- Texte visé : Texte de la commission sur la proposition de loi, après engagement de la procédure accélérée, de M. Sylvain Maillard et plusieurs de ses collègues visant à réformer le mode d'élection des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille (451)., n° 1247-A0 rectifié
- Stade de lecture : 1ère lecture (1ère assemblée saisie)
- Examiné par : Assemblée nationale (séance publique)
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport qui évalue les conséquences de la réforme du mode d’élection des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille sur la composition des collèges électoraux sénatoriaux.
Le mode de scrutin municipal détermine en partie la composition du collège électoral sénatorial, c’est-à-dire l’ensemble des « grands électeurs » appelés à élire les sénateurs.
Cet amendement souligne l’incidence qu’aurait la réforme de Paris-Lyon-Marseille sur la désignation de ces grands électeurs, déstabilisant le respect des équilibres démocratiques dans l’élection du Sénat.
En France, les sénateurs sont élus par un collège d’environ 162 000 grands électeurs, composé essentiellement de délégués des conseils municipaux (environ 95 % des grands électeurs sont des représentants des communes, reflétant ainsi le poids démographique de chaque commune). Dans les communes de 9 000 habitants et plus, tous les conseillers municipaux sont grands électeurs de droit. De plus, dans les communes de plus de 30 000 habitants (ce qui est le cas de Paris, Lyon, Marseille), le conseil municipal élit des délégués supplémentaires à raison de 1 par tranche de 800 habitants au-delà de 30 000. Ces délégués supplémentaires viennent augmenter le nombre total de grands électeurs pour refléter la population de la ville. Par exemple, pour Paris (~2,1 millions d’habitants), en sus des 163 conseillers de Paris, plus de 2 500 délégués supplémentaires sont désignés, de sorte que le collège électoral de Paris avoisine 2 700 personnes.
Dans le système actuel PLM, les conseillers de Paris (ou conseillers municipaux de Lyon/Marseille) sont de droit grands électeurs, et les conseils municipaux désignent les délégués supplémentaires nécessaires. Les conseillers d’arrondissement, eux, ne sont pas directement membres du collège sénatorial sauf s’ils font partie du Conseil de Paris (ce qui est le cas d’un tiers environ des conseillers d’arrondissement par secteur).
Avec la réforme, plusieurs changements peuvent affecter la désignation des grands électeurs.
Certains élus locaux qui auraient été automatiquement grands électeurs en tant que conseillers de Paris (cumulant deux fonctions) ne le seront plus s’ils n’appartiennent qu’au conseil d’arrondissement. Concrètement, le nombre de grands électeurs de droit (conseillers municipaux) reste le même en valeur absolue si le nombre de sièges au Conseil de Paris reste identique, mais la composition du collège électoral peut changer sensiblement. Les conseillers d’arrondissement « purs » ne seront grands électeurs que s’ils sont choisis comme délégués supplémentaires par le conseil municipal, au même titre que n’importe quel citoyen de la commune inscrit sur les listes électorales. Le Conseil de Paris pourrait certes désigner beaucoup de conseillers d’arrondissement comme délégués supplémentaires, mais ce n’est pas automatique.
Cela soulève un enjeu de représentation locale : les conseils d’arrondissement auront-ils une voix au chapitre pour l’élection sénatoriale ? Rien ne l’impose, puisque c’est le conseil municipal qui élit les délégués supplémentaires.
Par ailleurs, avec l’attribution d’une prime de 25 % des sièges au conseil municipal (au lieu de 50 %) l’opposition sera numériquement mieux représentée que la majorité que dans le système avec 50 % de prime. Or, les grands électeurs de droit sont l’ensemble des conseillers municipaux : un système plus proportionnel aura pour conséquence d’envoyer un collège de grands électeurs politiquement plus disparate. En outre, la désignation des délégués supplémentaires se fait par un vote du conseil municipal généralement à la représentation proportionnelle de celui-ci. Ainsi, la composition politique du conseil de Paris déterminera in fine la répartition politique des ~2 500 délégués supplémentaires. Si la majorité municipale détient moins de sièges qu’avec 50 % de prime, elle désignera moins de délégués acquis à sa cause, et l’opposition plus. L’équilibre des forces lors de l’élection des sénateurs s’en trouvera modifié.
Dans un contexte où Paris, Lyon, Marseille élisent un nombre significatif de sénateurs (Paris en élit 12, les Bouches-du-Rhône 8 dont Marseille élit la majorité, le Rhône/Métropole de Lyon 8), un changement du profil du collège électoral pourrait influencer les résultats du Sénat. La prime majoritaire à l’échelle municipale a un impact sur les équilibres au Sénat qui n’ont pas été pensés.
Faut-il prévoir des dispositions spécifiques pour associer les conseils d’arrondissement à la désignation des délégués supplémentaires, afin que toutes les sensibilités locales soient représentées dans le collège sénatorial ? La modification du nombre de conseillers municipaux de Paris, Lyon, Marseille par la réforme nécessite-t-il un ajustement du nombre de sénateurs attribués (via une future révision constitutionnelle ou législative) ? Cela semble peu probable à court terme, mais doit être mentionné : la décision n° 2003-475 DC du Conseil constitutionnel avait censuré une réforme de l’élection des sénateurs visant à accroître la part de grands électeurs parisiens, car jugée insuffisamment justifiée et créant des confusions. Il convient d’éviter de reproduire ce type d’écueil.
Plus généralement, la réforme maintient-elle une égalité de suffrage entre les citoyens des différentes communes pour le Sénat ? Il aurait fallu s’assurer, par exemple, que les habitants de Paris ne voient pas leur poids relatif diminuer ou augmenter de manière injustifiée dans l’élection sénatoriale en 2026 par rapport à 2020 du fait de la recomposition du corps électoral.
L’élection des délégués supplémentaires a lieu en juin de l’année des sénatoriales, peu après les municipales. Il est crucial que les prochains conseils municipaux de Paris, Lyon, Marseille, s’ils sont issus de cette réforme ubuesque, sachent exactement comment procéder pour désigner leurs milliers de délégués dans les délais légaux, sans risque de contentieux.
En clarifiant ces enjeux bien à l’avance, le Parlement aurait dû garantir la sérénité et la légitimité du scrutin sénatorial à venir.