- Texte visé : Projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, de programmation pour la refondation de Mayotte, n° 1470
- Stade de lecture : 1ère lecture (2ème assemblée saisie)
- Examiné par : Commission des affaires économiques
Sous réserve de son traitement par les services de l'Assemblée nationale et de sa recevabilité
I. – Afin de faciliter la mise en œuvre des politiques de régularisation foncière et de maîtrise de l’urbanisation dans le département de Mayotte, l’État peut, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, mettre en œuvre, dans le respect des compétences respectives des collectivités territoriales, une coordination renforcée des services de l’État et des établissements publics compétents, en lien avec les collectivités territoriales intéressées.
II. – Cette coordination vise à :
1° Identifier les modalités de simplification des procédures administratives applicables à la régularisation foncière, dans le respect des droits des tiers ;
2° Définir un cadre juridique permettant, le cas échéant, l’adaptation des règles du code de l’urbanisme et du code de la propriété des personnes publiques à la situation particulière du territoire, notamment en matière d’indivision et de domanialité ;
3° Encourager, par des mesures d’accompagnement réglementaires, l’accès à la propriété formelle et la sécurisation des occupations du foncier public ou privé irrégulièrement occupé.
III. – Un rapport d’évaluation de cette expérimentation est transmis au Parlement au plus tard six mois avant son terme.
Cet amendement du groupe Socialistes et apparentés vise à accélérer la régularisation foncière à Mayotte, afin de sécuriser les droits de propriété, faciliter les projets d’aménagement et soutenir le développement du territoire.
Le territoire de Mayotte est confronté à une situation foncière sans équivalent dans les autres départements français. Héritée d’un système coutumier non intégré aux mécanismes de droit commun, la majorité du foncier y demeure non cadastrée ou grevée d’indivisions informelles. Selon les données de la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) et du Conseil départemental de Mayotte, seuls 10 à 15 % des parcelles sont aujourd’hui couvertes par un titre de propriété clair et opposable. Cette absence de sécurisation foncière constitue l’un des freins les plus puissants au développement structuré du territoire.
En matière d’aménagement, cette situation entraîne un allongement considérable des délais de mise en œuvre des opérations d’intérêt général, en particulier celles de résorption de l’habitat indigne et d’équipement des quartiers prioritaires. Ainsi, à titre d’exemple, l’opération d’aménagement de Mavadzani Mouinajou, prévue sur 12,5 hectares en zone AU, a nécessité plus de trois années de procédure foncière, malgré l’intervention directe de l’État et du Département. Le lancement des travaux n’est envisagé qu’en 2026, avec une livraison des premiers logements en 2029. De même, le projet de rénovation du quartier Carobolé, qui mobilise du foncier public en zone urbaine, a nécessité le recours à des dérogations environnementales et à une concession d’aménagement complexe, illustrant l’empilement de contraintes générées par l’insécurité foncière.
La régularisation foncière n’est donc pas une question accessoire mais une condition préalable à l’application effective du droit de l’urbanisme, au recouvrement de l’impôt local, à la solvabilisation des ménages, et à la sécurisation des investissements publics. Elle est aussi un facteur de pacification sociale. À Mayotte, plus de 70 % des occupations du sol sont réalisées sans titre ni autorisation. Ce désordre nourrit un sentiment d’inégalité devant la règle de droit, fragilise les collectivités dans leur capacité à planifier, et alimente les tensions entre populations.
Le Conseil départemental a engagé depuis 2022 une démarche volontariste visant à régulariser 10 000 situations d’occupation d’ici 2028, dans le cadre du programme PRU Majicavo Koropa. Toutefois, il apparaît que cette ambition ne pourra être atteinte sans le soutien résolu de l’État, par la mobilisation d’un cadre législatif dérogatoire et temporaire, inspiré des dispositifs expérimentés dans les DOM au titre de la loi n° 2011‑725 du 23 juin 2011, dite loi Letchimy. La création d’une mission interministérielle dédiée, associant le foncier, la fiscalité et l’urbanisme, permettrait de structurer une approche intégrée de la régularisation. Un tel outil doit reposer sur des moyens renforcés en ingénierie publique, une stratégie d’information auprès des habitants pour les inciter à la régularisation, et, le cas échéant, des mesures incitatives et coercitives encadrées.
L’État a une responsabilité historique à assumer pour accompagner Mayotte dans cette transition foncière vers le droit commun. Cela passe par une intervention d’urgence, ciblée et juridiquement encadrée, en soutien aux collectivités territoriales et dans le respect des principes constitutionnels d’égalité devant la loi et d’unité du domaine public.