- Texte visé : Projet de loi, adopté par le Sénat, après engagement de la procédure accélérée, portant transposition des accords nationaux interprofessionnels en faveur de l’emploi des salariés expérimentés et relatif à l’évolution du dialogue social, n° 1526
- Stade de lecture : 1ère lecture (2ème assemblée saisie)
- Examiné par : Commission des affaires sociales
Sous réserve de son traitement par les services de l'Assemblée nationale et de sa recevabilité
I. – Avant le 1er janvier 2027, la convention collective nationale des mareyeurs-expéditeurs précise, par accord collectif, les métiers pour lesquels l’exercice salarié permet un départ anticipé à la retraite du fait de l’exposition à l’un des facteurs de risques professionnels mentionnés à l’article L. 4161‑1 du code du travail et du fait d’horaires atypiques de travail entre 19 heures et 7 heures 30.
II. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
III. – La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
« L’autre jour à la pause j’entends une ouvrière dire à un de ses collègues tu te rends compte aujourd’hui c’est tellement speed que j’ai même pas le temps de chanter » Je crois que c’est une des phrases les plus belles les plus vraies et les plus dures qui aient jamais été dites sur la condition ouvrière.« écrit Joseph Ponthus, écrivain et travailleur de l’agroalimentaire dans le Morbihan, dans : « A la ligne ».
Ses mots dressent avec cet ouvrage un tableau réaliste et cru de la pénibilité au travail dans ce secteur, et de son insuffisante prise en compte par les pouvoirs publics.
Cette simple phrase, qui dit l’empêchement de chanter, dit aussi l’absence de respiration, de dignité et de temps pour soi, autant de libertés élémentaires qu’un travail ne devrait jamais arracher à celles et ceux qui le font vivre.
À Lorient, dans le Morbihan, en Bretagne, dans l’Hexagone comme dans le reste du territoire français, la pêche est une économie mais aussi une identité. Elle ancre le territoire dans son environnement et participe entièrement à la vie sociale et productive du territoire.
Ainsi, malgré la tertiarisation de l’économie, Lorient est, aujourd’hui comme hier, la ville aux six ports et inscrit son futur dans cette identité forte.
Le métier des pêcheurs est difficile. La convention collective de la pêche professionnelle maritime, bien que largement perfectible, reconnaît à juste titre la pénibilité de ce travail souvent nocturne, dangereux, violent pour le corps et l’esprit.
Une fois ramené à terre, le poisson est ensuite pris en charge par un métier essentiellement féminin : celui de fileteuse et par les mareyeurs. Emplois historiques des ports, ces métiers ont pour vocation de transformer le poisson et d’en assurer la vente.
Ce sont des métiers techniques, nécessitant une formation sur les gestes et les types de poissons à reconnaître en un clin d’œil. Ils sont pénibles, tant par les amplitudes horaires que par l’exposition au port de charge lourde, à des gestes répétées, à l’humidité et au froid.
Pourtant, ceux-ci sont largement invisibilisés et ne font pas l’objet d’un dialogue social vivant. Le cadre légal actuel ne permet donc pas de compenser leur pénibilité à la hauteur de ses dégâts et de recourir de façon satisfaisante aux dispositifs prévus comme le compte professionnel de prévention.
Cette situation est générale. Plusieurs réformes du code du Travail et de la protection sociale depuis 2016 freinent la compensation de la pénibilité pour les travailleurs. Ainsi, au 2 janvier 2022, seulement 11 367 salariés ont consommé des points du dispositif du compte professionnel de prévention (C2P) depuis sa création alors que près d’un million et demi de salariés sont titulaires d’un compte pourvu de points d’après la ministre du Travail.
Les spécificités du travail des fileteuses et des mareyeurs accentuent cette dynamique globale. Ni la répétitivité des gestes qui abîment les poignets, épaules et coudes, ni l’humidité et le froid, ni le poids des poissons à porter ne sont reconnus comme pénibles. Seul le travail de nuit l’est, alors que la plupart commencent à six heures et connaissent donc des horaires atypiques pourtant non reconnus comme nocturnes. Ainsi, un mareyeur auditionné raconte son désarroi de ne pas être reconnu à la crèche de ses enfants faute d’avoir le temps de venir les y chercher d’ordinaire. De même, les fileteuses de Capitaine Houat observent chaque année des licenciements pour inaptitude du fait des gestes répétitifs dont les dégâts sur leur corps ne sont pourtant pas reconnus.
Si des accords collectifs peuvent soutenir la rémunération, notamment par la prime d’ancienneté, le salaire moyen en début de carrière est souvent limité à quelques centimes supplémentaires au SMIC horaire. L’absence d’éléments de rémunération spécifique dans la convention collective fragilise les acquis sociaux obtenus sur certains sites de production et illustre l’absence de dialogue social vivant. Les perspectives d’évolution sont limitées à trois niveaux de rémunération.
C’est pourquoi ces activités connaissent une crise des vocations et de la transmission. Elles demandent une formation exigeante pour une rémunération sans commune mesure avec l’impact sur le corps et le rythme de travail. Le recours à des intérimaires, moins qualifiés, constitue un recours expéditif et temporaire qui aggrave la perte de compétences essentielles pour l’économie de la mer dans sa globalité et d’un métier historique de nombreux territoires de pêches. Un patron mareyeur rencontré en audition résume ainsi la situation « entre les délais d’apprentissages sur le poste et les renoncements à cause de la pénibilité j’effectue deux embauches pour chaque départ afin de maintenir mon volume de production ».
Pourtant, fileteuses et mareyeurs sont fiers de leur métier. Ils se lèvent tôt et travaillent dur pour perpétuer une activité historique et nourrir la population. Ils sont un maillon essentiel de l’économie de la mer et le savent. C’est pourquoi ils souhaitent pouvoir transmettre leurs savoirs et compétences, notamment en fin de carrière, pour finaliser leur parcours professionnel et contribuer à lui donner du sens. C’est une des raisons pour lesquelles le reclassement loin de la ligne de production des salariés déclarés inaptes est difficile. Ceux-ci ressentent ce reclassement comme un déclassement qui les assigne à une tâche perçue comme moins utile et ne permettant pas de transmettre à la nouvelle génération. Certaines et certains refusent alors ce reclassement et acceptent un licenciement sec, alors même qu’ils pourraient, dans un cadre adapté, effectuer une passation digne et davantage émancipatrice de leurs savoirs et compétences.
Employeurs comme salariés sont unanimes pour demander une valorisation de ces métiers par une meilleure prise en compte de leur pénibilité et un accompagnement de la puissance publique à la transmission des compétences. Celle-ci demande en effet d’après les chercheurs Corinne Gaudard et Serge Volkoff un « temps de la transmission » spécifique dont les conditions doivent être mises en place et garanties.
C’est pourquoi une juste prise en compte de la pénibilité du travail des travailleuses et travailleurs de la mer exerçant à terre est nécessaire pour assurer la justice sociale, la dignité au travail et la précieuse transmission des compétences liées à ces métiers.
C’est l’objet du présent amendement qui vise à imposer à la convention collective nationale des mareyeurs-expéditeurs de préciser les métiers dont l’exercice salarié permet un départ anticipé à la retraite du fait de l’exposition à des facteurs de risques professionnels et à des horaires atypiques.