Prêts consentis par des particuliers aux partis politiques et aux candidats
Question de :
M. Bruno Bilde
Pas-de-Calais (12e circonscription) - Rassemblement National
M. Bruno Bilde interroge M. le ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice, sur la faculté ouverte aux personnes physiques de prêter des sommes d'argent à des partis ou groupements politiques en vertu de l'article 11-3-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, ainsi qu'à des candidats en application de l'article L. 52-7-1 du code électoral. Dans l'attente de la mise en place de la Banque de la démocratie annoncée par le Premier ministre, la faculté conférée aux personnes physiques de prêter aux partis et aux candidats revêt une importance cruciale pour le financement de la vie politique et, par suite, pour la vitalité de la démocratie française. M. le député relève que cette faculté de consentir des prêts est subordonnée à la condition que « ces prêts ne sont pas effectués à titre habituel », la violation de ces dispositions pouvant être punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. C'est pourquoi il demande que soit dressé un état de situation sur l'application de ces mesures précisant le nombre de poursuites engagées sur leur fondement. Il demande également, dans un souci de sécurité juridique, l'exacte interprétation qu'il convient de donner aux dispositions prévoyant que ces prêts ne doivent pas être « effectués à titre habituel ». Il demande en particulier si ces dispositions prévoient une obligation distincte de celle prévue à l'article L. 511-5 du code monétaire et financier qui « interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des crédits à titre habituel », ainsi que tendent à l'indiquer les travaux préparatoires de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique. Elles se bornent à reprendre les dispositions précisées de l'article L. 511-5 du code monétaire et financier telles qu'interprétées et appliquées par la Cour de cassation. Il souhaite connaître sa position sur ce sujet.
Réponse publiée le 29 juillet 2025
Le ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la justice, tient tout d'abord à rappeler qu'il ne lui appartient pas de donner quelque instruction que ce soit aux parquets dans le cadre de dossiers individuels, ni d'interférer dans les procédures judiciaires, en raison des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire. L'article 11-3-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988, autorise les personnes physiques à consentir à des prêts aux partis et groupements politiques, à la condition qu'ils n'aient pas de caractère habituel. Cette restriction s'applique également aux candidats, ainsi que le prévoit l'article L. 52-7-1 du code électoral. Ces dispositions ont été créées par les articles 25 et 26 de la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique. Ces nouvelles mesures visaient à répondre à un besoin renouvelé « d'exemplarité et de transparence » de la vie publique, dans un objectif affiché de « lutter contre la fraude aux règles de financement de la vie publique » selon l'avis du Conseil d'Etat du 12 juin 2017 rendu sur le projet de loi. Les travaux préparatoires de la loi de 2017 font en effet état d'un trop faible encadrement juridique des prêts accordés par les personnes physiques au profit des partis et des candidats, susceptibles d'amener à de possibles contournements de la législation applicable en matière de financement de la vie publique. C'est pour cette raison que des dispositions spécifiques sont applicables aux candidats et partis et groupements politiques en matière de recours aux prêts. La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), autorité administrative indépendante chargée du contrôle du respect des normes applicables en matière de financement de la vie politique a exposé sa doctrine en matière de prêts aux candidats dans son rapport d'activité de 2023, estimant devoir apprécier la portée de la notion d'habitude « (…) au regard de l'objectif de moralisation de la vie politique fixé par le législateur (…) », en la déduisant des circonstances de fait et en combinant « les critères du nombre de prêts, de bénéficiaires et de leur échelonnement dans le temps ». La CNCCFP prévoit, « sans préjudice d'évolutions ultérieures », de saisir le parquet dès qu'un même prêteur a consenti au moins 5 prêts, répartis sur une ou plusieurs élections, d'un montant total égal ou supérieur à 75 000 euros et d'adresser un signalement à Tracfin sur les dossiers les plus significatifs (montant total des prêts consentis par un même prêteur supérieur à 300 000 euros). S'agissant des éléments de nature statistique sollicités, il ressort des données du ministère de la Justice que quatorze personnes ont été poursuivies pour l'une au moins de ces infractions entre 2021 et 2023, dont sept en 2023. Il n'a été porté à la connaissance du ministère de la Justice aucune décision de justice venant préciser la signification de l'expression « à titre habituel » au sens des articles 11-5 de la loi du 11 mars 1988 et 113-1 du code électoral. Toutefois, les travaux préparatoires de la loi de 2017 (Rapport n° 607 fait au nom de la commission des lois du Sénat par M. Philippe BAS – page 90) font apparaître que le rappel de l'obligation de ne consentir des prêts qu'à titre occasionnel est reprise de l'article L 511-5 du code monétaire et financier. Sur le fondement de cet article, la cour de cassation (chambre criminelle et chambre commerciale, économique et financière) a eu l'occasion de préciser la notion d'habitude dans le cadre d'affaires mettant en cause une personne pour l'exercice habituel et illégal d'une profession règlementée, notamment en méconnaissance de la loi du 24 janvier 1984 codifiée pour partie à l'article 511-5 du code monétaire et financier. Elle a ainsi jugé dans une affaire d'exercice illégal de la profession de banquier que l'octroi de plusieurs prêts à une même personne ne suffisait pas à caractériser l'infraction (Crim, 2 mai 1994 n° 93-83.512 ; Com, 3 décembre 2002 n° 00-16.957). En revanche, en matière de cautionnements, elle a considéré que l'intervention dans une opération de fourniture de deux cautionnements successifs au bénéfice d'une même personne suffisait à démontrer l'exercice à titre habituel de l'activité d'intermédiaire en opération de banque (Crim, 5 février 2003, n° 01-87.052).
Auteur : M. Bruno Bilde
Type de question : Question écrite
Rubrique : Partis et mouvements politiques
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 11 mars 2025
Réponse publiée le 29 juillet 2025