Première séance du mercredi 02 juillet 2025
- Présidence de Mme Nadège Abomangoli
- 1. Lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur
- Présentation
- Motion de rejet préalable
- M. Louis Boyard
- Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
- M. Alexandre Portier (DR)
- Mme Géraldine Bannier (Dem)
- M. Jean Moulliere (HOR)
- M. Joël Bruneau (LIOT)
- M. Olivier Fayssat (UDR)
- M. Roger Chudeau (RN)
- Mme Céline Calvez (EPR)
- M. Raphaël Arnault (LFI-NFP)
- M. Romain Eskenazi (SOC)
- Mme Sandrine Rousseau (EcoS)
- Discussion générale
- Discussion générale (suite)
- Vote sur l’ensemble
- 2. Maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité
- Discussion des articles (suite)
- Article 1er (suite)
- Amendement no 53
- M. Olivier Marleix, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
- Amendement no 42
- Sous-amendement no 58
- M. Florent Boudié, président de la commission des lois
- Amendement no 5
- Article 2
- M. Antoine Léaument
- Amendements nos 6, 18, 33 et 44
- M. Jordan Guitton
- M. Antoine Léaument
- Mme Céline Hervieu
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État
- Amendements nos 8, 20, 35, 47, 45 et 21
- Article 3 bis
- Article 1er (suite)
- Discussion des articles (suite)
Présidence de Mme Nadège Abomangoli
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur
Commission mixte paritaire
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur (no 1460).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à Mme Constance Le Grip, rapporteure de la commission mixte paritaire.
Mme Constance Le Grip, rapporteure de la commission mixte paritaire
La responsabilité nous incombe aujourd’hui de voter un texte visant à combattre l’antisémitisme mais aussi le racisme, les discriminations, les violences et la haine à l’université et dans les établissements d’enseignement supérieur. Ce texte très important constitue un appel à défendre l’essence même du pacte républicain, cet universalisme nourri de l’esprit des Lumières, en un mot cet humanisme qui refuse toutes les haines, toutes les exclusions, toutes les discriminations.
Le cheminement de cette proposition de loi arrive à son terme. Ce sont donc les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) réunie au Sénat le 27 mai dernier que M. Pierre Henriet, mon corapporteur, et moi-même vous demandons d’adopter. Comme vous le savez, cette proposition émane d’une initiative sénatoriale. Elle procède des travaux de nos collègues sénateurs Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire, chargés d’une mission d’information sénatoriale relative à l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, qui s’est achevée il y a tout juste un an et a abouti à une proposition de loi transpartisane discutée puis adoptée à l’unanimité au Sénat le 20 février 2025 avant de parvenir à notre assemblée.
Cette mission d’information a jeté toute la lumière sur la réalité de la progression de l’antisémitisme dans nos universités et autres établissements d’enseignement supérieur. Elle sonnait l’alerte : trop longtemps, un certain déni, une certaine naïveté, voire une incompréhension avaient contribué à dissimuler, à sous-évaluer ou même à passer à côté de cet inquiétant phénomène. Les travaux sénatoriaux ont montré que l’antisémitisme avait fait l’objet, dans nos universités, d’une banalisation progressive, que les dispositifs de prévention existant çà et là étaient insuffisants et que de nombreux étudiants juifs de France, dont certains avaient été amenés à cacher leur identité, à se dissimuler voire à renoncer à leurs études, ressentaient souffrance et sentiment d’abandon.
Rappelons-le : les actes à caractère antisémite connaissent une recrudescence alarmante et inacceptable dans notre pays depuis le 7 octobre 2023. Les représentants de la nation que nous sommes y sont d’autant moins indifférents que le fléau de l’antisémitisme touche nos universités. Mais la lutte contre l’antisémitisme ne saurait être dissociée du combat contre toutes les formes de racisme, de discrimination et de haine.
M. Nicolas Sansu
Ce n’est pas ce que dit le texte !
Mme Constance Le Grip, rapporteure
L’universalisme républicain, auquel nous sommes si attachés et qui inspire ce texte, ne hiérarchise pas les haines. Les dispositions que contient cette proposition contribueront à la lutte contre toutes les dérives nauséabondes et odieuses, toutes les haines qui, bien souvent, se nourrissent mutuellement. Elles constituent toutes – je dis bien : toutes – des atteintes intolérables aux fondamentaux républicains et humanistes de notre nation.
Dans le même temps, ce texte reconnaît la place singulière de la lutte contre l’antisémitisme. Du fait de son ancienneté, de son ancrage dans la société française, de son histoire contemporaine, de ses capacités à muter, la haine antisémite ne peut pas, ne doit pas être invisibilisée. Elle doit être reconnue comme telle pour être efficacement combattue.
La rédaction qui vous est proposée, fruit de l’accord passé entre les députés et les sénateurs réunis en commission mixte paritaire, a déjà été adoptée à l’unanimité par le Sénat le 19 juin. Elle conserve toutes les modifications de fond apportées par le Parlement, avec l’avis favorable du gouvernement et l’accord des quatre corapporteurs, dont Pierre Henriet et moi-même, rapporteurs pour l’Assemblée nationale. Elle enrichit chacun des trois piliers du texte.
L’article 1er fait de la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les discriminations, les violences et la haine l’un des objectifs du service public de l’éducation. Il élargit à tous les établissements d’enseignement supérieur l’obligation d’assurer la formation des étudiants et des futurs enseignants.
L’article 2 renforce les obligations de prévention et de signalement au sein de tous les établissements, y compris les établissements privés. Il impose la création d’une mission « égalité et diversité » ainsi que la désignation d’un référent spécialisé dans la lutte contre l’antisémitisme et le racisme. Il oblige les chefs d’établissement à répondre au plus vite aux signalements recueillis et à dresser un bilan de ces signalements. Il oblige également le gouvernement à transmettre ce bilan au Parlement.
Enfin, l’article 3 modernise le régime disciplinaire, en renforçant les procédures de poursuite et en précisant les sanctions applicables en cas de violence, de racisme et de discrimination.
C’est donc un ensemble d’outils et d’engagements très fermes et attendus que Pierre Henriet et moi-même vous demandons d’adopter. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR ainsi que sur plusieurs bancs du groupe EPR. – M. Pierre Henriet, rapporteur de la commission mixte paritaire, applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.
M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche
Je me tiens à nouveau devant vous un mois après avoir défendu ici même cette proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. Ce texte a suivi son chemin parlementaire et je ne peux que me réjouir de l’accord trouvé en commission mixte paritaire. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet au Sénat mais je voudrais à nouveau remercier chaleureusement les députés Constance Le Grip et Pierre Henriet, qui ont accompli un grand travail comme rapporteurs à l’Assemblée nationale. Je remercie également les sénateurs Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire d’avoir proposé ce texte, après avoir fourni un travail fouillé pour établir le rapport issu de la mission d’information qu’ils avaient menée. La commission mixte paritaire a joué son rôle et permis d’aboutir à un point d’équilibre satisfaisant, enrichi par les apports des deux assemblées.
En tant que ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, je tiens à saluer cette étape essentielle pour nommer et combattre toutes les expressions d’antisémitisme dans l’enseignement supérieur en France. En effet, pour reprendre les mots d’un président de la République qui a siégé en son temps sur vos bancs, Jacques Chirac, c’est bien la France qui est insultée ou agressée quand un étudiant juif est insulté, quand il est agressé dans son université.
C’est une réalité. Nous ne pouvons pas détourner le regard : les faits, obstinés, sont là. Les actes à caractère antisémite ont considérablement augmenté ces deux dernières années. C’est aussi le cas dans le monde de l’université et de l’enseignement supérieur en général.
J’ai malheureusement fait ce constat dès mon arrivée à la tête de ce ministère. J’ai notamment reçu les représentants de l’Union des étudiants juifs de France dans les toutes premières semaines suivant mon arrivée rue Descartes. J’ai appliqué un principe simple : aucune tolérance pour ces actes intolérables.
C’est pourquoi j’ai demandé aux recteurs d’être pleinement mobilisés pour identifier et faire remonter tous les signalements le plus rapidement possible. La coopération avec les autres ministères a également été déterminante. Mes collègues de l’intérieur et de la justice se sont pleinement engagés pour permettre un traitement rapide et un suivi attentif des signalements au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Ils ont ainsi montré à quel point cet enjeu est important à leurs yeux. Les mesures disciplinaires sont nécessaires et ont été appliquées avec la plus grande fermeté.
Mais le ministère dont je suis chargé n’est pas n’importe lequel. L’université n’est pas n’importe quel lieu : c’est celui du questionnement, de la recherche, de la compréhension des faits. Face à des actes qui semblent aussi incompréhensibles qu’inacceptables, il m’a précisément paru essentiel de fournir cet effort d’intelligence qui donne son sens même à l’université.
C’est cette conviction qui m’a conduit à lancer le mois dernier, avec la Dilcrah, la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, et la Fondation pour la mémoire de la Shoah, un programme de recherche sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. Le ministère n’était donc pas tout à fait démuni et il joue son rôle depuis six mois en usant de tous les outils à sa disposition.
Le texte qui vous est soumis aujourd’hui n’est dépourvu ni d’enjeu ni de conséquence. La création des sections disciplinaires interacadémiques constitue une véritable avancée. Je me félicite que la discussion en CMP ait permis son maintien car cette mesure répond à un besoin et une demande forte de l’écosystème de l’enseignement supérieur, en particulier des présidents d’université, qui sont trop souvent démunis face à ce genre de situations. C’était d’ailleurs une proposition formulée dans le rapport établi par Khaled Bouabdallah et Pierre-Arnaud Cresson au sujet de l’adaptation des procédures disciplinaires. Cela améliorera considérablement le traitement futur des actes antisémites dans les universités. Je tiens à redire, face aux inquiétudes énoncées sur un certain nombre de bancs, que la saisine de ces sections sera à la seule main du chef d’établissement. Je suis profondément attaché à la licence universitaire, cette tradition pluricentenaire dont l’instauration de ces sections est parfaitement respectueuse. La présidence de chaque section sera confiée à un juge administratif, ce qui constitue un gage de professionnalisme et de sérénité de la procédure.
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Tout à fait !
M. Philippe Baptiste, ministre
Quant à la composition de ces sections, elle est renvoyée à un décret en Conseil d’État. Dans les deux cas, la protection des libertés est un fondement de la compétence du juge administratif. Nous pouvons donc tous nous fier pleinement à ces deux étapes.
Au-delà de cette disposition, l’installation dans les établissements de référents spécialisés dans la lutte contre l’antisémitisme et le racisme au sein des missions « égalité et diversité » facilitera le signalement des actes. Le texte issu de la CMP permet aussi de réelles avancées s’agissant de l’obligation de formation, pour ce qui est notamment des membres du conseil académique. Les travaux du ministère avanceront rapidement en vue de formuler une proposition d’offre au niveau national, afin de répondre à ce besoin important.
À ce titre, je me rendrai d’ailleurs le 4 juillet au Mémorial de la Shoah pour assister à la formation des référents spécialisés dans la lutte contre l’antisémitisme et le racisme et faire travailler ensemble les équipes du ministère et du Mémorial sur ce sujet.
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Ah, très bien !
M. Philippe Baptiste, ministre
Mesdames et messieurs les députés, l’université est le lieu où se forment les consciences. Nous ne pouvons pas nous résoudre à ce qu’elle soit celui d’une violence insupportable. Le texte présenté aujourd’hui ne suffira pas à enrayer l’antisémitisme dans notre société mais il nous aidera à traiter une partie de ses racines à l’université. Vous pouvez compter sur moi pour assumer pleinement cette responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR ainsi que sur les bancs des commissions. – M. Joël Bruneau et Mme Brigitte Liso applaudissent également.)
Motion de rejet préalable
Mme la présidente
J’ai reçu de Mme Mathilde Panot et des membres du groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
M. Stéphane Travert
Quelle honte !
Mme la présidente
La parole est à M. Louis Boyard.
M. Pierre Henriet, rapporteur de la commission mixte paritaire
La motion de rejet préalable de la honte !
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Absolument !
M. Louis Boyard
La tâche me revient d’expliquer en quoi le texte que vous avez appelé « proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur » n’est pas un texte de lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur. Paradoxalement, en dépit de son titre, il tend à diminuer les budgets de lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
Alors pourquoi l’avez-vous appelé ainsi ? Je le dis tranquillement : c’est pour faire peur aux députés que les termes « lutte contre l’antisémitisme » ont été employés pour le nommer. Je sais que, dans cette salle, vous, députés, vous apprêtez à le voter, non parce que vous êtes d’accord sur le fond mais parce que le gouvernement a fait pression sur vous par ce choix de titre.
M. Alexandre Portier
Seule La France insoumise a fait pression !
M. Louis Boyard
Il a fait pression sur vous car le véritable objectif de cette proposition de loi tient à son article 3, qui permettra au ministre d’exclure de leurs universités les étudiants qui s’opposent au gouvernement. Pour vous en faire la démonstration, je commencerai par dire qu’un texte de lutte contre le racisme et l’antisémitisme qui peut être voté par le Rassemblement national est un mauvais texte de lutte contre le racisme et l’antisémitisme. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
L’article 1er prévoit une obligation de formation à la lutte contre l’antisémitisme, le racisme, les violences, la haine et les discriminations. Le Rassemblement national s’est toujours opposé à ce que ces sujets soient enseignés à l’école. Ils appellent cela « le wokisme », nous l’appelons « faire société ». Et pourtant, le Rassemblement national votera l’article.
M. Vincent Descoeur
Très bien !
M. Louis Boyard
Et pourquoi ? Mais c’est parce que, monsieur le ministre, vous le savez comme nous, ces formations n’auront pas lieu ! Les écoles et les universités sont en pénurie d’enseignants et elles ne disposent déjà pas des budgets nécessaires pour assurer tous les cours prévus dans les programmes scolaires et universitaires. Pouvez-vous nous regarder dans les yeux et dire que ces formations seront vraiment dispensées ?
C’est peut-être ce qui justifie dans votre esprit les 40 milliards d’euros d’économies que vous avez prévues l’année prochaine et qui, de fait, rendront inopérant l’article 1er.
L’article 2 tend à créer une mission « égalité et diversité » dans les universités. Nous avons demandé que le ministère s’engage à les financer : vous vous y êtes opposé. Nous avons proposé que des gens soient salariés pour assurer cette mission, mais vous avez voté contre. Alors que soixante universités sur soixante-quinze sont en déficit, vous allez encore baisser leur budget. Par conséquent, l’article 2, comme l’article 1er, ne sera jamais appliqué ! Jamais !
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Votez le budget ! Une avance y est prévue !
M. Louis Boyard
Depuis sept ans, tous vos projets visant à lutter contre le racisme et l’antisémitisme devraient s’appeler comme ainsi : « Jamais appliqué ».
Discours de Macron sur l’égalité des chances de 2017, qui annonçait la traque des discriminations à l’embauche et la publication des entreprises délinquantes : jamais appliqué.
Mme Constance Le Grip, rapporteure
C’est faux.
M. Louis Boyard
Annonces de Macron pour une formation des policiers afin de lutter contre le contrôle au faciès : jamais appliquées. Plan 2023-2026 de lutte contre le racisme et l’antisémitisme : jamais appliqué… Et pourtant, nous aurions tant besoin de ces mesures : nous observons toutes et tous la recrudescence de théories racistes, de théories antisémites, de théories complotistes. J’ai pu lire récemment qu’il existerait un cercle restreint, une confrérie secrète avec un fonctionnement pyramidal qui chercherait à imposer ses lois en France ; j’ai pu lire qu’ils possèdent leurs propres médias sur lesquels ils se posent en victimes ; j’ai pu lire qu’il existerait des organismes secrets qui entrent discrètement dans les partis politiques pour influer et servir leurs intérêts. Tous ces propos sont extrêmement graves. Tous ces propos sont racistes et complotistes ; j’espère que vous en êtes d’accord, mes chers collègues.
M. Ian Boucard
Non !
M. Louis Boyard
Et pourtant toutes ces citations, je les ai trouvées dans le dernier rapport commandé par l’Élysée sur les Frères musulmans, rapport que vous avez toutes et tous applaudi.
Je vous avais prévenus : avec l’extrême droite, il faut respecter les gestes barrières.
M. Pierre Henriet, rapporteur
Et avec vous aussi !
M. Louis Boyard
Or quand Macron rend hommage aux antisémites Pétain et Maurras, il fait monter le racisme et l’antisémitisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Vous affabulez !
M. Louis Boyard
Quand Gabriel Attal parle du voile avec les mots du Front national, il fait monter le racisme et l’antisémitisme. (Mêmes mouvements.) Quand vous votez une énième loi sur l’immigration et le séparatisme, vous faites monter le racisme et l’antisémitisme.
Mme Andrée Taurinya
C’est une évidence !
M. Ian Boucard
Et Delogu en Algérie, il ne fait pas monter l’antisémitisme, peut-être ?
M. Louis Boyard
À longueur de journée, dans les assemblées et sur les plateaux de télévision, vous attaquez les immigrés. Résultat : le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie explosent ! la Commission nationale consultative des droits de l’homme l’explique très bien : les antisémites, les islamophobes ou encore ceux qui croient en l’existence de races supérieures ne constituent pas un seul et même corps social, mais tous ont un point commun : ils sont xénophobes.
Mme Marie Mesmeur
Ils sont au RN !
M. Louis Boyard
Frantz Fanon a dit un jour : « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous. » Chers collègues, dressez l’oreille : quand vous entendez dire du mal des étrangers, on parle des Musulmans, on parle des Juifs, on parle de vous ! Quand une femme se fait assassiner chez elle parce que juive, quand un homme se fait assassiner dans une mosquée parce que musulman, on parle de vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Quand une femme se voit refuser un emploi parce qu’elle porte le foulard, on parle de vous ! Quand un couple se voit refuser un logement en raison de son nom de famille, on parle de vous !
M. Alexandre Portier
En fait, l’antisémitisme ne vous intéresse pas !
M. Louis Boyard
Produire du racisme, c’est alimenter toutes les formes de racisme dans la société. Les milliardaires Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin l’ont bien compris ; ils en ont fait un projet.
Collègues, je vous le dis : tendez l’oreille, réécoutez-vous, et vous comprendrez que parfois, au nom de l’intérêt général, vous devriez apprendre à vous taire.
Parce qu’il y en a tant d’autres que l’on devrait plus entendre : les étudiants. Ce sont eux qui vous disent depuis sept ans que la précarité détruit leur vie, eux qui ont marché pour le climat et que vous avez trahis, eux qui ont fait l’honneur de notre pays en se dressant contre vous, contre le génocide en Palestine dont vous rendez notre pays complice.
M. Emeric Salmon
Il n’y a pas de génocide ! Allez visiter les camps de la mort et vous verrez ce qu’est un génocide !
M. Louis Boyard
Chaque fois que les gouvernements ont manqué à leurs devoirs, les étudiants de France ont ramené notre pays dans le bon sens de l’histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Vous êtes acculés, vous ne savez plus quoi répondre. Voilà maintenant que vous racontez que la jeune génération solidaire des Palestiniens serait antisémite. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Cela vous arrangerait bien parce qu’au fond, vous vous dites : « Oui, nous avons le sang des Palestiniens sur les mains, mais ceux qui nous dénoncent sont pires que nous ! Ce sont des antisémites. »
Alors j’ai deux choses à vous dire.
Premièrement, dénoncer l’action d’un gouvernement génocidaire, dont le premier ministre est poursuivi par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité,…
Mme Constance Le Grip, rapporteure
C’est faux, il n’est pas poursuivi !
M. Louis Boyard
…ce n’est pas antisémite. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Deuxièmement, prétendre que critiquer l’action du gouvernement israélien reviendrait à critiquer les communautés juives, c’est une rhétorique antisémite. (Mêmes mouvements.)
M. Ian Boucard
Deux mensonges ne font pas une vérité !
M. Louis Boyard
Pour discréditer vos adversaires, vous associez Israël et nos compatriotes de confession juive. Vous avez recours à des rhétoriques antisémites ! (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe RN.) Je le dis solennellement : les responsables du génocide en Palestine ne se définissent pas par leur religion, mais par ce qu’ils font ! Quel est ce gouvernement qui prétend lutter contre l’antisémitisme en utilisant des rhétoriques antisémites ? Qui êtes-vous pour donner des leçons ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Et jamais de leçons de la part de LFI !
M. Emeric Salmon
Honte à En marche d’avoir voté pour LFI !
Mme Marie Mesmeur
Parlons de vos pages Facebook !
M. Louis Boyard
Et vous en inspirez d’autres : Valérie Pécresse retire la subvention de sa région à Sciences Po parce que les étudiants se mobilisent contre le génocide en Palestine. Laurent Wauquiez retire la subvention de sa région à l’université Lyon 2 parce que les étudiants se mobilisent contre le génocide en Palestine. Cela ne vous rappelle pas quelqu’un ? Ce sont exactement les mêmes méthodes que Donald Trump utilise contre l’université de Harvard (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) parce que les étudiants se mobilisent contre le génocide en Palestine.
M. Pierre Henriet, rapporteur
Quel rapport avec le texte ?
M. Ian Boucard
Ça n’a rien à voir !
M. Louis Boyard
Et pendant ce temps, où était le ministre de l’enseignement supérieur ? Monsieur le ministre, vous êtes devant moi : où étiez-vous pour défendre Sciences Po ? Où étiez-vous pour défendre l’université Lyon 2 ? Vous critiquez Trump, mais vous parlez comme lui et vous jouez de la loi comme lui ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Vous prévoyez même d’aller plus loin que lui puisque l’article 3 tend à créer une commission académique qui aura le pouvoir de sanctionner, voire d’exclure les étudiants.
M. Pierre Henriet, rapporteur
Ça existe déjà !
M. Louis Boyard
Or le pouvoir de sanctionner ou d’exclure les étudiants a toujours appartenu aux universités et seulement aux universités. Car il fallait protéger les étudiants, les chercheurs, les enseignants et les administrateurs de l’appétit de gouvernements qui chercheraient à faire leur loi dans le temple de la liberté et du savoir. Voilà que ce texte de loi veut créer une commission extérieure à l’université et placée sous l’autorité du recteur de l’académie. Rappelons que le recteur est nommé par le président de la République : où est la séparation des pouvoirs ? Les recteurs sont sous l’autorité des ministres : où est la séparation des pouvoirs ? La composition de cette commission ne se fera pas au terme d’une élection, mais d’un décret que le ministre pourra prendre seul, dans son bureau : où est la séparation des pouvoirs, chers collègues ?
M. René Pilato
Ils ne savent pas ce que c’est !
M. Louis Boyard
Cette commission pourra exclure des étudiants pour des faits « susceptibles de porter atteinte à l’ordre ou au bon fonctionnement de l’établissement », même s’ils se sont déroulés en dehors de l’université : où est la séparation des pouvoirs ? Où est la lutte contre le racisme et l’antisémitisme dans tout cela ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Pierre Henriet, rapporteur
Il y aura forcément des sanctions !
M. Louis Boyard
Comment pouvez-vous ne pas voir l’immense porte que vous ouvrez ainsi à l’autoritarisme et à la fin de la liberté d’expression et de mobilisation dans les universités ?
Reprenons depuis le début (« Non ! » sur les bancs du groupe DR) : vous prétendez proposer une loi visant à lutter contre le racisme et l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, mais elle ne prévoit aucun budget supplémentaire au profit de cette lutte ;…
Mme Constance Le Grip, rapporteure
C’est clair que ce n’est pas une loi de finances !
M. Louis Boyard
…les articles 1er et 2 ne sont là que pour cacher l’article 3, qui donnera au ministre tout pouvoir pour exclure de leur université les étudiants que la communauté universitaire vous empêche aujourd’hui de virer. Vous instrumentalisez la lutte contre le racisme et l’antisémitisme pour servir vos désirs d’autoritarisme et de despotisme ! Vous êtes irresponsables ! Vous êtes dangereux !
M. Ian Boucard
C’est vous qui êtes dangereux !
M. Louis Boyard
Vous êtes des usurpateurs ! Vous êtes des petits Donald Trump. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Pour ceux d’entre vous qui ont encore un peu de courage, j’en appelle à votre responsabilité. Dans son célèbre Discours à la jeunesse, le député Jean Jaurès (« Ah ! » sur de nombreux bancs du groupe RN) disait :…
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Ne citez pas Jaurès ! Pas vous !
M. Pierre Henriet, rapporteur
Allez, c’est terminé, ça suffit !
M. Louis Boyard
…« Le courage c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe et de ne pas faire écho de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. » Collègues, dressez l’oreille et votez bien. Jean Jaurès parle de vous. (Mmes et MM. les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent longuement. – M. Nicolas Sansu applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations
Je tenais à répondre au nom du gouvernement à cette motion de rejet préalable, en espérant qu’ici, personne ne se laisse abuser…
M. René Pilato
Personne n’est abusé, justement !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
…par le discours que vous venez de tenir. Et je rappelle tout de même que vous venez de défendre une motion de rejet préalable sur un texte qui vise à lutter contre l’antisémitisme au sein de l’enseignement supérieur. (Exclamations.)
Mme Andrée Taurinya
C’est vous qui l’avez provoquée !
M. René Pilato
Vous avez un esprit fourbe ! Je vous rappelle que vous avez menti sous serment et que vous allez être poursuivie !
Mme la présidente
S’il vous plaît, veuillez laisser parler la ministre !
M. René Pilato
C’est une menteuse ! (Exclamations sur les bancs du groupe DR.)
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Une motion de ce type vise en principe à demander à l’Assemblée s’il y a lieu ou non de délibérer sur la question posée. Vous considérez donc qu’il n’y a pas lieu de délibérer sur l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, alors que toutes nos démocraties ont eu à connaître un regain massif d’antisémitisme depuis les attentats terroristes du 7 octobre 2023…
M. René Pilato
Vous n’êtes pas crédible ! Vous ne devriez même pas être là : vous avez perdu les élections !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
…que nous faisons face, dans notre pays, à un risque de réenracinement de l’antisémitisme – ce n’est pas juste une convulsion – et que tous les trois jours, un Français juif est agressé physiquement. Vous considérez qu’il n’y a pas lieu de délibérer alors que dans nos universités et dans nos grandes écoles, les étudiants nous interpellent…
Mme Andrée Taurinya
Intéressez-vous aux causes !
Mme la présidente
Laissez parler madame la ministre !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
…sur les faits d’antisémitisme qu’ils ont malheureusement à subir.
Mais est-ce que vraiment cela nous surprend encore, venant de La France insoumise ?
M. René Pilato
Rien ne nous surprend non plus de votre part, madame la ministre !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Est-ce que quelqu’un, ici, peut être surpris de voir ce groupe défendre une motion de rejet quand on débat de l’antisémitisme ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.) Ce que vous venez de dire à la tribune est la démonstration que vous participez au réenracinement de l’antisémitisme dans notre pays (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe EPR. – Mme la rapporteure applaudit également), que vous placez une cible dans le dos de chaque étudiant juif de France à chaque fois que vous les essentialisez, à chaque fois que vous considérez qu’ils seraient responsables, ici, d’une situation qui a lieu à 4 000 kilomètres de là (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP),…
M. Louis Boyard
Vous instrumentalisez l’antisémitisme ! Quel budget ?
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
…à chaque fois que vous déversez votre haine vis-à-vis d’Israël,…
Mme Andrée Taurinya
Vous avez le soutien de ceux d’en face !
Mme la présidente
Madame Taurinya, s’il vous plaît ! Laissez parler la ministre !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
…voilà ce que vous faites ou du moins tentez de faire, et ce, de manière systématique.
Et voilà contre quoi nous devons lutter parce que notre république, contrairement à celle que vous espérez installer, n’est pas essentialiste, mais universaliste (M. Laurent Croizier applaudit) ; et une république universaliste ne trie pas, ne hiérarchise pas.
Mme Andrée Taurinya
Vous la mettez en danger !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Elle ne combat pas uniquement l’antisémitisme, mais aussi le racisme et toutes les formes de haine. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Farida Amrani
Ce n’est pas vrai !
Mme Aurore Bergé, ministre déléguée
Voilà la force de la République française ! C’est cette république que vous cherchez à abîmer et j’espère que sur tous les autres bancs, vous serez démenti, que cette motion sera rejetée massivement par l’Assemblée. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes EPR et DR. – M. Laurent Croizier applaudit également.)
Mme la présidente
Dans les explications de vote, la parole est à M. Alexandre Portier.
M. Alexandre Portier (DR)
Une fois de plus, c’est la même histoire, semaine après semaine. Malheureusement, on assiste toujours au même spectacle assez lamentable. C’est l’éternel retour des maîtres censeurs.
Mme Andrée Taurinya
On en a connu d’autres ! Qui a fait adopter une motion de censure sur la proposition de loi Duplomb ?
M. Alexandre Portier
Votre obsession, c’est toujours d’interdire le débat, de couper les discussions et d’empêcher les votes, semaine après semaine.
M. Nicolas Sansu
Arrêtez !
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Mais si !
M. Alexandre Portier
Mais malheureusement, on est très loin du comique de répétition et aujourd’hui, votre motion de rejet ne nous fait pas rire du tout. Elle a plutôt pour nous un goût de honte… car La France insoumise n’a, hélas, plus honte de rien. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Vous n’avez eu de cesse, au cours des débats, de vouloir faire disparaître le terme antisémitisme d’un texte destiné précisément à lutter contre l’antisémitisme. Et une fois qu’on a réussi à l’amener jusqu’à l’ultime étape, vous nous expliquez maintenant que vous voulez faire disparaître le texte lui-même. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Mais quelle honte, quel renoncement, quel reniement !
M. René Pilato
Dégagez, vous n’avez rien à faire au pouvoir ! Vous l’usurpez !
M. Alexandre Portier
Vous avez montré, débat après débat, que la situation de nos universités ne vous intéressait pas beaucoup, que votre seule obsession était le Proche-Orient. On comprend pourquoi nos universités sont dans l’état où elles sont !
Évidemment, pour nous, il y aura aucun doute : nous nous opposerons à cette motion de rejet. Mais elle doit aussi être l’occasion, pour les Français qui regardent ces débats et qui ne peuvent être que consternés,…
Mme Zahia Hamdane
… par vous et par vos discours !
M. Alexandre Portier
…de voir ce qu’est devenue la gauche, de voir ses renoncements, de voir ses reniements.
M. Jean-François Coulomme
Va donc chez Bolloré !
M. Alexandre Portier
Qu’est devenu Jean-Luc Mélenchon, par exemple, qui à la base était, me semble-t-il, un homme de lettres, pour tourner autant le dos à l’esprit des Lumières, de la République et tout bonnement aux valeurs de la France ? Qu’est devenue la gauche, y compris les socialistes, pour accepter de s’asseoir à côté de ces gens qui ont perdu toute boussole morale ? On assiste bien aujourd’hui à une faillite à la fois morale, intellectuelle et politique. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et HOR. – M. Laurent Croizier applaudit également. – M. Jean-François Coulomme s’exclame vivement.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Géraldine Bannier.
Mme Géraldine Bannier (Dem)
Le groupe Les Démocrates ne votera pas cette motion de rejet. (M. Jean Moulliere applaudit.) Elle a tous les relents d’un clientélisme rance qui ne sert en rien l’unité de la nation. ( Mme Sophia Chikirou s’exclame.) On entend des accents polémistes, des cris – on n’est sans cesse interrompu. Laissez-moi parler ! Les cris ne seyent pas à la gravité de la situation : l’examen d’une proposition de loi dont l’objet est de renforcer la lutte contre l’antisémitisme.
M. Louis Boyard
Sans budget !
Mme Géraldine Bannier
Vous vous perdez en arguties stériles pour essayer de changer le nom de la proposition de loi et vous divaguez sur des sujets annexes.
M. Louis Boyard
Il n’y a pas de budget !
Mme Géraldine Bannier
Mais la réalité est là : La France insoumise s’oppose à un texte qui vise à renforcer la lutte contre l’antisémitisme. Comment oser citer Jean Jaurès quand on est à ce point oublieux de l’histoire ?
Nous ne pouvons pas suivre un groupe qui refuse de renforcer la lutte contre l’antisémitisme. Ce sont là des ferments de division pour notre société ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe Dem.)
M. Louis Boyard
Mais il n’y a pas de budget !
M. Ian Boucard
Quand on en propose un, vous votez contre ! Par ailleurs, n’avez-vous pas honte de crier comme ça sur une femme ?
Mme la présidente
Monsieur Boyard, vous avez eu dix minutes pour vous exprimer : nous poursuivons les explications de vote.
La parole est à M. Jean Moulliere.
M. Jean Moulliere (HOR)
Je veux exprimer la profonde incompréhension et la vive indignation du groupe Horizons & indépendants à la suite du dépôt par La France insoumise d’une motion de rejet préalable sur ce texte.
Un député du groupe RN
C’est indécent !
M. Jean Moulliere
Dans le contexte que nous connaissons, comment peut-on refuser de voter un texte visant à protéger nos étudiants contre la haine la plus ancienne et la plus tenace de notre histoire nationale ?
M. René Pilato
Il vise plutôt à réprimer ceux qui ne pensent pas comme vous !
M. Jean Moulliere
Refuser d’aller plus loin, c’est laisser perdurer ce climat délétère, c’est fermer les yeux sur l’ampleur du phénomène et trahir la promesse républicaine d’une université ouverte à tous, sans discriminations, ni exclusions. Ce texte ne cherche ni à hiérarchiser les haines,…
M. Aurélien Le Coq
Ah bon ?
Mme Constance Le Grip, rapporteure de la commission mixte paritaire
Lisez le texte !
M. Jean Moulliere
…ni à opposer les uns aux autres, mais à protéger.
Il s’appuie sur les conclusions unanimes d’une mission d’information sénatoriale, sur des faits établis et sur une réalité vécue par des milliers d’étudiants juifs. Il met en avant la nécessité d’un sursaut collectif.
La République ne transige pas avec la haine. Refuser de voter ce texte revient à envoyer un signal de renoncement, à laisser l’antisémitisme s’installer dans nos amphithéâtres, nos bibliothèques et dans la vie quotidienne de nos universités. Qui peut s’en satisfaire ? Qui peut, en conscience, considérer que la lutte contre l’antisémitisme serait accessoire ou secondaire ? Qui peut penser que cette lutte peut attendre ?
Le groupe Horizons & indépendants appelle solennellement à rejeter cette motion et à faire bloc, au-delà des clivages, pour défendre ce qui nous unit – la dignité, la sécurité et l’égalité de tous les étudiants de France. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, EPR et DR.)
M. René Pilato
Vous n’avez aucune dignité !
Mme la présidente
La parole est à M. Joël Bruneau.
M. Joël Bruneau (LIOT)
Quand on n’est pas très à l’aise avec un sujet, l’attaque est souvent la meilleure des défenses. Nous en avons eu une démonstration tout à l’heure, et elle fut assez brillante. Notre cher M. Boyard, rompu au maniement de la rhétorique trotskiste,…
M. Louis Boyard
Merci !
M. Joël Bruneau (LIOT)
…a expliqué combien il souhaitait éviter que ce débat ait lieu dans notre enceinte. Il ne veut pas que nous abordions le fait que La France insoumise fait preuve de complaisance en soufflant sur les braises d’un antisémitisme latent pour des raisons purement communautaristes.
M. Pierre Henriet, rapporteur de la commission mixte paritaire
Eh oui, c’est la stricte vérité !
M. Louis Boyard
C’est raciste de dire cela !
M. Joël Bruneau
Mais bien sûr !
À cette fin, elle utilise de manière commode le faux nez de l’antisionisme. Le groupe LIOT ne soutiendra évidemment pas cette motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et DR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Fayssat.
M. Olivier Fayssat (UDR)
Je serai très synthétique : l’UDR est contre l’antisémitisme.
M. Nicolas Sansu
Ça a changé !
M. Olivier Fayssat
L’UDR ne veut pas des voix de l’électorat antisémite. (« Depuis quand ? » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) L’UDR souhaite donc que ce texte soit examiné et votera contre cette motion de rejet préalable. Je soumets cette petite équation à votre excellent esprit déductif. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
Sur la motion de rejet préalable, je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Roger Chudeau.
M. Roger Chudeau (RN)
Cette motion de rejet est un scandale ; elle illustre la débâcle morale et la décrépitude de ses auteurs. (Exclamations prolongées sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Nicolas Sansu
D’où venez-vous ?
Mme Farida Amrani et Mme Mathilde Panot
Et Caroline Parmentier ?
M. Roger Chudeau
Que La France insoumise cherche à rejeter ce texte n’a rien d’étonnant. C’est le parti du rejet permanent – de la sécurité, de l’autorité, de la France et, désormais, des Juifs.
Mme Farida Amrani
Mme Parmentier, qu’en faites-vous ?
M. Roger Chudeau
Depuis le 7 octobre 2023, les étudiants juifs ont peur : peur d’entrer dans l’amphithéâtre, de porter une étoile de David ou une kippa, d’exister dans un pays où le simple fait d’être juif expose à la violence.
M. Nicolas Sansu
Qui a créé le Front national ?
M. Roger Chudeau
Que fait LFI – La France islamiste ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Elle dégaine une motion de rejet préalable ! Pas de débat, pas de protection ! Ce que vous voulez étouffer, c’est la vérité, la réalité. L’antisémitisme n’est plus une dérive, c’est votre moteur politique ! Votre idéologie n’éclaire rien ; elle gangrène, en transformant les amphithéâtres en tribunaux, les militants en bourreaux et la haine en doctrine.
Quand vous serrez la main de Salah Hamouri, que vous invitez Médine à vos universités d’été et que vous érigez Rima Hassan en figure nationale, vous offrez à la haine un étendard à vos couleurs. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Farida Amrani
Parlez-nous des écrits de Mme Parmentier !
M. Roger Chudeau
Vous avez mis une cible dans le dos de chaque étudiant juif de ce pays. À cause de vous, on brûle des établissements, les menaces s’accumulent et se font à visage découvert et l’antisémitisme se banalise. Vous êtes devenus le bras politique de la haine antijuive.
M. Nicolas Sansu
Mais arrêtez !
M. Jean-François Coulomme
Vous étiez où en 1940 ?
M. Nicolas Sansu
Nous n’oublierons jamais !
M. Roger Chudeau
Vous ne construisez rien, vous fracturez tout, vous lâchez la meute. Cette motion de rejet n’est que la dernière preuve de votre compromission morale. Nous ne vous laisserons pas saborder ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Farida Amrani
Les racistes et les antisémites ne sont pas chez nous !
Mme la présidente
La parole est à Mme Céline Calvez.
Mme Céline Calvez (EPR)
Nous revoilà à discuter d’une nouvelle motion de rejet préalable de La France insoumise visant à priver le Parlement d’un débat et surtout à empêcher un texte d’aboutir. Fruit d’un travail parlementaire transpartisan, cette proposition de loi tend à renforcer la lutte contre l’antisémitisme, mais aussi contre le racisme et plus généralement les discriminations dans l’enseignement supérieur.
M. Nicolas Sansu
Ce n’est pas vrai !
Mme Constance Le Grip, rapporteure de la commission mixte paritaire
Si !
M. Nicolas Sansu
C’est très clair que non, regardez le titre !
Mme Céline Calvez
Il ne faut pas s’arrêter au titre, mais examiner les dispositifs.
M. Nicolas Sansu
Ce sont des menteurs, c’est incroyable !
Mme Céline Calvez
Dans un contexte inquiétant de montée de l’antisémitisme sur les campus et de libération de la parole haineuse dans notre société, le législateur ne doit pas détourner le regard. Refuser d’examiner ce texte reviendrait à fermer les yeux sur les témoignages, les chiffres, les alertes lancées par les victimes, les associations étudiantes et les personnels. Ce serait surtout faire preuve d’un désengagement coupable à l’égard des étudiants chaque jour pris pour cible, intimidés et marginalisés.
Il s’agit d’une loi de protection et de cohésion, qui ne stigmatise personne, mais donne à chacun le droit d’étudier dans la sécurité et le respect. Le texte n’impose ni censure, ni bâillon, mais protège les étudiants contre les discriminations. Il rend les dispositifs existants plus accessibles, améliore les mécanismes de signalement et responsabilise les établissements.
Enfin, un mot sur le rôle du Parlement : rejeter un texte avant même de l’avoir discuté revient à affaiblir une nouvelle fois notre fonction délibérative, à nier le travail mené en commission à l’Assemblée et au Sénat et à disqualifier les propositions de loi issues des groupes parlementaires.
Pour toutes ces raisons, refuser d’examiner ce texte constituerait, d’autres l’ont dit, un véritable renoncement. Les députés du groupe Ensemble pour la République voteront donc contre cette motion de rejet préalable, afin que nous puissions aller au bout de ce travail essentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR ainsi que sur plusieurs bancs des groupes DR et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Raphaël Arnault.
M. Ian Boucard
Il n’a pas été dissous, lui ?
M. Raphaël Arnault (LFI-NFP)
Il ne faut pas être la chips la plus croustillante du paquet pour comprendre la duperie que constitue cette proposition de loi.
Que les fascistes reviennent, on le savait. Que les libéraux se couchent à nouveau devant leur programme et devant les génocides, on le savait aussi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Mais qu’ils le fassent au nom de l’antiracisme, notamment de la lutte contre l’antisémitisme, est un déchirement immense, en premier lieu pour nos compatriotes juifs. (Mêmes mouvements.)
M. Jean-François Coulomme
Exactement !
M. Raphaël Arnault
Alors qu’il s’agit d’un sujet grave dans nos facultés, vous avez décidé de fricoter avec les pires antisémites de notre pays : vous avez été applaudis à chacune de vos offensives par le RN, un parti fondé par des Waffen-SS et des collabos. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Je ne parle pas seulement du passé : c’est encore d’une actualité bien récente, puisque siègent sur ces bancs des députés comme Caroline Parmentier, qui a multiplié les diatribes antisémites dans le journal pétainiste Présent. (Mêmes mouvements.) Elle a notamment qualifié de héros Robert Brasillach, qui appelait à déporter les Juifs. D’autres ouvrent des librairies négationnistes. D’autres encore s’organisent sur des groupes Facebook dans lesquels on compare le peuple juif à des parasites. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Attendez, il y aura des cacahuètes pour tout le monde !
Les macronistes rampent devant les fascistes et ce n’est pas seulement une affaire de confusion. La ministre qui encense ce texte, Mme Aurore Bergé, faisait ainsi partie d’un syndicat étudiant d’extrême droite, l’Union nationale interuniversitaire (UNI) (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Exclamations sur les bancs des groupes RN et DR)…
M. Thibault Bazin
N’importe quoi !
M. Raphaël Arnault
…dont des membres se sont récemment illustrés par un déferlement de saluts nazis et par l’usage d’un jeu de cartes antisémite – des faits rapportés dans de nombreuses universités à travers tout le pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Ce n’est donc pas l’antisémitisme qui vous fait peur, puisque vous le côtoyez, mais la solidarité internationale ! Ce ne sont pas les débordements que vous craignez, puisque vous en créez toutes les conditions, mais la jeunesse, quand elle se construit et s’émancipe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Ce texte est d’une indignité sans nom ; il faut évidemment le rejeter.
Que les racistes cessent leurs gesticulations et restent concentrés sur leur préoccupation favorite, le racisme. Quant à nous, nous continuerons de lutter sans faillir contre l’antisémitisme et toutes les formes de racisme, en premier lieu dans les universités, comme nous l’avons toujours fait, malgré vos fichages et vos dissolutions ! Chers macronistes,… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur. – Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent ce dernier. – M. Nicolas Sansu applaudit également.)
Un député du groupe RN
Fiché S ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. Romain Eskenazi.
M. Romain Eskenazi (SOC)
Chers collègues de La France insoumise, nous ne soutiendrons pas votre motion de rejet, (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC ainsi que sur quelques bancs des groupes EPR et DR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP) et ce pour plusieurs raisons, que je vais développer si vous me laissez m’exprimer.
M. Ian Boucard
Il ne faut pas vous en excuser !
M. Romain Eskenazi
Cher collègue Boyard, vous avez expliqué que les articles 1er et 2 allaient dans le bon sens, mais qu’ils ne prévoyaient pas le budget nécessaire pour renforcer à la fois la prévention et le signalement.
M. Thibault Bazin
C’est un Tartuffe !
M. Romain Eskenazi
Dans ce cas, battons-nous lors de l’examen du budget afin d’obtenir des crédits pour l’université et la Dilcrah,…
M. Alexandre Portier
Les valeurs, ce n’est pas qu’une question de budget !
M. Romain Eskenazi
…mais ne votons pas contre les articles qui vont dans le bon sens ! Ils ont pour point de départ un phénomène réel, ce que vous reconnaissez.
Vous avez exprimé des réserves sur l’article 3. La plupart d’entre elles ont été levées en commission mixte paritaire par l’adoption de plusieurs amendements. Ainsi, le texte prévoyait que le recteur pouvait saisir la section disciplinaire ; à présent, c’est par le président de l’université ou le directeur d’établissement qu’elle doit l’être. L’autonomie des universités n’est donc plus remise en cause. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Contrairement à ce que vous avez dit à la tribune, les faits extérieurs à l’université ne pourront pas être pris en compte par cette section. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
La possibilité de sanctionner l’« entrave au bon déroulement des activités de l’université » était le point qui vous inquiétait le plus, et nous partagions cette crainte. Grâce à l’adoption d’un amendement déposé par notre groupe, cette mention a été retirée. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Enfin, a aussi été supprimée la référence à la définition de l’antisémitisme formulée par l’Alliance internationale pour le souvenir de l’Holocauste (Ihra).
L’essentiel des craintes que nous avions à gauche…
Mme Sophia Chikirou
Vous n’êtes pas la gauche !
M. Romain Eskenazi
…quant aux dérives possibles liées à l’article 3 ont été apaisées en CMP. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Sophia Chikirou
Je ne suis pas d’accord !
M. Romain Eskenazi
Un dispositif qui répond à une problématique réelle peut susciter des craintes, ce n’est pas pour autant qu’il faut le supprimer ! On ne peut pas demander la suppression de l’assurance chômage ou du RSA sous prétexte qu’il existe des dérives ! S’il y a des dérives, il faut les combattre, mais pas supprimer un dispositif utile pour lutter contre l’antisémitisme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC, sur plusieurs bancs des groupes EPR et EcoS et sur quelques bancs des groupes DR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sandrine Rousseau.
Mme Sandrine Rousseau (EcoS)
Oui, des étudiantes et étudiants juifs ont été victimes d’actes antisémites à l’université : il faut poser ce constat et ne pas minimiser les faits.
M. Vincent Descoeur
C’est inacceptable !
Mme Sandrine Rousseau
Le sentiment d’insécurité chez ces étudiants a fortement augmenté,…
Un député du groupe RN
À cause de vous !
Mme Sandrine Rousseau
…tout comme les actes qui les visent. Il faut donc se poser la question de la sanction de l’antisémitisme, tout comme celle des actes racistes, sexistes, et de toutes les discriminations qui peuvent être commises dans les universités. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
En tant qu’ancienne vice-présidente d’une des universités de France qui compte le plus d’étudiants (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe RN), je souhaiterais que nous ayons une discussion de fond sur les procédures disciplinaires, sur ce qui doit relever du règlement intérieur de l’université et ce qui doit relever du code pénal. J’aurais été ravie d’avoir cette discussion si la capacité et le droit des étudiants à manifester à l’intérieur des universités n’avaient pas été menacés en arrière-plan. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Sylvain Berrios
Ce droit n’existe pas !
Mme Sandrine Rousseau
J’aurais aimé avoir l’assurance que puisse être préservée la possibilité d’occuper les bâtiments – je sais que cela vous débecte, mais c’est une modalité d’action importante des syndicats étudiants. (Mêmes mouvements.)
Je veux dire au bloc central qu’à force d’utiliser l’antisémitisme comme prétexte pour faire passer autre chose, vous invisibilisez le fait que lors des élections qui ont suivi la dissolution,…
Mme la présidente
Il faut conclure, madame la députée
Mme Sandrine Rousseau
…l’extrême droite a investi des candidats aimant à revêtir des casquettes SS, qu’elle s’appuie sur des groupuscules dont les membres arborent des tatouages nazis,… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice. – Les députés du groupe LFI-NFP applaudissent cette dernière. – Claquements de pupitres sur quelques bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
Ce n’est pas la peine d’en rajouter avec vos pupitres ! (Protestations sur les bancs du groupe RN. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Poursuivons, plutôt.
Je mets aux voix la motion de rejet préalable.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 226
Nombre de suffrages exprimés 225
Majorité absolue 113
Pour l’adoption 46
Contre 179
(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes RN, EPR, DR, Dem, HOR et UDR.)
(La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à M. Alexandre Portier.
M. Alexandre Portier
Les dernières minutes viennent de le démontrer, ce débat n’est pas secondaire. Il touche à ce que nous avons de plus précieux, à ce qui nous unit et à ce qui fait de nous une nation. Ce débat cardinal révèle malheureusement aussi les maux qui rongent la société française. L’extrême gauche ne se cache même plus : son antisionisme est le masque de moins en moins opaque de l’antisémitisme d’atmosphère qui s’est propagé dans notre pays.
Mesdames et messieurs les députés d’extrême gauche, vous avez essayé de nous empêcher de dire la singularité de la haine antisémite qui sévit en France.
M. Abdelkader Lahmar
C’est chez vous, l’antisémitisme !
Mme Farida Amrani
C’est vous l’antisémite ! (Vives protestations sur les bancs des groupes EPR et HOR.)
M. Alexandre Portier
Madame la présidente !
Mme la présidente
Poursuivez votre intervention, monsieur Portier.
M. Alexandre Portier
Non, madame la présidente !
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Vous ne pouvez pas laisser passer ça !
Un député du groupe DR
C’est grave !
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Nous l’avons tous entendu !
M. Abdelkader Lahmar
Ça suffit, les insultes !
Mme la présidente
Les noms d’oiseau ont volé pendant toute la discussion de la motion de rejet préalable. Il serait bon que chacun revienne à la raison et qu’on laisse les orateurs s’exprimer ! (M. Sylvain Berrios brandit le règlement.)
M. Alexandre Portier
Madame la présidente, je viens de me faire traiter d’antisémite. Vous trouvez cela normal ?
Mme la présidente
Non, je ne trouve pas cela normal, mais j’entends tout ce qui se dit de part et d’autre et ce n’est pas génial…
M. Alexandre Portier
Tout n’est pas du même niveau !
Mme la présidente
Je ne cherche pas à relativiser, mais je constate que tout le monde est dans le même état d’esprit. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes RN, EPR et DR.)
M. Alexandre Portier
C’est profondément honteux ! Il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures.
Mme la présidente
Poursuivez votre intervention, monsieur Portier. Nous entendrons ensuite le rappel au règlement de M. Berrios.
M. Alexandre Portier
Je reprends. Vous avez essayé de nous empêcher de dire la haine antisémite et sa singularité – votre violence verbale en est encore révélatrice. Vous avez essayé de nous empêcher de dire la recrudescence inouïe des actes antisémites et d’où viennent ces attaques. C’est simple, pendant tous nos débats, vous avez plus parlé du conflit au Proche-Orient que de nos universités, lesquelles, au fond, ne vous préoccupent pas beaucoup. À chaque débat, c’est toujours la même histoire : vous instrumentalisez tout, vous dévoyez tout, vous abîmez tout. De ce temple du savoir, de la transmission et du débat républicains, vous avez fait un terrain de violence, dont les étudiants juifs de France sont plus que jamais victimes.
Dans ce contexte, la proposition de loi, ne vous en déplaise, constitue d’abord une déclaration de soutien à ces étudiants et plus largement à tous nos concitoyens de confession juive. Il y va de l’honneur de la France de protéger ses enfants, tous ses enfants. Chaque étudiant, quelles que soient ses origines, doit pouvoir étudier dans nos universités sans se sentir menacé.
M. René Pilato
Vous êtes pour la pensée unique !
M. Alexandre Portier
Nul ne doit se rendre en cours la peur au ventre à l’idée d’être pris pour cible en raison de son appartenance ou de ses croyances. Avec notre soutien, grâce à un examen exigeant, le texte que nous votons aujourd’hui apporte des réponses concrètes et attendues pour lutter contre l’antisémitisme à l’université. Le groupe de la Droite Républicaine se réjouit en particulier de la réintroduction de l’article 3 de la proposition de loi. L’instauration d’une procédure disciplinaire répond à une lacune de notre droit et permet de sanctionner, avec une plus grande efficacité, les paroles et les actes antisémites et racistes au sein des établissements. L’exclusion pourra être prononcée, et c’est une très bonne chose. Au sein de chaque région académique, une procédure disciplinaire, présidée par un magistrat administratif, sera établie pour condamner les violences et les faits d’antisémitisme et de racisme. Face aux dérives, les présidents d’université pourront davantage compter sur l’appui de leur administration. La section disciplinaire constituera un soutien précieux pour identifier, examiner et sanctionner les comportements haineux.
Mais surtout, soyons clairs, au-delà de ses dispositions techniques, le texte est un message d’autorité qu’il nous faut marteler. Oui, dans nos universités, la République est chez elle. Elle n’a pas, elle n’a jamais à s’excuser d’y être. Quand l’antisémitisme gangrène les discours, contamine les esprits et s’installe dans les amphis ou dans les couloirs, nous devons y répondre point par point. À chaque affiche collée ou tag à caractère antisémite, l’université doit réagir immédiatement. À l’ignorance, nous devons répondre par la formation, avec des référents formés à la lutte contre les nouvelles formes de l’antisémitisme. Nous devons aussi apporter un soutien averti aux victimes. Notre réponse, nourrie de l’esprit des Lumières, doit toujours être ferme et républicaine : rétablir la neutralité, restaurer l’autorité et défendre la vérité scientifique contre les idéologies militantes.
Dans le combat de longue haleine contre cette haine archaïque qu’est l’antisémitisme, ce texte constitue une nouvelle pierre à l’édifice juridique et offre des solutions concrètes pour mettre fin à l’impunité de ceux qui intimident et parfois même violentent les étudiants de confession juive. Pour toutes ces raisons, les députés de la Droite républicaine voteront pour cette loi avec conviction, détermination et honneur. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Rappels au règlement
Mme la présidente
La parole est à M. Sylvain Berrios, pour un rappel au règlement.
M. Sylvain Berrios
Sur le fondement de l’article 100, relatif au bon déroulement de nos débats, madame la présidente.
L’antisémitisme ne peut être l’objet d’aucune instrumentalisation, que ce soit en actes ou en paroles.
M. Abdelkader Lahmar
C’est ce que vous faites tous les jours ! Tous les jours !
M. Sylvain Berrios
Les mots prononcés à l’encontre de notre collègue Alexandre Portier il y a quelques instants et les propos qui sont tenus à l’instant même ne sont pas acceptables dans notre République. Nous devons nous respecter. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) L’antisémitisme doit être combattu quoi qu’il arrive, partout, y compris sur les bancs de LFI ! (Exclamations sur les bancs du groupe HOR.)
M. Aurélien Le Coq
Et pas sur ceux du RN ?
Mme la présidente
Tous les propos tenus dans cet hémicycle sont notés au compte rendu de la séance. Il appartiendra au bureau d’apprécier les invectives échangées cet après-midi.
La parole est à M. Laurent Wauquiez, pour un autre rappel au règlement.
M. Laurent Wauquiez
Sur le fondement de l’article 70, alinéa 3, pour mise en cause personnelle.
Un débat destiné à combattre l’antisémitisme ne peut pas se tenir avec des députés qui brandissent n’importe comment un mot qui a une signification lourde dans notre histoire.
M. René Pilato
Vous n’hésitez pas à le faire dans les médias !
M. Laurent Wauquiez
Les mots ont une signification.
M. René Pilato
Justement !
M. Laurent Wauquiez
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que nous parlons sous une tapisserie qui représente des philosophes.
M. René Pilato
Vous voulez exclure les étudiants qui ne pensent pas comme vous !
Mme la présidente
Monsieur Pilato, laissez M. Wauquiez terminer son rappel au règlement !
M. Laurent Wauquiez
Voilà parfaitement illustrée votre incapacité à tolérer que d’autres parlent quand ils n’ont pas les mêmes idées que les vôtres.
M. René Pilato
Mais non !
M. Laurent Wauquiez
La façon dont vous utilisez ce mot totem pour vous en protéger en accusant ceux qui sont précisément ici pour défendre les valeurs de la République est absolument inacceptable ! (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et EPR.) Vous êtes une honte !
M. René Pilato
Gardez vos insultes !
Mme la présidente
Comme je l’ai déjà dit, tous les propos tenus dans cet hémicycle sont consignés et feront l’objet, si besoin, d’un examen par le bureau.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente
La parole est à M. Steevy Gustave.
M. Steevy Gustave
Depuis toujours, j’ai fait de la lutte contre toutes les haines un combat de chaque instant. Pas celles qu’on trie, pas celles qu’on instrumentalise, mais celles qui tuent, sans distinction. Je pense à Ilan Halimi, torturé puis assassiné dans mon département, l’Essonne, parce qu’il était juif. Cette blessure m’a profondément marqué et a scellé mon engagement contre toutes les formes de haine. Je pense aussi à Hichem Miraoui, récemment tué sur un parking, victime d’un crime islamophobe. Oui, l’antisémitisme tue, et l’islamophobie aussi. Deux visages d’un même poison : la haine de l’autre. Alors quand cette haine ressurgit avec force, je me tiens debout, et je continuerai de la combattre sans jamais faiblir.
C’est pourquoi j’ai accueilli ce texte avec sérieux et d’abord avec espoir. Parce que l’université doit être un lieu de savoir, de respect, de liberté, et parce qu’aucun étudiant ne devrait craindre d’y entrer à cause de sa religion, de sa couleur de peau ou de ses convictions. Je salue le travail des rapporteurs, les avancées obtenues sur la formation et la prévention et l’engagement renouvelé de faire reculer l’antisémitisme dans les universités. Mais un texte de loi ne se juge pas uniquement à ses intentions ; il se juge à ce qu’il dit, à ce qu’il oublie et au risque de dérives qu’il crée.
Tout au long de l’examen de la proposition de loi, j’ai défendu un principe simple : nous devons mener un combat égal contre toutes les formes de racisme. J’ai cru un temps que nous étions parvenus à le respecter. J’avais soutenu ce texte en première lecture car nous avions, à l’Assemblée, obtenu des compromis justes, dans un esprit d’équilibre et de responsabilité. Mais les sénateurs ont fait d’autres choix et la version issue de la commission mixte paritaire ne respecte plus les équilibres obtenus. Elle affaiblit les garanties sur la liberté académique et laisse dans l’ombre la lutte contre le racisme dans sa globalité.
Un article introduit désormais la possibilité d’interdire l’accès aux locaux universitaires à des étudiants visés par une simple procédure disciplinaire pour trouble à l’ordre public. Ce pouvoir, jusqu’ici encadré par le juge, pourrait désormais s’appliquer à ceux qui auraient tenté de bloquer un amphithéâtre ou brandi une pancarte ; un tel glissement est préoccupant. La présomption d’innocence et la liberté d’expression doivent rester des piliers, y compris à l’université. Ce qui se passe ailleurs doit nous alerter : quand Donald Trump, président des États-Unis, accuse une université comme Harvard d’antisémitisme pour mieux la faire taire, ce n’est pas de la justice, c’est une menace politique. Je refuse que la France s’engage sur ce chemin. C’est pourquoi je m’abstiendrai sur la proposition de loi : par fidélité à mes convictions, par exigence de cohérence et parce que la République ne peut pas lutter contre une haine en en passant d’autres sous silence.
La lutte contre le racisme et l’antisémitisme ne doit jamais cesser, mais elle ne peut être crédible que si elle est cohérente dans ses principes, équitable dans ses cibles et fidèle aux valeurs que nous proclamons. C’est en refusant de classer les différentes formes de racisme et en les combattant toutes avec la même détermination que nous serons à la hauteur de la confiance que la jeunesse nous accorde. On dit souvent qu’il ne faut pas juger un livre à sa couverture, mais en République, les mots ont un poids et le titre d’une loi n’est pas neutre : il dit ce qu’on choisit de montrer et ce qu’on choisit d’effacer. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – M. Gérard Leseul applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Géraldine Bannier.
Mme Géraldine Bannier
Notre assemblée est réunie pour un moment important : l’adoption définitive de la proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, issue des conclusions de la mission d’information menée par nos homologues sénateurs Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire. Elle faisait suite à la recrudescence d’incidents antisémites dans les universités après l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023. Les deux rapporteurs s’inquiétaient alors du retour d’un « antisémitisme à bas bruit » et d’une « banalisation » du phénomène. France Universités a ainsi signalé 67 actes antisémites survenus entre le 7 octobre 2023 et mars 2024, contre 33 pour l’ensemble de l’année scolaire 2022-2023. Or nous savons que ces chiffres, alors qu’ils attestent d’un doublement en quelques mois à peine, sont probablement sous-estimés et qu’il est difficile de mesurer l’ampleur réelle du phénomène.
Ce constat, indiscutable, est inacceptable. Nous le réaffirmons une nouvelle fois : l’université doit rester un lieu d’apprentissage, de liberté d’expression ainsi que de débat d’idées et cette liberté ne saurait s’exercer sans respect de l’autre. La haine n’a pas sa place dans les établissements d’enseignement et nous ne saurions nous habituer à une ostracisation. Aucun étudiant ne doit craindre pour sa sécurité sur les bancs de l’université. La France, patrie de la laïcité, a le devoir de protéger chacun de ses citoyens, quelle que soit sa confession, qu’il ait choisi de croire ou de ne pas croire.
La proposition de loi répond à cet impératif par au moins trois dispositifs. En premier lieu, elle inscrit la sensibilisation à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme parmi les missions de formation des établissements de l’enseignement supérieur. Cela permettra de la renforcer tout au long du parcours éducatif.
Mais si la sensibilisation est cruciale, elle ne peut suffire. Il est tout aussi indispensable de doter les universités de moyens renforcés pour lutter contre l’antisémitisme. L’article 2 vise ainsi, en second lieu, à corriger les disparités existantes entre les établissements en termes de structures dédiées à l’égalité et à la lutte contre les discriminations. Aujourd’hui, seuls 55 % des établissements en disposent. C’est pourquoi le texte prévoit le remplacement de la mission « égalité entre les hommes et les femmes » par une généralisation des missions « égalité et diversité » ainsi que la désignation d’un référent dédié au sein de chaque établissement. En outre, le signalement, assuré par la mission « égalité et diversité », est rendu obligatoire pour tout acte antisémite, raciste, discriminatoire, violent ou haineux commis à l’intérieur comme – s’il a un lien avec la vie universitaire – à l’extérieur de l’établissement.
En dernier lieu, la consolidation des procédures disciplinaires était indispensable. En effet, elles sont encore trop longues et les actes antisémites sont trop rarement sanctionnés. C’est pourquoi nous nous réjouissons du rétablissement de l’article 3 à l’initiative du rapporteur Pierre Henriet. Il vient pleinement répondre à une demande des présidents d’université par la création de sections disciplinaires interacadémiques communes aux établissements d’enseignement supérieur et présidées par un magistrat administratif. Les compétences de ce dernier permettront aux sections disciplinaires de traiter les situations d’antisémitisme avec plus de sérénité.
Vous aurez compris que le groupe Les Démocrates salue le texte, en faveur duquel il votera. Toutefois, nous ne perdons pas de vue que le chemin est encore long pour renforcer la lutte contre l’antisémitisme, cette lèpre, ce cri de haine qui ne mérite qu’une lutte sans trêve de tous ceux qui sont attachés aux valeurs de la République, d’autant que, dans le contexte géopolitique actuel, la guerre semble trop souvent et trop aisément prendre le pas sur la paix, pourtant seule garante de nos existences et de celles qui viendront après les nôtres. « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille : on parle de vous », répétait Frantz Fanon. La lutte contre l’antisémitisme nous concerne bel et bien tous, sans exception. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et EPR. – M. Pierre Cordier applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Henriet.
M. Pierre Henriet
« Les sociétés qui laissent prospérer l’antisémitisme finissent par pourrir de l’intérieur. » Ces mots du grand rabbin de France, Haïm Korsia, écrits en début d’année, résonnent avec une acuité particulière alors que nous sommes réunis pour examiner les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur, dont j’ai eu l’honneur d’être le corapporteur avec notre collègue Constance Le Grip, que je salue.
Depuis l’automne 2023, les universités françaises font face à une recrudescence d’actes antisémites d’une ampleur inédite. Entre le 7 octobre 2023 et le 10 avril 2024, 67 actes antisémites ont été recensés dans 82 établissements, soit le double de l’année précédente. Ce chiffre, aussi glaçant soit-il, ne traduit qu’imparfaitement la réalité, tant le phénomène demeure sous-déclaré, en raison de la peur, de la banalisation de ces actes et de l’habitude de silence. Selon une enquête Ifop pour l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), 90 % des étudiants juifs interrogés déclarent avoir subi au moins un acte antisémite au cours de leur scolarité ou de leurs études supérieures. Ce climat d’« antisémitisme d’atmosphère » pèse lourdement sur la vie universitaire et menace la promesse républicaine faite à chaque étudiant en France.
Face à cette situation, il nous fallait agir. Les dispositifs existants, bien que renforcés depuis 2017, se sont révélés insuffisants en raison d’une absence d’unification des procédures de signalement, d’un manque de formation spécifique, de la difficulté de qualifier juridiquement certains faits et du sentiment d’isolement des victimes. La mission d’information sénatoriale conduite par Pierre-Antoine Levi et Bernard Fialaire a permis de dresser un état des lieux lucide et d’identifier les leviers d’action nécessaires.
Le texte issu de la commission mixte paritaire s’articule autour de trois mesures majeures. L’article 1er inscrit dans la loi l’obligation de formation à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme tout au long du parcours éducatif. Cette obligation vise à créer une chaîne de vigilance et de sensibilisation continue, de l’école à l’université. L’article 2 généralise les missions « égalité et diversité » dans tous les établissements et impose la désignation d’un référent formé spécifiquement à la lutte contre l’antisémitisme et le racisme. Il clarifie par ailleurs les procédures de signalement, afin de lever les obstacles au recueil de la parole et à la sanction des actes. Le texte garantit également l’anonymat des victimes et des témoins, un élément déterminant pour créer de la confiance dans ces dispositifs. L’article 3 adapte la procédure disciplinaire pour permettre la poursuite effective des faits d’antisémitisme, de racisme, de violence ou de discrimination – nous n’oublions personne –, tout en garantissant les droits des auteurs mis en cause. La commission mixte paritaire a aussi précisé la nature des mesures conservatoires, renforçant ainsi la sécurité juridique du dispositif.
Je salue l’esprit de responsabilité et d’équilibre qui a présidé aux travaux de la commission mixte paritaire. Le texte conserve son intitulé initial, voulu par le Sénat et porteur d’un message fort adressé aux étudiants juifs, tout en tenant compte de l’ensemble des situations de racisme, de violence, de discrimination et de haine qui peuvent survenir dans les établissements. Je remercie Constance Le Grip, Jérémie Patrier-Leitus, Caroline Yadan, Alexandre Portier, Emmanuel Grégoire et tous ceux qui ont contribué à son amélioration.
Le groupe Horizons & indépendants, fidèle à ses valeurs et à son engagement sur le sujet, votera bien sûr en faveur du texte parce que l’université doit rester un sanctuaire où nul ne doit craindre pour sa sécurité ou sa dignité en raison de ses origines, de sa foi ou de ses convictions et parce que la République ne tolère aucune forme de haine ou de discrimination. C’est à ces conditions que nous préserverons durablement la promesse républicaine faite à tous les étudiants de France. Affirmons donc tous avec force notre rejet sans conditions de l’antisémitisme. Il s’agit d’un devoir moral pour protéger la dignité de chaque étudiant et pour garantir que la lumière du savoir et de l’université ne soit jamais obscurcie par l’intolérance. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – Mme Nicole Dubré-Chirat et Mme la rapporteure applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Joël Bruneau.
M. Joël Bruneau
Nous devons bien sûr tous condamner l’augmentation intolérable du nombre des actes antisémites, notamment dans l’enseignement supérieur et depuis le 7 octobre 2023, même si le phénomène existait de manière latente avant cette date. Qu’il faille légiférer sur la lutte contre l’antisémitisme et, plus largement, contre toutes les formes de racisme, démontre un échec collectif que nous ne pouvons que déplorer et que nous dénoncerons aussi longtemps qu’il le faudra.
Alors que 2025 marque le 80e anniversaire de la libération des camps, nous avons la responsabilité d’alerter sur le poison de l’antisémitisme, avec lequel nous n’avons malheureusement pas fini. Ce devoir de vigilance est d’autant plus crucial que l’histoire nous enseigne à quel point l’indifférence et la banalisation préparent toujours le terrain aux pires dérives.
Selon notre groupe, la proposition de loi s’inscrit dans une logique intéressante car elle reconnaît le caractère spécifique de l’antisémitisme. Elle tient notamment compte de sa construction historique et de ses résonances actuelles tout en l’inscrivant dans une lutte globale contre toute forme de discrimination. En effet, le combat contre l’antisémitisme ne doit pas être isolé mais inscrit dans un cadre plus large incluant toutes les formes de racisme, de discrimination ou de haine. Il s’agit de construire un environnement universitaire protecteur et exemplaire, ainsi que d’être capable de répondre fermement aux actes les plus graves comme de déconstruire les stéréotypes et de prévenir les discriminations dès leurs premiers signes.
Le texte permettra en premier lieu d’inscrire explicitement la mission de sensibilisation à la lutte contre l’antisémitisme tout au long du parcours éducatif, y compris à l’université et dans le cadre de la formation des futurs enseignants. Il s’agit d’un préalable incontournable, particulièrement au sein du milieu académique. Le deuxième axe du texte consiste en la création d’un dispositif obligatoire et systématique de prévention, de détection et de signalement des actes antisémites et racistes. L’inscription dans la loi des missions « égalité et diversité » permettra d’assurer leur existence dans tous les établissements de l’enseignement supérieur, avec des référents dédiés et formés à la lutte contre l’antisémitisme. Actuellement, la seule obligation législative concerne l’égalité entre les femmes et les hommes. Il faut s’inspirer de ce dispositif pour l’étendre à la lutte contre la haine, notamment contre l’antisémitisme, afin de mettre fin aux disparités entre établissements.
Nous ne pouvons donc que souscrire à cette disposition car il n’est pas admissible que les présidents d’établissement ne procèdent pas au suivi systématique des signalements qu’ils effectuent au titre de l’article 40 du code de procédure pénale. Le caractère obligatoire des signalements permettra un meilleur suivi. Il n’est pas non plus tolérable que certains étudiants ou membres du personnel victimes de propos ou d’actes antisémites ou racistes se sentent isolés ou dissuadés de signaler ces faits par peur de représailles ou par manque de confiance dans les procédures.
Je me réjouis que les interrogations sur le nouveau cadre disciplinaire aient pu être levées grâce à l’examen du texte à l’Assemblée et aux travaux de la CMP. Il faudra toutefois lui apporter des garanties d’efficacité, notamment en termes d’indépendance et de moyens, pour que les sections disciplinaires communes créées au niveau régional ne soient pas encombrées et puissent réellement fonctionner. S’agissant des nouveaux motifs de sanction, nous avions alerté sur le risque né du mélange d’une procédure disciplinaire et d’une procédure judiciaire puisque la rédaction antérieure à la réunion de la CMP prévoyait des poursuites disciplinaires pour toute atteinte à une disposition de nature législative ou réglementaire. Le champ a été restreint aux actes « ayant un lien avec la vie universitaire ». Nous saluons cette évolution du texte, désormais plus clair.
Les universités doivent maintenir un équilibre délicat à trouver. Elles doivent demeurer un sanctuaire, un lieu d’étude et de débats où la liberté d’expression est préservée. En même temps, elles ne doivent pas rester aveugles aux dérives et aux atteintes aux droits des personnes. La proposition de loi est un outil utile pour ces établissements et nous la soutiendrons.
Toutefois, aucun texte, aussi utile soit-il, ne remplacera jamais la vigilance rigoureuse de chaque président d’université, de chaque enseignant, de chaque étudiant face au poison de l’antisémitisme, dont la résurgence, complaisamment exploitée sous couvert d’antisionisme,…
M. Nicolas Sansu
Oh ! Quelle honte !
M. Joël Bruneau
…déshonore notre pays. (MM. Christophe Naegelen et Boris Tavernier applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Sansu.
M. Nicolas Sansu
L’antisémitisme est un mal qui a de très nombreuses fois ravagé le continent européen. On pourrait en retracer l’histoire dès l’Antiquité, avec l’hostilité des premiers chrétiens envers les juifs, à l’Époque contemporaine, avec la Shoah, en passant par l’Époque moderne, avec le décret de l’Alhambra. Il fait partie de ces monstres du passé qui ont gangrené la République française et porté atteinte aux valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité qui la fondent.
Cette vieille haine, que nous avions crue définitivement enterrée, ressurgit aujourd’hui dans notre pays. L’antisémitisme est bel et bien un poison de notre temps. Selon France Université, 67 actes antisémites ont été recensés depuis le 7 octobre 2023, soit le double du nombre enregistré sur l’ensemble de l’année universitaire 2022-2023. La multiplication des actes antisémites en France est incontestable.
Nous, députés communistes, héritiers du combat antifasciste, avons toujours combattu toutes les formes de racisme et de discrimination. Nous considérons que toute persécution ou stigmatisation de toute communauté est inacceptable, criminelle et honteuse. C’est pourquoi nous partageons pleinement l’objectif affiché par cette proposition de loi. (Mmes Elsa Faucillon et Sandrine Rousseau applaudissent. – M. Emeric Salmon s’exclame.)
Nous sommes pourtant dubitatifs sur la pertinence de dissocier l’antisémitisme des autres formes de racisme. (Mme la rapporteure s’exclame.) S’il est incontestable que l’antisémitisme revêt une singularité historique, nous pouvons en dire autant de toutes les formes de discrimination, que leurs racines historiques rendent singulières. D’ailleurs, c’est dans ma chair et dans mon histoire familiale que j’ai pu prendre la pleine mesure de ce qu’étaient les fascistes antisémites, puisque mon grand-père maternel a été assassiné par les miliciens en 1944. Et nous savons qui sont aujourd’hui leurs héritiers : un parti politique qui a accueilli des anciens de la Milice. L’antisémitisme est d’extrême droite, historiquement et pour toujours ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Alors que les actes discriminatoires et racistes dans l’enseignement supérieur sont peu dénoncés en raison de leur banalisation, distinguer l’antisémitisme des autres formes de racisme n’aurait d’autre effet que celui d’instaurer une hiérarchisation des victimes que nous ne pouvons pas cautionner.
Notre groupe s’oppose également aux principales dispositions de l’article 3. Dans la rédaction issue de la CMP, cet article prévoit de créer une section disciplinaire par région académique, présidée par un membre de la juridiction administrative. Il s’agit là d’une profonde rupture avec le droit courant, qui prévoit que les sections disciplinaires sont exclusivement composées de membres du conseil académique des établissements.
M. Emmanuel Fernandes
Eh oui !
M. Nicolas Sansu
En outre, le droit courant prévoit déjà l’existence d’une juridiction propre à l’enseignement supérieur : le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser). La création d’une nouvelle juridiction administrative affaiblirait son rôle et fragiliserait le principe d’autonomie des universités.
Enfin, l’article 3 prévoit d’inscrire dans la loi la liste des faits passibles d’une sanction disciplinaire. Dans cette longue liste sont inclus des faits qui n’ont aucun lien avec l’objet de ce texte tels que « les faits susceptibles de porter atteinte à l’ordre, au bon fonctionnement de l’établissement ou au bon déroulement des activités qui y sont organisées ».
M. Pierre Henriet, rapporteur
Cela existait déjà au niveau réglementaire. Nous n’avons fait qu’une transposition au niveau législatif.
M. Nicolas Sansu
Nous craignons que ces dispositions n’aient d’autre objectif que celui d’instaurer une approche répressive à l’égard des manifestations et actes politiques dans l’enseignement supérieur.
Mme Elsa Faucillon
Tout à fait !
M. Nicolas Sansu
En effet, l’université est devenue ces dernières années l’une des principales cibles du gouvernement et de tout le spectre réactionnaire. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS. – M. Emeric Salmon s’exclame.)
Il y a quelques années, certains y dénonçaient la prolifération de ces ennemis imaginaires que sont le wokisme ou l’islamo-gauchisme. Aujourd’hui, devant l’ampleur des mobilisations pro-palestiniennes dans nos universités, certains essayent d’instrumentaliser la lutte contre l’antisémitisme pour passer sous silence les critiques de l’État d’Israël. Alors que les opérations militaires menées par le gouvernement israélien ont déjà fait plus de 50 000 morts, dont plus de 15 000 enfants, nous ne pouvons pas permettre que la lutte contre l’antisémitisme devienne un prétexte pour réprimer les mobilisations universitaires et anéantir la solidarité internationale dont la jeunesse fait preuve courageusement. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP.)
M. Pierre Henriet, rapporteur
Ce n’est pas dans le texte !
M. Nicolas Sansu
Chers collègues, la lutte contre l’antisémitisme, défi majeur de notre temps, mérite bien mieux qu’une proposition de loi dont les principales dispositions risquent de porter atteinte au droit et à la liberté de manifestation des étudiants. C’est pourquoi notre groupe ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. Olivier Fayssat.
M. Olivier Fayssat
La proposition de loi qui nous est soumise inscrit la lutte contre l’antisémitisme dans le fonctionnement même des établissements d’enseignement supérieur, renforce leurs obligations d’agir fermement et rapidement et élargit le champ d’intervention des instances disciplinaires pour sanctionner les comportements haineux.
Cette loi est nécessaire : 1 600 actes antisémites ont été recensés en 2024 ; neuf étudiants juifs sur dix ont déjà été victimes d’actes antisémites à l’université. Même si le débat public est saturé d’alertes à l’islamophobie, les chiffres sont sans appel et la criticité de la situation concerne très majoritairement les Juifs.
Bien évidemment, en droit, il ne reste fort heureusement rien de l’infâme statut des Juifs de 1940, qui les excluait des universités, de certains métiers et de la République.
M. Nicolas Sansu
Et qui sont aujourd’hui les héritiers de Pétain ?
M. Olivier Fayssat
Mais dans les faits, dans la réalité du quotidien, combien d’étudiants juifs expulsés des amphithéâtres de Sciences Po, bousculés, isolés, intimidés ? Combien d’agressions physiques, combien d’insultes et de regards haineux ?
L’antisémitisme a muté comme un virus ; il est de retour dans sa version décomplexée, masqué sous le voile trompeur de l’antisionisme. L’antisémitisme est maintenant un symptôme rarement isolé. Il est généralement accompagné d’un discours bien mal nommé « antifa » et adossé à un islamisme radical à peine dissimulé.
M. Raphaël Arnault
Mais qu’est-ce qu’il raconte ?
M. Olivier Fayssat
Nous savons tous qu’il n’y a pas plus fasciste qu’un antifa. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. Jean-François Coulomme
Et pas plus antirépublicain qu’un Républicain ?
M. Olivier Fayssat
Nous avons déjà examiné cette proposition de loi, il a été modifié dans cet hémicycle et il nous revient aujourd’hui retouché par la commission mixte paritaire, dans une version plus proche du texte d’origine. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Je remercie tous ceux qui illustrent mes propos – je n’en demandais pas tant !
M. Sébastien Humbert
Fiché S !
M. Olivier Fayssat
Le rapport de la commission mixte paritaire, fruit d’un accord entre les deux chambres, prend clairement acte du fait que l’université est devenue un terrain d’expression de l’antisémitisme contemporain. Il s’appuie sur les constats alarmants formulés par la mission sénatoriale Levi-Fialaire, qui évoque une « montée continue et inquiétante » de la haine antijuive dans les établissements d’enseignement supérieur.
Un député du groupe LFI-NFP
À l’UNI ?
M. Olivier Fayssat
La CMP a d’ailleurs restauré l’intitulé de cette loi dans la version initiale du Sénat : « proposition de loi relative à la lutte contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur », malgré l’opposition d’une partie des députés, notamment Insoumis et écologistes. C’est en effet la spécificité de l’antisémitisme qu’il nous faut conserver au cœur de ce texte ; ce racisme, précurseur de bien d’autres, doit être nommément combattu.
La CMP reconnaît que les mécanismes de régulation actuels sont insuffisants, que le système disciplinaire est inégalement mobilisé et que les moyens, humains comme juridiques, manquent. La commission mixte paritaire a confirmé ce triptyque, en conservant la version du Sénat sur plusieurs points essentiels. Elle a ainsi validé la création d’un référent clairement identifié dans chaque établissement et la possibilité de faire appel à une section disciplinaire académique mutualisée. Elle a aussi maintenu l’obligation de signaler les actes haineux et, pour le président d’université, de faire retirer « sans délai injustifié » tout contenu antisémite ou discriminatoire visible dans l’université.
Concernant la création d’une commission disciplinaire académique mutualisée en cas de carence locale, la CMP a maintenu le dispositif, tout en apportant des clarifications sur les cas dans lesquels elle peut être saisie, sur le respect des libertés académiques, du contradictoire et des droits de la défense, et sur les mesures conservatoires comme l’exclusion temporaire d’un lieu.
La CMP souligne le rejet du texte par LFI, qui l’accuse d’être liberticide, mal financé et politiquement orienté. Au contraire, les rapporteurs affirment qu’il s’agit d’un texte républicain et équilibré.
Par son travail de conciliation, la commission mixte paritaire a su se garder à la fois de l’inaction et de l’excès. Elle propose un texte juste, ciblé mais ferme, qui viendra en appui de notre loi fondamentale. En son article 1er, notre Constitution affirme en effet : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. »
La proposition de loi inscrit la lutte contre l’antisémitisme dans le fonctionnement même des établissements ; elle renforce leurs obligations à agir fermement et rapidement ; et elle élargit le champ d’intervention des instances disciplinaires pour sanctionner les comportements haineux.
Il ne s’agit pas seulement de protéger les étudiants juifs. Il s’agit de sauvegarder l’honneur de l’université française, de défendre la République et de tenir parole, puisque notre Constitution protège sans distinction, en particulier dans la transmission du savoir. C’est pourquoi le groupe UDR votera en faveur de ce texte.
Nous avions déjà regretté que le champ d’application soit restreint à l’université, alors que l’origine du mal se trouve souvent au lycée, voire au collège. Il ne faudra pas oublier ces professeurs ostracisés pour avoir voulu enseigner l’histoire de la Shoah, ces enseignants bousculés et menacés. Comme je l’avais déjà dit en première lecture : oublier le passé, c’est se condamner à le revivre. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Roger Chudeau.
M. Roger Chudeau
Il y a quelques mois de cela, sous la XVIe législature, la commission des affaires culturelles auditionnait des représentants de l’enseignement supérieur à propos de la montée de l’antisémitisme en son sein. À la stupeur de la plupart des commissaires, les représentants du monde universitaires ont formellement nié que des manifestations nombreuses et fréquentes d’antisémitisme s’y produisaient.
Pourtant, les faits sont têtus et neuf étudiants juifs sur dix déclarent dans une enquête récente avoir été inquiétés, harcelés ou insultés parce qu’ils sont juifs. Il suffit de lire les tags et affiches qui défigurent nos campus pour en avoir le cœur net : l’antisémitisme a envahi de nombreux établissements d’enseignement supérieur.
Le pogrom du 7 octobre 2023 et la riposte légitime de l’État d’Israël contre le Hamas, le Hezbollah et l’Iran ont considérablement accéléré et aggravé ce phénomène. Le nombre d’intimidations a augmenté de manière exponentielle : + 300 %.
Les incidents de Sciences Po, de Lyon, de Grenoble, de Toulouse ont été l’expression d’une véritable campagne antisémite, orchestrée par l’extrême gauche et ses proxys syndicaux et associatifs.
Mme Claire Lejeune
C’est n’importe quoi !
M. Roger Chudeau
Quels sont les ressorts de cette campagne ? Ils sont évidemment électoraux, puisque chacun sait que le Nouveau Front populaire espère séduire, avec l’aide de ses relais fréristes, l’électorat musulman, que Mélenchon appelle le « nouveau peuple ». (Exclamations et rires sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Rien de neuf sous le soleil de la honte et de la collaboration avec l’ennemi intérieur !
M. Gabriel Amard
N’importe quoi !
M. Roger Chudeau
Les ressorts idéologiques sont, eux, plus intéressants. Une récente étude du think tank Fondapol est à ce titre fort éclairante – vous aimez les leçons d’histoire, en voici une !
M. Nicolas Sansu
À votre place, j’éviterais d’aborder l’histoire !
M. Roger Chudeau
Elle montre que l’antisémitisme est profondément ancré à gauche…
M. Jean-François Coulomme
Nous n’avons pas les mêmes sources ! Les vôtres, c’est Je suis partout ?
M. Roger Chudeau
…depuis Marx et son texte de 1844 À propos de la question juive : seule la disparition des Juifs peut briser le processus d’aliénation.
M. Gabriel Amard
Ben voyons !
M. Roger Chudeau
…ou Proudhon écrivant dans ses Carnets de 1864 : « le Juif est l’ennemi du genre humain, il faut renvoyer cette race en Asie ou l’exterminer. » Je continue avec Jaurès, écrivant en 1892 dans La Dépêche que la banque cosmopolite livre aux frelons juifs le miel des abeilles françaises.
Tout cela nous conduit tout droit aux ignominies de Marcel Déat et de Jacques Doriot,…
M. Jean-François Coulomme
Vos amis !
M. Roger Chudeau
…issus de la gauche – vos ancêtres, messieurs de LFI !
M. Jean-Paul Lecoq
Et les vôtres, on en parle ?
M. Roger Chudeau
Plus récemment, la négation de la judéité par Sartre alimente l’antisémitisme d’atmosphère qui sévit dans la gauche française et la gangrène.
M. Pierre Henriet, rapporteur
De l’antisémitisme, on en trouve partout !
M. Roger Chudeau
Voilà qui nous ramène à l’actualité : l’antisémitisme, la judéophobie des islamo-gauchistes se pare volontiers d’un discours antisioniste et anti-israélien. Devenu le relais politique du Hamas, l’extrême gauche exige que les Palestiniens conquièrent Israël du Jourdain à la mer, ce qui revient à vouloir la destruction de l’État juif.
M. René Pilato
Vous soutenez Netanyahou et son gouvernement d’extrême droite !
M. Roger Chudeau
LFI procède aussi à une inversion victimaire : le peuple victime de génocide, de la Shoah, devient lui-même génocidaire ; les victimes sont les bourreaux. Merci George Orwell ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Avec cette nauséabonde inversion des valeurs, qui conduit par exemple à comparer Gaza et Auschwitz, on peut parler ici de perversité morale.
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Vous arrivez encore à vous regarder dans un miroir ?
M. Roger Chudeau
Revenons à nos travaux parlementaires : en commission, dans l’hémicycle, en CMP, LFI aura sans cesse tenté d’invisibiliser, de nier, d’occulter l’antisémitisme à l’université. En tentant de dissoudre le concept d’antisémitisme dans une définition générale du racisme où l’on trouve, à côté de la négrophobie et de la grossophobie, bien entendu l’« islamophobie »,…
M. Abdelkader Lahmar
J’ai envie de vomir !
M. Roger Chudeau
…l’extrême gauche ose tout – c’est à cela qu’on la reconnaît. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Quant à nous, cette proposition de loi nous paraît insuffisante sur bien des points. Nous estimons par exemple que toute organisation, quelle qu’elle soit, qui prône l’antisémitisme doit se voir interdire l’accès aux campus. Elle est toutefois un premier pas vers une prise de conscience et une réaction contre l’emprise de l’islamo-gauchisme sur nos universités. Nous voterons donc en faveur de son adoption. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. René Pilato
C’est vraiment le rassemblement des nazes !
Mme la présidente
La parole est à M. Romain Eskenazi.
M. Romain Eskenazi
L’antisémitisme est un fléau, un fléau ancré dans l’histoire de France et dans l’esprit de nos compatriotes juifs. Nous pourrions remonter au Moyen Âge ou évoquer la complicité de l’État français dans la Shoah ainsi que celle de ses forces de l’ordre, qui sont allées chercher des hommes, des femmes et des enfants innocents pour les envoyer, via Drancy, vers les camps de la mort.
Même celle et ceux qui n’ont pas connu la guerre ont cette crainte. Si je peux me permettre ici une parenthèse personnelle – manifestement, c’est le ton aujourd’hui –, il se trouve que mon père est juif – mon nom me trahit. Ses deux parents ont dû fuir l’Égypte, où ils étaient nés. Les deux parents de mon grand-père ont eux aussi dû fuir, l’une la Pologne et l’autre la Hongrie, pour échapper à des pogroms. Beaucoup de Juifs de France sont ainsi marqués dans leur histoire personnelle par la crainte du rejet et de l’exclusion. Ce rejet et cette exclusion se sont manifestés très récemment de manière dramatique : l’antisémitisme islamiste a tué en France.
Il a tué, et j’ai eu l’occasion de mettre des visages sur les noms de ses victimes – ce sont des vies humaines brisées avant d’être des statistiques.
Député d’une circonscription qui comprend notamment Sarcelles, j’ai eu l’occasion de rencontrer, lors de la cérémonie organisée en hommage à son fils, le père de Yohan Cohen, l’une des victimes assassinées à l’Hyper Cacher, ainsi qu’Eva Sandler, la femme du professeur et la mère des deux enfants qui furent assassinés à Toulouse. Cet homme et cette femme ont fait preuve d’une immense dignité. Ils ne répondent pas à la haine par la haine : ils affirment simplement la nécessité, pour la République, d’inclure et de protéger l’ensemble de ses citoyens de manière égale. (M. Jacques Oberti applaudit.) Tel est le sens de la présente proposition de loi.
L’antisémitisme a explosé depuis le 7 octobre : plus de 1 500 actes ont été recensés l’année dernière, soit deux fois plus que la moyenne durant ces dix dernières années ; 67 cas ont été signalés dans les universités entre 2022 et 2023, soit deux fois plus que l’année précédente. L’UEJF me rapportait qu’au-delà des délits qui sont répressibles par la loi, certains étudiants juifs se sentent exclus, isolés, assis parfois seuls dans les amphithéâtres, les autres étudiants refusant de s’installer à côté d’eux. Ce phénomène est absolument inadmissible en République et nous devons le combattre avec force. C’est aussi l’utilité de la proposition de loi, qui sert non seulement à changer les règles du jeu et à renforcer notre arsenal juridique et la prévention, mais aussi à faire passer le message suivant : nos compatriotes juifs sont chez eux en France.
L’article 1er du texte permet d’améliorer la sensibilisation à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme tout au long du parcours éducatif, ce qui constitue une avancée. Je rejoins les appels à la vigilance qui ont été formulés : il faudra naturellement que cela s’accompagne de décisions budgétaires cohérentes, afin de doter l’enseignement supérieur mais aussi la Dilcrah – la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT – des moyens nécessaires pour déployer cette action de prévention. Ce combat, nous le mènerons au moment des discussions budgétaires.
M. René Pilato
Avec le 49.3 ?
M. Romain Eskenazi
L’article 2 structure et renforce la prévention et le signalement en généralisant les missions « égalité et diversité » et en rendant obligatoire la désignation de référents dans chaque établissement. C’est nécessaire et bienvenu.
Mme Marie Mesmeur
Sans moyens !
M. Romain Eskenazi
Nous avons évidemment eu des débats sur l’article 3, qui, en l’état, ne nous satisfait pas totalement. Dans une assemblée morcelée, il faut toutefois, s’agissant de grandes causes, avoir le sens du consensus pour parvenir à se mettre d’accord. Nous avons obtenu l’essentiel, c’est-à-dire l’adoption de dispositions qui permettront de garantir une certaine vigilance quant à l’application de cet article. La section disciplinaire ne pourra être autosaisie par le recteur ; elle ne pourra l’être qu’à la demande du président de l’université, qui conserve donc son autonomie en la matière. Les faits extérieurs à l’université ne pourront être sanctionnés que s’ils sont en lien avec la vie universitaire. Surtout, grâce à un amendement du groupe socialiste – c’était notre plus grande crainte –, la sanction pour entrave « au bon déroulement des activités » de l’université a été supprimée de la proposition de loi. Enfin, la définition de l’antisémitisme établie par l’Ihra – l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste –, qui faisait polémique et pouvait ouvrir la porte à des dérives, a également été retirée du texte.
Je dois donc le dire, chers collègues du groupe La France insoumise : j’ai du mal à comprendre la justification de votre opposition au texte.
Mme Marie Mesmeur
On va vous expliquer !
M. Romain Eskenazi
Certes, nous regrettons que notre amendement visant à modifier le titre pour intégrer le combat contre l’antisémitisme au sein d’une lutte globale contre toutes les haines et toutes les discriminations n’ait pas été retenu. Néanmoins, dans le texte de loi lui-même, que ce soit à l’article 1er, à l’article 2 ou à l’article 3, cette lutte globale est bien mentionnée !
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Eh oui ! Il a raison !
M. Pierre Henriet, rapporteur
Très bien !
M. Romain Eskenazi
Je tenais le même discours ici même il y a quelques mois à propos de nos compatriotes musulmans, à l’occasion d’un débat sur le thème « Haine antimusulmans, islamophobie : qualification juridique et politiques publiques de lutte contre ces discriminations ». Universaliste parce que socialiste, je considère que toutes les formes de haine doivent être combattues et qu’un texte ne se résume pas à son titre.
Nous voterons donc pour cette proposition de loi visant à lutter non seulement contre l’antisémitisme mais aussi contre le racisme et toutes les formes de haine dans les universités, qui doivent rester des sanctuaires d’inclusion, de tolérance, de débat libre et d’émancipation intellectuelle pour toutes et tous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs des groupes EPR et Dem. – Mme la rapporteure, Mme Delphine Batho et M. Ian Boucard applaudissent également.)
M. Pierre Henriet, rapporteur
C’était limpide !
Mme la présidente
Avant de donner la parole aux deux derniers orateurs, je vous rappelle que la conférence des présidents a décidé qu’il serait procédé à un scrutin public sur l’ensemble de la proposition de loi.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Marie Mesmeur.
Mme Marie Mesmeur
Comme vous le savez, nous voterons contre ce texte et je vais être claire dès le départ : non, nous ne prenons pas à la légère la lutte contre l’antisémitisme, car oui, l’antisémitisme existe et oui, il doit être combattu fermement, dans les universités comme partout ailleurs dans la société ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) L’antisémitisme est ancien, persistant, dangereux. Il est un poison mortel, qui trouve notamment refuge dans les milieux d’extrême droite, dans des groupuscules étudiants soutenus par cette partie des bancs de l’assemblée. (L’oratrice désigne les bancs du groupe RN. – Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Que vous l’assumiez ou non, ce sont bien des militants du syndicat étudiant UNI – l’Union nationale inter-universitaire – qui font des saluts nazis dans les couloirs de nos facs. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Que vous l’assumiez ou non, c’est bien votre parti qui investit et soutient des candidats condamnés pour antisémitisme et négationnisme, et dont le président, Jordan Bardella, chante les louanges de Jean-Marie Le Pen. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
L’antisémitisme trouve aussi refuge au sein des manifestations de groupuscules d’extrême droite à Paris, qui sont autorisées et protégées par Bruno Retailleau. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) La France insoumise, elle, est et sera toujours là pour combattre l’ensemble des racismes et des discriminations. Ce sera toujours le cas, parce que nous défendons l’unité du peuple.
Parce que nous sommes humanistes, nous croyons en la dignité inaliénable de chaque être humain et nous refusons que quiconque soit stigmatisé, exclu ou attaqué en raison de sa présumée religion, de son origine ou de la couleur de sa peau. Parce que nous sommes universalistes, nous affirmons que les droits humains sont indivisibles et universels, qu’ils ne se hiérarchisent pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Parce que nous sommes républicains, nous défendons une République, laïque, sociale, qui protège tous ses enfants contre la haine, les racismes et l’ensemble des discriminations. (Mêmes mouvements.)
M. Ian Boucard
Laïque, c’est quand ça vous arrange !
M. Pierre Henriet, rapporteur
Dans les faits, ça ne se voit pas !
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Paroles !
Mme Marie Mesmeur
Parce que la fraternité est notre devise, nous faisons de la solidarité une force politique car nous aspirons à la révolution citoyenne, et celle-ci ne peut advenir si le peuple est divisé. C’est parce que nous prenons ce combat au sérieux que nous rejetons cette proposition de loi, qui n’est pas du tout un texte contre l’antisémitisme.
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Ah bon ?
Mme Marie Mesmeur
En effet, qu’y a-t-il concrètement dedans ? Aucune mesure de prévention,…
M. Pierre Henriet, rapporteur
La formation, ce n’est pas de la prévention ?
Mme Marie Mesmeur
…aucune augmentation de moyens pour les cellules antidiscrimination des universités. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Non ! Ce que vous proposez, ce sont des sanctions, des censures.
Mme Constance Le Grip, rapporteure
De la formation !
Mme Marie Mesmeur
Ne nous y trompons pas : ce texte vise autre chose que l’antisémitisme. Il vise les mobilisations étudiantes, les débats politiques, l’action syndicale. (Mêmes mouvements.)
M. Nicolas Sansu
Exactement !
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Pas du tout !
Mme Marie Mesmeur
À titre d’exemple, vous donnez les pleins pouvoirs aux recteurs, autrement dit à l’exécutif, pour sanctionner les actes et les mobilisations étudiantes qui ne leur conviendraient pas, faisant fi du principe de justice par les pairs cher à l’enseignement supérieur.
M. Pierre Henriet, rapporteur
Pas du tout ! C’est sur demande du président de l’université !
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Mensonge !
Mme Marie Mesmeur
Enfin, cette proposition de loi dote les chefs d’établissements de « pouvoirs d’investigation », que le gouvernement se garde bien le soin de définir par décret.
M. Pierre Henriet, rapporteur
C’est déjà dans le règlement !
Mme Marie Mesmeur
J’ai une seule question, collègues : quel est le rapport avec la lutte contre l’antisémitisme ? Le texte prévoit la sanction de « faits susceptibles de porter atteinte à l’ordre ou au bon fonctionnement de l’établissement », sans aucune précision. Qui interprétera cette formule volontairement floue ? Comment être certains qu’elle ne s’appliquera pas aux affichages, aux pétitions, aux sit-in, bref, à toutes les formes traditionnelles de mobilisation syndicale et étudiante ?
M. René Pilato
Eh oui !
Mme Marie Mesmeur
À nouveau, quel est le rapport avec la lutte contre l’antisémitisme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) La vérité, c’est que vous rêvez de transformer l’université en un espace aseptisé,…
M. Jean-Philippe Tanguy
Ah, si seulement !
M. Théo Bernhardt
Il y a de la marge !
Mme Marie Mesmeur
…où toute contestation pourrait être sanctionnée à la discrétion du pouvoir exécutif.
Maintenant, soyons clairs : assumez qu’en réalité, c’est la question palestinienne qui vous obsède ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – « Quelle honte ! » sur les bancs des groupes RN et EPR.)
Mme Constance Le Grip, rapporteure
C’est vous qui êtes obsédés !
Mme Marie Mesmeur
Ce sont les occupations pacifiques de facs, les tribunes d’étudiants, les mobilisations contre la guerre et les massacres à Gaza que vous cherchez à faire taire. Depuis des mois, vous accusez d’antisémitisme des étudiants, des chercheurs, des enseignants, des syndicalistes qui dénoncent la politique génocidaire de l’État d’Israël. (Applaudissements et exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Avec ce texte, vous créez une arme politique pour les disqualifier, les criminaliser, les censurer, parce que vous en avez peur. Vous ne vous attaquez pas à la haine, vous vous attaquez à la parole dissidente. Ce texte prétend lutter contre l’antisémitisme mais il aura l’effet inverse.
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Vous soufflez sur les braises !
Mme Marie Mesmeur
Il va radicaliser les tensions, contribuer à brouiller la frontière entre antisémitisme et critiques légitimes d’Israël. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) S’il fallait que ce texte soit efficace pour lutter contre les discriminations dans l’enseignement supérieur, pourquoi ne pas l’élargir à tous les racismes, sans les hiérarchiser ? (Mêmes mouvements.)
M. Jean-François Coulomme
Eh oui !
Mme Marie Mesmeur
Pourquoi ne pas augmenter les moyens financiers et humains pour ce faire ?
Ces propositions de bon sens, nous vous les avons faites ; vous les avez rejetées en commission, en séance et dans le huis clos de la commission mixte paritaire.
Collègues macronistes, votre bilan en matière de lutte contre les discriminations est lamentable. Les dizaines d’associations, de collectifs et d’institutions qui ont été auditionnés par le groupe d’études sur le racisme et les discriminations raciales ou religieuses déplorent votre désengagement financier et institutionnel sur le terrain. Vous vous contentez de coups de com’ et d’un affichage qui ne vous coûte rien car en réalité, vous n’avez pas l’ambition de lutter contre le racisme ; sinon, la première mesure qui s’imposerait serait sûrement de démettre l’agitateur de l’intérieur, Bruno Retailleau ! (Mêmes mouvements.)
Et voilà que vous présentez un texte d’inspiration trumpiste, qui fait l’unanimité contre lui dans la communauté universitaire…
M. Pierre Henriet, rapporteur
Pas du tout ! Où allez-vous chercher ça ?
Mme Marie Mesmeur
…et dans lequel l’instrumentalisation politicienne flirte avec la malhonnêteté intellectuelle – et vous le savez.
Mme Constance Le Grip, rapporteure
C’est vous qui êtes malhonnête intellectuellement !
Mme Marie Mesmeur
Votre loi pourra affecter les contestations étudiantes mais jamais elle n’étouffera la révolte, car la jeunesse qui se lève contre l’injustice ne se laissera pas réprimer : elle a le courage de ses idées et la force de sa colère. La France insoumise, universaliste, humaniste et républicaine, se tiendra à ses côtés ! (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Céline Calvez.
Mme Céline Calvez
Alors que notre société est traversée par de profondes tensions et que les discours de haine semblent trouver une place décomplexée dans l’espace public, nous avons le devoir d’agir avec responsabilité, détermination et lucidité. Nous devons agir là où la République est attendue : dans les universités, les écoles et les établissements d’enseignement supérieur, qui ne sont pas seulement des lieux de savoir mais doivent être les bastions de la citoyenneté, du respect et du vivre-ensemble.
Depuis les attaques du 7 octobre, notre pays connaît une recrudescence brutale et alarmante des actes antisémites, y compris dans les espaces universitaires. Cette réalité est à la fois glaçante et inacceptable. Ce texte nous permet d’y répondre par la loi, avec méthode, exigence et ambition. L’ambition en question s’est trouvée renforcée par les apports de la commission mixte paritaire : la proposition de loi en est sortie clarifiée, approfondie et enrichie. Elle n’est pas un simple signal politique : elle est devenue un cadre opérationnel et un outil concret pour l’ensemble de la communauté universitaire. Elle ne défend pas une minorité contre une autre ; elle ne cherche pas à opposer ; au contraire, elle protège, elle garantit, elle réunit. C’est la République dans ce qu’elle a de plus fondamental, puisqu’elle permet à chacun d’étudier librement, en sécurité, sans crainte et sans haine. (Brouhaha.)
Ce texte affirme clairement une ligne : la lutte contre l’antisémitisme, contre le racisme, contre toutes les formes de discriminations et de violences a toute sa place dans l’enseignement supérieur.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
Mme Céline Calvez
Et pour cela, il faut agir sur tous les leviers : l’information, la formation, la prévention, la sanction et le suivi. Cela passe d’abord par l’instauration d’un référent, qui, dans chaque établissement, sera chargé spécifiquement de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Il aura pour mission de structurer les politiques de prévention, de mieux accompagner les victimes et de renforcer les dispositifs de signalement, qui sont souvent méconnus ou inopérants. Ces référents seront adossés aux missions « égalité et diversité », qui sont de plus en plus généralisées à l’ensemble des établissements, qu’ils soient publics ou privés.
Cela passe ensuite par la création de parcours de formation obligatoires pour les personnels, pour les enseignants et pour les élus étudiants siégeant en section disciplinaire,…
M. Sylvain Maillard
Très bien !
Mme Céline Calvez
…ainsi que pour les membres de ces sections eux-mêmes. Le texte réaffirme à ce titre que la lutte contre la haine ne peut être efficace que si elle s’ancre dans une culture partagée.
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Elle a raison !
Mme Céline Calvez
En effet, apprendre à reconnaître, comprendre et déconstruire les préjugés est un préalable à toute action pérenne.
Mme Constance Le Grip, rapporteure
Très bien !
Mme Céline Calvez
Les procédures disciplinaires sont également renforcées, dans leur efficacité comme dans leur équité. Les actes antisémites, racistes ou discriminatoires sont désormais reconnus explicitement comme des motifs de saisine. (Brouhaha persistant.)
Mme la présidente
S’il vous plaît, chers collègues !
Mme Céline Calvez
Le texte garantit un meilleur accompagnement des victimes : elles seront tenues informées de l’état d’avancement des procédures et de leur issue, ce qui est essentiel. Une interdiction d’accès provisoire aux locaux pourra être décidée pour protéger les plaignants sans compromettre le suivi pédagogique. En outre – nouveauté majeure introduite en commission mixte paritaire –, des sections disciplinaires régionales dirigées par des magistrats pourront être constituées dans les cas les plus complexes.
Le texte que nous examinons renforce la culture de la responsabilité au sein des établissements. Il protège mieux, il structure mieux, il évalue mieux. Il ne s’agit pas seulement de mieux défendre ; il s’agit de construire une base robuste pour la protection de l’ensemble de nos jeunes citoyens,…
M. Thibault Bazin
Très bien !
Mme Céline Calvez
…de construire un texte fondateur qui dit à chaque étudiant, quelle que soit son origine, sa religion et son identité, qu’il a toute sa place à l’université et que la République sera toujours là pour le lui garantir.
Je sais, chers collègues, votre engagement pour en découdre avec les discours de haine et l’intolérance. Il nous revient maintenant de recoudre les liens distendus de notre société ; ce texte y participe pleinement. Aussi les députés du groupe Ensemble pour la République voteront-ils avec conviction en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur les bancs des commissions.)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, telle qu’elle est issue de la commission mixte paritaire.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 461
Nombre de suffrages exprimés 454
Majorité absolue 228
Pour l’adoption 366
Contre 88
(L’ensemble de la proposition de loi est adopté.)
(« Quelle honte pour la gauche ! » sur les bancs du groupe RN et sur quelques bancs des groupes EPR et DR.)
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinquante.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
2. Maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité
Suite de la discussion d’une proposition de loi
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive (nos 1148, 1640).
Discussion des articles (suite)
Mme la présidente
Hier soir, l’Assemblée a commencé l’examen des articles, s’arrêtant à l’amendement no 53 à l’article 1er.
Article 1er (suite)
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour soutenir l’amendement no 53.
M. Olivier Marleix, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Cet amendement tend à préciser le champ d’application de l’article L. 742-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) dans la rédaction retenue par la commission des lois, en mentionnant explicitement les décisions d’expulsion et d’interdiction administrative du territoire.
M. Olivier Marleix
Je propose en revanche de supprimer la mention des actes et des comportements terroristes, parce que ces faits sont déjà couverts par le critère de la menace d’une particulière gravité à l’ordre public.
Enfin, il est inutile de préciser que l’étranger fait l’objet d’une décision d’éloignement, parce que c’est nécessairement le cas des personnes placées en rétention administrative.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, pour donner l’avis du gouvernement.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Je suis favorable à cet amendement rédactionnel.
Mme la présidente
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Il ne s’agit pas simplement d’une petite modification du champ d’application de l’article, qui était déjà très problématique, puisque vous supprimez la mention des « activités à caractère terroriste pénalement constatées » – formule étrange, j’en conviens. Avec cet amendement, on se fiche de savoir s’il s’agit ou non d’actes de terrorisme : le critère de la menace d’une particulière gravité à l’ordre public suffira pour prolonger le maintien en rétention.
Pour poursuivre la discussion que nous avions entamée hier soir, je dirai que c’est bien là le problème d’une bonne partie de ce texte. Actuellement, on peut déjà expulser des personnes qui ont commis des crimes et des délits. Le délai de rétention est de 90 jours. Vous voulez le passer à 180, voire à 210 jours, pour tout le monde, en vous appuyant sur la notion de menace d’une particulière gravité à l’ordre public, parce que le reste est déjà couvert par le droit existant.
Cela signifie qu’un fiché S pourra désormais être envoyé en centre de rétention avant d’être expulsé. Comme nous l’avons démontré hier, ce texte étend le champ de l’arbitraire et du pouvoir administratif. Vous l’assumez et en donnez la démonstration la plus complète en présentant votre amendement, monsieur Marleix. C’est normal, vu que vous êtes de droite. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
(L’amendement no 53 est adopté ; en conséquence, les amendements nos 14 et 15 tombent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Mathieu Lefèvre, pour soutenir l’amendement no 42, qui fait l’objet du sous-amendement no 58.
M. Mathieu Lefèvre
Je n’imagine pas que cet amendement ne soit pas consensuel. Parmi les délits qui doivent conduire à un allongement de la durée de présence en centre de rétention administrative figurent les intimidations, les menaces et, a fortiori, les violences à l’endroit des personnes dépositaires de l’autorité publique.
Nous sommes près de cinq ans après le lâche assassinat, à l’issue d’un refus d’obtempérer, de Mélanie Lemée. Ces actes sont des coups de poignard portés au pacte républicain. La moindre des choses est de rendre hommage à nos héros du quotidien, qui sont aussi les héros de la République, et de mieux les protéger en inscrivant ces actes dans le champ de l’article.
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir le sous-amendement et donner l’avis de la commission sur l’amendement.
M. Olivier Marleix, rapporteur
Je suis favorable à l’amendement, sous réserve de l’adoption du sous-amendement.
L’amendement énumère par erreur une liste de personnes qui ne correspond pas exactement au champ de l’article L. 434-8 du code pénal. Il me paraît préférable de mentionner simplement l’article, sans viser spécifiquement certaines personnes, car cela en exclurait d’autres.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement sur le sous-amendement et sur l’amendement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.
Mme la présidente
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne
Nous voterons évidemment pour le sous-amendement du rapporteur et, s’il est adopté, pour l’amendement no 42.
Je voudrais dire à M. Lefèvre qu’il est macroniste dans toute sa splendeur, avec son « en même temps » : vous voulez protéger les forces de l’ordre – et vous avez raison –, mais je vous rappelle qu’en commission des lois, vous et votre groupe vous êtes associés à la France insoumise pour voter contre la proposition de loi tendant à rétablir les peines planchers pour les crimes et de délits commis contre les forces de l’ordre. Il faut être cohérent !
Si vous soutenez les forces de l’ordre, faites-le jusqu’au bout et ne mêlez pas vos voix à celles de la France insoumise. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. Charles Sitzenstuhl
Nous n’avons pas de leçons à recevoir de vous !
Mme la présidente
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Ces amendements montrent que l’objectif du texte est de punir une seconde fois et non d’accroître la probabilité d’expulsion d’une personne qui aurait commis un crime ou un délit. Vous dites : « Ah, mais ce délit-là aussi est particulièrement grave. Il faut donc l’inclure dans le champ de la disposition, pour allonger la durée de rétention à 180 jours et faire payer davantage le coupable, quand bien même il ne serait pas expulsé ensuite. »
En effet, les personnes qui ont commis les délits pointés par M. Lefèvre peuvent déjà faire l’objet d’une mesure d’expulsion dans le cadre du délai de 90 jours – mais si, en 12 jours, vous n’avez pas réussi à expulser quelqu’un, il est très probable que vous ne réussirez jamais et qu’il demeurera en rétention jusqu’au bout des 90 jours. Voilà la réalité.
Je m’étonne que d’autres collègues n’aient pas souhaité allonger la liste pour y inclure telle ou telle chose insupportable, inique ou scandaleuse. Par définition, le code pénal regorge de tels faits, puisqu’il prévoit de les condamner.
J’appelle les collègues à ne voter ni pour le sous-amendement ni pour l’amendement. Vous faites déjà suffisamment de dégâts comme ça : restons-en là, s’il vous plaît.
Mme Elsa Faucillon
Pourquoi ne pas ajouter les actes commis à l’encontre des pompiers, d’ailleurs ?
Mme la présidente
La parole est à M. Mathieu Lefèvre.
M. Mathieu Lefèvre
Je voudrais d’abord répondre à notre collègue du Rassemblement national qu’il est dommage de faire de la politique politicienne sur un sujet aussi grave. (M. Charles Sitzenstuhl applaudit.)
Mme Andrée Taurinya
On fait de la politique tout court !
M. Mathieu Lefèvre
Nous parlons là de gens qui sont les héros de la République : nous leur devons énormément, chaque jour.
J’aimerais dire amicalement au Rassemblement national…
Mme Elsa Faucillon
« Amicalement au Rassemblement national » ? Il est important que cela figure au compte rendu !
M. Mathieu Lefèvre
… que je ne sais pas où était Marine Le Pen entre 2017 et 2022, mais elle n’a pas voté toutes les augmentations importantes du budget du ministère de l’intérieur proposées notamment par Gérald Darmanin. Aujourd’hui, elle doit s’en mordre les doigts.
Un mot pour notre collègue Bernalicis : je suis navré, mais si, demain, la famille d’un policier ou d’un gendarme venait me dire que la personne qui a intimidé, menacé ou violenté ce dernier a pu être expulsée parce qu’elle a été placée plus de 90 jours en centre de rétention administrative, j’en serais heureux. Inversement, je ne saurais pas lui expliquer pour quelle raison j’aurais refusé de voter cette disposition. (M. Jean Moulliere applaudit.)
Mme la présidente
Je suis saisie de plusieurs demandes de scrutin public : sur l’amendement n° 5, par le groupe Socialistes et apparentés ; sur l’article 1er, par les groupes Rassemblement national, Ensemble pour la République et La France insoumise-Nouveau Front populaire.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Florent Boudié, président de la commission des lois
Monsieur Taverne, l’efficacité des peines planchers fait débat. C’est d’ailleurs pour cette raison que le groupe Ensemble pour la République – qui n’est lui-même pas tout à fait uni sur cette question – a refusé de voter pour les propositions de loi soumises par votre groupe, ou par d’autres, en la matière au cours des dernières années.
Je ne pense pas qu’il faille mélanger le débat que nous avons actuellement sur la rétention administrative avec la question, très importante, des peines planchers. Vous savez qu’à titre personnel je suis favorable à un autre dispositif, celui des peines minimales – qui ne concerne pas les cas de récidive –, mais nous aurons probablement l’occasion d’en discuter en commission des lois.
J’ai bien entendu l’avis favorable de M. le rapporteur. Il me semble que l’amendement est satisfait – je ne pensais pas vous le dire, cher Mathieu Lefèvre, car je n’étais pas sûr d’être au banc en cette fin d’après-midi – par l’article tel qu’il est rédigé par suite de l’adoption de l’amendement du rapporteur.
Mme Elsa Faucillon
C’est couvert par le cas des menaces d’une particulière gravité, par exemple !
M. Florent Boudié, président de la commission des lois
En effet, si les délits ciblés par l’amendement de M. Lefèvre ont fait l’objet d’une condamnation pénale, une interdiction du territoire français (ITF) aura généralement été prononcée. Or les ITF sont couvertes par les dispositions que nous avons adoptées en commission des lois. Dans le cas où une ITF, en tant que peine complémentaire, n’a pas été prononcée, nous nous trouvons dans le cadre de la menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.
D’ailleurs, la question qui avait été posée ici hier soir trouve ainsi une réponse : dans des cas bien précis, un délit peut, même si une condamnation pénale a déjà été prononcée, être ensuite qualifié de menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, ce qui donne lieu à une mesure administrative.
Par conséquent, même si votre amendement a une portée symbolique – qui est à mes yeux parfaitement légitime, cher collègue Lefèvre – et même si je comprends le point de vue du rapporteur, il me semble que votre demande est satisfaite.
(Le sous-amendement no 58 est adopté.)
(L’amendement no 42, sous-amendé, est adopté.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Hervieu, pour soutenir l’amendement no 5.
Mme Catherine Hervieu
Il vise à garantir le droit, pour les personnes placées en centre de rétention, de demander l’assistance d’un psychologue.
Si l’article L. 744-4 du Ceseda prévoit la possibilité de demander l’assistance d’un médecin, il apparaît nécessaire de faire de même pour les psychologues.
Une obligation existe déjà en la matière mais cette mesure n’est pas appliquée, et en premier lieu parce que les psychologues sont assez peu présents dans les CRA. Ils sont disponibles sur des plages horaires limitées et, souvent, il n’y a aucun interprète sur place. Le droit à un soutien psychique est donc rarement respecté.
Dans la rédaction de l’amendement, nous lions ce droit à l’augmentation de la durée de rétention. Il est en effet évident que plus celle-ci s’allonge, plus les personnes retenues sont en proie à des difficultés psychiques – on le comprend aisément.
D’ailleurs, depuis plusieurs années, les associations dénoncent la hausse des actes autoagressifs – grève de la faim, geste désespéré, tentative de suicide. Ces phénomènes augmentent lorsque la durée de rétention est élevée. Voilà pourquoi cette mesure a toute sa place dans le texte dont nous discutons.
On peut facilement comprendre la détresse liée à l’enfermement, l’angoisse de la privation de liberté, la peur de l’expulsion – autant de facteurs qui entraînent une hausse des incidents et des tensions. Dans son rapport d’activité de 2023, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté évoquait d’ailleurs l’« atmosphère de peur dans laquelle se multiplient incidents et violences ».
M. Ugo Bernalicis
Oui, elle n’était pas contente !
Mme Catherine Hervieu
Si la prise en charge de ces individus, y compris ceux qui ont commis un crime ou un délit, est absolument nécessaire, c’est donc aussi parce qu’elle s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la récidive. (M. Arnaud Simion applaudit.)
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Marleix, rapporteur
L’arrêté du 17 décembre 2021 relatif à la prise en charge sanitaire des personnes retenues dans les centres de rétention administrative prévoit déjà que, dans chaque CRA, est instituée une unité médicale rattachée à un établissement de santé ayant passé convention avec le préfet. Cet arrêté précise que « chaque unité médicale du centre de rétention comprend des temps de : médecins, infirmiers, pharmaciens, psychologues, secrétaires médicaux. […] L’accès à un psychiatre est assuré y compris en dehors des situations d’urgence. »
Il me semble que votre amendement, qui vise à garantir aux personnes retenues l’accès à des soins psychologiques et psychiatriques – une préoccupation légitime par ailleurs –, est satisfait par ce dispositif.
Avis défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je partage votre préoccupation, madame la députée. Cependant, votre demande est satisfaite par l’article L. 744-4 du Ceseda que vous-même avez cité. Vous avez précisé, à juste titre, que l’accompagnement psychologique n’était pas mentionné dans l’article lui-même mais le rapporteur vient de rappeler qu’une telle assistance était prévue par le décret du 17 décembre 2021. Je reprendrai un seul passage cité par M. le rapporteur : « L’accès à un psychiatre est assuré y compris en dehors des situations d’urgence. »
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
Mme la présidente
La parole est à Mme Andrée Taurinya.
Mme Andrée Taurinya
Mon groupe soutiendra cet amendement de repli ô combien essentiel.
Je ne suis pas sûre, monsieur le rapporteur et monsieur le ministre, que vous ayez visité récemment des CRA.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Si !
Mme Andrée Taurinya
Moi qui l’ai fait à plusieurs reprises, j’ai pu vérifier que ce qui était prévu sur le papier n’existait pas dans la réalité.
Mme Élise Leboucher
Eh oui !
Mme Andrée Taurinya
Ouvrez les yeux, déplacez-vous, allez voir comment les choses fonctionnent. Certes, il existe une unité sanitaire et il est prévu qu’un psychiatre en fasse partie, mais il n’y a pas de présence effective d’un psychiatre ou d’un psychologue. On a donc recours à des traitements qui peuvent être qualifiés de « camisoles chimiques ». (M. Antoine Léaument applaudit.) Ils provoquent des addictions et c’est à cause d’eux que les risques de suicide, évoqués par notre collègue, sont si élevés.
Vous imaginez que, grâce à cette proposition de loi, on va, comme par magie, en finir avec le viol alors que nous avons passé la soirée d’hier à vous expliquer que ce n’est pas ainsi que le problème serait résolu. Il faut d’abord assurer une présence effective des psychologues et des psychiatres afin de prévenir la récidive. Sinon votre dispositif ne sert à rien, sauf à faire de la démagogie – c’est d’ailleurs l’objectif principal du texte. (M. Antoine Léaument applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon
L’amendement de repli de Mme Hervieu est utile parce qu’il prévoit que, lorsqu’une personne apprend que son maintien en rétention est prolongé, elle se voit proposer une consultation en soins psychologiques. C’est important, car – vous vous en doutez – les fortes attentes liées à une telle décision placent la personne dans une situation de fragilité.
Je rejoins les propos de Mme Taurinya. Lors de ma dernière visite dans un centre de rétention administrative, j’ai constaté que le psychologue n’était pas présent chaque jour, en permanence, au sein de l’unité médicale. Sa présence se limite plutôt à quelques demi-journées dans la semaine.
À cause de cette situation, les personnels des centres de rétention se trouvent d’ailleurs dans une très grande difficulté. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.) En effet, ce que vous ne dites pas non plus, c’est que, plus encore qu’en prison, on envoie en centre de rétention des personnes qui devraient être accueillies dans des unités psychologiques ou réservées à des personnes atteintes de très graves troubles psychiatriques. Je me souviens, lors de ma dernière visite, d’un homme que les personnels ne pouvaient pas approcher et qui ne pouvait pas partager sa chambre – si toutefois on peut appeler ainsi un tel espace – avec quelqu’un d’autre. Il n’est pas nécessaire d’avoir suivi de longues études de psychologie pour se rendre compte qu’il n’avait pas sa place dans un tel lieu.
Une présence accrue de personnel qualifié est donc nécessaire afin de faire face à de telles situations. La dignité des personnes retenues dans ces centres l’exige mais le respect des personnels qui travaillent dans de telles conditions, et en sont fortement affectées, aussi.
M. Ugo Bernalicis
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault Bazin
J’ai écouté avec attention notre collègue Céline Hervieu défendre son amendement. On ne peut que la rejoindre lorsqu’elle évoque la nécessité de garantir l’accès aux soins psychiques dans les CRA.
Mme Elsa Faucillon
Eh bien, rejoignez-la !
M. Thibault Bazin
Or ce que prévoit l’amendement, c’est que le patient soit informé une nouvelle fois lorsque son maintien en rétention est prolongé. Dès lors que l’information est déjà prévue, comme l’a rappelé M. le ministre, je ne vois pas pourquoi cet amendement serait maintenu.
L’accès effectif aux soins est une vraie question. Plus largement, il nous faut un grand plan pour la santé mentale – érigée en grande cause nationale cette année –…
Mme Élise Leboucher
Avec quel budget ?
M. Thibault Bazin
…qui prenne en considération tous les publics et tous les lieux. C’est un véritable enjeu pour notre pays. Cependant, tel n’est pas l’objet de l’amendement.
L’amendement est considéré comme satisfait et une demande de retrait a été émise. Cependant, s’il est maintenu, mis aux voix et rejeté, il ne faudrait pas interpréter ce vote comme un refus de garantir l’accès aux soins psychiques.
Mme Elsa Faucillon
Dans ce cas, votez en sa faveur !
M. Thibault Bazin
Ce n’est pas le cas – je tiens à le préciser – et c’est pourquoi je préférerais que l’amendement soit retiré. Nous souhaitons, comme vous, que l’accès aux soins psychiques soit garanti sur l’ensemble du territoire, notamment dans les situations dont nous discutons en ce moment – mais tel n’est pas l’objet de l’amendement.
Mme la présidente
La parole est à Mme Stella Dupont.
Mme Stella Dupont
Je soutiens l’amendement de notre collègue Céline Hervieu. Pour avoir visité, régulièrement, de très nombreux centres de rétention administrative depuis 2017, je sais que le cadre de vie y est particulièrement pénible, que la souffrance psychique et psychiatrique y est très importante, tout comme d’ailleurs la violence engendrée par une situation d’enfermement qui n’est pas toujours comprise par certaines personnes retenues.
Selon moi, la perspective d’un allongement de la durée de rétention ne peut que renforcer ce phénomène, ce que confirment les agents des centres eux-mêmes.
M. Ugo Bernalicis
Eh oui ! On va les mettre en danger !
Mme Stella Dupont
Contrairement à ce qui a été dit, cet amendement me semble donc bienvenu parce qu’il est nécessaire de renforcer les soins psychiques, psychologiques et psychiatriques dispensés aux personnes retenues.
Mme la présidente
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Florent Boudié, président de la commission des lois
Sur le fond, incontestablement, l’amendement est satisfait – de surcroît, une telle mesure relève du domaine réglementaire.
Cependant, avec cet amendement, Mme Hervieu lance un débat que nous aurons probablement dans les prochains mois – le plus tard possible, j’espère – à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi sénatoriale qui vise à évincer les structures associatives des CRA, au sein desquels elles jouent un rôle en matière non seulement de gestion mais aussi d’accompagnement et de formation, notamment juridique, des personnes retenues.
Pour rebondir sur les propos de M. Bazin, je tiens donc à signaler que si, à l’avenir, la représentation nationale décidait d’écarter de la gestion des CRA les structures bien connues que sont France terre d’asile ou la Cimade, entre autres, pour confier cette responsabilité à l’OFII, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, comme le prévoit la proposition de loi que j’ai évoquée et qui a été adoptée à une large majorité au Sénat il y a quelques semaines, nous rendrions très difficile le nécessaire accompagnement en matière d’information juridique et de détection, notamment, des troubles psychologiques dont souffrent, de manière parfois très visible, les personnes retenues.
M. Antoine Léaument
Il a raison !
M. Thibault Bazin
Ce n’est pas tout à fait ce que j’avais dit !
M. Florent Boudié, président de la commission des lois
Certes, monsieur Bazin, mais j’ai bien précisé qu’il s’agissait d’un rebond. Or un rebond ne suppose pas forcément une symétrie. Disons que je me situe à l’intérieur de la courbe ! (Sourires.)
Je tenais simplement à souligner le rôle important joué par les structures associatives dans les CRA. C’est un point sur lequel il convient que nous soyons extrêmement vigilants. Il faut absolument veiller à maintenir ce dispositif – quitte à l’améliorer, bien sûr. D’ailleurs, dans son rapport de janvier 2024, la Cour des comptes avait formulé plusieurs préconisations, notamment en matière de gestion financière des marchés publics, celle-ci étant assurée par les structures associatives.
Mme la présidente
La parole est à Mme Céline Hervieu.
Mme Céline Hervieu
Merci à tous pour vos contributions.
Si vous considérez que l’amendement est satisfait, adoptons-le ! L’enjeu est d’assurer l’effectivité de ce droit. En inscrivant une telle disposition dans la loi, nous apporterions une garantie légale qui consacrerait le droit de ces personnes à qui l’on annonce une mauvaise nouvelle – la prolongation de leur durée de rétention –, qui peut affecter leur santé psychique, à avoir accès à un psychologue.
Voter pour l’amendement serait le signe que vous vous souciez réellement de l’efficacité de l’allongement de la durée de rétention en vue de lutter contre la récidive – ce qui, en général, n’est pas garanti sans soins psychiques. Il faut donc inscrire ce droit dans la loi, à charge pour nous, ensuite, d’en garantir l’effectivité. Cela empêcherait qu’on puisse l’annuler par un simple décret et que nous soyons à la merci d’un gouvernement qui, par démagogie ou parce qu’il est opposé au principe de l’accès aux soins pour les personnes en exil, veuille le supprimer. Je rappelle que nous parlons ici d’une population extrêmement vulnérable, souvent polytraumatisée et dont les parcours de vie peuvent être dramatiques. Pour elle, l’accès aux soins est fondamental, a fortiori dans les centres de rétention administrative. Donc n’ayons pas peur et inscrivons-le dans la loi ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, LFI-NFP et GDR. – M. Jérémie Iordanoff applaudit également.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 5.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 116
Nombre de suffrages exprimés 116
Majorité absolue 59
Pour l’adoption 41
Contre 75
(L’amendement no 5 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’article 1er, tel qu’il a été amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 115
Nombre de suffrages exprimés 115
Majorité absolue 58
Pour l’adoption 74
Contre 41
(L’article 1er, amendé, est adopté.)
Article 2
Mme la présidente
Je suis saisie de plusieurs demandes de scrutin public : sur les amendements no 6 et identiques ainsi que sur l’article 2 par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire ; sur le sous-amendement no 59, par le groupe Ensemble pour la République.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
L’article 2 est conforme à la philosophie globale de la proposition de loi. Vous expliquez vouloir allonger la durée de rétention pour les personnes jugées extrêmement dangereuses. Or cet article autorise le maintien en rétention sur un simple soupçon, puisqu’il étend le caractère suspensif automatique de l’appel interjeté contre une décision mettant fin à la rétention administrative aux personnes susceptibles de causer des troubles particulièrement graves à l’ordre public. Je vous pose la même question qu’hier : qui décide du fait qu’il y a risque de trouble à l’ordre public, sinon l’autorité administrative ?
C’est tout le problème de cet article, qui n’introduit aucun contre-pouvoir suffisant face au pouvoir exécutif. Je vous ai rappelé, hier, le sens de la Révolution française, née de la volonté de combattre un pouvoir exécutif arbitraire. Or c’est bien de ce dernier que relève cette disposition, dont vous considérez qu’elle peut s’appliquer à certaines personnes parce qu’elles sont étrangères, alors qu’elle ne s’applique pas aux Français. Vous introduisez donc une discrimination dans la loi, sur la base du seul critère de nationalité, ce qui n’est pas conforme à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui proclame que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » – « les hommes », pas « les Français ».
Votre proposition de loi est anticonstitutionnelle, elle ne respecte pas la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et elle est n’est pas républicaine. C’est la raison pour laquelle nous proposerons un amendement de suppression de l’article 2.
Je profite des quelques secondes qu’il me reste, monsieur le ministre de l’intérieur, pour vous dire que vous êtes hors la loi puisque, le 1er juin dernier, vous étiez censé nous remettre un rapport sur l’immigration, rapport que vous ne nous avez pas remis mais dont Le Figaro a toutefois publié certains éléments. J’aimerais comprendre pourquoi Le Figaro est informé et non la représentation nationale. (M. Emmanuel Fernandes applaudit.)
Mme la présidente
Je suis saisie de quatre amendements identiques, nos 6, 18, 33 et 44, tendant à supprimer l’article.
La parole est à Mme Céline Hervieu, pour soutenir l’amendement no 6.
Mme Céline Hervieu
Je pense que vous l’avez compris : nous sommes opposés à ce texte de loi, qui relève du pur affichage politique sans résoudre réellement le problème de l’effectivité des mesures d’éloignement. Depuis quinze ans, on ne cesse d’augmenter la durée de rétention sans pour autant mieux parvenir à expulser les personnes en situation irrégulière qui ont commis des crimes ou des délits.
L’article étend l’effet suspensif en cas d’appel interjeté par le préfet contre une décision du juge des libertés et de la détention (JLD), chaque fois qu’un étranger serait visé par une mesure d’éloignement. Cet effet suspensif vient s’opposer à la décision du juge, qui, lui, ne prend pas sa décision sans motivation.
C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article.
Mme la présidente
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 18.
M. Ugo Bernalicis
J’ajoute un argument supplémentaire. Vous nous avez servi tout un laïus sur le fait que le prolongement de la rétention serait évidemment constaté par un juge de l’autorité judiciaire, le juge des libertés et de la détention, chargé de vérifier la régularité des critères fondant la décision, notamment le trouble à l’ordre public d’une particulière gravité. Cela devait être de nature à nous rassurer sauf que, si le juge décide que ces critères ne sont pas respectés et demande la remise en liberté, vous lui opposez l’article 2, qui rend l’appel suspensif : le JLD, vous l’aimez bien quand il va dans votre sens, moins quand il veut libérer des gens parce que la loi, aussi scandaleuse soit-elle, aurait été mal appliquée…
Il me semble que nous avons eu, il y a quelques jours, un débat sur les effets d’un appel et sur le fait de savoir ce qu’il en était de l’exécution provisoire d’une décision contre laquelle il avait été interjeté appel. Nous sommes ici dans une situation différente, mais le raisonnement est le même. J’ignore la position du Rassemblement national mais je suis sûr que sa curiosité doit être piquée et je ne doute pas qu’il se rangera, comme chaque fois, du côté de l’appel suspensif. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Andrée Taurinya
Ils n’écoutent pas !
Mme la présidente
La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour soutenir l’amendement no 33.
Mme Elsa Faucillon
Nous demandons la suppression de cet article, qui va dans le même sens que l’ensemble du texte de loi et détourne le centre de rétention de son emploi légal pour en faire une prison bis, en instillant l’idée que le fait d’être en situation irrégulière et de faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sont des raisons suffisantes pour voir prolongé son maintien en centre de rétention, sans qu’il soit tenu compte des possibilités raisonnables d’expulsion, lesquelles sont pourtant déterminantes pour le placement en CRA. Progressivement, vous minimisez leur importance et grignotez les garanties procédurales qui doivent accompagner la rétention, comme avec cet article 2, qui étend les pouvoirs du préfet et qui, faute de garde-fou, pourrait conduire à une utilisation abusive de la rétention administrative en la transformant en outil de gestion de la politique sécuritaire, au lieu de ce qu’elle est censée être : un moyen de garantir l’exécution des mesures d’éloignement. (M. Antoine Léaument applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l’amendement no 44.
M. Jérémie Iordanoff
Nous souhaitons la suppression de cet article parce qu’il remet en cause l’indépendance de l’autorité judiciaire, telle qu’elle est garantie par l’article 66 de la Constitution, qui dispose : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »
En l’espèce, alors que l’autorité judiciaire a jugé que la rétention était illégale, le préfet pourrait contester sa décision, ce qui constitue bien une remise en cause du principe de séparation des pouvoirs. Or on ne peut accepter que l’exécutif revienne d’une quelconque manière sur une décision de justice.
M. Antoine Léaument
Très bien !
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements de suppression ?
M. Olivier Marleix, rapporteur
Aujourd’hui, l’appel suspensif s’applique aux étrangers soumis au régime dérogatoire pouvant porter la rétention administrative jusqu’à 210 jours pour terrorisme. De même que l’article 1er que nous venons d’adopter élargit ce régime dérogatoire à d’autres étrangers dangereux, l’article 2 étend à ces mêmes étrangers dangereux l’appel suspensif.
La possibilité de faire appel n’a rien d’invraisemblable. On parle ici de gens considérés comme dangereux par l’autorité administrative, du fait de leur passé judiciaire ou de l’OQTF dont il font l’objet, et dont il faut éviter qu’ils soient remis en liberté du jour au lendemain, le temps que l’appel soit tranché, sachant qu’il le sera dans les soixante-douze heures,…
M. Antoine Léaument
Et alors ?
M. Olivier Marleix, rapporteur
…si bien que l’effet suspensif est extrêmement limité et qu’il est proportionné.
Monsieur Iordanoff, permettez-moi de vous corriger sur un point : ce n’est pas le préfet qui fera appel, c’est un magistrat, le procureur, car c’est le parquet qui fait appel – nous allons d’ailleurs examiner un amendement qui tend à étendre ce pouvoir au préfet, mais je pense qu’il n’est pas constitutionnel.
Quoi qu’il en soit, nous sommes défavorables à la suppression du caractère suspensif de l’appel interjeté par le ministère public, dans le nouveau périmètre adopté avec l’article 1er.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
J’ai bien sûr le même avis que le rapporteur, mais je souhaiterais répondre à Mme Hervieu et à Mme Faucillon.
Vous avez parlé d’effectivité : ce n’est pas la première préoccupation de ce texte ; sa première préoccupation, c’est de protéger nos compatriotes d’individus dangereux.
M. Ugo Bernalicis
Ah ? Ce n’est pas de procéder à des expulsions ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Dans le cas de Philippine, si cette disposition avait déjà été votée, le préfet aurait automatiquement fait appel, ce qui aurait permis d’obtenir dans les temps le laisser-passer consulaire.
Mme Ségolène Amiot
C’est donc bien le préfet qui fera appel !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
L’effectivité, c’est une chose, mais notre objectif primordial est la protection des Français.
Quant au mécanisme juridique, un appel est, par principe, suspensif. Ce principe connaît aujourd’hui deux exceptions : une première qui est à la main du procureur et une autre qui est à la main et du préfet et du procureur, dans les cas de terrorisme.
Mme Ségolène Amiot
C’est le préfet ou le magistrat qui fait appel ? Il faudrait vous mettre d’accord avec le rapporteur !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Ce que nous proposons ici, c’est simplement d’élargir le cadre de cette seconde exception au-delà du champ du terrorisme, aux personnes visées par l’article 1er. C’est très robuste et de nature à renforcer la protection de nos compatriotes.
Mme la présidente
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne
Ne vous inquiétez pas, monsieur Bernalicis, nous nous opposerons à tous les amendements de suppression que vous avez déposés sur chaque article.
M. René Pilato
Nous ne sommes pas inquiets !
M. Michaël Taverne
Nous serons là pour vous contrer, car nous avons bien compris que la gauche veut systématiquement libérer les détenus (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP),…
Mme Ségolène Amiot
Ils ne sont pas détenus, ils sont retenus !
M. Michaël Taverne
…qu’elle veut également libérer les étrangers retenus en centre de rétention administratif du fait de leur dangerosité et du fait qu’ils ont été condamnés et peuvent récidiver. Comme d’habitude donc, vous avez beaucoup plus de compassion pour les voyous que pour les honnêtes gens ! (« Eh oui ! » et applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme Andrée Taurinya
Arrêtez la caricature !
M. Ugo Bernalicis
Qu’en dites-vous, voyous ?
M. Emmanuel Fernandes
Eh oui ! C’est vous les voyous !
M. Michaël Taverne
Le but de ce texte est de protéger les Français.
Que répondez-vous à la gauche danoise, qui a prévu une durée de rétention illimitée pour les étrangers ? (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Mme la présidente
Laissez l’orateur s’exprimer, s’il vous plaît !
M. Michaël Taverne
Pour ma part, j’y vois le fait qu’elle est bien plus connectée au réel que vous ne l’êtes.
Quoi qu’il en soit, ne vous inquiétez pas, pour défendre chaque texte qui vise à protéger les Français, avec Marine Le Pen, nous serons toujours là. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – «Rendez l’argent ! » sur les bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
------------------Cette partie de la séance est en cours de finalisation---------------------------------------------
Mme la présidente
La parole est à M. Jordan Guitton.
M. Jordan Guitton
Le groupe Rassemblement national soutient l’article 3. Il nous paraît important de simplifier le maintien en rétention des étrangers dangereux, autant en élargissant les motifs de la rétention qu’en simplifiant les procédures relatives aux durées de celle-ci.
L’extrême gauche évoque les personnes en situation de vulnérabilité.
M. Gabriel Amard
Il n’y a pas d’extrême gauche !
M. Jordan Guitton
De qui parle-t-on, en l’occurrence ? De personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité. Les alinéas de l’article 1er que nous avons votés sont très intéressants, à cet égard, puisqu’ils évoquent les étrangers condamnés pour crime contre l’humanité, crime contre l’espèce humaine, meurtre, assassinat, empoisonnement, pour des crimes et des délits de violence, de viol, d’agression sexuelle, de trafic de stupéfiants, et j’en passe – je ne vais pas tout énumérer. Il ne s’agit donc pas de personnes en situation de vulnérabilité : il s’agit d’individus présentant un risque de trouble à l’ordre public, un danger pour nos compatriotes ainsi que de forts risques de récidive. (Mme Nadine Lechon applaudit.) Je vous invite à lire les textes que nous examinons et à ne pas amalgamer tous les étrangers condamnés par la justice : nous parlons bien de ceux qui sont condamnés pour des faits d’une particulière gravité.
M. Antoine Léaument et Mme Ségolène Amiot
Ou qui constituent une menace !
M. Jordan Guitton
La protection des Français est bien notre obsession, monsieur le ministre, c’est pourquoi nous irons dans votre sens. Si ce texte était adopté, comme nous le souhaitons, le nombre de personnes placées en CRA augmentera mécaniquement. C’est mathématique et le but, me semble-t-il, de la proposition de loi. Or la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) prévoit jusqu’à 3 000 places supplémentaires en CRA – grâce à un amendement du collègue Éric Ciotti voté sous la XVIe législature. Respecterez-vous cet engagement ? Ces places seront-elles créées d’ici à 2027 ? Nous aimerions récupérer le pays dans le meilleur état possible. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Erwan Balanant
Ils pensent avoir déjà gagné, c’est le syndrome Balladur !
Mme la présidente
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
En commission des lois, nous avons, autant que possible, avancé des principes et des valeurs. Le seul moyen de parvenir à vous convaincre est peut-être de susciter votre empathie : accepteriez-vous pour vous-même, vos enfants, votre famille, vos proches, les lois que vous préparez pour les étrangers ? Contrairement à ce que dit le Rassemblement national, le présent texte n’est pas destiné aux personnes condamnées.
M. Jordan Guitton
C’est pourtant son titre !
M. Antoine Léaument
Normalement, les personnes condamnées ont exécuté une peine de prison. Soit vous considérez que la prison ne sert à rien, qu’elle n’est pas efficace et qu’elle encourage la récidive – nous pourrions d’ailleurs en discuter car nous pensons effectivement que la prison crée de la violence et que les personnes en sortent encore plus délinquantes et criminelles qu’elles ne l’étaient en y entrant. Soit vous considérez que la prison est utile, et l’on peut alors se demander pourquoi vous souhaitez placer une personne en centre de rétention après qu’elle a été condamnée. Tout cela n’a aucun sens.
M. Jordan Guitton
Si, protéger les Français !
M. Antoine Léaument
« Protéger les Français » ? En disant cela, vous tombez dans le panneau ! Les étrangers qui sortent de prison seraient-ils donc, selon vous, plus dangereux que les Français dans la même situation puisque vous ne voulez pas leur appliquer les mêmes lois ? Comment pouvez-vous ensuite être choqués que l’on vous présente comme xénophobes ? C’est la définition même de la xénophobie : la peur irrationnelle vis-à-vis des étrangers, dont vous témoignez en permanence.
Pour notre part, nous soulignons simplement l’importance de traiter des causes de la criminalité et de la délinquance, car ces dernières ne viennent pas de nulle part : elles résultent d’une violence, parfois sociale, subie par les gens ; raison pour laquelle nous évoquons les personnes vulnérables. Quand l’État crée lui-même des situations d’irrégularité, la responsabilité en incombe à l’État.
Mme la présidente
La parole est à Mme Céline Hervieu.
Mme Céline Hervieu
Le groupe Socialistes et apparentés est opposé à l’article 3, mais je souhaite revenir sur l’article 2 bis, que nous venons de voter. Cet article, qui modifie l’article L. 741-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, concerne bien tous les étrangers. Depuis le début de la discussion, vous ne faites pourtant qu’expliquer que seuls les étrangers les plus dangereux seront concernés par le texte. Mais l’article 2 bis, introduit en commission des lois, concerne bien l’ensemble de ceux qui pourraient être placés en centre de rétention administrative – c’est un réel problème, et potentiellement un cavalier législatif qui sera, espérons-le, censuré par le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, EcoS et LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Monsieur Guitton, en ce qui concerne 2027, ne vendez pas la peau de l’ours, on ne sait jamais…
Nous respecterons la Lopmi et l’engagement de porter à 3 000 le nombre de places supplémentaires en CRA, mais nous le ferons une marche budgétaire après l’autre.
M. Jordan Guitton
Je le note !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Comme je l’ai dit hier lors de la présentation du texte, nous ouvrirons en effet trois nouveaux centres d’ici à quelques mois : à Dunkerque, à Bordeaux et à Dijon ; puis d’autres, à Nantes, Béziers, Oissel, Périchet, Luynes… Pour tenir cet objectif, voire le dépasser, nous travaillons actuellement à l’extension des CRA existants, dont nous possédons les terrains, afin qu’ils fonctionnent au maximum de leur capacité de 140 places, grâce à des bâtiments modulaires.
Mme Élise Leboucher
Ce n’est pas encore acquis !
Mme la présidente
Je suis saisie de quatre amendements identiques nos 8, 20, 35 et 47, tendant à supprimer l’article 3.
La parole est à Mme Céline Hervieu, pour soutenir l’amendement no 8.
Mme Céline Hervieu
Nous voulons en effet supprimer cet article qui vise à réorganiser la procédure des prolongations de la durée de la rétention administrative de droit commun. Bien que la durée maximale de la rétention ne change pas, force est de constater que le dispositif est considérablement durci. La fusion des prolongations possibles allégera certes la tâche de l’administration, mais les personnes visées connaîtront un allongement de leur durée de rétention : le confort de l’administration prime la liberté individuelle, en quelque sorte.
Il est important de souligner, comme l’a fait notre collègue Peio Dufau, que la grande majorité des agents des centres de rétention sont opposés au présent texte, parce qu’ils constatent au quotidien les effets du durcissement des conditions de rétention sur leur qualité de vie au travail, et sur leur environnement de travail, qui n’est pas adapté à des durées de rétention supérieures à quelques jours. Un régime dérogatoire est censé rester exceptionnel, et non entrer dans le droit commun pour s’appliquer potentiellement à tous. Les CRA ne sont pas faits pour cela ; il suffit d’en visiter pour s’en apercevoir. Je tiens à défendre la parole de ces agents, qui font un travail remarquable, difficile, auprès d’un public fragilisé, et, j’y insiste, qui sont opposés à la prolongation des durées de rétention. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Steevy Gustave applaudit également.) Vous qui, sur les bancs de la droite, défendez toujours les personnes qui travaillent pour garantir la sécurité de nos compatriotes, écoutez-les, pour une fois ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Andy Kerbrat applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Antoine Léaument, pour soutenir l’amendement no 20.
M. Antoine Léaument
Monsieur le ministre, vous n’avez pas répondu à ma question ! Vous êtes hors la loi. (M. Sylvain Maillard rit.) Au titre de l’article L. 123-1 du Ceseda, le gouvernement est censé remettre au Parlement un rapport sur l’immigration avant le 1er juin de chaque année. Je vous avais posé une question en ce sens en octobre 2024 au sujet du précédent rapport, que nous n’avions pas reçu non plus. Pourquoi ne voulez-vous pas nous le transmettre ? Vous avez pourtant évoqué dans Le Figaro quelques-uns de ses éléments, avançant notamment l’idée que le nombre de titres de séjour de longue durée aurait beaucoup baissé. Ah bon ? Vous comptez donc créer des titres de séjour de courte durée en plus grand nombre ? Vous évoquez aussi dans ce journal la diminution du nombre de naturalisations. Est-ce pour vous un motif de fierté, d’avoir moins de gens qui deviennent Français ?
M. François-Xavier Ceccoli
Oui !
M. Antoine Léaument
Je considère pour ma part que ce n’est pas aimer la France que de refuser la naturalisation à des personnes qui voudraient devenir Françaises et qui devraient pouvoir le devenir.
M. Thibault Bazin
S’ils ne remplissent pas les conditions…
M. Antoine Léaument
Vous êtes donc hors la loi, monsieur le ministre, et j’aimerais savoir pourquoi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour soutenir l’amendement no 35.
Mme Elsa Faucillon
Nous l’avons dit à plusieurs reprises : allonger la durée de rétention est inefficace. La durée moyenne de rétention n’a jamais été aussi élevée. Vous proposez de l’augmenter encore, alors que les éloignements ont diminué et que, comme nous le répétons, la très grande majorité des mesures d’expulsion se concrétisent dans les premiers jours de rétention. Au-delà de l’utilité, il faut aussi évoquer le coût ; or le choix d’une proposition plutôt que d’un projet de loi nous prive d’étude d’impact afin de l’estimer. La Cour des comptes considère qu’il est très élevé : 602 euros par jour et par personne retenue. Aux coûts directs, il faut en outre ajouter tous les coûts indirects : les audiences judiciaires, les recours, les escortes, la mobilisation d’un personnel de plus en plus éprouvé. Alors même que vous savez que l’allongement de la durée ne permettra pas d’améliorer le taux d’éloignement, alors même que vous dites incapables de trouver de nouvelles recettes ailleurs que dans les poches des salariés et des retraités, vous proposez une mesure coûteuse qui n’aura pas les effets escomptés. Au bout du compte, chaque éloignement coûtera de plus en plus cher à la collectivité.
M. Thibault Bazin
Il faudrait surtout que les éloignements soient effectifs !
Mme Elsa Faucillon
J’aimerais vous entendre à ce sujet.
Mme la présidente
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l’amendement no 47.
M. Jérémie Iordanoff
L’article 3 symbolise bien l’hypocrisie de ce texte, un texte d’affichage et dépourvu d’étude d’impact. Les seuls chiffres à peu près fiables sont fournis par la Cimade et montrent bien, comme l’a dit notre collègue Faucillon, que les expulsions ont lieu dans les premiers jours. Ce n’est donc pas parce que vous allongez la durée de rétention de dix, quinze, vingt ou cent jours, que vous expulserez davantage d’étrangers. Cet article supprime par ailleurs le contrôle exercé par le juge des libertés et de la détention. Philosophiquement, rien ne va : allonger sans raison les délais coûtera cher à la société ; après être restées plus longtemps en CRA, les personnes en sortiront dans un état psychologique dégradé ; on ne sait pas si une telle mesure est efficace, et l’on supprime en outre le contrôle du JLD. Bref il n’y a vraiment rien qui va. Il faut évidemment supprimer l’article.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Marleix, rapporteur
L’article 3 a été introduit par lai commission des lois du Sénat à l’initiative de sa rapporteure, Lauriane Josende. Il vise à fusionner les deux dernières prolongations d’une durée de quinze jours en une seule prolongation de trente jours. Si l’on considère le régime dérogatoire de 210 jours de rétention pour certains individus dangereux, cela signifie que l’étranger qui arrive au début de la première des deux dernières prolongations a déjà été présenté six fois au juge des libertés et de la détention, et qu’il s’apprête à lui être présenté une septième fois ! La question est de savoir si, entre la septième et la huitième présentation, des éléments nouveaux peuvent survenir. La Cour de cassation vient de la trancher en modifiant l’état du droit.
Dans le drame qui a conduit au meurtre de la jeune Philippine, le JLD avait – tout en reconnaissant que l’individu qui allait commettre le meurtre était toujours potentiellement dangereux –, refusé de prolonger sa deuxième période de quinze jours de rétention, au motif qu’il n’était fait état d’aucun comportement de l’intéressé constituant une menace au cours des quinze jours précédents. Il s’est donc senti contraint par la loi de remettre le futur tueur – qui avait déjà un casier judiciaire – en liberté. Il ne faut pas laisser cette situation se reproduire. Du reste, la présentation au juge implique une extraction judiciaire par des fonctionnaires du ministère de l’intérieur, et le travail du magistrat lui-même, alors même que le dossier ne contient aucun élément nouveau. Nous considérons, comme le Sénat, que les dispositions en vigueur ne sont plus ni adaptées ni efficaces et qu’il faut donc simplifier le séquençage des durées de prolongation. Cette évolution est bienvenue, raison pour laquelle je suis défavorable aux amendements de suppression.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Le dispositif est double : il aligne les motifs des troisième et quatrième prolongations de la durée de rétention administrative sur ceux de la deuxième prolongation ; il fusionne les deux dernières prolongations – celle qui intervient après le 60e jour et celle qui intervient après le 75e jour – en une seule prolongation de trente jours.
En ce qui concerne les motifs de la rétention, l’intention du législateur était claire : il fallait tenir compte du risque de trouble à l’ordre public. Les tribunaux l’ont méconnue. La Cour de cassation a dès lors redressé la jurisprudence issue des tribunaux de première instance. Ce que nous vous proposons revient à enregistrer dans la loi cette décision de la Cour de cassation du 9 avril 2025, afin d’assurer l’effectivité de ce que le législateur entendait établir.
La fusion des deux dernières prolongations de la rétention constitue une simplification. Mme Faucillon posait la question du coût. Or cette mesure permettra de réaliser des économies, en évitant des audiences supplémentaires et en limitant les extractions qui sont à la fois coûteuses, très consommatrices de personnel et susceptibles de présenter des risques, comme l’actualité récente a pu le montrer.
Mme Elsa Faucillon
Cela ne fera pas d’économies !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Le régime français en la matière est l’un des mieux encadrés et des plus protecteurs parmi les régimes européens.
M. Thibault Bazin
Il a raison !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Il l’est tellement que, malgré la fusion de ces deux phases de rétention et malgré la prise en compte, dans la justification de la rétention, des menaces à l’ordre public, le juge pourra toujours intervenir en fonction des événements, de fait et de droit, et se prononcer. L’encadrement judiciaire du dispositif est donc très strict ; c’est pourquoi je donne un avis défavorable. Il faut conserver ce qui a été adopté par la commission des lois du Sénat.
M. René Pilato
Et le rapport sur l’immigration ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Il sera transmis dans quelques semaines !
M. Ugo Bernalicis
Avant la censure, tout de même ?
Mme la présidente
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne
Nous voterons contre ces amendements de suppression. En effet, il n’y a jamais eu, en France, un si fort encadrement de la rétention administrative que depuis la directive européenne du 16 décembre 2008 relative au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, qui autorise la rétention jusqu’à dix-huit mois. En Allemagne, c’est cette durée qui s’applique. En Belgique, elle est de huit mois. Dans d’autres pays, qui sont pourtant démocratiques – ni fascistes, ni xénophobes, ni d’extrême droite, quelles que soient les caricatures que vous pouvez en faire –,…
M. Antoine Léaument
Nous ne caricaturons pas, nous décrivons !
M. Michaël Taverne
…comme le Danemark, où la gauche est au pouvoir, la durée de rétention est illimitée. (Mme Elsa Faucillon s’exclame.)
Au Danemark, la gauche au pouvoir conditionne les aides sociales. Le ministre de l’immigration danois, qui est, j’y insiste, de gauche, considère que les demandes d’asile doivent être déposées dans le pays d’origine ou dans l’un des pays de transit. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN. – MM. Gabriel Amard et René Pilato s’exclament.) Ils sont beaucoup plus en prise avec la réalité que vous !
Je ne vois plus le collègue qui évoquait le CRA de Hendaye – il a dû partir après s’être exprimé juste ce qu’il fallait pour faire sa vidéo.
M. Nicolas Sansu
Oh !
M. Erwan Balanant
Madame la présidente ! On laisse tout passer !
M. Michaël Taverne
Il n’est pas là ! J’aurais voulu lui répondre ; je connais bien le CRA de Hendaye. Ce collègue a à la fois tort et raison : les policiers critiquent les CRA parce qu’ils n’ont pas voulu devenir policiers – dont la mission est d’assurer la sécurité des biens et des personnes – pour finalement se retrouver à faire du gardiennage avec des moyens très limités. Cela pose la question de l’externalisation de la gestion de ces CRA. Nous voterons contre ces amendements. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
Merci, monsieur le député, la vidéo est terminée ! (MM. Erwan Balanant et Sylvain Maillard rient.) La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Thibault Bazin
Qui est aussi un expert en vidéo !
M. Antoine Léaument
Nous avons obtenu au moins une information : M. Retailleau nous communiquera un rapport sur l’immigration dans quelques semaines, au milieu de l’été, une fois achevé l’examen du texte sur le même sujet.
M. Thibault Bazin
Heureusement que nous n’attendons pas tous les rapports pour légiférer !
M. Antoine Léaument
Monsieur Retailleau, êtes-vous déjà en possession de ce rapport ? Si tel est le cas, l’article L. 121-3 du Ceseda vous impose de le remettre au Parlement avant le 1er juin de chaque année.
M. Vincent Jeanbrun
Quel est le rapport avec l’amendement ?
M. Antoine Léaument
Nous sommes en train de parler de la gestion de l’immigration, en particulier de celle dite irrégulière. Or l’article que je viens de mentionner précise que ce rapport doit comporter des informations sur la lutte contre l’immigration dite irrégulière. En général, quand le Parlement vote, c’est après avoir été suffisamment éclairé ; or tel n’est pas le cas.
On se pince en voyant M. Taverne, ancien policier, si je ne m’abuse, aller à l’encontre des policiers en poste dans les centres de rétention administrative, qui sont opposés à ce texte.
M. Jordan Guitton
Qu’est-ce que vous en savez ?
M. Antoine Léaument
Je n’y comprends plus rien : vous déposez une proposition de loi à partir d’un rapport qui n’a pas été remis mais que Le Figaro a obtenu. Nous examinons un texte xénophobe ; une partie de la Macronie s’allie au Rassemblement national car ce texte ne serait pas adopté sans le soutien de ce dernier. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes RN, EPR, DR, HOR et UDR.) Réfléchissez à ce que vous êtes en train de faire ! Vous vous apprêtez à voter un texte de durcissement des conditions de détention des étrangers avec les descendants du régime de Vichy,…
Mme Andrée Taurinya
Eh oui !
M. Antoine Léaument
…avec un parti fondé par des Waffen-SS ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs.)
Moi, je sais où j’habite politiquement : du côté de ce drapeau ! (L’orateur désigne le drapeau français situé derrière le perchoir.)
M. Thibault Bazin
Pourtant, ce n’est pas ce drapeau-là que vous avez l’habitude de brandir dans l’hémicycle !
M. Antoine Léaument
Ce drapeau, c’était précisément celui que portaient le général de Gaulle et les résistants, y compris étrangers, pour combattre les amis de ceux qui se trouvent aujourd’hui en face de moi ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et HOR.)
Mme Andrée Taurinya
Il a raison !
M. Antoine Léaument
Assumez votre histoire !
M. Thibault Bazin
On assume !
Mme la présidente
La parole est à Mme Prisca Thevenot.
Mme Prisca Thevenot
Le groupe Ensemble pour la République votera contre ces amendements de suppression. Monsieur Léaument, vous dites vous ranger du côté du drapeau de notre pays, dont nous sommes fiers. Pourtant, de ce drapeau, vous êtes l’ennemi numéro 1 ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN, DR et HOR. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
M. Nicolas Sansu
C’est honteux !
Mme Andrée Taurinya
Elle est où l’égalité, elle est où la fraternité dans la Macronie ?
Mme Prisca Thevenot
Vous passez votre temps à vous opposer à ceux qui défendent ce drapeau. Vous parlez des forces de l’ordre, mais avec le groupe La France insoumise, vous n’avez pas cessé de les dénigrer. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) De même pour la justice, les journalistes et nos institutions. Vous vous opposez à tout ce qui fait la beauté et la grandeur de notre pays. Alors que nous entendons tout simplement assurer la sécurité des Françaises et des Français, vous victimisez ceux que vous devriez plutôt regarder avec considération, compte tenu de ce qu’ils font. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et HOR.)
M. Sylvain Maillard
Très bien !
Mme la présidente
Je mets aux voix les amendements identiques nos 8, 20, 35 et 47.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 122
Nombre de suffrages exprimés 122
Majorité absolue 62
Pour l’adoption 48
Contre 74
(Les amendements identiques nos 8, 20, 35 et 47 ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente
La parole est à M. Joël Bruneau, pour soutenir l’amendement no 45.
M. Joël Bruneau
Il vise à permettre au juge de mener l’audience de prolongation de la rétention en utilisant le moyen moderne de la visioconférence. Cela évitera d’avoir à déplacer le détenu, surtout lorsqu’il est dangereux, et cela fera gagner du temps aux policiers des CRA, dont M. Léaument tient à prendre le plus grand soin.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Marleix, rapporteur
Je sais à quel point cette question des extractions judiciaires vous tient à cœur : vous avez été maire de Caen et j’ai une pensée émue pour Arnaud Garcia et Fabrice Moello, assassinés lors de l’évasion de Mohamed Amra, qui exerçaient au sein du pôle d’extraction judiciaire de Caen. Je comprends votre souhait d’éviter au maximum des transfèrements inutiles qui mettent en danger les forces de l’ordre.
Ce que vous proposez est désormais possible, à la suite de la loi « immigration » du 26 janvier 2024. Il reste à aménager des locaux spécifiques à proximité des CRA pour que cela soit effectif. Par ailleurs, la commission des lois a confié à nos excellents collègues Émilie Bonnivard…
M. Michaël Taverne
Qui n’est pas là !
M. Olivier Marleix, rapporteur
…et Romain Baubry une mission flash sur les transfèrements et extractions, sans doute en vue de rendre la visioconférence automatique, sans qu’elles puisse être refusée par les personnes concernées. Je vous propose d’attendre les conclusions de leurs travaux. Je vous demande donc de retirer votre amendement, qui est satisfait.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je partage votre préoccupation. La mesure que vous proposez figure désormais au deuxième alinéa de l’article L. 743-7 du Ceseda. Comme l’a indiqué le rapporteur, nous sommes en train de créer à cet effet des salles d’audience à proximité des CRA. Votre amendement est donc satisfait.
Mme la présidente
La parole est à M. Joël Bruneau.
M. Joël Bruneau
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je vous ai entendu et je retire mon amendement. Mais soyez certains que je serai très attentif à ce que cette disposition soit réellement appliquée.
(L’amendement no 45 est retiré.)
Mme la présidente
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 21.
M. Ugo Bernalicis
Il vise à supprimer les alinéas 5 à 7 de l’article 3. Vous prenez le risque d’engendrer des situations de violence à l’égard des policiers qui travaillent dans les centres de rétention administrative. En effet, allonger la durée de rétention à 180 jours, et potentiellement à 210 jours, augmentera la probabilité que les personnes placées en CRA, parce qu’elles sont vulnérables, commettent des actes violents à l’encontre des autres personnes détenues ou des personnes dépositaires de l’autorité publique.
En allongeant la durée de rétention, vous augmenterez le niveau de tension et de violence, au détriment des policiers ; tel est le résultat que vous produirez concrètement dans les CRA. Je le répète : ces centres n’ont jamais été conçus pour des durées de détention aussi longues ; ils ne prévoient même pas le minimum de ce qui est disponible en prison. Cela placera les personnes retenues dans une situation de stress, qui conduira, j’y insiste, à une augmentation des violences. Dans un CRA, vous ne pouvez pas, comme en prison, cantiner, vous faire à manger, conserver des effets personnels tels que des livres. Dans les chambres de ces centres, vous êtes entassés à quatre ou à huit, avec un pauvre local de télévision où le poste ne fonctionne qu’une fois sur deux. Vous allez augmenter la durée de rétention dans ces conditions-là, qui sont les conditions de vie des personnes retenues mais aussi les conditions de travail des policiers. C’est pourquoi il convient de ne pas augmenter la durée de rétention.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Olivier Marleix, rapporteur
Défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Même avis.
Mme la présidente
La parole est à M. Jordan Guitton.
M. Jordan Guitton
Nous voterons contre cet amendement ; nous souhaitons maintenir l’article 3 dans son intégralité. Je donnerai un chiffre aux collègues d’extrême gauche :…
Mme Andrée Taurinya
Il n’y a pas d’extrême gauche ! (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes RN, HOR et UDR.)
M. Emmanuel Fouquart
Si, elle est en face de moi !
M. Pierre Henriet
Puisqu’il n’y a personne à votre gauche, vous êtes bien, d’un point de vue géométrique, à l’extrême gauche !
Mme la présidente
Laissez l’orateur poursuivre !
M. Jordan Guitton
…deux tiers des individus placés en CRA en sortent sans être expulsés – voilà ce qui pose problème.
Avec ce texte, nous allons allonger la durée de rétention et simplifier sa prolongation – ce à quoi nous sommes favorables.
La suppression des alinéas 5 et 7 de l’article aurait pour conséquence que le magistrat, ne pouvant pas disposer d’une prolongation de la rétention en CRA, sera parfois amené à prononcer une assignation à résidence. Or dans la mesure où la personne concernée n’aura pas d’adresse – la plupart du temps – et dans la mesure où, même si elle a une adresse, elle aura été condamnée pour un délit ou un crime d’une grande gravité, la protection et la sécurité de nos compatriotes s’en trouveraient compromises.
Cet article 3 doit donc être maintenu dans son intégralité. Même si le texte n’est pas parfait, il a le mérite d’exister et de proposer des améliorations administratives permettant de mieux protéger les Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Je m’étonne d’entendre dire – par M. le ministre, M. le rapporteur, ou sur les bancs, par exemple, du groupe Rassemblement national – que le droit français, finalement, est plus protecteur que le droit européen ne l’exige.
M. Ugo Bernalicis
Tant mieux !
M. Antoine Léaument
N’est-ce pas là un motif de fierté ?
M. Ugo Bernalicis
Ben oui !
M. Antoine Léaument
Vous proposez, cependant, de dégrader le droit français en vigueur : vous n’êtes pas très patriotes, si je puis me permettre !
M. Ugo Bernalicis
Exactement !
M. Antoine Léaument
Vous avez prétendu, tout à l’heure, que nous ne respecterions pas le drapeau tricolore et que nous aurions des problèmes avec la police ; nous ne faisons cependant que relever des éléments précis.
M. Charles Rodwell
Et qui a dit : « La police tue » ?
M. Antoine Léaument
Nous réprouvons que des personnes, dans des manifestations, soient éborgnées ou mutilées. Nous affirmons que les condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme pour les contrôles au faciès qui y sont pratiqués révèlent l’existence d’un racisme dans la police – ce que l’ONU pointe également.
C’est donc être parfaitement républicain que de défendre les valeurs de la République quand elles sont mises à mal par ceux-là mêmes qui sont censés les défendre.
M. Ugo Bernalicis
Eh oui !
M. Jordan Guitton
Brandissez des drapeaux français dans vos meetings !
M. Antoine Léaument
Les policiers portent sur leurs épaules l’étendard tricolore de la République Française : quand l’un d’entre eux se rend coupable de racisme, de discrimination ou de violence, il est coupable aux yeux de la République. J’irais plus loin : il doit être puni davantage…
Mme Prisca Thevenot
Ils le sont !
M. Antoine Léaument
…que d’autres, précisément parce que la loi le protège davantage.
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback
Ça faisait longtemps que vous n’aviez pas tapé sur les policiers !
M. Antoine Léaument
Nous ne faisons que rappeler des règles républicaines simples – il existe cependant une tendance, en ce moment, à raconter n’importe quoi, y compris sur la position de ses adversaires politiques.
M. Michel Guiniot
Vous en donnez un bel exemple !
M. Antoine Léaument
M. Retailleau, par exemple, a dit n’importe quoi : ce rapport, monsieur le ministre, vous l’avez ou non ? Vous auriez dû le remettre avant le 1er juin : si vous l’avez, remettez-le avant la fin de la session parlementaire ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. François-Xavier Ceccoli
Il va la ressortir combien de fois celle-là ?
M. Ugo Bernalicis
Voilà plus d’un mois que nous devrions l’avoir !
Mme la présidente
La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault Bazin
C’est vous, monsieur Léaument, qui dites n’importe quoi ! Vous voulez nous faire pleurer en nous parlant du drapeau français ; ce n’est pourtant pas celui que vous brandissez régulièrement dans cet hémicycle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur plusieurs bancs des groupes RN, EPR, HOR et UDR.) Vous prétendez défendre les policiers, mais nous n’avons pas besoin, en cette matière, et après avoir vu comment il se comporte avec eux, des leçons de Jean-Luc Mélenchon.
Vous ne pensez pas que la prolongation d’une rétention est justifiée, s’agissant de personnes qui ne respectent pas notre droit et ne veulent pas s’y conformer ?
M. Ugo Bernalicis
Non, justement !
M. Thibault Bazin
M. Bernalicis a voulu nous alerter : si vous maintenez ces personnes en rétention, il va y avoir encore plus de violence dans les CRA !
M. Ugo Bernalicis
En effet !
M. Thibault Bazin
Ces personnes ne seraient-elles pourtant pas également violentes en dehors de ces centres ? Ne sommes-nous pas là pour protéger les Français ? Qui cherchez-vous, pour votre part, à défendre ? Vous présentez les personnes dans les CRA comme des personnes vulnérables : ne soyez pas naïfs, toutes ne le sont pas. Ce n’est pas votre laxisme systématique qui répondra aux attentes des Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs des groupes EPR et HOR.)
(L’amendement no 21 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’article 3.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 124
Nombre de suffrages exprimés 124
Majorité absolue 63
Pour l’adoption 75
Contre 49
(L’article 3 est adopté.)
Article 3 bis
Mme la présidente
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Nous abordons la question de la possibilité, prévue par cet article, de placer en rétention des personnes demandeuses d’asile sur la base arbitraire, encore une fois, d’un risque de trouble à l’ordre public.
Défendre le drapeau sans lui associer des valeurs n’a aucun sens. L’origine du drapeau tricolore n’est pas sans rapport avec la question du racisme : on pourrait parler des batailles en Haïti, notamment, et de la lutte contre l’esclavage.
M. François-Xavier Ceccoli
Le disque est rayé !
M. Antoine Léaument
Ce sont ces batailles qui ont fait que la République française, après l’abolition de l’esclavage en Haïti, finit par l’abolir également dans l’ensemble du territoire.
M. Pierre Henriet
N’importe quoi !
M. Antoine Léaument
On pourrait également parler de la longue histoire des étrangers dans notre pays – de leur histoire avec le drapeau tricolore.
Un député du groupe RN
Ce serait pas mal de parler des Français aussi !
M. Antoine Léaument
Vous oubliez qu’en 1848 les étrangers qui ont participé à la révolution pour établir la République ont été naturalisés. Rappelez-vous la loi du 31 mai 1850, dite « loi des Burgraves », qui tendait à faire passer de six mois à trois ans la durée de résidence sur le territoire requise pour pouvoir participer à la vie de la République – tout à fait le genre de loi que vous voulez. Pourquoi ? Pour empêcher de voter des gens considérés comme des étrangers.
C’est d’une longue histoire que nous vous parlons.
M. Thibault Bazin
Une histoire que vous aimez réécrire !
M. Antoine Léaument
Nous vous parlons d’une histoire qui a fait la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, d’une histoire qui a donné à la République française sa beauté,…
M. Thibault Bazin
On connaît l’histoire des pays qui vous inspirent !
M. Antoine Léaument
…d’une histoire qui nous apprend que, sur tous ces bancs, nous sommes toutes et tous des enfants d’immigrés. (« Oh là là ! » sur les bancs du groupe RN.)
Tout cela pour vous rappeler que vous allez placer certaines personnes en rétention au terme d’une procédure purement administrative – et où c’est même parfois l’État qui est en faute, pour ne pas avoir délivré assez rapidement les papiers. Vous vous engagez sur une pente dont vous devriez avoir honte.
Mme la présidente
Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 22, 37 et 48, tendant à supprimer l’article 3 bis.
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 22.
M. Ugo Bernalicis
On doit laisser une personne demandeuse d’asile aller jusqu’au bout de cette démarche avant que de prendre la décision de la placer en rétention. Aux termes de cet article, vous voulez pourtant qu’il soit possible de la retenir au motif qu’elle représenterait une menace pour l’ordre public – et même si la demande d’asile est un cours d’examen.
C’est, encore une fois, une inversion de la norme. Souvenez-vous de la loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, qui prétendait trouver un équilibre entre humanité et fermeté. Il fallait accélérer le traitement des demandes d’asiles, pour pouvoir expulser le demandeur une fois sa demande instruite – les deux périodes, tout au moins, étaient nettement séparées. Il fallait commencer par distinguer le bon demandeur d’asile du mauvais – lequel se retrouvait dès lors en situation irrégulière –, pour pouvoir expulser ce dernier. (M. Mathieu Lefèvre s’exclame.)
Vous faites maintenant sauter cette digue : même si la personne est encore demandeuse d’asile, vous voulez qu’elle puisse être placée en centre de rétention, dans la perspective d’une expulsion – expulsion que vous aurez bien du mal à défendre devant le juge !
Il y a là une bizarrerie juridique qui se révélera, à la fin, intenable. Je doute que cet article soit constitutionnel, mais ça ne vous empêche pas de le proposer : votre objectif n’est en effet pas, encore une fois, l’éloignement en tant que tel – le retour de la personne dans son pays – mais bien la mise à l’écart, dans des centres de rétention administrative, de personnes que vous – autorités administratives et exécutives – jugez dangereuses. Tout cela relève de l’arbitraire et de l’ a priori.
M. Thibault Bazin
Tous les demandeurs d’asile ne sont pas en CRA !
M. Ugo Bernalicis
Votre dispositif comporte une faille, car le juge estimera que la personne doit pouvoir faire sa demande d’asile en dehors du centre de rétention administrative. (M. Jérémie Iordanoff applaudit.)
Mme la présidente
Sur l’article 3 bis, je suis saisie par le groupe Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour soutenir l’amendement no 37.
Mme Elsa Faucillon
L’article 3 bis, introduit en commission, propose une nouvelle écriture de l’article L. 523-1 du Ceseda après que ce dernier, dans sa rédaction issue de la loi du 26 janvier 2024, a été censuré par le Conseil constitutionnel.
Cette nouvelle écriture n’en continue pas moins de fragiliser gravement les garanties fondamentales attachées à l’exercice du droit d’asile.
Mon collègue l’a rappelé : le droit d’asile consacre la protection du demandeur par le principe de non-refoulement. Or le placement en centre de rétention se décide – c’est son objet légal – sur la base d’un potentiel raisonnable d’expulsion, ce qui vient contredire ce principe cardinal du non-refoulement.
On voit bien comment cette mesure, d’une part, fragiliserait l’exercice du droit d’asile mais aussi comment, d’autre part, elle relève de la gestion migratoire et non pas de l’objet strict du centre de rétention : préparer une demande d’expulsion quand son potentiel est jugé raisonnable.
Cet article, de plus, rend possible l’enfermement des demandeurs d’asile uniquement au motif d’une menace à l’ordre public. Il devient ainsi presque plus facile d’enfermer les demandeurs d’asile que les personnes en situation irrégulière ou sous OQTF et qui auraient commis les crimes ou les délits prévus par votre article 1er !
Le droit d’asile se voit donc sérieusement attaqué par cet article dont nous proposons la suppression.
Mme la présidente
La parole est à M. Jérémie Iordanoff, pour soutenir l’amendement no 48.
M. Jérémie Iordanoff
Cet article souffre en effet d’un problème de logique.
Tout d’abord, un centre de rétention administrative est un lieu où des personnes sont placées en vue de leur éloignement. Dans le cas des personnes visées par cet article, pourtant, aucune mesure d’éloignement n’a encore été prononcée – et on les placerait dans un CRA ? Nous devons revenir au principe de ces centres de rétention – mais si vous voulez y placer toutes les personnes dangereuses pour la société, dites-le tout de suite !
C’est l’autorité administrative, de plus, qui déciderait seule de ce placement : encore un problème qui touche aux principes.
La demande d’asile, enfin, exclut par définition une telle disposition. L’asile est un droit : on ne saurait sans absurdité mettre dans un centre, en vue de l’éloigner, et avant toute décision, une personne qui demande à pouvoir en bénéficier.
Qu’est-ce, pour vous, qu’un centre de rétention administrative ? Qu’est-ce, pour vous, que le droit d’asile ? Vous avez totalement perdu vos repères. Avec ce texte, nous faisons tout simplement n’importe quoi : commençons donc par supprimer cet article.
Mme la présidente
Sur l’amendement no 23, je suis saisie par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements de suppression ?
M. Olivier Marleix, rapporteur
J’y suis évidemment défavorable. Vous prétendez que le dispositif proposé est inconstitutionnel, quand il constitue, au contraire, une réponse à la décision QPC du 23 mai du Conseil constitutionnel.
Dans cette décision, le Conseil constitutionnel commence par rappeler le cadre général de l’action du législateur. Permettez-moi de la citer de nouveau : « Aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national. Les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques. »
Le Conseil constitutionnel rappelle ensuite les raisons qui ont conduit le législateur à adopter les dispositions sur lesquelles portait la QPC en indiquant qu’il « a entendu éviter notamment que des étrangers en situation irrégulière se prévalent du droit d’asile dans le seul but de faire obstacle à leur éloignement du territoire national. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière, qui participe de cet objectif. » Cet objectif, il est de notre responsabilité que de continuer à le poursuivre.
Enfin, le Conseil constitutionnel a censuré – vous avez raison – la disposition créant la possibilité de la rétention pour le demandeur d’asile. Il l’a fait pour deux motifs.
D’abord, du fait de la définition de la menace à l’ordre public : le Conseil a implicitement invité à ce que soient inscrites dans la loi des précisions sur la « gravité » et sur l’« actualité » de la menace. C’est ce que nous faisons dans cet article 3 bis.
Ensuite, du fait de la définition du risque de fuite : là encore, nous précisons cette notion conformément aux attentes du Conseil constitutionnel.
Nous répondons donc, par cet article, aux objections que le Conseil constitutionnel a formulé à juste titre. Le dispositif proposé, quant à lui, reste d’une très grande importance eu égard à l’ordre public. (Mme Elsa Faucillon s’exclame.)
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Même avis. Le droit européen actuel – pas même le futur règlement « retour » – prévoit déjà que l’on peut retenir des demandeurs d’asile, et que les demandes d’asile peuvent se faire en rétention.
------------------Cette partie de la séance est en cours de finalisation---------------------------------------------