Deuxième séance du lundi 23 juin 2025
Présidence de M. Roland Lescure
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
1. Programmation pour la refondation de Mayotte
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (nos 1470, 1573).
Discussion des articles
M. le président
J’appelle, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte.
Je vous rappelle que le titre Ier est réservé à la demande du gouvernement. Nous abordons donc directement l’article 2.
Article 2 (appelé par priorité)
M. le président
La parole est à M. Yoann Gillet.
M. Yoann Gillet
Mayotte est un territoire de la République française qui vit une crise sans précédent, principalement causée par la submersion migratoire. Face à cette situation critique, ce texte, et en particulier cet article, apportent un tout petit début de réponse aux dérives de l’immigration familiale incontrôlée.
Chaque année, des milliers de cartes de résident pour parent d’enfant français, ou au titre des liens personnels et familiaux, sont accordées à Mayotte : 13 500 en 2023, plus de 15 000 en 2024. Près de 85 % des titres délivrés pour des parents d’enfants français, et plus de 90 % de ceux délivrés au titre des liens personnels et familiaux, concernent des étrangers entrés en situation irrégulière. Notre législation encourage donc la fraude et l’installation clandestine.
L’article 2 vient poser quelques garde-fous, insuffisants, certes, mais qui ont le mérite d’exister. Il conditionne l’accès à ces titres à une entrée régulière par le biais d’un visa de long séjour. Il renforce la durée de présence sur le territoire de trois à cinq ans pour les cartes de résident des parents d’enfants français. Il introduit une condition de sept ans pour les cartes de séjour au titre des liens personnels et familiaux. C’est du bon sens.
Pourtant, avec son habituel aveuglement idéologique, la gauche, fidèle à elle-même, propose de supprimer purement et simplement cet article, nous expliquant d’un ton grave que ces mesures seraient injustes. Or, ce qui est injuste, c’est de laisser Mayotte s’effondrer sous le poids de ces 85 % de titres délivrés à des étrangers entrés sans visa dans un territoire déjà submergé par l’immigration.
Au demeurant, cet article ne va pas assez loin. Il faudrait être plus ferme en matière d’immigration. C’est, rappelons-le, ce que réclament les Mahorais. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
Sur les amendements nos 131, 206, 297, 378, 375, 132, 10, 214, 54, 139, 133, 140 et 376, je suis saisi par le groupe Rassemblement national de demandes de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky.
Mme Léa Balage El Mariky
J’aimerais que nous commencions les débats sur de bonnes bases – celles de la vérité. J’ai entendu des propos inexacts de la part des rapporteurs, et cela m’inquiète un peu. Vous, plus que quiconque ici, devriez faire preuve de rigueur dans vos propos quand il s’agit des faits.
L’article 2 porte sur l’immigration. Voici donc quelques définitions et quelques chiffres qui devraient éclairer nos débats – et peut-être la lanterne de certains ici. Une personne immigrée est une personne née étrangère dans un pays étranger. Les immigrés représentent 34,7 % des habitants à Mayotte, 31,4 % en Seine-Saint-Denis. Ce sont les chiffres de la direction générale des étrangers en France (DGEF) – ils sont vérifiables. Et parmi ces personnes immigrées, la moitié serait en situation irrégulière – et non la grande majorité, comme l’a affirmé le rapporteur Gosselin.
M. Hervé Berville
L’excellent rapporteur Gosselin !
Mme Léa Balage El Mariky
Une personne étrangère – pardonnez-moi de devoir le rappeler – est une personne qui vit en France sans en avoir la nationalité. À Mayotte, cela concerne une personne sur deux. Il ne s’agit pas, monsieur le rapporteur général Vigier, d’une personne sur deux en situation irrégulière, comme vous l’avez indiqué. Parmi ces personnes étrangères, un tiers sont nées à Mayotte.
Que signifient ces confusions que vous avez tentées d’introduire – peut-être involontairement ?
Mme Élisa Martin
Tu parles !
Mme Léa Balage El Mariky
Ce sont des amalgames, un obscurantisme qui gangrène vos esprits et fait reposer nos politiques publiques sur des sensations, des représentations, voire des fantasmes, au lieu des faits et de la réalité – qui, eux, les rendraient véritablement efficaces.
Ces confusions sont le signe d’un vent mauvais qui souffle sur notre pays et emporte votre lucidité. Alors, réveillez-vous ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Je suis saisi de quatre amendements identiques, tendant à supprimer l’article 2, nos 131, 206, 297 et 378.
La parole est à Mme Élisa Martin, pour soutenir l’amendement no 131.
Mme Élisa Martin
À Mayotte, 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Ce territoire se caractérise avant tout par un manque criant d’infrastructures et de services publics – écoles et hôpitaux, par exemple. Qui en est responsable ? Les étrangers, comme vous voudriez nous le faire croire, afin de pouvoir vous servir de Mayotte comme d’un laboratoire où vous voulez expérimenter des mesures que nous osons qualifier de xénophobes ?
Le Conseil d’État lui-même lève l’hypocrisie en soulignant que les mesures que vous proposez rendent toute régularisation impossible, d’autant qu’après le passage du cyclone Chido, nombre d’habitants de Mayotte ont tout perdu, y compris leurs documents administratifs.
Au lieu de nous proposer une véritable loi de programmation budgétaire et de convergence sociale immédiate, vous préférez ériger un mur technologique, destiné à empêcher toute personne d’arriver. Ce sera vain – autant se le dire maintenant –, car c’est la misère, et rien d’autre, qui pousse les gens à migrer.
Ce n’est pas ce que nous attendions. Nous attendions une loi de programmation budgétaire et certainement pas un rideau de fer, comme vous l’appelez vous-même. Il est d’ailleurs scandaleux d’oser utiliser une telle expression, car le rideau de fer auquel vous faites indirectement référence a fracturé l’humanité en deux pendant des dizaines d’années.
C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 2. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 206.
Mme Léa Balage El Mariky
L’article 2 crée un régime d’exception à Mayotte, en restreignant l’accès au séjour pour motif familial. Cela revient à dire que les parents d’enfants français à Mayotte n’auraient pas les mêmes droits que ceux de l’Hexagone, et que les enfants de Mayotte n’ont pas les mêmes droits que les enfants de l’Hexagone.
Le droit au respect de la vie familiale est fondamental. En conditionnant ce droit à un visa de long séjour, on exclut de nombreuses familles de la possibilité de disposer d’un titre de séjour légal, y compris lorsque leurs enfants sont français, scolarisés, enracinés.
Or cette logique punitive ne dissuade pas les migrations. Elle plonge simplement les personnes dans la précarité. Un exemple : en 2022, Mayotte comptait plus de 4 500 mineurs non accompagnés et 87 % d’entre eux l’étaient en raison de l’expulsion de leurs parents.
Est-ce cela, votre horizon – des enfants abandonnés ? Est-ce vraiment cela, la République ?
M. le président
La parole est à M. Philippe Naillet, pour soutenir l’amendement no 297.
M. Philippe Naillet
Cet amendement vise aussi à supprimer l’article 2, qui porte de trois à cinq ans la durée de résidence régulière exigée pour la délivrance de la carte de résident de parent d’enfant français, et crée une condition de résidence habituelle de sept ans pour la délivrance de la carte de séjour temporaire au titre des liens personnels et familiaux.
Plus précisément, l’alinéa 13 vise à modifier l’article L. 423-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et donc à modifier le droit commun en portant de trois à cinq ans la durée de résidence régulière exigée pour la délivrance de la carte de résident de parent d’enfant français. L’alinéa 15 crée une condition de résidence habituelle de sept ans pour la délivrance de la carte de séjour temporaire au titre des liens personnels et familiaux.
Le principal défi migratoire à Mayotte ne réside pas dans l’octroi trop généreux de titres de séjour pour motif familial, mais bien dans la proportion massive de personnes en situation irrégulière, estimée à environ 50 % de la population. La plupart des arrivées s’effectuent par voie maritime, en dehors de tout cadre légal, sans contrôle effectif aux frontières, et en dépit des reconduites à la frontière.
Dans ce contexte, renforcer les critères pour les rares personnes qui cherchent à régulariser leur situation par les voies légales est largement déconnecté des enjeux de fond. Cette mesure risque même de produire l’effet inverse de celui recherché : en rendant l’accès au séjour régulier encore plus difficile, elle peut contribuer à accroître le nombre de personnes sans statut, aggravant la précarité sociale et le non-recours aux droits.
M. le président
L’amendement no 378 de Mme Émeline K/Bidi est défendu.
La parole est à M. Philippe Gosselin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.
M. Philippe Gosselin, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
À ceux qui demandent la suppression de cet article, je rappellerai en quelques mots la situation migratoire à Mayotte – que vous n’ignorez pas. L’immigration irrégulière dépasse les 50 %, c’est pourquoi j’ai estimé qu’elle était très majoritaire. Vous vous appuyez sur les chiffres de l’Insee, mais ils sont, semble-t-il, très largement sous-évalués. Vous vous fondez sur une population de 320 000 habitants mais, en réalité, on est plus proche des 380 à 400 000 et, sur ces habitants non comptabilisés, la part d’immigrés irréguliers est vraisemblablement encore plus importante. Je maintiens donc le terme « majoritaire ».
Il existe bien un problème d’immigration irrégulière sur l’île. À Mayotte, les titres de séjour sont délivrés – ou renouvelés – à 80 % pour motif familial, quand on est à 36 % en métropole. Ce n’est quand même pas rien ! Or l’article 2 vise plus particulièrement les parents d’enfants français et les liens personnels et familiaux. Remettons les choses à leur place car, je le répète, l’immigration est un véritable sujet à Mayotte.
Je n’ai jamais prétendu que c’était le seul sujet, mais c’est l’une des grandes causes des difficultés de l’île et de l’embolisation des services publics – santé, école et autres services au public. Cela soulève aussi le problème des logements insalubres, avec les bangas. Il faut donc lutter sur ce point.
Cela dit, ce texte – je parle sous le contrôle du rapporteur général et des autres rapporteurs – n’est pas que répressif. Il vise aussi le développement économique, les grands équipements et la convergence économique et sociale – smic et aides sociales, sur lesquels nous reviendrons. Pour toutes ces raisons, je suis défavorable à ces amendements de suppression.
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, ministre des outre-mer, pour donner l’avis du gouvernement.
M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des outre-mer
Je veux prendre le temps de donner différents éléments d’informations qui expliquent la position du gouvernement s’agissant de l’article 2 que ces amendements visent à supprimer.
Je rappellerai tout d’abord quelques chiffres qui nourriront notre réflexion tout au long de ces débats, y compris lorsque nous aborderons d’autres sujets. Entre 1956 et 2024, la population de Mayotte a été multipliée par quatorze – ce qui n’est évidemment pas dû qu’à l’immigration –, passant de 23 000 à 320 000. Je précise que je m’en tiens aux chiffres officiels, même si j’entends que certains souhaitent engager un débat sur ce point.
À Mayotte, 50 % de la population est étrangère, 50 % a moins de 18 ans – M. le rapporteur général l’a rappelé – et 77 % vit sous le seuil de pauvreté.
Même si les données peuvent bien sûr évoluer dans le temps, en fonction par exemple du nombre d’enfants par femme – c’est un argument que j’entends parfaitement –, la population pourrait atteindre, à horizon 2050, entre 440 000 et 760 000 habitants.
Nous le voyons bien, la reconstruction du territoire constitue donc un défi, non seulement pour les années à venir, mais aussi à plus long terme. Cela doit nous inciter à débattre, dans la mesure du possible, de façon sereine.
Ces amendements de suppression me posent différents problèmes. Comme vous le savez, les dispositions de l’article 2 visent à répondre, de façon pragmatique, à une situation migratoire qui, sur ce territoire, est spécifique, exceptionnelle, pour des raisons que vous avez exposées.
Au vu de la part prépondérante des titres de séjour « parent d’enfant français » (PEF) et « liens personnels et familiaux » (LPF) délivrés à Mayotte – plus de 60 % –, il me semble parfaitement justifié d’adopter des mesures visant à juguler leur attractivité, sans pour autant qu’on soit accusé de manquer d’humanité.
Comme je l’avais dit en commission des lois, la mesure – que certains veulent supprimer – visant à conditionner à la présentation d’un visa de long séjour la délivrance de la carte PEF ou LPF ne porte pas atteinte de manière disproportionnée à l’article 8 de la CEDH, la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil d’État l’a d’ailleurs clairement rappelé dans son avis.
Puisque certains ont établi des comparaisons, j’insiste sur le fait que les titres « parent d’enfant français » sont prépondérants à Mayotte, puisqu’ils représentent 40 % de l’ensemble des titres qui y sont délivrés, alors que ce chiffre est de 2 % pour l’ensemble du territoire français. J’ajoute qu’ils sont quasi exclusivement délivrés à des étrangers entrés irrégulièrement à Mayotte.
Si l’on supprimait la condition de contribution effective du parent français à l’entretien et à l’éducation de l’enfant depuis la naissance de ce dernier ou depuis au moins trois ans, selon ses capacités contributives, ainsi que le passage de trois à cinq ans de la durée de séjour régulier exigée pour l’obtention de la carte PEF, le nombre de titres délivrés augmenterait encore.
Le texte actuel prévoit aussi d’inscrire dans la loi que la durée de résidence habituelle doit désormais être de sept ans pour l’obtention du titre de séjour LPF, alors que la jurisprudence constante admet qu’une durée minimale de cinq ans est suffisante pour en bénéficier. Ce durcissement spécifique des conditions d’accès à ce titre constitue, selon le gouvernement, une réponse adaptée.
Par ailleurs, tout refus de séjour, assorti d’une mesure portant obligation de quitter le territoire français, est édicté après vérification du droit de séjour, mais aussi en ayant pris en considération la durée de présence de l’étranger sur le territoire français, la nature et l’ancienneté de ses liens avec la France ainsi que les raisons humanitaires pouvant justifier un tel droit.
Enfin, il convient de souligner que le préfet peut user, à titre exceptionnel, de son pouvoir discrétionnaire, reconnu par la jurisprudence, pour délivrer un titre de séjour et procéder ainsi à la régularisation du séjour d’un étranger lorsque l’examen de sa situation personnelle le justifie, ce qui garantit le respect des principes d’équité et de proportionnalité, en cohérence avec les engagements conventionnels de la France.
Tous ces éléments permettent, me semble-t-il, de relativiser les arguments excessifs que j’ai entendus. Nous sommes confrontés à une situation exceptionnelle, à laquelle nous apportons des réponses certes exceptionnelles, mais aussi pragmatiques, afin de résoudre un vrai problème mais aussi de traiter avec la plus grande humanité les nombreuses situations individuelles que nous connaissons à Mayotte.
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, je suis défavorable à ces amendements de suppression.
M. Hervé Berville
Très bien !
M. le président
La parole est à M. Yoann Gillet.
M. Yoann Gillet
Comme toujours lorsqu’on parle d’immigration, la gauche préfère fermer les yeux. Tout au long de l’examen du texte, elle nous proposera donc des amendements visant à supprimer tous les articles et toutes les mesures qui concernent, de près ou de loin, cette question.
Il n’est guère étonnant qu’à Mayotte l’ensemble de la gauche n’ait obtenu que 3 % aux élections législatives en juillet dernier. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. Olivier Marleix
Un peu comme Hidalgo à la présidentielle !
M. Yoann Gillet
Je rappellerai quelques vérités. Mayotte connaît une croissance démographique sans équivalent, largement alimentée, nous le savons, par l’immigration clandestine, ce qui entraîne d’ailleurs une saturation de tous les services publics de l’île. Le taux de pauvreté y dépasse les 70 %, en grande partie à cause d’une population étrangère en situation irrégulière qui vit dans des conditions précaires, ce qui a d’ailleurs pour conséquence l’apparition d’épidémies liées à l’insalubrité.
L’arrivée incontrôlée de clandestins alimente des tensions communautaires, la délinquance et les violences urbaines – voilà encore une vérité.
Les établissements scolaires sont débordés par l’afflux d’enfants, souvent non francophones, sans papiers, parfois non vaccinés ni suivis médicalement.
Mme Dominique Voynet
Ceux-là ne vont pas à l’école !
M. Yoann Gillet
L’immigration irrégulière bouscule les équilibres de l’île, suscitant un sentiment de dépossession chez les Mahorais. Le passage des kwassa-kwassa est organisé par les réseaux criminels, au détriment de la sécurité des migrants eux-mêmes. La pression démographique alimente une urbanisation sauvage, des bidonvilles poussent un peu partout, tandis que la déforestation et une pollution massive mettent en péril l’écosystème fragile de l’île.
Pour faire face à ce défi, la population réclame depuis des années un sursaut de l’État.
Chers collègues de gauche, Mayotte n’est pas un territoire à oublier. Elle subit une immigration de masse – on peut même parler de submersion migratoire. Il faut l’entendre et accepter de regarder le problème en face. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Monsieur le ministre, vous avez dit qu’il fallait se montrer pragmatique. Eh bien, soyons-le ! Songez que, malgré tout l’argent que vous allez gâcher en bâtissant un rideau de fer afin d’empêcher les personnes d’arriver à Mayotte – une mesure qui n’aura aucun effet, sinon de mettre ces hommes et ces femmes davantage en danger –, nous constaterons, dans quelques années, que rien n’aura avancé.
De surcroît, un tel outil ne doit pas cacher la réalité, qui n’est pas tout à fait celle que vous avez décrite. La réalité, c’est, depuis plusieurs années, le manque endémique de services publics et d’infrastructures. D’ailleurs, cette situation dit quelque chose du rapport qu’entretient l’Hexagone, la métropole – j’emploie le terme à dessein – avec Mayotte.
Changeons de stratégie, changeons de cap. Considérons qu’il faut investir massivement dans ce territoire qui est le nôtre, car nous devons traiter avec une égale dignité l’ensemble des citoyens français. Créons de bonnes conditions d’accueil. Allons même au bout du raisonnement et imaginons d’autres types de coopération avec les Comores pour que le destin de certains de ces jeunes gens ne soit pas uniquement de fuir la misère.
Écoutez-moi, monsieur le ministre, car c’est important. En tant que ministre chargé des outre-mer, vous avez une responsabilité particulière. Vous devez donc répondre aux députés qui vous interpellent sur ce sujet. Ne pensez-vous pas qu’il est temps de changer de stratégie et de mobiliser les moyens financiers et réglementaires nécessaires pour changer la vie à Mayotte – y compris pour ceux qui veulent s’y rendre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Léa Balage El Mariky applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Estelle Youssouffa.
Mme Estelle Youssouffa
Puisque certains veulent rappeler des vérités, corrigeons immédiatement certains propos. Par exemple, le ministre et certains députés parlent de la régularisation d’enfants français. Or il s’agit d’enfants qui ne sont pas français, mais qui pourraient le devenir. Ils sont protégés. Ils ne sont pas français tant que leur dossier n’a pas été examiné – et le cas échéant, accepté – par l’administration lorsqu’ils atteignent l’âge de 18 ans.
Mme Dominique Voynet
Lorsqu’ils ont 13 ans, 16 ans ou 18 ans !
Mme Estelle Youssouffa
Voilà quelle est la réalité. Cela signifie que ces enfants servent de protection pour leurs parents : ce sont des bébés papiers. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Pardonnez-moi, chers collègues, mais j’ai subi vos inepties sans protester, vous voudrez bien faire preuve de la même politesse !
Vous validez un système que vous déplorez par ailleurs, car vous n’êtes pas toujours parfaitement cohérents, en estimant qu’il faut laisser entrer un maximum d’étrangers et en affirmant que l’immigration est uniquement motivée par la misère – ce sont vos mots.
Au passage, vous faites totalement abstraction de la revendication territoriale des Comores. C’est plus commode pour vous de ne pas mentionner que cette immigration, ce trafic humain, sont encouragés et sponsorisés par les autorités comoriennes.
La démographie de Mayotte en a été totalement transformée, à tel point que 80 % des naissances sont le fait de parturientes étrangères. Les enfants concernés permettent à leurs parents de ne pas être expulsables grâce au titre de séjour délivré aux parents d’enfants potentiellement français.
Pour une fois que l’État se met au travail pour lutter contre l’immigration clandestine à Mayotte, il va falloir faire preuve d’un peu de cohérence ! Nous allons donc nous battre pour protéger l’article 2. Le fait de demander à une personne, qui prétend être le parent d’un enfant, de fournir des justificatifs qui prouvent qu’elle a contribué à son éducation, qu’elle l’a nourri, nous semble constituer une mesure de bon sens – c’est même la base. Voilà pourquoi nous avons besoin des dispositions prévues par l’article 2.
M. Jean Terlier
Très bien !
M. le président
La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet
Le diable se niche souvent dans les détails. Les chiffres donnés tout à l’heure par Léa Balage El Mariky sont issus soit de l’Insee, soit de la direction générale des étrangers en France. Or, à ma connaissance, lorsqu’on cite des statistiques du ministère de l’intérieur, on ne se situe pas dans le registre de la pure idéologie.
Certes, la moitié de la population de Mayotte est sans doute de nationalité comorienne mais, à l’intérieur de ce groupe, seules 50 % des personnes sont en situation irrégulière. D’autre part, s’il est vrai que 80 % des enfants qui naissent à Mayotte ont une maman étrangère – je préfère ce terme à celui de « parturiente » –, il faut signaler que 55 % des nouveaux-nés ont au moins un parent français.
Bien sûr, nous sommes confrontés à un problème, mais comment imaginer que nous pourrions le résoudre simplement en durcissant la réglementation actuelle ? Nous devons étudier la situation dans le détail et accompagner la population.
Il faut savoir qu’à Mayotte, le taux d’irrégularité d’administrative de la population comorienne baisse avec l’âge. Il se situe à un niveau très élevé chez les 18-24 ans, puisque dans cette tranche d’âge environ trois personnes sur quatre sont en situation irrégulière. En revanche, la grande majorité des plus de 45 ans, qui sont installés depuis longtemps, travaillent et ont mis au monde des enfants, sont en situation régulière.
On peut toujours se lancer des noms d’oiseaux à la figure mais, contrairement à la collègue qui vient de s’exprimer, je n’accuse personne de dire des sottises : nous pouvons être en désaccord, mais il faut argumenter.
Avec les mesures prévues par cet article, vous revenez sur des droits acquis depuis longtemps et vous remettez en cause une tradition française sans pour autant régler les problèmes, contrairement à ce que vous prétendez. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 131, 206, 297 et 378.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 95
Nombre de suffrages exprimés 95
Majorité absolue 48
Pour l’adoption 30
Contre 65
(Les amendements identiques nos 131, 206, 297 et 378 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je suis saisi de trois amendements, nos 375, 132 et 10, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Émeline K/Bidi, pour soutenir l’amendement no 375.
Mme Émeline K/Bidi
Cet amendement ne vise pas à supprimer l’article 2 dans son intégralité, mais seulement certains alinéas – même si, au fond, nous souhaitons obtenir le même résultat.
Puisque j’ai bien compris que les arguments humanistes ne rencontraient que peu d’écho, j’évoquerai des raisons plus pragmatiques. Vous restreignez les conditions d’accès à la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » pour les étrangers parents d’un enfant français.
Or, en procédant ainsi, vous risquez d’aggraver un autre problème : celui des mineurs isolés à Mayotte. En effet, le parent d’un enfant français, qui ne pourra que très difficilement obtenir ce titre de séjour, aura deux options alternatives : retourner dans son pays avec l’enfant – c’est alors un enfant français qui sera privé de la possibilité de vivre dans son pays et de bénéficier des droits dont il jouirait à ce titre – ou partir et laisser l’enfant – c’est malheureusement souvent ce qui arrive à Mayotte –, car il est persuadé qu’il vaut mieux pour cet enfant qu’il reste dans l’archipel et jouisse des droits et des conditions de vie qui y sont offerts plutôt que de rentrer dans son pays. Cela suscite un autre phénomène, celui des mineurs isolés, qui engendre de l’insécurité et que l’on a des difficultés à endiguer.
Vous ne mesurez pas les conséquences de l’application de cet article, dont la présence dans le texte ne résout pas les problèmes, mais au contraire les aggrave.
M. le président
La parole est à M. Aurélien Taché, pour soutenir l’amendement no 132.
M. Aurélien Taché
Cet article ne réglera rien s’agissant du départ des personnes concernées. En revanche, il ne cessera d’augmenter le nombre de personnes dépourvues de titre de séjour. Nous parlons de parents d’enfants qui sont sur le point de devenir français ou le sont déjà – c’est le cas d’un certain nombre d’entre eux, madame Youssouffa. Si l’article est adopté, pratiquement plus aucun des 3 000 titres de séjour délivrés au titre des dispositions existantes ne le sera demain. Que se passera-t-il alors ? Encore une fois, des milliers de personnes se trouveront dans la précarité au regard du droit au séjour, resteront dans l’archipel de Mayotte avec leurs enfants et ne trouveront aucune solution à leurs problèmes.
Ne tournons pas autour du pot. Il y a une mesure simple à prendre pour régler la question de la surpopulation à Mayotte : supprimer le visa territorialisé. Il n’y a rien d’autre à faire ! Tout le reste ne servira qu’à détricoter les droits des familles, les droits fondamentaux, et – nous l’avons dit et nous le redirons autant de fois que nécessaire – à s’attaquer au code de la nationalité française et au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. C’est précisément ce qui est prévu et cela ne réglera aucun des problèmes des Mahorais.
Par pitié, n’ajoutons pas des difficultés aux difficultés. Laissons les parents avec leurs enfants. Nous parlons d’un département français, d’une partie d’un pays qui a ratifié il y a bien longtemps la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) et, même sur un sujet aussi fondamental que celui qui nous occupe, nous ne sommes plus capables de la moindre once de réalisme et d’humanité. C’est tout de même absolument déplorable ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Arnaud Bonnet, pour soutenir l’amendement no 10.
M. Arnaud Bonnet
Les alinéas 2 et 3 de l’article 2 constituent un recul fondamental pour notre République et notre État de droit. La CIDE s’impose à nous, qui en sommes signataires. Je vous donne lecture de son article 8 : « Les États parties s’engagent à respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales tels qu’ils sont reconnus par loi ». En supprimant les dérogations dont bénéficient les parents d’enfants français pour la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », cet article affirme que l’on ne peut pas faire famille à Mayotte.
Cela engendrera deux situations catastrophiques : une partie des enfants français, privés de leurs parents après l’expulsion de ces derniers, se trouveront à la rue ou confiés à l’aide sociale à l’enfance – on sait dans quel état elle est ! –, tandis que d’autres seront obligés de quitter le territoire de leur propre pays ! En quoi transformez-vous notre pays ? Vous choisissez sciemment de mettre en péril la vie d’enfants.
Mayotte a besoin de moyens pour se reconstruire et que s’y épanouisse la devise de notre nation, non de mesures qui la rabougrissent.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements en discussion commune ?
M. Philippe Gosselin, rapporteur
L’exposé des motifs de l’amendement no 375 invoque l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif au droit au respect de la vie privée et familiale. Or, dans le cadre de l’instruction de recours existants, le juge administratif s’appuie sur cet article pour confirmer qu’il n’y a pas d’atteinte à la vie privée et familiale. C’est donc à juste titre que vous invoquez cet article, mais cela joue plutôt en votre défaveur !
J’ajoute quelques mots au sujet du passage de trois à cinq ans de la durée préalable de résidence régulière exigée pour l’obtention d’une carte de résident « parent d’enfant français » : je rappelle que les personnes déjà résidentes depuis trois ou quatre ans ne perdront pas leur droit au séjour, mais le conserveront à titre temporaire ou pluriannuel. Cette disposition ne privera donc pas des enfants de leurs parents et il ne faudrait pas laisser penser que le nombre des mineurs non accompagnés pourrait s’envoler à cause d’elle. Aujourd’hui, on compte déjà à Mayotte 4 000 mineurs non accompagnés. Peut-être seront-ils un peu plus nombreux demain, mais cette augmentation ne sera en tout cas pas nécessairement liée à cette mesure. Elle procédera sans doute plutôt de ce que les uns et les autres ont évoqué, à savoir des dispositions si favorables qu’il est sans doute préférable pour les enfants d’habiter à Mayotte plutôt qu’aux Comores – je le conçois volontiers. Nous voulons en tout cas éviter d’accueillir les enfants de familles qui constitueraient une partie non négligeable de la population de l’archipel.
Pour ces raisons, mon avis sur les trois amendements est défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Je partage l’avis du rapporteur, s’agissant en particulier de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. J’ai déjà eu l’occasion de répondre à l’ensemble des arguments.
Monsieur Taché, vous avez raison au sujet du visa territorialisé. Nous en débattrons plus tard lorsque nous examinerons l’amendement déposé sur ce point par les quatre rapporteurs, qui a été adopté en commission. Il s’agit d’une avancée importante, de l’un des éléments marquants de ce texte.
Évidemment, il est nécessaire de construire un autre rapport avec les Comores – chacun d’entre nous l’a dit et Mme Youssouffa le rappelait tout à l’heure.
Sur l’essentiel, je réponds à Mme Élisa Martin que je suis, d’une manière générale, favorable à l’établissement d’une relation différente entre nos territoires ultramarins et l’État – ou bien l’Hexagone, ou encore la métropole, pour reprendre tous les termes que vous avez utilisés. Je crois profondément que l’instauration d’une telle relation est nécessaire, s’agissant notamment des questions économiques et sociales, de la lutte contre le sentiment d’abandon et les inégalités ainsi que de l’état d’un certain nombre de services publics, même si les responsabilités sont parfois partagées. Or, précisément, si nous voulons créer ce lien différent entre Mayotte et la métropole, nous devons nous montrer pragmatiques et donner à l’archipel les moyens de sa construction ou de sa refondation en matière de sécurité, d’école, de santé, de transport ou encore de convergence sociale. C’est là le cœur de ce texte.
Pour que cet avenir ne se construise pas sur du sable, il est fondamental de régler préalablement deux problèmes, évidemment liés l’un à l’autre et que chacun peut s’accorder à estimer très épineux : l’immigration irrégulière et l’habitat illégal. D’où les dispositions que contient ce texte de loi, qui sont respectueuses de l’État de droit et me paraissent utiles et pragmatiques. Elles ne règlent pas tous les problèmes, mais constituent une somme de mesures qui nous permettront d’avancer.
M. le président
Conformément à notre règlement, je laisserai s’exprimer un orateur pour et un orateur contre par amendement ou série d’amendements. La parole est à M. Yoann Gillet.
M. Yoann Gillet
Chers collègues d’extrême gauche (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP),…
Mme Élisa Martin
Il n’y a pas d’extrême gauche, revoyez la décision du Conseil d’État !
M. Hervé de Lépinau
Pas très crédible !
M. Yoann Gillet
…nous n’acceptons pas vos leçons. Vous répétez toujours la même chose…
Mme Dominique Voynet
Toi aussi, tu dis toujours la même chose !
M. Yoann Gillet
…en nous accusant de manque d’humanisme. Mais de quel côté est le manque d’humanisme ?
Mme Andrée Taurinya
Le manque d’humanisme, c’est vous !
M. Yoann Gillet
Quand on encourage l’immigration comme vous le faites, des dizaines, des centaines de migrants meurent lorsqu’ils tentent de passer des Comores à Mayotte en kwassa-kwassa. Voilà la réalité ! Vous devriez avoir bien du mal à vous regarder dans un miroir, car vous êtes responsables de tous ces drames qui se déroulent en mer !
Mme Andrée Taurinya
C’est faux !
M. Yoann Gillet
Qu’avons-nous à offrir à ces Comoriens qui viennent illégalement à Mayotte, territoire français ? Rien ! Ils deviennent désœuvrés, vivent dans la grande précarité et la misère. De plus, vous faites vivre un enfer aux Mahorais, car les services publics s’y effondrent et plus personne, en situation régulière ou irrégulière, ne peut vivre dignement dans l’archipel. Le manque d’humanisme, vous pouvez donc vous le garder : il est de votre côté ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Notre discussion me semble presque gênante, car elle donne le sentiment qu’aucune restriction ne s’applique aujourd’hui aux parents d’enfants français. Or ce n’est pas vrai : à Mayotte, les conditions dans lesquelles vivent ces parents ne sont pas de même nature que dans le reste du pays. Cela est-il efficace ? Non, cela ne règle rien !
Vous vous apprêtez à donner un nouveau tour de vis – d’une manière peut-être un peu démagogue, pardon de vous le dire –, détournant de ce fait l’attention des services publics. Nous venons d’entendre que ces derniers s’effondrent ; encore aurait-il fallu qu’ils existent avant cet effondrement ! Nous n’en croyons rien : nous pensons qu’hier déjà, les services publics et les infrastructures faisaient cruellement défaut !
Ayons au moins l’honnêteté de reconnaître que la loi qui s’applique à Mayotte restreint d’ores et déjà considérablement les droits des parents d’enfants français, que cela ne règle rien et que nous allons redonner un tour de vis qui lui-même ne réglera rien.
Je ne donne de leçon à personne : je livre des arguments et nous expliquons tranquillement ce que nous pensons. Il y a néanmoins une petite certitude à garder à l’esprit : un bébé papiers, c’est quand même un bébé ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 375.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 92
Nombre de suffrages exprimés 92
Majorité absolue 47
Pour l’adoption 28
Contre 64
(L’amendement no 375 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 132.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 89
Nombre de suffrages exprimés 89
Majorité absolue 45
Pour l’adoption 27
Contre 62
(L’amendement no 132 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 10.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 91
Nombre de suffrages exprimés 91
Majorité absolue 46
Pour l’adoption 28
Contre 63
(L’amendement no 10 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 214.
Mme Léa Balage El Mariky
Cet amendement de repli nous permettra peut-être de sauver le titre de séjour portant la mention « parent d’enfant français » ou « liens personnels et familiaux ». L’article 2 tend à imposer une autre condition à son obtention : la possession d’un visa de long séjour, ce qui conduira à dénaturer ce titre de séjour. Il faut observer la réalité humaine, celle de parents qui élèvent leurs enfants, de personnes insérées depuis longtemps sur notre sol. Vous voulez créer une nouvelle contrainte administrative, comme pour nier la réalité affective qui lie les personnes qui résident sur le territoire de Mayotte à leurs enfants et leurs familles.
Le gouvernement le disait : il s’agit de rendre Mayotte moins attractive. Mais voilà déjà vingt-cinq ans que des politiques exceptionnelles, de plus en plus dures, s’appliquent à l’archipel. L’immigration a-t-elle diminué ? Non ! Les expulsions ont-elles été plus nombreuses ? Oui, toujours plus, à tel point qu’il y en a eu quasiment autant ces vingt dernières années qu’il y a d’habitants aux Comores ! La situation est ubuesque : vous allez toujours plus contrôler les frontières,…
M. Philippe Gosselin, rapporteur
Toujours plus mal !
Mme Léa Balage El Mariky
…celles et ceux qui demandent des titres de séjour, sans comprendre la réalité des liens qui les attachent au territoire de Mayotte et sans jamais obtenir de résultat ! J’en appelle, si ce n’est à votre lucidité, au moins à votre honnêteté intellectuelle et à votre sens de l’efficacité des politiques publiques. On s’apprête à dépenser 52 millions pour contrôler les frontières et celles et ceux qui souhaitent disposer d’un titre afin d’être régularisés et de pouvoir élever correctement leur famille. Encore une fois, vous allez droit dans le mur de l’inefficacité !
------------------Cette partie de la séance est en cours de finalisation---------------------------------------------
M. Antoine Léaument
Monsieur Gosselin, l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen énonce que les hommes, et non les citoyens, naissent et demeurent libres et égaux en droits : l’universalisme, tel que le conçoivent les Français, consiste précisément à considérer qu’il existe des droits pour l’humanité tout entière. Voilà pourquoi ceux qui se prétendent universalistes tout en oubliant que l’universalisme est celui des droits menacent la République française et ses valeurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Murmures sur les bancs du groupe RN.) S’agissant de principes aussi fondamentaux que celui du droit du sol, né avec la République en 1793 – un étranger pouvait d’ailleurs, à l’époque, devenir Français au bout d’un an –, vous nous trouverez toujours fermes, sur nos deux pieds, forts de ces valeurs simples…
M. Théo Bernhardt
C’est infernal !
M. le président
Merci, monsieur le député.
M. Antoine Léaument
…en vertu desquelles nous considérons que certains droits doivent être… (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’orateur.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 140.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 95
Nombre de suffrages exprimés 94
Majorité absolue 48
Pour l’adoption 21
Contre 73
(L’amendement no 140 n’est pas adopté.)
M. le président
Sur les amendements no 377, no 134 et identique, no 142, no 135 et identique, nos 337 rectifié, 55, 309 et 144, je suis saisi par le groupe Rassemblement national de demandes de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Émeline K/Bidi, pour soutenir les amendements nos 376 et 377, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
Mme Émeline K/Bidi
La délivrance des cartes de séjour « vie privée et familiale » est d’autant plus difficile qu’il est nécessaire d’établir non seulement la preuve du lien de filiation mais aussi celle de la contribution du parent à l’éducation de l’enfant. La suppression du second alinéa de l’article L. 423-8 du Ceseda, qui prévoit que si l’on n’y parvient pas, le droit au séjour du demandeur s’apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, restreint plus encore l’accès au séjour. La Défenseure des droits la considère d’ailleurs comme un recul et se demande si elle n’est pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. L’amendement no 376 vise à revenir sur cette suppression.
L’amendement no 377 tend pour sa part à supprimer les alinéas qui précisent que les preuves de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant doivent être nominatives. En effet, de quel nom parle-t-on ? S’il s’agit de celui du parent, une facture à son nom renvoie peut-être aux dépenses effectuées pour un autre enfant que celui pour lequel le titre est demandé. S’il s’agit de celui de l’enfant, cela signifie que chaque fois qu’on effectue une dépense pour lui, il faut l’amener, muni de sa pièce d’identité. La disposition n’est pas très claire.
Quoi qu’il en soit, l’exigence de preuves nominatives est déconnectée des réalités de Mayotte. Les tickets de caisse, lorsqu’on fait les courses ou qu’on acquiert des fournitures scolaires, ne mentionnent pas le nom du client. Quel type de preuve pourra-t-on donc présenter ? Les factures de cantine scolaire ? Mais à Mayotte, seuls 6 % des enfants du premier degré mangent à la cantine. Les factures de bus scolaire ? Mais tous les enfants ne prennent pas le bus. Les factures d’activités périscolaires ? Mais il n’y a pas d’activités périscolaires. La preuve que vous exigez est donc impossible à fournir. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Léa Balage El Mariky applaudit également.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Philippe Gosselin, rapporteur
Monsieur Léaument, vous et vos collègues du Rassemblement national revendiquez à qui mieux mieux la fin de la territorialisation des titres de séjour. Je vais vous mettre d’accord : cette disposition a été votée en commission grâce à l’adoption d’un amendement que j’avais déposé, cosigné par les corapporteurs. Je suis désolé, vous en avez peut-être rêvé, mais la Droite républicaine l’a fait. Je vous renvoie donc dos à dos sur ce point – mais je ne doute pas que vous rebondirez dans la suite de nos débats.
Sur les amendements qui viennent d’être présentés, pour les mêmes raisons que précédemment, j’émets un avis défavorable. On ne reviendra pas sur le délai de trois ans ni sur la nécessité de présenter des preuves de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Dès aujourd’hui, certains éléments sont considérés comme plus probants que d’autres : tickets de caisse parfois, mais aussi factures de cantine lorsqu’elles existent – je ne vais pas contester le chiffre de 6 %, mais certains enfants vont bien à la cantine –, factures de garderie, preuves de pension alimentaire versée. On ne fait que généraliser ce qui nous paraît souhaitable, non pour faire de Mayotte un exemple, mais pour tenir compte de la situation locale, celle d’une immigration mal maîtrisée. Pour se voir délivrer une carte de séjour « vie privée et familiale », il faudra donc présenter des éléments plus concrets et plus convaincants que jusqu’à présent.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Estelle Youssouffa.
Mme Estelle Youssouffa
En effet, madame K/Bidi, les tickets de caisse servent de justificatif pour recevoir des papiers en préfecture. Lorsqu’on fait ses courses dans un supermarché à Mayotte, des clandestins viennent vous demander vos tickets pour les verser à leurs dossiers de régularisation.
M. Romain Daubié
Eh oui ! C’est ça la réalité. Prenez des notes !
Mme Estelle Youssouffa
Nous demandons donc, et nous trouvons pertinent, que l’administration demande enfin de vrais justificatifs. (Mme Dominique Voynet s’exclame.) Lorsqu’on utilise des tickets de caisse récupérés dans les poubelles des supermarchés,…
Mme Dominique Voynet
Oh là là…
Mme Estelle Youssouffa
…on ne prouve rien quant au fait de pourvoir aux besoins de ses enfants. Vous parliez de réalité ; la voilà ! On a besoin de vrais justificatifs. N’importe quel commerce doit pouvoir délivrer une facture – cela n’a rien de délirant –, un document comptable qui permet de justifier réellement de votre rôle de parent qui pourvoit aux besoins de son enfant. Cela me paraît relever du bon sens. Cette demande est basée sur la réalité de ce qui se passe à Mayotte.
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky.
Mme Léa Balage El Mariky
Ce que nous venons d’entendre est absolument honteux.
Mme Estelle Youssouffa
Ah bon ?
Mme Léa Balage El Mariky
Comme s’il était automatique, en présentant un ticket de caisse, de se voir délivrer un titre de séjour ;…
Mme Danielle Brulebois
Elle n’a pas dit ça !
Mme Estelle Youssouffa
Je vous ai décrit la réalité de ce qui se passe !
Mme Léa Balage El Mariky
…comme si ces personnes qui luttent déjà pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants devaient encore être stigmatisées dans le débat public. Il faut revenir à la raison !
Monsieur le ministre, vous avez évoqué le contrat d’engagement entre la représentation nationale et Mayotte quant à la prétendue nécessité d’une politique migratoire ferme que vous souhaitez mener. Certes, il est bon de tenir ses engagements. Cependant, lorsqu’en 2018, nous avons restreint l’accès à la nationalité à Mayotte, avons-nous observé des effets sur les flux migratoires ? Depuis 2000, il n’y a eu pas moins de douze rapports parlementaires sur la politique migratoire – 500 pages, 77 préconisations : durcissement des contrôles aux frontières, restriction de l’accès à certains titres de séjour… Toutes ces mesures, pensées comme des expérimentations, se sont retrouvées dans le droit positif national. Ont-elles produit des effets ? Toujours pas. Ce contrat d’engagement, je serai prête à le signer quand le gouvernement livrera un véritable bilan sur vingt-cinq ans de politiques migratoires toujours plus restrictives et toujours plus inefficaces ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 376.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 99
Nombre de suffrages exprimés 99
Majorité absolue 50
Pour l’adoption 29
Contre 70
(L’amendement no 376 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 377.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 92
Nombre de suffrages exprimés 92
Majorité absolue 47
Pour l’adoption 28
Contre 64
(L’amendement no 377 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 134 et 299.
La parole est à Mme Andrée Taurinya, pour soutenir l’amendement no 134.
Mme Andrée Taurinya
Il s’agit de supprimer les alinéas qui prévoient de faire passer de trois à cinq ans la durée de résidence exigée pour obtenir la carte de résident « parent d’enfant français ». En effet, cette disposition durcit la législation existante. La loi « asile et immigration » de Gérald Darmanin, à laquelle nous étions opposés, prévoit déjà une mesure particulière à Mayotte, qui impose, pour obtenir cette carte, de justifier de ressources stables et régulières, alors que le taux de chômage dans le département avoisine 40 %. Vous créez là une fabrique de sans-papiers, au mépris des droits fondamentaux – tant la Constitution que la CEDH, en son article 8, reconnaissent le droit à mener une vie familiale normale. Vous piétinez les valeurs constitutionnelles – ce ne serait pas la première fois.
Mayotte n’est pas un laboratoire de cochons d’Inde, mais le laboratoire où s’expérimentent des mesures qui pourraient ensuite s’étendre à l’Hexagone – on y reviendra avec la suppression de l’aide médicale de l’État (AME).
Si je cite l’article 8 de la CEDH, c’est pour montrer votre manque d’humanisme. Et je ne laisserai pas l’extrême droite nous donner des leçons en cette matière (Exclamations sur les bancs des groupes RN et UDR. – Mme Marie Mesmeur applaudit), elle qui n’avait montré aucune empathie lorsque notre député Carlos Martens Bilongo avait, lors de questions au gouvernement, évoqué l’ Ocean Viking et les migrants qui mouraient en Méditerranée ; l’extrême droite s’était alors exclamée : « Qu’il retourne en Afrique ! » (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Marie Mesmeur
La honte !
Mme Andrée Taurinya
Vous n’avez jamais aucune empathie pour les migrants qui meurent en Méditerranée, pour le genre humain… (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Protestations sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Théo Bernhardt
Taisez-vous !
M. le président
Merci, madame la députée.
M. Emeric Salmon
C’est à cause de vous qu’ils meurent, les migrants !
Mme Andrée Taurinya
C’est vous qui… (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’oratrice.)
M. le président
La parole est à M. Philippe Naillet, pour soutenir l’amendement no 299.
M. Philippe Naillet
Il vise lui aussi à supprimer les alinéas 12 et 13, qui portent de trois à cinq ans la durée de résidence régulière exigée pour la délivrance de la carte de résident « parent d’enfant français ».
Dans le contexte actuel, renforcer les critères pour les rares personnes qui cherchent à régulariser leur situation par voie légale semble déconnecté des enjeux de fond. Cela aura pour conséquence une augmentation du nombre de personnes sans statut et une aggravation de la précarité sociale et du non-recours aux droits. Enfin, l’effectivité de cette disposition demeure incertaine tant que les moyens humains et logistiques de l’administration, notamment ceux de la préfecture de Mayotte, resteront structurellement insuffisants pour traiter les demandes dans les délais raisonnables et assurer un contrôle réel du séjour sur le territoire.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?
M. Philippe Gosselin, rapporteur
Vous connaissez les chiffres – à force de les répéter, tout le monde les a bien en tête : actuellement, 10 000 étrangers résidant à Mayotte sont titulaires d’une carte de séjour pluriannuelle « parent d’enfant français ». Ce n’est pas rien ! Il ne s’agit pas de reconduire automatiquement des situations de fait pour les transformer en situations de droit ; on augmente donc la durée de résidence exigée de trois à cinq ans. C’est un changement non négligeable ; cependant, il s’agit, sans cynisme, d’apprécier l’intégration de l’étranger dans la société française. (Mme Dominique Voynet s’esclaffe.)
Mme Léa Balage El Mariky
On ne juge pas l’intégration à cela !
M. Philippe Gosselin, rapporteur
Je suis étonné, madame Taurinya, que vous trouviez indéfendable de devoir justifier de ressources stables et régulières ; c’est tout de même l’un des éléments de l’intégration.
Mme Léa Balage El Mariky
Non !
M. Philippe Gosselin, rapporteur
Si l’on ne peut pas subvenir aux besoins de sa famille, sans doute est-ce regrettable sur le plan humain ; toutefois, je suis désolé, mais je vais paraphraser un ancien premier ministre aujourd’hui décédé :…
Mme Léa Balage El Mariky
Ah non, pas ça !
M. Philippe Gosselin, rapporteur
…Mayotte ne peut pas accueillir toute la misère du monde !
Mme Léa Balage El Mariky
Elle doit en prendre sa part !
M. Rodrigo Arenas
Dites la citation en entier !
M. Philippe Gosselin, rapporteur
Il était un précurseur : à cette époque, Mayotte ne comptait pas 320 000 habitants, dont la moitié d’étrangers.
Quant à l’article 8 de la CEDH, j’ai déjà eu l’occasion de répondre à cet argument : oui, la CEDH peut parfois être légitimement invoquée, et c’est heureux, mais sur ce point, la jurisprudence administrative ne vous donne pas raison.
Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Même avis.
------------------Cette partie de la séance est en cours de finalisation---------------------------------------------