- Texte visé : Texte de la commission sur la proposition de loi, après engagement de la procédure accélérée, de M. Sylvain Maillard et plusieurs de ses collègues visant à réformer le mode d'élection des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille (451)., n° 1247-A0 rectifié
- Stade de lecture : 1ère lecture (1ère assemblée saisie)
- Examiné par : Assemblée nationale (séance publique)
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport qui évalue les conséquences de la réforme du mode d’élection des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille sur les modalités pratiques d’organisation des scrutins dans les communes de Paris, Lyon et Marseille.
Cet amendement vise à souligner le défi logistique majeur que représentera une tenue concomitante de deux scrutins dans chaque bureau de vote.
Des conséquences matérielles et pratiques seront également induites par cette réforme du mode de scrutin. La tenue de deux scrutins simultanés dans chaque arrondissement entraînerait un doublement du nombre de bureaux de vote : à Paris, le passage de 902 à 1804 bureaux serait nécessaire. Cela implique un coût logistique et humain considérable, notamment en termes de mobilisation de personnel électoral, de sécurisation des lieux de vote et de dépouillement. S’ajoute à cela l’illisibilité d’un bulletin de vote respectant les exigences de l’article R. 155 du code électoral, avec potentiellement 163 noms pour les conseillers de Paris et d noms pour les conseillers d’arrondissement ou communautaires. Un tel bulletin serait d’une exceptionnelle illisibilité, difficilement compréhensible pour l’électeur, et source d’erreurs ou d’abstentions involontaires.
De plus, deux scrutins à dépouiller successivement (ou simultanément avec du personnel doublé) vont allonger le processus le soir du vote. Dans un bureau parisien, on devra d’abord, par exemple, dépouiller les bulletins du Conseil de Paris, puis ceux du conseil d’arrondissement (ou inversement). Le risque est de voir le dépouillement se prolonger tard dans la nuit, augmentant la fatigue et donc le risque d’erreur. Du point de vue de l’usager, entrer dans l’isoloir avec deux bulletins et deux enveloppes, puis manipuler deux urnes, est une nouveauté. Il faut que le parcours de vote soit pensé pour être le plus simple possible.
Dans le cas de Paris et Marseille, l’agrégation des résultats pour l’élection municipale devra se faire à l’échelle de toute la ville (addition des suffrages des arrondissements). Il faudra s’assurer que les systèmes informatiques du ministère de l’Intérieur sont prêts à gérer cette double remontée.
Doubler les urnes, imprimer plus de bulletins, mobiliser plus de personnel : tout cela a un coût. Si les charges d’organisation doublent, on retrouve encore la question de l’irrecevabilité financière qui aurait dû être opposée à la présente proposition de loi.
Il semble également essentiel de souligner l’unicité du précédent historique que constitue la présente proposition de loi, introduisant un mode de scrutin à deux urnes pour des collectivités qui disposeront de deux assemblées délibérantes.
Les villes de Paris, Lyon et Marseille bénéficient depuis la loi dite « PLM » du 31 décembre 1982 d’un statut particulier les dotant à la fois d’un conseil municipal central (Conseil de Paris, conseil municipal de Lyon ou Marseille) et de conseils d’arrondissement (ou de secteur) élus localement.
Toutefois, jusqu’à présent, il n’y avait qu’un seul scrutin par secteur/arrondissement, les mêmes suffrages des électeurs permettaient d’élire à la fois des conseillers d’arrondissement et des conseillers de Paris (ou conseillers municipaux) sur une liste commune. Autrement dit, bien que les villes PLM aient deux niveaux de conseil, le système actuel conserve un lien organique étroit entre eux : à Paris, les « premiers » de chaque liste d’arrondissement siègent au conseil municipal, assurant ainsi une articulation entre l’échelon local et l’échelon central.
La réforme ici proposée rompt ce lien en instaurant deux scrutins distincts simultanés (deux urnes) au sein d’une même collectivité. C’est une situation sans précédent : aucune autre collectivité territoriale en France ne fonctionne avec deux assemblées délibérantes élues séparément sur la même emprise territoriale. Même le précédent de 1982, déjà spécifique, n’allait pas aussi loin dans la dualité des élections.
Cette singularité soulève plusieurs questions juridiques et pratiques. D’abord, du point de vue du principe de libre administration des collectivités locales garanti par l’article 72 de la Constitution : le conseil municipal, organe délibérant de la collectivité, pourra-t-il encore assurer pleinement la gestion de la ville si une autre assemblée (le conseil d’arrondissement), élue indépendamment, intervient sur les affaires locales ?
Dans le droit actuel, le fait qu’environ un tiers des membres de chaque conseil d’arrondissement soient également conseillers de Paris constitue une garantie de cohérence pour la Ville de Paris. Ces conseillers jouent un rôle de transmission et de contrôle : ils engagent la Ville dans les décisions d’arrondissement, et peuvent alerter le conseil municipal en cas de dérive. Avec deux élections distinctes, il devient possible qu’aucun conseiller de Paris ne siège dans tel ou tel conseil d’arrondissement. On verrait alors un conseil d’arrondissement en totale autonomie du point de vue de sa composition, gérer des équipements municipaux au nom de la ville (puisque les arrondissements n’ont pas la personnalité juridique et exercent des compétences déconcentrées de la commune). La Ville de Paris pourrait se retrouver engagée par des décisions prises dans une enceinte où elle n’a aucun représentant.
Ce scénario extrême contreviendrait potentiellement à l’article 72 de la Constitution, car la collectivité ne « s’administrerait » plus véritablement par son conseil élu (le Conseil de Paris) sur l’ensemble de son territoire. Autrement dit, la libre administration de Paris (et, par analogie, de Lyon et Marseille) pourrait être entravée si le lien organique entre conseil central et conseils d’arrondissement disparaît totalement.
Ensuite, il convient de souligner l’illisibilité démocratique d’un tel système bicéphale. Pour les citoyens, comprendre « qui fait quoi » deviendrait plus complexe. Le risque de conflit de légitimité existe : une décision prise par un conseil d’arrondissement pourrait être contredite par le conseil municipal, et vice versa, chacun estimant agir dans son champ. L’équilibre des pouvoirs locaux en serait affecté. Par exemple, la question est posée de savoir qui, du maire d’arrondissement ou du maire de la ville, aurait le dernier mot en cas de divergence sur un projet concernant l’arrondissement ? La proposition de loi prévoit que le maire d’arrondissement « doit être entendu » par le conseil municipal sur les affaires de son arrondissement, mais cela ne règle pas le fond d’un conflit éventuel. Il apparaît plus que nécessaire d’éclaircir si le cadre actuel du Code général des collectivités territoriales (CGCT) offre des mécanismes suffisants de résolution des conflits (recours hiérarchique, veto du conseil municipal, etc.) ou s’il créé un vide juridique.
En somme, la réforme crée une configuration institutionnelle et matérielle unique en son genre, dont les implications financières, juridiques et historiques méritent d’être évoquées. La rédaction et l’examen de la présente proposition de loi ont été fait à la hâte, sans qu’aucune vérification préalable n’ait été réalisée afin de s’assurer que le dispositif respecte bien les grands principes du droit public français : libre administration, égalité des citoyens devant le suffrage, unité de la commune. Ce travail d’évaluation n’est pas un simple détail, et aurait dû permettre de proposer des ajustements législatifs garantissant que la singularité de Paris, Lyon, Marseille ne tourne pas à l’exception incompatible avec notre tradition républicaine.