Contrôle des affectations de magistrats et de leur charge de travail
Question de :
M. Ugo Bernalicis
Nord (2e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Ugo Bernalicis appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'effectivité du contrôle des affectations de magistrats et de leur charge de travail, du fait de la non-communication de la circulaire de localisation des emplois de magistrats pour 2024, ainsi que l'évaluation de la charge de travail des magistrats, menée au sein du ministère depuis 2022. Dans un article de la lettre publié le 29 mai 2024, M. le député s'inquiète d'apprendre que malgré les demandes de l'Union syndicale des magistrats (USM) et du Syndicat de la magistrature (SM), le ministère de la justice refuse toujours de publier la traditionnelle circulaire de localisation des emplois de magistrats pour 2024 et cela, pour la deuxième année consécutive. M. le député pensait sincère le prédecesseur de M. le ministre qui, fort de sa relaxe, s'était engagé à renouer un dialogue serein et apaisé avec les représentants syndicaux des magistrats. Ce mutisme s'ajoute à la non-publication d'une évaluation interne des besoins en magistrats, menée au sein du ministère depuis 2022, évaluant la charge de travail des magistrats et donc permettant d'objectiver les besoins de la justice. Sans ces documents, il est difficile de mesurer précisément les évolutions des effectifs au regard des 1 500 magistrats supplémentaires à horizon 2027 annoncés par M. le ministre en mars 2024 et ce n'est pas en se fiant uniquement aux répartitions pluriannuelles auxquelles le ministère renvoie pour contrer les critiques, qu'on peut le faire. Cette seule donnée ne permet pas d'estimer la diminution du taux de vacances dans les tribunaux ou encore de différencier les postes de magistrat généralistes de ceux spécialisés. En effet, outre l'exigence démocratique de transparence qui doit imprégner la conduite des politiques publiques, M. le député rappelle que cette circulaire, éditée par la direction des services judiciaires (DSJ) du ministère de la justice, est indispensable pour vérifier la réalité et la répartition des effectifs par le ministère de la justice. Une telle publication participe à assurer le contrôle effectif de la répartition des magistrats sur les juridictions dans l'ensemble du territoire. La question est éminemment sensible et il est évident qu'une telle circulaire donnerait une réalité aux annonces du nouveau plan d'action de la justice par M. le ministre de janvier 2023. Face à cette absence de transparence, M. le député constate que nombre de magistrats expriment leurs inquiétudes concernant le delta entre les annonces « historiques » et la réalité des effectifs dans les juridictions. Des contentieux ont même été initiés par les magistrats du tribunal judiciaire de Nanterre et les avocats des Hauts-de-Seine contre la circulaire, pour dénoncer les manques d'effectifs. Cette gronde est particulièrement inquiétante d'autant plus qu'elle fait écho à l'appel de 3 000 magistrats et d'une centaine de greffiers publié il y a à deux ans et demi. M. le député regrette la non-prise en compte par la chancellerie de ces remontées de terrain et de l'attitude de la chancellerie. En conséquence, il souhaite que soit communiquée et rendue publique la circulaire de localisation des emplois de magistrats pour 2024, ainsi que l'évaluation de la charge de travail des magistrats, menée au sein du ministère depuis 2022.
Réponse publiée le 8 avril 2025
La direction des services judiciaires a élaboré une méthodologie prospective afin de répartir équitablement les effectifs supplémentaires de magistrats, greffiers et attachés de justice à l'horizon 2027. Empreints d'un esprit pluridisciplinaire, ces travaux, qui s'inscrivent aux confins des politiques publiques, de la statistique avancée et des sciences sociales, reposent sur l'évaluation, à l'échelle régionale, des besoins de justice, dans la limite de l'enveloppe budgétaire allouée, au plus près de la situation de chaque territoire. Multifactorielle, la méthode convoque, aux côtés d'indicateurs retraçant l'activité dans toutes ses dimensions - flux et délais de traitement en première instance– des indicateurs socio-économiques, dont la corrélation à l'activité a été corroborée par de la littérature pertinente. A travers une démarche dite d'« analyse en composantes principales », ces variables ont été synthétisées de façon à ventiler les nouveaux effectifs de magistrats, greffiers et attachés de justice entre les 36 cours d'appel, en calculant une « cible » 2027 pour chaque structure et chaque catégorie d'emploi susvisée. La méthodologie conserve toutefois une consonnance « métier » forte. Il a notamment été décidé de retrancher préalablement les effectifs nécessaires tant à la résorption de la vacance d'emploi observée au 1er janvier 2023 qu'à l'abondement des spécificités structurelles non capturées par l'outil statistique. De même, les cours d'appel ultramarines ont bénéficié d'un modèle ajusté tenant compte de leurs singularités territoriales. Au terme de l'exercice, les chefs des cours d'appel se sont vu confier la responsabilité de projeter, en lien avec la direction des services judiciaires dans le cadre de dialogues de gestion rénovés, la ventilation du volant d'effectifs attribué à leur ressort, dans le respect d'orientations fixées par le garde des sceaux (focale sur la première instance, renfort des fonctions spécialisées en tension, renforcement des petits parquets…). Les dialogues de gestion performances représentent donc un enjeu majeur pour adapter les moyens des juridictions aux différentes transformations numériques, organisationnelles et fonctionnelles impactant les services judiciaires. L'évolution de la localisation des emplois a ainsi vocation à poursuivre la mise en cohérence entre la localisation, les effectifs réels disponibles et les besoins objectivés pour une meilleure répartition des moyens humains. Les dialogues de gestion en cours permettent de confirmer la cible de localisation 2027, impliquant la répartition de postes créés au titre de la loi de programmation et dont le projet a été diffusé avec la note de cadrage au cours de l'été 2024. Depuis le second semestre 2019, la direction des services judiciaires (DSJ) s'est engagée dans des travaux destinés à se doter d'un outil de gestion plus performant de mesure de l'activité des magistrats, basé sur un système de pondération des affaires judiciaires (SPA). Il s'agit d'un chantier ambitieux, de long terme, la qualité de l'outil élaboré étant une condition nécessaire à son acceptabilité au sein de l'institution judiciaire, mais également à sa crédibilité à l'extérieur du ministère de la justice, notamment lors des négociations budgétaires. L'année 2024 a permis la conclusion des travaux du groupe de travail spécialement constitué, ainsi que la détermination des étapes nécessaires à la consolidation des référentiels. Pour conduire ces travaux, la DSJ s'est appuyée sur les recommandations formulées par la Cour des comptes, dans son rapport du mois de décembre 2018, intitulé « Approche méthodologique des coûts de la justice », et rappelées dans une note du 21 octobre 2021, demandant au ministère de la justice de bâtir un système d'allocation des moyens associé à un « système de pondération des affaires inspiré de modèles étrangers fondé sur une typologie des affaires judiciaires permettant une allocation efficiente des moyens et un meilleur pilotage de la justice ». Elle s'est également nourrie des réflexions de la Commission pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) du Conseil de l'Europe, qui a adopté le 2 juillet 2020 un rapport sur la pondération des affaires judiciaires, incitant ses États membres à adopter un système de mesure de l'activité des juridictions fondé sur une pondération par nature d'affaires afin d'améliorer l'efficacité du pilotage de la justice. Cette démarche a pour but de connaître plus finement l'activité des juridictions en prenant en compte non seulement son volume (nombre de dossiers entrants), mais également le temps de traitement plus ou moins long de certaines catégories d'affaires qui ne peut se résumer à la seule complexité juridique d'un dossier, mais dépend également d'autres facteurs comme le nombre de parties, de demandes, etc. Les poids proposés correspondent au temps nécessaire de traitement d'un dossier, hors conditions de travail dégradées et sans le soutien apporté par l'équipe autour du magistrat comme des magistrats à titre temporaire ou honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles. Les objectifs poursuivis par la mise en place de cet outil sont les suivants : Appréhender plus rapidement et finement l'évolution de l'activité judiciaire et le besoin national en magistrats nécessaire pour y faire face, c'est-à-dire : - Objectiver davantage les demandes d'effectifs formulées lors des négociations budgétaires se déroulant dans le cadre de la préparation d'un projet de loi de finances ; - Évaluer de manière plus fine l'impact des réformes ou des changements de politique publique sur le besoin national en magistrats ; - Favoriser une plus grande équité dans la répartition des effectifs alloués par la loi de finances entre les juridictions du territoire national. Le groupe de travail (GT), composé de représentants des conférences des chefs de cour et de juridiction, des associations professionnelles de magistrats (juges d'instructions, juges d'application des peines, juges des enfants, juges de contentieux de la protection, etc.), des organisations syndicales et du ministère de la justice, a été réuni lors d'une réunion conclusive intervenue le 11 juillet dernier, aboutissant à la mise à disposition des référentiels à l'ensemble des membres du groupe de travail (20 référentiels pour les tribunaux judiciaires et 26 pour les cours d'appels) et la présentation de la poursuite des travaux par la direction des services judiciaires. Les référentiels ont également été mis à disposition de l'ensemble des magistrats, par le biais d'un article intranet décrivant les travaux conduits et les étapes à venir. Il en résulte une cartographie précise de l'activité judiciaire, qui illustre sa diversité, sa complexité et la richesse du cœur de métier du juge. Les référentiels élaborés par les membres du GT sont construits par fonction/contentieux en identifiant les activités dominantes et en leur allouant un temps nécessaire de traitement par le magistrat, hors conditions de travail dégradées et sans le soutien de l'équipe juridictionnelle. Afin de permettre l'exploitation des référentiels, les étapes à venir sont désormais les suivantes : - L'intégration de l'apport de l'équipe juridictionnelle ainsi que celui des magistrats à titre temporaire, des magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles et des avocats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles, en lien avec les travaux menés autour de la modélisation des organisations ; - La mise en place d'un observatoire en charge du suivi des référentiels permettant de traiter les réformes et les évolutions nécessaires des référentiels : son installation est programmée début janvier 2025 pour lui présenter la feuille de route des travaux sur la charge de travail des magistrats ; - L'organisation d'une étude de temps financée par la Commission européenne en complément de la méthode de Delphes retenue pour les travaux du GT et avec la collaboration de la CEPEJ. Cette étude va se dérouler au premier semestre 2025 auprès de 20 tribunaux judiciaires et 3 cours d'appel, pour permettre la consolidation des référentiels ; - La construction informatique d'un outil de collecte des données d'activité auprès des juridictions permettant à l'administration centrale de détenir l'ensemble des données chiffrées pour exploiter les référentiels. Une expérimentation d'un nouvel outil est programmée avant la fin de l'année avant d'envisager son déploiement national. Au regard du calendrier prévisionnel des travaux, il est envisagé un déploiement national de l'outil en 2026, lequel permettra ensuite de connaître plus précisément la structure du contentieux traité par les magistrats, sans toutefois refléter la singularité de chaque territoire, sa vocation étant d'établir des moyennes.
Auteur : M. Ugo Bernalicis
Type de question : Question écrite
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 22 octobre 2024
Réponse publiée le 8 avril 2025