Question écrite n° 4542 :
Moyens technologiques alloués aux enquêteurs de la police judiciaire

17e Législature

Question de : M. Éric Bothorel
Côtes-d'Armor (5e circonscription) - Ensemble pour la République

M. Éric Bothorel attire l'attention de M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice, sur les moyens technologiques alloués aux enquêteurs de la police judiciaire, notamment dans les dossiers complexes liés à la criminalité organisée et au trafic de stupéfiants, à l'ère de l'intelligence artificielle. Si la Plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) constitue un outil central pour ces enquêtes, elle n'offre pas toujours les solutions les plus performantes pour répondre aux défis des investigations dites « haut du spectre ». Or certains acteurs privés français développent des technologies avancées en matière d'interception judiciaire et de géolocalisation, qui se révèlent plus efficaces et adaptées aux besoins opérationnels des enquêteurs. Au-delà de leur apport immédiat, ces entreprises jouent également un rôle déterminant dans la recherche et le développement (R et D) des outils de la PNIJ. En effet, l'effet d'entraînement initié par ces acteurs privés a permis à la PNIJ d'améliorer ses capacités au fil des ans. Si ces entreprises venaient à cesser leurs activités dans ce domaine, la PNIJ pourrait perdre un moteur essentiel d'innovation, compromettant ainsi l'évolution des technologies au service de la police judiciaire. À l'heure où l'intelligence artificielle et les nouvelles technologies requièrent des investissements conséquents que le ministère de la justice ne peut assumer seul, il semble opportun d'explorer la mutualisation des expertises et des ressources technologiques avec ces industriels français. Ceux-ci disposent déjà d'ingénieurs spécialisés dont le savoir-faire pourrait directement bénéficier à la PNIJ. M. le député souhaite donc savoir quelles mesures le Gouvernement envisage pour garantir aux enquêteurs de la police judiciaire des outils technologiques à la hauteur des enjeux de la lutte contre le crime organisé et le narcotrafic, tout en soutenant un écosystème français performant en matière de R et D. Il l'interroge également sur la possibilité d'intégrer, dans cette dynamique, les solutions proposées par des entreprises nationales reconnues afin d'assurer une plateforme moderne, efficace et compétitive.

Réponse publiée le 26 août 2025

Jusqu'au déploiement de la Plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), les interceptions judi­ciaires étaient assurées par un nombre restreint de sociétés privées, opérant sur frais de justice sans cadre d'action clairement défini. Des centrales d'écoutes installées dans les locaux des ser­vices d'enquête fonctionnaient en dehors de tout contrôle, sans mesures adéquates de sécurité et sans traçabilité des actions effectuées, rendant de facto impossible toute supervision par un magistrat, alors même que ces opérateurs bénéficiaient de financements considé­rables de la part de l'État. La PNIJ, créée par le décret n° 2014-1162 du 9 octobre 2014, a pour objectif d'améliorer le système antérieur, de contribuer à la maitrise des frais de justice et de répondre à l'impératif de confidentialité des données, tout en renforçant les capacités d'enquêtes en matière numérique. Elle permet de centraliser les réquisitions d'interceptions de communications électroniques et les demandes de données de connexion, puis de mettre les résultats à disposition des magistrats et des services enquêteurs. Le déploiement de la Plateforme a en outre permis de bâtir une solide relation de confiance avec les opérateurs de communications électroniques pour lesquels la gestion des réquisitions est désormais grandement facilitée. Depuis la loi du 3 juin 2016, adoptée dans un large consensus, le recours à la plateforme est obligatoire, sauf impossibilité technique, pour certaines techniques d'enquêtes numériques judiciaires. Cette obligation répond à des impératifs de souveraineté numérique, de sécurité des données, de cybersécurité, de traçabilité et de protection des libertés qui ne sauraient s'effacer totalement devant le seul principe d'efficacité. Pour répondre à cette obligation souhaitée par le législateur, priorité a été donnée entre 2017 et 2019 aux travaux permettant à la PNIJ d'être en capacité d'absorber la totalité des interceptions judiciaires. Les dysfonctionnements techniques et le dépassement du budget prévisionnel de la plateforme étaient alors principalement le fait d'adaptations capacitaires techniquement complexes. D'une part, les dysfonctionnements constatés au lancement de la PNIJ ont été résolus et celle-ci est opérationnelle, comme l'atteste la Cour des comptes qui, dans son rapport sur la conduite des grands projets numériques rendu en 2020, fait de la PNIJ « un exemple réussi de redressement d'un projet en situation de crise » ou comme l'indiquent les sénateurs Agnès Canayer et Philippe Bonnecarrère lorsqu'ils soulignent, dans un rapport d'information rendu en 2023, que « la PNIJ est aujourd'hui un outil ergonomique et performant, qui donne pleine satisfaction à ses utilisateurs. » En 2024, la PNIJ est utilisée par près de 60 000 magistrats et enquêteurs. Elle traite en moyenne plus de 10 000 interceptions simultanées et intercepte 602 000 communications ou 579 000 SMS par semaine. D'autre part, loin d'être une opération déficitaire pour l'Etat, la PNIJ permet une économie nette, selon la Cour des comptes, de près de 50 millions d'euros par an en frais de justice. D'après son analyse, les économies permises par la PNIJ s'élèvent ainsi à 554,9 millions d'euros sur la période 2015-2024, à mettre en regard avec le coût complet de la plateforme qui est lui évalué à 249,9 millions d'euros sur cette période. Le bilan est donc un gain de 305 millions d'euros entre 2015 et 2024. S'agissant de la plus-value capacitaire de la PNIJ, il est précisé que les fonctionnalités offertes sont aujourd'hui techniquement équivalentes ­– voire supérieures ­– à celles offertes par les solutions privées, de sorte que le principe du recours exclusif à la plateforme posé par l'article 230-45 du code de procédure pénale ne souffre plus que de quelques exceptions liées, notamment, aux spécificités techniques des opérateurs ultramarins. Ainsi, contrairement à ce qui est parfois relayé, la PNIJ est pleinement opérationnelle, y compris en matière de géolocalisation en temps réel, d'analyse des flux de données, d'alertes d'entrée et sortie de zone ou d'accès à la plateforme en mobilité. Au contraire des solutions privées, la PNIJ offre ces fonctionnalités dans un cadre de sécurité renforcé, avec une stricte traçabilité des actions et un meilleur contrôle réel et effectif des magistrats sur les actes d'enquêtes. Au vu de la sensibilité des données en cause, l'exploitation de la PNIJ implique en outre un haut niveau de cybersécurité dont la maitrise et l'évaluation doit rester l'apanage souverain de l'Etat. En l'espèce, la PNIJ répond aux normes de sécurité et de résilience les plus élevées : les données sont chiffrées et hébergées sous maitrise de l'administration dans un centre hypersécurisé, l'activité ne peut s'opérer qu'au travers du réseau de l'Etat, sur des postes ou des terminaux professionnels sécurisés. Les agents publics et les prestataires ayant à travailler sur le cœur du système sont habilités au secret de la défense nationale qui permet la classification de l'architecture de la plateforme. Enfin, le ministère de la Justice est en lien étroit et permanent avec l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information. Surtout, un des principaux apports de la plateforme nationale réside dans la capacité de contrôle effectif et direct qu'elle ouvre aux magistrats qui ordonnent ou autorisent des mesures attentatoires au secret des correspondances et à la vie privée, valeurs constitutionnellement protégées. En termes de perspectives, le Gouvernement est pleinement mobilisé pour offrir aux enquêteurs une plateforme efficiente dans un environnement technologique en constante évolution. Les utilisateurs sont régulièrement consultés, autant pour exprimer leurs besoins que pour donner leur avis sur les nouvelles fonctionnalités. Conformément aux préconisations de la Cour des Comptes, l'État a opté pour la création d'un outil souverain et s'est engagé dans la voie de son internalisation progressive. Les priorités techniques fixées portent ainsi, d'une part, sur la fiabilisation de la plateforme déployée et, d'autre part, sur l'ajout progressif de nouvelles fonctionnalités. Le recours aux solutions industrielles existantes n'est opportun que si elles répondent à un besoin réel, s'inscrivent de manière cohérente dans la stratégie informatique de l'Etat et respectent les standards élémentaires de sécurité et de maitrise des données sensibles. Si de nombreuses solutions privées historiques ne respectaient pas ces critères, le recours à des acteurs industriels spécialisés fait toutefois partie de la stratégie du ministère de la Justice. Le Gouvernement rappelle, en conclusion, le caractère essentiel de la PNIJ pour l'enquête pénale et la lutte contre la criminalité organisée, le narcotrafic ou le terrorisme. Il continuera ses efforts d'amélioration afin d'offrir aux enquêteurs les outils d'enquêtes numériques les plus efficaces.

Données clés

Auteur : M. Éric Bothorel

Type de question : Question écrite

Rubrique : Police

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Dates :
Question publiée le 25 février 2025
Réponse publiée le 26 août 2025

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