Application de l'article 6-I-8 de la LCEN
Question de :
M. Christophe Blanchet
Calvados (4e circonscription) - Les Démocrates
M. Christophe Blanchet interroge Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique, sur l'article 6-3 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) et sur son application. Cet article permet au président du tribunal judiciaire, dans le cadre d'une procédure accélérée au fond, de prescrire des mesures visant à prévenir ou faire cesser des dommages causés par des contenus diffusés en ligne. Cette disposition introduite par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 initialement à l'article 6-I-8 de la LCEN avait pour objectif de fournir une réponse rapide aux enjeux complexes liés à la diffusion de contenus numériques. Cependant, des interrogations se posent quant à l'application cohérente de cette disposition et ses conséquences sur la bonne administration de la justice. En effet, bien que le législateur ait choisi de rendre compétent un juge de fond pour traiter ces questions complexes et ce afin d'éviter que de tels litiges ne se limitent à un examen sommaire par un juge des référés, il apparaît que ce juge ne peut statuer que sur la prévention ou la cessation des troubles causés par les contenus en ligne. Or lorsque la question de la réparation des préjudices matériels ou moraux de ces troubles se pose, les justiciables se retrouvent contraints d'engager une seconde procédure distincte. Cela crée une dualité procédurale qui pose de sérieux problèmes. D'une part, cette exigence d'une nouvelle procédure pour obtenir réparation allonge les délais de résolution des litiges, obligeant les justiciables à naviguer entre deux instances pour des questions pourtant liées. D'autre part, elle alourdit les coûts de procédure, ce qui est particulièrement pénalisant pour les justiciables individuels qui n'ont pas les moyens financiers des grandes entreprises, souvent mises en cause dans ces affaires et qui disposent de ressources considérables pour faire face à ces multiples procédures. Le coût prohibitif et le doublement des délais dissuadent ainsi de nombreuses victimes d'agir, limitant leur accès à une justice équitable. Cette fragmentation entre l'action en cessation des troubles et l'action en réparation est particulièrement incohérente. Le fait qu'un juge de fond, compétent pour trancher des questions complexes liées aux contenus en ligne, soit empêché de statuer simultanément sur la réparation des préjudices semble en contradiction avec les principes d'une bonne administration de la justice. En effet, l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme garantit à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial. La fragmentation de ces procédures, qui entraîne des délais excessifs et des coûts prohibitifs, contrevient à ce principe fondamental. Par ailleurs, le Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) rappelle que le droit d'accès à un tribunal, tel que protégé par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, doit être « concret et effectif ». Ce droit ne doit pas être compromis par des frais ou des obstacles procéduraux tels que ceux observés ici. La situation actuelle, qui impose de passer par deux procédures distinctes pour un même litige, affecte la capacité des justiciables à obtenir une justice rapide et abordable, en dépit des principes de sécurité juridique et d'efficacité des voies de recours. Ainsi, il lui demande de bien vouloir clarifier la position du Gouvernement quant à l'application de l'article 6-I-8 de la LCEN. Plus précisément, est-il envisageable que le juge de fond, dans le cadre de la procédure accélérée au fond, soit habilité à statuer non seulement sur la cessation des troubles, mais également sur la réparation des préjudices matériels et moraux subis par les justiciables ? Cette clarification est essentielle pour garantir une justice à la fois accessible, équitable et efficace pour l'ensemble de la population.
Réponse publiée le 26 août 2025
La procédure judiciaire visant à lutter contre les contenus illicites en ligne mentionnée à l'article 6-3 de la LCEN s'inscrit dans la continuité de l'obligation imposée aux fournisseurs de services intermédiaire de collaborer techniquement à la lutte contre les contenus illicites, notamment en répondant aux injonctions d'agir ou de fournir des informations émanant des autorités nationales prévues par les articles 9 et 10 du règlement européen UE 2022/2065 du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques. Cette procédure est conçue pour permettre à la victime d'obtenir une décision judiciaire rapide pour éviter ou limiter un dommage. Le juge statuant selon la procédure accélérée au fond peut en effet ordonner le blocage, le retrait ou le déréférencement du contenu illicite. Cette procédure n'a en revanche pas pour objet de permettre la réparation du préjudice subi du fait de la publication d'un contenu illicite en ligne. D'une part, la procédure mentionnée à l'article 6-3 de la LCEN vise principalement les fournisseurs de service intermédiaire qui disposent de la possibilité technique de bloquer, retirer ou déréférencer les contenus illicites mais qui ne sont pas, en principe, responsables des contenus illicites. Une action en réparation du préjudice causé par la diffusion en ligne d'un contenu illicite sera plutôt engagée à l'encontre de l'utilisateur du service intermédiaire qui est à l'origine de ce contenu ou à l'encontre de l'éditeur de contenu, qu'il soit professionnel ou amateur. D'autre part, la procédure instituée par les dispositions de l'article 6-3 suppose simplement de rapporter la preuve de l'existence d'un dommage occasionné par un contenu en ligne illicite permettant de démontrer qu'il est nécessaire d'en faire cesser l'atteinte le plus rapidement possible. Au contraire, dans le cadre d'une demande d'indemnisation d'un préjudice, la victime doit établir la faute du responsable, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le préjudice (article 1240 du code civil), ce qui peut en outre nécessiter une expertise sur l'évaluation du préjudice. Au regard de ces éléments, une action intentée en vue d'obtenir à la fois une mesure propre à faire cesser le dommage à l'encontre des fournisseurs de service intermédiaire et la condamnation de l'auteur du dommage au paiement de dommages et intérêts serait considérablement plus longue. Elle nuirait aux intérêts de la victime qui, dans l'attente de l'issue de la procédure statuant sur une demande indemnitaire, ne pourrait pas obtenir le blocage, le retrait ou le déréférencement du contenu lui causant un dommage. Enfin, les deux procédures peuvent être engagées en parallèle, la décision de déréférencement, blocage ou retrait pouvant d'ailleurs être utilisée à l'appui de la procédure d'indemnisation, ce qui est de nature à faciliter la conduite de cette dernière.
Auteur : M. Christophe Blanchet
Type de question : Question écrite
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Intelligence artificielle et numérique
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 5 novembre 2024
Réponse publiée le 26 août 2025