Troisième séance du jeudi 20 février 2025
- Présidence de Mme Nadège Abomangoli
- 1. Impôt sur le patrimoine des ultrariches
- 2. Sécurité sociale de l’alimentation
- 3. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Nadège Abomangoli
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
1. Impôt sur le patrimoine des ultrariches
Suite de la discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches (nos 768, 930).
Discussion des articles (suite)
Mme la présidente
Cet après-midi, l’Assemblée a commencé la discussion de l’article unique de la proposition de loi, s’arrêtant à l’amendement no 19.
Article unique (suite)
Mme la présidente
Sur l’amendement no 19, je suis saisie par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Rappel au règlement
Mme la présidente
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour un rappel au règlement.
M. Fabien Di Filippo
Je le formule sur la base de l’article 100, relatif à l’examen des amendements. Dans le tumulte de la fin de la dernière séance, nous avons entendu notre collègue indiquer qu’il retirait son amendement. Or il s’agissait d’un amendement très intéressant, sur lequel j’aurais souhaité avoir des explications. Vous ne m’avez pas entendu dire que je reprenais cet amendement, madame la présidente, dont je désirais débattre.
M. René Pilato
On ne met pas en cause la présidente !
M. Fabien Di Filippo
Il s’agit d’un amendement fondamental qui nous montre l’hypocrisie…
Mme la présidente
Malheureusement, c’est trop tard. Lors du tumulte, j’ai été rappelée à l’ordre pour acter le retrait de l’amendement. Nous ne pouvons plus en discuter. J’en suis navrée et je serai plus attentive la prochaine fois pour entendre votre souhait de reprendre un amendement.
Article unique (suite)
Mme la présidente
Peut-être pouvez-vous présenter votre amendement no 19, et évoquer éventuellement en même temps l’amendement no 28 qui a été retiré ?
M. Fabien Di Filippo
Comme je suis un bon élève très discipliné, madame la présidente, je vais essayer de procéder ainsi que vous le suggérez. Cet amendement no 28 était très intéressant, car il contredisait les propos de Mme la rapporteure et exposait les véritables intentions de la gauche. M. Le Coq nous expliquait qu’il ne s’agissait pas d’imposer le différentiel fiscal jusqu’à 2 %, mais de prendre réellement 2 % du patrimoine de ces personnes-là.
Tel est le fond de votre projet politique : que pas une tête ne dépasse dans le pays, qu’il n’y ait pas un seul riche ! Il s’agit de condamner ainsi notre économie à la paupérisation ! Il est dommage que nous n’ayons pu en discuter plus avant, avoir l’avis de Mme la rapporteure et de ceux qui défendaient cet amendement, qui ne semblaient pas tout à fait satisfaits.
Mon amendement no 19 vise à supprimer les alinéas 34 à 37 de cet article unique. L’alinéa 37 – qui dispose : « En cas de décès du redevable, le 2 de l’article 204 est applicable. La déclaration mentionnée au I du présent article est produite par les ayants droit du défunt dans un délai de six mois à compter du décès. » – pose plus particulièrement problème. Des enfants, n’ayant pas nécessairement de gros revenus,…
M. Mickaël Bouloux
Plus de 100 millions d’euros !
M. Fabien Di Filippo
…qui hériteraient en cours d’année de parts d’une société, cotée ou non, sans forcément percevoir les dividendes qui vont avec, devraient se débrouiller pour payer 2 % de sa valeur avant le 31 décembre. Comment feront-ils ?
M. Mickaël Bouloux
Plus de 100 millions d’euros !
M. Fabien Di Filippo
Justement !
M. Antoine Léaument
Vous êtes de droite !
M. Fabien Di Filippo
S’ils n’ont pas de fortune et pas de revenus, comment paieront-ils ? Ils seront obligés de démanteler cette société, peut-être une société familiale viable, et de la vendre, notamment à des capitaux étrangers. Acceptez-vous de reconnaître cette éventualité ? Nous risquons le démantèlement d’entreprises familiales ! (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et SOC, ainsi que sur quelques bancs du groupe GDR.) Ensuite, quand les usines quitteront le pays, vous viendrez pleurer, l’écharpe tricolore en bandoulière.
Mme la présidente
La parole est à Mme Eva Sas, rapporteure de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, pour donner l’avis de la commission.
Mme Eva Sas, rapporteure de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Avis défavorable.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics, pour donner l’avis du gouvernement.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Je continue sur la même ligne que celle suivie depuis le début de l’examen de ce texte. Le gouvernement est défavorable à cette proposition de loi pour les raisons que j’ai exposées ; sur les amendements, il s’en remet à la sagesse de l’Assemblée. En d’autres termes, j’aurais préféré que ce texte ne soit pas présenté, mais dès lors qu’il l’est, je m’en remets à la sagesse des parlementaires sur les amendements en discussion.
Mme la présidente
Je suis saisie de plusieurs demandes de scrutin public : sur les amendements nos 20 et 21, par les groupes Rassemblement national et Droite Républicaine ; sur les amendements nos 22 et 23, par le groupe Rassemblement national ; sur l’amendement no 24, par les groupes Ensemble pour la République et Rassemblement national ; sur les amendements nos 25 et 26, par le groupe Rassemblement national ; sur l’amendement no 54, par le groupe Ensemble pour la République ; et enfin, sur l’article unique, par le groupe Écologiste et social.
Tous ces scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Daniel Labaronne. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Sophie Taillé-Polian
C’est vrai qu’il nous manquait !
M. Daniel Labaronne
Je soutiens cet amendement de notre collègue Di Filippo et souhaiterais reprendre certains des arguments qu’il a exposés. Nous sommes en présence d’une taxe qui risque d’entraîner le démantèlement d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) familiales. Si cette proposition de loi est adoptée, les héritiers, ou leurs ayants droit, n’auront d’autre choix que de vendre leur entreprise, de la démanteler, de la diviser en appartements pour payer la taxe que vous entendez instaurer.
En plus d’être une taxe de démembrement, c’est aussi une taxe confiscatoire. À cet égard, Mme la rapporteure ne nous a pas convaincus en faisant référence à une note de l’Institut des politiques publiques (IPP). Je fais davantage confiance aux juristes du Conseil constitutionnel pour donner un avis éclairé sur la constitutionnalité de ce dispositif. (Brouhaha sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Mme Marie-Charlotte Garin
Moi, je n’en peux plus !
M. Daniel Labaronne
Voilà donc une taxe de démembrement, une taxe confiscatoire, une taxe punitive puisque vous souhaitez en définitive taxer l’innovation, taxer la prise de risque, taxer l’envie de créer, d’innover, d’engager notre pays sur la voie de l’excellence. (Mêmes mouvements.)
Mme Sandra Regol
Assez avec les superlatifs !
M. Daniel Labaronne
En sus d’être une taxe confiscatoire, punitive et de démembrement, c’est aussi une taxe qui n’atteindra pas sa cible.
Mme Marie-Charlotte Garin
C’est fini ?
M. Daniel Labaronne
Mme la ministre l’a expliqué, vous mettez en place un instrument qui n’atteindra pas les objectifs que vous lui assignez. Cette taxe n’aura pas le rendement que vous espérez. J’ai essayé de vous l’expliquer, lorsqu’on augmente les taux sur une base très réduite, on n’obtient pas les résultats qu’on attend, et que… (Mme la présidente coupe le micro de l’orateur, dont le temps de parole est écoulé.)
Mme la présidente
La parole est à M. Matthias Tavel.
M. Matthias Tavel
Quand on entend les arguments de nos collègues macronistes, on comprend qu’ils ne veulent pas d’une taxe de justice sociale. Ils pensent que la France va mieux depuis M. Macron, alors qu’elle va plus mal. Ce qui démantèle nos ETI et nos entreprises en général aujourd’hui, c’est votre politique : 65 000 faillites en un an ! C’est un record historique ! Bravo les macronistes ! Nous sommes opposés à cet amendement et nous attendons de pouvoir voter pour taxer les milliardaires : il y en a besoin ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, EcoS et GDR.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 19.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 120
Nombre de suffrages exprimés 119
Majorité absolue 60
Pour l’adoption 50
Contre 69
(L’amendement no 19 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour soutenir l’amendement no 20.
M. Fabien Di Filippo
Je m’exprimerai de nouveau de manière succincte, concise et néanmoins pédagogique et détaillée. Il s’agit encore de supprimer ces alinéas problématiques. Je regrette de n’avoir obtenu aucune réponse au sujet des effets potentiellement délétères de la taxe sur les transmissions de patrimoine et sur le risque de démembrement qu’elle ferait courir à un certain nombre de nos entreprises familiales et nationales. Je n’ai pas l’illusion d’en obtenir. Comme vous semblez être très fiers de tout cela, je vous laisse avec vos lubies.
Il faut que vous compreniez qu’aujourd’hui, dans notre pays, avec la conjoncture actuelle, le chef d’entreprise rencontre des difficultés.
M. Mickaël Bouloux
Qu’y connaissez-vous ?
M. Fabien Di Filippo
M. Léaument va tordre le nez et dire, comme il l’a déjà fait : « Mais non ! Il est là avant tout pour voler de l’argent ! » (M. Antoine Léaument applaudit.) Ce n’est pas le cas ! Et il applaudit… Cela montre bien où nous en sommes.
Mme Ayda Hadizadeh
Nous parlons des ultrariches, concentrez-vous !
M. Fabien Di Filippo
Pour vous expliquer à quoi conduisent les difficultés rencontrées par nos chefs d’entreprise, je vais évoquer l’histoire – lue dans un article publié sur internet – d’Amandine, entrepreneuse en Haute-Savoie : elle est démarchée par des cabinets fiscalistes suisses, qui lui proposent de ramener…
M. Nicolas Sansu
Elle fait 100 millions de chiffre d’affaires ?
M. Fabien Di Filippo
Ce ne sont pas seulement des patrimoines qui vont se délocaliser, mais des sièges sociaux, des usines, des moyens de production.
Mme Ayda Hadizadeh
100 millions de chiffre d’affaires !
M. Fabien Di Filippo
Nos entreprises sont donc démarchées et on leur propose de venir de l’autre côté de la frontière, voire maintenant de l’autre côté de l’Atlantique.
M. René Pilato
Ce ne sont pas des patriotes, qu’ils s’en aillent !
M. Fabien Di Filippo
Avec l’élection de Donald Trump, cette politique agressive va se renforcer. On leur dit : venez chez nous, vous bénéficierez d’aides à la production, vous aurez moins de taxes et moins de normes ! Les chefs d’entreprise nous disent trois choses : un, nous n’en pouvons plus de la paperasse administrative, qui est une épée de Damoclès permanente ; deux, nous ne parvenons pas à augmenter les salaires…(Mme la présidente coupe le micro de l’orateur, dont le temps de parole est écoulé.)
Mme Ayda Hadizadeh
Hors sujet !
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Eva Sas, rapporteure
Défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Sagesse.
Mme la présidente
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl.
M. Charles Sitzenstuhl
Nous soutiendrons cet amendement no 20, puisqu’il vise à démanteler la proposition de loi. Nous ne désespérons pas de voir adopter l’un de ces amendements…
Je souscris totalement à l’argumentaire de notre collègue Fabien Di Filippo. Peut-être parce que nous sommes tous deux des élus…
Un député du groupe LFI-NFP
De droite !
M. Charles Sitzenstuhl
…de territoires proches de l’Allemagne, nous sommes particulièrement sensibles à ce tissu d’entreprises industrielles intermédiaires, appelé là-bas le « Mittelstand ». Ce sont les entrepreneurs ayant réussi dans ce type d’entreprises qui sont susceptibles d’être touchés par la taxe que vous souhaitez voter. Nous répétons ces arguments depuis le début de la séance de 15 heures : vous ne les entendez pas, vous ne les écoutez pas, mais nous continuerons à les soutenir jusqu’à la fin des débats.
M. Mickaël Bouloux
Vous avez tort !
M. Charles Sitzenstuhl
Depuis la fin de l’après-midi, ces débats se cristallisent sur le caractère confiscatoire de la taxe. Sur les bancs socialistes, certains ricanent à ce mot de « confiscatoire ». Qu’ils se souviennent de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012 qui les a censurés sur un impôt confiscatoire !
Mme la ministre a dit tout à l’heure que cet impôt avait de forts risques d’être confiscatoire. Peut-être faudrait-il qu’elle nous communique la position de la direction des affaires juridiques du ministère sur ce sujet ? Que dit le secrétariat général du gouvernement ? Nous pourrions solliciter l’avis du Conseil d’État.
M. Sylvain Maillard
Il a raison, madame la ministre ! Nous voulons des réponses !
M. Charles Sitzenstuhl
Les articles de doctrine que je vous ai lus tout à l’heure indiquent que le caractère confiscatoire est bien défini dans notre droit et qu’il y a peu de chances qu’un impôt tel que celui-là, ainsi configuré, puisse passer la barrière du Conseil constitutionnel.
M. Nicolas Sansu
Il faut demander à Richard !
M. Charles Sitzenstuhl
Nous souhaiterions avoir des réponses là-dessus, à moins que vous ne souhaitiez voter un texte ouvertement anticonstitutionnel.
Mme la présidente
La parole est à Mme Gabrielle Cathala. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Gabrielle Cathala
Nous sommes opposés à cet amendement.
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Pour répondre à M. Sitzenstuhl, je peux vous dire qu’il est établi dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu’un taux de 2 % sans plafonnement ou mécanisme équivalent serait inconstitutionnel – au sens où le Conseil constitutionnel ne le soutiendrait pas. C’est pourquoi le gouvernement étudie un taux beaucoup plus faible. Le taux de 2 % revient à un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 41 % si nous options pour une fiscalité via le revenu taxant les dividendes avec les hypothèses de rendement proposées par Mme la rapporteure.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel prend des décisions de principe. Or, d’après les services du Conseil d’État et de la direction des affaires juridiques, le seuil de 100 millions – un critère que vous avez souvent mis en avant – ne semble pas un argument recevable pour le Conseil constitutionnel. Celui-ci considère en effet qu’on ne peut répondre aux enjeux d’égalité, de confiscation ou d’expropriation soulevés par un tel mécanisme au moyen d’un seuil.
Dans le modèle que nous souhaitons soumettre à consultation – nous ferons appel à des économistes et à l’ensemble des acteurs concernés –, les biens professionnels ne sont pas pris en compte et le taux est fixé à 0,5 %, ou plus exactement à 0,48 %, un chiffre obtenu en multipliant les 3 % de rendement par les 16 % qui correspondent à la part d’impôt sur le revenu dans le PFU additionnée à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. La logique n’est donc pas du tout la même.
Il est établi par la jurisprudence constitutionnelle que le taux de 0,5 % a été considéré comme recevable, même sans plafonnement.
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 20.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 149
Nombre de suffrages exprimés 149
Majorité absolue 75
Pour l’adoption 58
Contre 91
(L’amendement no 20 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour soutenir l’amendement no 21.
M. Fabien Di Filippo
Nous venons d’avoir la démonstration flagrante qu’en l’état actuel des choses, non seulement votre texte ne passerait pas le filtre du Conseil constitutionnel, mais il ne serait pas applicable.
Je vous demande d’ouvrir un peu vos chakras – si c’est possible. Vous pourriez par exemple considérer qu’une telle taxe aurait une chance d’être efficace non pas au niveau d’un pays, mais à l’échelle internationale.
J’ouvre mes chakras pour raisonner avec vous, essayez d’en faire autant en cette soirée placée sous le signe de la concorde et de la coconstruction des textes. Concrètement, une taxe minimale de 2 % appliquée, au niveau international, à des patrimoines supérieurs à 1 milliard d’euros pourrait rapporter 200 à 250 milliards par an, selon un rapport très récent.
Même s’il bénéficie d’un certain soutien, un tel projet ne serait cependant pas aisé à mettre en œuvre. Il représenterait une véritable course d’obstacles, et ce pour trois raisons.
Premier obstacle : le rapport évoque l’hypothèse d’une fuite vers des pays non collaboratifs et préconise donc une exit tax. Ce bon de sortie ne sera toutefois pas dissuasif sur la durée.
Mme Marie-Charlotte Garin
Élise Lucet, reviens !
M. Fabien Di Filippo
Car un des problèmes que pose votre proposition de loi, c’est qu’en plus de faire fuir les personnes, les richesses et les créations d’emplois, c’est un fusil à un coup.
Mme Marie-Charlotte Garin
On est aussi contre la chasse !
M. Fabien Di Filippo
Le lendemain, lorsqu’on se réveille, on se retrouve encore moins riche et avec moins de recettes que la veille.
L’évaluation des fortunes serait un deuxième casse-tête. Pour la part détenue en actions cotées – soit environ la moitié du patrimoine des milliardaires, je le concède –, il suffit de suivre la cotation et de procéder à une multiplication, pas de souci. En revanche, l’évaluation des autres actifs, par exemple les actifs immobiliers et les actions non cotées, en fonction de la localisation et des déclarations, relève de la chimère… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur. – Rires et applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Je poursuivrai plus tard !
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Eva Sas, rapporteure
Défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Sagesse.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Paul Mattei.
M. Jean-Paul Mattei
Les arguments de notre collègue Di Filippo sont pleins de bon sens.
Mme Marie-Charlotte Garin
On ne peut pas dire ça !
M. Jean-Paul Mattei
Nous revenons à un débat que nous avons déjà eu à l’époque où nous discutions du problème de la transmission des entreprises et du pacte Dutreil.
En effet, comme dans le cas des successions, il est encore question de la valeur – le mot est d’ailleurs employé à plusieurs reprises dans l’article. Se pose également un problème de liquidités. Car une chaîne industrielle peut représenter des centaines de millions : ce sont bien des valeurs de production, on ne parle pas forcément de la trésorerie de l’entreprise.
Mme Clémentine Autain
Mais arrêtez !
M. Jean-Paul Mattei
On en revient à la question de la différence entre les flux et les stocks. Vous voulez taxer les stocks, mais l’entreprise ne dispose pas forcément des liquidités nécessaires pour faire face au paiement de l’impôt. C’est un vrai problème, qui se pose au moment de la transmission des entreprises à titre gratuit et qu’on retrouve donc avec cette forme d’ISF – impôt de solidarité sur la fortune – sur le patrimoine professionnel que vous voulez instaurer – certes, en ciblant les grandes fortunes.
Il existe aussi un enjeu de temporalité, entre le paiement de l’impôt sur le revenu en septembre et la situation des entreprises au 1er janvier. Savez-vous qu’en matière successorale, on a souvent besoin pour les entreprises non cotées – évoquées à juste titre par M. Di Filippo – d’un rescrit fiscal pour valoriser les biens ? L’opération est en effet très complexe.
M. Sylvain Maillard
C’est impossible autrement, c’est vrai !
M. Jean-Paul Mattei
De quoi parle-t-on quand on évoque une valeur vénale, surtout s’agissant d’un outil industriel complexe : d’une valeur liquidative ? C’est quasiment impossible à définir.
Voilà pourquoi l’adoption de ce texte n’est pas souhaitable. Il faut réfléchir à d’autres outils de justice fiscale, mais celui-ci n’est certainement pas le bon.
Mme la présidente
La parole est à M. Inaki Echaniz.
M. Inaki Echaniz
Nous sommes défavorables à cet amendement. Nous voterons contre. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 21.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 155
Nombre de suffrages exprimés 122
Majorité absolue 62
Pour l’adoption 25
Contre 97
(L’amendement no 21 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour soutenir l’amendement no 22.
M. Fabien Di Filippo
Je note qu’il est rare ce soir d’entendre des interventions sur le fond de la part de nos collègues. Malheureusement, ils veulent rester enfermés dans leurs certitudes. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Sandra Regol
La paille et la poutre !
M. Fabien Di Filippo
Ça ne m’étonne pas. Après tout, c’est une des caractéristiques de l’idéologie de gauche. (Mêmes mouvements.)
Je poursuis donc le propos que j’avais commencé au moment de la présentation de l’amendement précédent, et j’en viens à la troisième raison pour laquelle l’instauration d’une telle taxe pose problème. L’exemple de l’instauration de la taxe plancher de 15 % sur les grandes entreprises mondiales ne peut qu’inciter à la prudence, selon le rapport que j’ai déjà mentionné. Certes, de nombreux pays l’appliquent depuis l’année dernière mais, outre le temps qu’il a fallu depuis l’accord de 2021, moult experts ont pointé les nombreuses exceptions et les risques de contournement – car ils existent.
Par conséquent, même si votre taxe sur les milliardaires aboutissait à une mesure concrète, le chemin serait encore long et semé d’embûches.
Tout à l’heure, un orateur évoquait la nécessité de partager les richesses.
M. Damien Girard
Il faut aussi partager le temps de parole !
M. Fabien Di Filippo
Mais la seule richesse que l’on puisse partager, c’est celle qu’on a créée. Ce qui devrait vous inquiéter, c’est qu’aujourd’hui, le travail ne paie pas suffisamment. (Protestations sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Bien sûr, d’un trait de plume, vous augmentez artificiellement la valeur des salaires, avec pour seuls résultats une hausse de l’inflation et l’appauvrissement de tous. Ce n’est pas ce discours qui nous intéresse.
Mme Ayda Hadizadeh
Même Christine Lagarde le dit, écoutez-la !
M. Fabien Di Filippo
Écoutez plutôt les chefs d’entreprise, ceux qui se battent sur le terrain au quotidien pour créer de la richesse. Ils nous expliquent que le système est devenu tellement kafkaïen et qu’ils sont soumis à tant de contraintes que s’ils souhaitent augmenter une personne de 100 euros, cela leur coûte parfois 400 euros. Il faut entendre ces propos. Si vous voulez vous battre pour les salariés, c’est sur ce terrain qu’il faut aller.
Si vous tenez à sauvegarder le système social auquel vous êtes attachés – j’y reviendrai tout à l’heure, parce que c’est un point fondamental –,…
Mme Mathilde Panot
Merci de vos leçons ! On viendra vous consulter !
M. Fabien Di Filippo
…il faudra forcément qu’à côté des mesures de protection sociale, il y ait davantage de travail, et cela pour deux raisons.
Mme Marie-Charlotte Garin
Ça fait deux minutes, c’est terminé !
M. Fabien Di Filippo
Je vous les indiquerai tout à l’heure.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Eva Sas, rapporteure
Défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Sagesse.
Mme la présidente
La parole est à M. Daniel Labaronne. (« Oh non ! » sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Daniel Labaronne
J’ai déjà expliqué que cette taxe était à mes yeux confiscatoire et punitive, qu’elle ne produirait aucun rendement mais entraînerait un démembrement.
En outre, c’est une taxe repoussoir (« Ah ! » sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS) qui nuirait à l’attractivité de notre pays, notamment vis-à-vis des investisseurs directs qui viennent de l’étranger créer sur notre territoire de la richesse, de l’activité industrielle et des emplois et distribuer des revenus.
M. Maxime Laisney
Il me semble que vous l’avez déjà dit, non ?
M. Daniel Labaronne
Je sais que Mme la rapporteure ne répondra pas à la question que je vais poser,…
M. Damien Girard
Parce qu’elle l’a déjà fait !
M. Daniel Labaronne
…c’est la raison pour laquelle je m’adresserai à Mme la ministre. Existe-t-il, au sein d’une économie développée, parmi les grands pays industrialisés, un dispositif fiscal du type de l’impôt sur les grandes fortunes qui taxe les actifs professionnels, ou innoverions-nous en la matière ? Si oui, avons-nous intérêt à agir ainsi, tout seuls, avec nos petits bras, simplement en tant que Franco-Français, et je dirai même franchouillards ?
Mme Marie-Charlotte Garin
Oui !
M. Damien Girard
C’est l’exception française !
M. Daniel Labaronne
N’avons-nous pas plutôt intérêt à aborder le problème à l’échelle européenne (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR) ou à retenir le dispositif proposé par la ministre, qui semble bien plus raisonnable et ne pourrait pas être considéré comme confiscatoire, comme elle l’a démontré tout à l’heure ?
Je répète ma première question : existe-t-il, dans le monde, une version de la taxe Zucman qui s’applique aux actifs professionnels ? Madame la rapporteure, si vous avez une réponse, nous serons très heureux de l’écouter, mais j’ai bien peur que vous ne nous la fournissiez pas.
Mme la présidente
La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet
Nous avons souvent entendu des arguments qui se ressemblaient. Ce qui domine ce soir, c’est une impression de redondance, de redite. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS.)
Certains ici sont convaincus d’avoir toujours raison simplement parce qu’ils sont français – c’est par exemple ce que j’ai pu observer en matière de politique énergétique. Or je constate qu’ils ne sont pas prêts à voir notre pays innover sur le sujet qui nous occupe ce soir. Quel dommage ! Nous voterons en tout cas contre l’amendement no 22 de M. Di Filippo et ceux qui suivent. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 22.
(Il est procédé au scrutin.) (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
M. Gabriel Attal
Mme la ministre avait demandé la parole !
Mme la présidente
Vous savez bien que j’ai déjà lancé le vote. Convenez que cet amendement ressemble un peu au précédent.
M. Sylvain Maillard
Ce n’est pas tout à fait le même !
M. Fabien Di Filippo
C’est un manque de respect pour mon travail !
Mme la présidente
Mme la ministre pourra s’exprimer après le vote.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 168
Nombre de suffrages exprimés 133
Majorité absolue 67
Pour l’adoption 30
Contre 103
(L’amendement no 22 n’est pas adopté.)
Rappel au règlement
Mme la présidente
La parole est à M. Daniel Labaronne, pour un rappel au règlement.
M. Daniel Labaronne
Il se fonde sur l’article 100 relatif au bon déroulement de nos débats. Tout d’abord, il me semble que la question que j’avais posée apportait un élément nouveau. Nous n’avions pas jusqu’ici tenté d’établir de comparaisons entre cette taxe et des mesures du même type éventuellement en vigueur dans d’autres pays. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Plusieurs députés du groupe EcoS
Ce n’est pas un rappel au règlement !
Mme la présidente
Monsieur le député, vos propos n’ont pas vraiment de rapport avec l’article 100.
Article unique (suite)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Pour répondre à M. Labaronne et pour éclairer les débats, sachez que dans aucun pays au monde il n’existe un dispositif qui prévoit une taxe de 2 % sur un stock de patrimoine.
Dans certains pays, le dispositif prend en compte les actions d’une société dont le contribuable est propriétaire, avec des taux de 0,01 %, de 0,1 % ou de 0,15 %, mais cible plutôt les revenus non distribués, donc les dividendes non versés, et rarement, voire très rarement, le stock de patrimoine – en tout cas, nous n’avons pas connaissance de tels exemples.
Il est donc possible que dans certains pays, lorsqu’on est soi-même actionnaire, les revenus non distribués soient taxés – ce qui correspond à une forme de PFU. Dans d’autres pays, les comptes-titres sont taxés – c’est le cas par exemple au Luxembourg, avec un taux de 0,15 %.
En revanche, tel qu’il a été présenté par Mme la rapporteure, le dispositif – dont le modèle a été exposé par Gabriel Zucman au G20 et pourrait éventuellement donner lieu à des négociations, mais seulement après un processus de collecte et de comparaison des données et d’identification des abus –, n’existe dans aucun pays au monde.
M. Nicolas Sansu
C’est le génie français !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Cela ne signifie pas – je tiens à le dire devant les parlementaires – qu’un tel modèle ne pourra jamais être appliqué, mais simplement qu’il convient de suivre certaines étapes.
Le génie français dont vous parlez, c’est ce qu’on pourrait appeler la fiscalité, la passion pour l’impôt. Certains considèrent même qu’il s’agit d’une maladie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme Danielle Simonnet
Plutôt la passion de la justice, madame !
Mme la présidente
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour soutenir l’amendement no 23.
M. Fabien Di Filippo
J’ai été fort peiné et chagriné – c’est la deuxième fois que mon cœur saigne aujourd’hui – de vous entendre dire que cet amendement ressemblait au précédent. Si vous saviez avec quel cœur nous les avons bâtis ! (Exclamations et sourires sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.) Chacun d’eux est unique et vous noterez que je les défends d’une manière unique !
Pour sauver notre système social, il faut d’abord se demander combien il coûte. Du fait du vieillissement de la population, les coûts de chaque branche commencent à exploser, à devenir incontrôlables, qu’il s’agisse des soins, de la vieillesse ou, bientôt, de la dépendance, pour le financement de laquelle nous ne disposons pas du premier euro. Parallèlement, le nombre d’emplois stagnera. Quant à la productivité, depuis la fin de la crise sanitaire, elle a diminué pour chaque salarié de 8 % en moyenne. Voilà le premier problème auquel nous devrions nous attaquer.
Le deuxième problème est d’ordre démographique. Nous comptons environ 1,7 actif par retraité et le rapport paru ce matin, quels que soient les chiffres sur lesquels on se fonde, démontre que les retraites seront de plus en plus financées à crédit. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Sébastien Delogu
C’est ça, oui !
M. Fabien Di Filippo
Ce système sera devenu insoutenable en 2045, car on ne comptera plus alors 1,7 mais 1,5 actif par retraité ! Comment 1,5 actif pourrait-il financer une retraite ?
M. Matthias Tavel
Vous êtes vraiment nul en économie !
M. Fabien Di Filippo
La population se divisera donc entre ceux qui pourront capitaliser et ceux qui devront vivre comme ils le pourront avec 600 euros par mois, alors que le coût de la vie sera bien plus élevé qu’aujourd’hui.
Mme Sandra Regol
Quel rapport ?
M. Fabien Di Filippo
Le texte traite-t-il de ces enjeux ? Absolument pas ! Nous pénalise-t-il ? Bien sûr, car il limitera les investissements, la création d’emplois, la capitalisation et la détention de capitaux français performants.
Mme Marie-Charlotte Garin
C’est fini !
M. Sébastien Peytavie
Ça fait trois minutes !
Mme Marie-Charlotte Garin
Ça fait dix ans !
M. Sébastien Peytavie
Dix ans en temps ressenti !
M. Fabien Di Filippo
Vous nagez donc tout à fait à contre-courant de l’histoire, plus encore que la gauche l’a toujours fait.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Eva Sas, rapporteure
Défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Sagesse.
Mme la présidente
La parole est à M. Sylvain Maillard. (« Ah ! » sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Sylvain Maillard
Madame la rapporteure, on vous a posé plusieurs questions.
Mme Sandra Regol
Il fallait arriver à l’heure !
M. Sylvain Maillard
Nous parviendrons à voter le texte, ne vous en faites pas. Nous nous y opposerons, bien sûr, mais nous avons le temps d’obtenir des réponses de votre part.
Votre texte, s’il s’appliquait, aurait un impact considérable sur notre économie.
M. Matthias Tavel
Vous étiez où cet après-midi, Maillard ?
M. Sylvain Maillard
J’ai toujours été présent. La ministre vous a indiqué tout à l’heure qu’avec un taux d’imposition de 0,5 %, le dispositif ne serait peut-être pas inconstitutionnel,…
M. Nicolas Sansu
Il ne l’est pas !
M. Sylvain Maillard
…mais que celui de 2 % que vous proposez dans le texte le serait. À ce sujet, madame la rapporteure, vous n’avez formulé aucun argument, vous contentant de donner un avis défavorable sur les amendements.
M. Fabien Di Filippo
C’est un problème de fond !
M. Sylvain Maillard
Il y a deux possibilités : soit vous voulez seulement diffuser une vidéo qui fasse le buzz, en vous contentant de voter une taxe qui ira mourir au Sénat et ne sera jamais appliquée (M. Gabriel Attal applaudit. – Protestations sur plusieurs bancs du groupe EcoS) ; soit tout cela, au fond,…
M. Boris Vallaud
On le touche, le fond !
M. Sylvain Maillard
… vous est égal et votre seul objectif est d’organiser une réunion de l’ensemble du Nouveau Front populaire pour en réconcilier les composantes.
M. René Pilato
Oh là là !
Mme Marie-Charlotte Garin
Il ne faut pas être jaloux !
M. Sylvain Maillard
M. Di Filippo vient de vous poser une question importante : si cette taxe punitive, facteur d’écroulement de l’investissement et de l’emploi, s’applique, quel salarié en France verra son niveau de vie augmenter ? Aucun ! (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Eva Sas, rapporteure
Et les services publics ?
M. Sylvain Maillard
Cet impôt ne permettra aucune redistribution : il ne vise qu’à renflouer les caisses de l’État !
Mme Danielle Simonnet
Avec 20 milliards d’euros, on peut faire beaucoup pour la justice sociale !
M. Sylvain Maillard
Et encore, cela ne durera qu’une année, puisqu’il s’agit d’un fusil à un coup !
Madame la rapporteure, répondez au moins, s’il vous plaît, à la question relative à l’inconstitutionnalité du texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Inaki Echaniz.
M. Inaki Echaniz
J’ai été très sensible à l’émotion manifestée par notre collègue Di Filippo, mais nous ne nous en opposons pas moins à cet amendement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Eva Sas, rapporteure
J’ai déjà répondu à de très nombreuses reprises au sujet de la constitutionnalité.
Un député du groupe EcoS
Ils n’écoutent rien !
Mme Eva Sas, rapporteure
La ministre a bien indiqué que son opinion se fondait sur la jurisprudence existante du Conseil constitutionnel. Nous estimons qu’il peut la faire évoluer au regard des études qui ont été publiées dans l’intervalle. Celles-ci démontrent en effet que les ultrariches utilisent le plafonnement instauré à la demande du Conseil constitutionnel pour contourner l’impôt.
Vous cherchez depuis le début de l’après-midi à nous faire perdre du temps.
M. Sylvain Maillard
On ne va pas voter comme ça ! Merci en tout cas pour votre réponse.
Mme Eva Sas, rapporteure
Je ne répondrai pas une seconde fois à vos questions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EcoS. – M. Marcellin Nadeau applaudit également.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 23.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 177
Nombre de suffrages exprimés 176
Majorité absolue 89
Pour l’adoption 33
Contre 143
(L’amendement no 23 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour soutenir l’amendement no 24.
M. Aurélien Le Coq
Même avis, même vote !
M. Fabien Di Filippo
Je serais extrêmement triste si, après tout ce travail de longue haleine, votre texte était balayé d’un trait de plume par le Conseil constitutionnel. Vous n’avez pas conscience du fait que pendant toutes ces heures, nous avons réellement essayé de vous aider à parvenir à une proposition aboutie. (Rires et exclamations sur plusieurs bancs des groupes EcoS et GDR.)
M. Damien Girard
On n’y croit pas trop !
M. Fabien Di Filippo
J’ai consulté le site du Conseil constitutionnel afin de tenter de réconcilier tous les points de vue. On peut y lire : « Ce droit de propriété de base, dissimulé derrière le principe d’égalité, est, au surplus, masqué par les renvois de la jurisprudence fiscale du Conseil à l’interdiction pour l’impôt de revêtir un caractère confiscatoire. Cette notion d’impôt non confiscatoire reste à vrai dire encore mystérieuse. » Soyez patients, nous en arrivons à un point très intéressant : « D’une part, le Conseil n’en a jamais fait d’application positive ; d’autre part, tout en la couplant systématiquement avec le principe d’égalité devant les charges publiques, il la déduit de l’article 13 de la Déclaration, sans préciser si elle découle du seul principe de nécessité de l’impôt. » Nous en venons à la conclusion, que tout le monde devra garder en tête : « Vraisemblablement, un impôt serait confiscatoire si, excédant les revenus du contribuable, il obligeait celui-ci à céder une partie de son patrimoine pour acquitter l’impôt. » (« Eh oui ! » sur quelques bancs du groupe EPR.)
Madame la rapporteure, en toute sincérité, honnêteté et transparence, reconnaissez-vous que votre dispositif donnerait lieu à des situations où le contribuable serait obligé de céder une partie de son patrimoine pour acquitter cet impôt ? Si la réponse est positive, la discussion s’arrête : l’impôt est confiscatoire et le texte inconstitutionnel. (MM. Sylvain Berrios et Guillaume Kasbarian applaudissent.)
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Eva Sas, rapporteure
Défavorable. Je rappelle à nouveau que le rendement des patrimoines concernés est compris entre 7 et 10 % par an et que notre taxe de 2 % tous impôts confondus ne prélèvera qu’une partie de ce rendement.
M. Aurélien Le Coq
Eh oui, tout à fait !
Mme Eva Sas, rapporteure
Nous ne touchons pas au patrimoine lui-même.
M. Fabien Di Filippo
Vous esquivez ma question !
Mme Eva Sas, rapporteure
Je rappelle par ailleurs que notre proposition prévoit des facilités de paiement passant par un échelonnement des versements. (Exclamations sur les bancs du groupe EPR.) Il sera tout à fait possible de répondre à la question que vous posez au sujet des liquidités par l’intermédiaire de ces dispositions.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Pour éclairer les débats – je prépare là la concertation technique que nous menons avec un certain nombre d’acteurs –, je dirai d’abord que les revenus du capital dont il s’agit sont latents. Il faut donc que les 7 % en question, pour être constatés, soient librement utilisables, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir les vendre, comme l’ont fait remarquer plusieurs collègues, notamment Jean-Paul Mattei.
M. Fabien Di Filippo
Eh oui, c’est tout le problème des biens professionnels !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Deuxième point : votre mécanisme ne prend pas en considération les situations caractérisées par des revenus exceptionnels, puisqu’il ne prévoit pas de lissage dans le temps. Or il peut arriver qu’une entreprise voie son rendement, sa valeur diminuer, auquel cas l’évaluation du patrimoine correspondant connaîtra un ressaut. Mais les contribuables visés par votre taxe seraient obligés de l’acquitter sur le socle marginal même dans un tel contexte.
Troisième élément : dans la mesure où le mécanisme que vous proposez s’appuie sur du revenu latent, il équivaut à un PFU dont le taux s’élèverait à 41 %.
M. Fabien Di Filippo
Oh là là !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Il s’agirait d’un monde fiscal très différent du nôtre. Nous pouvons en débattre, bien sûr, mais il me revient de vous livrer les raisons pour lesquelles nous ne partageons pas votre conception. Cela ne m’empêche pas de constater que les holdings patrimoniales permettent à certains de nos compatriotes de contourner l’impôt. Nous travaillons sur ce sujet. (M. Sylvain Maillard applaudit.)
Sagesse.
Mme la présidente
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl.
Un député
Vous faites tout pour les statistiques !
M. Charles Sitzenstuhl
Non, tout pour le débat ! Mais ne vous inquiétez pas : le vote aura lieu. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Nous voterons contre le texte.
Nous voulons avoir un débat de fond et c’est parce que nous ne cessons de vous solliciter sur le fond que nous avons obtenu des réponses de la rapporteure, en particulier au sujet de l’anticonstitutionnalité, qui est vraiment le problème fondamental de cette proposition. À l’occasion de la discussion des quelques amendements qu’il nous reste à examiner, nous continuerons de le faire, parce que cette question que je viens d’évoquer vous met en difficulté.
Au début du débat, vous êtes passée très rapidement sur ce sujet, tout comme la ministre, qui n’y a fait qu’une allusion rapide d’une ou deux phrases. Nous vous avons sollicitée plus tard et disposons à présent d’explications de plusieurs phrases, d’une, deux ou trois minutes, de votre part comme de celle du gouvernement – merci, madame la ministre.
Mme Sandra Regol
On pourrait parler de l’amendement ?
M. Charles Sitzenstuhl
Nous soutiendrons l’amendement no 24, car nous voulons détricoter cette proposition de loi. En effet, on comprend, à entendre les propos du gouvernement, les arguments clairs de Mme de Montchalin, que ce problème d’anticonstitutionnalité est majeur.
J’ajouterai d’autres arguments, fondés sur des discussions qui nous ont déjà animés. L’ISF concernait 350 000 contribuables. L’impôt plancher sur la fortune tel que vous le concevez touchera 2 000 personnes.
M. Nicolas Sansu
1 800 !
M. Charles Sitzenstuhl
C’est pire ! 1 800 personnes seront taxées pour un produit fiscal que vous estimez à 25 milliards d’euros !
M. René Pilato
15 à 20 milliards !
M. Charles Sitzenstuhl
Dans quelle démocratie, dans quel pays 1 800 personnes contribuent-elles à une telle hauteur sans qu’une cour constitutionnelle considère que cela constitue une rupture d’égalité devant l’impôt ? (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, EcoS et GDR.)
M. Aurélien Le Coq
La France !
M. Guillaume Kasbarian
Ça n’existe pas !
M. Sébastien Peytavie
Ça fait trois minutes !
M. Charles Sitzenstuhl
Votre texte ne fonctionne pas et vous vous apprêtez à voter ce soir et à expliquer à tout le pays dans les médias que vous avez sciemment adopté une proposition qui ne respecte pas la Constitution ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Inaki Echaniz.
M. Fabien Di Filippo
Pourquoi toujours lui ?
Mme la présidente
Et vous, alors ?
M. Inaki Echaniz
Nous n’avons pas changé d’avis : cet amendement n’est pas à la hauteur du débat et de l’importance de l’enjeu de la répartition des richesses. Nous nous y opposons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 24.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 185
Nombre de suffrages exprimés 185
Majorité absolue 93
Pour l’adoption 73
Contre 112
(L’amendement no 24 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour soutenir l’amendement no 25.
Un député
Encore ?
M. Fabien Di Filippo
Encore et toujours ! Je crois avoir au moins mérité une réponse à ma question, qui était très précise et que vous avez essayé de contourner, madame la rapporteure, en politicienne habile. (Sourires.)
Je ne céderai pas si facilement ! Je vous ai demandé si ce texte, non pas en moyenne pour l’ensemble des contribuables mais dans des cas particuliers, donnerait lieu à des situations, plus ou moins nombreuses, telles que les personnes concernées devraient se séparer pour acquitter l’impôt d’une partie de leur patrimoine. Dans la mesure où la proposition, dans sa rédaction actuelle, ne prévoit aucun dispositif d’exception permettant de faire face à de telles situations, elle est à coup sûr inconstitutionnelle. Je cite encore le Conseil constitutionnel que, contrairement au gouvernement ou à nous-mêmes, on ne peut accuser de parti pris politique ou de biais idéologique. Après le passage que j’ai cité plus tôt au sujet du caractère confiscatoire de l’impôt, on peut lire : « Cette interprétation est loin de lever tous les problèmes, car elle peut prospérer dans deux directions bien différentes, selon qu’il s’agit de protéger la richesse globale du contribuable (le fait que l’impôt ne doit pas provoquer un appauvrissement du contribuable d’une année sur l’autre), » – autrement dit : si l’impôt a pour effet une absence de dividendes qui entraîne une diminution du patrimoine, il sera confiscatoire, donc inconstitutionnel – « ou la consistance de son patrimoine (qu’il ne soit pas contraint, pour acquitter l’impôt, d’aliéner certains biens déterminés). » Je vous en épargne le détail.
Madame la rapporteure, sommes-nous d’accord sur le fait qu’il existe des cas dans lesquels les personnes devront aliéner une partie de leur patrimoine pour acquitter cet impôt ? Dites-moi oui ou non. Cette question dépasse les arguments politiques, car il s’agit d’une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, qui n’a jamais été remise en cause et qui ne le sera certainement pas pour un impôt franco-français, rendant votre dispositif caduc.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Eva Sas, rapporteure
Défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Sagesse.
Mme la présidente
La parole est à M. Daniel Labaronne.
M. Inaki Echaniz
Il y avait longtemps !
M. Pierre-Yves Cadalen
Vous nous avez manqué !
M. Daniel Labaronne
Nous vous avons interrogée à plusieurs reprises, madame la rapporteure, sur votre méthode de valorisation du patrimoine, et en particulier du patrimoine professionnel, mais une question n’a pas encore été abordée :…
M. Aurélien Le Coq
Celle de la constitutionnalité ? (Sourires)
M. Daniel Labaronne
…avez-vous une évaluation du coût du recouvrement de cette taxe ? Quels sont les moyens qu’il faudra mobiliser ? Combien de fonctionnaires ? (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Aurélien Le Coq
Faux débat !
M. Daniel Labaronne
Pouvez-vous nous apporter des éléments d’explication ? Je ne voudrais pas être trop long sur le sujet (Mêmes mouvements), mais il se trouve que dans une ancienne vie, j’ai travaillé sur la question des privatisations dans les pays d’Europe centrale et orientale.
M. Damien Girard
Allez le raconter à la buvette !
M. Daniel Labaronne
Or elles butaient sur la valorisation des actifs professionnels.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. Daniel Labaronne
La question était insoluble, parce que cette valorisation variait en fonction du cours de Bourse et de l’évolution des revenus latents, en fonction des marchés conquis ou perdus par l’entreprise et de la perte d’un directeur général qui pouvait avoir mis en place des investissements idiosyncratiques, c’est-à-dire des investissements qui n’étaient rattachés qu’à lui – auquel cas, s’il partait, il embarquait son carnet d’adresses et toute la recherche scientifique. Bref, la valorisation d’actifs professionnels est déjà un exercice extrêmement difficile quand il s’agit d’une seule entreprise. Alors pour évaluer le patrimoine d’un groupe de près de 2 000 personnes, je vous souhaite bien du plaisir !
Mme la présidente
Merci, monsieur le député.
M. Daniel Labaronne
Quel est le coût du recouvrement de cette taxe ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Gabrielle Cathala.
Mme Gabrielle Cathala
Comme sur les précédents amendements et les suivants, le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire votera contre. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 25.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 183
Nombre de suffrages exprimés 147
Majorité absolue 74
Pour l’adoption 36
Contre 111
(L’amendement no 25 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour soutenir l’amendement no 26. (« Ah ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Gabrielle Cathala
Son avant-dernier !
M. Fabien Di Filippo
J’ai senti poindre une déception dans votre voix, madame la présidente, car ce sera l’un de mes derniers amendements sur ce texte, mais je ferai honneur jusqu’au bout à la discussion de cet article unique.
Au préalable, je prends tout le monde à témoin que je ne peux pas être plus précis dans la question que j’ai posée à Mme la rapporteure : oui ou non, y a-t-il des situations où un contribuable sera obligé d’aliéner son patrimoine pour s’acquitter de votre taxe ? J’aimerais encore, dans ces ultimes instants, pouvoir obtenir une réponse, même si elle doit tenir en un seul mot.
Cet amendement porte sur l’alinéa 49, c’est-à-dire sur la date d’entrée en vigueur de votre texte, et là aussi, c’est un problème : le 1er janvier 2026. Ne pensez pas qu’il sera applicable parce qu’on l’aura voté ce soir ! Il va partir au Sénat, revenir ici, repartir, puis revenir à nouveau, et il y a vraiment très peu de chances que les décrets d’application soient pris suffisamment tôt pour qu’on puisse demander aux contribuables concernés de remplir encore une déclaration et que tout cela puisse entrer en vigueur en 2026.
M. Sébastien Delogu
Mais vous dites que de toute façon, ils seront tous partis avant !
M. Fabien Di Filippo
En effet, peut-être toutes les personnes éligibles à cette taxe nous auront-elles quittés, et avec elles tous les emplois qu’elles auraient pu créer et tous les impôts qu’elles auraient pu payer. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Sébastien Delogu
Alors arrêtez d’en parler !
M. Fabien Di Filippo
Le problème sera donc réglé : nous garderons un fort taux de chômage endémique, avec des recettes sociales qui s’effondrent et des gens qui vivront encore beaucoup plus malheureux qu’aujourd’hui. C’est une bien triste conception que vous avez de l’ambition économique qu’on doit avoir pour notre pays. Ce sera le toboggan de la paupérisation. D’autres parlaient déjà de « Cuba sans le soleil »… J’espère, mais je ne vois pas comment, que nous pouvons encore y échapper. Alors si vous avez encore un petit éclair de lucidité dans la nuit, essayons au moins de supprimer cette date d’entrée en vigueur qui, de toute façon, est à la fois irréaliste et inapplicable, et qui ne pourra pas être tenue.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Eva Sas, rapporteure
Cet amendement propose de supprimer la date d’entrée en vigueur du texte, le 1er janvier 2026, ce qui signifie qu’il pourrait être mis en œuvre dès sa promulgation. Une fois de plus, c’est un amendement qui vise seulement à faire perdre du temps : son adoption irait dans le sens inverse de ce que vous défendez depuis le début.
M. Damien Girard
Eh oui !
Mme Eva Sas, rapporteure
Je suis vraiment effrayée de l’énergie que vous déployez, monsieur Di Filippo, vous et les députés macronistes, pour défendre le droit de 1 800 ultrariches à contourner l’impôt ! Car c’est ce que vous faites depuis le début de l’après-midi ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – M. Guillaume Garot applaudit également.) Vous défendez les ultrariches et leurs optimisations fiscales, voilà tout ce que vous faites ! (Mêmes mouvements.)
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Sagesse.
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Jacobelli.
M. Aurélien Le Coq
Pourtant, il n’y a pas eu de mise en cause personnelle !
M. Laurent Jacobelli
Nous ne parlons pas de justice fiscale, mais d’une fiscalité débridée, une fiscalité qui est conçue pour nuire, pour confisquer. Si on parlait de justice fiscale, vous proposeriez de compenser ce que vous allez récolter chez les plus riches par des économies fiscales pour les moins riches. Mais ces économies pour les plus pauvres de nos concitoyens, vous ne les proposez pas ! Avant de faire marcher la machine à ponction fiscale, avant de s’en prendre à ceux qui veulent réussir, investir, faisons des économies sur l’immigration (« Ah ! » sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe RN), où il y a des dizaines de milliards à trouver ! Des économies sur la fraude sociale et fiscale, soit 75 milliards d’euros à trouver ! Des économies sur le détournement des allocations sociales par ceux qui vivent de la rente nationale des allocations, avec là aussi de l’argent à trouver ! Mais par paresse intellectuelle, vous vous réfugiez dans un marxisme ringard pour faire la poche des plus riches. Moi, mon rêve n’est pas d’appauvrir les riches,…
Mme Sandra Regol
Ça, c’est sûr !
M. Laurent Jacobelli
…mais que chaque petit enfant de France, même du milieu le plus modeste, puisse rêver un jour de le devenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu
Quelques mots avant de conclure bientôt ce débat. On ne parle dans ce texte que des gens dont le patrimoine est supérieur à 100 millions d’euros, et cette taxe représentera une contribution différentielle permettant d’atteindre au minimum 2 millions d’euros. Je m’interroge sur ceux qui estiment que les plus riches, ceux qui ont plus de 100 millions d’euros de patrimoine, n’ont pas au moins 4 à 5 millions d’euros de liquidités,…
M. Daniel Labaronne
Mais non !
M. Nicolas Sansu
… car ce serait incroyable.
Mme Clémentine Autain
Tout à fait !
M. Nicolas Sansu
Les patrimoines de 100 millions d’euros augmentent aujourd’hui de 5 % à 7 % en moyenne chaque année. Il n’est donc pas incongru de prendre 1 à 2 millions d’euros pour atteindre le plancher. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – M. Marcellin Nadeau applaudit également.)
Ensuite, monsieur Maillard, monsieur Sitzenstuhl, 1 800 personnes, ce n’est certes pas beaucoup, mais cela représente tout de même 2 000 milliards d’assiette fiscale, une assiette très large qui équivaut quasiment à notre PIB.
Enfin, madame la ministre, vous dites que le taux de 2 % serait inconstitutionnel. Mais vous savez bien que de nombreux foyers fiscaux ont 200 000 euros de patrimoine et payent bien plus de 4 000 euros d’impôts. Si vous voulez appliquer la règle que vous préconisez, il faudra l’appliquer pour tout le monde, et vous rendrez alors des gens très heureux ! Si les plus riches ne peuvent pas payer 2 % de l’équivalent de leur patrimoine, il faudra aussi que des gens qui ont 200 000 euros de patrimoine ne payent plus 4 000 euros d’impôts. Arrêtez un peu, soyez plus sérieuse que cela !
En tout cas, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera contre cet amendement et pour cette proposition de loi salutaire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Monsieur le député, je le dis et le répète : nous ne pouvons pas laisser perdurer cette situation d’inefficacité fiscale, celle où des holdings servent à contourner l’impôt de manière éhontée, celle où des personnes vivent de leurs revenus non distribués et donc thésaurisés, se faisant des prêts à elles-mêmes pour assurer leur train de vie et pouvant les transmettre à la génération suivante. C’est bien pourquoi nous recherchons un mécanisme efficace qui soit constitutionnel, qui n’empêche pas les investisseurs d’investir, les entrepreneurs d’entreprendre et les innovateurs d’innover.
Second point : vous évoquez des cas qui relèvent potentiellement de la suroptimisation, stratégie fiscale que nous devons en effet combattre. Ne me faites donc pas dire ce que je n’ai pas dit : l’idée initiale de contributions différentielles n’est pas une mauvaise idée, et nous y travaillons pour aboutir à un mécanisme précis qui ne nous amène pas à taxer ceux qui innovent et entreprennent.
Mme Sandra Regol
Sept ans sans rien faire !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Je suis ministre, madame la députée, depuis le 23 décembre : cela ne fait donc pas sept ans que je suis en charge des comptes publics. Nous y travaillons, disais-je, mais le problème du texte qui nous est présenté ce soir, c’est que le taux est trop élevé, que l’assiette n’est pas la bonne, que le lissage n’est pas le bon et que les conséquences économiques en seraient ce que je vous ai dit, le rendement étant assis sur une assiette financée par l’exit tax. Pour ces raisons, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée sur l’amendement. (M. Gabriel Attal applaudit.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 26.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 185
Nombre de suffrages exprimés 148
Majorité absolue 75
Pour l’adoption 36
Contre 112
(L’amendement no 26 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour soutenir l’amendement no 54.
M. Charles Sitzenstuhl
Je descends de quelques marches pour me rapprocher de la ministre, car mon amendement évoque des questions européennes – même s’il est vrai que celles-ci relèvent traditionnellement plutôt du ministre du sixième étage de Bercy, en l’occurrence Éric Lombard, la ministre des comptes publics s’y intéresse certainement aussi.
Ce n’est pas un amendement rédactionnel, mais bien un amendement de fond que présente le groupe EPR. Nous proposons de substituer à la date du 1er janvier 2026 « le 1er janvier de l’année suivant l’adoption d’une proposition législative par l’Union européenne relative à la taxation des hauts patrimoines. » C’est bien le fond du débat : nous expliquons que si notre pays met en place une telle mesure fiscale seul, il dissuadera à coup sûr des investisseurs étrangers de venir et certains de nos compatriotes partiront.
M. René Pilato
Qu’ils s’en aillent !
M. Charles Sitzenstuhl
Il faut donc envisager cette mesure au moins au niveau européen, sinon à celui de l’OCDE.
M. René Pilato
Le chantage, ça suffit !
M. Charles Sitzenstuhl
Mais l’affaire se corse, et les proeuropéens présents dans cet hémicycle le savent, car les questions de fiscalité se décident pour le moment à l’unanimité au niveau européen. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’en 2018, malgré le soutien de vingt-cinq États membres, Bruno Le Maire n’avait pas pu mettre en place la taxe Gafa au niveau européen. Cela montre que si l’on veut avancer sur l’idée d’un impôt plancher de 2 %, dit taxe Zucman, au niveau de l’UE, deux stratégies sont nécessaires : le gouvernement doit entamer un travail de conviction vis-à-vis des autres États membres – peut-être vos collègues écologistes au Parlement européen pourraient-ils y aider –, et il faut revoir les règles de décision sur la fiscalité au niveau européen. Tout cela renvoie à des questions essentielles quant au fonctionnement de l’Union européenne et de notre marché intérieur. En tout cas, en l’état, si on applique ce que propose ce texte au niveau national, ce sera très mauvais pour l’économie française. Il faut avancer au niveau européen. Cela mettra beaucoup plus de temps, mais c’est la seule voie raisonnable. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Eva Sas, rapporteure
Défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Merci au député Sitzenstuhl de nous donner l’opportunité de voir la cohérence entre ce débat et le champ européen. Il se trouve que je participerai le 18 mars à un débat sur la fiscalité à Bruxelles – avec d’ailleurs, me semble-t-il, Gabriel Zucman –, à l’initiative de la Commission européenne, sur ce sujet précis. Car ce qui nous occupe ce soir fait aussi réfléchir ailleurs en Europe. Je trouve intéressant que le Luxembourg, la Belgique, l’Espagne, la France et d’autres pays européens réfléchissent à cet enjeu que constituent ces holdings qu’on appelle parfois les holdings tirelires ou les holdings patrimoniales.
En effet, ce mécanisme de contournement ne concerne pas que la France. L’Union européenne doit encourager le G20 à traiter la question au niveau international. Les pays européens doivent comparer leurs bases, leurs assiettes, leurs taux et leurs pratiques afin d’arriver à une vision harmonisée qui rendrait leur action en la matière plus pertinente et plus efficace.
J’aurai à ce propos une discussion avec le commissaire européen Wopke Hoekstra dans les prochaines semaines. La direction générale de la fiscalité et de l’union douanière travaille sur des projets liés au sujet. Enfin, comme ce dernier relève du G20, il y a matière pour la Commission européenne à fournir les données de comparaison entre pays.
Nous ne combattons pas le principe d’une taxation, nous ne voulons pas laisser la suroptimisation prospérer.
M. Nicolas Sansu
On va vous aider !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
En revanche, comme je le répète depuis le début des débats, la mesure que vise à instaurer la proposition de loi, si elle était adoptée, n’atteindrait pas sa cible,…
M. Nicolas Sansu
Mais si !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…isolerait la France, ne rapporterait pas les sommes attendues et découragerait l’investissement.
M. Damien Girard
Mais non ! Elle nous met à la pointe pour vous aider !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Pour être efficace, une action en la matière doit être proportionnée et coordonnée à l’échelle européenne ou internationale.
Sur l’amendement, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Cazeneuve.
M. Pierre Cazeneuve
Nous discutons là de l’amendement le plus important de la soirée, même si l’organisation de la séance le fait arriver en dernier dans nos débats. Il résume parfaitement notre position. Il existe actuellement une difficulté à capter les richesses des ultra- ultra- ultrariches, en France comme ailleurs en Europe et dans le reste du monde. Trop souvent, les 0,0001 % des contribuables qu’ils représentent échappent à l’impôt. Comme nous l’avons répété tout au long des débats, il faut réfléchir à une manière de capter une partie de cette richesse qui se soustrait à la solidarité nationale.
M. Aurélien Le Coq
Cela fait sept ans, ça ne va pas vite !
M. Pierre Cazeneuve
Parallèlement, nous avons répété la liste des limites, en l’état, du texte proposé. La première est son inconstitutionnalité, l’assiette et le taux de la taxe étant bien trop élevés.
Mme Sandra Regol
Pour la loi immigration, cela ne vous a pas arrêtés !
M. Pierre Cazeneuve
La seconde limite, indiscutable, tient au fait que la France n’est pas une île. Si une telle mesure n’était appliquée que dans notre pays, tous les capitaux en partiraient. C’est pourquoi nous voulons conditionner la mise en place d’une taxe sur les très hauts patrimoines à la conclusion d’un accord européen. C’est la bonne échelle pour agir.
Je sors de cette journée en ayant très envie d’être un député de gauche,…
M. Gérard Leseul
Viens, viens !
Mme Danielle Simonnet
Venez ! Faites-vous plaisir !
M. Nicolas Sansu
Tu as ta place, Pierre !
M. Pierre Cazeneuve
…car il doit être agréable de dire, sur un marché de sa circonscription, le dimanche : « Nous voulons taxer les ultrariches alors que les affreux macronistes et le député Di Filippo les protègent. » (Exclamations et rires sur les bancs des groupes SOC, EcoS et GDR.) Il est tellement facile d’être de gauche !
Mme Marie-Charlotte Garin
Rentre à la maison !
M. Pierre Cazeneuve
Mais quand on se confronte à la réalité, on voit que ce que vous proposez est une illusion.
Mme la présidente
Il faut conclure, cher collègue.
M. Pierre Cazeneuve
Une dernière chose, madame la présidente : je suis fier quand la France est pionnière en inscrivant le droit à l’IVG dans la Constitution ; je suis fier quand la France est pionnière en matière de droits de l’homme… (Mme la présidente coupe le micro de l’orateur, dont le temps de parole est écoulé. – Plusieurs députés du groupe EPR applaudissent ce dernier.)
Mme la présidente
La parole est à M. Mickaël Bouloux.
M. Mickaël Bouloux
Nous sommes contre cet amendement. Madame la ministre, dans quelques minutes, nous adopterons ce texte, avec lequel vous pourrez aller à Bruxelles pour l’étendre au niveau européen. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI-NFP, EcoS et GDR.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 54.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 187
Nombre de suffrages exprimés 186
Majorité absolue 94
Pour l’adoption 72
Contre 114
(L’amendement no 54 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’article unique.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 186
Nombre de suffrages exprimés 157
Majorité absolue 79
Pour l’adoption 117
Contre 40
(L’article unique est adopté.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Titre
Mme la présidente
Sur l’amendement n° 27, je suis saisie par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Sur l’amendement n° 49, je suis saisie d’une demande similaire par le groupe Ensemble pour la République.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Fabien Di Filippo, pour soutenir l’amendement no 27. (Applaudissements et rires sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
M. Fabien Di Filippo
Je vous propose d’essayer d’être subtils et constructifs, comme moi.
M. Damien Girard
Non merci !
Mme Dominique Voynet
Sans façon !
M. Fabien Di Filippo
Le titre du texte – « proposition de loi instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultrariches » – est descriptif mais manque un peu de corps. Je propose de le rebaptiser « proposition de loi instaurant une charge fiscale supplémentaire qui pénalisera la création d’emplois et de richesses en France ».
M. Guillaume Kasbarian
Excellente idée, c’est exactement ça !
M. Fabien Di Filippo
C’est bien ce dont il est question. Parce qu’une fois que vous aurez tapé sur la tête de ceux que vous appelez des ultrariches et qui, pour beaucoup, sont des investisseurs ou des chefs d’entreprise, ils s’en iront et les recettes fiscales chuteront.
Quand vous dites : « Votons la taxe, puis tout le monde nous imitera ! », ça me rappelle l’instauration des 35 heures, avec l’idée que tout le monde allait nous suivre et diminuer le temps de travail pour s’aligner sur nous. Mais quand une idée est mauvaise, elle est très rarement copiée.
Mme Dominique Voynet
Oui, comme avec le nucléaire !
M. Fabien Di Filippo
Il aurait fallu abandonner ce texte, qui est de toute façon voué à ne pas passer le filtre du Conseil constitutionnel (Exclamations sur les bancs du groupe EcoS), et laisser se poursuivre les discussions internationales en dehors desquelles il n’existe aucune chance de voir les choses avancer.
Mme Christine Arrighi
Pourquoi en êtes-vous si sûr ?
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Eva Sas, rapporteure
Défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Sagesse.
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian
Je vais citer un débat qui a eu lieu ce matin au Sénat, avec pour objet de rajouter des difficultés pour les étrangers qui veulent se marier en France avec une personne française. Au cours des discussions, M. Karoutchi, élu des Républicains, s’est emporté : « Nous sommes le Parlement, a-t-il tonné. Nous ne sommes l’annexe ni du Conseil d’État, ni du Conseil constitutionnel. C’est à nous qu’il revient de faire la loi. » En conclusion de ce débat, M. Darmanin a ajouté : « Poser deux fois la même question au juge constitutionnel à vingt ans d’intervalle n’est ni insolent, ni kamikaze. C’est reconnaître que la société évolue. »
M. Fabien Di Filippo
Qu’est-ce que c’est que cette comparaison ?
Mme Sophie Taillé-Polian
Oui, la société évolue. Les inégalités ne sont plus acceptées, car elles ne sont plus acceptables ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et GDR.) Votre argumentation sur le risque d’inconstitutionnalité du texte est fallacieuse et ne tient pas, comme cela a été démontré par vos propres amis au Sénat ce matin, à propos d’une mesure indigne qu’il vous plaira certainement d’aller expliquer à vos électeurs dimanche sur le marché – une mesure contre les étrangers, comme vous avez pris l’habitude d’en proposer. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Naïma Moutchou, qui l’avait demandée avant M. Labaronne.
Mme Naïma Moutchou
Merci, madame la présidente, de permettre que des femmes s’expriment. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.) Je regrette que s’agissant d’un débat aussi important, Mme la rapporteure n’ait pas apporté de réponse à toutes les questions, et que lorsqu’elle a répondu, elle n’ait pas été convaincante, même si elle a été intelligible. Je suis effrayée par votre obsession à vouloir toujours taxer davantage, à vouloir punir la réussite. (Protestations sur les bancs des groupes SOC et EcoS.) Qu’elle soit une anomalie aux yeux de certains ici est assez incroyable. Et je passe sur votre habitude de vouloir dresser les uns contre les autres, les riches contre les pauvres, les patrons contre les salariés,…
Mme Danielle Simonnet
Mais les Français contre les étrangers, là, il n’y a pas de problème !
Mme Naïma Moutchou
…sur votre habitude d’alimenter une sorte de guerre sociale sans jamais vouloir régler les problèmes de fond.
Mme Ayda Hadizadeh
Vous, c’est la guerre raciale !
Mme Naïma Moutchou
La vérité est qu’à chaque fois que la France a cédé à la tentation du matraquage fiscal (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR), il s’est passé la même chose, les mêmes causes produisant les mêmes effets : exil des talents, perte de capitaux et destruction d’emplois. Il n’est pas difficile de comprendre que quand le gâteau est plus petit, il y a moins à partager.
M. Damien Girard
Mais là, il y a beaucoup de gâteau !
Mme Naïma Moutchou
Vous voulez un État racketteur. Vous avez cité les grandes familles, vous avez cité Bernard Arnault, vous avez jeté des noms en pâture comme vous en avez l’habitude. Pourtant, derrière les Bernard Arnault, il y a de grandes entreprises dont dépendent des salariés, des sous-traitants, des fournisseurs, des entrepreneurs, des Français et leurs familles. Proposer un État racketteur est trop facile. Nous vous proposons un État stratège. Nous aussi tenons à la justice fiscale et à la justice sociale. Aidez-nous plutôt à nous attaquer à la dépense publique ! Aidez-nous à nous attaquer à toutes les politiques publiques inefficaces et hors de contrôle ! Ça, c’est le projet d’une France ambitieuse ! (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et EPR.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 27.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 189
Nombre de suffrages exprimés 187
Majorité absolue 94
Pour l’adoption 39
Contre 148
(L’amendement no 27 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour soutenir l’amendement no 49.
M. Charles Sitzenstuhl
Il s’agit du dernier amendement examiné avant les explications de vote. Il porte sur le titre et non sur le fond du texte, mais il permet tout de même de faire passer un message. J’ai voulu ajouter au titre du texte le fait qu’il allait dissuader l’investissement en France, un des principaux arguments que nous avons avancés au cours de nos six heures et demie de débats.
Mme Sophie Taillé-Polian
Oui, c’était long !
M. Charles Sitzenstuhl
Je regrette que vous ne vouliez pas entendre ce point de vue. Nous avons expliqué que la fiscalité est dynamique et non statique.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. Charles Sitzenstuhl
J’imagine que certains d’entre vous, à gauche, sortent de nos frontières et ont des interlocuteurs étrangers, en Europe ou sur d’autres continents, comme c’est mon cas.
M. Alexis Corbière
On n’est pas Bruno Le Maire !
M. Charles Sitzenstuhl
Que nous disent ces interlocuteurs depuis six mois ? Que l’instabilité fiscale dans laquelle est retombé le pays est une catastrophe dissuasive pour les investissements. (Exclamations sur les bancs du groupe EcoS.) Nous avons déjà eu un automne apocalyptique, avec une discussion budgétaire qui aurait abouti à une hausse explosive de 60 milliards d’euros des prélèvements obligatoires…
M. René Pilato
Par la faute de qui ?
M. Charles Sitzenstuhl
…si nous ne l’avions contenue et avec le concours Lépine de la taxe – d’ailleurs remporté par le RN. Et maintenant arrive ce texte, qui prévoit une ponction de 25 milliards sur l’économie. C’est du jamais-vu dans notre pays pour un impôt de ce type. Ne croyez pas qu’une telle taxe…
Mme Florence Herouin-Léautey
C’est la plus juste !
M. Charles Sitzenstuhl
…serait indolore pour l’économie si elle venait à entrer en vigueur ! Elle aurait des effets…
M. Alexis Corbière
On espère !
M. Charles Sitzenstuhl
…négatifs sur l’investissement et ferait fuir tous les investisseurs internationaux qui auraient eu envie de construire des usines en France. Ils iraient le faire en Espagne, en Allemagne ou en Italie. Voilà ce que serait le résultat de la politique vers laquelle vous voulez aller. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Eva Sas, rapporteure
Défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Sagesse.
Mme la présidente
La parole est à M. Jérôme Guedj.
M. Jérôme Guedj
Au moment où s’achève une discussion au cours de laquelle nous avons été nombreux à nous retenir d’intervenir afin qu’elle puisse aller à son terme, je veux remercier nos collègues du groupe Écologiste et social d’avoir permis que ce débat ait lieu. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.) Je veux particulièrement saluer le travail de la rapporteure Eva Sas, dont l’opiniâtreté, la ténacité et le brio ont éclairé nos travaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EcoS et GDR, ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Laurent Jacobelli
C’est l’ironie à son sommet !
M. Jérôme Guedj
Par ailleurs, je ne résiste pas à la tentation de m’adresser à Mme la ministre. C’est la première fois que nous nous retrouvons dans cette position, vous au banc du gouvernement et moi sur ceux des députés. Vous avez dit que vous n’étiez pas responsable de la politique des finances publiques il y a sept ans. Je crois pourtant me souvenir que vous étiez la whip de la commission des finances au début du quinquennat d’Emmanuel Macron.
Et quand vous et moi avons croisé le fer pendant la campagne des élections législatives, dans la sixième circonscription de l’Essonne, nous avons débattu de la suppression de l’ISF et des choix que cela impliquait. À cet égard, je me rappelle une interview que vous aviez donnée en 2018 à Libération.
M. Christophe Bentz
Quelle horreur !
M. Jérôme Guedj
Vous affirmiez que vos collègues et vous aviez fait votre boulot de députés en supprimant l’ISF. Aujourd’hui, nous faisons le nôtre en créant la taxe Zucman. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, EcoS et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. Daniel Labaronne.
M. Daniel Labaronne
Je suis favorable à ce dernier amendement. Je remercie l’ensemble des députés pour la qualité de nos débats (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et EcoS), mais je regrette tout de même l’absence de réponse de Mme la rapporteure sur plusieurs sujets. Cela aurait permis d’éclairer la représentation nationale, mais aussi ceux qui nous regardent (L’orateur lève le doigt) et sont inquiets de cette logorrhée fiscale, de cette taxe de démembrement du patrimoine, punitive, confiscatoire même, qui n’atteindra pas sa cible. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Inaki Echaniz
Baissez votre doigt !
M. Daniel Labaronne
Quel sera le coût du recouvrement de cette taxe ?
M. Sylvain Maillard
C’est une vraie question !
M. Daniel Labaronne
Comment allez-vous déterminer la valeur du stock des actifs professionnels ? Vous n’êtes pas capables de répondre à ces questions car elles sont d’une complexité inouïe ! (Mme Ségolène Amiot s’exclame.)
Mme Dominique Voynet
Calmez-vous, vous allez faire un infarctus !
M. Daniel Labaronne
Vous n’avez pas répondu non plus à de nombreuses autres questions. Or, sur un tel sujet, il aurait été intéressant de débattre véritablement du fond, comme nous avons sans cesse tenté de le faire en défendant nos amendements.
Un député
Ah oui, toute la journée !
M. Daniel Labaronne
J’y insiste, madame la rapporteure, nos débats auraient été encore de meilleure qualité si vous aviez bien voulu répondre à nos questions. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Ségolène Amiot, M. Manuel Bompard et M. Sébastien Delogu font au revoir de la main.)
Mme Ségolène Amiot
Allez, ça suffit !
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 49.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 188
Nombre de suffrages exprimés 188
Majorité absolue 95
Pour l’adoption 39
Contre 149
(L’amendement no 49 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.
Mme la présidente
Sur l’ensemble de celle-ci, je suis saisie par le groupe Écologiste et social d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Explications de vote
Mme la présidente
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS)
Il s’agit du deuxième texte proposé dans le cadre de la journée d’initiative parlementaire du groupe Écologiste et social. Dans une heure, cette journée se terminera et nous pouvons être très fiers du travail accompli sur nos textes (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et GDR), avec le soutien de l’ensemble de nos partenaires de gauche, députés communistes, Insoumis et socialistes. (Mêmes mouvements.)
Nous sommes fiers car, dès demain, nous pourrons retourner dans nos circonscriptions, regarder nos électeurs dans les yeux et leur dire que nous avons été fidèles à nos engagements. (Mêmes mouvements.) Nous nous sommes battus et nous avons réussi à remporter des victoires.
La période est sombre. Pendant la niche du groupe DR, nous avons dû supporter votre obsession des questions migratoires. Dans le cadre du temps gouvernemental, nous avons dû subir l’examen et le vote de la proposition de loi Attal, qui privera les mineurs de justice – demain, la loi ne les protégera plus. (« La honte ! » et « Scandaleux ! » sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)
M. Vincent Jeanbrun
N’importe quoi !
Mme Cyrielle Chatelain
Aujourd’hui, au Sénat, les Républicains ont remis en cause la possibilité pour les étrangers de se marier avec des Français. (« La honte ! » sur les bancs du groupe EcoS.)
M. Fabien Di Filippo et plusieurs députés du groupe RN
Quand ces étrangers sont clandestins !
Mme Cyrielle Chatelain
Aussi sommes-nous fiers de montrer que cette assemblée peut voter des lois de progrès, et qu’il existe une lueur d’espoir. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et GDR.)
La nouvelle loi agricole, régression environnementale, n’est pas une fin en soi. Il est aussi possible d’interdire les polluants éternels, et nous serons toujours là pour mener les combats environnementaux et sociaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP, SOC et GDR.)
Tout ce que vous avez défait, nous le reconstruirons ; tout ce que vous avez cassé, nous le réparerons. (Mêmes mouvements.) C’est notre engagement !
M. Inaki Echaniz
Vous cassez, on répare ! Vous salissez, on nettoie ! Vous défiez l’autorité, on la fait respecter !
Mme Cyrielle Chatelain
Ces combats et ces victoires sont le fruit d’un long travail. Le combat contre les polluants éternels, c’est celui de Nicolas Thierry, depuis plus de deux ans. Le texte fait partie de ceux présentés lors de la journée d’initiative parlementaire des Écologistes l’an dernier. C’est désormais une loi.
Cela signifie que, sur chaque texte, nous nous engageons avec détermination. Il s’agit non pas de faire de la communication (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS, SOC et GDR), mais, chaque fois, d’aboutir à une loi qui change réellement la vie des Français. Car, que souhaitons-nous avant tout ? Tenir nos engagements et être utiles à toutes et tous.
Notre travail s’appuie sur la recherche. Avec la taxe Zucman, Eva Sas et Clémentine Autain reprennent les conclusions, claires, de la recherche : oui, nous pouvons taxer les ultrariches, et ce sera bénéfique pour tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et GDR.)
Dans l’heure qui nous reste, nous commencerons le débat – malheureusement, nous ne le finirons pas – sur l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation. Là encore, Charles Fournier et Boris Tavernier s’appuient sur le travail des collectivités et des associations. Nous l’affirmons : nous pouvons non seulement protéger, mais aussi tracer de nouvelles perspectives, créer de nouveaux droits.
Je remercie aussi celles et ceux qui ont travaillé, pendant des jours, sur leur proposition de loi : Léa Balage El Mariky, Jean-Claude Raux, Benjamin Lucas-Lundy, Sophie Taillé-Polian. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.) Malheureusement, nous ne pourrons pas examiner ces textes aujourd’hui. Cela nous aurait permis, là aussi, de démontrer que des avancées sont possibles.
Avec le présent texte, nous démontrons qu’il n’y a pas de fatalité : même si vous voulez nous habituer au pire, même si, avec vos 49.3, vous nous expliquez qu’il n’y a pas d’autres options que ces budgets récessifs, qui privent de moyens les services publics et la transition écologique,…
M. René Pilato
Exactement !
Mme Cyrielle Chatelain
…il existe un autre chemin.
Après avoir protégé la santé des Français en interdisant les polluants éternels, nous sommes extrêmement fiers de pouvoir faire adopter cette taxe sur le patrimoine des ultrariches. Nous espérons fortement que tous nos collègues la voteront. Pour ce qui est de nos collègues de gauche, cela ne fait aucun doute : ils sont tous réunis à cette fin, ils joindront leurs voix aux nôtres. Nous montrons ainsi que, demain, nous aurons les moyens de mener la politique que nous avons promise hier lors de nos campagnes électorales. (Les députés des groupes EcoS et SOC ainsi que quelques députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent longuement. – Les autres députés du groupe LFI-NFP et les députés du groupe GDR applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Paul Mattei.
M. Jean-Paul Mattei (Dem)
Je vous remercie d’avoir permis ce débat, intéressant et utile.
Je remercie aussi notre collègue Di Filippo, qui nous a invités à décortiquer la proposition de loi – laquelle n’était pas un petit texte, bien qu’elle soit constituée d’un article unique.
M. Fabien Di Filippo
Cinquante alinéas !
M. Jean-Paul Mattei
D’où vient ce texte ? Il est issu des travaux de Gabriel Zucman et d’un rapport de l’Institut des politiques publiques, dont les conclusions nous avaient été présentées en commission des finances. J’avais d’ailleurs été choqué de cette vision binaire de l’entreprise, qui niait la notion de personnalité morale. Ainsi, quand une entreprise réalise un bénéfice, celui-ci appartient à l’entreprise, et pas forcément aux actionnaires.
M. Sébastien Peytavie
Cela dépend des entreprises !
M. Jean-Paul Mattei
Pour qu’il devienne la chose des actionnaires, le processus est long : approbation des comptes notamment, avant la distribution du dividende.
Une telle vision binaire est regrettable, car il n’y a pas, d’un côté, les actionnaires et, de l’autre, une sorte de trésor.
En outre, votre taxe sur les super-riches concerne les grandes entreprises, souvent de plus de 200 000 salariés. (Mme Mathilde Panot s’exclame.) Si on l’appréhende par son bilan comptable, une entreprise, c’est un actif immobilisé – des outils de production à la disposition des hommes et des femmes qui y travaillent – et un actif circulant – où l’on pourrait peut-être trouver de la trésorerie. Ce sont également des capitaux propres, notamment des réserves – des bénéfices mis de côté chaque année, qui ne sont pas la propriété des actionnaires. C’est ce que vous oubliez et que j’appelle le « bénéfice utile ». (Mme Christine Arrighi s’exclame.)
Il y a quelques années, je me suis battu sur la notion de superdividende, considérant qu’un bénéfice réinvesti dans l’entreprise est un bénéfice utile, puisqu’il sert l’entreprise. C’est donc un élément de production, et non la chose des actionnaires. Quand un bénéfice sort de l’entreprise, il peut changer de nature : il est utile pour rémunérer normalement les actionnaires ; il l’est moins quand il les sur-rémunère. Tel était l’état d’esprit.
Votre texte réinstaure une sorte d’ISF, mais dans une version pire que celle que nous avons connue.
Mme Christine Arrighi
Non, en mieux !
M. Jean-Paul Mattei
Je commente l’actualité fiscale depuis une quarantaine d’années mais, même à l’époque de l’IGF – l’impôt sur les grandes fortunes –, la ministre l’a rappelé, on écartait de l’assiette le patrimoine professionnel ! Or, là, vous l’incluez, ce qui entraînera d’énormes difficultés à payer l’impôt, car ces belles entreprises n’ont pas forcément le cash nécessaire.
M. Christophe Blanchet
Eh oui !
M. Jean-Paul Mattei
Lors de mon intervention sur l’article unique, j’ai cité l’exemple d’un patrimoine de 100 millions d’euros, qui serait donc taxé à hauteur de 2 millions. Pour trouver une telle somme, il va falloir distribuer des dividendes. En outre, dans les start-up ou les licornes, les actionnaires ne sont pas forcément majoritaires – ils peuvent même être minoritaires. (M. Nicolas Sansu s’exclame.) Certaines entreprises n’auront donc pas la capacité juridique de distribuer les dividendes nécessaires pour faire face à l’impôt, quand d’autres vont devoir sortir du cash qui aurait été utile dans l’entreprise.
M. Alexis Corbière
Mais non !
M. Jean-Paul Mattei
Même si votre texte est intéressant, c’est une très mauvaise idée. Une telle taxe bloquerait le développement de notre patrimoine industriel, alors qu’il crée de l’emploi.
Cela étant, il existe effectivement des situations caricaturales, et il faut mener un travail, au niveau européen, sur le régime fiscal des holdings – que vous avez évoqué, madame la ministre –, notamment le régime mère-fille. Dans ce régime, les dividendes remontant à la holding sont exonérés d’impôt à 95 %, seule la quote-part liée aux frais et charges étant taxée. Il en résulte un taux d’imposition de 1,25 %.
Mme Christine Arrighi
Mais pourquoi ne l’avez-vous pas fait avant ?
M. Jean-Paul Mattei
Si les holdings sont utiles pour développer les entreprises, il arrive aussi qu’elles aient un effet pervers, lorsqu’elles conservent de véritables tirelires – une importante trésorerie qui n’est plus vraiment utile à l’entreprise et qu’il faudrait donc distribuer, en l’assujettissant à la flat tax.
Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, et après nous être vraiment intéressés au fond du texte, nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. Sylvain Maillard applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Sylvain Berrios.
M. Sylvain Berrios (HOR)
Je remercie le groupe Écologiste et social d’avoir engagé ce débat.
Mme Christine Arrighi
De rien ! C’est gratuit !
M. Sylvain Berrios
Cela a permis de faire tomber les masques sur les intentions véritables et permanentes de votre groupe.
Merci à M. Di Filippo également.
M. Sébastien Peytavie
Euh, moyennement, quand même !
Mme Sabrina Sebaihi
De nous avoir pourri la vie ?
M. Sylvain Berrios
J’espère que le cœur, qui a saigné par deux fois ce soir, pourra cicatriser. Que M. Di Filippo ne s’inquiète pas, ce qui se partage le mieux, ce n’est pas l’argent, mais l’amour. (« Oh ! » sur plusieurs bancs.) Je vous remercie. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes HOR, RN et DR.)
Mme Marie-Charlotte Garin
On est où, là ?
M. Christian Girard
Encore la marmotte ! (Sourires.)
M. Sylvain Berrios
Le gouvernement l’a rappelé, et vous le savez très bien, l’impôt plancher de 2 %, que vous souhaitez prélever sur le patrimoine des entrepreneurs, des innovateurs, des femmes et des hommes qui ont réussi…
M. Aurélien Le Coq
Ils ont hérité !
M. Matthias Tavel
Ils ont réussi à hériter ! (Sourires sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Sylvain Berrios
…et qui souhaitent continuer à investir, est instable juridiquement et budgétairement très fragile.
Le texte prévoit la création d’un impôt confiscatoire, qui priverait le contribuable de la jouissance de ses biens et de leurs fruits, d’autant plus que les actifs professionnels sont pris en compte.
Cette taxe est aussi un impôt destructeur, car elle contient en germe la destruction d’emplois. Certains de nos compatriotes risquent de se retrouver au chômage – ce n’est vraiment pas ce qu’ils attendent de la gauche. C’est particulièrement vrai pour les ETI, qui sont très vulnérables. Elles seront touchées par votre dispositif, notamment celles dont le fonds est constitué d’actifs personnels. Lorsque les contribuables concernés ne pourront pas payer cet impôt, il leur faudra vendre l’appareil productif, qui tombera dans les mains de fonds d’investissement français ou étrangers. Voilà ce que vous y aurez gagné !
Enfin, et c’est sûrement le plus grave, cette taxe est punitive, ce qui est complètement contraire à l’ADN du groupe Horizons & indépendants. Nous souhaitons au contraire que les entrepreneurs, ces femmes et ces hommes qui réussissent, puissent continuer à innover et à investir, et qu’ils soient libres de partager et de créer. Nous souhaitons une France libre et libérée,…
Mme Christine Arrighi
Comme dans la chanson : « Libérée, délivrée » !
M. Nicolas Sansu
Non, vous souhaitez une France libérale !
M. Sylvain Berrios
…loin de vos punitions et des carcans que vous voulez lui imposer ! (Mme Naïma Moutchou applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu (GDR)
À mon tour, je remercie le groupe Écologiste et social d’avoir ouvert ce débat. Nous revenons périodiquement à ce sujet depuis plusieurs années : nous l’avons soumis au débat lors de l’examen des projets de loi de finances pour 2023, 2024 et 2025. Chaque fois, nous avons travaillé sur le sujet, notamment dans le cadre du Nouveau Front populaire, et je suis très heureux que nos travaux se concrétisent aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC. – M. René Pilato applaudit également.)
La question d’un impôt sur le patrimoine avait aussi été évoquée dans le cadre de rapports, notamment avec notre collègue Jean-Paul Mattei.
Nous sommes fiers d’avoir mis le sujet sur la table. Je crois que nous allons ainsi vous aider, madame la ministre, dans votre combat pour que les ultrariches n’échappent pas à l’impôt, et pour trouver de nouvelles ressources permettant de financer la transition écologique, qui est nécessaire. Je rappelle que, dans leur rapport, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz ont proposé de créer un ISF climatique.
Nous ne sommes plus dans les années 1980 : la richesse financière est maintenant considérable, bien plus qu’il y a quarante ans. Pour capter cette richesse, il faut inventer de nouvelles taxes ou, pour le moins, reconsidérer les assiettes. En l’espèce, nous proposons de taxer des foyers fiscaux – il n’est pas question ici d’entreprises – dont le patrimoine dépasse 100 millions d’euros ; c’est gigantesque et cela ne concerne qu’une toute petite partie des contribuables français. On ne constitue pas un tel patrimoine en travaillant, mais parce que d’autres travaillent pour vous, ou grâce à un héritage. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS. – MM. Marcellin Nadeau et René Pilato applaudissent également.) La question de la taxation de ces patrimoines se pose donc en tant que telle.
J’insiste sur trois points. D’abord, cette taxe est de nature à renforcer le consentement à l’impôt. N’oublions pas que, si certains de nos compatriotes n’acceptent plus d’en payer, c’est parce que les ultrariches y échappent.
Ensuite, c’est une question d’égalité et de justice fiscale, avec laquelle nous devons renouer. Tout le monde l’a dit : les ultrariches ne paient que 27 % d’impôt, impôts professionnels compris – c’est très peu.
Enfin, c’est une question de pouvoir. Le pouvoir politique ne doit pas avoir la main qui tremble : il doit reprendre la main par rapport à l’oligarchie financière. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP ainsi que sur quelques bancs du groupe EcoS.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
Exactement, il a raison !
M. Nicolas Sansu
Nous voyons bien ce qui peut arriver lorsque cette dernière prend le pouvoir dans une démocratie, comme aux États-Unis, où le pouvoir politique, monétaire, financier, médiatique est concentré dans les mains de quelques-uns. C’est très dangereux car cela conduit à l’impérialisme et à la guerre. Nous faisons donc œuvre utile ce soir, et nous continuerons à le faire. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Fayssat.
M. Olivier Fayssat (UDR)
C’était prévisible : les débats ne nous ont pas fait changer d’avis.
Mme Christine Arrighi
Nous non plus !
M. Olivier Fayssat
Le groupe UDR s’oppose toujours farouchement à ce texte. Plutôt que de détailler nos motivations, je souhaite poser une question de bon sens, qui me hante. Vous, les Écologistes, vous vous faites élire sur la promesse de sauver la planète.
Mme Marie-Charlotte Garin
Pas uniquement !
M. Olivier Fayssat
Ensuite, vous produisez des normes à l’efficacité plus que douteuse,…
M. Jean-Claude Raux
Depuis quand ?
M. Olivier Fayssat
…si ce n’est pour freiner la croissance et diminuer les résultats des entreprises. Pour finir, comme il vous faut financer vos exploits suivants, vous venez demander de nouvelles confiscations, au nom de la justice fiscale. Et ce cycle infernal se répète.
Vous êtes très toniques dans vos prises de position contre le monde de l’entreprise. Avez-vous jamais envisagé de consacrer toute cette énergie créative à la production de valeur et à la création d’emplois ? Devons-nous nous résigner à vous subir comme une inépuisable source de charges et d’impôts ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR et sur quelques bancs du groupe RN.)
Mme Sabrina Sebaihi
Subir ?
Mme Marie-Charlotte Garin
C’était pitoyable, aussi pitoyable qu’Éric Ciotti qui s’accroche aux portes de son local !
Mme la présidente
La parole est à Mme Claire Marais-Beuil.
Mme Claire Marais-Beuil (RN)
Cette proposition de loi aura au moins eu l’intérêt de placer la justice fiscale au cœur du débat,…
M. Matthias Tavel
Oui, ce n’est pas grâce à vous !
Mme Claire Marais-Beuil
…si on peut parler de débat. Mes chers collègues de gauche, quand je parle de justice fiscale, je n’entends pas la même chose que vous. Le Rassemblement national n’a jamais caché qu’il voulait une justice fiscale, mais celle-ci devrait porter sur les revenus financiers. Nous proposons de remplacer l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) par un impôt sur la fortune financière.
M. Matthias Tavel
Bah oui, pour exonérer Montretout !
Mme Claire Marais-Beuil
Les fruits du travail doivent être protégés. Or tel n’est pas le cas avec cette proposition de loi.
Mes chers collègues du centre, acceptez que nous ne soyons pas d’accord avec vous non plus. Depuis le début de la journée, vous attendez que nous fassions le travail à votre place. Cela ne nous surprend pas, car vous avez pris cette habitude depuis le début de la législature,…
Mme Mathilde Panot
Quand on est alliés, c’est comme ça !
M. Aurélien Le Coq
Oui, vous êtes leur paillasson !
Mme Claire Marais-Beuil
…en laissant vides les bancs de vos groupes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.) Vous nous reprochez continuellement nos positions de vote, mais ce sont les nôtres !
Mme Mathilde Panot
Ils vous disent merci pour la confirmation de Richard Ferrand !
Mme Claire Marais-Beuil
Si vous voulez que vos amendements soient adoptés, demandez à vos députés d’arrêter d’avoir piscine !
La fiscalité doit cibler les véritables profiteurs du système – les grandes fortunes spéculatives, celles qui jouent avec la mondialisation et qui échappent trop souvent à leur juste part d’imposition. C’est pourquoi nous défendons un impôt sur la fortune financière. S’agissant de cette proposition de loi, nous avons décidé de nous abstenir,…
M. Idir Boumertit
Hourra !
Plusieurs députés des groupes EPR et LFI-NFP
Quel courage !
Mme Claire Marais-Beuil
…non pas parce que nous refuserions de taxer les plus riches – bien au contraire –, mais parce que la mesure nous semble inefficace et non ciblée. Nous appelons à un vrai débat sur la justice fiscale, pour que l’effort soit réparti équitablement et que les grands spéculateurs contribuent à la hauteur de leurs moyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl.
M. Charles Sitzenstuhl (EPR)
La position du groupe Ensemble pour la République est sortie renforcée du débat : nous nous opposerons à cette proposition de loi – nous, au moins, nous en avons le courage.
M. Olivier Faure
Le courage de défendre les plus riches !
M. Charles Sitzenstuhl
J’y viendrai, monsieur Faure.
Je voudrais néanmoins remercier l’ensemble des acteurs qui nous ont permis d’avoir ce débat, notamment Mmes Sas et Autain.
Mme Sabrina Sebaihi
Ce ne sont pas des actrices, ce sont des députées !
M. Charles Sitzenstuhl
En effet : je remercie nos collègues, Mmes les députées Sas et Autain.
Mme Marie-Charlotte Garin
Tiens, vous avez mis une cravate verte !
M. Charles Sitzenstuhl
J’ai choisi cette couleur en l’honneur de la niche des Écologistes, si vous voulez tout savoir !
Mme Marie-Charlotte Garin
Ah, c’est sympa !
M. Olivier Faure
Ne vous laissez pas distraire !
M. Charles Sitzenstuhl
Oui, je perds du temps.
Des positions très tranchées et très opposées ont été exprimées. Je voudrais dire à nos collègues de gauche, notamment au premier secrétaire du Parti socialiste qui vient de m’interpeller, que nous ne sommes pas là pour défendre les riches, ni même les ultrariches, comme vous les appelez. (« Si ! » et « Assumez ! » sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Nous sommes là pour défendre des convictions, qui sont constantes depuis 2017. Nous considérons que votre politique fiscale, qui consiste à attaquer, à cibler, à matraquer ceux que vous appelez les riches ou les ultrariches, est néfaste pour l’économie française. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR. – M. Jean-Paul Mattei applaudit également. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
M. Sylvain Maillard
Il a raison !
M. Charles Sitzenstuhl
Nous pouvons nous appuyer sur les résultats de la politique que nous avons menée entre 2017 et 2024.
Mme Mathilde Panot
Ils sont catastrophiques ! La pauvreté a augmenté !
M. René Pilato
On nage en pleine réussite !
M. Charles Sitzenstuhl
Vous ne voulez pas l’entendre, chers collègues de gauche et d’extrême droite. La vérité, c’est que la réforme fiscale de 2017,…
M. Antoine Léaument
Elle était nulle !
M. Charles Sitzenstuhl
…proposée par Emmanuel Macron et mise en œuvre par les ministres Bruno Le Maire et Gérald Darmanin,…
M. Antoine Léaument
Des milliards supplémentaires de dette !
M. Charles Sitzenstuhl
…a permis d’atteindre des résultats que ni la droite d’avant, ni la gauche d’avant n’avaient réussi à obtenir en quarante ans : nous avons sorti la France du chômage de masse. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe Dem. – Exclamations prolongées sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.) Le taux de chômage s’élevait à 10 % ; nous l’avons fait baisser jusqu’à presque 7 %. Nous avons mis fin à la saignée de l’industrie et avons amorcé sa relance. Durant plusieurs années, grâce à notre politique, la France a été le pays le plus attractif d’Europe. Voilà les résultats concrets de la politique économique et fiscale que nous avons menée ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
En 2017, nous avons eu le courage de prendre des décisions qui étaient peut-être impopulaires, comme supprimer l’ISF.
Mme Ségolène Amiot
Vous n’avez pas le courage de regarder en face les résultats de votre politique !
M. Charles Sitzenstuhl
Mais nous avons expliqué aux Français les raisons de ces décisions,…
M. Damien Girard
Ça ne les a guère convaincus !
M. Antoine Léaument
Arrêtez de faire le professeur !
M. Charles Sitzenstuhl
…et nous leur avons surtout apporté des résultats concrets.
Ce soir, l’ISF que nous avons supprimé revient, mais puissance dix, ou cent. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS – Mme Ayda Hadizadeh applaudit également.) Vous ne devriez pas applaudir ! Vous entendez créer une taxe qui concernera 1 800 personnes,…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Il n’y a pas que la cravate qui vous flatte !
M. Charles Sitzenstuhl
…avec un rendement escompté de 25 milliards d’euros.
M. Antoine Léaument
Oui, c’est bien ça !
M. Charles Sitzenstuhl
Cette taxe provoquera des dégâts considérables pour le tissu industriel et économique français, et écornera l’image de la France. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Mme Ayda Hadizadeh
Vous êtes pour les oligarques !
M. Charles Sitzenstuhl
Nous avons soulevé un problème majeur, et fini par obtenir des clarifications grâce à la ministre : votre texte est anticonstitutionnel. (Mêmes mouvements.)
M. Nicolas Sansu
Ce n’est pas vrai !
M. René Pilato
Vous n’en savez rien !
Mme Sabrina Sebaihi
Pas plus que vos textes !
M. Charles Sitzenstuhl
Vous n’avez pas réussi à démontrer que votre texte était conforme à la Constitution.
M. Damien Girard
Et votre loi sur l’asile et l’immigration ?
M. Charles Sitzenstuhl
Au nom des députés du groupe EPR, je souhaite dire à tous les investisseurs étrangers – européens ou internationaux – qui regardent nos débats…
Mme Sabrina Sebaihi
Les pauvres ! (Sourires sur les bancs du groupe EcoS.)
M. Charles Sitzenstuhl
…ou qui liront demain les dépêches et la presse, que votre taxe ne passera pas le Sénat. Et si, par malheur, le texte devait revenir ici dans quelques mois et y être adopté, nous saisirions le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.) Nous considérons en effet que la rupture de l’égalité devant l’impôt est un sujet très grave. Votre texte viole manifestement nos principes constitutionnels, notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
M. Alexis Corbière
Les grands mots !
M. Charles Sitzenstuhl
On ne peut pas faire peser 25 milliards d’euros de prélèvements obligatoires uniquement sur 1 800 de nos compatriotes !
M. Sébastien Peytavie
Ce sont aussi ceux qui en paient le moins !
M. Charles Sitzenstuhl
Ce n’est pas acceptable dans une démocratie qui a fait de l’égalité le deuxième mot de sa devise. Nous nous opposerons à cette proposition de loi. Vous qui la voterez (L’orateur se tourne vers la gauche de l’hémicycle) et vous qui la laisserez voter (L’orateur se tourne vers la droite de l’hémicycle), nous souhaitons vous alerter sur son caractère dangereux ! (MM. Sylvain Maillard et Daniel Labaronne se lèvent et applaudissent. – Les autres députés du groupe EPR et Mme Sophie Mette applaudissent également.)
Mme Sabrina Sebaihi
Merci !
M. Antoine Léaument
Vous n’êtes guère nombreux, sur vos bancs…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Les Mozart de la finance !
Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Le Coq.
M. Aurélien Le Coq (LFI-NFP)
Je remercie le groupe Écologiste et social d’avoir inscrit à l’ordre du jour de sa journée réservée ce texte qui tend à instaurer la taxe Zucman. Je remercie en particulier Mme la rapporteure pour son travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
M. Antoine Léaument
C’était sensas ! (Sourires.)
M. Aurélien Le Coq
L’adoption probable par l’Assemblée nationale de la taxe Zucman, impôt plancher garanti sur le patrimoine des plus riches de notre pays, est d’abord le résultat de la victoire du Nouveau Front populaire et de la gauche lors des dernières élections législatives ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Si les Françaises et les Français n’avaient pas décidé de sanctionner durement la politique des macronistes, et de les balayer dans les urnes, alors jamais la composition de cette assemblée n’aurait permis le résultat obtenu ce soir. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Exclamations sur les bancs des groupes RN et DR.)
Les débats ont duré tout l’après-midi, à grand renfort d’obstruction et de ralentissement macronistes. Nous avons vu apparaître clairement la véritable raison pour laquelle vous vous obstinez ces derniers mois à voler les élections et à accumuler les coups de force, en nommant des gouvernements dont personne ne veut et qui ont vocation à être défaits.
Si M. Macron a décidé de nommer M. Barnier, puis M. Bayrou, si M. Macron a refusé que s’applique le programme qui a gagné les élections, c’est précisément parce que vous refusez de partager les richesses (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, EcoS et GDR), parce que vous refusez de prendre à celles et ceux à qui vous avez tant donné ces dernières années et qui ont tout accumulé. Oui, vous êtes les soutiens des plus riches, des ultrariches, de voleurs ! (Exclamations sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
M. Charles Sitzenstuhl
Le grand capital !
M. Aurélien Le Coq
Je vous le dis, parce que là est tout le sens du débat de ce soir. Vous nous avez dit qu’on ne pouvait pas tout leur prendre, que ce serait confiscatoire. Et nous vous avons répondu…
Mme Stéphanie Rist
Non, justement !
M. Aurélien Le Coq
…que l’argent accumulé par des personnes qui possèdent plus de 100 millions d’euros n’est pas de l’argent qu’ils ont produit. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, EcoS et GDR. – M. Denis Fégné applaudit également.) Cet argent provient d’une seule chose : le vol de la plus-value des travailleurs et des travailleuses qui, jour après jour, l’ont produit, eux, à la sueur de leur front. Non, il n’est pas possible d’imaginer que quelqu’un qui possède 100 millions d’euros ait pu le produire par son travail. Pour que tout le monde le comprenne bien, ramenons cette somme à une mesure commune, celle du smic. Ces 100 millions d’euros équivalent à 6 118 années de smic (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR), et personne ne peut produire par son travail 6 118 années de smic !
Vous n’avez cessé de nous ramener à la réalité des entreprises qui, si cette taxe était votée, s’écrouleraient. Mais vos cadeaux fiscaux, qui ont favorisé cette accumulation démentielle, doublant, en sept ans, la fortune des 500 familles les plus riches, qu’ont-ils permis ?
M. Daniel Labaronne
La croissance ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Aurélien Le Coq
Votre politique a permis 66 000 fermetures d’entreprise, avec un record en 2024. Aujourd’hui, ce sont 200 000 emplois qui sont menacés. Voilà la réalité ! Vous avez tout saccagé. (Exclamations sur les bancs du groupe EPR.)
M. Sylvain Maillard
Vous n’êtes pas d’accord avec nous mais ne dites quand même pas n’importe quoi !
M. Aurélien Le Coq
Vous avez même réussi à faire baisser les recettes fiscales nettes. Les seules qui augmentent sont celles que vous prenez aux plus pauvres, à savoir celles de la TVA. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Daniel Labaronne
Anticapitalisme primaire !
M. Aurélien Le Coq
Mais vous faites très bien l’anticapitaliste primaire, monsieur Labaronne, et nous vous avons déjà applaudi pour cela.
Dans ce débat et dans ce combat, vous avez été rejoints par vos complices habituels, ceux du Rassemblement national (Exclamations sur les bancs du groupe EPR), ceux qui, toute la journée, ont décidé d’utiliser les mêmes mots, les mêmes arguments.
M. Matthieu Bloch
Vous avez voté pour Macron, pas nous !
M. Aurélien Le Coq
Oui, messieurs et mesdames les députés du Rassemblement national, vous avez expliqué que c’était une surtaxe, une taxe de plus, une taxe injuste ; vous avez expliqué que vous refusiez de taxer le patrimoine immobilier. Peut-être votre objectif est-il d’éviter à la famille Le Pen que le château de Montretout soit imposé. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Peut-être défendez-vous, malgré ce que vous dites, les intérêts des plus riches de ce pays, alors que vous aviez proposé, lors des débats budgétaires, de taxer les autoentrepreneurs.
Sachez-le, nous ne l’oublierons pas,…
Mme la présidente
Merci, mon cher collègue.
M. Sylvain Berrios
Au revoir !
M. Aurélien Le Coq
…et nous sommes fiers, aux côtés des groupes du Nouveau Front populaire, de voter ce texte. (Mêmes mouvements.)
M. Emeric Salmon
Et Mélenchon, il l’a volé à qui, son patrimoine ?
Mme la présidente
La parole est à M. Mickaël Bouloux.
M. Mickaël Bouloux (SOC)
Au nom de mon groupe, je tiens d’abord à remercier Mme Sas, rapporteure, Mme Autain, coauteure de la proposition de loi, ainsi que l’ensemble du groupe Écologiste et sa présidente, Mme Chatelain, d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EcoS et GDR.)
Nous avons eu un débat long et riche, et je le dis alors que nous n’avons pas encore entendu l’explication de vote de M. Di Filippo, avant un vote que j’espère positif.
Pour notre part, nous sommes convaincus que cet impôt plancher est nécessaire non seulement pour redresser les comptes publics mais également pour restaurer la cohésion nationale dans notre pays. La justice fiscale est essentielle au consentement à l’impôt, et c’est pourquoi le groupe socialiste votera pour ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI-NFP, EcoS et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Fabien Di Filippo. (Progressivement, de nombreux députés des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR se lèvent et applaudissent l’orateur. – Les députés du groupe EPR applaudissent aussi.)
M. Fabien Di Filippo (DR)
Merci, mais ne montrez surtout pas ces images à vos militants, qui pensent que je vous ai fait beaucoup de mal aujourd’hui, d’autant qu’en récupérant le temps que j’ai laissé à mes opposants pour s’exprimer sur mes amendements, je pourrais peut-être parler une quarantaine de minutes supplémentaires… (Sourires.)
Certains ont parlé d’obstruction. Ça n’a jamais été mon souhait. (« Non ! » sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
M. Damien Girard
Vous avez été élu meilleur troll de l’Assemblée !
M. Fabien Di Filippo
Nous savions dès le départ que le texte serait mis aux voix. J’ai effectivement mal vécu ce qui s’est passé lors de notre niche, il y a deux semaines, et jamais je n’aurais utilisé de tels stratagèmes pour empêcher le débat ou interrompre la séance. (Exclamations amusées sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.) J’espère que ceux qui nous regardent ou ceux à qui vous avez jeté mon nom en pâture – mais je prends ça comme un supplément de notoriété et vous en remercie – l’auront compris.
Mme Dominique Voynet
On n’est pas à confesse !
M. Fabien Di Filippo
Nous avons essayé d’aller au fond du débat, nos conceptions et les vôtres étant diamétralement opposées. Au demeurant, si j’avais souhaité faire de l’obstruction, j’aurais déposé non pas 26 amendements, mais 260…
M. Alexis Corbière
Ou 1 800 ! Un par foyer fiscal concerné !
M. Fabien Di Filippo
…et il est clair que l’on n’aurait jamais pu voter.
Mme Sabrina Sebaihi
Vous touchez le fond, mais vous continuez à creuser !
M. Fabien Di Filippo
Ensuite, il ne faut pas que vous jubiliez trop ce soir, en revendiquant cette victoire auprès de nos concitoyens, qui ignorent tout de la gymnastique parlementaire, de la navette au Conseil constitutionnel, en passant par tous les écueils que peut rencontrer une loi avant de s’appliquer. (Mme Stéphanie Rist applaudit.) Et il y a des chances pour que cette mesure ne s’applique jamais, en tout cas pas dans un cadre franco-français. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – M. Jean-Paul Mattei applaudit également.)
Si j’ai un reproche à vous adresser, c’est que vous avez manqué de cette vision plus large et à plus long terme d’une France qui évolue dans le monde. Ce n’est pas la société qui évolue, contrairement à ce qu’a dit l’une de vos collègues…
Mme Sophie Taillé-Polian et M. Alexis Corbière
C’est Gérald Darmanin qui l’a dit, au Sénat !
M. Fabien Di Filippo
La société ne voudrait plus des inégalités, dites-vous, mais il y a toujours eu des inégalités, dans toute société humaine, et il y en aura toujours. La question n’est pas de savoir si l’on parvient, quels que soient les mérites et les efforts de chacun, à faire en sorte qu’aucune tête ne dépasse et que tout le monde ait la même chose, mais de savoir si l’on donne les mêmes chances de réussir à chacun de nos enfants. Est-ce que, dans notre République, dans une société de plus en plus individualiste, de plus en plus nombriliste, la réussite des uns profite encore suffisamment à tout le monde ?
M. Antoine Léaument
Vous êtes de droite !
M. Fabien Di Filippo
Voilà les questions qui auraient mérité d’être posées. Aujourd’hui, que vous le vouliez ou non, vous avez enfoncé un clou de plus dans le cercueil de notre modèle social. (« Oh là là ! » sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
M. Sébastien Delogu
Caricature de droite !
M. Fabien Di Filippo
Dans sa forme actuelle, héritée du XXe siècle, ce modèle est condamné, et vous y contribuez en intégrant les biens professionnels dans l’assiette de votre impôt.
M. Antoine Léaument
C’est qu’on a faim !
Mme Marie Mesmeur
Un Molière pour Di Filippo !
M. Fabien Di Filippo
Les personnes qui veulent investir, réinvestir, qui s’impliquent totalement dans leur société et créent de l’emploi n’auront, demain, plus aucun intérêt à le faire. Pensez notamment aux grandes sociétés, où il y a du capital…
Mme Marie Mesmeur
Il faudrait compter combien de fois M. Labaronne et vous avez employé ce mot dans la journée !
M. Fabien Di Filippo
Ne pensez pas que toute la richesse est produite uniquement par le travail ! L’économie de demain, la société de l’intelligence artificielle et des nouvelles technologies, demandera de plus en plus de capital – ce n’est pas moi qui le dis, c’est une vérité économique intangible. Vous prétendez obtenir une répartition plus égalitaire des richesses, mais ce que vous remettez en question, ce que vous menacez, c’est la capacité de la France à créer demain de l’emploi et de la richesse.
Je vais vous dire notre vrai point de divergence, qui explique ma tristesse et votre satisfaction par rapport au vote qui se profile. La politique, c’est la capacité à décider, non pas conformément à une idéologie – ce que vous faites –, mais en se préoccupant de l’incidence réelle des décisions sur le quotidien des citoyens.
M. Sébastien Delogu
Tout ça pour Bernard Arnault !
M. Fabien Di Filippo
Vous êtes-vous seulement projetés dans un an, dans deux ans,…
M. Damien Girard
Mais non, bien sûr !
M. Fabien Di Filippo
…pour vous demander ce que l’adoption de cette taxe changera réellement dans le quotidien des Français ? Eh bien, certains auront perdu leur emploi, certaines entreprises n’auront pas été créées,…
Mme Marie Mesmeur
Il y a en ce moment 290 plans de licenciement !
M. Fabien Di Filippo
…et le peu de recettes fiscales supplémentaires que vous aurez peut-être collecté la première année, qui n’équivaudra même pas au déficit de nos comptes sociaux, se transformera en malus dès la seconde année. (Exclamations sur les bancs du groupe EcoS.)
Mme Marie-Charlotte Garin
Pas du tout !
M. Fabien Di Filippo
Du fond du cœur, et en continuant à m’interroger sur sa constitutionnalité (Les députés des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR entament un compte à rebours, qui couvre bientôt les propos de l’orateur, pour annoncer la fin de son temps de parole), je souhaite, sans aucune volonté d’obstruction, que ce texte ne s’applique jamais. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et EPR ainsi que sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Vote sur l’article unique
Mme la présidente
Je mets aux voix l’article unique de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 186
Nombre de suffrages exprimés 155
Majorité absolue 78
Pour l’adoption 116
Contre 39
(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de loi.)
(Les députés des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR se lèvent et applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Eva Sas, rapporteure
Je voudrais commencer par remercier ma collègue Clémentine Autain, sans qui il n’y aurait ni texte ni victoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.) Merci également à tous les collègues qui ont voté cette proposition de loi par laquelle nous envoyons un message, bien au-delà de cet hémicycle, à tous les citoyens, voire au-delà de la France, au monde dans son ensemble. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
L’immunité fiscale des milliardaires, c’est terminé ! Ils doivent contribuer à l’effort collectif comme les autres. (Mêmes mouvements.) L’évasion fiscale pratiquée par les ultrariches n’est plus acceptable. Voilà ce que nous avons affirmé ce soir.
Cette victoire, c’est celle de la société civile, des milliers de citoyens qui sont mobilisés depuis des années en faveur de la justice fiscale et de la réduction des inégalités ; c’est aussi celle des économistes comme Gabriel Zucman, Anne-Laure Delatte, Lucas Chancel, qui ont contribué à ce texte. Merci aux ONG, aux activistes, à Camille Étienne par exemple, qui nous ont soutenus. (Mêmes mouvements.)
Merci aux équipes de l’Assemblée, à l’administratrice de la commission, à mon équipe et à celle de Clémentine Autain : Marie Niquet, Martin Hilsum, Romane Paris, vous êtes autant que nous les auteurs de ce texte. Merci enfin au groupe Écologiste, qui a inscrit cette proposition de loi à l’ordre du jour, et aux députés du Nouveau Front populaire, qui se sont mobilisés en masse aujourd’hui pour la justice fiscale.
La lutte pour la justice fiscale continue, nous ne lâcherons rien ! (Mêmes mouvements.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
J’ai été très heureuse de retrouver, ce soir, un Parlement qui a débattu sur le fond. (« Ah ! » sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.) Nous avons eu des débats de qualité, et je tiens à remercier le député Di Filippo qui, par ses nombreux amendements, a mis beaucoup de sujets sur la table, nous amenant à argumenter.
M. Alexis Corbière
C’est L’École des fans ! On s’aime tous !
Mme Eva Sas, rapporteure
Dans ces conditions, c’est un honneur pour les parlementaires de montrer à nos concitoyens et à notre pays qu’ils sont capables de débattre et d’avoir des désaccords de manière démocratique et organisée.
Mme Sabrina Sebaihi
Sans 49.3, ça marche !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
À l’issue de ce premier débat que j’ai eu avec vous en tant que ministre chargée des comptes publics, je tenais à vous dire deux choses. D’abord, vous connaissez l’opposition du gouvernement au mécanisme qui a été proposé ce soir.
Mme Clémentine Autain et M. Nicolas Sansu
Et adopté !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Et adopté, en effet, par cette assemblée. Le gouvernement souhaite effectivement lutter contre le contournement de l’impôt. À cet égard, il s’est fixé trois objectifs : premièrement, assurer la stabilité fiscale ; deuxièmement,…
M. Inaki Echaniz
Démissionner !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…encourager l’innovation, l’entrepreneuriat et l’investissement, ce qui fait que nous écartons toute logique confiscatoire ; troisièmement, avoir un cadre européen et un cadre international où nous ne soyons pas isolés.
Je veux dire ensuite avec un peu de gravité que ces trois objectifs, nous les poursuivons dans un monde instable, qui exigera de notre part un engagement particulier dans nos dépenses de défense, de souveraineté, de transition écologique et climatique, au prix, potentiellement, de choix très difficiles, puisque c’est notre existence en tant que nation et en tant qu’Européens qui est désormais remise en question.
Mme Sabrina Sebaihi
Avec ce texte, on vous aide !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Dans ce monde, nous avons besoin d’efficacité fiscale. Le premier ministre a donc pris l’engagement d’entamer des travaux pour trouver la manière de lutter contre le contournement fiscal. Je vous donne donc rendez-vous en mai, après que le gouvernement aura conduit une consultation que nous voulons sérieuse et authentique,…
M. Inaki Echaniz
Pour démissionner !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…pour vous présenter nos solutions, qui devront respecter ces trois objectifs : la stabilité fiscale, le soutien à l’investissement et l’inscription dans un cadre européen. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR, Dem et HOR.)
2. Sécurité sociale de l’alimentation
Discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Charles Fournier et plusieurs de ses collègues d’expérimentation vers l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation (nos 386, 932).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à M. Charles Fournier, rapporteur de la commission des affaires économiques.
M. Charles Fournier, rapporteur de la commission des affaires économiques
Je remercie notre collègue Fabien Di Filippo de m’avoir laissé vingt-cinq minutes pour présenter ce texte, d’avoir occupé à lui seul les bancs de la Droite républicaine et d’avoir fait durer les débats, parfois avec des interventions intéressantes et non sans humour. Il y a une reconversion possible dans le théâtre. D’autre part, j’avais à l’esprit la création d’une carte alimentaire universelle, mais l’examen du précédent texte m’a fait douter de la nécessité de son caractère universel…
Au-delà de ces plaisanteries, je suis particulièrement fier de vous présenter ce texte, car il résulte de l’intelligence collective de citoyens, d’entreprises et d’associations, notamment le Collectif pour une sécurité sociale de l’alimentation, qui a inventé cette belle idée en 2019 et la fait vivre depuis dans les territoires. Certains de ses membres sont encore présents dans les tribunes ; je les remercie d’avoir été là toute la journée – ils ont dû la trouver très longue – et je les salue. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et GDR.) Ils attendaient beaucoup de ce texte, qui a été adopté en commission, mais qui ne le sera pas ce soir en séance.
Je souhaitais un beau débat et je regrette qu’il n’y en ait pas vraiment. Je suis néanmoins fier que ce texte ait été adopté en commission. Merci à ceux qui l’ont soutenu.
Nous sommes dans une situation particulièrement préoccupante, marquée par trois injustices. Premièrement, il y a la précarité alimentaire : un Français sur six ne mange pas à sa faim, et 37 % des Français déclarent avoir eu recours à l’aide alimentaire à un moment dans leur vie.
Deuxièmement, à cette difficulté d’accès à l’alimentation s’ajoute l’absence de démocratie alimentaire. Personne ne sait précisément ce qu’il a dans son assiette, ni comment les aliments ont été fabriqués, ni comment ils y sont arrivés. De la fourche à la fourchette, nous avons perdu la main. La démocratie alimentaire est en panne.
Troisièmement, nos agriculteurs n’ont pas de revenus dignes : un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. La loi d’orientation agricole n’y aura apporté aucune réponse. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.)
La proposition de loi essaie de répondre à ces trois injustices. Elle reprend la très belle idée qu’est la sécurité sociale et propose de l’étendre à l’alimentation, sujet d’une importance capitale dans nos vies.
Pendant les débats, on m’a beaucoup dit que l’alimentation ne constituait pas un risque. Mais c’est aussi le cas de la vieillesse ou de la maternité ; la perte d’emploi, quant à elle, est évidemment un risque. Au demeurant, la sécurité sociale a été conçue pour nous protéger d’injustices et créer de l’égalité. En l’occurrence, quand on ne mange pas à sa faim, que l’on saute un ou plusieurs repas, c’est une injustice, et il faut nous en protéger.
Quand on ne sait pas ce que nos assiettes contiennent et que cela entraîne des dépenses de santé inconsidérées – la malbouffe coûterait à l’État 19 milliards d’euros, dont 12 milliards de dépenses directes –, il y a lieu d’inventer de nouvelles solutions.
La réparation a été jusqu’à présent notre principale réponse. Pour la précarité alimentaire, elle passe par les aides alimentaires, qui représentent un coût important dans notre pays. Je salue le travail de celles et ceux qui distribuent cette aide et accompagnent ses bénéficiaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et GDR.) Mais eux-mêmes savent qu’elle n’est pas une solution.
Excusez-moi, j’ai perdu le fil.
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est un hommage au premier ministre ! (Sourires.)
M. Charles Fournier, rapporteur
Oui, ça doit être ça !
Les injustices liées à l’alimentation génèrent un ensemble de dépenses pour notre pays : dépenses de santé, aides alimentaires, dépenses de dépollution, coûts liés à un système agroalimentaire en panne.
La sécurité sociale de l’alimentation apporterait des réponses. Des expérimentations ont lieu partout dans notre pays. D’abord, à Montpellier, pionnière en la matière. Je salue ses représentants présents dans les tribunes : une citoyenne qui a témoigné de la façon dont elle s’est réapproprié son alimentation ainsi que des élus montpelliérains qui ont soutenu cette expérimentation. Bravo ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et GDR.)
Je salue également l’élue de Paris, encore présente à cette heure tardive. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.)
M. Fabien Di Filippo
Elle n’habite pas loin !
M. Charles Fournier, rapporteur
Je salue aussi, venu de Lyon, un des pionniers du réseau Vrac et de la sécurité sociale de l’alimentation. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.) Mais on compte également des expérimentations dans des territoires ruraux comme Dieulefit ou Cadenet. Bravo !
Mme Andrée Taurinya
Et à Saint-Étienne !
M. Charles Fournier, rapporteur
Cette proposition de loi ne vise pas l’instauration immédiate d’une sécurité sociale de l’alimentation. J’ai entendu vos critiques : cela coûterait trop cher ; pourquoi la rendre universelle ; pourquoi Bernard Arnault bénéficierait-il de 150 euros mensuels pour se nourrir alors qu’il a les moyens nécessaires… Ce sont exactement les mêmes critiques qu’en 1945 lors de la création de la sécurité sociale. La situation budgétaire de la France était alors catastrophique, et c’est justement parce qu’elle l’était et que les conditions étaient dramatiques qu’il fallait des réponses structurantes, et non de simples pansements. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et GDR.)
Avec ce texte, je voulais inscrire dans la loi les principes d’une sécurité sociale de l’alimentation. D’abord, son universalité, pour apporter une réponse à tout le monde en fonction de ses besoins et de ses moyens. Chacun devrait payer à la hauteur de ce qu’il peut apporter. Ensuite, sa dimension démocratique, par la création de caisses locales de l’alimentation pour mettre en œuvre les décisions majeures dans les territoires, pour décider du conventionnement des produits que nous mangeons et pour reprendre la main sur la distribution de ces produits – en un mot, pour reprendre la main sur notre alimentation. Enfin, un principe de solidarité par la cotisation, qui pourrait s’appliquer non seulement aux revenus du travail, je l’ai dit, mais aussi à ceux du capital ; ce serait une voie intéressante pour trouver un équilibre.
M. Daniel Labaronne
Évidemment, car il n’y a plus d’argent !
M. Charles Fournier, rapporteur
Si, si ! Il y a moyen d’en trouver pour l’alimentation. D’ailleurs, ces dépenses existent déjà : il s’agit de les mettre au service de la solidarité.
Ce texte constitue une première étape, qui passe notamment par la création d’un fonds national d’expérimentation. Vous avez déjà pris une mesure analogue en soutenant, à deux reprises, le projet Territoires zéro chômeur de longue durée. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.) Pourquoi ne pas le faire, grâce à cette loi d’expérimentation, pour la sécurité sociale de l’alimentation ?
On m’a rétorqué que cela coûterait très cher. D’après mes calculs, qui s’appuient sur la trentaine d’expérimentations en cours en France, cela coûterait au maximum 35 millions d’euros. Ce n’est pas avec cette somme que nous ruinerons la France ! Si on la rapporte aux 19 milliards annuels de dépenses de santé, au 1,5 milliard consacré chaque année à l’aide alimentaire et aux centaines de milliards mobilisées pour soutenir notre économie et notre agriculture, on comprend qu’il existe une marge de progression.
Ce texte aurait été un premier pas vers la consécration d’un droit à l’alimentation. Une proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’alimentation a été déposée au Sénat. Mon collègue Boris Tavernier est l’auteur d’une proposition de résolution visant à la reconnaissance du droit à l’alimentation et à l’adoption d’une loi-cadre pour le droit à l’alimentation. Ce droit existe au niveau international : il est inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et a été consacré, en avril 2020, dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Le droit à l’alimentation n’est pas, comme j’ai pu l’entendre, le droit de manger gratos ! Il s’agit de reprendre la main sur notre alimentation, notamment sur sa distribution et son accessibilité. Enfin, l’alimentation doit être saine et répondre aux besoins de chacune et chacun. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et GDR.)
Or le droit à l’alimentation n’existe pas dans nos textes juridiques. Nous voulions commencer à le consacrer dans le droit français.
Malheureusement, l’examen de cette proposition de loi n’ira guère plus loin que mon intervention et celle du ministre, mais nous y reviendrons, car nous tenons là une réponse systémique, qui traite tous les sujets que j’ai évoqués.
M. Alexis Corbière
Oui, une bonne réponse !
M. Charles Fournier, rapporteur
Au moment de conclure, me reviennent ces mots de Jean Jaurès : « Je trouve douloureux que nous reprochions aux siècles passés les famines qui venaient de la pauvreté, de la misère, quand dans l’abondance et dans la puissance des moyens de production d’aujourd’hui, nous ne pouvons pas toujours, nous ne savons pas, ou nous ne voulons pas épargner aux hommes ces dures épreuves. »
M. Alexis Corbière
Vive Jaurès !
M. Charles Fournier, rapporteur
Telle est la réponse actuelle : nous n’aidons pas bon nombre de nos concitoyens qui ne mangent pas à leur faim, qui ne maîtrisent pas leur alimentation et qui peuvent tomber malades à cause de ce qu’ils mangent.
Je vous invite à vous intéresser à ce qui se passe dans toutes les expérimentations menées sur notre territoire et aux propositions que nous formulons. J’espère que nous y reviendrons et que nous pourrons soutenir ces expérimentations. Bravo à ceux qui les ont promues et menées au stade qu’elles ont atteint ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et GDR.)
M. Alexis Corbière
Bravo ! Passons au vote !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
On sait depuis l’Antiquité que l’alimentation est un élément central d’une vie en bonne santé. Hippocrate déclarait : « Que ton aliment soit ta première médecine. » Cela me semble correspondre à l’esprit de ce texte. Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour la qualité des discussions que vous avez eues avec les membres de mon cabinet. Je ne suis pas favorable à ce texte, mais nous avons intérêt à encourager le bien manger auprès de la population. Il me semble que c’est le message que vous entendez délivrer avec votre texte.
Parmi les éléments essentiels du texte, je relève la garantie pour chacun de l’accès à une alimentation saine, durable et de qualité et l’intention de mener des politiques publiques ambitieuses pour améliorer la prévention et favoriser l’acquisition de bons réflexes alimentaires dès le plus jeune âge.
Nous avons senti votre volonté d’embarquer l’ensemble des acteurs, notamment le monde éducatif et les élus locaux. Je rappellerai un certain nombre d’initiatives locales existantes.
Lorsque l’alimentation est mauvaise, parce qu’excessive ou insuffisante, parce que trop grasse, trop salée ou trop sucrée, parce que trop peu diversifiée et provoquant des carences, cela entraîne de mauvais développements, car l’organisme est alors privé d’éléments essentiels pour lui.
La mauvaise alimentation contribue à la genèse d’un éventail de maladies chroniques. Il y a tout d’abord l’obésité, dont vous êtes nombreux à vous préoccuper. L’Organisation mondiale de la santé l’a qualifiée en 1997 de « première épidémie non infectieuse de l’histoire de l’humanité ». Elle progresse de façon très inquiétante en France : elle concerne désormais 17 % de nos concitoyens, soit un doublement en trente ans. Les enfants ne sont pas épargnés : 20 % d’entre eux sont en surpoids, plus de 5 % étant obèses.
La mauvaise alimentation, associée à l’absence d’activité physique et à des carences, fait le lit du cholestérol, du diabète de type 2, de nombreux troubles respiratoires et, surtout, de troubles métaboliques et de maladies cardiovasculaires, telles que les accidents vasculaires cérébraux, l’hypertension artérielle ou les infarctus. Ce sont des maladies graves, qui méritent d’être évoquées.
Ces maladies liées à une mauvaise alimentation sont en outre un marqueur des inégalités sociales en matière de santé. Pour nombre de ces pathologies, les facteurs génétiques se combinent aux modes de vie et à des déterminants socioprofessionnels. L’obésité est deux fois plus fréquente chez les ouvriers et les employés que chez les cadres. On constate un gradient social profond, qui a des conséquences générationnelles, puisque la surcharge pondérale touche majoritairement les enfants les plus défavorisés.
On observe également un phénomène similaire pour le diabète de type 2, dont la prévalence est plus élevée parmi les adultes de milieux socio-économiques défavorisés.
Si j’ai pris le temps de détailler ces éléments, c’est que je suis, comme vous, convaincu que la nutrition et l’alimentation doivent trouver une place centrale dans les politiques de solidarité et de santé publique.
Ces politiques doivent être ciblées, particulièrement sur la jeunesse, qui doit acquérir les bons réflexes d’une alimentation saine. Elles doivent également être territorialisées : les difficultés n’étant pas identiques partout sur le territoire, elles ne peuvent pas être combattues de la même manière.
De nombreuses actions sont menées, et je ne pourrai pas toutes les citer. Je rappelle que le projet de loi de finances pour 2025 prévoit de consacrer 147 millions d’euros à l’aide alimentaire et que les dons versés aux structures qui œuvrent dans ce domaine bénéficient d’une dépense fiscale de 400 millions au total.
Parmi les initiatives locales, citons le dispositif Cantine à 1 euro et les projets alimentaires territoriaux (PAT), qui rassemblent collectivités territoriales, agriculteurs et diverses structures. Ainsi, le PAT du département de l’Isère fournit efficacement les cantines de plusieurs collèges. (Mme Cyrielle Chatelain applaudit.) Je vois que Mme Chatelain est sensible à l’évocation de son département ! (Sourires sur les bancs du groupe EcoS.)
M. Charles Fournier, rapporteur
Pas seulement !
M. Yannick Neuder, ministre
Une quarantaine d’initiatives locales ont été dénombrées. Or c’est de leur philosophie qu’il faut s’inspirer, car elles permettent de défendre une alimentation de qualité et de contribuer à la prévention des maladies métaboliques et cardiovasculaires. Il faut donc les aider et les faire prospérer, mais la complexité de votre proposition de loi m’a paru telle que j’ai peiné à imaginer son application pragmatique.
J’ai pris le temps d’étudier en détail l’architecture du dispositif que vous proposez. Il repose sur des caisses primaires pour l’alimentation et sur un fonds national piloté par une association ad hoc – la composition de son conseil d’administration est définie par un décret en Conseil d’État. Pour chaque expérimentation, les parties prenantes élisent un parlement alimentaire, qui désigne un comité local d’animation.
À un moment où l’on parle de simplification, je m’étonne que l’on veuille créer autant de strates,…
M. Charles Fournier, rapporteur
C’est la sécurité sociale, tout de même ! (Sourires.)
M. Yannick Neuder, ministre
…au risque d’une certaine lourdeur administrative et d’une rigidification des initiatives locales. Pour ma part, je suis plutôt favorable à un soutien aux initiatives locales.
Monsieur le rapporteur, vous soulevez un problème, qui nécessite des discussions. L’alimentation est l’affaire de tous et ses enjeux sont sociétaux et médicaux – une bonne alimentation contribue à la prévention de certaines maladies. Les mesures que vous proposez sont techniquement complexes, pour le dire avec élégance,…
M. Charles Fournier, rapporteur
Ou pas !
M. Yannick Neuder, ministre
…et financièrement peu soutenables.
La porte de mon ministère reste ouverte. Mes collaborateurs, eux aussi convaincus de l’intérêt d’une meilleure alimentation, ont pris plaisir à travailler avec vous,…
M. Charles Fournier, rapporteur
Il faut dire que je suis sympa !
M. Yannick Neuder, ministre
…et vous pourriez poursuivre le travail engagé, pour préparer des mesures que nous pourrions défendre ensemble.
Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, je ne soutiendrai pas votre texte, bien qu’il aborde l’enjeu fondamental de la bonne alimentation dans notre pays, particulièrement pour les jeunes et pour les plus précaires. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et Dem.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à M. Boris Tavernier.
Mme Sabrina Sebaihi
Pour le dessert !
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est la cerise sur le gâteau !
M. Boris Tavernier
« À un moment de ma vie, j’ai pu manger très convenablement, avec du bio et du local. Je travaillais en tant qu’aide à la personne, et mon mari comme électricien. Mais ça, c’était avant qu’il tombe malade, qu’il ne puisse plus travailler, et qu’à mon tour, je doive m’arrêter pour m’occuper de lui. On a beaucoup perdu en revenus, il fallait faire des choix. J’ai sauté des repas pour que mes enfants puissent manger – je préférais me priver moi, plutôt que de priver mes enfants. J’avais mon tableau Excel pour les courses. Et comme on mangeait moins de qualité, l’état de santé de mon mari se dégradait, son diabète explosait. Alors, quand j’ai appris pour la caisse alimentaire, on a sauté le pas. On s’est dit : Pourquoi pas ? »
Mme Dominique Voynet
M. Di Filippo s’en va !
M. Boris Tavernier
Vous venez d’entendre le témoignage de Jessica, 42 ans. Désormais autoentrepreneure, elle habite dans le 8e arrondissement de Lyon.
« Mon cousin a repris une exploitation. Il fait du poulet de batterie, alors que dans la famille, on était plutôt en polyculture. Mais s’installer, c’est difficile : pour avoir le prêt de la banque, il a dû se lier à l’industrie. Aujourd’hui, les agriculteurs ne sont plus libres. Moi, c’est un choix agricole qui m’amène là. »
Ce sont les propos de Clémence, 32 ans. Ingénieure, elle habite elle aussi dans le 8e arrondissement de Lyon.
« Je n’ai pas de difficulté à m’alimenter. Par contre, je suis sensibilisée à faire la bouffe. On cuisine beaucoup à la maison. Moi qui habite dans un quartier prioritaire, dans le 8e, on apprend, quand on va à l’école, que des gamins arrivent le ventre vide. On constate aussi la malbouffe ambiante, même sur le corps des enfants. Alors, quand j’ai vu cette expérimentation, avec mon conjoint, on s’est dit : Ça, c’est un truc qui nous parle ; ça, c’est du concret ! »
Voilà ce que dit Delphine, 51 ans. Elle est cadre et associée dans une entreprise.
« J’étais infirmière, mais j’ai fait un burn-out. J’ai été mise en arrêt maladie, je ne touchais plus que 1 100 euros. Sans m’en rendre compte, je me suis mise à faire des choses que je ne faisais pas : à regarder des catalogues, à aller à Lidl, à diviser mes courses en plusieurs magasins. Quand j’ai vu l’affiche de l’expérimentation, au début, j’ai hésité : je me suis dit que c’était pour les gens plus pauvres. Mais finalement, non, c’est pour tout le monde ! »
Ce sont les mots de Marie, 29 ans, qui reprendra le travail le mois prochain.
Jessica, Clémence, Delphine, Marie… On aurait pu citer aussi Naïma, Guillaume, Pierrette ou Oumi. Ils étaient presque voisins, mais ne se connaissaient pas. Ils ont des parcours de vie différents : pour certains, le quotidien, c’est la galère, la vraie ; pour d’autres, moins.
Ils ne se connaissaient pas, et pourtant, depuis plusieurs mois, ils sont devenus les pionniers et les pionnières d’une magnifique idée. Avec d’autres, dans d’autres villes et d’autres villages, ils s’organisent et bâtissent. Ils expérimentent les bases d’une sécurité sociale de l’alimentation.
Pour faire court, la sécu de l’alimentation, c’est la France, la belle, la grande. C’est l’union d’une institution héritée des luttes ouvrières passées, la sécu, et d’un plaisir populaire français, se retrouver pour manger.
De cette union découle une façon de faire, la reprise en main démocratique de notre assiette et une promesse pour l’avenir : le droit à l’alimentation. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS. – MM. Dominique Potier et Marcellin Nadeau applaudissent également.) Oui, on devrait avoir le droit de bien manger, comme on a droit à la santé.
La sécu de l’alimentation sera, demain, notre fierté nationale. Comme de nombreux territoires, osons l’expérimenter ! Que ce soit en ville ou à la campagne, des citoyens et des citoyennes, inspirés par cet horizon, s’organisent pour relever un défi : comment bien se nourrir sans appauvrir ceux qui nous nourrissent ? Ils transforment une question, celle de l’accès à l’alimentation, trop souvent formulée en des termes individuels, en une question collective, qui doit donc nécessairement être résolue de manière démocratique.
Dès lors, les solutions foisonnent : ils montent des caisses d’alimentation, construisent des caisses d’investissement, se rendent dans des fermes à la rencontre de paysans, échangent avec des commerçants, des artisans ou des chercheurs, se rencontrent et réfléchissent, se forment et forment leurs voisins. Et, surtout, ils décident.
Oui, l’enjeu est bien de pouvoir décider de son alimentation. Ces citoyens décident ensemble ce qu’il faut ou non conventionner. Ils décident ensemble du niveau de cotisation. Ils décident ensemble des modalités d’expérimentation. En bref, ils redeviennent souverains.
Ils ne sont pas les seuls. Grâce à ces expérimentations, ce sont là-bas des paysans qui voient arriver une nouvelle clientèle, soucieuse et respectueuse de leurs conditions de travail. Ce sont ici des commerçants – des boulangers ou des bouchers – qui retrouvent dans leurs magasins de quartier des clients que l’inflation avait chassés.
Ces expérimentations ne font que des gagnants. Commençons par les paysans. Thibault, maraîcher, a repris une exploitation dans la Drôme. Conventionné par la caisse de Lyon, il m’a livré un premier bilan : « La vocation sociale m’attirait, mais je ne voulais pas que ça m’ajoute de la charge de travail. Et ce n’est pas le cas, c’est que du bon. Il n’y a pas une tonne de papiers à signer. Surtout, ça va dans le sens du renouvellement des générations. »
De tels projets transforment le territoire et améliorent le quotidien. Ils transforment aussi les participants. Jessica, que j’ai déjà citée, m’a confié : « On n’est pas dans la charité. Avant, j’avais toujours cette impression que ce n’était pas pour moi. Mais là, non, parce que je mets ma pierre à l’édifice. »
Guillaume, un facteur de 36 ans, m’a expliqué : « La montée en compétences du groupe, c’est fou ! Des fois, on se retrouve pour défendre des trucs, mais là, on se retrouve pour créer quelque chose ! »
Et dans quel but, en définitive ? Celui de mieux manger, mais pas seulement. Marie, l’infirmière, le résume par ces mots : « reprendre notre pouvoir de citoyens ». Elle ne dit pas autre chose que Nicolas, 41 ans, agriculteur conventionné d’un Gaec (groupement agricole d’exploitation en commun) des monts du Lyonnais, qui explique : « C’est super, c’est un projet de société qui peut résoudre pas mal de problématiques et participe à une démocratie plus directe. »
Certaines de ces expérimentations, de ces aventures humaines inspirées de la sécu de l’alimentation, existent déjà. Elles tiennent par la sueur. Elles tiennent par le travail. Elles tiennent par l’engagement. Elles tiennent par la joie de salariés, de bénévoles, de participants. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et LFI-NFP. – M. Dominique Potier applaudit également.)
Mais elles ont besoin de changer d’échelle sans être dénaturées. Elles ont besoin d’être multipliées sans être clonées. Elles ont besoin d’être soutenues sans être dévitalisées. Elles ont besoin d’émerger sans se concurrencer.
La proposition de loi que nous étudions tente de concilier ces exigences en leur donnant des moyens, un cadre adapté, une légitimité accrue.
Soyons à la hauteur ! Donner du pouvoir à nos concitoyens, oser leur faire confiance, ne pas vouloir systématiquement décider à leur place : voilà ce à quoi nous invitent ces expérimentations. Voilà le pari que le groupe Écologiste et social vous propose de tenir en soutenant ce texte. (Les députés des groupes EcoS et LFI-NFP ainsi que M. Dominique Potier se lèvent et applaudissent. – M. Marcellin Nadeau applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Martineau.
M. Éric Martineau
On sait que 16 % des Français ne mangent pas à leur faim et que 55 % de nos concitoyens affirment avoir déjà renoncé à acheter des produits alimentaires, par manque de moyens. Les chiffres parlent d’eux-mêmes et nous ne pouvons pas les ignorer.
Certains de nos concitoyens font face à de sérieuses difficultés pour accéder à une alimentation saine, durable et suffisante. Aussi le groupe Les Démocrates salue-t-il le travail que vous menez sur ce sujet et vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir ouvert le débat au sein de notre hémicycle.
Votre proposition de loi tend à créer une sécurité sociale de l’alimentation, dans le cadre d’une expérimentation de cinq ans. L’idée est de permettre à toute personne cotisant à une caisse primaire pour l’alimentation de bénéficier d’une somme lui permettant d’acheter des produits alimentaires conventionnés. Financièrement, ce dispositif repose sur des cotisations volontaires et sur des crédits publics.
Les députés du groupe Les Démocrates partagent votre volonté de permettre l’accès de tous à une alimentation saine et durable, une rémunération correcte pour les agriculteurs et le renforcement du lien local entre consommation et production. Toutefois, nous sommes très réservés quant au cadre, financier notamment, que vous proposez. Et les débats menés en commission, je dois le dire, n’ont pas permis de lever nos craintes.
D’abord, nous avons listé les différents dispositifs qui existent déjà pour accompagner nos concitoyens vers l’accès à une alimentation saine et durable. Citons entre autres : le Comité national de coordination de la lutte contre la précarité alimentaire, créé il y a seulement cinq ans ; le programme national pour l’alimentation ; le programme Mieux manger pour tous, qui vise à soutenir des expérimentations comme les chèques alimentaires et à améliorer la couverture des zones blanches de l’aide alimentaire ; les 451 PAT, qui couvrent 60 % de la surface agricole utile. Rappelons aussi que, dès l’adoption de la loi Egalim, nous avons renforcé l’aide à la tarification sociale des cantines rurales, pour qu’elles puissent proposer des repas à moins de 1 euro.
Avant de créer un énième mécanisme, il importe d’évaluer ces dispositifs, de mener une réflexion d’envergure sur leur avenir et d’identifier des pistes d’amélioration.
Nous regrettons en outre le manque d’évaluation financière du dispositif que vous proposez. Pour rendre effective votre proposition de loi, vous entendez créer un fonds national d’expérimentation, chargé de financer les caisses primaires et les moyens humains nécessaires à l’administration des activités de l’association à laquelle serait confiée la gestion de ce fonds.
Vous indiquez également que la sécurité sociale de l’alimentation s’appuierait sur les cotisations des participants et sur le soutien financier des collectivités locales. Autrement dit, vous créeriez une charge. Or je n’ai pas trouvé trace d’une quelconque audition des collectivités à propos de ce dispositif. Nous ignorons donc comment elles appréhendent cette dépense supplémentaire.
L’absence de travail concerté avec les collectivités est regrettable, d’autant que votre philosophie, avec ce texte, est de valoriser une action résolument locale, qui fait l’objet d’une convention entre producteurs, distributeurs et consommateurs.
D’autre part, je ne comprends pas pourquoi on a supprimé l’article 5,…
M. Charles Fournier, rapporteur
Moi non plus ! Je suis bien d’accord avec vous !
M. Éric Martineau
…qui prévoyait de gager les coûts de l’expérimentation sur une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs.
Je termine par une remarque de forme. Vous employez les termes « sécurité sociale » dans le titre de votre proposition de loi. La sécurité sociale que vous proposez vise en effet à assurer un risque, couvert par une cotisation. Or, en matière d’alimentation, il ne s’agit pas d’assurer un risque. L’expression « sécurité sociale » est donc inappropriée. Vous cherchez plutôt à instaurer une redistribution monétaire.
Dans le contexte budgétaire difficile que nous connaissons et qui nous appelle à faire preuve de responsabilité collective, le groupe Les Démocrates ne soutiendra pas la proposition de loi, en raison de son coût financier considérable et du manque d’évaluation des dispositifs existants.
Mme Danielle Simonnet
Quel dommage !
M. Éric Martineau
Nous serons néanmoins heureux de travailler avec vous à ce sujet. (Mmes Sophie Mette et Anne-Cécile Violland applaudissent.)
Mme la présidente
La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.
3. Ordre du jour de la prochaine séance
Mme la présidente
Prochaine séance, lundi 3 mars, à dix-sept heures :
Sous réserve des décisions de la conférence des présidents, déclaration du gouvernement sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe, suivie d’un débat, en application de l’article 50-1 de la Constitution.
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra