Fabrication de la liasse
Photo de monsieur le député Guillaume Gouffier Valente

L’article 8 du code de procédure pénale est ainsi modifié : 

1° Au deuxième alinéa, les mots : « à l’exception de ceux mentionnés aux articles 222‑29‑1 et 227‑26 du code pénal, » sont supprimés ;

2° Les troisième et quatrième alinéas sont ainsi rédigés : 

« Par dérogation au deuxième alinéa, l’action publique des délits mentionnés à l’article 222‑12 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, se prescrit par vingt années révolues à compter de la majorité de ces derniers ; l’action publique des délits mentionnés au 4° et au 13° de l’article 706‑47 du présent code, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, est imprescriptible.

« S’il s’agit d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle commise sur un majeur, en cas de commission sur une autre personne par le même auteur, avant l’expiration du délai prévu au premier alinéa du présent article, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle, le délai de prescription de la première infraction est prolongé, le cas échéant, jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction. Si la nouvelle infraction est une agression sexuelle ou une atteinte sexuelle commise sur un mineur, le délai de prescription de la première infraction est prolongé, le cas échéant, jusqu’à la date de prescription qu’aurait eu la nouvelle infraction si elle avait été commise sur un majeur. »

Exposé sommaire

Par cet amendement, nous proposons de rendre imprescriptible l’action publique des agressions sexuelles sur mineurs tout en introduisant une prescription glissante pour les violences sexuelles sur majeurs. La prescription glissante pour les violences sexuelles sur mineurs étant déjà introduit par la Loi Billon de 2021.

Cette mesure compléterait l’article 1 de cette proposition de loi. L’imprescriptibilité civile proposée dans l’article 1, quoique positive, ne suffit pas et ne correspond pas aux demandes des associations et institutions.L’imprescriptibilité de l’action publique des violences sexuelles sur mineurs, portée depuis des années par les associations de protection de l’enfance, les victimes, la société civile et la CIIVISE, s’impose comme une réponse nécessaire à une réalité dramatique. 

Les travaux de la CIIVISE ont montré que l’écrasante majorité des victimes recevant un classement sans suite pour leur plainte pénale ne se tournaient pas vers l’action en responsabilité civile car cette mesure de réparation est peu connue. Contrairement à ce qui est écrit dans l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, la matérialité des faits de violences sexuelles sur mineurs n’est pas nécessairement plus difficile à démontrer au pénal qu’au civil. Par ailleurs, les procédures pénales et civiles sont complémentaires : l’une détermine la culpabilité de l’agresseur, l’autre se focalise sur la réparation de la victime. Malgré l’indépendance du pénal et du civil, le rapport public 2023 de la CIIVISE précise que les indemnisations au civil sont extrêmement rares en l’absence de condamnation pénale de l’auteur de violences sexuelles, preuve de la nécessité de l'imprescriptibilité de l'action publique en plus de l'imprescriptibilité civile.

Parmi les victimes ayant témoigné auprès de la CIIVISE, l’imprescriptibilité pénale est la mesure la plus demandée. 75 % des victimes ayant témoigné auprès de la commission déclarent que les faits dont elles ont souffert sont aujourd’hui prescrits, soit six victimes sur dix. Ce constat alarmant appelle une réforme urgente.

Les violences sexuelles sur mineurs sont particulièrement complexes, notamment l’inceste qui d’une nature unique, cumulant à la fois le lien familial brisé et l’agression sexuelle. Il est en effet extrêmement difficile dans le cas d'infractions incestueuses de porter plainte contre un membre de sa famille, de faire voler en éclats son foyer, de se délivrer d'un tabou universel. L’assignation au silence en est démultipliée dans les cas d'inceste et le risque de la parole c'est la perte de sa propre famille. Ce qui nécessite que du temps soit donné au temps bien au-delà du délai existant. Les conséquences de ces violences, souvent irréversibles, marquent profondément les victimes, tant psychologiquement que physiquement. L’amnésie dissociative, fréquente dans ces cas (40 % des victimes enfants et 50 % des victimes d’inceste), est un obstacle majeur à la révélation des faits dans les délais légaux actuels. En outre, les enfants, dépourvus de personnalité juridique propre et dépendants d’un adulte pour porter plainte, ne sont pas toujours en mesure de verbaliser les abus subis ou d’en mesurer la gravité ; ou ne sont tout simplement pas crus par les adultes qui les entourent, comme l’a montré le rapport public 2023 de la CIIVISE. En cas d'inceste, cette incapacité juridique est accentuée par le fait qu'il est crucial qu'un parent protecteur soit prêt à défendre l'enfant. Cependant, la réalité du dépôt de plainte par un parent protecteur est très faible : seulement 5 % des pères et 6 % des mères portent plainte, d'après l'enquête "Parents complices, parents protecteurs" de l'association Face à l'inceste. Il est impératif de leur laisser le temps nécessaire pour trouver la force et les moyens de se faire entendre.

Rendre les violences sexuelles sur mineurs imprescriptibles permettrait aussi de lutter plus efficacement contre l’impunité des agresseurs. Permettre aux victimes de porter plainte tout au long de leur vie permettrait d’enclencher mécaniquement une hausse du nombre de condamnations, par exemple pour toutes les victimes sortant de l’amnésie traumatique à cette période et ayant suffisamment de preuves (témoins, traces écrites de médecins, courriers…) pour établir la matérialité. La poursuite d’une infraction de cette gravité ne doit jamais s’éteindre, et les sentiments de honte et de peur perpétuels qui hantent les victimes ne doivent plus peser sur elles seules. Le rapport de Flavie Flament et Jacques Calmettes sur la prescription de 2017 insiste également sur l’effet dissuasif de l’imprescriptibilité : en sachant qu’ils peuvent être poursuivis à tout moment, les agresseurs pourraient être dissuadés d’agir. Cette épée de Damoclès qui pèserait sur les agresseurs tout au long de leur vie ferait écho aux dommages imprescriptibles subis par les victimes.

Enfin, l’imprescriptibilité serait également une mesure de réparation importante pour les victimes. La possibilité de porter plainte des années après les faits peut soulager des victimes quand à l’inverse, l’impossibilité de porter plainte après 48 ans peut complètement entacher leur parcours de guérison et de réparation. La réception d’un avis de classement sans suite pour cause de prescription peut être vécue comme une injustice, une violence symbolique, voire à une inversion de la culpabilité (« tu aurais dû parler plus tôt »), comme l’ont rapporté de nombreux témoignages de victimes auprès de la CIIVISE.

Rien n’empêche l’imprescriptibilité des violences sexuelles sur mineurs dans les faits. Dans son avis n°390335 du 1er octobre 2015 sur la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale, le Conseil d'Etat a rappelé que « le législateur dispose d’un large pouvoir d’appréciation pour décider du principe et des modalités de la prescription de l’action publique et de la peine ». La décision QPC n°2019-785 du Conseil constitutionnel a d’ailleurs reconnu que les infractions d’une gravité exceptionnelle justifient un régime de prescription spécifique ou même l’imprescriptibilité. Au niveau européen, l’article 33 de la Convention de Lanzarote sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels, signée et ratifiée par la France, dispose que « le délai de prescription continue de courir pour une durée suffisante pour permettre l’engagement effectif des poursuites après que l’enfant a atteint l’âge de la majorité », ce qui n’empêche donc pas de légiférer en faveur de l’imprescriptibilité de certaines infractions sexuelles sur mineurs. Dans sa Résolution 2330 votée le 26 juin 2020, le Conseil de l’Europe préconise de suivre cette voie et ainsi de « supprimer le délai de prescription de la violence à caractère sexuel à l’égard des enfants ».

Par ailleurs, cet amendement permettrait de conjuguer à la fois l'imprescriptibilité des agressions sexuelles sur mineurs et l’introduction de la prescription glissante pour l’ensemble des violences sexuelles sur majeurs, y compris les agressions délictuelles. La rédaction de l’article 2 de la proposition de loi ne propose à ce jour qu’une prescription glissante pour les viols en ce qui concerne les victimes majeures.

Ce dispositif introduit deux cas de figure pour la prescription glissante des violences sexuelles sur majeurs. Si la nouvelle infraction non-prescrite commise est une violence sexuelle commise sur un majeur, la prescription de la première infraction sera prolongée jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction, de la même façon que la prescription glissante pour les violences sexuelles sur mineurs fonctionne aujourd’hui dans la loi.

Exemple d’application : une personne A a subi une agression sexuelle il y a des années, lorsqu’elle avait 20 ans (majeure). Les faits sont aujourd’hui prescrits. Si une personne B de 36 ans (majeure) subit à son tour une agression sexuelle en 2025 par le même auteur que la personne A et porte plainte, le délai de prescription de l’agression sexuelle de la personne A sera le même que pour celui de la personne B.

Si la nouvelle infraction non-prescrite commise est une violence sexuelle sur mineurs, la date de prescription de la première infraction sera prolongée, mais différemment. La date de prescription sera basée sur le délai de prescription qu’aurait eu la nouvelle infraction commise si elle avait été commise sur une personne majeure. Cela permet de rendre compatible l’imprescriptibilité des violences sexuelles sur mineurs avec la prescription glissante pour les majeurs, à défaut de proposer une imprescriptibilité pour les violences sexuelles sur mineurs et majeurs.

Exemple d’application : une personne A a subi une agression sexuelle il y a des années, lorsqu’elle avait 20 ans (majeure). Les faits sont aujourd’hui prescrits. Si une personne C de 16 ans (mineure) subit à son tour une agression sexuelle en 2025 par le même auteur que la personne A et porte plainte, la date de prescription de l’agression sexuelle de la personne A sera décalée à 2035 ; ce qui correspond à la date de la nouvelle agression sexuelle de la personne C + la prescription qu’aurait eu cette nouvelle agression sexuelle si elle avait été commise sur une personne majeure (soit 2025 + 10 années).

Cet amendement a été travaillé avec l’association Face à l’inceste.