Deuxième séance du mardi 03 juin 2025
- Présidence de M. Jérémie Iordanoff
- 1. Reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine
- Discussion générale (suite)
- Mme Catherine Hervieu
- Mme Geneviève Darrieussecq
- Mme Anne Le Hénanff
- M. Yannick Favennec-Bécot
- M. Yannick Monnet
- M. Maxime Michelet
- M. Laurent Jacobelli
- M. Karl Olive
- Mme Nadège Abomangoli
- M. Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense nationale et des forces armées
- M. Olivier Faure, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées
- Discussion des articles
- Explications de vote
- Vote sur l’ensemble
- Discussion générale (suite)
- 2. Droit de vote par correspondance des personnes détenues
- Présentation
- Motion de rejet préalable
- M. Jean-François Coulomme
- M. Guillaume Gouffier Valente (EPR)
- M. Paul Christophe (HOR)
- Mme Anne Bergantz (Dem)
- M. Florent Boudié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Suspension et reprise de la séance
- Suspension et reprise de la séance
- Suspension et reprise de la séance
- Suspension et reprise de la séance
- Suspension et reprise de la séance
- 3. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Jérémie Iordanoff
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
1. Reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine
Suite de la discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi portant reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français (nos 949, 1474).
Discussion générale (suite)
M. le président
Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale. La parole est à Mme Catherine Hervieu.
Mme Catherine Hervieu
Cette proposition de loi tire son importance de l’enjeu de mémoire auquel elle tend à répondre. Les associations se sont mobilisées pour échanger avec les parlementaires, afin de faire cesser une situation inacceptable. Un projet réfléchi, collectif et transpartisan est né de ces travaux et je remercie le rapporteur d’en avoir pris l’initiative.
Parce que la France a trop longtemps oublié et laissé de côté des milliers de personnes, il est de notre responsabilité d’accorder la reconnaissance de la nation aux rapatriés d’Indochine et aux anciens membres des formations supplétives.
Aujourd’hui, en 2025, nous avons l’occasion de le faire et d’évoquer l’enjeu de leur mémoire. Nous reconnaissons enfin la situation indigne dans laquelle ont vécu les rapatriés d’Indochine et leurs familles, ainsi que le besoin de réparation des préjudices subis.
Entre 1954 et 1974, 44 000 ressortissants français ont été rapatriés d’Indochine. Parmi eux, 4 000 à 6 000 personnes ont été installées durablement dans les camps appelés « centres d’accueil », un nom impropre tant les conditions de vie y étaient dégradantes et indignes.
Les femmes, les hommes, les enfants, les familles vivaient dans des logements précaires, isolés de leurs concitoyens, parfois pendant plusieurs années et jusque très récemment encore. La jeunesse de nombreux enfants a été marquée par l’exclusion sociale, le racisme, les discriminations et la marginalisation.
Il est donc primordial de mettre fin à une inégalité de traitement qui dure depuis plus de soixante-dix ans. La loi du 23 février 2022 avait prévu la reconnaissance de la nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie, mais les rapatriés d’Indochine n’étaient pas concernés par son dispositif, alors qu’ils ont subi des contraintes administratives et des atteintes aux droits fondamentaux similaires.
Les rapatriés d’Indochine – militaires, anciens membres des formations supplétives et agents publics qui ont servi la France en Indochine – n’ont jamais bénéficié de reconnaissance officielle ou de dispositifs de réparation. Cette inégalité de traitement a nourri un sentiment d’abandon et d’injustice.
Pour faire vivre la mémoire nationale, il est important de créer des lieux de mémoires dédiés aux rapatriés d’Indochine et d’instaurer en leur honneur une journée nationale de commémoration. Malgré le temps écoulé et le faible nombre de bénéficiaires d’une indemnité forfaitaire, cette injustice doit être réparée et reconnue par notre assemblée.
La proposition vise à restaurer l’égalité mémorielle, à réparer une injustice historique et à intégrer pleinement les populations concernées à notre récit national.
Plus largement, il s’agit aussi de rétablir la confiance entre la République et nombre de ses citoyens oubliés.
Il convient donc, d’une part, de reconnaître solennellement la responsabilité de la République et, d’autre part, de prévoir un dispositif de réparation digne pour les victimes et leurs ayants droit.
Cette reconnaissance renforce la mémoire républicaine et permet de réparer une injustice historique restée ignorée pendant plusieurs décennies. Le groupe Écologiste et social votera en faveur de cette proposition de loi portant reconnaissance de la nation envers les rapatriés d’Indochine et réparation des préjudices subis par ceux-ci, leurs familles et leurs descendants. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – Mmes Sylvie Bonnet et Anne Le Hénanff ainsi que M. Olivier Faure, rapporteur de la commission de la défense, applaudissent également.)
M. le président
La parole est à Mme Geneviève Darrieussecq.
Mme Geneviève Darrieussecq
La période qui suit la seconde guerre mondiale est marquée par un puissant mouvement d’émancipation, inspiré par le principe du droit à l’autodétermination des peuples. La France est alors secouée par deux grands conflits décoloniaux : la guerre d’Indochine, qui s’achève par les accords de Genève en 1954, puis la guerre d’Algérie, à laquelle mettent fin les accords d’Évian, conclus le 18 mars 1962.
Soixante ans après l’indépendance de l’Algérie, la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la nation envers les harkis – une loi que je connais bien –, a marqué un tournant mémoriel et politique. Elle reconnaît la responsabilité de la France dans les conditions d’accueil et de vie indignes imposées aux harkis et à leurs familles, rapatriés en métropole après 1962. Ce texte a enfin ouvert un droit à réparation pour certains d’entre eux et leurs familles.
C’est de cette loi de reconnaissance et de réparation que s’inspire votre texte, monsieur le rapporteur.
Après l’indépendance du Vietnam, du Laos et du Cambodge, ce sont des milliers de rapatriés qui ont été placés dans des centres d’accueil. Ces centres n’étaient, en réalité, que des enclaves coloniales administrées militairement. Y vivaient principalement des femmes vietnamiennes, leurs enfants métis et des hommes eurasiens.
Dans ces camps, ils ont vécu exclus du reste de la société et ont subi de nombreuses privations de liberté : couvre-feux, interdiction de sortir sans autorisation, interdiction de tout signe extérieur de richesse et interdiction d’exprimer de quelconques revendications, sous peine de répression.
L’arrêté Morlot de 1959, étendu plus tard aux harkis, institutionnalisa la relégation des rapatriés sur le sol métropolitain. C’est un fait : il n’y a pas eu de plan d’ensemble de rapatriement ou de cadre juridique précis, mais plutôt des mesures d’urgence, adaptées aux différents statuts des rapatriés à mesure de leur arrivée. Ces rapatriements n’impliquaient pas les mêmes conséquences pour les militaires et les fonctionnaires de l’administration coloniale que pour les enfants métis, parfois orphelins, qui ne maîtrisaient pas le français et n’avaient pas d’attaches dans l’Hexagone.
Les conditions d’accueil se sont effectivement révélées très difficiles pour une partie de ces rapatriés. Une simple impréparation ne peut les justifier. Ce qui ne devait être que provisoire a duré pendant des années, dans l’indifférence totale des pouvoirs publics et, disons-le, des populations.
L’indignité des conditions d’accueil et de vie des rapatriés a provoqué des souffrances et des traumatismes durables. C’est une réalité que nous devons reconnaître.
Cette proposition de loi vise à faire entrer dans notre mémoire nationale une page souvent tue, trop souvent oubliée, de notre histoire. Parmi les anciens rapatriés, beaucoup se considèrent eux-mêmes comme des effacés de l’histoire. Nous devons aujourd’hui leur dire notre respect. Nous leur devons aussi un hommage national, que la proposition de loi tend à instituer à la date du 8 juin. Je remercie M. le rapporteur et Mme la ministre d’avoir défendu cette commémoration.
La réparation et les bornes chronologiques demeurent en discussion. La période initialement proposée, de 1954 à 2014, a été jugée bien trop longue, à juste titre. La commission a adopté un amendement du rapporteur qui fixait la borne à 1975 mais celle-ci n’a pas de sens sur le plan administratif.
C’est par une décision du 26 juin 2024 que le Conseil d’État a validé la borne de 1975 pour organiser la réparation du préjudice subi par les harkis, considérant que cette année marquait la fin de la gestion directe par l’État des structures destinées à les accueillir.
S’agissant des rapatriés d’Indochine, c’est l’année 1966 qui marque une inflexion équivalente, avec le transfert de la tutelle de leurs centres d’accueil au ministère des affaires sociales. Notre groupe soutiendra l’amendement du gouvernement tendant à retenir cette borne temporelle : il y va de la réalité historique, de l’équité et de la sécurité juridique.
Notre groupe votera bien sûr cette proposition de loi, grande, courageuse et, surtout, juste. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem, EPR et SOC.)
M. le président
La parole est à Mme Anne Le Hénanff.
Mme Anne Le Hénanff
Accorder aux rapatriés d’Indochine la reconnaissance de la nation qui leur est due et réparer les préjudices qu’eux et leurs familles ont subis du fait de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures du territoire national, c’est l’objet de la proposition de loi transpartisane de notre collègue Olivier Faure, que nous examinons ce soir.
C’est un texte important et nécessaire, que je suis fière d’avoir cosigné en tant que présidente du groupe d’amitié parlementaire France-Vietnam de l’Assemblée nationale et que le groupe Horizons & indépendants soutient et votera.
Pourquoi ce texte est-il essentiel ? Parce qu’à la suite des accords de Genève, qui ont mis fin à la guerre d’Indochine, plusieurs milliers de civils français – pour la plupart des familles de soldats français, des supplétifs vietnamiens et leurs enfants, ont été rapatriés en France entre 1954 et 1974.
Environ 6 000 d’entre eux ont été accueillis dans des centres spécifiques, comme ceux de Sainte-Livrade-sur-Lot ou de Noyant-d’Allier, en dehors de tout cadre juridique institutionnel et sans accompagnement adapté. Au sein de ces centres, ces personnes ont été soumises à des conditions d’existence contraires aux principes républicains : enfermement administratif, restrictions de liberté, interdictions arbitraires, privation d’accès aux soins et à l’éducation, répression des revendications sociales.
Ces pratiques, que notre groupe dénonce, ont laissé des séquelles durables, transmises sur plusieurs générations.
Jusqu’à ce jour, les populations concernées n’ont bénéficié d’aucune reconnaissance spécifique et d’aucune mesure de réparation. En 2022, la France a reconnu la responsabilité de l’État dans les conditions d’accueil indignes des harkis.
Sans établir de parallèle ou de comparaison entre les Mémoires avec un grand M, il serait injuste de ne pas accorder aux rapatriés d’Indochine la reconnaissance qui leur est due, alors même qu’ils ont connu les mêmes conditions d’existence dans leurs centres d’accueil.
Par ailleurs, je tiens à rappeler que dès le premier rapport d’activité de la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie, présidée à l’époque par Jean-Marie Bockel, il était suggéré d’étendre le périmètre de la loi du 23 février 2022 aux supplétifs et/ou aux rapatriés d’Indochine.
Ce texte vient donc corriger une rupture d’égalité dans l’accès à la reconnaissance mémorielle.
Nous saluons le travail réalisé en amont de l’examen du texte en séance publique : les auditions, mais également les évolutions apportées en commission de la défense nationale. À l’initiative du rapporteur, il a ainsi été possible de préciser la période de séjour prise en compte pour les demandes de réparations, mais aussi de renforcer la portée de la journée d’hommage aux morts pour la France pendant la guerre d’Indochine en y incluant la mémoire des rapatriés.
Par cette démarche transpartisane, nous poursuivons sur la voie, non pas de l’oubli, mais bien de la réconciliation et de la construction d’une nouvelle relation entre les rapatriés d’Indochine, leurs descendants et la République française. Ce n’est pas seulement un devoir, c’est une nécessité humaine, car les descendants doivent supporter ce fardeau, cette douleur transmise de génération en génération.
Je souhaite que cette loi ne se contente pas de réparer une injustice mais qu’elle soit également libératoire. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, EPR, DR et Dem ainsi que sur les bancs des commissions.)
M. le président
La parole est à M. Yannick Favennec-Bécot.
M. Yannick Favennec-Bécot
II y a des rendez-vous avec notre histoire que l’on ne peut plus différer. Celui que nous avons aujourd’hui avec les rapatriés d’Indochine en est un. Trop longtemps, la République les a laissés dans l’ombre, parfois même dans l’oubli. Cette proposition de loi permet enfin d’y remédier et il faut en remercier son rapporteur.
À la fin de la guerre d’Indochine, plusieurs milliers de familles ont été accueillies sur le territoire national. Parmi elles, des anciens combattants, des agents civils, et surtout de nombreuses familles franco-indochinoises. Leur arrivée aurait dû consister en un retour digne. Elle fut, trop souvent, une épreuve supplémentaire. Logés dans des centres d’accueil transformés en camps, ces rapatriés furent relégués en marge de la société, privés de libertés fondamentales, soumis à des règlements humiliants. Certains ne seront relogés qu’en 2014, soixante ans après leur arrivée. Ces conditions d’accueil indignes sont une tache dans notre histoire républicaine.
Face à cela, le texte que nous examinons accomplit un acte fort : il exprime la reconnaissance de la nation et admet la responsabilité de l’État dans ce traitement indigne. C’est un geste fort parce qu’il ne s’agit pas uniquement de mémoire mais aussi de justice. Le texte prévoit ainsi une indemnisation pour celles et ceux – les rapatriés eux-mêmes, leurs conjoints, leurs enfants – qui ont séjourné dans les structures d’accueil entre 1954 et 1975. La période retenue est cohérente : elle correspond à celle où les contraintes étaient les plus lourdes, les atteintes les plus manifestes. L’indemnité sera calculée en fonction de la durée du séjour, selon des modalités pratiques définies par décret. Au reste, le traitement des dossiers sera assuré par l’ONACVG (Office national des combattants et des victimes de guerre), une structure déjà reconnue pour son engagement et sa compétence auprès du monde combattant et des victimes de guerre – soit un gage de sérieux, mais aussi de proximité avec les publics concernés.
Le groupe LIOT souhaite néanmoins alerter le gouvernement sur un point essentiel : le montant de l’indemnité devra être à la hauteur des préjudices subis ; il ne saurait être symbolique. Il y va de la crédibilité de la démarche, et aussi de notre responsabilité collective. Ne pas revivre une nouvelle condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), comme cela fut le cas pour les harkis, est une exigence de justice et de dignité.
M. Guillaume Garot
Très bien !
M. Yannick Favennec-Bécot
Ce texte ne se limite pas à la réparation financière. Il comporte aussi une dimension mémorielle : il prévoit en effet d’élargir la portée de la journée de commémoration du 8 juin, actuellement dédiée aux morts pour la France en Indochine, afin d’y inclure les rapatriés. Ce choix permet d’inscrire l’histoire de ces derniers dans notre mémoire nationale sans créer une nouvelle date, dans un esprit de cohérence. La création de lieux de mémoire est également une avancée attendue, qui permettra aux descendants des rapatriés de disposer d’espaces de recueillement et de transmission, et à notre société de regarder en face cette page méconnue de son histoire.
Réparer, c’est reconnaître ; reconnaître, c’est construire une mémoire commune. Voilà ce que ce texte nous propose, avec sobriété mais avec force. Pour toutes ces raisons, notre groupe lui apportera son plein soutien. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, DR et HOR ainsi que sur les bancs des commissions.)
M. Guillaume Garot
Très bien, très clair !
M. le président
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet
Je remercie sincèrement Olivier Faure pour ce texte important et je vous salue, chers amis de Noyant-d’Allier qui assistez à cette séance.
Les rapatriés d’Indochine sont les premiers rapatriés de l’histoire de la République. En juillet 1954, à la suite des accords de Genève, une grande partie des ressortissants Français d’Indochine durent rentrer en France. Or la France n’avait aucun cadre institutionnel pour les accueillir. Les rapatriés d’Indochine ont ainsi été administrés par des fonctionnaires issus des colonies, formés à des tâches qui relevaient plus de l’enfermement administratif que de l’humanitaire.
Le 23 décembre 1961 fut voté le premier texte de loi sur les rapatriés, fixant une définition légale du rapatrié en précisant ses droits fondamentaux. Pourtant, lesdits Français d’Indochine, considérés comme de simples exilés économiques, en furent exclus. En 2005, là encore, la version initiale de la loi du 23 février portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ne mentionna pas les rapatriés d’Indochine. En 2022, la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis reconnut cette rupture d’égalité et préconisa que le périmètre de la loi du 23 février soit étendu aux anciens supplétifs et rapatriés d’Indochine.
La présente proposition de loi vise donc à réparer une injustice. Elle permet à la nation de reconnaître sa responsabilité dans l’indignité des conditions d’accueil et de vie de ces populations, mais aussi d’indemniser, au moyen d’une somme forfaitaire, les personnes ayant séjourné dans les structures d’accueil.
Je salue l’action fidèle de l’Association des rapatriés d’Indochine de Noyant-d’Allier (Arina), qui travaille à la réparation des préjudices subis par les 3 000 rapatriés d’Indochine ayant transité par cette petite commune de ma circonscription de l’Allier, et qui s’emploie à faire vivre leur histoire, laquelle ne doit pas être effacée. Cette histoire est douloureuse, lorsqu’après vingt-cinq jours de bateau entre les rizières du Mékong et le bocage bourbonnais, ces exilés intégrèrent les corons laissés vacants par la fermeture des mines de charbon, dans des conditions spartiates, endurant un premier hiver 1955-1956 marqué par des températures glaciales de moins vingt degrés. Peut-être cette histoire fût-elle néanmoins rendue plus douce que dans d’autres camps grâce à l’implication des autorités locales, qui facilitèrent leur accueil et favorisèrent leur intégration progressive dans une commune où les matchs de foot du dimanche opposaient les Français d’Indochine de Noyant aux Portugais de la verrerie de Souvigny.
Aujourd’hui, ce sont les troisième et quatrième générations qui, à Noyant-d’Allier, se posent des questions sur l’histoire de leurs aïeux. Je me réjouis qu’un espace muséal dédié aux rapatriés d’Indochine y voie bientôt le jour, grâce à l’opiniâtreté et à la persévérance de l’Arina et des élus de la municipalité. Nous en avons d’ailleurs posé la première pierre le 10 mai dernier.
En tant que signataire du texte, je veux dire que la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme est l’un des fondements de mon engagement politique, et que je continuerai toujours à défendre la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dans cette guerre coloniale, les rapatriés ont aussi été les victimes de la colonisation, puisque ceux qui s’étaient enrichis grâce à l’exploitation des Indochinois n’étaient pas dans les camps : ceux-là étaient partis, souvent bien avant la fin de la guerre. Dans les camps, comme toujours, il y avait ceux qui avaient dû combattre pour l’armée coloniale, ceux qui avaient cru qu’ils pourraient trouver un avenir meilleur pour leurs familles en Indochine et ceux qui, par choix ou par obligation, avaient servi l’État.
Le vote de ce texte permettra à la fois de réparer un oubli et une injustice. Il permettra aussi à la France de reconnaître son histoire telle qu’elle est, et de la regarder en face ; c’est à cela que l’on reconnaît la grandeur d’un pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président
La parole est à M. Maxime Michelet.
M. Maxime Michelet
Ce dimanche 8 juin, partout dans le pays, auront lieu des hommages aux morts pour la France en Indochine à l’occasion de la journée nationale qui leur est dédiée. À quelques jours de ce rendez-vous mémoriel annuel, il est heureux que la représentation nationale puisse se saisir solennellement du souvenir de cette guerre aujourd’hui trop méconnue, trop peu commémorée, comme condamnée à l’oubli, dans l’ombre de la guerre d’Algérie qui devait se déclencher quelques mois seulement après la fin de la guerre d’Indochine.
Pourtant, ceux qui sont tombés pour la France en Indochine n’ont pas démérité, et l’héroïsme de nos armes a conquis en Extrême-Orient de nouveaux galons, quelques pages supplémentaires d’histoire glorieuse. Gloire, notamment, d’avoir combattu vaillamment la subversion du totalitarisme communiste, qui devait commettre tant de massacres en Asie du Sud-Est, jusqu’à l’effroi indicible, vingt ans plus tard, du génocide cambodgien. Gloire d’avoir combattu la peste totalitaire qui se répandait alors dans tant de pays, sous l’autorité sanglante du camarade Staline.
Si la cause de l’indépendance était naturellement et inconditionnellement légitime, tout autant qu’inévitable, les soldats français morts en Indochine ne sont pas pour autant morts pour rien, mais bien pour combattre une des idéologies les plus meurtrières de l’histoire humaine. Honneur leur soit rendu. Au regard du bilan humain du communisme, les combattants d’Indochine n’ont pas mené un combat inutile. Au regard de ce bilan, au regard du sang versé, et notamment du sang français versé en Indochine, le président de la République française aurait pu s’abstenir de rendre hommage à Hô Chi Minh, bourreau et tortionnaire de tant de soldats français.
M. Emeric Salmon
Il aurait pu !
M. Maxime Michelet
S’incliner devant Hô Chi Minh, c’est s’incliner devant Staline, devant Lénine, devant Mao, Pol Pot ou Kim II-Sung, c’est s’incliner devant les innombrables crimes commis depuis la révolution bolchevique.
M. Pierre Cordier
C’est pas faux !
M. Maxime Michelet
Une mémoire bien ordonnée est une mémoire qui n’oublie ni les hommes tombés ni les principes pour lesquels ils sont tombés. Cet hommage à Hô Chi Minh était donc une faute, un désordre mémoriel.
Une mémoire bien ordonnée n’oublie pas davantage les erreurs et les injustices commises – qu’une grande nation s’honore toujours à reconnaître. Soucieuse de ce devoir de mémoire, l’Union des droites pour la République salue l’initiative de la présente proposition de loi, même si nous regrettons vivement, monsieur le rapporteur, que sur un sujet aussi consensuel, vous ayez choisi d’ostraciser le bloc national et les 11 millions de Français qu’il représente. Comme vous, nous jugeons pourtant qu’il est grand temps que la France exprime sa reconnaissance, autant que ses regrets, envers les rapatriés d’Indochine – populations civiles ou membres des formations supplétives – ainsi qu’envers leurs familles et leurs descendants.
Dès avant les accords de Genève, l’armée française a organisé le rapatriement des familles concernées. Mais, après un long et difficile voyage, ces familles ne trouvèrent pas en métropole l’accueil qu’elles méritaient, affrontant une opinion largement indifférente à leur sort et des pouvoirs publics plus préoccupés de les parquer que de les recevoir. À leur arrivée sur le sol national, les rapatriés – symboles peut-être trop visibles de l’humiliation de la défaite et, surtout, du malaise moral d’un colonialisme failli – furent cantonnés dans des enclaves indignes, tenus à l’écart des lois les plus élémentaires, privés de certains droits parmi les plus fondamentaux. À ces hommes et à ces femmes qui avaient fait le choix de la France, la France a répondu par le choix de l’ingratitude. Il ne s’agit pas de forcer le trait du repentir mais, au nom du peuple que nous représentons dans cet hémicycle, de reconnaître l’erreur commise, alors même qu’il est encore temps d’offrir une juste réparation à ceux de ces rapatriés qui vivent encore, ainsi qu’à leurs familles – comme un amendement adopté en commission en a ouvert la possibilité.
En 2022, l’indignité de l’accueil réservé aux harkis à l’issue de la guerre d’Algérie fut reconnue par une loi de réparation, dont la représentation nationale peut s’honorer. Il apparaît aujourd’hui non seulement logique, mais surtout nécessaire, que les rapatriés d’Indochine puissent bénéficier de dispositifs similaires à ceux dont bénéficient les rapatriés d’Algérie. L’élargissement de la journée nationale du 8 juin est également bienvenu, tout comme la recherche et la construction de « lieux de mémoire » – expression utilisée par plusieurs orateurs, ce soir, qui me permet de saluer la mémoire du regretté Pierre Nora.
Le groupe UDR votera en faveur de cette proposition de loi importante, qui illustre les vertus d’une juste mémoire : non pas une mémoire honteuse, mais une mémoire consciente, qui sait combien il est important de reconnaître les erreurs commises pour mieux célébrer les gloires acquises au fil d’une histoire qui n’en a jamais manqué. C’est pour nous une exigence d’équilibre, la condition fondatrice d’une mémoire partagée permettant à chacun, au-delà des chemins individuels, de clamer d’une même voix « Vive la France ! ». (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. le président
La parole est à M. Laurent Jacobelli.
M. Laurent Jacobelli
La France est une grande nation. Comme toutes les grandes nations, elle s’honore de célébrer les moments glorieux de son histoire, tout comme elle s’honore de reconnaître, avec lucidité, les erreurs que le cours des événements a pu l’amener à commettre. La gloire, c’est celle de nos soldats tombés en Indochine pour l’amour du drapeau tricolore ; celle du général Marcel Bigeard et de ses parachutistes du 6e bataillon de parachutistes coloniaux (BPC), plongés dans l’enfer de Diên Biên Phu.
Mais d’autres pages de notre mémoire sont plus douloureuses. Le sort réservé aux rapatriés d’Indochine et à leurs familles, lors de leur retour en métropole, fait indéniablement partie de ces réalités trop longtemps passées sous silence. Brisés une première fois par le déracinement de l’exil, pour fuir le régime sanguinaire d’Hô Chi Minh, ces Français d’Indochine le furent une seconde fois par un accueil qui, disons-le, n’était pas à la hauteur de notre République. Parqués dans des centres d’accueil aux allures de camps à ciel ouvert, privés de tout confort élémentaire, relégués dans des baraquements insalubres, ils durent vivre l’humiliation du déclassement et l’injustice de l’oubli.
Sainte-Livrade-sur-Lot est devenu le triste symbole de cette indignité : ce camp, cerné de barbelés, sans salle d’eau, sans de quoi se chauffer, était un lieu où, il faut bien le dire, on survivait plus qu’on ne vivait. Pourtant, ces familles, loin de céder à l’amertume et au ressentiment, sont parvenues par l’effort, l’humilité et le travail à offrir le visage d’une assimilation exemplaire – là où tant d’autres refusent encore d’y consentir tout en exigeant la repentance perpétuelle. Ce serait donc l’honneur de cette assemblée que de voter ce texte à l’unanimité.
C’est probablement dans cet esprit que son auteur a souhaité en faire un texte « transpartisan ». Enfin, transpartisan tout en excluant les députés du Rassemblement national de la cosignature ! Il s’agit là, monsieur le rapporteur, d’un lourd contresens historique. D’abord parce que le Rassemblement national n’a jamais failli dans la défense des anciens combattants et des rapatriés, d’Indochine jusqu’aux harkis.
M. Bryan Masson
C’est vrai !
M. Laurent Jacobelli
Croyez bien qu’en tant que rapporteur pour avis du budget des anciens combattants, toute ma vigilance sera concentrée sur ce point.
La deuxième erreur, c’est d’avoir eu le cynisme de faire cosigner cette proposition de loi par des communistes – ces mêmes communistes qui préféraient la victoire de l’ennemi Viet-Minh à celle de la France, allant jusqu’à saboter l’envoi de matériel à nos soldats mobilisés en première ligne. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) N’oublions jamais leur héritage politique, celui du tristement célèbre Georges Boudarel, membre du Parti communiste français (PCF), commissaire politique du camp 113, tortionnaire marxiste qui a sur la conscience près de 300 morts, victimes des coups, de la faim et de la torture. Si ce même Boudarel a pu revenir paisiblement en France et devenir maître de conférences à l’université, c’est à cause de vous, mesdames et messieurs les communistes !
M. Frédéric Boccaletti
Quelle honte !
M. Laurent Jacobelli
Tout comme ce sont vos alliés qui accueillirent les survivants de la guerre, portés sur des civières, non par les honneurs qui leur étaient dus mais par des jets de boulons, par des crachats et des insultes, ainsi que l’ont fait vos amis les dockers de la CGT. Mais cela ne surprendra personne, car il semble que ce soit une constante pour l’extrême gauche de prendre systématiquement le parti des ennemis de la France : hier, le totalitarisme communiste ; aujourd’hui, le totalitarisme islamiste. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Rires sur les bancs du groupe GDR.)
Mme Elsa Faucillon
Et c’est un négationniste qui dit ça ! Scandaleux !
M. Laurent Jacobelli
Mais soyons magnanimes et saluons le fait que le parti communiste d’aujourd’hui tenterait, sans aucun doute, de prendre ses distances d’avec ses accointances sanguinaires d’hier. Malheureusement, nous ne pouvons pas en dire autant du président de la République Emmanuel Macron, toujours à contre-courant de l’histoire. Lors de son déplacement à Hanoï, il a cru bon de rendre hommage à Hô Chi Minh, le fondateur d’un régime communiste totalitaire, qui a sur les mains le sang de milliers de Français et de Vietnamiens. Comme si les humiliantes repentances à l’égard du régime d’Alger ne suffisaient pas,…
Mme Elsa Faucillon
Et là, il n’y a pas de colonialisme ?
M. Frédéric Maillot
Il n’y a pas de sang qui a coulé ?
Mme Elsa Faucillon
Les massacres de Sétif, c’était quoi alors ?
M. Laurent Jacobelli
…le président de la République piétine désormais la mémoire de nos morts d’Indochine.
Mes chers collègues, cette proposition de loi est nécessaire. Elle doit être pour les rapatriés d’Indochine et leurs descendants, comme pour les supplétifs, ce que fut la reconnaissance solennelle accordée aux harkis. Cette proposition de loi offre à notre pays une occasion, certes tardive, mais essentielle, d’emprunter le chemin de la réparation, de reconnaître nos manquements et d’adresser aux réfugiés d’Indochine, et à leurs familles, le message qui aurait dû être celui de la France dès le premier jour : celui de la gratitude, de la reconnaissance et de la justice. Malgré votre sectarisme, monsieur le rapporteur, malgré la signature des communistes, nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Karl Olive.
M. Karl Olive
Il y a dans notre mémoire nationale des silences qui pèsent lourd et des absences qui crient plus fort que bien des discours. Ce mardi 3 juin 2025, nous n’allons pas simplement voter un texte, mais écouter une mémoire longtemps étouffée, réparer une blessure ouverte depuis plus de soixante-dix ans.
Le 9 octobre 1954, la France quitte la citadelle de Hanoï et tourne la page de l’Indochine. Mais derrière cette page, il y a des vies : celles de 44 000 hommes, femmes et enfants, arrachés à leur terre, à leurs souvenirs, à leur quotidien. Des familles françaises, de sang ou de cœur, contraintes de tout quitter : leur maison, leur langue, parfois même leur nom. Ils avaient cru en la promesse républicaine ; ils pensaient que la France, leur France, les accueillerait. Mais ils n’ont trouvé que l’exil, l’indifférence et la précarité. Des cales de bateaux insalubres aux camps de Bias, du Vigeant, de Sainte-Livrade-sur-Lot et de Noyant-d’Allier, ils ont connu la honte silencieuse d’un accueil indigne. Ils ont vu leurs enfants grandir derrière des barbelés administratifs, sous un regard qui ne reconnaissait ni leur identité, ni leur douleur.
Puis vint ce cruel arrêté Morlot, qui les confina dans les marges, les empêchant d’intégrer la société, de construire, de respirer. Le droit commun, le droit à la mémoire et à la justice, leur était refusé. Pourtant, ils ont tenu bon. Ces femmes, souvent seules, ont travaillé la terre, usé leurs mains dans les ateliers. Elles ont tout sacrifié pour leurs enfants. Elles ont transmis la fierté et le silence, la pudeur et la dignité. Ce sont ces enfants, devenus adultes, qui ont, un jour, levé la voix. Non pour réclamer vengeance, mais pour demander reconnaissance.
« Le souvenir, c’est la présence invisible », disait Victor Hugo. Aujourd’hui, cette présence invisible, ce sont ces mères indochinoises aux yeux baissés, ces enfants métis qui ont grandi entre deux mondes, ces pères qui n’ont plus jamais revu leur terre. Ils sont là, avec nous, dans les tribunes, ainsi que dans les interstices de notre mémoire nationale.
Cette proposition de loi, défendue par notre collègue Olivier Faure, vient dire à ces familles : oui, vous êtes la France ; oui, vous avez été oubliés ; mais aujourd’hui, la République vous regarde, elle vous reconnaît, elle vous honore. Ce texte n’effacera pas les souffrances, mais il a la force de dire, enfin, que nous vous entendons, que nous vous croyons, que nous vous devons la vérité et la justice.
Dans une époque où certains voudraient réécrire l’histoire à coups de passions tristes et de polémiques faciles, il est salutaire que notre assemblée se rassemble, au-delà des étiquettes et des clivages. Car il n’y a pas de droite ni de gauche quand il s’agit de reconnaître la dignité d’un peuple blessé. (M. Frédéric Maillot rit.)
M. Frédéric Maillot
Quand on entend ça et qu’on connaît notre histoire !
M. Karl Olive
Il n’y a que la République, dans ce qu’elle a de plus noble et dans ce qu’elle a, parfois, de tardif.
J’appelle solennellement à une concorde nationale, à une adoption unanime de ce texte, à un moment de justice partagé, à un acte de mémoire pour que nos silences ne deviennent jamais des renoncements. Mes chers collègues, voter cette loi, ce n’est pas tourner une page ; c’est en écrire une nouvelle, celle de la reconnaissance, celle du lien retrouvé, celle de la France fidèle à tous ses enfants. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem ainsi que sur les bancs des commissions.)
M. le président
La parole est à Mme Nadège Abomangoli.
Mme Nadège Abomangoli
Nous soutiendrons cette proposition de loi. Son objet est double : la reconnaissance de la nation envers les rapatriés d’Indochine ; la réparation des préjudices qu’ils ont subis du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil dans certaines structures du territoire français. L’enjeu de ce texte est donc une forme de réconciliation nationale.
Cette proposition de loi constitue une mesure de justice à l’égard de ceux que la France a d’abord colonisés violemment, puis délaissés et oubliés. Par notre vote, nous cherchons à réparer une injustice et à exprimer notre empathie envers ceux qui, pris dans les soubresauts de l’histoire, n’ont eu que la France comme refuge. Les rapatriés d’Indochine sont des victimes de la France coloniale, comme les déplacés, les morts, les torturés que la colonisation a engendrés en Asie du Sud-Est et un peu partout dans le monde.
Dans sa défaite humiliante contre un peuple luttant fièrement pour sa liberté, la France coloniale a laissé pour compte ceux qu’elle ramenait avec elle. Les camps dans lesquels la France a installé ses rapatriés étaient à l’image, cette fois directement sur le sol métropolitain, de ce que fut sa colonie indochinoise : discipline de fer, encadrement militaire, régime d’exception. Les entrées et les sorties du camp étaient soumises à autorisation, les signes de richesses interdits, les libertés fondamentales abolies. C’était la colonisation sur le territoire français. Les enfants de ces rapatriés connurent aussi la vie des camps ; beaucoup y sont nés. Ce fut leur première image de la France postcoloniale. Eux aussi furent laissés pour compte : leur jeunesse a souvent rimé avec isolement, ostracisation, racisme et racisme social.
Je salue les associations qui, d’arrache-pied, ont lutté contre l’invisibilisation de leurs parcours de vie, à Sainte-Livrade-sur-Lot, à Bias, à Noyant-d’Allier. En 2004, le film Le Camp des oubliés jetait une lumière crue sur ces réalités méconnues. Je vous invite à assister à sa projection à l’Assemblée, le 11 juin prochain, en présence de ses réalisatrices Marie-Christine Courtès et My-Linh Nguyen. Certains n’ont quitté définitivement ce camp qu’en 2014.
Aujourd’hui, les associations de rapatriés et les collectivités locales accomplissent un travail de mémoire remarquable, notamment autour du camp de Sainte-Livrade-sur-Lot ; ils font vivre cette histoire. Cette proposition de loi nous permet de nous engager à notre tour, et d’engager avec nous la nation tout entière dans ce travail de mémoire.
Ce travail de réflexion sur notre passé doit être utile à l’unité nationale et au rejet d’une vision colonialiste des rapports sociaux. Parce que le colonialisme, c’est la violence, le racisme, le piétinement de la dignité humaine. Ce texte permettra de soutenir le travail des associations de rapatriés ; il engage aussi le gouvernement à ne plus mettre la poussière sous le tapis, comme il l’a trop fait jusqu’ici.
Alors que les discours d’extrême droite pullulent à l’extérieur et à l’intérieur de cet hémicycle, ce travail de mémoire sur la France coloniale est plus que jamais nécessaire. Il nous faut enterrer une bonne fois pour toutes la France suprémaciste, raciste et coloniale ; ce texte y participe.
M. Emeric Salmon
Quel gloubi-boulga !
Mme Nadège Abomangoli
Au-delà du devoir de mémoire, la nation doit aux rapatriés d’Indochine une réparation juste. À ce propos, nous resterons très attentifs à ce que les préjudices subis soient indemnisés à la hauteur qu’il se doit. C’est pourquoi nous avons tenté d’améliorer le texte par nos amendements en commission, pour conduire le gouvernement à verser une indemnité juste ; nous nous sommes cependant heurtés à la non-recevabilité financière. Nous appelons la représentation nationale à demeurer très vigilante sur ce point, de sorte que notre vote soit suivi d’effets tangibles.
Lors du vote de la loi de 2022 relative aux harkis, le groupe La France insoumise s’était abstenu, le texte n’apportant pas, à nos yeux, suffisamment de garanties. Nous avions eu raison, puisqu’elles demeurent loin d’être suffisantes. J’en profite donc pour inviter le gouvernement à revoir sa copie concernant les harkis, en espérant que nous n’ayons pas à le faire s’agissant des rapatriés d’Indochine.
Nous voterons en faveur de ce texte s’il permet de réparer vraiment un oubli. Pour cela, il convient de prendre en compte les rapatriés d’Indochine présents dans les structures d’accueil avant 1975.
Cette proposition de loi contribue à l’instauration d’une égalité de traitement de tous les rapatriés des guerres coloniales. La Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis l’a reconnu dans son rapport d’activité de 2022 : il existe une rupture d’égalité entre les harkis et les rapatriés d’Indochine.
Chers collègues, cher gouvernement, c’est une exigence républicaine que de réparer, aujourd’hui, cette injustice. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. le président
La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées.
M. Jean-Michel Jacques, président de la commission de la défense nationale et des forces armées
Je tenais à faire une mise au point, en tant que président de la commission de la défense, avant que nous ne poursuivions nos débats. Le rapporteur a tenu tout à l’heure ces propos : « L’armée française finit par lever, la main tremblante, le drapeau blanc. »
J’imagine qu’il n’était pas dans ses intentions de mettre en doute le courage et l’esprit de sacrifice de l’armée française. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
L’armée française ne se rend jamais la main tremblante. Vous faisiez référence, monsieur le rapporteur, à Diên Biên Phu. Si le général prend la décision de se rendre, c’est en raison de la percée des fortifications et des difficultés de ravitaillement – décision toujours difficile pour un militaire, prise en conscience et en responsabilité, pour préserver des vies humaines.
Des exemples semblables ne manquent pas dans l’histoire de l’armée française : pensez à nos légionnaires dans la bataille de Cameron, à nos marsouins dans celle de Bazeilles, au commando François qui, à Ninh Bình, empêcha l’avancée d’une colonne de 8 000 Vietminh et, réduit à soixante-treize hommes, tint les positions pendant vingt-quatre heures. Gérard Le Louer, dernier survivant du commando François, fait prisonnier lors de la bataille, est mort il y a quelques jours.
Dans ce moment de partage, veillons à préserver un équilibre dans nos propos. Il est impératif que nous menions ce travail de reconnaissance, pour nos réfugiés, pour nos soldats locaux et pour ceux de métropole. Je me réjouis devant vous que, durant nos travaux en commission, nous ayons fait du 8 juin une journée de mémoire partagée. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR et sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et HOR.)
M. Laurent Jacobelli
Merci, monsieur le président !
M. le président
La parole est à M. Olivier Faure, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.
M. Olivier Faure, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées
Je tenais d’abord à vous remercier, toutes et tous, pour l’unanimité qui a déjà été la nôtre en commission. La réparation commence par les mots. Elle ne peut commencer que si nous sommes capables de reconnaître que la France, parfois, n’a pas été exemplaire – que la colonisation n’a pas été exemplaire. Ce que l’on a pu entendre dans vos mots, c’est que, dans cette période pourtant postcoloniale, la France a continué de se comporter, dans ces centres d’hébergement, comme si elle avait affaire à des colonisés – et non pas à des Français.
Permettez-moi de revenir, monsieur le président de la commission, sur les paroles que j’ai prononcées et que vous avez rapportées. De toute évidence, quand je dis que l’armée française « finit par lever, la main tremblante, le drapeau blanc », c’est que, après cinquante-sept jours de combat, après les épreuves traversées par les soldats commandés par le général de la Croix de Castries, la fatigue, l’épuisement et les réalités militaires rendaient impossible la poursuite des combats. C’est la raison pour laquelle, à 18 heures, ce jour-là, le général a accepté de donner la reddition de l’armée française. Il n’y avait là, de ma part, aucune marque de mépris. Après des combats douloureux – de chaque côté, reconnaissons-le si nous tenons à réconcilier les mémoires – une telle décision était inévitable. Les soldats français comprennent également, à ce moment-là, qu’ils n’ont pas simplement perdu une bataille, mais vraisemblablement la guerre. La guerre d’Indochine prendra fin, en effet, après la bataille de Diên Biên Phu. Elle fut la première guerre remportée par une armée de décolonisation contre une armée coloniale – cela explique sans doute pourquoi la mémoire de cet événement majeur de notre histoire a été enfouie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Le malheur de cette histoire, c’est qu’elle réveille nos mauvais souvenirs. Voilà pourquoi je n’accepte pas qu’on dise que ces gens-là se sont intégrés, assimilés, que ce sont des gens formidables – parce que les Asiatiques seraient toujours « formidables », parce qu’ils seraient « dociles ».
Mme Nadège Abomangoli
C’est raciste, ça !
M. Olivier Faure, rapporteur
Non, ils ne sont pas dociles. Ils ont simplement cherché – et beaucoup étaient des femmes allophones – à donner un avenir à leurs enfants, dans les conditions qu’on leur avait faites. Ils ont souvent travaillé au noir, à la cueillette des haricots verts, et mis leurs propres enfants à contribution, dans les travaux saisonniers : non par esprit de docilité, mais par esprit de résilience et pour donner un avenir à celles et ceux qui viendront après eux. (Mêmes mouvements.)
M. Laurent Jacobelli
L’assimilation n’a rien à voir avec la docilité !
M. Olivier Faure, rapporteur
Il ne faut donc pas séparer les histoires migratoires, en distinguant les gens qui auraient été parfaitement assimilables et les autres – utilisant les premiers pour taper sur les seconds. Ce propos est celui de l’extrême droite, et ce n’est absolument pas le mien.
M. Laurent Jacobelli
Allez donc regarder du côté des communistes, ça nous fera du bien !
M. Olivier Faure, rapporteur
Je tenais à vous remercier : nous pouvons avancer et rendre justice, ce soir, à ces femmes et à ces hommes qui, non seulement, ont vécu ce que chacun a rappelé ici, mais qui ont également perdu, en 1961, le statut de rapatrié, au moment où arrivaient ceux d’Algérie. Ils furent alors considérés non plus comme des rapatriés mais comme des Français d’Indochine : double humiliation, pour eux qui avaient quitté leur pays d’origine et qui avaient été accueillis dans les conditions que l’on sait. Merci du fond du cœur. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe GDR.)
Discussion des articles
M. le président
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Je vous informe que je suis saisi de plusieurs demandes de scrutin public : sur l’amendement no 2 par les groupes La France insoumise-Nouveau Front populaire et Socialistes et apparentés et sur les amendements nos 4 et 1 par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Article 1er
M. le président
La parole est à M. Thibaut Monnier.
M. Thibaut Monnier
Il est en effet grand temps que la nation reconnaisse la dette morale qui est la sienne envers les rapatriés d’Indochine, ces oubliés de l’histoire qui, bien avant les harkis, furent les premiers à fuir un régime totalitaire communiste. Ces familles accueillies dès 1954 ont été abandonnées par la République qui devait les protéger.
Mme Elsa Faucillon
La France qui, à cette époque, avait un régime communiste ?
M. Thibaut Monnier
Ces rapatriés, parqués dans des logements indignes, ont été maintenus sous tutelle administrative par l’arrêté Morlot. Marginalisés, ils furent traités comme des assistés et non comme des citoyens à part entière.
En dépit de cette ingratitude, ils ont répondu à l’appel de la France. Service militaire, engagement dans l’armée, pour certains jusqu’en Algérie : leur loyauté n’a jamais vacillé, tandis que leurs sacrifices sont restés ignorés.
En nous excluant des cosignataires, les auteurs de cette proposition de loi ont empêché qu’elle ne soit le fruit d’un consensus national : nous le regrettons profondément. L’union autour de la mémoire de ces rapatriés aurait dû être totale. Au lieu de cela, la majorité a accepté que cosignent ce texte les héritiers idéologiques du dictateur communiste Hô Chi Minh, soutiens de l’enseignant tortionnaire Georges Boudarel. Jusqu’au président de la République lui-même qui, il y a quelques jours, s’est incliné devant le mausolée du dictateur vietnamien, sans un mot pour nos 80 000 morts d’Indochine ni nos 44 000 rapatriés. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur quelques bancs du groupe UDR.)
Plusieurs députés du groupe RN
C’est une honte !
M. Thibaut Monnier
Ayons d’ailleurs une pensée pour l’héroïque Geneviève de Galard, l’ange de Diên Biên Phu, décédée il y a tout juste un an.
Cette proposition de loi, bien que tardive, n’en répond pas moins à une exigence de justice, qui aurait mérité mieux qu’un compromis politicien et sectaire : une reconnaissance nationale digne, franche, transpartisane, à la hauteur de la souffrance endurée par ces Français d’Indochine et de leur amour indéfectible pour leur mère patrie. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur quelques bancs du groupe UDR.)
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
M. le président
La parole est à M. Julien Limongi.
M. Julien Limongi
Nous défendons cette proposition de loi visant à reconnaître, enfin, la dette morale de la nation envers les rapatriés d’Indochine. Ces hommes et ces femmes, souvent au péril de leur vie, ont fait le choix de la France et ont lié leur destin à celui de notre pays : ils méritent bien plus qu’un hommage. La création de lieux de mémoire est, en cela, une initiative juste et nécessaire.
Cependant, monsieur le rapporteur, comment accepter que ce texte censé honorer ceux qui ont choisi la France soit cosigné par le Parti communiste français ? Ce même parti qui, pendant la guerre d’Indochine, a trahi la France, en soutenant le Vietminh, en relayant sa propagande, en s’opposant à notre armée et en justifiant les meurtres de nos soldats et de leurs alliés vietnamiens ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Yannick Monnet
C’est n’importe quoi !
M. Julien Limongi
Ce fait historique et irréfutable est une blessure encore vive pour de nombreuses familles. Monsieur le rapporteur, leur avez-vous seulement demandé, lors de vos auditions, si elles acceptaient que leur mémoire soit associée à ceux qui ont soutenu leurs bourreaux ? Rien, dans votre rapport, ne l’indique. Et pourquoi avoir exclu le Rassemblement national, alors même que nous avons toujours défendu ceux qui, par loyauté, ont choisi la France ? Vous insultez la mémoire des rapatriés, dont beaucoup nous soutiennent et rejettent avec force le parti communiste, qu’ils considèrent comme un parti de traîtres. Comment avez-vous pu, monsieur Faure, instrumentaliser la belle cause des rapatriés d’Indochine pour de basses manœuvres politiciennes ? Je suis, comme vous, député de Seine-et-Marne : chacun sait que vous y êtes tenu par l’extrême gauche, sans laquelle vous ne seriez pas député. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Un député du groupe SOC
Mais quel toupet !
M. Julien Limongi
L’histoire ne se réécrit pas et ne s’instrumentalise pas. Au Rassemblement national, nous choisissons toujours la fidélité à la France, à ceux qui l’ont servie et à ceux qui l’aiment. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Faure, rapporteur
Je voudrais réagir à la provocation de l’extrême droite, même si je sais que ce n’est pas toujours utile.
M. Julien Limongi
Ce sont des faits historiques !
M. Olivier Faure, rapporteur
Vous voulez une vérité historique ? Vous êtes le parti de Vichy, ils sont le parti des fusillés. (Vives protestations sur les bancs du groupe RN.)
M. Emeric Salmon
Et la francisque ? C’est Mitterrand, la francisque !
M. Olivier Faure, rapporteur
Je me doutais que j’allais rencontrer un certain succès – mais je vais continuer.
M. Laurent Jacobelli
Il faut lire des livres d’histoire, monsieur Faure !
M. Olivier Faure, rapporteur
Je la connais bien, l’histoire ! Je vais vous répondre, si vous me laissez parler – y compris sur Hô Chi Minh.
Vous vous présentez comme des nationalistes.
M. Jean-Philippe Tanguy
Des patriotes !
M. Emmanuel Fouquart
C’est vous qui nous présentez comme ça !
M. Olivier Faure, rapporteur
Le Vietminh, en 1954, ce ne sont pas seulement des militants communistes, mais aussi des nationalistes qui se battent pour la décolonisation : telle est la vérité historique. Si vous étiez conscients de ce que c’est, pour un peuple, que d’être colonisé et que de ne pas pouvoir exercer cette souveraineté que vous défendez pourtant pour vous-mêmes et pour nous-mêmes, vous comprendriez pourquoi ce peuple, alors, s’est soulevé, comme se sont soulevés, dans tout l’empire, d’autres peuples aspirant à être libres, indépendants et souverains. Voilà pourquoi Hô Chi Minh a été suivi : le reconnaître n’implique pas que l’on doive, avec cela, approuver tout ce qu’il a fait – je ne le fais pas.
M. Emeric Salmon
Il sort les rames !
M. Stéphane Rambaud
Pitoyable !
M. Olivier Faure, rapporteur
Si vous étiez capables de comprendre ce qui s’est passé en 1954, vous seriez peut-être capables de comprendre ce que représentait Hô Chi Minh pour le peuple vietnamien et pour de nombreuses personnes dans le monde.
M. Jean-Philippe Tanguy
Une dictature sanguinaire et criminelle !
M. Stéphane Rambaud
Vous êtes un rouge !
M. Olivier Faure, rapporteur
Il ne s’agit pas d’être rouge, mais d’être juste. Le drame de cette histoire, c’est que des personnes qui avaient servi la France, jusqu’à sacrifier leur propre pays, ont été traitées comme des colonisés. (M. Emmanuel Grégoire applaudit.) Des personnes qui sont allées jusqu’à s’engager dans les rangs français et qui ont été oubliées dans des camps – pour certains d’entre eux pendant soixante ans. Voilà cette réalité historique que vous méprisez, parce que vous cherchez à instrumentaliser un sujet sérieux méritant mieux que vous admonestations. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.)
M. Laurent Jacobelli
C’est vous qui acceptez les voix des saboteurs !
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants, pour soutenir l’amendement no 2.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants
C’est un amendement de bornage temporel du dispositif, bornage qui ne saurait être purement discrétionnaire. Il doit correspondre à des faits objectifs.
Seule doit être prise en compte la période durant laquelle l’État a contraint les personnes à séjourner dans les camps et les a maintenues dans des conditions indignes.
Étendre la période de réparation jusqu’en 1975, comme cela a été retenu pour les harkis, n’est juridiquement pas soutenable pour les rapatriés d’Indochine. Cette date correspond à une décision prise en conseil des ministres qui ne concerne que les structures d’accueil des harkis et de leurs familles. Pour les rapatriés d’Indochine, la bascule structurelle s’est opérée dès 1966.
Cette date est documentée par des historiens et l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). L’année 1966 constitue un repère administratif significatif dans la gestion des structures d’accueil des rapatriés d’Indochine et de leurs proches : l’État passe alors d’une logique de contrainte à une logique d’accompagnement social.
Dès 1965, une nouvelle école communale est ouverte dans la commune de Sainte-Livrade-sur-Lot, permettant une meilleure intégration des enfants rapatriés et amorçant ainsi la sortie progressive d’un dispositif de ségrégation scolaire.
À partir de 1966, l’installation progressive d’infrastructures collectives – ateliers professionnels, pour fabriquer notamment des chaussures, espaces culturels, sportifs et même cultuels, maison des jeunes – illustre une logique d’insertion sociale et professionnelle.
L’arrivée d’équipes médico-sociales, en particulier d’un médecin et d’infirmiers, ainsi que la présence active de la Cimade à partir de 1966, a contribué à transformer l’accompagnement quotidien des rapatriés, passant d’un cadre administratif strict à une approche d’insertion progressive.
Formellement, la loi de finances pour 1966 a transféré la gestion des centres d’accueil du ministère de l’intérieur à celui de la santé publique et de la population.
Dans un document de synthèse rédigé en 1970, la Cimade souligne que, dès 1966, le camp de Sainte-Livrade-sur-Lot n’est plus un lieu de rétention, mais devient progressivement un lieu d’accueil. Bien sûr, tout était loin d’être parfait, nous ne le nions pas.
À partir de 1966, le règlement intérieur du centre n’est plus appliqué de manière systématique, et la direction, désormais rattachée aux services sociaux, concentre ses efforts sur l’accompagnement des personnes, traduisant une logique d’intervention centrée sur le soutien social et éducatif.
Cela n’empêche pas les rapatriés de continuer à vivre sur place, parfois jusqu’au début des années 2000 – mais, de la même façon, certains harkis ont choisi de rester dans les structures d’accueil bien au-delà de la borne de 1975.
Par cohérence et souci d’équité, il faut garder en tête que l’indemnité versée aux harkis couvre la période 1962-1975.
Je le répète, 1975 ne correspond à rien pour les rapatriés d’Indochine. En revanche, 1966 marque le moment où l’État commence à se préoccuper de leur intégration par le biais du ministère des affaires sociales, leur permettant d’envoyer leurs enfants à l’école, d’accéder aux soins, de rentrer et sortir du camp – ce qui n’était pas le cas pour les harkis puisque, jusqu’en 1975, ils étaient privés de leurs droits sociaux et interdits de sortie.
C’est pourquoi je vous propose cet amendement qui me semble équitable et s’inscrit dans la suite logique du dispositif que nous avons prévu pour les harkis. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme Stéphanie Rist
Très bien !
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Faure, rapporteur
Cet amendement a été repoussé par la commission, qui a choisi la date de 1975 à l’unanimité.
Madame la ministre, je comprends vos préoccupations, mais nous parlons d’un seul centre d’hébergement, celui de Sainte-Livrade-sur-Lot. Pour les trois autres camps, la question est réglée et 1966 est effectivement la date à partir de laquelle ces camps changent de destination. À Noyant-d’Allier, par exemple, les habitants ont eu la possibilité d’acheter leur propre logement.
En revanche, à Sainte-Livrade-sur-Lot, la punition va durer bien plus longtemps, si j’ose dire, puisque des gens y ont vécu jusqu’en 2014. D’ailleurs, j’avais retenu cette date dans ma proposition initiale. Dans un esprit de compromis et en concertation avec le monde associatif qui soutient cette initiative, nous avons cherché une solution équilibrée, et finalement retenu la date de 1975, choisie pour les harkis.
Pourquoi cette date fait-elle sens pour les rapatriés d’Indochine ? D’abord, parce que le changement administratif que vous signalez ne s’est pas accompagné d’une amélioration des conditions de vie, qui sont restées indignes. En outre, l’administration du centre n’a pas changé – la direction du centre est restée en place – et le même règlement s’appliquait toujours puisque l’arrêté Morlot, que beaucoup ici estiment indigne de la République française en ce qu’il interdisait tout signe extérieur de richesse – et nous parlons là d’une machine à laver, d’un téléviseur ou d’une voiture – n’est pas abrogé en 1966, pas plus qu’en 1975, mais seulement en 1979.
On aurait donc aussi pu choisir cette dernière date comme repère significatif pour marquer la transition entre deux systèmes. Certaines familles ont vécu dans ce camp pendant soixante ans et vous souhaitez prendre pour référence une période allant de 1956…
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Non, 1954.
M. Olivier Faure, rapporteur
…1954 pour ceux qui sont arrivés les premiers, certes, mais on parle d’une période allant de 1956, pour la plupart, à 1966. Ils seront donc indemnisés pour seulement dix ans, alors que certains ont vécu soixante ans dans le camp.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Comme les harkis !
M. Olivier Faure, rapporteur
Imaginez ce que cela représente ! Donnez-nous les montants ! C’est une paille au regard de ce qu’ils ont subi, une paille qui ne compense pas la perte de chances pour leurs enfants. Il faut imaginer ce que représente la scolarisation d’enfants dans un ghetto, sans possibilité d’aller vers l’extérieur et avec un accompagnement largement insuffisant.
Même le rapport de la Cimade que vous évoquez confirme cette réalité. Le témoignage de la présidente de la Cimade, présente à Sainte-Livrade-sur-Lot en 1966, est clair : à cette date, rien n’avait changé. Les conditions de vie étaient toujours les mêmes, et les conditions d’entrée et de sortie n’avaient pas vraiment évolué.
Sur ce point, les témoignages des anciens résidents de Sainte-Livrade-sur-Lot méritent d’être entendus : le véritable assouplissement est intervenu au milieu des années 1970. C’est pourquoi la date de 1975 se justifie pleinement.
Enfin, même quand vous ouvrez une porte à des personnes à qui vous avez interdit toute forme d’intégration pendant des décennies, comment voulez-vous qu’elles puissent la franchir ? Comment pourraient-elles quitter le camp, alors qu’elles n’avaient même pas le droit de posséder une voiture pour aller travailler et donc s’intégrer ailleurs ? Elles étaient prisonnières de leur situation.
C’est pourquoi, j’y insiste, il me semble juste d’accorder cette indemnisation jusqu’en 1975. Ce n’est pas un cadeau, mais simplement une réparation. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.)
M. le président
La parole est à Mme Stéphanie Galzy.
Mme Stéphanie Galzy
Nous avons bien compris que ce gouvernement, qui a ruiné notre pays, cherche à réaliser des économies. L’amendement à l’article 3 en atteste.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Franchement !
Mme Stéphanie Galzy
Mais lorsqu’il s’agit de réparer une injustice envers des Français – civils ou militaires – qui ont servi la France et ont été abandonnés par elle, cette recherche d’économie frise l’indécence, d’autant que nous parlons de quelques centaines de personnes.
En commission, l’ensemble des groupes s’est accordé sur 1975, par parallélisme avec les dispositions de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie. Ce choix garantit cohérence et lisibilité.
Par cet amendement, le gouvernement effectue un calcul d’arrière-boutique, prenant ainsi le risque d’attiser les incompréhensions au sein du monde des anciens combattants ; nous ne pouvons nous le permettre et les rapatriés d’Indochine méritent mieux. Le groupe Rassemblement national votera évidemment contre cet amendement. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Eh bien, bravo !
M. le président
La parole est à M. Thomas Gassilloud.
M. Thomas Gassilloud
Je prends la parole pour remercier tous mes collègues – en particulier le rapporteur – pour leur travail, ainsi que les groupes pour leur implication.
Je soutiens cet amendement du gouvernement, indispensable pour les rapatriés d’Indochine, afin de les placer dans la même logique que celle appliquée aux harkis. Les dates ouvrant droit à réparation ne doivent pas être arbitraires : la borne de fin de période d’indemnisation doit correspondre au moment où la politique de contrainte est levée.
Pour les harkis, ce moment est situé en 1975, à la suite d’une décision prise en conseil des ministres le 8 août 1975. Pour les rapatriés d’Indochine, c’est bien l’année 1966 qui constitue la date charnière.
Pourquoi ? Parce que la loi de finances pour 1966 acte le passage d’une politique de contrainte exercée par le ministère de l’intérieur à une politique d’accompagnement social pilotée par le ministère de la santé publique et des populations. À partir de 1966, l’État n’est plus dans une logique de privation de liberté.
Le rapporteur a évoqué le camp de Sainte-Livrade-sur-Lot mais, dès 1966, l’État incite ses résidents à en sortir. Une deuxième école communale est même ouverte dans la commune, afin d’accueillir les enfants des rapatriés d’Indochine hors du camp.
C’est pourquoi nous devons soutenir l’amendement du gouvernement, et la date de 1966. Comme l’a bien expliqué la ministre, la date de 1975 ne correspond à rien pour les rapatriés d’Indochine. La conserver fragiliserait le dispositif construit pour eux et, en niant le caractère objectif de la borne de 1975, reconnue par le Conseil d’État, cela affaiblirait également les dispositions de la loi portant reconnaissance de la nation envers les harkis. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à M. Aurélien Taché.
M. Aurélien Taché
Je tiens d’abord à remercier le rapporteur de porter haut et fort la mémoire des rapatriés d’Indochine, alors que le sujet n’a jamais été débattu à l’Assemblée nationale.
Mais, chers collègues de la majorité et du gouvernement, même lorsque vous tentez de réparer une injustice fondamentale, vous ne savez pas faire autre chose que de faire preuve d’une avarice révoltante !
De qui parle-t-on ? On parle de personnes colonisées, arrivées au fond des cales de paquebots, alors qu’elles avaient défendu la France, et construit une part de leur vie avec des Français et notre pays. Pourtant, une fois arrivées sur le sol hexagonal à Marseille, elles ont été enfermées – internées, pourrions-nous dire – dans des camps.
Dès 7 heures du matin, elles devaient saluer le drapeau lors de la cérémonie de lever des couleurs (M. Jean-René Cazeneuve s’exclame), se coucher à 22 heures, ne recevoir aucune visite, ne se déplacer qu’avec autorisation, ne posséder aucun véhicule, aucun réfrigérateur, aucun signe ostentatoire de richesse puisque c’est ainsi que l’on qualifiait à l’époque, pour ce qui les concerne, ces quelques biens matériels.
Et, aujourd’hui, vous pinaillez parce que la Cimade était autorisée à passer dans le camp à partir de 1966. Mais, quand la Cimade passe quelque part, c’est que la situation est grave, et que les gens vont très mal ! C’est tout de même dans les centres de rétention et les prisons qu’elle se déplace !
De combien de personnes parle-t-on ? De 500 survivants !
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Non !
M. Aurélien Taché
Et vous ne voulez même pas indemniser ces quelques centaines de personnes ?
M. Olivier Faure, rapporteur
Beaucoup moins !
M. Aurélien Taché
Dans ce cas, ne faites rien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Emmanuel Grégoire applaudit également.)
Dans la version initiale de la proposition de loi, le rapporteur avait choisi 2014, car certains rapatriés vivaient encore dans le camp de Sainte-Livrade-sur-Lot à cette date. L’année 1975 représente donc une date raisonnable. C’est pourquoi je vous appelle à la raison, chers collègues de la majorité : ne votez pas cet amendement du gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
M. le président
La parole est à M. Frédéric Maillot.
M. Frédéric Maillot
Nous avons été visés, nous qui siégeons de ce côté de l’hémicycle. Mais, avec mes camarades communistes, je vous regarde et je vous le dis : je suis fier de me battre à vos côtés.
Je suis député de La Réunion, une ancienne colonie, et tout ce que j’entends à propos des rapatriés de la guerre d’Indochine, je le comprends. Je comprends cette souffrance en tant qu’enfant d’esclaves et d’engagés, qui ont travaillé dur et reçu des coups pour enrichir la France coloniale.
Quand j’entends que ces rapatriés sont arrivés dans des conditions indignes, je le comprends – nous aussi, nous sommes arrivés dans des navires négriers. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et SOC.)
Mais je voulais vous dire que si je suis l’héritier d’un combat communiste, ce n’est pas de celui de Hô Chi Minh, mais de celui de Paul Vergès, qui était un visionnaire. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR et LFI-NFP.) Paul Vergès a toujours combattu la France coloniale, il a toujours combattu Michel Debré. Et puisque nous parlons de reconnaissance, notre collègue Karine Lebon avait déposé un texte visant à la reconnaissance des « enfants de la Creuse » – plus de 2 000 jeunes Réunionnais ont été transférés dans ce département pour le repeupler. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP. – M. Emmanuel Grégoire applaudit également.) On leur a fait boire la même eau que les animaux ! Personne n’a accepté de les indemniser, personne, quand le texte a été présenté en commission transpartisane, n’a cru bon de le soutenir. Je comprends votre souffrance parce que c’est un peu la mienne, moi, enfant des colonies. Notre jour de gloire n’est pas près d’arriver. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
M. le président
La parole est à M. Romain Eskenazi.
M. Romain Eskenazi
Je défends la position du rapporteur. Madame la ministre, vous appuyez votre raisonnement sur la décision du Conseil d’État du 26 juillet 2024, qui est très claire : on ne peut pas poursuivre l’indemnisation à partir du moment où la contrainte de l’État ne s’exerce plus. Peut-on considérer que cette contrainte est levée à partir du moment où la tutelle ministérielle change, en l’occurrence lorsqu’on passe du ministère de l’intérieur à un autre ministère ? Peut-on considérer qu’à partir du moment où l’arrêté était toujours en vigueur, interdisant la possession d’un appareil électroménager, d’une voiture, d’une télévision, la contrainte de l’État est levée ? Peut-on considérer qu’à partir du moment où les personnes considérées vivaient toujours dans des baraquements infestés de rats et de cafards, la contrainte de l’État est levée ?
La souffrance des femmes et des hommes qui ont vécu dans ces baraquements a duré jusqu’en 2014. Il me semble donc raisonnable de s’aligner sur la date retenue pour les harkis, à savoir 1975.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Eh bien, non !
M. Romain Eskenazi
Or, si l’on tient compte des très nombreuses auditions menées par la commission et de l’accord des historiens sur la question, la contrainte de l’État ne s’est desserrée qu’à partir du milieu des années 1970. Aussi l’année choisie initialement paraît-elle parfaitement légitime pour ces 500 personnes qui attendent leur indemnisation. Les députés du groupe Socialistes et apparentés voteront donc contre l’amendement. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. le président
La parole est à Mme Geneviève Darrieussecq.
Mme Geneviève Darrieussecq
On a parlé de conditions de vie indignes, or j’ai entendu ce soir beaucoup de propos indignes et j’en suis vraiment navrée, car ce texte ne le mérite pas. Nous voulons dire notre reconnaissance aux personnes qui se sont engagées pour la France, qui sont arrivées ici dans de très mauvaises conditions, et nous voulons réparer cette erreur. C’est ce qui importe et, j’y insiste, les propos indignes n’ont pas leur place ici. J’ai entendu les mots « avarice », « économies »… tout ça n’a pas de sens.
M. Aurélien Taché
C’est vrai !
Mme Geneviève Darrieussecq
Moi qui, en tant que ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants, ai défendu le projet de loi portant reconnaissance de la Nation envers les harkis, je regrette sincèrement de ne pas avoir eu de contacts à l’époque, et pendant cinq ans, avec les associations de rapatriés d’Indochine – des personnes qui sont aujourd’hui les oubliés d’un conflit oublié. Et je le regrette vraiment, car nous aurions pu rédiger un texte charpenté concernant et les harkis et les rapatriés d’Indochine, un texte dispensateur d’équité.
Si l’année 1975 est prise en considération, comme le souhaite M. le rapporteur, on aboutira à une rupture de l’équité de traitement et je puis vous assurer que ce sera compliqué à gérer pour le ministère, pour l’ONACVG, pour tous les services concernés.
Quand on parle de privation de liberté, je vous assure que les harkis étaient privés de liberté : ils ne pouvaient pas sortir des camps, et cela jusqu’en 1975. (Mme la ministre déléguée opine du chef.)
M. Aurélien Taché
Une honte !
Mme Geneviève Darrieussecq
C’était une honte, en effet. Or ce n’était pas le cas des rapatriés d’Indochine qui, dès 1966, bénéficiaient d’un régime de liberté beaucoup plus souple. Ce n’est certes pas l’idéal, mais je pense que retenir l’année 1966 rend plus équitable le traitement de deux situations différentes malgré leurs points communs. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et EPR.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Je vais tâcher d’éclaircir les choses, puisque j’ai entendu Mme Galzy employer l’expression « une paille ». Les harkis ont touché, après l’entrée en vigueur de la loi les concernant, 3 000 euros pour la première année, puis 1 000 euros pour les années suivantes.
M. Aurélien Taché
On ne va pas se lancer dans la concurrence mémorielle !
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
La période prise en compte de 1962 à 1975 leur donnait le droit à environ 17 000 euros au total quand ils étaient restés dans le camp du début à la fin.
M. Aurélien Saintoul
Il n’y a pas de quoi pavoiser !
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
L’État a été condamné par la CEDH il y a quatorze ans, alors que nous n’étions pas dans la majorité, et a alors dû payer aux plaignants ayant vécu dans le camp de Bias, auxquels se sont ajoutés les harkis passés par le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, 4 000 euros par personne par an et pour treize années.
Ce que je propose ici est de faire preuve de la même équité, de la même cohérence que pour les harkis. Ainsi, les harkis qui ont vécu dans les camps au-delà de 1990 ont accepté l’année 1975 parce que c’est l’année où l’État se saisit des dossiers.
Mme Béatrice Bellay
On n’est pas au marché !
M. le président
S’il vous plaît, merci d’écouter la ministre.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
L’État, à partir de 1966, permet à ces familles d’avoir une maison pour les jeunes, un atelier pour travailler, de garder leurs enfants (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR)…
M. Alain David
C’est une discussion de marchands de tapis !
Mme Béatrice Bellamy
Mais retirez-le, votre amendement !
M. le président
S’il vous plaît, on s’écoute.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Si l’on retient l’année 1975, c’est vingt ans d’indemnisation. (Mêmes mouvements.) Je suis en train de vous dire que, par rapport aux harkis… (Brouhaha.) Est-ce que je peux m’exprimer ? Si ça ne vous convient pas, vous n’êtes pas obligés de m’écouter, mais laissez-moi finir. (Exclamations sur de nombreux bancs.)
M. le président
S’il vous plaît, chers collègues.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
L’année 1975, je le répète, c’est vingt ans d’indemnisation qui seront distribués aux rapatriés d’Indochine. Eh bien, je vais vous dire : ce soir, les harkis nous regardent.
Mme Zahia Hamdane
Oui, ils nous regardent !
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Et ils se sont honorés de comprendre que 1975 était une date à laquelle, enfin, on les considérait. Or je considère que l’État, à partir de 1966, a fait ce qu’il devait faire pour les rapatriés d’Indochine. Je ne sais pas en quelle année, à quel âge vous avez eu une télévision, une voiture (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP), mais, dans les années 1950, 1960, 1970, peu de gens possédaient ces biens.
M. Rodrigo Arenas
Mais arrêtez !
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Je ne vous dis qu’une chose… (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.) Vous faites comme vous voulez,…
Mme Béatrice Bellay
Ça rame…
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
…vous votez l’amendement ou non,…
Mme Béatrice Bellamy
Retirez-le, votre amendement !
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
…mais moi, je fais preuve de la même cohérence que celle qu’on a montrée pour les harkis : je propose donc que l’année retenue soit 1966, ne serait-ce que pour que le texte tienne d’un point de vue juridique. Et si vous votez pour l’année 1975, je ne lèverai pas le gage. (Brouhaha.)
M. le président
Il est tard et le sujet est grave ; touchant à l’histoire, il est donc passionnel. Aussi, que chacun garde son calme – je vous appelle à un peu de retenue dans vos interpellations. Nous devons pouvoir délibérer dignement, sur le fond, et jusqu’au bout.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Faure, rapporteur
Madame la ministre, je regrette vos mots. Vous ne pouvez pas prendre l’Assemblée en otage en annonçant que si nous ne vous suivons pas, vous ne lèverez pas le gage. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Je ne peux pas ! Je ne lèverai donc pas le gage !
M. Olivier Faure, rapporteur
Puisque vous parlez chiffres, je vais à mon tour vous en donner. Vous faites comme si tous les rapatriés avaient vécu vingt ans au camp de Sainte-Livrade-sur-Lot. Or l’indemnisation est fonction du nombre d’années passées dans le camp :…
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Oui, je sais bien !
M. Olivier Faure, rapporteur
…tout le monde ne bénéficiera pas de vingt années d’indemnisation, très loin de là.
Le chef du bureau central des rapatriés de l’ONACVG évaluait en 2021 – et, depuis quatre ans, une part des potentiels bénéficiaires sont probablement décédés –, pour tous les centres d’hébergement confondus, à 250 ou 300 le nombre de bénéficiaires…
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Ceux qui avaient besoin de la solidarité !
M. Olivier Faure, rapporteur
…encore vivants et qui pourraient être concernés par cette indemnisation.
Vous venez de rappeler que vous avez été condamnée et vous faites comme si, derrière…
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Ce n’est pas moi qui ai été condamnée, c’est l’État !
M. Olivier Faure, rapporteur
Oui, l’État français, bien sûr – je vous tiens en haute estime et je ne pense pas que vous ayez pu être condamnée vous-même. Reste, j’y insiste, que vous faites comme si tous les bénéficiaires avaient perçu l’intégralité de l’indemnité. Pour les harkis, vous avez donné le chiffre de 17 000 euros. La réalité est que le versement moyen a été de 8 856 euros.
Mme Béatrice Bellay
Voilà !
M. Olivier Faure, rapporteur
Et c’est tout le problème. Je le répète : vous faites comme si toutes les personnes concernées avaient vécu dans ces camps pendant vingt ans et donc comme si toutes avaient touché l’intégralité de l’indemnisation – ça n’a jamais été le cas. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Ici, vous allez avoir peu de bénéficiaires avec une indemnisation moyenne bien inférieure aux chiffres que vous avancez : il est donc inutile de chercher à nous faire peur.
Vous comparez la situation des rapatriés d’Indochine avec celle des harkis, mais il ne faut pas raisonner par rapport à d’autres catégories : c’est seulement de la durée de présence dans les camps qu’il faut tenir compte. On devrait remercier ces gens qui ont vécu pendant soixante ans dans des camps et qui acceptent de toucher seulement vingt ans d’indemnisation. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Je ne peux pas vous laisser dire ça !
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 2.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 206
Nombre de suffrages exprimés 186
Majorité absolue 94
Pour l’adoption 46
Contre 140
(L’amendement no 2 n’est pas adopté.)
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
M. le président
La parole est à Mme Catherine Hervieu, pour soutenir l’amendement no 4.
Mme Catherine Hervieu
Au cours de la discussion générale, nous étions tous d’accord sur l’impérieuse nécessité de réparer des injustices. On les répare avec les mots, on l’a dit, avec tous nos beaux mots ; on les répare également avec des indemnités qui ne sont pas qu’un symbole.
Le présent amendement tend à introduire une exception à la règle. C’est un amendement de cohérence visant à assurer la dignité de tous ceux qui ont vécu au camp de Sainte-Livrade-sur-Lot, lequel a continué d’accueillir des rapatriés après le 31 décembre 1975 dans des conditions subies jusqu’à la cession du centre par l’État à la commune en 1981. La limite de 1981 s’impose pour que l’égalité de traitement de tous les rapatriés concernés soit effective, sans que soit remise en cause l’ossature de la proposition de loi.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Faure, rapporteur
L’amendement a été repoussé par la commission dans le cadre de la procédure décrite à l’article 88 du règlement.
La date de 1981 aurait pu être retenue, car elle correspond à la municipalisation du centre d’hébergement de Sainte-Livrade-sur-Lot. La propriété de la structure a alors été transférée de l’État à la commune ; cet événement aurait pu être considéré comme la fin de la période pouvant donner lieu à une indemnisation. Par esprit de responsabilité et pour éviter toute concurrence mémorielle avec les harkis, nous avons retenu la date de 1975, qui me semble constituer un bon compromis. C’est pourquoi je suis opposé à l’amendement, comme je l’étais à celui du gouvernement. Je vous propose de le retirer ; à défaut, avis défavorable. S’en tenir au compromis trouvé en commission pourrait apaiser nos relations avec le gouvernement et inciter Mme la ministre à lever le gage.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Catherine Hervieu.
Mme Catherine Hervieu
J’ai entendu les arguments de M. le rapporteur et je comprends la nécessité de trouver un compromis pour donner un signe fort à l’ensemble des rapatriés. Je maintiens qu’il serait bon de prendre en considération la situation des personnes hébergées à Sainte-Livrade-sur-Lot, qui n’a que trop duré – jusqu’en 2014, comme cela a été dit. Dans un esprit de conciliation, je retire toutefois l’amendement. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et SOC. – M. le rapporteur applaudit également.)
(L’amendement no 4 est retiré.)
(L’article 3 est adopté.)
Articles 4 à 6
(Les articles 4, 5 et 6 sont successivement adoptés.)
Après l’article 6
M. le président
La parole est à Mme Zahia Hamdane, pour soutenir l’amendement no 1.
Mme Zahia Hamdane
Cette proposition de loi a pour objectif de faire bénéficier les rapatriés d’Indochine de la même reconnaissance et des mêmes réparations que celles accordées il y a trois ans aux harkis. Il convient donc de s’inspirer également de l’expérience des familles de harkis après la loi du 23 février 2022. Par cet amendement, nous demandons la remise d’un rapport d’évaluation sur le fonctionnement même de la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis.
En effet, nous avons des retours préoccupants. La loi de 2022 avait pour ambition de reconnaître et de réparer les préjudices subis par les harkis. Si elle a le mérite d’exister, son application est, à ce jour, largement insatisfaisante – gestion opaque des dossiers, décisions parfois arbitraires, incompréhensions multiples, délais particulièrement longs… Mercredi dernier, à Amiens, dans ma circonscription, j’ai animé sur le sujet une conférence lors de laquelle est notamment intervenu M. Charles Tamazount, dont le combat pour l’indemnisation des harkis a permis la condamnation de l’État français devant la CEDH en avril 2024. Les familles ainsi que les associations présentes ont exprimé avec force leur désarroi face à l’opacité du fonctionnement de la commission chargée de l’indemnisation. Cette situation n’est pas acceptable.
Il est de notre devoir de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Par cet amendement, nous voulons corriger les carences de la loi de 2022 afin d’éviter que les familles rapatriées d’Indochine ne se trouvent à leur tour confrontées à une mécanique administrative injuste et décourageante. Le rapport demandé permettra de rendre le processus de réparation transparent, clair et équitable. Je vous demande donc de voter l’amendement.
Madame la ministre, les harkis sont nombreux à vous regarder aujourd’hui…
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Oui !
Mme Zahia Hamdane
…et à vous dire que la date de 1975 est loin de faire l’unanimité. La date de 1994 aurait été plus juste (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP), mais nous aurons l’occasion d’en débattre prochainement lors de l’examen de la proposition de loi no 1330, que je vous invite, chers collègues, à cosigner. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Faure, rapporteur
En commission, j’ai demandé à M. Taché, auteur de l’amendement, de le retirer. Je comprends parfaitement les préoccupations qu’il exprime, mais un amendement qui vise spécifiquement les harkis n’a pas sa place dans un texte qui concerne les rapatriés d’Indochine.
J’ajoute que l’objectif de lisibilité et d’effectivité des réparations versées aux harkis et à leurs familles fait déjà l’objet de rapports rendus chaque année par la CNIH, la commission nationale indépendante des harkis, qui a aussi vocation à lever les obstacles à l’indemnisation, à faire part des difficultés rencontrées et à proposer des pistes d’amélioration. Je considère donc que l’amendement est satisfait. Quant à la question de la date, nous en débattrons ultérieurement, certainement dans le cadre d’une de vos niches parlementaires à venir. C’est pourquoi, pour les mêmes raisons qu’en commission, je vous demande de retirer l’amendement ; à défaut, avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée
Même avis, pour les mêmes raisons.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 1.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 218
Nombre de suffrages exprimés 147
Majorité absolue 74
Pour l’adoption 39
Contre 108
(L’amendement no 1 n’est pas adopté.)
M. le président
Sur l’ensemble de la proposition de loi, je suis saisi par les groupes La France insoumise-Nouveau Front populaire et Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Article 7
(L’article 7 est adopté.)
Explications de vote
M. le président
La parole est à M. Nicolas Ray.
M. Nicolas Ray (DR)
C’est une grande loi que nous allons voter ce soir ; une loi de reconnaissance de la nation envers tous les rapatriés d’Indochine, une loi de réparation des préjudices subis du fait de la sévérité des conditions d’accueil et des atteintes aux libertés. J’ai une pensée particulière pour les rapatriés de Noyant-d’Allier, dans mon département, dont certains sont présents ce soir et qui attendaient depuis des décennies ce geste fort de la nation. Le débat relatif au bornage de la période pouvant donner lieu à indemnisation a été difficile et sera peut-être poursuivi dans le cadre de la navette. En tout cas, le groupe de la Droite républicaine votera sans réserve pour cette proposition de loi juste et nécessaire qui rend leur honneur tant aux rapatriés d’Indochine qu’à la France. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR. – Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Anne Le Hénanff.
Mme Anne Le Hénanff (HOR)
Cette proposition de loi vise à porter reconnaissance de la nation envers les rapatriés d’Indochine et réparation des préjudices subis par ceux-ci et par leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures en France. Elle comble ainsi un vide historique et juridique en reconnaissant enfin les conditions d’accueil indignes vécues par plusieurs milliers de personnes. Elle répond à une exigence de justice mémorielle, en cohérence avec la démarche déjà engagée en faveur des harkis. Ce vote marque une étape importante vers la reconnaissance de toutes les mémoires de la République ; il est temps que la nation assume pleinement cette part de son histoire.
Je tiens à souligner le caractère transpartisan du texte et à remercier Olivier Faure de m’avoir fait confiance en me proposant de le cosigner, ce que j’ai fait sans hésitation. C’est tout à l’honneur de notre assemblée que de réussir à se mettre d’accord sur des thématiques aussi importantes. Le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de cette proposition de loi en séance, comme il l’a fait en commission. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe HOR. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Aurélien Taché.
M. Aurélien Taché (LFI-NFP)
Dans un instant, nous nous prononcerons sur la proposition de loi de M. Olivier Faure relative aux rapatriés d’Indochine, ces hommes et ces femmes qui, au lendemain des conflits coloniaux, ont été contraints à l’exil loin de leur terre natale et qui ont subi en retour l’oubli et l’indifférence de la République. Ces rapatriés ont vécu des drames humains considérables, des déplacements forcés, la perte de leurs racines, la difficulté à reconstruire leur vie dans une France qui ne les reconnaissait pas pleinement. Ce texte constitue donc une réparation tardive mais indispensable. Il représente un acte de justice envers ceux qui ont tant donné, en rappelant que la reconnaissance des blessures du passé est toujours une condition nécessaire pour réellement trouver sa place dans le présent.
Ce débat comporte aussi une dimension plus large sur laquelle j’aimerais que nous nous arrêtions. La proposition de loi nous oblige à interroger ce que nous appelons encore pudiquement « notre histoire », mais qu’il faut enfin nommer clairement comme l’histoire du colonialisme français. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Si la décolonisation a marqué la fin officielle des empires, elle n’a pas effacé les violences ni les discriminations héritées de cette époque. Le racisme structurel, les stéréotypes et les préjugés, les inégalités économiques et sociales qui touchent encore les descendants des anciennes colonies sont la marque indélébile d’un système qui a longtemps considéré ces populations comme inférieures. (M. Frédéric Maillot applaudit.) Des gestes symboliques comme celui que nous posons aujourd’hui, s’ils sont essentiels, ne sauraient donc suffire. Il faut aller plus loin. Il nous faut accompagner cette réparation juridique et symbolique par une politique ambitieuse de reconnaissance et d’éducation. Nous devons réinterroger notre récit national pour y intégrer pleinement la vérité de la colonisation, afin que les générations futures puissent construire leur identité sur une mémoire partagée et apaisée.
Dans ce cadre, la francophonie revêt une importance particulière. Ce n’est pas seulement une communauté linguistique, mais aussi un espace de dialogue entre des peuples liés par des histoires complexes et souvent douloureuses – nous en avons encore eu l’exemple ce soir. La réintroduction récente de l’enseignement du français dans les écoles vietnamiennes témoigne d’une nouvelle volonté du Vietnam de renouer avec cette langue, non plus comme langue de domination, mais comme outil de coopération et d’échange. Par ailleurs, le Cambodge accueillera en 2026 le sommet de la francophonie, un événement qui peut et doit être une occasion de réinventer cette communauté dans un esprit décolonial…
M. Laurent Jacobelli
Oh là là…
M. Aurélien Taché
…et résolument anti-impérial. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Cette proposition de loi doit donc être vue comme une pierre supplémentaire apportée à la reconstruction d’une francophonie consciente de son histoire, engagée dans la lutte contre les héritages de l’impérialisme et résolument tournée vers un avenir commun fondé sur le respect et sur la justice. Elle devrait être votée à l’unanimité. Je pense que M. le rapporteur aimerait le même succès dans d’autres cénacles, mais la gauche mélenchoniste est en tout cas heureuse de contribuer à celui qu’il va connaître ce soir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Romain Eskenazi.
M. Romain Eskenazi (SOC)
Une grande nation n’est pas une nation qui n’a jamais fait d’erreur – je n’en connais pas –, mais une nation qui sait reconnaître ses fautes du passé. C’est ce que nous faisons ce soir.
Je suis député depuis moins d’un an, mais j’ai pu voir qu’il nous arrive de passer des nuits dans l’hémicycle pour pas grand-chose, par exemple pour débattre pendant des semaines d’un projet de loi de finances qui finira en 49.3. Pourtant, il y a aussi des soirs où l’on rentre chez soi en ayant l’impression d’avoir agi concrètement – pas seulement symboliquement – pour rendre justice. C’est ce que nous allons faire aujourd’hui.
Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je tiens à remercier l’ensemble des députés qui s’apprêtent à voter le texte (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs des groupes EPR, Dem et HOR), le rapporteur Olivier Faure qui en a pris l’initiative ainsi que l’ensemble des associations qui se sont battues pendant des années pour obtenir justice et pour assister au vote qui aura lieu dans quelques instants. (Mêmes mouvements.)
Vote sur l’ensemble
M. le président
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 232
Nombre de suffrages exprimés 231
Majorité absolue 116
Pour l’adoption 231
Contre 0
(La proposition de loi est adoptée.)
(Sur tous les bancs, de nombreux députés se lèvent et applaudissent longuement, tournés vers les tribunes du public.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures quinze, est reprise à vingt-trois heures vingt.)
M. le président
La séance est reprise.
3. Droit de vote par correspondance des personnes détenues
Discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues (nos 1163, 1475).
Présentation
M. le président
La parole est à M. le ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
En mars prochain, nos compatriotes seront appelés aux urnes pour renouveler leurs conseils municipaux. Les élections municipales sont évidemment un moment fort de notre vie démocratique, à la hauteur de l’attachement que nos compatriotes portent à leurs maires et à leurs élus communaux. Si les Français sont si attachés à leurs élus locaux, c’est notamment parce qu’ils allient efficacité et proximité, alliance qui fait si souvent défaut à notre démocratie.
Dans un certain nombre de communes qui accueillent une maison d’arrêt ou un centre de détention, le résultat du suffrage aux élections locales pourrait ne pas refléter ce lien du fait d’une modification législative intervenue en 2019. L’ambition de la proposition de loi de la sénatrice Laure Darcos, adoptée en première lecture au Sénat le 20 mars dernier et soumise aujourd’hui au vote de votre assemblée, est de préserver ce lien. Dans l’examen de cette proposition de loi, je crois important de nous garder de deux écueils afin de trouver le juste équilibre entre la sincérité du scrutin et le droit de vote des détenus.
Le premier est le statu quo que maintient le texte adopté en commission. Actuellement, 57 000 détenus peuvent exercer leur droit de vote dans notre pays. Jusqu’en 2019, ils pouvaient l’exercer par procuration ou dans le cadre d’une permission de sortie et, comme tout citoyen, ils devaient démontrer une attache objective avec la commune d’inscription. Toutefois, face au constat d’une faible participation des détenus aux scrutins électoraux, la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique avait entrepris de réformer ce dispositif. D’une part, la loi avait élargi la liste des communes dans lesquelles les détenus pouvaient s’inscrire. D’autre part, elle avait instauré une troisième modalité de vote, le vote par correspondance au sein d’un bureau de vote dérogatoire rattaché au chef-lieu du département ou de la commune d’implantation de l’établissement pénitentiaire. De facto, cette modalité permettait de s’inscrire sur la liste électorale d’une commune sans avoir de lien quelconque avec celle-ci. De mon point de vue, les conséquences de cette dérogation aux principes de droit commun ont été mal anticipées. Le Conseil d’État avait alerté sur les risques de déstabilisation du corps électoral que cette réforme comportait dans les communes concernées. En effet, dans son avis consultatif, la plus haute juridiction de notre ordre administratif écrivait que cette dérogation revenait « à rompre tout lien personnel entre l’électeur et la commune d’inscription, ce qui méconnaît la tradition de notre droit électoral ». Surtout, le Conseil d’État a considéré que la dérogation était « susceptible […] d’avoir un impact quantitatif significatif sur le corps électoral des communes concernées. »
Lors du vote de la loi, ces réserves n’ont malheureusement pas été assez entendues ; nous risquons d’en constater les conséquences à l’échelon local. En effet, selon l’évolution du prochain scrutin et la taille de l’établissement pénitentiaire, les effets de déstabilisation du corps électoral de la commune chef-lieu peuvent être tout à fait tangibles. Il en est ainsi à Melun, où l’élection municipale de 2014 s’est jouée à 365 voix, et qui compte potentiellement près de 500 détenus inscrits sur sa liste électorale, ou à Lille, où l’élection municipale de 2020 s’est jouée à 227 voix et où 400 détenus pourraient voter à l’élection municipale de 2026. Quelle légitimité donner à un scrutin si celui-ci est décidé par des électeurs qui non seulement ne résident pas dans la commune, mais n’ont surtout aucune attache avec elle ? C’est un véritable problème démocratique, auquel la sénatrice Laure Darcos a souhaité répondre.
Sa proposition de loi, adoptée au mois de mars dernier, propose de maintenir le vote par correspondance des détenus au sein d’un bureau de vote dérogatoire rattaché à la commune chef-lieu pour les seuls scrutins nationaux ou référendaires, pour lesquels les risques de déstabilisation du corps électoral sont nuls. Pour les autres scrutins, les détenus devront s’inscrire sur les listes électorales d’une commune avec laquelle ils ont de véritables attaches. Le texte prévoit d’élargir la liste de ces communes en y ajoutant par exemple les villes de résidence de leurs descendants. Le vote par procuration ou dans le cadre d’une permission de sortie s’imposera alors.
Cette solution présente trois avantages : elle conserve les grands acquis de la loi de 2019, notamment le vote par correspondance, gomme ses effets de bord négatifs et élargit le nombre des communes où les détenus peuvent voter par procuration. Elle est donc en définitive celle qui permet le mieux de concilier la nécessaire préservation de la sincérité du scrutin et l’exercice par les détenus de leur droit de vote. La commission des lois de l’Assemblée nationale a rejeté cette solution en revenant aux modalités actuellement prévues par le droit positif, en dépit des préventions formulées par le Conseil d’État que je viens de rappeler. Plus préjudiciable encore, la commission a supprimé la seule garantie apportée par la loi de 2019 en imposant que le suffrage du détenu soit décompté dans les communes d’implantation de l’établissement pénitentiaire et non plus dans le chef-lieu du département. Je ne peux donc que soutenir le rétablissement de la rédaction de la proposition de loi qui avait été retenue et adoptée au Sénat, et uniquement cette rédaction.
En effet, toute modification risquerait de nous faire tomber dans un second écueil, le rétablissement du vote par correspondance des détenus tel qu’il existait avant 1975. Le vote par correspondance des détenus sous pli fermé a en effet été supprimé par un texte du 31 décembre 1975 en raison des risques de fraude ou de détournement des suffrages qu’il comportait, notamment au moyen d’une substitution des bulletins de vote. C’est la raison pour laquelle le gouvernement avait explicitement écarté cette possibilité dans l’étude d’impact accompagnant le texte de 2019, et en prenant en considération les problèmes logistiques d’acheminement de la propagande et du matériel électoral dans les prisons où ce mode de vote était adopté. Pour ces raisons, le gouvernement souhaite le retour à la rédaction de la proposition de loi votée par le Sénat et l’adoption conforme de celle-ci par votre assemblée, afin de permettre son entrée en vigueur le plus rapidement possible et d’organiser ainsi les prochaines élections municipales dans les meilleures conditions.
M. Ugo Bernalicis
Pas un applaudissement !
M. le président
La parole est à M. Jean Moulliere, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Jean Moulliere, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Le texte que nous examinons est bien éloigné de celui qui a été transmis par le Sénat et des ambitions que nous souhaitions initialement défendre dans cet hémicycle. Je le regrette et j’espère que nos débats nous permettront d’y remédier. Je tiens à saluer l’auteure de la proposition de loi, la sénatrice Laure Darcos, ainsi que le rapporteur au Sénat, Louis Vogel.
J’en viens directement au fond du sujet pour vous expliquer pourquoi il me semble essentiel de nous rétablir une version correcte de ce texte. Afin de faciliter l’exercice du droit de vote des personnes détenues, la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a facilité l’établissement des procurations et a introduit dans le code électoral une sorte de vote par correspondance pour les personnes détenues. Si elle est utilisée par facilité de langage, je me permets toutefois de préciser que cette dénomination est en réalité impropre : il ne s’agit pas d’un vote traditionnel par voie postale comme cela a pu exister en France jusqu’en 1975, date à laquelle il a été interdit en raison des risques de fraude. En effet, la modalité de vote créée en 2019 pour les personnes détenues ne consiste pas à leur permettre de voter par voie postale, mais à les rattacher à un bureau de vote situé dans le département où est implanté leur établissement pénitentiaire. Cela permet à l’administration pénitentiaire de distribuer une seule et même propagande électorale au sein de la prison, puis d’y organiser des opérations pré-électorales uniformes, très proches de celles qui se déroulent dans un bureau de vote. À la fin de ces opérations, les bulletins des personnes détenues sont conservés dans une urne scellée qui sera remise par le directeur de la prison au bureau de vote dérogatoire instauré au sein de la commune chef-lieu pour que ces bulletins soient comptabilisés.
Dès 2019, cette modalité de vote a été choisie par défaut, pour des raisons logistiques. Il n’était pas envisageable de faire voter par voie postale les personnes détenues dans chacune de leurs communes de rattachement. Il était en effet trop complexe de distribuer des dizaines, voire des centaines de propagandes différentes et, de même, des dizaines, voire des centaines de matériels de vote différents. Les difficultés d’acheminement, notamment pour les seconds tours, étaient trop importantes et risquaient de ne pas permettre aux personnes détenues d’exprimer effectivement leurs suffrages.
C’est donc par défaut que le système actuel a été adopté. Il conduit aujourd’hui à inscrire les personnes détenues sur les listes électorales de la commune chef-lieu du département dans lequel est implanté l’établissement pénitentiaire, plus précisément sur les listes du bureau de vote qui comporte le plus d’électeurs inscrits sur les listes électorales.
Or cette organisation montre ses limites et s’avère profondément imparfaite, pour deux raisons principales. D’abord, sur le plan des principes, il me semble tout à fait gênant que les détenus votent dans une commune avec laquelle ils n’ont aucun lien, qu’ils ne connaissent souvent même pas et dans laquelle ils peuvent n’avoir jamais posé le pied. Il est incohérent de leur conférer le pouvoir de sanctionner une politique municipale qu’ils ignorent.
Dès 2019, dans son avis sur la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, le Conseil d’État avait considéré que cette disposition législative conduisait « à rompre tout lien personnel entre l’électeur et la commune d’inscription, ce qui méconnaît la tradition de notre droit électoral. »
La deuxième raison est d’ordre plus concret et numérique. La logique de rattachement retenue avait pour but d’insérer le vote des détenus dans des bureaux de vote suffisamment importants pour qu’il n’y ait pas d’impact quantitatif significatif sur le corps électoral.
Or cette disposition a été mal évaluée et le vote des détenus est, en réalité, susceptible d’altérer les équilibres démocratiques, portant ainsi atteinte au principe de sincérité du scrutin. Il n’est démocratiquement pas acceptable que le résultat d’une élection locale puisse être déterminé par le vote de personnes qui n’ont pas de lien avec le territoire concerné.
C’est pourquoi il est nécessaire de revenir sur cette anomalie démocratique. Je tiens à être clair : ce texte de loi n’a pas été pensé pour porter atteinte aux droits des personnes détenues. Le droit de vote fait partie des droits fondamentaux et les personnes emprisonnées ne sauraient en être privées, sauf par décision expresse de la justice.
Le texte proposé par nos collègues sénateurs conserve ce vote par correspondance pour tous les scrutins dans lesquels la République forme une unique circonscription : cela concerne les élections présidentielles et européennes ainsi que les opérations référendaires.
Il limite cette modalité de vote en excluant les scrutins où les circonscriptions sont délimitées localement, afin de corriger le dispositif voté en 2019 et de répondre aux difficultés que je viens d’évoquer.
Cette solution, votée par nos collègues sénateurs, me semble équilibrée, en ce qu’elle nous permet de concilier l’objectif d’expression des droits civiques des détenus avec l’exigence d’équité démocratique. Elle garantit ainsi aux détenus l’accès au vote, tout en préservant la cohérence et la sincérité des scrutins locaux.
Je tiens à ajouter que cela ne veut évidemment pas dire que les personnes détenues ne pourront pas voter pour ces scrutins : elles pourront le faire grâce à une permission de sortie ou par le biais d’une procuration.
Le texte vise d’ailleurs à faciliter la procuration en élargissant les possibilités d’inscription sur les listes électorales : les personnes détenues pourront s’inscrire sur les listes de la commune d’un descendant.
Mme Elsa Faucillon
Dont acte.
M. Jean Moulliere, rapporteur
Cette évolution devra s’accompagner des efforts de l’administration pénitentiaire pour faciliter l’établissement des procurations et maintenir ainsi le taux de participation électorale des personnes détenues aux différents scrutins locaux.
Monsieur le ministre, je sais que nous pouvons compter sur votre engagement ainsi que sur celui du garde des sceaux pour continuer dans cette direction.
Ce droit de vote permet aux personnes détenues de participer à la vie démocratique de notre pays. C’est là un élément fondamental que nous devons préserver, mais nous avons également le devoir de garantir la cohérence et la sincérité des scrutins.
C’est cet équilibre ce que nous souhaitons proposer dans ce texte, en particulier à travers l’amendement de rétablissement de l’article 1er que je vous proposerai.
Motion de rejet préalable
M. le président
J’ai reçu de Mme Mathilde Panot et des membres du groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Jean-François Coulomme.
M. Jean-François Coulomme
La France insoumise refuse que les personnes détenues françaises soient privées de leur droit et de leur liberté de vote. Nous rejetons ce texte hypocrite destiné à compliquer et à limiter le droit des citoyens détenus à exercer leur part de souveraineté populaire. Nous invitons donc tous les démocrates à rejeter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Nous en venons aux explications de vote.
La parole est à M. Guillaume Gouffier Valente.
M. Guillaume Gouffier Valente (EPR)
Cette motion de rejet présentée à la dernière minute est une démarche assez originale, mais elle se fait dans le respect du règlement.
Cher collègue, les propos que vous avez tenus sont excessifs.
Mme Mathilde Panot
Il n’a prononcé qu’une phrase !
M. Guillaume Gouffier Valente
Ce texte ne vise pas à restreindre les droits civiques des détenus, comme vous l’insinuez. Il tend plutôt à corriger une erreur introduite dans le texte que nous avons nous-mêmes voté sous la législature précédente, qui renforçait le droit de vote par procuration des détenus et introduisait le droit de vote par correspondance.
Ce texte a donné lieu à une situation assez baroque : les détenus votent non pas dans la ville où ils sont domiciliés, mais dans la ville chef-lieu du département où ils sont détenus. C’est tout simplement inacceptable.
Mme Mathilde Panot
Allez, allez !
M. Guillaume Gouffier Valente
La proposition de loi sénatoriale corrige cette erreur en élargissant le recours au droit de vote par procuration, tout en restreignant le droit de vote par correspondance aux seules élections organisées en fonction d’une circonscription nationale – les élections présidentielles et européennes ainsi que les référendums –, afin de garantir la sincérité du vote.
Le rejet du texte entraînerait des déséquilibres dans le corps électoral de certaines villes. Nous voterons donc contre cette motion de rejet préalable. (Mme Constance Le Grip applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Paul Christophe.
M. Paul Christophe (HOR)
Voilà la France insoumise qui retombe dans ses travers : vous dénoncez un déni de démocratie, si j’ai bien compris.
Mme Mathilde Panot
Oh, ça va !
M. Paul Christophe
Désolé, mais j’ai le droit de m’exprimer. Votre petite manœuvre, nous l’apprécions à sa juste valeur. Souffrez cependant que je donne mon appréciation de ce que vous proposez ce soir en catimini, en déposant au dernier moment une motion de rejet fondée sur des arguments fallacieux.
Il ne s’agit absolument pas de priver les prisonniers de leur droit de vote…
M. Ugo Bernalicis
Bien sûr que si !
M. Paul Christophe
…mais de proposer d’autres appréciations de l’expression de ce droit.
M. Ugo Bernalicis
Allez, allez !
M. Paul Christophe
Écoutez, j’ai cinq minutes pour les explications de vote, non ?
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Non !
M. le président
Vous avez deux minutes.
M. Paul Christophe
Laissez-moi parler deux minutes, alors. Même s’il n’en reste plus qu’une, je l’exploiterai jusqu’au bout !
M. Ugo Bernalicis
Nous vous écoutons ! Et n’ayez crainte, si vous ne disposez que de deux minutes, pour ce qui est de la mauvaise foi, c’est à volonté !
M. Paul Christophe
J’espère bien que vous m’écoutez, et sans que j’aie besoin de forcer la voix.
M. Jean-François Coulomme
Votre intervention est hors sujet !
M. Paul Christophe
Même si je ne parle pas du sujet, j’ai le droit d’exploiter ces deux minutes, ne vous en déplaise. Je ne suis certainement pas le premier à subir vos prises de parole excessives. Vous pouvez au moins m’offrir ces deux minutes de parole.
Mme Clémence Guetté
Vous êtes ridicule ! On voit bien que vous n’avez rien à dire !
M. Paul Christophe
Pardon ? Vous trouvez que c’est excessif ? Nous saurons vous le rappeler à l’occasion. Je voudrais saluer le travail du rapporteur, notre collègue Jean Moulliere, ainsi que celui de Louis Vogel et de Laure Darcos, qui ont déposé ce texte au Sénat.
Vous faites manifestement de l’obstruction pour éviter le vote sur ce texte. C’est bien dommage. Vous m’avez offert deux minutes de parole, je vous en remercie. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz (Dem)
Je voudrais dire ma stupéfaction quand j’ai appris le dépôt d’une motion de rejet préalable sur un texte qui a certes fait l’objet de vives discussions en commission, mais qui doit continuer d’être débattu.
J’ai entendu dans le très court exposé des motifs qu’il était question de retirer le droit de vote aux détenus. Ce n’est évidemment pas le cas : ce texte corrige l’impact sous-évalué du vote des détenus qui n’entretiennent aucun lien avec les communes ou les circonscriptions dans lesquelles ils votent, ce qui va à l’encontre de notre tradition électorale.
M. Ugo Bernalicis
L’objectif est de revenir à 0,2 % comme avant !
Mme Anne Bergantz
Les Démocrates voteront donc contre cette motion de rejet préalable. Nous espérons que le texte pourra être examiné dans son intégralité et qu’il sera voté. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
M. Florent Boudié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Je voudrais faire un rappel au règlement. Vous auriez dû demander l’avis de la commission.
M. le président
Il ne peut pas y avoir de rappel au règlement pendant les explications de vote. J’ai peut-être donné la parole un peu vite aux orateurs, mais il n’y a pas eu de main levée sur les bancs de la commission. Vous pouvez cependant demander une suspension de séance.
M. Florent Boudié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Je demande une suspension de séance.
M. le président
Elle est de droit.
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures quarante, est reprise à vingt-trois heures quarante-cinq.)
M. le président
La séance est reprise.
Nous en revenons aux explications de vote.
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel (DR)
Notre groupe votera évidemment contre cette motion de rejet préalable, parce que nous voulons pouvoir débattre de cette proposition de loi et, surtout, l’adopter dans une rédaction conforme à celle du Sénat. Contrairement à ce que d’aucuns ont pu dire sur ces bancs, il ne s’agit pas de supprimer un quelconque droit de vote (« Si ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP) mais de corriger une anomalie démocratique trop longtemps ignorée : le fait qu’un certain nombre de détenus ne votent pas dans la commune dont ils sont issus pose un problème. Nous ne comprenons donc pas très bien l’objet de cette motion de rejet préalable. (Mmes Danielle Brulebois, Constance Le Grip et Louise Morel applaudissent.)
M. le président
La parole est à M. Philippe Schreck.
M. Philippe Schreck (RN)
Notre groupe votera également contre cette motion de rejet préalable. Nous pensons que ce texte mérite d’être discuté en séance, comme il l’a été en commission. La proposition de loi, telle qu’elle a été votée au Sénat, ne supprime pas le droit, pour les personnes détenues, de voter par correspondance, mais elle l’aménage pour le limiter aux scrutins nationaux – élections présidentielles et européennes, scrutins référendaires. Elle réaffirme qu’il doit y avoir un lien entre la personne détenue et la circonscription dans laquelle elle est inscrite, mais elle élargit dans le même temps les possibilités d’inscription sur les listes électorales. Cette motion de rejet préalable est une tactique bien malheureuse et nous voterons naturellement contre. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Guillaume Gouffier Valente.
M. Guillaume Gouffier Valente
Je vous demande une suspension de séance, monsieur le président. (Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures cinquante, est reprise à vingt-trois heures cinquante-deux.)
M. le président
La séance est reprise.
La parole est à M. Paul Christophe.
M. Paul Christophe
Je demande une suspension de séance, monsieur le président. (Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures cinquante-deux, est reprise à vingt-trois heures cinquante-quatre.)
M. le président
La séance est reprise.
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz
Je demande une suspension de séance, monsieur le président. (Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures cinquante-quatre, est reprise à vingt-trois heures cinquante-six.)
M. le président
La séance est reprise.
Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Mme Justine Gruet
La semaine dernière aussi, vous aviez aussi reçu une demande de scrutin public. Il y a deux poids, deux mesures !
M. le président
La parole est à M. Philippe Schreck.
M. Philippe Schreck
Je demande une suspension de séance, monsieur le président. (Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures cinquante-six, est reprise à vingt-trois heures cinquante-sept.)
M. le président
La séance est reprise.
Je mets aux voix la motion de rejet préalable.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 154
Nombre de suffrages exprimés 153
Majorité absolue 77
Pour l’adoption 70
Contre 83
(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN, EPR, DR, Dem et UDR.)
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
4. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, demain, à quatorze heures :
Discussion de la proposition de résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale afin de simplifier l’organisation de certains scrutins et l’examen des lois organiques ;
Discussion et vote sur une motion de censure déposée en application de l’article 49, alinéa 2, de la Constitution ;
Suite de la discussion de la proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues ;
Discussion de la proposition de loi permettant aux salariés de participer aux collectes de sang, de plaquettes ou de plasma sur leur temps de travail ;
Discussion de la proposition de loi visant à exercer l’accès à l’emploi, pérenniser et étendre progressivement l’expérimentation Territoires zéro chômeur longue durée comme solution de retour à l’emploi pour les personnes privées durablement d’emploi.
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra