Deuxième séance du mardi 11 mars 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Questions au gouvernement
- Financement des dépenses de défense
- Finances des collectivités territoriales
- Situation des Alaouites et des chrétiens en Syrie
- Financement de la défense française et européenne
- Situation en Syrie
- Plan d’adaptation au changement climatique
- Construction de places de prisons
- Situation militaire en Ukraine
- Contrôles policiers
- Modèle social français
- Situation des Alaouites et des chrétiens en Syrie
- Relations entre la France et l’Algérie
- Plan d’adaptation au changement climatique
- Protection des libertés académiques
- Situation en Syrie
- Hébergement d’urgence
- Flux migratoires
- 2. Maîtrise d’ouvrage pour les communes rurales
- 3. Publicisation des doléances du grand débat national
- Discussion générale
- Mme Marie Pochon
- M. Jimmy Pahun
- M. Thierry Benoit
- M. Yannick Favennec-Bécot
- M. Nicolas Sansu
- M. Éric Michoux
- Mme Edwige Diaz
- M. Christophe Marion
- M. Arnaud Le Gall
- Mme Ayda Hadizadeh
- M. Fabrice Brun
- M. Belkhir Belhaddad
- M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
- Vote sur la proposition de résolution
- Suspension et reprise de la séance
- Discussion générale
- 4. Lutte contre la disparition des terres agricoles et régulation des prix du foncier agricole
- 5. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Questions au gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au gouvernement.
Financement des dépenses de défense
Mme la présidente
La parole est à Mme Aurélie Trouvé.
Mme Sarah Legrain
La présidente Aurélie Trouvé !
Mme Aurélie Trouvé
Le monde bascule ; notre pays doit faire des choix hautement stratégiques.
Monsieur le premier ministre, Jaurès disait que le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte en elle l’orage. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – «Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe RN.) Vos ministres appellent à une économie de guerre, mais ils n’ont aucune idée de ce qu’elle désigne.
Jaurès avait raison, puisque vous passez complètement à côté de l’enjeu historique : plutôt qu’une économie de guerre, il faut construire une économie de paix. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
En quoi consisterait-elle ? D’abord, à accroître l’indépendance de notre défense. Oui, il faut augmenter les commandes publiques passées aux entreprises françaises et donc relocaliser notre industrie. Cela suppose un plan, en commençant par maintenir ce qu’il reste de production stratégique, telle que l’usine chimique Vencorex. (Mêmes mouvements.) Mais vous ne le faites pas ! Vous préférez inféoder notre défense au marché !
Alors que l’économie de paix consisterait à soutenir un effort massif de formation et de recherche publique, car nos capacités de défense dépendent de nos technologies, de nos ingénieurs et d’une intelligence artificielle autonome, vous empêchez tout cela par vos coupes budgétaires monstrueuses. (Mêmes mouvements.)
Mme Mathilde Panot
Excellent !
Mme Aurélie Trouvé
Alors qu’elle consisterait, au nom de notre indépendance, à planifier notre souveraineté en matière alimentaire ou numérique, vous continuez à signer des accords de libre-échange et vous abandonnez Alstom ou Atos à des capitaux étrangers. (Mêmes mouvements.)
Elle consisterait aussi à faire bifurquer la production pour nous adapter au réchauffement climatique et l’endiguer, car il menace tous nos territoires, à commencer par les outre-mer.
Alors qu’elle consisterait à en finir avec les hydrocarbures, qu’ils soient russes, américains ou que sais-je, vous remettez en cause la décarbonation de notre économie ! (Mêmes mouvements.)
Alors qu’elle consisterait à renforcer la coopération économique avec la francophonie et le Sud global, vous préférez affaiblir l’aide au développement et briser des relations historiques. (Mêmes mouvements.)
Alors qu’une économie de paix consisterait, enfin, à fortifier l’unité du peuple par la démocratie et le partage des richesses, vous annoncez 50 milliards d’euros de plus pour l’armement, sans demander un seul effort aux plus riches et aux grands groupes ! (Mêmes mouvements – «Ah ! » sur plusieurs bancs des groupes RN et UDR.)
M. Laurent Jacobelli
Nous y voilà !
Mme Aurélie Trouvé
Qui financera votre politique absurde ? En l’état, votre seule option revient à détruire la protection sociale et les services publics, donc à provoquer la guerre sociale. (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie
Parler d’économie de guerre n’a pas de sens puisque nous ne sommes pas en guerre ;…
Mme Nathalie Oziol
C’est à Emmanuel Macron qu’il faut le dire !
M. Marc Ferracci, ministre
…mais nous devons, compte tenu des nouvelles menaces, en particulier celles que fait planer la Russie et qui se concrétisent chaque jour, amorcer un effort en matière de défense et de dissuasion. Non pas pour faire la guerre, mais pour garantir la paix.
C’est en tant qu’Européens que nous devons assumer cet effort (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe RN),…
M. Laurent Jacobelli
Et en responsabilité !
M. Marc Ferracci, ministre
…en nous appuyant sur ce qui a déjà été réalisé en matière de réindustrialisation.
Notre base industrielle et technologique de défense (BITD) se fonde sur 4 000 entreprises et 200 000 salariés qui œuvrent pour que notre industrie soit capable de produire ce qui est nécessaire sur les champs de bataille.
M. Bastien Lachaud
Et Vencorex ?
M. Marc Ferracci, ministre
Nous continuerons à soutenir notre BITD, qui a accompli des progrès très significatifs ces dernières années. Depuis 2022, les capacités de production de canons ont triplé et les capacités de production de missiles ont quadruplé. C’est la preuve que nous pouvons monter en charge et faire face aux nouvelles menaces.
Madame Trouvé, nous sommes déterminés à réindustrialiser le pays, à renforcer nos chaînes de valeur et à participer à cet effort pour notre sécurité et celle des Européens.
M. Thibault Bazin
Il reste encore beaucoup à faire !
M. Marc Ferracci, ministre
Nous identifierons prochainement les moyens pour financer cet effort, qui ne vise pas la guerre mais bien la paix. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Finances des collectivités territoriales
Mme la présidente
La parole est à M. Henri Alfandari.
M. Henri Alfandari
Les collectivités doivent présenter des budgets en équilibre. Or en raison des décisions de l’exécutif et du législateur, tous les départements subissent des hausses de leurs dépenses de fonctionnement non compensées par l’État. Sur cent départements, près de la moitié se trouve dans une situation inextricable.
En Indre-et-Loire, mon département, nous équilibrons difficilement le budget de fonctionnement.
Mme Nathalie Oziol
Il ne fallait pas adopter le projet de loi de finances !
M. Henri Alfandari
Depuis 2021, nos dépenses de fonctionnement ont augmenté de plus de 100 millions d’euros pour un budget total de 610 millions. Cela donne la mesure de l’impasse.
Mme Nathalie Oziol
C’est un peu hypocrite !
M. Henri Alfandari
Pour honorer nos engagements et continuer à soutenir notre territoire, nous maintiendrons notre investissement, mais il sera intégralement couvert par l’emprunt. De plus, certains budgets pourraient être jugés insincères. Madame la ministre chargée des comptes publics, quelles instructions les préfets recevront-ils à ce sujet ?
Je connais trop bien la situation budgétaire de notre pays pour vous demander le moindre centime,…
Mme Nathalie Oziol
Belle démonstration de grand écart !
M. Henri Alfandari
…mais comment faire pour que ce qui est encore une équation impossible à résoudre ne devienne pas une impasse totale ?
Alors qu’il nous faudra consentir des moyens supplémentaires à notre défense, vous attellerez-vous, avec le premier ministre, à la réduction de nos dépenses structurelles qui seule permettra à nos départements, et probablement à la France, de passer le cap budgétaire en 2026 ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe HOR ainsi que sur quelques bancs des groupes EPR et DR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Nous nous trouvons dans un moment de gravité nationale, à laquelle il faut répondre par de l’exigence collective. Notre unité est éprouvée, à commencer par notre unité budgétaire.
M. Emmanuel Mandon
Eh oui !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Il ne faut surtout pas nourrir les divisions factices qui pullulent ces derniers jours et qui opposent l’État aux collectivités, la défense et ses armées aux départements, au grand âge ou bien encore au RSA. En tant que grande puissance, la France se doit de posséder un modèle social et une armée forte. Elle doit être souveraine financièrement et stratégiquement.
La méthode que nous suivons avec le premier ministre s’appuie sur deux principes.
Mme Nathalie Oziol
49.3 !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
D’abord la transparence, qu’elle porte sur la situation financière en 2025 ou sur l’exécution des recettes ou des dépenses – autant pour les collectivités que pour la sécurité sociale ou pour l’État. Dès avril, nous ferons le point avec les départements, les ministères et la sécurité sociale.
Le dialogue ensuite, pour faire des choix en accord avec les Français sur nos priorités,…
M. Laurent Jacobelli
Après la responsabilité, les priorités !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…nos missions et les moyens que nous leur allouons. Les départements accomplissent des missions essentielles, notamment en matière de grand âge ou d’autonomie. Ils sont le premier rempart protégeant les Français de la précarité.
Grâce au budget 2025, la moitié des départements ne sont pas soumis au dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités locales. Ils peuvent porter de 4,5 % à 5 % le taux de leurs droits de mutation à titre onéreux. Le gouvernement a par ailleurs annoncé une enveloppe de 200 millions d’euros de soutien aux dépenses relatives à l’autonomie et a triplé le montant du fonds d’urgence pour les Ehpad.
M. Thibault Bazin
Ce sont les sénateurs Les Républicains qui l’ont proposée ! Rendez à César ce qui est à César et à Gérard Larcher ce qui est à Gérard Larcher !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Notre méthode ne doit pas nous conduire à privilégier un secteur plutôt qu’un autre, mais à décider quelles sont nos priorités en tant que nation et quels moyens nous leur allouons.
Mme la présidente
La parole est à M. Henri Alfandari.
M. Henri Alfandari
Si nous sommes continuellement obligés d’augmenter nos dépenses de fonctionnement, tout ce que vous annoncez ne suffira pas pour établir un budget en 2026. Si nous ne revoyons pas nos dépenses structurelles, nous nous retrouverons dans une impasse.
M. Thibault Bazin
C’est la gabegie !
Situation des Alaouites et des chrétiens en Syrie
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Sicard.
Mme Anne Sicard
Depuis le 4 mars, la région de Lattaquié, bastion de la communauté alaouite, est la cible de raids djihadistes d’une rare sauvagerie. Des pick-up de la mort ont sillonné les quartiers et tiré à l’aveugle sur les habitants. Des hélicoptères ont même bombardé le village de Dalieh, un haut lieu de pèlerinage pour les Alaouites.
On déplore plusieurs milliers de victimes, dont des centaines de civils, et les images glacent le sang tant elles rappellent les exactions cruelles commises par le Hamas et par Daech.
M. Julien Odoul
On n’entend pas LFI !
Mme Anne Sicard
Ces exactions sont les premières manifestations d’une politique d’épuration ethnique et religieuse dirigée contre les communautés alaouite et chrétienne. Elles sont la preuve que les milices djihadistes d’Hayat Tahrir al-Cham n’ont pas renversé le régime moribond de Bachar al-Assad pour bâtir une société prétendument inclusive et respectueuse des droits des minorités, comme vous l’espériez naïvement, mais bien pour instaurer le califat et la charia en Syrie.
Malheureusement, cette tragédie aura seulement surpris ceux qui ne voulaient pas voir le véritable visage du nouveau régime syrien.
M. Laurent Jacobelli
Eh oui !
Mme Anne Sicard
Elle aura aussi révélé l’irresponsabilité de vos déclarations, monsieur le ministre des affaires étrangères, lorsque le 9 décembre dernier, écartant toute précaution diplomatique, vous vous réjouissiez de la prise de pouvoir d’Ahmed al-Charaa, fondateur de la branche syrienne d’Al-Qaïda. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Vous disiez : « C’est un moment historique, le pays retrouve enfin le parfum de la liberté ». (« C’est honteux ! » sur quelques bancs du groupe RN.)
C’est le parfum du sang et de la mort que hument les Alaouites et les chrétiens ; ils savent désormais qu’ils ne pourront jamais compter sur la nouvelle armée syrienne pour protéger leurs enfants.
Monsieur le ministre, demanderez-vous à la Commission européenne d’annuler l’invitation du nouveau ministre syrien des affaires étrangères prévue le 17 mars ?
Vous qui ne voyez aucun mal à serrer la main du fondateur de la branche syrienne d’Al-Qaïda,…
M. Julien Odoul
Une honte !
Mme Anne Sicard
…quand mettrez-vous enfin un terme au soutien de votre diplomatie au sanguinaire califat islamique de Syrie ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Julien Odoul
Il fallait rêver pour espérer de l’inclusion de la part de l’État islamique !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Nous avons tous été choqués par les images des exactions commises ces derniers jours en Syrie.
Mme Nadège Abomangoli
Vous n’avez rien dit ! Est-ce que vous les condamnez ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Vous citez mes propos du 9 décembre, mais, à ce moment, comment ne pas se réjouir de la chute d’un dictateur et d’un tyran ayant assassiné 400 000 Syriens, emprisonnés dans des geôles qui s’apparentaient à des camps d’extermination ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC, Dem et HOR. – Mme Clémentine Autain et M. Damien Girard applaudissent aussi.)
La France condamne toutes les exactions contre les civils, quelles que soient les communautés auxquelles ils appartiennent, qu’elles soient le fait de groupes affiliés au régime de Bachar al-Assad ou de groupes terroristes, responsables des exactions contre les communautés alaouites et chrétiennes des derniers jours. Tous devront être jugés. Tous devront être punis.
Quand je suis allé en Syrie avec la ministre allemande des affaires étrangères, nous n’y sommes pas allés pour soutenir le pouvoir ou les responsables politiques,…
M. Laurent Jacobelli
À d’autres !
M. Hervé de Lépinau
Le rendez-vous de la honte !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
…mais pour défendre les intérêts des Français et leur sécurité contre le terrorisme et la prolifération des armes chimiques. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem. – Mme Ayda Hadizadeh et Mme Stella Dupont applaudissent également.)
Nous avons obtenu des résultats. Après des semaines de discussions, le gouvernement intérimaire a trouvé hier un accord avec les Kurdes de Syrie, nos fidèles alliés dans la lutte contre Daech et avec lesquels nous continuerons de combattre le fléau du terrorisme.
M. Julien Odoul
Allez dire ça aux islamistes !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Cette semaine, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques sera déployée en Syrie pour y détruire les stocks d’armes chimiques de Bachar al-Assad.
Nous l’avons dit d’emblée : aucun chèque en blanc ne sera accordé au gouvernement intérimaire et nous le jugerons sur ses actes. Toutes les mesures que nous avons prises étaient proportionnées, conditionnées et réversibles. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem. – M. André Chassaigne applaudit également. – Protestations sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Sicard.
Mme Anne Sicard
Vous dites que les massacres devront être jugés et punis, mais par qui au juste ? Par le nouveau ministre de la justice islamique, un ancien juge chargé d’appliquer la charia, qui supervisait l’exécution de femmes… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice. – Les députés des groupes RN et UDR se lèvent et applaudissent cette dernière.)
Financement de la défense française et européenne
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Panifous.
M. Laurent Panifous
Le 5 mars dernier, le président de la République s’est exprimé devant les Français pour annoncer un « effort de guerre » inédit ; il affirmait vouloir augmenter très fortement les dépenses militaires. Quant à lui, le ministre des armées plaide pour un budget annuel global de 100 milliards d’euros.
Cette annonce intervient alors que la guerre est revenue sur le sol européen et que la Russie, qui a envahi l’Ukraine, est devenue une menace pour la France et l’Europe. Dans ce contexte marqué par d’importantes tensions internationales, les États-Unis semblent tourner le dos à l’Europe et préférer marchander, de manière presque indécente, les ressources d’un pays affaibli, l’Ukraine. Les pays européens sont aujourd’hui seuls pour assurer leur propre sécurité.
Or, avec une dette publique dépassant 3 300 milliards d’euros et un déficit aggravé de 175 milliards, il est logique de se demander où et comment seront trouvés ces milliards supplémentaires. Les incertitudes actuelles alimentent l’inquiétude légitime de nos concitoyens.
Face à un bouleversement géopolitique impossible à ignorer, les députés du groupe LIOT seront des acteurs exigeants et responsables. C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit qu’ils défendront la proposition de résolution visant à renforcer le soutien à l’Ukraine. Aucune difficulté n’est évitée dans ce texte, qui sera présenté demain par notre collègue Laurent Mazaury.
Si notre modèle social ne sera pas sacrifié et si, comme l’affirme le président de la République, les impôts ne seront pas augmentés, quels seront les choix que fera votre gouvernement pour assurer le financement d’un effort de défense devenu inévitable ?
Il est acquis que l’Europe doit significativement contribuer à cet effort. La présidente von der Leyen a présenté un plan de 800 milliards, baptisé « réarmer l’Europe », encore loin d’être suffisant. Dans dix jours, les chefs d’États et de gouvernements se réuniront : pouvez-vous nous dire quelles seront les propositions de la France en vue de porter le financement de l’Europe à la hauteur des enjeux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique.
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Vous avez raison de souligner que la dimension de l’effort à fournir est impressionnante. Pour que l’Union européenne résiste à un accident ou à une attaque, il faut qu’elle s’arme, au prix d’un effort d’autant plus substantiel que la plupart de ses États membres étaient protégés par un accord dont l’Otan était le pilier central : nos partenaires pensaient, contrairement à la France, que les États-Unis étaient les garants suprêmes de la sécurité de l’Union européenne.
Cette croyance a été profondément ébranlée et une nouvelle époque, une nouvelle ère, s’est ouverte pour la défense européenne. L’effort à faire sera considérable, vous avez entendu la déclaration de la présidente von der Leyen. Des chiffres sont avancés au niveau européen et en France, mais ils n’ont pas encore été arrêtés, puisque les détails du plan que nous aurons à conduire n’ont pas été mis au point. Quand ce sera fait, je recevrai, avec le ministre de la défense, des représentants des groupes politiques – c’est bien la moindre des choses.
Notre obligation est d’apporter aujourd’hui de l’aide à l’Ukraine, qui fait face à d’énormes difficultés. Cette aide se décline en quatre volets. Le volet matériel, tout d’abord : grâce à la loi de programmation militaire, nous avons pu donner des équipements à l’Ukraine. Cette aide repose ensuite sur l’emploi du produit des avoirs russes gelés, sachant que l’utilisation des avoirs eux-mêmes ne pourra être envisagée que dans le cadre de l’Union européenne. La formation, que nous continuons, constitue le troisième volet de cette aide. Le quatrième concerne le renseignement : en la matière, les États-Unis ne fourniront plus l’effort que nous étions, avec l’Ukraine, en droit d’attendre d’eux.
Ainsi se dessine le plan d’aide et de soutien à l’Ukraine, dans le cadre de la vaste réorganisation stratégique que nous devons maintenant envisager. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem. – Mme Constance Le Grip applaudit également.)
Situation en Syrie
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz
Ces trois derniers jours, plus de 1 300 personnes sont mortes dans la région à majorité alaouite de Syrie. Les trois quarts des victimes étaient civiles : c’est une tragédie.
Cette tragédie résulte de décennies de dictature. À partir de jeudi soir, les soldats de l’ancien régime de Bachar al-Assad se sont livrés à des opérations de guérilla, ce qui a donné lieu à des représailles d’une violence inouïe.
Depuis la chute du régime, il y a trois mois, la population syrienne n’a pourtant qu’un espoir : celui de rompre avec le cycle de violences qui a détruit son pays. Ces massacres menacent la transition pacifique que revendique le président syrien par intérim, Ahmed al-Charaa.
Nous n’avons jamais été naïfs.
M. Hervé de Lépinau
C’est nul !
Mme Anne Bergantz
Nous avons toujours dit que le régime devrait être jugé sur ses actes et non sur ses intentions.
Nous avons toujours demandé des garanties relatives à l’intégration de la mosaïque des communautés qui composent la Syrie dans un projet politique pacifié.
M. Matthias Renault
Ah !
M. Julien Odoul
C’est navrant.
Mme Anne Bergantz
Dans ce contexte particulièrement tendu, nous avons salué hier la signature d’un accord déjà qualifié d’historique entre Damas et le général kurde Mazloum, des Forces démocratiques syriennes.
M. Emeric Salmon
La question a été rédigée par Macron, ce n’est pas possible autrement !
Mme Anne Bergantz
La diplomatie française, il faut le souligner, n’est pas étrangère à ce succès. C’est bien l’initiative franco-américaine de médiation qui a abouti à ce rapprochement, qui doit à terme permettre d’intégrer les institutions autonomes kurdes au sein de l’État syrien.
Cet accord doit garantir les droits politiques et les intérêts de nos partenaires kurdes, si longtemps marginalisés et menacés dans la région. C’est aussi sur lui que repose la poursuite de la lutte contre Daech.
Cependant, les défis restent nombreux et l’unité de la Syrie loin d’être garantie. Face à une situation qui évolue très vite, quel peut être le rôle de la France pour accompagner la transition démocratique et la paix tant attendues par le peuple syrien ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
M. Laurent Jacobelli
Quelle propagande insupportable !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Merci (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe RN) de rappeler que nous abordons la tragédie de ces derniers jours et, plus généralement, la situation de la Syrie sans aucune naïveté. Nous sommes parfaitement conscients que pour la Syrie, il n’y a pas d’avenir sans justice et qu’il n’y aura pas de justice sans que toute la lumière et toute la vérité soient faites sur ces événements, qui ont eu lieu sur la côte ouest de la Syrie.
M. Hervé de Lépinau
Vous, c’est l’histoire qui vous jugera !
M. Laurent Jacobelli
A-t-elle a bien lu la question que vous avez rédigée ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Est-ce à cause d’influences étrangères que certains groupes liés à Bachar al-Assad ont attaqué des membres des services de sécurité du gouvernement intérimaire ?
M. Hervé de Lépinau
C’est toujours la faute des autres !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Qu’est-ce qui a ensuite poussé des groupes islamistes à prendre d’assaut des populations civiles innocentes, alaouite et, dans une moindre mesure, chrétienne ?
M. Matthias Renault
Qui aurait pu le prédire ?
M. Laurent Jacobelli
Quoi ? Les islamistes seraient-ils méchants ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Justice devra être faite. Les responsables de ces exactions devront être punis.
Le travail diplomatique doit se poursuivre, car c’est en Syrie que se joue une grande partie de notre sécurité. C’est en Syrie qu’il y a une dizaine d’années, des attentats contre le territoire national ont été fomentés.
Pour cette raison, la diplomatie française travaille activement à la maîtrise des risques qui pèsent sur notre sécurité. C’est à cette fin qu’elle a facilité la médiation entre les Kurdes syriens et le gouvernement transitoire. Pourquoi ? Car ces derniers mois, la vulnérabilité des Kurdes de Syrie, qui ont été nos alliés dans la lutte contre Daech, s’est accrue sous la pression de puissances étrangères…
M. Julien Odoul
On va bientôt accuser les Russes !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Il y allait de la sécurité des prisons dans lesquelles sont détenus des dizaines de milliers de combattants de Daech.
M. Emeric Salmon
Quelle naïveté.
M. Hervé de Lépinau
Il y aurait donc les bons et les mauvais bouchers !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Nous nous réjouissons de l’accord trouvé hier, car il permet d’envisager l’avenir de la Syrie avec la garantie d’une meilleure considération des droits et intérêts des Kurdes.
M. Thierry Tesson
Qu’en est-il de ceux des chrétiens ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Cet après-midi, je m’entretiendrai avec le général Mazloum au sujet des suites qu’il entend donner à cet accord. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
M. Julien Odoul
Décidément, la diplomatie française est bien indigente.
Plan d’adaptation au changement climatique
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Bonnet.
M. Nicolas Bonnet
Madame la ministre de la transition écologique, hier, vous avez présenté le troisième plan national d’adaptation au changement climatique, si longtemps attendu et si souvent repoussé qu’on a cru qu’il ne verrait jamais le jour.
Ce plan a le mérite d’exister. Il fait l’hypothèse, tristement réaliste, d’un réchauffement de 4 degrés Celsius avant la fin du siècle, soit d’une augmentation notable du nombre et de l’intensité des canicules, des sécheresses, des inondations et des feux de forêt, ainsi que d’une moindre disponibilité de la ressource en eau.
À sa lecture, on se demande : tout ça pour ça ? Parmi les cinquante-deux mesures qu’il comporte, on trouve beaucoup de bonnes intentions : autant de déclarations d’amour qui manquent cruellement de preuves d’amour.
Ce nouveau plan, qui se veut ambitieux, sera appliqué à moyens constants. Ceux-ci sont chiffrés à 660 millions d’euros et en partie financés par le fonds Vert, qui vient d’être amputé de la moitié de ses crédits – 1,4 milliard. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
Face au « mur d’investissements » dont parle la Cour des comptes, vous tendez une enveloppe constante, pour des besoins croissants. À mes collègues attentifs au sérieux budgétaire, je rappelle que le coût de l’inaction a dépassé celui de l’action.
Mme Cyrielle Chatelain
C’est vrai !
M. Julien Odoul
Qu’est-ce que c’est que ces formules ?
M. Nicolas Bonnet
Ce sont des milliards d’euros qu’il faut dépenser chaque année pour réparer les dommages provoqués par le changement climatique. Chaque euro dépensé aujourd’hui, c’est 8 euros économisés demain : l’investissement dans l’adaptation au changement climatique est très rentable et le retarder ne serait que plus coûteux.
Il serait illusoire de penser qu’on pourra s’adapter à tout. L’adaptation demande des changements structurels et courageux de notre modèle de développement. Alors que le Haut Conseil pour le climat a appelé à un changement d’échelle, quelles évolutions législatives ou réglementaires concrètes défendrez-vous pour favoriser l’adaptation et éviter la mal-adaptation ?
Comment l’État et les collectivités coordonneront-ils leur action ? Le financement sera-t-il à la hauteur des enjeux ?
L’heure n’est pas la plus favorable aux politiques climatiques, mais elle est la plus décisive. Face aux vents réactionnaires qui croient faire disparaître le problème en balayant la science et les scientifiques, face à ceux qui veulent supprimer des outils comme l’Agence de la transition écologique et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement,…
M. Julien Odoul
Bonne idée !
M. Nicolas Bonnet
…vous nous trouverez toujours du côté des solutions ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
M. Pierre Cordier
Et des ânes !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche
Ce sont 1,6 milliard d’euros qui financeront l’adaptation au changement climatique : en voilà, une belle preuve d’amour !
M. Laurent Jacobelli
Que c’est gênant !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Vous soulignez à raison que nous avons une montagne à gravir et c’est tout l’objet du Pnacc. Défendu par mon prédécesseur, Christophe Béchu, il compte cinquante-deux mesures et 200 actions, très concrètes, et a été soutenu par un vote quasi unanime de l’ensemble des parties prenantes du Conseil national de la transition écologique, soit des organisations syndicales, des organisations professionnelles, de l’ensemble des associations environnementales représentées au sein de ce conclave,…
M. Hervé de Lépinau
Le conclave de la gauche et de l’extrême gauche !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…et de l’ensemble des associations d’élus locaux. C’est une belle preuve de confiance et nous devons maintenant nous mettre au travail.
Le montant que j’évoquais, 1,6 milliard d’euros, ne concerne que l’année 2025. Il permettra le renforcement du fonds Barnier, la création d’une enveloppe dédiée à la gestion du retrait-gonflement des argiles et la sécurisation d’une enveloppe de 260 millions consacrée, au sein du fonds Vert, à l’adaptation au changement climatique. J’évoque là des innovations qui étaient absentes des précédents plans.
Nous nous appuyons également sur d’autres ressources, notamment celles des collectivités locales qui mobilisent des fonds – je pense, entre autres, au Comité national du trait de côte.
Vous pouvez compter sur mon engagement à mobiliser avec plus d’ambition ces enveloppes et à déployer concrètement ce plan, que les Français attendent puisqu’il vise à les protéger et à protéger leur patrimoine, leurs emplois et leur santé.
Construction de places de prisons
Mme la présidente
La parole est à M. Julien Gabarron.
M. Julien Gabarron
En 2019 le programme Numérique en détention a été lancé, par un gouvernement dont le garde des sceaux en exercice aujourd’hui était alors le ministre des comptes publics. En 2023, ce programme a été généralisé et M. Darmanin était alors ministre de l’intérieur.
Ainsi, 125 millions d’euros d’argent public, l’impôt des Français, ont été fléchés pour l’achat de tablettes numériques afin d’améliorer les conditions de vie en détention.
M. Laurent Jacobelli
Scandaleux !
M. Julien Gabarron
Après les stages de poney, les salons de massage, les courses de karting, la France d’Emmanuel Macron offre aux détenus des tablettes numériques, lesquelles ont bien sûr été rapidement détournées, en toute impunité, pour naviguer sur les réseaux sociaux, jouer aux jeux vidéo en ligne ou communiquer entre détenus.
Mme Stella Dupont
Populiste !
M. Julien Gabarron
Quelle humiliation, une fois de plus ! Voilà où passe l’argent des Français, voilà comment l’on punit les voyous en France : 125 millions d’euros, c’est le coût de construction de 400 places de prison – le personnel du centre pénitentiaire de Béziers, dans ma circonscription, touché par la surpopulation carcérale, appréciera. Avec un tel budget, les gouvernements macronistes auraient pu améliorer les conditions de travail des surveillants pénitentiaires, sécuriser les établissements et, surtout, compte tenu de la meurtrière évasion de Mohamed Amra, équiper dignement les personnels chargés des transferts de détenus. En novembre 2024, le groupe Rassemblement national avait déposé un amendement de suppression de ces crédits au profit de la protection judiciaire de la jeunesse : il fut rejeté par les macronistes.
Soixante millions d’euros ont déjà été engagés. Grâce à la mobilisation du RN face à ce scandale, vous avez en toute hâte ordonné un moratoire sur les crédits restants. Quelles mesures comptez-vous prendre pour que l’argent des Français serve enfin à construire des places de prisons, à sécuriser les établissements existants et, surtout, à améliorer les conditions de travail du personnel pénitentiaire ? (« Excellent ! » et applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement.
M. Julien Odoul
Rendez l’argent !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement
Je vous prie d’excuser l’absence du garde des sceaux, en déplacement avec le président de la République.
Permettez-moi de préciser le contexte dans lequel ces tablettes numériques sont distribuées dans les prisons, au-delà de la caricature que vous en faites. (Exclamations prolongées sur les bancs des groupes RN et UDR. – Brouhaha.)
M. Nicolas Meizonnet
C’est factuel !
M. Emeric Salmon
Vous êtes aussi naïve que Macron !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Le déploiement national de ces terminaux numériques – bridés et limités à certaines applications – est en cours depuis juin 2023, afin de permettre aux détenus de réaliser, de manière autonome et dématérialisée, certains actes nécessaires à la vie en détention, comme passer des commandes de cantine, adresser des requêtes à l’administration pénitentiaire ou prendre des rendez-vous : 16 000 cellules sont aujourd’hui équipées d’un écran tactile, dans 90 établissements, permettant à 22 000 prisonniers…
M. Hervé de Lépinau
Connectés !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
…de les utiliser à ces fins ; 10 000 installations supplémentaires étaient prévues.
M. Ugo Bernalicis
C’est très bien !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
L’accès permanent à ce type de services, sans avoir à solliciter les surveillants, est un facteur reconnu de réduction de la violence en détention. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Nicolas Meizonnet
Vous achetez la paix sociale !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
Depuis 2023 et jusqu’à la détection très récente – la semaine dernière – de détournements, aucun incident de ce type n’avait été constaté.
M. Hervé de Lépinau
Quelle naïveté ! Vous ne croyez pas un seul mot de ce que vous dites !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
L’incident ayant été signalé, un contrôle a immédiatement été diligenté, qui s’est tenu le week-end dernier sur les terminaux installés. Un moratoire a ensuite été prononcé sur toute nouvelle installation (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe RN), tandis qu’un audit rapide était commandé ; ses conclusions seront rendues sous quinze jours.
M. Emeric Salmon
Nous voilà contents !
Mme Sophie Primas, ministre déléguée
En attendant, les crédits alloués au projet sont suspendus et plus aucune tablette n’a été installée. Vous connaissez la détermination du garde des sceaux en la matière. (M. Ian Boucard applaudit. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Emeric Salmon
On ne la connaît pas, non ! C’est honteux !
Mme la présidente
La parole est à M. Julien Gabarron.
M. Julien Gabarron
Vos mots magiques, vos mots tactiques sonnent faux ! Parole, parole, parole ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Sébastien Chenu
Bravo !
Situation militaire en Ukraine
Mme la présidente
La parole est à M. François Cormier-Bouligeon.
M. François Cormier-Bouligeon
Les empires expansionnistes sont de retour. Ils portent en eux la guerre comme la nuée porte l’orage ! Face à M. Poutine, fruit terrible de la Russie des tsars et de la Russie des soviets, agresseur de l’Ukraine dont tout laisse à penser qu’il ne s’arrêtera pas là, nos démocraties européennes doivent durcir et coordonner leur défense.
L’autonomie stratégique européenne, proposition visionnaire du président de la République Emmanuel Macron (L’orateur s’exprime d’une voix très forte. – Rires sur plusieurs bancs. – M. Laurent Jacobelli s’esclaffe) dans son discours de la Sorbonne en 2017, est désormais devenue une ardente nécessité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.) La quasi-unanimité des chefs d’États et des gouvernements européens rejoignent d’ailleurs la position française. (Les rires persistent. – Quelques députés font mine de se boucher les oreilles.)
Mme Sandrine Rousseau
Ne criez pas, on vous entend !
M. François Cormier-Bouligeon
De nouvelles initiatives françaises sont lancées cette semaine, le président de la République réunissant aujourd’hui à Paris, en soutien à l’Ukraine, les chefs d’état-major de trente pays membres de l’Union européenne ou de l’Otan.
M. Pierre Cazeneuve
Très bien !
M. François Cormier-Bouligeon
Vous-même, monsieur le ministre des armées, accueillerez demain vos homologues allemand, britannique, polonais et italien – soit les ministres de la défense des cinq plus grandes puissances militaires en Europe, avec la France. Au moment où notre allié américain est de plus en plus imprévisible, la France, avec ses deux lois de programmation militaire, et l’Union européenne, avec son plan de réarmement doté de 800 milliards d’euros, se montrent à la hauteur des défis gigantesques du temps présent.
M. Julien Odoul
Sortez les violons ! (M. Julien Odoul mime un violoniste.)
M. Nicolas Meizonnet
Que c’est mauvais !
M. François Cormier-Bouligeon
Ces défis nécessitent d’éclairer la représentation nationale et les Français.
M. Julien Odoul
Arrêtez-le, c’est nul !
M. François Cormier-Bouligeon
Quelles garanties de sécurité nos démocraties peuvent-elles et devront-elles apporter une fois qu’un accord de paix acceptable pour l’Ukraine aura été conclu ? Quelles capacités, produites par les industries de défense européennes, le plan de réarmement de la Commission européenne doit-il renforcer par priorité – je songe notamment aux programmes à effet majeurs, qui ne sont pas un sport de masse ? (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes RN et LFI-NFP.)
M. Ugo Bernalicis, M. Jean-François Coulomme et M. Rodrigo Arenas
Coupez-lui le micro (Les mêmes députés désignent le chronomètre), par pitié ! (Sourires.)
Plusieurs députés du groupe RN
C’est fini !
M. François Cormier-Bouligeon
Êtes-vous favorable à une grande mobilisation de l’épargne… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur. – Les députés du groupe EPR ainsi que quelques députés du groupe Dem applaudissent ce dernier.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre des armées.
M. Sébastien Lecornu, ministre des armées
Je vais d’abord répondre à votre dernière question…
M. Emeric Salmon
Celle qu’on n’a pas entendue mais que vous aviez eue avant…
M. Sébastien Lecornu, ministre
…sur la mobilisation de l’épargne des Français. Le premier ministre a demandé à la ministre des comptes publics, au ministre de l’économie et des finances ainsi qu’à moi-même de travailler sur le sujet. Je remercie l’ensemble des familles politiques représentées dans cette assemblée et au Sénat pour leurs contributions en la matière, depuis la loi de programmation militaire.
Concernant le réarmement, comme l’a dit le premier ministre, nous y travaillons. Rien n’est complètement arrêté, même si quelques évidences se dégagent. Comment ne pas évoquer, puisque vous êtes élu à Bourges, l’urgence du réassort des stocks de munitions : les obus de 155 millimètres de KNDS, par exemple, ou les missiles complexes de MBDA, qui ont malheureusement fait les frais des coupes budgétaires dans le passé. Les efforts de réarmement déployés depuis 2017 produisent leurs effets, mais nous sommes encore loin des stocks dont nous aurions besoin en cas d’engagement majeur et dont, au reste, nous avons besoin pour garantir les contrats opérationnels de l’armée française. Il faut aussi accélérer dans d’autres domaines, ou en tout cas ne pas relâcher notre vigilance, notamment dans le spatial, sur lequel je me suis déjà longuement exprimé ici-même lors du débat qui a suivi la déclaration du gouvernement au titre de l’article 50-1 de la Constitution sur la situation en Ukraine et la sécurité en Europe.
La réunion des chefs d’état-major se tient en ce moment à Paris à l’hôtel de la Marine. Comprenez bien que la principale garantie de sécurité de l’Ukraine reste l’armée ukrainienne. Nous refuserons donc toute démilitarisation du pays. Ce serait un scandale absolu qui paverait la voie à davantage d’insécurité sur l’ensemble du continent européen. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LIOT.) Quel doit être le format de cette armée ? Comment l’équiper, la former et – comme l’a dit le premier ministre – l’accompagner ? Telles sont les questions prioritaires de la réunion de cet après-midi. Celles relatives aux troupes potentielles d’observation d’un futur accord de paix ou aux stocks stratégiques de munitions sont également au programme.
Toutes les réponses à ces questions réclameront du temps, mais elles seules peuvent permettre d’offrir à l’Ukraine des garanties de sécurité fiables et durables. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
Contrôles policiers
Mme la présidente
La parole est à M. Aly Diouara.
M. Aly Diouara
« Quand on a une couleur de peau qui n’est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé, on est identifié comme un facteur de problème, et c’est insoutenable. » Savez-vous qui a prononcé ces mots, monsieur le ministre de l’intérieur ? Le président de la République qui vous a nommé. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Benjamin Lucas-Lundy applaudit également.)
En 2017, le Défenseur des droits, un homme issu de votre famille politique, menait une large enquête sur les relations entre la police et la population. Son constat était implacable : en France, un jeune homme noir ou arabe a vingt fois plus de risques de se faire contrôler que les autres. (Exclamations sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Julien Odoul
Vous avez vraiment un problème !
Mme Sophia Chikirou
Tais-toi, Odoul, espèce de facho au petit pied !
M. Aly Diouara
Depuis, le Conseil d’État l’a écrit noir sur blanc : « Les contrôles discriminatoires existent et ne se limitent pas à des cas isolés. » (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Depuis, la France a été condamnée à plusieurs reprises pour des contrôles d’identité discriminatoires, et de nombreux jeunes hommes de ce pays sont morts entre les mains de la police ou de la gendarmerie (Exclamations sur les bancs du groupe RN) : Nahel Merzouk, Cédric Chouviat, Adama Traoré, Wanys, Alhoussein Camara. À chaque fois, le pouvoir politique que vous représentez répond à ces dérives par le silence, l’aveuglement, l’impunité.
M. Laurent Jacobelli
Quelle honte ! Parlez plutôt de vos amis, les islamistes !
M. Aly Diouara
Et quand le ministère public requiert un procès pour meurtre contre un de vos agents, vous répondez en affichant un soutien qui fait honte à la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Julien Odoul
Vous êtes bien content d’avoir la police pour vous protéger !
M. Aly Diouara
La semaine dernière encore, alors que je m’approchais d’un contrôle d’identité musclé dans ma circonscription,…
M. Julien Odoul
Fake news, la police contrôlait des racailles !
Un député du groupe RN
Des voyous !
M. Aly Diouara
…un policier a sorti son Taser et m’a lancé : « Si j’te tase, tu vas faire quoi ? ».
Mme Hanane Mansouri
Ouin ! Ouin ! (Sourires sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Aly Diouara
Tout cela a été filmé, diffusé par la presse, tout est facilement vérifiable : le tutoiement, l’absence de matricule visible, la menace, l’usage non réglementaire du pistolet à impulsion électrique. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Cela n’a suscité aucune réaction de votre part, vous qui d’habitude dégainez les tweets plus vite que votre ombre.
M. Hervé de Lépinau
C’est La France indécente !
M. Aly Diouara
Vous vous réfugierez sûrement derrière votre « soutien indéfectible » aux policiers. Il y a selon vous les gentils qui soutiennent la police d’un côté, de l’autre les méchants de gauche qui la critiquent. (« Exactement ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN. – Vacarme.)
Plusieurs députés du groupe RN
Quelle est la question ?
M. Aly Diouara
Nous soutenons quant à nous la police républicaine dans ce qu’elle devrait avoir de plus républicain : la protection de toutes et tous, sans discrimination. (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent.) Pour arriver à cela, nous savons précisément ce qu’il faut faire : une réforme… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur qui, resté debout, continue à parler. – Les députés du groupe LFI-NFP, également restés debout, applaudissent ce dernier. – Brouhaha sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
Votre temps est largement écoulé : inutile de continuer, on ne vous entend plus.
La parole est à M. le ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Un député du groupe RN
Qui est-ce ?
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
Le bruit était tel que, je le confesse, je n’ai pas entendu votre question. (Protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Carlos Martens Bilongo s’exclame vivement.)
M. Ugo Bernalicis
À cause des fascistes d’en face !
M. Julien Odoul
Allez voir le Collectif contre l’islamophobie en France, monsieur le ministre, ils sauront vous éclairer !
M. Sébastien Chenu
C’est un naufrage, ce gouvernement !
M. François-Noël Buffet, ministre
Voilà ce que j’ai cru comprendre : vous faites référence à des faits survenus en février dernier. Lors du contrôle de deux jeunes, un homme s’est approché des policiers en leur demandant des explications au sujet de ce contrôle ; il a mis sa main dans sa poche et en a sorti une carte de député de La France insoumise. (Protestations véhémentes et « Nous sommes députés de la République ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP dont plusieurs députés montrent leur carte de parlementaire.)
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Où est-il écrit France insoumise ?
M. Guillaume Florquin
Quelle honte !
M. François-Noël Buffet, ministre
Les policiers, ne sachant pas à quoi s’attendre, avaient sorti leur pistolet à impulsion électrique. Ils l’ont immédiatement rangé après avoir compris l’absence de danger. Pendant ce temps, un groupe de cinq personnes, dont une adjointe au maire de la commune, s’est approché des policiers. Cette dernière les a insultés et a donc été placée en garde à vue. (Le brouhaha s’amplifie. – Mme Mathilde Panot s’exclame vivement.)
M. Laurent Jacobelli
Très bien, bravo !
M. François-Noël Buffet, ministre
Les deux jeunes gens contrôlés initialement ont été laissés libres. (Le fort brouhaha persiste.)
Puisqu’on ne m’écoute pas de ce côté-ci, je vais m’adresser à cette partie de l’hémicycle. (M. le ministre tourne le dos aux bancs du groupe LFI-NFP et s’adresse à la droite de l’hémicycle. – Tollé sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Nicolas Meizonnet
Oui, venez !
M. François-Noël Buffet, ministre
Plus généralement, il apparaît clairement que nos forces de police procèdent, en toutes circonstances, aux contrôles nécessaires, en s’appuyant sur deux éléments majeurs… (Les protestations véhémentes s’intensifient en un vacarme couvrant la voix de l’orateur qui se tourne désormais vers les bancs des groupes EPR et Dem. – Exclamations sur les bancs du groupe RN. – Mme Hanane Mansouri et M. Julien Odoul font signe aux députés du groupe LFI-NFP de se taire.)
Mme Sandrine Rousseau et Mme Clémentine Autain
Regardez-par ici, adressez-vous à l’auteur de la question !
M. Carlos Martens Bilongo
C’est honteux !
M. François-Noël Buffet, ministre
Je rappelle qu’il existe une plateforme d’accompagnement du Défenseur des droits sur les discriminations. (Le vacarme s’intensifie encore.)
Mme la présidente
Un peu de silence, s’il vous plaît, on n’a pas entendu la question et on n’entend pas la réponse !
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Nous sommes députés de la nation ! (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent, plusieurs brandissant leur carte de parlementaire, et commencent à quitter l’hémicycle sous les encouragements des députés du groupe RN.)
Mme la présidente
On ne brandit pas d’objets dans l’hémicycle !
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Obligez plutôt le ministre à regarder le député qui l’a interrogé ! Rappelez-le à l’ordre !
Plusieurs députés du groupe RN
Au revoir ! Cassez-vous !
Un député du groupe RN
Dehors, la racaille !
M. François-Noël Buffet, ministre
Les policiers disposent aussi de caméras-piétons et il est possible, après un contrôle litigieux, de déposer plainte, afin de poursuivre les policiers. Mais je crois que je vais m’arrêter là… (Applaudissements sur les bancs des groupes RN, HOR, DR et UDR, ainsi que sur quelques bancs du groupe EPR. – En quittant l’hémicycle, les députés du groupe LFI-NFP apostrophent les membres du gouvernement et Mme la présidente.)
M. Arnaud Le Gall
Les cartes de députés ne mentionnent pas les appartenances politiques ! Aly Diouara n’a pas présenté une carte de La France insoumise mais sa carte de député ! (M. Arnaud le Gall se dirigeant vers les bancs des ministres, les huissiers s’interposent.)
Mme la présidente
Un peu de silence, s’il vous plaît, ça suffit !
Modèle social français
Mme la présidente
La parole est à M. Jérôme Guedj.
M. Jérôme Guedj
Le soutien à l’Ukraine et à une certaine idée de l’Europe, désormais autonome pour ce qui relève de sa sécurité, doit en effet être sans faille. Sans faille, mais pas sans raison. L’effort de défense ne peut servir de cheval de Troie à une fragilisation de notre modèle social. Au contraire : le maintien de notre modèle social est la condition d’un nécessaire patriotisme républicain. Ayons à l’esprit les mots du général de Gaulle en juin 1942…
M. Laurent Jacobelli
Vous n’allez pas vous y mettre !
M. Vincent Descoeur
Le général fait désormais l’unanimité !
M. Jérôme Guedj
« La sécurité nationale et la sécurité sociale sont, pour nous, des buts impératifs et conjugués. » Opposer défense nationale et sécurité sociale reviendrait à méconnaître que la première ligne de défense d’un pays est la cohésion de son peuple (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC) ; ce serait offrir une victoire à nos adversaires.
Or la cohésion sociale est touchée au cœur et deux éléments sont en cause. La pérennité de la sécurité sociale – dont on s’apprête à fêter les 80 ans – se trouve menacée par un déficit de près de 25 milliards d’euros. Disons-le avec force : ce déficit provient d’abord et avant tout d’une insuffisance des recettes, qu’il s’agisse des exonérations de cotisations sociales ou du non-financement du Ségur de la santé. Nous sommes prêts à débattre de tous ces points, mais vous n’ouvrez pas la discussion. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
La cohésion sociale, c’est du régalien, comme la police, la justice ou la défense, qui ont chacune leur loi de programmation. Monsieur le premier ministre, où est la loi de programmation de la santé que vous aviez annoncée lors de votre discours de politique générale ? Plutôt que des coups de rabot touchant les plus fragiles, les classes populaires et les classes moyennes, où est le nécessaire patriotisme fiscal, qui mobilise d’abord les hauts revenus, les hauts patrimoines et les entreprises qui ont profité des crises sanitaire, énergétique et inflationniste ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Sandrine Rousseau applaudit aussi.)
Enfin, les inquiétudes demeurent quant à notre système de retraite. Les partenaires sociaux, à notre initiative, ont repris le fil du dialogue pour dégager une solution juste et durable, à rebours de la réforme de 2023. Toute pression exercée sur les partenaires sociaux en invoquant le contexte géopolitique est inacceptable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.) Pouvez-vous garantir que le cadre de cette négociation (M. François Cormier-Bouligeon désigne le chronomètre), que vous avez vous-même posé, n’a pas changé et que vous en serez le facilitateur ? Personne n’a intérêt à son échec, ni vous, ni… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur. – Les députés du groupe SOC applaudissent ce dernier.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles
Vous citez à juste titre le général de Gaulle et posez la question de notre capacité à conserver notre modèle social, qui aura 80 ans au mois d’octobre. Ce modèle est un trésor national et nous avons évoqué les pistes pour le maintenir lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le premier ministre a tenu à ce que, malgré le contexte compliqué et déficitaire, un effort soit consenti pour améliorer l’exercice 2025 de ce budget. Les chiffres que vous avez rappelés sont clairs : un budget de 650 milliards d’euros d’un côté, un déficit de 22,1 milliards de l’autre.
Vous appelez, à juste titre, à un patriotisme social. Nous y travaillons dès à présent, avec les ministres du pôle que j’ai la responsabilité de coordonner (M. Emmanuel Maurel s’exclame), en premier lieu Astrid Panosyan-Bouvet et la délégation paritaire permanente sur les retraites. En aucun cas nous n’interférerons dans le travail de cette délégation, que M. Marette est chargé d’animer et qui doit se poursuivre jusqu’à la fin du mois de mai.
Avec Yannick Neuder, nous travaillons sur le volet relatif à la santé. En effet, l’encre de la LFSS est à peine sèche qu’il faut déjà définir ce que nous prévoyons pour 2026. Bien sûr, nous pouvons travailler à une loi pluriannuelle en matière de santé. Nous devons aussi renforcer la prévention primaire – je sais combien elle vous tient à cœur –, qui consiste à dire que chacun d’entre nous est responsable de sa santé : si chaque Français se fait dépister, se vaccine et lutte contre l’obésité, alors nous participons tous à cet effort commun qui permettra de pérenniser notre modèle social.
Situation des Alaouites et des chrétiens en Syrie
Mme la présidente
La parole est à M. Jérôme Nury.
M. Jérôme Nury
Je tiens à revenir sur les événements tragiques survenus en Syrie. Nous avons tous été bouleversés par les images des corps ensanglantés, sans vie, des Alaouites des provinces de Lattaquié et de Tartous. Les milices islamistes, assoiffées de sang, se sont livrées à une véritable chasse à l’homme. Elles ont battu, humilié puis assassiné sauvagement plusieurs centaines d’hommes, de femmes et d’enfants – tués, parce qu’Alaouites.
Si Bachar al-Assad était issu de cette minorité musulmane chiite, tous les Alaouites n’étaient pas complices de l’ancien régime. Alors que le nouveau leader de la Syrie, Ahmed al-Charaa, prétend ne pas être à l’origine de ces terribles massacres, l’ancien chef du groupe djihadiste al-Nosra n’a rien fait pour empêcher ses anciens affidés et actuels complices de se livrer à un début d’épuration ethnique.
Président du groupe d’études sur les chrétiens d’Orient, j’ai recueilli de nombreux témoignages de chrétiens syriens. Ils sont unanimes et terrifiés : « Hier, les islamistes ont massacré les Alaouites. Demain, ils nous massacreront. » Rappelons que la France et la Syrie partagent une histoire commune forte, notamment eu égard aux origines du christianisme qui fonda notre nation.
M. Patrick Hetzel
Très juste !
M. Jérôme Nury
En effet, c’est sur le chemin de Damas que saint Paul se convertit et, aujourd’hui encore, des villages comme Maaloula parlent l’araméen, la langue du Christ.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, lors de votre visite à Damas en décembre 2024, vous aviez, à juste titre, demandé au nouveau dirigeant à ce que les minorités chrétiennes et syriennes soient protégées. Après ce terrible massacre, comment comptez-vous faire pression sur le nouveau régime ? Dans quelques jours se tiendra à Bruxelles la conférence des donateurs en présence, peut-être, d’Ahmed al-Charaa, qui souhaitera donner des gages de bonne volonté et obtenir des financements. Conditionnerez-vous la participation de la France à une sécurisation des territoires dans lesquels, en Syrie, vivent les minorités et à l’envoi d’une mission des Nations unies sur place pour faire toute la lumière sur le massacre des Alaouites ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur plusieurs bancs des groupes Dem et HOR. – M. Éric Ciotti applaudit aussi.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Je vous remercie pour votre engagement en tant que président du groupe d’études sur les chrétiens d’Orient. Si les massacres perpétrés ces derniers jours sur la côte alaouite ont principalement touché cette communauté, les communautés chrétiennes n’ont pas été épargnées par les exactions. Nous sommes engagés en faveur de toutes les communautés en Syrie. Anne Bergantz l’a rappelé, nous avons accueilli très favorablement l’accord trouvé hier, après des semaines de médiation, entre le gouvernement intérimaire et les Kurdes, qui permet de résoudre une partie du problème qui entravait le chemin de la Syrie vers l’unité et vers la paix.
Cependant, nous accordons une attention toute particulière aux communautés chrétiennes en Syrie. En témoigne le choix que j’ai fait, lorsque je me suis rendu le 3 janvier à Damas, de rencontrer en premier lieu les patriarches grecs orthodoxes et grecs catholiques pour écouter leurs attentes et les relayer auprès du gouvernement intérimaire. Cette attention particulière s’illustre aussi par le soutien continu de la France à l’association L’?uvre d’Orient et au fonds pour les écoles d’Orient, dont les moyens budgétaires ont été préservés en dépit des efforts importants que mon ministère a dû consentir.
Parce que la défense des chrétiens d’Orient est un axe fort de notre politique étrangère au Proche et au Moyen-Orient, nous avons soutenu, au Liban, le système éducatif chrétien pour lui permettre de traverser la crise économique ; nous participons, en Irak, au financement de la restauration du patrimoine historique chrétien ; enfin, à Jérusalem, la France assume son rôle de protectrice des communautés chrétiennes. Nous ne le faisons pas dans un esprit religieux mais avec la conviction que c’est le pluralisme qui permettra à la région de retrouver la stabilité, la paix et la sécurité. Quant à la conférence qui se tiendra la semaine prochaine, j’ai décrit notre approche à l’égard de la Syrie : elle est conditionnée, proportionnée et réversible. Il va de soi que nous ne pourrons soutenir aucune nouvelle levée de sanctions sans que des garanties nous soient données que les crimes commis sont bien traduits devant la justice et punis. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
Relations entre la France et l’Algérie
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane Peu
Depuis l’été 2024, les relations diplomatiques entre la France et l’Algérie ne cessent de se détériorer et les sujets de discorde s’accumulent : la détention arbitraire de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal ; le soutien de la France au plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental en dépit des décisions de l’ONU ; les refus répétés de l’Algérie d’accueillir ses ressortissants frappés d’une obligation de quitter le territoire français ; la passivité du gouvernement français face au racisme et au révisionnisme qui envahissent le débat public et médiatique. (M. Julien Odoul s’exclame.) Jamais, depuis l’indépendance de l’Algérie, la crise n’a été aussi grave entre Paris et Alger.
Malgré le dialogue exigeant et respectueux prôné par le président Macron, votre gouvernement s’exprime surtout par la voix de ceux qui préfèrent se délester de ce qui leur reste de gaullisme pour mieux courir après l’extrême droite. (Applaudissements sur les bancs du groupes GDR et sur plusieurs bancs du groupe EcoS. – Mme Fatiha Keloua Hachi applaudit aussi. – M. Laurent Jacobelli s’exclame.) Cette surenchère fracture la société française ; elle stigmatise et blesse plusieurs millions de nos concitoyens, liés d’une manière ou d’une autre à l’Algérie. Au nom de l’histoire commune à nos deux peuples, pour la paix et la réconciliation des mémoires,…
M. Julien Odoul
Oh là là !
M. Stéphane Peu
…il est temps de prendre conscience que la politique d’affrontement est sans issue et aggrave une situation déjà très inquiétante. Cette stratégie est d’autant plus dangereuse qu’au même moment, l’Amérique de Trump signe un accord militaire et stratégique avec Alger.
Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, les relations historiques qui lient nos deux pays par-delà les rives de la Méditerranée méritent, à tout le moins, que la France parle d’une seule voix. La diplomatie doit prévaloir. Comment comptez-vous agir ?
Pour faire allusion à l’incident de tout à l’heure, j’espère – mais je n’en doute pas – que, contrairement à votre collègue, vous me regarderez en répondant. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupes EcoS. – Mme Fatiha Keloua Hachi, M. François Hollande et M. Gérard Leseul applaudissent aussi.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Julien Odoul
Et du laxisme !
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
La France aspire, évidemment, à entretenir de bonnes relations avec l’Algérie, pays voisin avec lequel nos relations sont denses et complexes. Pour cela, ces relations doivent s’apaiser ; mais l’apaisement ne se décrète pas unilatéralement. Ce n’est pas la France qui se trouve à l’origine de ce que vous qualifiez de surenchère.
M. Jean-Paul Lecoq
Un peu, quand même !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Ce n’est pas la France qui se trouve à l’origine de la détention arbitraire d’un écrivain franco-algérien, ni qui refuse de réadmettre sur le territoire algérien des ressortissants français en situation irrégulière. Ces tensions, dont nous ne sommes pas à l’origine, nous souhaitons les résoudre, mais avec exigence et sans faiblesse. C’est la raison pour laquelle, comme nous l’a demandé le premier ministre, nous transmettrons aux autorités algériennes une liste de ressortissants algériens ayant vocation à quitter le territoire français. Nous souhaitons que les autorités algériennes se saisissent de cette liste et qu’elles engagent ainsi une nouvelle phase dans nos relations, qui permette de traiter nos différends et d’amorcer d’éventuelles coopérations stratégiques.
Dans le cas contraire, le premier ministre l’a dit, nous sommes prêts à défendre nos intérêts, comme nous l’avons déjà fait récemment en prenant des mesures restrictives – mais réversibles – à l’égard de dignitaires algériens. Nous souhaitons agir de façon pragmatique, sans aucune idéologie, avec pour seule obsession d’obtenir des résultats, en particulier pour les Français.
Enfin, permettez-moi, comme l’avait fait le premier ministre à l’issue du comité interministériel de contrôle de l’immigration il y a quinze jours, d’avoir un mot pour les milliers de personnes qui, en France, sont liées d’une manière ou d’une autre à l’Algérie et qui n’ont rien à voir avec les difficultés que nous rencontrons auprès des autorités algériennes : elles ont le droit à la tranquillité et je m’entretiendrai prochainement avec des représentants de cette diaspora. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem.)
Plan d’adaptation au changement climatique
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Panonacle.
Mme Sophie Panonacle
Madame la ministre de la transition écologique, vous avez présenté hier le troisième plan national d’adaptation au changement climatique, qui comporte des avancées significatives. Nous l’attendions avec une impatience légitime. Nous savons désormais devoir mener un combat sur deux fronts : celui de l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et celui de l’adaptation de nos territoires au changement climatique. Nous avons enfin intégré, dans nos politiques publiques, que l’un ne va pas sans l’autre.
Ce plan contient cinquante-deux mesures déclinées en 200 actions, qui visent à apporter des solutions concrètes pour protéger la population, notre patrimoine naturel et culturel, pour assurer la résilience des territoires et adapter les activités humaines. Nous sommes collectivement attendus pour apporter des réponses à la sécheresse, aux inondations, aux feux de forêt, au retrait-gonflement des argiles, à la submersion marine, à l’érosion côtière et à la perte de biodiversité. Ce plan constitue une avancée importante dans l’adaptation de notre pays aux conséquences du changement climatique.
Toutefois, nous devons aller plus loin quant au financement des dispositifs. Je ne prendrai qu’un seul exemple, que je connais bien en tant que présidente du Comité national du trait de côte : celui de l’absence de crédits pérennes pour l’adaptation des territoires littoraux face à l’érosion côtière. Nous n’avancerons pas sans la création d’un fonds érosion côtière, sans la mobilisation de la solidarité nationale et sans la contribution des plateformes touristiques de courte durée, qui profitent allègrement de l’attraction des bords de mer. Les élus littoraux de l’Hexagone, de la Corse et des outre-mer engagés dans des projets de protection, de renaturation et de recomposition spatiale arrivent au bout de leurs moyens propres. C’est pourquoi je vous remercie de nous confirmer votre intention de les soutenir, avec l’appui du ministre de l’économie et des finances. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche
Vous avez raison : s’adapter n’est pas renoncer. Face au changement climatique, je refuse la fatalité. Ainsi, j’entends mener de front la baisse de nos émissions de gaz à effet de serre et la protection de nos territoires et de nos concitoyens face aux effets du dérèglement climatique.
Inondations, feux de forêt, cyclones ultramarins, canicules, retrait du trait de côte ou encore submersions marines nous menacent, ici et maintenant, n’en déplaise aux populistes. (« Oh là là ! » sur les bancs du groupe RN.) Ce sont nos concitoyens qui sont touchés, dans leurs maisons, leurs emplois, leurs patrimoines et leur santé. L’ambition du plan national d’adaptation au changement climatique, qui compte cinquante-deux mesures concrètes, est de protéger les Françaises et les Français de ces dangers. Ce plan est financé à la hauteur des enjeux : j’ai obtenu 1,6 milliard d’euros pour 2025.
Mais vous avez raison, madame la présidente : les élus locaux sont confrontés à des phénomènes inédits. Ils ont besoin d’être soutenus, mais ils ont surtout besoin de visibilité, dans la durée. Je tiens, à ce titre, à souligner la qualité de la mobilisation du Comité national du trait de côte, qui réunit des élus locaux mais aussi des représentants des acteurs économiques des littoraux. Il a fait des propositions très claires pour financer de manière pluriannuelle les investissements d’adaptation nécessaires, sans dégrader pour autant nos finances publiques – c’est important dans la situation actuelle.
Je prends très au sérieux ces propositions, et j’entends les instruire avec mes collègues Éric Lombard et Amélie de Montchalin. Le Sénat et l’Assemblée nationale ont voté la création d’un fonds érosion côtière lors de la préparation du projet de loi de finances 2025 – ce fonds n’a pas pu aboutir, mais il a vocation à trouver sa place dans le projet de loi de finances pour 2026, dès lors qu’il répond aux exigences de la situation de nos finances publiques et que l’on parvient à mobiliser des financements innovants, ainsi que vous le proposez.
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Panonacle.
Mme Sophie Panonacle
Je vous remercie. Tous les parlementaires seront bien évidemment au rendez-vous du PLF 2026.
Protection des libertés académiques
Mme la présidente
La parole est à M. Hendrik Davi.
M. Hendrik Davi
Vendredi dernier, partout sur la planète, des scientifiques se sont mobilisés à l’appel de chercheurs américains, dans le cadre du mouvement Stand up for Science. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – M. André Chassaigne et Mme Stella Dupont applaudissent également.) Ils ont raison, car la science est aujourd’hui menacée.
Pourquoi est-ce grave ? Parce que la science est utile. Elle est, bien évidemment, source d’innovations techniques et sociales. Mais elle permet au plus grand nombre, surtout, de s’émanciper des dogmes religieux…
M. Julien Odoul
Formidable !
M. Hendrik Davi
…et politiques.
Les sociologues décortiquent les fondements du racisme et du sexisme et sont, pour cela, devenus une cible de l’extrême droite. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
Les biologistes ont démontré les effets nocifs du tabac, de l’alcool ou des pesticides. Les écologues nous ont alertés sur les menaces liées à la destruction de la couche d’ozone, à l’extinction des espèces ou au changement climatique. Les scientifiques protègent la planète et la santé humaine contre ceux qui les sacrifient sur l’autel du profit. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC.)
C’est aussi pour cela que la science est attaquée. Elle est attaquée par Trump, bien sûr, qui censure les travaux sur le climat, le genre ou les maladies émergentes. Mais nos propres gouvernements, depuis des années, s’en prennent également à la liberté académique. Ils ont mené des politiques d’austérité qui désarment nos universités au profit de groupes privés lucratifs, comme Galileo – c’est un scandale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – Mme Fatiha Keloua Hachi applaudit également.)
M. Julien Odoul
Grotesque !
M. Hendrik Davi
Ils ont domestiqué la science au moyen d’une logique managériale et bureaucratique : ce que les chercheurs passent leur temps à chercher, maintenant, c’est de l’argent. Pire encore, certains ministre, comme Mme Vidal et, plus récemment, M. Attal, n’ont pas respecté l’indépendance d’institutions scientifiques comme le CNRS et Sciences Po.
M. Julien Odoul
Une institution du gauchisme !
M. Hendrik Davi
Face à l’obscurantisme de Trump, nous avons le devoir de raviver l’esprit des Lumières et de faire le pari du savoir. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.) Mes questions sont simples : que fera le gouvernement pour accueillir tous les chercheurs menacés par Trump, mais aussi les scientifiques syriens et palestiniens ? (Mêmes mouvements.) Que fera le gouvernement pour mieux doter les universités et le CNRS afin qu’ils puissent augmenter leurs effectifs ? Que répondez-vous, madame la ministre, à l’intersyndicale qui manifeste, aujourd’hui, dans le refus que la recherche soit sacrifiée à l’effort de guerre ? Votre réponse, pour l’instant, ce sont les gaz lacrymogènes. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs des groupes SOC et GDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
La gravité de la situation de la recherche aux États-Unis mérite mieux que des positions caricaturales et des outrances.
M. Christophe Blanchet
Mais oui !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Depuis la réélection de Donald Trump, en effet, la science et la recherche sont confrontées à des défis sans précédent.
Un député du groupe Rassemblement national
Space X !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Des positions contraires à tous les consensus scientifiques ont été exprimées, dans de nombreux domaines : climat, biodiversité, santé publique – sans même parler de la remise en cause de certains droits fondamentaux comme les droits des femmes.
Face à de telles positions, la défense d’une recherche libre et indépendante est une priorité pour les chercheurs, pour les institutions et pour tous les citoyens soucieux de préserver les valeurs fondamentales de la science et, plus généralement, nos valeurs démocratiques.
Je vous confirme que nous défendons, en France, les principes de la liberté académique et de l’indépendance scientifique face à toutes sortes de pressions politiques.
Un député du groupe Rassemblement national
Wokistes !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Nous croyons à une recherche libre, source d’innovations, à même de conforter notre compétitivité et notre souveraineté. Nous croyons à une recherche incarnant les valeurs de tolérance, de pluralisme et d’esprit critique.
Avec les organismes de recherche et les établissements d’enseignement supérieur, nous travaillons à permettre le retour de chercheurs français ou européens, ou bien l’installation chez nous de chercheurs américains qui ne peuvent plus exercer dans leur contexte national.
M. Julien Odoul
Oh là là !
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
C’est une position que nous défendons en Européens, et que le ministre Philippe Baptiste soutient à Varsovie, au Conseil informel recherche et compétitivité.
Sachez que nous présenterons prochainement des mesures concrètes, au niveau national tant qu’européen, pour avancer en ce sens. (M. Pouria Amirshahi s’exclame.)
Situation en Syrie
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Trébuchet.
M. Vincent Trébuchet
« L’État de barbarie est tombé, enfin. » C’est ainsi qu’Emmanuel Macron saluait l’arrivée au pouvoir, en Syrie, du nouveau régime islamiste. Trois mois plus tard, des milliers de civils alaouites ont été massacrés, des chrétiens tabassés.
La barbarie islamiste a succédé à la barbarie laïque. Dans la ville de Banias, des femmes et des enfants ont été égorgés. Religieux et humanitaires témoignent d’un climat de terreur. La mère supérieure du carmel de Maaloula appelle la France au secours.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, vous qui refusez de prendre au téléphone votre homologue russe, vous avez été le premier à prêter allégeance aux héritiers de Daech à Damas.
M. Julien Odoul
C’est honteux !
M. Vincent Trébuchet
Aujourd’hui, vous refusez de condamner leur complicité avérée dans ces massacres. Jean-Yves Le Drian, lui aussi, espérait l’avènement d’un « talibanisme inclusif » : même aveuglement, même trahison.
Depuis 1 000 ans, du serment de Saint Louis à la Déclaration des droits de l’homme, la France a fait une promesse aux chrétiens d’Orient. N’abandonnez pas les minorités syriennes. Sortez enfin de votre naïveté face au président al-Charaa, qui vous avait pourtant prévenu, en refusant de serrer la main de votre homologue allemande, au motif qu’elle est une femme.
M. Hervé de Lépinau
Exactement !
M. Vincent Trébuchet
Assumez le rapport de force avec des islamistes qui ne connaissent pas d’autre diplomatie.
Le groupe UDR vous demande d’agir. Mettez immédiatement fin à tout projet d’investissement de l’Agence française de développement en Syrie. Demandez une réunion exceptionnelle du Conseil de sécurité de l’ONU et l’envoi de casques bleus, afin d’empêcher l’escalade. Soutenez, enfin, la création d’une ambassade thématique pour la défense des chrétiens d’Orient, réclamée par Éric Ciotti depuis 2021. L’Orient chrétien appelle l’Occident à l’aide : répondrez-vous à cet appel ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Julien Odoul
Ministre de la collusion avec les islamistes !
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Il y a dix ans, sous le régime sanguinaire de Bachar al-Assad – 400 000 morts, la torture à l’échelle industrielle, comme vous pourriez le constater par vous-même en visitant la prison de Saidnaya,…
Mme Caroline Parmentier
Ça va, les leçons !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
…fabrication d’armes chimiques retournées contre son propre peuple –, c’est bien de la Syrie que sont partis certains des attentats terroristes qui ont touché le territoire national. C’est encore de Syrie qu’est partie la plus grande vague migratoire de l’histoire récente : 7 millions de Syriens, fuyant les persécutions du régime de Bachar al-Assad.
M. Hervé de Lépinau
Et de Daech !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Quand ce régime est tombé, le 7 décembre dernier, qu’auriez-vous donc voulu que nous fassions ? À vous écouter, la France aurait dû mettre la tête dans le sable,…
M. Julien Odoul
Elle aurait dû faire preuve de prudence !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
…détourner le regard.
Mais ce n’est pas la France. La première ligne de défense des Français, c’est la diplomatie. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes rendus en Syrie, afin de faire part aux autorités de transition de nos exigences en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme, qui passent par le respect des droits et des intérêts des Kurdes de Syrie et par la destruction des stocks d’armes chimiques du régime.
M. Hervé de Lépinau
On voit le résultat !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Je l’ai dit tout à l’heure : nous voyons venir les fruits de ces semaines de médiation, puisqu’un accord a été trouvé avec les Kurdes et qu’on m’informe à l’instant qu’un accord a également été trouvé avec les Druzes. L’organisation internationale d’interdiction des armes chimiques, armes qui menacent la sécurité internationale et celle des Français, va pouvoir, quant à elle, procéder à leur destruction.
M. Julien Odoul
Et les kalachnikovs ?
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Ceci étant dit, nous ne faisons preuve d’aucune naïveté ni d’aucune complaisance. (« Oh ! » sur les bancs du groupe RN.)
M. Julien Odoul
Ce n’est pas le genre de la maison !
M. Xavier Breton
Al-Charaa refuse de serrer la main d’une femme et vous ne dites rien ? Quand quelqu’un refuse de serrer la main d’une femme, on s’en va !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Nous ne pourrons accepter aucune levée de sanction si nous n’avons pas de garantie que les exactions dont ont été victimes les civils alaouites et chrétiens seront punies par la justice syrienne.
M. Hervé de Lépinau
On ne dialogue pas avec le diable !
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Trébuchet.
M. Vincent Trébuchet
Depuis 2011, les islamistes vous avaient prévenu. Leur slogan était alors « l’Alaouite au tombeau, le chrétien à Beyrouth ». Quand les chrétiens auront disparu du Proche-Orient, vous serez comptable de votre naïveté devant l’histoire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Hébergement d’urgence
Mme la présidente
La parole est à M. Arnaud Simion.
M. Arnaud Simion
Ma question s’adresse à la ministre chargée du logement. J’y associe ma collègue Sandrine Runel, députée du Rhône, ainsi que Jacques Oberti et Joël Aviragnet, députés de Haute-Garonne.
Nous avons récemment appris que l’État s’apprêtait à mener deux expérimentations, dans le Rhône et en Haute-Garonne, pour – en des termes pudiques – « fluidifier les centres d’hébergements et les foyers ».
Avec ces expérimentations, l’État s’apprête tout bonnement à hiérarchiser la misère sociale plutôt que de chercher des solutions pour y remédier. Afin d’y libérer des places, il expulse des ménages de ces centres. C’est une décision brutale et inédite : une mise en concurrence des vulnérabilités, un tri social adossé aux critères du pire.
Sont considérées comme non prioritaires, et ainsi remises à la rue, les personnes – souvent des femmes – n’ayant pas, ou plus, d’enfant de moins de trois ans et n’ayant pas de problème de santé.
M. Inaki Echaniz
C’est une honte !
M. Arnaud Simion
Cette expérimentation est pourtant contraire aux dispositions du code de l’action sociale et des familles, qui consacrent l’inconditionnalité de l’accueil pour toute personne en situation de sans-abrisme et de détresse médicale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. Emeric Salmon
De sans-abrisme ? (Sourires.)
M. Arnaud Simion
Des enfants de plus de trois ans, scolarisés dans nos écoles, seront concernés.
M. Inaki Echaniz
Une honte !
M. Arnaud Simion
Alors que les préfectures du Rhône et de Haute-Garonne restent silencieuses et que la représentation nationale n’en a pas été informée, pourriez-vous nous donner la justification de cette expérimentation ?
Alors que le programme 177 destiné à l’hébergement d’urgence est sous-doté, ne pensez-vous pas, suivant en cela les préconisations de la Cour des comptes dans son rapport du 1er octobre 2024, qu’une contractualisation pluriannuelle permettrait une gestion durable des crédits et faciliterait le travail de l’ensemble des acteurs et des actrices de terrain ? Je pense à l’État déconcentré lui-même, aux foyers d’hébergement, aux associations, sans oublier les travailleuses et travailleurs sociaux de nos EPCI et collectivités. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC, dont plusieurs députés se lèvent.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.
M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation
Je voudrais d’abord rappeler le cadre général de la politique de lutte contre le sans-abrisme. On ne peut pas nier qu’il s’agit d’une priorité de l’État, qui a fait l’objet de très importants investissements financiers. Une nouvelle politique a été menée, depuis 2017, afin que l’ensemble des dispositifs soient tournés vers l’accès au logement et le maintien dans le logement, tout en mettant à disposition un parc d’hébergements d’urgence suffisamment dimensionné pour répondre immédiatement aux situations de grande détresse.
Cette double orientation s’est traduite par deux plans logement successifs,…
Mme Sandrine Runel
Ça ne répond pas à la question !
M. François Rebsamen, ministre
…et par l’augmentation de 65 %, par rapport à 2017, du nombre de places en hébergement généraliste, pour atteindre un parc de 203 000 places au niveau national – places qui, en dépit des difficultés financières, ont été pérennisées pour 2025.
En Haute-Garonne, le nombre de places a quasiment doublé depuis dix ans, témoignant de la volonté de l’État de remplir ses obligations en matière d’hébergement et de prise en charge des personnes vulnérables.
Vous avez raison, au demeurant, de considérer que les besoins restent très importants, et que certains territoires ne sont pas suffisamment couverts.
L’expérimentation que vous évoquez…
Mme Sandrine Runel
Ah !
M. François Rebsamen, ministre
…résulte, vous le savez, d’une décision du tribunal administratif de Toulouse. Avec Mme Létard, nous travaillons à trouver des réponses permettant, à chaque fois, d’éviter des remises sèches à la rue.
Mme Sandrine Runel
Mais ces personnes sont à la rue !
M. François Rebsamen, ministre
Devant vous, je m’engage à ce qu’il n’y ait aucune remise en question de l’inconditionnalité de l’accueil ainsi que des droits des personnes.
M. Inaki Echaniz
Ce n’est pas ce que vous faites !
M. François Rebsamen, ministre
Les conditions de mise en œuvre de l’expérimentation dans le Rhône relèvent d’une appréciation locale et ne sont pas satisfaisantes.
Une députée du groupe SOC
Ah !
M. François Rebsamen, ministre
J’ai demandé qu’on mette un terme à ces expérimentations dans les deux territoires.
Mme Sandrine Runel
Eh bien, appelez la préfète pour le lui dire !
Flux migratoires
Mme la présidente
La parole est à Mme Michèle Martinez.
Mme Michèle Martinez
Pas une région de notre pays n’est épargnée par la submersion migratoire. Le village de Cerbère, petit coin de paradis entre la France et l’Espagne, est en train de devenir un nouveau hot spot pour migrants. Ses habitants en appellent à l’État, censé les protéger.
Alors que certains pays, comme l’Italie, reprennent le contrôle de leurs flux migratoires, la France reste une passoire et les passeurs s’adaptent en réorientant leur ignoble trafic d’êtres humains vers l’Espagne, les Pyrénées devenant un point de passage privilégié.
Je le constate régulièrement en faisant le tour des points de contrôle, où les policiers font face à un manque de moyens et, surtout, de volonté politique. Une fois arrivés dans les Pyrénées-Orientales, même sous OQTF, les migrants restent avec la complicité d’associations promigrants subventionnées et de cabinets d’avocats qui n’ont aucune honte à faire du business sur la misère humaine. Une partie de ces migrants grossit d’ailleurs les rangs des exploités du trafic de drogue.
Monsieur le ministre de l’intérieur, les contrôles aux frontières de l’Union européenne ne suffisent pas. L’exemple italien prouve qu’avec de la volonté, la submersion migratoire n’est pas une fatalité.
Le Rassemblement national réclame depuis des années une double frontière, avec des contrôles systématiques à l’entrée en France. Que Marine Le Pen et Jordan Bardella n’ont-ils pas entendu quand ils ont fait cette proposition ; pourtant, le premier ministre a annoncé la généralisation de la force aux frontières à l’ensemble du territoire national.
Nous saluons cette annonce inspirée d’une mesure phare de notre programme mais nous sommes sceptiques, tant nous savons que ce gouvernement se paie de mots, mais n’agit jamais sur l’immigration et la sécurité.
De quels moyens humains, financiers et matériels sera dotée cette force ? Les contrôles seront-ils désormais systématiques à la frontière franco-espagnole, sans quoi cette annonce gouvernementale ne sera, une fois de plus, qu’un artifice de communication ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur quelques bancs du groupe UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
Je vous prie de bien vouloir excuser Bruno Retailleau, qui assiste en ce début d’après-midi à la pose par le président de la République de la première pierre des futurs locaux de la direction générale de la sécurité intérieure.
Le sujet que vous évoquez est connu depuis longtemps, et largement documenté. Je formulerai deux observations : la première, c’est que, contrairement à l’Italie qui vient de régulariser plus de 500 000 personnes, nous avons décidé de ne pas régulariser massivement les étrangers en situation irrégulière.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Ah ! Vous regardez Meloni maintenant ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Nous y tenons car l’effet d’appel d’air est réel – d’autres territoires l’ont constaté.
M. Alexandre Portier
Oui !
M. François-Noël Buffet, ministre
Si l’effet immédiat peut apparaître positif, j’y insiste, l’appel d’air est réel, et ce n’est pas notre choix politique.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Ça n’existe pas, l’appel d’air !
M. François-Noël Buffet, ministre
Second point, vous n’êtes pas sans savoir qu’à la frontière franco-italienne, à Vintimille en particulier, une force aux frontières est déjà à l’œuvre depuis de nombreuses années. Ce dispositif de contrôle aux frontières intègre la police française et la police italienne.
Récemment, en accord avec le premier ministre, le ministre de l’intérieur a décidé de renforcer les contrôles à toutes nos frontières, les brigades étant composées à la fois de gendarmes et de policiers, y compris de policiers de l’Union européenne pour contrôler les frontières de l’Europe. (M. Benjamin Lucas-Lundy s’exclame.)
C’est un enjeu fondamental : il faut renforcer au niveau européen la protection de l’accès au territoire européen. La semaine dernière, j’ai assisté à une réunion – notamment avec le ministre de l’intérieur espagnol. Des coopérations sont en cours et les contrôles aux frontières, singulièrement à la frontière franco-espagnole, seront renforcés. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – Mme Danielle Brulebois applaudit également.)
Mme la présidente
Nous avons terminé les questions au gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Xavier Breton.)
Présidence de M. Xavier Breton
vice-président
M. le président
La séance est reprise.
2. Maîtrise d’ouvrage pour les communes rurales
Discussion d’une proposition de loi adoptée par le Sénat
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi créant une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d’ouvrage pour les communes rurales (nos 132, 1018).
Présentation
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la ville.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville
Je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Françoise Gatel, ministre déléguée chargée de la ruralité, qui représente le gouvernement au Sénat pour la discussion de deux textes : la proposition de loi visant à renforcer la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal, et la proposition de loi organique visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales. Je me présente devant vous avec grand plaisir, tant nos ministères, celui de la ruralité et le mien, dont relèvent les quartiers prioritaires de la politique de la ville, partagent un même objectif, au-delà de leurs différences et de la diversité des territoires – prendre soin d’habitants qui se sentent exclus de la République.
Les communes sont le fondement de notre démocratie ; elles sont des lieux d’expression et de vie, notamment pour les 22 millions de nos concitoyens qui vivent en zone rurale. Pour nous autres, élus locaux, les communes représentent la proximité et le quotidien. Elles motivent l’engagement d’élus bénévoles qui s’investissent au service des autres pour faire vivre la démocratie locale et pour contribuer à la qualité de vie de chacun d’entre nous.
C’est aussi cette idée qui guide l’action des préfets et des sous-préfets, visages de l’accompagnement par l’État dans les projets d’investissement des communes, et l’action du gouvernement en faveur de l’ingénierie territoriale, une ingénierie sur mesure pilotée par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), dont les services déconcentrés sont aux mains des préfets. Vendredi dernier, Françoise Gatel, en déplacement dans les Vosges, a annoncé une bonne nouvelle : en 2025, plus de 400 nouveaux projets seront accompagnés dans le cadre du programme Villages d’avenir.
La proposition de loi soumise à votre examen vise à aller plus loin encore pour accompagner les communes rurales de petite taille dans leurs projets d’investissement, en particulier celles qui comptent moins de 2 000 habitants.
Le travail parlementaire a permis de faire évoluer le texte initial, en fixant à 5 % le seuil minimal de participation des maîtres d’ouvrage à leurs projets d’investissement. Le gouvernement salue cette évolution, car le maintien d’une participation minimale est conforme à deux principes : le principe de responsabilité, constamment rappelé dans le code général des collectivités territoriales (CGCT), qui veut que le maître d’ouvrage prenne sa part de risque ; le principe de protection, dans la mesure où cela évitera à des communes de s’engager dans des projets dont elles pourraient difficilement assumer, dans la durée, les charges de fonctionnement. Nous sommes attentifs tant à la qualité du service rendu qu’à la pérennité des investissements publics.
La proposition de loi telle qu’elle a été amendée est louable, mais elle nécessite encore un léger ajustement, de nature purement juridique. Je vous inviterai à voter un amendement du gouvernement à cette fin. En effet, le seuil de 5 % envisagé aurait vocation à s’appliquer de façon uniforme sur l’ensemble du territoire national. Or le critère de potentiel financier introduit par le Sénat est en pratique peu opérant, car trop large : sur les 29 000 communes de moins de 2 000 habitants que compte notre pays, 28 500 pourraient se voir appliquer le taux dérogatoire de 5 %. Autrement dit, le critère n’est guère discriminant, puisqu’il ne distingue pas, parmi les communes, celles qui ont le plus besoin de la solidarité nationale. L’intérêt de la proposition de loi était pourtant de soutenir les petites communes, celles qui en ont le plus besoin.
Le gouvernement propose d’introduire davantage de souplesse en territorialisant l’application de cette mesure. Elle serait appliquée par le préfet en vertu de son pouvoir de dérogation. Le représentant de l’État dans le département disposerait ainsi d’un pouvoir d’appréciation et pourrait retenir ce seuil de 5 % si les capacités financières de la commune le justifient.
En tant qu’élus des territoires, vous êtes favorables, je le sais, à l’idée qu’il faut pouvoir s’adapter. Les élus locaux et les préfets, qui incarnent l’État, sont eux aussi des interlocuteurs du quotidien. Ces derniers disposent déjà d’un tel pouvoir de dérogation, qui leur a été attribué par décret en 2020. Ce pouvoir de dérogation a permis le financement de plusieurs dizaines de projets d’investissement pour lesquels la participation du maître d’ouvrage a été inférieure au taux de 20 % prévu par la loi. À titre d’exemple, en 2022, une quarantaine de projets financés par la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) et une vingtaine d’autres financés par la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) ont bénéficié de cette dérogation.
Nous vous proposons d’étendre par la voie législative ce mécanisme qui existe déjà afin de tenir compte de la fragilité de certaines communes de petite taille. Nous nous appuierons sur les représentants de l’État, qui ont votre confiance, afin de mieux piloter pour le compte de l’État les crédits dédiés à l’aménagement du territoire.
L’objectif est en outre de sécuriser juridiquement les collectivités face au risque d’enrichissement sans cause que pourraient occasionner les remboursements liés au fonds de compensation pour la TVA (FCTVA). Ce fonds, doté de 7,7 milliards d’euros en 2025, est un instrument essentiel du soutien apporté par l’État à l’investissement des collectivités territoriales.
Ces remboursements s’ajoutent aux différentes subventions perçues par les collectivités dans le cadre de leurs projets d’investissement et permettent de couvrir une partie significative du coût des opérations. Dès lors, si nous abaissons de 20 % à 5 % le seuil de participation minimale du maître d’ouvrage sans prendre en compte les remboursements du FCTVA, il devient possible que des communes à l’origine d’un projet d’investissement bénéficient d’un financement total supérieur au coût du projet. Une telle situation serait constitutive d’un enrichissement sans cause qui exposerait les collectivités concernées à un risque de contentieux. Cela compliquerait davantage encore la conduite de leurs projets d’investissement, et les contraindrait à rembourser le trop-perçu, ce qui menacerait la pérennité de leurs plans de financement – on obtiendrait le résultat inverse de celui visé par cette brillante proposition de loi.
Cela exposerait aussi les préfets ayant accordé cet avantage indu : leur responsabilité de gestionnaires publics pourrait être engagée. Un tel risque pourrait les conduire à faire preuve d’une certaine réticence dans l’attribution des dérogations.
Avec responsabilité, le gouvernement vous propose donc un dispositif qui prend en compte les remboursements du FCTVA et, par là même, sécurise les élus, les collectivités et les préfets.
Le soutien à tous nos territoires, ruraux ou non, constitue une priorité de l’action du gouvernement. Malgré le nécessaire effort d’économies dans lequel nous nous sommes engagés, la dernière loi de finances illustre nos priorités. Au nom de Françoise Gatel, je rappelle que la dotation globale de fonctionnement (DGF) a augmenté de 150 millions d’euros pour la troisième année consécutive, l’augmentation cumulée depuis 2022 atteignant 790 millions d’euros. La dotation de solidarité rurale (DSR) a elle aussi progressé de 150 millions. Le montant total de la dotation de soutien aux communes pour les aménités rurales a été porté à 110 millions. La DETR, principale dotation d’investissement, est stable et s’établit à 1 046 millions. Le fonds Vert, institué en 2022, a été reconduit à hauteur de 1,15 milliard d’euros. Vous le voyez, le gouvernement partage l’idée qu’il est nécessaire d’aider les communes rurales et y travaille concrètement.
Sous réserve de l’adoption de l’amendement que je viens d’évoquer, le gouvernement apporte son soutien à la proposition de loi. Elle constituera une étape forte et claire de son action en faveur des communes rurales et apportera une réponse non seulement adaptée aux réalités du terrain, mais aussi sécurisante pour les acteurs sur le plan juridique.
M. le président
La parole est à M. Jean Moulliere, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Jean Moulliere, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Veuillez excuser l’absence de Florent Boudié, président de la commission des lois, retenu au Conseil d’État.
La présente proposition de loi est un beau signal envoyé à nos communes rurales. Je tiens à saluer l’engagement des sénateurs qui l’ont déposée, Dany Wattebled et Marie-Claude Lermytte, et salue la présence de cette dernière dans les tribunes de notre hémicycle. Le Sénat a adopté le texte le 24 février 2024 sur le rapport du sénateur Hussein Bourgi. Lundi 3 mars, la commission des lois de l’Assemblée nationale a examiné et adopté à l’unanimité le texte sénatorial, sans y apporter de modification.
Replaçons la proposition de loi dans son contexte. L’article 76 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, dite loi RCT, a modifié le code général des collectivités territoriales pour mieux encadrer ce que l’on appelle communément les financements croisés entre plusieurs collectivités. Ces financements croisés permettent notamment aux collectivités disposant de faibles ressources financières de lancer des projets d’investissement qu’elles ne seraient pas en mesure de financer seules. Toutefois, ils ne présentent pas que des avantages : ils peuvent ralentir certains projets d’investissements, du fait de la multiplication du nombre d’acteurs impliqués ; ils peuvent faciliter le financement de projets dont les coûts de fonctionnement ne pourront pas ensuite être financièrement assumés par la collectivité gestionnaire ; ils peuvent nuire à la lisibilité de l’action publique ; s’il n’y a pas de participation financière de la collectivité maître d’ouvrage, ils risquent de mener à une forme de tutelle de fait d’une collectivité territoriale sur une autre.
Pour toutes ces raisons, l’article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales prévoit, depuis l’adoption de la loi RCT, un principe de participation financière minimale pour toute collectivité territoriale ou groupement assurant la maîtrise d’ouvrage d’un projet d’investissement. Cette participation minimale est fixée à 20 % du montant total des financements apportés au projet par des personnes publiques. Autrement dit, le cumul des subventions publiques est limité à 80 % de ce montant.
La loi prévoit toutefois un taux de participation réduit, fixé à 10 %, pour certains projets d’investissement réalisés en Corse, ainsi qu’une exemption générale dans les outre-mer. Elle prévoit en outre la possibilité de dérogations, sur décision du préfet de département, pour les monuments protégés, mais aussi, sous certaines conditions, pour le patrimoine non protégé et, plus largement, pour les projets structurants pour les collectivités – ponts et ouvrages d’art, équipements pastoraux, aménagements de défense extérieure contre les incendies, centres de santé, réparation des dégâts causés par des calamités publiques, restauration de la biodiversité, rénovation énergétique des écoles, collèges et lycées.
Malgré cela, la participation minimale exigée est parfois disproportionnée pour nos petites communes rurales. Si les dérogations sont possibles en théorie, il en est peu fait usage. La direction générale des collectivités locales (DGCL), que j’ai auditionnée avant l’examen du texte en commission, m’a ainsi indiqué qu’en 2022, seules quelques dizaines de projets avaient bénéficié d’une dérogation. Le faible recours à ce dispositif s’explique par plusieurs raisons : l’existence de ces dérogations est encore trop peu connue, notamment par les élus locaux, même les plus expérimentés d’entre eux ; les motifs d’octroi ou de refus des dérogations ne sont pas explicités, le dispositif ne semblant pas faire l’objet d’une application uniforme sur l’ensemble du territoire ; le montage des dossiers de demande de dérogation est complexe pour les communes rurales, qui disposent d’outils limités en matière d’ingénierie financière.
Ces difficultés peuvent conduire les communes rurales à différer certains projets d’investissement, voire à y renoncer, alors même qu’un report peut entraîner des coûts supérieurs à l’avenir – c’est le cas pour la rénovation du patrimoine ou pour les routes et les ponts.
C’est à l’ensemble de ces difficultés que la proposition de loi du Sénat vise à remédier. Dans sa version initiale, son article unique exemptait toutes les communes rurales de l’obligation de participation minimale au financement des projets dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage. Le Sénat a toutefois estimé qu’une exemption totale de participation n’était pas la meilleure solution, et notre commission des lois a souscrit à cette analyse. En effet, d’une part, une exemption totale risque de déresponsabiliser les communes pour des projets qui sont pourtant les leurs ; d’autre part, un financement minimal est nécessaire pour s’assurer que la commune pourra financer les éventuels frais de fonctionnement ultérieurs.
Pour ces raisons, le Sénat a apporté trois modifications principales : premièrement, il a transformé l’exemption en un abaissement du taux de participation minimale à 5 %, contre 20 % actuellement ; deuxièmement, il a restreint l’application de cette mesure aux seules communes de moins de 2 000 habitants dont le potentiel financier par habitant est inférieur à deux fois le potentiel financier moyen par habitant des communes de moins de 2 000 habitants ; troisièmement, il a limité le champ des projets d’investissement concernés, dans l’objectif de cibler les projets les plus structurants pour ces communes : projets de rénovation du patrimoine, de rénovation énergétique des bâtiments, d’eau potable et d’assainissement, de protection contre les incendies, de voirie communale ou encore projets concernant les ponts et ouvrages d’art.
Il me semble que le dispositif adopté par le Sénat est équilibré. Il cible les communes rurales qui ont le plus besoin de réduire leur participation financière, et concerne des projets d’investissement qui engendrent peu de frais de fonctionnement futurs ou n’en engendrent pas, par exemple les projets de rénovation du patrimoine ou de renouvellement des réseaux d’eau ou de la voirie. En outre, la participation réduite aux projets de rénovation énergétique des bâtiments permettra même aux communes rurales de réduire leurs frais de fonctionnement futurs.
Certes, ce texte n’est peut-être pas parfait : en particulier, le critère lié au potentiel financier semble trop technique alors qu’il concerne un nombre très large de communes – 28 500 sur 29 000. Au demeurant, la rédaction actuelle de l’article L. 1111-10 du code général des collectivités territoriales n’est pas parfaite non plus : cet article s’est construit, depuis 2010, par ajout de dérogations successives, dont les critères ou les conditions varient sans véritable raison.
Néanmoins, si notre assemblée adopte conforme cette proposition de loi, elle pourra entrer directement en vigueur, au bénéfice des communes rurales. La modifier risquerait de retarder fortement la poursuite de la navette parlementaire. En effet, le groupe Les Indépendants-République et territoires, dont sont issus les auteurs de la proposition de loi, ne peut plus inscrire de texte à l’ordre du jour du Sénat pour cette session. Je vous invite donc à adopter cette proposition de loi sénatoriale sans y apporter de modification, comme l’a fait notre commission des lois. (Mme Émilie Bonnivard applaudit.)
Discussion générale
M. le président
Dans la discussion générale, la parole est à M. Christophe Bex.
M. Christophe Bex
Cette proposition de loi adoptée par le Sénat vise à introduire, pour les communes rurales, une dérogation au taux de participation minimale de 20 % exigé dans leurs projets d’investissement. Nous tenons à saluer cette initiative, qui concerne 86 % de nos communes, celles de moins de 2 000 habitants, au nombre de 30 000. Elles sont dans un étau financier : d’un côté, leurs ressources se raréfient – suppression de la taxe professionnelle et de la taxe d’habitation ; de l’autre, leurs dépenses sont en forte hausse.
Dans une France où tous les regards sont en permanence tournés vers Paris, où les métropoles aspirent toutes les activités, où les grandes régions effacent les départements, voilà enfin une proposition de loi destinée aux territoires ruraux ! C’est l’occasion d’évoquer ces communes au cœur de la vie locale, qui assurent des services indispensables. Je pense à la commune de Grépiac, qui a investi dans la réouverture d’un commerce multiservices de proximité ; je pense à la commune de Gensac-sur-Garonne, qui souhaite investir dans un terrain de sport ; je pense à Saint-Hilaire, à Bois-de-la-Pierre, à Houdelaincourt, à la très grande majorité des communes de France.
Notre société est souvent qualifiée d’individualiste, accusée de se recroqueviller. Paradoxe : nous sommes quand même le pays qui, lors des dernières élections municipales, a compté près de 1 million de candidats, souhaitant s’engager au service de leur commune. Mais il est vrai que nous vivons dans des bulles : nous nous retrouvons souvent par affinités, au sein d’un milieu social, partageant les mêmes valeurs et idéaux. Ce phénomène est amplifié par les réseaux sociaux où, comme des poissons rouges, nous tournons en rond dans notre bocal.
Dans le même temps, on nous reproche, à nous, les députés, la vivacité de nos échanges, qui peuvent virer à la confrontation. Mais quoi de plus naturel, dans un hémicycle où s’expriment des oppositions ? L’Assemblée est un reflet du pays, et il est bon que les gens défendent leurs idées avec passion et détermination, comme cela a toujours été le cas dans notre histoire parlementaire.
Nous manquons justement, dans le pays, de lieux où les citoyens et citoyennes se rencontrent pour échanger, se confronter, débattre. Nous devons allouer aux communes, plus particulièrement aux petites communes, les moyens financiers et administratifs d’investir non seulement dans l’essentiel mais également dans l’aménagement de tiers lieux. Nous avons eu, hier, une discussion sur l’ouverture des cafés. Au-delà, c’est dans des espaces de sociabilité, d’initiative citoyenne, des lieux de rencontre, de réunion, d’échanges qu’il faut investir, pour que, dans toutes les communes de France, se partagent ressources et savoirs. Il y va de la bonne santé de notre démocratie ! Pour éviter que s’aggrave la fracture que j’ai décrite, nous avons besoin de biens communs, de services publics, ce qui passe par de l’investissement dans nos territoires, même dans ceux qui nous paraissent lointains.
Ainsi cette proposition de loi, que nous trouvons bienvenue, doit-elle aller suffisamment loin, sinon elle n’aura pas d’effet. Il existait déjà une dérogation, mais le constat est sans appel : en 2022 – le rapporteur y a fait allusion –, seules 0,45 % des demandes ont bénéficié d’une dérogation. Cela démontre la rigidité du dispositif actuel mais également la méconnaissance et la complexité des démarches pour les petites collectivités, qui ne disposent pas toujours des moyens d’ingénierie pour en faire la demande. Si, en abaissant le taux de participation à 5 % pour les communes rurales, le texte constitue une avancée, nous regrettons toutefois que la version initiale, qui prévoyait une exemption totale, ait été amendée.
Dans notre pays, les collectivités locales réalisent 64 % de l’investissement public. Sans elles, pas de transition écologique ni énergétique, pas de rénovation des bâtiments – qui représentent 76 % de la consommation énergétique des communes rurales et près de 27 % des émissions de gaz à effet de serre. Notre position vise à aller plus loin dans la réduction du reste à charge pour ces communes, afin qu’aucun projet ne soit laissé de côté, faute de financements. Ce que nous défendons, c’est le refus des baisses de dotations, l’indexation de la DGF sur l’inflation, le rétablissement graduel de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Nous appelons malgré tout à l’adoption de cette proposition de loi, pour garantir une véritable justice territoriale et permettre à nos communes rurales de continuer à jouer leur rôle, au service des citoyens et pour la vitalité de notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Pouria Amirshahi applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle
En tant que parlementaires, nous sommes régulièrement interpellés sur les difficultés rencontrées par les élus de nos territoires pour mener à bien les projets d’investissement dont leurs communes ont cruellement besoin. Cette situation touche particulièrement les communes rurales, dont les budgets sont beaucoup plus contraints.
Ce constat s’explique en partie par la contraction des ressources financières des collectivités locales, mais aussi par l’existence de règles beaucoup trop rigides introduites par la loi RCT du 16 décembre 2010. En vertu de cette loi, une collectivité locale, maître d’ouvrage d’une opération d’investissement, ne peut pas recevoir plus de 80 % de subventions publiques pour financer cette opération. Autrement dit, chaque collectivité doit participer à hauteur de 20 % minimum, lorsque son projet est intégralement financé par des subventions publiques.
Si l’intention du législateur était d’encadrer la pratique des financements croisés, force est de constater que ce reste à charge de 20 % paraît disproportionné pour de nombreuses communes rurales, ce qui les contraint malheureusement, dans bien des cas, à renoncer à leurs projets d’investissement.
Pour permettre une plus grande souplesse, des dérogations à ce reste à charge de 20 % ont déjà été introduites. Ainsi, les collectivités d’outre-mer ne sont soumises à aucun reste à charge minimal, tandis que les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de Corse bénéficient d’un abaissement du seuil à 10 % pour certains types d’investissement. Les autres collectivités peuvent, quant à elles, bénéficier au cas par cas de dérogations accordées par le préfet de département, dans un certain nombre de domaines comme la rénovation du patrimoine, la réparation des dégâts provoqués par des calamités publiques, les travaux sur les ponts et ouvrages d’art ou encore les aménagements de défense extérieure contre les incendies.
Toutefois, ces dérogations ne sont à elles seules pas suffisantes pour répondre aux difficultés rencontrées par les petites communes rurales. D’une part, elles sont attribuées de façon totalement discrétionnaire et restent très largement sous-utilisées – selon la DGCL, une centaine de dérogations seulement auraient été octroyées en 2022, ce qui est très peu sur un total d’environ 22 000 projets d’investissement lancés –, soit parce qu’elles sont peu connues des maires, voire des préfets, soit parce que les dossiers de demande sont complexes à formuler. D’autre part, elles ne concernent qu’un nombre restreint de projets, les travaux de voirie ou de rénovation énergétique des bâtiments publics étant, par exemple, exclus du champ de la dérogation, alors qu’ils représentent une part importante des travaux d’investissement menés chaque année.
Dans ce cadre, la proposition de loi que nous examinons vise à répondre à ces difficultés, en ajoutant aux dérogations existantes une diminution du reste à charge pour les plus petites communes. Dans sa version initiale, elle ambitionnait, sur le modèle applicable aux collectivités d’outre-mer, d’exonérer de tout reste à charge les communes rurales, et ce pour tous les types d’investissement. Lors de son examen en première lecture, le Sénat a jugé utile de recentrer le bénéfice de cette exonération en opérant trois modifications : tout d’abord, la suppression de tout reste à charge est remplacée par un reste à charge minimal de 5 %, afin – nous est-il dit – de responsabiliser les collectivités sur les choix des investissements à réaliser ; ensuite, le dispositif a été fléché vers les communes de moins de 2 000 habitants dont les difficultés financières sont les plus importantes, par l’ajout d’un critère relatif au potentiel financier par habitant ; enfin, le bénéfice de cette dérogation pourra être accordé à une liste ciblée et élargie de projets, comme les travaux de voirie communale, les travaux de rénovation énergétique de l’ensemble des bâtiments – et non plus seulement des bâtiments scolaires – ou encore les investissements en matière d’eau potable et d’assainissement.
La rédaction telle qu’issue du Sénat nous semble équilibrée et va dans le bon sens. Même si nous avons conscience qu’elle ne réglera pas à elle seule toutes les difficultés rencontrées, cette proposition de loi constitue un premier pas, que nous soutenons. Nous regrettons vraiment que le gouvernement ne soit manifestement pas sur la même longueur d’onde, ainsi qu’en témoigne l’amendement qu’il a déposé : il propose de remplacer l’abaissement automatique du reste à charge à 5 % par une dérogation qui serait accordée, sous conditions et au cas par cas, par le préfet. Nous nous opposerons à cet amendement car, s’il était adopté, il viderait la proposition de loi de sa substance.
Le groupe Socialistes et apparentés votera donc en faveur de cette proposition de loi dans sa version adoptée en commission, afin qu’elle puisse entrer en vigueur rapidement. Il y a urgence. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Emmanuel Duplessy et Mme Martine Froger applaudissent également.)
M. le président
La parole est à Mme Émilie Bonnivard.
Mme Émilie Bonnivard
La France est riche de ses 35 000 communes. L’examen de ce texte est pour moi l’occasion de dire toute notre reconnaissance aux maires et aux élus locaux, qui non seulement font vivre la démocratie locale, mais qui, par leur engagement quasi bénévole – voire totalement bénévole pour la grande majorité d’entre eux –, aménagent quotidiennement la France, notre beau pays, au bénéfice de nos concitoyens. Ils sont les premiers partenaires de l’État, les principaux artisans et bâtisseurs des territoires, notamment des plus ruraux. Sans eux, la France n’aurait pas ce visage et les Français ne pourraient pas vivre là où ils le souhaitent. Je salue et remercie vivement les maires et les élus locaux de ma circonscription.
Regardons la réalité en face : depuis 2012, les ressources propres des communes ont considérablement diminué. La DGF a baissé ; les prélèvements alimentant le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic) ont augmenté démesurément ; des impôts locaux ont été supprimés sans jamais être totalement compensés. Parallèlement, les dépenses communales ont explosé, notamment du fait de l’inflation. Les communes les plus petites et les plus pauvres n’ont plus les moyens d’assurer des missions pourtant fondamentales au service de nos concitoyens – je pense à la sécurité incendie, aux écoles, à l’entretien des routes ou des réseaux d’eau.
Pour mener à bien leurs projets, elles sont dépendantes des subventions octroyées par les régions et les départements en fonction de leurs priorités politiques, ce qui entraîne des disparités importantes sur le territoire national. Quant aux subventions de l’État, elles n’ont aucune garantie de les obtenir. À cela s’ajoute, pour les petites communes, l’impossibilité de disposer de services à même d’identifier les sources de financement et de monter des dossiers de subvention souvent complexes. Combien de maires de petites communes de ma circonscription ont renoncé à monter de tels dossiers, compte tenu de leur complexité et faute du personnel nécessaire ?
M. Alexandre Portier
Eh oui !
Mme Émilie Bonnivard
En définitive, ce sont paradoxalement les communes qui auraient le plus besoin de financements croisés qui en bénéficient le moins. Cette dégradation organisée de l’autonomie financière des communes, que Les Républicains – et aujourd’hui la Droite républicaine – condamnent depuis plus de dix ans, nous oblige à leur apporter de nouvelles solutions chaque fois que cela est possible. Ce texte y contribue un peu en portant de 20 % à 5 % la participation minimale des communes de moins de 2 000 habitants – les moins aisées – à leurs projets d’investissement les plus structurants et obligatoires.
Ces dispositions ne concernent pas tous les projets mais seulement les plus coûteux et les plus indispensables à la population : protection contre les incendies, réseau d’eau, routes, rénovation énergétique des bâtiments publics, ouvrages d’art, etc. – il ne s’agit donc pas de projets facultatifs ou de petits projets inutiles !
La situation des finances publiques ne nous permet pas de faire de la démagogie et de dire que nous financerons à 100 % ces travaux. Ce n’est absolument pas raisonnable – les élus locaux, qui administrent leur commune, le savent.
Mme Justine Gruet
Eh oui ! Elle a raison !
Mme Émilie Bonnivard
C’est pourquoi le Sénat a recalibré le dispositif de façon responsable.
Je tiens à citer un exemple concret montrant que ce texte de loi est nécessaire. Dans ma circonscription, la commune du Pontet, peuplée de 133 habitants et située aux confins de la vallée des Huiles, qui est un territoire éminemment rural et de montagne, a eu la plus grande difficulté à assurer la protection contre les incendies de ses hameaux éloignés – il s’agit de la sécurité de nos concitoyens. Cela lui a pris de nombreuses années et elle a dû y consacrer une part prépondérante de son budget. Elle y est parvenue au prix du renoncement à tous les autres projets pour ses concitoyens. Le maire était bien seul : en dépit des subventions, la part restant à la charge de cette commune pauvre était considérable.
Au cours de son mandat, le maire actuel avait un seul projet : la rénovation énergétique et la modernisation du premier bâtiment public de la République, à savoir la mairie. Il y a renoncé en raison de l’impossibilité pour la commune d’assurer la participation minimale de 20 %. De ce fait, la commune du Pontet n’a bénéficié d’aucune des subventions publiques qui lui étaient pourtant destinées pour ce projet – c’est tout à fait paradoxal. Les habitants sont donc condamnés à avoir une mairie énergivore et plus que vieillissante.
La proposition de loi vise précisément à lutter contre un tel développement à deux vitesses. C’est la raison pour laquelle, vous l’aurez compris, le groupe Droite républicaine votera pour ce texte et s’opposera à l’amendement du gouvernement, qui le viderait de sa substance. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. Alexandre Portier
Très bien !
M. le président
La parole est à M. Emmanuel Duplessy.
M. Emmanuel Duplessy
La présente proposition de loi, issue du Sénat, prévoit d’autoriser les communes rurales de moins de 2 000 habitants à déroger à la règle leur imposant une participation minimale de 20 % dans les projets d’investissement dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage. Ce texte est bienvenu, car il rend automatique une dérogation que les préfets de département n’attribuaient qu’au cas par cas pour des projets tels que la rénovation de monuments protégés, la réparation de dégâts causés par les calamités naturelles, les opérations relatives au patrimoine non protégé, les ponts ou les ouvrages d’art, les équipements pastoraux.
Les dérogations restaient assez rarement demandées, soit parce que les communes – parfois même les préfets – n’en connaissaient pas l’existence, soit parce qu’elles ne se saisissaient pas de cette possibilité, les dérogations étant parfois accordées dans des conditions arbitraires, et la complexité administrative étant déjà ce qu’elle est. Cependant, les élus locaux nous font régulièrement part de leurs difficultés à lancer des projets d’investissement pourtant indispensables. C’est particulièrement le cas des communes rurales qui, malgré leur budget contraint, ont besoin, comme les plus grandes, d’équipements et d’aménagements publics.
La raréfaction des ressources fiscales et financières ainsi que la complexification des dispositifs rendent les finances locales de plus en plus imprévisibles et illisibles, ce qui entrave la capacité des élus à piloter leur budget et à programmer des investissements. Trois ressources fiscales ont disparu en quinze ans : la taxe professionnelle, la taxe d’habitation et la CVAE. Cette perte d’autonomie fiscale met à mal la libre administration des collectivités territoriales, qui est pourtant un principe constitutionnel.
Outre ces aspects financiers, les communes rencontrent des obstacles en matière d’ingénierie : sans personnel technique capable de concrétiser les projets et sans aide extérieure, il leur est difficile de mener à bien des investissements pertinents. À cet égard, il est aussi nécessaire de pérenniser des ressources telles que la DGF : pourquoi investir dans un équipement que l’on n’aura pas les moyens demain de faire fonctionner ni d’entretenir ? Madame la ministre, j’ai bien entendu vos propos, mais les DGF ne suivent malheureusement pas l’inflation. Or, dans ce monde dynamique, une DGF qui ne suit pas l’inflation est une DGF qui baisse.
L’autonomie financière des collectivités est un enjeu majeur, d’autant que l’adage « qui paie décide » correspond à la réalité. Est-il normal que les collectivités territoriales, en premier lieu les communes, aient besoin en permanence de l’argent des autres pour financer des projets qui relèvent de leurs compétences, souvent exclusives ? La multiplication des fonds à tous les échelons – préfecture, département, région, intercommunalité – nous conduit à nous interroger sur ce qu’il reste de l’autonomie financière des communes et de leur libre administration.
Si cette proposition de loi est adoptée, les petites communes n’atteindront certes pas toutes 95 % de subventions publiques – il leur est déjà difficile d’obtenir les 80 %, maximum actuellement autorisé. Il n’en demeure pas moins que des maires doivent parfois renoncer à des projets pour quelques dizaines de milliers d’euros en raison de la règle de participation minimale.
Nous nous opposerons à l’amendement gouvernemental, qui vise à réintroduire un droit de regard du préfet. Son adoption dénaturerait complètement la proposition de loi ; ce serait peu ou prou un retour au système actuel, dont aucun de nous ne se satisfait – les interventions successives l’ont montré.
Nous voterons pour ce texte, même s’il n’est qu’un pansement sur une jambe de bois – le problème réel des collectivités est le manque de financements, non un excès de ressources qu’elles auraient du mal à dépenser ! Nous souhaitons qu’il soit adopté de manière conforme à la version du Sénat, pour qu’il soit appliqué le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – M. Christophe Bex, Mme Valérie Rossi et Mme Martine Froger applaudissent également.)
M. le président
La parole est à M. Éric Martineau.
M. Éric Martineau
La présente proposition de loi constitue une aide à l’investissement des communes rurales, qui sont souvent pénalisées par les règles en vigueur. La commission des lois du Sénat a circonscrit son champ d’application aux communes de moins de 2 000 habitants et a remplacé l’exonération intégrale par une participation minimale de 5 % aux opérations d’investissement dont les communes concernées assurent la maîtrise d’ouvrage, dans le but de responsabiliser les conseils municipaux sur les choix d’investissement.
La loi RCT de 2010 et la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) de 2014 ont limité les possibilités de cumuler les subventions des collectivités et encadré les financements croisés. Toute collectivité maître d’ouvrage d’une opération d’investissement doit assurer une participation minimale de 20 % au financement du projet ; ce seuil est porté à 30 % pour les collectivités cheffes de file. Les taux de participation sont appréciés au regard du montant total des financements apportés par des personnes publiques.
La règle de participation minimale apparaît disproportionnée pour les communes rurales, qui ont des budgets particulièrement contraints et qui ne peuvent, en conséquence, lancer les projets d’investissement dont elles ont besoin. Des dérogations sont certes accordées au cas par cas par le préfet de département, mais elles sont méconnues, complexes à obtenir, et leur champ est trop restreint – par exemple, il n’inclut pas les projets touchant à la voirie, alors que, dans des projets de cette nature, le reste à charge pour les communes atteint parfois 70 % à 80 % du montant total. Très souvent, celles-ci sont contraintes de différer des projets d’équipement, voire d’y renoncer.
Nous soutenons donc l’idée générale de cette proposition de loi, qui entend faciliter le financement de tels projets par les collectivités. Dans ma circonscription, plusieurs projets pourraient bénéficier de cet ajustement. Je pense par exemple à la grange dîmière du XIIe siècle de Chenu, village dont j’ai été maire, mais aussi aux églises de nombreux villages, que leur maire n’arrive pas à rénover, faute de financements et du fait de la limite des 80 %.
Toutefois, en l’état, le dispositif proposé ne nous semble pas optimal : nous devons éviter de créer un risque supplémentaire pour les communes alors que nous cherchons précisément à les aider davantage. Le groupe Les Démocrates regrette que des ajustements nécessaires au dispositif n’arrivent qu’au stade de la séance, par la voie d’un amendement du gouvernement – nous aurions aimé pouvoir davantage en discuter et nous saisir de ce sujet.
Il importe de donner aux communes les moyens de mener à bien les projets dont elles ont besoin et qui contribuent à leur dynamisme économique, social et culturel. Nous y sommes très attachés. Notre groupe soutiendra donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Michel Brard.
M. Jean-Michel Brard
La présente proposition de loi traite d’une question majeure pour les communes rurales : comment lever les freins aux investissements des collectivités ?
En 2010, le législateur a décidé utilement d’encadrer les possibilités de cumuler les subventions des collectivités territoriales. La loi du 16 décembre 2010 a ainsi consacré le principe de participation minimale des collectivités territoriales et de leurs EPCI à fiscalité propre aux projets dont ils assurent la maîtrise d’ouvrage. Cette participation minimale a été fixée à 20 % du montant total des financements apportés par des personnes publiques.
Ces mesures ont porté leurs fruits : elles ont limité la pratique des financements croisés. Celle-ci porte atteinte à la transparence de l’action publique et à sa lisibilité, allonge les délais de réalisation des opérations d’investissement en mobilisant un plus grand nombre d’acteurs publics et ne favorise pas la maîtrise de la dépense publique des collectivités territoriales.
L’inscription dans la loi de ce principe de participation minimale était donc nécessaire. Elle le demeure à plus forte raison dans le contexte budgétaire contraint que nous connaissons.
Néanmoins, l’application de ce principe peut entraîner certains effets de bord touchant des catégories spécifiques de collectivités territoriales. Face à ce constat, des dérogations ont été introduites. Les collectivités territoriales des outre-mer, notamment de la Guadeloupe, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, bénéficient de dérogations automatiques, autrement dit d’une exemption intégrale et permanente. Les autres collectivités peuvent bénéficier de dérogations ponctuelles, accordées au cas par cas par le préfet de département.
Après une dizaine d’années d’application de ce principe de participation minimale, il est apparu qu’il pouvait affecter de manière disproportionnée une autre catégorie de collectivités locales : les communes rurales. Souvent confrontées à des difficultés budgétaires, elles ne peuvent supporter le niveau de dépenses d’investissement qu’exige ce principe. Cela les conduit à différer le lancement de projets d’équipement pourtant indispensables, voire à y renoncer.
Le trop faible nombre de dérogations accordées à ces communes rurales aggrave la situation : d’après la DGCL, seule une centaine ont été octroyées en 2022, sur un total d’environ 22 000 projets d’investissement lancés.
Dans ce contexte, l’introduction d’une nouvelle dérogation applicable aux communes rurales se justifie pleinement. Le groupe Horizons & indépendants se félicite du travail commencé par le Sénat et approfondi au sein de notre assemblée par le rapporteur de ce texte, Jean Moulliere. Nous tenons à le remercier chaleureusement. Le choix de recentrer la dérogation sur les communes qui en ont réellement besoin permettra de garantir sa pleine efficacité.
Notre groupe soutient d’autant plus cette proposition qu’il importe de lever, le plus rapidement possible, les freins à l’investissement des communes rurales de moins de 2 000 habitants, qui représentent près de 84 % des communes françaises. Les investissements qu’elles doivent consentir sont immenses au regard de leurs capacités de financement, mais sont plus que jamais nécessaires pour leur permettre d’engager la rénovation énergétique de leurs bâtiments municipaux, de restaurer leur patrimoine ou d’entretenir la voirie et les réseaux communaux.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera cette proposition de loi. Nous souhaitons son adoption dans une rédaction conforme à celle que le Sénat a adoptée, afin de permettre aux communes rurales de s’en saisir le plus vite possible. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Martine Froger.
Mme Martine Froger
Au fil de l’examen des textes dont nous discutons, je suis toujours aussi surprise de voir à quel point nos règles de droit ne tiennent jamais compte des spécificités de certaines collectivités territoriales. On est toujours confronté au même problème : d’abord, notre administration centrale à Paris se fixe un objectif – toujours louable, bien entendu –, puis elle impose une norme – souvent complexe et uniforme – et l’on découvre plus tard, sur le terrain, au contact des élus locaux, que ça ne marche pas, car la règle n’est pas adaptée aux réalités locales !
Tout l’objet de la présente proposition de loi est de permettre une telle adaptation, en autorisant les communes rurales à déroger à la règle de participation financière minimale applicable à toute collectivité territoriale ou groupement de collectivités assurant la maîtrise d’ouvrage d’un projet d’investissement, à hauteur de 20 % du montant total des financements apportés au projet par des personnes publiques.
En effet, nous, élus de territoires ruraux, constatons régulièrement que cette contrainte fait désormais obstacle à de nombreux projets communaux pourtant indispensables. Si – pour une fois – les outre-mer et la Corse n’ont pas été oubliés et bénéficient de dérogations légitimes, les communes des zones rurales n’ont pas eu cette chance. La conséquence directe en est que les maires ruraux se résignent. On ne peut pas le leur reprocher : à quoi bon demander des subventions à d’autres strates si, de toute façon, leurs communes ne peuvent pas apporter les 20 % requis ?
Tout cela témoigne d’un manque de pragmatisme et il me paraît nécessaire d’y remédier par ce texte. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’encadrement des financements croisés ni l’objectif de responsabiliser les collectivités face à la dépense publique, mais plutôt de faire preuve de pragmatisme et de tenir compte des spécificités des plus petites communes.
Des efforts ont certes déjà été faits pour aménager ce seuil de 20 %, mais nous constatons tous que les dérogations prévues par la loi ne fonctionnent pas. En pratique, il est en effet difficile pour les communes rurales de bénéficier d’une dérogation, ce qui conduit au report, voire à l’abandon des projets. Outre la complexité des démarches, l’appréciation par les préfets est aléatoire et varie selon les territoires d’une manière peu transparente.
Face à ce constat, le texte apporte une solution plus simple, en abaissant automatiquement le seuil à 5 % pour certains projets menés par les communes rurales. Il est question du financement de projets de rénovation énergétique, d’entretien de la voirie communale, de prévention des incendies ou de rénovation du patrimoine. Ces enjeux sont essentiels, mais les coûts sont considérables et les élus des communes rurales sont en difficulté, faute de moyens suffisants.
Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires tient toutefois à appeler l’attention sur une difficulté : qui paiera la note de cette baisse de la participation minimale ? L’État ne cesse de réduire les dotations – il en a été ainsi du fonds Vert – et notre groupe doute qu’il soit apte à financer davantage les communes. Il est donc plus que probable qu’elles soient contraintes de se tourner vers les autres strates territoriales, notamment les départements, pour assurer les financements restants. Or, dans le contexte actuel, de nombreux départements sont contraints de diminuer fortement leurs aides aux communes pour boucler leur propre budget. Quelle est la solution ?
En tout état de cause, il est temps d’avancer à ce sujet. Notre groupe votera la proposition de loi et s’opposera à l’amendement du gouvernement, qui la viderait de son sens.
M. le président
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne
Je tiens d’abord à saluer l’initiative des sénateurs Dany Wattebled et Marie-Claude Lermytte, ainsi que le travail de notre rapporteur Jean Moulliere.
Cette proposition de loi aborde une problématique qui touche principalement les petites communes : le financement des investissements. Les auteurs de la proposition partent du constat, que nous partageons, que les règles qui encadrent les investissements des collectivités territoriales ne sont pas adaptées aux petites communes. Il est important de rappeler que les collectivités territoriales représentent 64 % de l’investissement public.
La loi RCT du 16 décembre 2010, renforcée par la loi Maptam de 2014, impose aux collectivités territoriales de participer à hauteur d’au moins 20 % aux projets d’investissement qu’elles lancent en qualité de maîtres d’ouvrage. Cette obligation vise à limiter la pratique des financements croisés et à encourager une meilleure transparence et une plus grande responsabilité des élus.
Face aux problèmes que suscite cette loi, des possibilités de dérogation ont été instaurées en 2019. Depuis lors, le préfet peut supprimer cette participation minimale au cas par cas, pour certains projets. Mais ces dérogations sont insuffisantes. D’une part, elles ne peuvent pas s’appliquer aux investissements liés à la voirie et à la rénovation énergétique des bâtiments – postes de dépense très importants et souvent prioritaires pour les petites communes rurales. D’autre part, ces dérogations sont accordées au compte-gouttes : seule une centaine de dérogations sur 22 000 projets d’investissement ont été accordées par les préfectures. La sous-utilisation de ce dispositif dérogatoire s’explique par le manque d’information : de nombreux élus ignorent qu’il leur est possible d’y recourir. De plus, les dossiers administratifs de demande de dérogation sont complexes et particulièrement difficiles à traiter pour les petites communes qui ne peuvent absorber une telle charge administrative.
Rendre automatique ce régime dérogatoire pour toutes les communes disposant d’un nombre d’habitants inférieur à un certain seuil simplifiera les choses alors que, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, le reste à charge constitue un réel frein à l’investissement, obligeant certaines communes à renoncer à des projets pourtant indispensables. L’abaissement du seuil de 20 % à 5 % est donc bienvenu.
Cependant, cette avancée ne sera pas suffisante pour permettre aux petites communes de mener l’ensemble de leurs projets d’investissement. En effet, d’où viendront les 15 % supplémentaires de cofinancements requis, à l’heure où trouver 80 % de financements extérieurs relève déjà de l’exploit ? Il est d’autant plus difficile de réaliser cet exploit que l’on assiste à une multiplication des appels à projets ou à manifestation d’intérêt, nouveaux modes de cofinancement substitués aux ressources pérennes pour essayer de faire passer la pilule de la contraction budgétaire et du drainage vers les métropoles !
Comment ne pas dénoncer la diminution continue des ressources de nos petites communes, qui subissent un effet ciseaux particulièrement insidieux ? La suppression de la taxe professionnelle, de la taxe d’habitation et de la CVAE a miné leur autonomie fiscale, tandis que leurs dépenses obligatoires augmentent fortement du fait de l’inflation et, dernièrement, de l’explosion des coûts de l’énergie !
Ces pertes de capacités de financement ne sont pas compensées et rognent, budget après budget, le principe de libre administration des collectivités territoriales. Les coupes prévues pour les collectivités territoriales dans le budget de 2025, à hauteur de 2,2 milliards d’euros, ne feront qu’aggraver la situation. De nombreux départements viennent ainsi d’annoncer la suppression de toutes leurs aides directes aux communes pour 2025 ! Le fonds Vert, quant à lui, perd 1,3 milliard, tandis que la DSIL baisse de 0,3 milliard. Voilà qui devrait encore faciliter le travail de nos maires ruraux à la recherche de 95 % de cofinancements !
Bien évidemment, les députés communistes et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutiennent et voteront cette proposition de loi. Nous n’en resterons pas moins fermes quant à l’exigence d’un véritable changement de cap budgétaire, au service de l’égalité des territoires et de l’ensemble de nos collectivités. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Emmanuel Duplessy applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Vincent Trébuchet.
M. Vincent Trébuchet
Je m’exprime devant vous en tant qu’élu d’un département rural, l’Ardèche, et habitant d’une petite commune de moins de 400 personnes. À ce titre et en tant que vice-président du groupe d’études sur la ruralité et vice-président du groupe UDR, je souhaite mettre en lumière les territoires ruraux, souvent négligés alors que, malgré des ressources limitées, ils contribuent largement à la vitalité et à la diversité de notre pays.
Cette proposition de loi, déposée par les sénateurs Dany Wattebled et Marie-Claude Lermytte, constitue une réponse concrète aux défis qui paralysent l’investissement dans nos campagnes. Elle vise à exempter les communes rurales de la participation minimale de 20 % au financement des projets dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage, règle imposée par la loi RCT de 2010. À défaut d’une exemption totale, l’article unique adopté en commission des lois prévoit un abaissement du seuil à 5 % pour certains projets essentiels, dans les communes de moins de 2 000 habitants aux finances fragiles. C’est un pas dans la bonne direction, et le groupe UDR votera en faveur de cette avancée.
Depuis la réforme des collectivités territoriales de 2010, le code général des collectivités territoriales impose cette participation minimale dans un objectif louable : responsabiliser les collectivités et limiter les financements croisés. Mais, dans les faits, pour nos petites communes rurales, cette règle est devenue un carcan. Comment une commune comme la mienne, dont le budget est inférieur à 1 million d’euros par an, peut-elle dégager 20 % du financement consacré à la rénovation d’une école ou d’une caserne de pompiers, à la réparation d’une route défoncée par les récentes inondations ou à la modernisation de son réseau d’eau potable ? Ces projets, vitaux pour nos administrés, sont laissés en suspens, faute de moyens.
Prenons un exemple concret. Une commune de 800 habitants souhaite réhabiliter un pont centenaire, indispensable pour relier deux hameaux. Le coût total du projet s’élève à 300 000 euros. Suivant la règle actuelle, cette commune doit mobiliser 60 000 euros, une somme colossale alors que son budget a déjà été amputé par la baisse des dotations et la faiblesse des recettes fiscales. Résultat : le projet est abandonné, les habitants s’isolent davantage et le patrimoine se dégrade. Je vois tous les jours des situations de ce genre en Ardèche, où près de 90 % des communes comptent moins de 2 000 habitants.
La proposition de loi que nous défendons aujourd’hui corrige cette injustice. Elle cible précisément les projets qui font vivre nos territoires : la rénovation du patrimoine, l’accès à l’eau potable, la protection contre les incendies ou encore l’entretien de la voirie communale. En abaissant à 5 % la participation minimale qui s’impose aux communes dont les ressources sont limitées, nous leur redonnons la capacité d’agir. C’est une question d’équité : pourquoi les communes rurales, déjà pénalisées par leur démographie, devraient-elles supporter un fardeau disproportionné, quand des dérogations existent pour d’autres territoires comme ceux d’outre-mer ?
Ce texte en appelle aussi à notre vision politique. La droite que je représente croit en une France des territoires, où la ruralité n’est pas un poids. Nous ne pouvons pas laisser nos campagnes continuer à se vider faute d’investissements : en aidant les communes rurales à entretenir leurs infrastructures, nous leur redonnerons de l’attractivité et contribuerons à leur dynamisme économique et touristique. Depuis sept ans, la ruralité est la grande oubliée du macronisme. Une majorité techno, parisienne, populophobe a redoublé d’ingéniosité pour compliquer la vie et le développement des communes rurales. La loi qui a fixé l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN) est à elle seule le symbole de ce mépris et de cette déconnexion.
Cette proposition de loi apparaît comme une maigre compensation ; loin de tout résoudre, elle est plutôt un palliatif. Elle n’en est pas moins un signal adressé aux maires ruraux qui se battent, avec un budget exsangue, pour maintenir la vie dans nos campagnes. Le groupe UDR la soutiendra donc. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Jorys Bovet.
M. Jorys Bovet
Le texte que nous examinons répond à une véritable attente des élus ruraux. En effet, il vise à permettre aux communes de moins de 2 000 habitants de déroger, de manière automatique et pérenne, à la fameuse règle de la contribution minimale de 20 %. Ces communes, confrontées à des difficultés budgétaires, ne peuvent supporter un tel niveau de dépenses d’investissement. Le seuil des 20 %, imposé par la loi et censé favoriser l’autonomie des collectivités, ne convient pas à la spécificité des petites communes rurales.
Depuis des années, à chaque mandat présidentiel, les communes perdent de plus en plus de crédits, ce qui conduit les communes rurales à différer des projets dont elles ont cruellement besoin, voire à y renoncer. Il en va ainsi, par exemple, des projets d’investissement en matière de rénovation du patrimoine, qu’il soit protégé ou non.
Or de très petites communes peuvent disposer d’un riche patrimoine historique, symbole de l’héritage du passé et de l’identité culturelle de notre nation. Sa préservation crée un sentiment de fierté et d’appartenance chez les habitants de la commune, tout en contribuant à l’éducation des jeunes générations, ainsi sensibilisées à l’histoire et aux traditions de leur territoire. En outre, elle favorise le tourisme et les activités économiques, offrant ainsi à ces petites communes des possibilités de développement durable.
Les communes rurales doivent également mener d’autres projets d’investissement récurrents, comme l’entretien des routes, des écoles et autres bâtiments publics, ou encore la gestion de l’approvisionnement en eau potable. Les écoles, en particulier, nécessitent des investissements réguliers pour que les installations restent sûres et propices à l’apprentissage des enfants.
Avec des budgets particulièrement contraints, ces communes se trouvent dans l’incapacité de financer des initiatives essentielles telles que la rénovation des infrastructures, l’amélioration des services publics ou encore le développement de nouvelles installations pour répondre aux besoins de leurs habitants, ce qui met en péril la qualité de vie des résidents et freine le dynamisme économique et social de ces territoires. À titre d’exemple, la rénovation d’une église laisse parfois à la commune un reste à charge équivalent à trois ans de son budget !
Les dérogations existantes, accordées par la préfecture au cas par cas, sont insuffisantes. Le très faible nombre de dérogations attribuées en témoigne : en 2022, une centaine seulement ont été octroyées sur plus de 22 000 projets d’investissement lancés. De nombreuses communes rurales ne sont pas informées de l’existence de ces dérogations. De plus, la complexité administrative et la lourdeur du dossier à monter constituent des freins supplémentaires à cette démarche.
Quelle que soit la taille de la commune, le maire joue un rôle essentiel dans la conduite des politiques publiques. Nos élus ruraux sont les premiers concernés et soucieux de la préservation de leurs communes. Donnons-leur la confiance qu’ils méritent et les moyens d’agir ! Les communes rurales doivent pouvoir entreprendre des projets d’infrastructure sans être pénalisées par des exigences trop élevées en matière de financement ; c’est essentiel à leur développement, au dynamisme de leur territoire et à leur survie.
Le groupe Rassemblement national a toujours défendu l’idée que les communes, au plus près des habitants, sont les mieux placées pour prendre des décisions d’intérêt général concernant leur vie locale. Elles comprennent les spécificités et les besoins de leur territoire, ce qui leur permet de concevoir des solutions adaptées et efficaces.
Face à l’urgence de la situation et à la nécessité d’endiguer la mort de nos ruralités, ce texte est un pas modeste dans la bonne direction. Il permettra aux communes rurales de bénéficier d’un soutien adapté à leurs difficultés financières réelles. L’obligation de s’acquitter d’un reste à charge de 5 % tend également à responsabiliser les conseils municipaux : un financement minimal garantit que la commune pourra financer les éventuels frais ultérieurs, tout en encourageant une gestion rigoureuse et efficace des ressources locales. C’est pourquoi le groupe Rassemblement national votera en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Jean Terlier.
M. Jean Terlier
Nous examinons une proposition de loi essentielle pour l’aménagement et le développement de nos territoires ruraux. Cette initiative, issue des travaux du Sénat et adoptée sur le rapport du sénateur Hussein Bourgi, vise à instaurer une dérogation à la participation minimale exigée des communes rurales dans le cadre de la maîtrise d’ouvrage publique.
L’exigence actuelle de 20 % de participation, instaurée par la loi RCT de 2010 et renforcée par la loi Maptam en 2014, repose sur une logique vertueuse : responsabiliser les collectivités locales face aux financements croisés et garantir une meilleure lisibilité de l’action publique. Toutefois, cette règle se révèle parfois inadaptée aux communes les plus modestes, dont le potentiel financier est limité. En pratique, elle contraint de nombreuses collectivités rurales à renoncer à des projets essentiels pour leurs habitants.
Plusieurs dérogations existent déjà : dans les outre-mer ; pour certains équipements structurants ; sur décision préfectorale en cas de disproportion manifeste entre l’effort demandé et les capacités financières de la collectivité. Néanmoins, force est de constater que ces assouplissements restent trop limités et insuffisamment utilisés : en 2022, seules quelques dizaines de projets ont pu bénéficier d’une dérogation.
La proposition de loi apporte une réponse pragmatique à ce problème : elle vise à abaisser de 20 % à 5 % la participation minimale pour les communes dont le potentiel financier par habitant est inférieur à deux fois la moyenne des communes de moins de 2 000 habitants. Cette réduction ciblée concernera des projets structurants tels que la rénovation du patrimoine, les infrastructures d’eau et d’assainissement, la rénovation thermique des bâtiments publics, la voirie, les ouvrages d’art et la prévention des incendies.
En commission des lois, cet ajustement a été jugé équilibré et approuvé à l’unanimité par les différents groupes ; le texte a donc fait l’objet d’un vote conforme. Il soutient les communes qui en ont le plus besoin tout en garantissant leur implication financière pour éviter tout effet de déresponsabilisation. En outre, la participation réduite pour les rénovations énergétiques permettra de dégager, à moyen terme, des économies sur les charges de fonctionnement.
Pour toutes ces raisons, le groupe Ensemble pour la République votera en faveur de cette proposition de loi, qui apporte une réponse concrète aux réalités locales et renforce l’équité territoriale. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et HOR.)
M. le président
La parole est à M. Lionel Vuibert.
M. Lionel Vuibert
J’apporte mon plein soutien à cette proposition de loi visant à instaurer, pour les communes rurales, une dérogation à la participation minimale pour la maîtrise d’ouvrage. Cette initiative n’est pas seulement nécessaire ; elle est essentielle. Elle représente un levier indispensable pour soutenir l’investissement et redonner du dynamisme aux territoires ruraux, qui doivent composer avec des contraintes budgétaires de plus en plus lourdes.
Nous le savons, les maires et leurs équipes municipales sont en première ligne pour assurer les services publics de proximité, pour entretenir le patrimoine communal et pour moderniser les infrastructures. Pourtant, la règle actuelle qui impose une participation minimale de 20 % aux projets d’investissement constitue pour de nombreuses petites communes un véritable frein. Certes, des dérogations existent, mais elles restent largement méconnues des élus locaux et sont donc très peu mobilisées. Faute de moyens suffisants, les petites communes doivent souvent renoncer à des projets pourtant essentiels à leur développement.
La proposition de loi vise à abaisser à 5 % la participation minimale pour les communes de moins de 2 000 habitants dont le potentiel financier par habitant est inférieur à deux fois la moyenne de cette catégorie. Une telle mesure donnerait enfin aux élus locaux les moyens d’investir dans des domaines cruciaux comme la rénovation du patrimoine communal, la voirie, l’assainissement, la rénovation énergétique ou encore la prévention des incendies. Elle répond à une réalité de terrain que nous ne pouvons ignorer.
Sur les 29 000 communes françaises de moins de 2 000 habitants, 28 500 seraient concernées par cette disposition. Dans la première circonscription des Ardennes, que j’ai l’honneur de représenter, toutes les communes de moins de 2 000 habitants pourraient en bénéficier. Il s’agirait d’une avancée considérable pour ces territoires. La mesure leur offrirait un nouveau souffle, de nouvelles perspectives d’investissement et de développement.
Les communes rurales sont le socle vivant de notre pays, le cœur battant de nos territoires. Elles incarnent la proximité, la solidarité, l’engagement au quotidien des élus, des associations et des habitants. Elles font vivre notre pays. Pourtant, le manque de moyens entrave leur capacité à préparer l’avenir. C’est d’autant plus vrai que les exigences imposées aux communes rurales vont croissant ; l’objectif ZAN – dont nous débattrons de nouveau, je l’espère, dans cet hémicycle – en est une illustration frappante. Si la lutte contre l’étalement urbain est légitime, elle ne doit pas se faire au détriment des territoires les moins artificialisés, c’est-à-dire nos campagnes. Nous devons impérativement adapter cette réforme pour lever les contraintes normatives qui risquent de priver purement et simplement de développement une majorité de petites communes rurales qui, faute de ressources, rencontrent déjà des difficultés pour mener à bien leurs projets.
Soutenir le texte, c’est refuser d’abandonner nos petites communes. C’est leur donner des moyens de se développer, d’offrir de meilleurs services à leurs habitants et de bâtir l’avenir. C’est aussi reconnaître le rôle essentiel des maires et de leurs équipes municipales qui, par leur engagement sans faille, portent haut les valeurs du service public et de l’intérêt général. En votant pour cette mesure, nous faisons un choix clair, celui de l’équité territoriale, du soutien à nos communes rurales et du respect des engagements pris envers celles et ceux qui font vivre nos campagnes.
M. le président
La discussion générale est close.
Discussion des articles
M. le président
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique de la proposition de loi.
Article unique
M. le président
La parole est à Mme Sophie Pantel.
Mme Sophie Pantel
La République est une et indivisible, mais la France est diverse. Nous avons la chance d’avoir des territoires ruraux et hyper-ruraux, notamment de montagne, qui apportent beaucoup à la nation par leurs aménités.
Je me réjouis donc que ce texte soit soumis à notre vote. J’avais déposé des amendements car, comme l’ont dit certains orateurs, s’en tenir aux communes de moins de 2 000 habitants n’est pas entièrement satisfaisant. Je pense en particulier aux bourgs-centres des territoires de montagne, qui comptent souvent un peu plus de 2 000 habitants et financent les investissements structurants.
Je voterai le texte, que je considère comme un premier pas, mais je souhaite que nous y revenions à l’avenir pour étendre la liste des communes éligibles et des projets d’investissement concernés.
M. le président
La parole est à M. Christophe Bex, pour soutenir l’amendement no 2.
M. Christophe Bex
Par cet amendement, nous proposons de revenir à l’esprit initial de la proposition de loi en supprimant les restrictions qui limitent son application – comme cela avait été fait pour les territoires ultramarins.
Nous sommes tous d’accord pour dire que le reste à charge de 20 % constitue un frein insurmontable pour de nombreuses communes rurales. Les élus locaux témoignent régulièrement de leur difficulté à financer des projets pourtant indispensables, faute de ressources suffisantes.
Dans sa version initiale, l’article unique du texte tendait à exempter toutes les communes rurales d’une participation minimale au financement des projets dont elles assurent la maîtrise d’ouvrage. Cependant, la version adoptée par le Sénat en séance et par la commission des lois de l’Assemblée nationale fixe à 5 % le taux de financement minimal, restreint la mesure aux communes de moins de 2 000 habitants et limite la dérogation aux projets considérés comme les plus structurants.
Monsieur le rapporteur, vous avez justifié la restriction de cette dérogation par la volonté de responsabiliser les communes quant à leurs projets et de garantir qu’elles puissent financer leur fonctionnement. Mais lorsqu’on connaît les contraintes budgétaires qui pèsent sur les communes et les obligent à différer, voire à abandonner des investissements essentiels, on se demande si cette proposition de loi va réellement dans le bon sens. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2022, sur 22 000 projets d’investissement, une centaine seulement a bénéficié d’une dérogation, soit à peine 0,45 %.
Si nous adoptons ce texte conforme, nous ne ferons que participer à l’inflation législative, car rien ne changera, ou si peu. En revanche, si nous supprimons les critères liés au nombre d’habitants, au type de projet et au potentiel financier, nous permettrons aux collectivités locales de réaliser des investissements essentiels et de lutter efficacement contre les inégalités territoriales. Parce qu’il est urgent d’agir pour les maires, nous vous proposons de revenir à la version initiale de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Moulliere, rapporteur
Nous en avons déjà discuté lors de l’examen du texte par la commission des lois. Je considère que le texte issu du Sénat ménage un équilibre qui, certes, n’est peut-être pas parfait, mais qui a le mérite d’exister et de cibler les communes qui connaissent les difficultés les plus grandes. En d’autres termes, la restriction du champ des communes concernées introduite par le Sénat me paraît satisfaisante.
D’autre part, l’amendement no 2 pose un problème car il mentionne l’article D. 3334-8-1 du code général des collectivités territoriales. Or il n’est pas possible, dans la loi, de renvoyer à un article réglementaire – c’est notamment pour cette raison que le Sénat avait supprimé cette mention. En effet, si nous citons un article réglementaire du code, en l’occurrence celui qui définit les communes rurales, mais qu’ensuite, le gouvernement l’abroge ou en modifie le contenu – sans changer de numéro, l’article pourrait traiter, par exemple, des communes urbaines –, la proposition de loi n’aura plus aucun sens.
C’est pourquoi je vous demande de retirer l’amendement, sans quoi j’émettrai un avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée
L’amendement no 2 a pour objet d’étendre le bénéfice de la proposition de loi à toutes les communes rurales au sens de l’article D. 3334-8-1 du CGCT, c’est-à-dire à des communes qui peuvent compter jusqu’à 5 000 habitants. Or, comme vous le savez, la loi en vigueur impose l’obligation pour toute collectivité territoriale ou tout groupement de collectivités territoriales maître d’ouvrage de l’opération d’investissement d’assurer une participation minimale au financement du projet à hauteur de 20 % du montant total de financement apporté par des personnes publiques. Cette disposition vise à limiter la pratique des financements croisés, à responsabiliser les collectivités territoriales et groupements initiateurs de projets d’investissement et à contribuer à la maîtrise de la dépense publique locale.
Étendre à l’ensemble des communes rurales la dérogation prévue par la présente proposition de loi – qui, je le rappelle, abaisse de 20 % à 5 % le taux de participation minimale pour les communes de moins de 2 000 habitants – pourrait amener les communes à envisager des projets sans rapport avec leurs capacités financières, alors même que les dérogations inscrites dans la loi ou soumises à autorisation du préfet peuvent d’ores et déjà être mobilisées par les communes rurales, l’ensemble des paramètres utiles pour la réussite du projet étant pris en considération, au-delà du seul volet financier. Cette organisation permet déjà de traiter de manière pertinente les dossiers présentés par les élus. C’est pourquoi le gouvernement est défavorable à l’amendement.
(L’amendement no 2 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée, pour soutenir l’amendement no 5.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée
Comme je l’ai dit lors de la présentation du texte, le gouvernement est favorable à la proposition de loi moyennant ce petit amendement de nature juridique destiné à rétablir les équilibres de l’article L. 1111-10 du CGCT. Il s’agit notamment d’élargir le champ d’application du pouvoir de dérogation du préfet, en particulier pour permettre l’articulation entre la dérogation et le mécanisme du FCTVA.
Le gouvernement a bien sûr conservé dans l’amendement le principe d’une dérogation – abaissement, pour les communes de moins de 2 000 habitants, de la participation minimale du maître d’ouvrage de 20 % à 5 % du montant total des financements apportés par des personnes publiques –, mais en précisant que le taux doit être déterminé après versement des attributions au titre du FCTVA. Il s’agit, je le répète, d’éviter toute opération d’investissement qui serait bénéficiaire pour le maître d’ouvrage, ce qui exposerait la collectivité locale concernée à un risque juridique.
Pour éviter ce risque, le gouvernement souhaite laisser aux préfets, ce qui simplifiera les choses, le soin d’apprécier l’opportunité de mettre en œuvre la dérogation. Fort de sa connaissance des collectivités territoriales du département, de leurs capacités financières et de l’ensemble des éléments de contexte qui entourent un projet, le préfet est en effet le mieux à même de déterminer les collectivités pour lesquelles la dérogation s’avérerait pertinente – il joue déjà, vous le savez, un rôle analogue dans les campagnes DETR. L’amendement lui confie donc cette responsabilité, de même nature que celle qu’il exerce pour les autres possibilités de dérogation à la participation minimale du maître d’ouvrage déjà ouvertes par l’article L. 1111-10 du CGCT.
L’amendement vise ainsi à rétablir la cohérence d’ensemble avec les dispositions législatives qui régissent les mécanismes de participation financière des collectivités territoriales et de leurs groupements à leurs projets d’investissement. De manière cohérente avec ces mêmes mécanismes, l’amendement retient le seul critère démographique pour déterminer l’éligibilité des communes. La population prise en compte sera celle de l’année qui précède la demande de contribution au financement du projet.
En somme, l’amendement tend à simplifier le dispositif, à le rendre plus opérant et cohérent, et à l’expurger de tout risque de contentieux.
M. le président
Sur l’article unique, je suis saisi par le groupe Horizons & indépendants d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean Moulliere, rapporteur
L’amendement no 5 pose plusieurs difficultés. Tout d’abord, s’il était adopté, nous ne parviendrions pas à un vote conforme de la proposition de loi. Par conséquent, elle ne pourrait pas être appliquée dès le mois d’avril, alors que les maires des communes rurales attendent de pouvoir s’en saisir.
Ensuite, plusieurs orateurs l’ont relevé, l’adoption de l’amendement viderait la proposition de loi de sa substance. En effet, nous retournerions à un système de dérogation préfectorale, alors qu’il ne fonctionne pas et qu’il est assez opaque. Nous avons essayé sans succès d’obtenir des chiffres pour les années 2023 et 2024 auprès de la DGCL. Les chiffres de 2022 montrent que, sur environ 20 000 projets, seulement un peu moins de cent dérogations ont été accordées, ce qui paraît assez peu.
Comme beaucoup d’entre vous, je me suis rendu au Salon de l’agriculture il y a deux semaines. La maire de Zermezeele, une commune de 250 habitants dans les Flandres, m’a interpellé, car elle avait dû rénover l’église du village, ce qui n’était pas prévu dans le budget initial de la commune. Ayant la possibilité d’obtenir plus de 80 % de subventions, elle a demandé au préfet une dérogation, mais celle-ci lui a été refusée. C’est en cela que la situation actuelle n’est pas satisfaisante : nous ne savons pas vraiment dans quelles conditions des dérogations sont autorisées et dans quelles conditions elles ne le sont pas. En l’occurrence, la dérogation sollicitée par la maire a été refusée au motif que les finances de la commune étaient trop saines. On ne peut pas dire ça à des maires de communes rurales qui essaient de gérer au mieux leurs finances, en faisant preuve de responsabilité, en votant des budgets à l’équilibre ! Le message envoyé n’est pas le bon. Il ne faut donc pas revenir à la dérogation à la main du préfet.
Vous évoquez un risque pénal pour les élus. Toutefois, l’éventualité de l’enrichissement sans cause du fait des versements au titre du FCTVA n’a pas été invoquée lorsque nous avons supprimé le reste à charge pour les communes dans la loi relative à l’accélération de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023. D’autre part, les collectivités demandent des subventions pour des montants hors taxe, précisément pour éviter une situation susceptible d’être assimilée à un enrichissement sans cause. Cet argument ne semble donc pas des plus solides. Du reste, si vraiment c’était nécessaire, le gouvernement pourrait apporter des précisions par voie réglementaire.
Enfin, l’amendement instituerait un mécanisme de dérogation plafonné à 95 %, en particulier pour la rénovation du patrimoine classé, qui comprend notamment les églises, si importantes dans les communes rurales. En la matière, deux systèmes de dérogation différents coexisteraient, le système introduit par l’amendement étant moins-disant pour les communes rurales que le système en vigueur.
Pour toutes ces raisons, j’émets un avis défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Émilie Bonnivard.
Mme Émilie Bonnivard
Le gouvernement nous dit qu’il est favorable à la proposition de loi, mais nous avons le sentiment que c’est une affirmation de façade, car l’amendement annule l’effet du texte.
Le groupe Droite républicaine assume la volonté de cibler l’accompagnement de l’État sur les petites communes qui rencontrent le plus de difficultés pour financer des projets essentiels à la population avec les enveloppes fermées de la DETR. Nous savons que, sur le fond, le gouvernement n’est pas favorable à ce texte, en raison d’une crainte budgétaire, mais il faut le dire franchement. Quant à nous, nous assumons le fait qu’il y ait une solidarité plus importante à l’égard des collectivités qui ont moins. Honnêtement, si on retourne à une dérogation du préfet, il ne nous reste plus qu’à clore le débat sur cette proposition de loi et à rentrer chez nous.
Madame la ministre, je veux bien vous croire au sujet du risque d’enrichissement sans cause. Cependant, je suis un peu méfiante, car vous avez inclus dans un seul amendement toutes les modifications de rédaction qui vous semblent nécessaires. Peut-être la question de l’enrichissement sans cause est-elle réelle – je ne suis pas spécialiste du sujet –, mais, dans ce cas, il faut la traiter dans un amendement distinct, et non en y ajoutant la dérogation à la main du préfet. On mélange des choux et des carottes pour vider le texte de sa substance ! Je veux bien que nous procédions à un aménagement pour tenir compte du FCTVA, mais je suis totalement contre le fait de revenir à une dérogation accordée par le préfet.
Nous assumons qu’à enveloppe fermée, on accompagne davantage les communes rurales les plus en difficulté. Les petites communes doivent bénéficier de la solidarité nationale, d’autant qu’il s’agit, répétons-le, d’investissements obligatoires – ce n’est pas tout et n’importe quoi ! (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et HOR.)
M. le président
La parole est à M. Emmanuel Duplessy.
M. Emmanuel Duplessy
Comme nous l’avons indiqué lors de la discussion générale, nous nous opposerons à l’amendement no 5, qui vise en réalité à revenir au système actuel, dans lequel les préfets octroient ou non une dérogation – cela nous semble totalement contraire à l’esprit de la proposition de loi.
Quant au risque d’enrichissement sans cause que vous pointez, madame la ministre, il semble tout à fait marginal. En outre, dans le cas où ce risque serait réel, le corps préfectoral disposerait déjà largement des moyens de l’éviter, notamment en diminuant la subvention accordée au projet concerné.
Nous nous opposerons à l’amendement et nous espérons que les députés des autres groupes nous suivront. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
M. le président
La parole est à M. Charles de Courson.
M. Charles de Courson
Si nous votons l’amendement no 5, la proposition de loi ne servira plus à rien.
M. Paul Molac
C’est exactement ça !
M. Charles de Courson
En effet, nous reviendrons alors à la situation existante. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Dans mon département, certaines communes très pauvres avaient une superbe église, mais elles étaient incapables de la rénover. Avec le préfet, nous nous sommes mis autour d’une table, et nous sommes allés jusqu’à 90 % et parfois 95 % de subventions.
Si nous adoptons la proposition de loi dans sa version actuelle, il n’y aura plus lieu de s’interroger sur l’opportunité d’une dérogation, comme le font actuellement les préfets. En revanche, si nous adoptons l’amendement no 5, la proposition de loi n’aura plus aucune utilité. Je vous incite donc, mes chers collègues, à ne pas voter l’amendement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT. – MM. François Hollande, Vincent Trébuchet et Lionel Vuibert applaudissent également.)
M. le président
La parole est à M. Paul Christophe.
M. Paul Christophe
Permettez-moi de soulever deux points. D’abord, il faut entendre le besoin d’assouplissement des dispositifs administratifs – nous débattions hier de la simplification de l’octroi des licences IV. Or l’amendement nous renverrait à un nouvel examen de l’éligibilité des projets par le préfet. Au moment où nous parlons de confiance à l’égard des élus locaux, notamment en matière de financement de projets, il me semblerait dissonant d’ajouter une nouvelle strate administrative, en l’espèce préfectorale.
Ensuite, nous devrions tous nous accorder pour permettre aux collectivités de mobiliser jusqu’à 95 % de subventions. Mon collègue Philippe Fait m’a rappelé que, pour subvenir aux besoins des collectivités victimes des inondations de l’hiver dernier, nous sommes montés jusqu’à 100 %. Je ne vois donc pas pourquoi la question de l’enrichissement sans cause, qui ne s’était pas posée alors, serait maintenant d’actualité.
Comme l’a dit le rapporteur, ces subventions sont proposées sur des montants hors taxes. Il ne s’agirait donc pas de financer deux fois la TVA, une première fois par les subventions, une seconde par le remboursement au titre du FCTVA. (M. Arnaud Simion applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Marie-José Allemand.
Mme Marie-José Allemand
Il ne s’agit pas d’un « petit amendement », termes employés par Mme la ministre lorsqu’elle l’a présenté. Il ferait tomber les amendements suivants et priverait le texte de sa portée. J’invite donc l’ensemble des collègues à être vigilants et à ne pas l’adopter. Nous avons besoin d’un vote conforme ; tenons-nous à cet objectif.
M. le président
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne
Nous sommes dans ce que je qualifierai de fable animalière : madame la ministre, vous sortez un lapin de votre poche et vous nous prenez pour des perdreaux de l’année ! (Sourires.)
M. Thibault Bazin
Excellent !
M. André Chassaigne
D’ailleurs, plutôt qu’un lapin, c’est un loup qui se trouve derrière votre amendement.
M. René Pilato
Car c’est flou !
M. André Chassaigne
Je m’explique, en faisant appel à votre imagination. Chacun sait que je suis, encore pour quelque temps, député de la ville de Thiers, capitale de la coutellerie.
Mme Émilie Bonnivard
Et l’Opinel, alors ? (Sourires.)
M. André Chassaigne
Prenez donc un couteau : si vous enlevez la lame, il ne reste que le manche ; mais si vous enlevez le manche, il n’y a plus de couteau. C’est un peu cela que vous faites : vous videz le texte de sa substance profonde, tout en nous prenant, avec un certain talent, pour des perdreaux de l’année.
Je terminerai en convoquant un fabliau médiéval, où s’illustre Ysengrin : vous avez la queue du renard qui vous sort de la bouche, mais vous dites que vous ne l’avez pas croqué. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, DR, EcoS et LIOT.)
(L’amendement no 5 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Christophe Bex, pour soutenir les amendements nos 4 et 3, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
M. Christophe Bex
Ces amendements de repli tendent à supprimer la restriction budgétaire liée à la richesse des communes.
Depuis 2017, la DGF stagne à 27 milliards d’euros, contre 41,5 milliards en 2013. Cumulé sur les dix dernières années, le manque à gagner s’élève à 70 milliards. Il est donc faux que la DGF augmente. Nous demandons simplement que le DGF évolue de la même manière que l’inflation, afin de permettre aux communes de vivre.
Les collectivités subissent des surcoûts induits par des décisions gouvernementales unilatérales, sans compensation financière. La suppression de la taxe d’habitation et de la CVAE a encore aggravé cette situation. En 2024, selon la Banque postale, l’épargne brute des collectivités a chuté, les dépenses de fonctionnement ont explosé et les recettes ont progressé trop faiblement, forçant les communes à puiser dans leur trésorerie et à s’endetter.
Le budget pour 2025, imposé par 49.3, apporte de nouvelles contraintes pour les collectivités : l’instauration d’un fonds de réserve – qui est en réalité un prélèvement sur leurs recettes –, un gel des fractions de TVA qui leur sont attribuées, des mesures de réduction du FCTVA. Toutes les communes subissent ces restrictions. L’introduction d’un seuil financier pour bénéficier de la dérogation dont nous discutons serait une injustice supplémentaire.
M. Hadrien Clouet
C’est vrai !
M. Christophe Bex
Les amendements visent donc à supprimer ce seuil. L’objectif est de garantir une application claire et cohérente du dispositif. Il convient de prévenir les effets de seuil et d’assurer aux communes rurales les moyens d’investir dans leurs infrastructures. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Hadrien Clouet
Excellent ! Il a tout dit !
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ?
M. Jean Moulliere, rapporteur
Le critère relatif au potentiel financier des collectivités peut sembler technique, voire techno. Mais sur les 29 000 communes de moins de 2 000 habitants que compte notre pays, 28 500 remplissent cette condition. Nous aurions pu mieux faire pour ce qui est de la lisibilité, mais le critère est satisfaisant.
Encore une fois, ne modifions pas le texte, afin d’éviter qu’il ne reparte dans la navette parlementaire et qu’on n’en entende plus jamais parler.
J’ai bien noté vos alertes, mais je vous invite à retirer vos amendements, sans quoi mon avis sera défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée
Le critère du potentiel financier est peu opérant, dans la mesure où il n’est guère plus discriminant que le critère démographique. En effet, il définit une réalité qui concerne 28 500 des 29 000 communes de moins de 2 000 habitants. Je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.
(L’amendement no 4 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 3.
(Le vote à main levée n’ayant pas été concluant, il est procédé à un scrutin public.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 187
Nombre de suffrages exprimés 184
Majorité absolue 93
Pour l’adoption 93
Contre 91
(L’amendement no 3 est adopté.)
(Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Rappel au règlement
M. le président
La parole est à Mme Clémence Guetté, pour un rappel au règlement.
Mme Clémence Guetté
Je le formule sur le fondement de l’article 100, relatif au bon déroulement de nos débats.
Étant régulièrement à votre place, monsieur le président, je sais qu’il est parfois très difficile de jauger le rapport de force. Nous vous demandons, si Mme la ministre est d’accord, de refaire un vote, par scrutin public, sur l’amendement no 4. En effet, les amendements nos 4 et 3 ont recueilli les mêmes avis et auraient dû, logiquement, recevoir le même vote. Le second ayant été adopté, il me semble que le premier aurait pu l’être également. Je m’en remets à votre sagesse. (« Elle a raison ! » et applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Exclamations sur les bancs du groupe EPR.)
M. le président
Lors de la mise aux voix du premier amendement, le no 4, la consigne de vote donnée au sein d’un des groupes n’a pas été complètement suivie, certains députés étant probablement restés dans une logique de rejet des amendements. J’ai en effet constaté une division au sein de ce groupe. Tel n’a pas été le cas pour le vote du second amendement, le no 3. (Protestations sur les bancs du groupe RN.)
Plusieurs députés du groupe RN
Non, nous avons voté aussi pour le premier amendement !
M. Jean-Michel Jacques
Respectez l’arbitre !
M. le président
Il n’y avait pas l’unanimité dans votre groupe, ce qui peut arriver. Je confirme donc le résultat.
M. le président
Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.
Explications de vote
M. le président
Dans les explications de vote, la parole est à M. Christophe Bex.
M. Christophe Bex (LFI-NFP)
Si nous saluons ce texte, nous avons quand même l’impression que nous sommes passés à côté de l’objectif, par manque d’ambition et en raison du budget de rigueur imposé par le gouvernement. Cela fera peut-être l’objet d’une prochaine proposition.
Permettez-moi de signaler que les deux tiers des communes ne disposent d’aucun commerce. La puissance publique doit pallier cette absence, en permettant à chacune d’entre elles d’avoir un lieu commun public pour se retrouver et briser l’isolement. Je pense à des espaces de sociabilité et d’initiative citoyenne, où nous pourrions nous rencontrer, nous réunir et échanger, afin de partager des ressources et des savoirs dans toutes les communes de France. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) C’est un investissement d’avenir, qu’il est urgent de réaliser pour la bonne santé de notre démocratie.
Pour finir, je vous interpelle sur l’entretien très onéreux d’un bâtiment dont toutes les communes de France ont la charge. Ce bâtiment, c’est l’église. Dans bien des cas, il n’est plus utilisé, ou il l’est très rarement – une fois par an. (Exclamations sur les bancs des groupes RN, DR et UDR.)
M. Aurélien Lopez-Liguori
Scandaleux !
M. Thibault Bazin
Respectez les cultes !
M. Christophe Bex
Il me semble utile de mener une réflexion sur l’affectation, à l’avenir, de ces édifices coûteux pour les collectivités. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Émilie Bonnivard.
Mme Émilie Bonnivard (DR)
Le groupe Droite républicaine votera la proposition de loi. Aux collègues de La France insoumise et du Rassemblement national, qui nous obligent par leur vote à poursuivre la navette, je tiens à dire que les élus locaux, qui sont responsables et pragmatiques dans la gestion de l’argent public, souhaitaient que le texte soit adopté rapidement, afin de pouvoir financer leurs projets, à un an, à peine, des prochaines élections municipales. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et HOR.)
M. Laurent Croizier
Eh oui !
Mme Émilie Bonnivard
J’ajoute qu’en censurant le gouvernement précédent, vous avez suspendu la visibilité pour ces élus : ils ont été contraints de réaliser leurs investissements avec plusieurs mois de décalage, puisqu’ils ont dû attendre le versement des subventions de l’État. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe EPR. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Vous leur refaites le coup aujourd’hui, et c’est insupportable. Nous continuerons le combat avec tous les députés responsables, alliés à tous les élus municipaux de nos collectivités, qui sont eux aussi, je le répète, responsables. (Mêmes mouvements.)
Vote sur l’article unique
M. le président
Je mets aux voix l’article unique de la proposition de loi, tel qu’il a été amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 205
Nombre de suffrages exprimés 205
Majorité absolue 103
Pour l’adoption 205
Contre 0
(L’article unique, amendé, est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de loi.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.)
M. le président
La séance est reprise.
3. Publicisation des doléances du grand débat national
Discussion d’une proposition de résolution
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion, en application de l’article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution de Mme Marie Pochon et plusieurs de ses collègues relative à la publicisation des doléances du grand débat national (no 283).
Discussion générale
M. le président
La parole est à Mme Marie Pochon.
Mme Marie Pochon
Cinq minutes. Cinq minutes pour défendre ici, devant vous, un texte comme on en étudie tant dans cet hémicycle, mais qui pour moi, et pour des millions de Français, revêt une importance un peu particulière. En vérité, ce n’est pas un seul texte que nous étudions aujourd’hui : nous en découvrons des centaines de milliers, les près de 20 000 cahiers citoyens qui ont été noircis en cet hiver 2018, les 2 millions de contributions rédigées par des compatriotes qu’on n’aurait sinon probablement jamais entendus.
Six ans. Six très longues années depuis la révolte des gilets jaunes, fruit d’une remise en cause de l’injustice fiscale, sociale et environnementale, de l’oubli de territoires entiers, de logiques de marché qui plongent les gens dans des situations inextricables, de la perte de sens, du mépris, du mépris et encore du mépris, exact contraire de la devise républicaine, qui semblait alors gouverner.
Tout d’un coup, une France que l’on n’entend jamais et qui trime en regardant le CAC40 exploser a commencé à écrire. Ce fut un moment particulier : alors que la répression faisait rage et que le palais présidentiel était fermé, alors que 3 000 ronds-points étaient occupés et que 1,7 million de personnes prenaient part à l’une des plus longues et massives mobilisations de notre histoire, d’un coup, des milliers de mairies ont ouvert des cahiers citoyens, dans tout le pays, loin du centre des grandes villes. Ce fut l’opération « mairie ouverte » des maires ruraux, lesquels avaient signalé dès septembre 2018 un risque d’insurrection dans les campagnes.
Cela aura été la plus vaste consultation en expression libre connue sous la Ve République : des milliers de cahiers noircis des colères, des espoirs, des histoires de vie, des préoccupations et des propositions de nos concitoyens, souvent les plus éloignés de ceux qui décident. Des cahiers qui, malgré la promesse présidentielle, n’ont pas été rendus publics. On les retrouve dans les archives, soigneusement gardés, parfois dans les tiroirs des mairies. L’autre jour, par chez moi, on en a retrouvé à la sous-préfecture. On dit même qu’il y en aurait quelques centaines ici, à l’Assemblée nationale, mais personne ne sait trop où.
M. Charles Sitzenstuhl
Demandez à la présidence !
Mme Marie Pochon
Un trésor national.
Alors que l’Assemblée est plus morcelée que jamais et que l’on peine dans notre pays à définir ce qu’est l’intérêt général, se replonger dans ces doléances, c’est entendre une France que l’on entend peu, ici, dans les postures de chacun. On y trouve des demandes sur les mobilités et sur les services publics qui ont du sens, car elles montrent que chacun veut compter de la même manière dans la République, sur la justice fiscale, le retour de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et l’abolition des privilèges, sur la dignité et la valeur que l’on donne au travail et à la vie, sur l’accès aux soins, sur une transition écologique qui soit juste, sur la fin du monarque tout-puissant entouré de sa cour, sur le référendum d’initiative citoyenne (RIC), pour enfin redonner la parole aux gens. Les petits y parlent aux grands, le « nous » à « eux ».
Nous aurions dû étudier cette proposition de résolution dans l’hémicycle le 19 juin 2024. La crise immense dans laquelle nous sommes plongés depuis ne fait qu’en confirmer l’urgence : parce que nous sentons, au fond de nous, l’incompréhension se mêler au mépris, parce que le chaos laisse la place à la confusion générale, parce que les fronts républicains ne semblent avoir aucune valeur, que les promesses ne valent rien et que l’on met en doute l’État de droit et la séparation des pouvoirs.
Tout cela est grave, tout cela est tragique, parce que ce sentiment profond qui se répand tout doucement dans notre société a des racines. Ce sont les millions d’espoirs qu’on a éteints, les uns après les autres, et qui font qu’on n’y croit plus ; qui font que tout ce cirque, là-haut, ne nous concerne pas, parce que finalement, qui s’intéresse à ce qu’on peut dire et à ce qu’on peut vivre ? Ce sentiment, il a des racines, et je crois profondément qu’elles se nichent dans ces dizaines de milliers de doléances, qui contiennent aussi, sans nul doute, une part de notre avenir.
Cinq minutes pour vous dire, six ans plus tard, avec mes collègues cosignataires, que je remercie, qu’il n’a jamais été aussi urgent de restituer et de publier les doléances, de reconnaître le caractère inédit et historique de leur recueil, de finaliser la numérisation et l’anonymisation de chaque cahier de doléances, d’accompagner les communes et les autorités publiques qui souhaiteraient restituer les doléances émises dans leur département et de soutenir la recherche publique pour ce faire.
Monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, il y a quelques jours, nous avons échangé. Il est si dur de refaire confiance, après tant de trahisons. Pourtant, je choisis, nous choisissons de le faire. Nous voulons croire à notre capacité de mener avec vous un travail constructif et transparent et de créer un comité de pilotage technique pour la publicisation effective des doléances. Cette confiance, il ne faudra pas la trahir. En effet, cette résolution, toute symbolique qu’elle est, engage la parole publique du chef de l’État, mais aussi la parole de centaines de milliers de nos concitoyens, que l’on ne peut ignorer à nouveau.
Je veux adresser un immense merci aux chercheurs et chercheuses, aux élus locaux, aux archivistes, aux collectifs citoyens, aux gilets jaunes et aux associations qui se sont montées partout dans le pays pour redonner voix aux doléances. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.)
« Monsieur le président, j’aimerais que vous expliquiez à ma fille de 5 ans pourquoi maman ne met pas le chauffage partout dans la maison. […] Comment fait maman pour rester digne et humble quand les préoccupations du peuple vous passent au-dessus de la tête ? Une maman comme les autres ». Ainsi s’exprimait l’une d’entre elles. La dernière fois que des doléances ont été publiées, c’était en 1903, année où Jean Jaurès commençait un travail de recherche et de publication des doléances de la Révolution française, lui aussi devant l’Assemblée nationale. L’occasion nous est donnée aujourd’hui d’agir sans attendre un siècle. (Applaudissements et « Bravo ! » sur les bancs des groupes EcoS, SOC et GDR.)
M. le président
La parole est à M. Jimmy Pahun.
M. Jimmy Pahun
Dû à Marie Pochon, ce texte transpartisan invite le gouvernement à faciliter l’accès aux cahiers de doléances rédigés lors de la crise des gilets jaunes. Cette volonté s’appuie sur des engagements politiques : celui du président de la République en 2019, celui du premier ministre, François Bayrou, qui rappelait en ce début d’année l’importance desdits cahiers pour éclairer l’action publique et rétablir un dialogue entre citoyens et institutions.
Ces cahiers résultent de l’initiative « mairie ouverte » lancée par les maires de France, ainsi que du grand débat national souhaité par le président Macron. Répondant à l’invitation de celui-ci et soucieux de mieux comprendre les gilets jaunes, j’avais organisé des réunions dans ma circonscription, afin d’y faire vivre le grand débat ; je me souviens de moments difficiles – à Belle-Île, entre autres, où Marielle de Sarnez m’accompagnait –, qui étaient aussi les moments de vérité démocratique, d’expression libre, sans fard, d’une pensée profonde. On s’offusquait du niveau d’imposition, on questionnait l’existence de l’Assemblée et du Sénat, on regrettait tout à la fois l’écologie punitive et la lenteur de la transition écologique, on critiquait les privilèges des hauts fonctionnaires, on se félicitait d’habiter un beau pays ; on parlait services publics, pouvoir d’achat, agriculture, référendums, justice fiscale, commerces de proximité, en un mot politique. Nous vivions la vie de la cité, dans sa dureté, sa sincérité.
Les cahiers de doléances gardent la trace de ce moment de notre République. Nous n’y trouverons pas le secret de la pensée d’un peuple que nous, représentants de la nation, et les autres élus de ce pays, n’aurions jamais su ou voulu écouter : il n’en ressortira certainement aucune vérité jusque-là cachée, mais des demandes, des humeurs, des parcours de vie, des besoins, des peurs, des idées, des critiques qu’il sera bon et même vertueux de porter au grand jour. C’est là un exercice démocratique majeur, la réalisation d’un engagement pris de longue date.
Rappelons-le, ces cahiers sont déjà accessibles, quoique difficilement : aux archives départementales, chacun peut demander à les consulter, le cas échéant sur dérogation – précaution destinée à protéger la vie privée de ceux qui les ont rédigés. Selon la valeur des documents concernés, cette simple mise à disposition ne permet pas de répondre à l’exigence de transparence. Afin que tous ceux qui le souhaitent puissent s’en saisir, la consultation doit être facilitée et publicisée. La numérisation, importante – 80 % des cahiers –, reste insuffisante ; là encore, nous nous arrêterions à mi-chemin si cette assemblée s’abstenait de se saisir de la question. Nous devons nous pencher sur ces 2 millions de contributions, ces 20 000 cahiers citoyens, analyser ces écrits d’une France en ébullition, ces archives qui racontent notre histoire présente. Représentants de la nation, nous serions là pleinement dans notre rôle, les démocraties participative et représentative marchant main dans la main.
La démocratie est une matière vivante, fragile. Ne craignons pas les initiatives de ceux qui veulent la réinventer ou prétendent la réenchanter. En votant pour cette proposition de résolution, nous faisons avancer le chantier du renforcement de la participation citoyenne – le mode de scrutin proportionnel en est un autre, qu’au Modem nous défendons avec constance et conviction. Aucun gouvernement ne saurait prospérer sans réaffirmer les principes qui le fondent – la liberté, l’égalité, la fraternité – et donner corps aux espérances qu’ils suscitent, unique moyen de redonner confiance en nos institutions démocratiques et donc d’en assurer la stabilité ; unique moyen en somme, pour reprendre le titre d’un ouvrage de l’historien Patrick Boucheron, de « conjurer la peur ».
Madame Pochon, au nom du groupe Démocrates et apparentés, je vous remercie de cette proposition de résolution transpartisane et vous confirme que nous voterons en sa faveur. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. Paul Molac applaudit également.)
M. Romain Daubié
Très bien, monsieur Pahun !
M. le président
La parole est à M. Thierry Benoit.
M. Thierry Benoit
Ce mouvement des gilets jaunes, je m’en souviens comme si c’était hier, et je n’ai sans doute pas été le seul député à sentir venir la bourrasque. Le groupe parlementaire auquel j’appartenais alors se composait d’indépendants de centre droit comme moi, alliés objectifs du gouvernement, s’efforçant de faire preuve de responsabilité. Si les gilets jaunes sont apparus, c’est tout d’abord en raison du comportement d’autres élus nationaux dont les déclarations, les attitudes, révélaient chaque jour le manque de considération pour un certain nombre de nos concitoyens, le défaut d’humilité, voire l’arrogance.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Belle description du président de la République !
M. Thierry Benoit
À cette source de tension se sont ajoutées des mesures qui, vues de l’hémicycle, paraissaient bénignes : hausse du prix des carburants, réduction générale – incomprise – de la vitesse à 80 kilomètres à l’heure sur les routes.
Mme Caroline Parmentier
Qui donc l’a instaurée ?
M. Thierry Benoit
Saupoudrez le tout de radars fixes, mobiles, de chantier, des propos d’un ministre signifiant que ceux « qui fument des clopes et qui roulent au diesel » participent d’une France arriérée, et vous aurez l’explication de la colère d’une partie de nos concitoyens.
Mme Caroline Parmentier
C’était votre gouvernement !
M. Thierry Benoit
Encore une fois, madame Parmentier, je suis un député indépendant ! Je me rappelle le ministre de la transition écologique, que j’interrogeais ici même, affirmant sous vos yeux, monsieur le ministre, qui étiez à l’époque député, qu’il garderait le cap – pas longtemps : sous la pression des gilets jaunes, il lui a fallu déguerpir ! Après avoir, comme un certain nombre de collègues, participé au grand débat, je suis très favorable à la réouverture des cahiers de doléances. Que nous demandaient nos concitoyens, en particulier dans les territoires en déprise, zones rurales ou parfois banlieues des grandes métropoles ? En premier lieu, du travail. Si la France renouait avec un taux de chômage de 3,5 %, cela générerait, pour le budget de l’État, 100 milliards d’euros de recettes supplémentaires – de quoi mieux payer les soignants, enseignants, policiers, gendarmes et militaires, tout en commençant à rembourser notre dette.
Au deuxième rang venait la demande de corriger les injustices. J’avais déposé en 2019 une proposition de loi d’ordre symbolique, visant à interdire le cumul d’une pension de retraite et d’une indemnité d’activité pour les personnes nommées au Conseil constitutionnel et dans les agences de l’État. Notre ancienne collègue Laurence Vichnievsky, qui s’y était opposée, vient d’intégrer pour neuf ans le Conseil constitutionnel : le jour où elle pourra faire valoir ses droits à la retraite, demandera-t-elle que leur versement soit suspendu ? Ce sont de tels cas de figure que nos concitoyens ne supportent plus ; c’est pour cette raison, madame Pochon, que j’ai cosigné votre texte – pour que le gouvernement se ressource aux propositions dictées par ce que l’on appelait naguère le bon sens paysan des Français.
Hier soir, j’ai eu un sentiment d’espérance en voyant adopter par notre assemblée la proposition de loi sur la profession d’infirmier, due à nos collègues Nicole Dubré-Chirat et Frédéric Valletoux, qui vise notamment à autoriser les infirmières à réaliser certaines prescriptions, afin de pallier la désertification médicale – en attendant l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre les déserts médicaux,…
M. Nicolas Sansu
Elle arrive !
M. Thierry Benoit
…qui prévoit de réguler l’installation des médecins. Je l’ai cosignée ; je la soutiendrai. Voilà qui correspond à ce que nous ont dit les gilets jaunes, et voilà qui devrait guider l’action gouvernementale, quels que soient les ministres en place.
M. le président
La parole est à M. Yannick Favennec-Bécot.
M. Yannick Favennec-Bécot
Avant la convocation des États généraux de 1789, 60 000 cahiers de doléances furent rédigés par les Français. Un peu plus d’un siècle plus tard, en 1903, comme l’a rappelé Mme Pochon, Jean Jaurès les évoquait à notre tribune : « Ces documents sont dispersés dans les archives ; ils ne sont même pas classés, et fussent-ils classés, il serait impossible à un travailleur isolé d’en prendre connaissance. Voilà pourquoi il faut que l’État, par une publication d’ensemble, mette au service des historiens qui veulent aller jusqu’au fond des choses les moyens nécessaires de travail. » (Mme Marie Pochon et M. Guillaume Garot applaudissent.) L’expression populaire de 1789 fut ainsi intégralement publiée.
Au cours de l’hiver 2018-2019, cette expression s’est de nouveau fait jour dans le cadre du mouvement « mairie ouverte » : avant même le lancement du grand débat national par le président de la République, des milliers de maires ruraux, notamment dans ma circonscription de la Mayenne, prenaient l’initiative d’ouvrir des cahiers de doléances pour leurs administrés. Accès aux soins, pouvoir d’achat, sécurité, logement : durant quatre mois environ, plus de 217 000 personnes ont concouru à la rédaction de 20 000 cahiers. Si l’on y ajoute les contributions recueillies dans le cadre de quelque 10 000 réunions locales, postées sur le site officiel du grand débat, envoyées par courrier libre, à peu près 1 500 000 personnes se sont exprimées ; il s’agit donc de la plus importante consultation citoyenne depuis la Révolution.
Or si les contributions issues du site ou des réunions publiques sont consultables sur internet, les cahiers de doléances, versés aux archives départementales, ne sont certes pas cachés, mais leur diffusion reste très limitée. Au nom de la transparence, pour en avoir une vision d’ensemble, ces contributions doivent être accessibles à tous.
M. Guillaume Garot
Tout à fait !
M. Yannick Favennec-Bécot
Puisqu’elles appartiennent aux archives publiques, il convient d’organiser un accès en ligne gratuit, tout en préservant l’anonymat et les données personnelles de leurs auteurs. Le groupe LIOT espère qu’une publicisation totale permettra – au-delà de la numérisation qui aboutit à présenter en quelque sorte une photo des pages – une retranscription en ligne, donc des recherches par mots-clés. Il faudra également un travail de classement qui maintienne le lien entre chaque cahier et son territoire d’origine. Notre groupe insiste sur ce point : certains citoyens ruraux ou ultramarins, par exemple, rencontrent des problèmes spécifiques, qui ne sont intelligibles que dans leur contexte.
La valeur de ces doléances, consignées dans plus de 16 000 mairies, est patrimoniale et démocratique. Elles constituent une ressource précieuse pour mieux comprendre les préoccupations et attentes des Français, notamment des habitants des territoires ruraux. La diffusion des cahiers aura également le mérite de ne pas laisser dans l’obscurité la parole populaire qui s’est exprimée il y a six ans.
Nous sommes confrontés à des défis sociaux, économiques, climatiques, internationaux et sociétaux. Les gouvernants et les élus doivent y faire face et opérer des choix. Or, lorsque les décisions prises paraissent injustes ou qu’elles sont mal comprises par une partie de la population, cela provoque défiance, abstention et montée des partis populistes. Une large majorité de Français considèrent d’ailleurs que notre démocratie fonctionnerait mieux s’ils étaient davantage associés aux décisions politiques.
M. Guillaume Garot
Absolument !
M. Yannick Favennec-Bécot
Pour conclure, je remercie notre collègue Marie Pochon d’avoir pris l’initiative de cette proposition de résolution, que j’ai d’ailleurs cosignée, et d’avoir obtenu qu’elle soit inscrite à l’ordre du jour de nos travaux.
Mme Marie Pochon
La deuxième fois !
M. Yannick Favennec-Bécot
Je forme donc le vœu qu’elle soit non seulement adoptée, mais surtout rapidement suivie d’effets.
Vous l’aurez compris, mon groupe votera en faveur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur quelques bancs des groupes SOC et EcoS.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu
Je vous remercie, madame Pochon, d’avoir défendu cette proposition de résolution relative à la publicisation des doléances du grand débat national. C’est une nécessité pour l’histoire du pays, pour notre mémoire collective et, plus encore, pour signifier le respect et l’attachement que porte notre assemblée à l’expression du peuple dont nous sommes les représentants – respect et dignité.
Dans son Histoire socialiste de la Révolution française, Jean Jaurès observait, à propos des cahiers de doléances des États généraux de 1789, qu’il ne connaissait rien « de plus solide, de plus substantiel que ces cahiers du Tiers État qui sont comme l’expression suprême de la littérature française du XVIIIe siècle », les qualifiant même de « plus grande littérature nationale que possède aucun peuple ».
De cette littérature nationale, issue du peuple au cours de l’hiver 2018-2019 et appartenant au peuple, nous sommes aujourd’hui privés. Sans rougir, la start-up nation nous a longtemps opposé des obstacles techniques qui rendraient impossible la publicisation des cahiers de doléances issus du grand débat national à la suite de la crise des gilets jaunes.
Permettez-moi de vous mettre en garde, monsieur le ministre, contre la tentation qui est la vôtre de livrer à un cabinet de conseil et à l’intelligence artificielle le soin de déchiffrer et de défricher ce formidable terreau.
M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
Ce n’est pas vrai !
M. Nicolas Sansu
Nous devons faire mieux pour ces centaines de milliers de pages noircies, ces 19 247 cahiers citoyens ouverts dans 16 337 communes, afin qu’ils ne soient pas perdus pour le grand public. Les cahiers numérisés, conservés aux Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine, ne sont consultables que par quelques chercheurs ; pour les citoyens non autorisés, ils ne sont disponibles que partiellement, et de manière éparpillée, aux archives départementales.
Souvenons-nous de la crise des gilets jaunes. Maire de Vierzon à l’époque, je suis allé très rapidement et régulièrement rencontrer et soutenir celles et ceux qui avaient pris la parole, une parole trop souvent confisquée par une caste. Rappelons-nous ces six dernières années et demie, ponctuées par la révolte des gilets jaunes à laquelle n’ont été opposés que mépris et répression…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Exactement !
M. Nicolas Sansu
…et par celle sur la retraite à points, mise sous le boisseau par la pandémie. Ensuite, dès 2023, ce furent les grandes mobilisations contre l’inique réforme des retraites. Et même après trois défaites électorales, la Macronie persiste dans sa volonté de faire taire le peuple par des accents martiaux et guerriers (Mme Marie Pochon et M. Arnaud Le Gall applaudissent), utilisant, comme l’écrit si bien Corey Robin dans La peur : Histoire d’une idée politique, « la menace externe […] comme prétexte afin de réprimer la menace interne ».
Aussi bien enrobé soit-il, le grand débat a d’abord été un instrument imaginé pour sortir de la crise, étouffer le mouvement et neutraliser la critique radicale de sa politique. Car c’est bien l’ensemble de l’œuvre du président de la République et des gouvernements successifs qu’il faut regarder : quelques exemples suffisent à convaincre que les revendications et les expressions du peuple n’ont pas seulement été ignorées, mais piétinées.
En effet, que demandaient les gilets jaunes et les millions de Français qui les soutenaient ? Plus de pouvoir d’achat, une meilleure répartition des richesses, plus de services publics et plus de démocratie. Sur ces quatre points, ils se sont heurtés à une fin de non-recevoir ! Que demandaient les membres de la Convention citoyenne pour le climat ? Des mesures courageuses pour lutter contre le réchauffement climatique. Leurs conclusions ont été jetées une à une aux oubliettes ! Qu’ont voulu dire les millions de salariés, de chômeurs, de retraités qui se sont élevés contre la réforme Borne de recul de l’âge de départ à la retraite ? Ils ont été méprisés ! Il suffit de cette caste qui se croit autorisée, coûte que coûte, à faire fi du choix du peuple !
L’histoire est souvent écrite par les vainqueurs, tandis que les peuples sont relégués dans l’oubli. La publicisation des cahiers de doléances, rédigés avec espoir par tant d’invisibles dans chacune des communes de France et des pays dits d’outre-mer, permettra non seulement d’arracher leurs souffrances à l’oubli, mais aussi et surtout de mettre en exergue les multiples propositions qu’ils ont formulées en leur redonnant respect et dignité.
« Ce ne sont pas les révolutions victorieuses, mais les révolutions étouffées et réprimées, les révolutions trahies et reniées, qui rendent un peuple malade » écrivait Sebastian Haffner dans son ouvrage Allemagne 1918, une révolution trahie.
Malheureusement, cette proposition de résolution ne suffira pas à soigner le peuple de sa défiance envers le monde politique. Toutefois, elle pourrait y contribuer, modestement. C’est pourquoi le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qui rassemble des députés communistes et des députés ultramarins, votera cette proposition de résolution, car il faut entendre, lire, voir et donner accès à ce cri du peuple. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR et EcoS, ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Patrick Mignola, ministre délégué
C’est un beau discours, mais vous me prêtez de fausses intentions !
M. le président
La parole est à M. Éric Michoux.
M. Éric Michoux
Un rappel s’impose sur l’origine du mot doléances, dont la racine est la même que condoléances et qui désigne une plainte, une tristesse ou une douleur. Il convient parfaitement à la situation des gilets jaunes et à leurs revendications.
La proposition de résolution que nous examinons cet après-midi est l’occasion de revenir sur l’épisode marquant des gilets jaunes. Leur cri de colère aura eu le mérite de relancer le débat dans notre pays, de prouver que la France d’en bas continuait d’exister et d’ébranler les certitudes d’un pouvoir jupitérien.
N’oublions pas que, bien avant le grand débat national, ce sont les maires qui, les premiers, ont pris la mesure de cette mobilisation. Comme toujours, ils veillent sur notre démocratie et sont les sentinelles de la République. Ils ont même ouvert spontanément leurs mairies, grâce à l’opération « mairie ouverte » lancée en décembre 2018.
Une telle démarche s’inscrit dans le temps long de l’histoire de France. De Saint Louis aux gilets jaunes, en passant par la Révolution française – cela a été souligné –, nous avons toujours eu une grande tradition des cahiers de doléances. Pour vous en convaincre, faites quelques pas dans la salle des Conférences, pour méditer l’exemple des États généraux de Philippe Le Bel. Plus de sept siècles d’histoire nous contemplent. La Macronie en est-elle bien digne ?
L’apport des cahiers de doléances des gilets jaunes est vital pour notre démocratie. Au total, ce sont plus de 19 000 cahiers, qui proviennent de plus de 16 000 communes. Ils sont le reflet sans filtre de notre société.
Les premières revendications des gilets jaunes n’ont pas disparu, notamment celles portant sur le pouvoir d’achat, exprimées par les classes populaires et les classes moyennes. La France reste la triste championne du monde des prélèvements obligatoires…
M. Christophe Bex
Oh là là ! Mais arrêtez !
M. Éric Michoux
…pour les travailleurs, les retraités, les ménages, les agriculteurs, les commerçants, les artisans et les entrepreneurs – la liste est longue. Je les ai rencontrés sur les ronds-points : tous demandaient à pouvoir jouir du fruit de leur travail, tout simplement, sans avoir à se serrer la ceinture dès le 10 du mois. Toujours plus de taxes, mais toujours plus d’insécurité ; toujours plus d’impôts, mais toujours plus de déserts médicaux ; toujours plus de prélèvements, mais toujours plus de fermetures de classes. Tous s’interrogeaient sur la soumission à l’impôt, en posant cette question simple : où va le fric ? Rendez l’argent !
C’est la France des terroirs qui s’exprime. Celle des fins de mois difficiles, des abstentionnistes, de ceux qui souffrent en silence, de ceux qui n’ont jamais été consultés. Cette France des invisibles, du bon sens, de ceux qui roulent au diesel – ne vous en déplaise – et dont les voitures sont exclues des fameuses zones à faibles émissions (ZFE). Cette France assignée à résidence. Voilà l’état de notre démocratie ! On en est même arrivé à exiger, dans le cadre des ZFE, une inscription sur un site internet pour avoir le droit d’accéder aux centres-villes concernés par le dispositif.
Je tiens à rappeler aux élus de l’extrême gauche…
M. Loïc Prud’homme
Il n’y en a pas ici !
M. Éric Michoux
…et aux écologistes que lorsqu’on habite à la campagne, on ne prend pas sa voiture pour polluer par plaisir.
M. Sébastien Peytavie
Sans blague ?
M. Éric Michoux
On prend sa voiture pour se déplacer, pour aller travailler (M. Christophe Bex s’exclame), se soigner ou encore faire les courses. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe EcoS.) La hausse des taxes sur l’essence a déclenché la colère des gilets jaunes.
Un député du groupe GDR
Et la police, aussi !
M. Éric Michoux
Chers collègues, les ZFE pourraient bien faire revenir les gilets jaunes. Alors publions les cahiers de doléances ! Le groupe UDR votera la proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. le président
La parole est à Mme Edwige Diaz.
Mme Edwige Diaz
Comme Bossuet, j’ai envie de rire de ceux « qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». Cependant, l’humour cède vite la place à la désolation lorsque je vois, une fois encore, le triste spectacle d’une classe politique aux abois qui s’improvise maladroitement pompier pyromane.
Cette proposition de résolution visant à publier les doléances du grand débat national est ironiquement cosignée par tous ceux qui sont responsables de la crise des gilets jaunes. De plus, une proposition de résolution est par définition non contraignante pour l’exécutif. Il n’est donc pas à exclure qu’il lui réserve le même sort qu’aux milliers de cahiers de doléances qui, pour la plupart, servent désormais à caler les armoires des archives départementales.
En réalité, qui, hormis les représentants de partis politiques déconnectés, apprendra quelque chose de la publication de ces documents ? Certainement pas les habitants des zones rurales oubliées, qui en sont les auteurs. (M. Benjamin Lucas-Lundy s’exclame.) Et certainement pas non plus le Rassemblement national, qui, par la voix de la candidate du peuple Marine Le Pen (Exclamations sur les bancs du groupe EcoS),…
M. Christophe Bex
Rappelez-nous où elle habite ?
Mme Edwige Diaz
…nous avait non seulement alertés sur la colère légitime qui montait dans le pays, mais surtout formulé des propositions avant, pendant et après la crise des gilets jaunes. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – M. Olivier Marleix s’exclame.)
Quelles étaient les principales revendications des gilets jaunes ? Je précise que pour l’heure, aucune d’entre elles n’a vu le jour, et je vais expliquer aux Français pourquoi.
Tout d’abord, l’instauration de la proportionnelle aux élections législatives. Dès 2012, Marine Le Pen l’avait inscrite dans son programme présidentiel.
M. Laurent Croizier
C’est facile : dans votre programme, vous avez écrit tout et son contraire !
Mme Edwige Diaz
Hélas, la présidente macroniste de l’Assemblée nationale a déclaré encore hier qu’elle n’en faisait pas, je la cite, une priorité.
Ensuite, l’instauration d’un référendum d’initiative populaire ou citoyenne. Cette mesure figurait dans le programme présidentiel de Marine Le Pen en 2017. Mais la gauche a hélas décidé de faire élire, puis réélire, Emmanuel Macron.
Un député du groupe RN
Eh oui !
Mme Edwige Diaz
La fin de la hausse des taxes, notamment sur le carburant. En 2018, mon collègue Bruno Bilde déposait une proposition de loi visant à supprimer la TVA sur le montant de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Les macronistes ne l’ont même pas inscrite à l’ordre du jour !
L’augmentation des salaires nets. En janvier 2023, ils ont voté, main dans la main, contre la proposition de loi de Jean-Philippe Tanguy qui visait à inciter les entreprises à augmenter les salaires de 10 %, moyennant une exonération des charges, dans la limite de trois fois le smic. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN. – M. Christophe Bex s’exclame.)
La non-augmentation de l’âge de départ à la retraite. Là encore, il y a quatre mois, le parti unique s’est acoquiné pour rejeter la proposition de loi de Thomas Ménagé visant à abroger l’injuste réforme des retraites d’Emmanuel Macron.
Mme Marie Pochon
Voilà une belle sélection !
Mme Edwige Diaz
La préservation des services publics, dont les territoires ruraux sont privés. Dans ma circonscription, une classe est menacée de fermeture à Berson, tout comme La Poste de Saint-Christoly-de-Blaye. Mais cela les laisse, une fois de plus, indifférents.
Mme Marie Pochon
Et où prenez-vous l’argent ?
M. Benjamin Lucas-Lundy
Rendez l’argent !
Mme Edwige Diaz
Ce qui est particulièrement cynique dans ce texte, c’est que ses signataires osent parler de baisse du niveau de confiance des Français dans la politique, alors qu’ils en sont responsables en raison de leurs renoncements, de leurs trahisons, de leurs désistements, de leurs alliances contre-nature et de leur déconnexion.
M. Arnaud Le Gall
Vous ne faites jamais d’autocritique !
Mme Edwige Diaz
Si, comme les représentants du Rassemblement national, ils avaient rencontré des gilets jaunes,…
M. Arnaud Le Gall
Ceux qui ont été éborgnés par la police, alors que vous ne souffrez pas qu’on la critique ?
Mme Edwige Diaz
…comme je l’ai fait dans ma circonscription en novembre 2018, et les samedis suivants sur le rond-point de la Garosse, à Saint-André-de-Cubzac, ou au péage de Virsac, ils n’auraient certainement pas fait échouer nos textes de bon sens plébiscités par les Français – qui, je le rappelle, ont fait triompher la liste portée par Jordan Bardella aux dernières élections européennes. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
M. Jean-Claude Raux
Le triomphe était moins évident lors des élections législatives !
Mme Edwige Diaz
Si, comme les représentants du Rassemblement national, ils avaient – comme je l’ai fait – rencontré une délégation d’administrés favorables au référendum d’initiative citoyenne, nous n’en serions pas là aujourd’hui ! Car sans casse sociale, pas de crise des gilets jaunes, pas de manifestations pénalisantes pour les commerçants des centres-villes et dangereuses pour les forces de l’ordre qu’ils ont laissées se faire caillasser par des black blocs (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP), pas non plus de cahiers de doléances qui prennent la poussière et pas de grand débat national – qui n’a d’ailleurs pas été un vrai débat, pas plus qu’il n’a été grand ni national.
M. Arnaud Le Gall
Toutes les catégories de gilets jaunes ont été réprimées dans vos circonscriptions !
Mme Edwige Diaz
Encore mieux, ils auraient évité de s’entêter dans leur détestation des automobilistes et des motards en prenant des mesures qui confinent à la spoliation fiscale : augmentation du prix des carburants et des péages, création de la taxe mobilité, instauration des 80 kilomètres à l’heure, obligation du contrôle technique pour les deux-roues, création des ZFE et, très récemment, dans le projet de loi de finances pour 2025, durcissement du malus automobile.
Quand on atteint un tel niveau, ce n’est plus de l’écologie punitive, mais de l’écologie de pénitence !
En d’autres termes, les gilets jaunes ont demandé une révolution sociale ; ils ont obtenu la guillotine fiscale.
Mme Marie Pochon
Vous n’avez pas lu les doléances !
Mme Edwige Diaz
Je veux dire à nos compatriotes que ce texte – qui sera adopté, puisque cela ne mange pas de pain – ne réglera pas leurs problèmes. Mais je veux aussi leur dire que la situation qu’ils subissent n’est pas le fruit d’une fatalité et qu’avec la puissance de leur bulletin de vote, ils peuvent changer leur quotidien.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Ils vous ont dit non le 7 juillet !
Mme Marie Pochon
Vous ne les avez pas aidés ! C’est le moins que l’on puisse dire !
Mme Edwige Diaz
Pour le pouvoir d’achat, l’ordre, la prospérité et la sécurité, le seul vote qui vaille, c’est celui en faveur de la personnalité féminine préférée des Français, qui préside le groupe parlementaire préféré des Français et qui sera la candidate du premier parti de France. Il s’agit bien évidemment de Marine Le Pen ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme Émilie Bonnivard
Ce n’est pas un meeting !
M. Laurent Croizier
Tout ça pour ça ! Vous auriez pu nous épargner en le disant d’entrée !
Mme Marie Pochon
Qui sont les députés TikTok ? On se le demande !
M. le président
La parole est à M. Christophe Marion.
M. Christophe Marion
Il y a six ans, à la suite du mouvement des gilets jaunes, les Français participaient à l’exercice démocratique du grand débat national, annoncé par le président de la République le 13 janvier 2019. Jamais, depuis la Révolution de 1789, la France n’avait connu pareil exercice de démocratie directe avec une aussi large participation.
Chacun a très rapidement pris conscience de l’importance de ce trésor national et des problèmes qu’il soulevait : archivage, numérisation, mise à disposition.
Les cahiers citoyens n’ont jamais été perdus, cachés ou enterrés dans d’obscures réserves d’archives départementales. Au contraire, celles-ci ont tenu à la disposition du citoyen cette source exceptionnelle pour l’histoire du pays, dans le respect d’une législation garante à la fois de la transparence administrative et de la protection des droits individuels.
Concrètement, on peut consulter les cahiers de doléances en se rendant aux archives départementales, où ils sont immédiatement communicables, à quelques exceptions près – notamment lorsque sont agrafées des correspondances nominatives soumises à des délais spécifiques, qui, si elles relèvent du secret médical, peuvent aller jusqu’à cent vingt ans.
Cependant, nous sommes loin de la promesse du président de la République – que nous, députés Ensemble pour la République, souhaitons voir réalisée – de rendre accessible en ligne l’intégralité du corpus dans le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD), ce qui suppose l’anonymisation préalable, soit la suppression de toutes les informations qui identifieraient les auteurs et les personnes mentionnées.
Ce travail indispensable demande des moyens importants qu’il faut mobiliser, mais les initiatives sont encore peu nombreuses. Je pense notamment à celle des archives départementales d’Indre-et-Loire.
Au-delà de la publicisation, il demeure nécessaire de favoriser les travaux de recherche, à l’instar de ceux menés par le laboratoire d’excellence dédié à la constitution de la modernité, le Labex Comod de l’université de Lyon. Ces travaux universitaires sont parfois à l’initiative des gilets jaunes eux-mêmes et ont pu reposer, comme en Creuse, sur la participation des citoyens à la transcription et à l’indexation des contributions dans le cadre d’une recherche dite participative.
Ces regards scientifiques doivent avoir plusieurs ambitions. Tout d’abord, replacer les cahiers de doléances dans le contexte de la révolte des gilets jaunes, quand bien même ils ont été en partie rédigés par des acteurs qui n’ont pas participé au mouvement et dont le fait d’écrire dans une salle de la mairie a parfois été la seule mobilisation politique.
Il faut aussi les replacer dans une tradition française de la plainte adressée au pouvoir qui jalonne l’histoire de notre pays au-delà de 1789, qu’on pense aux querimoniae de Saint Louis ou aux cahiers de doléances élaborés en 1945 à l’iniative du Conseil national de la Résistance (CNR) et des comités départementaux de libération.
Enfin, l’étude de ces cahiers doit nous permettre d’apporter un éclairage distancié sur les revendications des Français, de les saisir dans toute leur complexité afin qu’elles éclairent l’action publique, car nous tomberons d’accord sur la nécessaire prise en considération des attentes exprimées en faveur d’une meilleure redistribution des richesses, d’une démocratie plus directe ou d’une lutte contre le déclassement rural.
Doit-on pour autant souscrire à une vision binaire de la société qui opposerait ceux qui rédigent à ceux qui sont privilégiés ?
Mme Caroline Parmentier
Ça vous arrange bien !
M. Sébastien Chenu
Ils vous détestent !
M. Christophe Marion
Si nous comprenons la nécessité de rapprocher le citoyen des centres de décision politique, doit-on pour autant souscrire à l’idée qu’il faudrait supprimer l’échelon intercommunal ou départemental comme le préconisent de nombreux rédacteurs, par exemple, en Île-de-France ?
Mme Caroline Parmentier
Vous avez tout raté !
M. Christophe Marion
C’est à cela que doit servir la science : objectiver, analyser, éviter que les cahiers soient instrumentalisés et que nous portions sur eux un regard sélectif, en fonction de nos sensibilités politiques. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Qu’il s’agisse d’économie, de politique ou d’immigration, ces cahiers reflètent l’état d’esprit d’un peuple, jusque dans ses contradictions et ses paradoxes.
À l’instar des sources historiques, ils doivent être étudiés avec de la rigueur scientifique,…
M. Sébastien Chenu
Oh là là !
M. Christophe Marion
…y compris pour interroger leur représentativité – les bourgs ruraux y étant plutôt surreprésentés –, ainsi que les sujets mis en avant, qui révèlent en creux un certain nombre de questions non abordées. Par exemple, quand il est question de justice fiscale, il s’agit le plus souvent d’évasion fiscale et non du coût du travail dissimulé.
Mme Caroline Parmentier
Vous n’avez rien compris !
M. Christophe Marion
Il n’y a donc pas de vérité absolue dans ces pages. On y trouve plutôt l’expression d’un « peuple introuvable », pour reprendre la formule de Pierre Rosanvallon,…
Mme Caroline Parmentier
Rassurez-vous, on l’a trouvé !
M. Emmanuel Taché de la Pagerie
Ce sont les macronistes qui sont introuvables ! Où sont-ils ?
M. Christophe Marion
…un peuple à géométrie variable qui, comme disait Michelet, nous reste parfois inaccessible.
M. Emmanuel Taché de la Pagerie
Quel mépris !
M. Christophe Marion
On y trouve l’expression d’un malaise, d’une inquiétude et d’une impétuosité qui nous obligent, nous qui siégeons dans cet hémicycle.
En garantissant l’accès du plus grand nombre aux cahiers de doléances, nous remettons sur le devant de la scène les espoirs des Français. Nous rappelons la nécessité d’y apporter des réponses, à l’instar des mesures en faveur du pouvoir d’achat que les députés EPR ont soutenues ces dernières années. (Exclamations et rires sur plusieurs bancs du groupe RN.) Ce n’est pas le cas de tout le monde ! C’est à ce prix que nous pourrons combattre la crise de la représentation politique et créer un sentiment de démocratie permanente, de démocratie continue. Le premier pas consistera à voter cette proposition de résolution, ce que nous ferons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à M. Arnaud Le Gall.
M. Arnaud Le Gall
En novembre 2018 commençait la révolte des gilets jaunes. (Mme Mathilde Panot applaudit.) Je dis bien révolte, et non mouvement social ou crise, car une mobilisation prenant immédiatement une dimension nationale et cristallisant les colères envers l’injustice fiscale et sociale, l’explosion du coût de la vie, la disparition des services publics, les entorses répétées à la démocratie politique et sociale, et finalement le mépris des puissants, s’appelle une révolte. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Semaine après semaine, des centaines de milliers de personnes – ouvriers, employés, petits indépendants, chômeurs, mères isolées –, issus des villes, des campagnes ou des zones périurbaines, ont occupé les ronds-points et défilé dans les rues pour exprimer leur légitime colère. Le peuple souverain redevenait un acteur politique conscient de sa puissance.
Face à cette révolte historique, le gouvernement macroniste a déployé une répression policière et judiciaire historique, rompant le cadre de l’État de droit et franchissant une nouvelle étape dans la dérive autoritaire qui affecte notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Marie Pochon applaudit également.) Plus de 11 000 gardes à vue, quelque 5 000 poursuites, plus de 3 000 condamnations ; des milliers de cas d’entrave à la liberté de circulation ou de manifestation ; plus de 3 000 manifestants blessés, trente-deux éborgnés et cinq mains arrachées – non celles de black blocs, mais bien de gilets jaunes qui n’ont jamais reçu votre soutien. Une femme à qui je veux rendre hommage, Mme Zineb Redouane, a été tuée par un tir de grenade lacrymogène à Marseille alors qu’elle se trouvait dans son appartement. (Mêmes mouvements.) Pour tout cela, la France a été condamnée par l’ONU.
Pour tenter de justifier une telle violence d’État, il a fallu diaboliser ses victimes. Les gilets jaunes ont été dépeints comme un ramassis de brutes, de casseurs, d’antisémites ou de complotistes, incapables de penser ou d’articuler une revendication politique. Puis un grand débat a été organisé, ponctué par les interminables monologues de l’organisateur en chef, le président de la République.
Le gouvernement s’était engagé à rendre accessible l’ensemble du contenu des cahiers d’expression libre. Il n’a pas tenu parole.
Mme Mathilde Panot
Exactement !
M. Arnaud Le Gall
Entretemps, le président avait changé de plan de communication et se préparait à une nouvelle bataille de sa guerre sociale.
Le gouvernement ne voulait pas entendre cette parole qui battait en brèche les idées reçues sur la révolte et ses motivations profondes. À ce titre, une anecdote survenue dans mon département, le Val-d’Oise, est particulièrement symbolique : un septuagénaire qui avait pris au sérieux la demande présidentielle et donc consigné par écrit ses doléances a reçu, en guise de première réponse, la visite d’agents du renseignement qui l’ont interrogé pendant une heure et demie sur ses motivations.
La présente proposition de résolution demande au gouvernement de procéder à la publicisation des cahiers de doléances issus du grand débat. La France insoumise votera évidemment pour cette proposition, d’autant plus volontiers que nous avions nous-mêmes, en novembre 2022, déposé une proposition de loi en ce sens, dans laquelle nous demandions également l’amnistie des gilets jaunes. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Cette demande, réitérée en 2024, reste d’actualité.
En votant cette résolution, notre assemblée se placerait dans la continuité de Jean Jaurès, qui a tant fait pour la collecte, la publication et l’étude des cahiers de doléances de 1789. Contre les réactionnaires, qui n’y voyaient qu’un tissu de sottises populaires, Jaurès avait, un siècle après la grande Révolution, perçu toute leur importance et ?uvré pour que l’Assemblée nationale organise leur publication. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
La publication des cahiers issus du grand débat peut permettre de rendre son vrai visage à une révolte dont les acteurs ont été largement diffamés et dont les principaux mots d’ordre ont été occultés.
Certains espèrent sans doute, avec cette publication, clore le cycle ouvert en novembre 2018. Mais cette publication ne doit pas être un aboutissement ; c’est une étape du combat pour la dignité des gilets jaunes et pour que leurs revendications de justice sociale, fiscale, de démocratie, soient enfin entendues. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Voyez l’état de notre pays ! Aucune réponse de fond n’a été apportée. Pire, les gouvernements macronistes successifs ont depuis radicalisé leur politique d’injustice fiscale et sociale, de piétinement des libertés publiques, de déni de la démocratie parlementaire et sociale et de plongée dans la répression systématique de tous les mouvements sociaux, avec la complicité aveugle de l’extrême droite, incapable de toute critique à l’égard de la police quand elle ne respecte pas les règles du maintien de l’ordre républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.) La publication des cahiers de doléances constituera un nouveau point d’appui dans la lutte contre cette politique. (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Mme Marie Pochon et M. Pouria Amirshahi applaudissent également.)
M. Christophe Bex
Bravo !
M. le président
La parole est à Mme Ayda Hadizadeh.
Mme Ayda Hadizadeh
Il y a des principes qui ne coûtent rien, mais qui valent tout l’or du monde. Ma mère, comme d’autres, n’avait pas beaucoup d’argent pour nous élever, mais elle nous a transmis quelques-uns de ces principes inestimables. Le plus important d’entre eux : tenir sa parole, faire ce que l’on dit, respecter ses engagements. (Sourires sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Sébastien Chenu
Venant de vous, c’est le pompon !
Mme Ayda Hadizadeh
Une promesse ne doit jamais être des mots lancés en l’air, des mots qui changent au gré du vent. Une promesse engage. Elle est le ciment de la confiance.
Celui qui trahit sa parole trahit la confiance ; celui qui ment une fois ment toujours. (Sourires sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Théo Bernhardt
Vos électeurs en savent quelque chose !
Mme Ayda Hadizadeh
C’est ce que nous enseignons à nos enfants. La confiance en l’autre, c’est ce qui fait tenir notre société. Un monde dans lequel la parole n’a plus de valeur est un monde dans lequel personne ne croit plus personne et dans lequel, très vite, personne ne croit plus en rien.
N’est-ce pas précisément ce mal qui ronge lentement nos démocraties ? Les Français n’ont plus confiance en leurs représentants,…
M. Théo Bernhardt
À qui la faute ?
Mme Ayda Hadizadeh
…car trop souvent, leurs représentants n’ont pas respecté leur parole.
Mme Edwige Diaz
Comment peut-on dire cela avec autant de sérieux ?
Mme Ayda Hadizadeh
Aujourd’hui, il est question d’une promesse trahie. En 2018, les Français se révoltent et crient leur colère. Ils trouvent un signe de ralliement : le gilet jaune.
M. Sébastien Chenu
Ce n’est pas François Hollande qui les a rassemblés !
Mme Ayda Hadizadeh
Pour répondre à cette crise de confiance, le président de la République finit par proposer une voie de sortie honnête :…
M. Christophe Bex
La répression !
Mme Ayda Hadizadeh
…« Écrivez-nous et dites-nous ce qui doit changer. » Les Français l’ont fait : 2 millions de contributions, 19 000 cahiers remplis.
Partout, des citoyens ont pris leur stylo – enseignants, ouvriers, soignants, retraités, jeunes – et ont couvert des pages et des pages de témoignages, d’idées, de savoirs et d’espoir.
Ils croyaient qu’on les écouterait. Ils étaient persuadés que ça pouvait changer. Et puis ? Rien. Le silence.
Le couple que forment le peuple et ses élus traverse une crise de couple, qui est bien plus qu’une de ces disputes du dimanche soir durant lesquelles l’un, excédé, jette au visage de l’autre : « Tu ne m’écoutes pas », « Tu ne m’entends pas », « Je suis toujours là pour toi, mais toi, jamais ». Nous avons dépassé ce stade-là. L’un, enfermé dans son silence, ne parle plus et s’interroge : « Pourquoi rester ? À quoi bon ? »
M. Sébastien Chenu
Vous en avez d’autres ?
Mme Ayda Hadizadeh
Au sein du peuple français, certains sont encore en colère et nous le font savoir. C’est rassurant, car cela montre qu’ils y croient encore. Ils croient encore qu’en nous engueulant, ils nous feront changer ; ils croient encore qu’une autre vie est possible.
Mais combien ont déjà fait leurs valises ? Combien ne veulent plus jamais entendre parler de nous, leurs représentants ?
M. Sébastien Chenu
C’est de vous, les socialistes, et pas de nous qu’ils ne veulent plus entendre parler !
Mme Ayda Hadizadeh
Aujourd’hui, le plus grand parti de France, c’est celui de ceux qui ne votent plus : le parti de ceux qui n’attendent plus rien de nous !
M. Sébastien Chenu
Non, c’est le RN !
Mme Martine Froger
C’est bon, on a compris !
Mme Ayda Hadizadeh
Quand on demande au peuple de parler, de raconter ses souffrances, de confier ses peurs et ses attentes, peut-on faire comme si rien ne s’était passé ? Les cahiers de doléances n’étaient pas des cahiers de plainte, mais des cahiers d’espoir ! L’espoir que la République écoute enfin, qu’elle comprenne et qu’elle finisse par changer vraiment ! Quand on suscite de l’espoir, le silence ne peut être la réponse.
Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire. Aujourd’hui, il est de notre responsabilité de dire aux Français : « Nous vous avons entendus,…
M. Sébastien Chenu
Sauf au sujet de l’immigration !
Mme Ayda Hadizadeh
…vos souffrances méritent d’être reconnues et nous devons tout faire pour y répondre. »
La publication de ces cahiers est un acte politique, un acte de justice envers le peuple. Faisons-le aujourd’hui, sans plus tarder ! Faisons-le au moment où la flamme de nos démocraties vacille.
M. Théo Bernhardt
Oh !
Mme Ayda Hadizadeh
L’histoire nous l’enseigne : les démocraties ne meurent pas toujours dans la violence, elles dépérissent de l’indifférence – celle des responsables politiques à la parole du peuple et l’insensibilité des prétendus démocrates aux souffrances de ce peuple.
Quand le peuple se sent méprisé, quand il se sent trahi par ceux qui lui avaient promis de l’écouter et de l’aider, il va voir ailleurs. Et il finit par se tourner vers ceux qui prétendent mieux l’aimer, mais qui, en réalité, ne font qu’attiser sa colère en lui désignant des boucs émissaires.
M. Sébastien Chenu
Le peuple vous déteste !
Mme Ayda Hadizadeh
L’histoire le montre à chaque fois : l’amour des populistes de l’extrême droite pour le peuple, c’est le même que celui de l’amant brutal. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Un amour destructeur, car il n’aime que lui-même, que sa force, que la domination, que la toute-puissance ! (M. Théo Bernhardt s’esclaffe.)
C’est de vous que je parle ! (L’oratrice se tourne vers les bancs de la droite de l’hémicycle.)
M. Emmanuel Taché de la Pagerie
Voyons ! Vous vous êtes alliés à LFI !
Mme Ayda Hadizadeh
Refonder la démocratie, c’est refonder la confiance du peuple dans sa démocratie. Nous devons nous y employer dès aujourd’hui ! Alors publions sans attendre ces cahiers de doléances, et surtout, saisissons-nous-en ici. Plongeons-nous dedans et revivifions notre démocratie ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et LIOT et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
M. Sébastien Chenu
Vous n’avez même pas fait 2 % à la dernière présidentielle !
M. le président
La parole est à M. Fabrice Brun.
M. Fabrice Brun
Quelques semaines avant le début du mouvement des gilets jaunes, j’interpellais ici même le premier ministre à l’occasion des questions au gouvernement. « Monsieur le premier ministre, lui dis-je, les faits ont la tête dure. Vous avez augmenté la CSG, la contribution sociale généralisée, de 25 % pour les retraités modestes, et ils sont nombreux dans nos territoires. Vous avez aussi décidé une augmentation sans précédent de la fiscalité sur les carburants, la limitation de la vitesse à 80 kilomètres heure sur les routes… Vous construisez une France à deux vitesses. »
Malheureusement, l’avenir nous a donné raison.
Mme Émilie Bonnivard
Eh oui !
M. Fabrice Brun
Le milieu rural français se sent encore abandonné et les doléances recueillies lors du grand débat national l’attestent. Ces 19 000 cahiers, il faut les rendre plus accessibles. D’abord, pour mesurer l’effet des politiques qui, depuis, ont apporté des réponses sur le terrain. Je pense notamment au déploiement de la fibre optique et au New Deal mobile, qui ont permis – même si tout n’est pas parfait et que beaucoup reste à faire – l’extension de la couverture mobile, alors qu’approche l’extinction du réseau cuivré, qui nous préoccupe tous. À ce sujet comme sur tant d’autres, on se demande s’il y a toujours un pilote dans l’avion de l’État !
Mme Justine Gruet
Eh oui !
M. Fabrice Brun
Se replonger dans les doléances du grand débat, c’est aussi s’interroger sur l’égal accès aux soins partout sur le territoire. C’est écouter les difficultés de l’un pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste et de l’autre pour trouver un médecin référent.
M. Loïc Prud’homme
Qui était premier ministre à l’époque ?
M. Fabrice Brun
Tant de sujets du quotidien, qui touchent à la santé, à la mobilité, à la sécurité, au travail, au pouvoir d’achat ! Les doléances du peuple les abordent et constituent une matière d’utilité publique.
Nous, députés, sommes les garants des libertés fondamentales. Libérons donc ces doléances pour redonner de la chair aux politiques publiques, et particulièrement à la grande politique de l’aménagement du territoire que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – Mme Marie Pochon applaudit aussi.)
Mme Émilie Bonnivard
Bravo !
M. le président
La parole est à M. Belkhir Belhaddad.
M. Belkhir Belhaddad
Retraite à 60 ans, référendum d’initiative citoyenne, rétablissement de l’impôt sur la fortune, accès au logement décent, prise en considération des petites retraites… J’aurais aimé qu’on entende d’autres messages, plus insolites, traduisant d’autres réalités.
Si certains n’ont rempli qu’une seule ligne dans les cahiers de doléances, d’autres signalent qu’ils y ont consacré du temps et de l’énergie. Ils ont parfois même noirci plusieurs pages et laissé leurs coordonnées dans l’espoir d’être recontactés.
Lire ces cahiers, c’est plonger dans une France qui, à l’époque, allait mal. Les mots, souvent manuscrits, plus ou moins lisibles, y disent tous les maux des Français.
L’examen de la proposition de résolution relative à la publicisation des doléances du grand débat national nous ramène à un mouvement de contestation unique dans l’histoire de la Ve République. Je veux remercier notre collègue Marie Pochon pour son initiative ainsi que tous les députés qui l’ont soutenue.
Par sa durée et l’ampleur de la mobilisation, le mouvement des gilets jaunes a été l’expression d’une colère et d’une fracture profonde dans la société française.
Pour répondre aux interrogations et aux incertitudes des Français, à leur sentiment d’injustice, le président de la République avait lancé le grand débat national. Dans les mairies, des cahiers de doléances avaient été mis à disposition afin que les citoyennes et les citoyens puissent y exprimer leurs revendications et être entendus.
M. Loïc Prud’homme
C’était surtout pour noyer le poisson !
M. Belkhir Belhaddad
Les Français se sont très largement prêtés à cet exercice démocratique. Environ 2 millions d’entre eux ont pris part au grand débat national et près de 20 000 cahiers de doléances ont été ouverts dans 16 000 communes. Leur engouement a montré que lorsqu’on en appelait à eux dans les moments les plus difficiles, les Français répondaient toujours présent.
Néanmoins, l’utilisation des cahiers de doléances à des fins de recherche, de débat politique et de débat public n’a pas été aisée, du fait de l’accès limité à ces documents. Même s’ils sont conservés aux archives départementales et en libre accès, ces cahiers n’ont pas tous été numérisés et n’ont fait l’objet d’aucune communication : ils sont donc difficilement exploitables.
Oui, le cadre juridique actuel prévoit l’anonymisation et le respect des données à caractère personnel. Oui, nous devons nous poser la question du financement de la numérisation de ces cahiers et des outils employés.
Pour ma part, je suis favorable à la création d’un fonds pour achever cette opération de numérisation. Quel message envoyons-nous aux Français quand ces cahiers citoyens et politiques semblent escamotés du débat public ? Pouvons-nous encore nous permettre de ne pas rendre pleinement disponibles ces cahiers de doléances, symbole de démocratie directe, dans le contexte actuel ?
Les chiffres du dernier baromètre de la confiance politique publié par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) ne peuvent qu’interpeller. La défiance des Français envers le monde politique atteint un niveau jamais mesuré. Face aux défis qui se présentent à nous, face aux extrêmes, face à la désinformation et aux rapports de force, face à la déstabilisation de nos institutions, tous les moyens techniques doivent être employés pour rendre ces cahiers de doléances accessibles au plus grand nombre.
Il y va de la légitimité et de l’importance que l’on donne à l’expression directe des Français. Dans son discours de politique générale, le premier ministre a précisé que nous devions reprendre l’étude des cahiers de doléances, soulignant ainsi leur importance en tant que support d’une expression démocratique directe.
Le gouvernement doit maintenant prendre les mesures nécessaires pour faciliter une complète accessibilité à ces doléances. Il doit également communiquer à ce sujet.
Pour ma part, je soutiens pleinement la proposition de résolution défendue de manière transpartisane par mes collègues. Je le fais d’autant plus volontiers que j’organiserai dans ma circonscription de Moselle une consultation citoyenne sur les sujets qui sont au cœur des préoccupations des Français – l’immigration, la sécurité, le pouvoir d’achat, la santé, la transition écologique ou l’accès à la culture et au sport.
M. Théo Bernhardt
Nous proposons déjà un référendum sur l’immigration !
M. Belkhir Belhaddad
Je défendrai ensuite ici, dans l’hémicycle, les propositions que nos concitoyens auront formulées à cette occasion.
Après les paroles et le constat, il s’agit désormais d’agir pour répondre aux attentes des Français. La publicisation des cahiers de doléances constituera, je l’espère, un acte important pour notre démocratie. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC. – Mme Marie Pochon applaudit également.)
M. le président
La discussion générale est close.
Sur l’ensemble de la proposition de résolution, je suis saisi par les groupes La France insoumise-Nouveau Front populaire et Écologiste et social de demandes de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
M. Patrick Mignola, ministre délégué chargé des relations avec le Parlement
Je souhaite d’abord saluer cette proposition de résolution, due à l’initiative de Marie Pochon et soutenue par des parlementaires issus de familles politiques souvent opposées.
M. Inaki Echaniz
Bravo, madame Pochon !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
Cette mobilisation démontre votre attachement à la participation citoyenne. Je suis heureux de constater qu’au-delà des divergences qui peuvent s’exprimer à cette tribune, nous savons nous retrouver autour de valeurs qui fondent notre démocratie : la liberté d’expression, la participation des citoyens au débat public et le pluralisme politique.
En ces temps périlleux de retour des empires autoritaires, je veux souligner ce moment de concorde. En effet, le gouvernement soutiendra sans réserve cette proposition de résolution, conformément aux positions exprimées par le premier ministre à cette tribune lors de sa déclaration de politique générale.
Je veux rappeler qu’un dispositif tel que le grand débat national n’avait jamais été mis en œuvre. Le président de la République en a pris l’initiative et les maires l’ont rendu possible, lors de la crise des gilets jaunes, grâce à une méthode inédite d’écoute des attentes des Français qui s’appuyait sur de nombreux modes de contribution, dont la mise à disposition de cahiers de doléances en mairie.
Avant d’entrer dans le détail des propositions du gouvernement, je souhaite clarifier un point qui me semble important. Les doléances du grand débat national ne sont pas restées sans suite, même si nous aurions pu faire bien plus et bien mieux. Les cahiers de doléances sont accessibles au niveau local, au sein des archives départementales, ainsi qu’au niveau national, sur le site des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine. Plusieurs chercheurs, que je salue, ont d’ailleurs pu travailler en toute indépendance sur le contenu de ces cahiers.
Dès 2019, ces derniers ont été analysés et leurs conclusions ont été présentées. Certaines d’entre elles ont donné lieu à une traduction concrète. Je pense notamment au versement automatique des pensions alimentaires pour aider les familles monoparentales, à la prime défiscalisée jusqu’à 1 000 euros – la « prime Macron » – pour que le travail paie mieux,…
M. Loïc Prud’homme
N’avez-vous pas honte ?
M. Patrick Mignola, ministre délégué
…à la création des maisons France Services pour maintenir les services publics dans les territoires, à l’organisation de la Convention citoyenne pour le climat pour accélérer la transition écologique, ou encore à la loi relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, pour mieux protéger et accompagner les élus. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Aujourd’hui, le gouvernement s’engage dans une nouvelle étape. Tout d’abord, le premier ministre et la ministre de la culture signeront dans les prochains jours un arrêté de dérogation générale au délai de communicabilité normalement applicable – cinquante ans. Cela permettra un accès libre et inédit aux cahiers de doléances numérisés, rassemblés au Service interministériel des archives de France, notamment au bénéfice des chercheurs.
Comme beaucoup d’orateurs l’ont rappelé, le RGPD et la loi « informatique et libertés » s’appliquent toujours au traitement des données à caractère personnel, c’est-à-dire aux informations se rapportant aux personnes physiques, identifiées ou identifiables directement ou indirectement.
Pour cette raison, et c’est notre deuxième engagement, le gouvernement recherchera les solutions techniques permettant d’anonymiser les contributions et donc d’assurer l’accès en ligne au contenu des cahiers de doléances tout en respectant le RGPD. Madame Pochon, mesdames et messieurs les parlementaires, nous les définirons avec vous et sans délai.
M. Théo Bernhardt
Personne n’y croit !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
Ces nouveaux moyens techniques permettront de reprendre l’analyse des cahiers de doléances du grand débat, pour identifier d’autres solutions concrètes proposées par nos concitoyens pour faire face aux problèmes qu’ils rencontrent. C’est notre troisième engagement.
M. Théo Bernhardt
C’est tout ? Vous aviez six ans pour le faire !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
Pour anonymiser et analyser ces contenus déjà numérisés, des tests seront réalisés en recourant, par exemple, aux nouveaux moyens qu’offre l’intelligence artificielle. L’objectif est de vérifier l’efficacité des procédés et d’estimer le coût de traitement des données.
Pour ce qui est de la méthode, le gouvernement souhaite associer au pilotage de cette phase de test et de son suivi opérationnel, jusqu’à sa nécessaire restitution, un comité réunissant des parlementaires, des élus locaux et le Conseil économique, social et environnemental, qui est devenu, depuis le grand débat et la loi organique de 2021, la chambre de la participation citoyenne.
Au terme de ces phases de test et de sécurisation juridique, ce comité de pilotage devra s’ouvrir à d’autres acteurs publics, privés ou associatifs. Vous avez été à l’initiative de la publicisation des cahiers, vous serez associés à son contrôle comme à celui de leur exploitation. Je le dis à l’intention de M. Sansu, aucun choix n’est fait à l’avance : il n’y a pas plus de cabinet de conseil déjà choisi que de beurre en broche.
Pour terminer,…
M. Thibault Bazin
Il n’a pas commencé !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
…je veux rappeler que la participation citoyenne est un enjeu pour toutes nos démocraties libérales. Les initiatives en matière de démocratie participative font l’objet de pratiques innovantes : les conventions citoyennes – chez nous, mais aussi au Canada ou en Irlande –, les plateformes délibératives, l’association des citoyennes et citoyens aux travaux des instances parlementaires, comme en Belgique, ainsi que la prise en compte des avis de la société civile, organisée la plupart du temps via les conseils économiques et sociaux ou les conseils de développement.
M. Christophe Bentz
Dites à Macron d’organiser un référendum !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
La France n’est pas en reste. Au cours des dernières années, elle a multiplié les consultations participatives : Convention citoyenne sur l’Europe en 2018, grand débat national de 2019, Convention citoyenne pour le climat en 2020, Convention citoyenne sur la fin de vie de 2022.
Mme Clémence Guetté
Vous avez tout mis à la poubelle !
Mme Caroline Colombier
Référendum !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
La France est aussi signataire du traité fondateur du Partenariat pour un gouvernement ouvert de 2024.
Je conclurai en rappelant que pour le gouvernement, l’association des citoyennes et des citoyens à l’élaboration des politiques publiques…
M. Emeric Salmon
Cela s’appelle un isoloir !
M. Patrick Mignola, ministre délégué
…est une question majeure et une condition indispensable de la solidité et de la vitalité de notre démocratie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
Vote sur la proposition de résolution
M. le président
Je vais maintenant mettre aux voix la proposition de résolution.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 169
Nombre de suffrages exprimés 169
Majorité absolue 85
Pour l’adoption 169
Contre 0
(La proposition de résolution est adoptée.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, EcoS et DR.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à dix-neuf heures trente-cinq.)
M. le président
La séance est reprise.
4. Lutte contre la disparition des terres agricoles et régulation des prix du foncier agricole
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Peio Dufau et plusieurs de ses collègues visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole (nos 805, 1027).
Présentation
M. le président
La parole est à M. Peio Dufau, rapporteur de la commission des affaires économiques.
M. Peio Dufau, rapporteur de la commission des affaires économiques
Arratsalde on – bonsoir ! Avant toute chose, je voudrais remercier Lucas Portillo, administrateur de l’Assemblée, dont l’aide nous a été précieuse dans la préparation de ce texte, ainsi que Lina Sbaïti, Anne Lacouture, Gaby Arestegui, Emma Tosini et Alexis Bernigaud pour le travail d’équipe accompli.
Nous débattons d’une loi transpartisane par essence. Mon prédécesseur dans la sixième circonscription des Pyrénées-Atlantiques, Vincent Bru, avait commencé à travailler pour trouver une solution au problème que nous abordons ce soir.
Tout le monde parle de crise agricole. Nous avons vu les agriculteurs manifester. Nous avons voté une loi d’orientation agricole, qui satisfait certains et d’autres un peu moins, mais la question du foncier agricole n’a jamais été abordée.
Même si nous ne sommes pas d’accord sur tout, certains sujets arrivent à nous rassembler. Tel devrait être le cas de la perte de terres agricoles suite aux ventes de maisons, appelée consommation masquée.
En cas de vente d’une maison sans vocation agricole entourée de terres agricoles, la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) dispose d’un droit de préemption partielle qui n’est pas obligatoire : elle se positionne, mais bien souvent, le vendeur préfère vendre au prix le plus intéressant, de sorte que dans la majorité des cas, les terres sont perdues pour l’agriculture. La consommation masquée désigne ainsi des terres qui ont toujours une vocation agricole dans les plans locaux d’urbanisme (PLU) et les autres documents d’urbanisme, mais qui ne sont plus exploitées.
En 2023, les terres qui ne sont plus exploitées car elles ont été vendues avec des maisons représentaient au Pays basque l’équivalent en superficie de quatre exploitations en moyenne ; dans la Drôme, chère à Marie Pochon, c’était 400 hectares ; on parle de l’équivalent de soixante-dix-huit exploitations en région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) et de 27 900 hectares sur l’ensemble du territoire, soit une perte sèche de terres exploitables égale à deux fois et demie la superficie de Paris en un an. Nous parlons souvent de l’artificialisation des sols, qui nous inquiète tant et contre laquelle nous avons voté des mesures, mais en 2023, la consommation masquée représentait en surface plus que la moyenne annuelle d’artificialisation des sols sur les dix dernières années.
Mme Christine Pirès Beaune
Eh oui !
M. Peio Dufau, rapporteur
Deux tiers des agriculteurs partiront à la retraite dans les dix prochaines années ; ce sont autant de terres qui risquent de changer de mains et qui seront perdues si nous ne protégeons pas leur vocation agricole, d’où l’importance de trouver une solution ce soir. Je rappelle ici le lien viscéral existant entre les agriculteurs et leur terre, qui constitue leur seul et unique outil de travail.
Notre travail a été mené au niveau local, au niveau régional, au niveau hexagonal en accord avec les différents acteurs : tous les syndicats soutiennent cette proposition de loi. Les douze consultations auxquelles nous avons procédé ont permis de trouver ensemble la meilleure solution : un texte de loi efficace et concis. Simple et opérationnel, il ne comporte que quatre articles et un gage.
L’article 1er permet d’opérer une distinction entre le prix du bâti et le prix du foncier agricole : c’est l’essentiel ! Si, grâce au barème, nous connaissons tous le prix du foncier agricole, la spéculation qui entoure la vente du foncier avec du bâti conduit à perdre toute notion du véritable prix de la terre de nos agriculteurs. L’article 1er permettra de disposer de prix distincts pour les biens immobiliers et pour les biens et terrains à usage agricole.
L’article 2 prévoit de prolonger la vocation agricole des bâtiments pendant vingt ans au lieu de cinq : il s’agit non seulement de sauver les terres agricoles, mais aussi les bâtiments pour être en mesure d’y installer de nouveaux agriculteurs.
L’article 3 autorise la Safer à visiter les biens avant de se positionner sur leur achat, tandis que l’article 3 bis renforce son droit de préemption.
Les nombreuses auditions que nous avons menées ont révélé un autre problème de contournement des règles de préemption par la Safer : le démembrement de propriété. Il consiste à vendre d’abord la nue-propriété d’un bien immobilier agricole, puis, au bout de deux ans, la pleine propriété afin d’empêcher la Safer de préempter les terres agricoles et d’installer de nouveaux agriculteurs.
Ma collègue socialiste Claudia Rouaux, ici présente, a déposé un amendement à ce sujet. Nous essaierons de l’inclure à la proposition de loi. Comme nous, mon prédécesseur Vincent Bru avait également travaillé sur cette question : le monde agricole et tous les gens qui s’intéressent au foncier agricole sont bien conscients qu’il est important de trouver une solution à ce problème.
En commission, la proposition de loi a fait l’unanimité, comme ce fut le cas, il y a peu de temps, de celle de Sébastien Peytavie. Malgré les réserves du gouvernement, notre collègue a fait voter le remboursement des fauteuils roulants pour les personnes handicapées à l’unanimité des députés. Si nous savons bien que le statut du handicap n’en a pas été résolu pour autant, ce fut un pas – ou plutôt un tour de roues – en avant. (Sourires.) Avec cette proposition de loi pour le foncier agricole, nous cherchons nous aussi à faire un pas en avant indispensable pour répondre à la situation d’urgence que connaissent nos agriculteurs et nos territoires.
Nous avons entendu les réserves et les inquiétudes au sujet du financement des Safer et du fonctionnement de certaines d’entre elles ; nous avons aussi entendu les inquiétudes des propriétaires ruraux concernant les jardins d’agrément.
Nous n’entendons pas révolutionner le fonctionnement des Safer : notre but est de réguler le foncier agricole. Nous savons tous ici qu’une loi sur le foncier agricole beaucoup plus large est nécessaire rapidement, mais elle n’est pas prête à ce jour. J’espère que notre proposition de loi en constituera la première brique ou, à tout le moins, qu’elle marquera un premier pas pour construire une solution durable en matière de foncier agricole.
Je rappelle les enjeux : la préservation de l’outil de nos agriculteurs, mais aussi – on en parle assez peu – la souveraineté et la sécurité alimentaires. Qui dit agriculteurs, dit alimentation, soit un sujet essentiel pour nous et pour les générations futures. Si nous perdons trop de foncier agricole aujourd’hui, nous serons obligés d’importer demain, car nous n’aurons plus les moyens de produire suffisamment sur notre territoire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
Très bien !
M. Peio Dufau, rapporteur
Je voudrais rappeler aux propriétaires ruraux – que nous avons entendus et en faveur desquels nous avons largement assoupli la contrainte sur les jardins d’agrément – un enjeu essentiel : la loi d’orientation agricole qui vient d’être adoptée a érigé la protection, la valorisation et le développement de l’agriculture et de la pêche en « intérêt général majeur » en tant qu’ils garantissent la souveraineté alimentaire.
Pour terminer, je me ferai en quelque sorte la voix du Pays basque à Paris. En effet, ce texte indispensable est très attendu au Pays basque. Comme le disent les agriculteurs de chez nous, lurra behin saldua, betiko galdua – vendue un jour, perdue pour toujours. La commune d’Arbonne illustre bien le phénomène de spéculation immobilière : une maison pourvue de 15 hectares y a été mise en vente à 3,2 millions d’euros, alors que le prix annoncé par les Domaines était de 800 000 euros. Une vaste mobilisation a heureusement empêché cette vente. En tant qu’abertzale – attaché à la terre –, je me dois de rendre à mes enfants ce que les anciens m’ont légué. C’est un principe fondamental pour nous, qui doit permettre l’installation de futurs agriculteurs en leur garantissant un accès au foncier à un prix acceptable.
La commission des affaires économiques a adopté ce texte à l’unanimité et l’ensemble des syndicats agricoles le soutiennent. Mesdames et messieurs les députés, donnons-nous les moyens de préserver nos terres. L’avenir de notre peuple et de notre souveraineté alimentaire en dépend. Milesker – merci ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe Dem.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
En créant les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural en 1960, le législateur a pourvu notre pays d’un outil à l’efficacité éprouvée pour réorganiser les exploitations agricoles au bénéfice de la souveraineté alimentaire de la France. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir souligné ce lien, qui pourrait paraître évident mais qu’il est toujours bon de rappeler, entre la terre et la production, entre la terre et la souveraineté alimentaire. Pour autant, force est de constater, quelque soixante ans plus tard, qu’il ne s’agit plus de réorganisation, mais bien de lutte contre la disparition des terres agricoles.
Notre politique foncière agricole mérite d’être musclée. Le constat que nous faisons, en tant que responsables politiques lucides, doit nous conduire à engager une réflexion sur la modernisation de cette politique. C’est pourquoi je me réjouis de l’examen de cette proposition de loi, qui vise à répondre à une situation grave et urgente, celle de la consommation foncière masquée. Je remercie son rapporteur, M. Dufau, qui est parvenu à donner une dimension transpartisane à ce texte.
Il faut dire que le constat est alarmant : la Fédération nationale des Safer estime que cette consommation masquée – qui consiste, par exemple, à acheter des terres agricoles pour constituer des zones tampons entre voisins, ou pour faire de ces terres des espaces non exploités, tels que des jardins, au sein d’une zone d’habitation – représente plus de 25 000 hectares par an depuis 2020. Ce volume est donc sensiblement le même que celui lié à l’artificialisation des sols ; il concerne plus directement certains territoires comme le littoral ou les zones de montagne, mais il s’étend à l’ensemble des zones où les agriculteurs sont incités, par les prix du foncier, à vendre leurs habitations, et leurs terres avec.
Alors que le projet de loi d’orientation agricole a consacré le caractère d’intérêt général majeur de l’agriculture, je ne peux donc que partager l’objectif visé par le texte, à savoir le renforcement du rôle des Safer dans la politique foncière agricole. Cette proposition de loi tend à un renforcement très substantiel du droit de préemption, au moyen des dispositifs suivants : le renforcement de l’information en cas de préemption partielle ; l’extension de la possibilité de préemption rétroactive à de nouvelles communes ; l’instauration d’un droit de visite ; la mise en place de la possibilité d’agir en révision du prix d’un bien non préemptable.
Si je partage pleinement l’objectif visé – mettre fin à la déprise agricole –, j’émets toutefois un avertissement d’ordre juridique. Pour que les dispositifs envisagés soient pleinement efficaces, il est nécessaire qu’ils respectent les droits et libertés constitutionnellement garantis, notamment le droit de propriété. Je vous engage donc à la prudence dans la rédaction du texte afin que l’édifice, si séduisant soit-il pour la protection du foncier agricole, ne fasse pas l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel, qui ne manquera probablement pas d’être saisi.
M. Peio Dufau, rapporteur
On verra !
Mme Annie Genevard, ministre
La préemption est un outil essentiel aux mains des Safer, qui ne doit pas nous faire oublier que d’autres outils, plus souples et plus respectueux des droits et libertés des individus, peuvent également être mobilisés et renforcés. Je pense bien sûr à l’intervention en substitution, qui permet de prévoir, lors de la vente de terres, le maintien de l’activité agricole et la mise à bail, utilisée dans l’immense majorité des cas d’intervention des Safer.
Mesdames et messieurs les députés, mon objectif reste de faciliter la reprise des exploitations. En ce sens, la question du logement pour le repreneur demeure un point fondamental. J’en ai fait plus d’une fois l’expérience dans mon département : l’impossibilité pour le repreneur d’accéder au logement constitue un frein à la reprise d’exploitation. Je vous remercie donc pour cette proposition de loi et compte sur vous pour permettre aux Safer d’obtenir des outils solides sur le plan juridique, afin d’assurer le maintien en exploitation des terres agricoles. (Mme Justine Gruet applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Nous examinons une proposition de loi qui touche à un problème crucial : celui de la souveraineté alimentaire et de l’installation en agriculture, qui suppose un accès aux terres agricoles. Nous sommes nombreux à déplorer que le projet de loi d’orientation agricole, qui devait pourtant traiter de la souveraineté alimentaire, ait fait l’impasse sur ce sujet. Or vous le savez, madame la ministre, il n’y aura pas de souveraineté alimentaire si l’on ne permet pas à ceux qui veulent exercer le beau métier d’agriculteur d’accéder aux terres agricoles.
Je remercie le rapporteur Peio Dufau, qui se trouve à l’origine de cette initiative transpartisane. Le texte qu’il défend nous a largement rassemblés en commission des affaires économiques : aucun vote ne s’est exprimé contre. Surtout, les membres de notre commission se sont retrouvés sur la nécessité de réguler davantage l’accès au foncier agricole. Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, deux agriculteurs sur trois atteindront l’âge de la retraite d’ici dix ans. La question est donc de savoir si leurs terres iront à l’agrandissement des exploitations voisines, si elles disparaîtront ou bien si elles seront transmises à un nouvel agriculteur. Voilà ce qui va se jouer dans les années à venir.
J’en reviens à la disparition des terres agricoles : 20 000 hectares de terres agricoles, l’équivalent de deux fois la surface de Paris, disparaissent chaque année au profit d’autres usages. La pression foncière est considérable dans beaucoup de régions, littorales et touristiques en particulier : les prix de la terre n’y font qu’augmenter et les acquéreurs jouent de toutes les failles du droit pour échapper au contrôle de la Safer sur les transactions. Heureusement que les Safer existent pour réguler le marché des terres agricoles ; elles ont été créées il y a soixante-cinq ans, au moment des lois Pisani. Hélas, bien souvent, leurs actions n’empêchent pas la spéculation et l’accaparement des terres agricoles, parfois leur artificialisation. C’est le cas dans la commune d’Arbonne, au Pays basque, comme l’a rappelé M. le rapporteur – je connais bien cet exemple pour m’y être rendue à la demande des personnes qui s’étaient mobilisées. Ce cas illustre parfaitement les potentielles dérives auxquelles ce texte entend opposer des solutions concrètes.
Cette proposition de loi, que soutiennent d’ailleurs tous les syndicats agricoles, répond à un besoin réel, spécifique aux zones connaissant une forte pression foncière. Certes, elle ne pourra pas, à elle seule, régler les multiples difficultés rencontrées par les agriculteurs dans l’accès à la terre. Mais elle constitue, comme il ressort des débats menés en commission, une première brique utile. Elle permet par exemple à la Safer, dans le cas d’une maison pourvue d’un grand terrain agricole se terminant par un vaste jardin, de préempter spécifiquement le terrain agricole. Elle lui permet également de préempter des bâtiments qui étaient encore agricoles quelques années auparavant, non seulement en zone littorale et en zone tendue, mais aussi dans les communes limitrophes. Enfin, elle dote la Safer d’un droit de visite des biens avant la préemption.
Les débats en commission ont permis d’identifier plusieurs techniques utilisées pour contourner le droit de préemption des Safer. On peut penser aux baux de complaisance ou aux ventes en démembrement de nue-propriété – l’imagination est sans limite lorsqu’il s’agit d’accaparer des terres agricoles. Un amendement adopté en commission tente d’ailleurs d’apporter une solution ; malheureusement, nous n’avons pu aller plus loin. Il faudra répondre rapidement à ce problème et la commission a largement reconnu le besoin urgent d’une grande loi sur le foncier agricole. Malheureusement, madame la ministre, aucun texte de ce genre n’est annoncé. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Discussion générale
M. le président
Dans la discussion générale, la parole est à M. Inaki Echaniz.
M. Inaki Echaniz
Les terres agricoles disparaissent, trop vite et durablement, en partie à cause du contournement des outils de régulation. Après-guerre, la France était pourtant précurseur en matière de législation favorable à l’installation des agriculteurs et à la préservation des terres – qu’on songe à la loi de 1946 créant le statut du fermage ou à la création des Safer en 1960. Depuis, notre pays s’est doté d’outils novateurs souvent inspirés de propositions locales, comme c’est le cas pour ce texte, qui permet enfin de discuter du foncier alors que les engagements du président de la République en faveur d’une grande loi foncière n’ont, pour le moment, pas été tenus.
Pourtant, la préservation de la ressource naturelle précieuse qu’est le foncier agricole apparaît plus pressante que jamais. D’abord, parce que notre sécurité alimentaire est précaire, que notre population augmente et que la production de nourriture se trouve fragilisée par le changement climatique et les tensions mondiales. Ensuite, parce que dans un contexte de multiplication des crises internationales, ne pas légiférer pour consolider notre souveraineté alimentaire serait une faute. Détenir des terres agricoles est un atout et un enjeu géostratégiques. Enfin, et surtout, l’accès à la terre est le premier facteur de renouvellement des générations d’agriculteurs : 20 % de la surface agricole française changera de mains d’ici cinq ans. Lutter contre l’artificialisation et promouvoir un accès équilibré au foncier, c’est assurer l’avenir d’une agriculture durable, riche et respectueuse. Nous le savons, l’hyperconcentration des terres dans les mains de quelques propriétaires constitue un danger sérieux sur plusieurs plans : monoculture intensive délétère pour la biodiversité, monopole de production, hausse des prix, financiarisation de l’agriculture, déstabilisation du milieu rural, réduction de la résilience des systèmes agricoles, perte de contrôle local des ressources. En outre, s’il était encore nécessaire de vous convaincre, les exploitations agricoles de proximité contribuent à limiter le transport de marchandises alimentaires ainsi qu’à réduire les gaz à effet de serre, en augmentant le stockage du carbone dans les sols agricoles.
Comme le rapporteur Peio Dufau, je peux témoigner des tensions qu’engendre la pression immobilière sur des terres nourricières devenues des objets de convoitise pour résidences secondaires ou placements spéculatifs. Les prix s’envolent et font obstacle aux projets agricoles des prochaines générations. Permettre l’accès au foncier à un prix raisonnable, c’est garantir un outil de travail et contribuer à assurer un revenu digne aux paysans et aux paysannes.
Cette proposition de loi, défendue par Peio Dufau et le groupe Socialistes et apparentés, s’inscrit dans le long combat de plusieurs élus socialistes sur le sujet. Je pense notamment à Dominique Potier, qui n’a cessé de souligner l’importance de considérer la terre comme un bien commun. Ce texte est le fruit d’un remarquable exercice de concertation, aussi bien avec les représentants du monde agricole qu’avec des députés de tous bords. Il est équilibré, pertinent et très concret. Parmi les solutions qu’il apporte figure la consolidation du droit de préemption des Safer, afin qu’elles puissent agir lors des ventes par le biais d’un acte de cession séparant les terrains agricoles des bâtiments d’habitation responsables de l’augmentation du prix du lot.
Avec cette mesure, c’en est fini des 3 hectares à 1 million d’euros !
Le texte vise également à élargir le champ d’action des Safer dans les communes qui, comme celles du rétrolittoral, sont touchées par la pression foncière. Il leur donne également un droit de visite préalable à la préemeption d’un bien.
Un mécanisme de révision des prix pour les Safer exerçant leur droit de préemption a également été adopté en commission, afin qu’elles puissent lutter plus efficacement contre la spéculation.
À ceux qui seraient tentés d’opposer à ces dispositions les principes constitutionnels de la liberté d’entreprendre ou du droit de propriété, je rappelle que le Conseil constitutionnel juge que l’intérêt général peut justifier qu’on y apporte des limites. Et nous reconnaîtrons tous, je crois, que la préservation du foncier agricole est un solide motif d’intérêt général.
Que souhaitons-nous pour notre pays et ses territoires ? Comment devons-nous réagir face à des menaces de plus en plus pressantes et face à l’ultralibéralisme qui, chaque jour, déstabilise le partage de la valeur ? Le contexte mondial, très préoccupant, nous impose de faire mieux et d’agir vite, dans l’intérêt de nos concitoyens. L’alimentation de tous dépend de l’accès que les agriculteurs auront à leur premier outil de travail. Ce texte apporte les solutions que le monde agricole attend, des solutions utiles pour les territoires, du Pays basque jusqu’à Paris.
C’est donc avec fierté que le groupe Socialistes et apparentés défend cette proposition de loi. Je vous remercie – milesker deneri. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Jean-Claude Raux applaudit également.)
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
5. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi visant à lutter contre la disparition des terres agricoles et à renforcer la régulation des prix du foncier agricole ;
Discussion de la proposition de loi visant à assouplir la gestion des compétences eau et assainissement ;
Discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires ;
Discussion de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les mineurs.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra