- Texte visé : Projet de loi de finances pour 2025, n° 324
- Stade de lecture : 1ère lecture (1ère assemblée saisie)
- Examiné par : Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire
Compléter l’article 244 quater I du code général des impôts par un XII ainsi rédigé :
« XII. – 1° Le bénéfice du crédit d’impôt créé par le présent article est également subordonné, pour les entreprises soumises à l’obligation de déclaration de performance extra-financière prévue à l’article L. 225‐102‐1 du code de commerce, à l’absence de versement de dividendes lors d’un exercice pendant lequel la société requérante a eu recours à un ou des licenciements économiques.
« 2° La liste des entreprises recevant des aides mentionnées au I est rendue publique au plus tard un mois après la promulgation de la présente loi.
« 3° En cas de non-respect des obligations prévues au présent article, il est instaurée une sanction financière d’un montant égal à celui des avantages mentionnés au 1° , majoré de 10 %. »
Cet amendement du groupe LFI-NFP vise à lier l'octroi du crédit d'impôt pour les investissements industriels prévu par la loi industrie verte à l’absence de distribution de dividendes en période de crise. Cela permettrait de faire de ce crédit d'impôt un véritable levier pour stimuler l’investissement industriel, tout en garantissant que l’argent de l’Etat n’a pas pour fonction de satisfaire la cupidité des actionnaires.
En premier lieu, cet amendement permettrait de réellement stimuler l’investissement industriel en réorientant les sommes versées aujourd’hui par dividendes dans l’économie réelle. Tout en dégageant plus de 100 milliards d'euros en dividendes et rachats d’actions pour l'année 2023, les entreprises du CAC40 ont continué les suppressions de postes en cours depuis 5 ans, dont beaucoup d’emplois industriels. Malgré cela, toutes ces entreprises ont profité du soutien financier de l'État sans être soumises à des obligations en retour.
L’économiste John Kenneth Galbraith montrait déjà en 1963 une influence grandissante de l’actionnariat dans la direction des entreprises. Les capitaines d’industries du XXème siècle ont été remplacés par des managers agissant prioritairement dans l’intérêt des actionnaires, ce qui implique une approche court-termiste, orientée vers un profit rapide. Par ailleurs, les dirigeants d’entreprise ont été convertis à la mentalité actionnariale par l’évolution de leur mode de rémunération, qui en passant par des stock-option se retrouvent très fortement intéressés au cours boursier de leur entreprise.
Cette financiarisation se fait au détriment de l'investissement productif. En effet, l’économiste Tristan Auvray montre dans un article de 2016 que la part des profits consacrée aux dividendes était de 12% au début des années 1980 contre plus de 25% avant la crise de 2008. Ce ne sont que des vases communicants : en parallèle, l’investissement chutait de 25% du PIB OCDE en 1980 à moins de 20 % en 2008. Définanciariser l’économie, c’est donc renouer avec l’investissement productif pour permettre la réindustrialisation !
En second lieu, faire reculer la distribution des dividendes, c’est aussi favoriser une meilleure redistribution des richesses. Aujourd’hui, la France est championne d'Europe des dividendes versés, avec 54,3 milliards d'euros au deuxième trimestre de 2024, en hausse de 7% par rapport à 2023 qui constituait déjà un record absolu et une hausse sans précédent. A elle seule, la France représente désormais plus du quart des dividendes versés en Europe. Mais ceux-ci se concentrent sur une toute petite minorité de personnes : comme le démontrait France Stratégie en 2022, 1 % des foyers fiscaux concentrent 96 % des dividendes !
Ces privilèges fiscaux créent une véritable oligarchie financière qui concentre les richesses entre ses mains. Aujourd’hui, un dixième des citoyens de ce pays détiennent presque la moitié du patrimoine total. Cette tendance est encore plus marquée pour les ultra-riches : depuis 2017, le patrimoine des 500 plus grandes fortunes a plus que doublé, pour atteindre les 1228 milliards d’euros en 2024 : la plus forte hausse jamais enregistrée.
La moindre des choses est donc de conditionner vos crédits d’impôts à l’absence de gabegie financière pour satisfaire des actionnaires qui ne seront jamais rassasiés.