Question écrite n° 2754 :
Gestion des aires d'accueil destinées aux gens du voyage

17e Législature

Question de : Mme Sophie Blanc
Pyrénées-Orientales (1re circonscription) - Rassemblement National

Mme Sophie Blanc attire l'attention de Mme la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation sur une problématique persistante et complexe rencontrée par de nombreuses collectivités territoriales, particulièrement en milieu urbain et périurbain : la gestion des aires d'accueil destinées aux gens du voyage, ainsi que les conséquences des installations illicites sur ces espaces et sur leur environnement immédiat. Malgré les obligations imposées par la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, force est de constater que sa mise en œuvre révèle des failles majeures, tant sur le plan opérationnel que juridique. Ces défaillances engendrent des tensions croissantes entre riverains, élus locaux et membres de cette communauté. Le cadre législatif est inadéquat et les moyens insuffisants. Les schémas départementaux d'accueil des gens du voyage, censés définir les zones d'accueil adaptées, se heurtent à des obstacles multiples : des contraintes foncières et d'urbanisme : le manque de terrains disponibles conformes aux normes, souvent exacerbé par des risques environnementaux comme les inondations, limite la capacité des collectivités à respecter leurs obligations légales ; une occupation illicite paralysante : de nombreuses aires, même lorsqu'elles sont initialement conformes, deviennent inexploitables en raison d'occupations illicites prolongées, entraînant leur dégradation et leur fermeture. Cette situation crée un cercle vicieux empêchant leur réhabilitation et, par conséquent, leur réouverture. En parallèle, les collectivités locales, démunies juridiquement et financièrement, peinent à intervenir efficacement face à ces occupations. Le refus systématique de concours de la force publique pour procéder aux expulsions aggrave la situation, laissant les communes confrontées à des blocages insolubles. Il y a des conséquences économiques, environnementales et sociales. Ces installations non régulées engendrent des dommages significatifs : dégradations des infrastructures : raccordements sauvages aux réseaux d'eau et d'électricité, sites saccagés et conditions d'insalubrité accrues (déchets, excréments) ; pression sur les ressources naturelles : dans des départements comme les Pyrénées-Orientales, où les restrictions d'eau sont particulièrement sévères, le détournement des bornes à incendie pour alimenter des aires illégalement occupées constitue une source d'indignation pour les habitants, qui se plient à des efforts importants pour préserver cette ressource précieuse ; exaspération croissante des riverains : ces derniers dénoncent régulièrement une impunité perçue à l'égard de comportements non conformes à la loi, contribuant à un sentiment d'abandon par les pouvoirs publics. Mme la députée en appelle à l'État pour une prise en charge directe. Cette problématique révèle une incapacité manifeste des collectivités territoriales à gérer efficacement cette compétence transférée. Il est dès lors pertinent d'envisager que l'État reprenne cette responsabilité afin de garantir une application stricte et uniforme des dispositifs prévus par la loi. En outre, il serait opportun de revoir les modalités d'application du droit au recours à la force publique pour procéder aux évacuations lorsque les communes ont respecté leurs obligations en matière d'accueil, mais se trouvent entravées par des occupations illicites. Enfin, Mme la députée tient à souligner que cette situation n'est pas unique aux Pyrénées-Orientales. Des exemples similaires se multiplient à travers le pays, comme en témoignent les difficultés rencontrées dans des agglomérations telles que Bordeaux Métropole ou la Métropole de Lyon. Ces territoires, malgré leurs moyens plus importants, font état des mêmes défis structurels et d'un sentiment d'impuissance face à des problématiques similaires. Mme la ministre envisage-t-elle de lancer une réflexion nationale sur la reprise par l'État de la compétence d'accueil des gens du voyage, afin de garantir une gestion uniforme et efficace de cette problématique à l'échelle nationale ? Le Gouvernement prévoit-il d'octroyer des moyens supplémentaires aux collectivités pour leur permettre d'aménager et d'entretenir les aires d'accueil, tout en renforçant les sanctions à l'encontre des responsables de dégradations sur ces espaces ? Une révision législative est-elle envisagée pour clarifier les responsabilités respectives de l'État et des collectivités, tout en assurant une application plus stricte des lois en vigueur concernant l'accueil et les installations des gens du voyage ? Mme la ministre compte-t-elle mettre en place un dispositif national de gestion des urgences liées aux occupations illicites, impliquant une coopération renforcée entre préfets, forces de l'ordre et collectivités, pour résoudre rapidement ces situations et restaurer l'ordre public ? Elle souhaite obtenir des précisions sur ces sujets.

Réponse publiée le 13 mai 2025

Les stationnements illicites constituent un enjeu fort de maintien de l'ordre public pour l'Etat comme pour les collectivités, pouvant relever de l'entrave au droit de propriété lorsqu'ils durent dans le temps. Ce phénomène est accentué par la mise en œuvre inaboutie des dispositifs dédiés à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage, prévus par les schémas départementaux dédiés. La compétence d'accueil et d'habitat des gens du voyage a été transférée aux établissements publics de coopération intercommunale par la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, ce cadre n'ayant pas vocation à évoluer. La loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du voyage prévoit la participation obligatoire des communes à l'accueil des personnes dites gens du voyage, dont l'habitat traditionnel est constitué de résidences mobiles. Elle impose aux collectivités figurant au schéma départemental d'accueil et d'habitat des gens du voyage de prévoir les dispositifs d'accueil, d'habitat et de logement adaptés répondant aux besoins de cette population sur le territoire : les dispositifs publics que sont les aires permanentes d'accueil, les terrains familiaux locatifs et les aires de grand passage sont ainsi prescrits au schéma départemental. Ces équipements font l'objet de subventions aux collectivités locales à hauteur de 2,8 millions d'euros en 2024, visant à soutenir leur création, relocalisation et réhabilitation, et portées par le programme budgétaire 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat ». Toutefois, la mise en œuvre de ces prescriptions à caractère obligatoire n'est pas aboutie, engendrant un déficit de places disponibles qui favorise les stationnements illicites. Le taux de réalisation des prescriptions des schémas départementaux, concernant le nombre de places, atteignait ainsi fin 2021, à l'échelle nationale, 75,4 % pour les aires permanentes d'accueil, 54,5% pour les aires de grand passage et seulement 20,1 % pour les terrains familiaux locatifs. Dans le département des Pyrénées-Orientales, la mise en œuvre des prescriptions du schéma départemental doit aussi progresser. Aucun des 8 établissements publics de coopération intercommunale du département n'est aujourd'hui en conformité vis-à-vis du schéma départemental. A l'exception des aires permanentes, toutes réalisées, mais dont la plupart sont hors d'état d'usage, les taux de réalisation des prescriptions s'établissent à seulement 11,4 % en matière d'aires de grand passage et 0% en matière de terrains familiaux locatifs. Le département est pourtant particulièrement attractif en période estivale et compte un nombre important de ménages en attente d'une solution d'habitat pérenne. Afin de résorber le déficit structurel d'offre d'équipements à destination des gens du voyage, un vaste travail de relance des schémas départementaux a été engagé, par la circulaire du 10 janvier 2022. Pour limiter les installations illicites, les sanctions ont été renforcées, notamment à travers l'expérimentation depuis 2021 de l'amende forfaitaire délictuelle, qui concerne six tribunaux judiciaires. L'article 9 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 offre la possibilité aux maires ou aux présidents d'EPCI de prendre un arrêté d'interdiction de stationnement hors des aires et terrains dédiés, et de bénéficier du concours de la force publique pour mettre en œuvre une évacuation forcée. Cette procédure administrative demeure conditionnée à la mise en œuvre des prescriptions du schéma départemental. En cas de non réalisation des équipements prescrits et de trouble grave et manifeste à l'ordre public, les procédures de droit commun peuvent être mobilisées. Le Gouvernement est également particulièrement attentif aux difficultés – notamment à la pollution - engendrées par les dépôts illégaux de déchets et à la charge qu'ils représentent pour les collectivités locales. La loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire a ainsi édicté des mesures destinées à mieux lutter contre ces dépôts. Lorsque l'auteur peut être identifié, et après avoir mis en œuvre la procédure prévue par l'article L. 541-3 du code de l'environnement, le maire peut désormais ajouter à la mise en demeure le paiement d'une amende administrative, dont il détermine le montant, plafonné à 15 000 euros. Cette procédure ne fait pas obstacle à ce que le tribunal judiciaire applique également une sanction pénale, qui dépendra de la qualification des faits reprochés (contravention ou délit). En cas de raccordement illégal aux réseaux, l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme permet au maire de s'opposer au branchement définitif aux réseaux d'eau, d'électricité, de gaz ou de téléphone d'une construction ou installation réalisée en méconnaissance des règles d'urbanisme. Ces dispositions s'appliquent aux caravanes, qu'elles aient ou non conservé leur mobilité (CE, 7 juillet 2004, n° 266478). Par ailleurs, le code pénal assimilant la soustraction frauduleuse d'énergie au vol (article 311-2), le maire peut, s'il constate une telle infraction, saisir l'autorité judiciaire. Celle-ci pourra le cas échéant enjoindre l'auteur à régulariser les factures sur la base d'une consommation supposée, à payer une amende pouvant atteindre 45 000 euros, à verser des dommages et intérêts à la victime, à payer une pénalité au fournisseur d'énergie ou, dans les cas les plus graves, à effectuer une peine d'emprisonnement. Le Gouvernement n'envisage pas d'instaurer un dispositif national de gestion des urgences liées aux occupations illicites, la réglementation en vigueur permettant déjà de lutter contre ces occupations. Toutefois, des réflexions ont été initiées afin de renforcer, d'une part, l'efficacité de la procédure administrative d'évacuation des résidences mobiles et, d'autre part, les sanctions judiciaires applicables aux installations et branchements illicites. La combinaison d'une offre d'accueil publique suffisante, mise à disposition par les communes et coordonnée par le schéma départemental, d'un dialogue construit entre les acteurs locaux et les individus concernés, et d'une réponse judiciaire adaptée, sera indispensable pour mettre un terme au difficultés constatées.

Données clés

Auteur : Mme Sophie Blanc

Type de question : Question écrite

Rubrique : Gens du voyage

Ministère interrogé : Partenariat territoires et décentralisation

Ministère répondant : Aménagement du territoire et décentralisation

Dates :
Question publiée le 10 décembre 2024
Réponse publiée le 13 mai 2025

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