Question de : Mme Anne Le Hénanff
Morbihan (1re circonscription) - Horizons & Indépendants

Mme Anne Le Hénanff appelle l'attention de Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique sur l'application de l'article 6-3 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN). Introduit par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 (anciennement article 6-I-8), cet article permet au président du tribunal judiciaire, dans le cadre d'une procédure accélérée au fond, de prendre des mesures pour prévenir ou faire cesser des dommages causés par des contenus en ligne. Cependant, une incohérence importante dans l'application de cette disposition a émergé dans la mise en œuvre de cet article. En effet, bien que le juge puisse être saisi pour traiter les dommages causés par ces contenus numériques, une lecture littérale du texte contraint les justiciables à devoir recourir à une seconde procédure distincte pour demander réparation des préjudices subis. Cette dualité de procédures engendre plusieurs difficultés majeures. En principe, un juge de fond doit pouvoir traiter l'intégralité d'un litige, même dans le cadre d'une procédure accélérée. Il serait donc logique qu'il puisse non seulement faire cesser les dommages causés par les contenus numériques, mais aussi en tirer toutes les conséquences en statuant sur la réparation des préjudices constatés et cessés. Cette approche permettrait une gestion cohérente des litiges, évitant aux justiciables de devoir engager une nouvelle procédure, ce qui entraîne un alourdissement inutile du processus, un allongement des délais et des frais supplémentaires. Cette situation est non seulement pénalisante financièrement pour les justiciables, mais elle peut aussi dissuader de nombreuses victimes d'engager des actions en justice, alors que les grandes entreprises du numérique disposent de moyens considérables pour répondre à ces multiples procédures. Cela va à l'encontre du principe fondamental de bonne administration de la justice, garanti notamment par la Convention européenne des droits de l'homme, et du droit à un recours effectif à la justice tiré de son article 6. Aussi, dans un souci de clarté, elle souhaiterait savoir si, dans le cadre de la procédure accélérée au fond prévue par l'article 6-I-8 de la LCEN, le juge pourrait également se prononcer sur la réparation des dommages subis par les justiciables dans la même procédure, afin de simplifier le processus et d'assurer une justice plus accessible et efficace.

Réponse publiée le 26 août 2025

La procédure judiciaire visant à lutter contre les contenus illicites en ligne mentionnée à l'article 6-3 de la LCEN s'inscrit dans la continuité de l'obligation imposée aux fournisseurs de services intermédiaire de collaborer techniquement à la lutte contre les contenus illicites, notamment en répondant aux injonctions d'agir ou de fournir des informations émanant des autorités nationales prévues par les articles 9 et 10 du règlement européen UE 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques. Cette procédure est conçue pour permettre à la victime d'obtenir une décision judiciaire rapide pour éviter ou limiter un dommage. Le juge statuant selon la procédure accélérée au fond peut en effet ordonner le blocage, le retrait ou le déréférencement du contenu illicite. Cette procédure n'a en revanche pas pour objet de permettre la réparation du préjudice subi du fait de la publication d'un contenu illicite en ligne. D'une part, la procédure mentionnée à l'article 6-3 de la LCEN vise principalement les fournisseurs de service intermédiaire qui disposent de la possibilité technique de bloquer, retirer ou déréférencer les contenus illicites mais qui ne sont pas, en principe, responsables des contenus illicites. Une action en réparation du préjudice causé par la diffusion en ligne d'un contenu illicite sera plutôt engagée à l'encontre de l'utilisateur du service intermédiaire qui est à l'origine de ce contenu ou à l'encontre de l'éditeur de contenu, qu'il soit professionnel ou amateur. D'autre part, la procédure instituée par les dispositions de l'article 6-3 suppose simplement de rapporter la preuve de l'existence d'un dommage occasionné par un contenu en ligne illicite permettant de démontrer qu'il est nécessaire d'en faire cesser l'atteinte le plus rapidement possible. Au contraire, dans le cadre d'une demande d'indemnisation d'un préjudice, la victime doit établir la faute du responsable, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice (article 1240 du code civil), ce qui peut en outre nécessiter une expertise sur l'évaluation du préjudice. Au regard de ces éléments, une action intentée en vue d'obtenir à la fois une mesure propre à faire cesser le dommage à l'encontre des fournisseurs de service intermédiaire et la condamnation de l'auteur du dommage au paiement de dommages et intérêts serait considérablement plus longue. Elle nuirait aux intérêts de la victime qui, dans l'attente de l'issue de la procédure statuant sur une demande indemnitaire, ne pourrait pas obtenir le blocage, le retrait ou le déréférencement du contenu lui causant un dommage. Enfin, les deux procédures peuvent être engagées en parallèle, la décision de déréférencement, blocage ou retrait pouvant d'ailleurs être utilisée à l'appui de la procédure d'indemnisation, ce qui est de nature à faciliter la conduite de cette dernière.

Données clés

Auteur : Mme Anne Le Hénanff

Type de question : Question écrite

Rubrique : Internet

Ministère interrogé : Intelligence artificielle et numérique

Ministère répondant : Justice

Dates :
Question publiée le 22 octobre 2024
Réponse publiée le 26 août 2025

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