
Mission flash sur le régime des actes administratifs pris par un gouvernement démissionnaire
Au cours de l’été 2024, le Gouvernement démissionnaire de M. Gabriel Attal a assuré l’expédition des affaires courantes durant une période de soixante-sept jours. Cette longue période tranche avec des durées d’expédition des affaires courantes habituellement courtes depuis 1958. Sous la IVe République, les périodes d’expédition des affaires courantes avaient duré en moyenne deux semaines.
C’est dans ce contexte inédit que la commission des Lois a décidé, lors de sa réunion du mercredi 2 octobre 2024, de créer une mission d’information flash sur le régime des actes administratifs pris par un gouvernement démissionnaire, à la demande du groupe Écologiste et social (ÉcoS) ; Mme Léa Balage El Mariky, députée de Paris, et M. Stéphane Mazars, député de l’Aveyron, en ont été désignés rapporteurs.
Entre les mois d’octobre et de décembre 2024, les rapporteurs ont conduit treize auditions de personnalités diverses, ont organisé trois tables rondes d’universitaires, français comme étrangers, et ont réalisé deux déplacements à l’étranger, en Belgique et aux Pays-Bas, dans une perspective de droit comparé.
Ces travaux ont mis en avant la réduction importante du nombre d’actes édictés par le Gouvernement démissionnaire à l’été 2024, par rapport aux années précédentes : 340 décrets ont été pris entre le 16 juillet et le 21 septembre, soit la moitié de moins qu’à la même période l’année passée.
S’agissant de ces actes, les rapporteurs ne constatent pas de violation manifeste du régime des affaires courantes tel que défini par la jurisprudence. Ils notent qu’à date, aucun des 17 recours à leur encontre devant le Conseil d’État n’a abouti à la suspension ou l’annulation d’un acte au motif qu’il excéderait le champ des affaires courantes.
À l’issue de ses travaux, la mission formule onze recommandations, afin de repenser les rapports entre le Parlement et le Gouvernement démissionnaire et permettre de faire face à une période d’expédition des affaires courantes qui pourrait se prolonger, sans remise en cause du cadre jurisprudentiel.
Au début de la période d’expédition des affaires courantes, les rapporteurs estiment qu’il serait de bon usage que le ministre chargé des relations avec le Parlement démissionnaire transmette au Parlement des indications sur la manière dont le Gouvernement démissionnaire entend expédier les affaires courantes.
S’agissant du contrôle parlementaire des affaires courantes, la mission propose de consacrer dans la loi un droit d’information du Parlement sur l’activité du gouvernement démissionnaire, sur le modèle du contrôle parlementaire de l’état d’urgence, permettant au deux chambres d’obtenir copie de tous les actes pris par un gouvernement démissionnaire et de requérir toute information complémentaire. Les rapporteurs estiment également intéressant qu’un bilan soit adressé au Parlement par le Gouvernement à l’issue de la période d’expédition des affaires courantes.
Faisant le constat du nombre de limité de réunions des commissions permanentes à l’été 2024 pour contrôler l’activité du gouvernement démissionnaire, les rapporteurs appellent à améliorer à droit constant le contrôle exercé par les commissions, qui peuvent se doter, si nécessaire, des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête.
De plus, dans une période où le Parlement est privé de son outil de contrôle le plus fort – la censure du Gouvernement – les actes pris par un gouvernement démissionnaire doivent pouvoir faire l’objet de recours initiés par des parlementaires devant le Conseil d’Etat, dans le respect de la séparation des pouvoirs et en évitant que la reconnaissance d’un tel intérêt à agir ne devienne un outil de prolongation, sur le terrain juridique, de débats menés sur le plan politique.
Les rapporteurs estiment important que les membres d’un gouvernement démissionnaire apportent régulièrement des réponses aux questions que les affaires urgentes ou courantes peuvent soulever. Ils considèrent donc nécessaire de prévoir la tenue de séances de questions au Gouvernement lorsque celui-ci est démissionnaire et que l’Assemblée est en session, a fortiori si des textes de lois sont examinés la même semaine. Le dépôt de questions écrites pendant la période d’expédition des affaires courantes devrait également être autorisé.
S’inspirant de la pratique du Parlement belge, les rapporteurs suggèrent de donner à l’Assemblée nationale la capacité d’orienter des choix structurants devant être faits en période d’expédition des affaires courantes, en particulier dans des situations d’urgence. La mission suggère, à court terme, de permettre au Gouvernement démissionnaire de faire, en application de l’article 50-1 de la Constitution, une déclaration suivie d’un débat et, éventuellement, d’un vote ; et, à moyen terme, de modifier la Constitution afin de supprimer, en période d’expédition des affaires courantes, l’irrecevabilité que peut opposer le Gouvernement à l’inscription à l’ordre du jour de propositions de résolution.
Les auditions conduites par les rapporteurs les ont amenés à s’interroger sur l’effet que doit avoir une dissolution sur l’activité du Gouvernement, qu’elle soit ou non précédée de l’adoption d’une motion de censure. En effet, dans cette période, la responsabilité du Gouvernement démissionnaire ne peut être mise en cause par l’Assemblée. Si leurs avis divergent, les rapporteurs partagent le souhait que s’ouvre, dans le cadre d’une prochaine révision de la Constitution, un débat sur l’opportunité de modifier son article 12 afin de limiter les pouvoirs du Gouvernement à l’expédition des affaires courantes en cas de dissolution de l’Assemblée nationale et ce, jusqu’à la nomination d’un nouveau gouvernement à l’issue des élections législatives.
Les rapporteurs notent enfin que dans certains pays européens, la durée de la période d’expédition des affaires courantes est limitée par la Constitution. S’ils se sont interrogés sur l’intérêt de limiter cette période en France, les rapporteurs n’ont pas retenu cette solution. Outre le fait qu’en l’absence d’investiture parlementaire du Gouvernement, elle ne semble pas parfaitement transposable dans le régime de la Ve République, une telle limitation ne semble pas présenter une efficacité majeure dans les pays où elle existe.