- Texte visé : Proposition de loi visant à renforcer l’effectivité des droits voisins de la presse, n° 824
- Stade de lecture : 1ère lecture (1ère assemblée saisie)
- Examiné par : Commission des affaires culturelles et de l'éducation
Rédiger ainsi cet article :
« Le chapitre VIII du titre unique du livre II de la première partie du code de la propriété intellectuelle est ainsi modifié :
« 1° Le dernier alinéa de l’article L. 218‑4 est ainsi rédigé :
« « L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique fixe les conditions d’application du présent article, après consultation des services de communication au public en ligne, des éditeurs de presse et des agences de presse concernés. » ;
« 2° Après le même article, il est inséré un article L. 218‑4‑1 ainsi rédigé :
« « Art. L. 218‑4‑1. – Les services de communication au public en ligne sont tenus de fournir aux éditeurs de presse et aux agences de presse tous les éléments d’information relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers ainsi que tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération mentionnée au premier alinéa de l’article L. 218‑4 et de sa répartition.
« « Les services de communication au public en ligne veillent à l’exhaustivité, à la fiabilité et à l’objectivité des éléments d’information qu’ils fournissent aux éditeurs et aux agences de presse, qui peuvent leur adresser des demandes d’informations complémentaires. Ces informations sont actualisées chaque année.
« « En l’absence de transmission dans un délai de trente jours des éléments d’information ou des informations complémentaires, ou si ces éléments ne répondent pas aux exigences mentionnées aux alinéas précédents, les éditeurs de presse ou les agences de presse concernés peuvent saisir l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, laquelle peut mettre en demeure le service de communication au public en ligne en cause de se conformer, dans le délai qu’elle fixe, à ses obligations. Sans préjudice de sa possibilité de recourir à l’expertise du service administratif mentionné au I de l’article 36 de la loi n° 2021‑1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, l’Autorité peut s’adjoindre les services et compétences techniques extérieurs qui lui sont nécessaires.
« « Lorsque le service de communication au public en ligne ne se conforme pas à la mise en demeure qui lui est adressée, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut, dans les conditions prévues à l’article 42‑7 de la loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, prononcer à son encontre une sanction pécuniaire, dont le montant prend en considération la gravité du manquement ainsi que, le cas échéant, son caractère réitéré, sans pouvoir excéder 1 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent. » ;
« 3° Après l’article L. 218‑4‑1, il est inséré un article L. 218‑4‑2 ainsi rédigé :
« « Art. L. 218‑4‑2. – La négociation entre les services de communication au public en ligne et les éditeurs ou les agences de presse, aux fins de déterminer le montant de la rémunération mentionnée à l’article L. 218‑4, doit satisfaire aux exigences de la bonne foi.
« « Pendant la période de négociations, les services de communication au public en ligne ne limitent pas la visibilité et les modalités d’affichage des publications de presse des éditeurs ou des agences de presse concernés.
« « Sans préjudice du droit des parties d’agir en justice, si, dans un délai de trois mois à compter de la date de demande de négociation, les parties ne sont pas parvenues à un accord sur le montant de la rémunération due au titre des voisins, l’une ou l’autre des parties peut saisir l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, qui entend leurs observations et étudie leurs propositions. Dans un délai de deux mois, l’Autorité décide laquelle des propositions est conforme à l’article L. 218‑4 ou, si aucune proposition n’a été formulée ou, le cas échéant, si aucune proposition n’est conforme aux conditions fixées par l’article L. 218‑4, elle fixe le montant de la rémunération. Sans préjudice de sa possibilité de recourir à l’expertise du service administratif mentionné au I de l’article 36 de la loi n° 2021‑1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique, l’Autorité peut s’adjoindre les services et compétences techniques extérieurs qui lui sont nécessaires.
« « Chacune des parties peut saisir le tribunal de commerce de Paris d’une contestation du montant de la rémunération fixée par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. » »
Le présent amendement propose une nouvelle rédaction globale de l’article premier.
En premier lieu, il charge l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de fixer les conditions d’application de l’article L. 218‑4 du code de la propriété intellectuelle (CPI). L’Arcom pourra ainsi, dans une délibération, définir les critères de la rémunération due aux éditeurs et aux agences de presse au titre de l’utilisation en ligne de leurs publications de presse. Cette disposition s’inspire de la transposition italienne de l’article 15 de la directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché numérique. En effet, le paragraphe 8 de l’article 43 bis de la loi italienne n° 633 du 22 avril 1941 sur la protection du droit d’auteur et des droits voisins prévoit que l’Aurorità per le Garanzie nelle Communicazioni (Agcom), le régulateur italien des télécommunications et de l’audiovisuel, équivalent de l’Arcom, adopte un règlement visant à identifier les critères de détermination de la « compensation équitable » due aux éditeurs de presse. L’Agcom a ainsi publié, le 25 janvier 2023, une délibération n° 3/23/CONS fixant une série de critères : nombre de vues en ligne de la publication de presse, revenus publicitaires en lien avec la publication de presse, durée d’activité de la publication, part de marché de l’éditeur de presse et nombre de journalistes employés, coûts supportés par l’éditeur pour les investissements technologiques et infrastructurels, etc. L’Arcom pourra ainsi définir des critères de rémunération objectifs et pertinents, après consultation des services de communication au public en ligne, des éditeurs de presse et des agences de presse concernés. En particulier, elle pourra préciser les conditions d’application du deuxième alinéa de l’article L. 218‑4, qui prévoit que la fixation du montant de la rémunération due au titre des droits voisins prend en compte des éléments tels que les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l’information politique et générale et l’importance de l’utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne.
L’Arcom n’aura pas vocation à réguler le secteur de la presse écrite. Cela n’est pas l’objet du présent amendement.
Deuxièmement, l’amendement propose d’insérer dans le CPI un nouvel article consacré aux éléments d’information nécessaires au calcul de l’assiette du droit voisin, que doivent transmettre les plateformes. La fiabilité, l’exhaustivité et l’objectivité de ces éléments d’information sont indispensables à l’engagement de négociations de bonne foi. Le législateur a fait le choix de ne pas définir précisément dans la loi les éléments d’information devant être transmis aux éditeurs et aux agences de presse par les plateformes, en raison de la difficulté technique considérable qu’aurait représenté une telle définition. En effet, ces données varient d’une plateforme à l’autre et il apparaît évident que les graver dans le marbre de la loi présenterait le risque de « passer à côté » des évolutions à venir des services des plateformes. Par ailleurs, une plateforme de réseau social comme Facebook peut difficilement être comparée à une entreprise dont le principal service consiste à offrir un service de moteur de recherche en ligne. La rédaction initiale de la proposition de loi prévoyait l’intervention du pouvoir réglementaire, qui aurait défini la liste des éléments d’information devant être transmis. Si le principe d’une détermination par décret de la liste des éléments devant être transmis par les plateformes aux éditeurs et aux agences de presse peut sembler séduisant, en ce qu’il empêcherait les plateformes de transmettre des informations parcellaires ou limitées, une analyse plus poussée met en évidence plusieurs écueils. En premier lieu, il apparaît que les éditeurs de presse peuvent déterminer eux-mêmes les informations nécessaires au calcul de la rémunération qui leur est due au titre du droit voisin. L’ordonnance de référé du président du tribunal judiciaire de Paris rendue le 23 mai 2024 l’illustre. Deuxièmement, il ne faudrait pas aboutir à figer une liste exhaustive qui limiterait la possibilité pour les éditeurs et agences d’obtenir davantage d’informations en fonction du modèle économique de chaque plateforme. Sans donner compétence au pouvoir réglementaire de définir la liste des informations devant être transmises par les plateformes, le législateur pourrait confier à une autorité indépendante la mission de veiller au respect par les plateformes de leur obligation de transparence. C’est cette voie qu’a choisie l’Italie et l’amendement propose de s’en inspirer. Afin que les plateformes respectent leur obligation de transparence, le rapporteur propose que l’Arcom puisse leur infliger une sanction pécuniaire ne pouvant excéder 1 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent. Il ne paraît pas possible de prévoir une sanction supérieure, compte tenu du paragraphe 3 de l’article 52 du règlement sur les services numériques (RSN).
Au vu de la technicité des enjeux, il conviendra de préciser que l’Arcom, sans préjudice de sa possibilité de recourir à l’expertise du pôle d’expertise de la régulation numérique (Peren), déjà prévue par la loi, pourra s’adjoindre les services et les compétences techniques extérieurs qui lui seront nécessaires.
Troisièmement, l’amendement entend confier à l’Arcom un rôle d’arbitrage en cas d’échec des négociations. Certes, les éditeurs de presse peuvent recourir à la justice pour faire respecter leurs droits, ce qu’ils ont d’ailleurs fait à plusieurs reprises et pourront naturellement continuer à faire : la mission d’arbitrage de l’Arcom s’exercera sans préjudice de la possibilité pour chacune des parties d’ester en justice. Au vu de la complexité et de la technicité de la problématique des droits voisins, une autorité d’arbitrage pourrait constituer, pour les éditeurs et les agences de presse, un allié précieux dans la revendication de leurs droits. Ainsi, en cas d’échec des négociations, l’une des parties pourra saisir l’Arcom, qui entendra leurs propositions et pourra proposer une rémunération, étant entendu que cette proposition pourra être contestée devant la justice.
Cette mission ne peut être confiée à l’Autorité de la concurrence, qui n’a pu intervenir, dans le cas de Google, que sur le seul fondement de son mandat de répression des pratiques anticoncurrentielles. En effet, Google détient une position dominante sur le marché des services de recherche généraliste. L’Autorité de la concurrence ne dispose pas de compétence générale pour connaître de dossiers relatifs à la rémunération du droit voisin des éditeurs et agences de presse impliquant d’autres services de communication au public en ligne, tels que X ou Linkedin. Enfin, elle n’est pas un régulateur sectoriel et n’est pas outillée pour déterminer le niveau de rémunération des droits voisins, ni en termes de compétences ni en termes de ressources. Pour rappel, le mandataire qu’elle a désigné pour superviser les négociations entre Google et les éditeurs et les agences de presse dispose d’une équipe de 10 personnes pour suivre le dossier. Il convient donc de ne pas confier à l’Autorité de la concurrence la mission de supervision des négociations entre les éditeurs et les agences de presse et les plateformes.
L’Arcom paraît toute désignée pour remplir la mission d’arbitrage entre les plateformes et les éditeurs. En effet, l’Arcom a une grande expertise en matière numérique et a été désignée, conformément à l’article 49 du règlement européen sur les services numériques (RSN), coordinateur pour les services numériques. Elle est déjà amenée à réguler l’activité des plateformes dans plusieurs domaines.
Il conviendra également que le Gouvernement et le Parlement veillent à doter l’Arcom des moyens nécessaires à l’exercice de cette nouvelle mission, le cas échéant en augmentant le plafond des autorisations d’emplois de l’Arcom. Les membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation devront y veiller tout particulièrement.