- Texte visé : Proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles, n° 842
- Stade de lecture : 1ère lecture (1ère assemblée saisie)
- Examiné par : Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République
Supprimer cet article.
Cet amendement vise à supprimer l’article unique de la présente proposition de loi, dont l’objectif principal est de redéfinir l’infraction criminelle de viol sous le prisme du consentement.
L’introduction de la notion de consentement est problématique à plusieurs égards.
Tout d’abord, cette notion elle-même est sujette à controverse. Son introduction remet en cause la tradition historique du droit pénal français qui définit le viol de manière objective en mettant l’accent sur quatre éléments constitutifs de l’acte reproché à l’auteur présumé. En intégrant la notion de consentement, une approche subjective axée sur la liberté individuelle est introduite dans la loi. Cette évolution tend à placer la victime et l’agresseur sur un même plan, en laissant entendre que c’est l’attitude de la victime, traduisant son consentement ou son absence de consentement, qui permettra de qualifier le viol.
L’introduction de cette notion vient également nier la réalité du viol ou des agressions sexuelles qui sont le fruit d’un processus criminel de l’agresseur. L’auteur doit être remis au centre du viol.
De plus, la notion de consentement relève du droit civil et demeure floue, polysémique, et sujette à interprétation. Un simple « oui » ne suffit pas toujours à établir un consentement réel : un « oui » extorqué sous la contrainte, la peur ou la sidération ne saurait être assimilé à un accord libre et éclairé. Par ailleurs, même en l’absence de contrainte manifeste, le consentement peut masquer une forme d’acceptation tacite d’une domination. Dans le cadre du BDSM ou de la prostitution, des individus, dans l’immense majorité des femmes, peuvent consentir à des actes dégradants, mais cela ne signifie pas que ces pratiques doivent être légitimées ou considérées comme acceptables par la loi. Certains actes restent inadmissibles, y compris lorsque les intéressés y consentent.
Comme l’a rappelé le Conseil d’État dans son avis, le droit pénal français permet aujourd’hui de juger l’ensemble des circonstances de viol. La jurisprudence a su progressivement intégrer des situations telles que l’abus d’autorité, l’état d’inconscience, la sidération ou l’emprise de la victime en s’appuyant sur les critères de « menace » et de « contrainte » pour qualifier l’infraction. Le Conseil d’État rappelle ainsi que « la jurisprudence retient, sur le fondement de la surprise ou de la contrainte, des agissements qui relèvent par exemple de l’exploitation de situations d’emprise ou de sidération, ou encore de l’emploi de stratagèmes conduisant à vicier le consentement préalablement donné ».
L’argument selon lequel cette proposition de loi permettrait de mettre la France en conformité avec ses engagements internationaux ne résiste pas à l’analyse. Le Conseil d’État estime que la définition actuelle de l’agression sexuelle, telle qu’interprétée par la jurisprudence, satisfait déjà aux exigences de la Convention d’Istanbul.
Enfin, l’examen des expériences étrangères montre que l’intégration du consentement dans la définition du viol n’a pas nécessairement conduit à une amélioration du traitement judiciaire des violences sexuelles. Au Canada, qui a introduit la notion de consentement dans sa législation en 1992, le taux de condamnations par rapport au nombre de plaintes n’est pas meilleur qu’en France. Au Royaume-Uni, la situation est même préoccupante : le nombre de condamnations a été divisé par deux et la notion de consentement, loin de protéger les victimes, se retourne contre elles, leur comportement étant scruté plus que jamais. En Suède, l’augmentation du nombre de condamnations depuis 2017 s’explique principalement par un élargissement de la définition du viol, qui était auparavant trop restrictive, ainsi que par l’introduction du « viol par négligence », une aberration législative. Le Conseil d’État est d’ailleurs sans équivoque : parmi la dizaine d’États membres de l’Union européenne ayant modifié leur législation depuis 2016, « il n’est pas possible de tirer des enseignements clairs ».
Pour toutes ces raisons, cet amendement propose la suppression de cet article, dont les implications juridiques présentent des risques majeurs. La modification envisagée introduirait une approche réductrice du crime de viol, en le considérant avant tout comme une question d’accord entre deux individus, au lieu de le reconnaître pour ce qu’il est : un acte de domination et de violence.