- Texte visé : Proposition de loi, adoptée par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, visant à sortir la France du piège du narcotrafic, n° 907
- Stade de lecture : 1ère lecture (2ème assemblée saisie)
- Examiné par : Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République
Supprimer cet article.
Cet amendement du Groupe Socialistes et apparentés vise à supprimer l'article 15 quater, introduit par amendement lors de la séance publique au Sénat.
Cet article prévoit, en premier lieu, une extension des modalités de mise en œuvre de la technique spéciale d’enquête de captation de sons et d’images prévue par l’article 706-96 du code de procédure pénale par activation à distance pour les appareils fixes, sans garanties supplémentaires.
En second lieu, est prévue la création d’une nouvelle technique spéciale d’enquête permettant d’accéder à distance aux appareils connectés mobiles en vue de capter et d’enregistrer des images ou des paroles prononcées facilitant d’une part l’identification des auteurs et d’autre part la collecte d’indices et de preuves en matière de criminalité organisée.
Pour les auteurs de cet article : « Le Conseil constitutionnel n’a en effet censuré l’activation à distance qu’en ce qu’elle pouvait aboutir à la captation de sons et d’images en tout lieu, portant ainsi une atteinte particulière aux libertés individuelles. L’activation à distance d’appareils fixes ne portant pas de surcroît d’atteintes aux libertés, il est proposé de prévoir des garanties identiques à celles déjà prévues pour la mise en œuvre de la sonorisation et de la fixation d’images existantes. »
Pour autant, dans sa décision n° 2023-855 DC du 16 novembre 2023, le Conseil constitutionnel juge que l'activation à distance d'appareils électroniques afin de capter des sons et des images sans même qu'il soit nécessaire pour les enquêteurs d'accéder physiquement à des lieux privés en vue de la mise en place de dispositifs de sonorisation et de captation est de nature à porter une atteinte particulièrement importante au droit au respect de la vie privée dans la mesure où elle permet l'enregistrement, dans tout lieu où l'appareil connecté détenu par une personne privée peut se trouver, y compris des lieux d'habitation, de paroles et d'images concernant aussi bien les personnes visées par les investigations que des tiers.
Dès lors, et pour le Conseil, en permettant de recourir à cette activation à distance non seulement pour les infractions les plus graves mais pour l'ensemble de celles relevant de la criminalité organisée, le législateur a permis qu'il soit porté au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi.
C’est en effet en considération du nombre et de la variété des infractions susceptibles d’être concernées par l’activation à distance à des fins de sonorisation et de captation d’images, rapportés à l’intensité de l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée par l’effet de ce dispositif, que le Conseil a conclu à la censure des dispositions contestées (cons. 69).
En l’espèce, si selon ses auteurs le présent article entend limiter la mise en œuvre aux infractions du « haut du spectre », il n’en demeure pas moins que le nombre et la variété des infractions susceptibles d’être concernées par cette activation à distance sont particulièrement nombreux au regard de l’atteinte portée au droit au respect à la vie privée : meurtre commis en bande organisée ; meurtre commis en concours ; crime de tortures et d’actes de barbarie commis en bande organisée ; crime de viol commis en concours ; crimes et délits de trafic de stupéfiants ; crimes et délits d’enlèvement et de séquestration commis en bande organisée ; crimes et délits aggravés de traite des êtres humains ; crimes et délits aggravés de proxénétisme ; actes de terrorisme ; crimes portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ; délits en matière d’armes et de produits explosifs ; blanchiment ; association de malfaiteurs.
De même, cette mesure risquerait de porter atteinte aux droits de la défense, en ce qu’elle permettrait d’écouter les échanges entre la personne soupçonnée et son avocat, constituant ainsi une violation de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. En ce sens, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, dans un arrêt Klausner c. Allemagne (Aff. n°C-505/14) que l’écoute des communications entre un avocat et son client constitue une violation du droit à un procès équitable, en ce qu’elle empêche le client de se confier librement à son avocat et compromet ainsi la capacité de défense.
Il est donc patent que le présent article, par ses attentes disproportionnées aux libertés individuelles, est manifestement inconstitutionnel au regard de la décision n°2023-855 DC du 16 novembre 2023.