- Texte visé : Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, n° 325
- Stade de lecture : 1ère lecture (1ère assemblée saisie)
- Examiné par : Commission des affaires sociales
Substituer à la première phrase de l’alinéa 10 les deux phrases suivantes :
« Au 1er janvier 2025, la hausse de l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite mentionné à l’article L. 351‑1 du code de la sécurité sociale de soixante-deux à soixante-quatre ans et l’avancement du calendrier de relèvement de la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier d’une pension de retraite au taux plein, mentionnée à l’article L. 161‑17‑3 du même code en application de l’article 2 de la loi n° 2014‑40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, prévus par l’article 10 de la loi n° 2023‑270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 sont abrogés. La trajectoire financière des régimes de retraite de base intègre les effets de cette abrogation ».
Cet amendement des députés du groupe Socialistes et apparentés vise à abroger la réforme des retraites du Gouvernement, et notamment le report de l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans et l'accélération du calendrier de hausse de la durée de cotisation.
Plus d’un an après son entrée en vigueur, la réforme des retraites n’est toujours pas acceptée par les Françaises et les Français.
En usant de tous les artifices d’une Ve République à bout de souffle, le Gouvernement a en effet mené une réforme des retraites profondément injuste, dont le coeur du dispositif est de repousser à 64 ans l'âge légal de départ à la retraite et d’accélérer le calendrier de la hausse de la durée de cotisation pour prétendre à une retraite à taux plein.
Injuste, cette réforme l’est car elle fait supporter la charge du report de l’âge légal de départ à 64 ans quasi-exclusivement sur les travailleuses et les travailleurs de la première et de la seconde ligne. Les mêmes que l’on a toutes et tous applaudis à 20 heures pendant l’épidémie de Covid-19.
Ce seront essentiellement celles-là et ceux-là qui devront travailler plus longtemps pour atteindre les 64 ans, tandis que la majorité des cadres et les professions intellectuelles, souvent diplômés plus tardivement, auraient de toute façon eu à travailler au-delà de 64 ans pour réaliser leurs 43 annuités nécessaires au versement d’une pension de retraite à taux plein.
Cette réforme va donc impacter essentiellement celles et ceux aux métiers pénibles, à la vie dure, qui n’ont que leur force de travail pour vivre.
Elle est d’autant plus injuste que ces travailleuses et travailleurs ont une espérance de vie à la retraite plus courte.
Pour les hommes, on observe en effet près de treize années d'écart d'espérance de vie entre les 10 % les plus pauvres et les 10 % les plus riches ; pour les femmes, ce sont près de huit années d'écart.
Les plus riches bénéficient également plus longtemps de la retraite : seuls 49 % des hommes du premier décile dépassent les 75 ans, contre 84 % des plus riches.
Autrement dit, cette réforme n’est que la énième démonstration de la logique à l'œuvre depuis 2017 : Emmanuel Macron est le Président des riches.
Injuste, cette réforme l’est également en ce qu’elle va essentiellement faire porter le poids de l’effort sur les femmes, qui vont perdre une majeure partie du bénéfice de leurs congés maternité.
Sachant que les écarts de salaire entre femmes et hommes sont de 28 % en moyenne, que par conséquent, les pensions des femmes sont en moyenne inférieures de 40 % à celle des hommes et que 40 % des femmes partent à la retraite avec une carrière incomplète, les inégalités avérées à la retraite entre les femmes et les hommes seront mécaniquement amplifiées par un allongement de la durée de travail.
Avec les deux réformes de l‘assurance chômage menées depuis 2019, et la réforme du RSA menée en 2022, cette réforme des retraites s’inscrit plus largement dans une logique de destruction de notre protection sociale, dernier filet de sécurité de ceux qui n’en ont plus, unique patrimoine de ceux qui n’en ont pas.
Cette réforme va en outre avoir des conséquences sociales graves.
À ce titre, le report de deux ans de l'âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans, qui date de la réforme « Woerth » réalisée en 2010, est éclairant.
Selon l’INSEE, cette réforme a accru la probabilité d'être précaire à 60 ans de 13 points ainsi que la part des personnes âgées de plus de 50 ans, parmi les privés d'emploi, de 15 points.
Reculer l'âge légal de départ à la retraite aura ainsi un coût humain et social extrêmement important : elle générerait 160 000 allocataires supplémentaires des pensions d’invalidité, 30 000 pour le RSA, 30 000 pour l’allocation spécifique de solidarité et 40 000 pour l’allocation adulte handicapé, sans compter les nouveaux demandeurs d’emploi indemnisés.
Face à l’injustice d’une telle réforme, le Gouvernement arguait pendant les débats au Parlement que « des mesures d’accompagnement » allaient amortir le choc, comme l’index senior, censé améliorer l’emploi des séniors, la comptabilisation des périodes effectuées en tant que contractuel dans les métiers pénibles de la fonction publique (services dit « actifs » et « super-actifs »), la création de visites médicales au cours de la carrière pour les salariés exerçant des métiers pénibles, le rendez-vous de conseil et d’aide à la carrière, pour les personnes connaissant une carrière hachée, avec peu de trimestres validés.
Las ! Le Conseil constitutionnel les a censurées comme inconstitutionnelles, rendant cette réforme plus injuste encore.
Pire, le Gouvernement savait que ces mesures allaient être censurées comme l’a révélé le député socialiste Jérôme Guedj, signataire du présent amendement.
Le Conseil d’État avait en effet averti dès janvier 2023 le Gouvernement que ces dispositions n’avaient pas leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
En réalité, l’objectif de cette réforme était donc purement et simplement comptable : économiser 18 milliards d’euros par an sur les dépenses de retraites, afin de ne pas revenir sur les cadeaux fiscaux offerts aux plus riches et aux grandes entreprises.
Pour ce faire, le Gouvernement a choisi d’accroître brutalement et rapidement les ressources de notre système de retraites en diminuant le temps passé à la retraite, et donc les prestations versées.
Ce faisant, il n’a pas eu à briser son propre tabou : explorer d’autres pistes de financement, pourtant bien réelles, comme l’abrogation des exonérations de cotisations sociales les plus inefficaces (l’ensemble de ces exonérations représentant 73 milliards d’euros en 2023), la mise en oeuvre - enfin - de l’égalité salariale femmes-hommes, qui augmenterait naturellement les cotisations sociales perçues, le développement de l’emploi des travailleurs dits séniors (sans même toucher à l’âge de départ, une augmentation du taux d’emploi des 55-64 ans de 10 points équilibrerait le système des retraites d’ici 2032, en tenant compte des 30 milliards d’euros de surcoûts compensés par l’Etat employeur), l’introduction de sur-cotisations sur les hauts salaires, l’assujettissement des revenus du capital comme les dividendes, la participation, l’épargne salariale, les rachats d’action aux cotisations sociales (environ 12 milliards d’euros), la création d’une taxe sur les superprofits élargie à celle actuelle (environ 10 à 15 milliards de recettes estimées), d’une taxe sur les super-dividendes, ou encore l’abrogation de la réforme de 2017 portant sur l’impôt sur la fortune (environ 3 à 4 milliards d’euros), etc.
Proposées par les parlementaires socialistes lors des débats parlementaires, ces pistes de financement alternatives et justes furent balayées par le Gouvernement et sa majorité, enfermés dans la logique comptable de leur réforme.
Injuste, dangereuse socialement, comptable, cette réforme est frappée d’un terrible vice démocratique.
Le Gouvernement a en effet utilisé tous les artifices de la Constitution de la Ve République, pour faire passer sa réforme, refusée par le peuple et ses représentants.
Tout d’abord, en lui donnant la forme d’un projet de loi de financement rectificatif de la Sécurité sociale, il a pu limiter le temps des débats à 20 jours à l’Assemblée nationale et à 15 jours au Sénat grâce à l’article 47-1 de la Constitution.
C’est si peu au regard du nombre de trimestres voire d’années que les Françaises et Français vont devoir travailler en plus !
Puis au Sénat il a utilisé l’article 44-3 de la Constitution pour accélérer le vote sur une version du texte dans laquelle il n’a retenu que les amendements qu’il soutenait.
Enfin, le 16 mars 2023, la Première ministre Elisabeth Borne a utilisé à l’Assemblée nationale l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, lui permettant de faire adopter le texte sans vote, car de son propre aveu « le compte n’y était pas».
Sociale jusqu’à alors, et emmenée par un front syndical uni qu’il faut saluer ici, la crise s’est alors muée en crise démocratique.
Car à aucun moment, les Françaises et les Français ne sont exprimés pour cette réforme : en ré-élisant Emmanuel Macron à l’élection présidentielle en 2022, ils ont avant tout souhaité repousser l’extrême-droite.
Les représentants des Françaises et des Français à l’Assemblée nationale ne se sont pas non plus exprimés, empêchés en cela par les délais d’examen trop restreints, et surtout l’utilisation de l’article 49-3 de la Constitution.
A l’inverse, en se mobilisant massivement dans la rue de janvier à juin 2023, les Françaises et les Français ont choisi d’exprimer pacifiquement leur refus de cette réforme, tant sur le fond que sur la méthode employée.
Pour toutes ces raisons, les députées et députés socialistes et apparentés sont intimement convaincus qu’il est impératif d'abroger l'injuste et brutale réforme des retraites d'avril 2023 ; ce grâce au présent amendement.