Première séance du mardi 27 mai 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère
- 2. Questions au gouvernement
- Proposition de loi Duplomb
- Rapport sur les Frères musulmans en France
- Proposition de loi Duplomb
- Procès Le Scouarnec
- Proposition de loi Duplomb
- Crise de la démocratie
- Rapport sur les Frères musulmans en France
- Situation à Gaza
- Situation de l’agriculture
- Désindustrialisation
- Mouvement des chauffeurs de taxi
- Procès Le Scouarnec
- Dégradation d’infrastructures électriques
- Taxis sanitaires
- Transports sanitaires
- Investissements étrangers en France
- Filière de la pêche côtière artisanale
- 3. Accompagnement et soins palliatifs - Droit à l’aide à mourir
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère
Mme la présidente
Chers collègues, je suis heureuse de souhaiter en votre nom la bienvenue à une délégation du parlement d’Estonie, conduite par M. Kristo Enn Vagga, président du groupe d’amitié Estonie-France. (Mmes et MM. les députés et les membres du gouvernement se lèvent, se tournent vers les tribunes du public et applaudissent longuement.)
2. Questions au gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au gouvernement.
Proposition de loi Duplomb
Mme la présidente
La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud
Monsieur le premier ministre, le spectacle est triste, la situation, grave, et la bascule vertigineuse…
Un socle commun – manifestement de connivence avec votre gouvernement – fait alliance avec le Rassemblement national pour voter le rejet d’un texte que – pourtant – il défend, non pour lui faire échec mais pour interdire tout débat démocratique aux députés et le faire adopter discrètement par la droite sénatoriale (Protestations sur les bancs du groupe RN) ;
M. Sébastien Chenu
Il fallait venir ! Où étiez-vous ?
M. Boris Vallaud
…des parlementaires préfèrent l’obscurité du huis clos à la lumière de l’hémicycle ; sans doute pour lancer sa campagne présidentielle aux pieds des tracteurs bloquant l’Assemblée nationale, un ministre de l’intérieur témoigne un soutien déplacé aux manifestants faisant pression sur le Parlement (Mme Ayda Hadizadeh applaudit) ; la presse nous rapporte qu’en visite dans le Tarn-et-Garonne, la ministre de l’agriculture appelle les agriculteurs à cibler les élus de gauche, c’est-à-dire incite à la violence politique. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme Ayda Hadizadeh
La honte !
M. Philippe Brun et M. Jérôme Guedj
Scandale !
M. Boris Vallaud
Nous pensions la démocratie menacée à ses marges ; la voici menacée en son cœur !
Une loi démagogique, dangereuse et inefficace, mettant en cause l’autorité de la science, la santé humaine…
M. Hervé de Lépinau
Ce n’est pas ce que dit l’Anses !
M. Boris Vallaud
…et, en définitive, l’avenir même de l’agriculture, fracture la société qui ne demande qu’à faire bloc derrière ses paysans. Voilà où nous en sommes, monsieur le premier ministre !
Nous refusons cet agenda du désastre annoncé, désastre économique, écologique, agricole, désastre sanitaire, démocratique et, en définitive, désastre moral.
Nous sommes, et resterons, une force de proposition (Rires sur les bancs des groupes RN et UDR.) pour réconcilier écologie et agriculture, agriculteurs et société. Nous sommes, et nous resterons, une force de proposition pour réconcilier notre pays et faire face aux défis du monde. (Mêmes mouvements.) Nous sommes, et nous resterons, les vigies de notre bien commun – qui n’est pas la propriété des bancs de cet hémicycle – : l’État de droit et notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.– M. Stéphane Peu applaudit également.)
Monsieur le premier ministre, pensez-vous qu’en cédant à la démagogie et aux menaces de violences, vous soyez véritablement dans votre rôle de garant de nos institutions et de l’intérêt général ? (Les députés du groupe SOC, plusieurs députés du groupe EcoS et Mme Elsa Faucillon se lèvent et applaudissent.)
M. Michel Herbillon
Donneur de leçons !
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique.
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Puis-je vous rappeler que la motion de rejet a été votée, non par le gouvernement, mais par l’Assemblée nationale ?
M. Jérôme Guedj
Ce sont vos soutiens !
M. François Bayrou, premier ministre
Vous savez très bien que l’Assemblée nationale l’a votée pour parer la tentative de blocage…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Menteur !
M. Antoine Léaument
Vous êtes de droite !
M. François Bayrou, premier ministre
…destinée, grâce à la multiplication d’amendements – des milliers – à faire en sorte que ce texte ne puisse être examiné. (« Honteux ! » sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
M. Jean-Claude Raux
C’est faux !
M. François Bayrou, premier ministre
Vous connaissez bien les motions de rejet puisqu’en décembre 2023, vous avez vous-même fait adopter une motion de rejet (M. Philippe Vigier applaudit.)…
Un député socialiste
Pas sur nos textes !
M. François Bayrou, premier ministre
…afin que la loi immigration ne puisse être débattue.
Ma conviction personnelle – puisque c’est moi que vous interrogez – c’est que la manière dont nous organisons les choses n’est ni durable…
Une députée du groupe EcoS
« Durable », il faut oser !
M. François Bayrou, premier ministre
…ni responsable. Nous devons trouver une façon d’organiser les dialogues et les débats pour que le Parlement puisse pleinement jouer son rôle et ne soit pas entièrement bloqué par tel ou tel groupe qui dépose des milliers d’amendements.
Je rappelle – mais vous le savez très bien – qu’à raison de trois minutes par amendement, les trois mille cinq cents amendements déposés représentaient quinze jours pleins de débats. (Protestations sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
Mme Delphine Batho, M. Jérémie Iordanoff et M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est faux !
M. Pierre Cordier
M. Vallaud aura du temps avec la veste qu’il va se prendre !
M. François Bayrou, premier ministre
Ces quinze jours de débats auraient empêché l’examen du texte sur la simplification de la vie économique, du texte sur Mayotte et, peut-être, du texte sur le statut des élus.
Avec une telle méthode, nos concitoyens voient blocage sur blocage et se détournent de la manière dont vous débattez.
M. Pierrick Courbon
Travaillez le week-end !
M. François Bayrou, premier ministre
Je vous donne l’assurance que le gouvernement n’exerce aucune pression sur les élus.
M. Jean-Paul Lecoq
Si !
M. François Bayrou, premier ministre
Je ne l’ai jamais accepté et je ne l’accepterai jamais. La ministre de l’agriculture, n’a pas demandé de cibler tel ou tel ; elle a demandé aux agriculteurs d’expliquer…
M. Dominique Potier
Comme ça ! (M. Dominique Potier fait un geste évoquant un révolver sur la tempe.)
M. François Bayrou, premier ministre
…à leurs élus quel était le texte. (Protestations et « ce n’est pas vrai ! » sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
C’est la moindre des choses ! Vous le faites aussi, que je sache. C’est ce que nous faisons tous ! Les élus sont les représentants du peuple et il est normal que le peuple parle avec eux, sans pression. Voilà la raison pour laquelle – cela n’est pas la première fois que je le dis – je pense que nous devons trouver…
La présidente de l’Assemblée nationale a essayé de faire retirer des amendements…
M. Damien Girard, M. Jean-Claude Raux et Mme Dominique Voynet
Nous avons dit : « oui » !
M. François Bayrou, premier ministre
…– déposés par un autre groupe que le vôtre – mais ces groupes ont refusé. (Protestations sur les bancs du groupe EcoS.)
Mme Dominique Voynet
Vous avez le nez qui pousse ! (Mme Dominique Voynet mime le nez de Pinocchio.)
M. François Bayrou, premier ministre
La situation… (Brouhaha sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
Mme la présidente
S’il vous plaît, un peu de silence !
M. François Bayrou, premier ministre
…doit nous permettre de trouver un jour des manières nouvelles d’examiner les textes. (M. Philippe Vigier applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud
Nous avons le devoir de débattre démocratiquement dans la lumière et sous le regard des citoyens et non dans le huis clos d’une commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.– Protestations sur les bancs des groupes RN et DR.)
Rapport sur les Frères musulmans en France
Mme la présidente
La parole est à Mme Alexandra Masson.
Mme Alexandra Masson
Monsieur le ministre de l’intérieur, commandé par votre propre ministère, le rapport sur les Frères musulmans en France dresse le portrait accablant d’une offensive islamiste organisée, structurée, infiltrée dans nos écoles, nos associations, nos institutions et jusque dans certains quartiers de notre République. (Exclamations sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
Ce rapport parle de faits documentés, vérifiés par les services de renseignement qui établissent l’existence (Mêmes mouvements.– Mme la présidente tape sur son pupitre pour demander le silence) d’une stratégie de conquête, de contournement des lois et d’entrisme idéologique à grande échelle.
En résumé, comme le dénonce depuis des décennies le Rassemblement National, la République est infiltrée et minée de l’intérieur.
D’où mes questions : souhaitez-vous vraiment faire de la lutte contre ces idéologies une priorité pour tous ? Souhaitez-vous faire sortir ces idéologies de l’ensemble des champs d’activité économique, social, culturel dans lesquels elles sont déjà présentes ? Souhaitez-vous empêcher tout financement direct ou indirect de ces idéologies ? Souhaitez-vous juguler leur prosélytisme dans la fonction publique et dans les entreprises ? Souhaitez-vous éloigner du territoire français les étrangers islamistes ? Souhaitez-vous faire du rattachement à l’idéologie islamiste une circonstance aggravante dans le code pénal et créer une peine d’indignité nationale pour ceux qui prônent des idéologies islamistes ?
Allez-vous enfin faire preuve de responsabilité et inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée la proposition de loi déposée par Marine Le Pen…
M. Jean-François Coulomme
Où est-elle ?
Mme Alexandra Masson
…il y a plus de quatre ans et visant à combattre les idéologies islamistes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Jean-François Coulomme
Marine Le Pen, en prison !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Ce rapport – que j’ai trouvé sur mon bureau en arrivant à Beauvau – a été commandé par les trois ministères de l’intérieur, des affaires étrangères et des armées.
Mme Sandra Regol
Où se trouve la version intégrale du rapport ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Il souligne très clairement l’existence d’une menace pesant à la fois sur notre tissu associatif, sur les institutions républicaines et sur la cohésion nationale. Face à cette menace, il faut naturellement réagir et nous le ferons en agissant dans trois directions.
En premier lieu, il est important que l’État se réorganise parce que nous ne parviendrons pas à lutter contre l’entrisme islamiste si nous n’avons pas les bons outils, notamment en matière de renseignement. Ainsi, – un peu à l’image de ce que nous avons fait en matière de terrorisme et assez précisément dans la lignée de ce que nous avons fait pour lutter contre le narcotrafic – nous allons réorganiser l’État en créant une sorte d’état-major autour du renseignement territorial et une espèce de parquet pour la police administrative.
M. Antoine Léaument
C’est la police de la pensée !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Il s’agit de développer les entraves à l’encontre des entrismes dans notre tissu associatif.
La deuxième piste est celle d’un arsenal pour mieux tracer les circuits financiers, revoir le régime d’autorisation des ouvrages illicites, notamment étrangers, et faire en sorte que la dévolution de biens d’associations dissoutes ne puisse s’opérer au profit de terres étrangères.
Enfin, nous avons une stratégie informationnelle. Face à cette tactique de dissimulation qu’utilise l’entrisme islamiste, il faut pratiquer la transparence. Nous l’avons fait en publiant le rapport sur l’entrisme islamiste.
Mme Sandra Regol
Vous ne l’avez pas publié !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Nous le ferons en formant les fonctionnaires, notamment les préfets, mais aussi en progressant dans la connaissance de ces mouvements islamisme par le biais, notamment, du savoir universitaire.
Croyez-moi, nous ne tergiverserons pas et notre main sera très ferme pour lutter contre ce que je considère comme une atteinte au tissu associatif, à la cohésion nationale et à la forme républicaine de nos institutions ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.– M. Mathieu Lefèvre applaudit également.)
M. Sébastien Chenu
C’est mou du genou !
Mme la présidente
La parole est à Mme Alexandra Masson.
Mme Alexandra Masson
Monsieur le ministre, vous le savez mieux que personne : la réponse ne peut être que législative ; elle doit être concrète.
Je vous le demande à nouveau : inscrivez à l’ordre du jour la proposition de loi de Marine Le Pen ! Elle répond à toutes les questions posées dans ce rapport et constitue la seule solution pour avancer concrètement. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
Pourrions-nous avoir moins de bruit dans l’hémicycle ? Le brouhaha constant gène les orateurs et les ministres. Je vous remercie de faire silence.
Proposition de loi Duplomb
Mme la présidente
La parole est à M. Benoît Biteau.
M. Benoît Biteau
Mon propos s’adresse à M. Arnaud Rousseau, président de la FNSEA. (Rires sur plusieurs bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.) Hier, vous êtes venu avec quelques dizaines de syndiqués munis de tracteurs devant le Palais-Bourbon pour vous assurer qu’une majorité de députés voterait pour le contournement de l’examen de la proposition de loi Duplomb à l’Assemblée nationale.
Votre corporatisme a séduit une grande partie du gouvernement, à commencer par Mme la ministre de l’agriculture qui n’existe qu’à travers vous. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, GDR et sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Mme Perrine Goulet
Il ne faut pas répondre, madame la ministre !
M. Benoît Biteau
Votre corporatisme rencontre cependant quelques limites, même au sein du gouvernement. Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, se dit elle-même « contre la réintroduction des néonicotinoïdes ».
M. Pierre Cordier
C’est vrai que ce n’est pas très solidaire !
M. Benoît Biteau
Il rencontre également des limites au sein de la profession agricole. Quand vous vous réjouissez des avancées de ce texte,…
M. Pierre Cordier
On a surtransposé il y a quatre ans !
M. Benoît Biteau
…la Confédération paysanne, les agriculteurs bio et les apiculteurs dénoncent, eux, une loi mortifère au service des intérêts de l’agro-industrie. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
Madame Genevard, vous qui voulez faire adopter un texte obscurantiste, contre la science, contre l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, contre la santé publique et pour préserver les intérêts d’agromanagers, pensez-vous vraiment être du côté du progrès, de l’agriculture de demain et des attentes sociétales ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – M. Edouard Bénard applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
Comment aborder cette question ?
Mme Christine Arrighi
On se le demande !
Mme Annie Genevard, ministre
Tout d’abord, les organisations professionnelles sont des corps intermédiaires et je dialogue constamment avec les cinq organisations syndicales agricoles. Par conséquent, ne m’accusez pas d’être la porte-parole de tel ou tel – un procès fait, invariablement, à tous les ministres de l’agriculture.
Mme Dominique Voynet
Et les menaces ? Il y a eu des pressions !
Mme Annie Genevard, ministre
Par ailleurs, de tous les députés, vous êtes celui qui a déposé le plus d’amendements sur ce texte. (Les députés des groupes LFI-NFP et EcoS ainsi que Mme Elsa Faucillon se lèvent et applaudissent tournés vers M. Benoît Biteau.) Dès lors, vous ne devez pas vous étonner ! Comme le disait Bossuet, on ne saurait déplorer les effets dont on chérit les causes. Vous avez voulu empêcher ce texte d’aller jusqu’au bout de son parcours (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe EcoS), vous en payez les conséquences.
Sur le fond, je vous rappelle que ce texte d’initiative sénatoriale, très attendu par les agriculteurs (Mmes Christine Arrighi et Sandra Regol s’exclament), a fait l’objet d’un travail très précis…
Mme Marie-Charlotte Garin
Il y a des ministres qui sont gênés !
Mme Annie Genevard, ministre
…avec ma collègue ministre de la transition écologique.
Mme Ayda Hadizadeh
Elle n’est pas d’accord avec vous !
Mme Annie Genevard, ministre
La position du gouvernement sur ce texte est celle qui a été défendue hier par plusieurs députés.
Mme Christine Arrighi
C’est celle de la FNSEA !
Mme Annie Genevard, ministre
Je suis trop respectueuse de la séparation des pouvoirs et du respect du travail parlementaire (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR. – Huées sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS) pour ne pas vous rappeler qu’une majorité de députés a choisi d’adopter cette motion de rejet pour que le texte aille jusqu’au terme de son parcours et qu’ainsi la démocratie puisse s’exercer.
Mme la présidente
Madame la ministre, je vous remercie.
Mme Annie Genevard, ministre
J’ai toujours invité les agriculteurs et les parlementaires à dialoguer… (Mme la présidente coupe le micro de la ministre dont le temps de parole est écoulé. – Les députés du groupe DR applaudissent cette dernière.)
Mme Frédérique Meunier
Excellent !
Mme la présidente
La parole est à M. Benoît Biteau.
M. Benoît Biteau
L’agriculture est un secteur stratégique parce qu’il s’agit aussi de l’alimentation de tous, de l’eau que nous buvons chaque jour, de l’air que nous respirons à chaque instant et de la santé de tous nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC ainsi que sur quelques bancs du groupe GDR), y compris des agriculteurs, de plus en plus victimes de maladies professionnelles.
Pour toutes ces raisons, nous devons sortir des logiques corporatistes et envisager ces questions dans le cadre d’un véritable débat de société – une société que vous pouvez croiser hors de ces murs et qui a des choses à vous dire.
Vous êtes ministre de l’agriculture, de tous les agriculteurs et tous les Français – pas de la FNSEA. (Mme Dominique Voynet se lève et applaudit. – Les autres députés du groupe EcoS ainsi que ceux des groupes LFI-NFP et SOC applaudissent également.) Choisissez d’engager des politiques publiques qui soutiennent durablement la bifurcation agroécologique.
Nous donnons rendez-vous à toute la société – dans la rue, dans les universités et dans les cours de ferme – pour exprimer son refus de ce texte et des pesticides cancérogènes, mutagènes,… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur. –? Les députés des groupes EcoS et LFI-NFP se lèvent et applaudissent ce dernier. – Plusieurs députés des groupes SOC et GDR applaudissent également.)
Procès Le Scouarnec
Mme la présidente
La parole est à M. Erwan Balanant.
M. Erwan Balanant
J’associe à cette question ma collègue Perrine Goulet.
La semaine dernière, devant le tribunal de Vannes, les victimes du médecin Joël Le Scouarnec ont dénoncé le silence de la société mais aussi, plus grave encore, celui du monde politique face à ce qu’elles avaient vécu et face à sa propre responsabilité – notre responsabilité.
Ayons une pensée pour les victimes et pour leurs souffrances indélébiles, dans leur corps et dans leur âme. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs des groupes EPR, LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.) Nous ne pouvons tolérer que des abus sexuels aient pu être perpétrés de manière sérielle sans qu’aucune véritable mesure ait été prise et – ce qui est encore pire – par un individu qui avait déjà été condamné en 2005 pour recel d’images pédopornographiques.
Le parquet a requis il y a quelques jours la peine maximale. Le verdict doit être rendu demain.
Pourquoi notre société n’a-t-elle pas su entendre ? Pourquoi n’a-t-elle pas su voir ? Pourquoi n’a-t-elle pas su prendre la mesure des événements ?
Il est urgent de mieux prendre en considération les enfants victimes de violences dans les familles, dans les clubs de sport, dans les écoles, dans les lieux de protection de l’enfance, dans les établissements de soin, dans les milieux artistiques,…
M. Philippe Vigier
Très bien !
M. Erwan Balanant
…bref partout où nos enfants devraient se sentir protégés. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
Toutes ces victimes sont légitimes à dénoncer l’invisibilisation. Nous en portons notre part de responsabilité.
En notre nom à tous, je tiens à leur présenter nos excuses (Mme Maud Petit se lève et applaudit. – Les autres députés du groupe Dem applaudissent également), à leur demander pardon et à les assurer que nous les entendons et qu’elles ne sont plus seules. Ces affaires ne doivent pas être passées sous silence.
Pour que cette promesse ne soit pas vaine, comment garantir que notre société a les moyens d’écouter, de croire et d’accompagner les victimes ? Comment le gouvernement compte-t-il se mobiliser en matière de lutte contre toutes les violences faites aux enfants et nous assurer d’un « plus jamais ça » ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs des groupes EPR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
Demain sera rendu le verdict dans l’affaire Le Scouarnec, un procès hors normes qui se tient dans les locaux d’une université. Vous le savez, tous les moyens ont été déployés afin d’accompagner les victimes avant, pendant et, demain, après le procès. Avec quelque 220 parties civiles, ce procès, qui a duré plusieurs semaines, à touché toute la société et l’ensemble de l’opinion.
Il représente, pour le ministère de la justice, un coût – 1 million d’euros – mais aussi un défi pour l’avenir : comment écouter davantage la parole des enfants ? Cette question se pose pour les policiers et les gendarmes, qui travaillent sous l’autorité des procureurs de la République, et pour les magistrats mais aussi, vous l’avez dit, pour toute la société. Je pense au monde médical, qui pourrait signaler davantage de cas, aux problèmes liés au secret de la confession ou encore aux difficultés observées dans les lieux d’accueil, les écoles, les centres de loisirs mais aussi au sein des familles. Car, vous le savez, c’est au sein des familles que la majorité des violences sont commises – l’affaire Le Scouarnec en est aussi un exemple.
Mme Clémentine Autain
Dans d’autres contextes aussi ! Vous en savez quelque chose, monsieur Darmanin ! (Vives protestations sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
En cette période particulière, un peu de dignité pourrait nous aider ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et Dem. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Perrine Goulet
Ne pourriez-vous pas vous taire pour une fois et écouter M. le ministre ? Pour les victimes, vous devriez avoir honte !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Il faut procéder à des changements législatifs – et ce sera fait. Je pourrais citer la mesure visant à rendre la prescriptibilité glissante pour les victimes de violences – un travail mené par la ministre Aurore Bergé dans le cadre de sa proposition de loi. Ce même texte, que soutient la Chancellerie, prévoit aussi une peine de trente ans de prison en cas de viols sériels, peu importe que cinq ou cent viols aient été commis – le procureur de la République a requis vingt ans dans l’affaire Le Scouarnec.
Des changements profonds doivent être opérés en matière d’accueil des victimes mais aussi, plus largement, dans la société. Nous attendons beaucoup du verdict de l’affaire Le Scouarnec. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR et sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Proposition de loi Duplomb
Mme la présidente
La parole est à Mme Manon Meunier.
Mme Manon Meunier
Madame la ministre de l’agriculture, savez-vous ce qu’est le courage ? C’est ce que vous n’avez pas eu hier en acceptant un 49.3 déguisé (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS) sur la loi Duplomb pour priver l’Assemblée nationale d’un débat sur un sujet aussi fondamental que la souveraineté alimentaire de la France.
M. Vincent Descoeur
Obstruction !
Mme Manon Meunier
Vous avez eu peur que nous révélions la véritable intention de votre texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Non, il ne concerne pas la majorité des agriculteurs : seuls 65 des 63 000 élevages bovins en France sont visés. Son seul effet sur l’élevage, c’est l’accélération de l’agrandissement des exploitations,… (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
M. Jean-François Coulomme
Exactement !
Mme Manon Meunier
…toujours plus difficiles à transmettre – à l’image de ces 65 élevages – et bien souvent tenues par l’agro-industrie.
Vous allez me rétorquer que c’est pour assurer la souveraineté alimentaire de la France.
M. Pierre Cordier
Madame préfère le sucre brésilien !
Mme Manon Meunier
Or la souveraineté alimentaire, ce ne sont pas des élevages développés par des firmes qui exportent massivement pour leurs profits (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS), des élevages agro-industriels hyperconsommateurs de matières premières importées : engrais, matériaux, alimentation animale ou encore énergie.
La souveraineté alimentaire, c’est accepter de protéger celles et ceux qui nous nourrissent en France,…
M. Pierre Cordier
Justement !
Mme Manon Meunier
…et arrêter de considérer l’agriculture comme une variable d’ajustement sur les marchés mondiaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs des groupes EcoS et GDR.) C’est d’abord et avant tout le droit d’un peuple à décider de son système alimentaire pour lui-même et à refuser l’emploi d’un pesticide comme l’acétamipride, dangereux pour l’environnement et pour la santé – en premier lieu celle des agriculteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
Alors oui, j’espère que vous avez honte, madame. Honte d’avoir privilégié le scénario selon lequel l’avenir de notre agriculture serait décidé à huis clos par sept députés et sept sénateurs. Honte de céder aux pressions d’Arnaud Rousseau qui ne prie que pour ses propres intérêts financiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.) La souveraineté alimentaire, quand on est à votre place, c’est avant tout cesser de gouverner pour les seuls intérêts de l’agrobusiness – encore faudrait-il avoir un peu de courage. (Les députés du groupe LFI-NFP et plusieurs députés du groupe EcoS se lèvent et applaudissent. – Les autres députés du groupe EcoS, ainsi que M. Olivier Faure, applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
La souveraineté alimentaire est fondamentale. C’est la liberté d’un peuple, son autonomie. Le jour où il n’y aura plus, dans notre assiette, que des produits importés, vous serez les premiers à pleurer. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs des groupes EPR et HOR.)
Puis-je vous rappeler quelques chiffres ? En 2000, en matière de volailles, nous étions souverains à 149 %. Aujourd’hui, seul un poulet sur deux consommé en France y est élevé. (« À cause de vous ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
La souveraineté alimentaire, c’est ne pas se satisfaire qu’un fruit ou un légume sur deux ne soient pas produits dans notre pays. C’est une arme géostratégique que des ennemis sont prêts à activer contre un peuple agressé, comme on le voit avec le conflit russo-ukrainien.
La souveraineté alimentaire,…
M. Arnaud Le Gall
Vous l’avez détruite !
Mme Annie Genevard, ministre
…c’est prévoir l’avenir, préserver et sauvagarder les assiettes de nos enfants.
Vous donnez des leçons mais ne connaissez pas la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. (Mme Nicole Le Peih applaudit. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Pierre Cordier
Hors-sol, les Insoumis !
Mme Annie Genevard, ministre
Notre souveraineté alimentaire est gravement menacée.
Par ailleurs, vous expliquez que l’agroalimentaire, c’est de l’agrobusiness – vous n’avez que ce mot à la bouche. Or là où il y a transformation, il y a production. S’il n’y a pas de transformation, il n’y a pas de production. J’en veux pour preuve le blé dur : le fait que nous ne le transformions pas pose un problème.
Vous avez tort : l’agroalimentaire emploie 350 000 personnes dans notre pays, essentiellement dans les territoires ruraux (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.) Cette industrie remarquable a fait énormément d’efforts pour économiser l’eau et l’énergie et pour contractualiser avec les producteurs.
Vous devriez défendre l’agroalimentaire parce qu’il sert la production agricole. Or vous ne le savez pas, vous ne voulez pas le voir.
M. Jean-François Coulomme
Manon Meunier sait de quoi elle parle !
Mme Annie Genevard, ministre
Vous vous contentez de mantras qui ne correspondent en rien à la réalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – MM. Romain Daubié et Philippe Vigier applaudissent aussi.)
Crise de la démocratie
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane Peu
Il y a vingt ans, presque jour pour jour, le peuple français s’exprimait pour la dernière fois par référendum.
M. Alexis Corbière
C’est vrai !
M. Stéphane Peu
Le 29 mai 2005, il rejetait massivement le traité constitutionnel européen,… (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP ainsi que sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
Mme Danielle Simonnet
Il avait bien raison !
M. Stéphane Peu
…contre l’avis confiant d’une majeure partie des politiques, des médias et des sondeurs.
M. Alexis Corbière
Exactement !
M. Stéphane Peu
Toutefois, passé le traumatisme des élites, ce refus populaire fut rapidement piétiné, balayé, trahi par la ratification du traité de Lisbonne en 2008. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR et LFI-NFP.) En 2012, la promesse de campagne d’une renégociation sera reniée dès le lendemain de l’élection, aggravant davantage la défiance des Français envers leurs gouvernants. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Depuis, cette crise démocratique n’a cessé de croître. En 2023, un nouveau seuil a été franchi : le gouvernement, aveugle ou inconscient, a imposé par 49.3, sans vote, la réforme des retraites, malgré l’opposition de la majorité des Français et une mobilisation sociale historique.
M. Alexis Corbière
Honteux !
M. Stéphane Peu
Il a ensuite utilisé l’obstruction pour bloquer tous les débats sur le sujet. Et le président vient de refuser, il y a quelques jours, la proposition d’organiser un référendum. Une plaie béante s’est ouverte dans notre démocratie et les Français ne sont pas près de tourner la page.
Le 5 juin, le débat reviendra dans l’hémicycle lors de la discussion en séance publique de notre proposition de résolution visant à abroger cette réforme brutale et injuste. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, sur plusieurs bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC.) L’Assemblée pourra enfin, pour la première fois, se prononcer au sujet de cette réforme, au nom du peuple français. Nous ne doutons pas que le vote dont cette proposition de résolution fera l’objet traduira la volonté majoritaire des Français. Alors, monsieur le premier ministre, vous aurez l’occasion d’en tirer les conséquences et de réparer ainsi la fracture démocratique qui défigure notre République.
Ma question est simple : serez-vous l’homme qui aura réconcilié ou celui qui aura laissé s’enkyster cette blessure au cœur même de notre nation ? (Plusieurs députés du groupe GDR et quelques députés du groupe EcoS se lèvent et applaudissent. – Les autres députés du groupe GDR, quelques autres députés du groupe EcoS et quelques députés du groupe LFI-NFP applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique.
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Je pourrais naturellement ajouter des arguments à ce que vous avez dit, parce qu’historiquement,…
M. Jean-Paul Lecoq
Allez-y, votre temps n’est pas limité !
M. François Bayrou, premier ministre
…candidat à cette élection présidentielle, j’avais défendu l’idée que le résultat d’un référendum ne pouvait être changé que par un autre référendum. Je n’ai pas été entendu à cette époque et d’autres choix ont été faits. Je n’étais pas président de la République…
M. Jean-Paul Lecoq
Là, vous êtes premier ministre !
M. François Bayrou, premier ministre
…et je vois que vous le regrettez. (Sourires.)
M. Alexis Corbière
Il y a un petit problème de lucidité !
M. François Bayrou, premier ministre
La deuxième question porte évidemment sur les retraites. Vous avez déposé un texte ; on verra ce que vote cette assemblée. Je veux vous dire une chose certaine : hier, la Cour des comptes a déclaré que les dépenses sociales étaient – je cite entre guillemets – « hors de contrôle ».
M. Jean-François Coulomme
C’est de votre faute !
M. François Bayrou, premier ministre
Si nous ne sommes pas capables, tous, de prendre la situation comme elle est, d’essayer de construire un projet qui puisse rassembler les sensibilités différentes autour d’une réalité qui, elle aussi, nous rassemble, alors nous allons vers de très graves déboires.
Comme vous le savez, j’ai proposé que les organisations syndicales et les représentations des entreprises se réunissent dans ce qu’on a appelé un conclave – le mot, en ce début d’année, a été à la mode. Elles sont au travail. J’ai bon espoir que le progrès qu’elles réalisent ensemble soit capable de présenter un chemin qui puisse réunir très largement les sensibilités du pays, mais je sais que, la situation étant ce qu’elle est, il n’existe aucun chemin de progrès qui ne tienne compte de la réalité et ne choisisse au travers du temps un projet pluriannuel de retour à l’équilibre des finances publiques, des finances de l’action publique et des finances sociales du pays.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Ce n’est pas la question !
M. François Bayrou, premier ministre
Si nous nous éloignons de cette nécessité, nous allons avoir de très graves déboires et toute la société le paiera, avec toutes les entreprises, tous les salariés et toutes les familles.
M. Jean-Victor Castor
Allez-vous respecter le vote ?
Rapport sur les Frères musulmans en France
Mme la présidente
La parole est à Mme Laure Miller.
Mme Laure Miller
Monsieur le ministre de l’intérieur, il y a quelques jours, un rapport relatif à l’évaluation de la mouvance des Frères musulmans a été rendu public. Leur stratégie d’entrisme à bas bruit dans notre pays et la diffusion de leur idéologie au sein de nos écosystèmes locaux y sont dépeintes.
Nous savons que la stratégie des Frères musulmans repose en grande partie sur la victimisation. Or cette stratégie est partiellement gagnante en raison de certains groupes qui, ici même, abîment le débat par leurs postures idéologiques et clientélistes ! Ainsi l’extrême droite, en faisant l’amalgame entre islamisme et islam, et une partie du NFP, en refusant de voir la menace en face, sont en réalité des alliés objectifs des Frères musulmans ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – Exclamations prolongées sur les bancs du groupe RN et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Alexandre Dufosset
Menteuse !
Mme la présidente
S’il vous plaît !
Mme Laure Miller
Si la polarisation du débat public et médiatique ne semble laisser le choix qu’entre une dangereuse restriction de nos libertés publiques et une passivité coupable, nous défendons une autre voie ! En effet, la réponse est nécessairement multiple.
Mme la présidente
S’il vous plaît ! On n’entend pas l’oratrice !
Mme Laure Miller
Elle consiste sans aucun doute à soutenir nos concitoyens de confession musulmane qui pratiquent leur religion en parfaite harmonie avec les valeurs de la République.
M. Hendrik Davi
Va directement au RN !
Mme Laure Miller
Nous pensons que dénoncer l’entrisme des Frères musulmans, c’est précisément protéger nos compatriotes de confession musulmane dont l’image est profondément abîmée par ceux qui dévoient leur religion.
La réponse réside aussi dans un réveil de notre promesse républicaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.) C’est parce que notre République est en difficulté dans certains quartiers, parce que l’école a en partie perdu sa vocation émancipatrice, parce que nous avons laissé prospérer des discriminations dans notre pays, que l’islam radical s’est engouffré dans nos manquements. (Exclamations sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Enfin, la réponse doit nécessairement consister aussi à mettre fin à nos petites lâchetés et à nos grandes hypocrisies en faisant preuve d’intransigeance à la moindre entaille infligée à nos valeurs républicaines, qu’il s’agisse de la liberté de conscience parmi nos enfants ou de l’égalité entre les femmes et les hommes.
Monsieur le ministre, comment pouvez-vous organiser et permettre un débat serein et déterminé autour de ce rapport, afin qu’il constitue le point de départ d’une action résolue pour la préservation de notre République contre toute forme d’entrisme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Je connais votre engagement s’agissant des questions que vous abordez. Vous avez raison de demander l’intransigeance. Je voudrais dire, pour poser correctement les bases du débat, qu’à l’échelle du monde, ce ne sont pas les démocraties occidentales qui font montre de cette intransigeance mais bien les pays musulmans. Je voudrais également répéter ici que le pire des amalgames consisterait à assimiler, à confondre l’islamisme et les islamistes avec l’islam et les musulmans. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et DR.)
Mme Sabrina Sebaihi et Mme Danielle Simonnet
C’est ce que vous faites tous les jours, avec vos mots !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je souhaite que nos compatriotes musulmans puissent exercer leur liberté de culte car c’est aussi cela, la laïcité, et j’y tiens par-dessus tout. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Là où le séparatisme prétend créer de petites contre-sociétés séparées, précisément, de la communauté nationale, l’entrisme a ceci de particulier qu’il veut tordre nos règles, les règles de la République, pour les acclimater à un agenda islamiste.
M. Jean-Philippe Tanguy
Vous laissez la porte ouverte !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Il faut, bien sûr, être intransigeant.
M. Laurent Jacobelli
Ça, on l’a dit il y a quinze ans ! Maintenant, il faut travailler !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
C’est la raison pour laquelle nous allons déployer nos efforts dans trois directions. Il est absolument fondamental de réorganiser totalement l’État, de le réarmer d’un nouvel arsenal pour traquer les circuits financiers et pour faire en sorte qu’en matière de publication des ouvrages illicites, nous disposions de nouvelles armes.
Nous devons aussi faire le nécessaire pour éviter que se reproduise ce qui s’est passé lors de la dissolution de BarakaCity et du CCIF, qui ont eu le temps d’entreprendre une dévolution de leurs biens, les uns à Londres, les autres en Belgique. Ce n’est pas normal !
Mme Hanane Mansouri
Ils ont été invités à l’Assemblée et vous l’avez accepté !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Là encore, un combat d’idées doit être mené auprès du grand public, qu’il faut informer, de même qu’il faut informer les fonctionnaires et les associations d’élus. Notre main ne tremblera pas !
M. Jean-Philippe Tanguy
Les barbus y croient !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Il s’agit là d’un combat profondément républicain ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et DR.)
M. Jean-Philippe Tanguy
C’est nul !
M. Laurent Jacobelli
Vous en parlez ; nous le ferons !
Situation à Gaza
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Mazaury.
M. Laurent Mazaury
J’associe à cette question l’ensemble du groupe LIOT auquel j’appartiens, tout particulièrement notre collègue Christophe Naegelen. Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, la situation à Gaza est catastrophique. Elle l’est depuis des semaines, depuis des mois, et ne cesse de se détériorer, dans un contexte ou l’aide humanitaire qu’Israël autorise à nouveau à pénétrer sur le territoire est très largement insuffisante pour répondre aux besoins réels de la population.
Vous avez récemment évoqué, une nouvelle fois, la nécessité de respecter le droit international dans le cadre du conflit qui se déroule à Gaza. Bien évidemment, le Hamas est une organisation terroriste, qui manipule les esprits des populations et utilise quotidiennement les habitants de Gaza comme des boucliers humains ; le pogrom odieux du 7 octobre 2023 est le pire crime perpétré contre le peuple juif depuis la Shoah. Il n’en demeure pas moins qu’à ce jour, l’exercice par l’État d’Israël de son droit à se défendre et à voir libérer tous les otages détenus par le Hamas a largement dépassé la limite du tolérable par l’intensité des bombardements que subissent les civils.
Par ailleurs, l’État d’Israël tombe de fait dans un autre des pièges que lui tend le Hamas, celui de l’image d’un État qui tue une population palestinienne déjà en état de dénuement absolu et envoie donc dans les bras du terrorisme, pour des dizaines d’années à venir, des centaines d’enfants de Gaza.
Monsieur le ministre, comment la France évalue-t-elle ces actions du point de vue de leur conformité avec le droit humanitaire international, tout en prenant en compte la légitime sécurité d’Israël ainsi qu’un contexte marqué par la souffrance et les revendications du peuple palestinien ? Quelles initiatives la France entend-elle promouvoir pour favoriser un respect strict des droits humains et encourager une désescalade durable dans ce conflit ? Enfin, confirmez-vous que pour peser sur la situation, la France s’apprête à reconnaître l’État de Palestine ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur quelques bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Avant de répondre et avec l’autorisation de Mme la présidente, je voudrais me réjouir avec vous du retour, à l’instant, sur le territoire national de notre compatriote Théo Clerc, après 422 jours de détention et à la faveur d’une grâce du président de l’Azerbaïdjan. C’est l’honneur et la fierté de la diplomatie française et de ses agents d’avoir œuvré sans relâche à sa libération. (Tous les députés se lèvent et applaudissent. – Quelques membres du gouvernement applaudissent également.)
Vous avez raison de souligner que la situation humanitaire se dégrade considérablement à Gaza. Le cessez-le-feu a été brisé il y a deux mois. Depuis, plus de 4 000 personnes ont perdu la vie, dont, sans doute, une majorité de femmes et d’enfants – l’histoire nous le dira –, et plus de 70 000 enfants attendent des traitements d’urgence.
Certes, depuis quelques jours, l’aide humanitaire parvient à nouveau à Gaza, de manière très insuffisante, vous l’avez dit. À cet égard, le système mis sur pied par le gouvernement israélien pour distribuer l’aide ne présente pas les caractéristiques qui en constituent les piliers : l’humanité, l’indépendance, la neutralité et l’impartialité. C’est pourquoi nous nous y opposons. Les agences des Nations unies, les travailleurs humanitaires doivent pouvoir accomplir leurs missions sans délai à Gaza.
Vous avez évoqué la sécurité. Nous le disons avec force : les offensives militaires sont une impasse. Elles hypothèquent la sécurité d’Israël. C’est la France qui le dit, alors même qu’elle a fait la démonstration de son attachement indéfectible à cette sécurité en mobilisant ses moyens militaires lorsqu’Israël a été attaqué.
Nous le disons avec force au peuple israélien : il existe une autre solution,…
M. Jean-Paul Lecoq
Ce sont des mots ! Assez de paroles : des actes !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
…une solution politique qui passe par le désarmement du Hamas, par la réforme de l’Autorité palestinienne, par l’intégration d’un État de Palestine et de l’État d’Israël dans une architecture régionale de sécurité et par les reconnaissances, auxquelles nous travaillons, de cet État de Palestine, seule voie vers la stabilité et la paix dans la région.
M. Julien Brugerolles
Vous n’avez pas répondu à la question !
M. Jean-Paul Lecoq
Rien pour faire cesser les crimes !
Situation de l’agriculture
Mme la présidente
La parole est à Mme Hélène Laporte.
Mme Hélène Laporte
Madame la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, hier, alors que les votes du Rassemblement national ont permis de faire voler en éclats la stratégie d’obstruction stérile de l’extrême gauche, une victoire de l’agriculture française a été remportée. Si cette proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur n’est pas parfaite dans la mesure où elle ne va pas aussi loin que nous le voudrions vers la fin des surtranspositions, elle représente incontestablement un progrès pour nos fermes qui ne pourront plus supporter longtemps le fardeau normatif, plus lourd que partout ailleurs, qui leur est imposé.
Toutefois, la bataille pour l’égalité des armes en agriculture et pour la prospérité de nos exploitations est encore loin d’être gagnée. L’accord commercial entre le Mercosur et l’Union européenne, dont on nous assurait hier que l’opposition française allait l’enterrer, pourrait être adopté dans les mois qui viennent, faute pour notre gouvernement d’être parvenu à réunir une minorité de blocage. La pression de l’Allemagne en faveur d’une ratification rapide s’accentue. Je rappelle les propos tenus le 7 mai dernier par M. Merz, selon lequel la voix de la France peine à se faire entendre. Il espère en effet que cette ratification rapide aura lieu. Or si cet accord venait à entrer en vigueur, des filières entières seraient sacrifiées. Leur indemnisation a déjà été prévue à Bruxelles, pour solde de tout compte ! Quelque 100 000 tonnes de bœuf verraient les droits de douane qui s’appliquent à elles réduits de plus de 80 % tandis que 180 000 tonnes de volaille, 180 000 tonnes de sucre et 650 000 tonnes d’éthanol en seraient totalement exonérées. Qui peut encore croire que de telles clauses peuvent laisser notre agriculture indemne ?
Promettez-vous à nos agriculteurs que la France fera échouer ce projet d’accord ? Ou bien admettrez-vous face à eux qu’avec Emmanuel Macron, la France, deuxième État contributeur net au budget de l’Union européenne, est condamnée à l’impuissance politique ?
Par ailleurs, la question du coût de la main-d’œuvre saisonnière reste brûlante dans un contexte où la France est en libre concurrence avec des pays où ce coût est sans commune mesure avec celui qui se pratique dans notre pays. Voilà des années que nous demandions la pérennisation du dispositif travailleur occasionnel demandur d’emploi. Cette pérennisation, permise par le dernier budget, constitue un signal positif qu’il fallait bien sûr envoyer mais cela ne résout pas le problème. Des pistes de renforcement de ce dispositif existent. Allez-vous engager ce chantier pour la compétitivité de nos fermes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
Je ne reviendrai pas sur la proposition de loi, beaucoup a été dit et le sujet est maintenant bien circonstancié.
S’agissant du Mercosur. M. le premier ministre, le président de la République et l’ensemble du gouvernement n’ont cessé d’exprimer une opposition à ce traité tel que le projet en a été signé il y a quelques mois à Montevideo par Ursula von der Leyen. Encore à l’état de projet, il n’est en effet pas bon…
M. Vincent Descoeur
Il est même très mauvais.
Mme Annie Genevard, ministre
…pour les quatre filières qui sont concernées : la filière bovine, la filière volailles, le sucre et l’éthanol, vous l’avez rappelé. Il y a un problème de volumétrie, et dans ces accords de libre-échange j’observe deux choses : un, l’agriculture est toujours un volet d’ajustement, deux, ce sont presque systématiquement les filières d’élevage qui sont les plus concernées. De surcroît, ce projet d’accord pose encore un autre problème puisqu’il prévoit des clauses de sauvegarde pour les pays du Mercosur qui pourraient, eux, les activer individuellement – je pense, par exemple, à l’industrie automobile –, alors que l’Union européenne devrait être unanime pour demander une clause de sauvegarde générale et non pas filière par filière. C’est donc un projet d’accord qui n’est pas équilibré… Il est très déséquilibré. Et je crois que la possibilité de recourir à des clauses miroirs ne suffit pas l’équilibrer parce que qui dit clauses miroirs, dit contrôle alors qu’il faut bien convenir que les contrôles sont impossibles du côté des pays du Mercosur et très difficilement effectués du côté de l’Union européenne. Il y a beaucoup de choses qui ne vont pas dans cet accord.
J’ai été la semaine dernière en Hongrie et en Autriche, où j’ai recueilli l’opposition de ces pays. (M. Jean-Pierre Taite applaudit.) Je n’arrête pas de rencontrer les ministres de tous les pays de l’Union européenne, hier encore : mes homologues Irlandais, grecs et Polonais et moi-même avons ainsi été d’accord pour considérer que ce projet d’accord ne convient pas en l’état, et je continuerai à le combattre dans sa version signée à Montevideo. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs du groupe EPR.)
Désindustrialisation
Mme la présidente
Avant de lui donner la parole, je souhaite la bienvenue à M. Sébastien Martin, élu, ce dimanche 25 mai, député de la cinquième circonscription de Saône-et-Loire. (Mmes et MM. les députés du groupe DR ainsi que quelques députés du groupe EPR se lèvent et applaudissent vivement.)
Cher collègue, vous avez la parole.
M. Sébastien Martin
Ma question s’adresse à M. le premier ministre.
Ce dimanche, les habitants de la cinquième circonscription de Saône-et-Loire m’ont fait confiance… (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Sébastien Chenu
Merci la gauche ! Merci LFI !
M. Alexandre Dufosset
Merci Mélenchon !
M. Sébastien Martin
…– visiblement, cela en gêne quelques-uns –…
M. Bryan Masson
C’est sûr !
M. Sébastien Martin
…à près de 60 % pour les représenter à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.) Il y aurait beaucoup d’enseignements à tirer de cette partielle, mais je veux vous dire qu’au-delà de cette victoire, je ne peux me satisfaire des résultats contrastés dans la circonscription : d’un côté, une grande partie du territoire où nous avons enclenché la dynamique de la réindustrialisation et où nous l’avons largement emporté face au Rassemblement national ; de l’autre, une partie du territoire où des élus souhaitent rejoindre cette dynamique, mais avec des perspectives fragiles et un score plus fort pour l’extrême droite. Il ne m’appartient pas ici de juger, mais de constater.
Car il faut bien constater que la réindustrialisation de la France n’est pas qu’un projet économique et de souveraineté : c’est avant tout un projet politique et de cohésion nationale. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe DR.)
Mme Émilie Bonnivard
Très bien !
M. Thibault Bazin
Il a raison !
M. Sébastien Martin
La réindustrialisation, c’est une chance de recréer de la valeur et d’offrir un avenir à ceux qui veulent vivre et travailler là où ils ont choisi d’habiter, mais il me semble que la volonté de réindustrialisation de votre gouvernement s’essouffle alors que tout n’est pas fait pour répondre à une mondialisation qui vient frapper nos territoires. Il est urgent de réaffirmer cette ambition, comme cela a été fait ce matin lors de l’assemblée générale des territoires d’industrie.
Aussi, croyez-vous en une réindustrialisation par et pour les territoires ?
M. Jean-Paul Lecoq
Quelle question audacieuse ! (Sourires.)
M. Sébastien Martin
Pensez-vous que notre pays peut combler les fossés qui se creusent en offrant des emplois mieux rémunérés et créateurs de valeur ? Et, comme nombre de députés dans cet hémicycle, croyez-vous que l’industrie n’est pas le passé, mais bien l’avenir d’une France forte, indépendante et porteuse d’espoir pour nos concitoyens ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Pierre Cordier
Faut pas nous dire que tout va bien, monsieur le ministre !
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie
Permettez-moi également de vous féliciter pour votre élection, dont on doit se réjouir d’autant plus que vous succédez dans cette circonscription à un député du Rassemblement national. (« Oh là là ! » sur divers bancs du groupe RN.)
Le gouvernement est évidemment très attaché à ce que la réindustrialisation irrigue nos territoires. La réindustrialisation, vous l’avez dit, c’est un enjeu de prospérité mais aussi un enjeu de souveraineté et un enjeu de cohésion territoriale. Nous étions tous deux ce matin, avec mon collègue François Rebsamen, à l’assemblée générale des territoires d’industrie. Le dispositif Territoires d’industrie incarne la volonté de réindustrialisation dans les territoires, et il produit des résultats : entre 2008 et 2020, 150 territoires perdaient des emplois industriels…
M. Jean-Philippe Tanguy
Ça continue avec vos copains !
M. Marc Ferracci, ministre
…mais, depuis 2020, 110 d’entre eux en regagnent. Nous sommes donc convaincus qu’investir dans un travail coopératif, dans une logique qui soit ascendante,…
M. Jean-Philippe Tanguy
Quel charabia !
M. Marc Ferracci, ministre
…c’est-à-dire en partant des besoins du territoire, les territoires d’industrie étant constitués de binômes entre un élu et un industriel qui œuvrent avec le soutien des services de l’État, est une logique gagnante.
M. Julien Guibert
On en voit les résultats !
M. Marc Ferracci, ministre
Nous sommes également convaincus qu’il faut améliorer ce dispositif – comme il faut par ailleurs œuvrer également aux niveaux national et européen pour la réindustrialisation. Améliorer, je l’ai dit ce matin, signifie consolider notamment les soutiens apportés aux entreprises en matière d’ingénierie et miser sur l’innovation : parmi les axes à suivre, l’innovation dans les territoires,…
M. Jean-Philippe Tanguy
Le vide !
M. Marc Ferracci, ministre
…et pas seulement dans les métropoles, en est un extrêmement important. Améliorer signifie aussi simplifier un certain nombre de procédures en matière d’accès au foncier : nous y sommes prêts, nous avons fait des annonces à ce sujet et continuerons à travailler dans les prochaines semaines et dans les prochains mois avec les acteurs des territoires et avec Intercommunalités de France dont vous êtes le président. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Mouvement des chauffeurs de taxi
Mme la présidente
La parole est à M. Hadrien Clouet.
M. Hadrien Clouet
Y a-t-il encore un macroniste qui ne soit lobbyiste d’Uber dans ce pays ? J’en doute.
Une députée du groupe LFI-NFP
Il y en a un nouveau là ! (Rires sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Hadrien Clouet
J’en doute au vu du racket auquel vous soumettez les chauffeurs de taxi. Chauffeurs de taxi auxquels nous adressons, nous les Insoumis, tout notre soutien et toutes nos amitiés depuis cet hémicycle, au huitième jour de grève contre une convention pourrie dont nous exigeons la suspension et le retrait. Car cette convention leur vole 300 millions d’euros en baissant les tarifs pour transport de malades, une perte de 7 500 euros par chauffeur ! (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Pourtant vous avez bien trouvé 300 millions pour les rendre à M. Bolloré, fin mars, en effaçant son ardoise pour fraude fiscale. (Mêmes mouvements.) C’est aussi ce que vous avez donné aux laboratoires pharmaceutiques dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025. Mais vous préférez essorer les taxis, essorer des travailleuses et des travailleurs à plus de soixante heures semaine, payés en dessous du Smic horaire et qui bossent parfois de l’aube au crépuscule, au péril de leur santé et au risque d’accidents de la route (Mêmes mouvements), avec en plus des frais d’assurance et des frais de carburant qui, par votre faute, explosent ! Pris à la gorge, des milliers d’entre elles et d’entre eux vont devoir arrêter leur activité ou empiler les patientes et les patients à l’arrière du véhicule ! Imaginez, collègues, un monde où tous vos voisins connaissent vos maladies par cœur… On avait un service public d’aide à la personne, vous en faites des livreurs de colis et préparez le terrain aux plateformes ubérisés. (Mêmes mouvements.)
Que tout le monde comprenne bien : la Macronie ayant fermé hôpitaux et maternités de proximité, les gens malades ou les femmes enceintes n’ont d’autre choix que de parcourir de longues distances pour être pris en charge, donc de recourir à des taxis (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe EcoS. – Mme Soumya Bourouaha et Mme Elsa Faucillon applaudissent également), que vous tentez de ruiner aujourd’hui. Vous inventez l’impôt sur les déserts médicaux.
Comme toujours dans une lutte d’intérêt général, il y a une solution d’intérêt général : salariez enfin les conducteurs de VT (Nouveaux applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe EcoS) : cela rapportera un milliard d’euros dans les caisses de la sécurité sociale et permettra de stabiliser le revenu des taxis voire de les augmenter, tout en rouvrant partout des centres de soins de proximité. Qu’attendez-vous ? (Les députés du groupe LFI-NFP et plusieurs députés du groupe EcoS se lèvent et applaudissent longuement.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Je vous ai trouvé un brin excessif au sujet des transports. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.) Je vais pour ma part faire calmement l’état des choses parce que c’est un sujet extrêmement important.
Dans ce que vous évoquiez, il y a tout d’abord la question des plateformes, c’est-à-dire de l’ubérisation des transports. Cette question est prise à bras-le-corps par le ministre des transports, par la ministre en charge de l’artisanat et par la ministre des comptes publics, qui y ont consacré plus de trois heures de réunion ce matin (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR) pour trouver des solutions.
Mme Danielle Simonnet
Transposez la directive européenne sur les travailleurs des plateformes !
M. Yannick Neuder, ministre
Il s’agit de mieux contrôler les plateformes et de mieux lutter contre les maraudes. Nous avons encore pu prendre conscience de l’ampleur de la situation samedi soir auprès du premier ministre, lors de la concertation avec l’ensemble des fédérations de transport. Il y aura une autre réunion à ce sujet la semaine prochaine – le ministre des transports y reviendra le moment venu.
L’autre sujet important, c’est celui des transports sanitaires. Vous savez que je suis ministre de la santé mais aussi de l’accès aux soins, et tout le monde reconnaît le rôle fondamental des transports sanitaires dans l’accès aux soins, notamment à la dialyse, à la chimiothérapie et aux séances de radiothérapie, particulièrement dans les territoires ruraux qui sont dépourvus de transports en commun. Il y a lieu, là aussi, de discuter avec les chauffeurs de taxi afin de voir avec eux les freins existants et trouver ensemble des solutions. Nous le ferons ce soir avec Amélie de Montchalin, la ministre des comptes publics. Mais, monsieur Clouet, vous êtes trop raisonnable pour ignorer que nous ne pouvons pas laisser filer de telles dépenses, soit plus de 6 milliards du budget de la sécurité sociale consacrés aux transports sanitaires, en augmentation de 45 % depuis 2019. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Procès Le Scouarnec
Mme la présidente
La parole est à M. Damien Girard.
M. Damien Girard
Monsieur le ministre de la justice, j’ai assisté vendredi dernier, à la cour criminelle de Vannes, au réquisitoire dans le procès de Joël Le Scouarnec, accusé de viols et d’agressions sexuelles sur 299 personnes, dont une majorité d’enfants. Ce procès est un électrochoc, un révélateur glaçant de l’ampleur des violences sexuelles dans notre pays : un enfant sur dix est victime de violences sexuelles en France, je dis bien un sur dix. Cela signifie qu’un enfant est agressé toutes les trois minutes. Ces chiffres sont insoutenables, ils deviennent révoltants quand on apprend que dans cette affaire, malgré une condamnation et de nombreux signaux d’alerte, le prédateur a pu continuer à exercer. Qu’avez-vous prévu pour que de tels dysfonctionnements ne puissent jamais se reproduire ?
Dans un tel contexte, les récits mensongers véhiculés par l’extrême droite et par une partie de la droite visent à faire croire que les violences sexuelles seraient principalement le fait d’étrangers dans l’espace public.
Mme Émilie Bonnivard
N’importe quoi ! On n’a jamais dit ça, c’est un mensonge !
M. Damien Girard
La vérité, dans l’immense majorité des cas, c’est que l’agresseur est un proche, un parent, une figure d’autorité familiale, éducative ou médicale. (« Eh oui ! » sur de nombreux bancs du groupe EcoS.) C’est ce système de domination que nous devons questionner pour mieux le dénoncer. C’est pourquoi la formation à la vie affective et sexuelle à l’école, régulièrement attaquée parmi ces mêmes forces réactionnaires, est un levier essentiel pour prévenir en éveillant et en libérant la parole des enfants, essentiel pour détecter des victimes et sauver des vies. (Mêmes mouvements.)
J’ai rencontré ce même vendredi des victimes de Joël Le Scouarnec : elles m’ont dit leur solitude, l’absence d’accompagnement psychologique et le silence du ministère malgré leurs sollicitations. Cela n’est pas acceptable. Elles demandent aujourd’hui la création d’une commission interministérielle sur les violences sexuelles pour que la justice soit rendue, que la vérité soit dite et que des mesures concrètes soient appliquées.
La République doit protéger ses enfants, soutenir les victimes et faire, enfin, sauter le verrou de l’omerta ! Allez vous agir ? (Les députés du groupe EcoS se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
Mme Émilie Bonnivard
Il faut voter l’imprescriptibilité !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
Les victimes, extrêmement nombreuses, des violences qu’elles ont subies en tant qu’enfants ne justifient aucune polémique. Votre question permet à chacune et à chacun de réfléchir sur ce qui ne va pas et à comment le changer radicalement. C’est pour cela que depuis mon arrivée à la Chancellerie, j’ai apporté mon soutien, sous l’autorité de M. le premier ministre, à la fin d’une forme de prescriptibilité qui touche les enfants grâce à l’introduction de la prescriptibilité glissante. Je regrette d’ailleurs que l’ensemble de l’Assemblée n’ait pas adopté cette disposition. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Mme Émilie Bonnivard
La gauche !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je tiens à rappeler également que nous avons fait une proposition consistant à passer la prescription à trente ans en cas de viols sériels. C’est tout à fait le cas dans l’affaire Pelicot et dans l’affaire Le Scouarnec. Mais là aussi, une partie de l’hémicycle ne l’a malheureusement pas adoptée.
J’espère que le Sénat pourra rétablir les dispositions défendues par le gouvernement, notamment par Aurore Bergé, et conformes aux attentes des victimes. Elles visent à résoudre la difficulté de la reconnaissance des viols sériels, qui sont souvent le fait de personnes avec qui les victimes ont beaucoup de contacts, comme les membres de la famille ou le personnel éducatif, ou de professionnels travaillant avec des enfants.
Nous avons par ailleurs systématisé l’inscription des délinquants sexuels au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, où le nom de M. Le Scouarnec ne figurait pas dans un tout premier temps. Enfin, le ministre de la santé, que je remercie de compléter l’action du ministère de la justice, va recevoir l’intégralité des victimes de ce dossier et voir avec le Conseil national de l’Ordre des médecins s’il est possible d’interdire d’exercice toute personne figurant dans ce fichier dès sa mise en examen, c’est-à-dire dès qu’existent des indices graves et concordants et sans attendre une condamnation. Il s’agit évidemment de tenter d’éviter une réitération des faits dans un cadre professionnel. Le procès Le Scouarnec et d’autres affaires montrent l’immensité du travail que tous les ministères, dont celui de la justice, ont à effectuer auprès des victimes, au premier rang desquelles les enfants. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et DR.)
Dégradation d’infrastructures électriques
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti
Au cours du dernier week-end, des infrastructures électriques stratégiques des Alpes-Maritimes et du Var ont fait l’objet d’actes de sabotage. Un pylône supportant une ligne à haute tension a été scié à sa base et deux transformateurs ont été incendiés. Ces actions, qui auraient pu coûter des vies, ont frappé des institutions, arrêté les transports ferroviaires ainsi que les réseaux de télécommunication pendant plusieurs heures et mis en péril des personnes sous assistance respiratoire. Ces faits graves sont des actes de terrorisme. À la différence de certains, j’ose le mot : nous sommes face à une nouvelle forme de terrorisme qui veut déstabiliser les institutions de la République.
Ces actions ont été revendiquées par un groupuscule d’extrême gauche ou d’ultragauche.
M. Fabrice Brun
Comme par hasard !
M. Éric Ciotti
Cela fait une fois de plus, après les exactions que nous avons connues à Sivens, lors des manifestations contre l’A69 ou à Notre-Dame-des-Landes.
M. Vincent Descoeur
Eh oui !
M. Éric Ciotti
Monsieur le premier ministre, quelles réponses entendez-vous apporter à ces nouvelles formes de violence ? Quelles mesures entendez-vous adopter pour combattre ces groupuscules d’extrême gauche…
Mme Sophia Chikirou
Et ceux d’extrême droite ?
M. Éric Ciotti
…et pour mieux armer la République face à ces nouvelles menaces extrêmement préoccupantes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique.
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Les faits que vous rapportez sont exacts et très graves. Une attaque contre notre réseau électrique a été conduite dans les Alpes-Maritimes. J’en ai suivi l’évolution heure par heure avec Philippe Tabarot, le ministre des transports. Elle a touché le Festival de Cannes et a causé des troubles qui auraient pu être graves si l’on pense à la circulation dans les tunnels ou à l’organisation des secours d’urgence. Vous l’avez dit, un pylône de haute tension a été scié à la base et deux postes électriques ont été incendiés. Les revendications sont également celles que vous avez indiquées. Comme vous, je considère que de tels événements constituent une mise en cause extrêmement grave de l’ordre public et visent à impressionner, voire à terrifier,…
M. Alexandre Dufosset
À terroriser !
M. François Bayrou, premier ministre
…alors que, dans deux semaines, le président de la République organise dans la région un sommet mondial sur l’avenir des océans.
M. Pierre Cordier
Le souligner est le meilleur moyen de mobiliser les auteurs de tels faits…
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Nous allons étendre la surveillance à tous les lieux critiques, en sachant que la situation est risquée en raison de la connaissance que ces groupuscules semblent avoir de l’organisation du réseau électrique. Il s’agit d’un travail de surveillance et de sécurisation. Je ne doute pas qu’avec l’ensemble des services de sécurité le préfet soit mobilisé sur le sujet. Il faut toutefois rappeler que le risque zéro n’existe pas. Je ne veux pas prétendre devant vous que le risque serait annihilé. Il est présent, et c’est notre devoir de le prévenir.
M. Fabrice Brun
Et de combattre ces terroristes !
Taxis sanitaires
Mme la présidente
La parole est à M. Hervé Saulignac.
M. Hervé Saulignac
Monsieur le premier ministre, un peu à la surprise générale, vous vous êtes saisi du conflit qui oppose les taxis à l’assurance maladie et avez déclaré que vous étiez prêt à retravailler la convention qui les lie.
M. Fabrice Brun
Taxi rural, taxi vital !
M. Hervé Saulignac
Cette annonce est vue comme une ouverture qu’il ne faut pas décevoir. Il ne faut pas décevoir les chauffeurs ni, surtout, les 6 millions de Français qui ont recours à leurs services chaque année.
M. Fabrice Brun
Ni les 100 000 Ardéchois !
M. Hervé Saulignac
Plus d’un tiers d’entre eux ont besoin de soins pour un cancer ou pour une insuffisance rénale. Leurs conditions de transport ne sont pas secondaires, elles sont vitales. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Alors, laissez-nous les taxis ! Parce que, chez moi, en Ardèche, il faut aller dans la Drôme pour accoucher puisque vous avez fermé la maternité, l’IRM est toujours à 70 kilomètres de la maison et les médecins spécialistes sont partis à la retraite sans être remplacés. Transporter un malade pour une chimiothérapie à Lyon représente plus de 300 kilomètres aller-retour et quatre heures de trajet. Ajoutez-y quatre heures d’attente et on arrive à une journée de travail entière pour un seul malade.
M. Peio Dufau
Il a raison !
M. Hervé Saulignac
Puisque vous avez décidé qu’il fallait aller très loin pour se soigner, laissez-nous au moins les taxis pour le faire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS.) C’est vrai en Ardèche comme dans le Béarn et comme dans toutes les régions. Votre idée de forfait unique de prise en charge n’a aucun sens en zone rurale. Elle nivellera l’offre par le bas et conduira à des dépôts de bilan et à des déserts en matière de transports. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Delphine Batho applaudit également.) D’ailleurs, si les véhicules sanitaires légers ont disparu de certains territoires, c’est en raison des niveaux de tarification trop bas qui leur ont été imposés. Les mêmes causes auront les mêmes effets sur les taxis sanitaires.
Au lieu de vouloir regrouper les malades à l’arrière des voitures, de vouloir des tarifs homogènes mais injustes, travaillez plutôt avec la profession, qui est disposée à rechercher des pistes d’économie, et, surtout, prenez des engagements dans la durée ! Refusez par exemple que l’assurance maladie puisse baisser les tarifs à tout moment de manière unilatérale ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.) Des économies, oui, mais pas sur le dos des malades, pas au détriment des territoires qui se sentent déjà punis. Laissez-nous les taxis sanitaires ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS. – M. Emmanuel Tjibaou et Mme Christelle Petex applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
J’étais avec vous en Ardèche il y a quelques semaines, pour constater la double difficulté que représentent la présence d’un désert médical et l’absence de transports en commun – de trains, notamment, dans ce département. Après une première réunion de cadrage, qui a mobilisé pendant trois heures samedi le premier ministre, la ministre des comptes publics et le ministre des transports, nous reprendrons le travail sur le sujet dès 18 heures.
Signant des bons de transport depuis vingt-cinq ans, je connais bien l’importance des transports dans l’accès aux soins, notamment, à certains plateaux techniques. Par ailleurs, pendant la même durée, j’ai été maire ou élu local et la circonscription rurale où je suis élu rencontre les difficultés que vous avez décrites. Ma méthode est de rencontrer toutes les fédérations professionnelles pour trouver avec elles les solutions, sans occulter les nombreuses fraudes qui existent dans le secteur. Je compte sur l’ensemble de la profession pour avancer avec elle de manière responsable.
Transports sanitaires
Mme la présidente
La parole est à M. David Amiel.
M. David Amiel
Si rien n’est fait, en 2026, le déficit de l’assurance maladie aura doublé par rapport à 2023 et atteindra 22 milliards d’euros. Ces chiffres ne sont pas les miens mais ceux de la Cour des comptes, publiés lundi. Ils appelleront bien sûr une réforme à la fois d’urgence et d’ampleur de notre système de santé et nous obligent à ne pas détricoter ce qui a été lancé. Or il est difficile de trouver des économies aussi documentées, justifiées et concertées que celles résultant de la réforme des transports sanitaires. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – M. Romain Daubié applaudit également.)
M. Fabrice Brun
Surtout dans le 15e arrondissement !
M. David Amiel
Il y a urgence à agir. Les dépenses de taxis sanitaires dépassent les 3 milliards d’euros et ont augmenté de plus de 7 % par rapport à 2023. Cette dérive financière peut être jugulée sans nuire en rien à l’accès aux soins. Ni les facturations des transports à vide, ni les disparités territoriales invraisemblables, ni les fraudes importantes ne peuvent être comprises par nos concitoyens. Nous ne pouvons pas demander des efforts à l’ensemble des Français si nous ne sommes pas capables de répondre à des dysfonctionnements aussi évidents.
Certes il n’y a pas d’économie facile et certes le dialogue doit toujours être maintenu, comme il l’a été depuis plus d’un an par l’assurance maladie. Mais nous ne serons jamais de ceux qui appellent à des économies dans les discours et reculent quand il s’agit de passer aux actes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme Stéphanie Rist
Exactement !
M. David Amiel
Le premier ministre a tenu bon ce matin à propos de l’entrée en vigueur de la nouvelle convention le 1er octobre. Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer qu’aucune piste qui conduirait à ne pas tenir à l’euro près les économies prévues ne sera discutée ? Pouvez-vous nous dire quelle méthode le gouvernement entend suivre sur les autres chantiers relatifs à l’avenir et à la défense de l’assurance maladie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – M. Nicolas Turquois applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Votre question permet de rappeler les montants en jeu quand on parle des transports sanitaires, notamment en taxi : respectivement plus de 6,3 milliards et plus de 3 milliards d’euros. Cependant, il ne faut pas oublier les patients, qui entendent ces chiffres mais connaissent de réelles difficultés pour être transportés jusqu’au lieu de leurs soins. Le premier ministre a rappelé le cap, qui est celui de l’application au 1er octobre d’une nouvelle convention. La méthode est donc assez simple : nous allons réunir tout à l’heure l’ensemble des fédérations professionnelles concernées. Catherine Vautrin et moi-même avons été attentifs au rapport de la Cour des comptes et travaillons déjà sur le PLFSS pour 2026.
Nous allons devoir trouver une solution qui permette de simplifier tout en tenant compte des différences territoriales. Cela sera un des sujets de la concertation, mais je pense qu’il est temps de délocaliser au niveau départemental, autour des préfectures et, surtout, des caisses primaires d’assurance maladie, les simulations qui vont être faites pour chaque taxi. Des choses vont être simplifiées, homogénéisées et rendues plus transparentes. Cela va permettre à chaque taxi de se projeter en fonction des nouveaux critères qui, conformément à la volonté du premier ministre, seront appliqués le 1er octobre.
Investissements étrangers en France
Mme la présidente
La parole est à M. Hervé de Lépinau.
M. Hervé de Lépinau
En marge du sommet Choose France et sous les ors du Roi-Soleil, le président de la République a annoncé en grande pompe 40 milliards d’euros d’investissements étrangers en France, sans trop s’avancer sur le contenu de ces engagements. Dans le même temps, notre collègue François Jolivet, du groupe Horizons, et moi-même rendions un rapport bien plus modeste, mais lucide,…
Mme Olivia Grégoire
Est-ce modeste de dire cela ?
M. Hervé de Lépinau
…sur le contrôle des IEF. En effet, derrière les effets d’annonce se cache une réalité bien plus sombre se traduisant par une faiblesse structurelle du financement des entreprises françaises qui attire les prédateurs américains, indiens ou chinois. Après le passage sous pavillon étranger de Technip, Alstom ou Arcelor, la France s’est progressivement dotée, notamment grâce au décret Montebourg, d’un arsenal juridique destiné à prévenir autant que faire se peut cette prédation.
Pourtant, l’équarrissage de notre tissu industriel continue, avec les entreprises LMB Aerospace, Photonis, Segault ou Atos, toutes victimes de l’absence d’un fonds de financement souverain destiné à protéger les actifs stratégiques du pays en soutenant leur trésorerie. Bien que renforcé ces dernières années, le mécanisme de contrôle des investissements étrangers en France n’est pas suffisant, en raison de la faiblesse des moyens humains qui y sont consacrés, de fréquents contournements via des prises de participation en bas de bilan ou de lettres d’engagement non respectées.
Quant au contrôle parlementaire symbolique prévu par la loi Pacte, il est tout simplement inopérant. Ce manque de contrôle constitue un frein à la réindustrialisation de la France, comme l’a souligné la commission d’enquête dont mon excellent collègue Alexandre Loubet est le rapporteur. Elle exige une politique économique robuste et résiliente.
Monsieur le Premier ministre, pouvez-vous nous préciser la nature exacte des 40 milliards d’euros d’IEF récemment annoncés ? Le gouvernement est-il prêt à soutenir une proposition de loi transpartisane visant à instaurer enfin un véritable contrôle parlementaire de ces investissements grâce à la création d’une délégation parlementaire à la sécurité économique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur quelques bancs du groupe UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie
Le mécanisme de contrôle des investissements étrangers en France est, vous l’avez dit, un élément essentiel au maintien de notre souveraineté industrielle. Ce mécanisme a connu depuis 2014 une profonde rénovation, avec une extension de son champ d’application, un approfondissement du pouvoir de sanction et une augmentation des moyens et des effectifs destinés à faire appliquer le contrôle. Cette rénovation se traduit par la montée en puissance des opérations faisant l’objet d’un contrôle IEF : de 100 par an en 2014, on est passé à 400 en 2024. Dans 44 % des cas, soit une proportion significative, ces opérations donnent lieu à des restrictions ou à des conditions, lesquelles peuvent porter sur la continuité des opérations stratégiques, sur le maintien de l’emploi et des savoir-faire dans les territoires ou encore sur la protection des données sensibles. Ces chiffres en témoignent : nous sommes extrêmement vigilants à ce que notre souveraineté industrielle ne soit pas remise en question par des investissements ou des prises de participation étrangères.
Cependant, nous devons également veiller au maintien de l’attractivité de la France. Les 40 milliards d’euros d’investissements réalisés dans le cadre de Choose France auxquels vous faites référence ne relèvent pas des IEF, ce sont des investissements directs étrangers. Nous avons besoin de maintenir cette attractivité, qui est génératrice d’emplois dans nos territoires ; Choose France, ce sont 180 000 emplois créés depuis le début.
Nous avons besoin de trouver un équilibre entre maintien de la souveraineté et maintien de l’attractivité. Pour cela, nous devons appliquer la procédure IEF de manière proportionnée et réduire les délais d’instruction réglementaires afin de ne pas entraver les opérations.
La ligne du gouvernement est donc claire : il s’agit de conserver ces deux jambes que sont la souveraineté et l’attractivité. (« Zéro réponse ! » sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Hervé de Lépinau.
M. Hervé de Lépinau
Je n’ai pas eu de réponse !
Filière de la pêche côtière artisanale
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Michel Brard.
M. Jean-Michel Brard
Madame la ministre de la transition écologique, je vous adresse cette question en votre qualité de ministre de la mer et de la pêche.
En cette année dédiée à la mer, se tiendra, à Nice, au début du mois de juin, la troisième conférence des Nations unies sur l’océan. Elle sera l’occasion de mettre sous les projecteurs la filière de la pêche côtière artisanale française.
Cette activité est un pilier pour les territoires littoraux. Elle contribue à notre souveraineté alimentaire et représente un savoir-faire précieux. Pourtant, les acteurs de la filière sont inquiets. Ils sont confrontés à de multiples difficultés. Ils appréhendent la perspective d’une interdiction totale du chalutage dans les aires marines protégées, les zones de protection forte et la bande côtière des 3 milles nautiques. Ces mesures, décidées sans concertation, créeraient une distorsion de concurrence au profit des produits importés. C’est tout simplement inacceptable : les normes sociales et environnementales des produits importés sont bien moindres que celles qui pèsent sur les produits issus de la pêche côtière française.
Il n’est pas question de mettre en cause les impératifs de protection de la biodiversité et des ressources halieutiques. Au contraire, il convient d’appliquer une protection efficace. Cela doit se faire avec ceux qui vivent de la mer.
Dans quelques jours, tous les regards seront tournés vers la France. Pouvez-vous rassurer nos pêcheurs côtiers et leurs familles, nos mareyeurs et nos criées ? Pouvez-vous prendre l’engagement de trouver un équilibre entre la protection des ressources et la viabilité économique de la filière, ainsi que de prendre en considération le travail de concertation mené avec les acteurs concernés sur terre comme en mer ?
Des mesures arbitraires, déconnectées des réalités du terrain, n’auraient d’autre conséquence que l’effacement d’une filière tout entière, une filière qui participe à notre souveraineté alimentaire durable ainsi qu’au dynamisme de nos territoires, du fait de ses nombreux emplois non délocalisables. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche
Merci de me donner l’occasion, deux semaines avant le début de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, à Nice, d’exprimer mon soutien aux pêcheurs. Je travaille quotidiennement avec eux et, oui, j’entends leurs craintes ; je peux vous assurer qu’aucune décision ne sera prise sans concertation – je tiens à les rassurer. En tant que ministre chargée de la pêche et de la biodiversité, mon ambition est claire : défendre une pêche durable, défendre le travail de nos pêcheurs, défendre notre souveraineté alimentaire.
C’est ce que je fais d’arrache-pied depuis plusieurs mois. Je l’ai fait à l’échelon européen, en obtenant que nos pêcheurs aient un accès acquis aux eaux britanniques dans les conditions actuelles jusqu’en 2038. Ce droit était menacé, il a été sécurisé : c’est autant de stabilité et de visibilité pour nos pêcheurs.
Je l’ai fait à la suite de la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne, en obtenant de la Commission européenne que soit sécurisé un soutien aux pêcheurs, cette enveloppe de 20 millions d’euros étant déployée avec deux mois d’avance par rapport au programme, et en m’efforçant de convaincre la Commission que nous devions réautoriser la pêche en combinant protection des cétacés et défense de l’activité qui fait vivre les professionnels.
La Conférence des Nations unies sera l’occasion de faire entendre une voix forte contre la pêche illégale – une pêche massive, structurée, parfois soutenue par des États qui détournent les yeux. Elle fait beaucoup de mal à nos pêcheurs – je pense notamment aux pêcheurs guyanais. La pêche illégale représente dix fois la totalité de la pêche française. Là est le véritable ennemi.
Enfin, s’agissant des aires marines protégées, nous tiendrons les engagements qu’avait pris le président de la République…
M. Pierre Cordier
Oh, les engagements d’Emmanuel Macron…
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…en matière de renforcement de la biodiversité. C’est bon pour la ressource halieutique ainsi que pour les pêcheurs. Nous le faisons en concertation avec les scientifiques, les pêcheurs et les associations environnementales. Ils savent qu’ils peuvent compter sur moi.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Michel Brard.
M. Jean-Michel Brard
Je confirme que les familles des marins-pêcheurs comptent sur vous, et sur nous tous, pour défendre la consommation du poisson français. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
Nous avons terminé les questions au gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures quarante.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
3.
Accompagnement et soins palliatifs
-
Droit à l’aide à mourir
Votes solennels
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les explications de vote communes et les votes par scrutin public sur la proposition de loi visant à garantir l’égal accès de tous à l’accompagnement et aux soins palliatifs (nos 1102, 1281) et sur la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir (nos 1100, 1364).
Je rappelle que la conférence des présidents a décidé que ces deux votes seraient précédés d’explications de vote communes.
Avant d’en venir à ces explications de vote, je tenais à saluer la qualité des échanges qui ont eu lieu dans cet hémicycle quinze jours durant. Près de cent heures de débat ont été consacrées à l’examen de ces deux textes ; près de 2 500 amendements ont été examinés. Comme en commission, le débat a été exigeant, digne et respectueux des convictions de chacun. Les Français l’ont vu et ils nous le disent.
J’adresse mes remerciements à tous les groupes politiques pour le bon déroulement de nos travaux, aux vice-présidents qui se sont succédé au perchoir, au président de la commission des affaires sociales, à l’équipe des rapporteurs et du rapporteur général, et bien sûr à vous, madame la ministre Catherine Vautrin. L’Assemblée nationale s’est élevée à la hauteur des enjeux ; elle s’est honorée. Nous le devions aux Français. (Applaudissements sur divers bancs.)
Explications de vote communes
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Vigier.
M. Philippe Vigier (Dem)
C’est avec humilité que je m’exprime sur ces textes au nom du groupe Démocrate, à la demande de notre président, Marc Fesneau. Je tiens d’emblée à le dire : tous les députés démocrates voteront en faveur de la proposition de loi qui permettra de pourvoir tout le territoire français en soins palliatifs et d’accompagnement, madame la ministre ; une grande majorité d’entre eux votera pour la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir, quelques-uns voteront contre, d’autres ont choisi de s’abstenir. Tous sont respectables dans leur choix et je porterai leur parole. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs du groupe EPR. – Mme Justine Gruet applaudit également.)
Comme l’a rappelé Mme la présidente, dont je salue l’implication, après ces quatre semaines de discussions – deux en commission, deux en séance publique –, nous sommes fiers d’être parlementaires. Le débat a été apaisé, argument contre argument. Je remercie le rapporteur général qui, avec humilité, enthousiasme et pondération, a su élever le débat au niveau où il devait l’être. Je remercie le président de la commission des affaires sociales, dont je n’oublie pas les interventions à plusieurs moments. Je vous remercie aussi, madame la ministre. Nous avons en partage, tous les deux, d’avoir cheminé, d’avoir évolué. La concision de vos réponses et votre volonté constante d’introduire des précisions grâce aux amendements gouvernementaux ont contribué à la qualité de nos débats.
Sur nombre de sujets sociétaux, l’autorisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), l’abolition de la peine de mort, l’autorisation de la procréation médicalement assistée (PMA), le mariage pour tous, les échanges en ce lieu n’étaient pas apaisés, ils ne l’ont pas été davantage lors de l’examen de la loi Claeys-Leonetti – j’ai lu les comptes rendus des débats de l’époque. Nous avions un devoir, celui d’être collectivement à la hauteur. Nous l’avons été, pour les malades d’abord, qui nous écoutent, qui nous regardent et dont certains, dans l’impasse, attendaient ce nouveau droit, pour les soignants, cette communauté généreuse, professionnelle, que nous avons applaudie pendant l’épidémie de covid, en particulier ceux qui, comme le dirait ma collègue Blandine Brocard, accompagnent les patients « jusqu’au bout de [leur] vie ».
Plusieurs textes ont ponctué notre cheminement sur ces questions : la proposition de loi relative au droit de vivre sa mort du sénateur Caillavet, la loi Kouchner, relative aux droits des malades, la loi Leonetti qui visait – il y a vingt ans déjà – à mettre un terme à « l’obstination déraisonnable n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». Ce texte envisageait déjà la situation des personnes « en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable » dont on ne peut soulager les souffrances qu’en leur appliquant « un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger [la] vie » – autrement dit, de hâter la mort.
En 2016, une nouvelle étape a été franchie avec la loi Claeys-Leonetti, qui avait été votée à l’Assemblée avant d’être totalement démantelée au Sénat ; il a fallu trouver un équilibre lorsqu’elle est revenue dans l’hémicycle. Un droit nouveau a été alors créé, je cite Jean Léonetti, « le droit du malade de dire : lorsque je souffre trop […], je demande, si je le souhaite, qu’on arrête et qu’on m’endorme pour que la mort survienne dans mon sommeil ».
Le fait que certains d’entre nous aient voté contre la loi Claeys-Leonetti ne les a pas empêchés de se faire les ambassadeurs du droit à l’aide à mourir ces derniers jours. C’est bien la preuve que chacun peut évoluer au cours de sa vie ! (Mme Sandrine Rousseau applaudit.)
S’agissant de l’accompagnement et des soins palliatifs, vous serez, madame la ministre, celle qui aura enfin permis, grâce à la stratégie décennale, de remédier à ce que nous avons tous dénoncé : vingt et un départements sont dépourvus d’unités de soins palliatifs ; 50 % des Français ne peuvent accéder à ces services. Mais permettez-moi de réitérer encore une fois une demande : la médecine palliative doit devenir une discipline universitaire reconnue, sans quoi la filière peinera à attirer les médecins. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. Karl Olive applaudit également.) Osons avoir cette ambition et défendons-la ! De même, faisons valoir la nécessité de sensibiliser l’ensemble des soignants en introduisant une formation aux soins palliatifs et à la fin de vie non seulement dans les études de médecine, mais aussi dans les cursus d’infirmiers et d’aides-soignants.
Quant à la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir, son histoire a commencé ici même, il y a quatre ans, avec l’examen en première lecture de la proposition de loi donnant le droit à une fin de vie libre et choisie – qui s’est interrompu le premier jour, après l’adoption de l’article 1er. Son parcours s’est poursuivi avec le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, adopté par la commission spéciale, dont l’examen en séance publique a malheureusement pris fin avec la dissolution.
L’année 2025 marque donc une renaissance : 240 députés, issus de tous les bancs, ont signé la proposition de loi relative à la fin de vie, nourrie du formidable travail de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Regardez encore une fois ce qu’ont accompli ces citoyens : c’est un exemple dont il faut s’inspirer ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. Roland Lescure applaudit également.) On a tendance à l’oublier et il n’est pas souvent cité, mais je voulais aussi mentionner le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui nous a dit deux choses : débrouillez-vous pour qu’il y ait des soins palliatifs pour tous ; faites en sorte d’ouvrir une voie éthique pour l’application de l’aide à mourir. Nous sommes ici au rendez-vous !
Alors, que permettra cette nouvelle loi ? Elle donnera d’abord à des hommes et à des femmes le droit de bénéficier d’une aide à mourir : c’est un droit en plus, pas un droit en moins ! Les patients atteints de la maladie de Charcot ne sont pas les seuls concernés ; je pense aussi à ceux qui souffrent de cancers à tumeurs multiples, pour lesquels l’impasse thérapeutique est totale. Ce texte est équilibré, solide, il définit cinq critères cumulatifs et s’appuie sur un mot : le discernement. Quiconque a perdu son discernement ne pourra accéder à l’aide à mourir, a contrario des dispositions de la loi Claeys-Léonetti – je vous renvoie aux propos de Jean Leonetti qui expliquait qu’un patient ayant perdu son discernement pourrait bénéficier, au travers des soins palliatifs, de la sédation profonde et continue jusqu’à la mort.
M. Philippe Vigier
Le texte prévoit que le patient réitère sa demande d’accéder à l’aide à mourir et la collégialité de la procédure a été renforcée par l’adoption de plusieurs amendements. Je le dis donc avec force : non, les résidents des Ehpad, s’ils ne remplissent pas les cinq conditions, ne pourront accéder à l’aide à mourir ; non, les enfants ne sont pas concernés ; pas plus que les handicapés – je le dis à Perrine Goulet –, que les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou d’une affection psychiatrique, dès lors qu’elles ont perdu leur discernement !
J’ajoute que les professionnels de santé sont protégés. Notre collègue Geneviève Darrieussecq a beaucoup insisté sur cette question, en particulier sur la clause de conscience. Tous les soignants peuvent la faire jouer. Je sais, chers collègues, que certains parmi vous souhaiteraient insister davantage sur le volontariat. Nous en reparlerons lors de la navette et je suis persuadé que nous trouverons ensemble une voie de passage.
Quant aux directives anticipées, elles n’ont pas été intégrées au texte. C’est ce qui lui a permis de garder son équilibre et j’en remercie encore Olivier Falorni ! Nous voulions éviter que l’aide à mourir puisse faire partie d’un projet de vie ; elle ne pourra donc pas être demandée dans des directives anticipées.
« On a bougé sur rien », ai-je entendu. Ce n’est pas vrai ! Nous avons bougé sur la collégialité, sur les soins palliatifs – qui continueront d’être proposés jusqu’au bout – ou encore sur la définition des notions de « pronostic vital engagé à moyen terme » et d’« affection en phase avancée ou terminale », pour lesquelles nous avons repris les mots de la Haute Autorité de santé (HAS).
Ensuite, voilà enfin un acte médical – je le dis aux collègues médecins – qui fera l’objet d’une vraie évaluation ! Elle sera faite a posteriori, certes, mais vous connaissez des actes médicaux évalués a priori ? Non ! En revanche, l’évaluation a posteriori permettra de corriger toute dérive éventuelle.
Par ailleurs, le délit d’entrave à l’aide à mourir a été calqué à l’identique sur celui qui avait été introduit pour l’IVG.
Je tiens enfin à m’adresser aux collègues qui s’opposent au texte. Il faut respecter leur pensée et je sais que pour eux, ce n’est pas une loi d’humanité ni de fraternité. Chacun son chemin ; chacun jugera en son âme et conscience. Dans notre groupe, la liberté de vote prévaut, vous l’avez compris. Nous avons essayé de légiférer sérieusement, en ayant une pensée affectueuse pour celles et ceux qui nous regardent, afin d’ouvrir un nouveau chemin dans lequel le respect est présent à tout instant. C’est avec une immense humilité que nous l’avons fait et nous serons toujours prêts, si jamais des dérives se font jour par rapport au texte que nous nous apprêtons à voter, à les corriger. Connaissez-vous beaucoup d’actes médicaux pour lesquels, lorsqu’une dérive a été constatée, il est possible de saisir soit le procureur de la République, soit les ordres des professions de santé ?
La liberté de vote, chez nous, est donc la règle, mais nous soutiendrons majoritairement ce nouveau droit. Merci à ceux qui en ont été les artisans – ils ont fait preuve de détermination, d’équilibre et de solidité – et, une nouvelle fois, à Olivier Falorni. Chacun va se déterminer en conscience dans quelques minutes mais quoi qu’il arrive, je suis convaincu que nous avons donné une belle image de l’Assemblée. Surtout, nous avons apporté une vraie réponse à nos malades. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs des groupes EPR, LFI-NFP, SOC, EcoS, LIOT et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR)
Après plus de quatre-vingts heures de débat en commission des affaires sociales et plus de quatre-vingt-dix heures de discussion en séance publique, rarement, dans l’histoire récente de cette assemblée, un sujet aussi grave aura été traité avec autant de respect et d’écoute. Ce fut un débat habité non seulement par des opinions ou des convictions mais par la vie même – sa beauté, sa finitude et ce que nous devons à celles et ceux qui s’apprêtent à la quitter.
C’est donc avec des sentiments mêlés, entre humilité, responsabilité, sincérité et émotion, que je m’exprime devant vous, mais également avec une profonde reconnaissance envers le président de la République, qui a lancé les travaux de la Convention citoyenne en septembre 2022, suite à l’avis no 139 du Comité consultatif national d’éthique. Je veux donc aussi rendre hommage aux 184 conventionnels – beaucoup sont présents dans les tribunes – et à tous les acteurs ayant contribué à la rédaction des textes initiaux qui nous ont permis de mener ces travaux jusqu’à leur terme.
Notre groupe votera tout à l’heure en faveur de la proposition de loi relative à l’accompagnement et aux soins palliatifs. Celle-ci fait donc l’objet d’un consensus précieux, fruit d’un travail largement transpartisan, enrichi par les apports de tous les groupes. En séance publique, le texte a été clarifié sans que jamais ne soit diluée son ambition première : faire en sorte que chacun, où qu’il soit sur notre territoire, puisse accéder à des soins palliatifs dignes de ce nom. En reconnaissant le rôle décisif des équipes mobiles, en instituant les maisons d’accompagnement, en créant le plan d’accompagnement personnalisé (PAP), ce texte, couplé à la stratégie décennale, répare, protège et entoure. Il n’offre pas de miracles mais il vise à ce qu’à l’avenir, personne ne puisse dire : « je souffre parce que la République ne tient pas sa promesse. » Permettez-moi, à ce stade, de rendre hommage à l’ensemble des professionnels de santé intervenant dans ces unités de soins palliatifs et plus généralement dans tous les services de soins palliatifs.
S’agissant de la proposition de loi instaurant une aide à mourir, je m’exprimerai cette fois à titre personnel car il n’y a pas de position unanime dans notre groupe, ce qui est légitime car ce texte touche à l’intime de chacun. Pour ma part, je le voterai. Je le voterai car il ne sacralise pas une idéologie et n’ouvre pas une liberté sans garde-fous : il propose un chemin balisé, exigeant, réfléchi. Il ne cède pas à la facilité ; au contraire, il assume l’extrême complexité de certaines situations de fin de vie. Il forme, avec les soins palliatifs et l’accompagnement du malade et de son entourage, le modèle français de la fin de vie. Oui, nous devons entendre la détresse de ceux qui, même entourés, même soignés, ne peuvent plus vivre ce qui n’est plus pour eux qu’une lente agonie. Oui, nous devons affirmer que nul ne peut décider à la place de celui qui souffre.
Mais nous devons également protéger ce choix, le borner, en garantir la liberté. C’est précisément ce que la séance publique a permis de retrouver. Comme le recommandait Montesquieu, nous avons légiféré avec la main qui tremble. Merci à vous, madame la ministre ; merci aux rapporteurs, à Annie Vidal et à Olivier Falorni.
Grâce aux amendements du gouvernement et de plusieurs députés de mon groupe, des modifications décisives ont été apportées et les conditions d’accès ont été resserrées. La notion de « phase avancée » a été clarifiée. Les souffrances psychologiques isolées ont été expressément exclues. La capacité à exprimer une volonté libre et éclairée a été réaffirmée comme un préalable indiscutable. La procédure collégiale a été renforcée, exigeant une concertation en présentiel entre médecins et soignants. Les délais de réflexion ont été confortés.
Enfin, la question de l’administration de la substance létale a été remise à sa juste place. La séance publique a rétabli la version initiale : la personne s’administre la substance létale ou, « lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder », elle peut y être aidée par un médecin ou par un infirmier. Ce compromis respecte la volonté du patient jusqu’à la fin mais aussi celle du soignant, qui peut choisir de l’accompagner jusqu’au bout. Nous avons ainsi tenu bond sur cette ligne de crête et je formule le vœu que le Sénat trouve lui aussi, à sa manière, la voie pour maintenir cet équilibre à mes yeux nécessaire. Cette loi est faite pour les malades, rien que pour les malades.
Pour finir, je dirai que l’aide à mourir n’est ni de gauche ni de droite et que sur ce sujet plus que tout autre, nul ne peut s’ériger en détenteur exclusif de la morale. Nul ne peut revendiquer la notion de bon ou de mauvais accompagnement de la fin de vie. Il y a dans cet hémicycle des hommes et des femmes qui sont tous élus du peuple, mais chacun a ses doutes, ses convictions, ses blessures propres. Et parce que nous avons accepté cela, parce que nous avons écouté plus que nous n’avons accusé, nous avons pu faire ensemble ce que le Parlement peut faire de plus grand : donner à la loi un visage humain.
Je voterai donc en conscience ces deux textes et j’ai la conviction qu’ils nous honorent, non parce qu’ils règlent toutes les douleurs mais parce qu’ils reconnaissent que parfois, dans des situations inextricables, la liberté est la seule forme de consolation que la République peut encore offrir. Nous le devons aux malades. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Panifous.
M. Laurent Panifous (LIOT)
Je crois qu’un pays qui, à travers sa représentation, a le courage de regarder en face la réalité de la fin de vie en tenant compte des différentes sensibilités, mérite le respect. Aborder avec lucidité les conditions dans lesquelles meurent nos citoyens : voilà à quoi nous nous sommes attelés ces dernières semaines, poursuivant le long travail que nous avions mené et qui avait malheureusement été brutalement interrompu par la dissolution il y a un an.
Les débats qui ont eu lieu n’ont pas opposé ceux qui avaient raison et ceux qui avaient tort. Les votes et les positions qui s’exprimeront aujourd’hui sont toutes respectables et je ne serais pas surpris d’apprendre qu’à quelques minutes d’un vote aussi important – aussi engageant –, certains ici présents doutent et hésitent encore.
Beaucoup ont dit être pris de vertiges à l’idée de légiférer sur la fin de vie, à raison. Sans doute n’existe-t-il rien de plus terrifiant, de plus mystérieux, de plus vertigineux que la mort – la nôtre, celle de nos proches, celle de ceux avec qui nous faisons société. Mais ne nous y trompons pas : nous ne légiférons pas sur la mort, pas plus que nous créons un « droit à mourir », comme j’ai pu l’entendre. Nous ne légiférons pas non plus sur le choix de mourir.
Nous légiférons sur l’accompagnement que la société est prête à fournir à ceux pour qui la guérison n’est plus possible, sans jamais faiblir dans nos efforts pour les soigner et apaiser leurs souffrances. Il ne s’agit pas de précipiter la mort, ni de faire de celle-ci un choix inéluctable ou, pire, forcé. Surtout, il ne s’agit pas de pallier un défaut d’accès aux soins palliatifs. Au contraire, le fait d’aborder ensemble la question des soins palliatifs et celle de l’aide à mourir présentait un intérêt : rappeler que ceux-ci et celle-là sont complémentaires et concourent à l’objectif commun d’accompagner la fin de vie dans le respect des besoins et des souhaits des personnes.
Le préalable à nos discussions était, bien sûr, de rappeler la nécessité de renforcer les soins palliatifs partout sur le territoire. Si notre groupe soutient la première proposition de loi, il est essentiel de rappeler que l’accès universel et garanti à l’accompagnement et aux soins palliatifs ne saurait être réduit à ce texte, puisqu’il s’inscrit dans un cadre plus large, celui de la stratégie décennale présentée par le gouvernement. Celle-ci prévoit le développement et le renforcement des structures, ce qui implique des investissements importants, à la fois humains et financiers. Les ambitions affichées doivent désormais se traduire en actes et en engagements concrets.
La création des maisons d’accompagnement constitue une avancée importante. Ces structures intermédiaires répondront aux besoins spécifiques de celles et ceux qui ne peuvent plus rester chez eux. Elles offriront aussi un espace de répit, d’écoute et de soutien, à la croisée de l’humain et du soin.
Je veux exprimer un immense regret : la suppression de l’article 8, relatif à la formation des professionnels de santé.
M. Hadrien Clouet
C’est vrai !
M. Laurent Panifous
Alors même qu’il y a un consensus pour dénoncer l’absence de culture palliative à tous les échelons de notre système de santé (M. Hadrien Clouet applaudit), nous ne pouvons que déplorer la suppression de cet article, sous prétexte qu’un amendement relatif à la création, dans ladite formation, d’un volet « aide à mourir » avait été adopté. Je le regrette d’autant plus que notre groupe avait obtenu la création d’un diplôme d’études spécialisées (DES) en médecine palliative. Celui-ci est indispensable non seulement pour structurer la filière universitaire et valoriser cette spécialité, mais également pour améliorer la recherche.
Nous comptons sur l’engagement du gouvernement pour concrétiser cet objectif inscrit dans la stratégie décennale, ainsi que tous les autres. Nous serons également vigilants sur l’engagement pris par le gouvernement d’associer les territoires ultramarins, notamment Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon et la Polynésie Française, à la transposition par ordonnance des dispositions prévues.
Ce préalable étant posé, force est de constater qu’il existe malheureusement des situations où les soins palliatifs ne suffisent pas, ne répondent pas – ou plus – aux besoins et à la volonté des personnes. Pour ces quelques cas, l’aide à mourir est une manière de sortir de l’impasse dans laquelle se trouvent les personnes, condamnées à poursuivre une vie qu’elles ne considèrent déjà plus comme la leur.
J’ai eu l’honneur de corapporter la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir. Permettez-moi d’en remercier mon groupe – Libertés, indépendants, outre-mer et territoires – qui, en dépit des positions parfois prudentes de ses membres, m’a permis de m’engager pleinement dans cette démarche. Je remercie aussi, pour leur confiance, la commission des affaires sociales et le rapporteur général Olivier Falorni. Je remercie mes collègues corapporteurs, les administrateurs de la commission et les conseillers avec qui j’ai travaillé. Enfin, je vous remercie toutes et tous pour l’engagement qui a été le vôtre au service de vos convictions.
J’ai cherché à faire ce travail avec le plus d’humilité possible, face à ce sujet qui nous dépasse. Mais cette humilité ne doit nous empêcher ni d’agir ni de légiférer. Car l’humilité, c’est aussi reconnaître que la médecine et les hommes ne peuvent pas tout, que les protocoles de soins ne permettent pas toujours de soulager. C’est aussi admettre que ce que nous ne souhaitons pas pour nous-mêmes, nous n’avons pas à l’interdire à ceux qui en ressentent le besoin.
La proposition de loi sort enrichie de nos débats : le droit que nous nous apprêtons à créer est très encadré, par des critères d’accès stricts et par une procédure qui place au centre de la décision un collège de professionnels de santé. Cette sécurisation de la procédure correspond à nos échanges et aux inquiétudes exprimées sur de nombreux bancs. En ma qualité de corapporteur, je m’étais engagé devant vous en commission à ce que nos débats puissent éclairer ceux qui se questionnent encore ; j’espère avoir tenu cet engagement.
Au sein de mon groupe, la liberté de vote sera bien évidemment la règle. Pour ma part, je crois profondément que notre société se grandit à accompagner les choix des personnes dans cette ultime étape de leur vie. Il n’y a aucun euphémisme ni aucune hypocrisie derrière le terme et la notion d’aide à mourir. Au contraire, c’est un engagement : celui de la société à ne pas abandonner à la douleur et à la solitude celles et ceux qui souffrent trop, sans espoir de guérison.
L’aide à mourir, telle qu’elle est conçue dans ce texte, n’est pas un acte d’orgueil. Elle ne relève ni de l’abandon médical, ni d’un droit sans limite à disposer de la vie. Je crois au contraire que c’est un acte d’humilité et de lucidité consistant à reconnaître que, parfois, la main la plus compatissante n’est plus celle qui soigne, mais celle qui accepte de laisser partir, et qui accompagne. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur plusieurs bancs des groupes EPR, SOC et Dem. – M. Olivier Falorni, rapporteur général, et M. Frédéric Maillot applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet (GDR)
Après douze jours de débat dans cet hémicycle est venu le moment de nous prononcer sur la proposition de loi visant à garantir un égal accès de tous à l’accompagnement et aux soins palliatifs et sur celle relative au droit à l’aide à mourir. Ces douze jours n’ont certes pas épuisé les débats. Pour ce qui me concerne, ils ont même parfois soulevé de nouvelles interrogations ou suspendu mon jugement sur un sujet qui me paraissait pourtant acquis. Mais ils ont aussi su conforter des avis et des convictions sur l’un comme sur l’autre texte. Cela me paraît bien naturel, et même rassurant, au regard de la charge que nous avons ici collectivement acceptée, celle d’inscrire dans la loi d’une part une ambition nouvelle pour l’accès aux soins palliatifs, d’autre part un nouveau droit, celui de l’aide à mourir, en trouvant pour celui-ci la voie la plus sage.
Les dispositions du premier texte et son titre même – je le cite de nouveau : « proposition de loi visant à garantir un égal accès de tous à l’accompagnement et aux soins palliatifs » – ne doivent pas demeurer déclaratifs. Ce titre traduit une ambition sans précédent, qui exige de ce gouvernement et de ceux qui lui succéderont un engagement de rupture non seulement en matière d’accès aux soins palliatifs, mais aussi, plus fondamentalement, quant à notre système de santé dans son ensemble. L’accompagnement et les soins palliatifs s’inscrivent dans une prise en charge globale de la personne malade et de son entourage.
Devant le retard colossal et insupportable de notre pays en matière d’accès aux soins palliatifs, doublé d’inégalités territoriales intolérables, nous avons souhaité que l’accès à ces soins soit désormais un droit opposable. Nous avons décidé de mettre en place des plans personnalisés d’accompagnement pour assurer un meilleur suivi global du patient. Nous avons décidé de créer de nouveaux établissements médico-sociaux publics : les maisons d’accompagnement. C’était un maillon manquant et pourtant indispensable pour des malades qui ne peuvent demeurer à domicile sans toutefois que leur état nécessite une hospitalisation.
Ces dispositions ne sont pas du luxe. Elles sont toutes amplement justifiées, depuis de longues années déjà, par les besoins des personnes malades et de leur entourage ainsi que par le déficit de moyens dont souffrent les soignants. Mais ces dispositions n’auront aucune traduction concrète si la volonté politique qui les soutient n’est pas celle qui, dans un seul et même geste, vise à réparer l’ensemble de notre système de soins. Lors de l’examen des prochaines lois de finances, le gouvernement ne pourra pas se tenir debout devant nous, ici même, si sa volonté est encore et toujours de réduire les moyens alloués à notre système de santé, aux hôpitaux ou à la revalorisation salariale des soignants. Je veux croire que, si les membres de la commission des affaires sociales ont adopté ces dispositions à l’unanimité, tous groupes politiques confondus, ce n’est ni par complaisance ni par légèreté. En votant cette proposition de loi, chaque député, de même que chaque groupe politique, sait quelles obligations ce texte impose, la plus importante étant celle de réinvestir dans une politique de santé publique en partant des besoins des soignants et des patients.
C’est cette ambition qui, demain, devra collectivement nous guider dans nos travaux sur le devenir de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam), sur la définition d’un budget de la sécurité sociale, sur un renforcement de notre système de sécurité sociale. Nous l’avons vu au cours de nos débats, la notion de loi de programmation pluriannuelle fait son chemin sur les bancs de cette assemblée. Celle qui est prévue pour les soins palliatifs ne doit pas rester lettre morte. Bien davantage, son principe doit irriguer nos prochains débats budgétaires.
C’est mû par cette conviction et avec le sentiment que ce texte doit bousculer les politiques d’austérité en matière de santé publique que le groupe des députés communistes et des territoires dits d’outre-mer votera en faveur de cette première proposition de loi. À titre personnel, je la voterai aussi car la création d’un droit à l’aide à mourir ne peut être envisagée sereinement sans la garantie d’un droit opposable à l’accompagnement et aux soins palliatifs. Mme la ministre l’a elle-même rappelé lors de notre dernière séance à ce sujet dans l’hémicycle : le recours à l’aide à mourir ne peut être un acte par défaut d’accès aux soins palliatifs. (Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles acquiesce.) C’est en cela que, même si nous les avons examinées séparément, les deux propositions de loi sont indéfectiblement liées. Sans un changement radical de notre appréciation de l’accès aux soins et de son financement, l’aide à mourir ne trouvera pas sa justification en tant que droit.
Dès l’examen en commission, j’ai défendu l’idée que l’aide à mourir devait être non pas un dispositif, mais un droit, strictement encadré et conditionné. En effet, ce qui nous a conduits à légiférer sur l’aide à mourir, c’est la persistance de situations dans lesquelles des personnes atteintes d’une maladie incurable présentent des souffrances qui ne peuvent être soulagées par aucun soin et pour lesquelles la sédation profonde et continue n’est pas accessible. Dans ce contexte, envisager l’aide à mourir comme un droit, c’est garantir dans la loi l’accès à une mesure d’exception, d’ultime recours, protectrice à la fois pour la personne qui demande et pour les soignants qui devront l’accompagner.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre, ce droit ne consacre pas la liberté de choisir sa mort. Il garantit à des personnes de pouvoir mettre un terme à des souffrances contre lesquelles la médecine ne peut plus rien ou contre lesquelles la personne a fait le choix, en toute conscience et volontairement, de ne plus suivre de traitement. C’est sur ce point que, ces dernières semaines, nous avons grandement affiné ce que nous attendions de l’aide à mourir. Après nos débats sur l’horizon temporel du diagnostic vital engagé et sur la notion de stade avancé d’une maladie, à la lumière notamment du dernier avis de la Haute Autorité de santé (HAS), nous avons arrêté un choix : prendre davantage en considération la qualité de vie de la personne atteinte d’une maladie incurable que le temps qui lui reste à vivre, celui-ci étant, par nature, bien souvent incertain.
Ce choix de privilégier la qualité de vie de la personne malade prise au piège de souffrances réfractaires est l’élément fondateur du droit à l’aide à mourir. C’est un choix qui bouscule et même, sans doute, brutalise notre perception de la fin de vie : au fond, nous souhaiterions tous que la médecine puisse tout jusqu’au bout et que la volonté de vivre l’emporte en toute situation. Je considère donc comme tout à fait inopportun de réduire la discussion sur la création de ce droit à une opposition entre les progressistes qui seraient pour et les conservateurs qui seraient contre.
Quand l’ordre établi est bousculé, l’instinct commande de le préserver. Quand nous, législateurs, bousculons l’ordre des choses, notre responsabilité nous commande d’agir avec prudence, en entendant les voix qui nous interpellent sur le déséquilibre que notre geste induit nécessairement. C’est pourquoi, au moment d’exprimer mon vote, je demeure attentif aux réticences exprimées par certains collègues de mon groupe ou d’autres groupes, plusieurs signifiant même leur refus de créer un droit à l’aide à mourir.
En tout état de cause, je pense sincèrement que, pour que chacun d’entre nous puisse apprécier la création de ce droit de manière libre et éclairée – je reprends là une expression qui nous a longuement préoccupés au cours de nos débats –, il faut impérativement éviter de jouer avec les ressorts du sensationnel, de la culpabilité et du clivage sans nuances. Ce texte est un texte de cheminement, dont la finalité et les modalités s’éclairent à mesure que l’on avance. J’ai dit précédemment où se situait, de mon point de vue, l’avancée majeure de nos derniers débats. Il y en a eu bien d’autres entre la commission et la séance : nous avons abouti à une évaluation collégiale de la demande d’aide à mourir ; nous avons mieux encadré les délais de réflexion de la personne malade et ceux de la réévaluation de sa demande ; nous avons décidé de ne pas confondre aide à mourir et mort naturelle – ce faisant, nous avons fait le choix de ne pas cacher et d’affirmer dans la transparence le caractère exceptionnel de cette modalité de mourir.
Pour ma part, je regrette qu’ait été rétablie l’exception d’euthanasie, l’administration de la substance létale par un médecin ou un infirmier étant conditionnée à l’incapacité physique de la personne à se l’autoadministrer. En effet, il me semble que le droit à l’aide à mourir doit être garanti à tous sans distinction, y compris donc à ceux qui n’ont pas la force psychologique d’accomplir eux-mêmes cet acte. Je regrette par ailleurs que la question d’un délit d’incitation n’ait pas pu être examinée autrement : avec moins de véhémence et avec plus de sérieux. Néanmoins, à l’issue de cette première lecture, j’ai le sentiment que nous avons réussi à définir le point d’ancrage du droit à l’aide à mourir et les restrictions qui doivent l’encadrer et le soutenir pour qu’il soit une réponse exceptionnelle à une demande exceptionnelle.
À cet instant je tiens à rendre hommage aux membres du personnel soignant en soins palliatifs qui, pour un certain nombre, sont opposés à l’aide à mourir. Véritable cheville ouvrière de l’aide à vivre et à vivre dans la dignité, ils et elles craignent que ce nouveau droit ne devienne la marque d’une société élitiste et validiste, venant obstruer leur quotidien professionnel. Je considère qu’ils et elles doivent poursuivre leur combat de véritables lanceurs d’alerte contre une société qui aurait la tentation d’écarter les plus faibles et les plus fragiles. Même si j’estime que le texte actuel nous protège de ces écueils, le plus sûr moyen de s’en écarter est de continuer à entendre et à respecter les oppositions.
Au demeurant, les débats ne sont pas finis : les deux propositions de loi issues de nos travaux seront examinées par les sénateurs ; elles nous reviendront peut-être même en deuxième lecture. Par chance – compte tenu de ce que j’ai indiqué au début de mon intervention –, cette période sera celle des lois de finance. Nous aurons alors la possibilité de reprendre nos débats et d’affirmer une volonté politique qui sera, je l’espère, à la hauteur de l’ambition de ces deux propositions de loi : la création d’un droit opposable aux soins palliatifs et la création d’un droit à l’aide à mourir.
Pour ma part, je voterai en faveur de chacun de ces deux textes, convaincu que la direction empruntée est la bonne, convaincu aussi qu’il faut ce vote aujourd’hui pour que se poursuive une construction éclairée de ces deux nouveaux droits. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR, sur plusieurs bancs du groupe SOC et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP, EPR, EcoS et Dem. – Mme Martine Froger applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Trébuchet.
M. Vincent Trébuchet (UDR)
La plus haute expression de la volonté nationale passe par le législateur. Pourquoi ? Car c’est de la conscience de ce dernier que sort la loi. En décrivant le rôle, mais aussi et surtout le devoir, qui est le nôtre, Victor écrivait en 1877 : « La conscience est la loi intérieure ».
Peu de votes, nous en conviendrons tous, mettront autant en jeu notre conscience que celui qui nous requiert dans quelques instants : permettre ou non accès à la mort choisie et provoquée. C’est dire la responsabilité immense qui pesait sur les débats qui ont occupé sur ces bancs une centaine d’entre nous durant quatre-vingt-dix heures. Si nous avons tous salué la bonne tenue formelle de ces discussions, l’on peut être courtois sans entendre, sans écouter vraiment l’autre, sans donner du prix à sa parole.
La parole que certains d’entre nous ont cherché à défendre est d’abord celle de nombreux philosophes, juristes, économistes, qui nous alertent sur la rupture à tous niveaux que constitue cette proposition de loi et sur les dérives qu’elle contient dans son principe même, lesquelles se manifestent à l’international. C’est surtout la parole des soignants engagés dans les soins palliatifs qui, depuis leur expérience au plus proche de la fin de vie – plutôt que par idéologie –, nous disent qu’un autre chemin est possible. C’est enfin la parole des nombreuses personnes malades ou handicapées qui, demain, seront éligibles à ce nouveau droit de demander la mort, et qui ont peur.
Cette parole, monsieur le rapporteur général, madame la ministre, vous ne l’avez pas véritablement entendue. Sur la quasi-totalité des amendements que nous avions déposés, vous avez donné un avis défavorable afin qu’ils soient rejetés. Ceux visant à renforcer la protection des personnes déficientes intellectuelles, souffrant d’autisme, sous protection juridique, ou incarcérés : rejetés. Ceux visant à élargir la clause de conscience aux pharmaciens chargés de préparer la substance létale, aux soignants prenant part indirectement à l’acte, ou aux établissements de soins palliatifs : rejetés. Ceux tendant à contrôler la décision au moyen d’une collégialité effective, d’un possible recours juridique préalable ou d’une consultation psychologique systématique : rejetés. Ceux tendant à interdire explicitement la publicité pour l’euthanasie et sa promotion sur les réseaux sociaux, ou visant à créer un délit d’incitation en miroir du délit d’entrave : rejetés. Ceux, enfin, destinés à obtenir un rapport relatif à l’impact financier de la proposition de loi sur la sécurité sociale, et surtout sur les mutuelles et leurs pratiques commerciales : rejetés. Dans cette constance à rejeter tout amendement qui ne viserait pas un élargissement pur et simple du droit au suicide assisté ou à l’euthanasie, il y a quelque chose qui interroge – quelle que soit la diversité des positions, y compris au sein du groupe UDR.
Si nous avons été collectivement incapables d’apporter à cette loi des garde-fous de bon sens, c’est peut-être que le courant était trop fort ; c’est peut-être que les raisons véritables de ne pas étendre ce droit, d’exception en exception, ne pouvaient que tomber une fois actée la transgression de l’interdit de tuer. L’Association pour le droit à mourir dans la dignité revendique clairement ce renversement éthique. Elle a joué un grand rôle dans l’élaboration du texte sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer. La chose est publique, monsieur le rapporteur général : vous êtes membre de son comité d’honneur. En 1985, Paul Chauvet, son président d’alors, déclarait : « L’ADMD fait le pari d’une société idéale constituée d’hommes et de femmes libres et responsables qui choisiront en toute lucidité le moment de mourir et posséderont les moyens de concrétiser leur désir […]. » Souhaitons-nous cette nouvelle culture euthanasique pour notre société ? « La pratique euthanasique, écrivait le professeur Sicard en 2012, intériorise des représentations sociétales négatives d’un certain nombre de situations de vieillesse, de maladie et de handicap ». J’ajouterai : a fortiori lorsque cette pratique se nomme, en un euphémisme mensonger, aide à mourir. Si on les aide à exercer ce nouveau droit auquel elles seront éligibles, combien de personnes en fin de vie, malades ou handicapées, pourraient y voir autre chose qu’un devoir – ne serait-ce que simplement suggéré – de mourir ?
La France a conquis, avant d’autres pays et de belle manière, de nouveaux droits. Celui-ci représenterait-il vraiment une avancée ? « Il y a quinze ans, me confiait un jeune médecin, au début de mon internat, l’euthanasie était monnaie courante dans certains services d’oncologie, mais l’arrivée de la culture palliative – du soin et de l’accompagnement jusqu’au bout – a rendu ces pratiques complètement caduques, jusqu’à disparaître complètement. » Allons-nous revenir en arrière, alors qu’il reste tant à faire ? Les soins palliatifs sont la promesse d’un non-abandon : il est temps d’honorer cette promesse à l’égard de tous les Français qui en sont privés. Victor Hugo écrivait qu’« en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli » ; alors votons unanimement la proposition de loi relative aux soins palliatifs.
Quant à celle sur l’aide à mourir, Victor Hugo nous aurait rappelé que « le législateur, en élaborant la loi, ne doit jamais perdre de vue l’abus qu’on peut en faire ». Considérant que ce texte est porteur de tels abus en son cœur même, une majorité de députés du groupe UDR votera contre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN. – MM. Alexandre Allegret-Pilot et Marc de Fleurian se lèvent et applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Bentz.
M. Christophe Bentz (RN)
Aider, accompagner, soigner, soulager, écouter, parler, comprendre, essayer, trouver, considérer, rassurer, partager, profiter, pleurer, cajoler, amuser, rêver, réconforter, toucher, adoucir, atténuer, respecter, espérer, sauver. J’ai une pensée émue pour tous les soignants et aidants de France qui, chaque jour, prennent en charge la douleur et sèchent les larmes de ceux que nous aimons. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN, dont plusieurs députés se lèvent, ainsi que sur les bancs du groupe UDR et sur quelques bancs du groupe DR. – Mme Maud Petit et MM. Philippe Vigier et Christophe Blanchet applaudissent également.) Nous devons répondre à la souffrance insupportable, être à la hauteur, accompagner et secourir, rendre le plus beau possible ce qui est toujours digne, rendre le plus doux possible ce qui est si précieux, tenir la main jusqu’au bout, être présent, se battre, prendre soin, aimer, faire vivre. L’accompagnement de la personne humaine par le soin jusqu’à sa mort naturelle est un trait essentiel de notre civilisation, le cœur encore battant de notre humanité. Parce que nous n’avons qu’une vie et qu’une seule dignité toute sa vie durant, jusqu’à la fin de celle-ci, nous opposons l’ultime secours à votre ultime recours.
Le suicide est toujours un drame humain, le choix individuel d’un renoncement, un cri de désespoir qui doit naturellement être entendu par la société. Qu’il soit assisté ou délégué, la responsabilité d’un suicide ne peut cependant pas reposer sur la société, ou alors elle doit tout entière en prendre la responsabilité : en s’exprimant par référendum.
La liberté de vote voulue par Marine Le Pen au sein du groupe Rassemblement national témoigne du respect de la conscience profonde de chacun, du respect de la conviction intime, mais c’est surtout un message d’espoir, caractérisé par les soins ultimes, par un soutien inconditionnel au progrès incommensurable que constituent les soins palliatifs – cette médecine du lien tellement humaine et finalement si vitale. À toutes les personnes malades, souffrantes, meurtries au plus profond d’elles-mêmes par la douleur, j’adresse mes pensées affectueuses, ma considération, ma solidarité. Je le dis avec la plus grande humilité : je n’ai cessé de penser à eux, sincèrement, chaque jour, ainsi qu’à l’amour que nous portons à l’humanité qui traverse toutes les douleurs de la fin de la vie, parfois dans de très grandes souffrances. À ces hommes et femmes qui cheminent vers l’au-delà et qui manqueront inéluctablement à l’humanité : sachez que vous êtes magnifiques, précieux, uniques. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Je veux leur dire à quel point je les admire, combien est grande leur dignité dans le combat contre la maladie, contre la douleur et les souffrances, combien est grande la dignitié de leurs tiraillements, entre renoncements et sursauts d’espoir, combien finalement est grande la dignité de leur combat pour la vie – parce que oui, la vie est un combat en plus d’être un don.
Durant toutes ces semaines d’examen du texte sur la mal nommée aide à mourir, j’ai cherché à quel moment la vie pouvait triompher, où demeurait une part d’espérance, de combat encore possible, de chance laissée à la vie. J’ai cherché, mais je n’ai pas trouvé. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN et UDR.) Pourtant, notre devoir est de protéger la fragilité humaine plutôt que de l’effacer ou de l’abandonner. Si la tendresse de l’aide ou de l’espoir ne suffit pas adoucir la dureté du combat contre la maladie et ses douleurs, défendons l’espoir du progrès avec les soins palliatifs, plutôt que le désespoir de l’échec avec le suicide encadré. Il s’agit finalement de prendre le bon chemin, dans le bon sens – celui choisi par la France –, plutôt que le sens de l’absence de sens ; de prendre le sens de la vie plutôt que le sens de l’histoire.
Le moment est grave. Vous pouvez être dans l’incertitude. Souhaitons que ce doute bénéfice aux principes de prudence et de priorité donnée à la vie, car notre responsabilité est immense : si vous entrouvrez la porte de l’abandon, chers collègues, elle ne se refermera plus jamais. (Mêmes mouvements.) La France est la nation du soin et doit le demeurer. Elle a inventé un modèle unique de soins, et rayonne dans le monde entier grâce à son modèle de santé et de protection de la personne humaine. La vocation sociale de la France consiste précisément à prendre soin des plus faibles, des plus fragiles, des plus vulnérables. Le monde entier admire la singularité de la France car elle montre un chemin différent. Elle doit rester la lumière des nations du monde. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN, dont la plupart des députés se lèvent, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Nicole Dubré-Chirat.
Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR)
Après deux semaines d’examen en séance sur les deux textes relatifs aux soins palliatifs et à la fin de vie, l’Assemblée se prononce aujourd’hui lors d’un vote solennel. Attendue par 85 % des Français, et par des soignants, la proposition de loi sur la fin de vie intervient dans la continuité et la complémentarité de la proposition de loi sur les soins palliatifs et d’accompagnement. Elle est défendue par notre collègue Olivier Falorni, dont je veux saluer l’engagement depuis une quinzaine d’années sur ce sujet. Je remercie aussi les corapporteurs Brigitte Liso, Élise Leboucher, Stéphane Delautrette et Laurent Panifous pour leur travail, ainsi que Mme la ministre pour sa présence et son appui.
Ce texte est la traduction concrète des travaux menés depuis longtemps sur cette question intime et complexe. Les débats successifs ont permis la rédaction d’un texte équilibré et solide, proposant un droit à l’aide à mourir. L’aide à mourir est avant tout une liberté qui n’enlève rien à personne : ce droit offre une possibilité, il propose une réponse à la demande du patient, dont l’éventuelle mise en œuvre est conditionnée par un choix qui lui appartient et que nous n’avons pas à juger. Ce droit repose sur un cadre juridique précis, avec des conditions rigoureuses et cumulatives, prévues par l’article 4, ainsi qu’une procédure très encadrée aux articles 5 à 13. Ces critères sont semblables et communs à ceux en vigueur dans d’autres pays qui pratiquent l’aide à mourir.
Les facteurs d’éligibilité sont les suivants : la majorité ; la nationalité ou la résidence en France ; l’affection, grave et incurable ; les douleurs réfractaires à tout traitement ; et, enfin, la manifestation de la volonté. Ils entraînent de fait la non-éligibilité des personnes atteintes d’une maladie psychiatrique, des personnes âgées, des personnes en situation de handicap et des mineurs. On peut regretter la suppression de la faculté de choisir entre autoadministration et administration par un professionnel de santé, seule l’autoadministration ayant été retenue – sauf en cas d’inaptitude physique. J’appelle votre attention sur le fait que la demande réitérée jusqu’à la dernière minute ne permettra pas aux personnes dans l’incapacité d’exprimer cette demande, d’accéder à l’aide à mourir si elles souffrent, par exemple, d’une maladie neurodégénérative. J’insiste aussi sur un point très important : le droit de recourir à l’aide à mourir repose, d’une part, sur le choix du malade, dans le respect de la dignité de la personne, et d’autre part sur le respect des convictions des soignants d’y participer ou non – le texte leur accordant une protection par la clause de conscience.
Après un long parcours chaotique, il est temps pour la représentation nationale de se prononcer sur ce sujet d’importance. Je crois qu’il est de notre devoir de répondre à la demande exprimée depuis des années par certains malades et par les associations qui les représentent, et de concrétiser les propositions de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Les débats ont été respectueux, parfois tendus, mais ils ont permis des votes transpartisans et l’on ne peut que s’en réjouir. L’Assemblée nationale a été à la hauteur de la gravité de la question. Ce texte est conforme aux valeurs de la République : liberté comme liberté de choix, égalité comme égalité d’accès aux soins sans discriminations, et fraternité de l’accompagnement en fin de vie. Notre droit doit pouvoir proposer à chacun une fin de vie libre et choisie dans les conditions les plus dignes, lorsque la maladie ou la douleur ne sont plus supportables et qu’aucun traitement n’est efficace.
L’aide à mourir est une liberté propre à chacun, alors même que la mort fait partie de la vie. « La vie, pour citer Paul Morand, est une maladie dont tout le monde meurt. »
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