Deuxième séance du mardi 01 avril 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Questions au gouvernement
- Condamnation de Mme Marine Le Pen
- Ralentissement économique
- Condamnation de Mme Marine Le Pen
- Condamnation de Mme Marine Le Pen
- Effacement des pénalités fiscales du groupe Vivendi
- Relations avec les États-Unis
- Condamnation de Mme Marine Le Pen
- Politique énergétique
- Relations avec l’Algérie
- Condamnation de Mme Marine Le Pen
- Condamnation de Mme Marine Le Pen
- Services d’urgences hospitaliers
- Criminalité en Corse
- Projet de loi de simplification de la vie économique
- Situation au Proche-Orient
- Condamnation de Mme Marine Le Pen
- Définition du consentement
- 2. Sortir la France du piège du narcotrafic - Statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée
- 3. Mettre fin à la culpabilisation des victimes de violences physiques et sexuelles
- 4. Définition pénale du viol et des agressions sexuelles
- Présentation
- Mme Véronique Riotton, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
- M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
- Discussion générale
- Présentation
- 5. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Questions au gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au gouvernement.
Condamnation de Mme Marine Le Pen
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.
M. Jean-Philippe Tanguy
Le général de Gaulle (Exclamations sur divers bancs) l’avait dit : en France, la seule et unique cour suprême, c’est le peuple ! Hélas, en vérité, jamais l’oligarchie n’a accepté que le peuple décide ni ne vote. Le système ne respecte que les urnes qui confortent son pouvoir mais renie les suffrages qui lui déplaisent. Un quarteron de procureurs et de juges prétend à présent sortir du droit pour exercer la vendetta du système contre son seul opposant, le Rassemblement national (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes RN et UDR. – Vives protestations sur les bancs des groupes EPR, SOC, EcoS et Dem), et contre sa principale incarnation, Marine Le Pen. (Brouhaha.)
M. François Cormier-Bouligeon
Rends l’argent !
M. Jean-Philippe Tanguy
Il y a des tyrannies qui enferment leurs opposants, il y a désormais des juges tyrans (Le brouhaha s’amplifie. – L’orateur s’exprime d’une voix forte)…
M. Erwan Balanant
N’insultez pas les juges de ce pays !
M. Jean-Philippe Tanguy
…qui exécutent l’État de droit en place publique ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – Le brouhaha persiste.) Ces magistrats, en appliquant l’esprit d’une loi postérieure aux faits qui lui sont reprochés, refusent à Marine Le Pen le droit effectif d’appel et la présomption d’innocence qu’il confère. Ils lui refusent le droit d’être candidate ! (Le brouhaha s’intensifie en un vacarme qui couvre la voix de l’orateur.)
Mme la présidente
Un peu de silence, s’il vous plaît !
M. Jean-Philippe Tanguy
Ces magistrats criminalisent le droit à la défense en aggravant la peine de Marine Le Pen, dont le seul tort est d’avoir voulu faire valoir son innocence !
Mme Dieynaba Diop
C’est vous qui réclamez une justice exemplaire !
M. Jean-Philippe Tanguy
Ces magistrats ont laissé envoyer hier, à toute la presse parisienne et à nos adversaires, le jugement que nos avocats n’ont eu que ce matin ! Ces magistrats avouent, dans ce jugement, que la candidature, que l’élection de Marine Le Pen constituerait un trouble à l’ordre public ! Ces magistrats appliquent finalement la promesse du Syndicat de la magistrature : faire barrage à Marine Le Pen par tous les moyens, les pires des moyens ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Jérémie Iordanoff
Ces propos sont honteux !
M. Jean-Philippe Tanguy
Le groupe Rassemblement national ne vous laissera pas voler l’élection présidentielle comme vous avez volé des dizaines de sièges lors des dernières législatives ! (Mêmes mouvements. – M. Matthias Tavel rit.)
Mme Dieynaba Diop, M. Olivier Faure et M. Jérémie Iordanoff
Non, c’est vous !
M. Jean-Philippe Tanguy
Aucun de nos députés ne laissera diffamer celle qui incarne l’espérance du peuple de France ! De quoi est accusée Marine Le Pen,…
M. Roland Lescure
D’avoir détourné 4 millions d’euros !
M. Jean-Philippe Tanguy
…sinon de sa capacité à vaincre ce système ? (Les députés des groupes RN et UDR se lèvent et applaudissent longuement.)
Mme Dieynaba Diop
Rendez l’argent !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
Une décision de justice importante a été rendue hier. Elle concerne Mme la présidente Le Pen, comme de nombreux membres du Rassemblement national.
Un député du groupe RN
C’est une farce !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Dans cette affaire, les personnes qui le voudraient ont dix jours pour interjeter appel. Cet appel est de droit : tout citoyen doit pouvoir exercer son droit au recours, afin d’être jugé par une cour d’appel.
Mme Laure Lavalette
Il y a un problème !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Si Mme Le Pen décidait d’interjeter appel, je souhaite, à titre personnel, que l’audience d’appel puisse être organisée dans le délai le plus raisonnable possible, conformément à l’esprit de sa démarche. (Exclamations sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
Mme Brigitte Barèges
Très bien !
Mme Sophia Chikirou
Darmanin à la rescousse !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Il appartiendra à la cour d’appel de Paris, parfaitement indépendante, de fixer la date de cet appel.
Monsieur le député, votre intervention m’a semblé contenir deux erreurs – pardonnez-moi si je n’ai pas bien entendu dans le brouhaha. La première, c’est que nous n’avons volé aucun siège de député ! (M. Guillaume Garot acquiesce. – « Oh si ! » et protestations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Emeric Salmon
Ce n’est pas ce que pensent les Français !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Nous avons tous été élus au suffrage universel direct que vous réclamez ; nous sommes des parlementaires égaux ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.) C’est ainsi : le scrutin législatif comporte deux tours ; aucun citoyen n’a été forcé de voter pour aucun des députés ici présents.
Deuxième erreur : vous avez sans doute oublié d’apporter votre soutien aux magistrats menacés depuis hier… (Les députés des groupes EPR, LFI-NFP, SOC, EcoS, Dem, HOR, LIOT et GDR se lèvent et applaudissent, rejoints ensuite par ceux du groupe DR.)
M. Jean-Philippe Tanguy
Je l’ai fait !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
En démocratie, il est inacceptable que des personnes puissent menacer physiquement des magistrats. Il me semble que lorsque l’on réclame un État de droit, cette réclamation ne peut souffrir aucune exception parmi les magistrats libres et indépendants de ce pays. (Mme Christine Pirès Beaune applaudit. – Protestations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
Ralentissement économique
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-François Rousset.
M. Jean-François Rousset
La Banque de France prévoit que la croissance française subira un sérieux coup de frein en 2025, avec une révision à la baisse du PIB de 0,2 point. La France devrait surpasser l’Allemagne sur le plan économique, mais elle resterait derrière l’Italie. Le contexte européen est manifestement contrasté. Ce ralentissement s’accompagne d’une explosion des défaillances d’entreprises : près de 66 500 en 2024, un record depuis quinze ans. Plus préoccupant encore, les entreprises de taille intermédiaire, véritables moteurs de l’économie, sont particulièrement touchées. Ces difficultés s’expliquent par plusieurs facteurs, notamment le rattrapage post-covid, et l’incertitude budgétaire liée aux menaces qui planent sur les droits de douane. Des secteurs clés comme l’automobile, la sidérurgie et la chimie se retrouvent sous pression, subissant les pratiques de subventions abusives qui ont cours dans certains pays.
Dans la troisième circonscription de l’Aveyron, l’entreprise Actia Railway, à Saint-Georges-de-Luzençon, a annoncé – pour des raisons qui mériteraient d’être identifiées – la délocalisation de 46 emplois sur 110 hors de nos frontières, en Europe, alors que ce site, où l’on fabrique des systèmes embarqués destinés au ferroviaire – les rames de la ligne 14 du métro parisien et le métro de Singapour, notamment, en sont équipés – est mondialement reconnu.
Certes, une éclaircie se profile : la consommation des ménages pourrait repartir à la hausse en 2025, grâce à une inflation en recul et au refus du gouvernement d’alourdir la fiscalité des ménages. Le taux d’épargne élevé des Français reste néanmoins un frein potentiel à une reprise vigoureuse, avec des conséquences directes sur les entreprises. Dans ce climat économique complexe et incertain, les défis sont nombreux : comment protéger les entreprises, aujourd’hui fragilisées dans tous les territoires ? Comment stimuler la consommation, essentielle à la relance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Votre question rencontre ma préoccupation quotidienne, une préoccupation centrale du gouvernement. Nous faisons effectivement face à une situation économique délicate. Les choses commencent cependant à aller mieux. J’en profite pour remercier votre assemblée – celles et ceux qui ont permis l’adoption du budget. (Mme Cyrielle Chatelain et M. Benjamin Lucas-Lundy s’esclaffent.) Depuis que nous avons un budget, le climat des affaires s’améliore.
M. Thibault Bazin
On part de loin !
M. Éric Lombard, ministre
Cependant, des incertitudes demeurent, ce qui explique un ajustement du taux de croissance à 0,9 % dans le budget voté, alors que le celui du gouvernement précédent se basait sur un taux de 1,1 %. Selon les dernières prévisions de la Banque de France, la croissance pourrait finalement s’établir à 0,7 %. Nous aurons l’occasion de fixer un nouvel objectif dans les semaines qui viennent, lors de la présentation du rapport annuel du ministère de l’économie.
L’environnement économique comporte des points positifs, en particulier le maintien du chômage à un niveau historiquement bas – 7,3 % –, qui s’est stabilisé ces derniers temps. Certains nuages commencent malheureusement à apparaître à l’horizon : le niveau très élevé du taux d’épargne – 18 % –, qui traduit l’inquiétude des Français ; la remontée des taux d’intérêt à long terme, liée à l’évolution de la situation allemande.
M. Thibault Bazin
Cela va nous coûter cher, vu notre dette !
M. Éric Lombard, ministre
Enfin, les décisions qui seront annoncées par les États-Unis – sans doute demain – risquent de peser sur la croissance dans les prochaines semaines. Avec le président de la République, avec le premier ministre et le gouvernement, nous veillons scrupuleusement à poursuivre dans la voie de la simplification et du soutien à l’activité afin de relever ces différents défis. En considération des décisions de l’administration américaine, nous prendrons les mesures qui s’imposent. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Condamnation de Mme Marine Le Pen
M. Boris Vallaud
Hier, la justice de notre République a rendu son verdict dans une affaire qui n’a rien de banal tant elle était scrutée. Depuis hier, des responsables politiques se succèdent pour commenter, voire condamner cette décision, certaines autorités de l’État faisant même part de leur trouble. Mettre en cause une décision de justice, c’est manquer aux principes élémentaires que sont la séparation des pouvoirs et l’État de droit. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EcoS et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Matthias Renault
C’est une décision politique !
M. Laurent Jacobelli
On n’est pas en URSS !
M. Boris Vallaud
Mettre en cause personnellement des magistrats, c’est exercer sur eux une pression inacceptable, qui appelle les condamnations les plus fermes. Non, ces femmes et ces hommes ne sont pas les agents d’un système,…
M. Matthias Renault
Ils sont ceux du Syndicat de la magistrature !
M. Boris Vallaud
…mais les juges impartiaux dont notre République a besoin. (Mêmes mouvements. – Quelques députés du groupe LFI-NFP applaudissent aussi.) Mettre en cause la loi, quand il s’agit de l’appliquer aux puissants, c’est accréditer l’idée qu’il y aurait une justice à deux vitesses.
M. Emeric Salmon
Et le doigt d’honneur d’Henri Emmanuelli ?
M. Sébastien Chenu
Et Cahuzac ?
M. Laurent Jacobelli
Voulez-vous que l’on parle de Mitterrand ?
M. Boris Vallaud
Tous les Français sont égaux devant la loi. Seuls les faits comptent. En l’espèce, ils sont accablants : 4 millions d’euros d’argent public détourné. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS.) Mettre en scène une opposition entre le peuple et sa justice, c’est emprunter une voie sans issue, qui nous conduit hors de l’État de droit, hors de la démocratie.
Mme Marine Le Pen
C’est vous qui y conduisez !
M. Boris Vallaud
Le peuple français n’est pas privé de sa souveraineté par les juges qui rendent la justice en son nom ! (Mêmes mouvements.) Toutes les manœuvres du monde ne pourront renverser la réalité…
M. Sébastien Chenu
Et ton pote Cahuzac ?
M. Christophe Barthès
Et Mitterrand ! Et Bousquet !
Un député du groupe SOC
Tais-toi, Barthès !
M. Boris Vallaud
Dans cette affaire, un système, des prévenus, un parti et sa cheffe ont été reconnus coupables ! (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) La justice, pour sa part, n’est pas sur le banc des accusés. Monsieur le premier ministre, alors que des attaques contre notre État de droit sont proférées par les amis de Mme Le Pen, du Kremlin à la Maison-Blanche en passant par certains bancs de cet hémicycle, nous vous demandons d’exprimer devant la représentation nationale votre soutien inconditionnel à la justice de notre pays ! (Les députés des groupes SOC, EcoS et GDR se lèvent et applaudissent. – Quelques députés du groupe LFI-NFP applaudissent aussi.)
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique.
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Je n’ai pas entendu la fin de votre question,…
M. Laurent Jacobelli
Heureux homme !
Mme Caroline Colombier
Cela n’en valait pas la peine !
M. François Bayrou, premier ministre
…elle était couverte par les diverses manifestations de soutien et aussi – probablement – de réprobation.
Un député du groupe SOC
Soutenez-vous la justice ?
M. François Bayrou, premier ministre
J’ai tout à fait saisi le sens de la question. Premièrement, il n’est pas possible, a fortiori pour un responsable gouvernemental, de critiquer une décision de justice. J’estime même que nous n’en avons pas le droit. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC et Dem.)
M. Jérôme Guedj
Très bien !
M. François Bayrou, premier ministre
Deuxièmement, le soutien que nous devons apporter aux magistrats, dans l’exercice de leurs fonctions, doit en effet être inconditionnel, non mesuré, puissant. (Mêmes mouvements. – Mme Sarah Legrain et M. Matthias Tavel applaudissent aussi.) Il est très important que l’ensemble de la représentation nationale exprime un tel soutien.
Il est vrai que des interrogations subsistent – j’en ai moi-même souvent formulé sur le seul sujet qui me paraît devoir être abordé dans cette affaire : la possibilité de former des recours. En principe de droit, toute décision lourde et grave en matière pénale doit pouvoir faire l’objet d’une procédure en appel et d’un recours. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)
Cependant, le dispositif de l’exécution provisoire conduit à ce que des décisions lourdes et graves ne soient pas susceptibles de recours.
M. Boris Vallaud
Vous commentez une décision de justice, ce faisant !
Mme Sandrine Rousseau
Vous contestez la décision des juges !
M. François Bayrou, premier ministre
Il n’est alors plus possible de faire appel de décisions qui, pourtant, peuvent entraîner des conséquences irréversibles. J’ai toujours, comme citoyen, considéré ce point comme problématique ; je m’étais déjà exprimé en ce sens lors de la condamnation du maire de Toulon, Hubert Falco. En effet, je considère, comme citoyen… (Vives exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
M. Boris Vallaud
Ici vous n’êtes pas citoyen, mais premier ministre !
M. Alexis Corbière
On est à l’Assemblée nationale, monsieur le citoyen Bayrou ! C’est le « en même temps » bayrouiste !
Mme la présidente
S’il vous plaît !
M. François Bayrou, premier ministre
Je suis un citoyen. Conformément aux principes du droit, les décisions de justice sont protégées et les magistrats doivent être soutenus. Cependant, lorsqu’il s’agit de s’interroger sur l’état de la loi, il revient au Parlement de prendre ses responsabilités.
Mme Ayda Hadizadeh
Pas d’applaudissements ! Vous avez vu ?
Condamnation de Mme Marine Le Pen
Mme la présidente
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
M. Jean-Paul Lecoq
Deuxième chance !
Mme Cyrielle Chatelain
Hier, Marine Le Pen a réalisé – et avec elle tous ceux qui se pensaient au-dessus des lois – que face à la justice française, il n’existe aucun privilège ni passe-droit pour les hommes et les femmes politiques, aussi puissants soient-ils. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs du groupe GDR. – Protestations sur quelques bancs du groupe RN.) En France, la loi doit être la même pour tous. Le clan Le Pen a volé ; le clan Le Pen a été condamné. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs du groupe GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Emeric Salmon
Et la présomption d’innocence ? Et l’appel ?
Mme Cyrielle Chatelain
Jean-Marie Le Pen a organisé un système pour détourner massivement de l’argent public. Dans les pas de son père, Marine Le Pen a perpétué et optimisé ce système : au total, 4,1 millions d’euros ont été détournés pendant plus de onze ans. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et GDR.)
À voir les réactions de la petite classe politique d’extrême droite, il semblerait qu’un consensus existe selon lequel un sondage favorable garantirait l’immunité devant la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – Mme Dieynaba Diop applaudit aussi. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Matthias Renault
Et Grenoble ? Et les marchés publics ? Éric Piolle, démission !
Mme Cyrielle Chatelain
Votre rage devant une décision de justice démontre, tout simplement, le peu de considération que vous avez pour l’État de droit. L’indépendance de la justice est un pilier de notre démocratie ; une démocratie vilipendée, attaquée, menacée par les autocrates du monde entier, qui soutiennent Marine Le Pen. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et Dem ainsi que sur quelques bancs des groupes EPR, LFI-NFP et DR.)
M. Pierre Cordier
Quand on voit ce que vous avez fait de Julien Bayou, qui était innocent !
Mme Cyrielle Chatelain
Le devoir de tout démocrate est de garantir aux magistrats la liberté d’exercer leurs fonctions en toute sécurité.
M. Pierre Cordier
Et Bayou, vous en pensez quoi ?
Mme Cyrielle Chatelain
Sur ce point, monsieur le premier ministre, vous leur avez apporté votre soutien. Mais je déplore que, quelques instants après, vous ayez repris les mensonges de l’extrême droite. Or la possibilité de faire appel existe.
En second lieu, il importe de souligner qu’aucun Français ne sera privé de son droit d’expression ou de vote. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Emeric Salmon
Et Julien Bayou, il est où ?
Mme Cyrielle Chatelain
Il y aura, si le Rassemblement national le décide, un bulletin de vote à son nom. Il est donc malhonnête de reprendre son argumentaire politique. Monsieur le premier ministre, réaffirmez votre soutien aux magistrats et répondez à cette question : considérez-vous normal que les juges appliquent la loi, comme ils l’ont fait, ou profiterez-vous de cette séance pour exercer sur eux une pression supplémentaire ? (Les députés des groupes EcoS et SOC ainsi que plusieurs députés des groupes LFI-NFP et GDR se lèvent pour applaudir.)
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique.
Mme Ayda Hadizadeh
Deuxième acte !
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Il est indiscutable et il doit être indiscuté, sur tous les bancs, que les décisions de justice ont à être soutenues et les magistrats protégés dans l’exercice de leur mission.
M. Boris Vallaud
Arrêtez-vous là !
Mme Sandrine Rousseau
Parfait, stop !
M. François Bayrou, premier ministre
J’affirme, au nom du gouvernement, que c’est le cas : vous l’avez dit, il n’y a pas de passe-droit, quel qu’il soit et quelle que soit la loi concernée. Les magistrats exercent leur mission lorsqu’ils prononcent des jugements. Il est donc légitime que nous leur apportions, unanimement, sur tous les bancs, notre soutien.
Toutefois, certains exemples… (« Non ! » et vives exclamations sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS.) Pardonnez-moi de le dire : c’est vous, c’est le Parlement qui fait la loi. J’ai lu les déclarations des Insoumis à ce sujet, qui étaient très claires…
M. Inaki Echaniz
C’est Mme Chatelain qui pose la question !
M. François Bayrou, premier ministre
Je considère que le Parlement a une réflexion à mener. Cependant, je n’ai pas l’intention de confondre la discussion portant sur un jugement, que je ne commente pas et que je soutiens, avec la réflexion sur l’état de la loi, qui appartient au Parlement et qui mérite d’être constamment reprise.
M. Inaki Echaniz
Vous n’avez pas répondu à la question !
Effacement des pénalités fiscales du groupe Vivendi
Mme la présidente
La parole est à M. Matthias Tavel.
M. Matthias Tavel
Décidément, l’extrême droite a un problème avec l’argent et l’honnêteté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Marine Le Pen
Et Mélenchon ?
Mme Caroline Colombier
Vous êtes bien placés pour dire ça !
M. Matthias Tavel
On apprend dans la presse que le gouvernement a consenti une énorme ristourne fiscale de 640 millions d’euros à Vincent Bolloré, quatorzième fortune française et soutien de l’extrême droite. Quel scandale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.) Plus d’un demi-milliard d’euros offert à un milliardaire, alors que vous faites les poches des autoentrepreneurs ! (Mme Danielle Simonnet applaudit.) M. Bolloré a triché avec le fisc. Cette fraude aurait dû lui valoir une pénalité de 640 millions d’euros ; il n’en a rien été. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Laurent Jacobelli
Et Chikirou ?
M. Matthias Tavel
Une décision ministérielle a ramené la pénalité à zéro euro et zéro centime.
Mme Sophia Chikirou
C’est une honte !
M. Matthias Tavel
Après avoir supprimé l’impôt sur la fortune, la Macronie invente l’impunité pour les milliardaires fraudeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.) Curieusement, lorsqu’il s’agit d’un passe-droit fiscal octroyé à M. Bolloré, on n’entend pas M. Retailleau dénoncer la culture de l’excuse des milliardaires (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS) ni le RN dénoncer le laxisme de Bercy ! On ne vous entend pas, monsieur le premier ministre, exprimer votre crainte d’une submersion par les fraudeurs fiscaux ! (Mêmes mouvements et rires sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Quand vous faites cadeau de 100 000 années de RSA à un milliardaire, on n’entend pas non plus M. Wauquiez dénoncer le cancer de l’assistanat des riches ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs des groupes SOC, EcoS et GDR.)
Pourtant, avec 640 millions d’euros, on pourrait financer 5 000 lits d’hôpital ou 20 000 enseignants supplémentaires, ou encore nationaliser Vencorex. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.) À l’heure où vous voulez faire payer aux Français votre prétendue économie de guerre et les cadeaux aux plus riches de M. Macron, pourquoi faire ce cadeau à M. Bolloré, l’homme de main médiatique de Poutine et de Trump, celui qui invitait M. Sarkozy sur son yacht, celui qui transforme ses médias en avocat de Mme Le Pen et qui lance la chasse contre les juges ? Décidément, l’extrême droite a un problème. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS. – M. Frédéric Maillot applaudit aussi. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.) Monsieur le premier ministre, qui a pris cette décision ? (Les députés du groupe LFI-NFP et plusieurs députés des groupes EcoS et GDR se lèvent pour applaudir. – Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Je vous livre l’explication en toute transparence. Il s’agit d’un contentieux technique (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP), dont je vais vous exposer les motifs : il concerne les classements comptables de titres d’une société appartenant au groupe que vous évoquez.
L’administration envisageait à la fois de procéder à un redressement fiscal et d’appliquer des pénalités. Comme il est d’usage en pareil cas, une commission indépendante (MM. Bastien Lachaud et Matthias Tavel rient) a été saisie et a suggéré de n’appliquer ni le redressement, ni la pénalité. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe GDR.) L’administration, malgré tout, en toute indépendance,…
Mme Sophia Chikirou
Vous n’y croyez même pas !
M. Éric Lombard, ministre
…a procédé au redressement. Ce dernier a été contesté devant le Conseil d’État ; l’administration a gagné et le redressement a été effectué, qui porte sur des montants considérables.
M. Aurélien Le Coq
Et la pénalité ?
M. Éric Lombard, ministre
J’ajouterai qu’aucun de mes prédécesseurs n’est intervenu dans ce dossier, ni dans aucun dossier fiscal dont a à connaître mon ministère. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Plus important encore, comme toujours en pareil cas, le dossier est à la disposition du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale qui, je crois, ne vous est pas inconnu, ainsi qu’à celle du rapporteur général du budget. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Relations avec les États-Unis
Mme la présidente
La parole est à M. Bruno Fuchs.
M. Bruno Fuchs
Les États-Unis sont certainement en train de basculer dans une nouvelle forme de gouvernance. En écrivant que « ce qui me répugne le plus en Amérique, ce n’est pas l’extrême liberté qui y règne, c’est le peu de garantie qu’on y trouve contre la tyrannie », Alexis de Tocqueville avait déjà identifié une faiblesse dans les contre-pouvoirs de cette démocratie.
Avec mes collègues Franck Riester et Nathalie Oziol, nous avons mené une mission à Washington au nom de la commission des affaires étrangères. Avec une grande franchise, nos interlocuteurs, proches de l’administration Trump, nous ont confié qu’ils nous considéraient au mieux comme des concurrents, plus souvent comme des adversaires. Tout est fait, à présent, pour nous déstabiliser et nous affaiblir : par des droits de douane, dont une nouvelle salve devrait être annoncée demain ; par la volonté d’expansion vers le Groenland, le Canada ou le canal de Panama ; par le soutien très manifeste apporté à la Russie de Poutine dans les négociations de cessez-le-feu avec l’Ukraine.
Plus que l’usage systématique du rapport de force, c’est la dérive vers une gouvernance autoritaire qui doit nous interpeller et nous faire réagir. Washington, selon ce que nous avons pu constater, se trouve en état de sidération. Des méthodes brutales ont provoqué un climat de peur : la peur de perdre son emploi, un contrat ou une subvention. S’y ajoute la dévitalisation de l’État de droit, avec des attaques frontales menées contre les juges, alors que 135 procédures judiciaires sont engagées contre l’administration Trump.
Enfin, nos valeurs et notre identité sont à présent menacées, notamment dans le courrier reçu par plusieurs entreprises françaises leur demandant de renoncer à leurs politiques de diversité et d’inclusion.
M. Olivier Faure
C’est inacceptable !
M. Bruno Fuchs
Il s’agit d’une ingérence et d’une atteinte inacceptable à notre souveraineté, ainsi que d’une attaque directe contre notre modèle républicain. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et GDR.) Ce modèle défend les libertés publiques et l’égalité des chances, et lutte contre le racisme et le sexisme. Monsieur le ministre, quelle réponse la France entend-elle apporter à ces attaques ? (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et HOR ainsi que sur quelques bancs des groupes EcoS et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Je vous remercie de vous être déplacé aux États-Unis, en compagnie de Franck Riester et de Nathalie Oziol, pour porter la voix de la France. J’étais pour ma part en Chine, avec des parlementaires, où nous avons franchi une étape importante vers le règlement du différend qui nous oppose au gouvernement chinois à propos des cognacs et des armagnacs – un dossier sur lequel, avec la ministre de l’agriculture et le ministre de l’économie, nous sommes pleinement mobilisés, sous l’autorité du premier ministre.
S’agissant des aspects commerciaux, je souhaite vivement, comme vous, que les États-Unis puissent réexaminer leur décision d’appliquer demain des droits de douane contre l’ensemble de leurs partenaires. D’abord, parce que ces droits de douane constituent un impôt sur les classes moyennes : s’ils venaient à être appliqués, la classe moyenne américaine verrait son plein d’essence et son panier de courses se renchérir ; elle s’appauvrirait.
Ensuite, parce que l’économie américaine a un besoin vital de l’économie européenne.
M. Christophe Blanchet
Eh oui !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Les Gafam réalisent 25 % de leurs revenus en Europe, soit plusieurs centaines de milliards d’euros chaque année. Les pays de la zone euro financent l’économie américaine ainsi que son déficit public à hauteur de 3 000 milliards d’euros, net des investissements américains en Europe. C’est l’équivalent…
M. Philippe Lottiaux
De la dette française !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
…du PIB français.
Enfin, si les États-Unis appliquaient de tels droits de douane, la Commission européenne n’aurait d’autre choix que de répliquer, en mobilisant tous les outils de dissuasion à sa disposition, en particulier le puissant instrument anticoercition qui lui permet de taxer non seulement les importations et les exportations, mais aussi de restreindre l’accès aux marchés publics européens ainsi qu’aux services numériques et financiers. Ces mesures très puissantes, personne n’y a intérêt. C’est pourquoi, dans nos échanges avec l’administration américaine, nous privilégierons toujours la coopération à la confrontation. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Condamnation de Mme Marine Le Pen
Mme la présidente
La parole est à Mme Laure Lavalette.
Mme Laure Lavalette
Vous ne pouvez pas ne pas savoir, monsieur le ministre de la justice, que nous avons condamné, fermement et immédiatement, les menaces que les juges ont reçues : je vous remercierais de ne pas faire croire le contraire. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Hier, une décision politico-judiciaire, traduisant une volonté ouvertement revendiquée par la juge en charge du dossier, a interdit à la favorite de l’élection présidentielle de se présenter au suffrage des Français. (Mme Cyrielle Chatelain s’exclame.) Dans une démocratie normale, interjeter appel – ce qui a été fait ce midi même – annule la décision de première instance et fait retrouver au justiciable, à tout justiciable, la présomption d’innocence.
M. Emeric Salmon
Eh oui !
Mme Laure Lavalette
Cela vaut pour tout le monde – sauf pour Marine Le Pen, condamnée à quatre ans de prison dont deux ans ferme, quand un ancien magistrat qui prostituait sa fille de 13 ans s’en était tiré avec trois ans de prison assortis d’un sursis ! Est-ce là la justice ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – M. François Cormier-Bouligeon s’exclame.)
Pas d’enrichissement personnel, pas de corruption, une récidive impossible – Marine Le Pen n’étant ni présidente de parti ni députée européenne : Marine Le Pen n’est aujourd’hui condamnée que parce qu’elle est Marine Le Pen !
M. Nicolas Sansu
Ouin, ouin !
Mme Laure Lavalette
Entre deux déclarations d’amour à l’ancienne candidate d’extrême gauche Eva Joly, madame de Perthuis va jusqu’à expliquer que le seul fait d’exercer le droit fondamental de se défendre est un motif de condamnation à l’exécution provisoire de la sentence. Elle ajoute que la candidature de Marine Le Pen devant les Français, à elle seule, constituerait un trouble à l’ordre public – oubliant peut-être qu’elle doit rendre sa décision au nom du peuple. (M. Inaki Echaniz s’exclame.) L’État de droit est bafoué, les recours effectifs sont anéantis et la liberté des électeurs, pourtant rappelée la semaine dernière par le Conseil constitutionnel, est annihilée.
Mes chers collègues, êtes-vous devenus déraisonnables ?
Mme Sabrina Sebaihi
Rappelez-vous vos discours sur le narcotrafic !
Mme Laure Lavalette
Ne voyez-vous pas ce que cela signifie ? Ne voyez-vous pas ce qui se passe ? Ce n’est plus de la justice, c’est de la politique.
Vous qui désespérez et vous qui croyez nous abattre, ne soyez certains que d’une chose : cette attaque est un moteur supplémentaire dans notre combat pour la France et les Français.
M. Jean-Claude Raux
Ce n’est pas une attaque, c’est un jugement !
Mme Laure Lavalette
Quelle sera, monsieur le premier ministre, la légitimité du président élu lors des prochaines élections lorsque Marine Le Pen sera relaxée en appel ? (M. Mathieu Lefèvre s’exclame.) Que restera-t-il, alors, de la démocratie ? (Les députés des groupes RN et UDR se lèvent pour applaudir.)
M. Erwan Balanant
Et le respect des juges, madame Lavalette ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
Je pense avoir été clair, lors de ma réponse à M. Tanguy, sur le respect des décisions de justice prises en première instance. Je pense également avoir été clair, tout comme M. le premier ministre, sur le respect du droit inaliénable de faire appel – pour toutes les citoyennes et pour tous les citoyens, pour Mme la présidente Le Pen comme pour toutes les autres personnes mises en cause par le tribunal de Paris.
Il ne m’appartient pas – au titre de l’article 64 de la Constitution – d’en dire plus. Nous souhaitons tous – et je m’adresse ici aux membres du groupe Rassemblement national – un climat politique apaisé et des élections qui permettent à chacun de voter pour le candidat de son choix.
M. Emeric Salmon
Tous ? Je ne suis pas sûr !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Madame Lavalette, permettez-moi cependant de remarquer – vous êtes vous-même élue du Var – que M. Falco, ancien maire de Toulon, a été, lui aussi, frappé d’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire. Vous aviez déclaré à l’époque, dans la presse locale (« Ah ! » sur plusieurs bancs. – Mme Laure Lavalette secoue la tête en signe de dénégation) : « S’il ne m’appartient pas de commenter cette décision de justice […], j’appelle de mes vœux à l’apaisement et au respect de chacun. » Je ne saurais dire mieux. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC et Dem.)
Politique énergétique
Mme la présidente
Je suis heureuse de souhaiter la bienvenue dans cet hémicycle à M. Julien Brugerolles, qui est devenu aujourd’hui député de la cinquième circonscription du Puy-de-Dôme. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR ainsi que sur plusieurs bancs des groupes EPR, LFI-NFP, SOC, DR, EcoS, Dem, HOR et LIOT.)
Je lui donne la parole.
M. Julien Brugerolles
Je vous remercie pour ces mots de bienvenue.
Où va la politique énergétique de notre pays ? Mise à l’écart de la représentation nationale sur la définition de la programmation pluriannuelle de l’énergie, fin du dispositif Arenh au 1er janvier 2026, menaces de la Commission européenne et de l’Autorité de la concurrence sur l’avenir des tarifs réglementés, limogeage du PDG d’EDF sous la pression des industriels électro-intensifs : vous conviendrez, monsieur le ministre de l’industrie et de l’énergie, que la plus grande opacité règne sur les choix énergétiques qui seront ceux de notre pays dans les mois à venir.
Les incertitudes sont encore plus grandes quant à l’avenir de notre système électrique. N’est-il pourtant pas l’outil le plus fondamental à l’accélération de la décarbonation et à la réindustrialisation ?
M. Emmanuel Maurel
Il a raison !
M. Julien Brugerolles
Comme partout en France ces dernières années, les artisans, PME et communes de ma circonscription du Puy-de-Dôme ont souvent payé très cher l’envolée du prix de l’électricité. Ils s’interrogent sur la conduite qu’il convient de tenir aujourd’hui. Notre pays a besoin d’un cap clair pour construire son avenir énergétique.
Nous savons pourtant ce qui fonctionne – très bien et dans l’intérêt de tous : un grand service public de l’électricité construit autour d’EDF, avec des prix réglementés (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR – Mme Christine Pirès Beaune applaudit également), accessibles à tous, basés sur les coûts nationaux – j’y insiste – de production et d’acheminement de l’électricité. C’est la seule voie qui nous permettra de sortir de l’instabilité actuelle, de rassurer les entreprises, les collectivités publiques mais aussi les familles de notre pays et de sécuriser à long terme les investissements nécessaires à la production d’une électricité décarbonée.
Êtes-vous prêt à vous y engager ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie
Permettez-moi de vous souhaiter moi aussi la bienvenue dans vos fonctions de député. Vous succédez à un président de groupe qui a marqué l’histoire de cet hémicycle.
Les sujets sur lesquels vous m’interrogez sont essentiels à l’avenir énergétique de notre pays. Ils mériteraient un débat et j’espère que nous l’aurons prochainement.
Nous avons constamment soutenu les tarifs réglementés de l’électricité – y compris face à la Commission européenne à laquelle, il y a quelques semaines, j’ai adressé un rapport donnant tous les arguments nécessaires à leur maintien. Nous y sommes attachés, et nous avons étendu, depuis le 1er février 2025, le bénéfice de ces tarifs aux petites entreprises.
S’agissant des industriels, particulièrement de ceux qui sont exposés à la concurrence internationale, nous avons signé avec EDF, en novembre 2023, un accord prévoyant un cadre leur permettant de bénéficier d’une électricité à des prix compétitifs, grâce à notre parc nucléaire historique. (Mme Perrine Goulet s’exclame.) Nous attendons l’aboutissement des négociations, avant le 1er janvier 2026. Cet accord prévoit qu’EDF reverse à tous les consommateurs – ménages comme entreprises – une partie des tarifs de revente lorsque les prix de l’électricité sont trop élevés.
Le Conseil de politique nucléaire a pris acte que la maîtrise du programme EPR2, dans ses aspects industriels aussi bien qu’en termes de coûts et de délais, était insuffisante. C’est la raison pour laquelle le président de la République a décidé de changer le dirigeant d’EDF.
Je ne peux pas vous laisser dire, enfin, que la programmation pluriannuelle de l’énergie a été élaborée dans l’opacité. C’est la loi, tout d’abord, qui prévoit qu’elle soit adoptée par décret. Elle a, de plus, fait l’objet de très larges consultations et de milliers de propositions. Nous aurons encore l’occasion de débattre de cet enjeu de souveraineté, qui doit nous permettre de défossiliser notre économie.
Relations avec l’Algérie
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Didier Berger.
M. Jean-Didier Berger
Le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre des affaires étrangères, nous avait promis la plus grande fermeté face à l’hostilité du régime algérien. Les provocations et les humiliations se multiplient pourtant. Je pense à notre compatriote Boualem Sansal, qui vient d’être condamné à cinq ans de prison. Je pense aux ressortissants algériens placés sous OQTF et toujours présents sur notre territoire, sans aucune réaction de votre part. Je pense enfin à ces deux fonctionnaires de Bercy et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration qui ont été mis en examen pour intelligence avec l’ennemi au profit du régime algérien, ainsi que la presse nous l’a révélé au mois de mars.
Il est difficile, dans ces circonstances, de comprendre que la fermeté gouvernementale ne soit pas accompagnée de la même fermeté au plus haut niveau de l’exécutif. Le président de la République, après l’entretien téléphonique qu’il a eu avec le président algérien, parle en effet, pour sa part, de « dialogue fructueux », de « clairvoyance », d’« esprit d’amitié ». Il vous demande même de vous rendre le 6 avril prochain en Algérie, pour y rencontrer votre homologue. Avant que vous n’ayez cet entretien, je voudrais que vous répondiez à plusieurs questions.
Qu’adviendra-t-il de l’honneur de la France si Boualem Sansal meurt avant d’être libéré, ou s’il est libéré dans des circonstances qui seraient pour notre pays une nouvelle provocation et une nouvelle humiliation ? Les Français seront-ils en sécurité si les soixante OQTF les plus dangereux sont libérés avant la fin du délai de rétention, sans être pour autant réadmis par l’Algérie ? Que ferez-vous si nous sommes accablés par de nouvelles provocations et de nouvelles humiliations ?
M. Emeric Salmon
Rien !
M. Jean-Didier Berger
Entre la fermeté et la naïveté, entre la riposte graduée et l’amitié quoi qu’il en coûte, où se trouve la parole de la France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Vous avez raison : seuls les résultats comptent. Les réponses à vos questions ont été dessinées dans l’échange que les deux présidents ont eu hier. Les tensions entre la France et l’Algérie – tensions dont nous ne sommes pas à l’origine – ne sont dans l’intérêt d’aucun des deux pays. Nous voulons les résoudre, avec exigence et sans aucune faiblesse. C’est dans cet esprit que le premier ministre a réuni le 26 février dernier le comité interministériel de contrôle de l’immigration. L’échange entre le président de la République et son homologue algérien a ouvert un espace diplomatique…
M. Jean-Paul Lecoq
C’est une très bonne chose !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
…qui peut nous permettre d’avancer vers une sortie de crise.
Nous allons saisir cette possibilité, dans l’intérêt de la France et des Français. Ces derniers ont droit à des résultats, notamment en matière de coopération migratoire, de coopération dans le domaine du renseignement, de lutte contre le terrorisme ainsi qu’au sujet – bien évidemment – de la détention sans fondement de notre compatriote Boualem Sansal. Nous allons agir, là encore, avec exigence et sans faiblesse. Des principes ont été posés hier. Reste à leur trouver une traduction concrète : ce sera l’objet de mon déplacement en Algérie.
Il n’y a aucun revirement dans la politique conduite par le gouvernement. Le dialogue et la fermeté ne sont en rien contradictoires. Ce sont les deux faces d’une même pièce : la diplomatie, au service des Françaises et des Français – au service de la France. Soyez assuré que le gouvernement, sous l’autorité du premier ministre, est mobilisé pour obtenir des réponses rapides sur toutes les questions que vous avez abordées.
M. Jean-Paul Lecoq
Très bien !
M. Emeric Salmon
Et la riposte graduée ?
Mme Hanane Mansouri
Et le ministre de l’intérieur, il est puni ?
Condamnation de Mme Marine Le Pen
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti
La France, monsieur le premier ministre, est-elle encore une démocratie ? (« Oh là là ! » sur les bancs du groupe EPR. – Rires et exclamations sur divers bancs.)
Mme Anne-Cécile Violland
Oui !
M. Éric Ciotti
Beaucoup de nos compatriotes, face aux atteintes réitérés à nos principes fondamentaux, se posent cette question avec gravité.
M. François Cormier-Bouligeon
On compte sur vous, Ciotti !
M. Éric Ciotti
Le candidat de l’opposition, François Fillon, largement favori dans l’élection présidentielle de 2017 : éliminé. La chaîne de télévision la plus populaire de la TNT : rayée de la carte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS. – Bruit.) Aujourd’hui, enfin, la candidate donnée gagnante par tous les sondages pour l’élection présidentielle de 2027…
M. François Cormier-Bouligeon
Et alors ?
M. Éric Ciotti
…est empêchée de se présenter par certaines personnes.
M. Jérémie Iordanoff
Complotiste !
M. Éric Ciotti
Je veux dire tout mon soutien, dans ces conditions, à Marine Le Pen. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN. – Mme Marie Pochon trace un cœur avec les doigts. – Rires sur quelques bancs.) Ce qui se passe est d’une gravité extrême. Alors que le pouvoir exécutif n’exécute plus rien, alors que le pouvoir législatif ne légifère sur rien, nous observons la prise de pouvoir de l’autorité judiciaire. Le gouvernement des juges s’installe contre le peuple souverain. (Nouveaux applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. Benoît Biteau
Des millions d’euros !
M. Éric Ciotti
D’éminents juristes – pourtant opposés à Marine Le Pen – ont fait entendre leur inquiétude : l’exécution provisoire instaure une peine de mort politique.
Mme Marie Pochon
On parle de millions d’euros !
M. Éric Ciotti
Notre groupe défendra donc, dans le cadre de sa niche parlementaire de juin, une proposition de loi tendant à supprimer l’exécution provisoire pour les peines d’inéligibilité. (Mêmes mouvements.)
Nous voulons savoir aujourd’hui… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur. – Les députés des groupes UDR et RN se lèvent et applaudissent ce dernier.)
Mme Sabrina Sebaihi
Vous voulez changer la loi quand ça vous arrange !
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre.
M. François Bayrou, premier ministre
Je ne veux pas laisser dire ici que notre démocratie serait mise à mal par l’autorité judiciaire. Ce n’est pas vrai. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR et sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Après m’être déjà largement exprimé, à plusieurs reprises, depuis longtemps et à chaque occasion sur le sujet que vous venez d’évoquer, je note simplement que la répartition des rôles, que vous avez vous-même rappelée, entre les différentes autorités de la République – législative, exécutive et judiciaire – est claire. La loi à partir de laquelle les juges ont pris leur décision a été votée par le Parlement de la République.
M. Philippe Vigier
Absolument !
M. François Bayrou, premier ministre
Certes, nous devons nous poser certaines questions – je l’ai fait moi-même. Cependant, dès lors que nous prenons acte de la répartition des rôles qui assure l’équilibre de la démocratie et de la République, la marche à suivre est très simple : vous annoncez que vous allez déposer une proposition de loi, celle-ci sera examinée par les deux chambres et c’est donc le Parlement qui décidera si, oui ou non, il convient de toucher à l’écriture de la loi à partir de laquelle les magistrats jugent.
M. Charles Alloncle
Vous n’avez pas répondu !
Condamnation de Mme Marine Le Pen
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Runel.
Mme Sandrine Runel
« Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende » (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe EcoS. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
Mme Marine Le Pen
N’en jetez plus !
M. Pierrick Courbon
C’est la loi !
Mme Sandrine Runel
Cet article du code pénal semble avoir échappé à certains – mais après tout, ils ne sont plus à ça près. Car, depuis hier, nombre de réactions se sont fait entendre, en premier lieu celles de l’extrême droite mondiale qui dénonce une décision de justice qualifiée de politique. MM. Poutine, Musk et Orban sont d’ailleurs les premiers à crier au scandale démocratique. S’en est suivi un déferlement de réactions dangereuses et populistes de la part de tout l’état-major du Rassemblement national. (« Oh ! » sur les bancs du groupe RN.)
Au milieu du bruit et de la fureur, le gouvernement est resté bien silencieux, pire : « troublé ». Monsieur le garde des sceaux, alors que le pouvoir judiciaire n’aura jamais été autant attaqué, il est inquiétant de ne pas vous entendre le défendre.
M. Kévin Pfeffer
Marchande de sommeil, c’est un métier ?
Mme Sandrine Runel
Alors redisons-le avec force : en France, il n’y a pas de dictature judiciaire. Il n’y a pas de justice politique ni de tyrannie des juges. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
M. Emeric Salmon
Ils dorment bien, tes locataires ?
Mme Sandrine Runel
Car dans un État de droit, la loi s’applique sans privilège. Aucun sondage, aucune intention ne saurait vous donner un totem d’impunité. (Mêmes mouvements. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Laurent Jacobelli
Rendez les APL !
Mme Sandrine Runel
Allez-vous prendre la mesure de la rupture qui s’opère dans notre pays, la même qui, outre-Atlantique, a conduit à l’assaut du Capitole ? (« Oh ! » sur quelques bancs du groupe RN.) Entendez-vous protéger les magistrats des attaques incessantes de l’extrême droite (Exclamations sur les bancs du groupe RN), protéger nos institutions et finalement les fondements de notre République, protéger les juges, qualifiés de mollahs du droit, qui incarnent l’indépendance de la justice ?
Vous avez annoncé des « délais raisonnables ». S’agirait-il d’une justice d’exception ?
M. Kévin Pfeffer
C’est bon, ça suffit !
Mme Sandrine Runel
Levez les troubles sur la position du gouvernement – un seul tweet ne suffira pas. (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice. – Les députés du groupe SOC se lèvent et applaudissent cette dernière. – Les députés du groupe EcoS et plusieurs députés du groupe LFI-NFP applaudissent également. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Alexandre Dufosset
Allez faire vos travaux !
Mme la présidente
Un peu de silence, s’il vous plaît !
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice. (Des députés des groupes SOC et RN s’interpellent de banc à banc.)
Un député du groupe RN
Je t’emmerde ! (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Mme Sandrine Rousseau
Pardon ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
Je souhaitais rappeler ce que j’ai dit tout à l’heure au groupe Rassemblement national : les décisions de justice doivent être rendues dans un climat apaisé.
Sachez que, dès hier, en fin de journée, j’ai défendu l’autorité judiciaire. Cela vous a peut-être échappé mais j’ai apporté publiquement, sur tous les réseaux sociaux, mon soutien à tous les magistrats, singulièrement à la présidente du tribunal (M. Philippe Vigier applaudit), laquelle a été contactée ce matin par la direction des services judiciaires de mon ministère pour se voir proposer non seulement la protection fonctionnelle mais aussi, si elle le souhaite, et en lien avec le ministère de l’intérieur, une protection policière.
M. Jérôme Guedj
Quelle tristesse !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
La protection des magistrats est bien sûr consubstantielle au travail que doit mener le garde des sceaux avec l’ensemble de ses services. J’ai en effet parlé de « délais raisonnables » – ce qui me semble du bon français – pour expliquer que les personnes devaient attendre raisonnablement avant d’être jugées, en appel comme en première instance, dans notre pays.
Mme Ayda Hadizadeh
Tous les Français !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
C’est le cas de tous les Français. Par ailleurs, en raison du brouhaha qui a entouré ma réponse, vous ne m’avez peut-être pas entendu expliquer qu’il appartenait souverainement à la cour d’appel de Paris de fixer la date car elle détermine ses audiences de façon parfaitement indépendante.
Je me permets d’ajouter que, si l’on veut que la justice soit respectée, que les magistrats ne soient pas attaqués et que la justice ne soit pas politisée par un bord ou par un autre, il serait bon d’éviter les questions polémiques dans lesquelles on mélange à peu près tout. Les Français qui nous écoutent ne comprennent à peu près rien à des échanges de ce type. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Services d’urgences hospitaliers
Mme la présidente
La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson
Ma question s’adresse à Mme la ministre de la santé. En application du décret du 25 février 2021 relatif à la réforme du financement des structures des urgences, était prévue dans chaque agence régionale de santé la création d’un comité régional consultatif d’allocation des ressources relatif aux activités d’urgence. Chacun d’entre eux est notamment chargé d’examiner la situation des services d’urgences de chaque hôpital et de se prononcer sur leur maintien en l’état ou leur transformation en antenne médicale d’urgence ou en antenne Smur, sur la base de critères de fréquentation et de disponibilité médicale.
Je souhaite vous interpeller, à partir de l’exemple de l’hôpital de Vitry-le-François que vous connaissez, étant vous-même Marnaise. En effet, ce centre hospitalier est menacé de voir son service d’urgences transformé en AMU, ce qui signifierait sa fermeture la nuit.
Cette décision aurait pour conséquence d’accentuer la concentration de l’activité vers les centres hospitaliers régionaux universitaires, au détriment surtout des hôpitaux concernés des petites et moyennes villes et des zones rurales, ce qui entraînerait une perte de chance de survie pour tous nos concitoyens victimes d’AVC, de crise cardiaque ou d’accident grave.
Aussi, envisagez-vous de donner des instructions aux ARS pour maintenir les services d’accueil des urgences vingt-quatre heures sur vingt-quatre afin que l’ensemble des habitants des zones rurales et des petites villes continuent à avoir accès aux soins et que l’égalité de nos concitoyens devant l’accès aux soins soit maintenue ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur plusieurs bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
En m’interrogeant sur une possible réorganisation de l’hôpital de Vitry-le-François, vous posez la question de la juste répartition des moyens médicaux et paramédicaux sur le territoire. Le premier ministre, qui s’est exprimé ce matin à ce sujet, souhaite que nous formulions des propositions assez rapidement, d’ici à la fin du mois.
Je tiens à vous indiquer qu’aucune décision n’a été prise concernant les urgences de Vitry-le-François. J’ai d’ailleurs été en contact encore récemment avec la directrice générale de l’agence régionale de santé. Je salue l’initiative que vous avez évoquée. Ce comité, qui réunit des experts, professionnels de santé, consultera naturellement les élus locaux et les parlementaires.
Nous avons bien compris votre préoccupation. Nous manquons de professionnels de santé, c’est pourquoi il faut former davantage de médecins ou d’infirmières – et les former mieux – afin que les hôpitaux, dans nos territoires, disposent de plus de moyens. Cette action doit cependant s’accompagner d’une juste réflexion pour que ces moyens soient employés de la meilleure façon possible.
Vous avez cité les exemples de l’accident vasculaire cérébral et de la crise cardiaque. Or ce qui conditionne la qualité de la prise en charge dans ces situations, c’est la possibilité pour le patient d’accéder rapidement à un plateau technique, situé à proximité. On pourra alors enlever le caillot, dans le cas de l’AVC, ou déboucher l’artère coronaire dans celui de la crise cardiaque.
Il faut faire attention car une prise en charge assurée en nuit profonde peut entraîner une augmentation du délai et une perte de chance, c’est pourquoi, avant de prendre une décision, il faut réfléchir avec diplomatie et posément, avec l’ensemble des acteurs. Je ne doute pas que la Marnaise Catherine Vautrin suivra, comme moi, ce dossier avec une grande attention.
Mme la présidente
La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson
Je vous remercie pour votre réponse. Cependant, je vous avais demandé si vous comptiez donner des instructions précises pour éviter que les décisions soient prises par le CCARU et par les responsables de l’ARS – ce qui correspond à la position officielle du gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
M. Ugo Bernalicis
Alors, monsieur le ministre ?
Criminalité en Corse
Mme la présidente
La parole est à M. Xavier Lacombe.
M. Xavier Lacombe
Il y a quelques semaines seulement, à la suite d’un terrible assassinat en Corse, mon collègue Michel Castellani nous alertait ici même sur l’emprise de réseaux criminels sur l’île, dont les méthodes finissent inéluctablement par semer la mort.
Depuis, deux nouveaux assassinats y ont été commis. Je voudrais évoquer celui de Pierre Alessandri, agriculteur et syndicaliste agricole, il y a quinze jours. (Mme Dominique Voynet applaudit.) Un crime de trop sur notre île. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes HOR, LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR. – M. Marc Fesneau applaudit également.)
Pendant plusieurs jours, l’émotion a dominé mais l’heure est venue d’agir. Car, sans préjuger des suites de l’enquête, disons-le : cet assassinat est très lourd de sens.
Pierre Alessandri dénonçait depuis longtemps des dérives, comme le déclassement de terres agricoles au profit de projets immobiliers. Son exploitation avait été incendiée en 2019 et il se savait encore menacé. Ce nouveau drame, précédé de pressions, illustre parfaitement les méthodes du crime organisé : des intimidations, des menaces puis l’irréparable.
Je tiens à saluer, monsieur le ministre de la justice, votre engagement et celui du gouvernement dans la lutte contre le crime organisé. La loi sur le narcotrafic que nous nous apprêtons à voter, ainsi que les dispositions spécifiques à la Corse que vous avez annoncées en février dernier, constituent un message très fort. Je vous en remercie.
Toutefois, ces mesures ne seront pleinement efficaces que si la prévention devient une priorité. Sinon, l’emprise du crime perdurera. Il faut mieux prendre en compte les intimidations – qu’elles soient insidieuses ou spectaculaires – pour briser le pouvoir de la peur, en Corse comme ailleurs.
Face aux pressions répétées, l’assassinat d’un syndicaliste agricole et lanceur d’alerte nous rappelle… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur. – Les députés du groupe HOR, plusieurs députés du groupe LFI-NFP et Mme Mélanie Thomin applaudissent ce dernier.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
La magnifique île de Beauté a été une nouvelle fois touchée, ensanglantée par des règlements de comptes et surtout par des assassinats…
M. Ugo Bernalicis
Ce n’est pas pareil !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…qui, je le sais, atteignent toute la Corse, dans son honneur et dans sa chair.
Avec le ministre Rebsamen, nous engageons des moyens très importants pour que la Corse, indépendamment des aspects économiques et culturels, se développe dans un climat de paix publique.
Les moyens prévus par le ministère de l’intérieur et ceux que j’ai annoncés pour mon ministère, demandés par les élus de Corse, comme M. Marcangeli et vous-même, prouvent que le chemin est encore long si l’on veut lutter contre les menaces et les actes de corruption qui, en effet, visent les citoyens et les fonctionnaires qui essaient de mettre fin à l’omerta.
La loi visant à lutter contre le narcotrafic, qui fera l’objet d’un vote solennel cet après-midi et qui, je l’espère, sera adoptée à une très large majorité, prévoit des moyens supplémentaires, une refonte du statut de repenti mais aussi l’application d’un nouveau modèle carcéral que nous avons choisi pour briser cette loi du silence.
Toutefois, d’autres mesures doivent encore être déployées en Corse : l’anonymisation des procédures, la domiciliation chez l’avocat ou encore la protection des témoins. De même, les fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales doivent être poursuivis lorsque le secret, auquel ils sont tenus, est violé. Par ailleurs, les magistrats, à qui nous accordons des moyens, doivent tous être professionnels en Corse.
Si la juridiction interrégionale spécialisée de Marseille fait un travail formidable face aux actes commis en Corse, le parquet national nous aidera, à coup sûr, lorsqu’il faudra que davantage d’affaires soient dépaysées. J’ai annoncé, devant l’Assemblée de Corse, la création d’un pôle spécialisé – une mission est d’ailleurs actuellement menée à la cour d’appel de Bastia, à la demande du ministère de la justice, pour étudier ce projet. Ce pôle permettra d’appeler en renfort, en nombre plus important que jamais, des magistrats du parquet et du siège afin de mener des poursuites et de prononcer des condamnations.
Vous avez raison et je connais votre courage sur cette question, monsieur Lacombe. Sachez que la justice et la République française se tiendront toujours aux côtés des Corses et engageront les moyens nécessaires pour faire valoir la République, la paix et la sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Projet de loi de simplification de la vie économique
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Nosbé.
Mme Sandrine Nosbé
Monsieur le ministre de la simplification, avec votre projet de loi visant à simplifier la vie économique, vous trumpisez la vie politique française. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Benjamin Lucas-Lundy applaudit également.) Vous choisissez en effet de mettre en avant les seuls enjeux économiques, en reléguant à l’arrière-plan l’écologie. Ce faisant, vous offrez une véritable tribune aux climatosceptiques. Comme le Département de l’efficacité gouvernementale de Musk aux États-Unis, vous et votre ministère êtes à la botte des lobbys agro-industriels. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – « Bravo ! » et applaudissements ironiques sur quelques bancs des groupes RN et UDR.) En trois jours de débats, a été votée la suppression d’une trentaine de commissions, parmi lesquelles l’Agence de la transition écologique, l’Office français de la biodiversité, ou encore les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Charles Alloncle
Bravo !
Mme Sandrine Nosbé
Ont aussi été votées la suppression des consultations de la population en amont de projets ayant un impact sur l’environnement,…
Une députée du groupe LFI-NFP
Quelle honte !
Mme Sandrine Nosbé
…celle de l’objectif intermédiaire zéro artificialisation nette, celle des zones à faibles émissions, la facilitation d’implantation de projets d’infrastructure et la requalification des centres de données en projets d’intérêt national majeur.
Les climatosceptiques, d’Horizons au RN, ont ajouté leur pierre à l’édifice, en proposant de supprimer la Commission nationale du débat public,…
Un député du groupe LFI-NFP
Quelle honte !
M. Thierry Tesson
Excellent !
Mme Sandrine Nosbé
…d’accélérer l’industrialisation de l’élevage ou de relancer l’exploration des gisements fossiles.
Vous niez la crise climatique et faites de la lutte contre l’écologie votre principal cheval de bataille, au mépris de la Charte de l’environnement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
En vous attaquant, par populisme, à la protection de l’environnement, vous n’améliorez rien – ni le pouvoir d’achat, ni la balance commerciale, ni les finances de nos très petites, petites et moyennes entreprises.
Votre politique est un dangereux mirage : vous affaiblissez les contre-pouvoirs et choisissez de vous tenir au côté des élites économiques et des industries polluantes, qui ne font qu’accroître les inégalités. (Mêmes mouvements.)
Monsieur le ministre, rangez votre tronçonneuse ! Les Français n’ont pas voté pour Musk ou Milei. En revanche, en choisissant le Nouveau Front populaire, ils ont voté pour plus de justice sociale et climatique. (Mêmes mouvements.)
Assumez-vous pleinement cette politique de régression ? Quel est le rapport entre l’objectif affiché de ce projet de loi, la simplification de la vie économique, et la liquidation du droit de l’environnement ? (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification.
M. Laurent Marcangeli, ministre de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification
Au regard des débats que nous avons eus la semaine dernière en commission spéciale, votre question est peu nuancée. Je ne reconnais plus aujourd’hui la députée qui s’est exprimée en commission.
M. Thierry Tesson
Elle n’y a rien dit !
M. Laurent Marcangeli, ministre
Pas moins de trente comités ont effectivement été supprimés.
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Par l’extrême droite !
M. Laurent Marcangeli, ministre
Le gouvernement a émis soixante avis négatifs sur des demandes de suppression formulées par des députés participant à cette commission spéciale.
Ce gouvernement n’est donc pas un gouvernement animé par un esprit trumpien, ou muskien !
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Si !
M. Laurent Marcangeli, ministre
C’est un gouvernement français, qui entend bien… (Les exclamations se prolongent.) Puis-je répondre ? Votre problème, c’est que vous n’écoutez jamais les réponses aux questions que vous avez posées ! Tout ce qui vous intéresse, c’est de crier ! (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et UDR, ainsi que sur quelques bancs du groupe RN. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Regardez donc la députée qui vous a interrogé !
M. Laurent Marcangeli, ministre
Un peu de nuance ne nuirait pas à ce débat capital qui porte sur la simplification, que des millions de Françaises et de Français attendent ! Nos chefs d’entreprise, nos associations, nos collectivités l’attendent aussi.
Nous sommes en train d’anticiper le débat en séance sur le projet de loi relatif à la simplification de la vie économique. Une trentaine de comités ont certes été supprimés, et il est vrai que le gouvernement veut faire en sorte que les comités qui ne se réunissent pas, qui nuisent à la lisibilité de l’action publique ou qui font doublon soient supprimés. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Mais je le répète : nous en avons défendu d’autres, qui sont utiles, et nous continuerons de le faire.
La simplification passe également par un travail des parlementaires, qui ne doivent pas nier que notre système comporte des comités redondants et des complexités que les Françaises et les Français ne comprennent plus.
Cette semaine, avec le premier ministre, nous effectuerons un déplacement pour rappeler que nous souhaitons mettre les Françaises et les Français au centre du jeu, en leur permettant d’être les premiers acteurs de la simplification. Ainsi, nous rendrons plus simples à la fois la vie économique et la vie quotidienne de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs du groupe EPR.)
Situation au Proche-Orient
Mme la présidente
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
Gaza se meurt sous nos yeux. (« Oh ! » sur plusieurs bancs du groupe RN.) Réponse légitime, offensive ciblée, riposte graduée : que de circonvolutions pour ne pas dire massacre organisé et risque de génocide contre le peuple palestinien. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.) Jour après jour, les bombes pleuvent sur une population affamée et assiégée. Depuis la reprise des bombardements à Gaza, on dénombre plus de 1 000 morts, dont 300 enfants.
Un député du groupe RN
Et le Hamas, combien a-t-il fait de morts ?
Mme Sabrina Sebaihi
Pour certains, ce ne sont que des chiffres ; pour d’autres, ce sont des familles entières rayées de la carte. Dans ce chaos, les otages israéliens que Tel-Aviv prétend vouloir sauver risquent eux aussi d’être tués par les frappes de Tsahal.
Dror Mishani, un écrivain israélien, a déclaré : « Le traumatisme du 7 Octobre a fait de notre pays une société obsédée la vengeance. » C’est bien ce qu’incarne le gouvernement Netanyahou : non pas la sécurité, mais une vengeance aveugle, qui s’étend désormais au Liban, frappé une nouvelle fois au mépris du cessez-le-feu. La fuite en avant menace d’embraser toute la région. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.)
Ce même gouvernement est désavoué par son propre peuple. Des foules immenses manifestent chaque jour au côté des familles des otages, suppliant le gouvernement de signer un cessez-le-feu. Ce premier ministre corrompu, qui limoge procureure générale et patron du renseignement, a accueilli la semaine dernière tout ce que l’Europe compte de néonazis et de fascistes – certains siègent sur ces bancs –, à l’occasion d’une conférence contre l’antisémitisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – M. Olivier Faure applaudit également.)
M. Emeric Salmon
Mais ce n’est pas possible ça ! Elle nous traite de nazis !
M. Thomas Ménagé
Quelle honte !
Un député du groupe RN
Et les propos de Mélenchon ?
Mme Sabrina Sebaihi
Mais l’histoire, implacable, le rattrapera. En temps voulu, elle le jugera au même titre que les chefs d’État condamnés pour crime contre l’humanité par la Cour pénale internationale. (Exclamations prolongées sur les bancs du groupe RN.)
Pendant ce temps, la France appelle à la retenue, publie des communiqués de presse et distribue des éléments de langage comme on colle des pansements sur un cadavre.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous avez condamné, vous vous êtes dit préoccupé, alarmé, ému ; mais vous n’avez jamais sanctionné, alors que c’est sur ce point que la France est attendue. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.) Si un autre pays s’était rendu coupable de tels crimes, il n’aurait pas bénéficié d’autant de lâcheté. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Théo Bernhardt
Vous êtes antisémites !
Mme Sabrina Sebaihi
Les otages du 7 Octobre doivent-ils se résoudre à être abandonnés par leur gouvernement ? Les Palestiniens doivent-ils… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice. – Les députés des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC applaudissent cette dernière.)
M. Emeric Salmon
Nous avons été traités de nazis et il ne se passe rien ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
La rupture du cessez-le-feu et la reprise des frappes israéliennes à Gaza constituent un retour en arrière dramatique pour la population civile de l’enclave, pour les otages et leur famille ainsi que pour la stabilité dans la région. Le bilan humain de ces frappes est considérable – plus de 1 000 personnes ont perdu la vie.
Mme Nathalie Oziol
Tuées par l’armée israélienne !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Le 9 mars, un bâtiment des Nations unies a été frappé : un employé a perdu la vie et deux de nos compatriotes ont été grièvement blessés.
Des tirs israéliens sur des ambulances ont tué quinze secouristes, parmi lesquels des membres du Croissant-Rouge, de la protection civile palestinienne et des employés des Nations unies. C’est tout simplement inacceptable : les travailleurs humanitaires ne devraient jamais être pris pour cible. Demain, cela fera un mois que le gouvernement israélien aura fermé l’accès de l’enclave à l’aide humanitaire – il l’avait rouvert précédemment.
Jeudi, je rencontrerai mon homologue israélien et j’appellerai son attention sur trois points.
Comme le Hamas, Israël doit respecter les engagements pris le 19 janvier, date du début du cessez-le-feu. Les priorités sont la libération des otages et la cessation des hostilités.
Plus généralement, il faut soutenir le plan des pays arabes pour la reconstruction, la gouvernance et la sécurité à Gaza. Ce plan prévoit que le Hamas ne pourra participer à la gouvernance de l’enclave et devra cesser de constituer une menace pour Israël.
Enfin, au-delà de la question de Gaza, la solution à deux États est la seule à même de garantir la sécurité et la paix pour les Israéliens comme pour les Palestiniens. Elle sera l’objet de la conférence des Nations unies que la France présidera avec l’Arabie saoudite cet été.
Nous n’hésitons pas à prendre des sanctions. Nous l’avons déjà fait en réaction à un sujet qui nous préoccupe particulièrement – la colonisation extrémiste et violente en Cisjordanie. S’il le faut, nous en prendrons de nouvelles. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR. – M. Paul Molac applaudit également.)
Mme Nathalie Oziol
Quelles sanctions avez-vous prises ?
Condamnation de Mme Marine Le Pen
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Chenu.
M. Sébastien Chenu
Dans le classement de l’indice de démocratie établi par le journal britannique The Economist, la France est coincée entre le Botswana et le Chili, et ce n’est pas demain qu’elle gagnera des places !
M. Erwan Balanant
Pas avec vous au pouvoir, c’est sûr !
M. Sébastien Chenu
Toujours selon la presse britannique, « la justice s’est immiscée de façon dramatique dans la campagne présidentielle française ». Le journal espagnol El País a souligné l’état malsain de la démocratie française, emboîtant le pas à La Tribune de Genève, pour laquelle exclure Marine Le Pen de la présidentielle « ne sert ni la loi ni la démocratie ».
Mme Ayda Hadizadeh
Retournez plutôt emprunter aux Russes !
M. Sébastien Chenu
En laissant s’abîmer notre État de droit, la France, seul pays où il faut avoir perdu les élections pour gouverner, s’abîme sur la scène internationale.
Craignant le jugement du peuple, certains se rassurent en s’appuyant sur celui de magistrats politisés. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
M. François Cormier-Bouligeon
Rendez plutôt l’argent !
M. Sébastien Chenu
La France est observée par le monde entier. Les dirigeants des démocraties authentiques et les peuples du monde nous disent : « On vous voit, on vous regarde. » (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.) Vous qui parlez à Tebboune et à al-Charaa, vous acceptez qu’on piétine ici notre État de droit. Vous qui aimez tant donner des leçons de morale au monde entier, comment défendrez-vous demain Navalny ou İmamoğlu, l’opposant d’Erdoğan, quand vous acceptez ici que le peuple ne puisse ni choisir, ni voter pour la candidate du peuple, Marine Le Pen ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
Quelle honte, ces comparaisons !
Mme Ayda Hadizadeh
Vous avez été pris la main dans le sac !
M. Sébastien Chenu
« On vous voit ! », nous disent-ils. C’est votre capacité à faire preuve de justice demain qui rendra la démocratie possible, c’est votre penchant d’aujourd’hui pour l’injustice qui la rend nécessaire – comptez sur nous pour la défendre ! (Les députés des groupes RN et UDR se lèvent et applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
L’affaire est si importante que je ne cherche en rien à polémiquer. Il est question d’une décision de justice, rendue par trois magistrats indépendants, après un procès…
M. Stéphane Rambaud
C’est le Syndicat de la magistrature, un syndicat politisé ! Ce sont des juges rouges !
M. Emeric Salmon
Vous n’y croyez même pas !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je ne vous permets pas de mettre en doute l’indépendance des magistrats ! Dans un État de droit, il est possible de faire appel. L’appel de Mme la présidente Le Pen et des autres condamnés en première instance doit d’abord être audiencé. Après l’audiencement, le procès, qui sera équitable, et le verdict, prononcé par des magistrats indépendants, chacun devra accepter la décision de justice – c’est le principe dans un État de droit.
Vous évoquez le respect de la démocratie. Comme vous l’a rappelé le premier ministre, les dispositions que vous dénoncez figurent dans une loi de 2016, la loi Sapin 2, que je n’ai pas votée.
Plusieurs députés des groupes RN et DR
Nous non plus !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Aujourd’hui, c’est la loi de la République. Comme l’a indiqué le premier ministre au président Ciotti, il appartient maintenant au Parlement de la modifier, s’il le souhaite.
Vous avez évoqué l’incompréhension sur la scène internationale en citant vos lectures. Désireux de rester dans le cadre de la Ve République, je suis particulièrement attentif au peuple souverain français, qui s’est doté de cette Constitution. Elle prévoit que le garde des sceaux ne peut commenter une décision de justice.
M. Sébastien Chenu
On ne vous demande pas de commenter la décision de justice !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Vous pouvez le faire dans cet hémicycle en vertu du principe constitutionnel de l’immunité parlementaire, qui vous permet de critiquer des décisions – c’est votre droit le plus strict et je ne le remets pas en cause.
Je veux revenir sur un point également soulevé par M. Tanguy. Il n’existe pas une candidate du peuple et d’autres qui ne le seraient pas. Nous avons tous ici été élus par le peuple. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs du groupe EPR.) Depuis le début de la Ve République, aucun candidat d’extrême droite n’a été choisi par le peuple à l’occasion de l’élection présidentielle, contrairement à M. Macron, qui l’a été deux fois, ne vous en déplaise ! (Mme Sandra Marsaud applaudit.) Le peuple ne serait-il plus le peuple quand il vote mal ? Il devrait vous être possible d’avancer de bons arguments juridiques et politiques tout en respectant le vote du peuple, même quand il ne vote pas pour vous ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, Dem et HOR.)
Définition du consentement
Mme la présidente
La parole est à Mme Véronique Riotton.
Mme Véronique Riotton
Alors qu’une personne est victime de violence sexuelle toutes les deux minutes, seules deux victimes sur dix franchissent le seuil d’un commissariat.
Les agressions sexuelles et le viol sont des crimes de l’intime : l’auteur est presque toujours connu de la victime et, dans l’écrasante majorité des cas, cette dernière, en état de choc, de sidération ou d’emprise, se trouve dans l’incapacité de réagir.
Aujourd’hui, cette absence de résistance chez les victimes sert de défense aux agresseurs – la définition pénale du viol le permet. La délégation aux droits des femmes a donc créé une mission pour combler ce gouffre entre notre droit et la réalité des violences sexuelles. Avec la corapporteure Marie-Charlotte Garin, nous avons abouti à une proposition de loi qui sera examinée cet après-midi dans l’hémicycle et qui tend à modifier notre code pénal. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et EcoS.)
Nous considérons que cette nouvelle définition permettra aux victimes de mieux se reconnaître et de davantage porter plainte. Elle permettra également aux enquêteurs et aux magistrats d’être mieux outillés et d’élargir le faisceau d’indices pour mieux récolter les preuves. Cette proposition de loi constitue une première étape clé mais ne peut à elle seule répondre à tous les besoins des victimes. La formation des acteurs de la chaîne pénale doit être systématique et les financements alloués à la justice à la hauteur des objectifs que nous fixons.
Vous vous êtes prononcée en faveur d’une telle avancée législative, madame la ministre, aussi pouvez-vous détailler les mesures complémentaires que vous allez prendre pour améliorer la prise en charge des victimes de violences sexuelles ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
Permettez-moi avant tout de saluer le travail remarquable conduit sous votre autorité, et en lien avec Marie-Charlotte Garin, par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Ce travail transpartisan doit conduire, je l’espère, dans quelques heures, au vote de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles. Il s’agit d’un texte structurant pour les droits des femmes, de nature à changer notre approche de la question. En effet, grâce à vous, nous allons intégrer le consentement dans la définition pénale du viol.
Le consentement est le cœur du combat que nous devons mener en matière de viol et de violences sexuelles. La notion de consentement sépare en effet la liberté et l’émancipation, d’une part, la domination et la violence de l’autre. Ce combat concerne certes le droit mais aussi l’ensemble de la société. Vous avez ainsi mentionné la formation initiale obligatoire des magistrats et, au-delà, de tous les agents publics. Je pense aux policiers, aux gendarmes et à la manière dont ils doivent recueillir les plaintes. Nous avons progressé puisque, entre 2017 et 2022, les condamnations pour viol ont augmenté de 14 %, 93 % d’entre elles ayant abouti à de la prison ferme.
Nous avons en outre, avec beaucoup d’entre vous, mené le combat de l’éducation à la vie affective, à la sexualité : en dépit des fantasmes de certains, cette éducation est primordiale pour apprendre dès le plus jeune âge les principes essentiels d’égalité et de respect – dont le consentement fait évidemment partie.
Nous entendons avancer sur l’imprescriptibilité des crimes sexuels en matière civile. Un texte en la matière doit être examiné jeudi au Sénat – soutenu par le gouvernement, j’espère qu’il le sera aussi par de nombreux groupes politiques. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
Nous avons terminé les questions au gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Naïma Moutchou.)
Présidence de Mme Naïma Moutchou
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est reprise.
2.
Sortir la France du piège du narcotrafic
-
Statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée
Votes solennels
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les votes solennels sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (nos 907, 1043 rectifié) et sur la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée (nos 908, 1044).
La conférence des présidents a décidé que ces deux votes seraient précédés d’explications de vote communes.
Explications de vote communes
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Huyghe.
M. Sébastien Huyghe (EPR)
Le narcotrafic n’est pas une fatalité. Il est un poison qui gangrène nos quartiers, pervertit notre jeunesse et sape les fondements mêmes de notre société. Chaque jour, des familles sont endeuillées, des territoires se délitent sous l’emprise des trafiquants et la peur s’installe. Nous faisons face à un défi historique : reprendre le contrôle.
Nos adversaires ne sont pas seulement les dealers de rue, mais les réseaux criminels hautement organisés, qui exploitent la misère et défient l’État. Ils infiltrent notre économie légale et sapent notre justice. Nous devons leur opposer une réponse forte, cohérente et implacable.
La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic constitue une première réponse concrète dans la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée. Elle marque un tournant ; ce n’est pas un énième ajustement législatif, mais bien un changement de cap décisif. Il s’agit de renforcer les outils judiciaires, de moderniser nos méthodes d’enquête et de couper les flux financiers qui alimentent les réseaux criminels.
La création du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco) est une avancée majeure. Incarnation de la lutte contre le narcotrafic, il coordonnera les parquets spécialisés. Il constituera ainsi un instrument puissant pour centraliser l’action judiciaire et frapper les narcotrafiquants au cœur de leur organisation.
À bien des égards, ce texte permettra de doter les forces de l’ordre de moyens techniques adaptés aux nouvelles méthodes du crime organisé. Face à des réseaux qui utilisent les technologies les plus sophistiquées pour dissimuler leurs trafics, il est de notre devoir d’adapter nos outils de renseignement. Le combat contre la criminalité organisée impose une adaptation constante de nos moyens d’action.
Les mesures concernant le milieu carcéral constituent aussi de grandes avancées. Aujourd’hui, certains criminels continuent, depuis leur cellule, d’orchestrer leurs trafics, d’intimider et de menacer, de commander des points de deal ou de toucher les revenus du blanchiment. La sécurisation des établissements pénitentiaires visée par le texte se révélera essentielle pour couper la chaîne de commandement et éviter que la détention ne soit un relais du crime.
Lutter contre le narcotrafic, ce n’est pas seulement interpeller les trafiquants, c’est aussi saper leurs fondations économiques en coupant les circuits financiers qui leur permettent de prospérer. L’argent sale est le carburant du narcotrafic : il finance l’importation de stupéfiants, rémunère les trafiquants et alimente la corruption. Nous devons employer tous les moyens en notre possession pour que les profits illicites ne passent pas sous nos radars. À ce titre, je salue l’adoption des diverses mesures de lutte contre le blanchiment.
La criminalité organisée gangrène nos territoires. Elle s’adapte, se renforce, défie notre État de droit. Les réseaux criminels prospèrent grâce à l’omerta, à la peur et à la loi du silence. Il est impératif de briser ce cercle infernal. Chaque point de deal démantelé, chaque tête de réseau arrêtée est une victoire pour la République. Avec cette proposition de loi, nous franchissons une nouvelle étape dans la lutte contre ces criminels.
Le débat a été particulièrement tendu, en partie à cause d’un groupe politique réfractaire – LFI –, qui a souhaité empêcher le débat par deux motions de rejet, a ralenti nos discussions et a tenté de repousser toutes les propositions novatrices visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
M. Jean-François Coulomme
Elles n’étaient pas toutes novatrices !
Mme Gabrielle Cathala
Nous avons voté pour le statut de repenti !
M. Sébastien Huyghe
Bien que ce ne soit pas inhabituel, je le regrette, particulièrement sur un texte qui constitue une priorité absolue pour nos concitoyens et qui a été voté à l’unanimité au Sénat.
Pour notre part, nous estimons qu’un certain nombre d’amendements auraient mérité un sort différent, mais il est de notre responsabilité collective de ne pas retarder l’adoption de cette proposition de loi. Nous avons proposé de nombreuses améliorations pour construire un texte d’équilibre qui permette de protéger nos concitoyens tout en respectant les droits individuels.
Je salue, une nouvelle fois, le travail important que les trois rapporteurs ont effectué sur cette proposition de loi. Le groupe Ensemble pour la République votera ce texte avec conviction, parce qu’il porte une ambition forte, parce qu’il donne à l’État les armes pour lutter contre la délinquance en bande organisée et parce qu’il envoie un message clair aux narcotrafiquants : partout où vous serez, nos forces de l’ordre seront, partout où vous outrepasserez la loi, la justice passera. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et HOR. – Mme Laure Miller applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon (GDR)
Le narcotrafic est un capitalisme sauvage, féroce – pour reprendre les mots de Roberto Saviano, c’est une « façon d’être » du capitalisme. En cela, il s’attaque aux plus vulnérables, les mineurs, les femmes isolées, les précaires et, souvent, les gamins de l’aide sociale à l’enfance (ASE). C’est une des raisons pour lesquelles, comme communistes, nous prenons le sujet à bras-le-corps. Nos élus locaux ne cessent d’alerter sur l’insuffisance des moyens consacrés à la lutte contre ce fléau. Dans nos territoires, nous voyons les violences, les ravages qu’il provoque, nous pleurons ses trop nombreuses et si jeunes victimes. Alors, lutter, oui. Lutter contre le haut du spectre, oui. Lutter contre ceux qui prospèrent sur les fragilités et les vulnérabilités des classes populaires, oui. Assécher leurs recettes, oui. Les sanctionner, oui.
Il ne s’agit pas de faire du chiffre. Il ne s’agit pas de flatter les passions tristes. Il ne s’agit pas de brader nos libertés, quand l’efficacité des mesures n’est pas certaine. Il ne s’agit pas de fragiliser l’État de droit en méprisant les droits de la défense. Il ne s’agit pas d’opérer un grand retour en arrière quant aux conditions de détention et d’enfermement – elles doivent rester alignées sur nos valeurs démocratiques. Si nous voulons protéger l’État de droit face au narcotrafic, ne l’affaiblissons pas !
Nous l’avons beaucoup dit pendant les débats, mais je veux ici le réaffirmer : toutes les mesures, même les plus fortes, resteront des coquilles vides si elles ne sont pas assorties de moyens suffisants. Toutes les personnes qui ont été auditionnées dans le cadre du rapport du Sénat ou que j’ai entendues pour préparer l’examen de ce texte ont déploré le manque de moyens pour lutter contre le narcotrafic. Officiers de la police judiciaire, dockers, personnels de Tracfin, magistrats, douaniers ou marins, tous, d’une même voix, demandent des moyens adéquats pour exercer leur mission et, quelquefois, pour améliorer leurs conditions de travail.
Comment les 17 000 douaniers français, qui ont la même charge de travail que leurs 40 000 collègues allemands, peuvent-ils lutter avec succès contre les trafiquants ? Comment les services d’enquête et d’investigation, sous-dimensionnés, peuvent-ils mener à bien leurs missions ? Comment les associations peuvent-elles faire de la prévention quand leurs subventions sont amputées ? Comment traiter de la consommation, qui explose dans notre pays, sans réfléchir en termes de santé publique, de santé psychique, sans considérer l’état même de notre société ?
On ne peut prétendre faire face à un tel fléau en étant sous-dotés. Je ne parle pas de muscles, lesquels se sont invités à plusieurs reprises dans nos débats. Je parle d’outils efficaces, parfois complexes au point de s’apparenter à de la dentelle, liant élus locaux, bailleurs sociaux, associations de prévention, police, justice et ASE.
Si le rapport de la commission d’enquête menée au Sénat a rassemblé très largement, sa traduction législative a donné lieu à des surenchères. À l’Assemblée nationale, le RN s’en est frotté les mains. Il a été particulièrement utile au bloc central, assurant l’adoption des mesures quand les bancs du centre restaient déserts.
Le texte a également été, pour les ministres, l’occasion de coups de com’, voire d’affrontements internes. Leurs agendas politiques ont semblé supplanter la recherche d’un consensus, un consensus pourtant essentiel si nous voulons entraîner la société tout entière dans la lutte contre le narcotrafic.
Soyons clairs : notre groupe est favorable à la création du Pnaco, au statut de repenti, au renforcement des moyens de la lutte contre le blanchiment et à d’autres mesures encore, qui visent le haut du spectre. Les députés du Nouveau Front populaire se sont largement investis dans les débats. Ils ont bataillé pour une meilleure rédaction, parfois avec succès : cela a permis d’encadrer certaines mesures et de garantir leur efficacité.
Mais des lignes rouges ont été franchies. Je pense aux quartiers de haute sécurité, mais je pourrais aussi parler du dossier coffre ou de l’activation à distance des appareils électroniques. C’est le choix des ministres que d’avoir refusé que notre groupe puisse participer à un consensus. Nous ne voterons pas pour ce texte et ils n’ont pas cherché à ce qu’il en aille autrement. Reste la commission mixte paritaire (CMP) – à suivre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et SOC. – Mme Martine Froger applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Brigitte Barèges.
Mme Brigitte Barèges (UDR)
Après quinze jours de débats en commission des lois et dans l’hémicycle, nous allons adopter un texte déposé par des sénateurs, conforté par les ministres de l’intérieur et de la justice, et approuvé par les sondages d’opinion.
Pourtant, dans cette enceinte, la bataille a fait rage, entre une aile gauche qui invoque, pour s’opposer, les libertés publiques – alors que la sécurité est la première des libertés –,…
M. Jean-François Coulomme
Non, c’est la sûreté, madame !
Mme Brigitte Barèges
…et une aile droite soucieuse de protéger nos enfants du cancer qu’est la drogue, qui refuse que des réseaux mafieux, sans scrupule et d’une violence extrême, s’approprient notre territoire.
Oui, la bataille a fait rage entre les tenants d’une bienveillance angélique, qui a souvent conduit au laxisme,…
M. Jean-François Coulomme
Les tenants du droit, madame, les tenants du droit !
Mme Brigitte Barèges
…et les tenants d’une sécurité assurée partout en France et d’une justice ferme.
Tout nous a séparés au cours de ce débat. Le statut des repentis, rebaptisés collaborateurs de justice, et leur nécessaire anonymat, auxquels la gauche a opposé les droits de la défense. Un système carcéral renforcé, avec des lieux étanches aux trafics, contre lequel la gauche a prôné le respect de la vie privée et familiale – pour ces criminels endurcis ! Des moyens de renseignement modernes, adaptés aux nouvelles technologies, auxquels la gauche a préféré la protection des messageries cryptées et des Gafam. À l’aggravation des peines, à la prison expiatrice, la gauche de Christiane Taubira a opposé la justice réparatrice – elle a été jusqu’à qualifier de « sadique » le retour des peines plancher. Enfin, contre l’expulsion des logements, la gauche a osé invoquer la précarité de ces oligarques qui vivent dans l’opulence.
J’ai alors mesuré la fracture qui séparait nos visions de la démocratie – c’est d’actualité, ce 1er avril. La démocratie, le moins mauvais de tous les systèmes selon Winston Churchill, le plus fragile aussi, face au terrorisme et à la criminalité organisée. Nous devons donc tous nous engager à préserver cet équilibre : se battre pour nos valeurs, tout en les respectant.
Je ne doute pas de votre sincérité, collègues qui siégez à ma gauche – hormis ceux, une poignée, trop prompts à séduire un certain électorat par la véhémence de leurs propos.
Certains ont même invité les philosophes grecs dans le débat, sans les avoir compris, manifestement. Madame Martin, lorsque Protagoras énonçait que « l’homme est la mesure de toute chose », il considérait qu’il n’existe pas de vérité absolue. Comme d’autres sophistes, il a été le précurseur du pluralisme et de la pensée critique – une forme de tolérance qui vous échappe aujourd’hui.
Je m’interroge. Quels objectifs visez-vous ? Pourquoi êtes-vous si peu lucides sur les dangers auxquels notre pays est confronté ? Mesurez-vous les liens incontestables entre le narcotrafic et une immigration dévoyée ? Entre les réseaux mafieux et l’entrisme des Frères musulmans,…
M. Vincent Caure, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Oui, nous les mesurons !
Mme Brigitte Barèges
…tous unis pour s’approprier des pans entiers de notre territoire ?
Au groupe UDR, nous avons choisi l’action. Nous avons la volonté d’agir avec pragmatisme, la volonté de combattre ce fléau, la volonté de rétablir la justice et de protéger les plus faibles. C’est pourquoi nous n’avons pas plié, malgré des insuffisances criantes.
Car ce texte est incomplet ; il ne va pas assez loin. À l’évidence, le budget de la justice reste clochardisé, pas à la hauteur des enjeux. À l’évidence, les moyens matériels des forces de l’ordre restent insuffisants. À l’évidence, ce texte ne s’attaque pas assez aux consommateurs, alors que la demande est la clé de voûte du trafic de stupéfiants. À l’évidence, la drogue doit être bannie en France car elle détruit des vies et notre État.
Nos propositions relatives aux amendes forfaitaires délictuelles et à l’aggravation des peines pour les consommateurs n’ont pas été retenues, mais en responsabilité, nous avons soutenu ce texte jusqu’au bout, sans considérations politiciennes. C’est pourquoi nous le voterons. Pour la justice, pour la France et son avenir, contre le chaos, nous serons toujours là ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne (RN)
Durant les sept jours qu’a duré l’examen de ce texte visant à mieux lutter contre le narcotrafic et à mieux nous armer pour faire face à la criminalité organisée, nous avons entendu des positions radicalement opposées.
Pourtant, le constat sur les conséquences du narcotrafic en France est clair. La commission d’enquête sénatoriale a dressé un bilan alarmant, soulignant l’expansion territoriale de ce fléau qui a gagné nos campagnes à une vitesse impressionnante, pointant du doigt le manque de moyens des enquêteurs et magistrats, rappelant que la corruption n’épargne aucune profession.
Les professionnels de terrain tiennent des propos sans équivoque : « c’est le texte de la dernière chance », « nous sommes au pied du mur », « ce fléau a été sous-estimé », « des mesures fortes doivent être prises avant qu’il ne soit trop tard…» Vous l’aurez compris, même si ce texte ne résoudra pas tous les problèmes, il va incontestablement dans le bon sens.
Malheureusement pour tous ceux qui s’engagent, jour après jour et souvent au péril de leur vie, dans la lutte contre ces réseaux, la gauche et l’extrême gauche ont clairement annoncé leur volonté de s’opposer au texte, de le dénaturer et de le vider de sa substance. Alors que le narcotrafic gangrène toujours plus profondément notre société et que ses acteurs se montrent sans foi ni loi, votre complaisance, collègues de gauche, est insupportable.
Vous vous êtes opposés à tout : aux quartiers de haute sécurité, aux moyens alloués aux enquêteurs et aux magistrats, notamment à des techniques d’enquête très largement encadrées par les magistrats eux-mêmes et par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Même la création d’un parquet national anti-criminalité organisée a suscité des oppositions.
Vous êtes idéologiquement enfermés dans le XIXe siècle, alors que les réseaux criminels, notamment le haut du spectre, utilisent des technologies dernier cri et disposent de moyens colossaux. Si je la résume, votre philosophie revient à dire aux acteurs de terrain : « Dites-moi ce dont vous avez besoin, je vous expliquerai comment vous en passer. » (M. Pierre Pribetich s’exclame.)
Je pense surtout que, pour ce qui est d’assurer leur sécurité et de protéger la société, les Français se passeraient bien de vous ! Vous n’avez pas eu un mot pour les victimes et, comme d’habitude, vous avez eu beaucoup plus de compassion pour les voyous.
M. Laurent Jacobelli
Eh oui !
M. Michaël Taverne
Collègues macronistes, je ne sais pas si ce texte vous intéresse, puisque 90 % de vos bancs étaient vides. Vous êtes aux responsabilités depuis sept ans mais votre bilan est désastreux en matière de sécurité. Il aurait fallu faire preuve de beaucoup plus de persévérance !
D’ailleurs, vous n’avez jamais évoqué le narcotrafic pendant ces sept années, alors qu’il se développait sous nos yeux. Vous ne maîtrisez plus rien et ce ne sont certainement pas ceux qui ont créé les problèmes qui pourront les résoudre. Il me semblait que « gouverner, c’est prévoir » : dans ce domaine, comme dans bien d’autres, vous vous êtes montrés incapables.
Nous avons atteint un point de bascule, mais vous regardez ailleurs. Vous n’êtes pas plus les Mozart de la finance que les Beethoven de la sécurité… Il aurait été opportun que vous souteniez pleinement cette proposition de loi mais vous n’incarnez pas le sursaut sécuritaire que les Français attendent.
Quant aux collègues de la Droite républicaine, ils n’ont jamais été plus de quatre dans l’hémicycle. Certains membres de leur parti participent, rappelons-le, à un gouvernement macroniste : qui se ressemble s’assemble !
M. Vincent Jeanbrun
Ça suffit !
M. Michaël Taverne
Que dire de l’alliance qu’ils ont formée en juin dernier avec La France insoumise pour organiser un pseudo-barrage au Rassemblement national ? C’est pourtant grâce à la mobilisation des députés RN que ce texte verra le jour ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Oui, grâce à la présence et au travail de notre groupe, nous avons donné des moyens supplémentaires à nos policiers, à nos gendarmes, à nos agents pénitentiaires, à nos douaniers et à nos magistrats pour lutter plus efficacement contre le narcotrafic. Nous avons permis que des articles, supprimés en commission, soient rétablis : prolongation de la garde à vue des mules, activation à distance des appareils connectés fixes et mobiles pour suivre les criminels, création du dossier coffre pour sécuriser les techniques d’enquête sensibles, possibilité d’intercepter les liaisons satellitaires utilisées par les réseaux criminels.
Mme Nathalie Oziol
Vous voulez une fermeté à géométrie variable !
M. Michaël Taverne
Nous avons aussi permis l’adoption d’un amendement visant à expulser les délinquants étrangers condamnés pour trafic de stupéfiants. Notre proposition de recréer une direction générale de la police judiciaire aurait dû retenir votre attention.
Messieurs les ministres, vous avez un problème ? Le Rassemblement national et Marine Le Pen ont les solutions ! Vous n’avez strictement rien inventé. Sur la politique migratoire, nous soumettrons un texte par référendum aux Français, qui prévoit l’expulsion des délinquants étrangers. Vous voulez que les détenus purgent leurs peines dans leurs pays d’origine ? Marine Le Pen en parlait dès 2011 ! Vous voulez lutter contre l’idéologie islamiste ? Marine Le Pen a déjà déposé une proposition de loi, en 2021 !
Pourtant, la présidente du premier groupe parlementaire de l’Assemblée nationale, qui représente le premier parti de France, créditée de 37 % d’intentions de vote et favorite de la prochaine élection présidentielle, se voit écartée du champ politique.
M. Pierre Pribetich
Et c’est reparti !
M. Michaël Taverne
Pour éliminer Marine Le Pen de la course à la présidentielle, il a fallu faire une entorse à l’État de droit.
Mme Sandra Regol
Ce n’est pas du tout le sujet, arrêtez !
M. Paul Molac
Zéro tolérance pour la délinquance !
M. Michaël Taverne
Avec cette décision purement politique et hors de toute proportion, je doute que nous soyons toujours au pays des droits de l’homme ! En effet, des millions de Français sont écartés du processus démocratique.
Notre détermination reste pourtant totale : ils pensent nous affaiblir, alors qu’ils nous renforcent ! Soyez-en sûrs, nous ne lâcherons rien ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Laurent Jacobelli
Bravo !
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac (LIOT)
Revenons au texte. Le narcotrafic est un fléau pour notre pays. On le retrouve partout, dans les villes et les campagnes, dans les cités et les quartiers pavillonnaires. L’Hexagone est loin d’être le seul territoire concerné, les outre-mer le subissent de plein fouet.
Le temps n’est plus aux opérations Place nette. Le narcotrafic est devenu une menace pour toute notre société et impose une réponse forte et globale. Le texte vise surtout à s’attaquer au haut du spectre. Il ne s’agit pas de se restreindre à la stricte répression pénale des petites mains, souvent mineures. C’est une bonne chose. Les précédentes tentatives ont plus ou moins échoué et aujourd’hui, les dérives liées au trafic de drogue n’ont jamais été aussi importantes.
Permettez-moi d’aborder un élément absent de la proposition de loi, la prévention. La consommation de drogues est un phénomène qui touche tous les âges et toutes les classes sociales. La politique de répression des consommateurs n’empêche pas la France de caracoler en tête dans les classements par taux de consommation. Si ce texte vise, avec raison, à lutter contre les narcotrafiquants les plus importants et le narcobanditisme, nous devons nous interroger sur nos politiques de prévention.
Selon certaines estimations, le chiffre d’affaires du narcotrafic atteindrait 6 milliards d’euros et 240 000 personnes seraient impliquées. Pour contrer ces réseaux criminels et protéger la population, l’État n’est pas suffisamment armé. Notre groupe soutient la proposition de loi, car elle tend à renforcer le lien entre tous les maillons de la chaîne de lutte contre le trafic de stupéfiants, des renseignements jusqu’aux juridictions spéciales, en passant par la gendarmerie, les douanes et la police, et en incluant l’administration pénitentiaire.
Elle vise également à désigner comme chef de file un service interministériel et à créer un nouveau parquet spécialisé, le Pnaco.
Nous tenons ici à exprimer une réserve d’importance : le Pnaco exercera une compétence très large – la criminalité organisée représente un nombre de dossiers sans commune mesure avec le terrorisme – et je ne suis pas persuadé que le suivi d’une affaire judiciaire survenue en Guadeloupe ou sur la Côte d’Azur sera mieux assuré par le Pnaco, à Nanterre, que par le parquet territorialement compétent. Il faudra y veiller !
Par ailleurs, aucune disposition spécifique aux territoires ultramarins n’a été prévue. Pire, le texte initial comprenait même un titre trompeur, celui d’un chapitre consacré à « la lutte contre le narcotrafic dans les outre-mer », mais dépourvu de toute disposition relative à ces territoires.
Comme notre collègue Nicole Sanquer, nous regrettons notamment que la Polynésie française n’ait pas accès aux fonds de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), qui gère le fonds de concours alimenté par le produit des avoirs du narcotrafic, alors que le territoire concentre une part considérable des saisies et confiscations. Une meilleure péréquation financière devrait permettre à l’archipel de lutter contre la consommation de drogue, mais notre collègue déplore que tous les amendements qu’elle a déposés à ce sujet aient été déclarés irrecevables.
Notre groupe soutiendra et contribuera au renforcement de l’efficacité de la réponse pénale. La proposition de loi vise à doter de nouveaux outils la lutte contre le blanchiment, qui reste très décevante – notre pays ne parvient à saisir que 3 % du chiffre d’affaires du blanchiment par an. Plusieurs mesures prévues en matière de confiscation et de saisie des biens des narcotrafiquants s’inscrivent dans la lignée des avancées que notre groupe a défendues avec la proposition de loi de Jean-Luc Warsmann visant à améliorer l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels.
M. Jean-Luc Warsmann
Merci !
M. Paul Molac
Face à l’ingéniosité et aux nouvelles techniques déployées par la criminalité organisée, il est tentant, pour l’État, de repousser les limites de notre droit. Pour ne pas tomber dans le piège du narcotrafic, l’État doit innover, tout en gardant pour boussole la préservation de nos libertés. J’y suis particulièrement attaché.
Notre groupe salue, à la quasi-unanimité, la suppression de la disposition qui imposait aux messageries cryptées d’intégrer des portes dérobées. Nous regrettons que les articles autorisant l’activation à distance des appareils électroniques aient été rétablis.
Notre groupe soutient pleinement les avancées obtenues pour renforcer l’attractivité du statut de collaborateur de justice. L’objectif est de lutter contre le haut du spectre de la criminalité organisée, sur le modèle de l’Italie et de sa législation antimafia. Il est logique d’associer à ce statut des contreparties telles que l’identité d’emprunt ou l’exception de peine, tout en conservant des limites éthiques et morales.
Une nouvelle disposition prévoit que les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire pourront être anonymisés : c’est une excellente chose.
Pour ces raisons, notre groupe, dans son immense majorité, votera pour cette proposition de loi.
Mme la présidente
La parole est à Mme Gabrielle Cathala.
Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP)
Voici le moment de voter votre proposition de loi visant prétendument « à sortir la France du piège du narcotrafic ». Encore un titre pompeux, caractéristique de la novlangue macroniste, pour un texte qui ne changera rien car votre loi ne permettra pas de lutter efficacement contre la criminalité organisée qui sévit dans notre société ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Après les lois « sécurité globale », « terrorisme et renseignement », « séparatisme », « Jeux olympiques » et « sûreté dans les transports », l’ère Emmanuel Macron compte désormais plus de trente lois comportant des mesures attentatoires aux libertés fondamentales. Ces lois de surveillance seraient du pain béni pour un gouvernement fasciste, ravi de pouvoir surveiller, intimider et poursuivre des militants sans même avoir besoin de légiférer, tant tout est déjà prêt à l’emploi grâce à l’ensemble des dispositifs votés depuis 2017. (Mêmes mouvements.)
D’ailleurs, toutes les dispositions liberticides de votre texte ont été adoptées grâce aux voix de l’extrême droite de Mme Le Pen, avec qui vous agissez en bande organisée. (Mme Brigitte Barèges rit.) L’une d’entre elles, par exemple, permet, sous prétexte de lutter contre le narcotrafic, de renforcer inutilement le régime de la criminalité organisée en l’étendant à des cas toujours plus larges et nombreux, alors que l’infraction scélérate d’association de malfaiteurs s’applique déjà aux militants écologistes et aux citoyens qui viennent en aide aux personnes exilées. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Une autre crée un dossier coffre, où seront conservés au secret les éléments d’une enquête obtenus par l’utilisation de techniques de surveillance. Ce procès-verbal distinct permettra de séparer du dossier pénal les PV liés à l’application des techniques de surveillance, ce qui empêchera les avocats et les personnes concernées d’en prendre connaissance et d’y déceler de potentielles illégalités qui porteraient une atteinte grave aux droits de la défense.
Votre texte autorise aussi la police à activer à distance micros, caméras d’ordinateurs et téléphones pour espionner les personnes, une disposition pourtant déjà censurée par le Conseil constitutionnel. Pour détecter de nouveaux suspects, il élargit la surveillance de masse permise par les boîtes noires de la loi « renseignement » de 2015 de MM. Hollande et Cazeneuve. Sous la présidence d’Emmanuel Macron, cette loi a été largement étendue sans bilan ou information du Parlement. Comme tant d’autres, elle aurait dû rester temporaire, pour lutter contre le terrorisme, mais elle finira par s’appliquer à tous.
Mme Andrée Taurinya
Exactement !
Mme Gabrielle Cathala
Le bilan aurait pu être pire encore si nous n’avions pas réussi à supprimer l’obligation pour les services de communication d’introduire une porte dérobée au bénéfice de la police (Mêmes mouvements), qui aurait mis fin à la confidentialité des messageries chiffrées comme Signal ou WhatsApp.
Cerise sur le gâteau des atteintes aux libertés fondamentales, M. Darmanin a annoncé la création de son nouveau régime de détention à l’isolement, sur le modèle des quartiers de haute sécurité supprimés par Robert Badinter il y a plus de quarante ans. Alors que la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) qualifie l’isolement prolongé de « torture blanche », le gouvernement crée avec les voix de l’extrême droite un quartier avec fouille systématique, dans lequel les personnes seront détenues sur décision du ministre de la justice lui-même, sans contact humain, sans activité et sans accompagnement. Le seul résultat de ce régime, qui s’appliquera même aux personnes présumées innocentes, sera de rendre les individus complètement fous et d’empêcher leur réinsertion.
La dignité de la personne humaine a bien peu de valeur lorsque deux ministres de l’intérieur ont besoin de montrer leurs petits muscles au journal télévisé de 20 heures ! (Mêmes mouvements.) Une société se juge à la façon dont elle traite ses prisonniers : la vôtre se surpasse dans la maltraitance.
Quand notre pays est condamné plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour sa surpopulation carcérale, quand plus de 4 000 personnes détenues dorment sur un matelas au sol, l’urgence est à la création d’un mécanisme de régulation carcérale et à la dépénalisation de certains délits, non à la suppression des activités en prison, qui bafouerait le droit à la réinsertion, et à un retour quarante ans en arrière.
M. Gabriel Amard
Eh oui !
Mme Gabrielle Cathala
La dépénalisation de certaines infractions, parlons-en ! Il nous a été impossible d’obtenir un débat sur la légalisation du cannabis à des fins récréatives et sur la prévention qui doit prévaloir en matière de stupéfiants et d’addiction. Pour sortir du piège du narcotrafic, il serait grand temps de discuter d’un modèle de légalisation régulée du cannabis en France, qui retirerait une manne financière considérable des mains des narcotrafiquants et permettrait à l’État d’accroître ses moyens pour organiser une politique de prévention à la hauteur des enjeux. (Mêmes mouvements.)
C’est la raison pour laquelle nous prônons une légalisation à la québécoise, confiée à une entreprise publique détenant le monopole de la distribution et de la vente du cannabis. Si la France est le troisième pays de l’Union européenne pour la consommation de stupéfiants malgré la politique pénale la plus répressive, c’est que votre stratégie ne fonctionne pas. Il est grand temps de regarder la réalité en face et de réfléchir à d’autres méthodes. Mais réfléchir et reconnaître vos échecs ne fait pas partie de votre référentiel.
M. Jean-Pierre Taite
Vous, regardez en face les jeunes qui meurent !
Mme Gabrielle Cathala
Finalement, la Ligue des droits de l’homme (LDH) résume bien votre texte quand elle écrit : « Le trafic de stupéfiants constitue un fléau social mais la lutte contre celui-ci ne doit pas se faire au prix d’une réduction des droits et libertés. » (Mêmes mouvements.) Pour lutter contre le trafic de stupéfiants, peut-être faudrait-il commencer par recruter et former les 2 500 enquêteurs manquants, revenir sur la suppression des 5 000 postes d’officiers de police judiciaire inscrite dans votre budget adopté par le 49.3 (Mêmes mouvements), recruter davantage de juges d’instruction pour encadrer correctement les enquêtes !
Pour lutter contre la criminalité organisée, il faut des moyens et des services publics qui fonctionnent. Vous ne parviendrez pas à lutter contre le trafic et les addictions en restant accros à la répression. (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Mme Elsa Faucillon applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle (SOC)
Nos très longs débats ont été d’excellente tenue, face à un texte dense et touffu qui n’a malheureusement bénéficié ni d’une étude d’impact ni d’une analyse juridique exhaustive, par le Conseil d’État, de l’ensemble de ses dispositions.
À ce stade des débats, le groupe Socialistes et apparentés formule une analyse à la fois objective et responsable. Notre pays doit immanquablement se doter de moyens nouveaux et efficaces pour lutter contre le trafic de drogue, en visant le haut du spectre et surtout en renforçant les coopérations internationales, sans lesquelles nous n’y arriverons pas.
Plusieurs dispositions vont dans le bon sens : un parquet national, la mise en réseau des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs), la fermeture des établissements qui servent de couverture au trafic, la confiscation et le gel des avoirs, les saisies, la lutte contre le blanchiment, le renforcement du renseignement, le statut de repenti et le recours aux informateurs. Fort heureusement, notre assemblée a massivement rejeté dans des conditions rocambolesques les interceptions sur les messageries cryptées prévues initialement par le fameux article 8. Le statut de repenti a été renégocié avec le garde des sceaux à deux tiers du quantum de la peine – ce point est également positif.
Messieurs les ministres, vous n’avez eu de cesse de rappeler, tel un argument d’autorité, que cette proposition de loi avait été adoptée à l’unanimité par le Sénat, notamment par les sénateurs socialistes, tous alertés par les élus locaux, à un an des élections municipales. C’est oublier que vous avez introduit dans le texte présenté à l’Assemblée nationale vos prisons de haute sécurité, que les sénateurs n’ont pas eu à connaître en première lecture. Cet ajout, qui n’est pas anodin, est venu perturber le travail des députés. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Les socialistes ont pris toutes leurs responsabilités, tant au Sénat que dans cette assemblée où notre collègue Roger Vicot, que je salue, était corapporteur. (Mêmes mouvements.) Les dispositions les plus liberticides de ce texte – je ne suis pas la seule à l’avoir noté – n’ont été votées que grâce aux voix du Rassemblement national, face à un bloc central absent à la fois en commission, en séance et lors des débats. (Mêmes mouvements.) Nos propositions d’ajustements n’ont jamais été entendues, ce qui est d’autant plus regrettable que nos amendements de repli étaient très acceptables.
M. Inaki Echaniz
C’est vrai !
Mme Colette Capdevielle
Restent plusieurs points durs. Les quartiers de haute sécurité supprimés par Robert Badinter font leur retour. Le placement en détention sera décidé, non par un juge, mais par le garde des sceaux, pour une durée de deux ans renouvelable, y compris pour les prévenus qui bénéficient de la présomption d’innocence. La fouille sera intégrale et systématique. En l’absence de parloir, la communication avec l’extérieur sera très limitée, derrière un hygiaphone, même pour les entretiens avec l’avocat.
Ces mesures, manifestement inconstitutionnelles, portent atteinte aux droits de la défense et au droit de vivre en famille, constitutionnellement et conventionnellement reconnus, que cela plaise ou non à ceux qui trouvent la justice laxiste – surtout lorsqu’elle ne les concerne pas. (Mêmes mouvements.) Il en va de même pour des audiences cruciales qui se dérouleront en visioconférence.
Enfin, concentrer tous les caïds de la drogue dans seulement deux établissements en France ne paraît pas la meilleure solution pour lutter efficacement contre le haut du spectre. Rétablir le procès-verbal distinct – vous l’appelez dossier coffre, je préfère l’appeler dossier caché – est une mesure qui porte directement atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense.
À ce propos, les explications qui nous ont été données ne nous ont pas convaincus et ne sont pas acceptables car il existe des procédures sécurisées et anonymisées pour protéger les enquêteurs. Dans un État de droit, il ne peut être admis de condamner pénalement sur le fondement de preuves dont le contrôle de la régularité est interdit à la défense. (Mêmes mouvements.)
M. Pierre Pribetich
Bravo !
Mme Colette Capdevielle
N’oublions pas non plus que l’expulsion locative ne frappera pas les narcotrafiquants bien à l’abri ; elle ne concernera que les familles et leurs enfants, nullement responsables, qui seront encore pénalisés.
De nouvelles infractions sont créées, dont le garde des sceaux lui-même a reconnu la fragilité législative. Ces différents points justifient de notre part une saisine du Conseil constitutionnel car nous, nous ne bradons pas l’État de droit. (Mêmes mouvements.) La défense des libertés fondamentales n’est pas un caprice de quelques humanistes ni un supplément d’âme, mais le fondement légal de toute société démocratique et la condition du vivre-ensemble.
Enfin, lutter efficacement contre le trafic, c’est viser le sommet du spectre et agir en matière de prévention et de santé publique. La situation actuelle nous le prouve. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix (DR)
Enfin une loi utile aux Français !
M. Philippe Vigier
Très bien !
M. Olivier Marleix
Tout d’abord, je voudrais remercier nos collègues sénateurs à l’initiative de cette proposition de loi, Étienne Blanc et Jérôme Durain. Ils ont agi dans une démarche transpartisane qui honore la Haute Assemblée. Je veux saluer l’engagement et les convictions fortes des deux ministres, le garde des sceaux et le ministre de l’intérieur, ainsi que la qualité du travail des trois rapporteurs, MM. Caure, Pauget et Vicot.
C’est un texte robuste qui donne enfin aux forces de l’ordre et à la justice les moyens de lutter à la bonne échelle contre des réseaux devenus internationaux. Parmi les avancées majeures, je veux souligner la création du parquet national anti-criminalité organisée, la mise à disposition de nouveaux moyens de lutte contre le blanchiment d’argent, le contrôle accru des installations portuaires, l’extension des pouvoirs des douanes, l’interdiction des paiements en espèces pour les locations de véhicules, la création, proposée par le garde des sceaux, de quartiers d’isolement pour empêcher les plus gros trafiquants de continuer à agir tranquillement depuis leur cellule – autant de leviers concrets pour frapper là où c’est utile.
Je me réjouis aussi des avancées que nous avons obtenues lors de nos débats, malgré l’obstruction de l’extrême gauche de cet hémicycle,…
Mme Andrée Taurinya
Il n’y a pas d’extrême gauche !
M. Olivier Marleix
…qui semble toujours plus soucieuse de défendre les droits des dealers que les victimes de la drogue.
M. Jean-François Coulomme
À bas les caricatures !
M. Olivier Marleix
Je pense à quelques points essentiels : le cadre juridique renforcé pour les techniques de renseignement, l’interdiction automatique du territoire français pour les étrangers condamnés à cinq ans de prison pour trafic de stupéfiants, la création du dossier coffre dans les affaires de criminalité organisée pour protéger les sources.
Mon seul regret est que nous ayons renoncé à livrer un bras de fer avec les messageries cryptées. Elles sont pourtant le refuge des pires criminels de la planète, des terroristes, des narcotrafiquants, mais aussi des auteurs d’actes pédocriminels.
M. Jean-François Coulomme
Et de ceux qui détournent l’argent public ?
M. Olivier Marleix
Cette dimension devrait nous préoccuper un peu plus qu’elle ne l’a fait lors de nos débats.
M. Fabrice Brun
Il a raison. C’est étonnant !
M. Olivier Marleix
Permettez-moi d’insister surtout sur un point fondamental qui aurait dû tous nous rassembler : la protection des mineurs, de ces enfants parfois âgés de 12 ou 13 ans, enrôlés dans les trafics au premier décrochage scolaire. Nous ne pouvons pas tolérer que près de 200 000 jeunes tiennent les pieds d’immeuble pour les trafiquants de drogue ! Les premières victimes sont ces enfants soldats, ainsi que les jeunes du même âge, happés par la drogue à la sortie du collège ou du lycée. Ce texte les protège en durcissant les peines contre ceux qui tentent de recruter des petites mains.
Je me félicite également des avancées en matière de prévention de la corruption obtenues dans cet hémicycle – menace évidemment très puissante s’agissant du trafic de drogue. Cette prévention passera par une cartographie des risques de corruption dans l’ensemble des services publics impliqués et confrontés à la lutte contre la drogue.
Enfin, ce texte fournit de nouveaux outils à l’échelon local. Désormais, le préfet pourra lancer des procédures d’expulsion en cas de trouble grave à l’ordre public causé par un dealer qui pourrit la vie d’un immeuble – cas que nous connaissons tous dans nos circonscriptions –,…
M. Bruno Bilde
Eh oui, malheureusement !
M. Olivier Marleix
…même au sein d’une copropriété privée. Ce texte est nécessaire, juste et fort, c’est pourquoi les députés du groupe Droite républicaine le voteront avec conviction. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – Mmes Brigitte Barèges et Claire Marais-Beuil applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Pouria Amirshahi.
M. Pouria Amirshahi (EcoS)
Depuis le début de l’examen du texte, le groupe Écologiste et social s’est mobilisé, avec une ligne de conduite : faire preuve de détermination contre le crime organisé et ses réseaux, son argent et ses causes, tout en défendant les principes de l’État de droit, ses procédures – ne vous en déplaise – et les libertés.
Se donner les moyens, ce n’est pas jouer les matadors, prendre une voix grave et menacer les moulins du narcotrafic, tel Don Quichotte. Se donner les moyens, c’est d’abord en consacrer aux magistrats, trop peu nombreux ; c’est mieux équiper nos services, notamment les services d’enquête ; c’est substituer aux médiatiques opérations Place nette, répétées et éreintantes pour les forces de sécurité, du temps pour l’enquête. Vous voulez mettre des coups de pied dans la fourmilière ; nous préférons remonter et démanteler les filières.
Nous avons essayé de faire ensemble un bout de chemin législatif car l’enjeu importe plus que les postures. Nous avons dit oui à une meilleure coordination de l’action publique grâce à la création d’un état-major et d’un parquet national spécialisé. Nous avons aussi souhaité cibler plus efficacement les têtes de réseau. De même, l’instauration d’un statut plus sécurisé pour les repentis – les coopérateurs de justice –, qui acceptent de briser la loi du silence, et celle d’un statut des infiltrés aideront sans doute à élucider quelques affaires.
Pour notre part, nous avons réussi à convaincre les députés de maintenir au sein du Pnaco des magistrats qualifiés en matière de justice des mineurs et d’intégrer au texte la notion de justice restaurative, qui constitue un levier fondamental pour accompagner les victimes et prévenir la récidive. Contre le blanchiment et l’enrichissement des criminels – car tel est le sujet –, la gauche et les écologistes ont obtenu le renforcement des obligations de vigilance et de formation accrue des professionnels concernés. Enfin, nous avons obtenu que la société bénéficie d’une meilleure redistribution de tous les types de biens mal acquis détenus par les trafiquants vers les collectivités locales, vers les structures d’intérêt général et même vers des projets à forte utilité sociale.
Faute de temps – mais cela reflète le temps à peu près nul que vous y avez consacré –, je passe sur votre impensé fautif concernant la consommation, la prévention et la réduction des risques, alors que ces questions sont un pilier de la lutte contre le narcotrafic.
J’en viens à ce qui fâche. Messieurs les ministres, nous sommes de ceux que vous n’entraînerez jamais sur une pente contraire à nos principes de droit. Vous avez affaibli le contrôle de la détention provisoire, c’est-à-dire de l’incarcération sans jugement, en repoussant l’intervention du juge et en imposant la tenue d’audiences à distance, désincarnées et déshumanisées. Vous avez prôné une justice de la vengeance qui confond la peine avec le châtiment en imaginant volontiers des prisonniers souffrir de l’isolement et subir des fouilles intégrales systématiques, quand il existe des scanners tout aussi efficaces et qui préservent la dignité. Si vous voulez aider les agents de l’administration pénitentiaire à mieux surveiller, commencez, comme les Britanniques ou les Espagnols l’ont fait, par vider les prisons des auteurs de petits délits. D’ailleurs, commençons par appliquer les améliorations prévues dans le texte en matière de formation et de protection des agents, et augmentons au passage leur salaire ; cela pourra aider !
À vrai dire, vous tapez souvent à côté. C’est le cas, par exemple, quand vous enfermez les mules en garde à vue pendant cent vingt heures, presque autant que des terroristes ; croyez-vous une seule seconde qu’un tel acharnement à l’égard des petites mains inquiétera les grands chefs du grand banditisme ? Vous tapez à côté avec le dossier coffre, qui permettra carrément de cacher à la défense des éléments de procédure, et même de condamner une personne sur le fondement d’éléments qu’elle n’aura jamais vus et qui n’auront jamais été discutés. Cela n’est en aucun cas acceptable à nos yeux. L’excès de pouvoir administratif au regard de l’autorité judiciaire dans plusieurs domaines de la loi ne l’est pas davantage, nous vous l’avons rappelé. Le contradictoire est bafoué, l’autorité judiciaire est écartée : vous préparez le terrain pour des normes que nous ne voulons pas.
Évidemment, la fascination de notre époque pour la technopolice ne vous a pas épargnés. Certes, nous avons su contrecarrer votre intention de pénétrer les messageries privées, même au risque de mettre en danger la sécurité numérique nationale – excusez du peu ! Vous avez tout de même, à l’aveugle, étendu de façon excessive et attentatoire aux libertés la surveillance algorithmique, pourtant limitée à la seule lutte contre le terrorisme et contre l’ingérence étrangère.
M. Fabrice Brun
Lutte contre le terrorisme ou contre le narcotrafic, même combat !
M. Pouria Amirshahi
Il en va de même pour l’activation à distance des objets connectés, que le Conseil constitutionnel a pourtant déjà invalidée. Je m’inquiète d’ailleurs de la dérive engagée depuis l’examen du projet de loi pour contrôler l’immigration en 2023 : vous votez des dispositions manifestement anticonstitutionnelles en espérant que le Conseil constitutionnel fera le tri après coup. Cette façon de légiférer est un dévoiement médiocre de notre système politique. Ce n’est pas ainsi que doit fonctionner notre démocratie.
M. Charles Sitzenstuhl
Et votre proposition de loi sur la taxe Zucman, alors ?
M. Pouria Amirshahi
Si nous nous abstenons, c’est pour envoyer une alerte à tous nos collègues, mais aussi aux sénateurs, à quelques jours de la CMP qui peut encore nous mettre d’accord sur l’essentiel : doter la justice et les services d’enquête des capacités nécessaires à agir, à juger et à protéger. Si vous ne déviez pas, vous nous contraindrez à en recourir au Conseil constitutionnel et à appeler tous les parlementaires soucieux de l’État de droit à se joindre à nous dans cette démarche. Si vous voulez nous renvoyer à notre image d’idéalistes, retenez bien que nous prenons l’insulte comme une flatterie, mieux, comme le signe que nous sommes solides, à l’heure où le gouvernement et certains membres de sa majorité, brillant par leur absence, ont flanché face à la menace illibérale. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC. – Mme Anaïs Belouassa-Cherifi applaudit également.)
Mme la présidente
Je fais annoncer, dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, les scrutins publics sur l’ensemble de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic et sur l’ensemble de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée.
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz (Dem)
Après de nombreuses heures d’un débat indispensable et de très bonne tenue, il est temps de nous prononcer sur l’ensemble de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Ce texte doit donner davantage de moyens pour lutter contre la criminalité organisée et répondre à la détresse de nos concitoyens qui, par dizaines de milliers, vivent dans la peur, dans des quartiers noyautés par des gangs.
Certains ont tenté de disqualifier le texte au motif qu’il ne comportait pas de volet de prévention ni de politique de soins pour les personnes sous l’emprise de la drogue. Si ces questions sont évidemment primordiales dans le cadre de la santé publique, ce n’était pas l’objet de cette proposition de loi. Il s’agissait de lutter précisément contre le narcotrafic en traquant les dealers, en interceptant mieux leurs réseaux, en contrant leur trafic et en protégeant nos forces de l’ordre. Le débat sur la légalisation du cannabis s’est aussi invité dans nos discussions. Là encore, si le sujet mérite débat, tel n’est pas l’objet du texte.
Nous avons aussi entendu dire, à gauche, que le texte serait le symptôme d’une paranoïa sécuritaire. Pourtant, des garanties ont été prévues pour protéger les libertés individuelles à chaque article où le doute s’est manifesté. Bien entendu, il convient de légiférer avec précaution dès lors que nous abordons la création d’un régime d’exception ; cependant, pour assurer la protection de nos concitoyens, nous devons agir, en trouvant un équilibre entre ordre et liberté.
C’est pourquoi nous donnons des outils et des moyens aux magistrats, aux enquêteurs, aux policiers et aux douaniers, dont je tiens à saluer le rôle essentiel dans la lutte contre les narcotrafiquants. C’est aussi pourquoi nous renforçons les compétences de l’Office français antistupéfiants (Ofast), pour en faire le véritable chef de file de la lutte contre le trafic de stupéfiants. C’est enfin pourquoi nous créons un parquet national anti-criminalité organisée, qui rendra notre système judiciaire plus résilient, car doté d’une meilleure coordination, et plus efficace, car doté d’une chaîne pénale spécialisée. Cette chaîne sera tout entière renforcée, de l’enquête de police préalable jusqu’à l’incarcération des narcotrafiquants dans des quartiers hautement sécurisés. Ce régime carcéral strict est absolument nécessaire pour faire face à ces criminels d’une extrême violence, pour empêcher efficacement la poursuite du trafic depuis les cellules ou encore les projets d’évasion.
Le texte ambitionne également de frapper avec force ce dont les narcotrafiquants tirent leur puissance, c’est-à-dire leurs finances. Nous le ferons grâce aux nouvelles mesures de lutte contre le blanchiment, qui vont de la fermeture administrative à la restriction des paiements en liquide lors de la location d’une voiture.
Cette proposition de loi vise également à nous doter de moyens supplémentaires en matière de renseignement. Je veux dire un mot de l’interception de données sur les messageries cryptées, initialement prévue à l’article 8 ter. Nous ne pouvions faire l’économie de ce débat, tant il est évident que nos services de renseignement doivent disposer de techniques adaptées aux nouvelles technologies, notamment à l’essor des messageries cryptées. Néanmoins, nos discussions ont montré que le doute persistait sur le plan technique et que le risque d’introduire une faille, une vulnérabilité dans le cryptage, constituait un enjeu de sécurité pour chacun de nous. Cette question devra, je le crois, faire l’objet d’une plus large concertation avant de trouver une réponse définitive.
Je salue encore l’avancée consistant à modifier le statut de repenti. Le nouveau statut se rapproche de celui pratiqué en Italie, qui a prouvé toute sa pertinence dans la lutte contre la mafia. Nous devons assumer qu’un tel statut, pour être réellement efficace, doit être attractif ; c’est bien en réduisant de deux tiers les peines, comme cela a été proposé, que nous nous donnerons les moyens de démanteler des réseaux.
M. Éric Martineau
C’est vrai !
Mme Anne Bergantz
Nous avons également acté la création d’un dossier coffre, outil indispensable pour la protection des enquêteurs et qui a fait l’objet d’une sécurisation juridique pour ne pas porter atteinte de manière disproportionnée aux droits de la défense.
Le groupe Les Démocrates a eu à cœur d’enrichir ce texte tout au long de son examen, dans un esprit de responsabilité. Nous avons notamment contribué à améliorer le renseignement s’agissant de l’entrée de stupéfiants dans les ports de plaisance, à sécuriser la lutte contre la dissimulation de transactions sans porter atteinte aux détenteurs de cryptoactifs lorsqu’ils sont de bonne foi et à créer des circonstances aggravantes applicables aux trafiquants qui exploitent des mules.
Écoutons le terrain. Dans une tribune parue dans Le Point il y a une dizaine de jours, 250 maires, témoins de l’explosion de la violence, des règlements de compte et des intimidations en tout genre, ont appelé à soutenir le texte. Vous l’aurez compris, notre groupe votera pour. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs des groupes EPR et HOR.)
M. Éric Martineau et M. Philippe Vigier
Excellent !
Mme la présidente
La parole est à M. Jean Moulliere.
M. Jean Moulliere (HOR)
À notre époque, le trafic de drogue n’est plus un commerce de proximité, mais une industrie mondiale. C’est pourquoi la mobilisation contre le narcotrafic est plus nécessaire que jamais. À la montée en puissance de l’organisation des réseaux de narcotrafiquants, nous répondons aujourd’hui par la modernisation de l’organisation institutionnelle et judiciaire pour lutter contre les narcotrafics. Au renouvellement des outils utilisés par les narcotrafiquants, nous répondons par le renforcement des technologies à disposition des services d’enquête et de renseignement. À la hausse du sentiment d’insécurité chez une partie de nos concitoyens vivant dans des quartiers gangrenés par les narcotrafics, nous répondons par un sursaut d’autorité de l’État et d’efficacité de la réponse pénale. Je tiens à saluer l’engagement de Gérald Darmanin et de Bruno Retailleau en la matière.
La chaîne humaine de mobilisation contre les narcotrafics est longue. Elle englobe les magistrats, les forces de l’ordre, les agents des douanes mais également les élus locaux, les préfets ou encore l’administration pénitentiaire. Le groupe Horizons & indépendants tient ici à les remercier solennellement. Sans eux, sans leur mobilisation quotidienne, la lutte contre les narcotrafiquants serait impossible. Leur engagement sans faille est trop souvent limité par les ressources pénales et techniques, inefficaces ou obsolètes. Il est donc absolument nécessaire de renforcer les moyens juridiques et judiciaires mis à leur disposition.
C’est l’objet de ces deux textes que le groupe Horizons & indépendants soutient activement. Ils visent notamment la création d’un parquet national anti-criminalité organisée et de quartiers de détention hautement sécurisés pour lutter efficacement contre la criminalité organisée. Les peines d’emprisonnement seront durcies et mieux adaptées aux crimes commis. De même, la lutte contre le blanchiment sera intensifiée afin de mettre fin à l’utilisation de commerces comme façades aux activités criminelles. Ces nouveaux outils renforceront l’autorité de l’État et restaureront la confiance des citoyens en son efficacité. Trop de Français se sentent abandonnés ; face à ce constat inacceptable, nous agissons.
Mon groupe a apporté un soutien total à ces textes, tout en veillant à leur solidité juridique et à leur conformité à la Constitution. Face au chaos imposé par les narcotrafiquants, nous répondons par l’ordre, en instaurant des mesures fortes, à la hauteur des enjeux.
Le groupe Horizons & indépendants se félicite de l’adoption de ses amendements, en particulier de celui qui prévoit une sanction renforcée pour le trafic de stupéfiants commis avec une arme de guerre. Désormais, cette infraction spécifique sera punie de quinze ans de réclusion criminelle.
Face aux irresponsables politiques qui restent aveugles à ce qui se joue dans notre pays, nous voulons assurer la condamnation effective des narcotrafiquants, garantir la sécurité de nos concitoyens, celle des agents publics et l’avenir d’une partie de notre jeunesse.
Nous voterons donc pour ces textes pleins de bon sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem. – M. Aurélien Lopez-Liguori applaudit également.)
Vote sur l’ensemble de la proposition de loi
Mme la présidente
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 550
Nombre de suffrages exprimés 511
Majorité absolue 256
Pour l’adoption 436
Contre 75
(La proposition de loi est adoptée.)
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN, EPR, DR, Dem, HOR et UDR.)
Vote sur l’ensemble de la proposition de loi organique
Mme la présidente
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 552
Nombre de suffrages exprimés 542
Majorité absolue 272
Pour l’adoption 472
Contre 70
(La proposition de loi organique est adoptée.)
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes RN, EPR, DR, Dem, HOR et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice. (Brouhaha.)
S’il vous plaît, le ministre a la parole. Que ceux qui veulent quitter l’hémicycle le fassent dans le calme.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
Je voudrais sincèrement remercier les membres de la représentation nationale qui ont, à l’Assemblée comme au Sénat, très largement voté en faveur de ces textes très importants. La proposition de loi a été amplement débattue avec le gouvernement ; même les députés qui étaient opposés à certaines mesures ont participé à ce débat. Je respecte leurs positions. Nous avons bien compris que le vote de ces textes n’est pas un blanc-seing général pour le gouvernement et sa politique, qu’il ne vaut pas approbation de chacune des mesures qu’ils comportent, mais qu’il constitue un acte de courage et de conviction, à destination des magistrats, des agents pénitentiaires, des policiers et des gendarmes.
Je remercie également les trois rapporteurs, Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot. Monsieur le président de la commission des lois, je terminerai en formulant le vœu que la commission mixte paritaire s’éloigne le moins possible des accords trouvés dans chacune des deux assemblées.
Nous avons besoin que ce texte soit appliqué rapidement pour lutter contre le narcotrafic, soutenir les magistrats et mettre fin à un cancer qui affecte non seulement la santé publique mais aussi la sécurité nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Je voudrais moi aussi remercier les députés, sur de nombreux bancs, d’avoir adopté très largement ce texte. Il fera date car – je tiens à le souligner – les textes de loi aussi importants qui relèvent du domaine régalien et sont d’initiative parlementaire sont très rares.
Enfin, les forces de sécurité intérieure pourront lutter à armes égales contre un fléau qui ravage l’ensemble de notre pays, tant sur le territoire métropolitain qu’ultramarin. Il y aura une nouvelle organisation de l’État, avec une chaîne judiciaire spécialisée et un véritable état-major interministériel, qui s’installera dans quelques semaines à Nanterre ; nous tiendrons donc l’engagement que j’avais pris. En outre, les services de renseignement disposeront également d’un nouvel arsenal. L’État bénéficiera ainsi de nouveaux moyens de renseignement et d’enquête qui amélioreront beaucoup son efficacité.
Je regrette que nous n’ayons pas pu aller jusqu’au bout sur le déchiffrement, mais il était important de commencer à en parler. Des ministres européens de l’intérieur avec lesquels j’ai participé à une réunion il y a quelques jours ont les mêmes questionnements que nous. Vous verrez que nous devrons à un moment ou à un autre définir des procédures en ce sens, qui devront évidemment être respectueuses des libertés publiques.
Le nouvel arsenal permettra de lutter très efficacement contre le narcotrafic. Je voudrais dire un mot sur le dossier coffre, disposition qui avait été ratifiée par le Conseil d’État : cette disposition permettra d’éviter que la vie des enquêteurs soit menacée et de préserver les techniques spéciales de renseignement et d’enquête.
Il y aura sans doute un avant et un après. Nous montrons ainsi que les démocraties peuvent se défendre contre des fléaux comme le narcotrafic ou la criminalité organisée sans rien céder sur leurs principes fondamentaux.
Je vous remercie en tout cas d’avoir très largement voté ce texte, qui a un but : arrêter le massacre. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
D’abord, je veux me faire la porte-parole des 16 000 femmes et hommes de l’ombre que sont les douaniers. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR. – M. Antoine Léaument applaudit également.) Par votre vote, vous leur donnez des moyens renforcés de lutter contre le narcotrafic, de suivre le crime et de saisir l’argent des trafics.
Ensuite, ce texte marque un changement majeur dans la capacité collective à lutter contre le blanchiment de l’argent du trafic et son évaporation à l’étranger. Ni le trafic ni l’usage que font les trafiquants de l’argent resteront impunis. Nous pourrons ainsi protéger au mieux notre économie et nos finances publiques contre ce qui est devenu une industrie de la fraude, car toute une industrie du crime organisé bénéficie massivement de cet argent illicite.
Je veux donc vous remercier et vous dire qu’avec tout le gouvernement, notamment le garde des sceaux et le ministre de l’intérieur, nous faisons équipe pour que l’action des services de Bercy, celle de la police judiciaire, celle du parquet et les actions sur les saisies forment un bloc contre ceux qui veulent nous désunir et nous fragiliser. Merci pour votre soutien. À l’action ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
3. Mettre fin à la culpabilisation des victimes de violences physiques et sexuelles
Discussion d’une proposition de résolution
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion, en application de l’article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de M. Paul Christophe et plusieurs de ses collègues, visant à mettre fin à la culpabilisation des victimes de violences physiques et sexuelles (no 924 rectifié).
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à M. Paul Christophe.
M. Paul Christophe
La prise de conscience collective sur la question cruciale du consentement nous appelle à interroger notre héritage culturel. Trop souvent encore, notre culture glorifie des rapports de domination, où la violation des droits des femmes est non seulement valorisée, mais institutionnalisée. Face à cette réalité, nous avons le devoir de choisir quelle culture nous souhaitons défendre et quel héritage nous voulons nous-mêmes transmettre aux générations futures.
Pour ma part, je choisis de suivre l’exemple du général de Gaulle. Bien qu’il soit rarement cité pour cela, le général était de ces hommes qui rêvent d’une société plus juste et égalitaire. En avril 1944, c’est lui qui signe l’ordonnance accordant le suffrage universel aux femmes, leur permettant de voter pour la première fois de leur histoire aux municipales de 1945. C’est lui encore qui, en 1965, décide de réformer le régime matrimonial et d’accorder ainsi aux femmes le droit de travailler, d’ouvrir un compte bancaire et de gérer leurs biens propres sans avoir à demander l’autorisation de leur mari. Le Général croyait au respect de la dignité humaine et aux droits individuels, une conviction qu’il nous revient de faire vivre et prospérer.
Mes chers collègues, c’est pour que nous puissions collectivement poursuivre ce travail que j’ai déposé cette proposition de résolution et que je suis favorable à la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol qui sera examinée ensuite.
Le consentement doit être au cœur de nos relations. Que la France rende encore des jugements tels que celui qui lui a valu d’être condamnée très récemment par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) – un divorce avait été prononcé aux torts exclusifs d’une épouse en raison de son refus d’entretenir des relations sexuelles avec son mari – m’est insupportable. Cela révèle le poids du droit canonique dans notre culture, choisi au détriment de la liberté sexuelle de tous et du droit de chacun à disposer de son corps. Malgré la reconnaissance du viol conjugal par le droit français depuis le début des années 1990, certaines de nos plus hautes instances continuent de rendre des décisions instaurant, de fait, une obligation sexuelle qui serait présumée d’office par le mariage.
Le sexisme est tenace, mais moi aussi. Je refuse de croire que c’est dans cette société que nous aspirons à vivre. Nous ne voulons pas d’un mariage qui assure une relation régulière, presque marchandée. Cela serait d’une tristesse infinie, vide de sens et de respect mutuel. Nous devons mettre un terme à cette hérésie.
Toutefois, l’exemple que nous venons de présenter n’est malheureusement que la partie émergée de l’iceberg qui nous cause tant de tort. De la plainte au verdict, de la libération de la parole à son commentaire, notre société tout entière recherche sans cesse des circonstances atténuantes à l’agresseur. En questionnant le passé sexuel de la victime, ses mœurs, ou encore sa tenue vestimentaire le jour de son agression, notre culture explique aux femmes qu’elles devraient se soumettre aux désirs des hommes ou, au moins, ne pas se plaindre des violences qu’elles subissent. Par là, notre société inverse les rôles en faisant culpabiliser les victimes davantage que leurs agresseurs.
Soyons clairs : de façon plus ou moins assumée, notre société fait injustement porter aux femmes la responsabilité des actes des hommes.
Nous avons tous entendu des phrases telles que : « Après tout, elle l’a épousé. », « Elle n’avait qu’à moins boire. », « Elle n’avait qu’à porter plainte. » ou « Elle l’a bien cherché. » Ces petites phrases qui résonnent, encore trop souvent, dans nos esprits ou nos conversations, ne sont ni sans importance ni sans conséquences : elles se traduisent de façon concrète dans la vie des femmes.
Encore une fois, bien que le droit français ait été clarifié, trop de plaintes ne sont pas prises en compte, au motif de l’insuffisance présumée des blessures subies, qu’elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques. Les faits ne seraient pas si graves ; ce n’est pas la peine de faire une enquête, et encore moins un procès, car la société a déjà tranché.
Le sexisme est tenace, mais nous aussi. Continuons à lutter pour une société où chaque individu est respecté et où les droits ne sont pas seulement inscrits dans la loi, mais aussi vécus au quotidien. C’est notre responsabilité, notre héritage, notre choix.
Je crois à la prise de conscience évoquée par le Conseil d’État. Je suis persuadé qu’en adoptant cette proposition de résolution, notre assemblée ajoutera une pierre de plus au solide édifice que nous souhaitons construire. Nous voulons une société plus juste, où coexistent la considération de la victime et le respect des droits de la défense. Tous ensemble, exprimons-le. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs du groupe EPR. – Mme Brigitte Barèges applaudit aussi.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Constance de Pélichy.
Mme Constance de Pélichy
Combien d’entre nous, dans cette assemblée, ont été victimes de violences sexuelles et sexistes ? Statistiquement, nous sommes des dizaines. Et pourtant, combien d’entre nous ont réagi à la suite de ces violences ? Peu, très peu – trop peu.
Je suis une femme politique depuis plus de dix ans. J’ai mené des combats, j’ai parfois eu la main hésitante avant certaines décisions. Celle qui m’a le plus marquée, c’est la publication d’un témoignage sur ma page Facebook, en octobre 2017 : « La première fois, c’était il y a dix ans. J’étais stagiaire, il était PDG d’une boîte du CAC40. »
Cette décision a été l’une des plus dures à prendre : je savais qu’il était important de témoigner pour aider la parole à se libérer mais je ressentais aussi de la honte. Cette foutue honte, cette peur d’être jugée et cette petite voix en moi – en nous –, qui murmure toujours trop fort : « En même temps, est-ce que j’ai fait ce qu’il fallait pour éviter ça ? »
J’avais 21 ans, il était PDG du CAC40 et réclamait des faveurs sexuelles. Un comportement inacceptable. Pourtant, je n’ai jamais pu citer son nom – peur du scandale, peur de me sentir humiliée, peur d’en sortir moi-même salie, peur de faire beaucoup de bruit pour quelque chose qui n’en valait peut-être pas la peine. Finalement, était-ce si grave ? Doit-on vraiment en faire tout un plat ? Oui, mille fois oui !
Depuis, j’ai appris, à mes dépens, qu’il n’existait pas de dîner professionnel sans un geste déplacé ; que non seulement on ne m’avait jamais demandé si j’étais d’accord pour une main baladeuse, mais qu’en plus, lorsque je disais « non », il fallait que je me justifie, voire que j’insiste plusieurs fois pour que l’on respecte mon « non » ; que souvent – pour ne pas dire toujours –, se cache derrière ces gestes et ces propos obscènes un rapport de pouvoir.
J’ai vieilli. Les rides et les cheveux blancs apparaissant, ces pratiques se font moins fréquentes. Je me suis affirmée aussi, j’ai appris à résister avec plus fermeté, tout en gardant le sourire – il ne faudrait quand même pas vexer. Mais ces comportements ne disparaissent pas totalement.
Il y a quelques jours, je publiais les témoignages de ma sœur, femme dirigeante de 33 ans. Je pourrais aussi parler de cette amie qui me confiait, il y a quelques mois, avoir été victime d’inceste répété ; et de ces habitantes de ma commune, anéanties et abandonnées par le système lorsqu’elles ont découvert comment le père ou le beau-père de leur fille abusaient de celle-ci.
Des exemples comme ceux-ci, j’en ai – beaucoup trop. Ces comportements ne sont pas isolés, ils ne sont pas des faits divers : ils sont des phénomènes de société.
Et puis, il y a eu cette claque – cette monumentale claque – des viols de Mazan. Gisèle Pélicot et sa fille, Caroline Darian, ont été victimes de dizaines de violeurs, alors qu’elles étaient sédatées. Et la défense surréaliste de leurs violeurs, quand ils ont répliqué, avec le plus grand cynisme, qu’ils ignoraient qu’elles n’étaient pas consentantes…
Tous les signes étaient pourtant là, touchant jusqu’à notre collègue Sandrine Josso, mais je ne les avais pas vus venir. Dans quelle société vit-on lorsqu’un sénateur tente de droguer une députée pour abuser d’elle ?
Mesdames, permettez-moi de vous dire « merci » et de vous témoigner ma profonde reconnaissance. Sans votre courage et votre force, de quoi parlerions-nous cet après-midi ? Combien de victimes supplémentaires devrions-nous attendre pour réagir ?
Le chemin est encore long, mais les deux textes présentés cet après-midi nous feront avancer d’un pas – je tiens à en remercier très sincèrement leurs auteurs. Cependant, il ne s’agit que d’un pas.
J’aimerais que nous promettions à toutes les petites filles, jeunes filles, jeunes femmes et femmes de France que nous serons à la hauteur et qu’elles vivront bientôt dans un pays où elles pourront, sans peur ni pression, dire « oui » ou « non » ; où elles n’auront plus honte et ne se sentiront plus jugées.
Soyons collectivement à la hauteur. À la hauteur pour accueillir les victimes, les traiter avec le respect qu’elles méritent, instruire les plaintes – sur le plan pénal autant que sur le plan disciplinaire. À la hauteur pour les accompagner et les aider à se reconstruire.
À la hauteur, aussi, pour prévenir, éduquer et faire évoluer notre société. « Tant que la liberté de ta fille dépendra de l’éducation de mon fils, je serai féministe » : ce message de l’œuvre monumentale de Katharina Cibulka, exposée au fonds régional d’art contemporain (Frac) d’Orléans, j’en partage chaque mot. L’enjeu est là. Ces femmes, ce sont vos filles, vos sœurs, vos mères ou vos épouses. Alors, soyons à la hauteur. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC, EcoS, Dem et HOR. – MM. Christophe Barthès et Jean-François Coulomme applaudissent aussi.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon
L’intime est politique : cette revendication féministe a beau être puissante, elle n’est pas toujours bien comprise. Pourtant, les liens de pouvoir et de subordination entre les hommes et les femmes trouvent un terrain de choix à l’ombre des regards extérieurs, au cœur du domicile familial.
Il faut le répéter, tant une grande partie des violences faites aux femmes viennent de cette sphère traversée de violence et de conflits. Oui, la culture du viol s’invite jusqu’au lit conjugal.
Il faut l’énoncer clairement, afin de lutter contre cette espèce de romantisation des violences faites aux femmes. Je pense aux expressions « crime passionnel » ou « baiser volé » : ce champ lexical riche, emprunté aux plus belles expressions des grandes tragédies grecques, est une manière d’enjoliver un acte de prédation, de violence et de barbarie.
Le récent documentaire sur l’assassinat de Marie Trintignant en dit long sur les effets délétères de la qualification de crime passionnel et de la frontière assumée entre relations personnelles et personnages publics.
Cette culture du viol s’immisce jusqu’à notre droit. Notre code civil ne fait pas mention d’un devoir conjugal, mais une interprétation archaïque de l’article 215, qui dispose que « les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie », a pu être comprise comme une obligation sexuelle implicite, dans le cadre du mariage.
Alors que la chambre criminelle de la Cour de cassation a aboli le devoir conjugal depuis un arrêt du 5 septembre 1990, les juges civils continuent de l’imposer, selon une vision archaïque du mariage. Pourtant, la décision précise explicitement que le viol « n’exclut pas de ses prévisions les actes de pénétration sexuelle entre personnes unies par les liens du mariage […]. »
Depuis, les décisions instaurant une obligation sexuelle implicite dans le cadre du mariage n’ont jamais cessé. Elles concernent, en très grande majorité, des femmes. Objectivées car considérées comme étant à la disposition de leur époux, ces dernières doivent, en cas de faute, verser des dommages et des intérêts à leur ex-conjoint pour « manquement à leur devoir conjugal »… en lisant cela, je peine à croire que nous sommes au XXIe siècle ! C’est pourtant la réalité de notre droit et de son application.
Le 23 janvier 2025, la CEDH a condamné la France pour avoir prononcé un divorce aux torts exclusifs de la requérante, au motif qu’elle refusait d’avoir des relations sexuelles avec son époux. Dans cet arrêt, la Cour réaffirme clairement que « le consentement au mariage ne saurait être assimilé à un consentement aux relations sexuelles futures. » Elle souligne aussi que des moyens alternatifs étaient à la disposition du conjoint pour mettre fin à la relation, comme le divorce pour altération définitive du lien conjugal, sans recourir à des motifs portant atteinte à l’intégrité du corps de l’autre partie.
Il est important de rappeler l’importance de la CEDH, au moment où beaucoup remettent en cause les décisions de la Cour, voire s’en émancipent.
La lutte contre les violences faites aux femmes est constante. Les militantes féministes le savent bien. Si elles connaissent des luttes victorieuses, des moments où les progrès s’accélèrent, elles savent aussi qu’obtenir gain de cause prend du temps – beaucoup de temps. Il a fallu de nombreuses années de lutte pour en finir avec cette idée que le lit conjugal, où se produisent la majorité des viols, est une zone de non-droit.
Le texte que nous examinons n’a rien de contraignant. Malgré tout, il est utile, au moins pour une raison : il nous permet de débattre du sujet.
Les textes affirmant des principes ne sont pas de trop, tant les retours en arrière nous guettent. Il est important de redire ici, dans l’hémicycle, que le corps des femmes n’est pas à la disposition des hommes. Faisons résonner la voix des victimes sur ces bancs, disons-leur que nous les croyons et qu’elles ne sont pas responsables.
Les mots doivent entraîner des actes. Nous profitons donc de l’examen de ce texte pour rappeler que de nombreuses propositions existent pour lutter contre les violences faites aux femmes. Nous espérons vivement que le travail engagé en vue d’une loi-cadre ou d’une loi intégrale aboutira, le plus rapidement possible.
Il sera aussi nécessaire d’abonder massivement les financements des associations de défense des droits des femmes et des centres d’hébergement d’urgence. Enfin, j’appelle à instaurer une formation citoyenne et politique sur les différentes formes de domination patriarcale. Nous voterons évidemment cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS. – M. Jean-François Coulomme applaudit aussi.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Brigitte Barèges.
Mme Brigitte Barèges
Le titre de la résolution, qui appelle à mettre fin à la culpabilisation des victimes de violences physiques et sexuelles, peut paraître surprenant à des législateurs. À première vue, il évoque ce phénomène terrible qui frappe souvent les victimes de sévices sexuels, notamment dans la sphère familiale.
Pour avoir eu, hélas, à défendre des enfants et des femmes victimes de tels actes, j’ai pu constater, en tant qu’avocat, ce paradoxe : la victime se culpabilise à la place de son bourreau. Dans ce rapport dominant-dominé, où la violence psychologique de ces pervers narcissiques s’ajoute à la violence physique, il n’est pas rare que l’auteur finisse par convaincre la victime que tout est de sa faute.
Ce sentiment de honte et de culpabilité poursuivra longtemps la victime, qui devra recourir à des traitements lourds pour retrouver confiance en elle et s’affranchir de son prédateur. Alors, elle pourra revendiquer son statut de victime. C’est le premier pas, qui relève plus de la psychothérapie que de la loi.
Cela peut expliquer pourquoi la victime est souvent réticente à déposer plainte : elle est vulnérabilisée par son sentiment de culpabilité et – surtout – peu confiante en sa propre crédibilité. C’est absolument terrible à vivre.
La proposition de résolution est plus qu’une pétition de principe : elle dresse le constat accablant du dysfonctionnement de notre justice pénale, en ce qui concerne le statut des victimes et leur prise en considération.
Si le texte est circonscrit aux victimes de violences sexuelles, on pourrait généraliser ce constat à l’accueil de l’ensemble des plaignants dans les commissariats, où l’on est plus enclin à enregistrer des mains courantes que des plaintes, car ces dernières exonèrent de l’enquête.
Ce texte invite le gouvernement à réaffirmer l’obligation d’enregistrer l’intégralité des plaintes déposées, sans jugement a priori sur leur légitimité. Il institue ainsi une présomption irréfragable de sincérité, sous le prétexte affiché du respect de la parole de la victime. Si l’intention est louable, elle témoigne surtout d’une véritable défiance à l’égard de la police, et même de la justice. Ne faudrait-il pas plutôt renforcer les moyens de la police et la formation des agents chargés de recueillir ces plaintes ?
Par ailleurs, cette résolution invite le gouvernement à assurer le respect de la dignité du plaignant jusqu’au délibéré, indépendamment de toute autre considération relative à la vie privée de la victime. Là aussi, on peut saluer le principe qui consiste à inviter les juges et les policiers à éviter les a priori et les jugements de valeur, mais ce devrait être une évidence ! Les auteurs de ce texte témoignent là encore d’une véritable défiance à l’égard de notre système judiciaire. À ce propos, permettez-moi de faire une incise : l’actualité judiciaire d’hier permet d’étendre la liste des a priori : ils peuvent aussi concerner l’appartenance à tel ou tel parti politique, plutôt de droite, hélas... Mais ce n’est pas le sujet. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
Vous instrumentalisez cette question, c’est lamentable !
Mme Christine Arrighi
Vous n’avez pas honte ?
Mme Brigitte Barèges
Nous ne pouvons qu’être d’accord avec l’obligation faite au juge d’être animé, sans parti pris, par la recherche constante de la vérité. En effet, il est impératif que les victimes soient traitées avec la considération qu’elles méritent, en valorisant leur parole et les traumatismes qu’elles ont subis. Elles doivent se sentir en sécurité pour s’exprimer, d’où l’importance de faire tomber les obstacles qui entravent leur prise de parole.
Mme Sandrine Rousseau
Votre prise de parole empêche leur prise de parole !
Mme Brigitte Barèges
Cependant, il faut aussi reconnaître que, malgré les progrès réalisés en la matière, il subsiste des lacunes, des angles morts dans notre approche des violences, notamment de celles liées à l’immigration. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Ségolène Amiot
Un peu de dignité !
Mme Marie Mesmeur
C’est infâme. La honte !
Mme Brigitte Barèges
C’est Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, qui affirmait en février que les étrangers représentent 40 % des violences sexuelles dans la capitale et son agglomération. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.) C’est à ce titre que je tiens à saluer, avec une grande émotion, la vice-présidente de l’UDR, Claire Géronimi, qui a été victime d’un viol commis par un clandestin faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), en novembre 2023.
Mme Ségolène Amiot
Essayez de retrouver votre dignité !
Mme Brigitte Barèges
Il y a maintenant plus de seize mois que cet acte terrible a eu lieu et l’auteur n’a toujours pas été traduit en justice, alors qu’il aurait commis une autre agression quelques instants plus tôt, sur une autre jeune femme. Comment peut-on tolérer une telle lenteur du système judiciaire ?
Même si elle n’a pas un caractère opérationnel, cette proposition de résolution constitue une avancée, mais elle ne doit pas cacher les causes de cette violence, sur lesquelles nous avons aussi le devoir d’agir. Le groupe UDR votera résolument en faveur de cette proposition de résolution, car elle représente une opportunité de renforcer nos dispositifs de protection des victimes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR et sur quelques bancs du groupe RN.)
Mme Ségolène Amiot
Allez, c’est bon, vous avez dépassé votre temps de parole !
(À dix-huit heures, M. Jérémie Iordanoff remplace Mme Naïma Moutchou au fauteuil de la présidence.)
Présidence de M. Jérémie Iordanoff
vice-président
M. le président
La parole est à M. Julien Odoul.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Condamné hier, à la tribune aujourd’hui !
M. Jean-François Coulomme
Heureusement qu’il leur reste le racisme !
M. Julien Odoul
Chers collègues,…
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est vous qui coûtez cher. Rendez l’argent !
M. Julien Odoul
…il est temps, enfin, que dans notre société, on cesse de retourner la honte contre celles qui ont subi des violences physiques et sexuelles. Mais cette résolution, aussi forte soit-elle, aussi importante soit-elle, ne changera rien si le droit et la justice ne changent pas. C’est pourquoi j’ai déposé une proposition de loi visant à imposer un test de dépistage des infections sexuellement transmissibles à l’auteur présumé d’un viol.
Mme Christine Arrighi
Ah !
M. Julien Odoul
Une proposition nécessaire et juste : c’est à l’agresseur, et non à la victime, d’assumer la charge de la preuve, du doute, du soupçon. Une inversion du regard. Une inversion de l’humiliation.
Mme Christine Arrighi
Qu’est-ce que ça va changer ?
Mme Ségolène Amiot
Et on ne dépistera plus les victimes ?
M. Julien Odoul
J’aimerais maintenant évoquer un autre type de violence qui s’est abattu sur notre démocratie. Une violence froide, institutionnelle, implacable, qui se cache derrière l’État de droit.
M. Jean-François Coulomme
C’est de vous que vient la violence.
M. Julien Odoul
Hier, Marine Le Pen (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS, GDR), candidate du premier parti de France, plébiscitée par 37 % des Français dans un dernier sondage, a été condamnée à cinq ans d’inéligibilité, avec exécution immédiate.
Mme Sandrine Rousseau
Arrêtez !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Délinquant !
M. Julien Odoul
Une exécution politique, sans attendre l’appel.
Mme Sandrine Rousseau
Taisez-vous !
M. Julien Odoul
Rendez-vous bien compte : cela signifie purement et brutalement l’expulsion de 13 millions d’électeurs de la scène démocratique. Les trois magistrats qui ont prononcé cette sentence n’ont pas jugé au nom du peuple français. Ils ont jugé contre le peuple français. Et c’est là que nous touchons à la racine du mal.
Mme Christine Arrighi
Écœurant !
Mme Sandrine Rousseau
Votre nombril ne nous intéresse pas !
Mme Marie Mesmeur
Vous insultez les victimes de violences !
M. Julien Odoul
En juin 2024, au moment des élections législatives, le Syndicat de la magistrature, cette officine d’extrême gauche, proche de LFI, avait passé ses consignes aux magistrats. Faire un mur des cons ne leur suffisait plus. Il leur fallait passer à une autre étape.
M. Charles Sitzenstuhl
Monsieur le président, c’est une honte ! C’est hors sujet !
M. Julien Odoul
Ils veulent désormais faire et défaire les élections en évinçant le principal acteur : le peuple. Ils veulent effacer les bulletins de vote avec des arrêts de juridiction.
M. Jean-François Coulomme
Rends le fric !
M. Julien Odoul
Ils veulent transformer la justice en arme tactique, en missile électoral. Tous les véritables défenseurs de la démocratie, ici, dans cet hémicycle, devraient être scandalisés.
M. Charles Sitzenstuhl
C’est honteux ! Rappel au règlement !
M. Julien Odoul
Scandalisés qu’une décision de justice soit rendue, non pas au nom du droit, mais contre le choix du peuple. Scandalisés que l’on puisse priver les Français de leur candidate par un simple prononcé, sans appel, au nom d’un prétendu ordre public.
M. Charles Sitzenstuhl
C’est un scandale, monsieur le président !
M. Julien Odoul
Ceux qui prétendent défendre la République doivent aujourd’hui se lever. Levez-vous, chers collègues ! Ceux qui croient encore à la démocratie doivent s’indigner.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Cela n’a aucun rapport avec le texte ! Vous n’êtes plus à la barre !
Mme Ségolène Amiot
Taisez-vous !
M. Julien Odoul
C’est un combat pour la souveraineté, pour la liberté du peuple, pour la liberté d’opinion, pour l’égalité de tous devant la loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Exclamations sur de nombreux bancs.) Voilà l’état réel de notre démocratie !
Mme Ségolène Amiot
C’est une honte !
M. Julien Odoul
On écarte une candidate, dont le seul tort est de pouvoir devenir la prochaine présidente de la République. On frappe Marine Le Pen, parce qu’elle incarne la volonté populaire. (Mêmes mouvements.)
Mme Sandrine Rousseau
Lamentable, petit, minable.
Mme Constance de Pélichy
C’est une honte pour les femmes victimes !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Vous devriez avoir honte d’évoquer vos misérables affaires de voleurs.
Mme Ségolène Amiot
Délinquant !
M. Julien Odoul
L’article 3 de notre Constitution dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple ». Aujourd’hui, elle n’appartient plus à personne. Ou plutôt, si : à ceux qui siègent dans l’ombre des palais de justice en toute irresponsabilité, et qui se proclament antifascistes en utilisant des méthodes totalitaires.
Mme Marie Mesmeur
Vous devriez avoir honte d’utiliser ainsi la tribune !
M. Julien Odoul
Depuis ce 31 mars 2025, cette souveraineté est suspendue. La France n’est plus le pays des Lumières. La France n’est plus la patrie des droits de l’homme. La France n’est plus qu’une démocratie au rabais. Elle en garde les formes, mais elle en a perdu l’âme. (Mme Ségolène Amiot fait claquer son pupitre.)
M. le président
S’il vous plaît !
M. Julien Odoul
À quoi bon envoyer des observateurs électoraux en république démocratique du Congo ou en Biélorussie, quand on rend inéligible la cheffe de l’opposition nationale par décision expresse ? Quelles leçons de démocratie pourra donner le Quai d’Orsay au Venezuela, à l’Iran ou à la Syrie ?
Mme Constance de Pélichy
Cela n’a aucun rapport avec le texte !
M. Charles Sitzenstuhl
Monsieur le président, il faut mettre fin à ce discours ! C’est une honte !
M. Julien Odoul
Aujourd’hui, on condamne Marine Le Pen. Demain, on effacera d’autres partis, d’autres groupes politiques, d’autres élus. Et bientôt, ce sera le peuple tout entier qu’on déclarera coupable.
Mme Ségolène Amiot
Ça suffit !
M. Christophe Bex
Il y a les faits !
Mme Constance de Pélichy
Taisez-vous !
M. Julien Odoul
L’histoire retiendra qu’un jour, en 2025, la République a vacillé par un coup de force judiciaire.
M. Christophe Bex
Quatre mois de procès, 4 millions d’euros, quatre ans de prison !
M. Julien Odoul
Mais les Français, eux, ne se tairont pas. En démocratie, ce ne sont pas les juges qui tranchent, mais le peuple. Sauvons la démocratie ! Soutenons Marine Le Pen ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. Paul Christophe
Vous instrumentalisez ce débat, j’ai honte pour vous.
M. le président
Avant de passer la parole à M. Charles Sitzenstuhl pour un rappel au règlement, je veux préciser que, malgré les interpellations, j’ai laissé le débat se dérouler. Pourquoi ? (Exclamations sur divers bancs.) L’article 54 du règlement autorise le président à couper l’orateur lorsqu’il s’écarte absolument du sujet, puisqu’il faut veiller à ce qu’il y ait un lien entre la discussion et le propos que l’on tient à la tribune, que ce soit dans la discussion générale ou la discussion des articles.
Des digressions, beaucoup en font…
Mme Ségolène Amiot
Pas à ce point !
M. le président
…et je propose qu’on laisse chaque orateur libre de ses propos. Lorsqu’il y a des provocations, on ne peut pas se plaindre que ceux qui sont provoqués réagissent à la tribune. Je pense que l’on va continuer comme cela.
Mme Nicole Dubré-Chirat
Sur un sujet comme celui-ci, c’est dommage.
Rappels au règlement
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour un rappel au règlement.
M. Charles Sitzenstuhl
Merci, monsieur le président, de me donner la parole pour ce rappel au règlement, qui se fonde sur l’article 54 de notre règlement, que vous avez mentionné, ainsi que sur le titre VIII de la Constitution, relatif à l’autorité judiciaire. Ce qui vient de se passer est scandaleux et très grave.
M. Emeric Salmon
Vous remettez en cause la présidence ! C’est scandaleux !
M. Charles Sitzenstuhl
Pas du tout. C’est vous que je vais remettre en cause.
Mme Sandrine Rousseau
Laissez-le parler !
M. Charles Sitzenstuhl
Ce qui vient de se passer est scandaleux et très grave. C’est d’abord scandaleux sur le fond, parce que nous discutons d’un problème de société qui est grave, les violences sexistes, physiques, sexuelles. Des collègues ont parlé avec beaucoup de dignité de ce sujet, parfois de façon très personnelle. Et, à l’instant, nous avons eu un député du Rassemblement national qui s’est écarté, du début à la fin de son intervention, du fond du sujet.
M. Julien Odoul
J’ai déposé une proposition de loi sur le sujet !
M. Charles Sitzenstuhl
Ce qui vient de se passer est très grave, ensuite, parce que le député qui s’est exprimé est concerné par une décision de justice qui a été prise il y a quelques heures par l’autorité judiciaire et qu’il se sert de la tribune de l’Assemblée nationale, en violation manifeste de la séparation des pouvoirs, pour évoquer cette décision de justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
M. Julien Odoul
Je suis présumé innocent !
M. Charles Sitzenstuhl
Monsieur le président, je demande que ce qui vient de se passer soit discuté avec la présidente de l’Assemblée nationale, parce que, pour moi, c’est une violation grave de notre Constitution…
M. Laurent Jacobelli
Ne surjouez pas !
M. Charles Sitzenstuhl
…qui vient d’être commise par ce député, concerné, je le répète, par une décision de justice. La tribune de l’assemblée ne doit pas être utilisée pour tenir ce genre de propos. (Mêmes mouvements.)
M. le président
Si des députés ou des groupes parlementaires souhaitent saisir le bureau, je les invite à le faire, mais je répète que la parole des députés est absolument libre dans cet hémicycle. C’est aussi un principe constitutionnel.
La parole est à M. Benjamin Lucas-Lundy, pour un deuxième rappel au règlement.
S’il concerne le même sujet, je vous invite à faire très court, car nous sommes dans une semaine de l’Assemblée nationale et il y a d’autres textes en discussion. Merci de ne pas rallonger les débats : je crois que chacun a compris le fond du sujet.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Je me fonde sur le même article de notre règlement et les mêmes principes constitutionnels que mon collègue. J’y ajoute l’article 100 et le fait que notre collègue a provoqué un tumulte.
M. Emeric Salmon
C’est vous !
M. Julien Odoul
Incroyable !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Monsieur le président, la tribune de l’Assemblée nationale est sacrée, particulièrement quand nous débattons de sujets qui affectent aussi durement la vie de tant de nos compatriotes et qui sont aussi graves.
Cette tribune a été salie par les propos du délinquant Julien Odoul,…
M. Emeric Salmon
Et la présomption d’innocence ?
M. Benjamin Lucas-Lundy
…qui est venu s’en servir comme de la barre d’un prétoire. Il est venu ici instrumentaliser le sort des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles…
M. le président
Merci de conclure.
M. Benjamin Lucas-Lundy
…pour parler de Mme Le Pen.
Je m’associe à la demande de notre collègue : il faut que le bureau soit saisi parce que nous sommes, dans cette enceinte, les représentants de la nation. Nous ne sommes pas dans la succursale d’un tribunal putschiste voulu par M. Odoul et Mme Le Pen pour remettre en cause l’État de droit ! Monsieur le président, ce qui s’est passé est extrêmement grave… (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’orateur. – Les députés des groupes EcoS, ainsi que quelques députés du groupe LFI-NFP, applaudissent ce dernier.)
M. Laurent Jacobelli
On est libres ! Liberté ! On n’est pas en URSS !
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est toi l’URSS mal léché !
M. le président
La parole est à Mme Ségolène Amiot.
Mme Ségolène Amiot
Mon rappel au règlement se fonde sur les articles 54 et 100 de notre règlement, ainsi que sur le titre VIII de la Constitution. Je m’associe à la demande de notre collègue Charles Sitzenstuhl : il importe que cette question soit abordée rapidement en conférence des présidents.
Vous avez dit, monsieur le président, que les députés sont libres de leur parole dans l’enceinte de cet hémicycle…
M. Emeric Salmon
Exactement !
Mme Ségolène Amiot
…mais certains propos tombent malgré tout sous le coup de la loi. Il est déjà arrivé que des propos soient sanctionnés sur ces bancs et il est temps de prendre des sanctions.
M. Laurent Jacobelli
Vous avez un problème avec la liberté d’expression !
Mme Sandrine Rousseau
Taisez-vous !
Mme Ségolène Amiot
Nous étions en train de parler des femmes qui sont doublement victimes, d’abord parce qu’elles sont agressées sexuellement par des hommes, ensuite parce qu’elles ne sont pas crues. Tout l’enjeu, c’est qu’elles ne soient pas condamnées au silence. Et vous, monsieur Odoul, une fois encore, vous muselez les femmes, en faisant passer vos petits problèmes juridiques et judiciaires avant tout le reste.
M. Emeric Salmon
Ce n’est pas un rappel au règlement !
M. Laurent Jacobelli
Vous voulez vraiment nous faire taire par tous les moyens !
Mme Ségolène Amiot
Écoutez la parole des femmes et laissez les victimes être entendues ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
M. le président
Je précise que les propos qui sont sanctionnés dans cet hémicycle le sont au titre du règlement, lorsqu’ils provoquent un tumulte, et non au titre de la loi.
La parole est à M. Emeric Salmon, pour un dernier rappel au règlement.
M. Emeric Salmon
Il se fonde sur l’article 70, alinéa 3, qui a trait aux mises en cause personnelles. Le collègue Lucas-Lundy a porté de sévères accusations contre mon collègue Odoul, dont je rappelle qu’il a fait appel et demeure donc présumé innocent. (Vives exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) La présomption d’innocence n’est certes pas une valeur connue à gauche, et peut-être avez-vous des problèmes avec la justice mais, je le redis, mon collègue est présumé innocent ! Vous aurez beau dire ou plutôt hurler, c’est la loi, toute la loi, rien que la loi !
M. Laurent Jacobelli
La gauche ne respecte vraiment rien !
Mme Sandrine Rousseau
Elle respecte les femmes !
M. Emeric Salmon
Sauf les Israéliennes qui se font égorger ! (Les exclamations se poursuivent.)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
Monsieur le président, je demande une suspension de séance.
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.)
M. le président
La séance est reprise.
Discussion générale (suite)
M. le président
La parole est à Mme Brigitte Liso.
Mme Brigitte Liso
Merci de m’offrir cette tribune au sujet de la proposition de résolution visant à mettre fin à la culpabilisation des victimes de violences physiques et sexuelles. C’est avec une certaine émotion et une profonde sensibilité que je prends la parole : ce moment marque une étape essentielle, un nouveau jalon, en matière de lutte contre les violences. La culpabilisation des victimes : nous ne pouvons ignorer, nous devons affronter cette réalité avant tout sémantique. « Elle s’est fait violer, frapper, abuser », dit-on – comme si la victime était à l’origine de ces violences, en portait la responsabilité, tandis que l’auteur, invisibilisé, demeurait absent. « Elle l’a bien mérité », sous-entendent de telles formules ! Apprenons à dire : « Elle a été violée, frappée, il a abusé d’elle ». Allons plus loin et affirmons une vérité fondamentale : aucune femme n’est responsable des violences qu’on lui impose, aucune violence ne peut être justifiée par une apparence ou un comportement.
Il nous faut nous libérer de cette culture du doute, de la suspicion, du viol, qui non seulement empêche que soient reconnues les souffrances des victimes, mais y contribue. C’est pourquoi la proposition de résolution tend à agir sur trois leviers essentiels, appelant le gouvernement à réaffirmer l’obligation d’enregistrer l’intégralité des plaintes déposées, à établir des procédures judiciaires de nature à mieux assurer le respect de la dignité de chacun, enfin à favoriser la prise de conscience des freins à la libération de la parole et à lutter contre leur persistance. En somme, ce texte vise à une nouvelle ère juridique au service d’une plus grande considération de la victime, de sa parole ; il s’inscrit dans la dynamique d’une société qui refuse l’oppression, la stigmatisation, l’influence de traditions archaïques. Ces comportements, participant de la condamnation silencieuse des victimes, sont liés à des idéologies dépassées – non du passé.
Soyons plus attentifs aux discours masculinistes : ils tueront encore nos sœurs, nos filles, nos amies. Des viols impunis, des féminicides qui auraient pu être évités, il y en a trop eu, il y en a encore trop. Nous ne pouvons les accepter ! Toutefois, nous avons déjà progressé : aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, pack nouveau départ, pôles spécialisés en matière de violences intrafamiliales, ordonnances provisoires de protection immédiate, bracelets antirapprochement, téléphones grave danger, mesures d’éloignement du conjoint violent. La jurisprudence de la CEDH est éclairante : le consentement, quelle que soit la situation, ne peut être présumé en aucun cas, et chaque individu, dans sa vie intime, possède un droit inviolable à l’autonomie, à la liberté. Il est temps de dire non à la culpabilisation, temps d’affirmer que chaque victime, quelle qu’elle soit, mérite une justice équitable et digne. Le groupe Ensemble pour la République se prononcera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR.)
M. le président
La parole est à Mme Marie Mesmeur.
Mme Marie Mesmeur
Je commencerai par une triste illustration du phénomène de culpabilisation, ou victimisation secondaire, des victimes de violences physiques et sexuelles : la semaine dernière, une victime de Gérard Depardieu confiait que l’audience avait été plus violente que l’agression sexuelle même. De telles choses sont horribles à lire, à entendre, et j’ose dire que beaucoup de femmes ont ressenti la même impression lors du procès des viols de Mazan. Nous vivons un moment de bascule : la conscience collective vacille entre perpétuation d’un système archaïque et construction d’une société véritablement égalitaire. La voix des femmes, trop longtemps réduites au silence, s’élève avec une force inédite, portée par des générations qui se sont battues et nous poussent à ne plus tolérer l’inacceptable. Le féminisme ne constitue pas un combat d’intérêt secondaire, un angélisme, un simple correctif des dérives d’un monde inégalitaire : c’est une révolution essentielle, une exigence démocratique fondamentale. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
En effet, bien qu’établie par notre devise, l’égalité se forge dans la loi, les mentalités, l’éducation, la culture. Elle exige un engagement sans faille contre toutes les formes de domination ou d’oppression des femmes. Le patriarcat est là, dans nos rapports sociaux, et se signale par sa violence : chaque jour, des femmes sont harcelées, battues, violées, tuées. Chaque jour témoigne de l’impuissance de la police, de la justice, censées se montrer intransigeantes. Ni les déclarations d’intention, ni les réformes cosmétiques ne viendront à bout de la domination masculine : celle-ci se réinvente, se fond dans les rouages de nos institutions. Les refus d’enregistrer une plainte, les lenteurs judiciaires, les classements sans suite deviennent pour les victimes autant de nouvelles blessures.
Jamais une femme qui pousse la porte d’un commissariat ne devrait y être confrontée au mépris, au scepticisme, à la banalisation de ce qu’elle a subi ; personne ne devrait pouvoir, par ignorance ou préjugé, minimiser la gravité des faits. La culpabilisation quasi systématique des femmes est une honte : dernière arme du patriarcat sur la sellette, il convient qu’elle disparaisse à jamais des commissariats et salles d’audience. Ajoutons-y l’impunité dont bénéficient trop d’agresseurs : combien d’hommes en position de pouvoir continuent d’échapper aux conséquences de leurs actes ? Statut, richesse, influence politique ou sociale sont autant d’obstacles sur le chemin de la justice. Face à ce constat accablant, je rends hommage au courage de celles qui ont pris la parole, souvent à leurs dépens, souvent dans l’indifférence. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, EcoS et GDR, ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.) Gisèle Halimi, Adèle Haenel, Judith Godrèche, Gisèle Pelicot, toutes les survivantes ont dénoncé ; elles ont refusé de se taire, elles se sont levées et elles se sont cassées ! Elles ont mis en lumière les mécanismes de domination, de violence, qui à la fois structurent et gangrènent notre société : à nous d’agir pour que plus jamais une femme n’ait peur de réclamer justice.
Ce texte va, timidement, dans le même sens que la proposition de résolution déposée le 19 novembre 2024 par ma collègue Sarah Legrain. Nous voterons en sa faveur, mais j’alerte : aussi longtemps que nous accepterons que certaines violences restent impunies, que nous refuserons de nommer les responsables, d’exiger des comptes, nous ne pourrons prétendre lutter vraiment pour les femmes. Nous voterons en sa faveur, mais sans oublier que son premier signataire s’est illustré par des votes particulièrement réactionnaires, contre l’allongement du délai légal de l’IVG, contre la PMA pour toutes. Nous n’oublions pas que, pour lutter contre ces violences, il faudrait aux associations 2,6 milliards d’euros, que vous leur refusez. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Mme Céline Thiébault-Martinez applaudit également.) Nous n’oublions pas Emmanuel Macron qualifiant Gérard Depardieu d’« immense acteur » qui « rend fière la France », François Bayrou, qui n’a pas protégé les enfants victimes de violences sexuelles au sein de l’institution Notre-Dame de Bétharram, leur crachant à la figure par ses mensonges, l’omerta au plus haut sommet de l’État alors que des ministres ont été accusés d’agression sexuelle.
Tandis que la lutte contre les violences faites aux femmes était proclamée en 2017 grande cause du quinquennat, les dépenses de l’État en vue de l’accompagnement des femmes victimes de violences ont, depuis 2019, baissé de plus de 25 %, et 122 féminicides ont été recensés en 2024. Nous n’oublions pas, et nous gagnerons ! Vos déclarations d’intention ne feront pas oublier qu’il y a quelques mois, vous rejetiez nos amendements visant à augmenter suffisamment ce budget pour éradiquer les violences sexistes et sexuelles. Il faut un financement massif des associations, des structures d’accueil, une refonte de la formation des policiers et professionnels du droit, une justice qui ne laisse plus aucune place à l’impunité. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Les femmes ont pris la parole : elles ont dénoncé, témoigné, exigé des actes. À nous de transformer en profondeur un système qui leur tourne le dos. Vous devez être à la hauteur de ce moment : mettez un terme aux demi-mesures, ayez de réelles ambitions. Il y va de la justice que nous devons à celles qui ont eu le courage de parler, à celles qui attendent encore qu’on les protège et les écoute. L’histoire n’attend pas : soyez au rendez-vous, ou laissez-nous la place ! (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs du groupe SOC, ainsi que sur ceux du groupe EcoS, dont quelques députés se lèvent également.)
M. le président
La parole est à Mme Céline Thiébault-Martinez.
Mme Céline Thiébault-Martinez
En 2021, Chahinez Daoud était brûlée vive par son ex-conjoint en pleine rue, à Mérignac : un féminicide effroyable, mais surtout, ce drame aurait probablement pu être évité si la police et la justice avaient fait leur travail. En effet, quelques semaines avant d’être assassinée, Chahinez avait porté plainte : elle avait été séquestrée et battue par son ex-conjoint. Et pourtant, rien, ou presque rien, n’a été fait. Un rapport de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) l’a démontré : ceux qui avaient la responsabilité de protéger Chahinez ont failli.
Chacun et chacune d’entre nous ici le sait : ce drame n’a rien d’exceptionnel. Il est le symptôme d’un système judiciaire et policier qui dysfonctionne profondément. Des commissariats aux tribunaux, c’est toute la chaîne pénale qui est à bout de souffle. Ce n’est pas moi qui le dis, mais un rapport de l’Inspection générale de la justice (IGJ) publié il y a quelques jours.
Comment en est-on arrivé là ? Cette question peut surprendre quand on sait que des affaires de narcotrafic ou de terrorisme peuvent mobiliser des centaines d’enquêteurs et de magistrats. Mais en matière de violences sexuelles, tout est au rabais. La cour-criminalisation de la justice en témoigne : depuis 2023, les viols ne sont plus jugés en cours d’assises, mais au sein de cours criminelles départementales. Les magistrats expliquent cette évolution par le manque de moyens matériels et financiers pour réunir les cours d’assises. Par conséquent, pour les crimes dont sont victimes les femmes, exit le jury populaire héritier de la Révolution française, exit le regard de la société tout entière sur ce crime, qui, visiblement, ne mérite qu’une justice de seconde classe.
Pire encore est l’épuisement physique et psychologique des victimes à qui l’on impose un véritable parcours du combattant, au bout duquel rien ne dit qu’elles obtiendront gain de cause – on est bien loin de la justice. Sur les 85 000 victimes de violences sexuelles estimées en 2022, seules 12 % ont porté plainte. Et pour cause : le délai moyen entre la survenue des faits et leur enregistrement est très long – 313 jours en moyenne pour les victimes majeures. Il faut presque un an pour qu’une victime ose franchir la porte d’un commissariat : un an de doutes, de honte, de terreur et de questions insidieuses – « Et si on ne me croyait pas ? Et si finalement, ce n’était pas un viol ? »
Quand enfin une victime ose pousser cette porte, elle se heurte à un mur fait de refus de prise de plainte et de questions humiliantes : « Aviez-vous bu ? L’aviez-vous invité chez vous ? N’étiez-vous pas un peu consentante, quand même ? » Puis viennent les mois, voire les années d’attente, dans le silence et l’incertitude, sans aucune information ni accompagnement – des mois d’attente pour que, dans 86 % des cas, la plainte soit classée sans suite.
Oui, il est urgent d’en finir avec la culpabilisation des victimes. Il faut rendre effective l’obligation de prise de plainte et garantir des procédures judiciaires dignes. C’est pourquoi le groupe Socialistes et apparentés votera pour la proposition de résolution. Mais soyons lucides : arrêtons le pointillisme législatif ! Nous examinons cet après-midi une proposition de résolution ; ce soir, peut-être ferons-nous évoluer un article du code pénal. Quand prendrons-nous réellement le sujet à bras-le-corps ? Quand aurons-nous une loi intégrale pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles ? Depuis le début de l’année, au moins trente-six femmes ont été tuées parce qu’elles étaient femmes. D’ici à la fin de l’année, il y en aura peut-être une centaine de plus – 100 féminicides auront été commis.
Pour toutes ces femmes que la loi doit protéger, pour celles dont la plainte a été classée sans suite ou était en cours d’examen alors qu’il était déjà trop tard, pour celles qui n’ont pas été écoutées, crues, accompagnées ou soutenues, pour celles qui ne sont plus aujourd’hui avec nous, je voudrais profiter des instants qu’il me reste sur mon temps de parole pour observer une minute de silence. (Mmes et MM. les députés et les membres du gouvernement se lèvent et observent une minute de silence.) Merci à tous. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EPR, LFI-NFP, EcoS et GDR.)
M. le président
La parole est à Mme Sylvie Bonnet.
Mme Sylvie Bonnet
Nous examinons aujourd’hui une proposition de résolution essentielle, visant à mettre fin à la culpabilisation des victimes de violences physiques et sexuelles. Le groupe Droite républicaine soutient pleinement cette démarche : il est de notre devoir de garantir que justice soit rendue à toutes celles et ceux qui subissent ces actes intolérables.
Les chiffres sont accablants : en 2021, 168 000 viols et tentatives de viol ont été enregistrés en France ; pourtant, seulement 10 000 plaintes ont abouti à une condamnation. Cela signifie que plus de 94 % des agresseurs identifiés restent impunis. Pas moins de 73 % des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite. Ce chiffre, révélé par le ministère de la justice, illustre un profond dysfonctionnement de notre système judiciaire. Pire encore, huit victimes sur dix n’osent pas porter plainte, par peur que leur témoignage ne soit pas pris au sérieux ou que les tribunaux ne leur rendent pas justice.
Ces statistiques ne sont pas que des chiffres : ce sont des vies brisées, des familles détruites, des enfants traumatisés. Trop souvent encore, la parole des victimes est remise en cause. Trop souvent, la société – et même certaines pratiques judiciaires – laissent entendre que les victimes auraient pu éviter leur agression par leur tenue, leur comportement et leur passé. Nous saluons la décision de la Cour européenne des droits de l’homme qui met un terme à une aberration juridique : celle d’un « devoir conjugal » qui pouvait être interprété comme une obligation sexuelle. Non, le mariage n’implique pas une servitude du corps. Cette reconnaissance doit nous encourager à poursuivre nos efforts pour garantir le respect du consentement et la dignité des victimes.
Si les femmes sont les premières victimes des violences sexuelles, les enfants subissent également ces horreurs dans un silence glaçant. Chaque année, près de 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles en France. Toutes les trois minutes, un enfant subit une agression sexuelle. Ces actes abominables sont commis dans 94 % des cas par des proches, dans un cadre où l’enfant aurait dû être protégé.
Seul un enfant victime sur dix parvient à parler. Lorsqu’il le fait, son témoignage est encore trop souvent ignoré, minimisé ou même rejeté. Nous devons impérativement garantir que la parole des enfants soit entendue et crue. Les répercussions des violences sur ces jeunes victimes sont dramatiques : multiplication des troubles psychologiques et scolaires, augmentation des risques de dépression et de suicide et reproduction des schémas de violences à l’âge adulte. Nous devons être intransigeants et renforcer la formation des enquêteurs et des magistrats pour recueillir avec délicatesse et sérieux la parole des enfants. Comment pouvons-nous accepter qu’un enfant ayant eu le courage de parler soit confronté à un système qui minimise ou nie son témoignage et laisse son agresseur en liberté ? Nous devons envoyer un message clair à toutes les victimes : « Nous vous croyons, nous vous protégeons et nous vous rendrons justice. »
Pour cela, nous devons agir sur plusieurs fronts. Il convient d’enregistrer systématiquement toutes les plaintes, sans remettre en cause la parole des victimes, et de former les policiers et les magistrats pour garantir un accueil digne et respectueux. Il est nécessaire de mettre fin à l’impunité des agresseurs. Aujourd’hui, une victime a moins d’une chance sur dix d’obtenir justice ; ce n’est pas acceptable. Nous devons protéger réellement les victimes, en augmentant le nombre de places en foyers et en instaurant des mesures d’éloignement systématiques pour les agresseurs. Enfin, il faut garantir un suivi psychologique immédiat aux femmes et aux enfants victimes, afin qu’ils ne demeurent pas isolés dans la peur et la honte.
De même, l’éducation au respect et au consentement doit être renforcée dès le plus jeune âge, à l’école, dans les familles et dans tous les espaces de socialisation. Le combat contre les violences physiques et sexuelles n’a ni couleur politique ni frontières partisanes ; c’est un combat pour l’honneur de notre République et pour la dignité de chaque citoyen.
M. Philippe Gosselin
Tout à fait !
Mme Sylvie Bonnet
C’est pourquoi le groupe Droite républicaine votera en faveur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – Mme Maud Petit et M. Charles Sitzenstuhl applaudissent également.)
M. Philippe Gosselin
Très bien !
M. le président
Sur la proposition de résolution, je suis saisi par le groupe Horizons & indépendants d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Sandrine Rousseau.
Mme Sandrine Rousseau
Nous ne pouvons que nous réjouir de voir se tenir dans cet hémicycle un débat sur la nécessité de mettre fin à la culpabilisation des victimes de violences. Oui, aujourd’hui, il est temps : la honte doit changer de camp ! « Je te crois. Tu n’y es pour rien, c’est lui le coupable. Merci de ta confiance. Je peux t’aider. Je te crois. Tu n’y es pour rien, c’est lui le coupable. Merci de ta confiance. Je peux t’aider. » Ces phrases que je récite comme des mantras sont là pour remettre un peu le monde à l’endroit. J’ai souvent entendu des critiques virulentes contre la première phrase : « Je te crois. » Comme si, face aux victimes, qu’il s’agisse d’une femme – ce sont des femmes dans 85 % des cas –, d’un enfant – rappelons qu’un enfant est violé toutes les trois minutes en France – ou d’un homme – 15 % des victimes sont des hommes –,…
M. Raphaël Schellenberger
Julien Bayou ?
Mme Sandrine Rousseau
…nous devions d’entrée de jeu être juges. Comme si cette phrase devait être interprétée au pied de la lettre ! Comme si elle n’était pas juste une autre manière de dire : « Je prends très au sérieux ce que tu viens de me dire. »
Quand une collègue arrive et vous dit que sa voiture vient d’être volée, votre premier réflexe est-il de lui répondre : « Mais, en es-tu sûre ? Pourquoi as-tu acheté une voiture rouge ? Pourquoi n’as-tu pas fermé à clé cette nuit ? Pourquoi ne l’as-tu pas bien sécurisée ? Pourquoi l’avoir garée là ? » Au contraire, tout le monde, dans ces cas-là, prononce des paroles rassurantes : « J’espère que ça va. Je peux t’aider. » Surtout, jamais personne ne remet en cause sa parole – nous ne doutons jamais du fait que le problème n’est pas la voiture, ni sa propriétaire, mais bien celui ou celle qui s’en est emparé.
Après le procès Pelicot, nous avons collectivement pensé, avec naïveté, que la société avait enfin compris que la responsabilité des violences ne pouvait jamais reposer sur les victimes. Le procès Depardieu, hélas, nous prouve le contraire : « Elle l’a bien cherché », « Elle a mal interprété », « Menteuse », « Vénale », « Hystérique » – autant de mots qui, encore et encore, visent à salir les victimes, à les isoler, à les faire douter.
Nous devons l’humanité aux victimes. Qu’il s’agisse des affaires Cantat, Depardieu, Le Scouarnec, Boutaa ou Pelicot, peu importe celui qui commet les faits, l’important est de faire fi de la surprise et de la colère que l’on peut ressentir ainsi que des liens d’amitié ou professionnels que l’on peut avoir avec lui. Quel qu’il soit, qui qu’il soit, qu’il soit en situation de pouvoir ou qu’il soit proche, que ce soit une star ou un inconnu, notre attention, nos précautions, notre protection, doivent aller à la parole des victimes, si fragile, si délicate, parfois si éphémère.
Le patriarcat agit sur les victimes comme un éléphant dans un magasin de porcelaines : il les écrase, les humilie, les offense, les efface. Nous avons tous et toutes un rôle à jouer pour contrer cela. Cette proposition de résolution marque un premier pas en rappelant la responsabilité de la justice. Les classements sans suite à répétition, le manque d’information des victimes sur leurs droits, l’obligation de répéter les témoignages devant les juges et les policiers, les enquêtes psychologiques qui tournent trop souvent au procès de la personnalité des femmes : tout cela doit faire l’objet d’études, de chiffres, et surtout, de réformes profondes.
Il est intolérable que le nombre de partenaires d’une victime, ses pratiques sexuelles ou encore sa tenue vestimentaire le jour de l’agression soient encore pris en compte dans l’évaluation de sa crédibilité. Ces considérations archaïques doivent cesser. On peut être violée en étant travailleuse du sexe ou en étant nonne, en étant jeune ou en étant vieille, valide ou en situation de handicap. On peut être violée en robe courte ou en uniforme de l’armée. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP – Mme Maud Petit applaudit également.) Le viol ne tient pas compte du nombre de centimètres.
Cependant, les députés du groupe Écologiste et social pensent qu’il faut aller plus loin et inscrire la question du consentement dans la loi. À ce titre, je salue le travail de MMmes Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, dont le texte sera examiné juste après. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Enfin, nous ne pouvons parler de la dignité des victimes sans évoquer leur prise en charge et leur accompagnement. Il est impératif d’investir dans la prise en charge des psychotraumatismes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.) Or cette exigence est aujourd’hui en contradiction avec les attaques répétées contre le budget de l’hôpital public et se trouve mise en difficulté par la crise de la psychiatrie.
Nous avons une responsabilité immense. « Il faut un village pour élever un enfant », dit le proverbe. Il en faut aussi un tout entier pour violer une victime : cet acte se nourrit de la tolérance sociale, de l’impunité et du silence. Alors oui, la honte doit changer de camp ! La honte est en train de changer de camp ! Écoutez la puissance de toutes ces voix qui chantent ensemble en canon leur volonté de briser le silence : MeToo ! Il ne suffit plus de parler, il importe désormais que nous écoutions, respectueusement. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et GDR.)
M. le président
La parole est à Mme Maud Petit.
Mme Maud Petit
En juillet 2008, une jeune Italienne de 19 ans portait plainte pour viol. Elle accusait sept hommes de l’avoir violée lors d’une soirée. En 2013, six des sept accusés étaient condamnés par le tribunal de Florence ; deux ans plus tard, à la suite d’un recours formé par l’un d’eux devant la cour d’appel de Florence, l’ensemble des prévenus étaient acquittés. Stupeur, incompréhension et profond malaise. Souhaitant que justice soit faite, la plaignante a alors courageusement décidé de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme : elle estimait que la décision de la cour d’appel portait atteinte à ses droits, garantis par les articles 3 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. La jeune femme reprochait aux magistrats florentins d’avoir tenu, dans leur arrêt, des propos sexistes et stéréotypés sans aucun rapport avec le viol qu’elle avait subi, et tendant à décrédibiliser ce dernier. En annonçant l’acquittement des accusés, les magistrats ont émis des propos déplacés, revenant sur la vie intime de la plaignante et allant jusqu’à sous-entendre que, si elle avait été violée, c’est qu’elle l’avait bien cherché – un argument qui revient malheureusement encore trop souvent dans ce genre de litige. Ces méthodes culpabilisantes et moralisatrices ont fait vivre à la plaignante une deuxième expérience de victime. C’est ce qu’a dénoncé la CEDH, en condamnant l’État italien le 27 mai 2021 à verser 12 000 euros au titre du dédommagement moral. Cette décision est importante, elle envoie un message fort en reconnaissant la notion de « victimisation secondaire » – notion intégrée dans la première directive européenne sur les violences faites aux femmes adoptée en mai 2024.
Quatre ans après la décision de la CEDH, où en sommes-nous ? Des pays comme la Belgique, le Canada, l’Espagne ou encore la Suède ont légiféré en se dotant de lois boucliers, afin qu’il ne soit plus possible d’attaquer, d’insinuer ou de poser des questions sur la vie intime et privée de la victime quand il n’existe « aucun lien direct avec les faits ». Qu’en est-il en France ? Une avocate de renom estime que nous en sommes encore à la préhistoire. C’est sans doute exagéré mais, même si la législation et les pratiques s’améliorent, il reste encore énormément à accomplir, comme le prouve l’arrêt de la CEDH en date du 23 janvier 2025 qui a condamné la France pour avoir prononcé un divorce « aux torts exclusifs d’une épouse » au motif qu’elle avait refusé d’entretenir des relations sexuelles avec son mari – décision qui fait écho au procès dit des viols de Mazan, où la médiatisation du témoignage de Gisèle Pelicot a permis de mieux exposer les mécanismes de disqualification de la parole des victimes.
N’oublions pas comment certains avocats aux méthodes retorses n’avaient pas hésité à remettre en cause la parole de celle qui est devenue aujourd’hui le visage du courage, en sous-entendant qu’elle était consentante, et en affirmant qu’elle faisait semblant de dormir. Ces arguments indignes furent difficiles à entendre pour la septuagénaire, qui s’est sentie humiliée d’être ainsi désignée comme la coupable faisant face à cinquante victimes. Cette inversion des rôles, cette façon de mettre la victime sur le banc des accusés n’est pas tolérable et doit être combattue avec force.
Monsieur le rapporteur, votre proposition de résolution visant à mettre fin à la culpabilisation des victimes de violences physiques et sexuelles contribuera à faire respecter les victimes – tant leur parole que leur combat. Elle le permettra notamment en invitant le gouvernement à réaffirmer l’obligation de recueillir toutes les plaintes – toutes ! –, que la blessure soit physique ou psychologique, et en lui demandant de favoriser la prise de conscience des freins à la libération de la parole des victimes. Votre proposition tend également à faire respecter la dignité de la victime tout au long de son parcours judiciaire, sans que sa vie privée, voire intime, ne soit dévoilée ni utilisée contre elle. Enfin, la présente proposition vise à dénoncer la persistance de jugements qui évaluent encore la légitimité d’une plainte à l’aune de critères subjectifs – notamment la moralité supposée de la victime –, et à rappeler, à juste titre, les efforts que notre pays doit entreprendre pour mieux garantir le droit des individus à disposer librement de leur corps.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Démocrates apportera évidemment son plein soutien à cette initiative. Cette résolution, si elle était votée, marquera surtout une étape importante vers la reconnaissance pleine et entière de la parole des victimes. Il était temps. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, EPR et DR. – Mme Sandrine Rousseau applaudit également.)
M. le président
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
Il y a vingt-deux ans, la France se réveillait en apprenant la mort de Marie Trintignant, battue à mort par son compagnon. Il faut nous souvenir des mots employés à l’époque : « Marie Trintignant, tombée dans le coma après une dispute », « Une dispute amoureuse qui a mal tourné », « Un huis clos tragique ». L’histoire était racontée comme si la responsabilité était partagée entre les deux membres du couple. Pire, comme si c’était d’abord la responsabilité de la victime : son passé, son caractère, sa vie intime étaient auscultés, comme s’ils pouvaient d’une quelconque manière excuser son meurtre. On parlait de « crime passionnel », de « drame amoureux », comme si l’amour pouvait justifier la mort. Marie Trintignant n’est pas morte d’amour : elle a été assassinée, par la violence d’un homme.
Depuis, notre société a progressé. Nous avons appris que les mots ont un poids, qu’ils façonnent notre vision du monde et nos actes. Nous ne parlons plus de « crimes passionnels » mais de féminicides. Nous avons compris que les violences physiques et sexuelles ne sont jamais des malentendus, mais des délits ou des crimes. Pourtant, un autre poison subsiste, celui du doute, celui du soupçon qui, encore aujourd’hui, ne pèse pas sur les agresseurs, mais bien sur les victimes. Nous avons tous entendu ces phrases : « Elle ne s’est pas débattue », « Elle n’a pas crié », « Elle exagère », « Ça n’était qu’une simple gifle », « C’est parce qu’elle l’a trompé ». Comme si, en plus d’avoir été agressées, les victimes devaient encore prouver qu’elles l’ont été correctement, qu’elles ont réagi de la bonne manière. Comme s’il y avait une manière acceptable d’être une « bonne » victime. Face à quel autre crime, face à quelle autre infraction, exige-t-on autant de la victime ?
Cette proposition de résolution est utile, parce que continuer de culpabiliser les victimes, c’est offrir un passe-droit aux agresseurs. C’est suggérer, à mots couverts, que ce n’est pas si grave, que ça ne mérite pas d’en faire un scandale. C’est entendre, encore et encore, ces phrases insoutenables : « Il a dérapé, ça arrive à tout le monde », « Il ne faut pas ruiner une vie pour ça », « On ne peut plus rien dire, on ne peut plus rien faire ». Comme si frapper, violenter, tuer une femme relevait d’un moment d’égarement et non d’un crime. Comme si la véritable injustice n’était pas la violence subie, mais la conséquence pour celui qui l’a commise. Voilà comment, insidieusement, une société minimise, banalise, normalise, perpétue. Voilà comment on absout les coupables en chargeant les victimes. Disons-le clairement : une gifle, un viol, un féminicide, ce n’est jamais une simple erreur. C’est toujours un acte de domination. Nous ne laisserons plus rien passer.
Cette proposition de résolution est utile, parce qu’en tant que société, nous devons faire en sorte que cesse de peser sur les victimes l’ombre terrible du soupçon. Jamais une seule femme ayant dénoncé les violences qu’elle a subies n’a relancé sa carrière grâce à cela. Pourtant, dès qu’elles parlent, les accusations d’opportunisme surgissent : chantage, volonté de nuire, recherche de notoriété, calcul stratégique, plan secret… Quelle femme a déjà gagné quoi que ce soit – professionnellement, médiatiquement, politiquement, financièrement – à porter plainte ? Aucune. Elles y perdent même souvent : de l’argent dans des procédures longues et épuisantes, du crédit dans des milieux professionnels compétitifs, de la sérénité dans leur vie quotidienne. Elles affrontent des menaces, des insultes, le mépris, l’isolement. Elles doivent tout prouver, tout justifier ; pourtant leur parole reste suspecte. En réalité, leur seul bénéfice est intime : retrouver l’estime de soi, espérer se réparer et aider d’autres victimes. Faire entendre une vérité qui, sans elles, resterait dans l’ombre.
Cette proposition de résolution est utile, parce que la procédure judiciaire, qui devrait être pour les victimes un moment de reconnaissance et de justice, peut se transformer en une épreuve supplémentaire. Il arrive encore aujourd’hui que l’on ne cherche pas seulement à établir les faits : on scrute leur passé, on traque leurs moindres gestes, leurs moindres silences, on décortique leur vie privée et sexuelle, leurs émotions, leurs réactions. Comme si le simple fait d’avoir survécu suffisait à les décrédibiliser, comme si leur douleur devait être passée au crible du soupçon permanent.
Nous sommes dans un État de droit. Dans un État de droit, un accusé est présumé innocent jusqu’au jugement définitif, un accusé a le droit de se défendre. Mais dans un État de droit, le débat contradictoire n’exclut pas l’éthique. Rien ne justifie les invectives sexistes et misogynes envers des avocates, telles que celles, honteuses, que nous avons pu entendre la semaine dernière. Absolument rien ne justifie que des victimes soient traitées avec suspicion, ou parfois même humiliées par des questions ignobles qui ajoutent une nouvelle couche de violence, alors que nous aurions dû les protéger. Rien ne justifie que l’on interroge encore des victimes sur la longueur de leur jupe, sur leur consommation d’alcool, que l’on questionne leur vertu, leur passé sentimental ou leur vie sexuelle, comme si un seul de ces éléments pouvait atténuer la gravité du crime commis. Rien ne justifie que l’on ne prenne pas au sérieux la douleur et la plainte d’une victime qui, après des années de silence, trouve enfin la force de parler. Au lieu de nous étonner du silence des femmes, demandons-nous si la société les a vraiment écoutées. Car, en réalité, elles n’ont jamais été silencieuses : des milliers de victimes ont parlé, dénoncé, témoigné, écrit, milité. Leur parole a-t-elle été prise en compte ? A-t-elle été respectée ou a-t-elle été minimisée, moquée, disqualifiée ?
La parole s’est libérée, heureusement, mais il ne suffit plus d’entendre : il faut agir. Notre détermination est totale, comme il se doit. Nous sommes pleinement engagés pour enfin rompre le cycle de la violence et de l’impunité.
Mme Marie Mesmeur
Il me semble que cela ne suffit pas !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Nous luttons avec toujours plus de détermination contre les violences faites aux femmes sous toutes leurs formes : physiques, sexuelles et psychologiques, mais aussi économiques, numériques ou par soumission chimique. Contrairement à ce que j’ai entendu, nous augmentons les budgets : celui de mon ministère a augmenté de plus de 20 % cette année ; il a plus que triplé depuis 2017.
Mme Marie Mesmeur
Il a baissé de 25 % depuis 2019 !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Le montant alloué à l’aide aux victimes a quant à lui progressé de 89 % depuis 2020.
La lutte contre les violences faites aux femmes passe aussi par le renforcement des dispositifs de protection, d’accompagnement et d’hébergement, par la formation des professionnels de santé et des forces de l’ordre, ou encore par le déploiement d’au moins une maison des femmes adossée à un établissement de santé dans chaque département – nous faisons tout cela. Cela passe aussi par le renforcement de notre arsenal juridique pour mieux accompagner les victimes dans leurs démarches judiciaires et mieux qualifier les faits pour, à la fin, mieux condamner les auteurs.
Mme Marie Mesmeur
Macron a pourtant dit le contraire !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
À ce titre, l’examen de la proposition de loi de Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin doit marquer un tournant, afin que la question du consentement soit placée au cœur de notre droit.
Nous nous apprêtons également à faire entrer dans la loi la notion de contrôle coercitif avec l’examen, ce jeudi au Sénat, de la proposition de loi que vous avez adoptée le 28 janvier dernier. Avec elle entrera également dans la loi, je l’espère, l’imprescriptibilité pour les crimes sexuels commis à l’encontre des enfants.
Nous devons mieux caractériser pour mieux sanctionner tous les comportements – les regards, les mots, les interdictions, l’isolement, les humiliations –, lesquels peuvent s’accumuler pour former une relation oppressive et dégradante. Nous avons lancé un travail transpartisan, avec tous les groupes de l’Assemblée et du Sénat, de manière à élaborer une loi-cadre pour lutter contre ces violences.
Cette proposition de résolution est utile. Pour les victimes qui n’ont jamais parlé. Pour celles qui ont parlé et n’ont jamais été écoutées et respectées. Aucune victime ne doit porter, en plus de ses blessures, le poids du doute, de la culpabilité et de la honte. Aucun agresseur ne doit trouver refuge dans l’indifférence ou l’excuse. Notre société doit ouvrir les yeux, regarder en face ce qu’elle refuse encore trop souvent de voir : une femme isolée, rabaissée, humiliée, contrainte, frappée, violée, tuée, n’est pas et ne sera jamais un fait divers. Il ne s’agit pas d’une affaire privée, mais de l’affaire de chaque citoyenne et de chaque citoyen, de l’affaire de la République : il y va de la justice, des droits, de la liberté. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem, ainsi que sur quelques bancs des groupes EcoS et LIOT.)
Vote sur la proposition de résolution
M. le président
Je mets aux voix la proposition de résolution.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 263
Nombre de suffrages exprimés 263
Majorité absolue 132
Pour l’adoption 263
Contre 0
(La proposition de résolution est adoptée.)
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Sébastien Peytavie applaudit également.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures cinq.)
M. le président
La séance est reprise.
4. Définition pénale du viol et des agressions sexuelles
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mmes Marie-Charlotte Garin, Véronique Riotton et plusieurs de leurs collègues, visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles (nos 842, 1181).
Présentation
M. le président
La parole est à Mme Véronique Riotton, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Mme Véronique Riotton, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
« Lorsque ça m’est arrivé, j’avais foi en la justice. J’ai fait tout ce qui m’a été demandé. L’auteur des faits a été acquitté et moi, j’ai été broyée une deuxième fois. À la question de savoir si une victime devait porter plainte, je répondais oui. Aujourd’hui, j’en suis moins certaine. » Ces mots ont été prononcés par la journaliste Giulia Foïs devant la commission. Je tenais à la citer car c’est son témoignage, avec celui des autres victimes auditionnées, qui nous ont conduits à ce texte et qui ont forgé ma conviction personnelle selon laquelle la loi devait être modifiée.
Ces victimes ont témoigné d’une situation qui doit s’imposer à notre attention : pourquoi le crime le plus souvent commis dans notre pays est-il le moins déclaré aux autorités judiciaires ? Nous dressons un triple constat : la criminalité sexuelle ne recule pas, un climat d’impunité perdure et la culture du viol demeure une réalité.
Malgré des avancées législatives, notamment en 2018 et en 2021, et l’allongement des délais de prescription ; malgré les efforts de formation des forces de l’ordre et l’amélioration du recueil de la parole et de l’accompagnement des victimes, nous sommes toujours confrontés à des chiffres de criminalité sexuelle ahurissants. Derrière ces chiffres se cachent autant de drames personnels. C’est avec la volonté de répondre à ces failles que nous avons oeuvré, avec la corapporteure Marie-Charlotte Garin, pendant seize mois. C’est avec humilité et prudence que nous avons travaillé, sur le temps long : celui de la réflexion et de la concertation.
Il y a trois ans, la Commission européenne a présenté un projet de directive visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes et contre la violence domestique. Ce texte a posé la question de la définition pénale du viol, qui variait selon deux conceptions : celle fondée sur le non-consentement de la victime et celle centrée sur les éléments matériels, à savoir la violence, la contrainte, la menace et la surprise. Face à ces interrogations, nous avons lancé, en décembre 2023, une mission d’information au sein de la délégation aux droits des femmes.
C’est une mission que nous avons menée au long cours, en écoutant les victimes et les professionnels, car se posaient à la fois un problème technique et un enjeu de société. Pendant quasiment un an et demi, nous avons auditionné les représentants des professionnels, les organisations féministes et les victimes – je salue leur présence dans les tribunes. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Nous avons étudié les exemples étrangers pour mettre notre droit en perspective. Nous avons abouti, avec la corapporteure, à la conclusion que le droit devait être modifié, parce que la définition pénale du viol et des agressions sexuelles échoue dans ses trois grandes fonctions : dans sa fonction répressive, car elle ne permet pas suffisamment de sanctionner les agresseurs et leurs comportements violents ; dans sa fonction protectrice, puisque les victimes ne sont pas correctement protégées face à ces comportements violents ; enfin, dans sa fonction expressive, car le droit n’incarne plus les valeurs de la société et ne rend pas compréhensible l’interdit, pourtant suprême, de jouir du corps d’autrui sans son accord. Personne n’a le droit d’accéder à l’intimité de quelqu’un sans son accord. Si nous souhaitons bâtir une éducation à une vie affective et sexuelle respectueuse, affirmer clairement ce principe dans la loi constitue un point de départ essentiel.
Nous l’avons écrit dans le rapport : la jurisprudence est riche et a permis de faire considérablement progresser l’appréhension judiciaire des violences sexuelles. Toutefois, nous considérons que cette jurisprudence et l’interprétation que les juges font des textes ne suffisent pas à combler le silence de la loi sur la notion de consentement.
Le consentement est partout dans la procédure judiciaire, mais il demeure absent de la loi française. Cela ouvre la voie à des malentendus, voire à des instrumentalisations du consentement par les auteurs d’agressions. Voilà pourquoi nous pensons qu’une réforme législative est impérative. La rédaction que nous proposons vise à affirmer plus clairement qu’un rapport non consenti est illégal, tout en respectant les grands principes de notre droit. Je remercie la présidente de l’Assemblée nationale d’avoir saisi le Conseil d’État, ce qui nous a permis de renforcer l’écriture du texte.
Notre ambition est d’éviter de placer le comportement actuel ou passé de la victime au cœur de l’enquête. J’aimerais citer un autre témoignage, qui m’a profondément émue, celui de la journaliste Hélène Devynck. Elle nous rappelait qu’en matière de violences sexuelles, la parole des femmes n’est pas crue. Cela doit cesser. S’attaquer à la définition du viol, c’est aussi lutter contre ces préjugés d’un autre temps et faire en sorte que la honte change de camp.
Nous avons l’occasion d’améliorer notre système judiciaire en matière de violences sexuelles et de rassurer les victimes : oui, vous serez entendues ; oui, justice peut être rendue ; non, la sexualité et la violence ne sont pas la même chose. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et EcoS.)
M. le président
La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Depuis MeToo, quelque chose a changé. Les femmes, partout, se sont levées pour dire : « moi aussi ». Moi aussi, j’ai été victime, comme les 270 000 femmes qui subissent des violences sexuelles chaque année. Une femme toutes les deux minutes, sans que cela ne devienne jamais un fait de société, une mobilisation nationale, une priorité de l’État. D’un côté, 270 000 victimes chaque année ; de l’autre, combien de classements sans suite, de procès qui n’ont jamais lieu, de vies brisées sans que jamais les bonnes questions ne soient posées, de victimes broyées par une procédure qui les a malmenées ?
Le viol est un crime de masse largement impuni. Cette impunité perdure grâce à la culture du viol, qui gangrène notre société. Une culture qui nous conduit à changer de trottoir le soir, à couvrir notre verre lors d’une soirée par peur d’être droguée, à apprendre à nos petites sœurs à survivre et à se protéger plutôt qu’à vivre et à profiter. Cette culture du viol permet que des personnes mises en cause soient nommées à des postes prestigieux sans jamais être inquiétées ; elle fait qu’un agresseur sexuel peut être qualifié de fierté de la France ; elle permet à des hommes ordinaires de violer une femme endormie en arguant qu’ils avaient le consentement de son mari. Cette culture du viol abîme nos relations et expose à la violence nos petites filles et nos petits garçons.
Voici ce qu’entendent les victimes : avez-vous crié, résisté, dit non ? Pourquoi êtes-vous restée ? En introduisant l’absence de consentement comme élément constitutif de l’infraction, on demande au juge d’examiner ce qu’a fait le mis en cause : s’est-il assuré du consentement de la plaignante ? A-t-il profité d’une situation de vulnérabilité ? A-t-il usé de pression ou d’emprise ? Ce recentrage est essentiel : on juge les actes de l’auteur, pas ceux de la victime. Comme nous l’a confié maître Cornaz Bassoli, présidente de Choisir la cause des femmes : « Quand on laisse la définition du consentement au violeur, on laisse la culture du viol définir le consentement. »
Avec la corapporteure, Véronique Riotton, j’ai pris le temps de définir le consentement et surtout le non-consentement. Nous savions que nous avions entre les mains une matière sensible – le code pénal – et avec elle les vécus de milliers de victimes. Quatorze mois de travaux, d’auditions techniques, passionnantes, parfois éprouvantes, ont été nécessaires. Quatorze mois à se poser toutes les questions, ou presque : cette rédaction, ou plutôt celle-ci ? À quel endroit ? Sommes-nous trop explicites ? Pas assez ? Qu’en est-il de la présomption d’innocence ? Les victimes en situation de prostitution sont-elles protégées ? Toutes les vulnérabilités sont-elles bien prises en compte ?
Ces questions, nous n’y avons pas répondu seules. Nous avons, pendant plus d’un an, travaillé en lien constant avec un groupe d’expertes – juristes, docteures en droit, avocates et magistrates –, ainsi qu’avec les associations, notamment le Planning familial, la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF), la Fédération nationale des centres d’information sur les droits des femmes et des familles (FNCIDFF), Choisir la cause des femmes, Femmes solidaires, l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), NousToutes, Sexe et consentement. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP. – Mme Véronique Riotton, rapporteure, applaudit également.)
Ces personnes nous ont accompagnées avec cœur et compétence, comme elles accompagnent chaque jour les victimes. Nous leur en sommes reconnaissantes et saluons leur présence en tribune ce soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et HOR. – Mme Véronique Riotton, rapporteure, applaudit également.)
Nous avons de plus eu la chance, qui ne se présente que rarement, de bénéficier de l’expertise du Conseil d’État. Nous lui avons exposé nos quatre grandes intentions.
Tracer clairement la frontière entre la sexualité et la violence, tout d’abord. Un acte sexuel non consenti n’est pas du sexe, mais de la domination. C’est interdit par la loi.
Conserver les critères existants, ensuite, pour qualifier le viol. Le droit, actuellement, en reconnaît quatre : la violence, la contrainte, la menace et la surprise. Ils sont essentiels.
Mieux prendre en compte, également, les cas de sidération : quand votre corps ne peut pas bouger, quand vous ne pouvez plus réagir, quand vous ne pouvez plus rien dire. C’est ce qui arrive à 70 % des victimes de viol.
Rappeler, enfin, que le consentement doit être apprécié au regard des circonstances. Nous nous intéressons ici directement au travail du juge et des enquêteurs, en leur permettant de mieux identifier les stratégies employées pour piéger ou contraindre la victime. Il sera ainsi possible de mieux évaluer la réalité du consentement.
Nos échanges avec le Conseil d’État et l’avis que ce dernier a rendu nous ont permis d’enrichir notre proposition, adoptée la semaine dernière en commission des lois. C’est un texte solide, qui respecte la présomption d’innocence et les grands principes de notre droit.
Nous devons cependant aux victimes de reconnaître que ce texte, s’il est adopté, n’est pas pour autant une baguette magique. Le chemin sera encore difficile. Il faut plus de moyens à la police et à la justice. La formation doit être renforcée, pour que chaque professionnel soit en mesure de reconnaître, d’écouter et de protéger.
Pour ce qui est des moyens, il revient au gouvernement d’écouter le plaidoyer de toutes les associations engagées – et enfin, d’agir. À raison d’une toutes les deux minutes, entre ce moment où je m’adresse à vous et la fin de la séance, 165 personnes auront été victimes, en France, de violences sexuelles. Pour elles et pour toutes les autres, mettons fin à l’impunité. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et Dem.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
Le consentement est au cœur de notre combat contre les violences sexuelles. En dépit de cette évidence qui aurait dû s’imposer depuis toujours, le consentement reste un concept déformé et remis en question, à dessein. Pourquoi ? Parce qu’il vient heurter des habitudes et des croyances. Parce qu’il dérange. Il dérange car il est intrinsèquement lié à une réalité que l’on a préféré mettre à distance, une réalité occultée par les clichés.
Dans neuf cas sur dix, la victime connaît son agresseur – neuf cas sur dix. Ce n’est pas un inconnu tapi dans l’ombre. C’est un mari, un ex-conjoint, un parent, un ami ou un collègue. Cette proximité brouille les frontières et nourrit des doutes insupportables : « Pourquoi n’a-t-elle pas crié ? Pourquoi ne s’est-elle pas débattue ? Pourquoi n’a-t-elle rien dit plus tôt ? » Parce que le viol ne se résume pas à la brutalité physique. Parce que la peur, la sidération, la honte, l’emprise, les violences psychologiques, les abus d’autorité ou de pouvoir sont autant de chaînes invisibles qui paralysent et qui peuvent paralyser longtemps. Parce que l’absence de cri, de lutte ou de résistance n’est jamais un consentement. Parce que le silence d’une victime n’est jamais un consentement. Parce que ne pas dire non, ce n’est pas dire oui.
Le procès de Mazan est le symbole du moment charnière que nous vivons. Gisèle Pelicot en est le visage : celui d’une femme debout. Gisèle Pelicot, droguée par son mari pour être vendue à des inconnus recrutés sur internet qui la considèrent, dit-elle, « comme une poupée de chiffon, comme un sac-poubelle ». Pendant dix ans, son corps a été un terrain vague, son existence un cauchemar méthodiquement et chimiquement orchestré. Ils ont été, au moins, cinquante et un hommes. Cinquante et un visages terriblement ordinaires. Ils sont des voisins, des collègues, des pères de famille que nous croisons chaque jour – l’horreur a un visage familier. Quand l’heure de répondre de leurs actes est venue, quand il leur a fallu se rendre au tribunal, ils se sont présentés masqués, cachés sous des capuches et des cagoules. Avaient-ils honte d’eux-mêmes, ou bien honte d’avoir été interpellés ?
Ce procès nous oblige. Il doit y avoir un avant et un après Mazan. Nous n’avons plus le droit de détourner le regard. Nous devons avoir le courage de regarder notre société telle qu’elle est, aussi dérangeante soit-elle, avec ses violences, ses silences – et donc ses complicités. Nous devons aux victimes de nous hisser au niveau du courage dont a fait preuve Gisèle Pelicot.
Nous devons redoubler d’efforts. Car si nous avons su, ces dernières années, mieux protéger les victimes et mieux condamner les bourreaux, si nous avons renforcé nos dispositifs de prévention et d’accompagnement ainsi que notre arsenal juridique, si nous avons commencé à graver l’absence de consentement dans la loi, le combat n’est pas pour autant terminé.
En inscrivant dans le code pénal, grâce à la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, qu’il ne saurait jamais y avoir de consentement en deçà de l’âge de 15 ans, nous avons clarifié notre droit et facilité ainsi le travail de la justice. Avant 15 ans, un enfant est un enfant. Il ne peut pas comprendre ce qu’on lui suggère ou ce qu’on lui impose. Avant 15 ans, un enfant ne peut pas consentir. C’est non – c’est toujours non. C’est un interdit absolu et il ne peut pas en être autrement.
Aujourd’hui, nous pouvons aller plus loin encore en réaffirmant une vérité simple, incontestable, inaltérable : consentir, ce n’est pas ne pas dire non – c’est dire oui. Un oui explicite, libre, sans contrainte ni ambiguïté. Gardons-nous de caricaturer cette exigence en y voyant une bureaucratisation du désir ou en évoquant ironiquement un contrat signé avant chaque relation sexuelle. Il s’agit de protéger, de reconnaître, de rendre justice : le viol n’est ni une fatalité ni un malentendu, mais un crime – un crime qui brise, qui mutile et qui anéantit.
Notre responsabilité est immense. Je salue l’engagement de parlementaires de tous les horizons, qui portent cette avancée avec force et conviction. Je tiens à rendre un hommage appuyé à Véronique Riotton et à Marie-Charlotte Garin, dont la mission et le rapport ont été décisifs. Je salue également le Conseil d’État qui a rendu rapidement un avis éclairé renforçant la sécurité juridique du texte.
Vous avez l’opportunité, par ce texte, d’inscrire au cœur des lois de notre République ce principe fondamental de justice et de dignité : le consentement doit être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable.
Libre, parce qu’aucune contrainte, aucune pression, aucune peur ne doit jamais en fausser la nature. Une femme qui craint de perdre son emploi, une jeune fille face à son entraîneur ou une femme sous l’emprise d’un conjoint violent peuvent-elles réellement dire non ?
Éclairé, car comment consentir si l’on est droguée, ivre, en situation de vulnérabilité ou de handicap ou bien prise dans un rapport d’autorité ?
Spécifique, pour que nul ne puisse détourner le sens du mot « consentement ». Consentir à un acte n’est pas consentir à tous les actes et le droit des contrats ne saurait servir à justifier le droit de disposer du corps d’autrui.
Préalable et révocable, car personne ne doit être enchaîné par un consentement qu’il aurait donné une fois. Dire oui, ce n’est pas dire oui pour toujours – et le non, à tout moment, doit être respecté.
Le consentement, enfin, doit toujours être apprécié dans son contexte. Une relation hiérarchique, une dépendance économique, un climat de peur ou de manipulation sont des éléments qui ne peuvent être ignorés. Ce n’est qu’en mettant en lumière les stratégies de coercition que nous pourrons démasquer ceux qui exploitent la vulnérabilité des autres.
Au-delà des textes de loi, c’est à un changement de culture que nous devons collectivement travailler. La culture du viol, ce poison insidieux qui imprègne nos sociétés, doit être combattu tout le temps, à tous les niveaux, par chacun et chacune d’entre nous. Elle est là, chaque fois qu’une victime est réduite au silence, chaque fois qu’un agresseur est excusé, chaque fois qu’un non est interprété comme un peut-être. Elle est là, quand on enseigne aux filles à avoir peur et à se méfier plutôt que d’apprendre à nos garçons à les respecter. Quand on insinue que les vêtements, l’attitude ou l’heure tardive justifient l’injustifiable et que, après tout, « elle l’a bien cherché ». Mettre fin à cette culture, c’est éradiquer ces mécanismes de domination, c’est éduquer, c’est refuser la complaisance et le déni, c’est dire clairement que la honte n’est pas – n’est plus – du côté des victimes. Elle est du côté de ceux qui violent, de ceux qui minimisent, de ceux qui détournent le regard et qui, complices, laissent faire.
Nous pouvons faire aujourd’hui un pas décisif vers une véritable culture du consentement. Ce texte, nous le savons, ne changera pas tout. Nous aurons encore à lutter contre toutes les formes de violence. Ce texte, cependant, peut marquer un tournant. Il nous revient de réaffirmer que le corps des femmes n’appartient qu’à elles et qu’aucun homme ne peut jamais prétendre avoir un droit sur lui. Il nous revient de réaffirmer que ce qui compte, ce n’est pas ce que l’agresseur croit mais ce que la victime veut. Cela, déjà, est une révolution. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, SOC, DR, EcoS et Dem.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Sarah Legrain
Intéressant !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
Si l’histoire de la justice est jalonnée d’étapes décisives, rares sont celles qui touchent aussi directement à un tabou si profondément ancré dans notre droit et dans notre société. En examinant aujourd’hui cette proposition de loi visant à inscrire explicitement la notion de consentement dans la définition du viol, vous innovez, mesdames et messieurs les députés, dans notre droit comme dans notre société. Je tiens à saluer, au nom du gouvernement, le travail mené par la délégation aux droits des femmes ainsi que l’engagement de parlementaires de toutes sensibilités – à commencer par celui de Mmes Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin.
Cette proposition de loi transpartisane s’inscrit dans une actualité douloureuse et dans un contexte où la société, avec force, réclame que la justice soit rendue autrement. Nous savons en effet comment l’affaire dite des viols de Mazan a profondément marqué la conscience collective et l’institution judiciaire. Ce procès hors-norme, par son ampleur et son horreur, par le courage exceptionnel de la victime, oblige la représentation nationale comme le gouvernement. Il nous oblige à repenser notre droit, à interroger nos représentations, à changer de paradigme – c’est ce que fait cette proposition de loi.
Dans le tournant que nous vivons, ce texte marque une évolution majeure du droit pénal. Si la clarté doit bien régner quelque part, c’est sur le code pénal : toujours précis, toujours d’application stricte. Dans notre droit actuel, pourtant, le mot « consentement » est absent de la définition du viol. La justice le recherche, les enquêteurs l’analysent, les avocats le contestent parfois, les victimes en témoignent – mais la loi ne le dit pas.
C’est cette omission que votre texte vient combler. Il ne s’agit pas d’une révolution juridique, mais d’un ajustement important et nécessaire et d’un alignement de notre droit avec ce que la jurisprudence, la pratique judiciaire et la société attendent depuis bien longtemps. Le Conseil d’État a accueilli ce changement avec rigueur et clairvoyance. Dans l’avis qu’elle a rendu le 6 mars dernier, la haute juridiction souligne que cette réforme n’instaure ni une présomption de culpabilité ni une obligation de contractualisation des relations sexuelles mais qu’elle permet au contraire de centrer le débat sur cette réalité que le viol est avant tout un « viol du consentement » avant que d’être un viol du corps.
En inscrivant dans le code pénal que le consentement est l’élément permettant de distinguer la sexualité de la violence, le texte reconduit le débat judiciaire non pas sur le comportement de la victime – on aurait pu voir là un risque – mais sur celui de l’auteur. Les débats ont été importants à ce sujet. Vos très nombreuses auditions vous ont permis de faire un véritable travail de défrichement. Après l’avis éclairé du Conseil d’État, le gouvernement entend vous accompagner dans votre rédaction.
Écoutons toutefois les interrogations. D’aucuns et d’aucunes redoutent que l’introduction explicite de la notion de consentement n’entraîne paradoxalement une focalisation accrue sur la victime : ce qu’elle a dit ou ce qu’elle n’a pas dit, ce qu’elle a fait ou ce qu’elle n’a pas fait. Ce risque est réel, mais notre rédaction permettra de le prévenir. C’est en effet précisément parce que le consentement sera inscrit dans la loi que l’on pourra mieux fixer le cadre dans lequel il s’apprécie : le cadre du consentement libre, spécifique, préalable, révocable et qui, surtout, ne saurait être déduit du seul silence ou de la seule absence de résistance. C’est là l’avancée majeure de notre texte, car aujourd’hui, faute d’une définition légale suffisamment claire, c’est souvent le comportement de la victime qui est interprété, examiné – parfois en pleine audience – et éventuellement jugé. Demain, ce sera à la personne mise en cause de montrer qu’elle s’est assurée du consentement, par des actes positifs. L’enquête devra déterminer ce qu’elle a compris, ce qu’elle a perçu, ce qu’elle a fait pour s’assurer de l’accord de l’autre. Le déplacement est là : il ne se fait pas au détriment des victimes, mais pour elles.
Un autre débat revient régulièrement, notamment chez certains professionnels du droit, que nous devons aborder avec franchise. L’introduction explicite de la notion de consentement fait-elle courir le risque d’une nouvelle exigence probatoire pesant sur les magistrats et sur les enquêteurs ? Faut-il y voir une complexification de la procédure, porteuse d’une difficulté supplémentaire, celle d’apporter la preuve de l’infraction ?
Là encore, le point de vue du ministère de la justice est clair : non. Le texte n’indique pas qu’il faut apporter une preuve supplémentaire mais précise ce que l’on recherche déjà, ce que les magistrats doivent aujourd’hui démontrer de manière indirecte à travers des éléments épars. Il n’y aura pas d’obligation de preuve positive du consentement comme on signerait un contrat. La justice ne bascule pas dans une logique de preuve impossible.
Au contraire, en nommant ce que la procédure vise à établir – l’absence de consentement –, la loi permet de mieux structurer le raisonnement judiciaire. Elle clarifie ce qui doit être recherché, encadre la démarche et donne des balises.
Comme l’a précisé le Conseil d’État, l’auteur devra toujours être poursuivi sur la base de l’intention de commettre un acte sexuel sans s’assurer du consentement de l’autre. C’est cette conscience d’agir sans l’accord d’autrui qui constitue l’élément moral de l’infraction. Rien n’est renversé, rien n’est alourdi : c’est une mise en cohérence entre le droit, la jurisprudence et la réalité.
Cette évolution répond aussi à un impératif international. La convention d’Istanbul, que la France a ratifiée en 2014, est claire : pour qu’un acte sexuel soit licite, il faut un consentement donné librement, en connaissance de cause. Le Grevio – Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique –, chargé du suivi de cette convention, a souligné à plusieurs reprises que notre législation, fondée trop exclusivement sur la violence, la menace, la contrainte ou la surprise, restait en retrait.
Plusieurs ministres de la justice ont refusé cette avancée. Avec Aurore Bergé, j’entends peser de tout notre poids pour accompagner ce texte aujourd’hui à l’Assemblée et demain, je l’espère, au Sénat, afin que les mesures prévues dans le cadre d’une convention internationale signée par la France entrent pleinement dans notre droit.
En tant que garde des sceaux, je me dois de rappeler l’exigence du principe de légalité des délits et des peines. Connaissant les précautions qu’impose toute réforme du droit pénal, je salue le travail de clarification juridique accompli dans le cadre de ce texte.
La proposition de loi introduit la notion d’acte sexuel non consenti, de façon claire et sans ambiguïté. Elle conserve les quatre critères classiques en les replaçant comme modalités d’établissement de l’absence de consentement et définit le consentement comme libre, spécifique, préalable et révocable.
Le Conseil d’État a formulé des réserves utiles sur certains termes comme « spécifique » ou « circonstances environnantes ». Il a proposé des formulations alternatives pour sécuriser juridiquement la loi. Le gouvernement y est attentif et nous accompagnerons les travaux parlementaires pour que le texte adopté soit conforme aux exigences du Conseil d’État et validé constitutionnellement.
Je sais qu’un amendement a été envisagé pour créer une infraction autonome en cas de retrait non consenti du préservatif au cours d’un rapport sexuel. Ce sujet sérieux pose de vraies questions de respect et d’intégrité physique.
J’aimerais rappeler que, du point de vue de la Chancellerie – mais je crois que Mme la ministre partage cette analyse –, ce type de comportement sera désormais pleinement couvert par la définition du viol, telle qu’elle résultera de la présente proposition de loi. Car le consentement doit être spécifique, ce qui signifie qu’il porte non seulement sur l’acte sexuel lui-même mais aussi sur ses modalités – et l’usage d’un préservatif en fait évidemment partie. Autrement dit, un acte sexuel initialement consenti peut devenir, en cas de retrait dissimulé du préservatif, un acte non consenti – c’est notre lecture de la loi telle qu’elle sera rédigée. En vertu de cette nouvelle définition, il pourra être qualifié de viol.
Il n’est donc ni nécessaire ni souhaitable, du point de vue du gouvernement, de créer une infraction autonome car cela affaiblirait même la portée de la réforme en suggérant que ce comportement relèverait d’un traitement à part, moins grave. Le signal que nous devons envoyer est clair : un tel comportement est une atteinte grave au consentement et doit être jugé comme tel. Le droit révisé le permettra désormais.
Le droit pénal ne se contente pas de sanctionner : il éduque. À travers lui, la société définit ce qui est tolérable et ce qui ne l’est pas. Il dessine les contours d’une norme commune, adaptée à la société. À cet égard, le texte qui vous est soumis est aussi une loi de société. Il doit permettre à chacun de connaître, sans équivoque, la définition et – comme l’a expliqué Mme la ministre – les conséquences des actes. Le consentement ne se présume pas. Il se cherche, se reçoit et se respecte.
Ce changement de paradigme, prévu par la proposition de loi dont nous espérons tous qu’elle sera adoptée très prochainement, doit se refléter dans notre société tout entière – c’est le travail mené par le gouvernement, sous l’autorité de la ministre Bergé. Au-delà du texte, il doit bien sûr être relayé dans la formation des professionnels mais aussi dans l’éducation de nos petits garçons et de nos petites filles lorsque nous leur apprenons, dès le plus jeune âge, ce que sont la sexualité, le désir, la liberté et le respect.
Je vous remercie pour votre engagement sur ce texte. Avec Mme la ministre Bergé, et même si peu d’amendements ont été déposés, je ferai en sorte que le droit protège mieux, éduque mieux. Je profite de cette occasion pour remercier tous les magistrats, enquêteurs et éducateurs, tous ceux qui, par leur travail quotidien, aident la société à regarder la réalité en face – une société qui, je l’espère, trouvera dans le texte que vous avez proposé un moyen supplémentaire de protéger les victimes et d’améliorer encore notre loi commune. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
Discussion générale
M. le président
La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.
Mme Virginie Duby-Muller
Notre assemblée doit se prononcer aujourd’hui sur une proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles. Je remercie nos collègues Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin pour la qualité de ce travail transpartisan.
Le texte témoigne d’un travail parlementaire rigoureux et d’une réflexion approfondie menée avec la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale.
En décembre dernier, cinquante et un hommes étaient condamnés pour de multiples viols et agressions sexuelles commis contre Gisèle Pelicot. Je veux redire mon admiration pour cette femme incroyablement courageuse qui a su affronter un procès public et médiatique au cours duquel tant de propos violents ont été prononcés.
Ce procès retentissant suivi dans le monde entier a mis en lumière deux enjeux : la soumission chimique et la question du consentement. Certains avocats ont évoqué des mœurs légères de la victime, un autre a déclaré, pour minimiser l’intention des coaccusés : « Il y a viol et viol. »
Pour que la honte change de camp, la question du consentement a été placée au cœur de cette proposition de loi. Actuellement, le code pénal repose principalement sur la caractérisation d’éléments matériels, tels que la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, pour qualifier un viol ou une agression sexuelle.
Cependant, cette approche présente des limites évidentes. Elle ne permet pas de prendre en compte de nombreuses situations dans lesquelles la victime, bien que n’ayant pas consenti, n’a pu exprimer son refus de manière active. C’est pourquoi il est impératif d’inscrire explicitement la notion d’absence de consentement dans notre législation. Le consentement doit être libre, spécifique, révocable et éclairé. Il ne peut être déduit du silence ou de l’absence de résistance.
En introduisant ces critères dans la loi, nous reconnaissons enfin la complexité des situations vécues par les victimes, notamment celles qui se trouvent en état de sidération, d’inconscience ou sous emprise psychologique.
Cette réforme permettra de mieux protéger les victimes et de renforcer la lutte contre l’impunité des violences sexuelles. Entre 40 et 70 % des victimes de viol sont en état de sidération au moment des faits, ce qui empêche une réaction physique ou verbale immédiate. Une victime sur trois ne résiste pas à son agresseur à cause du choc, de la peur ou d’un état de dissociation psychologique.
L’exigence de la preuve d’une contrainte ou d’une résistance place un fardeau disproportionné sur les épaules des victimes. Cette loi corrigerait cette injustice en reconnaissant que l’absence de consentement suffit à caractériser un viol ou une agression sexuelle.
Les chiffres sont alarmants. En 2021, 168 000 viols et tentatives de viol ont été enregistrés en France mais seules 10 000 plaintes ont abouti à une condamnation. Huit victimes sur dix ne portent pas plainte, par peur que leur témoignage ne soit pas pris au sérieux ou que la justice ne donne pas suite, et 73 % des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite. Cette loi vise à réduire ce dernier chiffre en facilitant la preuve de l’infraction et en recentrant l’enquête sur le comportement de l’agresseur plutôt que sur celui de la victime.
La proposition de loi ne se contente pas de modifier la définition du viol et des agressions sexuelles, elle étend également le champ d’application du viol aux actes bucco-anaux, une évolution essentielle pour refléter la réalité des violences sexuelles et pour garantir une protection égale à toutes les victimes, quelle que soit la nature de l’agression subie.
L’avis du Conseil d’État sur cette proposition de loi est un facteur crucial pour évaluer la pertinence et l’impact potentiel de la réforme. Dans son avis du 6 mars 2025, il reconnaît que le texte vise à combler les insuffisances actuelles de la législation en matière de viol et d’agressions sexuelles. En inscrivant l’absence de consentement comme élément central de ces infractions, la loi met en avant le principe fondamental de la liberté personnelle et sexuelle de chacun. La reconnaissance explicite du consentement contribue à ancrer cette exigence dans notre droit pénal, renforçant ainsi la protection des victimes. En commission, les législateurs que nous sommes avons pris en considération les réflexions du Conseil d’État, ce qui accroît la force juridique du texte – je tiens ici à saluer le travail de ma collègue Émilie Bonnivard.
Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure et Mme Véronique Riotton, rapporteure
Absolument !
Mme Virginie Duby-Muller
Le Conseil d’État souligne que, dans les faits, la jurisprudence actuelle prend déjà en considération l’absence de consentement mais la réforme vise à clarifier le droit et à améliorer les moyens de répression des violences sexuelles.
Enfin, si ce texte constitue une avancée en matière de protection des victimes de viol, il est crucial de renforcer, tout au long du processus judiciaire, notre soutien aux victimes. Cela commence avec le dépôt de plainte – à cet égard, je veux ici saluer les associations qui mènent un travail considérable de soutien pour accompagner au mieux les victimes. Une fois la porte du commissariat franchie, il faut assurer une meilleure formation encore de nos agents de police et de gendarmerie qui sont les premières personnes au contact des victimes.
Enfin, il est nécessaire de renforcer les moyens de la justice, notamment pour réduire les temps d’attente s’agissant des enquêtes et des jugements. Sur ces questions, j’en suis convaincue, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes continuera de travailler avec force.
Ainsi, ce texte représente une avancée. Vous pouvez donc compter sur les députés du groupe Droite républicaine qui voteront majoritairement en sa faveur. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs des groupes EPR et Dem. – Mmes les rapporteures applaudissent également.)
M. le président
La parole est à Mme Sandra Regol.
Mme Sandra Regol
Les chiffres sont glaçants. Entre un tiers et la moitié des femmes françaises ont été ou seront victimes de violences sexuelles au cours de leur vie. Nous ressentons cette réalité dans notre chair, dans notre corps. Elle conditionne un peu nos modes de vie. Pour achever le tableau, on sait par ailleurs qu’environ 70 % des rares plaintes déposées sont classées sans suite. Cette proposition de loi entend faire bouger un peu les choses.
Nous, militantes féministes, connaissons bien ces chiffres. Nous les répétons depuis plusieurs années, ce qui nous a d’ailleurs longtemps valu d’être qualifiées d’hystériques. Récemment, il y a eu comme un déclic. Les cas de soumission chimique se sont accumulés : nos sœurs, nos copines, nos collègues en ont été victimes dans des bars. Puis il y eut le procès Mazan. La société a alors estimé que, peut-être, toutes ces femmes qui racontaient qu’elles étaient très nombreuses à être harcelées ou violées n’étaient pas si hystériques et que, finalement, il était peut-être nécessaire d’agir.
La société est prête. Nous sommes arrivés à ce moment de maturité, voilà pourquoi il faut agir. Ou plutôt réagir car, pour agir, il faudrait des moyens très importants. Le budget de l’État consacré à cette cause devrait s’élever à 2 milliards – je le dis à l’intention de Mme la ministre, même si j’ai bien entendu son intervention.
La question du consentement est au cœur des phénomènes que je viens d’évoquer. Le Parlement prend donc ses responsabilités et propose des outils pour, au moins, protéger les victimes.
Si, aujourd’hui, je peux affirmer avec fierté que nous devons tous voter pour cette proposition de loi qui prévoit de modifier la définition pénale du viol en introduisant la notion de non-consentement, c’est aussi parce que j’ai fait du chemin, accompagnée, comme mes collègues, par les rapporteures.
Elles ont pris le temps – si rare dans cet hémicycle, si difficile à avoir dans le cadre de nos échanges au Parlement – de nous écouter longuement, de mener un travail de fond. Elles ont écouté chacune de nos critiques et y ont répondu. Elles ont travaillé avec les meilleurs juristes, jusqu’à débattre avec des membres du Conseil d’État. Je l’ai déjà fait en commission mais je les remercie, une nouvelle fois, de nous rappeler que, parfois, nous pouvons travailler dans de très bonnes conditions.
Chaque mot de ce texte a été pesé, c’est pourquoi nous devons – et allons – le voter. Je sais que de nombreuses critiques et interrogations subsistent – je me les suis formulées moi-même.
Tout d’abord, certains se demandent s’il est réellement nécessaire d’inscrire ces éléments dans le droit étant donné qu’une jurisprudence existe. Oui, il le faut car, selon les juridictions, la jurisprudence n’est pas la même, tout le monde ne sera donc pas jugé de façon égale. En outre, peut-on, en France, en 2025, se satisfaire que les viols soient les seuls crimes jugés à partir de la jurisprudence ? La réponse est non.
Le texte risquerait aussi, dit-on, de fragiliser les victimes en les obligeant à raconter en détail ce qu’elles ont vécu. Or, comme cela a été rappelé, ce qui est le plus terrible pour les victimes, c’est quand on leur demande, comme c’est le cas aujourd’hui, pourquoi elles n’ont pas crié, pourquoi elles n’ont pas bougé, pourquoi elles ne se sont pas enfuies ou pourquoi, pire encore, elles sont retournées auprès de leur agresseur. Ce que nous demandons, avec ce texte, c’est de rééquilibrer les choses pour que ce type de question ne soit plus posé, pour que les victimes ne soient plus obligées de prouver, sans cesse, qu’elles le sont.
Il est donc urgent de voter ce texte, nécessaire à toutes et tous. Ce ne devra pas rester le seul outil ; nous devrons aller plus loin. Je pense notamment à la prévention et à l’éducation. Dès le plus jeune âge, les enfants apprennent à accepter ce que leur disent les adultes. Mme la ministre et Mme Virginie Duby-Muller ont déjà souligné qu’il fallait mener un travail de fond, au cœur de nos familles, qui passe par l’éducation. Nous devons apprendre à chaque enfant, que ce soit un petit garçon ou une petite fille, qu’il a le droit de ne pas consentir. Le consentement est un outil majeur qui doit guider le rapport à leur corps et jouer un rôle essentiel dans leur vie.
Ce sont les enjeux que recouvre la définition juridique introduite par ce texte. Il s’agit d’un outil qui change le droit pour protéger les victimes, qui change la société pour nous amener vers le meilleur.
Il faudra certes aller plus loin. Aujourd’hui, adoptons cet outil et demain, travaillons à une loi globale. Madame la ministre, nous avons entendu votre appel et nous attendons beaucoup de ce travail transpartisan.
Enfin, votons des budgets à la hauteur des besoins des victimes. Pour les protéger, éloigner leur harceleur ou leur violeur, et disposer de moyens de lutte et de prévention, 2 à 3 milliards d’euros sont requis. Une fois ces chiffres sérieux atteints, nous arrêterons de vous dire qu’il faut augmenter les budgets !
En attendant, votons cette loi précieuse, fruit d’un travail tout aussi précieux, mené dans la bienveillance. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC. – Mme Véronique Riotton, rapporteure, applaudit également.)
M. Emmanuel Duplessy
Implacable !
M. le président
La parole est à M. Erwan Balanant.
M. Erwan Balanant
L’introduction du consentement ou du non-consentement dans la définition des agressions sexuelles est indéniablement une question de société. Faut-il y apporter une réponse dans le code pénal ?
Si je soulève cette question, c’est parce qu’une majorité de professionnels du droit – nous en avons auditionné certains –, ainsi qu’une partie des associations féministes, s’accordent à dire que l’ajout de la notion de consentement dans la définition pénale des agressions sexuelles, et donc dans la définition pénale du viol, ne sera pas un ressort suffisant pour modifier la pratique des juridictions judiciaires.
En effet, ces dernières prennent déjà en compte le consentement et son absence dans le traitement des affaires pendantes devant elles. La Cour de cassation, dans son contrôle des notions d’agressions sexuelles et de viols, fait déjà du consentement la pierre angulaire de ses vérifications. Elle considère ainsi l’absence de violence, contrainte, menace ou surprise comme une définition en creux de l’absence de consentement.
Dans son avis sur la présente proposition de loi, le Conseil d’État a par ailleurs considéré que la définition actuelle de l’agression sexuelle telle qu’elle est appliquée par la jurisprudence satisfait aux exigences de la convention d’Istanbul. Est-ce suffisant ? Je n’en suis pas sûr.
Il n’en demeure pas moins que la définition actuelle des agressions sexuelles doit être interrogée et évoluer – le groupe Les Démocrates vous rejoint sur ce point, mesdames les rapporteures. Cela doit-il passer par l’introduction dans le droit de cette notion de consentement ou de non-consentement ? Il est permis d’en douter, d’autant que certains juristes pensent le contraire. Ne nous trompons-nous pas de paradigme en nous concentrant uniquement sur la notion de consentement ?
Je pense qu’il faut changer le droit et inscrire cette notion dans le code pénal, mais nous ne devons pas nous arrêter là.
Il faut reconnaître que ce changement pourrait être considéré comme utile si l’on considère la fonction expressive de la loi pénale. Robert Badinter aimait ainsi à rappeler que la loi exprime « par les sanctions qu’elle édicte le système de valeurs d’une société. C’est la fonction expressive de la loi pénale ».
Toutefois, il faut que nous avancions vers une définition claire, pédagogique et qui permette de protéger les victimes. Vous l’avez dit, monsieur le garde des sceaux : la loi doit être toujours précise et d’interprétation stricte.
Or le présent texte soulève à cet égard quelques inquiétudes. Je ne suis pas le seul à m’en préoccuper, c’est aussi le cas d’un grand nombre de juristes. Je vous assure que si, madame Garin !
Nous en avons discuté : l’exhaustivité du présent texte risque d’être contre-productive car elle pourrait prêter le flanc en défense à des interprétations a contrario préjudiciables aux victimes. Nous prenons le risque que les débats ne portent non plus sur l’élément intentionnel, qui concerne l’auteur, mais sur le comportement de la victime. C’est déjà trop souvent le cas aujourd’hui, n’aggravons pas la situation. Si l’on en vient à définir un crime par l’attitude et le comportement de la victime, l’on prend encore plus le risque de faire son procès en lieu et place de celui du mis en cause.
Une définition plus simple de ces infractions nous éviterait sans doute de tomber dans cet écueil. « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement » écrivait Nicolas Boileau, premier président du Parlement de Paris. Or les termes retenus par le Conseil d’État pour définir le consentement soulèvent des interrogations au regard de leur manque de précision, ouvrant ainsi la voie à une jurisprudence dissonante et fluctuante. Plus largement, si les termes « libre et éclairé », « spécifique », « préalable » et « révocable » retenus par le Conseil d’État devaient être conservés, il serait indispensable d’envisager une ossature différente et plus claire.
Nous devons trouver un équilibre afin que le texte conserve l’architecture actuelle du droit – je sais que c’est ce que vous vous êtes efforcées de faire, mesdames les rapporteures, et nous le saluons. Il ne faut pas laisser croire aux victimes que les juridictions ne condamnaient pas jusqu’ici les agressions sexuelles ou aux auteurs que des actes qui étaient condamnés ne le seront plus en raison d’une rédaction trop floue ou trop complexe.
Au sein du groupe Les Démocrates, nous sommes convaincus que la solution réside avant tout dans l’amélioration du traitement judiciaire des faits de violences sexistes et sexuelles et des agressions sexuelles. Malheureusement, les actes d’investigations sont aujourd’hui encore trop rares et les enquêtes incomplètes et imparfaites. Peut-être pourrions-nous envisager de rendre obligatoire la réalisation de certains actes d’enquêtes dès lors qu’une plainte est déposée. Peut-être pourrions-nous aussi renforcer l’accompagnement des victimes tout au long de leur parcours judiciaire, qui est long et difficile.
Il n’en demeure pas moins que le groupe Les Démocrates salue ce travail de longue haleine et votera le texte que vous nous proposez. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
M. le président
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès Firmin Le Bodo
L’ampleur des violences sexuelles dans notre pays est alarmante et, disons-le, intolérable. Chaque année, plus de 270 000 personnes – des femmes dans l’immense majorité des cas – se déclarent victimes de violences sexuelles. Pourtant, seules 6 % d’entre elles osent porter plainte.
Le groupe Horizons & indépendants est profondément préoccupé par ce fléau qui mine notre société et porte atteinte à l’intégrité de tant de nos concitoyens. Face à cette réalité brutale, le législateur ne peut rester indifférent. Nous avons le devoir moral et politique d’agir pour que ces voix ne demeurent plus lettres mortes.
Le fait que l’écrasante majorité des victimes ne se tournent pas vers la justice est un constat d’échec pour notre société. Chaque victime mérite que justice lui soit rendue ; chaque agresseur doit être tenu responsable de ses actes. Restaurer la confiance des victimes envers nos institutions est une priorité. Elles doivent savoir et sentir qu’elles seront écoutées, respectées et protégées lorsqu’elles franchissent la porte d’un commissariat ou d’un tribunal.
Il convient donc d’agir, mais sans jamais renier nos principes fondamentaux. Notre groupe apporte donc un soutien mesuré et lucide à cette proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles. Il ne s’agit pas de céder à l’émotion au détriment du droit, mais de trouver un équilibre juste entre la protection des victimes et le respect des principes qui constituent notre droit pénal.
Je souhaite remercier nos deux rapporteures pour le travail considérable qu’elles ont mené, notamment les efforts de pédagogie qu’elles ont fournis auprès de chacune et chacun d’entre nous.
Le principe cardinal de la présomption d’innocence demeure intangible, tout comme l’exigence d’une preuve établie au-delà de tout doute raisonnable pour toute condamnation. Le Conseil d’État, saisi pour avis, nous a apporté d’importantes garanties à cet égard. Dans son avis du 6 mars dernier, la plus haute juridiction administrative a confirmé que l’introduction du critère de non-consentement n’instaure ni inversion de la charge de la preuve, ni présomption de défaut de consentement.
Nous tenons ainsi à rassurer le monde judiciaire : il n’est pas question de bouleverser les équilibres procéduraux. Nous le savons, ces affaires sont parmi les plus difficiles à instruire et à juger – souvent sans témoin, parfois sans preuve matérielle, parole contre parole. Loin de nous l’idée de jeter l’opprobre sur les magistrats ou enquêteurs qui font un travail rigoureux dans des conditions complexes. Bien au contraire, en clarifiant la loi, nous espérons leur donner de meilleurs outils pour appréhender ces crimes, sans jamais transiger sur la sécurité juridique ni sur les droits de la défense.
Aussi importante soit-elle, cette loi ne suffira pas à elle seule à résoudre tous les problèmes que rencontrent les victimes de violences sexuelles.
Notre groupe apportera en majorité un vote favorable à ce texte, mais nous agissons avec humilité et vigilance. Avec humilité, car nous avons conscience que le chemin de la victime vers la justice restera semé d’embûches, des embûches que cette modification législative ne fera pas disparaître du jour au lendemain. Avec vigilance, car il nous appartiendra de veiller à ce que cette réforme soit suivie d’autres actions, plus concrètes encore.
Le combat contre les violences sexuelles doit se mener sur tous les fronts. Il faut d’abord améliorer l’accueil et l’accompagnement des victimes dès le premier signalement. À cet égard, nous saluons et encourageons les mesures annoncées par le gouvernement en fin d’année dernière, qui visent à apporter des réponses tangibles en dehors du prétoire.
Il nous faudra aussi continuer à travailler sur la formation des policiers, gendarmes et magistrats, pour qu’aucune plainte pour viol ne soit accueillie avec légèreté ou ne bute sur des préjugés. Il nous faudra renforcer les moyens d’enquête, améliorer la prise en charge médico-légale des victimes et poursuivre l’indispensable effort d’éducation et de prévention auprès de nos jeunes. En somme, nous devons bâtir un véritable écosystème de protection et de justice, dans lequel la loi que nous votons aujourd’hui s’insérera comme une pièce maîtresse, mais pas unique.
Ainsi, notre vote n’est pas un point final. Au contraire, nous devrons évaluer les effets réels de cette réforme, adapter si nécessaire nos dispositifs et continuer à légiférer chaque fois que cela sera requis pour faire reculer ce fléau.
Estimons donc à sa juste valeur la portée de ce texte et poursuivons sans relâche le combat plus large pour que plus aucune femme, plus aucun homme, plus aucun enfant dans notre pays ne subisse de violence sexuelle sans obtenir justice. Avec le vote de ce texte, nous apportons une pierre supplémentaire à l’édifice des luttes contre les violences sexuelles et sexistes.
Madame la ministre, je sais que vous vous êtes engagée à mener un travail transpartisan afin d’aboutir à un projet de loi global. Vous nous trouverez alors à vos côtés, pour apporter des réponses à l’ensemble de nos préoccupations. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – Mmes les rapporteures applaudissent également.)
5. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles ;
Discussion de la proposition de résolution relative à la création d’un institut Océan de l’Université des Nations unies en France ;
Discussion de la proposition de loi visant à renforcer le contrôle du Parlement en période d’expédition des affaires courantes ;
Discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux, d’initiative transpartisane ;
Discussion de la proposition de loi visant à assurer le développement raisonné et juste de l’agrivoltaïsme.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra