amusez. Pour vous, c’est devenu un jeu, rien de plus.
Mais ce n’est pas un jeu, madame la Première ministre.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.)
Vous détruisez la France en détruisant sa République.
La France n’est pas une entreprise, les Français ne sont pas vos salariés et vous n’êtes pas leur patronne. C’est l’inverse !
(Mêmes mouvements.)
La France est une République. Le souverain, c’est le peuple. Le patron, c’est lui ; les employés, c’est nous ! Et la fonction qu’il nous a confiée, c’est de servir l’intérêt général.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Ce n’est pas un jeu, c’est un devoir. Vous riez car ce soir vous dormirez au chaud et le ventre plein. Pourtant, d’autres n’auront pas cette chance : 2 000 personnes meurent dans et de la rue chaque année,…
…un Français sur dix ne mange pas à sa faim, un Français sur cinq finit le mois à découvert, 330 000 personnes sont sans domicile fixe, 2 800 enfants dorment dans la rue. Voilà votre bilan !
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.)

Comment faites-vous pour dormir le soir tout en sachant que 2 800 enfants dorment dans la rue ?
(Exclamations sur les bancs du Gouvernement.)
Si j’étais à votre place, je ne trouverais pas le sommeil. Si j’étais à votre place, je mettrais tous les moyens de l’État en mouvement pour qu’aucun enfant ne dorme dehors cette nuit. Mais vous, vous, vous faites des 49.3 pour les riches. Oh, je sais que vous détestez l’inventeur de notre devise nationale « Liberté, Égalité, Fraternité ».
Pourtant écoutez-le ! Maximilien Robespierre disait : « Nul ne peut entasser des monceaux de blé à côté de son semblable qui meurt de faim. »
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.)

Je vous ai parlé de ceux qui meurent de faim, citons maintenant ceux qui entassent des monceaux de blé comme jamais depuis l’élection de Macron, en 2017 : la fortune de Bernard Arnault a crû de 156 milliards d’euros, celle de la famille Hermès, de 107 milliards, celle des Bettencourt de 41 milliards. D’un côté, ceux qui ont tout, de l’autre, ceux qui n’ont rien.
(Mêmes mouvements.)
Au milieu de tout cela, la masse des gens qui travaillent pour des salaires de misère, qui se cassent le dos, qui sont sous antidépresseurs, qui ne voient pas assez leurs gosses, qui ne savent pas comment payer la facture du mois suivant, la masse de ceux qui bossent et qui, pourtant, galèrent.
(Mêmes mouvements.)

Depuis cette tribune, qui devrait être celle où s’exprime la voix du peuple et non des riches, je dis bravo et merci à celles et ceux qui tiennent notre pays debout, quelle que soit leur nationalité, qu’ils soient avec ou sans papiers
(Mêmes mouvements)
: ouvriers du bâtiment et de l’industrie, agriculteurs, employés de bureau, agents d’entretien, enseignants, chauffeurs routiers, aides-soignantes, aides à domicile, serveurs, cuisiniers, secrétaires, caissières, vendeurs, manutentionnaires, coiffeurs, livreurs, étudiants…
Bravo et merci à ceux qui tiennent debout un pays que vous voulez mettre à genoux, madame la Première ministre !
(Mêmes mouvements.)
Mais vous n’y arriverez pas car, ici, c’est la France ! Notre peuple est rebelle et insoumis : il ne courbe jamais l’échine et ne baisse jamais les yeux.
Madame la Première ministre, je vous ai dit tout à l’heure que vous détruisiez la France en détruisant sa République. Laissez-moi vous en dire plus. Qu’est-ce que la République ?
C’est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Quelle est sa devise ? « Liberté, Égalité, Fraternité ». Je n’invente rien, j’ai seulement lu l’article 2 de la Constitution. Vous avez trouvé le moyen de citer seize fois l’article 49, alinéa 3, à cette tribune, mais vous n’avez toujours pas appliqué cet article 2, qui, pourtant, vous oblige.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.)

Gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ? Vous faites l’inverse : Macron gouverne seul, contre le peuple et pour les riches. Avec vos 49.3 à répétition, vous faites pire que Louis XVI…
…car le droit de véto que la constitution de 1791 donnait au roi ne s’appliquait pas aux questions budgétaires.
(Mêmes mouvements.)
Et vous ? 49.3 ! 49.3 ! 49.3 ! Vous ne savez pas faire de budget sans acte d’autorité. Vous faites pire que Louis XVI !
Mais des gilets jaunes aux révoltes de juin, des Soulèvements de la Terre aux manifestations spontanées contre la retraite à 64 ans, le peuple français des tours et des bourgs n’a cessé de vous rappeler qu’il est insoumis, rebelle et révolutionnaire.
Votre couronne tient toujours, certes, mais elle finira par tomber, comme toutes les autres avant la vôtre !
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.)
Alors, la VIe République adviendra, l’Assemblée constituante adviendra, le référendum d’initiative citoyenne adviendra. La Ve République a 65 ans, il est temps qu’elle prenne sa retraite et, vous, votre congé avec notre motion de censure !
(Mêmes mouvements.)

Liberté, Égalité, Fraternité ? Où est la liberté ?
Oui, où est-elle quand le droit à manifester est sans cesse menacé, quand on peut perdre un œil pour avoir dit « Macron, démission ! », quand on peut être placé en garde à vue pour avoir défendu la planète, quand on peut perdre la moitié du crâne parce qu’on s’appelle Hedi ou la vie parce qu’on s’appelle Nahel, quand on peut se prendre une amende de 135 euros pour avoir dit « Cessez-le-feu à Gaza ! » ?
(Mêmes mouvements.)

Madame la Première ministre, quand nous avons fondé la Ière République en 1793, nous avons écrit dans notre constitution que le droit de manifester ne pouvait être interdit et que, s’il l’était, c’était que le despotisme était présent. La République vous juge, madame la Première ministre : revoilà le despotisme !
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.)

Où est l’égalité quand les riches ont tout et que les autres n’ont rien ?
J’ai dit ce que vous faisiez et je dis maintenant ce qu’il faudrait faire : augmenter les salaires et porter le Smic à 1 600 euros
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également)
, bloquer les prix des produits de première nécessité, mettre en place une allocation d’autonomie de 1 100 euros pour les jeunes, augmenter les retraites à 1 600 euros par mois pour une carrière complète et porter le minimum vieillesse à 1 100 euros par mois.
Enfin, où est la fraternité quand vous montez sans arrêt les Français les uns contre les autres ?
Les travailleurs contre les chômeurs, les retraités contre les travailleurs, les banlieusards contre les campagnards, les Français contre les immigrés, les vieux contre les jeunes.
Où est la fraternité quand vous êtes incapables de lutter contre le racisme qui s’exprime partout dans notre société
(Mêmes mouvements)
, quand vous êtes incapables de le nommer dès lors que celui qui en est responsable porte un uniforme, quand vous êtes incapables de défendre une laïcité qui soit autre chose que l’expression d’une haine de moins en moins voilée contre les musulmans
(Mêmes mouvements)
, quand vous êtes incapables de mettre fin aux actes antisémites et d’avoir une parole forte pour faire cesser ceux qui ont lieu en ce moment…
…quand vous courez après l’extrême droite et que vous vous apprêtez à marcher avec elle au moment où il faudrait, au contraire, la combattre pour la faire reculer dans la poubelle d’où elle est de nouveau sortie ?
(Mêmes mouvements.)

Je vous dis tout ceci, madame la Première ministre, un jour pas comme les autres…
…car nos débats ont lieu dans la nuit du 9 au 10 novembre et qu’il y a quatre-vingt-cinq ans avait lieu la nuit de Cristal dans l’Allemagne nazie. Ce soir, il y a avec nous les fantômes de ceux qui sont morts cette nuit-là parce qu’ils étaient juifs !
Ce soir, pèsent sur nous les 6 millions de regards éteints par Hitler mais dont l’intense lumière transperce encore et à jamais la nuit et le brouillard pour arriver jusqu’à nous.
(Exclamations sur les bancs du Gouvernement.)
Je vous le dis, madame la Première ministre, les yeux dans les yeux, je le dis à tous les républicains qui sont ici, les yeux dans les yeux :…
…ne vous trompez pas d’ennemis, n’oubliez pas le passé, n’inventez pas le racisme et l’antisémitisme là où ils n’existent pas et n’ont jamais existé.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.)
Combattez-les plutôt là où ils ont existé, où ils existent encore et où ils existeront toujours.
Pour notre part, nous savons ce que nous faisons, nous savons où nous allons : nous sommes humanistes et républicains, nous combattons le racisme et l’antisémitisme, nous défendons la paix civile et la justice sociale.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.)
Nous chantons
La Marseillaise
dans l’hémicycle quand vous dégainez un 49.3 sur la réforme des retraites. Nous portons fièrement le drapeau tricolore de la République né de la Révolution de 1789.
Nous disons : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Nous en avons fait un programme de gouvernement avec
L’Avenir en commun
.
(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
Bref, nous sommes comme les Canuts : « Nous savons que le règne du peuple arrivera / Quand votre règne finira / Nous tisserons le linceul du vieux monde / Car on entend déjà la révolte qui gronde. »
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES. – M. Benjamin Lucas applaudit également.)

Madame la Première ministre, dégagez ! On sait quoi faire pour vous remplacer.
(Les députés du groupe LFI-NUPES ainsi que M. Benjamin Lucas se lèvent et applaudissent.)
Nous nous retrouvons encore une fois pour examiner une énième motion de censure déposée par Mathilde Panot et ses collègues de La France insoumise. Pour la seizième fois depuis votre arrivée à Matignon, vous avez, mardi soir, madame la Première ministre, activé l’article 49, alinéa 3, de la Constitution sur la seconde partie et l’ensemble du projet de loi de finances (PLF) pour 2024.
Les députés du groupe LFI s’en vont après le discours de M. Léaument : quelle belle marque du respect républicain !
Il est vrai que l’utilisation du 49.3 devient une triste habitude depuis le début de ce mandat. En dix-sept mois, vous l’avez déjà activé sur six projets de loi différents : le PLF pour 2023, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, le PLFSS rectificatif qui correspondait à la réforme des retraites, le projet de loi de programmation des finances publiques, le PLF pour 2024 et le PLFSS pour 2024. Et, comme chaque fois, La France insoumise dépose dans la foulée une motion de censure. Je dis bien : « chaque fois ».
Les Républicains, en dépit de leurs réelles divergences avec le Gouvernement, savent que, pour fonctionner, la France a besoin de se doter d’un budget et d’une loi de sécurité sociale avant le 31 décembre de chaque année, en l’occurrence avant le 31 décembre 2023.
Ne soyons donc pas dupes de l’hypocrisie de La France insoumise sur ce point.
Nous déplorons ce recours massif à l’article 49.3, surtout quand il nous prive de débats. Toutefois, les députés du groupe Les Républicains resteront une opposition responsable, car l’intérêt du pays demeure notre boussole. Nous ne voterons donc pas cette motion de censure et nous ne rentrerons pas dans le jeu dangereux du groupe LFI.
J’en suis d’autant plus convaincue après avoir entendu M. Léaument. C’est un jeu dangereux dans lequel les députés du Rassemblement national sont devenus les alliés objectifs de La France insoumise pour mener ensemble la politique du pire.
Depuis un an, avec le Rassemblement national, vous vous toisez du regard devant les caméras mais vous vous faites régulièrement des clins d’œil quand il s’agit d’unir vos votes.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LR et RE.)
Vous vous confondez, par ailleurs, dans une compétition victimaire alors que vous connaissez pertinemment les règles du jeu parlementaire.
Je voudrais ici dénoncer les incohérences de La France insoumise. D’abord, vous justifiez votre motion de censure – je l’ai lue – en indiquant que le Gouvernement « refuse aux élus de la nation le droit de débattre ». Je pourrais vous suivre sur ce point sauf que, dans le même temps, vous déposez des motions de rejet sur ces textes qui, si elles étaient adoptées, nous priveraient justement de débat dans l’hémicycle.
Au moins les motions nous donnent l’occasion de voter !
En somme, c’est : « Faites ce que je dis, mais ne faites pas ce que je fais. »
Ensuite, vous dénoncez le 49.3 en considérant que chacune de ces utilisations est une « nouvelle étape dans la pente autoritaire dévalée par le Gouvernement ».
Cependant vous ne disposez ici d’aucune majorité absolue pour faire adopter un budget – heureusement, d’ailleurs !
Surtout, derrière une apparente hostilité, vous acceptez sans rechigner et dans le plus grand silence les voix du Rassemblement national, qui vote la main sur le cœur vos motions de censure. Vous n’y trouvez rien à redire, car vous avez intérêt à vous unir entre extrêmes et à surfer, main dans la main, sur une dangereuse démagogie.
(M. Matthias Tavel s’exclame.)

Sur le fond, tout d’abord, votre proposition de contre-budget à vous, membres de la NUPES, c’est plus d’impôts, encore des impôts et toujours des impôts.
Sur ce plan aussi, vous êtes sur la même ligne que le RN et défendez les mêmes impôts : je pense notamment à vos projets communs de taxation des surprofits. Vous refusez de voir que notre pays croule sous les prélèvements obligatoires, dont il est devenu le champion d’Europe incontesté. Notre ADN à nous, Les Républicains, c’est plutôt la diminution des impôts, des cotisations, des taxes et des prélèvements,…
La diminution des services publics et des investissements !
…dont nous avons fait la matrice de notre contre-budget. Cessons de plomber le pouvoir d’achat des familles et la compétitivité des entreprises, en raison d’une fiscalité trop excessive !
L’impôt, c’est révolutionnaire et c’est très beau ! Il a oublié de le dire, le camarade !
Sur la forme, ensuite, je déplore certaines méthodes du groupe La France insoumise, en particulier ses manœuvres incessantes pour permuter, constamment, ses députés au sein des commissions. En raison de ce dévoiement des mouvements entre commission, les commissaires aux finances habituels se sont vus privés de temps de parole par des députés qui n’appartiennent pas à notre commission. Car, pour terminer à temps l’examen des différentes missions, il fallait légitimement limiter les prises de parole en commission.
Vous avez par ailleurs multiplié les amendements de crédits, qui sont autant d’amendements de dépenses. Cette démesure, que dis-je, cet
open bar
en matière d’amendements,…
…a conduit la commission des finances à devoir mettre fin à l’examen de la mission
Outre-mer
car l’intégralité des crédits avait été consommée ! De ce fait, les autres groupes, bien plus raisonnables sur le nombre d’amendements déposés, n’ont même pas eu la latitude de défendre leurs amendements restants. C’est un comble !
En séance, nous sommes arrivés à la situation ubuesque où le rapporteur de la mission
Outre-mer
en est venu à vouloir retirer certains de ses propres amendements, pourtant votés en commission des finances.
Et comme un rapporteur ne peut retirer un amendement de la commission, il a dû demander à ses collègues de la NUPES de voter contre leurs propres amendements, pour éviter d’épuiser tous les crédits de la mission. Un véritable sketch ! Je précise, au passage, que certains amendements dépassaient la dizaine de milliards d’euros !
Je vous le dis, madame Panot – je vois qu’elle n’est pas dans l’hémicycle, mais vous le lui répéterez –, vous avez très largement participé à une déresponsabilisation des députés avec, en réalité, un seul objectif, que M. Léaument vient encore de montrer il y a un instant : focaliser l’attention sur vous, faire le buzz, cristalliser les tensions et faire de cet hémicycle une scène de théâtre.
Toutefois, ce jeu de dupes est en train de vous rendre inaudibles et de conforter, voire de renforcer, le Gouvernement qui brille pourtant par ces renoncements et ces échecs en matière de gestion des finances.
Ah ! Il vous aura fallu six minutes de discours pour le reconnaître enfin !
Car la faute originelle vient, bien sûr, du Gouvernement, qui confine les députés chez eux, en recourant à ce déluge de 49.3.
(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
Le 49.3 est une faculté constitutionnelle qui permet d’éviter un vote ; il ne doit surtout pas devenir un outil pour vous exonérer de débattre, pour nous priver, ainsi que les Français, de débat. Une telle attitude est dangereuse car, en dévitalisant l’Assemblée nationale, en supprimant d’un trait de plume des semaines entières du calendrier parlementaire, en démobilisant les députés, vous alimentez leur frustration, vous crispez les Français et vous soufflez sur les braises de leur colère.
Mais vous n’étiez pas obligée de sauter systématiquement dans le piège qui vous est tendu, madame Panot !
En déposant toutes ces motions de censure, dont aucune ne sera adoptée, vous les banalisez, vous en affaiblissez la portée et vous accréditez la dangereuse idée d’un parlement qui ne compte plus.
(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
Tout cela ne fait que des perdants ! Notre démocratie s’en trouve abîmée et les Français s’en rendent compte.
Un habitant de ma circonscription, pourtant macroniste de la première heure, m’expliquait, il y a quelques jours, que ce qu’il retiendrait de ce mandat du Président de la République est la manière dont la démocratie a été abîmée.
(« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
C’est peu dire, et c’est particulièrement grave.
Rendez-vous compte, madame la Première ministre, mesdames et messieurs les ministres : nous n’aurons débattu sur aucun des sujets majeurs ! Permettez-moi d’en citer quelques-uns, même s’il y en a bien d’autres.
Nous n’avons pas pu parler du régime fiscal particulièrement accommodant pour la trentaine de fédérations sportives internationales reconnues par le Comité international olympique (CIO), à quelques mois des Jeux olympiques de Paris. Cette disposition a été adoptée grâce à un amendement au projet de loi de finances pour 2024, déposé en catimini, le mercredi 18 octobre, par les députés du groupe Renaissance, dont le rapporteur général de la commission des finances.
Nous n’avons pas pu évoquer les crédits alloués au dispositif MaPrimeRénov’, dont nous avons découvert il y a quelques jours, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances de fin de gestion (PLFG) pour 2023, une sous-exécution majeure, qui a conduit à une annulation de crédits de 1,1 milliard d’euros. Ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu, alors qu’une communication gouvernementale annonçait, le 12 octobre dernier, je cite : « un effort […] pour financer la rénovation énergétique des logements, portant à 5 milliards d’euros le budget total qui y sera consacré l’année prochaine. » Nous sommes finalement bien loin du compte !
Nous n’avons pas pu aborder les risques de contentieux que l’article 15 du PLF pour 2024 pourrait créer, en prévoyant de taxer les concessions d’autoroutes et d’étendre cette taxation aux aéroports. Comment les risques de contentieux ont-ils été évalués ? Nous n’aurons jamais de réponse à cette question, faute d’avoir pu la soulever.
Nous n’avons pas pu évoquer, non plus, la situation très alarmante du logement ! Pourtant, tous les voyants sont au rouge en matière de construction.
Tout cela est bien désolant, même si je veux retenir les quelques avancées obtenues par les députés Les Républicains sur des sujets tels que la recherche sur la maladie de Lyme ou les cancers pédiatriques, l’indemnisation des victimes de la Dépakine, la revalorisation des aides financières individuelles aux pupilles de la nation, ou encore la prolongation de l’expérimentation « Mieux reconstruire après les inondations ».
Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous ne voterons pas cette motion de censure, premièrement, parce que notre pays se doit d’avoir un budget et qu’aucun consensus ne permettra d’y aboutir et, deuxièmement, parce que la vision des Républicains est aux antipodes de celle affichée par La France insoumise. Cela vient encore d’être démontré ce soir.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Le président de mon groupe, Jean-Paul Mattei, et mes deux collègues Nicolas Turquois et Aude Luquet, ayant déjà évoqué devant vous, lors des trois dernières semaines, ce que nous pensions de la faculté des oppositions à fourbir des motions de censure,…
…permettez-moi, ce soir, de dériver un peu au-delà de l’utilisation du 49-3.
Nous le savons bien, mesdames et messieurs de l’opposition, et surtout collègues de la NUPES, nous n’avons pas la majorité absolue – vous avez raison.
Cependant, nous sommes, avec Mme la Première ministre et les membres du Gouvernement, les seuls à être en mesure d’agir, avec conscience, pour le pays. C’est ce que nous faisons afin de mieux gérer le quotidien et de mieux prévoir l’avenir. C’est ce que fait votre gouvernement, madame la Première ministre, parce que nul, ici, n’est capable de proposer une majorité alternative à la nôtre !
Ce qui nous intéresse, c’est de nous occuper de la vie quotidienne des Français, en gardant en ligne de mire la recherche constante de l’intérêt général et de l’avenir, plutôt que la promesse de satisfaire la somme des intérêts particuliers. Nous croyons au fait d’impliquer les Français dans nos prises de décisions pour réussir ensemble.
Benjamin Franklin a dit : « Tu m’enseignes, je me souviens. Tu m’impliques, j’apprends. » Tel sera le sens de mon propos, pour que celles et ceux qui nous regardent – ils sont nombreux ce soir, évidemment – comprennent la situation qui nous rassemble et se fassent leur propre opinion par leur implication.
À l’heure où le monde est très agité et semble avoir perdu toute boussole, à l’heure où les espoirs de paix en Ukraine et au Proche-Orient sont bien minces, à l’heure où l’urgence environnementale est une évidence pour beaucoup d’entre nous, sans toutefois emporter l’adhésion de tous les pays de notre planète, à l’heure aussi où nos concitoyens payent les conséquences des déséquilibres internationaux et cherchent à vivre dans un monde plus serein – plus serein avant tout dans leur quotidien, c’est-à-dire dans leur foyer, dans leur commune, dans leur entreprise, dans leur vie –, à cette heure, les élus que nous sommes sont là pour transcrire les inquiétudes, comprendre les maux et proposer des remèdes. Mais nous ne sommes pas là pour alimenter les peurs ou pour importer les conflits à travers nos mots.
Ainsi, ce que nous proposons aux Français, à court, moyen et long termes, passe par la santé, d’abord, ce qui implique de combler et de réparer progressivement et véritablement les immenses lacunes laissées par les majorités précédentes : abandon des territoires, notamment ruraux, numerus clausus, professions médicales et paramédicales oubliées, en particulier sur le plan salarial, absence de vue à long terme en faveur de nos aînés, alors même que, depuis des décennies, nous savons qu’il faudra faire face à la dépendance.
Cela passe par des moyens exceptionnels alloués depuis près de six ans à l’éducation, afin de permettre à chaque enfant d’apprendre mieux, dans de meilleures conditions, et de lutter contre ce fléau qu’est le harcèlement. Nous répondons aussi, enfin, aux attentes des professeurs en revalorisant leurs salaires, qui sont parmi les plus bas d’Europe.
Cela passe par le travail, ensuite : celui qui émancipe et rend fier de pouvoir nourrir sa famille et de s’occuper d’elle dignement, celui qui offre un toit pérenne, une existence dans la société et un statut social, celui qui offre la reconnaissance et permet d’être acteur de sa vie. Le taux de chômage n’a jamais été aussi faible depuis quarante ans et le taux d’emploi, quelles que soient les tranches d’âge, n’a jamais été aussi élevé.
Cela passe par le développement de notre économie : la réindustrialisation de nos territoires est une préoccupation majeure depuis 2017. Un maximum de moyens ont été engagés sur les plans humain, financier, fiscal et technologique, pour que cela fonctionne sur le long terme. Il en est ainsi de notre politique fiscale, qui permet à notre pays d’être désormais l’un des plus attractifs, comme de notre politique sociale qui, grâce aux lois de 2017, a permis de développer les nouvelles embauches ou encore l’apprentissage, véritable message d’espoir pour une grande majorité des jeunes.
Le développement est également une question de vie pour nos territoires : faire en sorte que les métropoles ne soient pas les seules à bénéficier des richesses et que chaque département de France, y compris les territoires ultramarins, en profite. Les politiques mises en place dans le cadre du plan Action cœur de ville ou du programme Petites Villes de demain permettent de rendre de l’attractivité à ces territoires et de valoriser ceux qui y habitent. Nous faisons cela au prix d’efforts financiers significatifs, que les précédentes majorités avaient renoncé à faire.
Cela passe, enfin, par le réarmement régalien, juridique et citoyen : chacun d’entre vous connaît les risques auxquels nous sommes confrontés, sur le territoire national comme à l’étranger. Trop longtemps, les majorités précédentes ont sacrifié ces sujets, soit pour des raisons budgétaires, soit pour des raisons idéologiques, laissant croître l’insécurité et l’adversité. Depuis 2017, nous avons inversé la tendance : nous voulons mieux protéger les Français, en renforçant nos armées, nos forces de police et notre justice.
Oui, mesdames et messieurs de l’opposition, c’est bien tout cela que recouvre le PLF pour 2024, et c’est pourquoi nous le soutenons.
Nous soutenons l’accélération de la transition écologique. Dans la première partie du PLF, nous continuons à verdir notre fiscalité, tout en accompagnant les secteurs – notamment le secteur agricole – qui seront touchés par la réduction des dépenses fiscales brunes. Dans la seconde partie, nous augmentons de 10 milliards d’euros les enveloppes consacrées à la planification écologique, avec un très fort ciblage sur l’accompagnement des collectivités territoriales dans leur verdissement. Les maires et les présidents d’intercommunalité sont en première ligne face au changement climatique, leur action admirable lors des catastrophes climatiques nous le rappelle trop souvent. Par ce budget, nous voulons les aider à préparer l’adaptation de leurs outils : dans cet objectif, le fonds Vert est pérennisé et même augmenté à 2,5 milliards d’euros.
Nous finançons les politiques prioritaires. La jeunesse, d’abord, en revalorisant le salaire des enseignants, grâce au pacte enseignant, en augmentant le montant et le nombre de bénéficiaires des bourses étudiantes ou encore en encourageant la montée en puissance du service national universel (SNU), programme qui, vous le savez, me tient particulièrement à cœur.
Ce budget traduit en actes les différentes lois de programmation que nous avons votées, notamment en faveur du réarmement régalien : 500 millions d’euros supplémentaires nous permettent de porter, pour la première fois, les crédits de la mission
Justice
à hauteur de 10 milliards. Avec un objectif de 10 000 recrutements supplémentaires d’ici à 2027, nous mettrons fin, selon les mots du garde des sceaux, ministre de la justice, à la « clochardisation » de la justice. La mission
Sécurités
voit, elle aussi, ses crédits largement augmentés, notamment pour faire face aux défis que représente l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, dans un contexte d’augmentation de la menace terroriste. Enfin, nous continuons à accroître fortement le budget de nos armées : avec un premier palier de 3,3 milliards d’euros, la hausse des crédits de la mission
Défense
nous permettra, à terme, de faire face aux nouvelles menaces auxquelles nous sommes confrontés en Europe, au Proche-Orient et en Indo-Pacifique.
Ce budget, conjointement avec le PLFSS, répond aussi à une très forte attente de nos concitoyens de droite, de gauche et, peut-être et surtout, du centre : la lutte contre la fraude, contre toutes les fraudes.
Car la fraude, qu’elle soit fiscale ou sociale, mine chaque jour un peu plus la confiance collective dans notre contrat social.
Le Gouvernement a présenté cet été son plan de lutte contre la fraude, que le PLF et le PLFSS transposent dans la loi, grâce à un meilleur encadrement des prix de transfert, à la création d’un délit visant spécifiquement la création de montages frauduleux ou encore à des mesures plus efficaces contre la fraude commise par certains professionnels de santé indélicats.
Nous n’oublions pas non plus que la contrefaçon est une fraude qui occasionne pour l’État des pertes évaluées à 10 milliards d’euros par an, sans compter ses coûts indirects liés à ses effets sur la santé publique, sur l’environnement, sur l’emploi et sur le financement du crime organisé. La fraude doit être unanimement combattue et les chiffres exacts en la matière doivent être communiqués avec pédagogie, pour éviter que l’impression de fraude constante, source de confusion, d’amalgame et d’un vif sentiment d’injustice qui mine le moral de nos compatriotes, ne gagne du terrain.
Ce budget a aussi été enrichi par les députés Démocrates – un peu en première partie et un peu plus, peut-être, en deuxième partie. Je n’en ferai pas une litanie, mais permettez-moi de saluer quelques avancées. Grâce à un amendement d’Erwan Balanant, nous avons souhaité consacrer 30 millions d’euros supplémentaires à la lutte contre un fléau que chacun d’entre nous rencontre dans sa circonscription et qui, trop souvent, endeuille des familles entières : le harcèlement scolaire.
Par l’intermédiaire de Perrine Goulet, nous avons souhaité améliorer la prise en charge juridictionnelle des mineurs, en cohérence avec le projet de loi de programmation et d’orientation du ministère de la justice pour les années 2023 à 2027.
À l’initiative de Marina Ferrari, nous avons présenté un amendement visant à augmenter le budget dédié à la restructuration des locaux commerciaux et d’artisanat dans les zones fragiles ; nous aidons ainsi les commerçants et les artisans, qui font partie de notre patrimoine. Enfin, mené en cela par Frantz Gumbs, notre groupe a prêté une attention particulière à la mission
Outre-mer
: nous avons soutenu l’élargissement du champ d’Action logement à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Saint-Martin, l’amélioration de la prise en charge des cancers, l’abondement du fonds exceptionnel d’investissement (FEI) ou encore – mesure qui a fait l’objet d’un engagement particulier de ma part – l’amélioration de la sécurité routière.
Tous nos souhaits n’ont malheureusement pas été entendus, aussi continuerons-nous, au cours des prochains mois, à faire des propositions en matières fiscale et budgétaire. Nous avons de la suite dans les idées et sommes déterminés à défendre des mesures qui nous semblent justes et essentielles pour l’intérêt général et pour la France.
Pour conclure…
Je voulais voir si vous suiviez, monsieur Gillet. Pour conclure, disais-je, ce budget trace donc les orientations des prochains mois. Nous le saluons, mais il ne suffira pas. Nous devons continuer à travailler avec votre gouvernement, madame la Première ministre, dans les semaines et les mois à venir.
En premier lieu, il convient de mieux lutter contre l’immigration illégale, tout en intégrant mieux les quelques milliers d’étrangers qui se trouvent déjà en France et qui, en travaillant, contribuent à notre société. Nous sommes bien loin du danger de la régularisation massive tant décriée par certains. S’il y a quelque chose de massif dans le projet de loi que nous examinerons en décembre, c’est bien la proportion du texte – plus de vingt articles – visant à instaurer plus de contrôle et plus de sanctions envers ceux qui ne respectent pas notre pays.
Nous devons ensuite avancer en matière d’approvisionnement énergétique ; de ce point de vue, les travaux que vous avez menés à l’échelle européenne vont dans le bon sens. Il est désormais urgent de les décliner au niveau national.
Enfin, un grand projet de loi relatif au logement nous semble indispensable. Le mal-logement constitue un fléau social majeur, à l’origine de tous les autres maux que nous cherchons à soigner au quotidien. Un grand projet de loi logement, ambitieux, efficace à court et moyen termes, réaliste, fonctionnel, solidaire, fraternel et visionnaire serait la clef de voûte de l’harmonie de notre société.
(M. Benjamin Lucas s’exclame.)
Vous savez que nous serons à vos côtés pour le construire et que nous défendrons des propositions innovantes et sérieuses.
Nous avons encore beaucoup de travail. Vous l’aurez compris : parce que ce PLF est un des vecteurs essentiels pour continuer à améliorer la vie de nos concitoyens, parce que le groupe Démocrate désire continuer à s’impliquer à vos côtés dans l’intérêt de la nation, nous ne voterons pas la motion de censure.
(Applaudissements sur les bancs des groupes RE et HOR.)
Et de seize ! Cela va vous surprendre, madame la Première ministre, mais j’aimerais commencer par compatir amicalement à votre situation.
Six 49.3 cette année, seize en tout, sachant qu’un dix-septième se prépare pour lundi : vous devez vous en lasser.
Si je compatis amicalement à votre sort, c’est surtout parce que ces 49.3 sont un problème pour vous. D’ici à Noël, vous en serez à vingt-trois. Il vous en faudra au minimum dix de plus pour les budgets de l’année prochaine, ce qui vous amènera à trente-trois. Vous dépasserez ainsi le nombre symbolique de vingt-huit, c’est-à-dire le nombre d’utilisations du 49.3 par Michel Rocard. Or je doute que le Président de la République voudra battre ce record.
(Sourires sur les bancs du groupe GDR-NUPES.)
Autrement dit, la méthode que vous avez choisie pour faire passer les textes budgétaires est en train de sceller, lentement mais sûrement, votre propre sort.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)

Vous allez nous dire, la main sur le cœur, que vous n’avez pas le choix, que personne ne veut voter vos budgets, etc. Objection, votre honneur !
Quand personne n’est satisfait de vos budgets, personne ne veut les voter. C’est assez naturel, c’est simple, c’est basique.
Toutefois, je crois qu’il s’est déjà vu des situations où, après quelques efforts, vos budgets ont paru tolérables à certains députés d’opposition. Je concède que cela ne date pas d’hier : la dernière fois, c’était… mais si, c’était littéralement hier ! Hier, de nombreux groupes d’opposition se sont abstenus sur le vote du projet de loi de fin de gestion pour 2023, car vous avez consenti à discuter avec eux, à chercher un accord et à faire quelques gestes. Je pense par exemple à la prime de Noël de 150 euros qui sera versée à 600 000 familles monoparentales, aux 20 millions d’euros supplémentaires dédiés à l’aide alimentaire, aux 2 millions d’euros supplémentaires consacrés à la lutte contre la prolifération des algues sargasses et à l’abondement des crédits dédiés à l’hébergement d’urgence. Certes, ce n’est pas la panacée, mais c’est déjà cela ! Imaginez ce qui se passerait si cette situation était transposée à un PLF.
Malheureusement, s’agissant du budget pour 2024, vous n’avez même pas essayé de discuter, que ce soit avec la gauche ou avec la droite. Pourtant, vous ne pouvez pas prétendre qu’il n’existe pas d’alternative : jamais un tel nombre de groupes parlementaires n’avait présenté un contre-budget. Nous, socialistes, avons construit un contre-budget, dont je précise qu’il est à l’équilibre et qu’il contient des choix politiques signifiants pour lutter contre la vie chère et pour réussir la transition écologique. Lisez-le ! Nos collègues Insoumis ont également construit le leur. Lisez-le ! C’est aussi le cas de nos collègues du groupe Les Républicains. Lisez-le !
Certes, personne n’attend du Rassemblement national qu’il fasse preuve de sérieux en proposant un projet cohérent, mais passons.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
Toujours est-il que vous aviez l’embarras du choix.
Le projet sérieux de La France insoumise, on l’attend toujours !
Au lieu de cela, vous ne vous êtes pas embêtée : vous aviez l’arme nucléaire, donc vous l’avez utilisée. C’est tellement plus simple que de débattre. Pourtant, cette arme – le 49.3 – sera votre perte. C’est dommage ; je vous le dis en toute amitié.
Vous connaissez l’histoire des États généraux de 1789 – je ne chercherai pas à faire un cours exhaustif –, réunis en pleine crise financière et budgétaire, et vous savez sans doute comme moi que la raison d’être historique du Parlement consiste à voter l’impôt et son usage.
Eh oui ! Avec vous, nous n’avons ni impôt, ni vote du Parlement !
Avec votre méthode, pour la deuxième année de suite, nous n’avons pas pu débattre des impôts, car la première partie du PLF a fait l’objet d’un 49.3 immédiat. Quant aux dépenses, nous n’avons pas pu en discuter sérieusement, car nous n’avons pu commencer à débattre que de neuf missions sur les quarante-sept missions et comptes d’affectation spéciale que compte la deuxième partie du PLF. Et encore, dans la plupart des cas, nous n’avons pas pu aller jusqu’au vote.
C’est la deuxième année que le cas se présente et, si vous ne changez pas de manière de faire, nous passerons cinq ans sans vote. Quelle démocratie moderne passe cinq ans sans pouvoir voter ses impôts et son budget, sans pouvoir même en discuter ?
Dans un pays où la critique de la verticalité du pouvoir est récurrente depuis soixante ans, nos concitoyens reçoivent chaque semaine, sur leur téléphone, des alertes de journaux en ligne les informant qu’Élisabeth Borne déclenche un nouveau 49.3.
Et vous vous dites : « Chouette, on va pouvoir déposer une nouvelle motion de censure ! »
Beaucoup ne se demandent même plus pourquoi, ayant intégré l’idée que, de toute façon, l’avis du peuple et celui de ses représentants n’étaient pas votre affaire, ni celle du Président de la République. Dans ce contexte, comment ne pas comprendre que les Français pensent que leur parole n’a aucune influence, qu’ils se désintéressent de la politique et qu’ils se déclarent indifférents à l’émergence de forces encore plus autoritaires ? Après avoir obtenu 34 % des votes en 2017 et 41,5 % en 2022, combien fera l’extrême droite en 2027, après que vous aurez passé dix ans à exercer le pouvoir de cette manière ?
Plus égoïstement, je dois admettre que ces 49.3 à répétition sont également désespérants pour nous, les parlementaires, qui voyons notre travail réduit à néant. Pour préparer l’examen de ce budget, nous avons auditionné des centaines d’organismes afin de faire remonter leurs attentes et leurs problèmes ; tout cela pour rien. Pour ma part, en tant que corapporteur spécial – ainsi que mon collègue Jean-Marc Tellier – du budget de la mission relative à la recherche, j’ai entendu près d’une vingtaine d’organismes, dont le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l’Agence nationale de la recherche (ANR), l’Institut Paul-Émile-Victor pour la recherche polaire ou encore l’Institut national du cancer, ainsi que des syndicats de chercheurs. Tout ce travail d’écoute, de concertation et d’intelligence collective n’a finalement abouti qu’à la décision, prise dans la solitude d’un bureau gris de Bercy, de rejeter des amendements pourtant votés en commission, voire en séance, et, ce qui est encore pire, de sortir du chapeau des mesures nouvelles.
Nous nous demandons à quoi bon travailler, à quoi nous servons ; les Français se le demandent aussi, et ils n’ont pas totalement tort.
Vous ferez observer que vous avez retenu 550 amendements en tout. D’accord, mais combien avaient été déposés par la majorité et combien par les oppositions ? Surtout, ces amendements n’ont pas été choisis par un vote, mais par un fonctionnaire, par un conseiller ministériel ou à la suite de négociations de dessous de table, sans vote. C’est l’antidémocratie. Quand ils ont entendu parler de l’amendement Fifa, combien de nos concitoyens se sont dit, encore une fois, qu’ils vivaient dans la république des coquins et des copains ?
Mesurez-vous le mal que ce genre d’amendements venant des lobbys
(M. Benjamin Lucas applaudit)
fait à votre action…
…et le mal qu’il fait à la crédibilité de tous les politiques du pays ?
Quant au texte lui-même, je n’ai même pas envie d’expliquer en quoi il est contre-productif,…
…parfois indécent et souvent inefficace, ni de m’attarder sur ses insuffisances en matière de bifurcation écologique ou d’école, comme en ce qui concerne l’outre-mer ou la justice fiscale et sociale. Nous l’avons déjà fait au cours des débats, à maintes reprises, mais ce soir, je n’en ai plus le cœur, madame la Première ministre, car vous n’écoutez pas, pétrie de vos certitudes.
Les Français voient votre cynisme dans la gestion des affaires, ils voient la brutalité de votre manière de gouverner, ils voient nos institutions se déliter et perdre de leur sens, et ils voient que cela vous laisse de marbre.
Ces motions de censure à répétition confinent peut-être à l’absurde, mais l’exercice revêt une forme de nécessité car, après tout, c’est le dernier espace d’expression qu’il nous reste. C’est malheureux.
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI-NUPES, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)
Je dois dire que j’ai hésité avant de rédiger le texte de mon intervention.
(« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NUPES.)
Voilà un an que les motions de censure se suivent et se ressemblent, tout comme les interventions visant à les soutenir ou à les repousser. Force est d’admettre que c’est un peu fastidieux pour nous, pour les membres du Gouvernement et, sans doute plus encore, pour les courageux qui nous écoutent.
C’est vrai qu’on a du mal à vous écouter !
Chacun se range confortablement dans son rôle : les uns dénoncent une démocratie brutalisée, tandis que les autres témoignent de la nécessité de l’adoption de tel ou tel texte, en l’espèce le projet de loi de finances pour 2024.
J’aurais pu axer mon intervention sur deux ou trois idées qui me semblent pourtant d’une simplicité enfantine, mais que je vais réitérer, car il paraît que la pédagogie est l’art de la répétition. D’abord, il est essentiel de doter l’État d’un budget en temps et en heure. Ensuite, le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution est inéluctable pour faire adopter le PLF étant donné la configuration de notre assemblée, qui ne dispose pas d’une majorité absolue
(« Ah ! » sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES)
et où l’usage veut que le vote du budget détermine l’appartenance à la majorité. Enfin, chacun étant dans son rôle, la théâtralisation excessive de nos réactions n’a que peu d’intérêt.
Ce budget n’est sûrement pas parfait, mais il est sérieux et crédible. Surtout, le Gouvernement a mené un travail minutieux pour enrichir le texte en reprenant des amendements de tous les groupes parlementaires.
(Protestations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Ce n’était en rien une obligation, car le texte final aurait pu ne pas les inclure. Il faut donc le mettre à votre crédit, madame la Première ministre. Le groupe Horizons et apparentés vous en est reconnaissant.
(M. Mickaël Bouloux mime un joueur de violon.)
Une fois faites ces observations liminaires, dont je conviens qu’elles ne bousculent pas l’histoire de la pensée, je pourrais attaquer les oppositions en disant qu’elles n’ont pas de majorité de remplacement, que leurs contre-budgets sont utopiques et qu’elles sont confortablement installées dans une position de commentateur, de critique, qui ne fait guère avancer le débat.
La période que nous traversons ne s’y prête pas : les Français expriment régulièrement leur désaffection d’une classe politique à laquelle ils reprochent mille maux. Ils sont las d’entendre les vociférations et les anathèmes dont certains se sont fait une spécialité.
Notre pays traverse une crise existentielle profonde : l’importation de conflits extérieurs sur le territoire national n’est plus une crainte infondée. La résurgence de l’antisémitisme et du racisme au sein de notre peuple doit nous alerter.
Ces dernières semaines, l’extrême gauche a franchi une ligne rouge : elle a fait le choix clair – et délibéré – de se livrer au jeu du chaos permanent pour un hypothétique gain électoral.
(Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Nous ne pouvons le tolérer : il faut y opposer un discours fort. La reconstruction de notre nation :…
…telle est notre priorité.
Mes chers collègues de La France insoumise, nous devrions montrer l’exemple en menant un débat d’idées serein – où le principe du contradictoire est respecté, et le désaccord possible.
(MM. Sébastien Delogu et Christophe Blanchet continuent de s’invectiver pendant le discours de l’oratrice.)
Messieurs Delogu et Blanchet, s’il vous plaît, merci de vous calmer et d’écouter votre collègue !
Écouter quoi ? Je n’en peux plus d’écouter de tels propos !
Monsieur Delogu, je vous en prie, ayez un peu de respect pour la collègue qui s’exprime !
Le respect de l’autre doit rester un impératif absolu. C’est un chemin exigeant et difficile – mais lui seul peut nous protéger et nous garantir un avenir partagé.
Ce matin, à Colombey-les-Deux-Églises, j’ai eu l’honneur de représenter Mme la présidente de l’Assemblée nationale lors de la cérémonie d’hommage au général de Gaulle.
Faut-il rappeler ce que ce grand homme a accompli et sacrifié pour que nous soyons aujourd’hui ses bienheureux héritiers ?
Pouvons-nous nous efforcer de respecter l’engagement de nos grands aînés, ainsi que les combats qu’ils ont menés pour nous ? Ils ont défendu nos valeurs corps et âme, réconcilié le peuple, et protégé la promesse républicaine.
On dirait une mauvaise dissert’ de Sciences Po…
Il est inacceptable d’abîmer la France comme certains pseudo-responsables politiques le font aujourd’hui.
C’est ça, regardez-vous ! Vous tracez la voie aux fachos !
Nous devons nous mobiliser pour laisser la basse politique de côté : il y va du bien de notre nation.
Madame la Première ministre, vous avez toute notre confiance : nous serons à vos côtés pour lutter avec force contre toute forme de rejet de l’autre et pour défendre nos valeurs – la liberté, l’égalité et la fraternité.
(Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, RE, et Dem. – Protestations sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Je vous en prie chers collègues : écoutez-vous. Mme Magnier n’a proféré aucune insulte.
Ils s’indignent de ce qu’ils nous font eux-mêmes subir, c’est surréaliste !
Mme Magnier a exprimé son opinion, comme M. Léaument l’a fait tout à l’heure. Elle l’a écouté très attentivement. On ne peut pas réagir à chaque phrase !
Si le Gouvernement pouvait éviter les commentaires désobligeants quand on monte à la tribune, ce serait plus agréable.
Pour un jeune parlementaire d’opposition, avoir le privilège d’un rendez-vous avec la cheffe du Gouvernement est, en temps normal, une occasion rare.
Mais l’usage répété du 49.3 – et c’est bien sa seule vertu à mes yeux – me permet une nouvelle fois d’obtenir ce qui est presque un tête-à-tête avec vous, madame la Première ministre…
…compte tenu de l’affluence limitée dans l’hémicycle ce soir, et de vous dire quelques mots.
Mme Magnier nous a invités à ne pas répéter les mêmes discours que ceux que nous faisons chaque fois que nous déposons une motion de censure à la suite d’un 49.3. Je vais donc m’efforcer de vous parler à cœur ouvert de ce que je ressens en tant que parlementaire, pas moins légitime qu’un autre, en cet instant et chaque fois que frappe votre 49.3.
L’an dernier, nous pouvions débattre, mais pas voter. Cette année, nous ne pouvons même plus débattre.
Vous arrivez dans cet hémicycle sans respecter la cohérence de notre ordre du jour, parfois en plein milieu d’une mission – l’autre jour, alors que nous évoquions les anciens combattants et la mémoire. Vous montez à la tribune et vous lisez le même discours, qui reprend les mêmes arguments et les mêmes mots – je suis un écologiste, donc j’approuve nécessairement le recyclage, mais il y a des limites. Vous recourez au 49.3 selon votre bon vouloir et même, oserai-je dire, selon votre bon plaisir – tant on sent une forme de jouissance…
…au sein de la majorité présidentielle à l’idée d’humilier le Parlement. Mais, comme l’a dit mon collègue Léaument, nous ne sommes pas au théâtre. Nous sommes dans le temple de la démocratie – et vous le salissez.
Parmi les débats que vous avez empêchés, un me tenait particulièrement à cœur. Je n’ai pas pu présenter le moindre amendement à ce sujet ni tenter de convaincre mes collègues de les adopter – ce que nous promettons pourtant à nos électeurs lorsque nous nous soumettons à leurs suffrages lors des élections législatives. Je partage cet engagement avec mes collègues Vannier et Simonnet. Il fait écho au drame vécu par la famille du jeune Othmane en 2015, à Mantes-la-Jolie, dans le quartier du Val-Fourré, où j’ai l’honneur d’avoir été élu. Cet enfant est décédé à l’âge de 7 ans, à cause d’un ascenseur défectueux !
Dans le cadre de ce projet de loi de finances, j’avais, par le biais d’amendements, fait des propositions constructives pour apporter une réponse concrète aux problèmes de sécurité dans les ascenseurs des quartiers populaires.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Notre pays ne compte pas moins de 637 000 ascenseurs – c’est le premier transport en commun du quotidien. Je voulais déposer ces amendements car j’ai fait une promesse à la mère du jeune Othmane. Chaque 10 octobre, à l’anniversaire de son décès, je me sens le devoir sacré et républicain de relayer ce combat dans cet hémicycle. C’est une question importante ; beaucoup de nos compatriotes sont confinés dans leur domicile faute d’entretien des ascenseurs – les témoignages sont nombreux et connus de tous ici.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NUPES.)

Dans notre pays, les ascenseurs tombent en panne trois fois par an en moyenne… mais neuf fois par an dans le parc social ! Les délais de réparation y sont aussi plus importants qu’ailleurs. Voilà quelque chose qui aurait dû figurer dans vos propositions et vos engagements en faveur des quartiers populaires !
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.
M. Mickaël Bouloux applaudit également.)
Voilà ce dont j’aurais aimé débattre ! Avec mes collègues Vannier et Simonnet, nous aurions voulu convaincre nos collègues de voter le fonds d’urgence que nous proposions. Ce débat aurait fait honneur au Parlement et au Gouvernement ! Contrairement aux discours martiaux et aux gadgets comme le service national universel, il aurait répondu aux aspirations profondes des quartiers populaires – et permis de changer concrètement la vie de nos concitoyens.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)

Ces derniers méritent mieux que des injonctions paternalistes et des appels sans lendemain à respecter la loi. Quand ils voient que le Parlement, où devrait s’élaborer la loi, est sans cesse bafoué,…
…comment exiger d’eux qu’ils respectent la loi républicaine ?
Comment osez-vous stigmatiser les parents ? En ne respectant pas les parlementaires, vous faites preuve de beaucoup moins de dignité que des centaines de milliers de familles qui, chaque jour, apprennent à leurs enfants le respect des règles républicaines et du savoir-vivre !
(Protestations sur les bancs des groupes RE et Dem.)
Un gouvernement qui rit et interpelle les parlementaires pendant qu’ils s’expriment, c’est du jamais-vu ! Vous ne respectez même pas les dix pauvres minutes de temps de parole dont nous disposons pour vous envoyer un message : vous m’avez interrompu trois fois pendant mon intervention ! Le ministre de la justice, qui n’est pas là aujourd’hui à cause de son procès, a fait un bras d’honneur à un collègue !
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NUPES.)
Est-ce une façon d’enseigner le respect des règles républicaines ?
Pour que notre devise républicaine garde un sens, elle doit s’incarner dans la vie quotidienne de chacun – mon collègue Léaument l’a rappelé tout à l’heure. Comment pouvons-nous créer ensemble du commun, établir des diagnostics partagés, exposer nos divergences et proposer des solutions à tous les problèmes que rencontrent nos compatriotes, si nous ne pouvons même pas discuter du projet de loi de finances et débattre sereinement, argument contre argument ?
Vous invoquez sans cesse les 49.3 de Michel Rocard : mais il existe une différence fondamentale entre un 49.3 qui intervient une fois qu’on a constaté qu’on n’avait pas réussi à convaincre – l’aveu d’échec est noble en politique, il faut pouvoir dire qu’on a échoué – et un 49.3 qui intervient en cours de discussion, parfois même dès la clôture de la discussion générale, et qui vient mettre un terme à tout débat et à toute possibilité pour les représentants du peuple que nous sommes, autant que nos collègues de la majorité… Madame la présidente, le ministre délégué des relations avec le Parlement, que nous n’entendons jamais et qui a autant d’utilité que Penelope Fillon quand elle travaillait pour son époux
(Protestations sur les bancs du Gouvernement)
, vient de m’interpeller pour la cinquième fois consécutive !
C’est ça, le respect que vous professez ? Vous parlez d’un ministre !
Je demande que vous le rappeliez à l’ordre et qu’il me laisse terminer mon propos !
Très bien : je demande à chacun un peu de calme.
Monsieur Riester, peut-être souhaitez-vous prendre la place de M. Dupond-Moretti s’il était amené à quitter le Gouvernement…
J’ai quand même bien le droit d’interpeller le Gouvernement !
Bah si, c’est même pour cela que je suis là !
S’il vous plaît, retrouvons un peu de calme. Monsieur Lucas, je vous propose de continuer votre intervention jusqu’au bout, et je demande à chacun de vous écouter avec attention !
Je vous remercie madame la présidente.
Je tiens à le dire calmement : notre démocratie est affaiblie. Dois-je vous rappeler que l’extrême droite progresse partout en Europe ?
(M. Yoann Gillet proteste.)
Que vous avez été élus puis réélus uniquement parce que des millions d’hommes et de femmes de bonne volonté ont voulu faire barrage à l’extrême droite – et ainsi éviter le pire à notre pays ?
C’est faux ! Jusqu’à preuve du contraire, c’est Emmanuel Macron, le Président de la République !
Nous traversons un moment de grande tension : nombre de concitoyens ne croient plus à la démocratie que nous représentons. Les débats qui traversent la société doivent absolument pouvoir s’exprimer dans cette assemblée – c’est notre devoir commun d’y parvenir. Votre devoir, en tant que gouvernement issu d’une majorité, et d’autant plus d’une majorité minoritaire…
…– les Français l’ont voulu ainsi, en refusant de vous donner les pleins pouvoirs –, c’est de tenir compte de la réalité et de permettre que s’exprime ici le débat démocratique.
Madame la Première ministre, je veux honorer mon mandat en relayant les souhaits de la famille du jeune Othmane. Elle demande que nous agissions pour que les ascenseurs des quartiers populaires soient sûrs : il ne faut plus qu’on puisse mourir étranglé par la sangle de sa trottinette parce qu’un ascenseur défectueux n’a pas été réparé. Il n’y a pas de quoi rire quand j’évoque ces drames !
Je vous demande de respecter le cas que j’évoque, et les parlementaires que nous sommes ! Madame la Première ministre, vous avez vous-même été élue députée en juin 2022. Un jour – dès demain, si nous votons la censure ce soir –, vous redeviendrez peut-être une parlementaire de la majorité ou de l’opposition. J’espère qu’on vous témoignera alors plus de respect que vous ne nous en témoignez aujourd’hui.
Ce qui est se joue est bien plus qu’un budget ou qu’un débat entre majorité et opposition. Il y va de notre capacité commune à préserver la démocratie : pouvons-nous encore dire à nos concitoyens que la démocratie parlementaire est toujours capable de relayer les grandes questions qui traversent notre société ? Au-delà de nos choix divergents, nos compatriotes attendent de nous que nous discutions des réponses à apporter à leurs urgences quotidiennes, et que nous relevions les grands défis de l’avenir, qui sont nombreux. À l’heure du péril climatique, de la montée du nationalisme, de l’antisémitisme, de l’islamophobie, de la haine et de toutes les formes d’intolérance, il nous faut être à la hauteur. Vous êtes le gouvernement de la République : vous devez garantir que nous puissions débattre, voter et faire la loi.
Que nous ayons à le demander, que nous ayons à vous supplier depuis cette tribune pour la seizième fois, demain pour la dix-septième fois, pour la dix-huitième fois, la dix-neuvième fois, la vingtième foi – jusqu’où irons-nous ! – est un drame, mais un drame qui ne concerne pas que votre gouvernement, car vous ne tomberez pas seule, madame la Première ministre :…
…la République et la démocratie parlementaire tomberont avec vous – et c’est dramatique.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NUPES et SOC.)
Avant de commencer, permettez-moi d’avoir une pensée pour les habitants de mon département du Pas-de-Calais, qui font face depuis plusieurs jours à des inondations inédites.
(Applaudissements sur tous les bancs.)

Notre démocratie s’évanouit peu à peu : le Gouvernement use du 49.3 avec une telle légèreté qu’il semble presque faire fi de nos principes démocratiques. Alors que nulle formation politique ne peut prétendre avoir la majorité absolue dans cette assemblée, votre tâche ne devrait pas consister à rassembler des voix au gré des vents et des projets, ni à exercer un chantage inédit dans cette assemblée, mais à vous orienter vers une nécessaire concertation. Las, la richesse des débats en commission et l’union transpartisane sur certains amendements se voient mépriser, ignorer, écarter d’un revers de main autoritaire.
Votre discours, embrouillé de justifications tortueuses, ne saurait dissimuler la vérité : votre recours systématique au 49.3, sans égal dans les démocraties modernes, a dévoyé cet outil, désormais transformé en une arme antidémocratique. Vous prônez le débat, mais nos voix sont étouffées par vos pratiques : les dialogues de Bercy n’étaient, en vérité, que le prélude d’une fin déjà écrite pour ce simulacre de débat. En choisissant la facilité et en passant outre nos prérogatives, vous mettez en péril le bon fonctionnement de nos institutions et aggravez la défiance des citoyens. Vous aviez d’ailleurs annoncé votre intention de faire usage du 49.3 avant même la présentation du projet de loi, preuve de votre manque criant de considération à l’égard des parlementaires, mais aussi de nos concitoyens.
Cette parodie n’est pas à la hauteur de notre pays. Vous avez regretté, madame la Première ministre, la lenteur de la discussion budgétaire : la belle affaire ! N’est-il pas essentiel d’accorder à notre démocratie toutes les ressources et tout le temps nécessaires, sans limiter en rien son droit à s’exprimer sur un sujet aussi important que le budget ? D’autant que celui-ci, par la froideur de son austérité, avait largement besoin d’être humanisé. Car quid de l’humain, dans cette affaire ? Où donc les mesures réelles pour le pouvoir d’achat, la santé, l’éducation et l’emploi se terrent-elles ?
Dans ce budget, qui n’aura connu ni vote ni débat, vous persistez à faire le pari d’une croissance de 1,4 % et d’un haut rendement de la TVA en 2024, mais ces prévisions sont très optimistes. En réalité, vous faites peser tout le poids de vos mesures sur les classes populaires, qui paieront toujours plus pour avoir accès à toujours moins. Alors que vous envisagiez initialement une baisse de 16 milliards d’euros des dépenses publiques l’an prochain, celle-ci sera finalement de 17 milliards : derrière votre prétendue chasse à la mauvaise dépense se cache en réalité une intensification de la casse des services publics. Votre seule promesse ? Encore plus d’austérité.
Ce projet de loi de finances, qui prévoit près de 80 milliards d’euros de dépenses fiscales, fait la part belle aux aides aux entreprises et à une minorité d’acteurs économiques. Alors que son efficacité n’a pas été clairement démontrée, le crédit d’impôt recherche (CIR), par exemple, représente une dépense importante qui profite essentiellement aux grandes entreprises, et non à nos petites et moyennes entreprises, qui mériteraient pourtant bien plus de soutien.
Quid des classes populaires et moyennes qui, tenaillées par la faim, sont aujourd’hui contraintes de faire d’énormes sacrifices pour boucler leurs fins de mois ? Les Français ne veulent pas l’aumône, ils aspirent à vivre correctement de leur travail, sans avoir besoin de chèques alimentaires ou de paniers anti-inflation.
Le budget que vous nous proposez est bien loin de la première préoccupation des Français : leur pouvoir d’achat. Alors que l’inflation alimentaire atteint un taux alarmant de 20 %, la hausse générale des prix exerce une pression considérable sur les ménages les plus vulnérables et les travailleurs pauvres. C’est un paradoxe : en France, pays si riche, de nombreux travailleurs peinent à joindre les deux bouts.
C’est d’autant plus vrai pour nos concitoyens d’outre-mer, où la grande pauvreté est cinq à quinze fois plus importante qu’en France métropolitaine. À la veille de 2024, comment l’accepter ? Les financements supplémentaires que vous accordez aux territoires ultramarins sont loin d’être suffisants pour pallier les retards de développement qu’ils subissent depuis trop longtemps. Précarité du logement, ampleur de l’habitat indigne, état des infrastructures, notamment routières, obstacles à l’accès à l’eau potable : loin d’être de simples statistiques, ces carences profondes affectent le quotidien de centaines de milliers de nos concitoyens ultramarins. La crise du logement est particulièrement criante : alors que l’offre de logements est dramatiquement insuffisante, des milliers d’habitants sont en attente d’un logement social. Que dire de l’eau, cette ressource fondamentale qui leur est encore inaccessible ? Où sont les investissements massifs pour garantir l’accès à l’eau potable pour tous ? Pensez-vous vraiment que 50 millions d’euros suffiront à régler la crise de l’eau à Mayotte ? Comme tous ceux qui l’ont précédé, ce budget ne permettra pas de renverser l’absence de développement qui ronge les territoires ultramarins.
Un mot sur le nucléaire. Comme le dit le président de la Polynésie française, « la dette nucléaire est une bombe économique et sociale. »
Ce budget, dont le volet défense privilégie fortement la dissuasion nucléaire, reste beaucoup plus discret en matière de dédommagement des victimes des trente années d’essais nucléaires.
Madame la Première ministre, avec ce processus budgétaire écourté et réduit à une simple formalité, vous nous soumettez aujourd’hui un texte qui ne répond pas aux besoins et aux aspirations de nos concitoyens. Les riches sont choyés pendant que les pauvres portent le fardeau. L’état même de notre démocratie est source d’interrogations. Dans cet édifice qui incarne l’esprit de la démocratie, témoin silencieux de l’histoire, nous devons pouvoir débattre. Pour préserver l’âme de l’Assemblée nationale, nous devons garantir que sa tribune continue de résonner des débats et idéaux démocratiques qui l’ont façonnée. En leur ouvrant tous les jours les portes de l’Assemblée, nous avons le plaisir d’éveiller de nombreux jeunes élèves de nos circonscriptions à la citoyenneté et de leur permettre de toucher du doigt l’histoire. Mais il y a une ombre au tableau, une dissonance entre le lieu et son essence : l’Assemblée nationale ne doit pas devenir un musée de la démocratie ; elle doit en être l’incarnation vivante.
Si nous laissons cet endroit perdre de son sens, les générations futures d’élèves ne visiteront plus qu’une coquille vide. Dans cet esprit, pour toutes les raisons évoquées et bien d’autres encore, le groupe GDR-NUPES votera évidemment en faveur de cette motion de censure.
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR-NUPES, LFI-NUPES et SOC.)
Je suis d’accord avec les cocos ! Eux, au moins, ils savent se tenir !
Avant d’en venir au budget, au 49.3, à la motion de censure qui nous réunit ce soir, permettez-moi de prendre un peu de recul et de vous faire part de mon inquiétude au sujet de la situation de notre pays. Je veux dire ma colère face aux polémiques et aux petits calculs politiques mesquins qui viennent perturber l’organisation du rassemblement organisé ce dimanche, à l’initiative de la présidente de l’Assemblée nationale et du président du Sénat, autour d’une cause qui devrait pourtant nous unir : c’est sans hésitation qu’avec des membres du groupe LIOT, je manifesterai dimanche pour la République et contre l’antisémitisme. Il y va de notre devoir de lutter contre le racisme et l’antisémitisme qui vont à l’encontre de notre belle devise républicaine
Liberté, Égalité, Fraternité
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(Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.)
J’insiste sur la fraternité : nous sommes tous frères et sœurs dans notre beau pays de France.
Plus largement, de ses fractures qui s’aggravent à ces factures que nos concitoyens n’arrivent plus à payer, c’est l’état de la France qui m’alarme. À cran, la société française est profondément divisée et de plus en plus influencée par la litanie des discours déclinistes. Alors que notre pays affronte des menaces et des foyers d’instabilité dont les conséquences sont de plus en plus concrètes – guerre en Ukraine, conflit au Proche-Orient, changements géostratégiques, bouleversements climatiques –, il me semble vital de chercher des compromis politiques responsables. Il y a, dans cette Assemblée, une majorité relative et des oppositions : chacun, à sa place, concourt au débat public, et tous, ici, nous sommes au service de nos compatriotes et de notre pays.
Nous avons eu l’occasion de vous dire notre opposition à votre projet de budget. Cette opposition n’est pas dogmatique, mais nourrie de notre réflexion.
Je veux vous alerter sur la trajectoire des finances publiques : notre déficit reste très élevé, et la remontée des taux augure d’une augmentation de la charge de la dette qui, de 52 milliards en 2024, pourrait ainsi atteindre 84 milliards en 2027, obérant d’autant les marges de manœuvre du politique. Plus inquiétant encore : cette situation dégradée n’est pas le résultat de grands investissements pour l’avenir en matière d’infrastructures ou de transition écologique, mais seulement de l’augmentation des dépenses de fonctionnement.
Si nous avons salué l’augmentation des crédits alloués aux forces de sécurité, aux armées et à l’école, on ne peut pas affirmer pour autant que nos services publics fonctionnent bien. Nous devons questionner l’efficacité de la dépense publique et la technocratie en folie que je dénonce régulièrement. Une fois de plus, j’en appelle à cette tribune à un choc de simplification qui passe nécessairement par un grand choc de décentralisation.
Alors que nous achevons l’examen d’un texte majeur visant à doter notre pays d’un budget, la frustration et la déception dominent. L’examen des crédits de certaines missions a donné lieu à des débats intéressants, mais bien peu des amendements de la majorité comme des oppositions qui avaient été adoptés à cette occasion se retrouvent finalement dans le texte sur lequel vous avez engagé votre responsabilité. Votre choix d’escamoter le débat parlementaire n’est pas bon pour la démocratie : si la Constitution vous permet de recourir aussi souvent que vous le souhaitez au 49.3 pour faire adopter les textes budgétaires, cette pratique du pouvoir a des effets dévastateurs sur nos institutions. Nous le répétons : le 49.3 affaiblit non seulement la pratique démocratique, mais aussi le gouvernement qui y recourt – c’est d’ailleurs une double peine pour les territoires ruraux et les territoires éloignés, tant la « forteresse de Bercy », qui les connaît peu, les ignore.
Mais l’accumulation de motions de censure vouées à l’échec tend également à banaliser le recours à cette procédure d’exception.
Comme je l’ai déjà dit, ce budget n’est pas le nôtre ; pourtant, fidèles à la volonté de notre groupe d’être une opposition force de propositions, nous avons œuvré pour l’améliorer. Nous avons joué le jeu de la concertation : répondant présent à votre invitation, nous avons participé aux dialogues de Bercy et discuté avec le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et le ministre délégué chargé des comptes publics, que je tiens à remercier pour leur disponibilité.
D’un mot néanmoins, je vous dirai nos craintes.
La construction de logements, en particulier de logements sociaux, est à l’arrêt, et encore trop peu de réhabilitations ont été engagées. Eu égard aux difficultés inédites que les Français rencontrent pour se loger, nous regrettons donc que vous n’ayez pas conservé notre amendement qui tendait à renforcer les aides personnelles au logement (APL) accession. Vous n’avez pas non plus retenu nos propositions pour mieux accompagner les jeunes, qui nourrissent des craintes et attendent de nous autre chose que le SNU – nous suggérions notamment d’augmenter le montant des bourses. Enfin, les réformes fiscales que vous avez engagées depuis 2017 profitant majoritairement aux plus aisés, plusieurs groupes de la majorité et de l’opposition – dont le nôtre – ont formulé des propositions visant à assurer la juste participation de tous à l’effort collectif et à rétablir plus de justice fiscale, en taxant davantage les Gafam, le rachat d’actions ou les opérations spéculatives en Bourse. Vous les avez toutes ignorées, et c’est bien dommage, car elles étaient utiles pour diminuer notre déficit.
Nous avons aussi entendu s’exprimer l’inquiétude de nos compatriotes au sujet de leur première préoccupation : le pouvoir d’achat – je dirais presque le pouvoir de vivre. Les Français que je rencontre, même, désormais, ceux qui travaillent dur, me disent tous qu’ils ont de plus en plus de mal à finir le mois, qu’ils sacrifient peu à peu leurs loisirs, puis les soins, puis certains repas. C’est pour eux que nous avons proposé plusieurs améliorations. La première reprenait une vieille promesse du Président de la République, une mesure annoncée dix fois, dix fois enterrée : le chèque alimentaire. Nous regrettons qu’elle n’ait pas connu un meilleur sort, et nous reviendrons à la charge, car ce dispositif permettrait également d’aider nos agriculteurs, qui ont besoin de notre soutien.
En revanche, nous nous réjouissons que notre proposition de chèque carburant ait été reprise, son périmètre élargi. Nous voulions un dispositif ciblé, qui donne un peu d’air à ceux dont les dépenses contraintes augmentent. Désormais, les travailleurs modestes et les Français des classes moyennes qui utilisent leur voiture pourront toucher 100 eu