Première séance du mercredi 04 juin 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Simplifier l’organisation de certains scrutins et l’examen des lois organiques
- 2. Souhaits de bienvenue
- 3. Motion de censure
- Suspension et reprise de la séance
- Suspension et reprise de la séance
- 4. Droit de vote par correspondance des personnes détenues
- Discussion générale
- Discussion des articles
- Article 1er
- Amendement no 1
- Sous-amendements nos 19 et 21
- Amendement no 2
- Sous-amendements nos 22 et 24
- Amendements nos 5 et 13
- M. Jean Moulliere, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Sous-amendements nos 25, 32, 26, 30, 31 et 29
- M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
- Après l’article 1er
- Article 2
- Article 3
- Amendements nos 9, 15
- Article 4
- Amendement no 10, 16
- Article 5
- Amendements nos 11, 17
- Article 6
- Amendements nos 12, 18
- Après l’article 6
- Amendement no 6
- Article 1er
- Vote sur l’ensemble
- 5. Permettre aux salariés de participer aux collectes de sang sur leur temps de travail
- 6. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quatorze heures.)
1. Simplifier l’organisation de certains scrutins et l’examen des lois organiques
Procédure d’examen simplifiée
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d’examen simplifiée, en application de l’article 103 du règlement, de la proposition de résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale afin de simplifier l’organisation de certains scrutins et l’examen des lois organiques (nos 1286, 1467).
Ce texte n’ayant fait l’objet d’aucun amendement, je le mets directement aux voix.
(La proposition de résolution est adoptée.)
Mme la présidente
Voilà une modification du règlement adoptée à l’unanimité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et DR. – M. Roland Lescure, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, applaudit également.) Ce n’est pas une grande réforme du règlement, monsieur le premier ministre, mais petit pas après petit pas, nous arrivons à modifier un certain nombre de choses au sein de nos procédures, ce dont je suis ravie. Merci à tous !
2. Souhaits de bienvenue
Mme la présidente
Je souhaite saluer et souhaiter la bienvenue en votre nom à une délégation du peuple Kayapo conduite par son chef, petit-fils du cacique Raoni, M. Tau Metuktire. (Mmes et MM. les députés et les membres du gouvernement se lèvent et applaudissent.)
3. Motion de censure
Discussion et vote
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion et le vote sur la motion de censure déposée, en application de l’article 49, alinéa 2, de la Constitution, par Mme Aurélie Trouvé et cinquante-sept membres de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Mathilde Hignet.
Mme Mathilde Hignet
La démocratie est définie comme une forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple – un peuple qui s’est déplacé en nombre pour élire ses représentants, il y a bientôt un an. Bientôt un an que le résultat des urnes est bafoué par le président de la République ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) En faisant alliance, une fois de plus, avec l’extrême droite au sujet de l’un des textes les plus rétrogrades qui soient pour notre environnement, vous méprisez les électeurs qui ont voté en votre faveur afin de faire barrage au Rassemblement national (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) ; vous consacrez, aux dépens de la République du peuple, la république des lobbys.
Je le répète, vous n’avez que faire du résultat des urnes, reflet de la volonté du peuple souverain : pour se passer du vote de l’Assemblée, toutes les manœuvres sont bonnes. Après les 49.3 à répétition, l’examen de la proposition de loi dite Duplomb, future loi « pesticides », future loi « agrobusiness », vous conduit à aller encore plus loin en recourant à un 49.3 déguisé : pour la première fois depuis quarante ans, le rapporteur dépose une motion de rejet préalable de son propre texte, ou plutôt du texte dicté par les lobbys de l’agrobusiness et par M. Rousseau, le patron de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). (Mêmes mouvements.) Nos concitoyens et concitoyennes doivent comprendre que cette manœuvre ne vise qu’à contourner le débat, le vote des députés : c’est ainsi uniquement la version du texte issue de son examen par le Sénat, et dérangeant même dans vos rangs, chers collègues macronistes, qui sera soumise à la commission mixte paritaire – sept députés, sept sénateurs, loin d’être choisis au hasard,…
M. Emeric Salmon
En effet : ils sont choisis de façon démocratique !
Mme Mathilde Hignet
…chargés de déterminer à huis clos la mouture finale d’un texte dangereux pour la santé, pour la biodiversité.
M. Aurélien Saintoul
C’est scandaleux !
Mme Mathilde Hignet
Privés de notre droit, en tant que parlementaires, de débattre de ce texte, de son impact sur la santé et la planète, face à un gouvernement qui nous mène à la catastrophe, nous déposons cette motion de censure. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Vous tentez de vous justifier en dénonçant une prétendue obstruction, en arguant de la situation d’urgence qui serait celle de la profession agricole. Votre premier argument ne tient pas : on comptait en moyenne douze amendements par député Insoumis, chiffre nullement supérieur à ce qui s’est produit pour le projet de loi de simplification de la vie économique ou au sujet de la fin de vie. (Mêmes mouvements.) Nous avons proposé de retirer des amendements, nous avons proposé, en conférence des présidents, de recourir au temps législatif programme ; vous avez refusé. Quant à votre second argument, j’aurais cru que l’urgence était de protéger la planète, de garantir aux paysannes, aux paysans, des prix, donc un revenu, rémunérateurs. En la matière, rien n’a changé. Aucune urgence ! Vous vous moquez du monde. (Mêmes mouvements.)
Nous sommes en droit de nous interroger : vouliez-vous débattre de ce texte, collègues macronistes ? En vérité, vous aviez peur que l’Assemblée, sous pression populaire, ne vote pas comme le souhaite ce gouvernement au service des puissants ; peur qu’un débat public n’expose à tous les yeux l’arnaque que constitue ce texte ; peur que le contenu des amendements retenus en commission, votés par certains dans vos rangs, se retrouve dans la loi. (Mêmes mouvements.) Voyez la haute opinion que vos ministres ont de votre avis !
Ce texte ne vise pas, loin de là, à supprimer les contraintes du métier d’agriculteur, mais celles imposées à l’agrobusiness (Mêmes mouvements) et à l’agrochimie à qui vous permettez, en revenant sur la séparation entre vente et conseil en matière de pesticides, de continuer à faire pression sur les agriculteurs, afin que ceux-ci épandent toujours plus de produits dangereux, néfastes, qui les rendent malades – et nous avec. (Mêmes mouvements.) Puisque vous refusez de regarder en face les victimes et leurs familles, je vais, une fois encore, les faire entrer dans cet hémicycle : faire entrer dans nos débats (Mêmes mouvements) la vie des Françaises et des Français : c’est notre rôle de députés, et non de recopier bêtement des amendements écrits par les lobbyistes de l’agrobusiness.
Souvenez-vous ! Souvenez-vous de Christian Jouault, agriculteur, décédé en avril dernier après s’être battu contre une leucémie, un lymphome, un cancer de la prostate, maladies toutes reconnues comme liées aux pesticides. (Mêmes mouvements.) Sous couvert de sauver des filières, vous souhaitez réintroduire un néonicotinoïde, l’acétamipride, dangereux pour l’environnement et la santé. Quelles seront les conséquences d’une telle décision ? Souvenez-vous, collègues, d’Alain Chotard, agriculteur, décédé ce 31 mai après avoir lutté pendant trente ans contre la maladie de Parkinson, elle aussi causée par les pesticides ! (Mêmes mouvements.) Les ravages de ces derniers ne s’arrêtent pas à la lisière des champs : ouvriers de l’agro-industrie, fleuristes, paysagistes, voisins, nous sommes tous concernés. Souvenez-vous de Pascal, décédé d’un cancer lymphatique après avoir été exposé aux pesticides durant vingt-trois ans dans le cadre de son travail de jardinier municipal ! (Mêmes mouvements.)
Sacrifier la santé des agriculteurs, des citoyens, aux profits de quelques-uns, voilà ce que vous vous apprêtez à faire. Même la santé des enfants est menacée ! Souvenez-vous d’Emmy, décédée à 11 ans après sept ans de souffrances : la cour d’appel de Rennes a confirmé que sa leucémie avait été causée par l’intoxication aux pesticides, pendant la grossesse, de sa maman, fleuriste. (Mêmes mouvements.) Lorsque vous visiterez, dans votre circonscription, un service d’oncologie pédiatrique, souvenez-vous du texte que vous aurez laissé passer – alors que les médecins alertent désormais au sujet de l’exposition des enfants au cadmium, notamment présent dans les céréales, les pommes de terre, et des risques de cancer du rein ou du foie qui en découlent !
Cette proposition de loi ne règle rien, elle acte les impasses économiques dans lesquelles s’est embourbé notre modèle agricole. (Mêmes mouvements.) Ainsi la prolifération des ravageurs des vergers de noisetiers a-t-elle été facilitée par le doublement, en France, de la surface de ces derniers depuis 2010 – une monoculture et une concentration de la production encouragées par Ferrero, qui souhaite gonfler ses 751 millions de bénéfices. Non content de détruire les écosystèmes de l’Indonésie afin de produire de l’huile de palme, Ferrero contribue à la pollution de l’eau et des sols. (Mêmes mouvements.) Lorsque l’acétamipride aura tué toute la biodiversité, rendant les terres infertiles, que direz-vous aux productrices, aux producteurs ? Vous refusez d’écouter les scientifiques ou les agriculteurs qui proposent des solutions alternatives. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié en 2018 un rapport recensant, pour la culture des betteraves, dix-huit méthodes autres que le recours aux néonicotinoïdes. L’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique finance dans le Nord une sucrerie intégralement biologique, véritable solution pour les betteraviers ; mais voilà, après avoir souhaité en janvier la suppression de l’Agence bio, le gouvernement ampute son budget de façon drastique, mettant ce projet en péril. (Mêmes mouvements.)
S’aligner sur le moins-disant ne nous rendra pas plus compétitifs : cela ne fera qu’appauvrir les travailleurs des industries agroalimentaires. Après les normes environnementales, alignerez-vous sur les autres pays la rémunération des agriculteurs ? Leur avenir, est-ce le salaire des pays de l’Est ? Pensez-vous vraiment que relever pour les élevages les seuils à partir desquels s’applique la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) permettra aux éleveurs porcins de contrer la Chine et ses 650 000 cochons élevés dans un immeuble en béton de vingt-six étages ? (Mêmes mouvements.) Lorsque vous évoquez la concurrence mondiale, faites donc preuve d’honnêteté : nos concurrents produisent davantage et moins cher, mais dans quelles conditions ? Enviez-vous à ce point les fermes géantes américaines, avec leurs champs d’OGM à perte de vue, leurs salariés bien souvent immigrés et sous-payés ? Assez de cette course au profit qui sert seulement les intérêts de quelques-uns (Mêmes mouvements), assez de cette concurrence déloyale, assez de laisser ceux d’en haut dicter la loi !
M. Laurent Jacobelli
Assez du marxisme !
Mme Mathilde Hignet
Instaurons des prix rémunérateurs garantis, afin d’assurer aux agriculteurs et agricultrices un revenu à la hauteur de leur travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Instaurons un protectionnisme solidaire (Mêmes mouvements)…
…afin de protéger les agriculteurs français de la concurrence déloyale des produits importés, cultivés suivant des normes sociales et environnementales moins-disantes. L’agro-industrie, la grande distribution tirent vers le bas les prix des produits agricoles tout en augmentant leurs profits et les dividendes de leurs actionnaires : encadrons les marges, favorisons l’agriculture biologique, la polyculture-élevage, qui permettent de produire tout autant sans abîmer les terres ni la santé humaine ! (Mêmes mouvements.) Vous vous posez en défenseurs de l’agriculture française,…
M. Laurent Jacobelli
Vous, vous défendez les kolkhozes !
Mme Mathilde Hignet
…mais vous ne défendez qu’un système qui conduit à sa disparition : résultat, nous ne sommes plus en mesure de garantir notre souveraineté alimentaire.
M. Laurent Jacobelli
La faute à qui ?
Mme Mathilde Hignet
À quoi bon en discuter dans cet hémicycle, chers collègues ? Soupeser un texte qui menace notre santé et l’environnement, très peu pour vous ! La semaine dernière, c’étaient la proposition de loi Duplomb et les appels de la ministre concernée à cibler les élus de gauche – pour les menacer ? Lundi, la minorité présidentielle votait en faveur du rejet de sa propre proposition de loi consacrée à l’autoroute A69, détournant encore une fois de son usage la motion de rejet préalable. Cela rend ce texte illégitime : retirez-le ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Mardi, le gouvernement annonçait la suspension de MaPrimeRénov’, là encore sans débat budgétaire, aux dépens de centaines de milliers de ménages modestes. Il faut croire qu’à force de fréquenter l’extrême droite, vous finissez par en adopter les traits. (Mêmes mouvements.)
Au cours de l’histoire française, qui d’autre que l’extrême droite s’est permis de nier le résultat des urnes, de museler l’Assemblée nationale ? Vous pouvez refuser, chers collègues du centre et de droite, de servir de marchepied à ces méthodes, de devenir la bouée de sauvetage d’un macronisme aux abois, empêtré dans les affaires Nestlé ou Bétharram. Irrespect du résultat des élections, 49.3, magouilles parlementaires, autant d’actes qui affaiblissent la démocratie (Mêmes mouvements)…
M. Laurent Croizier
Je vous invite à lire La Meute !
Mme Mathilde Hignet
…et dont nos concitoyens, nos concitoyennes se souviendront, comme ils se rappellent la victoire bafouée du « non » à la Constitution européenne. C’était en 2005, il y a vingt ans : décidément, vous n’avez rien appris. Dès lors, face à vos méthodes antisociales, antidémocratiques, qui alimentent toujours davantage les crises économique, environnementale, sociale et politique, nous vous censurerons ! (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique.
Mme Sophia Chikirou
Très peu d’applaudissements pour le premier ministre…
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Nous vivons un moment intéressant, non pas seulement parce qu’il s’agit de la septième motion de censure affrontée par le gouvernement,…
M. Antoine Léaument
Jamais sept sans huit !
M. Nicolas Sansu
Et la huitième sera la bonne !
M. François Bayrou, premier ministre
…mais aussi parce qu’il s’agit, me semble-t-il, de la 154e motion de censure examinée depuis le début de la Ve République.
Ces motions de censure étaient alors généralement déposées par les oppositions contre le gouvernement, par la droite contre la gauche, par la gauche contre la droite, par la gauche et la droite associées contre le centre, et avaient toutes un point commun : elles invitaient l’Assemblée nationale à voter contre le gouvernement.
La motion de censure que nous examinons cet après-midi est unique en son genre : c’est la première fois que l’Assemblée nationale est invitée à voter contre l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
En effet, la raison – ou plutôt le prétexte – de cette motion de censure est le vote d’une motion de rejet préalable sur un texte d’origine parlementaire, adopté en première lecture par le Sénat. Cette motion de rejet, demandée par quatre des groupes parlementaires de cette assemblée, a recueilli 274 voix contre 121, soit la majorité absolue des votants. Ainsi, l’Assemblée n’est pas contente de l’Assemblée et elle se propose, à la demande de cinquante-huit de ses membres, de manifester le mécontentement qu’elle éprouve à son propre égard en renversant le gouvernement !
Résumons : le gouvernement n’est pas à l’origine de ce texte, il n’est pas à l’origine de son adoption, il n’est pas à l’origine de la motion de rejet préalable…
M. Alexis Corbière
Le gouvernement a soutenu la motion de rejet !
M. François Bayrou, premier ministre
…mais il est coupable, forcément coupable, comme le disait Marguerite Duras.
M. Manuel Bompard
Ah, donc vous n’y êtes pour rien ?
M. Alexis Corbière
Vous êtes responsable de quoi, en fait ?
M. Nicolas Sansu
Quelle condescendance !
M. François Bayrou, premier ministre
C’est d’ailleurs ce que traduit le texte même de la motion de censure, qui parle d’un « 49.3 parlementaire ».
Depuis que ce gouvernement est entré en fonction, il a veillé sans cesse à ce que les prérogatives du Parlement soient respectées,… (Vives protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Alexis Corbière
Ce n’est pas vrai ! Vous avez utilisé le 49.3 !
M. François Bayrou, premier ministre
…qu’elles s’expriment librement et qu’elles contribuent à résoudre les problèmes qui se posent à nous.
Je l’ai affirmé dès notre déclaration de politique générale et je le réaffirme aujourd’hui : la capacité d’action de l’État dépend de la bonne coopération entre le Parlement et l’exécutif.
Face aux défis sans précédent qui nous attendent, je crois plus que jamais à la coresponsabilité.
M. Jean-François Coulomme
Et pour Bétharram, il y a des coresponsables ?
M. François Bayrou, premier ministre
Nos institutions invitent à avoir un parlement fort, un gouvernement fort et un président fort.
M. Sébastien Peytavie
C’est un peu raté…
M. François Bayrou, premier ministre
Néanmoins, nous devons admettre que nous faisons face, collectivement, à une difficulté que nous ne parvenons pas à surmonter. Les parlementaires, les citoyens et, bien sûr, le gouvernement souhaitent ardemment des réformes. En France, ces réformes passent souvent par des lois. Pourtant, depuis presque six mois, le Parlement ne parvient pas à examiner les textes nécessaires. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et GDR.)
M. Antoine Léaument
Ce n’est pas vrai !
M. François Bayrou, premier ministre
L’ordre du jour est devenu un casse-tête, les amendements se multiplient, leur nombre double de législature en législature, les débats s’éternisent. (Protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Chaque jour, les parlementaires, les commissions, les groupes, les ministres et les observateurs réclament l’inscription de textes nécessaires à l’ordre du jour de l’Assemblée. Pourtant, l’examen de ces textes est rendu impossible à cause de l’engorgement parlementaire délibérément créé au sein de cet hémicycle. (Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Antoine Léaument
Il nous insulte !
M. Nicolas Forissier
Taisez-vous !
Mme la présidente
On écoute le premier ministre, merci. Vous avez eu la parole.
M. François Bayrou, premier ministre
Vous pouvez hurler autant que vous voulez, cela ne change rien à la situation à laquelle nous faisons face. Elle vous concerne autant qu’elle concerne le reste de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
M. Erwan Balanant
Il faut les laisser causer, ça leur passera…
M. François Bayrou, premier ministre
Cette situation crée une grande frustration pour les parlementaires sur tous les bancs de l’hémicycle, pour le gouvernement et surtout pour nos concitoyens. Cela n’est bon pour personne. Ce blocage se retourne contre le Parlement lui-même.
Les seuls véritables adversaires au bon fonctionnement du Parlement sont ceux qui recourent constamment à l’obstruction et au blocage. Ils cherchent par tous les moyens à miner son travail, à remettre en question sa légitimité et, in fine, à le discréditer aux yeux de nos concitoyens. Nous le constatons chaque jour davantage. Par conséquent, ces adversaires ne sont pas le gouvernement ; ils siègent sur les bancs de cet hémicycle, et empêchent le Parlement de faire son travail.
M. Antoine Léaument
Ce n’est pas ce que vous venez de faire ?
M. François Bayrou, premier ministre
En tant que citoyen, je plaide depuis longtemps, un peu solitairement, pour une réforme du fonctionnement du Parlement. Madame la présidente, vous le savez bien. Je le fais avec la plus grande humilité, puisque la question concerne au premier chef ceux qui sont assis sur ces bancs.
Il me semble que tant que le Parlement ne pourra pas examiner simultanément différents textes, permettant ensuite à tous les députés de voter lors de séances plénières concentrées sur une même demi-journée à l’instar de ce qui est pratiqué au Parlement européen, nous ne parviendrons pas à résoudre cette question lancinante qui s’aggrave chaque jour.
M. Stéphane Peu
Ce n’est pas une motion de censure contre le Parlement…
M. Alexis Corbière
Cette motion de censure est contre vous !
M. François Bayrou, premier ministre
Le choix qu’ont fait les députés en votant la motion de rejet que vous mettez en cause ne dissimule aucune volonté d’empêcher le débat. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Il ne clôt en rien le travail parlementaire : la prochaine étape du texte, la commission mixte paritaire, est le lieu où se construit l’équilibre, le consensus ou le compromis entre les deux chambres du Parlement. (Mêmes mouvements.)
C’est une procédure parfaitement régulière, prévue par la Constitution de 1958 et par les règlements des assemblées parlementaires. Elle est fréquemment utilisée sur une très large majorité de textes. La possibilité de voter une motion de rejet est tout aussi régulière, puisqu’elle est également instituée par les textes encadrant le travail parlementaire. Dois-je rappeler à votre groupe qu’il a déposé pas moins de quatorze motions de rejet depuis le début de cette législature, c’est-à-dire depuis septembre 2024 ? (Protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme Marie Mesmeur
Et combien de 49.3 ?
M. François Bayrou, premier ministre
Dans cet hémicycle, votre groupe est le recordman de la motion de rejet. Parmi les dix-huit motions déposées par l’opposition, vous en avez déposé quatorze, et vous en avez même fait adopter deux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Vous avez employé la motion de rejet contre des textes portant sur des sujets importants, que nos concitoyens attendaient : la lutte contre le narcotrafic, la sécurité dans les transports, la simplification administrative… Vous utilisez la motion de rejet comme un instrument dans votre stratégie délibérée et continue d’obstruction, qui mène à l’immobilisme. (Applaudissements sur les bancs de groupes EPR, Dem et HOR. – Protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
C’est uniquement parce que la proposition de loi des sénateurs Duplomb et Menonville était victime de vos manœuvres d’obstruction qu’une motion de rejet a été déposée puis votée. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Le droit d’amendement, vous connaissez ?
M. François Bayrou, premier ministre
Sur ce texte, dont plusieurs mesures sont vitales pour notre agriculture, 3 500 amendements ont été déposés, dont plus de 1 500 par le groupe Écologiste et social et 850 par le groupe La France insoumise.
Ces amendements ne contribuent pas à la qualité du débat – ils cherchent plutôt à l’enliser. Je donnerai deux exemples pour que les Français sachent dans quel degré d’enlisement vous essayez d’entraîner le débat.
M. Paul Vannier
Deux exemples sur 3 500 amendements…
Mme Mathilde Panot
Vous voulez qu’on parle du débat sur les retraites ?
M. François Bayrou, premier ministre
Un amendement propose de remplacer les mots « un mois » par les mots « trente jours ». Un autre amendement propose de remplacer le mot « finalité » par le mot « but ».
Mme Sophia Chikirou
Ce sont deux mots différents ; ce n’est pas la même chose !
M. Aurélien Le Coq
Notre but, c’est que vous partiez !
M. Antoine Léaument
Ce sont des amendements de précision. On peut aussi remplacer le mot « pesticide » par le mot « poison ».
M. François Bayrou, premier ministre
Je doute que ces deux modifications répondent aux besoins les plus pressants de l’agriculture française.
Avec un rythme d’examen correspondant à allouer trois minutes de débat à chaque amendement, ces 3 500 amendements auraient représenté trois semaines d’examen en séance.
M. Stéphane Peu
Ça s’appelle le Parlement ! Trois semaines, ce n’est pas grand-chose…
M. François Bayrou, premier ministre
Ces trois semaines d’examen auraient empêché la discussion d’autres textes que nos concitoyens attendent pourtant, comme le projet de loi sur Mayotte ou le texte sur l’énergie.
Le gouvernement a proposé de mettre en place la procédure du temps législatif programmé ; votre groupe s’y est opposé.
M. Alexis Corbière
Ce n’est pas vrai !
M. Erwan Balanant
Si !
M. François Bayrou, premier ministre
Devant l’ampleur des difficultés que nous avons à surmonter, cette stratégie d’obstruction ne constitue pas une attitude responsable.
Depuis son entrée en fonction, le gouvernement s’est employé à faire avancer vingt-huit textes adoptés par le Parlement, comme la loi d’urgence pour Mayotte en février, la loi d’orientation agricole en mars, les lois sur le narcotrafic et sur la sécurité dans les transports au mois d’avril.
M. Nicolas Sansu
Pour les agriculteurs, c’est tous les mois !
M. François Bayrou, premier ministre
Sur ces bancs, nombreux sont ceux qui considèrent ces jeux d’obstruction comme particulièrement déplacés…
M. Manuel Bompard
Ce n’est pas un jeu.
M. François Bayrou, premier ministre
…compte tenu de l’importance des sujets examinés. Il s’agit là de notre agriculture, de nos agriculteurs, et de la conciliation entre la reconquête de la production agricole et le respect de l’environnement et de la santé publique. Ces sujets sont d’une importance vitale pour notre pays et méritent un débat sur le fond.
M. Aurélien Le Coq
Alors pourquoi cette motion de rejet ?
M. François Bayrou, premier ministre
La conviction du gouvernement est que l’agriculture et le respect de l’environnement sont deux aspects du même combat.
Mme Marie Mesmeur
Hypocrite !
M. François Bayrou, premier ministre
Notre ambition pour l’agriculture française est qu’elle garde et renforce son haut niveau d’exigence en matière environnementale, sanitaire et sociale.
Mme Marie Mesmeur
Il n’y croit même pas.
M. François Bayrou, premier ministre
Nous savons qu’il n’y aura ni souveraineté agricole française ni sécurité alimentaire si notre agriculture n’atteint pas la triple performance économique, qualitative et environnementale.
Cet objectif est très largement partagé sur ces bancs, comme cela a été montré par le vote à une large majorité de la motion de rejet pour que le texte puisse enfin être adopté. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Aurélien Le Coq
« Le vote à une large majorité de la motion de rejet pour que le texte puisse être adopté » !
M. François Bayrou, premier ministre
Il suffit de regarder la situation et les chiffres. La France était habituée aux excédents agricoles. Pourtant, en 2025, le solde agroalimentaire est déficitaire pour le troisième trimestre consécutif. Il se situe à un niveau très dégradé.
M. Jean-Paul Lecoq
Et les traités de libre-échange dans tout cela ?
M. François Bayrou, premier ministre
Derrière les atouts historiques de la France dans le domaine agroalimentaire, une myriade de déficits commerciaux se détache pour plusieurs catégories de produits : la catégorie des fruits et légumes enregistre 7 milliards d’euros de déficit en 2024 ; les produits d’épicerie, plus de 6 milliards ; les produits d’origine aquatique, 5 milliards ; les viandes et les produits carnés, plus de 3 milliards.
Je prends quelques exemples plus spécifiques : pour les tomates, on note un déficit de 393 millions d’euros ; pour les poivrons, 232 millions ;…
M. Jean-Paul Lecoq
Quelle ratatouille ! (Sourires.)
M. François Bayrou, premier ministre
…pour les fraises, 143 millions ; pour les poires, 94 millions.
M. Gabriel Amard
Vous n’êtes pas premier ministre, vous êtes épicier, c’est ça ?
M. François Bayrou, premier ministre
Sans une action rapide et sans des moyens adaptés pour soutenir la capacité productive de l’agriculture française, tous nos discours en faveur de la souveraineté agricole et de la sécurité alimentaire se révéleront des vœux pieux.
Le texte qui a provoqué cette nouvelle motion de censure a été travaillé avec soin par le Sénat et par les commissions. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Il entend permettre à nos agriculteurs de vivre de leur travail…
Mme Marie Mesmeur
Et d’empoisonner les Français !
M. François Bayrou, premier ministre
…tout en continuant à nourrir notre pays dans la durée. Nous ne fragiliserons pas nos producteurs en laissant perdurer des complexités et des distorsions déloyales de concurrence.
Mme Marie Mesmeur
Aucun mot pour les morts, pour les enfants !
M. François Bayrou, premier ministre
L’immense majorité des néonicotinoïdes a été interdite ces dernières années.
Mme Marie Mesmeur
Eh oui !
M. François Bayrou, premier ministre
Une seule substance – l’acétamipride –,…
Mme Julie Ozenne
Elle est interdite depuis 2018 !
M. François Bayrou, premier ministre
…interdite en France, reste autorisée dans les vingt-six autres pays de l’Union européenne.
Mme Mathilde Panot
Et on en retrouve dans les eaux de pluie au Japon !
M. François Bayrou, premier ministre
Interdire à nos agriculteurs de recourir à un produit principalement utilisé pour la culture des noisettes revient à leur imposer une distorsion de concurrence. (Mme Marie Mesmeur s’exclame.)
Les producteurs de noisettes sont un peu plus de 300 en France.
Mme Marie Mesmeur
Eh bien justement !
M. François Bayrou, premier ministre
Ces nuciculteurs sont à la tête d’exploitations qui ne mesurent pas plus d’une dizaine d’hectares, ce qui représente une part infime de l’espace agricole français – l’équivalent d’un timbre-poste sur un terrain de football. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Toutes les noisettes que vous consommez viennent de Turquie ou d’autres pays européens et ont été traitées avec des substances de cet ordre. Vous faites en sorte…
Mme Julie Ozenne
Il faut les vendre plus cher !
Mme la présidente
Je vous en prie, madame la députée !
Mme Julie Ozenne
Je ne suis pas d’accord, madame la présidente !
Mme la présidente
Soit, mais vous n’avez pas à hurler dans l’hémicycle. Le premier ministre a la parole.
Mme Julie Ozenne
Vous avez fait la même chose la dernière fois, ça suffit !
Mme la présidente
Madame la députée, vous n’avez pas à remettre en cause la présidence ! Arrêtez immédiatement de hurler ! Je vous rappelle à l’ordre.
M. François Bayrou, premier ministre
Cette vérité semble vous déranger. Vous voulez interdire aux producteurs français d’utiliser un produit considéré comme acceptable dans tous les autres pays européens. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Cela revient à rayer de la carte les producteurs français ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR ainsi que sur quelques bancs du groupe DR.)
Nos agriculteurs vivent un drame que vos actions nourrissent. Pendant très longtemps – des décennies, voire des siècles –, ils ont été considérés comme les meilleurs connaisseurs et les meilleurs protecteurs de la nature. Les campagnes menées contre eux depuis plusieurs années leur ont donné le sentiment d’être pris pour cible et d’être abandonnés.
Mme Danielle Simonnet
Ne les mettez pas tous dans le même sac !
M. François Bayrou, premier ministre
On attaque le cœur de leur vocation, de leur métier, l’amour qu’ils portent à la nature et à leurs terres. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
M. Rodrigo Arenas
Vous parlez de vos amis les lobbyistes ?
M. François Bayrou, premier ministre
Ce n’est pas la faute des lobbyistes, mais de ceux qui intentent un procès infondé à l’agriculture française. (Mêmes mouvements.) C’est vous qui êtes responsables ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
La majorité de l’Assemblée s’est exprimée sur ce sujet. Nos agriculteurs savent qu’agriculture et écologie ne pourront être séparées.
Mme Danielle Simonnet
C’est pour ça qu’il faut en finir avec les pesticides !
M. François Bayrou, premier ministre
C’est ce qu’illustre la question de l’eau : sans eau, pas d’agriculture. L’accès à l’eau doit être facilité, mais il convient de réfléchir dans le même temps à un usage responsable de cette ressource, territoire par territoire.
M. Gabriel Amard
Vous voulez la polluer, cette ressource !
M. François Bayrou, premier ministre
Pour trouver ces nouveaux équilibres, nous lançons dès ce mois-ci les conférences territoriales sur l’eau, qui auront lieu d’ici au mois d’octobre. La feuille de route est claire : définir un meilleur partage de la ressource tout en anticipant les risques.
Les défenseurs du texte affirment simplement qu’un équilibre de long terme est à trouver entre l’allégement des contraintes qui pèsent sur le travail des agriculteurs et le respect des impératifs environnementaux et de santé publique.
Au nom du gouvernement, j’assure de notre confiance les deux chambres du Parlement,…
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Ah bon ?
M. François Bayrou, premier ministre
…qui, représentées au sein de la commission mixte paritaire, parviendront à trouver cet équilibre vital pour nos agriculteurs et notre société. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Mélanie Thomin.
Mme Mélanie Thomin
Le sénateur Duplomb est-il le bon ou le mauvais génie de l’agriculture française ?
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Le mauvais !
M. Laurent Wauquiez
En tout cas, c’est un agriculteur.
Mme Mélanie Thomin
Sa proposition de loi a surgi comme un mirage dans le paysage législatif. C’est un texte dit balai, car il est censé clôturer la séquence de grogne des agriculteurs en réalisant les souhaits que la loi précédente n’avait pas exaucés.
Partons d’un constat préalable, madame la ministre : votre loi d’orientation agricole, votée dans la précipitation avant le Salon de l’agriculture, n’a absolument rien changé aux urgences, aux inquiétudes, à la colère du monde agricole. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
M. Boris Vallaud
Elle a raison !
Mme Mélanie Thomin
Cela a conduit notre bon sénateur à prendre la plume avec ses amis pour souffler le chaud de l’offensive réactionnaire qui plombe nos débats parlementaires depuis quelques semaines. (Mêmes mouvements.)
Invités à prendre part au débat, nous voici désormais figés, paralysés, rendus spectateurs d’un triste jeu de dupes, dans lequel les artisans d’un texte mettent en scène sa propre disparition – véritable tour de magie, talent de la droite illusionniste. (MM. Dominique Potier et Boris Vallaud applaudissent.)
M. Alexandre Portier
C’est aussi poétique que pathétique !
Mme Mélanie Thomin
M. le rapporteur, notre collègue Dive, était l’ambassadeur de ce texte dans notre Assemblée. Quelle mouche l’a donc piqué, pour qu’il en vienne à organiser la mise à mort du texte, à entraver nos débats et à faire disparaître ce que le Parlement a de plus précieux : le droit d’amender, de débattre et de voter ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Le groupe Socialistes et apparentés regrette profondément cette volte-face. C’est une remise en cause absolue de nos débats parlementaires, alors même que ces derniers, en commission des affaires économiques, avaient été constructifs, techniques et exigeants.
Force de propositions, et sans volonté d’obstruction, nous n’avions déposé qu’une centaine d’amendements pour l’examen en séance, soit quatre fois moins que le groupe de Mme la ministre de l’agriculture. (Mêmes mouvements.)
Mme Fatiha Keloua Hachi
Exactement !
Mme Mélanie Thomin
Notre chambre se trouve bâillonnée par les manœuvres de ceux qui souhaitent dicter la loi en se substituant aux députés et fixer un nouvel ordre du jour idéologique pour notre pays.
Peut-on être un bon génie parlementaire, au service de l’agriculture française, lorsqu’on oppose protection du monde agricole et défense de l’environnement ?
Un député du groupe SOC
Non !
Mme Mélanie Thomin
Ce n’est pas ce qu’on peut appeler du bon sens. Ce texte souffle le chaud et le froid, laissant une majeure partie des acteurs de terrain dans l’impasse, sans solutions, faute de trajectoire et de vision ambitieuse pour redresser les filières.
M. Emmanuel Maurel
C’est bien dit !
Mme Mélanie Thomin
Face à ce texte incendiaire, les socialistes ont posé des lignes rouges, refusant que l’autorité de la science, notamment celle de l’Anses, soit remise en cause, et que l’acétamipride soit de nouveau autorisée.
Un retour en arrière n’est pas une réponse appropriée : il pose des risques avérés pour la santé humaine, en particulier celle de nos enfants, et environnementaux – il y va de la survie des abeilles, de la santé des sols et de la biodiversité.
Pas plus tard que ce matin, un article du Monde révélait que l’acétamipride s’était infiltrée partout au Japon : on la retrouve dans 82 % des échantillons d’eau de pluie. Ce produit de traitement ne reste donc pas bien sagement dans les parcelles, mais s’insinue dans les cours d’eau, loin des champs, et contamine l’atmosphère et les nuages.
La bourrasque sénatoriale de la simplification des normes ne peut constituer une réponse satisfaisante.
Mme Fatiha Keloua Hachi et M. Boris Vallaud
Eh non !
Mme Mélanie Thomin
Alors qu’il devrait tenter de les réconcilier, le Sénat porte la lourde responsabilité d’opposer les agriculteurs à la grande majorité de nos concitoyens – 80 % d’entre eux sont hostiles à ces mesures.
Mme Fatiha Keloua Hachi
Tout à fait !
Mme Mélanie Thomin
Les agriculteurs ne méritent pas d’être placés dans cette position ; ils souhaitent simplement vivre de leur travail. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Ce texte n’apporte aucune réponse concrète à leurs préoccupations de fond : l’accès au foncier, l’augmentation de leur revenu, la lutte contre la concurrence déloyale, la relève des générations et l’accompagnement des transitions. Il ne prévoit pas un euro supplémentaire pour les cours de ferme – le bon sénateur Duplomb est un génie de l’arnaque ! (Mêmes mouvements.)
Monsieur le premier ministre, vous savez que l’examen de cette loi a été entaché par des méthodes que nous condamnons : coups de force, menaces, pressions, aussi bien dans l’enceinte de l’Assemblée nationale que sur les perrons des permanences en circonscription. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP, EcoS et GDR.) Nous souhaitons dénoncer ces pressions, ainsi que le comportement de ministres qui prétendent défendre l’ordre, tout en montant sur les tracteurs des manifestants garés devant les grilles de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Jean-Paul Lecoq
Exactement !
Mme Danielle Simonnet
Honte à eux !
Mme Mélanie Thomin
Le parti politique arrivé dernier aux élections législatives de 2024, qui n’a recueilli que 5,7 % des suffrages, dicte désormais l’ordre du jour de l’Assemblée nationale depuis le palais du Luxembourg. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, LFI-NFP, EcoS et GDR.) Lois Duplomb, Grémillet, bientôt Trace : c’est le programme législatif que les Français ont le plus largement rejeté que vous nous imposez à marche forcée. Nous n’acceptons pas ce jeu de dupes !
Les députés de la droite, soutenus par leurs collègues du bloc central et par l’extrême droite, décident, sur proposition du gouvernement, de laisser la main aux sénateurs, de les laisser tout arbitrer, et nous condamnent à l’absence de débat ici, à l’Assemblée : c’est inacceptable ! Il s’agit d’une atteinte à l’esprit de nos institutions, dans la continuité du rejet des résultats des élections législatives de l’été dernier. Dans quelle démocratie saine et mature les députés, élus au suffrage universel direct, sont-ils condamnés au silence, surtout quand il s’agit de réintroduire, sans se fonder sur les avis scientifiques, un pesticide interdit ? (M. Boris Vallaud applaudit.)
Chers collègues du bloc central, quand prendrez-vous conscience du glissement populiste dont vous êtes à l’origine, et qui abîme chaque jour un peu plus notre démocratie ? À vouloir jouer avec les mauvais génies du Sénat, vous entretenez le désordre et le blocage, vous affaiblissez notre institution, vous discréditez sa capacité à écrire et à voter la loi.
Face à un ordre du jour décousu, à des propositions de lois souvent anecdotiques et à des débats trop peu constructifs, nous refusons le contournement systématique de l’Assemblée nationale. Nous voulons travailler et proposer – être un Parlement au service de nos concitoyens.
Monsieur le premier ministre, vous portez une lourde responsabilité dans ce qui s’est joué ces derniers jours à l’Assemblée. Vous n’avez pas sifflé la fin de la partie,…
M. Emeric Salmon
Plutôt de la récréation !
Mme Mélanie Thomin
…vous êtes resté silencieux alors que bon nombre de citoyens attendent que vous vous exprimiez.
Le groupe Socialistes et apparentés est profondément convaincu que notre Assemblée doit pouvoir se prononcer et prendre pleinement part aux débats, à la lumière de nos ambitions en matière de souveraineté alimentaire, industrielle et économique, mais aussi des progrès accomplis ces dernières décennies dans le domaine de la transition écologique, dans le respect de l’humain, de la science et de notre environnement.
En réalité, votre manière de gérer les affaires de l’État pèse sur nos institutions. En levant des contraintes qui affectent les uns, vous ouvrez des conflits avec les autres. Conflits d’usage, opposition des modèles, simplification à outrance : la confusion est entretenue. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Le groupe Socialistes et apparentés s’oppose au contournement de l’Assemblée nationale, du cadre démocratique que nous représentons. Nous considérons que le vote de la motion de censure défendue cet après-midi n’est ni la bonne réponse, ni le message que nous souhaitons faire passer ; nous ne l’avons pas cosignée et nous ne la voterons pas, car nous ne voulons pas voter une motion de censure contre le Parlement.
Dans un climat de rejet, de contournement, d’obstruction, de paralysie, et alors que les auteurs d’un texte n’hésitent pas à le neutraliser pour s’éviter des débats qu’ils jugent superficiels, les socialistes continueront de faire le choix du dialogue, du mouvement, du bon sens et des propositions.
M. Pierre Cordier
Avec le PS, le changement, c’est maintenant !
Mme Mélanie Thomin
Alors que les crédits budgétaires alloués à l’écologie, à l’agriculture, notamment à l’Agence bio – l’Agence française pour le développement et la promotion de l’agriculture biologique –, fondent comme neige au soleil, nous nous mettons au service de l’équilibre, de la nécessité de débattre, entre respect de l’environnement et soutien à notre souveraineté économique.
Dans quelques jours, le président Lula effectuera une visite d’État en France, alors que les négociations visant à conclure un accord entre l’Union européenne et le Mercosur accélèrent. Que ferez-vous, monsieur le premier ministre ? À quoi vous engagez-vous ? Serez-vous au côté des parlementaires qui dénoncent unanimement le scandale sanitaire, économique et environnemental que représente cet accord, tant pour nos filières que pour nos territoires ruraux ? Vous devriez vous préoccuper en premier lieu de lutter contre les distorsions de concurrence, plutôt que de diviser le Parlement et de passer en force des lois.
Tout comme les socialistes, vous savez que les vrais combats se mènent à Bruxelles. Le virage pris par votre gouvernement, par exemple quand vous remettez en cause le devoir de vigilance au niveau européen, vous place à contresens de l’histoire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
À l’Assemblée comme au Parlement européen, nous souhaitons nous battre pour dénoncer les méthodes de ceux qui prétendent faire triompher le bien alors qu’ils opposent les modèles économiques, la science à la compétitivité, la fierté de produire à la défense de l’environnement.
Les Françaises et les Français appellent de leurs vœux des propositions d’apaisement, des solutions concrètes qui répondent aux défis du quotidien. Ils n’attendent pas de lois magiques, populistes, rédigées pour quelques-uns, mais des réformes structurelles exigeantes et ambitieuses qui feront avancer un pays rassemblé et non divisé.
Dans les semaines à venir, nous jugerons de votre capacité à respecter le Parlement, que ce soit dans l’hémicycle, en commission d’enquête ou dans le huis clos des commissions mixtes paritaires. (M. Boris Vallaud applaudit.)
Par-dessus tout, les socialistes sont attachés à celles et ceux qui tiennent parole et cherchent à unir le pays.
Nous ne renonçons pas à notre droit constitutionnel de vous censurer, et nous pourrons le faire si les engagements pris au début de l’année ne sont pas respectés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Stéphane Peu applaudit également.)
Monsieur le premier ministre, les Françaises et les Français attendent des actes. Ils méritent des réponses tangibles. Ne les décevez plus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. Guillaume Lepers.
M. Guillaume Lepers
Par cette motion de censure, La France insoumise a choisi d’instrumentaliser l’agriculture et la ruralité au profit de ses ambitions politiques. La semaine dernière, vous souhaitiez empêcher notre assemblée de délibérer sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ; cette semaine, parce que nous ne voulons plus vous laisser faire – et par ce « nous », j’entends une large majorité de notre assemblée –, vous voulez faire tomber le gouvernement. Quelle est la logique ? Quelle est votre boussole ? Quelle est votre priorité, votre parti ou notre pays ?
M. Jean-Paul Lecoq
Depuis le début, vous n’êtes pas légitimes !
M. Guillaume Lepers
Chaque jour, dans ma circonscription, les Lot-et-Garonnais me parlent de vos caprices, de vos outrances, de vos comportements. Dans cet hémicycle, personne n’est majoritaire,…
M. Jean-Paul Lecoq
Mais nous sommes plus nombreux que vous !
M. Guillaume Lepers
…vous pas plus que les autres. C’est le choix des électeurs ; il nous impose de travailler ensemble, dans l’intérêt de la France, malgré nos sensibilités différentes. Les Français ont élu une assemblée de compromis, mais vous, vous voulez une assemblée du chaos. Vous refusez de travailler avec les autres groupes politiques. Vous rejetez tout ce qui ne vient pas de vous et vous multipliez les stratégies d’obstruction et de bordélisation du débat parlementaire. Soyez dignes du mandat que les Français vous ont confié !
M. Nicolas Bonnet
Soyez dignes, vous aussi !
M. Guillaume Lepers
Votre stratégie est simple et claire : vous ne souhaitez pas que notre pays avance. Vous voulez qu’il sombre dans la division, et pour cela vous êtes prêts à toutes les manœuvres.
C’est exactement ce qu’illustre cette motion de censure. Vous dénoncez l’adoption d’une motion de rejet que vous considérez comme un « 49.3 parlementaire ». C’est là un excellent slogan de propagande, mais il n’a aucun sens en droit. Encore une fois, vous travaillez pour TikTok au lieu de penser à la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Dois-je vous rappeler, collègues de La France insoumise, que, depuis le début de cette législature, dix-huit motions de rejet préalables ont été déposées, dont dix-sept venues de votre groupe et de vos alliés ? Et la première qui vient d’une autre partie de notre hémicycle vous fait crier au scandale démocratique ! Je vous le demande : qui, ici, perturbe sans cesse nos débats ?
M. Ian Boucard
Eux !
M. Guillaume Lepers
Comme l’a très bien dit Julien Dive lorsqu’il a défendu la motion de rejet la semaine dernière, « certains sont prêts à user de toutes les armes du règlement pour ralentir encore les travaux : rappels au règlement en série, demandes de suspension de séance, sous-amendements à foison, multiplication d’interventions de forme… Autant d’artifices destinés non à enrichir le débat, mais à l’épuiser. »
Je vous rappelle, collègues de La France Insoumise et écologistes, que vous êtes les seuls responsables de cette situation.
Mme Danielle Brulebois
Exactement !
M. Ian Boucard
Il a raison !
M. Guillaume Lepers
Tous, nous étions disposés à débattre de ce texte, car nous en mesurions tous l’importance – tous, sauf vous, manifestement, car en déposant des milliers d’amendements, vous avez sciemment empêché ce débat.
Mme Zahia Hamdane
Ce n’est pas vrai !
Un député du groupe DR
Ah si !
M. Guillaume Lepers
Et lorsque nous avons proposé de retirer notre motion contre le retrait de vos amendements, vous avez refusé et ainsi prouvé que vous aviez choisi l’obstruction.
Mme Danielle Brulebois
Ils n’ont pas accepté d’être battus en commission !
M. Guillaume Lepers
Cette situation est tout à fait regrettable, car le débat en commission avait été de qualité, malgré des divergences très nettes.
Je déplore à ce titre, madame la présidente Trouvé, que vous soyez le premier cosignataire de cette motion. Au poste que vous occupez et eu égard à la gravité de la situation, je déplore que vous voir ainsi céder aux sirènes de la petite politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. Ian Boucard
Oui, c’est dommage !
M. Guillaume Lepers
Je veux redire à cette tribune que le groupe Droite républicaine défend une agriculture libre, compétitive, respectée et fière. C’est pourquoi nous serons attentifs à ce que la commission mixte paritaire soit réunie dans les plus brefs délais, car nos agriculteurs attendent depuis trop longtemps. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Sur ce point, monsieur le premier ministre, je compte sur vous. Je sais pouvoir compter aussi sur le courage et la détermination de Mme la ministre Annie Genevard, que je remercie. Depuis près de dix mois, elle a montré la force de son engagement pour donner un nouveau souffle à notre agriculture. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Oui, le métier d’agriculteur est cerné de normes de plus en plus complexes, paralysé par des surtranspositions françaises qui vont bien au-delà des exigences européennes. Nous sommes pourtant dans un marché commun ; nous sommes censés appliquer des règles communes. Pourquoi serions-nous les seuls à interdire certains traitements, comme l’acétamipride, ou certaines techniques ? Quel intérêt pour nos agriculteurs, quel intérêt pour la France ?
Ce texte doit aussi permettre de régler la question de l’accès à l’eau, sans monopolisation de la ressource, mais avec pragmatisme. Réutiliser l’eau de l’hiver en été, c’est simplement du bon sens.
M. Vincent Descoeur
Oui, stocker l’eau, c’est du bon sens !
M. Guillaume Lepers
Nos marges de progression en la matière sont importantes : l’Espagne stocke ainsi plus de 50 % de ses excédents d’eau en hiver ; c’est 4 % seulement en France. Donnons-nous les moyens de faire mieux !
Notre agriculture est aussi exposée à une concurrence étrangère souvent déloyale. La noisette turque a le droit d’utiliser plus de 200 pesticides, quand la filière française se trouve dans une impasse sanitaire, faute de pouvoir utiliser un seul traitement efficace.
Mme Danielle Simonnet
Instaurons un protectionnisme solidaire !
M. Guillaume Lepers
De la souveraineté alimentaire, si rien n’est fait, nous allons basculer vers la dépendance. Nous refusons cette évolution. Au vu du contexte international, ce serait de l’inconscience politique.
Pour les élevages aussi, les règles sont très complexes et excèdent largement le cadre du droit européen. La proposition de loi qui est à l’origine de cette motion de censure harmonise les seuils et permettra ainsi à nos élevages de se développer. C’est encore un enjeu de souveraineté et nous devrions tous nous retrouver sur ces différents points.
Si nous ne prenons pas ces mesures, nous savons déjà quelles seront les conséquences de l’inaction : des exploitations qui ferment, des vocations qui s’éteignent, des territoires ruraux qui se désertifient. Si nous n’agissons pas maintenant, dans dix ans il n’y aura plus d’agriculteurs en France !
L’urgence aurait donc été d’examiner et de voter la proposition de loi de notre collègue sénateur Duplomb. Mais l’urgence, pour nos collègues insoumis et écologistes, c’est plutôt d’ouvrir une nouvelle période d’instabilité, d’empêcher la France d’avancer et de fragiliser un peu plus encore la République.
En utilisant comme cela la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, c’est aussi la ruralité, déjà en souffrance, que vous attaquez.
M. Benoît Biteau
Au contraire !
M. Guillaume Lepers
Oui, le monde agricole souffre. Il souffre en silence de la désertification médicale, des classes qui ferment dans les écoles de village, de la dégradation des services publics, des zones blanches, de l’insécurité qui progresse, de la paupérisation de la population ou encore de la dénonciation de son mode de vie et de ses traditions.
Tous ces maux nourrissent un sentiment de déclassement, un sentiment d’être oublié, un désespoir, l’inquiétude que les prochaines générations vivront moins bien, l’impression de devenir des citoyens invisibles.
Je n’ai aucune hostilité de principe envers les objectifs environnementaux. Ils sont louables. Mais je regrette avec force la méthode brutale, technocratique et injuste avec laquelle ils sont brandis pour attaquer la ruralité.
Je pense au zéro artificialisation nette, le ZAN. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.) Censé répondre à l’étalement scandaleux de nos métropoles sur les terres agricoles et les espaces naturels, il ne fait qu’aggraver le problème : ceux qui ont beaucoup construit continueront ; ceux qui ont été raisonnables ne pourront plus rien faire.
M. Laurent Wauquiez
Parfait !
M. Guillaume Lepers
Dans nos territoires ruraux, nous avons bien des usines abandonnées et du foncier à requalifier, mais trop peu pour répondre aux besoins. Par conséquent, avec le ZAN, notre développement est à l’arrêt. Vous ne trouverez jamais un maire qui veut recouvrir son village de béton et détruire ses paysages. Mais aujourd’hui, les élus ne peuvent plus accueillir ces familles qui permettront de sauver l’école ou cette entreprise qui apportera la vingtaine d’emplois qui manque au bassin de vie.
M. Ian Boucard
Il faut faire confiance aux élus locaux !
M. Guillaume Lepers
Je pense ensuite aux zones à faibles émissions, les ZFE. Disons-le clairement : dans nos petites villes et nos campagnes, la voiture n’est pas un luxe mais une nécessité. Tout ce qui a disparu de nos territoires – les médecins, les services publics, l’enseignement supérieur – est désormais concentré dans les métropoles, nous sommes exclus des réseaux de transport qui permettraient d’y accéder. Et on voudrait en plus nous interdire d’entrer en voiture dans ces villes, pour protéger une population qui, elle, a accès à tout ?
Et que fait-on pour nous ? Des trains de proximité, des réseaux de cars efficaces, la réimplantation des services publics ? Bien sûr que non.
M. Alexandre Portier
Merci de le dire tout haut !
M. Guillaume Lepers
Monsieur le premier ministre, vous, l’homme du Béarn, des montagnes, des petites communes, vous savez pourtant ce que sont un clocher, une école rurale, une exploitation agricole, un club de rugby, une fête de village. Vous savez ce que signifie grandir à la campagne : l’épanouissement incroyable, mais aussi les freins terribles pour accéder aux études et à l’emploi.
M. Ian Boucard
Il est bon, il sait nous parler !
M. Guillaume Lepers
Vous ne pouvez pas ignorer que toutes ces mesures, mises bout à bout, attaquent la ruralité. Celle-ci dépérit en silence et finira par mourir si nous persistons dans cette voie, car vous aurez fait en sorte que plus personne ne veuille s’y installer.
Je suis pourtant convaincu que l’avenir de la France passe par la richesse et la diversité de ses territoires. Mais pour cela, ils doivent rester vivants, et je veux croire, monsieur le premier ministre, que vous partagez cette conviction.
Voilà pourquoi, collègues de La France insoumise, notre groupe ne pourra jamais vous soutenir lorsque vous attaquez la ruralité et le monde agricole, car jamais nous n’abandonnerons nos concitoyens. Ils ne demandent qu’à être respectés et à vivre dignement de leur travail.
Néanmoins, monsieur le premier ministre, les députés du groupe Droite républicaine ne donnent pas un blanc-seing à votre gouvernement. Vous le savez, nous ne sommes pas issus de l’ancienne majorité parlementaire du président de la République, mais, en responsabilité, nous avons choisi d’intégrer et de soutenir ce gouvernement, faisant passer en premier l’intérêt du pays.
Le soutien que nous vous accordons est toutefois conditionné au respect de notre formation et de ses lignes rouges.
Le respect de notre groupe passe par celui de chacun de ses membres. Or celui-ci a déjà fait défaut : ce fut le cas lors de l’examen de la proposition de loi visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales, lorsque le gouvernement a demandé une seconde délibération sur un amendement de mes collègues Fabrice Brun et Vincent Descoeur. Nous n’étions pas opposés à ce texte ; nous demandions simplement un délai pour permettre à nos territoires de s’adapter.
Il en est de même quand un membre du gouvernement critique ouvertement nos votes sur les ZFE. Je vous rappelle que nous sommes les représentants du peuple et que c’est le gouvernement qui est responsable devant le Parlement – pas l’inverse.
Quant à nos lignes rouges, elles sont d’abord budgétaires. Nous sommes constants : depuis le gouvernement de M. Barnier, notre position n’a pas changé. Notre pays vit à crédit depuis bien longtemps et nous ne pouvons plus nous permettre de continuer à creuser nos déficits.
M. Alexandre Portier
Exactement !
M. Guillaume Lepers
Voilà pourquoi notre groupe a préparé un plan de 40 milliards d’économie. Nous attendons toujours que vous vous en saisissiez pour construire le prochain budget. Ces économies sont indispensables et c’est sur elles que doit reposer notre stratégie budgétaire.
M. Ian Boucard
C’est urgent, et ces propositions sont sérieuses !
M. Guillaume Lepers
Je voudrais également évoquer la question du scrutin proportionnel, auquel nous nous opposons fermement. (« Mais quel rapport ?» sur les bancs du groupe EcoS.) Il s’agirait d’un retour à la IVe République et au régime des partis ; les députés perdraient leur ancrage local, déjà très fragilisé par la fin du cumul des mandats de maire et de parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – Mme Danielle Brulebois applaudit également.)
Nous rejetons totalement cette réforme qui n’est d’ailleurs en rien une priorité pour les Français.
A contrario, en matière d’immigration et de sécurité, je veux remercier M. le ministre d’État Bruno Retailleau pour son action efficace depuis dix mois. Le groupe Droite républicaine est persuadé que son engagement portera ses fruits.
J’en profite également pour remercier M. le ministre d’État Gérald Darmanin…
M. Benjamin Lucas-Lundy
On n’est pas au festival de Cannes ! (Exclamations sur les bancs des groupes RN et DR.)
M. Guillaume Lepers
…pour son action courageuse et pragmatique à la tête du ministère de la justice.
Monsieur le premier ministre, je sais que la situation politique est complexe. Je vous remercie pour votre engagement. Mais les Français ont besoin d’un cap. Chaque semaine, dans ma circonscription, ils me demandent où va votre gouvernement, et il reste difficile de leur répondre et, de ce fait, de justifier notre soutien. Il devient donc urgent de donner davantage de lisibilité et de cohérence à votre action.
Les députés du groupe Droite républicaine et son président Laurent Wauquiez ne voteront pas cette motion de censure qui attaque ouvertement le monde agricole. En prenant ce prétexte pour s’en prendre au gouvernement, les auteurs de la motion instrumentalisent la ruralité et montrent leur mépris envers nos concitoyens des territoires ruraux.
Tout en restant vigilants quant aux projets en cours et à venir du gouvernement, nous maintenons notre position de participation constructive, dans la limite des lignes rouges que nous avons clairement fixées. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – Mme Danielle Brulebois applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian
Pas moins de 80 % des Françaises et des Français sont contre la réintroduction des pesticides. Avec votre loi poison, vous bafouez à nouveau la volonté du peuple.
Mme Christine Arrighi
Ils ont l’habitude !
Mme Sophie Taillé-Polian
Vos pesticides tuent et fabriquent nos cancers. Mon collègue Benoît Biteau vous interpellait récemment – en vain – sur la présence de foyers de cancers pédiatriques dans son département. En ruralité, des enfants souffrent et meurent de cancer. Alors que la recherche pour lutter contre le cancer avance, l’action de l’État pour la santé publique recule.
M. Pierre Cordier
Et les produits importés, ils ne sont pas empoisonnés ?
Mme Sophie Taillé-Polian
L’adoption, la semaine dernière, de la motion de rejet sur la proposition de loi Duplomb par les députés de la majorité présidentielle, soutenus par le gouvernement, avec l’extrême droite, marque une rupture. Les règles de la vie parlementaire sont bafouées au profit d’un gouvernement soumis aux lobbys.
M. Alexis Corbière
C’est vrai !
Mme Sophie Taillé-Polian
Mais de quoi aviez-vous peur ? Vous craigniez un débat mettant au jour les atrocités environnementales et sociales que contient la proposition de loi Duplomb. Nous étions prêts, nous, le groupe Écologiste et social, à porter la contradiction pied à pied, à soulever ligne à ligne les horreurs contenues dans ce texte. Par peur du débat, vous détournez une procédure à des fins politiciennes, prétextant que trop d’amendements auraient été déposés. Permettez-moi de vous rappeler que le droit d’amendement des parlementaires est un principe constitutionnel.
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est sacré !
M. Vincent Descoeur
Quelle caricature !
Mme Sophie Taillé-Polian
De quel droit nous reprochez-vous de faire notre travail ? Monsieur le premier ministre, respecter la démocratie, c’est se laisser du temps. Votre carrière en témoigne. (Sourires sur les bancs du groupe EcoS. – Mme Cyrielle Chatelain applaudit.) Le retour des pesticides tueurs ne méritait-il pas quelques jours de débats ? Non, en vérité, vous préférez l’opacité d’une CMP.
M. Alexis Corbière
C’est vrai !
Mme Sophie Taillé-Polian
Mais la proposition de loi Duplomb, c’est en réalité la loi poison – celle des lobbies. Elle reprend les revendications d’une Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) qui se moque de la santé des agriculteurs. Dirigée par un grand patron de l’agro-industrie, elle est au service des gros contre les petits. Oui, la loi Duplomb, c’est la loi poison. Par la réintroduction des néonicotinoïdes, vous tirez un trait sur les progrès des dernières années. Vous autorisez l’acétamipride, pesticide très puissant dont les effets délétères sur la santé humaine sont démontrés.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Quelle honte !
Mme Sophie Taillé-Polian
Durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, vous tâchiez de faire un peu semblant. Mais si vous n’avez que faire de la planète et de la biodiversité, protégez au moins la santé des Françaises et des Français ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et GDR.) Pas moins de 385 millions de personnes sont victimes chaque année dans le monde d’empoisonnement aux pesticides – ils persistent des années durant, comme le chlordécone. Cet empoisonnement est la cause de maladies comme le cancer ou la maladie de Parkinson. Nous avons une pensée émue pour la famille et les proches d’Albert Chotard, agriculteur décédé après quarante ans de combat contre la maladie de Parkinson, due à son taux élevé d’exposition aux pesticides. Monsieur le premier ministre, vous persistez dans le déni.
Les premières victimes de la réautorisation de ces pesticides sont les agriculteurs eux-mêmes. Ils ont jusqu’à 30 % de risque supplémentaire de développer un cancer de la prostate, du fait de l’exposition à ces produits. En faisant passer en force cette proposition de loi, c’est leur santé que vous menacez, alors que, nous le savons, ils font un métier difficile, qui mérite d’être revalorisé et rémunéré à sa juste valeur. Encourager une agriculture fondée sur l’utilisation de substances chimiques toxiques, au détriment de la santé des paysans, des riverains et de la population dans son ensemble, ne résoudra en rien les problèmes du monde rural, bien au contraire.
Les agriculteurs jouent un rôle déterminant dans le changement de modèle que les écologistes promeuvent. Et vous, vous vous servez d’eux au profit des grands groupes de l’agro-industrie et de leurs lobbys superpuissants, qui ont intérêt à l’installation de mégabassines et de grandes exploitations d’élevage industriel intensif, permis par cette proposition de loi contre l’agriculture paysanne. Elle ne tient pas compte des véritables enjeux de la profession. Elle n’augmentera pas les revenus des agriculteurs, elle ne permettra pas de renforcer notre souveraineté alimentaire, elle ne protégera pas la santé des consommateurs.
J’en profite pour saluer à mon tour la présence dans notre hémicycle de Tau Metuktire, chef du peuple Kayapo, petit-fils de Raoni Metuktire, figure internationale de la lutte pour la préservation de la forêt amazonienne et la défense des peuples autochtones, invité par mon collègue Jean-Louis Roumégas. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe Dem. – Mme Constance Le Grip et M. Vincent Descoeur applaudissent également.) Nous partageons votre combat contre une agriculture intensive et mondialisée.
Avec le groupe Écologiste et social, nous tenons à rappeler avec force que les classes populaires sont particulièrement touchées par le dérèglement climatique. Pour les quartiers populaires, dont l’empreinte carbone est inférieure à la moyenne nationale, c’est la double peine : déjà frappés plus durement par la pollution de l’air, la précarité énergétique, le béton, le goudron, les échangeurs autoroutiers, le manque d’espaces verts et une exposition accrue aux vagues de chaleur, votre loi poison – j’y insiste – les condamne en premier.
C’est aussi une loi contre la science, première pierre du trumpisme à la française. Ce n’est pas la peine que M. Macron fasse de l’esbroufe avec ses grands appels à l’attention des scientifiques américains, si vos décisions vont à l’encontre des travaux des chercheurs sur le vivant, la santé publique et le climat, comme c’est le cas avec cette loi poison ou avec une autre proposition de loi – relative à la raison impérative d’intérêt public majeur de la liaison autoroutière entre Castres et Toulouse –, car il y a deux jours, vous avez renouvelé le coup de force en adoptant une autre motion de rejet sur un texte de la majorité présidentielle. C’est un détournement de procédure manifeste et une attaque grave contre les fondements de la démocratie.
M. Emeric Salmon
Une motion de rejet de La France insoumise !
Mme Sophie Taillé-Polian
En pleine procédure judiciaire, vous contournez le jugement en modifiant la loi. Nous étions habitués au mépris du Parlement ; désormais c’est l’autorité judiciaire que vous attaquez frontalement, au mépris de la séparation des pouvoirs. Je me souviendrai longtemps de hauts responsables du bloc central, que j’ai vus hilares lundi soir dans l’hémicycle, se félicitant de ce « bon coup ». Ce n’est pas un bon coup, c’est un mauvais coup fait à la démocratie. Quand on se veut défenseur des principes de la République, qu’on se donne des airs d’homme d’État, on n’attaque pas ainsi les institutions pour voter avec l’extrême droite en faveur des pires régressions sociales et environnementales. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Sinon, on casse la démocratie sans vouloir la réparer.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Quelle honte !
Mme Sophie Taillé-Polian
Chers collègues de la majorité présidentielle, comment pouvez-vous accepter de laisser la préséance au Sénat, en vous infligeant à vous-mêmes le 49.3 parlementaire ? Vous préparez le terrain à l’extrême droite, qui n’aura qu’à s’appuyer sur vos réformes contre l’environnement et vos attaques contre l’État de droit pour appliquer sa politique. Vous regardant faire le travail, l’extrême droite climatosceptique applaudit des deux mains et se réjouit, prenant des notes, pour exercer le pouvoir à son tour demain.
M. Emeric Salmon
Ça c’est sûr ! Demain, ce sera nous !
Mme Sophie Taillé-Polian
Outre la loi poison, les raisons de censurer votre gouvernement s’accumulent. Nous n’en pouvons plus des outrances verbales de M. Retailleau – c’est indigne d’un ministre de la République. Agiter constamment la haine contre les musulmanes et musulmans dans notre pays, c’est intolérable et très dangereux.
Mme Marie Mesmeur
Elle a raison !
Mme Sophie Taillé-Polian
Depuis l’Antiquité, dans notre culture commune, on appelle « barbares » les étrangers menaçant d’envahir l’empire. Les mots employés par M. Retailleau sont perfides et insidieux ; ils sont malheureusement efficaces pour propager la haine de l’autre et faire des amalgames. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
Ce sont des mots d’extrême droite !
Mme Sophie Taillé-Polian
Vous agitez les haines et les peurs pour mieux masquer la réalité catastrophique des licenciements qui se multiplient.
M. Sylvain Berrios
Vous n’agitez pas les peurs, vous !
Mme Sophie Taillé-Polian
Vous faites le choix du chômage. Aujourd’hui, ce sont au moins 250 000 emplois qui sont menacés en France, dans le commerce et l’industrie. Dernier exemple en date : un groupe chinois devrait racheter Safra, la dernière entreprise française à produire des bus à hydrogène, à Albi. Il est probable qu’elle captera les brevets et détruira les emplois, comme à Vencorex. Où est concrètement la réindustrialisation de la France, tant promise par le président Macron ? Notre industrie est à l’abandon, car vous n’avez pas de stratégie – c’est indigne.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Elle a raison !
Mme Sophie Taillé-Polian
En outre, vous menacez l’ensemble de notre modèle social. Votre méthode est désormais bien connue : dans les pas de Mme Borne, elle est injuste, autoritaire et méprisante. Nous n’oublions pas – nous n’oublierons pas – votre réforme des retraites, imposée contre l’avis du peuple. (Mêmes mouvements.) Après les cadeaux fiscaux aux entreprises, les dizaines de milliards de crédits accordés aux grands groupes sans aucune contrepartie, vous demandez encore un effort aux Françaises et aux Français.
Vous voulez faire des économies sur leur dos – principalement sur celui des plus précaires. Sous prétexte de revenir à l’équilibre financier – après avoir vous-mêmes creusé le déficit –, vous déséquilibrez la vie des gens. Dernière fausse bonne idée en date : la TVA sociale. Vous promettez des baisses de cotisations au patronat pour faire reposer le financement de la solidarité nationale sur l’impôt le plus injuste qui soit. Les baisses de cotisations seront-elles répercutées sur les salaires ? Rien n’est moins sûr, les grandes entreprises étant toujours avides d’augmenter leurs marges. Par contre, les prix augmenteront pour tout le monde. Après la vague d’inflation de ces dernières années, ce sera un massacre social. (Mêmes mouvements.)
Mme Danielle Simonnet
Elle a raison !
Mme Sophie Taillé-Polian
Monsieur le premier ministre, vous annoncerez vos mesures le 14 juillet. Vous serez bien tranquille – nous ne serons pas là pour vous embêter, puisque vous aurez mis l’Assemblée nationale en vacances.
M. Sylvain Berrios
Vous regarderez à la télé !
M. Emeric Salmon
Ce n’est pas lui ! C’est la Constitution !
Mme Sophie Taillé-Polian
Nous le savons, les services publics seront une fois de plus sous-financés, malgré les menaces répétées de leur effondrement. Il est urgent de mettre un terme à l’ensemble de ces politiques. Le groupe Écologiste et social s’oppose totalement à ce gouvernement et votera en conséquence. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Marina Ferrari.
M. Sylvain Berrios
Un peu de mesure, enfin !
Mme Marina Ferrari
Après la motion de rejet, voici revenu le temps de la motion de censure – systématique. Oui, chers collègues, nous sommes à nouveau confrontés à la doctrine d’une extrême gauche prisonnière de son idéologie antidémocratique et si faible à argumenter et à convaincre qu’elle en préfère censurer, condamner et interdire.
Mme Christine Arrighi
Oh, Marina !
M. Jean-Claude Raux
C’est l’hôpital qui se moque de la charité !
Mme Marina Ferrari
Dix ! C’est le nombre de fois où nous nous sommes retrouvés dans cette enceinte depuis 2022 pour examiner une motion de censure, soit presque autant qu’entre 2003 et 2022. Sur ces dix motions de censure en trois ans, sept ont été déposées par La France insoumise, preuve du caractère systématique – pavlovien – de leur dépôt pour cette partie de l’hémicycle. L’énième exercice qui nous réunit aujourd’hui porte sur la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur. Si ce texte, tel qu’il avait été soumis à l’examen de notre assemblée, pouvait légitimement soulever des questions, méritait-il le dépôt de 3 520 amendements, dont 1 520 du groupe Écologiste et social et 825 du groupe La France insoumise, contraignant ainsi son rapporteur Julien Dive à le faire rejeter pour sauver la suite de son examen parlementaire ?
M. Romain Daubié
C’est de l’obstruction !
Mme Marina Ferrari
Je ne le crois pas. Oui, prétendez-vous, ces amendements étaient tous justifiés. Non, vais-je m’atteler à démontrer, tant la vacuité de certains démontre votre volonté manifeste de ralentir le travail parlementaire, d’obstruer l’Assemblée, de provoquer le désordre. Les Français nous regardent et nous écoutent,…
M. Jean-Claude Raux
Pas assez !
Mme Marie Mesmeur
Ils vous regardent !
Mme Marina Ferrari
…et je crois important d’illustrer par l’exemple et dans le détail vos méthodes, comme l’a fait le premier ministre. Je citerai deux exemples. Une députée d’extrême gauche a ainsi proposé de modifier l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime dans lequel il est écrit « Il est créé un conseil de surveillance chargé du suivi et du contrôle de la recherche et de la mise en œuvre d’alternatives aux produits phytopharmaceutiques […] ». Ses amendements visaient à remplacer le mot « conseil » par « comité » et le mot « surveillance » par « contrôle » ou encore par « vigilance ». (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. François Bayrou, premier ministre
Exactement !
Mme Marina Ferrari
Plus loin dans le texte, on nous proposait de remplacer à l’alinéa 14 de l’article 2 les mots « trois ans » par « un jour », puis par « douze jours », puis par « quinze jours », puis par « dix-huit jours ».
Mme Christine Arrighi
Eh oui !
Mme Marina Ferrari
Une trentaine d’amendements de ce type ont été déposés. C’est vous dire le vide intellectuel absolu de l’exercice ! (Mêmes mouvements.)
M. Jean-Claude Raux
Un peu de modestie !
Mme Marina Ferrari
Pourtant, ce texte méritait d’être discuté pour les agriculteurs, qui attendent des réponses, qui attendent des solutions, qui attendent du soutien et de la considération, eux qui nous nourrissent, qui entretiennent et façonnent nos paysages, eux qui contribuent au maintien d’une France rurale vivante.
M. Jean-Claude Raux
Ils vont être très déçus !
Mme Marina Ferrari
Ils méritent notre engagement et notre attention, vous leur répondez en leur offrant votre mépris par l’obstruction. Au groupe Les Démocrates, nous avions dit depuis le début que nous ne pouvions pas en l’état voter pour le texte déposé au Sénat, mais nous n’avons pas cherché à empêcher son examen – nous avons préféré proposer, car de fait – n’en déplaise à certains –, le Parlement avait commencé un travail important. L’examen en commission, notamment en commission des affaires économiques, avait permis de dessiner des pistes d’équilibre, auxquelles nous avions contribué : en matière d’usage de produits phytosanitaires, d’assurance récolte, d’élevage.
Le débat était prêt à démarrer sur cette nouvelle base. Avec des propositions supplémentaires d’amendements, sincères et constructives, sur ces différents points, qui auraient permis de trouver des solutions aux impasses que rencontrent les agriculteurs, tout en protégeant nos standards environnementaux et de santé publique. Notre groupe proposait par exemple des évolutions sur la définition des cours d’eau, qui est source de difficultés et de contraintes pour nos agriculteurs. Nous souhaitions par ailleurs défendre la fin de la séparation des activités de vente et de conseil, qui est aussi une source de complexité.
Quant à l’acétamipride, notre groupe était favorable à la possibilité de déroger à son interdiction, qui crée une distorsion de concurrence pour nos producteurs, à condition que cette dérogation soit strictement encadrée. En ce qui concerne l’élevage, nous proposions d’assouplir les modalités de la procédure de consultation du public prévue dans le cadre de l’autorisation environnementale.
Mais une nouvelle fois, ce qui aurait pu être un débat sérieux, comme nous en avons connu récemment sur d’autres textes d’ailleurs, a fait l’objet d’une grave tentative de détournement. Engager le débat sur la base de milliers d’amendements d’obstruction n’avait pas d’autre sens que d’empêcher le vote. Vous niez même jusqu’à la raison d’être des parlementaires qui est de trancher les débats, d’adopter ou de rejeter les propositions qui nous sont soumises au nom du peuple français. C’est notre légitimité démocratique qui est remise en cause par vos tentatives d’empêchement de vote.
Jusqu’à la dernière minute, nous avons pourtant cherché une voie alternative. Nous vous avons proposé de retirer vos amendements d’obstruction et d’accepter un débat honnête et sincère.
M. Romain Daubié
Il faut le rappeler !
Mme Marina Ferrari
Nous avons réfléchi à un temps législatif programmé mais vous l’avez refusé. De fait, vous avez maintenu votre posture, en refusant le débat et le vote de l’Assemblée Nationale.
Mme Marie Mesmeur
Vous mentez !
M. Erwan Balanant
Ne dites pas cela !
M. Jean-Claude Raux
Mais si !
Mme Marina Ferrari
Vous vous rêvez en révolutionnaires mais vous finissez en moutons de Panurge, prisonniers de votre propre dogme. Le groupe Les Démocrates défend une position qui a décidément bien du mal à se faire entendre dans certains rangs : c’est celle du compromis. Le compromis n’est pas un gros mot, c’est un chemin de dialogue,…
M. Jean-Claude Raux
Avec les lobbys !
Mme Marina Ferrari
…d’écoute et de compréhension, mais avant tout de respect pour aboutir à des concessions mutuelles. Une démocratie parlementaire qui se respecte, qui respecte le débat et la diversité des opinions n’est pas un rêve audacieux mais pour vous, il semblerait que ce soit devenu un cauchemar impossible. (M. Erwan Balanant applaudit.) Toutefois, si vos méthodes, votre tactique et votre chasse en meute n’emportent à mes yeux aucune vertu, je vous accorde une certaine créativité qui me prête à sourire tant elle est désolante.
Mme Christine Arrighi
Vous feriez mieux de tourner la tête de l’autre côté !
Mme Marina Ferrari
Beaumarchais n’écrivait-il pas : « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer » ? Alors, après avoir découvert il y a quelques mois la motion de chantage, définie par Jean-Paul Mattei comme la censure déposée en réaction à la non-présentation d’un projet de loi passé une date butoir, voici donc la motion de censure parlementaire. (Mme Marie Mesmeur s’exclame.) En effet, la motion de censure que vous nous soumettez aujourd’hui n’a en réalité aucun sens. Je vous lis : « Les députés signataires de cette motion dénoncent le nouveau coup de force antidémocratique dont se sont rendus responsables la Macronie, la droite et le Rassemblement national. »
Mme Marie Mesmeur
Bravo ! C’est bien vrai !
Mme Marina Ferrari
Vous seriez bien inspirés de relire la Constitution que vous aimez tant à maltraiter. Relisez l’article 49, alinéa 2 sur lequel s’appuie la censure et qui dispose que la motion met en cause la responsabilité du gouvernement.
M. Alexis Corbière
Bah oui !
Mme Marina Ferrari
Or c’est ici le Parlement que vous visez – une motion de censure parlementaire en somme !
M. Jean-Claude Raux
Mais non !
Mme Marina Ferrari
Voilà l’incongruité que nous propose le groupe LFI-NFP : bel exercice de créativité, vous en conviendrez ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et HOR. – Mme Christine Engrand applaudit également.) Bien entendu, une telle motion n’existe pas, ni dans notre Constitution ni ailleurs. Quoi qu’il arrive, vous détournez tout événement pour qu’il serve votre seul véritable objectif : faire tomber ce gouvernement et le suivant, et encore le suivant, jusqu’à provoquer une crise institutionnelle que vous appelez de vos vœux.
Vous le faites d’ailleurs sans même vous en cacher, à n’importe quel prix et quelles qu’en soient les conséquences pour les Français, pour leur emploi et leur pouvoir d’achat ou pour nos entreprises.
Mme Mathilde Panot
Vous voulez qu’on parle des conséquences ?
Mme Marina Ferrari
Les 12 milliards d’euros de coût de la censure du gouvernement Barnier ne vous auront manifestement pas inspiré plus de sagesse.
Mme Mathilde Panot
Ah non ! Nous ne renoncerons jamais !
Mme Marina Ferrari
Vous poursuivez inlassablement votre œuvre destructrice, malsaine et – j’ose le dire – perverse. Vous continuez à écrire votre mauvaise série noire, convaincus, comme le disait Georges Bernanos, qu’un seul mensonge fait plus de bruit que cent vérités ; mais un mensonge ne fera jamais une vérité.
M. Frédéric Maillot
C’est long, ces dix minutes ! Normalement, une Ferrari, ça va vite.
M. Erwan Balanant
Quel talent, Marina !
Mme Marina Ferrari
Votre créativité n’a d’égale que votre cynisme : vous pensez censurer de bon cœur mais en réalité, vous censurez de mauvaise foi. Si seulement vous pouviez exercer sur vous-mêmes une sorte de censure préalable, je vous assure que notre démocratie ne s’en porterait que mieux. Enfin, vous prétendez vous opposer à une proposition de loi que vous avez rebaptisée loi « pesticides ».
Mme Marie Mesmeur
Tout à fait !
Mme Marina Ferrari
C’est vrai que vous êtes les adeptes toujours plus créatifs du dépôt d’amendements de changement de titre, là encore pour ralentir les débats et caricaturer les travaux de vos pairs.
M. Sylvain Berrios
Ce sont des publicitaires !
Mme Marina Ferrari
C’est d’autant plus malheureux que cette proposition de loi portait sur bien d’autres sujets cruciaux, comme la question de l’eau.
Mme Mathilde Panot
Oui, comme l’élevage intensif !
Mme Marina Ferrari
Vous prétendez, avec cette motion de censure, proposer des mesures concrètes en faveur d’une « bifurcation agricole ». En réalité, vous nous conduisez collectivement droit dans le mur. Vous inventez donc un concept, celui de 49.3 parlementaire, ce qui augure – je le crains – toutes les fantaisies auxquelles vous pourriez vous prêter si vous veniez un jour à écrire une nouvelle Constitution.
M. Frédéric Maillot
On la respectera, nous !
M. Sylvain Berrios
La proportionnelle, ce serait aussi une nouvelle Constitution !
Mme Marina Ferrari
Je crois, au risque de vous décevoir, que les Français ne nous demandent pas de censurer ou d’empêcher,…
M. Nicolas Sansu
Pas de condescendance !
Mme Marina Ferrari
…mais au contraire de proposer, d’agir et d’avancer. Comme les motions de censure précédentes, l’adoption de celle-ci ne conduirait qu’à un désordre politique de plus et encore plus grand. En effet, aucune dissolution n’est ni possible ni souhaitable et aucune majorité alternative n’existe, ni dans cette assemblée ni dans les rangs de ceux qui ont signé cette motion de censure.
M. Alexis Corbière
Ça se discute !
Mme Marie Mesmeur
Vous êtes minoritaires !
Mme Marina Ferrari
Le Nouveau Front populaire a fini de se disloquer comme la NUPES avant lui, abîmé par ses incohérences politiques et par les outrances répétées des Insoumis. D’ailleurs, à part quelques signatures de députés écologistes, vous semblez, membres de La France insoumise, bien seuls, de plus en plus seuls.
Aujourd’hui, les Français n’ont pas besoin que nous censurions un gouvernement de plus, ou que nous empêchions le Parlement de légiférer. Ce gouvernement a réussi à donner au pays un budget, il a renforcé les moyens contre le narcotrafic, il répond à l’urgence à Mayotte, il a permis que se tienne le débat sur la question difficile de la fin de vie et des soins palliatifs : nous devons le laisser continuer à travailler pour répondre aux attentes des Français.
Plutôt que de l’empêcher, nous proposons, en refusant cette motion de censure, de lui donner les moyens de poursuivre et de terminer, par exemple, l’examen du projet de loi sur la simplification de la vie économique attendu par nos entreprises, d’étudier la programmation sur l’énergie pour garantir une électricité abordable et décarbonée, ou encore de continuer les travaux sur la lutte contre les déserts médicaux, préoccupation majeure pour nos concitoyens.
Pour conclure, vous écrivez qu’en utilisant la motion de rejet préalable du texte, nous avons manifesté notre panique à l’idée que le débat parlementaire puisse révéler au grand public la véritable nature de cette proposition de loi.
Mme Marie Mesmeur
Exactement !
Mme Marina Ferrari
Mes chers collègues, ai-je l’air de paniquer ? Je ne panique pas, nous ne paniquons pas.
Mme Mathilde Panot
Si, un peu !
Mme Marina Ferrari
Vous théâtralisez, vous dramatisez. Finalement, vous cédez vous-mêmes à la panique. Alors je vous adresse calmement et tranquillement, en guise de conclusion, cette phrase de Victor Hugo :…
Mme Mathilde Panot
Vous êtes gonflée !
M. Sylvain Berrios
C’est puissant, comme argument !
Mme Marina Ferrari
…« Dans ce moment de panique, je n’ai peur que de ceux qui ont peur. » En effet, vous avez peur, mes chers collègues de l’extrême gauche : peur du débat, de la contradiction, du compromis et de la démocratie.
M. Sylvain Berrios
Peur de Jean-Luc Mélenchon !
M. Alexis Corbière
Et si on parlait des retraites ?
Mme Marina Ferrari
Ce sont votre peur et votre agitation désespérée qui m’inquiètent. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, EPR, DR et HOR.)
M. Frédéric Maillot
C’est vous qui avez peur de la démocratie !
Mme la présidente
La parole est à M. Henri Alfandari.
M. Henri Alfandari
Après avoir tout fait pour empêcher l’examen de ce texte par le dépôt de centaines d’amendements, voilà que leurs auteurs s’indignent que le débat n’ait pas eu lieu. Ainsi, vous continuez d’installer un climat de révolte dans tous nos travaux et dans la société française. Nous préférons jouer la carte de l’apaisement et des réponses concrètes, quand vous préparez constamment l’insurrection. Les signataires de la motion de censure nous expliquent qu’en votant la motion de rejet, nous avons voulu museler la représentation nationale. Or c’est précisément la stratégie d’obstruction massive qu’ils ont déployée qui a rendu impossible l’examen du texte.
Vous avez déposé plus de 2 000 amendements sur un texte qui comptait initialement six articles, non pour l’améliorer, non pour débattre sur le fond des sujets, mais uniquement pour paralyser nos travaux. Ponctuation, synonymes, chiffres, années : pour vous, tout est bon pour éviter un débat digne de ce nom pour nos agriculteurs. Dénoncer l’absence de discussion est d’une mauvaise foi manifeste. Vous nous reprochez maintenant d’avoir utilisé les moyens légitimes prévus par le règlement de l’Assemblée nationale pour éviter une cacophonie caricaturale qui ne nous aurait pas permis d’aller jusqu’au bout ni d’adopter des mesures nécessaires pour l’ensemble des femmes et des hommes qui vivent pour nous nourrir.
Cette motion de censure s’inscrit dans une posture dont l’ambiguïté frôle l’hypocrisie. Il est difficile de réclamer un débat qu’on a sciemment empêché et il est encore plus difficile de se poser en défenseurs du monde agricole quand on refuse de débattre des mesures qu’il réclame. Cette volonté d’empêcher le débat s’accompagne, de surcroît, de critiques qui dépassent largement le cadre du désaccord politique. Parler de « loi pesticides pour répondre aux exigences de l’agrobusiness », ce n’est pas débattre, c’est caricaturer. Votre discours repose sur des contrevérités, habilement mises en scène pour nourrir l’opposition plutôt que le débat. Il contribue à alimenter les peurs, à instrumentaliser l’écologie contre ceux qui nourrissent le pays et surtout à détourner le regard des véritables enjeux.
La vérité, c’est que ce texte ne prévoit aucune réintroduction massive ou automatique de pesticides. Il ne remet pas en cause le principe de précaution. Il ne tourne pas le dos à la transition écologique. Il fait simplement le choix du pragmatisme, celui qui consiste à construire la transition écologique avec les agriculteurs, non contre eux. Il offre une réponse à la détresse et la colère que le monde agricole a exprimées avec force l’hiver dernier. C’est une tentative sincère d’alléger la pression administrative, de clarifier les règles et de restaurer un peu de prévisibilité et de confiance.
En effet, il faut le rappeler : l’agriculture française traverse une crise profonde – une crise sociale, économique, sanitaire, environnementale et de transmission. Derrière la qualité des produits et l’excellence de nos filières, des femmes et des hommes peinent à vivre de leur travail, à transmettre leur exploitation et à se projeter dans l’avenir. Ils doivent concilier qualité, traçabilité, transition environnementale et contraintes sanitaires, économiques et administratives, souvent seuls et trop souvent sans reconnaissance.
Favoriser la responsabilité, le respect et la considération, ce n’est pas céder à l’agrobusiness, c’est écouter celles et ceux qui nous nourrissent. Ce n’est pas tourner le dos à la transition, c’est faire en sorte qu’elle soit possible, désirable et partagée. Ce n’est pas refuser les exigences, c’est en finir avec la surtransposition, les normes qui étouffent et les contrôles qui découragent.
Si certaines dispositions de ce texte peuvent et doivent être améliorées, précisées et encadrées – c’est tout le rôle de la commission mixte paritaire –, l’essentiel est là : alléger, clarifier et accompagner. Notre assemblée, bien que n’ayant pas pu aller au terme de l’examen du texte, a exprimé une position claire, guidée par la recherche d’un équilibre entre simplification et responsabilité environnementale. Il appartient désormais aux membres de la future commission mixte paritaire de poursuivre ce travail avec la même exigence et le même sens de l’intérêt général. Leur responsabilité est grande : respecter les apports de l’Assemblée nationale,…
Mme Marie Mesmeur
Quels apports ?
M. Henri Alfandari
…rester fidèles à l’esprit qui a présidé à ses travaux et à la cohérence des choix exprimés, pour enfin répondre aux attentes légitimes du monde agricole.
Voilà pourquoi cette motion de censure est non seulement infondée, mais irresponsable et inopportune. Elle repose sur des caricatures, des procès d’intention et des accusations qui ne rendent pas justice au travail parlementaire. Elle mobilise surtout un outil institutionnel majeur – la motion de censure du gouvernement – au service d’une manœuvre politique dont la finalité ne trompe personne.
Nous avons le devoir de produire des lois utiles et nous devons agir face à l’urgence de la situation du monde agricole. En censurant ce gouvernement, vous ne défendez ni la démocratie, ni l’agriculture ni l’écologie. Vous nourrissez l’immobilisme, l’impuissance et la défiance. Nous vous laisserons exprimer votre vote minoritaire et caricatural. Quant à nous, nous ne voterons pas cette motion de censure.
Mme Christine Arrighi
Ah bon ?
M. Henri Alfandari
Nous continuerons à porter une ligne de vérité, de responsabilité et d’action, au service du monde agricole et de l’avenir de notre pays, dans le plein respect de nos engagements environnementaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – M. Jean-Yves Bony et Mme Marina Ferrari applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Panifous.
M. Laurent Panifous
Le débat provoqué aujourd’hui par le dépôt d’une motion de censure de nos collègues Insoumis fait suite à un nouvel épisode sans précédent de la vie parlementaire. Le groupe LIOT regrette profondément que la représentation nationale n’ait pas su trouver les voies et moyens pour débattre sereinement de la proposition de loi Duplomb qui doit apporter des réponses au monde agricole, tout en garantissant la prévalence de la science et la protection de la santé. C’est bien cet équilibre que notre groupe souhaite défendre.
Ayant constaté le nombre irrationnel d’amendements et dans l’espoir de parvenir au bout de l’examen de ce texte, nous étions partisans de l’application de la procédure du temps législatif programmé, qui aurait garanti l’expression de toutes les sensibilités tout en permettant un vote de notre assemblée.
M. Pouria Amirshahi
On avait dit oui, on avait accepté, vous le savez !
Mme Christine Arrighi
C’est vous qui ne l’avez pas voulu !
M. Laurent Panifous
Une fois encore, nous déplorons le spectacle que nous offrons à nos concitoyens et notre incapacité collective à sortir de l’obstruction et des postures, alors même que les difficultés rencontrées par les Françaises et les Français exigent de notre part un esprit de responsabilité. Dont acte : chacun prendra les siennes.
Mme Christine Arrighi
Quel cynisme !
M. Laurent Panifous
Soyons clairs : voter la motion de rejet est totalement insatisfaisant et constitue un nouvel échec collectif de notre assemblée, eu égard aux enjeux majeurs abordés par ce texte.
Toutefois, laisser les débats s’enliser dans l’obstruction aurait été inacceptable étant donné l’urgence d’agir pour soutenir tant nos agriculteurs que notre souveraineté alimentaire. C’est pourquoi, entre ces deux mauvais chemins – l’obstruction et le renvoi direct en CMP –, nous avons choisi celui qui évitait l’inacceptable, c’est-à-dire celui qui évitait le blocage et le statu quo.
Néanmoins, je le dis clairement, nous attendons de la CMP qu’elle prenne en considération nos demandes, notamment en ce qui concerne l’indépendance de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), l’encadrement de la réintroduction de l’acétamipride, qui doit être limitée dans le temps et associée à des plans de sortie conçus par les filières, ou encore la possibilité de stocker de l’eau en vue d’usages multiples. En la matière, il serait trop simpliste d’être seulement pour ou contre ; on peut considérer, par exemple, que stocker l’eau lorsqu’elle est surabondante pour la libérer dans les périodes sèches peut être une mesure nécessaire et de bon sens dans un contexte de multiusage, c’est-à-dire pour l’étiage, l’irrigation, la prévention des inondations, l’hydroélectricité, la distribution d’eau potable ou les loisirs.
M. Jean-Paul Lecoq
Exactement ! Ou pour la maîtrise d’ouvrage publique !
M. Laurent Panifous
On est bien loin des mégabassines.
Si le gouvernement ne peut pas apparaître totalement étranger à la stratégie un peu contre-nature qui consiste à faire rejeter un texte par ses défenseurs pour lui permettre d’être débattu plus rapidement après un passage en CMP, il n’en demeure pas moins que ce sont les députés eux-mêmes qui, en conscience, ont fait ce choix. Nous resterons bien sûr vigilants et exigeants quant aux décisions à venir de votre gouvernement, monsieur le premier ministre, mais les députés du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires ne voteront pas une motion de censure fondée sur ce motif. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq
La semaine dernière, la droite, la Macronie et le Rassemblement national ont décidé d’un commun accord, avec la complicité du gouvernement, de déposer une motion de rejet préalable à l’encontre de leur propre texte…
M. Alexandre Dufosset et M. Thierry Tesson
Une excellente idée !
M. Jean-Paul Lecoq
…pour faire barrage au débat parlementaire. Cette manœuvre inédite en dit long sur votre conception de la démocratie…
Mme Christine Arrighi
Ils n’ont aucune conception de la démocratie.
M. Jean-Paul Lecoq
…et sur l’idée que vous vous faites du rôle du Parlement.
M. Guillaume Florquin
Bravo, Staline !
M. Jean-Paul Lecoq
Elle met crûment en évidence qu’un vent mauvais souffle désormais sur notre pays. Nous assistons à une forme de bascule autoritaire préoccupante et d’autant plus nette que les intérêts économiques en jeu sont puissants.
Ces intérêts, nous les connaissons. Lors du Forum économique mondial de Davos, en janvier – vous n’en avez pas parlé, monsieur le premier ministre –, les dirigeants d’entreprises européennes ont expliqué à quel point les réglementations européennes entravaient leur compétitivité.
M. Laurent Jacobelli
C’est vrai !
M. Jean-Paul Lecoq
Devançant cet appel, le président de la République avait plaidé pour « suspendre [les régulations] tant qu’on n’a pas retrouvé la capacité de rentrer dans la compétition ». L’Europe en appelle depuis à une « révolution de la simplification », nouveau nom d’une offensive idéologique qui vise à privilégier l’efficacité par rapport au droit. L’objectif ? Emboîter le pas à Donald Trump et à Elon Musk et entrer dans la guerre économique, au mépris des droits sociaux et du droit de l’environnement qui sont autant d’entraves aux profits.
Nous assistons depuis à un recul de l’État de droit en France. Les attaques contre les contre-pouvoirs s’enchaînent et viennent du sommet de l’État. Quand un ministre affirme que l’État de droit n’est « ni intangible ni sacré », ce n’est pas une provocation ; c’est un programme. Une telle déclaration autorise par la suite à qualifier une décision du Conseil constitutionnel de « coup d’État de droit » ou à multiplier les attaques contre les opérateurs de l’État et contre leurs agents ; je pense à l’Office français de la biodiversité (OFB), à l’Agence de la transition écologique (Ademe) ou encore à l’Anses. Les textes se multiplient qui, sous prétexte de simplification, dérégulent des pans entiers de notre droit – le droit de l’environnement, le droit de l’urbanisme – en faisant des dérogations la règle et du droit de recours des citoyens l’exception. (Mme Christine Arrighi applaudit.) Le dernier exemple en date est un texte qui, pour imposer un projet autoroutier, contourne sans scrupule une décision de justice, au mépris du principe de séparation des pouvoirs.
La manœuvre de la semaine dernière participe du même climat délétère. En interdisant à la représentation nationale de débattre de la proposition de loi Duplomb, vous avez voulu faire taire les critiques, empêcher l’opposition d’en dénoncer les mensonges. En effet, ce texte, vous le savez, n’est qu’une diversion. Sa raison d’être est de détourner l’attention des causes profondes de la colère des paysans, c’est-à-dire l’insuffisance des revenus, l’absence de protection publique satisfaisante contre les calamités, la concurrence déloyale de produits qui ne respectent pas nos normes sanitaires et environnementales.
Mme Christine Arrighi
Ceux qui n’ont rien fait cherchent des coupables !
M. Jean-Paul Lecoq
Qui peut croire que l’on va enrayer la diminution du nombre d’exploitations en France en autorisant l’usage des néonicotinoïdes à titre dérogatoire ? Qui peut croire qu’affaiblir l’indépendance scientifique de l’Agence nationale de sécurité sanitaire renforcera l’agriculture ? Qui peut croire que le rehaussement des seuils donnant lieu au classement comme ICPE protégera nos éleveurs des traités de libre-échange ? Qui peut croire enfin qu’autoriser l’épandage de pesticides par drone sur les bananeraies de Martinique répond aux attentes d’une population traumatisée par le scandale du chlordécone ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS.)
La vérité, c’est que vous instrumentalisez la colère des agriculteurs pour complaire à une poignée de lobbys…
M. Nicolas Sansu
Bravo !
M. Jean-Paul Lecoq
…pour qui la qualité de l’air que l’on respire, la préservation de la ressource en eau et des sols agricoles ou encore la protection de la santé de nos concitoyens ne sont que les variables d’ajustement de leur sinistre Monopoly.
L’hiver dernier, nos agriculteurs n’ont pourtant pas seulement exprimé leur désarroi face à une surcharge d’obligations administratives ou réglementaires. Ils ont, encore et avant tout, exprimé le souhait d’être respectés et de vivre décemment de leur travail. C’est d’abord sur la question des prix et des revenus qu’ils voulaient voir la représentation nationale légiférer.
M. Jean-Claude Raux
Évidemment !
M. Jean-Paul Lecoq
Or depuis des mois, plus personne ne parle de partage de la valeur, de prix planchers, de contraintes sanitaires et environnementales, d’aléas climatiques ou de maladies animales. Comme trop de textes récemment soumis à notre examen, la proposition de loi Duplomb ne parle que de dérégulation, de déréglementation et d’alignement sur le moins-disant environnemental et social. Une telle fuite en avant est mortifère car nous perdrons cette guerre, nous l’avons déjà perdue, si nous renonçons à la transformation de notre modèle agricole.
L’Europe somme de simplifier et la France fait de l’excès de zèle, abandonnant toute ambition en matière de protection de la biodiversité, de lutte contre la pollution ou de lutte contre le changement climatique. Pendant ce temps, le réchauffement de la température mondiale a franchi pour la première fois, l’an passé, le seuil de 1,5 degré Celsius, alors que l’objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris sur le climat conclu en 2015 consistait à ne pas dépasser cette limite. Et que fait le gouvernement ?
Mme Christine Arrighi
Rien !
M. Jean-Paul Lecoq
Il piétine les avancées obtenues, il s’assoit sur les engagements de la France, il distille l’idée que la protection de l’environnement nuirait à la production et que le contexte géopolitique impose désormais de ne plus s’embarrasser de normes même si nos enfants doivent payer l’addition, laquelle sera autrement plus lourde que la dette que vous brandissez pathétiquement comme le grand enjeu des années à venir.
L’heure est beaucoup plus grave que vous le dites. Elle appelle, notre groupe vous l’a dit et répété, un sursaut démocratique. Nous ne pouvons laisser l’extrême droite et ses soutiens médiatiques continuer de piloter votre agenda politique. (M. Stéphane Peu applaudit.) La bascule politique à laquelle nous assistons – la droite court après l’extrême droite et le centre après la droite –, la brutalisation du débat public, le chaos parlementaire savamment orchestré par l’enchevêtrement de textes examinés à la va-vite, étouffent tout débat démocratique. Désormais, à peine un Français sur trois considère que la démocratie fonctionne bien. Or la crise démocratique ne trouvera pas d’issue dans l’idée qu’il vaut mieux moins de démocratie et plus d’efficacité. Nous ne savons que trop bien où nous conduisent ces discours.
Il est impératif de prendre la mesure du péril démocratique qui nous guette. Il faut cesser d’alimenter les discours démagogiques, de banaliser les discours de l’extrême droite et de faire reculer la République sociale, écologique et solidaire qui, seule, ouvre un chemin d’espoir face aux tentatives autoritaires. Monsieur le premier ministre, cessez d’abîmer la République : elle est notre bien commun. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS. – Mme Christine Arrighi se lève pour applaudir.)
Mme la présidente
La parole est à M. Maxime Michelet.
M. Maxime Michelet
Le temps de l’Assemblée nationale est précieux, d’autant que les urgences s’accumulent pour notre pays et pour son peuple. En dépit de cela, la gauche a décidé de nous en faire perdre (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN), comme elle avait souhaité nous en faire perdre en choisissant l’obstruction lors de l’ouverture des débats sur la proposition de loi Duplomb.
M. Nicolas Sansu
Combien d’amendements vos groupes ont-ils déposés sur la proposition de loi relative à l’aide à mourir ?
M. Maxime Michelet
La gauche décide de nous faire perdre du temps avec une motion de censure insensée que la mémoire parlementaire considérera sans doute avec fascination et qui nourrira, à n’en pas douter, la stupéfaction de futurs étudiants en droit parlementaire. En effet, pour la première fois, une motion de censure ne vise pas à flétrir un acte du gouvernement mais à dénoncer un vote de l’Assemblée nationale elle-même. Une minorité de députés, mécontente qu’une majorité de députés ait voté en un sens qui lui déplaît, veut ainsi, en toute logique, faire tomber le gouvernement.
Que l’adoption de la motion de rejet préalable vous plaise ou non, elle a été décidée par les députés de cette assemblée, et nous étions bien libres de le faire. Vous qui n’hésitez jamais à faire usage de tous les moyens à votre disposition pour faire obstruction à la liberté du débat dans cet hémicycle,…
M. Jean-Paul Lecoq
Et vous ? Quid de la proposition de loi sur l’aide à mourir ?
M. Maxime Michelet
…souffrez que nous fassions usage de tous les moyens à notre disposition pour ne pas vous laisser prendre en otage un texte de loi essentiel tant attendu, et depuis si longtemps, par le monde agricole.
M. Marcellin Nadeau
On est passé du coq à l’âne !
M. Maxime Michelet
Cessez également de caricaturer les institutions de la Ve République. Ces caricatures faciles cachent bien mal votre entreprise systématique de démolir nos institutions.
M. Thierry Tesson
C’est juste !
M. Maxime Michelet
En effet, quoi qu’on pense du Sénat et des commissions mixtes paritaires, il s’agit d’institutions et de procédures régulières et démocratiques prévues par notre Constitution, et le texte qui émanera éventuellement d’une CMP conclusive reviendra dans cet hémicycle pour être ratifié par nos votes. De la motion de rejet préalable que votre obstruction nous a imposée au vote final, l’Assemblée aura toujours librement voté. D’ailleurs, puisqu’il existait une majorité favorable à la motion de rejet préalable que vous dénoncez, il n’existe logiquement pas de majorité en faveur de votre motion de censure, qui n’est qu’une perte de temps, une manœuvre politique ; vos amis, ou alliés, ou partenaires, ou en tout cas voisins du Parti socialiste le concèdent eux-mêmes en ne la votant pas. Votre motion de censure n’est qu’une pantomime inutile, particulièrement irrespectueuse de la liberté des députés qui ont fait le choix libre et éclairé de ne pas tomber dans le piège absurde de l’obstruction par laquelle vous vouliez tuer le texte.
Nous souhaitions le débat dont vous avez empêché la tenue, tout comme les agriculteurs le souhaitaient. Nous désirions notamment faire entendre une parole différente de celle qui avait prévalu en commission du développement durable et qui avait profondément dénaturé le texte issu du Sénat. Nous tenions à revenir à l’ambition initiale de ce texte tant attendu par la profession agricole dont la mobilisation, depuis d’innombrables mois, donne d’importants devoirs à la représentation nationale. Nous souhaitions le débat, enfin, pour témoigner aux agriculteurs français notre soutien inconditionnel et pour traduire ce soutien en actes concrets, capables de simplifier l’exercice d’une profession indispensable à la survie et à la souveraineté de notre nation. Malgré les divisions, les atermoiements et les contradictions du bloc central, il existait sur ces bancs, grâce à la cohérence des députés du RN et de l’UDR, une majorité favorable à la proposition de loi Duplomb. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR et sur plusieurs bancs du groupe RN.) L’agriculture française a besoin de ce texte.
M. Thierry Tesson
C’est une évidence !
M. Maxime Michelet
L’agriculture française a besoin que cesse l’absurdité des interdictions exclusives à la France, que cesse l’impasse des interdictions sans solution, que cesse l’ineptie de la guerre dogmatique faite aux retenues d’eau, que cesse l’asphyxie des contraintes et des normes bureaucratiques qui pèsent sur nos agriculteurs,…
M. Marcellin Nadeau
Les poncifs, ça va !
M. Maxime Michelet
…que cesse le scandale d’une police agricole armée qui traite les agriculteurs en criminels. Elle a besoin de liberté et de bon sens, elle a besoin que la loi cesse de marcher sur la tête. Des décennies d’un excès de lâcheté politique l’ont amenée au bord de la rupture, l’enfermant dans un excès de normes, de contraintes et d’absurdités.
Vous, la gauche, vous voulez y maintenir l’agriculture, au nom d’une écologie politique qui ne sauvera certainement pas l’humanité mais condamnera assurément notre agriculture. Nous, nous voulons la libérer de cet excès de normes, de contraintes et d’absurdités. Fidèles soutiens des agriculteurs, des éleveurs, des cultivateurs, des maraîchers, des viticulteurs, les députés du bloc national, de l’UDR et du RN, se tiendront toujours résolument aux côtés du monde agricole, comme ils l’ont été hier, comme ils le sont aujourd’hui et comme ils le seront, plus encore, demain, quand nous gouvernerons enfin ce pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
J’en viens justement à vous, monsieur le premier ministre, car la motion de censure vous concerne ainsi que votre gouvernement. Alors, si vous le voulez bien, parlons-en. Votre gouvernement tombera-t-il à l’issue de cette motion de censure ? Non. Tombera-t-il un jour ? Assurément, cependant personne ne sait quand viendra ce jour ou cette heure, si vous me permettez de citer l’évangéliste. Peut-être tombera-t-il d’ailleurs de lui-même sans que la représentation nationale ait à agir.
Le 21 mars dernier, vous déclariez : « Il n’y a pas de gouvernement s’il n’y a pas de solidarité gouvernementale. » Pourtant, votre gouvernement est bien peu solidaire. Que de divisions et de contradictions, en effet, parmi vos ministres et les partis qui vous soutiennent ! Cela reflète l’amalgame hétéroclite qui vous sert de coalition ainsi que les innombrables ambitions qui s’aiguisent chaque jour davantage à l’approche de la succession d’Emmanuel Macron. Tant de divisions, sur le droit du sol, la riposte à adresser à l’Algérie, le port du voile dans le sport, l’aide active à mourir, ou même récemment sur la reconstitution de la carrière militaire d’Alfred Dreyfus, annoncent une prochaine désintégration de votre gouvernement et de votre coalition.
Les dernières divisions en date portent sur l’adoption éventuelle du scrutin proportionnel. Cette question vous vaut une menace de démission de votre ministre de l’intérieur, qui n’avait pas songé à le faire face à l’humiliation que nous a infligée l’Algérie, face à la submersion migratoire que vous aviez dénoncée ou encore face au fiasco sécuritaire des violences urbaines du week-end dernier. Enfin, votre porte-parole a annoncé récemment que le macronisme arriverait à son terme dans les prochains mois. Nous le souhaitons, nous y travaillons, mais cela a naturellement suscité l’ire des soutiens d’Emmanuel Macron qui forment l’armature de votre gouvernement et de votre coalition. Rien de tout cela n’est présage de longévité pour votre gouvernement, monsieur le premier ministre.
La position du groupe UDR a toujours été claire et elle le demeure. Contrairement à la gauche, nous refusons d’user de l’outil de la motion de censure avec légèreté : nos motions de censure ne sont pas des manœuvres politiciennes et nous savons combien la chute d’un gouvernement est un acte important et grave. À l’automne prochain, le gouvernement et la représentation nationale se retrouveront à l’occasion du rendez-vous budgétaire annuel, qui est important. Face au défi de l’assainissement des comptes publics, nos lignes rouges n’ont pas changé et ne changeront pas. Ce n’est toujours pas aux Français, et certainement pas aux Français qui travaillent, créent ou entreprennent, de payer l’addition de l’incurie budgétaire de huit années de macronisme. Alors, si vous choisissez un chemin qui poursuit l’asphyxie fiscale et ne réduit pas les dépenses publiques, vous choisirez le chemin de la censure. Soyez en effet assuré, monsieur le premier ministre, que si vous choisissez de présenter un budget aussi mauvais que celui de Michel Barnier, vous connaîtrez le même destin que lui. Encore faut-il que votre gouvernement tienne, malgré ses divisions, jusqu’à l’automne. Comme je vous le disais en citant Talleyrand…
M. Pierre Cordier
Le diable boiteux !
M. Maxime Michelet
…à l’occasion de la première des sept motions de censure contre votre gouvernement, méfiez-vous de vos soutiens plus que de vos adversaires. Monsieur le premier ministre, voici une seconde phrase de Talleyrand…
M. Pierre Cordier
Il a mangé à tous les râteliers !
M. Maxime Michelet
…que je livre à votre réflexion : « Un ministère qu’on soutient est un ministère qui tombe. » (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Chenu.
M. Sébastien Chenu
Voici une motion de censure bien singulière, car elle est tournée non contre le gouvernement mais contre le Parlement. Elle permet à ses auteurs de La France insoumise, de plus en plus isolés, de s’agiter dans tous les sens afin d’entretenir des illusions, à commencer par celle d’une opposition réelle à ce gouvernement, qui existe parce que vous avez voté Emmanuel Macron.
Mme Mathilde Panot
Arrêtez ! Vous avez soutenu le gouvernement !
M. Sébastien Chenu
Leur utilité au bénéfice des Français est également illusoire, car étant donné qu’ils n’ont même pas réussi à convaincre leurs alliés de feu le Nouveau Front populaire, cette motion de censure n’aura aucun résultat. Il ne faut pas voir là le goût de l’effort inutile, car votre démarche, collègues du groupe LFI, relève d’un réflexe pavlovien plutôt que d’une réflexion sur le rôle que vous pouvez jouer. Cette motion de censure témoigne surtout de leur volonté de réduire les pouvoirs, déjà faibles, des députés qui, en votant une motion de rejet, ont empêché la dénaturation d’une proposition de loi de protection de la ruralité.
La voici donc, cette gauche contre les règles du jeu parlementaire, cette gauche qui veut étouffer la voix des députés du peuple, cette gauche contre le Parlement. La voici donc, cette gauche hypocrite, sans projet, sans utilité, uniquement préoccupée par ses intérêts boutiquiers, ses jeux internes, la gauche en morceaux, entre désordre et bruit, la gauche du souk, en réalité. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Cette motion de censure stérile, sans autre objet que d’abîmer la démocratie parlementaire et ses institutions n’aura donc aucun effet. Pas un Français ne se réveillera demain en se disant que quelque chose a changé. Qu’allez-vous donc obtenir, chers collègues d’extrême gauche, avec vos gesticulations antiparlementaristes ? Votre violence rhétorique et votre hostilité à la démocratie parlementaire posent la question de l’antiparlementarisme de l’intérieur que vous portez et qui vous place aux frontières extérieures du jeu démocratique.
Cette motion de censure n’aura aucun effet positif pour les Français, mais elle dit tout de vous et de votre inanité. Déjà, au moment où nous pouvions abroger la réforme injuste des retraites, vous aviez pourri le jeu parlementaire. (Mme Mathilde Panot s’exclame.) Au moment où nous pouvons aider l’agriculture et la ruralité, vous pourrissez encore le débat parlementaire. Sans nul doute, quand c’est pourri, c’est LFI ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Nous, au Rassemblement national, autour de Marine Le Pen, nous n’avons qu’une ligne : être utiles aux Français, à leur sécurité, à leurs intérêts, à leur pouvoir d’achat, à leur modèle social, à la préservation de nos équilibres et, dans le cas présent, à la ruralité – nous l’avons prouvé. (Protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Lorsque les députés du Rassemblement national ont utilisé l’extrême gauche comme un outil parmi d’autres pour censurer et faire tomber le gouvernement Barnier, ils ont obtenu de fait un recul sur la désindexation des retraites, défendant ainsi le pouvoir d’achat des retraités. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Nous sommes utiles aux Français lorsque nous nous battons ici, avec Marine Le Pen, pour que la programmation pluriannuelle de l’énergie soit examinée dans cette enceinte et ne fasse pas l’objet d’un obscur décret aboutissant à une hausse des tarifs du gaz, de l’électricité et du carburant. Le Rassemblement national, avec Jean-Philippe Tanguy sur ce sujet, préserve le pouvoir d’achat des Français. (Mêmes mouvements.) En excluant de votre plan le gazole non routier, avec Emmanuel Blairy, député du Pas-de-Calais, nous avons défendu les agriculteurs. (Mêmes mouvements.) Enfin, ces dernières heures, avec les députés du Rassemblement national et grâce au combat mené par Pierre Meurin, nous abrogeons les horribles ZFE (Mêmes mouvements), ces zones à forte exclusion, et nous rendons dignité et capacité de se déplacer librement à des millions de Français. Là encore, Marine Le Pen et le Rassemblement national sont utiles à la France et aux Français. (Mêmes mouvements.) C’est probablement, chers collègues, l’une des différences majeures entre vous et nous : nous nous battons pour les Français quand vous vous battez pour vous-mêmes.
Mme Mathilde Panot
La seule fois que vous avez manifesté, c’était pour vous-mêmes !
M. Sébastien Chenu
Nous pouvons rentrer dans nos circonscriptions en étant fiers d’avoir mené le combat, fiers du travail accompli, fiers d’avoir défendu les nôtres, d’avoir fait bouger les lignes, et aujourd’hui, fiers d’avoir défendu l’agriculture, la paysannerie, les campagnes, cette ruralité que vous n’aimez pas et qui – il faut le reconnaître – vous le rend bien. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) À travers cette motion de censure, vous n’intentez pas seulement un procès à la démocratie parlementaire, mais aussi aux agriculteurs. Hélène Laporte l’a rappelé : depuis de longs mois, les agriculteurs français attendent ce texte qui est promis depuis l’automne. Certes, comme elle l’a dit, ce texte n’est pas celui que nous aurions souhaité, il est insuffisant, mais il montre que nous prenons à bras-le-corps la défense des intérêts du monde agricole. Nous n’avons cédé ni à vos intimidations, ni à vos provocations, ni à vos désinformations : encore une fois, le Rassemblement national est au service des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Je veux rendre hommage ici à tous les députés du Rassemblement national qui, partout en France, du nord au sud, défendent une agriculture et une viticulture d’exception. Ainsi, Christophe Barthès, député de l’Aude, se bat pour l’avenir de la filière viticole. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Caroline Colombier, députée de Charente, défend notre cognac si durement attaqué et si mal défendu par vos amis de l’Union européenne. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Marie-France Lorho, députée de Vaucluse, défend notre souveraineté pour la filière fruits et légumes. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Emmanuel Taché de la Pagerie, député des Bouches-du-Rhône, se bat avec détermination pour le riz et le foin de Crau. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Émilie Bonnivard
Ça suffit !
M. Pierre Cordier
Vous êtes 120, ça va être long !
M. Sébastien Chenu
Alexandre Dufosset, député du Nord, défend pied à pied nos producteurs de betteraves et donc notre sucre. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Hélène Laporte empêchera la filière de la noisette de disparaître. Je n’ai pas le temps de les mentionner tous, mais ils sont utiles aux Français, quand vous n’êtes utiles, chers collègues de l’extrême gauche, qu’au Hamas. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Les Français sont d’accord avec nous : ils sont attachés à la préservation de nos équilibres et de nos traditions. Comme ils refusent les ZFE à 78 % d’après un sondage récemment publié par l’Ifop, une immense majorité de Français ont une bonne opinion de leurs agriculteurs et considèrent que ceux-ci ne sont pas suffisamment défendus et soutenus par les pouvoirs publics. Comme une majorité de Français, le Rassemblement national défend un made in France, une agriculture de proximité, ni suradministrée ni sursubventionnée, mais accompagnée pour produire. Nos agriculteurs attendaient donc un soutien unanime de la représentation nationale, en particulier du fameux socle commun. Au lieu de cela, la droite DR, aux sincérités aussi fluctuantes que sa présence dans l’hémicycle, les a oubliés. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Émilie Bonnivard
Si vos députés sont là, c’est qu’ils ne sont pas dans leur circonscription ! Je ne sais pas s’ils seront réélus.
M. Sébastien Chenu
Au lieu de cela, le groupe EPR a confié ce texte à une députée alliée à l’extrême gauche. Comme l’écrivait Gustave Thibon, « À droite, on dort. À gauche, on rêve. » Encore une fois, la ruralité n’a donc pu compter que sur le Rassemblement national. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Et que dire de la lâche absence des députés socialistes (Mêmes mouvements) qui après avoir abandonné les ouvriers, les employés, les profs et les jeunes, sont aux abonnés absents lorsqu’il s’agit d’avoir un avis, une idée, une position ? Vous n’êtes plus à gauche, camarades, vous êtes complètement à l’ouest ! (Applaudissements et exclamations sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Erwan Balanant
C’est bien, l’ouest ! (Sourires.)
M. Stéphane Peu
Avant, on était à l’est ! (Sourires.)
M. Sébastien Chenu
Encore une fois, la ruralité n’a pu compter que sur le Rassemblement national. Cette motion de censure, je l’ai souligné, dit beaucoup de ses signataires. Elle éclaire aussi le rapport que chacun entretient au courage politique. Vous en manquez, monsieur le premier ministre. (Protestations sur les bancs du groupe Dem.) Et si les députés Rassemblement national n’appuient pas sur le bouton aujourd’hui, ce n’est absolument pas pour vous donner une seconde chance, mais uniquement pour défendre la ruralité.
Ne croyez pas, monsieur le premier ministre, que, comme vous l’avez fait pour le parti socialiste, vous pourriez nous acheter, nous tenir et retenir notre bras avec la proportionnelle ou une quelconque manœuvre législative. Votre tour viendra, monsieur le premier ministre.
M. Erwan Balanant
À la présidence ?
Mme Mathilde Panot
Vous laissez la Macronie continuer, alors !
M. Sébastien Chenu
Nous vous voyons reprendre hypocritement une petite partie des idées du Rassemblement national, alimenter maladroitement le débat public en propositions sans avenir, comme le référendum injouable. Nous vous observons préparer un budget sans toucher au tabou de l’immigration. Nous vous voyons fuir vos responsabilités et refuser d’assumer vos échecs et ceux de vos prédécesseurs. Après cette motion de censure à laquelle vous échapperez sans grandeur, nous vous verrons à l’œuvre sur le Mercosur ou sur le budget. Je vous le redis : votre tour viendra. Vous nous trouverez face à vous. Jamais les députés Rassemblement national ne vous prendront en traître. Jamais ils ne négocieront l’intérêt des Français. Jamais ils ne fuiront leurs responsabilités.
Mme Émilie Bonnivard
Pour une fois !
M. Sébastien Chenu
Pour paraphraser René Char, toujours nous conserverons notre foi dans le juste et le lucide. Votre tour viendra, monsieur le premier ministre, plus vite que celui que vous réservez aux Français.
Monsieur le premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, chers collègues, nous ne mêlerons pas nos voix, « chabadabada », à cette motion de censure, mais encore une fois « tout recommence, la vie repart ». (Les députés du groupe RN se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs du groupe UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Julie Delpech.
Mme Julie Delpech
Ce que nous examinons aujourd’hui, ce n’est pas une motion de censure : c’est une diversion, une opération de communication camouflée sous les habits du sursaut démocratique.
Ne nous y trompons pas : une nouvelle fois, ce sont les députés de la France insoumise qui déposent cette motion, ceux-là mêmes qui ont paralysé l’examen de la proposition de loi dite Duplomb en déposant des milliers d’amendements absurdes et qui dénoncent en criant l’absence de débat, après l’avoir empêché.
Vous pouvez tenter de vous draper dans les habits de la vertu parlementaire, mais les faits sont têtus : s’il n’y a pas eu de débat, c’est parce que vous avez choisi de l’asphyxier.
Ce n’est pas un gouvernement que vous cherchez à censurer ; c’est votre propre méthode que vous tentez de faire oublier. La proposition de loi dite Duplomb traitait pourtant d’un sujet aussi complexe que légitime : comment lever certains freins réglementaires qui entravent l’exercice du métier d’agriculteur et nuisent à la lisibilité de son cadre d’action.
Elle est née d’un travail transpartisan mené au Sénat, cosigné par près de 200 sénateurs de toutes sensibilités, puis elle a été retravaillée à l’Assemblée en commission, où plus de 900 amendements ont été examinés, dont 171 adoptés.
Dans cet exercice exigeant, le rapporteur Julien Dive l’a rappelé : 52 % des amendements qu’il a retenus provenaient des groupes de gauche. Autrement dit, un dialogue existait, des marges de convergence s’étaient dessinées et le travail parlementaire avait abouti à un texte travaillé.
Vous avez entravé ce travail avec plus de 3 500 amendements, dont 70 % venaient des mélenchonistes et des écologistes. Ce que vous avez organisé, ce n’est pas un débat, c’est un sabotage. Le détail éclaire la méthode : des articles ont été créés en série pour gonfler artificiellement le volume des amendements fixant l’entrée en vigueur des mesures à l’année 2100, des demandes de rapport toutes les trente-six heures et même la proposition de renommer le texte « loi antipaysans ».
Ce n’est plus de la contestation ou du désaccord sur le fond d’un texte, c’est du mépris pour nos agriculteurs et pour le travail parlementaire. Soyons clairs : ce n’est pas de la démocratie, c’est de l’enlisement organisé. Ce n’est pas une opposition qui cherche à convaincre, c’est juste une minorité qui cherche à paralyser.
Mme Prisca Thevenot
Eh oui !
Mme Julie Delpech
Derrière cette avalanche d’amendements, il n’y avait pas un mot pour les agriculteurs, pas une ligne pour faire avancer leur quotidien, pas un geste pour construire. Il y avait uniquement une stratégie assumée : celle d’empêcher que le débat ait lieu.
Évidemment, les députés du groupe Ensemble pour la République défendent le droit d’amendement. C’est parce que nous le défendons que nous refusons qu’il soit dévoyé. Il y a une différence entre débattre et noyer l’Assemblée sous une logorrhée procédurale. Cette frontière a été de nouveau franchie. Chacun ici le sait, mais certains continuent pourtant de faire semblant.
Face à cette stratégie d’asphyxie méthodique, le rapporteur a été contraint, avec le soutien du gouvernement, de déposer une motion de rejet préalable qui a été votée. Elle visait non à enterrer le texte, mais à permettre que sa navette se poursuive en commission mixte paritaire, loin des manœuvres dilatoires. Je le rappelle : le texte n’est pas rejeté, il continue son parcours législatif dans un cadre plus constructif, à l’abri des postures.
À l’issue de la CMP, le texte reviendra à l’Assemblée pour un vote. Le débat aura bien lieu, mais avec sérieux, dans le respect du Parlement et de ceux que nous représentons.
Nous débattons d’une nouvelle motion de censure déposée par LFI, qui regroupe les auteurs de cette obstruction. Ce sont eux qui, en saturant délibérément le débat, ont créé les conditions de l’impasse qu’ils dénoncent. Quelques jours plus tôt, ils avaient d’ailleurs eux-mêmes envisagé de déposer une motion de rejet sur le même texte, avant de se raviser. Ce sont eux qui, depuis 2022, ont déposé pas moins de cinquante-deux motions de rejet, dont quatorze pour cette dix-septième législature.
Mme Marie Mesmeur
Nous avons travaillé !
Mme Julie Delpech
Il est donc permis de s’interroger sur l’hypocrisie de la situation : y aurait-il des outils acceptables quand ils sont utilisés par certains, et condamnables quand ils viennent d’autres bancs ? Où est la cohérence ?
Il ne s’agit pas d’un accident de parcours. Cette stratégie d’obstruction, vous en faites votre méthode. Lundi encore, près de 700 amendements ont été déposés par les mêmes groupes sur le texte relatif à l’autoroute A69. Ce n’était pas pour débattre, mais pour bloquer les discussions, une nouvelle fois.
Ce sont ces mêmes auteurs qui s’étonnent, et même s’offusquent, qu’une motion de rejet, qu’ils ont eux-mêmes déposée, soit adoptée pour éviter de nouvelles heures de débats stériles et permettre l’adoption plus rapide de textes significatifs pour nos concitoyens.
M. Roland Lescure
Eh oui !
Mme Julie Delpech
Mme Panot a évoqué un coup de force, mais le vrai coup de force, c’est de prendre en otage le Parlement au nom d’un pur affichage, de se présenter en défenseur de la démocratie quand on refuse le temps législatif programmé proposé en conférence des présidents ou de retirer ses amendements d’obstruction pour garantir le débat. C’est encore prétendre défendre la santé publique tout en empêchant tout débat contradictoire sur l’usage encadré d’une molécule – en l’occurrence l’acétamipride.
C’est ce dernier point qui motive officiellement cette motion. Pourtant, que dit la science ? L’acétamipride est le seul néonicotinoïde encore accepté dans l’Union européenne, avec une autorisation valide jusqu’en 2033, fondée sur une évaluation rigoureuse de l’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa).
Il est utilisé dans vingt-six des vingt-sept États membres. Loin de l’interdire, l’Allemagne vient même d’en élargir les usages à titre dérogatoire. En France, c’est la seule solution identifiée comme efficace dans trente-trois filières agricoles sur cinquante-cinq.
Le texte ne prévoyait pas de l’autoriser sans garde-fous. Il proposait un encadrement strict : usage temporaire, absence d’alternative, contrôle public et transparence. Il ne sacrifiait pas l’écologie. Il assumait la complexité de la transition et cherchait à la rendre possible. Il faisait le choix du réel, là où vous préférez, comme toujours, la posture.
Mme Marie Mesmeur
Vous mentez !
Mme Julie Delpech
Au fond, c’est cela le cœur du débat : la réalité contre l’illusion, les slogans contre les solutions. Parler de prix rémunérateurs, qui serait contre ? Mais derrière ce mot d’ordre, où est le mécanisme ? Pour quel coût ? Pour quelles productions ? Avec quels outils ? L’indexation suppose une administration tentaculaire, de même que l’encadrement des marges : la dénonciation est facile, mais la régulation exige de la rigueur, surtout quand les chaînes de valeur sont européennes, voire mondiales.
Mme Marie Mesmeur
Que dira-t-on aux enfants malades, alors ?
Mme Julie Delpech
Oui, il faut une régulation du secteur agroalimentaire, mais celle-ci doit être crédible ; elle ne doit pas être un mot d’ordre économique déconnecté du réel.
Nous n’avons pas attendu cette motion pour soutenir l’agriculture biologique ou les pratiques agroenvironnementales. Ce soutien existe déjà ; il est parfois insuffisant et doit être renforcé, mais il est réel. Encore faut-il avoir le courage de l’assumer financièrement, dans un contexte budgétaire contraint, notamment par ceux qui, ici même, contestent chaque ligne de crédit.
Il faut surtout affronter une réalité : la demande en produits bio stagne, voire recule. Pousser à la conversion sans garantir de débouchés, c’est précipiter des exploitations dans l’impasse.
Ce combat pour une agriculture respectée, notre groupe l’a engagé depuis 2017 et, plus récemment, dès les premières mobilisations de janvier 2024, aux côtés de Gabriel Attal, alors premier ministre.
Nous n’avons pas attendu cette motion pour prendre nos responsabilités. Soixante-sept engagements ont été actés et plus de 90 % sont en cours de mise en œuvre : soutien immédiat aux exploitations en difficulté, protection renforcée contre la concurrence déloyale, simplification des normes ou encore reconnaissance du rôle stratégique de l’agriculture dans notre pacte républicain.
Depuis le début, nous refusons les caricatures. Il n’y a pas, d’un côté, les bons agriculteurs et, de l’autre, ceux qu’on pourrait pointer du doigt. Tous portent la même exigence : celle de pouvoir vivre de leur travail. C’est à tous que nous devons des réponses.
Nos agriculteurs n’attendent ni des slogans ni de la grandiloquence ni des postures théâtrales ; ils veulent des mesures concrètes, mesurables, applicables et efficaces.
Cette motion ne leur apporte rien. Elle ne corrige aucun manquement démocratique. Elle recycle, une fois de plus, l’obstruction dans une indignation feinte. Ce n’est pas une alerte. C’est une diversion, une tentative de brouiller les responsabilités – vos irresponsabilités. Nous ne la cautionnerons pas.
Le groupe Ensemble pour la République ne votera pas cette motion de censure, par fidélité à ce qu’il est : une force de construction, au service des agriculteurs, des territoires et du service du débat démocratique – le vrai débat démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La discussion est close. J’ouvre le scrutin, qui est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. Je rappelle que seuls les députés favorables à la motion de censure y participent. Le vote se déroule dans les salles voisines de l’hémicycle. Il durera vingt minutes et sera clos à 16h30.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures trente.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
Voici le résultat du scrutin :
Majorité requise pour l’adoption de la motion de censure, soit la majorité absolue des membres composant l’Assemblée 289
Pour l’adoption 116
La majorité requise n’étant pas atteinte, la motion de censure n’est pas adoptée.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente, est reprise à seize heures trente-cinq, sous la présidence de M. Roland Lescure.)
Présidence de M. Roland Lescure
vice-président
M. le président
La séance est reprise.
4. Droit de vote par correspondance des personnes détenues
Suite de la discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues (nos 1163, 1475).
Discussion générale
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
Le groupe Droite républicaine soutient pleinement, dans sa version initiale, la proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues. Ce texte, déposé au Sénat par notre collègue Laure Darcos, vise à corriger une anomalie démocratique trop longtemps ignorée : si environ 50 % des détenus conservent leur droit de vote, moins de 2 % l’exercent effectivement. Cela représente moins de 1 000 votants sur environ 37 000 électeurs détenus potentiels.
Pourquoi ce taux est-il aussi bas ? Parce que les modalités actuelles sont inadaptées, lourdes à mettre en œuvre et déconnectées du parcours de réinsertion des personnes concernées. Prenons quelques exemples : dans la commune de Saint-Maur, dans l’Indre, l’établissement pénitentiaire local représente à lui seul près de 9 % du corps électoral ; à Arles, cette proportion est de plus de 6 % ; et, dans une demi-douzaine de communes françaises, les détenus inscrits au titre de la prison représentent plus de 5 % des électeurs. Cela n’est pas neutre quand on sait que, lors des élections municipales, une poignée de voix peut suffire à faire basculer une majorité.
Cette situation crée des incohérences : un détenu – parfois incarcéré pour une période très courte – peut être amené à voter dans une commune où il n’a jamais vécu, et pour des élus locaux qu’il ne connaît absolument pas. Cela va à l’encontre du principe fondamental selon lequel le droit de vote doit refléter un lien réel, personnel et territorial avec la collectivité.
C’est ce que cette proposition de loi corrige : elle supprime la possibilité de voter par correspondance lors des élections locales dans le chef-lieu de département ou la commune d’implantation de la prison pour la remplacer par des critères bien plus pertinents. Le vote par correspondance serait désormais réservé à la commune de dernière résidence ou à celle de résidence des ascendants ou des descendants, ce qui élargirait de manière réaliste les possibilités tout en respectant le lien civique. Ce n’est ni laxiste ni symbolique ; c’est tout simplement pragmatique, d’autant que le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) rappellent régulièrement que le droit de vote est un droit fondamental, qui ne peut être suspendu que de manière proportionnée et avec des garanties précises.
En améliorant l’effectivité de ce droit, cette proposition renforce la citoyenneté active en détention, et ce, sans aucun abandon des principes de sécurité ni d’autorité. Le vote par correspondance est une modalité sûre, encadrée, dont les garanties logistiques sont bien connues : enveloppes sécurisées, double acheminement, contrôle de l’identité. Par ailleurs, selon un rapport de l’administration pénitentiaire, la participation civique des détenus est un facteur de réduction des tensions carcérales. Elle donne un sens à l’incarcération, en l’inscrivant dans un parcours de responsabilité, et non de relégation.
Le texte adopté par le Sénat, enfin, évite les dérives qui ont été votées en commission : il ne multiplie pas les rapports sans suite ni les dispositifs irréalistes comme l’installation généralisée de bureaux de vote en prison, qui supposerait des moyens humains, matériels et juridiques relativement importants. Nous appelons donc à un vote conforme à celui du Sénat, sur la base du texte initial. Cela implique le rétablissement de l’article unique et la suppression des articles ajoutés en commission, qui déséquilibrent l’économie du texte.
Parce que la citoyenneté ne s’arrête pas aux portes des prisons, parce que la réinsertion commence par la reconnaissance de la responsabilité civique et parce que l’équité démocratique doit aussi s’appliquer aux petites communes, le groupe Droite républicaine votera en faveur de cette proposition de loi dans sa version initiale, claire, équilibrée et profondément républicaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur les bancs des commissions.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky.
Mme Léa Balage El Mariky
Le débat qui s’ouvre dépasse largement les murs des prisons. Il touche au cœur de notre pacte républicain : le suffrage universel, ce beau principe qui fait de chacun un égal parmi les égaux, quelle que soit sa condition. Le droit de vote des personnes détenues s’inscrit pleinement dans cette tradition, une tradition qui engage la République à ne pas rompre le lien politique entre un condamné et la communauté des citoyens, dont il reste un membre à part entière, sauf décision judiciaire expresse. C’est ce choix que nous faisons depuis 1994 et c’est à lui que nous devons rester fidèles.
Il est vrai que ce principe n’est pas encore pleinement satisfait : le détenu demeure un citoyen amputé de ses moyens, assigné à un espace d’ombre, loin de l’effervescence démocratique. Les raisons en sont parfaitement connues : les conditions de détention actuelles, indignes, rendent difficile toute mobilisation électorale.
Alors qu’il reste tant à faire pour que la République entre enfin dans les prisons, nous examinons un texte dont l’objectif est inverse : faire de la prison un non-lieu démocratique ! Il s’agit de supprimer le vote par correspondance des détenus pour les élections législatives et locales, non pour des raisons juridiques ou logistiques irréfutables mais sous de paresseux prétextes organisationnels et, surtout, pour satisfaire des mobiles purement politiciens, à la veille des municipales, dans une logique de calcul électoral à courte vue.
Depuis l’introduction du vote par correspondance en prison, en 2019, le taux de participation des détenus a augmenté, passant de 2 % à 22 %, pour les élections européennes et à 19 %, pour les législatives. Cette faculté a été utilisée par 93 % des votants. Nous y voyons la preuve qu’adapter les modalités de vote à la situation des détenus ne fausse pas la démocratie mais la renforce.
M. Pouria Amirshahi
Très bien !
Mme Léa Balage El Mariky
Les deux autres modalités de vote prévues par la loi sont clairement inadaptées. Le vote par procuration suppose de trouver un mandataire à l’extérieur et, une fois cette difficulté surmontée, la procédure est si lourde qu’elle dissuade les plus motivés.
Quant au vote via les permissions de sortir, il est rarissime – il a concerné 200 détenus seulement à la présidentielle de 2017. D’une part, il est réservé à des profils très spécifiques – peine courte, prononcée de manière définitive, sans période de sûreté – ce qui exclut d’office les 19 000 personnes placées en détention provisoire ; d’autre part, la permission de sortir reste soumise à l’appréciation d’un juge et à des conditions pratiques souvent dissuasives : fouilles systématiques, contraintes administratives, incertitudes.
Fort heureusement, la commission des lois a su éviter le pire. Nous avons réussi à maintenir le vote par correspondance et obtenu deux avancées importantes. La première concerne l’installation de bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires : ce qui semble ressortir de l’évidence dans une démocratie constitue en réalité une petite révolution civique dans un lieu trop longtemps tenu à l’écart de la vie de la cité.
La seconde avancée est l’extension à toutes les catégories de détenus des permissions de sortir pour se rendre aux urnes – il ne peut y avoir de hiérarchie dans la citoyenneté selon la nature de la détention.
Ces dispositions législatives marquent des progrès réels pour la République.
Certes, le choix opéré en 2019 n’est pas pleinement satisfaisant : les détenus qui choisissent le vote par correspondance sont rattachés à un bureau spécifique situé dans le chef-lieu du département de leur établissement pénitentiaire, ce qui, à certains égards, rompt avec notre tradition électorale puisqu’il s’agit d’un bureau où l’ancrage personnel reste faible. Mais j’appelle ici à un examen de conscience… Comment exiger des détenus un ancrage local fort quand certains députés, dans cet hémicycle, n’ont pas appliqué cette condition à leur candidature aux législatives ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et LIOT.)
M. Pouria Amirshahi
Excellent !
Mme Léa Balage El Mariky
L’ancrage local n’est pas nul pour autant : les personnes détenues ont un lien concret avec les territoires dans lesquels elles sont incarcérées puisque le département et la région du lieu d’incarcération sont compétents en matière de santé et d’insertion.
Dès lors que la solution initialement envisagée par l’auteur du texte – autoriser la personne détenue à s’inscrire dans la commune où elle était domiciliée avant son incarcération ou dans celle d’un parent proche – était plutôt pertinente, nous soutiendrons les amendements cherchant à la réintroduire.
Chers collègues, le détenu n’est pas un sous-citoyen. Il est un citoyen temporairement privé de liberté mais pas de dignité. Le droit de vote est ce fil ténu qui le relie encore à la cité ; il ne faut pas le couper ! Le maintenir, c’est lui dire : tu comptes encore. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Parce que, dans cette enceinte, il est de notre responsabilité de faire vivre l’universalité du suffrage, le groupe Écologiste et social s’opposera avec fermeté à toute tentative de détricotage du vote par correspondance. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)
Mme Marie Pochon
Excellent !
M. Pouria Amirshahi
Voilà quelqu’un qui défend le droit !
M. le président
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz
Nous sommes réunis pour débattre de la question, importante pour notre démocratie, de l’accès aux droits et, plus particulièrement, du droit de vote des personnes détenues.
En 2019, le groupe Les Démocrates a soutenu l’ouverture de l’accès au vote par correspondance depuis des bureaux de vote dérogatoires rattachés au chef-lieu du département de l’établissement pénitentiaire. La commune de Versailles, ville de ma circonscription, comptabilise ainsi désormais, outre les voix de la prison pour femmes qu’elle abrite, celles des 1 200 détenus des établissements pénitentiaires de Bois-d’Arcy et de Poissy.
Ce rattachement dérogatoire était motivé par des considérations techniques : il n’aurait pas été possible de faire parvenir dans les délais impartis l’ensemble des bulletins de vote dans les communes de rattachement de chaque électeur.
Il faut saluer le fait que le vote par correspondance a permis une augmentation très sensible de la participation électorale en prison, passée de 1 % lors des législatives de 2017 à 20 % lors de celles de 2024– les chiffres sont connus. Ce nouvel outil a constitué un progrès incontestable, notamment au regard des limites pratiques que posaient les formes traditionnelles de participation autorisées en prison : octroi d’une permission de sortir pour se rendre aux urnes ou vote par procuration.
Pourtant, la loi de 2019 possède plusieurs failles qui n’avaient pas été identifiées par le législateur d’alors et qui justifient que nous légiférions à nouveau pour ajuster les règles électorales applicables en milieu pénitentiaire.
Ainsi le Conseil d’État relève-t-il qu’à l’encontre de notre tradition électorale, le vote par correspondance rompt le lien entre l’électeur et le territoire d’inscription. Si cette rupture ne revêt pas de réelle importance pour les scrutins à circonscription nationale, telles que les élections présidentielles ou les élections européennes, elle est en revanche beaucoup plus préjudiciable dans les élections locales. Les voix des détenus doivent-elles pouvoir influencer le résultat des élections municipales dans une commune avec laquelle les prisonniers n’ont aucun lien ? La question peut légitimement être posée. Ainsi, dans plusieurs chefs-lieux de département tels que Melun, Évry ou Pontoise, la part des détenus a pu représenter entre 5 et 10 % des suffrages exprimés aux élections locales. Ce poids est de nature à déstabiliser localement le corps électoral ainsi que l’égalité entre les candidats : la sincérité des élections risque alors de se retrouver altérée.
Voilà pourquoi, dans sa version initiale, ce texte proposait de maintenir le vote par correspondance dans sa forme dérogatoire pour les élections à circonscription nationale – présidentielles, européennes, référendums – mais d’en exclure les scrutins territorialisés – élections municipales, départementales, régionales et législatives.
Soyons clairs : il ne s’agissait en aucun cas de retirer le droit de vote aux personnes détenues, qui conservaient la possibilité de bénéficier d’une permission ou d’une procuration pour voter, mais bien de corriger l’impact, sous-évalué en 2019, du vote de cette population sur un territoire dans lequel elle ne vit pas.
Je regrette que cet équilibre n’ait pu être maintenu en commission et que le principe de l’installation d’un bureau de vote physique dans les prisons lui ait été préféré car il ne résoudra en aucun cas les déséquilibres que je viens d’évoquer.
De même, l’amendement visant à étendre à tous les détenus, quelle que soit la durée de leur peine, la permission de sortir pour voter se heurte à des enjeux de sécurité, évidents à comprendre.
Autant de fausses bonnes idées que nous ne pouvons plus nous permettre de défendre à ce stade de la discussion. Compte tenu de la proximité calendaire des élections municipales de 2026, il apparaît indispensable que nous votions un texte conforme à la version adoptée par le Sénat.
Le groupe Les Démocrates défendra le rétablissement du texte voté au Sénat, seul en mesure de concilier l’accès pour tous à la citoyenneté et le respect de la sincérité des scrutins locaux dans les villes concernées. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur le banc des commissions.)
M. le président
La parole est à Mme Lise Magnier.
Mme Lise Magnier
Le droit de vote est l’un des premiers – si ce n’est le premier – des droits civiques du citoyen. Reconnu dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ce droit aux fondements de la citoyenneté implique une obligation pour l’État : tout mettre en œuvre pour favoriser l’exercice du vote par l’ensemble des citoyens. Cela vaut pour les personnes détenues qui n’ont pas été déchues de leurs droits civiques.
C’est pourquoi le législateur a décidé, par la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, que les détenus pourraient voter par correspondance, en sus de la possibilité déjà ouverte de voter par procuration ou grâce à une autorisation de sortir. Cinq ans plus tard, cette réforme a porté ses fruits : le taux de participation des personnes détenues a connu une hausse significative – 22 % aux élections européennes de 2024 contre 2 % aux élections de 2019 –, hausse largement attribuable au vote par correspondance, puisque 90 % des votants ont choisi cette modalité.
Toutefois, un autre aspect fondamental du droit de vote ne doit pas être oublié : la nécessité d’un lien personnel entre l’électeur et la commune d’inscription. Or, pour voter par correspondance, la personne détenue doit s’inscrire sur la liste électorale du chef-lieu du département d’implantation de son établissement pénitentiaire ou sur celle de la commune de la prison. Cela emporte deux conséquences dommageables à l’exercice du droit de vote des détenus, déjà pointées par le Conseil d’État en 2019. D’un point de vue juridique, le vote par correspondance méconnaît le principe sus-évoqué de la nécessité d’une attache personnelle avec la commune d’inscription. D’un point de vue pratique, le vote par correspondance peut peser de manière disproportionnée sur le résultat des élections locales et législatives dans les communes si les détenus représentent plus de 5 % du total des électeurs inscrits.
Afin de mettre fin à ces difficultés, la présente proposition de loi telle qu’adoptée par le Sénat vise à maintenir les modalités actuelles du vote par correspondance des détenus pour les élections à circonscription nationale unique et les référendums mais à revenir au régime en vigueur avant 2019 pour les élections locales et législatives.
Au nom du groupe Horizons & indépendants, je souhaite clarifier un point : la réforme de 2019 était une étape civique et citoyenne majeure pour favoriser le droit de vote des détenus. Avec cette proposition de loi, il s’agit d’en conserver l’esprit dans le cadre des élections à circonscription nationale unique tout en palliant ses limites juridiques et pratiques pour les élections locales et législatives. Si le législateur a pour objectif de favoriser la participation électorale des personnes détenues, il ne peut accepter un cadre juridique qui porte atteinte aux principes les plus traditionnels du droit électoral.
Le groupe Horizons & indépendants regrette que la proposition de loi ait été complètement dénaturée lors de son examen en commission des lois. Contrairement à ce qu’on a pu entendre, ce texte marque bien une étape importante pour le droit de vote des détenus : les rattacher électoralement à leur territoire d’origine leur permettrait de voter comme l’ensemble des citoyens.
Notre groupe formule donc le souhait que la discussion de ce texte en séance aboutisse au rétablissement de la rédaction adoptée par le Sénat. Nous tenons à remercier les sénateurs Laure Darcos et Louis Vogel ainsi que le rapporteur à l’Assemblée, Jean Moullière, pour leur travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur les bancs des commissions.)
M. le président
La parole est à Mme Martine Froger.
Mme Martine Froger
Le texte que nous examinons aujourd’hui soulève une inquiétude profonde. Dans sa version initiale, il marquait un recul préoccupant en matière de droits civiques. Plus précisément, il organisait la suppression pure et simple du vote par correspondance des détenus lors des élections législatives et locales.
Ce n’est pas un point de détail ou un ajustement secondaire. Ce choix posait plusieurs questions fondamentales : dans notre République, quelle place faisons-nous à des citoyens privés de liberté mais non de droits ? Quelle conception avons-nous de l’universalité du suffrage ? Jusqu’où acceptons-nous que des considérations logistiques ou administratives puissent limiter l’exercice effectif d’un droit fondamental ?
Je salue la décision prise en commission des lois de supprimer l’article unique du texte. Je me félicite qu’une majorité de députés ait pu se rassembler pour faire ce choix de responsabilité. Cette suppression est bienvenue car elle met fin à une disposition qui, au fond, posait un problème démocratique sérieux en matière de droits des détenus.
Toutefois, il nous faut aller plus loin. Il me semble aujourd’hui indispensable de rétablir la version initiale du texte. Équilibrée, elle vise à répondre à la demande exprimée par de nombreux élus locaux concernant le lien territorial entre électeur et commune tout en garantissant l’effectivité du droit de vote des personnes détenues.
Je rappelle que 57 000 détenus en France ont le droit de vote. Ce droit, inscrit dans la loi, ne découle ni d’un privilège ni d’un geste de clémence. C’est une composante de la citoyenneté, sauf en cas de décision judiciaire expresse de déchéance.
Pourtant, pendant des années, ce droit est bien souvent resté théorique car les modalités pratiques du vote en détention sont extrêmement limitées : voter par procuration ou obtenir une autorisation de sortie, dans le contexte carcéral actuel, relève souvent du parcours du combattant.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : pour les élections législatives de 2024, seuls 92 détenus, sur sur plus de 57 000 détenus, se sont vu accorder une autorisation de sortie, ce qui montre bien à quel point le système était inadapté.
C’est pourquoi la réforme de 2019 a marqué un tournant essentiel. En introduisant le vote par correspondance, elle a permis de rendre enfin ce droit réellement accessible. Le taux de participation des détenus est passé de 2 % en 2017 à plus de 20 % en 2022 – une progression spectaculaire, un signal fort. Lorsqu’on leur en donne la possibilité, les détenus votent.
Nous devons préserver ce progrès. Il serait incompréhensible de revenir en arrière au motif que la mise en ?uvre logistique serait complexe. La question du lien personnel entre l’électeur et le territoire est légitime mais la version initiale du texte la prenait justement en considération puisqu’elle prévoyait que les détenus soient inscrits dans leur commune de naissance ou de résidence ou dans celle d’un proche parent – une solution équilibrée, raisonnable et respectueuse de notre tradition électorale.
Je continue donc de défendre avec cohérence et conviction un retour à la version initiale. Car le droit de vote est l’un des piliers de notre démocratie. Le rendre inaccessible à certains, c’est fragiliser notre pacte républicain, c’est affaiblir le lien civique d’hommes et de femmes que nous souhaitons pourtant réinsérer dans la société.
Je veux également saluer ici l’adoption, en commission, de l’amendement que j’ai déposé et qui vise à prévoir un rapport d’évaluation sur tout nouveau dispositif encadrant le vote des détenus. Car nous avons besoin de données objectives et précises afin d’analyser les effets concrets des choix que nous faisons en matière démocratique. L’évaluation ne doit pas être un accessoire mais devenir une condition du progrès démocratique.
Enfin, je rappelle que ces débats ne sont pas purement techniques ni abstraits. Ils nous engagent profondément parce qu’ils touchent à la manière dont nous définissons l’inclusion, la citoyenneté et l’accès aux droits pour tous – y compris pour ceux qui, momentanément, en sont éloignés physiquement.
Pour toutes ces raisons, je soutiendrai toute initiative permettant de rétablir un équilibre entre les contraintes territoriales et l’effectivité du droit de vote des détenus. Le vote par correspondance n’est pas une faveur exceptionnelle. C’est une exigence républicaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu
En 2019, l’instauration du vote par correspondance a représenté une réelle avancée démocratique. Les chiffres en témoignent : la participation carcérale est passée de 2 % pour l’élection présidentielle de 2017 à 22 % pour les élections européennes de 2024. Pas moins de 90 % des détenus choisissent le vote par correspondance.
Les autres modalités de votes, vote par procuration ou vote grâce à une permission de sortir, sont très peu utilisées car complexes d’un point de vue pratique, a fortiori dans un contexte de surpopulation carcérale. Les permissions de sortir, qui seraient certes la meilleure option, sont rarissimes : seulement 187 ont été accordées pour l’élection présidentielle de 2022, 92 pour les élection législatives de 2024. Par conséquent, revenir sur le vote par correspondance marquerait un grave recul.
Tel est précisément l’objectif de la proposition de loi adoptée au Sénat. Si l’article qui prévoit la suppression du vote par correspondance aux élections locales a été retoqué en commission, nul doute que le rapporteur s’emploiera a défendre un retour au texte initial.
Les défenseurs de cette proposition de loi estiment que la loi de 2019, qui prévoit que les détenus votent dans la commune chef-lieu du département ou d’implantation de la prison, peut poser des difficultés lors des élections locales. Pour appuyer leur démonstration, ils citent six communes chefs-lieux de département – je dis bien six – dans lesquelles le nombre d’électeurs détenus potentiellement inscrits dépasserait les 5 % des inscrits. Je parle bien des inscrits et non des votants.
Plutôt que de réfléchir à une adaptation intelligente du vote par correspondance, à une amélioration du dispositif, le Sénat a fait le choix, brutal, de supprimer cette possibilité d’accès au vote. C’est une régression maquillée en solution, un recul qui dit tout de la considération portée aux détenus : quand le droit gêne, plutôt que de l’ajuster, on le gomme.
Tout en écorchant le droit fondamental, le Sénat tente la solution de consolation puisque le texte mentionne le vote par procuration ou grâce à une permission de sortir, des dispositifs qui existaient avant la loi de 2019 et qui aboutissaient à des taux de participation extrêmement bas.
Le droit de vote des détenus est un sujet fondamental qui doit être traité comme tel au lieu d’être instrumentalisé. Or c’est ce qu’a fait le Sénat, qui a préféré se concentrer sur les effets des suffrages plutôt que sur leur importance. Le texte issu de ses travaux constitue une régression démocratique, avec pour cible l’une des populations les plus précaires et marginalisées de la République.
Au lieu d’encourager l’expression politique des prisonniers, dans l’optique de leur réinsertion, ce texte réduit leur individualité à leur seul état de détention. Il nie leur statut de citoyen qui, comme tout autre, dispose du droit de vote.
Les défenseurs de cette loi expliquent qu’elle permettrait de reconnecter les détenus à leur commune d’appartenance ou à celle d’un proche, ce qui conférerait au bulletin déposé dans l’urne un véritable intérêt et un sens. Il y a là une grande hypocrisie car la suppression du vote par correspondance n’aurait qu’une conséquence : une baisse brutale de la participation.
Il faut ajouter que la question du lieu de résidence des détenus est une matière délicate. Nombreux sont les détenus qui, parce qu’isolés ou indigents, ne sont pas toujours rattachés à une commune de manière stable ou évidente.
Toutefois, si l’intention réelle est de permettre aux détenus de voter dans leur commune d’origine ou de rattachement, pourquoi ne pas activer des leviers bien plus pertinents ? Je pense d’abord à des actions en matière de régulation carcérale : désengorger les prisons, rapprocher les lieux de détention des bassins de vie ou encore éviter l’éloignement social et géographique, qui rend le droit de vote théorique.
La possibilité d’accorder davantage de permissions de sortir marquerait une première avancée. Grâce à ce dispositif légal, mais sous-utilisé, un nombre bien plus élevé de personnes détenues pourraient exercer leur droit dans des conditions dignes. Toutefois, soyons francs : comment imaginer que l’on y ait recours au vu des conditions d’exercice des personnels pénitentiaires ?
Nous le voyons, des pistes existent mais elles sont ignorées. La question que nous devrions nous poser est : comment garantir un droit ? – et non : comment s’en débarrasser ?
Nous refusons que la prison devienne un angle mort de notre démocratie. Le détenu n’est pas seulement un corps à surveiller mais aussi un citoyen qu’il faut réinsérer, ce qui passe d’abord par la reconnaissance de ses droits et non par leur effacement. En affaiblissant le droit de vote des personnes incarcérées, ce texte isole davantage une population déjà marginalisée et nie son appartenance à la République. Cette proposition de loi trahit nos principes ; surtout, elle n’apporte aucune solution concrète aux problèmes qu’elle prétend résoudre.
Si nous restons ouverts aux propositions, notamment le vote par correspondance dans la commune de résidence antérieure ou celle de la famille proche, qui permettait de corriger des effets de bord de la loi de 2019, nous restons fortement opposés au recul des droits que prévoit ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Sophie Ricourt Vaginay.
Mme Sophie Ricourt Vaginay
Derrière les murs d’une prison, en France, la citoyenneté ne s’éteint pas, contrairement à ce que veulent faire croire nos collègues de la gauche et de l’extrême gauche.
Mme Marie Mesmeur
Il n’y a pas d’extrême gauche ici !
Mme Sophie Ricourt Vaginay
Cependant, la notion de citoyenneté ne saurait être déformée au point de fausser l’équilibre démocratique et territorial. Le texte que nous examinons part d’un constat simple et lucide : l’organisation actuelle du vote en détention produit des effets électoraux inattendus, parfois disproportionnés, que nous avons le devoir de corriger.
N’en déplaise à nos collègues de La France insoumise, dont la motion de rejet défendue hier soir visait à empêcher ce correctif salutaire, le rétablissement du texte sobre et cohérent adopté par le Sénat est une position de bon sens républicain. La mesure visant à recentrer le vote par correspondance des personnes détenues sur les seuls scrutins à portée nationale – la République forme alors une circonscription unique – ne correspond ni à une exclusion ni à une punition.
Depuis 1994, le droit de vote des détenus est reconnu. Trois modalités permettent son exercice : la permission de sortir, le vote par procuration, et, depuis la loi du 27 décembre 2019, le vote par correspondance, instauré pour favoriser la participation active des détenus.
En vertu de l’article L. 12-1 du code électoral, les détenus qui votent par correspondance sont inscrits sur les listes électorales de la commune chef-lieu du département où se situe leur établissement pénitentiaire. Ce mécanisme administratif, en apparence neutre, produit un effet politique pervers : la concentration artificielle d’électeurs dans certaines communes, avec des conséquences directes sur les scrutins locaux et législatifs.
Ce n’est pas une idée abstraite : à Tulle, à Bar-le-Duc, à Melun, à Évry-Courcouronnes, à Arras ou encore à Basse-Terre, la proportion d’électeurs inscrits au titre du vote carcéral par correspondance dépasse parfois 5 % du corps électoral. Ce n’est pas anodin car, lors d’une élection législative ou municipale, chaque voix peut faire basculer un siège ou un mandat. L’addition de suffrages sans ancrage territorial déstabilise l’équité entre les circonscriptions. Le droit de vote n’est pas un droit flottant mais enraciné dans un territoire, dans une communauté d’intérêts, dans une histoire locale.
Or, avec un tel dispositif, on projette la voix d’un électeur, souvent originaire d’une autre région, dans une circonscription où il n’a ni attache, ni mémoire, ni horizon. Ce glissement compromet la représentation fidèle des populations locales. C’est pourquoi, avec son texte, le Sénat a proposé une solution mesurée et équilibrée : limiter le vote par correspondance des détenus aux seules élections nationales – présidentielle, européennes – et aux référendums. Lors de ces scrutins, la République est indivisible et les suffrages s’agrègent au sein d’une circonscription unique : la France. Il n’y a plus de problème de distorsion.
Or le texte issu de la commission a vidé la proposition de loi de sa substance. Non seulement l’article unique a été supprimé mais on y a substitué des dispositifs coûteux et incertains : création de bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires, assouplissement des permissions de sortir. Or ces mesures ignorent les questions spécifiques soulevées par cette proposition de loi
À trop vouloir généraliser, on risque de dérégler ce qui fonctionne, sans corriger ce qui dérange. En rétablissant le texte initial, nous choisirons la clarté et l’équité. C’est une exigence de justice électorale et un devoir de cohérence territoriale.
Au nom du groupe UDR, nous appelons donc l’Assemblée à voter sans équivoque pour la version initiale, fidèle à l’esprit de la République des territoires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Philippe Schreck.
M. Philippe Schreck
Le vote des personnes détenues s’effectuait historiquement dans le cadre de permissions de sortir ou par le biais de procurations. Afin de remédier à un taux de participation trop faible, la loi du 27 décembre 2019 a introduit la possibilité, pour cette population, de voter par correspondance.
Ce dispositif constitue, comme cela a été dit, un outil de réinsertion, ce que nous approuvons. Notons cependant que si les détenus ont le droit de voter par correspondance – un droit qui sera maintenu une fois que ce texte aura été adopté –, leurs compatriotes, à l’exception des Français de l’étranger, n’en ont pas la possibilité, qu’il s’agisse par exemple des personnes hospitalisées ou des pensionnaires des Ehpad. Peut-être faudra-t-il mener une réflexion sur ce sujet.
Si le vote par correspondance a permis une hausse significative de la participation, ce qui est positif, il a parfois créé des effets de bord puisqu’il s’exerce dans la commune chef-lieu de département où se situe l’établissement pénitentiaire. À l’occasion d’élections locales, il risque donc de peser artificiellement sur le scrutin.
En outre, ce dispositif contrevient en partie au principe, inscrit dans notre droit électoral, du lien personnel entre l’électeur et sa commune d’inscription.
La proposition de loi, dans sa version du Sénat, limitait donc l’exercice du droit de vote par correspondance aux seules élections présidentielles, européennes et référendaires tout en élargissant les possibilités pour les détenus de s’inscrire sur les listes électorales.
En commission, l’adoption d’un amendement de suppression a ôté au texte tout son sens tandis que des articles visant à créer des dispositifs irréalistes, inutiles et parfois idéologiques ont été ajoutés. Soucieux que le vote soit conforme à celui du Sénat, nous soutiendrons les amendements visant à rétablir le texte initial.
Je pensais – avec quelque naïveté – que cette position était commune à tous les groupes de notre assemblée et que certains avaient reconnu leur erreur en demandant hier le rejet préalable de ce qui était devenu, en quelque sorte, leur texte.
Le dispositif du texte, dans sa version votée par le Sénat, est d’autant plus pertinent qu’il facilite le vote par procuration en étendant les possibilités d’inscription sur les listes électorales. En outre, contrairement à ce qui a été dit, il maintient le vote par correspondance pour toutes les élections, sans exception – seules les modalités de vote par correspondance pour les élections locales sont corrigées.
Nous avions envisagé d’autres propositions de loi traitant de la situation de nos prisons, des régimes de l’exécution des peines ou de l’exercice professionnel toujours plus difficile des surveillants pénitentiaires. Néanmoins, nous voterons en faveur du texte, à condition qu’il soit rétabli dans la rédaction adoptée par le Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Guillaume Gouffier Valente.
M. Guillaume Gouffier Valente
À l’approche des élections municipales de 2026, nous examinons une proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues. Près de 57 000 détenus ont le droit de voter dans notre pays. Les détenus disposent en effet de ce droit fondamental depuis 1994, à condition qu’ils n’aient pas été déchus de leurs droits civiques, ce qui participe très largement d’une logique de réinsertion sociale des prisonniers. Comme le rappelait Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation dans les années 2000 : « On ne peut réinsérer une personne privée de liberté qu’en la traitant comme un citoyen. »
Jusqu’à la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, le taux de participation des personnes détenues, extrêmement faible, avoisinait les 2 %. Une personne détenue est par principe inscrite sur la liste électorale de la commune de son domicile. Des dérogations existent, qui permettent notamment de s’inscrire sur la liste de sa commune de naissance ou de celle de son conjoint. Un détenu peut voter par procuration ou à la faveur d’une permission de sortir. Force est de constater que c’est seulement grâce au vote par correspondance que le taux de participation des détenus a fortement augmenté, pour atteindre près de 20 %. C’est heureux. D’ailleurs, lors des dernières élections législatives, 90 % des personnes détenues qui ont voté l’ont fait par correspondance.
Toutefois, cette expérimentation s’est malheureusement accompagnée d’effets de bord et risque de déséquilibrer les résultats de scrutins locaux car, en imposant l’inscription des détenus dans la commune chef-lieu du département ou de la collectivité d’implantation de l’établissement pénitentiaire, nous, législateurs, avons introduit une distorsion dommageable, susceptible d’entraîner une insincérité des scrutins. Comme je l’ai dit lors des débats en commission des lois, nous avons créé un système plus qu’imparfait.
Le rattachement électoral des détenus à la commune chef-lieu du département ou de la collectivité d’implantation de l’établissement pénitentiaire est totalement artificiel. Il ne permet pas d’établir un réel lien de proximité entre l’électeur et la commune d’inscription et il a des conséquences quantitatives sur le corps électoral.
M. Nicolas Sansu
Honteux !
M. Guillaume Gouffier Valente
Les communes de Tulle ou d’Évry-Courcouronnes illustrent ce problème dans la mesure où les détenus pourraient y constituer près de 5 % de l’ensemble des électeurs. Le premier bureau de vote d’Évry-Courcouronnes se trouve d’ailleurs être le centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis ! Convenons qu’il s’agit là d’une situation originale et tout à fait inacceptable.
Pour pallier cette distorsion, la proposition de loi, dans sa version adoptée par le Sénat, réservait la possibilité de voter par correspondance aux élections nationales et européennes et aux référendums, caractérisés par l’unicité de la circonscription. Cette version prévoit donc que les personnes condamnées ne pourront plus voter par correspondance lors des élections à circonscriptions locales.
Lors des discussions en commission, l’article unique a été supprimé. Certes, la disposition sénatoriale tendant à réserver le vote par correspondance aux élections à circonscription unique nous laisse un peu au milieu du gué. Comme l’ont montré les auditions, des contraintes logistiques existent, elles pèsent notamment sur l’envoi de la propagande électorale. Cet argument avancé par l’administration est audible et nous invite à retravailler le sujet dans les années qui viennent. Installation d’un bureau de vote physique dans les établissements pénitentiaires, révision de l’obligation de sortie, vote par correspondance dans la ville où les détenus sont inscrits : il nous faudra débattre des obstacles à la participation et des solutions permettant de les lever. Il s’agit d’un enjeu civique, démocratique et républicain.
Toutefois, alors que les prochaines élections municipales approchent à grands pas, nous devons assumer notre responsabilité en corrigeant les biais inévitables induits par la situation actuelle et garantir la bonne organisation du scrutin. Nous sommes pleinement informés des effets de bords du dispositif en vigueur et nous avons l’occasion de rectifier le tir. Comment reconnaître la sincérité des résultats d’un scrutin alors que nous savons pertinemment que le corps électoral, dans telle ou telle commune, n’est pas représentatif ?
Je tiens à saluer le travail du rapporteur Jean Moulliere. Le groupe Ensemble pour la République soutiendra son amendement visant à rétablir l’article 1er, dans la version votée par le Sénat. Je nous appelle collectivement à voter ce texte une fois cette rédaction rétablie. (Applaudissements sur les bancs de la commission.)
M. le président
La parole est à M. Christophe Bex.
M. Christophe Bex
Depuis 1994, la grande majorité des personnes détenues conservent leur droit de vote. Il est important de le rappeler, de le marteler. En tant que parlementaires, nous devons protéger ce droit en encourageant l’inscription sur les listes électorales et instaurer le dispositif législatif le plus opérant pour permettre l’expression la plus large de tous les citoyens et citoyennes détenus.
Vous proposez un texte qui tend, au contraire, à restreindre ce droit. On dénombre 81 600 détenus – nouveau record ! – pour 62 400 places de prison. Des milliers de personnes vivent vingt-deux heures sur vingt-quatre dans des conditions indignes, parfois à trois dans un espace de quatre mètres sur deux. Un détenu sur quatre est un prévenu, incarcéré dans l’attente de son jugement. Depuis vingt ans, la politique pénale de notre pays est aveugle, répressive ; elle méprise les racines sociales de la délinquance. C’est une politique de l’émotion, qui n’agit pas sur les causes pour éviter les conséquences. Elle punit, elle enferme, elle oublie. La justice est sacrifiée et vidée de sa mission d’intérêt général, l’administration privée de moyens, les conditions de travail dégradées.
C’est dans ce contexte qu’on nous propose un texte, en apparence technique, relatif au droit de vote des personnes détenues, qui supprime le vote par correspondance aux élections locales et législatives. Malgré les dénégations de M. le rapporteur en commission, il s’agit bien de priver une partie de la population de son droit de vote. Il s’agit prétendument d’éviter des « effets de bord », une expression qui sert à masquer les raisons électoralistes assumées et des radiations massives. L’argument massue d’un risque de déstabilisation du corps électoral ne concerne en fait que deux communes. La proximité des élections municipales de mars 2026 n’est pas étrangère à cette proposition de loi.
Ce texte se fonde en effet sur un postulat : les détenus ne seraient pas de vrais citoyens car ils ne seraient pas concernés par les politiques locales. Pourtant, les personnes détenues vivent à demeure dans ces collectivités, utilisent les services publics, les transports, participent à l’activité économique locale. Elles ont le droit d’être entendues et représentées, d’élire celles et ceux qui font la loi, puisqu’elles sont directement concernées par les politiques pénales et carcérales votées au Parlement. Priver une personne détenue de ses droits fondamentaux, c’est nier sa place dans la société (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP), l’exclure définitivement, la briser au lieu de l’accompagner et de travailler à sa réinsertion.
Avant l’instauration du vote par correspondance, deux possibilités existaient : la procuration ou la permission de sortir, deux dispositifs inaccessibles pour la majorité des détenus et largement dissuasifs. Le vote par correspondance a prouvé son efficacité : en 2022, plus de 10 000 détenus ont voté à l’élection présidentielle, soit dix fois plus qu’en 2017 et 93 % d’entre eux ont eu recours au vote par correspondance en détention.
Nous refusons de faire de la prison une zone de non-droit. Un détenu est un citoyen. Il n’est pas condamné à rester détenu à vie. Notre démocratie ne retire pas ses droits à ceux qui ont déjà perdu leur liberté. (Mme Gabrielle Cathala applaudit.)
Répondons collectivement à ces questions : quel est l’intérêt pour la société de violenter ses citoyens détenus ? Quel est le sens de la prison ? Quel objectif la société s’est-elle fixé en faisant le choix du tout carcéral ? Les chiffres élevés de la récidive en France, le nombre des suicides de détenu parlent d’eux-mêmes ! Alors pourquoi continuer à incarcérer tous les condamnés ? Il existe des alternatives ! En maltraitant et en fragilisant les prisonniers, vous entretenez un cercle vicieux qui fera plus de victimes, créera plus de sanctions et augmentera le nombre des détenus – ils seront combien fin 2025, 90 000 ?
Nous disons oui à une politique pénale fondée sur la réparation, la réinsertion et la dignité humaine. Pour éviter de nouveaux délits, de nouveaux crimes, de nouvelles victimes, nous devons tout faire pour réinsérer les détenus dans la société. Nous disons non à une loi de stigmatisation et d’exclusion. Je reprends les mots de Guy Canivet : « On ne peut réinsérer une personne privée de liberté qu’en la traitant comme un citoyen. » (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Marie-José Allemand.
Mme Marie-José Allemand
Depuis la réforme du code pénal de 1994, toute personne détenue peut exercer son droit de vote, à la double condition d’être inscrite sur une liste électorale et de ne pas avoir été déchue de ses droits civiques. Il s’agit d’un droit important, qui permet aux détenus de conserver leur identité de citoyen et constitue un facteur d’insertion dans leur parcours d’exécution de la peine.
Jusqu’en 2019, les personnes détenues pouvaient voter soit par procuration, soit en se rendant au bureau de vote en cas de permission de sortir, ce qui limitait fortement la possibilité effective de vote. À ces deux modalités s’est ajoutée une troisième, le vote par correspondance, institué par la loi de 2021 après une expérimentation lors des élections européennes de 2019.
L’introduction du vote par correspondance s’est traduite par une très forte augmentation de la participation électorale dans les prisons. Aux élections européennes et législatives de 2024, le taux de participation des détenus s’est élevé respectivement à 22 % et à 19 %, contre 2 % lors de la présidentielle de 2017. Cette hausse de la participation est largement attribuable au vote par correspondance, la modalité que choisissent 90 % des détenus.
Dès 2019, le principe retenu d’une comptabilisation du vote par correspondance dans la commune chef-lieu du département ou de la collectivité d’implantation de la prison a toutefois soulevé quelques difficultés. Dans un avis rendu la même année, le Conseil d’État estimait que ce principe pouvait conduire « à rompre tout lien personnel entre l’électeur et la commune d’inscription, ce qui méconnaît la tradition de notre droit électoral. » Il observait également que, dans quelques départements, le nombre théorique de détenus inscrits pouvait avoir un impact sur le corps électoral de certaines communes, donc sur le résultat du scrutin.
La présente proposition de loi visait à répondre à cette difficulté, en prévoyant que les votes par correspondance seraient désormais comptabilisés dans la commune de résidence du détenu avant son incarcération ou celle d’un membre de sa famille. Cette solution présentait l’avantage de conserver la possibilité du vote par correspondance pour tous les types de scrutins.
Sous couvert de difficultés logistiques, qui ne nous paraissent d’ailleurs pas insurmontables, le Sénat a choisi une autre orientation et a décidé, ni plus ni moins, de supprimer le vote par correspondance pour les élections locales et législatives. Nous sommes opposés à cette rédaction : la privation de liberté ne doit pas être une privation de citoyenneté ; le droit de vote est un droit fondamental, protégé par notre Constitution.
Toute personne qui en remplit les conditions devrait pouvoir exprimer sa volonté sans que sa situation carcérale représente un obstacle à l’exercice de ce droit. Revenir sur le vote par correspondance, c’est revenir sur une modalité de vote dont l’efficacité a fait ses preuves, comme en témoigne la multiplication par dix de la participation des détenus depuis son introduction. Nous avons donc supprimé l’article 1er en commission parce qu’il portait une atteinte disproportionnée à l’exercice du droit de vote des détenus.
On peut néanmoins rejoindre le constat et l’objectif initial de la proposition de loi. C’est pourquoi, dans un esprit constructif, Le groupe Socialistes et apparentés proposera de rétablir la proposition de loi dans sa rédaction initiale, ce qui permettrait à la fois de préserver le vote par correspondance des détenus et de répondre à la difficulté liée au mode de comptabilisation actuel de ces votes.
Enfin, pour renforcer l’efficacité de l’exercice du droit de vote des détenus, nous proposerons d’expérimenter l’installation d’urnes dans les établissements pénitentiaires, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays européens.
Nous déciderons donc de notre vote sur l’ensemble du texte en fonction du sort qui sera réservé à ces amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Léa Balage El Mariky applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Sacha Houlié.
M. Sacha Houlié
C’est un ordre du jour surprenant à bien des égards qui nous est proposé cette semaine ! D’abord parce que, quand on traite de politique pénale, en l’occurrence de politique carcérale, on s’attend à ce que ce sujet soit abordé autrement que par le petit bout de la lorgnette.
Mme Mathilde Feld
Tout à fait.
M. Sacha Houlié
Non pas que le droit de vote des détenus ne soit pas important, loin s’en faut, mais lorsque la surpopulation carcérale française atteint 82 000 détenus pour 62 000 places, on pourrait s’attendre à ce que d’autres priorités soient inscrites à l’ordre du jour. Quand la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté fait chaque année le constat de l’insalubrité des prisons, infestées par les rats et les cafards, et dénonce la présence de matelas au sol, on pourrait s’attendre à ce que le législateur délibère sur d’autres questions que les droits civiques des détenus. Lorsqu’on entend, dans le débat public, le ministre de l’intérieur et le ministre de la justice parler de toujours plus incarcérer – alors qu’on connaît les effets délétères de l’incarcération sur la récidive –, quand ce dernier propose que les détenus payent leur place, on pourrait s’attendre à ce que l’Assemblée nationale soit saisie d’autres questions que celles-ci. Lorsque, dans le contexte budgétaire qu’on connaît, il est prévu de supprimer 250 millions d’euros de crédits pour la construction d’établissements – alors que nous nous étions donné les moyens de créer 8 000 places ces dernières années –, on peut se dire que oui, le débat est ailleurs.
D’autant que la question du droit de vote des détenus a été traitée par le législateur, en 1994 puis en 2019. C’est aujourd’hui un droit reconnu à 57 000 détenus. Que ceux-ci puissent exercer leurs droits civiques en prison peut surprendre les plus réactionnaires d’entre nous, mais c’est ainsi. Ces lois ont eu des effets bénéfiques, puisque la participation à l’élection présidentielle est passée de 1 % en 2017 à 22 % en 2022. Il y a là matière à se réjouir et à saluer une politique qui a fonctionné. Il s’agit de traiter d’abord le détenu comme un citoyen et de préparer ainsi sa réinsertion. À cet égard, il y a une forme d’hypocrisie à vouloir renvoyer la question de l’exercice des droits civiques aux permissions de sortir, sachant que de sorties, il n’est plus question – je vous renvoie à nos débats lors de l’examen de la proposition de loi sur la lutte contre le narcotrafic.
Quant aux listes électorales, opportunément évoquées à la veille des élections municipales, c’est un sujet quelque peu éculé, d’autant que seules deux communes seraient concernées par le risque de voir la part des détenus inscrits sur leur liste dépasser les 5 %. Je ne dis pas qu’il ne faut pas traiter ces situations, mais de là à monopoliser l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, j’y vois un abus.
Le texte issu des travaux de la commission du Sénat, dont M. Vogel était le rapporteur, prévoyait que le détenu serait finalement inscrit dans la commune à laquelle il était rattaché préalablement à sa mise en détention. Cette disposition me paraissait tout à fait utile et aurait pu être votée dans les mêmes termes par notre commission, puis dans l’hémicycle. Mais le Sénat a rayé d’un trait de plume une part des progrès apportés dans la législation en limitant le droit de vote aux élections à circonscription unique. Je vous laisse justifier comme vous le pouvez cette distinction entre élections nationales d’une part et élections locales ou législatives d’autre part… En réalité, nul ne le peut. Je pense donc que nous ne pouvons pas voter une telle disposition.
L’amendement de ma collègue Martine Froger propose de revenir à la version initiale de la proposition de loi, celle qui prévoit le vote par correspondance dans les communes de rattachement du détenu avant son incarcération. Il devrait pouvoir être adopté par notre assemblée, ce serait déjà un moindre mal étant donné tout le temps que nous aurons consacré à cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
Discussion des articles
M. le président
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Article 1er
M. le président
Je suis saisi de plusieurs amendements nos 1, 2, 5 et 13, pouvant être soumis à discussion commune. Ils visent à rétablir l’article 1er, supprimé par la commission. Les amendements nos 5 et 13 sont identiques.
La parole est à Mme Martine Froger, pour soutenir l’amendement no 1, qui fait l’objet des sous-amendements nos 19 et 21.
Mme Martine Froger
Cet amendement vise à revenir à l’objectif initial du texte déposé au Sénat. C’est une solution d’équilibre qui permet de maintenir le droit de vote par correspondance des détenus. Elle prévoit que ceux-ci sont inscrits sur la liste électorale d’une commune avec laquelle ils ont un lien, au lieu d’être rattachés artificiellement à la commune du chef-lieu du département de leur lieu de détention. L’argument opposé par l’administration, qui invoque d’éventuelles difficultés logistiques, ne peut à lui seul suffire à restreindre un droit aussi fondamental que le droit de vote.
M. le président
La parole est à M. Christophe Bex, pour soutenir le sous-amendement no 19.
M. Christophe Bex
Par ce sous-amendement, nous proposons de supprimer les alinéas 5 et 6 de l’amendement parce que nous refusons toute régression du droit de vote pour les personnes détenues.
Le texte de la commission supprime la possibilité donnée aux détenus de voter par correspondance pour les élections locales et législatives, ce qui revient à exclure une partie de la population carcérale du processus démocratique, et ce malgré les avancées obtenues en 2019, encore fragiles mais réelles.
Le Sénat avait certes proposé une alternative : rattacher les détenus électoralement à leur commune d’origine ou à celle d’un membre de leur famille ; ce dispositif avait le mérite de préserver le vote par correspondance, utilisé par 93 % des électeurs incarcérés. Mais cette alternative restait insuffisante : trop de complexité logistique dans le rattachement d’un détenu avec une commune, trop de risques de radiation des listes et trop de bulletins égarés ou non pris en compte à temps. Faut-il pour autant se satisfaire d’un compromis bancal ? Nous pensons que non. Le droit de vote est un droit fondamental et, pour les personnes détenues, c’est aussi un levier d’insertion, un lien maintenu avec la citoyenneté et donc avec la société. Restreindre ce droit, c’est affaiblir notre démocratie. C’est dire à des citoyens : « Vous ne comptez plus. » Pour toutes ces raisons, nous vous demandons d’adopter ce sous-amendement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Je suis saisi de plusieurs demandes de scrutin public : sur l’amendement no 1, par le groupe Ensemble pour la République ; sur les sous-amendements nos 22 et 24, par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire ; sur les amendements identiques nos 5 et 13, par les groupes Rassemblement national, Ensemble pour la République et la France insoumise-Nouveau Front populaire ; sur les sous-amendements nos 25 et 32, par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Farida Amrani, pour soutenir le sous-amendement no 21.
Mme Farida Amrani
Ce sous-amendement propose une solution de compromis. Il prévoit l’inscription des personnes détenues sur les listes électorales de leur commune de rattachement, à condition bien entendu que toutes les garanties soient réunies – inscription et réception, dans les délais impartis, des professions de foi et des bulletins. Le droit de vote est, je le rappelle, un droit fondamental et je sais que personne ici ne souhaite le remettre en cause. Il est donc important de prévoir que, dans le cas où les conditions ne sont pas réunies, le détenu qui en fait la demande est inscrit automatiquement dans la liste électorale du chef-lieu du département.
M. le président
La parole est à Mme Marie-José Allemand, pour soutenir l’amendement no 2, qui fait l’objet des sous-amendements nos 22 et 24.
Mme Marie-José Allemand
Il vise à rétablir le texte dans sa version initiale afin de renforcer l’effectivité du droit de vote des personnes détenues. Il s’agit de comptabiliser les bulletins de vote par correspondance dans le bureau de vote où la personne détenue avait son domicile ou, à défaut, dans celui où elle dispose de liens familiaux. L’administration invoque des difficultés logistiques. Si on les conçoit sans peine, elles ne semblent pas insurmontables et il appartient à l’administration de faire les efforts nécessaires pour assurer le respect des droits des personnes.
M. le président
La parole est à M. Christophe Bex, pour soutenir le sous-amendement no 22.
M. Christophe Bex
Par ce sous-amendement, nous proposons de supprimer les alinéas 5 et 6 de l’amendement.
Le vote par correspondance est la seule modalité réellement accessible pour la majorité des personnes détenues. Or cette proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, restreint ce droit en l’encadrant de manière telle qu’il deviendra inapplicable pour beaucoup.
Le dispositif adopté par le Sénat prévoit un rattachement électoral à la commune de résidence antérieure ou à celle d’un membre de la famille. Ce système, en apparence plus humain que le rattachement administratif, cache une complexité redoutable, avec des démarches administratives plus longues et incertaines, des radiations potentielles et la réception hors délai des bulletins. Résultat : des milliers de détenus penseront pouvoir voter, mais leur voix ne sera jamais comptée.
Nous refusons de créer des illusions démocratiques, de faire semblant de donner un droit qui, en pratique, ne pourra pas s’exercer. Mieux vaut un dispositif stable et efficace qu’un dispositif bancal qui désorganise et décourage. Le droit de vote des personnes détenues doit être garanti, mais dans des conditions concrètes, opérationnelles. C’est pourquoi, avec responsabilité et exigence, nous vous demandons d’adopter ce sous-amendement.
M. le président
La parole est à Mme Farida Amrani, pour soutenir le sous-amendement no 24.
Mme Farida Amrani
Nous souhaitons par cet amendement mettre en place un dispositif qui garantisse à la fois la sincérité du scrutin et le droit de vote universel pour les détenus. Supprimer le rattachement au chef-lieu entraînera des complications majeures, que l’administration pénitentiaire a d’ailleurs signalées, que l’Observatoire national des prisons a documentées et que même le rapporteur du texte au Sénat a reconnues. On comprend aisément combien il serait difficile d’organiser un vote par correspondance commune par commune, surtout en fonction de chaque détenu. Ce serait vraiment infaisable. Mais ce que vous souhaitez au fond, c’est mettre fin aux droits de ces détenus, c’est-à-dire établir une différenciation entre les Français.
Je vous demande, chers collègues, de revenir à la raison et de reconnaître que cette proposition de loi, nous le savons pertinemment, a été faite sur un coin de table, en Essonne, dans le cadre d’un accord politicien en vue des prochaines échéances électorales. Nous ne sommes pas dupes.
Les Français et les Françaises nous regardent et voudraient nous voir légiférer sur des choses concrètes, comme la vie chère ; au lieu de quoi, nous sommes en train de retirer un droit à certains d’entre eux.
M. Paul Christophe
Arrêtez de parler et on gagnera du temps !
Mme Farida Amrani
Je vous rappelle que le droit de vote des femmes a été obtenu de haute lutte. Qui pourrait imaginer qu’on le leur retire aujourd’hui, au prétexte qu’elles ne votent pas toujours comme les hommes, pas toujours comme certains l’attendent ? Et pourtant, c’est le raisonnement que j’entends à l’égard des détenus. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Nous en venons aux amendements identiques, qui font l’objet de sous-amendements.
La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement no 5.
M. Patrick Hetzel
Il vise à rétablir l’article 1er dans la rédaction votée par le Sénat. Il nous semble important d’y revenir car elle est claire, précise et sans ambiguïté.
M. le président
La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour soutenir l’amendement no 13.
M. Jean Moulliere, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
La suppression de l’article 1er est une erreur car elle nous empêche de corriger une distorsion électorale et de garantir ainsi la sincérité des scrutins locaux. En application de la loi de 2019, les personnes détenues souhaitant voter par correspondance doivent être inscrites dans le chef-lieu du département où est implanté leur établissement pénitentiaire. Cette modalité de vote rompt complètement le lien entre l’électeur et le territoire concerné. Il n’est en effet pas logique que des personnes n’ayant aucun lien avec une commune y votent et se prononcent sur des enjeux qui ne les concernent pas. Cela porte atteinte au sens même des élections locales.
M. Pierre Henriet
Il a raison !
M. Jean Moulliere, rapporteur
En outre, les complexités logistiques relevées par l’administration comme par certains de nos collègues ne permettent pas de maintenir ce droit de vote par correspondance au niveau local. C’est pour ces raisons que je vous propose de revenir au texte adopté par le Sénat. Celui-ci distingue les scrutins locaux, pour lesquels se posent ces difficultés, et les scrutins à portée nationale – les élections présidentielles et européennes, ainsi que les référendums –, pour lesquels le vote par correspondance tel qu’organisé par la loi de 2019 demeurera possible.
M. le président
Nous en venons aux sous-amendements, en commençant par deux identiques, nos 25 et 32.
La parole est à M. Christophe Bex, pour soutenir le sous-amendement no 25.
M. Christophe Bex
Nous demandons la suppression des alinéas 5 à 8 car ils reprennent la version adoptée au Sénat, laquelle limite le vote par correspondance des personnes détenues aux seuls scrutins nationaux. Une telle restriction est inacceptable : elle revient à nier la citoyenneté locale des détenus, comme si les municipales ou les législatives étaient des élections de second ordre auxquelles on peut participer, ou pas. Dans une démocratie, il n’y a ni citoyens à temps partiel ni scrutins secondaires.
Les résultats de la réforme de 2019, qui a introduit le vote par correspondance, ont été nets : la participation des détenus a été multipliée par dix. Ce progrès est aujourd’hui menacé par un texte que nous jugeons injuste et profondément opportuniste. Car nous ne sommes pas dupes : à quelques mois des municipales de 2026, cette proposition de loi ressemble davantage à un calcul électoral qu’à une réflexion sur les droits civiques.
Lors des débats au Sénat, M. le ministre a d’ailleurs évoqué l’élection municipale de Lille comme une justification de la réforme. Ce n’est pas ainsi que l’on fait vivre la démocratie ! Restreindre un droit pour éviter un vote qui dérange, c’est le contraire du débat républicain. Cela constituerait un précédent extrêmement grave. (M. Sylvain Berrios s’exclame.)
À La France insoumise, nous considérons le droit de vote comme un outil de réinsertion, de dignité et de reconnaissance sociale. Il ne doit pas dépendre du type d’élection, encore moins de l’agenda politique du moment. Pour toutes ces raisons, nous vous appelons à supprimer ces alinéas, à refuser une démocratie à deux vitesses et à garantir pleinement l’exercice du droit de vote pour toutes et tous, y compris en détention. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Farida Amrani, pour soutenir le sous-amendement no 32.
Mme Farida Amrani
Nous demandons aussi la suppression des alinéas 5 à 8, tout simplement parce qu’il ne peut être fait de différences entre des citoyens français pouvant voter. Le droit de vote est un acquis pour tout le monde et il ne peut y avoir de sous-citoyens. On ne peut autoriser à voter pour telle élection et non pour telle autre. Sinon, quelle sera la prochaine étape ? Dira-t-on aux femmes qu’elles peuvent s’exprimer lors de tel scrutin mais non lors de tel autre ? (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Cela commence par les détenus puis, à un moment, vous direz que les femmes ne votent pas comme vous le souhaitez et vous vous attaquerez à leur droit de vote.
M. Frédéric Boccaletti
Ce n’est pas sérieux !
Mme Farida Amrani
Gardez en mémoire mes propos, et souvenez-vous que pas mal de choses ont changé quand les femmes ont commencé à voter ! Pour les détenus, le vote est un outil d’insertion comme un autre. Je vous invite à en rencontrer, ce que beaucoup d’entre nous ne font pas, et à leur laisser la possibilité de voter à toutes les élections. Je vous rappelle que nous ne sommes pas seulement les députés d’une circonscription. Nous sommes les députés de la nation.
M. le président
La parole est à M. Christophe Bex, pour soutenir le sous-amendement no 26.
M. Christophe Bex
Ce sous-amendement d’appel vise non à corriger une ligne du texte mais à alerter l’Assemblée sur un recul démocratique grave. Nous refusons que l’on supprime le vote par correspondance pour les élections locales et législatives dans les établissements pénitentiaires. En effet, ce dispositif, mis en place en 2021, a radicalement changé la donne. Il a permis de lever les barrières à l’exercice du droit de vote en détention. Pourquoi revenir en arrière et priver les détenus de cette modalité simple, sécurisée et efficace ? Les solutions alternatives proposées, comme les procurations ou les permissions de sortir, ne sont pas satisfaisantes. Trop complexes et trop restrictives, elles dissuadent de voter et excluent en particulier les personnes en détention provisoire.
Au-delà des modalités techniques, nous avons un choix politique à effectuer. Les personnes détenues sont privées de liberté mais non de citoyenneté. Elles vivent dans un territoire et utilisent les services publics. Elles doivent pouvoir voter pour celles et ceux qui décident de leur quotidien. Les exclure du processus électoral local revient à nier leur place dans la communauté politique.
Ce sous-amendement s’inscrit dans notre projet de garantir les droits fondamentaux, même derrière les murs. Il constitue aussi un rappel de l’engagement pris en 2018 par le président Emmanuel Macron, qui affirmait alors vouloir garantir le droit de vote des détenus. Soyons à la hauteur de cette parole républicaine et n’excluons pas une partie de la population du suffrage universel ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir le sous-amendement no 30.
M. Jean-Philippe Nilor
Nous proposons de reporter l’entrée en vigueur de l’article 1er. Opposés à la proposition de loi, nous ne sommes pas naïfs quant aux motivations purement électoralistes de ses auteurs. Elle vise à restreindre le droit de vote des personnes détenues à l’approche des élections municipales de 2026, comme l’a mentionné M. le ministre au Sénat lorsqu’il a pris l’exemple de la ville de Lille.
Dans une démocratie, on ne doit jamais oublier qu’une personne détenue demeure avant tout une personne humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous pensons que le combat politique doit passer par les urnes et non par la suppression d’une modalité de vote essentielle pour certains électeurs. Avec force, motivation et détermination, nous souhaitons repousser l’entrée en vigueur de la mesure proposée. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Christophe Bex, pour soutenir le sous-amendement no 31.
M. Christophe Bex
Nous proposons que l’article 1er ne s’applique qu’après la prochaine élection présidentielle. À l’approche des municipales de 2026, la proposition de loi s’inscrit de manière assumée dans une logique électoraliste, comme l’a reconnu M. le ministre au Sénat.
Le syndicat pénitentiaire FO Direction dénonce le projet et souligne que les orientations politiques des détenus ne semblent pas convenir à tout le monde. Faut-il rappeler que, dans une démocratie, on règle les débats de cet ordre par les urnes et non par l’exclusion ? En restreignant, à quelques mois d’un scrutin local majeur, une modalité de vote essentielle comme le vote par correspondance, on risque de priver des milliers de personnes de leurs voix, faute de délais suffisants pour s’adapter. Nous proposons, au minimum, de reporter l’entrée en vigueur de ce texte car il est dangereux de modifier les règles électorales dans la précipitation, surtout pour un public déjà confronté à nombre d’obstacles dans son accès à la citoyenneté.
M. le président
Je vous invite à soutenir le sous-amendement no 29, monsieur Bex.
M. Christophe Bex
Il vise également à reporter l’entrée en vigueur de l’article 1er. Si nous sommes opposés à la proposition de loi dans son ensemble, son calendrier nous inquiète particulièrement. Adopter un tel texte à quelques mois des élections municipales, c’est risquer de désorganiser l’exercice du droit de vote des personnes détenues, déjà confrontées à de nombreux problèmes quotidiens comme l’accès aux soins et à l’hygiène ou le manque de contacts familiaux.
Les détenus considèrent parfois le droit de vote comme peu prioritaire ; ne leur ajoutons pas des obstacles pour s’inscrire sur les listes électorales, s’informer et, tout simplement, l’exercer ! Changer les règles maintenant, sans laisser de temps à l’administration, aux associations et aux détenus pour s’adapter, créerait de la confusion, découragerait la participation et priverait certains de leurs voix.
Ne soyons pas naïfs : cette proposition de loi arrive à point nommé pour restreindre la participation d’un public dont on sait qu’il ne vote pas toujours dans le sens attendu. M. le ministre l’a reconnu au Sénat.
M. Sylvain Berrios
Quel est le sens attendu ?
M. Christophe Bex
Dans une démocratie, on ne modifie pas les règles électorales en urgence pour écarter les électeurs. On convainc, on débat, on respecte les urnes. C’est pourquoi, par cohérence et par respect du processus démocratique, nous demandons au minimum le report de l’application du texte, pour ne pas ajouter à l’injustice la précipitation. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune et sur les sous-amendements ?
M. Jean Moulliere, rapporteur
Les amendements nos 1 et 2 visent à rétablir l’article 1er dans sa version initiale, celle de la proposition de loi déposée par la sénatrice Laure Darcos. Je comprends cette volonté car, sur le plan théorique, il est satisfaisant de transférer le vote par correspondance des personnes détenues vers des communes avec lesquelles elles ont un lien. Malheureusement, c’est tout à fait irréalisable. Le bureau des élections du ministère de l’intérieur comme la direction de l’administration pénitentiaire m’ont confirmé que cette proposition ne pourrait être mise en œuvre.
Le système proposé se heurte en effet à des difficultés logistiques. Il pose également des problèmes de confidentialité. Si, dans une prison, 300 détenus votaient dans 300 communes différentes, il faudrait y acheminer 300 enveloppes de propagande électorale et 300 matériels de vote différents et organiser pour chaque détenu un bureau de vote, avec une liste d’émargement et une urne scellée.
Mme Marie Mesmeur
Ah, c’est compliqué la démocratie !
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
On a disposé d’un mois pour organiser le scrutin après la dissolution. Cela ne vous a pas gênés !
M. Jean Moulliere, rapporteur
Ce n’est pas réaliste. C’est la raison pour laquelle je donne un avis défavorable sur ces deux amendements.
La commission a émis un avis défavorable sur les sous-amendements nos 19 et 22, dont l’adoption conduirait à vider de leur contenu et de leur sens les amendements auxquels ils se rattachent. Madame Amrani, avec les sous-amendements nos 21 et 24, vous admettez que le dispositif proposé par la rédaction initiale ne permettra pas de garantir l’exercice du droit de vote des personnes détenues. Il se heurterait à plusieurs difficultés, notamment pour l’acheminement de la propagande électorale entre les deux tours de scrutin. Vous proposez en conséquence une solution dérogatoire, mais sans fixer le moindre critère. Comment déterminer si les conditions sont réunies pour faire voter les personnes détenues ? Cette solution, qui n’est pas sérieuse et qui est juridiquement trop floue, ne passerait pas la barre du Conseil constitutionnel. (Protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Avis défavorable.
J’en arrive aux sous-amendements aux amendements identiques nos 5 et 13 : les sous-amendements nos 25 et 32 visent à vider les amendements de leur substance ; le sous-amendement no 26 n’est pas normatif ; quant aux sous-amendements nos 29, 30 et 31, ils ne servent qu’à freiner le débat parlementaire sur le texte. Avis défavorable.
M. le président
La parole est à M. le ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur, pour donner l’avis du gouvernement.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
Le plus simple est de commencer par dire que le gouvernement émet un avis favorable sur les amendements identiques nos 5 et 13 et défavorable sur tous les autres amendements et sous-amendements.
Si vous le permettez, j’apporterai néanmoins quelques précisions. Quand vous plaidez en faveur d’un retour au vote par correspondance, entendons-nous bien : il s’agit du vote par correspondance qui existait préalablement à l’année 1975. Je vous indique que cette modalité de vote avait été supprimée compte tenu des risques relevés par le rapporteur il y a quelques instants. Rappelez-vous aussi qu’il y a quelques années, aux élections aux conseils départementaux et aux conseils régionaux, la procédure de vote avait soulevé d’importantes difficultés en raison de problèmes d’impression et de distribution et l’idée d’un vote par correspondance avait refait surface, mais il avait été noté qu’on ne pouvait pas, sur le plan matériel et indépendamment des problèmes de sécurité, organiser correctement un tel vote lorsque deux votes ont lieu avec une semaine d’écart, car l’ensemble du dispositif électoral et des règles doivent être modifiés. De ce point de vue, rien n’a changé.
Ce qui est appelé « vote par correspondance » dans le texte proposé par la sénatrice Laure Darcos et adopté par le Sénat après avoir été modifié à l’initiative du rapporteur Louis Vogel, c’est l’utilisation d’un bureau de vote dérogatoire et la possibilité de voter au sein de la maison d’arrêt. Dans ces conditions, cela fonctionne mais cela signifie que les détenus sont rattachés à un bureau de vote instauré au sein de la commune chef-lieu du département.
L’objet du présent texte, tel que nous le comprenons, est de tenir compte des effets de bord relevés par le Conseil d’État dans certaines communes et d’essayer de trouver une solution permettant d’être au plus proche de la réalité et des règles électorales.
M. Patrick Hetzel
Très bien !
M. François-Noël Buffet, ministre
Il n’est absolument pas question pour le gouvernement de réduire les droits de vote des détenus tels qu’ils ont été acquis depuis 1994. Il s’agit simplement de proposer diverses modalités de vote : la procuration, dans des conditions fort heureusement élargies par rapport à celles de 1975, avec la possibilité de donner procuration à quelqu’un qui n’est pas nécessairement inscrit dans le même bureau de vote que vous – une modification en réalité assez récente – ou à un ascendant ou un descendant ; se rendre à l’urne en bénéficiant d’une permission de sortir (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP) ;…
M. Ugo Bernalicis
J’aimerais bien savoir combien de détenus en bénéficient !
M. François-Noël Buffet, ministre
…ou encore recourir au vote par correspondance, qui est maintenu pour les élections à circonscription unique, avec un bureau de vote au sein du lieu de détention.
Voilà les quelques explications que je souhaitais vous donner.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Avant qu’on n’instaure le vote par correspondance, la participation des détenus aux élections était de 2 % ; ce dont nous sommes en train de parler, c’est de revenir à ce taux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) C’est pourquoi nous nous sentons fondés à dire que vous êtes en train de supprimer un droit, en empêchant qu’il puisse se réaliser.
M. Patrick Hetzel
Cessez de dire cela, vous savez bien que c’est faux !
M. Ugo Bernalicis
Vous déclarez, monsieur le ministre, que dans le cas d’une circonscription unique, le vote par correspondance peut fonctionner. Dans ce cas, pourquoi ne pas conserver l’état actuel du droit, qui prévoit qu’on est rattaché au chef-lieu de canton et qu’on vote par correspondance ? Même cela, c’est trop pour vous !
Nous vous disons que la solution idéale serait qu’on choisisse le lieu où l’on s’inscrit. Vous nous répondez : « Oui, mais comment va-t-on faire pour l’acheminement de la propagande électorale ? Oh, mon Dieu ! Quelle catastrophe ! » Pourtant, pour les premier et deuxième tours, tout le monde ne reçoit-il pas dans sa boîte aux lettres – en théorie du moins, parce qu’en pratique, vous n’êtes pas très bons – des enveloppes bleues contenant les professions de foi et les bulletins de vote, soit tout le matériel nécessaire pour pouvoir voter ? On devrait donc y arriver ! À moins qu’on ne reçoive pas de courrier dans les prisons ? C’est ça ? Il n’y a pas de service courrier ? Ou bien on ne sait pas tenir une liste d’émargement, y compris quand elle concerne vingt ou trente communes différentes ?
L’effectivité d’un droit doit être une priorité. Vous ne pouvez pas vous cacher derrière des arguments logistiques ou pratiques, c’est indécent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) À la fin, je le répète, ce sera 2 % de participation chez les détenus. Voici le rêve que vous caressez : que les détenus ne votent pas, parce que leurs orientations politiques ne vous intéressent pas. (Protestations sur les bancs des groupes EPR et HOR.) Eh bien, vous avez tort ! Peut-être d’ailleurs devriez-vous essayer de les convaincre du bien-fondé de votre projet politique ; mais je doute qu’ils soient attentifs, vu que vous voulez les empêcher encore une fois de voter – ce qui, en démocratie, est extrêmement problématique. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Sylvain Berrios
C’est pas joli joli !
M. le président
La parole est à M. Philippe Schreck.
M. Philippe Schreck
Quel que soit le texte, La France insoumise nous envoie dans le même incroyable tunnel idéologique ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) À destination de vos amis et de vos capsules, vous prétendez que nous voulons restreindre, voire enlever des droits. En vérité, comment les détenus exercent-ils aujourd’hui leur droit de vote ? Au moyen soit d’une permission de sortir, soit d’une procuration, soit d’un vote par correspondance. Après l’adoption de ce texte, comment pourront-ils le faire ? Au moyen soit d’une permission de sortir, soit d’une procuration, soit d’un vote par correspondance.
M. Ugo Bernalicis
Non, pas par correspondance !
M. Philippe Schreck
Nous nous contentons de changer à la marge les modalités de vote par correspondance pour les élections locales !
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Ça, ça vous dérange !
M. Philippe Schreck
Quel temps vous nous faites perdre avec votre tunnel et vos folies idéologiques !
Nous soutiendrons bien entendu l’amendement du rapporteur et l’amendement identique, et voterons contre tous les autres amendements et sous-amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. Ugo Bernalicis
Vous savez que les détenus ont voté majoritairement pour vous en 2019 ? Vous devriez vous en souvenir !
M. le président
Je propose que nous mettions aux voix par scrutin public l’ensemble des amendements et sous-amendements, de manière à gagner du temps.
Je mets aux voix le sous-amendement no 19.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 157
Nombre de suffrages exprimés 157
Majorité absolue 79
Pour l’adoption 43
Contre 114
(Le sous-amendement no 19 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix le sous-amendement no 21.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 159
Nombre de suffrages exprimés 159
Majorité absolue 80
Pour l’adoption 43
Contre 116
(Le sous-amendement no 21 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 1.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 158
Nombre de suffrages exprimés 158
Majorité absolue 80
Pour l’adoption 64
Contre 94
(L’amendement no 1 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix le sous-amendement no 22.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 158
Nombre de suffrages exprimés 158
Majorité absolue 80
Pour l’adoption 43
Contre 115
(Le sous-amendement no 22 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix le sous-amendement no 24.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 158
Nombre de suffrages exprimés 158
Majorité absolue 80
Pour l’adoption 41
Contre 117
(Le sous-amendement no 24 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 2.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 159
Nombre de suffrages exprimés 159
Majorité absolue 80
Pour l’adoption 66
Contre 93
(L’amendement no 2 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix les sous-amendements identiques nos 25 et 32.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 154
Nombre de suffrages exprimés 153
Majorité absolue 77
Pour l’adoption 42
Contre 111
(Les sous-amendements identiques nos 25 et 32 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je mets aux voix le sous-amendement no 26.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 155
Nombre de suffrages exprimés 155
Majorité absolue 78
Pour l’adoption 41
Contre 114
(Le sous-amendement no 26 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix le sous-amendement no 30.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 155
Nombre de suffrages exprimés 155
Majorité absolue 78
Pour l’adoption 42
Contre 113
(Le sous-amendement no 30 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix le sous-amendement no 31.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 156
Nombre de suffrages exprimés 155
Majorité absolue 78
Pour l’adoption 42
Contre 113
(Le sous-amendement no 31 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix le sous-amendement no 29.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 158
Nombre de suffrages exprimés 158
Majorité absolue 80
Pour l’adoption 42
Contre 116
(Le sous-amendement no 29 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 5 et 13.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 158
Nombre de suffrages exprimés 158
Majorité absolue 80
Pour l’adoption 96
Contre 62
(Les amendements identiques nos 5 et 13 sont adoptés ; en conséquence, l’article est ainsi rétabli.)
(Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – M. Nicolas Ray applaudit également.)
M. Sylvain Berrios
Magnifique !
Après l’article 1er
M. le président
Je suis saisi de trois amendements, nos 7, 4 et 3, portant article additionnel après l’article 1er.
Sur ces amendements, je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale. (Brouhaha.)
Chers collègues, que ceux qui souhaitent quitter l’hémicycle le fassent dans le silence.
La parole est à Mme Élisa Martin, pour soutenir l’amendement no 7.
Mme Élisa Martin
Cet amendement vise à inscrire dans la loi,… (Brouhaha persistant.)
Monsieur le président, je refuse d’intervenir dans un tel brouhaha.
Mme Émilie Bonnivard
Ah ! C’est pénible, n’est-ce pas ?
M. le président
Vous avez raison, madame Martin. Peut-on écouter l’oratrice, s’il vous plaît ?
Poursuivez, chère collègue.
Mme Élisa Martin
Je reprends donc.
Cet amendement vise à inscrire dans la loi, parmi les motifs de sortie, le fait d’aller voter. Ce n’est en effet pas le cas actuellement.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Moulliere, rapporteur
Avis défavorable : il serait déraisonnable de laisser sortir 80 000 détenus le jour du scrutin.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Vous avez raison, monsieur le rapporteur : nous ne cessons de battre les records du nombre de personnes détenues dans notre pays. (Mme Marie Mesmeur applaudit.) Je me permets néanmoins de vous rappeler que, sur ces 82 000 personnes, 25 % ne pourront pas sortir parce qu’elles se trouvent en détention préventive.
De surcroît, comme cela est indiqué dans l’exposé sommaire de l’amendement, tout dépend de la situation de la personne.
Je pense que nous nous comprenons parfaitement. Il s’agit de donner aux détenus une possibilité supplémentaire de voter. Nous verrons quel avenir vous réservez au vote par correspondance, mais ce n’est pas ce qui importe. Ce qui importe, c’est que cette possibilité soit inscrite dans la loi – votre avis nous indiquera si vous souhaitez réellement favoriser le vote des détenus, conformément à la volonté exprimée en 2019 par le président de la République.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 7.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 143
Nombre de suffrages exprimés 143
Majorité absolue 72
Pour l’adoption 51
Contre 92
(L’amendement no 7 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Marie-José Allemand, pour soutenir l’amendement no 4.
Mme Marie-José Allemand
Cet amendement a pour objet de favoriser et de prioriser la permission de sortir pour motif électoral comme modalité de droit de vote des détenus aux élections locales. Le nombre limité de permissions de sortir accordées pour motif électoral porte en effet gravement atteinte à l’exercice du droit de vote.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Moulliere, rapporteur
Par cet amendement, vous proposez de faire de la permission de sortir pour motif électoral une mesure de plein droit, sauf si le juge en décide autrement. Il me semble que le juge est pleinement compétent pour accorder cette permission en fonction des justifications de la demande, parmi lesquelles il prend en compte l’exercice du droit de vote. Il ne faut pas inverser le principe : la sortie ponctuelle de la prison doit demeurer l’exception et il revient au juge d’en décider. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
C’est lunaire ! Vous venez de nous dire : « Ce n’est pas grave de supprimer le vote par correspondance pour les élections municipales. Ne vous inquiétez pas, il reste les permissions de sortie et la possibilité de faire des procurations. »
Concernant les procurations, même si la démarche a été facilitée, vous m’expliquerez ce que devient votre argument de tout à l’heure sur le secret des correspondances et du vote : comment le garantissez-vous à une personne qui, depuis sa prison, doit trouver quelqu’un pour voter à sa place ?
Mme Alexandra Martin
Exactement !
M. Ugo Bernalicis
Concernant la permission de sortie, excusez-moi, mais la logique voudrait que nous adoptions l’amendement de notre collègue Allemand. C’est un droit plutôt qu’une exception qu’il s’agit de consacrer : le droit de voter doit être la norme et l’exception à ce droit doit rester l’exception. Vous nous expliquez au contraire que la norme est de ne pouvoir se rendre au bureau de vote qu’à titre exceptionnel. C’est bien le problème !
Qui plus est, ce que vous ne dites pas, monsieur le rapporteur, pas plus que vous, monsieur le ministre, c’est qu’il existe deux régimes de permission : celui des prévenus et celui des condamnés. Pour ces derniers, soit, la démarche est assez simple, mais pour les prévenus, c’est une galère : les sorties ne peuvent avoir lieu qu’à l’occasion d’événements exceptionnels et seulement sous escorte – ce qui signifie, en réalité, qu’aucun prévenu ne pourra aller voter.
J’ajoute que ces derniers temps les condamnations se multiplient, notamment dans le monde politique, et que certains veulent supprimer les sursis. Imaginez qu’à l’avenir nous appliquions le dispositif à certains collègues : ils devraient obtenir une permission de sortie pour aller voter, et encore, sous escorte, un dimanche ! Ce n’est pas sérieux.
Mme Marie Mesmeur
Pensez à Marine Le Pen !
M. Ugo Bernalicis
Pensez un peu à vos propres intérêts, cela pourrait vous faire changer d’avis ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 4.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 146
Nombre de suffrages exprimés 146
Majorité absolue 74
Pour l’adoption 53
Contre 93
(L’amendement no 4 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Marie-José Allemand, pour soutenir l’amendement no 3.
Mme Marie-José Allemand
Il vise à expérimenter l’ouverture d’un bureau de vote dans les établissements pénitentiaires. Plusieurs pays européens en ont déjà ouverts dans les lieux de détention et ont obtenu des résultats encourageants. Nous souhaitons faciliter l’exercice effectif du droit de vote des détenus en leur évitant les contraintes du vote par correspondance ou par procuration.
L’expérimentation proposée garantirait une plus grande égalité de traitement entre les électeurs libres et les électeurs détenus, et permettrait d’évaluer une éventuelle pérennisation du dispositif en s’appuyant sur des expériences étrangères a priori réussies.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Moulliere, rapporteur
Instaurer des bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires pose plusieurs difficultés, notamment au regard de l’exigence de publicité. En effet, les bureaux de vote doivent être accessibles à certaines personnes, notamment les délégués des candidats et les membres et délégués des commissions de contrôle des opérations de vote, afin qu’elles puissent y procéder audit contrôle. Cela me semble impossible à mettre en œuvre dans le cadre pénitentiaire, dont les contraintes sont particulières. Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Avis défavorable également. Je rappelle tout de même qu’un tel bureau de vote existe aujourd’hui : il s’agit du bureau de vote dit dérogatoire. Si le texte est adopté, le bureau de vote dérogatoire permettra de voter par correspondance et sera parfaitement organisé.
M. le président
La parole est à Mme Farida Amrani.
Mme Farida Amrani
Si je comprends bien, le rapporteur reconnaît lui-même que le vote par correspondance constitue la seule modalité réellement praticable. Or vous proposez de supprimer cette possibilité, que vous aviez ouverte vous-mêmes, sans en proposer une autre qui soit réaliste.
M. Ugo Bernalicis
Il faut assumer, monsieur le ministre ! Vous dites que les détenus sont des sous-citoyens !
Mme Farida Amrani
Vous vous apprêtez à retirer un droit sans avoir pris un moment pour imaginer une solution de substitution – même ça, vous ne l’avez pas fait ! Alors que vous revenez sur une possibilité d’exercer le droit de vote, vous n’avez même pas réfléchi à un moyen de conserver ce droit aux Françaises et aux Français concernés. Vous êtes donc en train de le leur retirer, ni plus ni moins. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Paul Christophle
Mais non !
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 3.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 149
Nombre de suffrages exprimés 148
Majorité absolue 75
Pour l’adoption 53
Contre 95
(L’amendement no 3 n’est pas adopté.)
Article 2
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques nos 8 et 14, tendant à supprimer l’article 2.
Sur ces amendements, je suis saisi par le groupe Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
L’amendement no 8 de M. Philippe Gosselin est défendu.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 14.
M. Jean Moulliere, rapporteur
L’article 2 prévoit d’étendre le bénéfice des permis de sortir aux détenus placés en détention provisoire. Je rappelle que ces permissions ne peuvent aujourd’hui être accordées qu’aux détenus condamnés, sous certaines conditions et en fonction d’un contrôle de fond et de proportionnalité opéré par le juge compétent.
En application du code de procédure pénale, le placement en détention provisoire n’est possible que pour certaines raisons : conserver les preuves ; empêcher les pressions ou les concertations frauduleuses ; protéger la personne mise en examen ; garantir son maintien à la disposition de la justice. Si une personne est placée en détention provisoire, c’est que le juge a estimé que l’incarcération constituait le seul moyen permettant d’atteindre l’un de ces objectifs. Octroyer une autorisation de sortir n’est donc pas possible, même pour aller voter.
M. Ugo Bernalicis
Vous avez dit le contraire à l’instant !
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Avis favorable sur ces amendements de suppression.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
C’est dingue, on croit rêver ! « Les permissions de sortir, c’est trop compliqué, ce n’est pas possible. » Vous venez de le dire, monsieur le rapporteur, pour les prévenus, il faut des escortes, etc. Mais c’est justement l’argument que nous opposons à votre volonté de supprimer la possibilité de voter par correspondance aux élections municipales ! Après avoir soutenu que la solution de rechange était celle-là, vous constatez vous-même qu’elle est impossible à mettre en œuvre. Nous en revenons ainsi au vote par procuration, soit la situation qui prévalait avant l’adoption de la loi de 2019. Le taux de participation dans les prisons plafonnait alors à 2 %. Assummez-le, bon sang ! Dites : « Nous pensons que les personnes détenues sont des sous-citoyens dans notre pays,…
M. Laurent Jacobelli
Personne n’a dit ça !
Mme Alma Dufour
Donnez de vrais arguments !
M. Ugo Bernalicis
…des personnes qui ne doivent pas avoir les mêmes droits que les autres parce qu’elles ont commis des infractions,…
Mme Marie Mesmeur
Vous êtes bien gênés !
M. Nicolas Sansu
Eh oui !
M. Sylvain Berrios
Vous n’avez pas le droit de parler de « sous-citoyens » !
M. Ugo Bernalicis
…notamment le droit de vote, qu’elles ne doivent pas pouvoir exercer comme tout le monde. » C’est bien de cela qu’il s’agit puisque même leur offrir le décorum d’un bureau de vote, ce serait déjà trop d’efforts logistiques pour vous.
Je trouve ça minable, médiocre, surtout venant de gens qui se prétendent issus de « l’arc républicain », quand c’est l’arc réactionnaire dans toute sa splendeur. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Paul Christophle
Allez, ça va !
M. Ugo Bernalicis
La démocratie ne se négocie pas, la citoyenneté et le droit de vote non plus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Un député du groupe RN
À la niche !
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 8 et 14.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 148
Nombre de suffrages exprimés 148
Majorité absolue 75
Pour l’adoption 93
Contre 55
(Les amendements identiques nos 8 et 14 sont adoptés ; en conséquence, l’article 2 est supprimé.)
Article 3
M. le président
Je suis saisi de plusieurs demandes de scrutin public par le groupe Ensemble pour la République : sur les amendements identiques nos 9 et 15, sur les amendements identiques nos 10 et 16, sur les amendements identiques nos 11 et 17, sur les amendements identiques nos 12 et 18, et sur l’amendement no 6.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisi de deux amendements identiques nos 9 et 15, tendant à supprimer l’article 3.
L’amendement no 9 de M. Philippe Gosselin est défendu.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 15.
M. Jean Moulliere, rapporteur
Ces amendements et les suivants visent à supprimer des articles qui consistent en des demandes de rapport.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Favorable.
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 9 et 15.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 151
Nombre de suffrages exprimés 151
Majorité absolue 76
Pour l’adoption 94
Contre 57
(Les amendements identiques nos 9 et 15 sont adoptés ; en conséquence, l’article 3 est supprimé.)
Article 4
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques nos 10 et 16, tendant à supprimer l’article 4.
Les amendements nos 10 de M. Philippe Gosselin et 16 de M. le rapporteur sont défendus.
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Favorable.
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 10 et 16.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 151
Nombre de suffrages exprimés 151
Majorité absolue 76
Pour l’adoption 96
Contre 55
(Les amendements identiques nos 10 et 16 sont adoptés ; en conséquence, l’article 4 est supprimé.)
Article 5
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques nos 11 et 17, tendant à supprimer l’article 5.
Les amendements nos 11 de M. Philippe Gosselin et 17 de M. le rapporteur sont défendus.
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Favorable.
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 11 et 17.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 150
Nombre de suffrages exprimés 150
Majorité absolue 76
Pour l’adoption 93
Contre 57
(Les amendements identiques nos 11 et 17 sont adoptés ; en conséquence, l’article 5 est supprimé.)
Article 6
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques nos 12 et 18, tendant à supprimer l’article 6.
Les amendements nos 12 de M. Philippe Gosselin et 18 de M. le rapporteur sont défendus.
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Favorable.
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 12 et 18.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 153
Nombre de suffrages exprimés 153
Majorité absolue 77
Pour l’adoption 100
Contre 53
(Les amendements identiques nos 12 et 18 sont adoptés ; en conséquence, l’article 6 est supprimé.)
M. le président
Sur l’ensemble de la proposition de loi, je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Après l’article 6
M. le président
La parole est à M. Christophe Bex, pour soutenir l’amendement no 6, portant article additionnel après l’article 6.
M. Christophe Bex
Nous demandons la remise d’un rapport gouvernemental sur les permissions de sortir accordées aux personnes détenues pour voter. Garantir l’exercice effectif du droit de vote pour toutes et pour tous est un impératif démocratique. Or, pour les personnes incarcérées, ce droit reste théorique. Bien que prévue par la loi, la permission de sortir pour exercer le droit de vote est rarement accordée dans les faits : 187 seulement l’ont été lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022, à peine 140 lors des élections européennes de 2024 et 100 lors des dernières élections législatives. Rapportés au nombre de détenus concernés, de tels chiffres sont dérisoires.
S’il a permis des progrès – la participation des détenus a dépassé les 22 % aux élections européennes de 2024 –, le vote par correspondance ne doit pas devenir la seule solution. Les personnes détenues devraient pouvoir voter dans un bureau de vote comme tout citoyen, dès lors que les conditions sont réunies.
Le rapport demandé devra faire toute la lumière sur les freins à l’octroi de ces permissions : critères d’éligibilité trop stricts, lenteurs administratives, rigidités sécuritaires excessives, mais aussi réticence culturelle de la part de l’administration. Il devra également s’intéresser à des publics oubliés : les prévenus – ils représentent plus du quart des détenus – et les personnes condamnées à de longues peines, dont les demandes sont systématiquement écartées. En somme, ce rapport devra servir à faire respecter un droit fondamental en dégageant des pistes concrètes pour octroyer davantage de permissions de sortie à des fins électorales dans un cadre sécurisé mais pleinement républicain. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Moulliere, rapporteur
Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Même avis.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 6.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 166
Nombre de suffrages exprimés 165
Majorité absolue 83
Pour l’adoption 57
Contre 108
(L’amendement no 6 n’est pas adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 171
Nombre de suffrages exprimés 169
Majorité absolue 85
Pour l’adoption 109
Contre 60
(La proposition de loi est adoptée.) (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et HOR ainsi que sur quelques bancs des groupes DR et RN.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)
M. le président
La séance est reprise.
5. Permettre aux salariés de participer aux collectes de sang sur leur temps de travail
Discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi permettant aux salariés de participer aux collectes de sang, de plaquettes ou de plasma sur leur temps de travail (nos 732, 1462).
Présentation
M. le président
La parole est à M. Pierre Cordier, rapporteur de la commission des affaires sociales.
M. Pierre Cordier, rapporteur de la commission des affaires sociales
Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi dont la portée dépasse largement sa simplicité apparente. Chaque année, en France, 500 000 patients bénéficient d’une transfusion sanguine. Si l’on prend en compte les médicaments dérivés du plasma, plus de 1 million de personnes sont traitées annuellement grâce aux dons de produits sanguins.
Or ces produits, qu’ils soient destinés à des transfusions directes ou à la fabrication de médicaments, font l’objet de tensions permanentes en matière d’approvisionnement, en lien avec leur durée de vie limitée. La demande varie ainsi selon les pics épidémiques, les crises sanitaires ou simplement les besoins hospitaliers, qui changent constamment.
Ces dernières années, nos besoins en plasma n’ont cessé de croître. Pourtant, notre collecte nationale ne couvre que 30 à 35 % des volumes nécessaires à l’approvisionnement de la filière française de fabrication de médicaments dérivés du plasma. Les deux tiers restants sont importés, principalement des États-Unis, dont les oligopoles contrôlent près de 80 % du marché mondial des médicaments dérivés du plasma. Cela a bien sûr un coût pour la sécurité sociale, estimé à 400 millions d’euros par an.
Nous plaçons ainsi une partie de notre politique de santé entre les mains d’acteurs privés étrangers, dans un contexte géopolitique incertain exposé aux aléas commerciaux, aux tensions logistiques et aux décisions unilatérales. Contraire au principe de souveraineté sanitaire, cette dépendance est en outre risquée pour les patients.
Tous les acteurs que nous avons auditionnés, tant l’Établissement français du sang (EFS) que les associations de donneurs, nous ont alertés : notre pays fait face à un défi en matière d’autosuffisance. Face à ce constat, nous ne devons pas pour autant renoncer au modèle français, qui repose sur des dons volontaires, anonymes et bénévoles. C’est ce qui garantit le caractère éthique de la collecte et la sécurité des donneurs et des receveurs.
Nous devons néanmoins récolter plus de produits sanguins. Les objectifs du plan Ambition plasma, lancé par l’Établissement français du sang, sont clairs : passer des 900 000 litres collectés en 2024 à 1,4 million par an d’ici à 2028. Pour ce faire, il est indispensable d’élargir notre vivier de donneurs, de lever les freins à l’engagement régulier en faveur du don du sang et de reconnaître le don comme un acte citoyen.
En ciblant spécifiquement les salariés et les agents publics, c’est-à-dire les actifs, cette proposition de loi s’adresse à une population dont le potentiel de mobilisation est encore largement sous-exploité, car, nous le savons, donner prend du temps. Or, lorsque l’on a une vie professionnelle chargée ainsi qu’une vie personnelle bien remplie, il n’est pas toujours facile de trouver du temps pour aller donner son sang. Cette proposition de loi vise à aménager le temps de travail pour permettre aux personnes qui le souhaitent d’accomplir cet acte profondément citoyen qu’est le don du sang. En introduisant un nouvel article L. 1212-4-1 dans le code de la santé publique, ce texte permettra aux salariés et aux agents publics de s’absenter ponctuellement pendant leur temps de travail pour aller donner leur sang, leurs plaquettes ou leur plasma.
Je tiens à souligner le caractère transpartisan de ce texte : cosigné par neuf groupes politiques, puis amendé à la suite de fructueux débats en commission, il traduit un compromis entre, d’une part, la soutenabilité du dispositif pour l’employeur et, d’autre part, le maintien d’un cadre suffisamment incitatif. Je saisis cette occasion pour remercier mes collègues pour la qualité de nos échanges, qui ont été des plus respectueux. Je remercie tout particulièrement les députés avec lesquels nous avons collaboré, au-delà des clivages politiques, pour retravailler certains amendements en vue de cette séance.
L’autorisation d’absence sera désormais de droit, de même que le maintien de la rémunération du salarié ou de l’agent public pendant son absence pour don de sang. La commission a introduit l’obligation d’informer l’employeur avec un préavis minimal de deux jours. En outre, l’employeur pourra refuser l’autorisation d’absence dans le cas où l’organisation du service ou de l’activité économique s’en trouverait significativement perturbée. Nous ne pouvons que nous féliciter de telles avancées.
Il nous reste quelques questions à trancher, notamment celle du nombre maximal d’autorisations d’absence dont pourront bénéficier les salariés et les agents publics. À ce stade, je souhaite rappeler que la proposition de loi a une vocation incitative : il s’agit de lever une partie des contraintes liées au manque de temps sans pour autant décourager – bien au contraire – les dons réalisés sur le temps personnel. C’est pourquoi je proposerai le compromis suivant : huit autorisations d’absence par an, à la condition de se rendre dans le lieu de collecte le plus proche de son lieu de travail ou de son lieu d’habitation.
Je proposerai aussi d’allonger le délai de préavis à trois jours ouvrés, afin de sécuriser plus encore les employeurs. Selon moi, le dispositif ne peut connaître la réussite que si un équilibre est trouvé entre l’objectif d’incitation visé et les intérêts légitimes des employeurs – chefs d’entreprise, artisans, commerçants. Ceux-ci doivent contribuer à l’effort nécessaire en matière de santé publique sans en supporter tout le coût.
En conclusion, j’affirme que cette proposition de loi coûtera peu mais qu’elle rapportera beaucoup en vies sauvées, en solidarité humaine et en autonomie stratégique pour notre pays. Je vous invite donc à l’adopter avec conviction. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. le président
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Il est des initiatives et des débats qui dépassent les clivages partisans pour faire primer l’intérêt général. Le texte examiné présentement par l’Assemblée nationale est de ceux-là.
Cher Pierre Cordier, je vous remercie de nous offrir l’occasion d’échanger autour d’un texte à la fois concret, utile et profondément solidaire. La proposition de loi dont nous discutons à votre initiative vise à favoriser l’engagement des salariés dans le don du sang, du plasma ou des plaquettes, en leur permettant de participer aux collectes pendant leur temps de travail. Elle a été cosignée par de nombreux députés, issus de plusieurs groupes de cette assemblée. Je tiens à saluer ce travail transpartisan, éclairant et constructif, mené au service de la santé publique et de la souveraineté sanitaire de notre pays.
Permettez-moi également de saluer le travail du sénateur Gilbert Bouchet, qui avait déjà mis ce débat sur la table en 2018 en déposant un texte permettant aux salariés de s’absenter de leur poste de travail pour participer à des campagnes de collecte de sang. Nous connaissons tous son engagement sur ces sujets, tout comme son combat courageux contre la maladie de Charcot.
Chaque jour, 10 000 dons de sang sont nécessaires en France. Ils permettent de soigner près de 1 million de patients par an, des malades atteints d’un cancer, d’une leucémie ou d’une maladie rare, des femmes souffrant d’une hémorragie du post-partum, des blessés de la route, des patients opérés en urgence. Ainsi, 47 % des produits sanguins servent à des personnes atteintes d’une maladie du sang ou d’un cancer, et 35 % sont utilisés lors d’une intervention chirurgicale. Il s’agit donc de besoins structurels, permanents et non exceptionnels. Or ils ne peuvent être satisfaits que par la générosité des donneurs.
Le système de santé repose, chaque jour, sur cette vérité simple : il n’existe aucun substitut au sang humain. Seule la générosité de celles et ceux qui tendent le bras permet de sauver des vies. C’est pourquoi nous devons, collectivement, faire du don du sang non pas un réflexe de crise, mais un réflexe vital et citoyen, facile, libre et sans engagement. L’acte volontaire et bénévole de donner son sang, ses plaquettes ou son plasma est aussi essentiel qu’irremplaçable.
Rappelons les quatre principes éthiques fondamentaux du don du sang. Le premier est l’anonymat : seul l’EFS connaît l’identité du donneur et celle du receveur, ainsi que les données qui les concernent. Le deuxième principe est le volontariat : le don de sang est un acte librement accompli, sans aucune contrainte. Vient ensuite le non-profit : le sang et les produits sanguins ne peuvent être une source de profit. Le quatrième principe est le bénévolat : le don de sang est bénévole et ne peut être rémunéré sous quelque forme que ce soit.
Donner, c’est le plus grand des petits gestes, celui qui nous permet d’être de véritables héros du quotidien : une heure de notre temps suffit à sauver trois vies. Pourtant, seuls 3,5 % des Français en âge de donner le font, et plus de la moitié d’entre eux ont plus de 40 ans. Il est donc essentiel de renouveler le vivier de donneurs, notamment chez les plus jeunes et les actifs. Ce texte procède de cette volonté.
Dans les entreprises, 8 % à 12 % des salariés participent aux collectes lorsqu’elles sont organisées sur leur lieu de travail. Mais en dehors de ces situations ponctuelles, il est très difficile pour un salarié de consacrer du temps au don de sang. Actuellement, la loi permet à l’employeur de maintenir la rémunération d’un salarié pendant son absence pour ce motif, mais elle ne lui impose rien. Il n’existe pas de cadre pour effectuer un don, même ponctuel, même à proximité du lieu de travail.
Aussi le texte que vous examinez vise-t-il à créer un droit à l’absence encadré. Il prévoit : l’information de l’employeur deux jours avant l’absence pour don de sang ; la possibilité d’un refus motivé de celui-ci pour des raisons d’organisation ou de continuité du service ; la fourniture d’un justificatif par le salarié, sans atteinte à la confidentialité de sa situation. Un équilibre est ainsi ménagé entre l’intérêt général que représente le don et le respect des contraintes professionnelles et économiques des entreprises et des services publics. Je tiens d’ailleurs à saluer ces dispositions introduites par la commission, plus rassurantes pour les employeurs – naturellement, il nous faut penser également à nos entreprises.
Ce texte s’inscrit aussi pleinement dans la politique renforçant la collecte de plasma, politique que nous avons lancée avec l’Établissement français du sang à travers le plan Ambition plasma. Pourquoi ce plan ? Parce que la France, qui était autrefois autosuffisante pour le plasma, doit désormais en importer. Cette dépendance fragilise notre système de santé ; elle n’est pas acceptable à long terme. M. le rapporteur a mentionné son coût : 400 millions par an.
Pour reconquérir notre souveraineté, il nous faudra 60 000 à 100 000 nouveaux donneurs de plasma d’ici à 2028. Or le don de plasma prend plus de temps qu’un don de sang – environ une heure – et ne se fait qu’en maison du don, souvent en journée. Il est donc particulièrement difficile d’y accéder sans une autorisation d’absence.
Cette proposition de loi est donc un outil stratégique pour répondre à cet enjeu national. Elle permettra de mobiliser les salariés, de mieux remplir les créneaux disponibles en maison du don et de sécuriser les approvisionnements de produits vitaux.
Cette initiative est utile pour renouveler le vivier de donneurs, pour renforcer la chaîne de solidarité transfusionnelle, pour donner de la visibilité et de la stabilité aux collectes. Mais pour être pleinement opérationnelle, la mesure doit être précise, raisonnable et bien calibrée. Le débat parlementaire doit nous permettre d’opérer quelques ajustements pour concilier l’ambition de consolidation de nos stocks de sang et les impératifs économiques et organisationnels de nos entreprises, car rien ne serait pire qu’une disposition qui n’emporterait pas une large adhésion.
Dès lors, il me semble impératif de renforcer le cadre de la proposition de loi de deux manières. D’une part, pour éviter les effets d’aubaine ou de désorganisation, il convient de fixer une limite raisonnable au nombre de dons que l’on peut faire au cours d’une même année tout en conservant sa rémunération. De ce point de vue, un plafond de six dons par an serait plus conforme aux pratiques observées qu’un plafond de douze. D’autre part, il faut prévoir un encadrement géographique pour limiter l’impact sur le temps de travail.
Ce texte repose sur un postulat, celui de la responsabilité individuelle et collective. Il fait confiance aux salariés pour n’utiliser ce droit qu’à bon escient. Il fait confiance aux employeurs pour permettre cet engagement quand c’est possible. Enfin, il s’inscrit dans la logique de nos politiques publiques de santé : protéger, prévenir, anticiper.
Je souhaite remercier très sincèrement Pierre Cordier de la clarté de son engagement et de la qualité de ses propositions ; je remercie également l’ensemble des membres de la commission des affaires sociales pour leur travail approfondi. Je salue l’action de l’EFS, de ses équipes, de ses bénévoles, de tous les donneurs qui, chaque jour, permettent de sauver des vies. Je tiens à rappeler que nous pouvons compter sur l’engagement et l’expertise du Laboratoire français de fractionnement et des biotechnologies (LFB), qui dispose de l’exclusivité du fractionnement du plasma issu des dons bénévoles. Nous avons aujourd’hui la capacité de transformer tout le plasma qui nous est nécessaire. Comme je l’ai évoqué, ce texte nous permettra de le faire avec du plasma français, collecté éthiquement. Simple dans sa forme, fort par sa portée, il est à la hauteur des valeurs que nous partageons : la solidarité, la santé, la confiance. Je suis convaincu que nos débats permettront de l’enrichir encore et de l’adopter dans les meilleures conditions. (M. le rapporteur et Mme Sophie Mette applaudissent.)
Discussion générale
M. le président
Dans la discussion générale, la parole est à M. Hendrik Davi.
M. Hendrik Davi
Je me réjouis de l’examen de ce texte visant à permettre aux salariés de participer au don du sang, de plaquettes et de plasma. En 2024, près de 2,7 millions de ces dons ont été enregistrés et près de 1 million de personnes, si l’on inclut les traitements à base de médicaments dérivés du plasma, ont été soignées. Pourtant, le nombre des donneurs continue de baisser : en 2023, on constatait un recul de 2,9 %, qui s’est malheureusement poursuivi en 2024.
La situation est plus alarmante encore s’agissant du plasma, la partie liquide du sang dans laquelle circulent les cellules sanguines : globules rouges, globules blancs, plaquettes. Il est riche de centaines de protéines indispensables à notre organisme. En France, les médicaments issus des dons de plasma permettent de vivre à 500 000 personnes, certaines, par exemple, en réanimation et soignées grâce à l’albumine, d’autres atteintes de déficit immunitaire ou de certaines maladies auto-immunes et soignées grâce aux immunoglobulines, d’autres encore, hémophiles, soignées grâce aux facteurs de coagulation. Dans la plupart des cas, il n’existe pas d’alternative thérapeutique à ces médicaments dérivés du plasma ; or la collecte nationale ne couvre que 35 % des besoins, dont la croissance est exponentielle – 7,4 % par an –, notamment en raison de nouvelles thérapies comme l’immunothérapie cellulaire.
La France reste donc largement dépendante des importations, surtout en provenance des USA. Je souhaite le réaffirmer ici, cette dépendance pose un problème éthique : les USA ne respectent pas le principe français de gratuité du don, faisant de celui-ci une source de revenus pour les plus pauvres, qui donnent leur plasma jusqu’à 120 fois par an – une telle fréquence peut nuire à leur santé et le plasma collecté se révéler de mauvaise qualité, car il n’a pas eu le temps de bien se régénérer.
S’ajoutent à cela, comme l’ont rappelé les précédents orateurs, une question de souveraineté médicale, un coût important – 400 millions d’euros – pour la sécurité sociale, le tout dans un contexte de relations internationales et commerciales incertaines. La France semble vouloir réagir, avec, à Arras, un centre de traitement du plasma flambant neuf de près de 11 000 mètres carrés. Encore faut-il que les dons suivent, sans quoi ce n’est pas du plasma français mais du plasma importé que nous y traiterons. Face à cette réalité, l’EFS a lancé en 2024 le plan Ambition plasma, qui vise à atteindre d’ici à 2028 l’objectif de 1,4 million de litres collectés par an, ce qui suppose le doublement du nombre de donneurs réguliers.
Compte tenu de ce contexte, la proposition de loi va dans le bon sens : en permettant aux salariés de disposer de temps pour donner leur sang, elle redonnera de la visibilité, de la reconnaissance, à un acte de solidarité trop souvent négligé. Je regrette que lors de son examen en commission, les groupes du socle commun aient tenté d’en réduire la portée. Alors qu’il est possible de donner son plasma jusqu’à vingt-quatre fois par an, nous sommes convaincus que la restriction du nombre d’absences autorisées constituerait un mauvais signal. Toutefois, ce texte étant important, nous espérons, comme le rapporteur, trouver sur ce point un compromis acceptable. De même, la limitation de la distance qui peut être parcourue pour se rendre dans un centre de collecte est inadaptée, notamment en milieu rural. Il est également essentiel que les salariés soient informés de ce nouveau droit : tel est le sens de l’amendement no 9, issu d’un travail commun avec le rapporteur.
L’adoption de ce texte largement consensuel constitue une première étape, mais de nombreux défis demeurent. Ainsi, nous devons rajeunir le vivier de donneurs, ce qui passe par une sensibilisation dès le plus jeune âge. C’est pourquoi l’amendement no 8 vise à permettre aux étudiants de justifier leur absence lorsqu’ils donnent leur sang. Un autre enjeu consiste à soutenir les bénévoles, sans qui aucune collecte ne pourrait avoir lieu. Avec la réforme des retraites – nous en reparlerons demain –, il y aura, toutes les associations nous le disent, de moins en moins de retraités bénévoles. Il importe donc d’en recruter parmi les actifs. L’amendement no 3 vise à ouvrir le droit à cinq jours de congés rémunérés pour les salariés qui souhaitent s’engager au sein d’une association de don du sang.
Surtout, il est impératif de garantir à l’EFS un financement pérenne. La dotation fixée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 ne suffit pas à financer les activités de cet établissement. En raison du plafonnement du prix de vente du plasma, l’EFS cède celui-ci à perte, sans pour autant bénéficier d’une compensation de l’État. La revalorisation des salaires devient une urgence dans ce secteur marqué par un fort turnover. Des moyens supplémentaires sont nécessaires en vue d’ouvrir des maisons du don, surtout en zone rurale, et d’investir dans du matériel destiné aux prélèvements de plasma. L’EFS aurait en somme besoin d’un vrai plan pluriannuel de financement : j’espère que nous en débattrons lors de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), car les investissements que nous ferons aujourd’hui sauveront demain des vies humaines. La préservation de cette politique de santé publique fondée sur le bénévolat, l’anonymat, l’absence de profit et le consentement éclairé nécessite des moyens humains et financiers à la hauteur de l’enjeu. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Turquois.
M. Nicolas Turquois
La politique publique comprend des sujets totems sur lesquels il est impossible d’exprimer une réserve, si faible soit-elle. Le don du sang en est un : tout le monde soutient le don du sang, acte par excellence de générosité, de solidarité. Comme vous, monsieur le rapporteur, j’en suis un fervent partisan. Par exemple, je relaie très régulièrement les annonces de collectes organisées dans mon territoire afin que nous tentions d’atteindre cinquante donneurs par collecte. Néanmoins, ainsi que je vous l’ai indiqué en commission, je suis défavorable à votre proposition de loi.
Afin de faire face à l’important déficit des dons – constat que je partage –, notamment de plasma, vous proposez qu’un salarié puisse s’absenter de son travail pour donner son sang, tout en conservant sa rémunération, jusqu’à douze fois par an – chiffre que vous envisagez d’abaisser à huit. Certes, vous prévoyez un délai de prévenance de l’employeur, ainsi que la possibilité que celui-ci s’oppose à une telle absence pour des questions d’organisation du travail. Reste qu’à l’heure où tous les entrepreneurs nous demandent de leur faciliter la vie, vous voulez instaurer une nouvelle contrainte organisationnelle, qui plus est coûteuse pour l’entreprise. Un chef d’entreprise, notamment dans la catégorie des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME), s’arrache en permanence les cheveux pour concilier les exigences de sa production avec les compétences des uns, les absences des autres, les problèmes matériels. Désormais, certains de ses salariés vont lui demander une demi-journée en vue de donner leur sang. Ce n’est pas possible !
De grandes entreprises ont conclu sur ce point un accord collectif et beaucoup d’autres, plus petites, des accords de gré à gré – en contrepartie du fait qu’il donne son sang sur son temps de travail, le salarié, une autre fois, restera au travail plus longtemps. Cependant, il s’agit là de dispositifs souples, agiles, contrairement à ce que vous proposez. Vous me rétorquerez que l’employeur pourra s’opposer à ces absences : s’il le fait systématiquement, ce sera à coup sûr une source de contentieux, certains lui reprochant de leur refuser d’exercer un droit.
S’ajoute à cela la question de la sécurité : tous ceux qui, ici, donnent leur sang savent que l’on en sort un peu fatigué, flapi, dirait-on chez moi. Il ne s’agit pas d’un acte anodin ; le protocole prévoit d’ailleurs un temps de récupération. Je pense à ceux qui exercent un travail physique : un couvreur, par exemple, remontera-t-il aussitôt, en toute sûreté, sur son toit, en plein soleil ? Le don du sang est donc incompatible avec un tas de situations.
Enfin et surtout, le texte va à l’encontre de la philosophie de ce don : obtenir ou négocier en contrepartie une demi-journée chômée, rémunérée, n’est plus donner de manière tout à fait désintéressée et gracieuse.
Pour toutes ces raisons, nous serons, je le répète, défavorables à la proposition de loi. Afin de développer les collectes, il y a d’autres leviers à actionner – là encore, votre constat est juste. L’orateur précédent a évoqué les difficultés de l’EFS. Ajoutons que nombre de collectes sont annulées la veille pour le lendemain, ce qui démotive à la fois les bénévoles des associations et les donneurs qui s’organisent pour venir. De surcroît, en milieu rural, le lieu de collecte peut être éloigné, ce qui complique les choses. Et lorsqu’il s’agit de plasma, ce n’est plus seulement compliqué, mais impossible : la Vienne ne compte qu’un seul lieu de don, à plus d’une heure de route, par exemple, de mon domicile !
Citons encore le recrutement de nouveaux donneurs : après avoir donné une fois, on continue généralement de le faire. Il importe donc de dédramatiser le premier don et d’accompagner les jeunes qui ne l’ont pas vécu dans le cadre familial en multipliant les opérations adaptées à ce public du point de vue du lieu et des horaires. Même si, encore une fois, je partage vos intentions, nos réserves concernant votre texte s’expliquent également par l’existence de ces pistes plus pertinentes. (Mme Anne Bergantz applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Nathalie Colin-Oesterlé.
Mme Nathalie Colin-Oesterlé
Le don de sang, de plaquettes ou de plasma, acte de solidarité, permet de sauver chaque année 1 million de patients victimes d’hémorragies liées à un accouchement, à un accident ou à une opération chirurgicale, ou atteints de maladies chroniques comme les cancers ou les maladies du sang. Pourtant, la France fait face à une pénurie de sang préoccupante. L’EFS estime que les besoins en matière de produits sanguins, qu’il s’agisse des transfusions directes ou de la fabrication de médicaments dérivés du plasma, demanderaient 10 000 dons par jour. Or, en 2024 comme en 2023, seules 88 000 poches de sang se trouvaient disponibles, ce qui est inférieur au seuil de sécurité recommandé. Cette situation nous contraint à satisfaire près de 40 % de nos besoins en important du sang, notamment de pays où les prélèvements sont rémunérés, ce qui pose un réel problème éthique et menace notre souveraineté sanitaire.
L’accès des salariés aux collectes de sang constitue un enjeu majeur. Si les entreprises de plus de 500 salariés peuvent ponctuellement organiser de telles collectes en interne, ces initiatives restent facultatives et leur portée limitée : moins d’un salarié sur huit y participe. Il est donc indispensable qu’un dispositif plus structurant, en supprimant les freins organisationnels, permette un accès effectif au don. Tel est l’objet de cette proposition de loi : en autorisant, de manière très encadrée, les salariés à s’absenter pour donner leur sang, leurs plaquettes ou leur plasma, elle opère une avancée concrète, nécessaire, en faveur de la santé publique et de la mobilisation citoyenne.
En 2023, je rédigeais en tant que députée européenne le rapport consacré à la révision du cadre réglementaire concernant les substances d’origine humaine (Soho), c’est-à-dire le sang, le plasma, les tissus, les cellules. Au sein de ce texte, j’ai réaffirmé un principe éthique fondamental, celui du don volontaire et non rémunéré. J’y suggérais également de communiquer sur ce sujet, de sensibiliser nos compatriotes et de faciliter les dons sur le temps de travail, soit l’objet même de la proposition de loi, qui participe pleinement de cette philosophie : les travailleurs ne seront pas rémunérés pour leur geste, mais protégés, ce qui revient à reconnaître concrètement la valeur du don sans en altérer la gratuité.
Lors de l’examen du texte en commission des affaires sociales, nous avons veillé à apporter des garanties supplémentaires, afin de concilier au mieux objectif de santé publique et contraintes économiques des entreprises. J’ai entendu les inquiétudes de certains entrepreneurs, qui redoutent que ce dispositif n’introduise dans leur gestion quotidienne une contrainte de plus : c’est pour répondre à ces préoccupations que des ajustements ont été intégrés au texte.
Ainsi celui-ci prévoit-il désormais que le salarié informe son employeur de son déplacement au moins deux jours plus tôt – trois, si l’amendement de M. le rapporteur en ce sens est adopté. Ce délai de prévenance garantit une organisation optimale du travail au sein de l’entreprise. Par ailleurs, l’employeur peut s’opposer à cette demande pour des motifs tenant à l’organisation et à la continuité du service ou de l’activité économique. En outre, un justificatif pourra être demandé par l’employeur, assurant ainsi un encadrement clair, équilibré et sécurisé pour l’ensemble des parties.
Enfin, des amendements déposés en séance encadrent encore davantage ce droit en précisant notamment la durée de l’absence, le nombre maximum d’absences et l’obligation de se rendre dans le lieu de prélèvement le plus proche de son lieu de travail. Nous appelons bien évidemment à leur adoption.
Le groupe Horizons & indépendants soutient pleinement cette proposition de loi qui permet de renforcer notre souveraineté sanitaire. Ce texte repose sur un équilibre responsable entre les impératifs de santé publique et les réalités du monde du travail. Le don du sang, de plaquettes et de plasma est un enjeu collectif et stratégique ; c’est un impératif de santé publique auquel nous devons répondre sans plus tarder. (Applaudissements sur les bancs de la commission.)
M. le président
La parole est à M. Paul-André Colombani.
M. Paul-André Colombani
Chaque don de sang, de plasma ou de plaquettes est un acte profondément altruiste et solidaire. C’est aussi un geste vital qui sauve plus d’un million de vies chaque année. Derrière chaque don, il y a une personne malade, en situation d’urgence, en traitement contre un cancer ou une maladie hématologique, pour qui ce geste fait toute la différence.
Or nous faisons face à une réalité préoccupante : les réserves de sang sont régulièrement en tension, en particulier lors des vacances d’été ou d’hiver. Le don de plasma est dans une situation critique. Plus de 60 % du plasma utilisé en France est importé. Cette dépendance extérieure est un facteur de fragilité. Elle soulève aussi une véritable question éthique car, dans un pays comme les États-Unis, le don est rémunéré, ce qui entre en totale contradiction avec notre modèle fondé sur le bénévolat et la non-marchandisation du corps humain.
Les besoins explosent pourtant, notamment en raison du vieillissement de la population, de la progression des maladies chroniques et des évolutions médicales. Face à ces enjeux, nous devons lever les obstacles au don, au premier rang desquels le manque de temps. De nombreux actifs souhaitent procéder à un don mais y renoncent faute de pouvoir s’absenter de leur lieu de travail. C’est pourquoi notre groupe soutient pleinement cette proposition de loi qui vise à ouvrir un droit à s’absenter pour donner son sang, son plasma ou ses plaquettes. C’est un levier concret, utile, qui complète les textes existants.
La commission a permis d’améliorer le dispositif en prévoyant notamment le maintien obligatoire de la rémunération – nous le saluons. Au cours des débats, nous avions soulevé d’autres préoccupations relatives à la confidentialité des justificatifs et à la question des plafonds annuels. Nous nous félicitons que ces complexités aient été écartées.
Notre engagement doit se poursuivre au-delà de ce texte. D’une part, il convient de renforcer l’information des citoyens. Aujourd’hui, seuls 37 % de nos concitoyens se sentent bien informés sur le don de plasma. D’autre part, il convient de mieux soutenir l’EFS, qui fête ses vingt-cinq ans. Faute de moyens, l’établissement doit parfois réduire ses collectes et les bénévoles pallier les manques.
L’adoption de ce texte permettrait de faciliter un geste simple qui peut sauver une vie. Elle permettrait aussi d’affirmer notre attachement à un modèle de santé éthique, solidaire et profondément humain. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Yannick Monnet.
M. Yannick Monnet
Nous nous retrouvons aujourd’hui afin d’examiner une proposition de loi permettant aux salariés et aux agents publics de participer à des collectes de sang, de plaquettes et de plasma sur leur temps de travail, en dehors de leur entreprise ou de leur collectivité, sans perte de salaire et de traitement.
Ce texte répond à une véritable urgence : celle de soutenir et de favoriser les collectes de sang. En effet, si notre pays peut compter sur plus de 1,5 million de donneurs, ils ne représentent que 3,5 % de la population en âge de donner son sang. Or 10 000 dons de sang par jour sont nécessaires pour soigner 1 million de malades par an dans le cadre de soins aussi diversifiés que des chirurgies, des traitements contre le cancer ou des soins d’urgence. La France se voit ainsi dans l’obligation d’importer un grand nombre de préparations sanguines. S’agissant du plasma, la collecte nationale ne permet de couvrir qu’un tiers des besoins.
De fait, depuis plusieurs années, les personnes malades subissent le contingentement et la priorisation des médicaments dérivés du plasma. Les deux tiers de ces médicaments sont importés des États-Unis où les prélèvements n’obéissent pas à nos principes éthiques, à commencer par celui qui interdit formellement de rémunérer le donneur. De surcroît, ces produits importés représentent un coût pour la sécurité sociale de 400 millions d’euros par an.
Alors que la Journée mondiale des donneurs de sang sera célébrée le 14 juin prochain et que l’EFS fête ses vingt-cinq années d’existence, cette proposition de loi est la bienvenue. Elle vise à renforcer notre indépendance sanitaire tout en préservant le modèle éthique incarné par l’EFS et fondé sur le bénévolat, l’anonymat, le volontariat et l’absence de profit.
Cette proposition de loi n’aura de portée réelle qu’à la condition que le gouvernement s’engage à soutenir de l’EFS tant sur le plan financier que sur les plans stratégique et politique. Il est en effet essentiel de préserver l’EFS d’un marché du sang libéralisé et non éthique actuellement en pleine expansion. Malheureusement, ces engagements n’ont pas encore été pris par le gouvernement, tant s’en faut.
En 2023, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, le gouvernement a abrogé l’article L. 5121-11 du code de la santé publique – sans discussion, par le biais du 49.3. Jusqu’à cette abrogation, le recours aux produits étrangers relevait d’un régime dérogatoire très encadré, qui ne se justifiait que par une efficacité ou une sécurité thérapeutique supérieure du produit, ou par un manque de produits français. Le gouvernement a donc fait le choix de favoriser le marché étranger, qu’il qualifiait lui-même de « diversifié », au mépris des règles éthiques et au détriment de l’EFS et du LFB, clairement favorisés par ces dispositions dérogatoires.
En outre, le recours aux produits étrangers est accentué par le manque de moyens financiers récurrent de l’EFS. Certes, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 a acté l’octroi d’une dotation pérenne de la Caisse nationale de l’assurance maladie à l’EFS, mais cette dotation, portée à un peu plus de 114 millions d’euros, compense à grand-peine les pertes de recettes accumulées par l’EFS à la suite de la modification du régime de TVA appliqué aux cessions de plasma.
L’arrêté du 27 juin 2024 a porté le tarif de cession du plasma à 140 euros par litre, contre 120 euros précédemment, mais ce prix de cession n’avait pas évolué depuis l’arrêté du 9 mars 2010 – soit quatorze ans. C’est un non-sens quand on sait que l’EFS est théoriquement en mesure de développer un plan plasma visant la collecte de 1,4 million de litres en 2026-2027, soit 50 % des besoins nationaux, si tant est que l’État lui en donne les moyens financiers et humains. Pourtant, même ce niveau ne serait pas suffisant pour freiner les importations étrangères non éthiques. Pour les grands groupes qui fixent librement le prix de vente du plasma, cette activité est devenue un marché très lucratif : estimé à 30 milliards de dollars en 2022 au niveau mondial, ce marché pourrait atteindre 50 milliards en 2029.
Dans ce contexte, il est essentiel de favoriser la solidarité des donneurs. Les députés communistes et des territoires dits d’outre-mer soutiendront cette proposition de loi. Toutefois, il est nécessaire de rappeler que la préservation et le soutien de notre modèle éthique de don relèvent de la responsabilité du gouvernement et mériteraient de faire l’objet d’un débat à part entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. le rapporteur et M. Sébastien Peytavie applaudissent également.)
M. le président
La parole est à M. Matthieu Bloch.
M. Matthieu Bloch
Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui porte une ambition forte : celle de faciliter l’engagement citoyen au service de la santé publique en autorisant les salariés et les agents publics à donner leur sang, leur plasma ou leurs plaquettes sur leur temps de travail. Chacun le sait ici, ces trois types de don constituent des gestes vitaux. Ils sauvent chaque année près de 1 million de vies dans notre pays et permettent de soigner des pathologies lourdes, des cancers, des maladies du sang, des hémorragies. Ils permettent aussi la fabrication de médicaments dérivés du plasma, indispensables dans de nombreux traitements.
Ces dons constituent aussi un acte de fraternité fondé sur trois piliers que nous devons préserver : le bénévolat, la gratuité et l’anonymat. C’est là l’essence même de notre modèle éthique du don. La présente proposition de loi renforce ce modèle de façon mesurée et pragmatique. Elle ne bouleverse pas les équilibres entre salariés et employeurs. Elle n’impose pas ; elle autorise, elle facilite.
Le principal obstacle au don n’est pas la réticence, c’est le manque de temps, la difficulté de concilier engagement solidaire et contraintes professionnelles. Cette proposition de loi permet donc aux actifs des secteurs public et privé de s’absenter pendant leur temps de travail afin de se rendre à une collecte. L’autorisation d’absence est encadrée : elle suppose un préavis de 48 heures et peut être refusée par l’employeur pour des raisons d’organisation ou de continuité du service. De plus, elle se limite à une absence par mois – un niveau situé bien en deçà des plafonds autorisés par la réglementation des dons.
L’objectif n’est pas d’encourager la désorganisation des entreprises et de nos services publics, mais d’accompagner l’engagement, en particulier celui du premier don. On sait que le premier pas est souvent le plus difficile et c’est souvent au travail que naît cet élan de solidarité.
Il convient de saluer l’esprit consensuel de ce texte et des travaux de la commission. La proposition de loi intègre les préoccupations des chefs d’entreprise, des donneurs bénévoles, des associations de terrain, de l’EFS et des différents groupes parlementaires. Elle est le fruit d’un dialogue transpartisan respectueux du travail de chacun – nous pouvons nous en féliciter.
Le groupe UDR est particulièrement sensible à l’objectif d’indépendance sanitaire mis en avant par ce texte. En effet, les chiffres sont clairs : la France ne produit qu’un tiers du plasma dont elle a besoin. Les deux tiers restants sont importés, généralement des États-Unis, où le don est rémunéré et s’effectue dans des conditions qui dérogent à notre conception de l’éthique. Cette dépendance pose une triple question éthique, sanitaire et économique. Encourager la collecte nationale permet non seulement de réduire notre dépendance, mais aussi de sécuriser notre système de soins et de préserver un modèle humaniste qui refuse la marchandisation du corps.
Ce texte est aussi porteur d’une vision : celle d’une société du soin, de la solidarité concrète, du civisme actif. En reconnaissant le droit de s’absenter pour donner son sang, nous ne créons pas un avantage indu ; nous reconnaissons simplement un engagement et nous encourageons une culture du don, laquelle a toute sa place dans la vie professionnelle.
Je n’ignore évidemment pas les limites du texte. Il ne réglera pas toutes les tensions logistiques de l’EFS, pas plus qu’il ne comblera instantanément le déficit de donneurs. En revanche, il marque un premier pas décisif. Le rapport d’évaluation prévu dans deux ans nous permettra d’ajuster ses dispositions, de les compléter, voire de les renforcer si nécessaire. Au sein du groupe UDR, nous considérons qu’il est de notre responsabilité de franchir ce premier pas.
Alors que la Journée mondiale des donneurs de sang approche, je veux redire que donner son sang est un geste de générosité qui implique de donner de son temps et de soi, et qui exprime la conviction que chaque vie préservée est une victoire commune. Au nom de ces valeurs que nous partageons, le groupe UDR votera en faveur de la proposition de loi et appelle chacun des groupes à la soutenir afin que ce geste de solidarité devienne une évidence. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. le président
La parole est à M. Théo Bernhardt.
M. Théo Bernhardt
Je commencerai mon propos en vous rappelant une donnée : en France, le nombre annuel moyen de dons du sang par donneur est de 1,6. C’est bien trop faible. Cela nous amène à aborder une question sanitaire importante : celle de l’accès de tous au don du sang. La pénurie chronique que connaît notre pays l’exige ; elle appelle un sursaut civique et législatif.
Faciliter le don sur le temps de travail, c’est transformer chaque lieu d’emploi en un maillon de la chaîne transfusionnelle. Le Rassemblement national souscrit pleinement à cette ambition et c’est pourquoi plusieurs de nos députés ont cosigné ce texte. N’oublions pas que le don de sang dépasse le seul cadre des transfusions. Il est aussi indispensable à la recherche médicale et à l’élaboration de nouveaux traitements. Toutefois, comme nous l’avons clairement rappelé en commission, le succès de ce texte nécessite un équilibre subtil entre l’élan altruiste des salariés et les impératifs légitimes de continuité opérationnelle des entreprises.
Nous constatons avec satisfaction que nos propositions ont permis des avancées importantes en commission. Je tiens en particulier à saluer l’autorisation donnée à l’employeur, et strictement encadrée, de refuser ou de reporter une absence si celle-ci met en difficulté la continuité du service ou de l’activité. Cette disposition répond aux inquiétudes légitimes des TPE et des PME, soucieuses d’éviter toute désorganisation majeure.
Forts de cet esprit constructif, nous défendrons en séance trois axes complémentaires visant à garantir l’efficacité du texte.
Dans un premier temps, nous demanderons l’introduction d’un délai de préavis de soixante-douze heures entre la demande d’absence et la date effective du don. Ce délai de prévenance constitue un compromis indispensable ; il permettra aux employeurs d’organiser au mieux leurs activités sans faire du geste solidaire une contrainte logistique insurmontable.
Nous sommes également attachés à la protection des donneurs. Il faut renforcer les garanties contre toute forme de discrimination professionnelle. À l’image des pompiers volontaires, nul salarié ou agent public ne doit subir de sanction, déclassement ou ralentissement de carrière en raison de son engagement civique pour le don de sang.
Enfin, une dynamique collective pourrait naître de l’incitation des entreprises de plus de 250 salariés à organiser des collectes directement sur leurs sites, en partenariat avec l’EFS. C’est ainsi que nous favoriserons concrètement l’engagement collectif des salariés tout en limitant les contraintes organisationnelles.
Nous regrettons que les deux amendements que nous avons déposés pour introduire ces deux dernières dispositions dans la proposition de loi aient été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 : ils auraient constitué des plus-values importantes pour le texte.
Reste enfin une question centrale, probablement celle qui suscitera le plus de débats : le nombre maximal annuel d’absences autorisées pour les dons de sang, de plasma et de plaquettes. Le Rassemblement national proposera un plafond fixé à une absence par mois, soit douze par an. Ce chiffre constitue l’équilibre idéal entre les besoins impérieux de l’EFS et les réalités économiques. Aller au-delà de ce seuil serait prendre le risque de fragiliser l’organisation des entreprises, notamment des petites structures. Douze, c’est la juste mesure, équilibrée et réaliste. Nous restons néanmoins ouverts au dialogue afin de trouver un compromis qui satisfera la majorité dans cet hémicycle.
Rappelons que le sang ne peut être produit artificiellement ; il ne peut qu’être donné – sauf au Japon où une équipe de chercheurs serait en passe de développer un sang artificiel universel. Pour que cette chaîne essentielle tienne bon, chacun doit jouer son rôle : le salarié altruiste, l’employeur responsable et nous, législateurs, à qui il revient de fixer des règles claires et équilibrées.
Nos échanges en commission furent fructueux et constructifs. Je forme le vœu que cette dynamique positive perdure dans nos débats d’aujourd’hui, afin de livrer à nos concitoyens une loi ambitieuse, pragmatique et juste. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à Mme Camille Galliard-Minier.
Mme Camille Galliard-Minier
« En une heure, j’ai sauvé trois vies. Et vous, qu’attendez-vous ? » Cette question, c’est celle posée par l’Établissement français du sang pour encourager les Françaises et les Français à donner leur sang, leur plasma ou leurs plaquettes.
Sauver une vie : il n’existe sans doute pas d’acte plus simple, plus concret, plus fort, pas d’acte de plus grande fraternité et de plus grande solidarité que chacune et chacun puisse faire pour une personne hospitalisée. Le don de sang change la vie de 1 million de personnes en France chaque année. Pour une femme qui accouche, pour une personne victime d’un accident, pour un malade atteint de cancer, chaque don compte.
M. Erwan Balanant
À l’Assemblée, il y a d’ailleurs une collecte mardi prochain !
Mme Camille Galliard-Minier
Le don se fait sans engagement, il est libre et ponctuel ; chaque personne âgée de 18 à 70 ans peut donner son sang, son plasma ou ses plaquettes. Pourtant, aujourd’hui, seulement moins de 4 % de la population concernée donne son sang chaque année. Il est essentiel de trouver des moyens d’incitation : d’une part, en facilitant le don pour les personnes qui donnent déjà ; d’autre part, en incitant celles et ceux qui n’ont jamais donné à passer la porte des maisons du don. C’est le double objectif de cette proposition de loi, qui vise à permettre aux salariés et aux agents publics de participer aux collectes de don de sang, de plaquettes ou de plasma sur leur temps de travail.
L’ensemble des acteurs publics et associatifs du don du sang dressent un constat unanime : le système français, modèle de rigueur et d’éthique, tient bon. Il a tenu bon même durant les pires heures de la crise sanitaire, sans qu’une seule poche de sang manque. Ce fait mérite d’être salué, ainsi que l’engagement des donneurs, du personnel de l’Établissement français du sang et des bénévoles associatifs.
Mais ce système est en tension. Et cette tension ne relève pas d’un incident passager : elle est structurelle, car liée à la durée limitée de conservation – quarante-deux jours pour les globules rouges, cinq jours pour les plaquettes. Cela implique un renouvellement permanent des stocks. Cette tension est davantage marquée pour le plasma. Le besoin en plasma et en médicaments dérivés connaît en effet une croissance soutenue de l’ordre de 5 % à 7 % par an.
La France importe près de 70 % de son plasma des États-Unis, où le don de sang est rémunéré, ce qui soulève des questions éthiques importantes. Chaque donneur américain peut donner son plasma jusqu’à cent fois par an, alors que le nombre de dons est limité à vingt-quatre par an en France. Cette fréquence ne permet pas d’assurer une qualité optimale du sang collecté puisque la quantité de protéines diminue au fur et à mesure des dons de la même personne.
Nous devons réduire les importations pour gagner en souveraineté sanitaire, ce qui passe par une large collecte de produits sanguins, grâce notamment à cette proposition de loi. La santé de nos concitoyens ne peut dépendre d’un marché mondial incertain. Les médicaments issus du plasma – immunoglobuline, albumine, facteur de coagulation – sont vitaux pour des centaines de milliers de patients atteints de maladies auto-immunes, d’hémophilie ou de déficits immunitaires.
M. le ministre l’a rappelé, pour retrouver une forme d’autosuffisance, l’EFS a lancé le plan Ambition plasma, soutenu par les pouvoirs publics. Mais ce plan, aussi ambitieux soit-il, ne pourra réussir sans mobilisation nationale. Il faut notamment lever les obstacles concrets à l’acte de don.
Le premier obstacle est la disponibilité : comment concilier cet acte de solidarité avec les contraintes du quotidien ? En permettant aux salariés et aux agents publics de donner leur sang pendant leur temps de travail, cette proposition de loi facilite le don en journée et ouvre des possibilités nouvelles, qui plus est aux heures d’ouverture des maisons du don.
Ce texte a été conçu, je le rappelle, avec le souci de préserver un équilibre juste entre le droit des salariés à s’engager et les contraintes d’organisation des employeurs. Encourager le don ne doit pas désorganiser les entreprises, en particulier les plus petites. C’est ce cadre équilibré que nous avons défendu tout au long des débats.
Le second obstacle est la méconnaissance, voire l’appréhension de l’acte de don lui-même. Avec cette proposition de loi, le don entre dans le monde de l’entreprise, bénéficiant ainsi d’une forte communication et de la force du collectif. Porté par des collègues, il peut devenir une expérience partagée, source de cohésion et de fierté au sein des équipes.
Cette proposition de loi est à la croisée de nombreux enjeux – de santé publique, de solidarité, d’organisation du travail, de souveraineté sanitaire. Elle est à la fois simple et ambitieuse. Elle ne crée pas une obligation ; elle ouvre une possibilité. Elle ne prétend pas résoudre toutes les tensions du système du don du sang en France, mais elle apporte une réponse concrète, pragmatique et humaine. À l’approche de la Journée mondiale des donneurs de sang, le 14 juin, ce texte affirme une République du soin et de la fraternité. C’est pourquoi le groupe Ensemble pour la République le soutiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Bérenger Cernon.
M. Bérenger Cernon
Le texte que nous examinons aujourd’hui permet aux salariés de donner leur sang, leur plasma ou leurs plaquettes pendant leur temps de travail. C’est une mesure concrète et de bon sens. Donner son sang, ce n’est pas un geste anodin. C’est avant tout un acte de solidarité, un acte profondément humain. Encourager le don constitue à l’évidence un objectif d’intérêt général.
Mais aujourd’hui, la situation se tend. Seulement 3,5 % de la population en âge de donner le fait et l’Établissement français du sang, qui est en première ligne, peine à maintenir ses stocks. Nous en sommes même loin : la France reste dépendante des importations de plasma pour fabriquer des médicaments dérivés.
Dans ce contexte, accroître le nombre de donneurs est évidemment une nécessité. Pour cela, il faut lever les freins au don, parmi lesquels l’organisation du travail – c’est le temps qu’on n’a pas, l’autorisation qu’on n’ose pas demander, parfois la pression indirecte d’un supérieur.
L’intention de ce texte est louable, mais il reste, hélas, trop timide. Le problème est qu’il néglige la réalité des rapports de force au travail. Dans de nombreuses entreprises, demander à s’absenter pour donner son sang peut devenir un sujet de tension, voire de pression, pire de discrimination. On ne peut pas l’ignorer.
Pour que ce droit existe vraiment, il faudrait l’encadrer légalement, prévoir des garanties et ainsi protéger les donneurs. Sinon, nous prenons le risque de faire peser encore une fois la responsabilité sur les individus. Vous n’êtes pas sans savoir que c’est une tendance qu’on retrouve ici bien trop souvent. Nous avons devant nous la possibilité d’ouvrir un droit nouveau pour les salariés. Mais pour que ce droit soit réel, il faut de réels moyens coercitifs.
Oui, ce texte est lacunaire quant aux obligations pour l’employeur et aux sanctions en cas d’entrave au don. Il y aura toujours un lien de subordination entre l’employeur et le salarié, c’est indéniable. Il nous appartient de construire cette proposition de loi en tenant compte de ce facteur.
Le texte ne protège pas les salariés face au risque bien réel de discrimination. En l’état, il permet à l’employeur de refuser l’absence sans justification. Il n’oblige à rien. Il ne garantit rien. Qui peut croire qu’un salarié ou une salariée qui s’absente plusieurs fois par an ne se l’entendra pas reprocher un jour, au moment de demander une promotion ou de négocier une rupture conventionnelle ? Ce texte semble plus soucieux de ne pas froisser les employeurs que de garantir aux salariés leur liberté de participer à un effort de santé publique.
La réalité, c’est que ce texte reflète une contradiction de fond : si l’objectif de santé publique est d’intérêt général, alors ce droit doit s’exercer dans un cadre légal juridiquement sûr et il faut prévoir des moyens de contrôle et de sanction, notamment grâce à un contrôle renforcé de l’inspection du travail. Vous défendez ici un droit théorique, mais vous refusez de le rendre effectif.
La proposition de loi ne fait par ailleurs que masquer les difficultés structurelles de l’Établissement français du sang. On ne peut pas se contenter d’appeler à la mobilisation citoyenne en laissant l’EFS dans une situation financière tendue, avec des effectifs insuffisants.
Permettez-moi de rappeler que le service public du sang repose sur des principes éthiques non négociables : le bénévolat, l’anonymat, la gratuité et la non-marchandisation du corps humain. Ce modèle est précieux. Il doit être défendu avec force, y compris face à l’obsession du rendement. L’EFS a connu des années très difficiles alors que nous devons lui donner les moyens d’agir. Le volontariat ne suffira pas si le service public du sang est asphyxié, si les donneurs ne sont ni protégés, ni soutenus, ni accompagnés. Le sang n’est pas une marchandise. Il ne doit pas devenir une variable d’ajustement. Il est impératif que nous nous dotions d’un vrai soutien public durable. Il nous faut une politique nationale cohérente et ambitieuse afin d’atteindre l’autosuffisance et de garantir un modèle viable.
Nous voterons pour ce texte : il ouvre une porte, il envoie un signal. Mais nous ne perdrons pas de vue nos objectifs : faire du don du sang un droit réel pour les travailleurs ; défendre un service public fort, éthique et accessible partout sur le territoire ; faire le choix de la solidarité contre la marchandisation. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Pierrick Courbon.
M. Pierrick Courbon
En France, en 2024, selon l’Établissement français du sang, il fallait pour répondre aux besoins en sang et en produits dérivés du sang près de 10 000 dons journaliers pour soigner près de 1 million de patients par an. Ce volume, nous le savons, est loin d’être atteint. Pire encore, on constate une tendance à la baisse du nombre de dons depuis 2015, malgré la collecte de plus de 2,5 millions de dons consentis par 1,5 million de donneurs en 2024.
On peut donc parler de crise silencieuse, avec une conséquence directe et préoccupante : aujourd’hui, notre pays est contraint d’importer une part importante, les deux tiers, du plasma thérapeutique nécessaire à ses besoins, ce qui remet en cause notre souveraineté sanitaire.
Notre principal fournisseur, les États-Unis, a adopté un modèle qui n’est pas le nôtre : les donneurs y sont rémunérés et peuvent effectuer jusqu’à cent dons dans une année ; le don est une source de revenu au détriment de leur santé et peut-être de la qualité du produit. À l’opposé de cette éthique, le modèle français repose sur un triptyque qui a été rappelé, auquel nous sommes très attachés : bénévolat, anonymat et non-profit.
Si nous voulons préserver ce modèle tout en ayant l’ambition de répondre davantage à nos besoins et de conforter notre autonomie sanitaire, alors il nous faut œuvrer pour recruter de nouveaux donneurs, pour les fidéliser, pour inciter au don régulier et pour faciliter la démarche de solidarité. Là est bien l’objectif de ce texte, qui s’adresse spécifiquement aux salariés du privé et aux agents du secteur public, une population cible statistiquement apte et disposée à donner.
Bien que son ambition demeure modeste, nous soutiendrons évidemment cette proposition de loi que plusieurs de mes collègues et moi-même avons cosignée, et ce d’autant plus que nous l’avons collectivement améliorée en commission en garantissant non seulement la possibilité de donner son sang pendant le temps de travail – y compris quand les collectes n’ont pas lieu directement dans l’entreprise ou l’institution publique –, mais aussi et surtout en assurant le maintien du salaire pendant cette manifestation de générosité – c’était la pierre angulaire du texte.
Nous souhaitons proposer un texte équilibré, levant les entraves – terme désormais célèbre – au don pour les salariés tout en proposant un cadre juridique clair et sûr pour les employeurs. Malgré tout, quelques voix se sont élevées ces derniers jours, émanant de diverses organisations patronales, qui se sont émues des conséquences, notamment économiques, de l’adoption de ce texte. Disons-le clairement : ces réactions ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Donner son sang, c’est sauver des vies ; c’est par définition un enjeu collectif d’intérêt général qui nécessite que chacun prenne sa part.
Permettez-moi de souligner, et de regretter, tout ce qui ne figure pas dans cette proposition de loi et qui mériterait sans doute de faire l’objet de futurs textes législatifs, plus ambitieux, mais surtout d’engagements budgétaires significatifs, en particulier pour soutenir l’opérateur public qu’est l’Établissement français du sang, tant en matière de ressources humaines que de moyens immobiliers et matériels. En 2022, plusieurs milliers de collectes ont été annulées du fait d’un manque de personnel au sein de l’EFS. On estime aujourd’hui à près de 200 le nombre de postes supplémentaires nécessaires. Il conviendrait aussi de faire sortir de terre davantage de maisons du don afin de garantir un maillage territorial plus dense – les volumes de collecte en dépendent en grande partie.
Enfin, il nous faut veiller à soutenir davantage le bénévolat associatif : les milliers d’associations de donneurs de sang et les quelque 750 000 bénévoles qui organisent la collecte de proximité dans nos villages et nos quartiers. Confrontées à l’érosion de l’engagement, au vieillissement des bénévoles, en particulier dans les postes à responsabilités, et à des difficultés croissantes pour conduire des actions de sensibilisation, notamment en milieu scolaire, les associations nous le disent unanimement : au vu du contenu des PLFSS successifs, le gouvernement n’est pas à la hauteur de leur engagement bénévole. Le sort réservé aux amendements que nous déposons régulièrement pour renforcer les moyens de l’EFS – du moins ce qu’il en reste, après l’usage du 49.3, devenu la norme – le montre également.
Espérons qu’il n’en sera pas de même dans quelques mois. Ce serait risquer de démontrer que notre ambition collective unanime – du moins j’ose l’espérer – de ce jour est teintée d’une certaine forme d’hypocrisie… (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. le président
La parole est à Mme Josiane Corneloup.
Mme Josiane Corneloup
Le groupe Droite républicaine soutient avec une conviction profonde cette proposition de loi déposée par notre collègue Pierre Cordier. Ce texte vise à répondre à un impératif majeur de santé publique : garantir la souveraineté sanitaire de notre pays en matière de produits sanguins tout en réaffirmant avec force les valeurs fondatrices de notre modèle du don, que sont le volontariat, l’anonymat et la gratuité. Nous devons rappeler notre attachement indéfectible au modèle français du don du sang, fondé sur le bénévolat, à la fois éthique, solidaire et efficace. Ce modèle n’est pas seulement une organisation technique ; c’est un choix de société. Il incarne un idéal républicain : celui d’un engagement désintéressé au service des autres.
Chaque jour, 10 000 dons sont nécessaires pour sauver des vies, accompagner les traitements de milliers de malades et répondre à des urgences chirurgicales ou hématologiques. Les dons de sang permettent de soigner 1 million de personnes chaque année : victimes d’hémorragies, patients atteints de maladies du sang ou de cancers. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 47 % des dons bénéficient aux personnes atteintes d’une pathologie hématologique et aux patients atteints de cancers et 35 % aux personnes subissant une intervention chirurgicale. Pourtant, seuls 3,52 % des Français en âge de le faire donnent leur sang chaque année. Ce taux est trop faible pour répondre à la demande croissante, notamment en matière de plasma et de plaquettes. En 2023, près de 80 000 dons de plaquettes et 329 000 dons de plasma ont été recensés, alors que l’Établissement français du sang estimait à 60 000 le nombre de dons de plasma supplémentaires nécessaires d’ici à 2025.
En complément des collectes permanentes, des opérations ponctuelles sont organisées au sein des entreprises. Pourtant, seuls 8 à 12 % des salariés y participent. La principale raison est simple : la difficulté de se libérer pendant le temps de travail. C’est précisément cette difficulté que la proposition de loi entend résoudre. Le temps requis pour un don est raisonnable : il faut se rendre disponible soixante minutes pour un don de sang, quatre-vingt-dix minutes pour un don de plasma, et cent vingt minutes pour un don de plaquettes. Ce temps est facilement conciliable avec les obligations professionnelles, mais il doit être reconnu et encadré pour être compatible avec elles.
Le texte propose donc de permettre aux salariés et aux agents publics de s’absenter pendant leur temps de travail pour effectuer un don de sang, de plasma ou de plaquettes – un acte civique ne devrait pas être empêché par une contrainte professionnelle. Mais cette avancée ne se fait pas sans garde-fous et le texte est équilibré : il limite les absences à une par mois et prévoit un préavis obligatoire, un justificatif établi par l’EFS et la possibilité pour l’employeur de s’opposer à une absence en cas de nécessité liée à l’organisation du service ou à la continuité de l’activité économique.
Deux amendements du rapporteur, adoptés en commission, renforcent ce cadre. Le salarié doit informer son employeur deux jours avant le don. La rémunération est intégralement maintenue pendant la durée de l’absence, ce qui permet de concilier le soutien au don du sang et la préservation du fonctionnement de l’entreprise. Un article additionnel prévoit la remise d’un rapport sur les effets de l’autorisation d’absence pour en mesurer l’impact sur la sensibilisation au don et sur la fréquentation des collectes.
Notre ambition va encore plus loin : nous souhaitons renforcer la mobilisation dans les territoires ruraux, insulaires et de montagne, et associer davantage les associations locales, les services de santé au travail, ainsi que les comités sociaux et économiques. Tous ces acteurs ont un rôle essentiel à jouer pour informer, sensibiliser et coordonner les collectes. Enfin, nous affirmons la reconnaissance pleine et entière de l’engagement des bénévoles qui œuvrent chaque jour au service de l’Établissement français du sang. Sans eux, rien ne serait possible et de nombreuses vies ne pourraient être sauvées.
La proposition de loi vise à introduire un nouvel article dans le code de la santé publique garantissant explicitement aux salariés la possibilité de s’absenter pour participer à un don de sang, de plaquettes ou de plasma tout en conservant leur rémunération et sans bousculer leur activité professionnelle. Permettre, encourager, encadrer : telle est notre ambition.
Donner son sang, c’est sauver des vies, mais c’est aussi affirmer un modèle de solidarité et de fraternité auquel nous croyons profondément. Le groupe Droite républicaine appelle donc l’Assemblée à une adoption large et unanime de ce texte indispensable. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. le président
La parole est à M. Belkhir Belhaddad.
M. Belkhir Belhaddad
Lors de cette semaine transpartisane, nous examinons la proposition de loi défendue par Pierre Cordier visant à permettre aux salariés de participer aux collectes de sang, de plaquettes ou de plasma sur leur temps de travail. Je remercie notre collègue pour cette proposition de loi. Comme vous tous, je demeure très attaché au modèle du don de sang français, anonyme et gratuit, qui s’appuie sur un réseau de bénévoles et un maillage géographique très fins. Il s’agit de couvrir le territoire et les besoins en faisant appel à la citoyenneté et au civisme de nos concitoyens. Nous devons développer notre capacité à répondre à des situations de crise ou d’urgence.
Ce modèle fonctionne – il est incarné au quotidien par nos bénévoles –, mais il est régulièrement menacé. Nous ne devons pas ignorer et minimiser les menaces, qui sont diverses : l’intérêt du marché pour les profits tirés du sang et de ses dérivés, notamment plasmatiques ; la diversité des modèles à l’échelle de l’Union européenne, certains pays ayant la capacité de répondre à des situations de crise sans crainte de rupture d’approvisionnement ; les coûts engendrés par notre propre modèle – paradoxalement, la gratuité a tendance à coûter plus cher que le modèle onéreux de nos voisins ; les débats sur la bioéthique – le refus de la marchandisation du corps est une ligne rouge qui doit être réaffirmée, quel que soit le contexte.
Ces menaces et ces tensions, il nous faut les affronter en face et ensemble. La proposition de loi, en abordant le sujet du don du sang, nous amène à nous pencher sur des questions cruciales liées à la santé publique, à la solidarité nationale et à la souveraineté sanitaire.
Concernant la santé publique, rappelons qu’aucun traitement ni aucun médicament de synthèse ne peuvent remplacer le sang humain. Près de 1 million de patients sont soignés chaque année grâce à des produits sanguins, ce qui nécessite 10 000 dons de sang chaque jour. Aujourd’hui, le nombre de dons est insuffisant. Or les raisons invoquées par les possibles donneurs sont notamment les difficultés d’accès aux collectes.
Les salariés souhaitant donner leur sang ne peuvent pas se rendre régulièrement sur les sites de prélèvement. Seuls 8 à 12 % d’entre eux participent aux collectes organisées en entreprise. Ce taux insuffisant s’explique principalement par l’obligation, pour les salariés du privé, d’obtenir au préalable l’accord de leur employeur. Le soutien à l’Établissement français du sang, service public du sang qui fête ses vingt-cinq ans en 2025, doit être réaffirmé. Le plan de transformation et de modernisation de l’EFS défini en 2024 devrait lui permettre de se renforcer et de répondre aux enjeux en matière de collecte et de distribution des produits sanguins.
S’agissant de la solidarité nationale, le don du sang est un acte civique, volontaire, bénévole, anonyme et gratuit. C’est ce modèle français et son éthique, auxquels nous sommes tous attachés, que nous devons préserver.
En ce qui concerne la souveraineté sanitaire enfin, si le perfectionnement des techniques médicales a permis de réduire quelque peu la pression sur les stocks de produits sanguins, leur collecte et leur distribution s’inscrivent dans un contexte de tension permanente – les dons doivent permettre de répondre aux aléas et aux pics d’activité sanitaire.
Face à ces enjeux et pour répondre aux besoins, le cadre juridique doit s’adapter pour faciliter l’acte de don. Il est nécessaire de préserver le modèle éthique et rigoureux de la procédure française du don de sang, de plaquettes et de plasma. Les garanties apportées à celles et ceux qui décident de donner leur sang doivent être réaffirmées pour les sécuriser dans cet acte solidaire : les critères stricts quant à la sécurité transfusionnelle, l’entretien médical confidentiel préalable, l’encadrement de la fréquence des dons et l’accompagnement médical. Enfin, l’Établissement français du sang et le Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA) doivent rester les seules institutions autorisées à collecter le sang.
La proposition de loi que nous discutons ce soir s’inscrit dans ce cadre rigoureux et nécessaire. Elle offre une possibilité nouvelle pour celles et ceux qui souhaitent donner leur sang. En facilitant la participation des salariés et des agents publics à des collectes de sang, grâce au maintien de droit de leur rémunération pendant leur absence et à des dispositions clarifiant leurs relations avec l’employeur, le texte issu de la commission apporte une solution équilibrée pour favoriser le don de sang. Il prolonge ainsi la culture du don dans la vie professionnelle. Pour toutes ces raisons, je soutiendrai la proposition de loi. (M. Pierrick Courbon applaudit.)
M. le président
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Cordier, rapporteur
Monsieur le ministre, je vous remercie pour vos propos. J’insisterai sur l’équilibre du texte – il est fondamental. Nous l’avons évoqué en commission, il ne s’agit pas de déstabiliser le monde économique en autorisant des salariés à partir n’importe quand, sans délai de prévenance. L’équilibre auquel nous avons abouti explique sans doute que dix groupes sur onze, ainsi que les députés non inscrits, aient exprimé un sentiment positif sur cette proposition de loi. Nous la renforcerons encore grâce à des amendements, chers collègues.
Le monde économique est un peu inquiet – il faut dire les choses, un certain nombre d’informations m’ont été remontées. Mais nous sommes véritablement dans une démarche transpartisane, vous l’avez souligné et je vous en remercie. Il y a quelques années, j’étais monté vigoureusement au créneau contre un rapport de la Cour des comptes qui préconisait de rémunérer les donneurs comme aux États-Unis. Nous voulons préserver le modèle à la française, dans lequel on ne rémunère pas les donneurs quelques euros comme c’est le cas aux États-Unis et dans certains pays d’Europe. Telle est la philosophie de ce texte, dont nous examinerons les amendements tout à l’heure.
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
6. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi permettant aux salariés de participer aux collectes de sang, de plaquettes ou de plasma sur leur temps de travail ;
Discussion de la proposition de loi visant à exercer l’accès à l’emploi, pérenniser et étendre progressivement l’expérimentation Territoires zéro chômeur longue durée comme solution de retour à l’emploi pour les personnes privées durablement d’emploi.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra