Censure du délit d'outrage en ligne par le Conseil constitutionnel
Question de :
Mme Violette Spillebout
Nord (9e circonscription) - Ensemble pour la République
Mme Violette Spillebout appelle l'attention de Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'intelligence artificielle et du numérique, sur la diffusion de contenus injurieux, discriminatoires ou harcelants en ligne à l'aune de la décision de non-conformité partielle du Conseil constitutionnel. La loi visant à sécuriser et à réguler l'espace numérique (SREN) consacrait un délit d'outrage en ligne, sanctionné par une amende forfaitaire. Le texte prévoyait de punir tout contenu en ligne qui porte atteinte « à la dignité d'une personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant » ou « crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » dans l'espace numérique. Cependant le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2024-866 DC du 17 mai 2024, a annulé cette mesure au motif qu'elle portait une atteinte qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée à la liberté d'expression et de communication, la qualification de l'infraction dépendant de la perception subjective de la victime. Cependant, l'actualité témoigne ces dernières années de l'essor de faits infractionnels de cyberharcèlement. Par exemple, les élus y sont particulièrement exposés sur les réseaux sociaux où ils sont victimes de diffamation et de propos injurieux récurrents. C'est pourquoi ladite mesure entendait répondre aux difficultés posées par la réponse pénale classique, qui suppose, en matière de harcèlement, des procédures lourdes. Par conséquent, elle lui demande ce que le Gouvernement envisage pour lutter contre ce phénomène tristement installé, diversifié et de plus en plus généralisé et protéger les individus qui interagissent quotidiennement dans l'espace numérique.
Réponse publiée le 26 août 2025
La création d'un délit « d'outrage en ligne » n'apparait pas nécessaire, dans la mesure où les infractions existantes que sont l'injure, la diffamation, le harcèlement moral, les menaces ou la provocation à la haine sont déjà applicables, y compris lorsqu'elles sont commises en ligne, et permettent déjà d'incriminer les comportements concernés. Par ailleurs, les éléments constitutifs de ce délit, constitué dès lors que le contenu diffusé porte « atteinte à la dignité de la personne » ou crée à son encontre une « situation intimidante, hostile ou offensante », n'étaient pas suffisamment définis pour répondre aux exigences constitutionnelles. Enfin, le fait de prévoir l'application à ce délit de la procédure de l'amende forfaitaire se heurte à des obstacles de nature constitutionnelles et pratiques. Le Conseil constitutionnel juge en effet qu'une telle procédure n'est possible qu'à la condition de porter sur des délits dont les éléments constitutifs peuvent être aisément constatés, ce qui n'est pas le cas des infractions réprimant les abus de la liberté d'expression, qui sont par nature complexes et nécessitent des actes d'enquête pour identifier les auteurs de ces comportements. Ce sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement était défavorable à la création d'un tel délit, qui a finalement été censuré par le Conseil constitutionnel, et n'entend pas s'engager dans la voie d'une réforme législative sur ce sujet. Pour autant, le Gouvernement est particulièrement attentif aux faits de cyberharcèlement, de plus en plus répandu et touchant un public de plus en plus large. En tant qu'atteinte aux personnes sur l'espace numérique, le cyberharcèlement est identifié parmi les principales menaces cyber auxquelles les personnes peuvent être exposées. Conscients de ces enjeux, le législateur et le pouvoir exécutif ont souhaité renforcer les moyens de lutte aux niveaux national et européen sur le plan répressif et préventif. Le règlement européen sur les services numériques ("Digital Services Act"- DSA) du 19 octobre 2022, et dont les dispositions sont pleinement applicables depuis le 17 février 2024, a ainsi introduit un cadre juridique à l'échelle de l'Union européenne visant à réguler les services numériques et à mieux protéger les droits des internautes européens, notamment en matière de cyberharcèlement. Le règlement DSA fixe donc un ensemble de règles imposant aux plateformes en ligne, y compris les réseaux sociaux, de mettre en place des outils permettant de lutter contre la présence et la diffusion de contenus illicites, dont les propos injurieux et les diffamations. Ces plateformes doivent ainsi permettre aux internautes de signaler facilement des contenus illicites, ayant pour effet de réduire les délais de traitement et d'améliorer l'efficacité des signalements. Le règlement DSA a notamment instauré le statut de « signaleur de confiance», contribuant ainsi à accélérer le traitement des signalements. Les associations, entités ou organisations reconnues pour leur expertise et leurs compétences dans la lutte contre le cyberharcèlement notamment, peuvent postuler au statut designaleur de confiance auprès de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) qui constitue le coordinateur des services numériques (CSN) pour la France. En novembre 2024, l'association « e-Enfance » a été désignée comme premier signaleur de confiance par l'ARCOM, permettant notamment aux mineurs de signaler en urgence des faits de cyberharcèlement ou de violences en ligne dont ils sont victimes. Outre les signaleurs de confiance instaurés par le règlement DSA, les entités ou organisations expertes jouent aussi un rôle important dans le signalement de cyberharcèlement et de violences numériques. À titre d'exemple, le recours au dispositif de signalement à la plateforme « 3018 » géré par l'association e-Enfance est devenu depuis le 1er janvier 2024 le numéro national unique de signalement des situations de harcèlement et de cyberharcèlement entre élèves. En complément de ces mesures, le dispositif « 17Cyber » du ministère de l'Intérieur, mis en service le 17 décembre 2024 et disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, permet à une victime de cyberharcèlement d'être directement mise en relation par messagerie instantanée avec les forces de gendarmerie nationale ou de police nationale de la plateforme de Cybermalveillance.gouv.fr. Cet accompagnement sur mesure a pour objectif de faciliter et de systématiser le dépôt de plainte pour lutter plus efficacement contre les atteintes numériques aux personnes. Il vient compléter le dispositif de signalement aux forces de sécurité intérieure déjà existant, la Plateforme d'Harmonisation, d'Analyse, de Recoupement et d'Orientation des Signalements (PHAROS). En 2023, 211 000 signalements ont ainsi été traités par cette plateforme gérée par l'Office Anti-Cybercriminalité (OFAC). Enfin, le législateur a souhaité renforcer la répression pour tenir compte des évolutions technologiques : la loi n° 2024-449 du 21 mai 2024 visant à sécuriser l'espace numérique (dite « loi SREN ») a ainsi créé un nouveau délit de publication de contenus générés par une intelligence artificielle et reproduisant l'image ou les paroles d'une personne sans son consentement (élargissement du champ d'application de l'article 226-8 du code pénal) ; un nouveau délit de publication d'un montage présentant un caractère sexuel sans le consentement de la personne (article 226-8-1 du code pénal) ; l'article 17 de la loi crée une circonstance aggravante au délit de chantage, réprimé par l'article 312 10 du code pénal, lorsqu'il est exercé par un service de communication au public en ligne ; un stage de sensibilisation au numérique et au cyberharcèlement a également été créé (article 131-5-1 du code pénal). L'article 16 de la loi crée plusieurs mesures qui ont toutes pour finalité de permettre le bannissement numérique d'une personne suspectée d'avoir commis ou ayant commis certaines infractions en ligne. Ces mesures sont de deux ordres : peine complémentaire de suspension des comptes d'accès aux services de plateforme en ligne utilisés pour commettre l'infraction ; et interdiction d'utiliser le compte d'accès aux services de plateforme en ligne utilisés pour commettre l'infraction susceptible d'être prononcée à différents stades de la procédure. Ces dispositifs sont dans la droite ligne de la circulaire de politique pénale générale du garde des Sceaux du 27 janvier 2025 qui a souhaité ériger en priorité d'action la lutte contre les violences faites aux personnes (dont notamment les mineurs), y compris lorsque ces violences sont favorisées par un vecteur cyber. La combinaison de ces outils de prévention et de répression doit ainsi contribuer à une lutte plus efficace contre le cyberharcèlement, quelles que soient les modalités de leur commission.
Auteur : Mme Violette Spillebout
Type de question : Question écrite
Rubrique : Internet
Ministère interrogé : Intelligence artificielle et numérique
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 19 novembre 2024
Réponse publiée le 26 août 2025