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N° 1091

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 septembre 2003.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,

FAMILIALES ET SOCIALES

sur

la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule

et présenté

par M. Denis JACQUAT,

Député.

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TOME I

(2ème partie : auditions)

Santé et protection sociale.

ACCES AU TEXTE DU RAPPORT

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LISTE DES PERSONNES AUDITIONNEES

(PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE)

I - Audition de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées 55

II. Audition de M. Dominique Sebbe, président du syndicat des urgences hospitalières 3131

III. Audition du Dr Patrick Brasseur, président de SOS Médecins Paris, du Dr Patrick Guérin, secrétaire général de SOS Médecins Nantes, du Dr Pierre Maurice, secrétaire général de SOS Médecins France, et du Dr Serge Smadja, vice-président de SOS Médecins Ile-de-France-Paris 4141

V.  Audition de M. Patrick Hermange, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, et de M. Claude Périnel, directeur national de l'action sociale 6767

VI. Audition de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, et de M. Hubert Falco, secrétaire d'état aux personnes âgées 7575

VII. Audition de M. Gilles Brücker, directeur général de l'Institut de veille sanitaire (InVS) 101101

VIII. Audition de M. Jean-Pierre Besancenot, faculté de médecine de Dijon et de M. Jean-Louis San Marco, directeur du laboratoire de santé publique de la faculté de Marseille 111111

Suite des auditions

IX. Audition de M. William Livingstone, président de Convergence infirmières, M. François Izard, président de la Coordination nationale des infirmiers, M. Pierre Bertaud, membre de la Coordination nationale des infirmiers, Président de la coordination locale pour la région Poitou-Charentes, Mme Nadine Hesnard, présidente de la Fédération nationale des infirmiers, Mme Marie-Noëlle Decalf et M. Thierry Betin, membres du bureau national de la Fédération nationale des infirmiers

xi. Audition de Mme Danièle Dumas, présidente nationale de l'Union nationale des associations d'aide à domicile en milieu rural (UNADMR), de Mme Chantal Meyer, secrétaire générale de l'UNADMR, et de Mme Frédérique Dechers, directrice des ressources humaines et de la communication à l'Union nationale des associations de soins et services à domicile (UNASSAD).

xii. Audition de M. Jean-Louis Segura, directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation de Bourgogne et de M. Philippe Ritter, directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation d'Ile-de-France

XIII. Audition de M. William Dab, directeur général de la santé

XIV Audition de M. François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière, de Mme Annie Msellati, membre du Syndicat des psychiatres de secteur et de M. Alec Bizien, secrétaire national du Syndicat de gérontologie clinique

XV. Audition du Pr Lucien Abenhaïm, ancien directeur général de la santé

XVI. Audition de M. Gilbert Gentilini, président de la Croix-Rouge,t de M. Gilbert Abergel, directeur délégué à la direction des établissements et de la formation de la Croix-Rouge

XVII. Audition de Mme Rose-Marie Van Lerberghe, directrice de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, de M. Bernard Rousset, ecrétaire général des Hospices civils de Lyon, et de M. Guy Vallet, directeur de l'Assistance publique de Marseille.

XVIII. Audition de M. Pascal Champvert (ADEHPA), de Mme Françoise Toursière (FNADEPA), de MM. Luc Broussy et Théodore Amarantinis (SYNERPA), de M. David Causse (FHF), de M. Georges Riffard et Mme Isabelle Desgoute (FEHAP) et de M. Alain Villez (UNIOPSS)

XX. Audition de M. Édouard Couty, directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins.

SUITE DES AUDITIONS

XXI. AUDITION DE M. MICHEL MERCIER, VICE- PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE DES DÉPARTEMENTS DE FRANCE

XXII. AUDITION DE M. CLAUDE RÉGI, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DES MÉDECINS DE FRANCE (FMF), DE M. MICHEL CHASSANG, PRÉSIDENT DE LA CONFÉDÉRATION DES SYNDICATS MÉDICAUX FRANÇAIS (CSMF), DE M. PIERRE COSTES, PRÉSIDENT DE MÉDECINS GÉNÉRALISTES DE FRANCE (MG FRANCE) ET DE M. MARTIAL OLIVIER-KOEHRET, PREMIER VICE-PRÉSIDENT DE MG FRANCE

XXXIII. Audition de M. Christian de Lavernée, directeur de la défense et de la sécurité civils, de M. Régis Guyot, adjoint pour la défense civile, et de M. Didier Montchamp, sous-directeur de l'organisation des secours et responsable du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises

 

la santé, de la famille et des personnes handicapées par notre commission, dissocier les problèmes relatifs à la santé publique de ceux ayant trait à l'analyse et aux conséquences des événements qui se sont produits au cours de l'été du fait de la canicule.

En effet, si nous avions mélangé les deux types de problèmes, la loi de programmation de la santé publique à laquelle nous sommes tous très attachés aurait pu en pâtir.

Je souhaite ensuite remercier le président de la mission d'information, Denis Jacquat, d'avoir su organiser très rapidement une série d'auditions car l'information que celles-ci nous apporteront dans les jours à venir nous servira dans la réalisation de deux objectifs simples, à savoir l'examen du projet de loi relatif à la santé publique, qui sera discuté au cours de la première semaine d'octobre, et celui du projet de loi de financement de la sécurité sociale qui sera étudié au cours de la dernière semaine d'octobre.

Il est facile de comprendre que ces deux textes peuvent éventuellement nous fournir l'occasion d'introduire dans la loi des adaptations qui nous permettront peut-être d'éviter que de tels drames ne se reproduisent.

Tel est l'objet de cette mission d'information qui, je le répète, n'est en rien contradictoire avec celui de la commission d'enquête qui sera constituée ultérieurement, une fois que les propositions de résolution, qui ont été déposées à cet effet par les quatre groupes principaux composant l'Assemblée nationale, auront été examinées par cette dernière.

Il n'existe pas de contradiction entre les travaux d'une commission d'enquête, qui travaille sur une période de six mois environ et selon des mécanismes de fonctionnement lourds, et ceux d'une mission d'information dont l'objectif très ciblé est, je le répète, de permettre éventuellement des adaptations à l'occasion de l'examen des deux projets de loi auxquels je faisais allusion.

M. Denis Jacquat, président de la mission d'information - Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, notre pays a traversé durant ce mois d'août un drame exceptionnel que nous n'attendions pas. La surmortalité constatée fait de cette canicule l'une des catastrophes majeures que nous ayons connue depuis des décennies. Nous sommes tous convaincus qu'une telle situation ne doit pas se reproduire. Cela implique un examen de fond de notre système sanitaire et social. C'est pourquoi la mission d'information que nous avons constituée sera suivie d'une commission d'enquête.

Notre objectif à court terme, dans le cadre de la mission d'information, doit être d'identifier les principaux dysfonctionnements ainsi que les mesures efficaces qui pourraient être prises rapidement. Si elles sont de nature législative, ces mesures pourraient s'inscrire dans la loi de programmation de la santé publique ou dans celle de financement de la sécurité sociale dont nous déba style="text-align: justify">Ce drame nous concerne tous. Il est à la fois sanitaire et social. Comme vous, j'ai été profondément touché et profondément meurtri par l'abandon de ces femmes et de ces hommes décédés dont personne n'a réclamé le corps. Il s'agit d'un drame humain qui pose le problème des solidarités, des relations familiales et du lien social. Sur ces événements douloureux, il est légitime que les représentants de l'Assemblée nationale soient informés, sachent la réalité des faits et participent à la recherche de solutions. J'éprouve, comme vous, un authentique besoin de vérité.

Il me revient d'aborder les aspects sanitaires de cette crise. A ce titre, je voudrais d'abord rappeler le caractère exceptionnel de la canicule, puis retracer les événements et les mesures prises et, enfin, commencer de tirer les leçons pour l'avenir.

La canicule du mois d'août a constitué un événement climatique exceptionnel. Survenant au cours de la période la plus chaude des cinquante-trois dernières années, cette canicule est doublement exceptionnelle. Elle est exceptionnelle par son intensité, avec des chaleurs dépassant 35° dans les deux tiers des villes françaises et même 40° dans 15 % des villes et aussi en raison des chaleurs nocturnes très élevées, en particulier en région parisienne. Elle est exceptionnelle encore par sa durée. Jamais, lors des rares vagues de chaleur observées depuis le début du siècle, une telle durée n'avait été relevée en France. La période du 4 au 12 août est donc absolument unique dans les annales depuis 1873.

Aux effets de la chaleur, il faut ajouter ceux liés à la pollution. Du fait de la présence d'un anticyclone sur toute la France et des fortes températures, la quasi-totalité des régions ont enregistré des dépassements du seuil d'alerte européen fixé à 240 microgrammes par mètre cube pour la pollution à l'ozone : près de trente jours de dépassement du seuil d'information de 180 microgrammes par mètre cube en Ile-de-France. Cette pollution a encore accentué les conséquences de la vague de chaleur sur les personnes fragiles.

Par ailleurs, jusqu'à ce mois d'août, la canicule n'avait jamais été perçue comme une menace d'une telle gravité dans un pays tempéré comme le nôtre. Jamais la situation que nous avons connue n'avait été imaginée.

Dans cette situation, la chronologie des faits montre que des mesures ont été prises rapidement.

Je veux tout d'abord rappeler les recommandations du secrétaire d'Etat chargé des personnes âgées, adressées aux préfets et aux directions départementales de l'action sanitaire et sociale au début de l'été 2003, mentionnant les mesures à prendre à l'égard des personnes âgées en période de forte chaleur. Je veux rappeler aussi le communiqué publié le 8 aoû l'élaboration de propositions de réformes ; mais durant la deuxième semaine d'août, nous avons dû gérer une situation sans précédent, sans pouvoir nous appuyer sur l'analyse d'événements passés de même ampleur. Nous avons dû réagir au jour le jour. Je vous demande d'avancer dans le déroulé des événements comme ont pu le faire les acteurs du moment, jour après jour, et non pas avec l'illusion rétrospective qui conduit à juger une décision en fonction de la connaissance que l'on a de l'évolution ultérieure.

Or, en fonction des informations qui nous ont été communiquées, le ministère de la santé et, globalement, le système de santé français ont pris les mesures les plus adaptées possible aux circonstances.

L'entrée dans la crise commence par l'apparition des problèmes rencontrés par les services d'urgences et les hôpitaux dès le 8 août.

Rappelons simplement les faits.

Le jeudi 7 août au soir, le docteur Patrick Pelloux signale un encombrement des urgences et le manque de disponibilité en lits dans les hôpitaux parisiens. Les hôpitaux, les urgences et le SAMU mentionnent des cas d'hyperthermie maligne. La direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins réagit en instituant une cellule de veille. L'Agence régionale de l'hospitalisation d'Ile-de-France (ARHIF), à l'initiative de sa secrétaire générale, décide de faire un point global sur la situation des établissements publics et privés de la région, hors Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Elle ne signale, en cette fin de première semaine d'août, aucune difficulté majeure dans les services d'urgence.

Le vendredi 8 août, le secrétaire général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) décide d'installer une cellule de crise et de prendre des mesures correspondant à une première étape du « plan Blanc » - c'est écrit en toutes lettres dans sa note. Une note de l'AP-HP est également adressée aux directeurs d'hôpitaux disposant de services d'urgence pour la mise en œuvre d'un plan de mobilisation. Le même jour, la direction générale de la santé diffuse son premier communiqué rappelant les mesures préventives relatives aux risques liés à la chaleur. Il n'est que très peu repris par les médias.

Le dimanche 10 août au soir, le docteur Pelloux intervient à la télévision pour s'alarmer des graves difficultés constatées aux urgences. Il parle d'une cinquantaine de morts possibles.

Le lundi 11 août, une cellule nationale de crise est mise en place à la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins. Cette direction organise un dispositif de remontée d'informations nationale et appelle les hôpitaux à mettre en place une organisation de soins appropriée. En Ile-de-France, l'ARHIF met en alerte les soixante-huit établissements de la région dis situation est maîtrisée. Je donnerai au président de votre mission d'information tous les documents sur lesquels je me fonde. Dans la journée d'ailleurs elle ne lance aucune alerte et au soir de ce 11 août, elle ne déclenche pas la procédure nouvelle « DGS-Urgent » pourtant instituée pour adresser un message d'alerte auprès des professionnels.

En fonction de ces éléments, qui me sont confirmés à 19 h 30 par un coup de téléphone personnel à mon cabinet, j'interviens sur TF1, à 20 heures, pour indiquer que des mesures sont prises pour faire face aux difficultés rencontrées par les urgences et par les hôpitaux et pour rappeler la nécessité des mesures de prévention et de précaution indispensables. Cette intervention est fondée sur les éléments en ma possession à ce moment précis. Nous sommes toujours dans un problème qui apparaît avant tout comme un problème « hospitalier » et centré essentiellement sur Paris et sur la petite couronne. Dans ces circonstances extrêmement difficiles, l'hôpital fait face. A aucun moment, le problème n'est posé en termes de santé publique.

Le 12 août, la situation s'aggrave et on nous signale la montée des difficultés dans différentes régions avec une augmentation des passages aux urgences de + 10 à + 50 %. La Croix-Rouge apporte son soutien. Les hôpitaux militaires sont sollicités par l'AP-HP. Le plan blanc hospitalier est déclenché dans le Val de Marne. Le chiffre de 100 morts est évoqué.

Le 13 août, je me rends à Bordeaux, où des difficultés importantes ont été signalées dans deux hôpitaux, puis à Paris à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière pour rencontrer les équipes. Partout chacun donne le meilleur de lui-même. Le soir, après un échange avec le Premier ministre qui s'est régulièrement inquiété de la situation depuis le début, celui-ci déclenche le plan blanc officiellement à Paris et en Région Ile-de-France. Dans les faits, à l'exception du Val-de-Marne, ce dispositif qui permet notamment le rappel de personnel ne semble pas avoir été utilisé au-delà des mesures déjà prises.

Dans la soirée, les chiffres communiqués par l'entreprise des Pompes Funèbres Générales permettent une estimation de l'ordre de 3 000 personnes, chiffre qui apparaît plausible à la direction générale de la santé. Pour la première fois, l'importance des morts survenus à domicile et en institutions de retraite apparaît.

Dès lors, les difficultés hospitalières cèdent la place aux chiffres. Ce n'est plus une crise, cela devient un drame.

Le 14 août, une réunion interministérielle est organisée autour du Premier ministre. Afin de renforcer les équipes fatiguées, de prévenir une éventuelle recrudescence de la chaleur et d'assurer la prise en charge des hospitalisations non urgentes d L'évaluation de ces 3 000 morts effectuée par les Pompes Funèbres Générales est fondée sur l'augmentation d'activité constatée sur la période du 6 au 12 août, par cette société privée qui assure environ 25 % des obsèques en France. Ce chiffre est immédiatement diffusé. Pour autant il est impossible pour le ministère d'avancer aucune donnée fiable de façon officielle. Le 17 août, soit quatre jours après, le directeur de l'Institut de veille sanitaire, interrogé à la télévision, considère comme plausible une surmortalité de 5 000 personnes.

Ces estimations, de sources diverses et souvent non vérifiables, ont créé la confusion et contribué au trouble légitime de l'opinion publique. Sur ce sujet des chiffres comme sur celui du déroulement des événements, j'ai dès le départ et sans hésitation, opté pour la transparence.

Deux missions ont été immédiatement mises en place. J'ai chargé une mission d'expertise et d'évaluation d'effectuer rapidement une analyse sur le déroulement des événements du mois d'août. Cette première mission a été coordonnée par Mme Françoise Lalande, inspectrice générale des affaires sociales. Créée le 19 août, cette mission m'a remis ses conclusions le 8 septembre et le rapport a été aussitôt rendu public. La seconde mission, à la demande du Premier ministre, vise à établir le bilan épidémiologique de la canicule. Elle est composée de M. Denis Hémon, directeur de l'unité 170 à l'INSERM, et de M. Eric Jougla, directeur du centre d'épidémiologie-décès de l'INSERM. Elle a été créée le 20 août. Ses conclusions sont attendues pour la deuxième quinzaine du mois de septembre.

Le vendredi 29 août, l'Institut de veille sanitaire me fournit enfin un premier bilan provisoire de la surmortalité pour les deux premières semaines d'août. Il est en accord avec les premières estimations des deux experts de la mission. La surmortalité liée à la canicule est évaluée pour la première quinzaine du mois d'août à environ 12 000 personnes.

Cette surmortalité est globale. Elle comptabilise tous les décès et ne se contente pas des seuls cas identifiés d'hyperthermie maligne, qui font l'objet d'une étude spécifique. L'étude exhaustive des décès, en fonction de l'âge, du sexe, du lieu, des pathologies associées et des traitements médicamenteux en cours, demandera du temps. Elle est indispensable à la compréhension du drame et à l'action future. Déjà, l'interaction médicamenteuse paraît jouer un rôle important. Il faudra y porter une attention particulière.

Sans attendre les résultats définitifs, et en première analyse, il apparaît que 81 % des décès sont survenus chez des personnes âgées de plus soixante-quinze ans et 50 % chez des personnes de plus de quatre-vingt-cinq ans.

Tout au long de cette crise, parfois dans un contexte d'une extrême difficulté, le travail réalisé dans les hôpitaux, où les personnels ont montré un dévouement et une disponibilité exemplaires, a été extraordinaire. L'ensemble du système de santé a fonctionné avec l'appui des bénévoles comme ceux de la Croix-Rouge française, ainsi que les services de l'Etat et les pompiers. Chacun a donné le meilleur de lui-même. Je suis profondément reconnaissant à tous ces acteurs du système de santé et j'en suis fier.

Il n'en demeure pas moins, comme l'a bien souligné le rapport de la mission d'expertise et d'évaluation coordonnée par Mme Lalande, que cette catastrophe a révélé des faiblesses et des lacunes dans notre système d'alerte, dans l'organisation de nos urgences et dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Elle a aussi montré combien le délitement du lien social, la solitude, l'isolement ont progressé dans notre société au point que l'on peut aujourd'hui mourir seul, chez soi, sans attirer l'attention de personne.

Ce sont ces aspects que je voudrais maintenant aborder et, d'abord, les forces et les lacunes de notre système d'alerte sanitaire.

Le point-clé, j'y insiste, a sans aucun doute été l'absence d'alerte à la mesure du drame et l'absence de signal d'urgence face à la situation. Les recommandations, apparemment banales, pour se prémunir contre les effets de la chaleur n'ont pas été suffisamment entendues et relayées. Il faut s'interroger sur les moyens d'une dramatisation nécessaire de ces messages, seule à même d'induire un comportement adapté de la population.

Nous avions le sentiment de disposer d'un système de veille et de sécurité sanitaire performant, construit au vu de plusieurs crises passées, et cela par les différentes majorités qui se sont succédé depuis dix ans. Ce réseau est animé et dirigé par des professionnels dont les compétences n'ont jamais été mises en doute. Depuis mon arrivée au ministère, j'ai accordé ma confiance à l'Institut de veille sanitaire ainsi qu'à la direction générale de la santé, et je n'ai eu qu'à m'en féliciter. Sollicités à maintes reprises cette année, ce réseau avait d'ailleurs parfaitement fonctionné à plusieurs reprises. Ce fut le cas par exemple lors des alertes de légionellose ou de listériose, pour des épidémies de méningite à grande échelle - pourtant difficiles à gérer - et lors de l'épidémie du SRAS au printemps dernier. A ce moment-là, notre système de sécurité sanitaire avait permis à notre pays de précéder les autres dans les mesures à prendre. J'ajoute que le réseau de veille sanitaire a également dû, au cours des derniers mois, consacrer à ce type de situation climatique extrême. D'ailleurs même les Etats-Unis, pourtant plus fréquemment victimes de situations climatiques difficiles, n'ont pas su anticiper la vague de chaleur de 1995 qui, dans la seule ville de Chicago, a provoqué près de mille morts en quatre jours seulement. Et je ne parle pas des 2 000 morts d'Athènes en 1987.

Si je me permets d'insister sur ce point, c'est parce que la France a déjà connu deux épisodes de canicule, en 1976 et en 1983. En 1983 la ville de Marseille avait constaté une surmortalité estimée à 300 décès. Depuis, un programme sanitaire spécifique a été mis en œuvre dans cette ville. Mais jamais en 1976 ni en 1983 il n'a été dressé de bilan épidémiologique au plan national en termes de mortalité et de morbidité et jamais aucune leçon n'a été tirée de ces périodes en matière de politique publique. La surmortalité pour ces deux périodes - dont j'ai demandé le calcul après la canicule du mois d'août - a pourtant été de 3 000 morts pour 1976 et de 4 700 décès pour 1983. Personne n'en a jamais rien su ; jamais aucune leçon n'en a été retenue. Si nous avons su tirer les leçons d'autres drames, ou d'autres crises de santé publique, infectieuses ou toxiques et y apporter les réponses adéquates, les canicules, elles, ont été totalement mésestimées. Ce décalage éclaire notre changement de perception de tels événements climatiques extrêmes. Il y a désormais un avant et un après août 2003

De plus, la France ne dispose pas d'un système assurant la remontée de toutes les informations vers les réseaux d'alerte sanitaire, qu'elles proviennent des urgences, de la sécurité civile ou des pompiers. Il n'y a pas de système de surveillance de la mortalité fonctionnant sur un mode opérationnel, pas plus qu'il n'en existe, à ma connaissance, dans les pays qui nous entourent. Or, comme le souligne fort justement le professeur Didier Raoult, dans un rapport sur le bioterrorisme que je lui avais commandé et qu'il m'a remis en juin, « la mortalité est un élément important de surveillance [...] La comparaison de la mortalité par tranches d'âge et de sexe dans les différents sites permet de repérer les phénomènes anormaux. »

Une telle surveillance se justifie plus encore depuis les événements du mois d'août, quand face à une augmentation sensible, mais diffuse et hétérogène, de la mortalité, aucune information de nature opérationnelle n'a émergé qui aurait fait connaître ces morts silencieuses. Des notes en provenance d'agences régionales de l'hospitalisation, de directions départementales, de directions régionales de l'action sanitaire et sociale sont édifiantes sur ce point - je pourrais si vous le souhaitez y revenir au cours de la discussion, et fournir à la mission tous les éléments nécessaires : il n'y a eu aucune alerte à la mesure de ce qui se passait, que ce soit dans les institutions et à domicile, parce que la procédure de déclaration de décès ne permet pas de rassembler les données.

C'est pourquoi il est indispensable de travailler à l'instauration d'une étroite collaboration entre les différents services de la sécurité civile, des pompiers et de la santé. De même, nous devons être capables d'étudier, en temps réel, les causes de la mortalité. Il faut également construire un système d'alerte climatique très réactif. J'ai évoqué ces sujets hier, et nous les aborderons à l'occasion de l'examen des amendements au projet de loi de santé publique. En effet des amendements spécifiques seront apportés à ce texte pour éviter qu'un tel drame se reproduise.

Immédiatement j'ai souhaité comprendre les raisons et les caractéristiques de la crise afin de définir les meilleures réponses à apporter. J'ai donc consulté les trois experts les plus compétents sur la question des vagues de chaleur du Center for Disease Control d'Atlanta (CDC) aux Etats-Unis. Leur rapport préliminaire sera également communiqué à votre mission.

Lorsque je les ai reçus, le 29 août dernier, ils m'ont indiqué tout d'abord que la période de canicule que la France a connue du 2 au 4 août dernier est sans précédent dans un pays tempéré qui ne recourt que marginalement à la climatisation. Ils estiment aussi que le nombre de décès est cohérent avec les connaissances accumulées lors de ce type de catastrophe. Ils considèrent ensuite qu'il s'agit d'une catastrophe naturelle. C'est eux qui le disent. Ils disent que c'est une catastrophe naturelle qui ne dit pas son nom, et que l'opinion publique a beaucoup de difficultés à reconnaître pour telle. Ils ajoutent que lorsque les premières victimes arrivent aux urgences, l'alerte sanitaire a déjà 72 à 96 heures de retard. Pour ces experts américains, la seule attitude à développer face à ce phénomène climatique est de nature préventive, au même titre qu'on se met à l'abri d'une tornade avant qu'elle ne survienne.

Aux Etats-Unis, des systèmes d'alerte précoce ont été mis en place. Ils reposent non pas sur des indicateurs sanitaires classiques de morbidité et de mortalité, mais sur des indicateurs météorologiques « avancés » recueillis grâce à un système d'information issu d'une coopération étroite entre les services de météo et les acteurs de la santé publique, de la sécurité civile et des services sociaux. Toujours selon ces experts du CDC, les indicateurs épidémiologiques sont en effet toujours trop tardifs pour déclencher l'alerte de façon efficace et de façon utile pour protéger les populations. Cela n'exclut pas des investigations épidémiologiques rapides afin de guider et d'adapter au mieux les interventions des acteurs sanitaires et publics au cours de l'épisode et d'en évaluer l'efficience a posteriori. Aux Etats-Unis, les plans de réponse à la chaleur sont mis en place par les autorités locales. Conçus selon des références méthodologiques et te align: justify">Le deuxième point concerne notre système d'urgence, en voie de modernisation, et pour lequel des efforts supplémentaires doivent être consentis.

Encore une fois, si l'alerte a été donnée par les urgentistes, dont je veux souligner à nouveau la qualité des équipes soignantes, cette crise a néanmoins mis en lumière certaines faiblesses dans l'organisation des urgences. Il convient d'en tirer les enseignements, d'évaluer et d'étudier les mesures à prendre pour moderniser en profondeur le fonctionnement de ces services. Depuis de nombreuses années, vous le savez, mesdames, messieurs les députés, certains d'entre vous tout particulièrement, notre système d'urgences est en mutation. Plusieurs facteurs l'expliquent comme l'urbanisation croissante, le désengagement de la médecine de ville de la permanence des soins dans certaines zones, mais aussi la confiance renouvelée qu'inspire l'hôpital aux Français. Le nombre de passages aux urgences ne cesse donc de progresser et cette évolution exige des solutions adaptées.

Beaucoup a déjà été fait ces dernières années pour améliorer les moyens des services d'urgence, à la fois en investissement et en personnel, notamment depuis 1999. Depuis mon arrivée au ministère de la santé, la modernisation des urgences figure ainsi au premier rang de mes priorités. Nous avons conclu un accord pour tenter de mettre en place la réduction du temps de travail, qui ne facilite pas les choses à l'hôpital, et nous avons augmenté le nombre de postes. Il était également prévu cette année de fermer moins de lits pendant la période estivale que l'année dernière. Le 28 juillet dernier, j'avais ainsi indiqué que les fermetures de lits oscilleraient, durant l'été 2003, entre 8 % et 11,6 %, contre une moyenne de 15 % constatée en 2002, avec, il est vrai, des difficultés prévisibles plus grandes à Paris et en Ile-de-France que sur le reste du territoire. Comme le demande le rapport Lalande, une enquête sera diligentée pour clarifier la situation en la matière, notamment en ce qui concerne d'éventuels écarts entre les engagements qu'on m'avait signifiés et la réalité sur le terrain.

Tous ces efforts doivent être encore amplifiés, d'autant qu'il s'agit maintenant d'engager la nécessaire réorganisation globale du système pour lui permettre de fonctionner de la façon la plus efficace.

Ce n'est pas le lieu de détailler les investissements exceptionnels prévus dans le cadre du chantier « hôpital 2007 », qui comporte notamment un volet « urgences » important.

Tout aussi important, un groupe de travail se réunit régulièrement depuis plus d'un an à la direction de l'hospitalisation et de l'offre de soins. Il est à l'origine de la circulaire sur les urgences publiée au mois d'avril 2003. C'est ce groupe qui sera consulté d'abord pour faire des propositions d'organisation. Je veux ensuite une large concertation avec l'ensemble des professionnels afin d'éviter toute annonce précipitée.

De même, il convient de développer de véritables réseaux entre secteur public, secteur privé et établissements pour personnes âgées dépendantes. L'ordonnance sanitaire de simplification prise la semaine dernière facilite ce type de coopération. Encore faut-il que ces réseaux fassent l'objet de contrats écrits entre établissements pour assurer le suivi des soins après les urgences. L'hôpital Cochin ou l'hôpital Georges-Pompidou à Paris en sont un exemple.

Je me suis, enfin, engagé à créer une formation spécifique à la médecine d'urgence. Ce dossier important est largement avancé et devrait aboutir à la rentrée 2004.

Après l'alerte sanitaire et les urgences, la gériatrie apparaît comme le troisième point sur lequel nos efforts doivent porter.

Plus spécifiquement, au plan sanitaire, il est nécessaire de créer systématiquement des lits de gériatrie aiguë dans tous les établissements possédant un service d'accueil des urgences, et de généraliser les équipes mobiles de gériatrie. Il faut aussi instituer des réseaux ville-hôpital, avec des services spécifiquement dédiés aux personnes âgées. La formation à la gériatrie doit être renforcée et rendue plus attractive. En effet, comme vous le savez, le nombre d'internes et de personnels qui font le choix de la gériatrie est insuffisant, et il faut absolument remédier à ce problème.

Comme vous le savez, le gouvernement travaille à l'élaboration d'un plan interministériel « vieillissement et solidarités ». Six groupes de travail ont été constitués. Parmi ces six groupes de travail, l'un est plus spécifiquement consacré à la prise en charge sanitaire des personnes âgées plus vulnérables.

Des propositions seront faites dans les prochaines semaines et dans les prochains mois conjointement avec François Fillon, ministre des affaires sociales, et Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Nous avons besoin de réponses d'ensemble, couvrant toute la dimension médico-sociale, élaborées dans la concertation. Car le problème spécifique des personnes âgées a brutalement révélé les faiblesses de notre société, que l'accroissement de la durée de vie au cours des vingt dernières années n'a fait qu'amplifier. L'urbanisation dévorante, avec son cortège de pollutions, de précarités et de solitudes, a peu à peu contribué à une réelle déshumanisation de nos rapports à l'autre, de nos rapports à la vie et à la mort. On est surtout mort dans les grandes villes, on est souvent mort dans la solitude.

Les personnes les plus fragiles sont évidemment les premières victimes. Et le vieillissement apparaît comme un défi, comme une confrontation inéluctable avec notre huma Je vous remercie M. le ministre pour ces explications extrêmement claires et précises, et qui répondent par avance à de nombreuses questions que je souhaitais personnellement vous poser, ainsi que pour les documents que vous mettez à la disposition des membres de la mission.

Vous l'avez compris, la transparence est nécessaire face à un tel drame. Les membres de la mission, qui se sont déjà rencontrés hier de façon informelle, ont tenu à affirmer ce souci d'une transparence totale. Toutes les questions devront être posées.

Nous avions le sentiment de bénéficier d'un bon système de veille et de sécurité sanitaires. Or l'absence d'alerte s'est révélé un problème majeur. A ce propos, et à la suite de la démission du directeur général de la santé, je m'interroge sur le fait que celui de l'InVS ne l'ait pas fait. Avez-vous, monsieur le ministre, des explications, ou une opinion, à ce propos ?

Vous avez aussi insisté sur le fait que ce drame humain s'est déroulé pour une grande part en dehors de l'hôpital. Il est révélateur en effet que le phénomène de surmortalité ait touché principalement des personnes âgées isolées. Nous aurons en la matière des questions précises à poser à François Fillon et Hubert Falco, que nous auditionnerons lundi prochain, en particulier sur les mesures qu'ils comptent prendre en ce domaine.

Vous avez indiqué qu'il y aura un avant et un après août 2003. Personnellement - et je pense que les membres de la mission me suivront sur ce point - je souhaite que ce drame ne se reproduise plus jamais. D'autant plus que, vous l'avez dit - et je vous remercie de votre franchise - notre pays avait déjà connu deux périodes de canicule.

M. Maxime Gremetz - Monsieur le ministre, je vous ai écouté avec attention ; j'ai lu le rapport Lalande - et votre exposé semble conforme à ce qui y est indiqué. Je ne me livrerai pas, à l'opposé de certains journalistes, à l'amalgame en soulignant que ce rapport a été commandé par vous. Mais il est vrai que vos conclusions sont semblables.

C'est quand même un peu ennuyeux pour une mission d'information parlementaire, qui doit réfléchir sur les mesures d'urgence susceptibles d'être décidées. En effet, il s'agit là d'un travail qui devra être poursuivi par la commission d'enquête parlementaire, dont la création a été demandée par tous les groupes. A quoi bon si ce travail a déjà été fait par d'autres, spécialistes donc incontestables. Or si je n'avais pas demandé que la mission puisse disposer de ce rapport, on ne nous l'aurait pas remis. Tout cela est un peu ennuyeux, d'autant que beaucoup d'éléments sont avancés, beaucoup de propositions sont faites, notamment quant au rôle de chacun.

Un point m'inquiète : comment est-il possible que le ministre ne soit pas informé, alors qu'il existe tant de services de l'administration o size: 10pt">Les députés de l'Union pour la majorité présidentielle. Bien sûr que non !

M. Maxime Gremetz - Vous vous préférez le dire dehors. Moi je préfère le dire ici devant le ministre, sans ambiguïté.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission - Je voudrais rappeler qu'il s'agit d'une mission d'information, qui a pour but de nous informer de ce qui s'est passé, et non de faire part de nos états d'âme.

M. Maxime Gremetz - Pour nous informer, mais aussi pour faire connaître notre sentiment, sur la base des données qui sont à notre disposition. Sinon on peut s'en aller. Moi je veux travailler sérieusement, parce que c'est de nos concitoyens et de la santé de nos concitoyens qu'il s'agit.

Ainsi on s'aperçoit qu'il y a eu des alertes, ne serait-ce que les communiqués de Météo-France dès le mois de juillet, qui sont très clairs. On nous a dit d'ailleurs que la situation était maîtrisée.

Vous avez raison, monsieur le ministre, nous avons besoin d'un système d'alerte immédiatement efficace, sachant que ce n'est pas une fois le coup parti qu'il faut songer à y faire face. Il y a nécessité d'une véritable prévention en amont.

Vous parlez des urgentistes. On connaît bien la situation des services d'urgence. Moi qui ai eu l'occasion de visiter à plusieurs reprises ce service à l'hôpital d'Amiens, je peux vous dire qu'il y a des files d'attente effrayantes. Et je ne vous parle pas là des périodes de canicule, mais de la situation qui est la leur d'ordinaire. Déjà en temps normal les urgences souffrent d'un manque criant de moyens. Alors en cas de situation exceptionnelle, telle que vous l'avez décrite, c'est terrible ! Et on ne peut pas y faire face, malgré le dévouement des personnels, parfois jusqu'à l'épuisement. Cela pose la question, certes de l'organisation des urgences, mais surtout des moyens qu'on veut leur consacrer.

Autre aspect important du problème que vous avez vous-même relevé, celui de l'hospitalisation publique. Seulement ce n'est pas d'aujourd'hui que nous savons tous combien les hôpitaux manquent de personnels. Ça a même provoqué quasiment une crise politique, quand nous avons mené cette bataille pour obtenir les moyens, tant financiers qu'humains, liés aux 35 heures, pour qu'on puisse créer des postes dans les hôpitaux. Et depuis la situation s'est aggravée.

Je veux vous rapporter, monsieur le ministre, les propos scandaleux d'une maire de ma région, rapportés ce matin par la presse. Celle-ci dit qu'elle supprime trente lits à cause des 35 heures. Après une catastrophe d'une telle ampleur, voire une maire - UMP en l'occurrence, puisqu'il s'agit de Beauvais - prendre une telle décision pour des raisons politiques et idéologiques, avouez que ce n'est pas sérieux ! C'est de la provocation.

Vous avez dit que cette m parlait du rôle des préfets dans le système de santé publique. Je trouve complètement anormal que les préfectures refusent d'indiquer un bilan dans chaque région, dans chaque département et dans chaque grande ville. Comment voulez-vous dans ces conditions que les citoyens fassent confiance, quand on leur cache la vérité ?

Pourtant les chiffres que vous indiquez, 11 000 ou 12 000 morts, vous ne les avez pas inventés ! Ils font suite à la demande du Premier ministre de faire remonter les chiffres de chaque région, de chaque département, de chaque ville. Alors pourquoi ne peut-on pas les avoir ? Le rapport Lalande se refuse à indiquer un chiffre. Comment travailler sérieusement si on est incapable de mesurer les vraies conséquences de la catastrophe ?

Dernier point, la climatisation. Je propose de réquisitionner les grands hôtels pour bourgeois, puisqu'ils sont climatisés : on n'a qu'à mettre toutes les personnes âgées là-dedans. Si on ne veut pas en venir à cette solution, il faut qu'on ait les moyens de climatiser les hôpitaux et les établissements pour personnes âgées. Et je vais dans le sens du Premier ministre : il s'agit de construire une grande industrie du climatiseur qui n'existe pas en France.

M. Jean-Marc Roubaud - Monsieur le ministre, suite à votre intervention, je souhaiterais vous poser un certain nombre de questions précises.

Le rapport Lalande a mis en exergue une prétendue absence de la médecine de ville pour cause de congés. Le Conseil de l'ordre ou les syndicats de médecins ont-ils été alertés ? Et dans ce cas les préfets ont-ils réquisitionné des médecins libéraux ?

Ma deuxième question concerne également le rapport Lalande, qui dénonce un cloisonnement excessif de l'administration, qui a été nuisible au système d'alerte et d'anticipation. Envisagez-vous la fusion de ces organismes administratifs ?

Troisième question enfin, estimez-vous que l'Institut de veille sanitaire a failli ?

M. Claude Evin - Monsieur le ministre, je voudrais tout d'abord redire au nom du groupe socialiste - nous nous sommes déjà exprimés publiquement à ce sujet et le président du groupe socialiste a adressé une lettre au président de l'Assemblée nationale - que nous tenons particulièrement à ce que la commission d'enquête se mette en place rapidement. En effet une commission d'enquête dispose de pouvoirs d'investigation assez larges ; elle peut travailler pendant six mois et auditionner, éventuellement à plusieurs reprises, toutes les personnes qu'elle souhaite. Il ne faudrait pas que l'existence de cette mission d'information, initiée par la commission des affaires sociales, laisse à penser que tout le travail sera fait en quatre jours, sans qu'il soit besoin de reprendre ultérieurement l'ensemble des éléments dans le cadre de cette commission d'enquête. Nous aurions souhaité sa mise en place très rapide et nous regrettons que cela n'ait pas & 'Arial'; font-size: 10pt">Personne, dans cette salle ou ailleurs, peut prétendre que le gouvernement a bien géré cette crise. Les erreurs de communication commises à cette occasion doivent être analysées parce qu'elles ont été déterminantes sur la réactivité des administrations publiques. A quoi servirait le politique en effet si son discours ne jouait aucun rôle dans la mobilisation des services ?

Nous devons aussi nous interroger sur l'absence de réactivité de notre système de santé publique face à une telle situation climatique.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré sur RTL le 18 août que vous n'aviez pas disposé des informations et des alertes dont vous auriez dû disposer : de quelles informations s'agit-il ?

D'autant que dans Le Monde du 20 août, M. Lucien Abenhaïm, qui vient alors de démissionner de ses fonctions de directeur général de la santé, affirme que toutes les informations que la direction générale de la santé a reçues ont été transmises au cabinet du ministre. Quelle appréciation portez-vous sur cette déclaration de M. Abenhaïm ? Que s'est-il passé entre votre cabinet et vous, notamment autour du 11 août ?

Il y a bien d'autres faits sur lequel il faudra revenir en ce qui concerne cette période comprise entre le 3 et le 11 août, mais ce sera la tâche de la commission d'enquête.

On constate que la première réunion interministérielle sur les questions liées à la canicule, qui s'est tenue le 11 août à Matignon, est consacrée aux problèmes d'approvisionnement énergétique. Et on assiste à une communication d'importance de Mme la ministre de l'écologie et de Mme la ministre déléguée à l'industrie sur la nécessité d'éteindre la lumière avant de sortir d'une pièce ! Mais aucune intervention sur la nécessité de donner à boire aux personnes âgées, de les envelopper dans des linges humides, et autres mesures de précaution : pour quelles raisons ?

Il existe depuis 1998 un comité d'organisation et de gestion interministérielle des crises, le COGIC, qui dépend du ministre de l'intérieur. S'il s'agissait bien d'une catastrophe naturelle, comme vous le dites aujourd'hui, pourquoi le COGIC n'a t-il pas fonctionné comme il a fonctionné au moment de la grande tempête de l'an 2000 ? Au COGIC remontent pourtant des informations qui émanent des services de la sécurité civile, tels les sapeurs-pompiers.

Abordons maintenant le fonctionnement de notre système d'alerte, question essentielle puisqu'on risque demain, si elle n'est pas résolue, d'être confronté à de graves problèmes que nous n'aurions pas vu venir. Admettons que nous allons désormais nous doter d'une organisation efficace en cas de canicule. Mais nous risquons d'être confrontés à d'autres types de situations posant de graves problèmes de santé publique, face auxquels nous devro SAMU de Paris indique qu'il n'y a plus de place en réanimation à Paris.

Vous dites qu'il y a un désengagement de la médecine de ville. Il s'agit de s'interroger sans polémiquer sur l'organisation de l'offre de soins. Vous avez accepté une hausse de la rémunération des médecins généralistes. Quelles contreparties avez-vous obtenues alors, afin d'amener ces médecins à s'engager dans des actions de service public qui relèvent de leur responsabilité à partir du moment où ils sont financés par de l'argent public ? Il serait intéressant à ce propos que vous nous précisiez la teneur des décrets que vous comptez prendre concernant la permanence des soins. Il faudra aussi, puisque vous avez évoqué les réseaux de soins, préciser ce qu'a été la prise en charge en amont du système. Car il y a aussi un cloisonnement de l'offre de soins, entre la médecine ambulatoire, la médecine libérale, les cliniques privées et les hôpitaux.

J'aurais voulu aussi vous interroger sur les choix qui ont été faits dans le cadre de l'ONDAM concernant la médicalisation des maisons de retraite. Alors qu'était prévu en la matière un plan de 180 millions par an, ces crédits ont été supprimés. Et il a fallu que les maisons de retraite se mobilisent pour que vous concédiez 83 millions d'euros, soit 100 millions d'euros en moins. Il faudra donc revenir sur les choix qui sont les vôtres depuis dix-huit mois.

M. Dominique Paillé - Je veux préciser à l'intention de M. Evin qu'il n'est pas possible de mettre en place une commission d'enquête tant que l'Assemblée ne siège pas.

M. Claude Evin - Il est toujours possible de décider une session extraordinaire.

M. Dominique Paillé - On peut toujours tout imaginer !

Quant à moi j'ai plusieurs questions à poser à M. le ministre.

Vous avez daté la circulaire Falco du début de l'été 2003, alors qu'un certain nombre de journaux la font remonter à l'année précédente. J'aimerais savoir ce qu'il en est exactement, s'agissant de la seule action préventive qui aurait été mise en œuvre.

Alors que le directeur du Centre hospitalier intercommunal de Créteil (CHIC) a déclenché dans son établissement une sorte de « plan blanc » avant la lettre, pourquoi cette initiative n'a-t-elle pas fait école, notamment à l'Assistance publique de Paris ? Il s'agit en effet de secteurs similaires ; les populations concernées sont identiques. De même je suis surpris que l'initiative n'ait pas suscité la curiosité de la direction des hôpitaux. Mais peut-être cette initiative a-t-elle été rendue possible par la souplesse de gestion dont bénéficie le CHIC, à l'inverse du « monstre » qu'est l'Assistance publique de Paris.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Je me suis battue pour que soient mis en place des réseaux de soins gérontologiques, les centres locaux d'information et de coordination gérontologique : c'est parce que nous avions mesuré l'ampleur de l'enjeu, et le drame qui vient de se produire l'a totalement confirmé.

La montée en charge très rapide de l'allocation personnalisée d'autonomie a constitué l'an dernier une première alerte sérieuse sur la situation des personnes âgées. Or certains ont préféré faire de la question du financement de cette allocation un argument de politique politicienne, ce qui ne nous a pas permis de savoir quelle immense demande traduisait cette montée en charge.

Selon le rapport de l'IGAS, dès le 8 juillet, la mairie de Marseille et le professeur San Marco ont déclenché l'alerte. Or selon le professeur, votre cabinet avait été alerté. Cela est-il vrai ? Pourquoi, à partir de ces premières alertes,  n'a t-on pas établi un plan global de communication, comme cela a été fait à Marseille ? D'autant que depuis deux ans les media sont sensibilisés à ce type de problèmes et que les recommandations à donner étaient simples.

Ce n'est pas votre ministère qui a en charge le dossier des personnes âgées, mais M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, selon le décret qui fixe les compétences des ministres. Quels ont été les échanges entre votre ministère et celui de M. Fillon et de M. Falco après les premiers signes d'alerte, et les liens entre vos cabinets respectifs ? Un dispositif commun a t-il été mis en place entre vos trois cabinets, et à partir de quand ?

Des crédits consacrés au plan de financement 2003 des maisons de retraites ont été gelés, environ 100 millions d'euros. Dans le même temps, monsieur le ministre, vous aviez « débasé » 200 millions d'euros de crédits pour les maisons de retraite dans le cadre du plan de financement pour 2002. Comment cette décision a t-elle été prise ? Y a-t-il eu négociations conjointes avec le ministre des affaires sociales ?

Le rattachement de la question des personnes âgées au ministère des affaires sociales a-t-elle été de nature à fragiliser l'ensemble de l'action gouvernementale face à cette crise, et plus globalement en ce qui concerne la prise en charge des personnes âgées ?

J'avais, avec Bernard Kouchner, lancé un « plan gériatrie ». J'aimerais en connaître le bilan. A t-il même été poursuivi, et dans ce cas par quel dispositif ? Comment les ARHont-elles été mobilisées dans le cadre de ce plan ?

Ils avaient trois demandes concernant la réorganisation de la permanence de soins, la formation médicale continue et la démographie médicale. J'ai immédiatement demandé trois études sur le sujet. Le rapport sur la permanence des soins, confié à Charles Descours, a été conduit dans la plus grande concertation. Tous les acteurs du secteur étaient là, y compris les urgentistes, et je crois M. Patrick Pelloux lui-même, mais aussi le conseil de l'ordre des médecins et des représentants des usagers et de la CNAM.

Nous sommes arrivés à un équilibre, qui sera traduit par deux décrets. Le premier reformulant l'article 77 du code de déontologie réaffirmera que la permanence des soins est une obligation médicale. Le deuxième précisera que les premiers sollicités seront des volontaires et que, au cas où le nombre de ceux-ci serait insuffisant pour assurer une véritable permanence des soins, c'est le conseil départemental de l'ordre des médecins qui sera chargé, avec le Comité départemental de l'aide médicale urgente, le CODAMU, de trouver des solutions; au cas où cela ne suffirait pas, il reviendra au préfet de réquisitionner. En tout état de cause, je le réaffirme très fortement, la permanence des soins doit être assurée.

J'ai en outre repris et développé le concept de « maisons médicales ».Aujourd'hui, sur l'ensemble du territoire, cent maisons médicales fonctionnent ou sont sur le point de fonctionner.

Sur le cloisonnement excessif de l'administration, je pourrais, monsieur Roubaud, vous répondre, d'une pirouette, qu'il s'agit là d'un travers bien français. Mais je suis partisan de la collaboration et de la complémentarité, comme l'a déjà démontré la loi de bioéthique. Je souhaite qu'on aille vers la création d'une seule grande agence de biomédecine et de produits de santé.

Je ne pense pas en revanche qu'il faille supprimer l'Institut de veille sanitaire, qui est notre tour de contrôle, notre guet, notre vigie, et qu'il convient de renforcer au contraire. Mais il est vrai qu'il y a trop d'agences. D'ailleurs M. Claude Evin, comme tous ceux qui ont participé au débat en 1998, savent que je défendais la thèse d'une agence sanitaire unique, tout comme M. Bernard Kouchner, alors secrétaire d'Etat chargé de la santé. Nous avons aujourd'hui l'AFSSAPS, l'AFSSA, l'AFFSE. Il faudra bien que nous regroupions tous ces organismes.

Vous m'avez demandé si l'InVS avait failli. Selon la loi, l'Institut de veille sanitaire est chargé de prévenir l'autorité responsable, quel que soit le danger, pour que des mesures soient prises afin de p l'état de la situation au plan hospitalier et en ce qui concerne la DGS.

Sur le plan hospitalier on m'indique que toutes les décisions sont prises. Mme la directrice de l'assistance publique est revenue et a réuni une cellule de crise. Elle déclenche le « plan d'action chaleur extrême ». La DHOS a formé une cellule de crise. L'ARHIF a mobilisé ses 68 établissements, qui disposent de services d'accueil des urgences. En régions, cela se passe à peu près correctement.

J'ai donc un élément : l'hôpital connaît des difficultés, mais il y fait face.

Quant à la DGS, elle répond à 10 h 01 à ma demande, par un mail envoyé à mon cabinet. Elle y précise que  la DGS avait reçu le vendredi précédent, - c'est-à-dire le 8 ! Nous avions déjà 7 à 8000 morts ! - pour la première fois depuis le début de la vague de chaleur des appels de DASS signalant des décès par coups de chaleur chez les personnes hospitalisées ou en institution. Elle a essayé de faire le point rapidement, avec le SAMU de Paris, les pompiers, ce qui lui a confirmé que les quarante-huit dernières heures avaient constitué un tournant, mais que la situation était maîtrisée. 

Vous m'interrogez par ailleurs sur les remontées d'informations. J'ai ici le compte-rendu du 5 septembre de l'Agence régionale de l'hospitalisation des Pays de Loire, selon lequel si les services d'urgence ont eu à faire face à un surcroît d'activité et ont dû mobiliser fortement leurs personnels, il n'apparaît pas que l'absorption de cette suractivité ait posé de problèmes majeurs.  Or l'augmentation des décès a été en Mayenne de 50%, en Sarthe de 60%, en Loire-Atlantique de 35%. A cet égard, aucune DASS n'a été alertée de difficultés sensibles au moment de la crise. Dans sa conclusion, il indique qu'une première analyse de la crise révèle la nécessité pour les acteurs de mettre en place un système d'alerte. Ce sont essentiellement les services de l'Etat qui ont pris l'attache des services hospitaliers, des maisons de retraite ou des centres d'information et d'accueil départementaux, les CIAD, pour obtenir des éléments d'information sur la suractivité observée.

Nous n'avons rien su ! Quand quelqu'un décède dans une maison de retraite, comme à domicile, le décès est déclaré à la mairie. Il n'y a eu aucune remontée, même si cela paraît invraisemblable.

Je voudrais également vous faire part de ce que m'écrit la DRAS Provence- Alpes-Côte d'Azur, mais ce sont des observations similaires : les hôpitaux ont fait face, et aucune alerte n'est remontée au niveau des DASS.

Il y a l'exception de Marseille, mais elle démontre que le plan doit être établi au sein d'une agglomération. Car au niveau régional, on observe une augmentation du nombre de décès en 2003 en maisons de retraite et qu'il y avait des problèmes aux urgences, mais que l'hôpital faisait face.

Mais on s'imagine bien qu'il se passe quelque chose en amont, même si on ne le sait pas. Et c'est la raison pour laquelle je réaffirme les mesures de prévention nécessaires. Voilà ce que je fais à ce moment-là. Et voilà la raison de l'absence de réactivité, monsieur Evin.

Vous me demandez pourquoi je change de discours le 18 août sur RTL : parce que la veille sur TF1, à vingt heures, sans m'avoir informé au préalable, le directeur de l'Institut de veille sanitaire annonce que le chiffre de 5000 est plausible, mais ce chiffre, et le chiffre de 3 000 annoncé par les Pompes Funèbres, ne me paraissent pas reposer sur des données que je peux valider officiellement.

Dans ces conditions je dis sur RTL : premièrement, que l'hôpital a parfaitement fonctionné dans des conditions de médecine de catastrophe, et que je lui en suis profondément reconnaissant ; deuxièmement, je n'ai pas reçu de signe d'alerte, ni de l'Institut de veille sanitaire, ni de la direction générale de la santé. Je ne dis pas qu'il y a une faute, je dis que je veux comprendre, parce que ces services ont merveilleusement fonctionné dans d'autres situations.

Vous me demandez comment la DGS communique avec les professionnels libéraux de la santé. Le pire, c'est qu'un dispositif avait été mis en place il y a quelques semaines, qui s'appelle « DGS-Urgent ». C'est le moyen pour la DGS d'alerter les médecins en cas d'alarme sanitaire. Or le 11, il n'y a pas eu de message DGS-Urgent. A 19 h 30, avant mon intervention, je me fais confirmer que l'hôpital a pris les dispositions nécessaires, et qu'il n'y a pas de message DGS-urgent.

Vous m'avez interrogé sur l'appel de M. Pelloux. Je vais être très clair, monsieur Evin : M. Pelloux est un de mes interlocuteurs depuis l'année dernière ; M. Pelloux est un homme qui a de l'intuition, qui est attentif, qui rappelle souvent à l'ordre, parfois de manière justifiée, parfois de manière excessive.

J'avais fait le point avec lui le 27 juillet, en présence du directeur de l'hospitalisation, sur les fermetures de lits pendant l'été, car instruit par les difficultés que les urgences ont connues l'année dernière, je ne me suis pas éloigné du ministère : il était prévu que 1436 lits de plus soient ouverts cet été par rapport à l'été dernier ; entre 8 et 11,6 % sur l'ensemble du territoire, 20 à 25 % en région parisienne et à l'AP.

M. Pelloux a alerté. La mission Lalande a constaté qu'il y avait probablement un décalage entre ce qu'on m'avait affirmé et la réalité : je le saurai. Mais voilà pourquoi le 27 juillet l'appel de M. Pelloux n'a pas entraîné une réaction plus rapide.

Je suis favorable, moi aussi, à la collaboration du public et du privé est de 18,6 %, soit 256 postes de praticiens hospitaliers urgentistes non pourvus. On m'en donne les deux explications suivantes : un nombre limité de candidats - environ un candidat pour un poste publié - une répartition géographique inégalitaire des candidats et les régions peu attractives n'ont pas fait le plein.

On ne forme pas un médecin en cinq jours, en un an, en deux ans. Nous subissons aujourd'hui le résultat de quinze ans de politiques de numerus clausus. J'ai, après Bernard Kouchner, augmenté les chiffres, mais les résultats ne sauraient être immédiats. De même pour les infirmières.

Je veux vous rassurer, monsieur Gremetz, je veux la vérité, les chiffres seront connus. Et je ne me contenterai pas des remontés des DASS et des préfectures. Les données de l'INSEE nous permettront aussi de contrôler ces chiffres. Nous aurons donc deux sources d'information, l'INSEE d'un côté et de l'autre par le biais des mairies, DASS et centre épidémiologique de l'INSERM. C'est ainsi que travaille la mission de M. Denis Hémon et de M. Eric Jougla.

Mais je n'attendrai pas les chiffres définitifs pour considérer le drame dans son entier.

Vous évoquez le COGIC, monsieur Evin. Je ne sais s'il a fonctionné sous ce terme. Mais il y a eu des réunions interministérielles à Matignon pratiquement tous les jours à partir du lundi, à ma connaissance. J'ai travaillé avec Hubert Falco ; nous sommes allés ensemble à Bordeaux et à Paris à la Pitié-Salpêtrière. Nous avons échangé à tous moments sur ces sujets dont nous avons la charge avec François Fillon.

Madame Guinchard-Kunstler, je sais combien les sujets que vous avez abordés vous tiennent à cœur, et je veux donc vous dire comment nous avons pris les choses en main. MM. Fillon et Falco, ministres plus spécifiquement en charge de ces dossiers, complèteront ma réponse.

Il y a eu concernant l'APA une sous-estimation du nombre des bénéficiaires qui aurait pu attirer l'attention, mais ça n'a pas été le cas. Nous avons essayé de sauver l'APA, avec des difficultés. Vous le verrez dans les dispositions prévues au mois d'octobre. Non seulement l'APA sera pérennisée, mais le problème sera pris en charge dans sa globalité. J'ai les chiffres concernant l'aide aux personnes âgées en perte d'autonomie : en 2001, 800 millions d'euros pour 170 000 bénéficiaires ; en 2003, 3,3 milliards pour 800 000 bénéficiaires. Quant à la dotation aux établissements pour personnes âgées dépendantes par l'assurance maladie, elle s'élevait à 4,2 milliards d'euros en 2001 et à 4,7 milliards d'euros en 2003, soit une augmentation de 15% en deux ans. Quant aux crédits prétendument gelés de cent millions d'euros, il faudrait d'abord s'entendre sur la terminologie : si Bercy peut geler des crédits, la sécurité sociale ne le peut pas.

M. Claude Evin - C'e Vous m'interrogez aussi sur le plan blanc. Je vous ferai une proposition dans la loi de santé publique. Aujourd'hui, le plan blanc repose exclusivement sur une légitimité donnée par une circulaire. Je veux lui donner une base législative. Actuellement, ce sont les directeurs d'établissement qui déclenchent ce plan, comme l'a fait d'ailleurs, et il faut l'en féliciter, le directeur de l'hôpital de Créteil. Le préfet l'a fait ensuite pour l'ensemble du Val-de-Marne. Il me semble - nous en discuterons - qu'il faudrait d'abord une base législative. Puis, dès lors que deux hôpitaux déclenchent le plan blanc, le préfet doit prendre les choses en main. Et probablement faudra-t-il un plan blanc élargi au secteur privé et au secteur libéral, ce qui n'était pas possible dans la situation que nous avons évoquée.

Vous avez mentionné la date du 8 juillet. Vous allez entendre, je crois, le directeur général de l'assistance publique-hôpitaux de Marseille, M. Vallet. Vous allez également entendre le professeur San Marco, qui vous le dira mieux que moi : il a fait, le 8 juillet, une conférence de presse devant trois ou quatre journalistes stagiaires qui lui avaient été envoyés. Or ceux-ci n'ont rien relaté du contenu de cette conférence de presse. Le professeur San Marco vous dira comment, quand il les a convoqués, début août, il leur a d'abord rappelé l'importance que doivent prendre les relais, quand on délivre des messages de cette nature. Il y reviendra. Je n'insiste pas sur ce point.

Sur le plan de la communication, on peut voir avec le recul que les choses ont été maladroites - je le reconnais volontiers - surtout quand on dispose de la courbe des décès. Celle-ci montre que, la canicule ayant commencé le 2 août, la montée des morts s'observe dès le 4 et que le 8 nous sommes passés pratiquement de 1400 à 2400 morts. Pourtant, personne n'est informé. Personne ne dit rien. C'est cela qu'il faut absolument changer. On ne peut pas laisser les gens mourir dans le silence, sans que soient prévenus ceux qui pourraient intervenir. Je ne veux pas faire état de mes sentiments personnels à cet égard. Mais quand on est en charge d'un système et qu'on ne dispose pas de l'information dont on a besoin, on se sent interpellé. On se sent le devoir d'agir, de changer ce qui ne va pas et d'adapter le système.

Il est une question qui ne m'a pas été posée mais que je souhaite devancer. Je n'ai jamais songé à démissionner, bien au contraire. Je me suis senti investi d'un devoir d'agir, car j'ai vu comment se sont dessinées les choses. Je sais à présent comment il faut faire pour empêcher qu'elles ne se reproduisent. Notre pays - et vous avez dit, à juste titre, qu'il fallait que cela change - a toujours adapté son système de veille sanitaire au décours des crises. Il y a eu l'affaire du sida, puis celle de la vache folle. Je veux que dans le texte de loi sur la santé publique certains articles, notamment l'article 14, permettent de donner toute puissance au ministre et, par délégation, aux préfets pour mettre en place un système d'alerte, y compris pour les risques non identifiées. C'est ainsi, je crois, que nous réagirons le mieux.

Sur le plan de la gériatr hôpitaux locaux là où l'on manque de médecins, parce qu'on y fera venir, pour les consultations, des médecins répondant aux besoins des populations. C'est prévu. C'est déjà en cours.

M. Maxime Gremetz - Vous n'avez pas parlé du problème de la climatisation...

M. le ministre - En effet, monsieur Gremetz. Pardon d'avoir oublié ce point. Les Américains ont observé avec un étonnement amusé que nous avions une prévention, en France, à l'encontre de la climatisation, essentiellement à cause de cas de légionellose que nous avons connus. Nous considérons par ailleurs que la climatisation consomme beaucoup d'énergie et qu'elle conduit parfois à aggraver l'effet de serre contre lequel il faut se défendre, précisément pour éviter les dérèglements climatiques. La réflexion, dans ce domaine, n'est pas si simple. Toutefois, je souhaite imposer par la loi - car même si le problème est plutôt de nature réglementaire, la portée symbolique de la décision n'en sera que plus forte - que tout établissement de retraite, tout établissement pouvant accueillir des personnes en soin de suite et tout hôpital possède une salle climatisée suffisamment vaste pour accueillir ceux qui leurs sont confiés. Les Américains nous l'ont en effet indiqué : il suffit de rester deux à trois heures par jour dans une salle climatisée pour pouvoir récupérer. Le plus difficile, dans les plans d'agglomération, c'est le ramassage des personnes âgées - à organiser sur le mode du ramassage scolaire - afin de les conduire dans des lieux climatisés. Ce problème sera par conséquent traité, lui aussi.

Mme Catherine Génisson - Comme mes collègues, je voudrais aborder cette mission d'information en indiquant que nous souhaitons de la sérénité, de la rigueur méthodologique et de la dignité dans le débat.

Après cette précision, je vais me permettre, monsieur le ministre, de vous poser une question personnelle. Dans votre exposé liminaire, vous avez, en présentant le déroulement des événements, indiqué que, le 8 août, la DGS avait préconisé - fort légitimement - un certain nombre de mesures. Or, vous l'avez indiqué, ces mises en garde, du fait de leur manque de solennité, ont été très peu reprises dans les médias. Pourquoi donc n'avez-vous pas fait vous-même cette communication, ce qui lui aurait donné ce caractère solennel qui lui aurait permis d'avoir un impact beaucoup important sur la population ? On sait que, par exemple, vous vous étiez très largement et très précocement exprimé sur le SRAS...

Si j'aborde cette question, c'est pour poser le problème plus vaste de la transmission de l'alerte. Si l'on en croit vos propos, nous avons eu, du risque sanitaire, une approche beaucoup trop épidémiologique et pas assez opérationnelle. En ce qui me concerne, je sais que les acteurs de terrain - cet été, j'ai été fréquemment de garde à l'hôpital et j'ai donc vécu cette crise de l'intérieur - se taisent, la de prospective purement épidémiologiques, qui ne prend aucunement en compte la partie opérationnelle du problème.

Ma deuxième question - mais je crois que vous y avez répondu - est celle-ci : pourquoi, à Paris et dans la région parisienne, le plan blanc a-t-il été mis si tardivement en place ? On a éprouvé le besoin de mettre en place des plans intermédiaires. Mais l'intérêt du plan blanc est que, au-delà de l'ouverture de services et de lits, il permet de mobiliser, voire de rappeler du personnel. Il est assez peu compréhensible que ce plan ait été mis en place avec tant de retard.

Je voudrais également revenir sur l'analyse qui a été faite du fonctionnement des services d'urgence. Je témoigne comme vous, monsieur le ministre, tant de l'importance que de la qualité de la mobilisation de l'ensemble des personnels. Par ailleurs, s'il est évident qu'il faut améliorer le fonctionnement du service des urgences, je défends aussi, en tant qu'urgentiste, l'idée que ce ne sont pas les seules urgences qui résoudront tous les problèmes de notre système de santé, qui doivent être examinés tant en amont qu'en aval des services d'urgence.

En ce qui concerne le sujet ponctuel, mais important, de la fermeture des lits, cela fait maintenant des années qu'il se pose. Au-delà du nombre de lits fermés et de la durée de fermeture de ces lits, il y a une mesure très simple à mettre en place : il faut prendre en compte, pour décider d'une fermeture, non les difficultés de fonctionnement des services mais l'évaluation des besoins de fonctionnement de l'hôpital public pendant l'été. Cette mesure paraît relever de l'évidence. Pourtant, ce n'est absolument pas en fonction de ce critère que sont fermés, durant l'été, les lits d'hôpital.

C'est un mauvais procès fait aux médecins généralistes que de leur reprocher l'absence de permanence des soins. Vous l'avez rappelé : les médecins sont évidemment soumis à l'obligation de permanence des soins. Vous avez d'ailleurs évoqué un certain nombre de pistes pour assurer cette permanence, qu'il ne suffit pas de proclamer. Mais je l'ai déjà indiqué, monsieur le ministre : en la matière, il n'y a pas de fatalité. Dans le Pas-de-Calais, à la suite des mouvements de grève nationaux, les médecins généralistes, en concertation d'ailleurs avec le système hospitalier et la sécurité sociale, ont mis en place un système de régulation médicale de tous les appels de garde, ce qui a abouti à une remobilisation massive des médecins généralistes. Ainsi, actuellement, à Arras, tous les médecins généralistes reprennent des gardes - ce qui a d'ailleurs permis d'étendre les heures de consultation et d'envisager l'ouverture de maisons médicales dans le Pas-de-Calais - alors qu'il y a encore deux ans, dix ou douze médecins seulement assuraient ces gardes.

J'insiste enfin sur le fait qu'il est important de revoir l'organisation de l'hôpital en aval, car la valorisation des services d'urgence a fait perdre, aux différents services dépendance est de plus en plus grande et où les moyens font défaut, par rapport aux centres de long séjour. Ce problème se pose depuis des années. Je rappelle que, par le passé, on autorisait l'ouverture de lits qui n'étaient pas financés.

Enfin, je plaide depuis longtemps, avec certains de mes collègues, pour la reconnaissance d'un risque « dépendance » qui serait géré par la sécurité sociale. Cette solution semble aujourd'hui envisagée - du moins, les médias l'affirment-ils. Quels sont les premiers éléments que vous pouvez nous communiquer sur la création éventuelle d'une branche « dépendance » ?

M. Claude Leteurtre - Je vous remercie tout d'abord, monsieur le ministre, pour la dignité de vos propos sur la solitude et la fin de vie des personnes âgées. Il y a cependant un paradoxe : face à une catastrophe naturelle et à un drame humain silencieux qui s'est déroulé en dehors de l'hôpital, il suffisait de prendre des mesures simples. Voilà qui pose le problème du lien intergénérationnel, de l'humanité nécessaire pour résoudre certaines situations. Faut-il nécessairement rechercher une responsabilité politique là où se pose en fait le problème de la responsabilité individuelle ? Au reste, les structures de maintien à domicile,  les services d'accueil des personnes âgées dépendantes ou encore les hôpitaux - qui fonctionnent bien, d'ailleurs - ont été décapités par la mise en place des 35 heures. On a perdu de ce fait une grande capacité de travail et donc d'intervention.

Je voudrais enfin vous demander des statistiques. Vous vous êtes référé aux années 1976 et 1983. Ces années-là, la Faucheuse est-elle passée un peu trop vite, un peu trop tôt ? Dans les six mois qui ont suivi ces canicules, y a-t-il eu un « rattrapage » en ce qui concerne le nombre de décès ? Par ailleurs, vous avez indiqué que plus de 80% des personnes décédées avaient plus de 75 ans et que 50 % d'entre elles avaient plus de 85 ans. C'est un chiffre important, qui montre que la longévité et la dépendance sont en cause. Mais qui est réellement concerné ? Dans les EPAD, j'ai le sentiment que les personnels ont été réactifs. Il y avait des schémas pour hydrater les gens, les dévêtir, etc. En revanche, les personnes âgées à domicile ont-elles pu bénéficier des mêmes soins ? J'en doute. Je reviens ainsi à la question de Mme Guinchard-Kunstler sur l'APA. L'APA a mélangé des GIR 1, 2, 3 et 4. On a peut-être dispersé les moyens. Il est donc important de cibler la mortalité des gens, en précisant s'ils étaient en établissement ou à domicile.

M. le président de la mission d'information - Je rappelle à M. Colombier que nous avons un chantier en parallèle, dont nous pourrons déjà tirer quelques conclusions à court ou moyen terme, qui concerne la perte d'autonomie et le cinquième risque. Voilà dix-huit ans que nous nous battons sur ce point !

En ce qui concerne l'InSV, vous avez raison : cet institut s'est essentiellement focalisé sur l'infectieux et le toxique. Il a même entrepris des études de recherche épidémiologique. A mon sens, il n'a probablement pas mesuré toute l'ampleur de sa tâche opérationnelle. C'est pourquoi je vais lui demander - dans une loi - , de se mettre en liaison directe avec les urgences et avec l'hôpital. Car enfin - vous le savez, puisque c'est votre métier - les urgences aujourd'hui sont le reflet de la société. Quand on reçoit aux urgences des SDF, c'est que la société se précarise. Quand on y reçoit des personnes âgées, c'est que la population vieillit. Quand on reçoit des cas de grippe difficiles, c'est qu'il y a une épidémie. C'est, par conséquent, là qu'il faut veiller. Ce sera bientôt fait. De même, il faut veiller sur les activités hospitalières.

Vous m'interrogez sur le plan blanc. J'ai déjà évoqué ce point, en répondant à M. Dominique Paillé. Théoriquement, au titre de la circulaire, c'est le directeur d'établissement qui déclenche ce plan. Nous l'avons déclenché le mercredi, M. le Premier ministre et moi-même, pour l'Ile-de-France et l'AP. Mais en réalité, le Val-de-Marne avait déjà, la veille, anticipé cette mesure et les établissements ont généralement conservé les mesures qu'ils avaient adoptées. Je vous rappelle que les mesures du plan blanc consistent premièrement à libérer des lits en faisant sortir de l'hôpital des patients dont l'état de santé le permet, deuxièmement à repousser les hospitalisations et les interventions programmées qui ne sont pas urgentes, troisièmement à mobiliser les forces de l'hôpital sur la difficulté et enfin à réquisitionner éventuellement du personnel ailleurs. D'après ce qui m'a été dit - et la direction de l'hospitalisation vous le confirmera -, le besoin de réquisitionner du personnel parti en vacances ne s'est pas fait sentir. C'est pourquoi le plan blanc a été mis en place de manière graduelle. A Paris, selon la décision de la directrice générale, il a été mis en place le lundi.

Vous m'avez interrogé sur la ville. Je sais que, dans votre région, les maisons médicales de garde se développent. Une autre solution, évoquée dans le rapport de Charles Descours, commence à se mettre en place : la participation des libéraux à la régulation du Centre 15, avec le Centre 15 bis.

Mme Catherine Génisson - Arras n'avait pas attendu !

M. le ministre - Je le sais bien !

Enfin, sur les lits d'aval, je me suis déjà exprimé.

Monsieur Leteurtre, vous avez raison : sans donner dans l'émotionnel, la fin de vie des personnes âgées, ces cercueils alignés, non réclamés, ces solitudes, ces drames que j'ai rencontrés à l'hôpital, sur le terrain, quand je suis allé voir les équipes, ne sont pas acceptables. Vous le savez : les petits enfants, eux, ne sont pas morts, parce qu'ils ont fait l'objet de soins attentifs. Cela n'a pas été le cas pour nos aînés et je le regrette. C'est pour cela que, je crois, chacun d'entre nous a ici sa part de responsabilité.

Vous évoquez le problème de la recherche démographique sur les décès anticipés. Je ne veux pas entrer dans ce débat, parce qu'une mort est une mort. Quand elle survient un peu plus tôt, elle n'en est pas moins dramatique, surtout quand on pense qu'on aurait pu l'éviter. Mais il est vrai que les courbes d'évolution démographique nous réserveront des surprises. Qui sait, d'ailleurs, qu'en janvier 2002, nous avons connu une augmentation du nombre de décès de pratiquement 12 %, par rapport aux mois de janvier 2001 et 2003 ? Personne ! Mois après mois, nous connaissons des fluctuations démographiques de naissance et de mort. Pour ma part, quitte à ce qu'on me le reproche, j'ai tenu à ne pas valider de chiffre dont la réalité ne soit pas démontrée.

Voilà ce que je voulais vous dire, monsieur le président de la mission d'information, monsieur le président de la commission et mesdames et messieurs les députés.

Pour terminer, même si vous ne m'avez posé aucune question sur ce point, j'ajoute que d'autres pays voisins ont vécu le même drame. Mais les chiffres ne sont pas connus. On n'en est qu'au début des estimations. Un seul chiffre a fait l'objet d'une dépêche très précise, qui provient du bureau central néerlandais des statistiques : celle-ci fait état de 1400 morts. Si vous ramenez ce chiffre à celui de la population des Pays-Bas, nous ne sommes pas très loin de nos chiffres. Mais loin de moi l'idée de m'en réjouir ! Je pourrais vous citer également une dépêche de Madrid ou de Lisbonne. C'est vrai, notre système de santé n'a pas anticipé cette crise comme nous l'aurions souhaité. Il nous permet du moins d'aller vers la vérité, vers l'authenticité, pour tirer les véritables leçons de ce drame. C'est en tous cas ce à quoi je m'engage personnellement.

M. le président de la mission d'information. Monsieur le ministre, M. le président de la commission et moi-même vous remercions d'avoir pris tout le temps nécessaire pour répondre à nos questions. Nous vous remercions également pour tous les documents que vous nous avez remis et qui seront transmis à tous les membres de la mission.

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II. Audition de M. Dominique Sebbe, président du syndicat des urgences hospitalières

(séance du jeudi 11 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Dans le cadre de nos auditions, nous recevons maintenant le docteur Dominique Sebbe, président du syndicat des urgences hospitalières. Je le remercie d'avoir patienté durant une heure, puisque nous avons pris un peu de retard. Mais il a pu ainsi, à titre exceptionnel, assister à la fin de l'audition de M. le ministre et profiter de certaines réponses concernant les urgentistes.

Monsieur le président du syndicat des urgences hospitalières, nous vous demanderons d'évoquer la manière dont vous-même, les membres de votre syndicat et tout le corps médical, avez vécu cette crise. A quelle date avez-vous senti qu'il se passait quelque chose d'anormal ? Avez-vous alors cherché à alerter les pouvoirs publics ? Pouvez-vous également nous donner quelques indications sur les causes de mortalité, le type de malades que vous avez rencontrés, les problèmes d'hyperthermie et de dégradation rapide liée à des pathologies particulières ? En effet, quand on consulte les documents définissant ce qu'est une hyperthermie - le malade connaît, dans des conditions extrêmement précises, une température de plus de 40° -, on voit bien que les malades qui sont décédés de cette hyperthermie maligne représentent une minorité. Mais il y a eu malheureusement des décès anticipés, pour beaucoup de personnes fragilisées. Un de mes collègues a évoqué l'éventualité, à présent, d'une sous-mortalité. Mais je pense que s'il y a baisse de la mortalité, ce sera vraisemblablement dans un certain temps, car les personnes fragilisées pendant la canicule en supportent encore les conséquences.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - On l'a vu à Chicago ou à Marseille : après une canicule, loin d'observer une diminution des décès, on constate au contraire que la mortalité est plus importante.

M. le président de la mission d'information - Nous sommes du même avis : il y aura probablement un temps de latence assez long.

Avez-vous eu l'impression, en tant que médecin urgentiste, que cette surmortalité pouvait être attribuée à la pollution ou encore à des prises médicamenteuses ? Comment améliorer le système des urgences ? Existe-t-il d'ailleurs un système parfait, idéal, qui permettrait d'éviter ce genre d'affection ?

M. Dominique Sebbe, président du syndicat des urgences hospitalières - Je termine les présentations : je m'appelle Dominique Sebbe et je suis médecin urgentiste, chef de service des urgences de l'hôpital de Pontivy. A ce titre, j'ai l'impression d'être quasiment en dehors du coup à titre personnel, si je consid 160;? Je suis, à titre personnel, très mal placé pour répondre. En fait, nous avons découvert la crise quand on en a parlé dans les médias. Notre activité avait globalement augmenté de 20%. Sur une cinquantaine de passages par jour, cela représente dix patients en plus, ce qui est gérable, même pour un tout petit service qui occupe 220 mètres carrés. On arrive à se débrouiller. On a donc pu hospitaliser les patients qui arrivaient dans notre service sans constater de décès.

Au vu des premières enquêtes qui ont été menées, il semble que le département dont je viens a eu l'insigne honneur de tirer la sonnette d'alarme le premier, puisque le Dr Guillaumot, médecin inspecteur de la DDASS, que je connais très bien, a signalé le premier, le 6 août, trois décès exceptionnels. S'il a pu le faire, c'est que le SAMU 56, lui avait fait part de ces décès suspects.

M. le président de la mission d'information - Il s'agissait de décès de sujets jeunes, si j'ai bonne mémoire.

M. Dominique Sebbe - Il s'agissait de sujets jeunes, d'adultes d'une cinquantaine d'années, qui avaient une activité professionnelle. Ils avaient cependant un profil particulier, soit du fait d'une consommation d'alcool excessive, soit du fait de la prise de médicaments psychotropes. Le système d'alerte peut donc fonctionner : les services peuvent être vigilants et signaler des phénomènes de ce type. Mais il faut souligner que l'alerte a été donnée parce qu'il s'agissait de sujets relativement jeunes. Je ne crois pas que le SAMU aurait signalé trois décès particuliers de personnes ayant plus de 85 ou 90 ans. Leur décès n'aurait pas attiré l'attention. Ce qui était frappant, c'était le caractère spécifique de ces décès de patients jeunes, qu'on ne s'expliquait pas bien, mais qu'on a rapidement attribués à une hyperthermie due à la canicule.

Par la suite, quand l'alerte a été donnée dans les médias, on a effectivement constaté une pointe d'activité. A ce moment-là, à partir du 3 ou du 4 août, même un petit service comme celui de Pontivy, qui voit entre 16 000 et 20 000 passages par an, a connu une progression des entrées journalières. Malgré cela, je tiens à souligner que la proportion de personnes âgées accueillies n'a pas augmenté. Les entrées ont globalement augmenté sans que, pour autant, une tranche d'âge spécifique ressorte comme étant la cause de cette augmentation.

Pour ce qui est de la mortalité à venir, c'est un point auquel je serai attentif. On peut se demander ce qui va se passer. Le département du Morbihan a été peu touché par la mortalité, dont l'augmentation se situe entre 20 et 30%. Les décès constatés sont quand même - en dehors des trois qui ont été à l'origine de l'alarme - des décès de personnes très fragilisées, institutionnalisées ou poly-médicamentées. Je ne suis pas sûr que l'évolution des courbes de mortalité soit la même partout. La scission s font-size: 10pt">M. Dominique Sebbe - Si l'eau est fortement nitratée, la qualité de l'air est excellente.

M. le président de la mission d'information - En tant que président du syndicat des urgences hospitalières, avez-vous entendu évoquer ce problème de la pollution ?

M. Dominique Sebbe - Le sentiment que j'ai, c'est qu'il n'y a pas eu assez d'études sur les pathologies liées à la pollution qui ont pu être enregistrées. Celle-ci est-elle un facteur aggravant ? La plupart des décès étant causés par l'hyperthermie, on ne peut pas les relier au problème de la pollution. Mais on m'a signalé un certain nombre de décompensations respiratoires, qui, à défaut d'entrer dans les critères d'hyperthermie, qui supposent chez le patient une température supérieure à 41°, sont imputables à des défaillances respiratoires et/ou cardio-respiratoires. Dans ces cas-là, la responsabilité conjointe d'une pollution en milieu urbain et de la canicule peut être évoquée.

On sait également que certains médicaments perturbent les régulations des grands équilibres physiologiques des patients. C'est notamment le cas des psychotropes, des diurétiques, des bêtabloquants, qui entraînent des adaptations moins faciles aux variations de températures. Dans ce domaine, j'ai une proposition à faire : puisqu'il est aisé de lister le type de molécules qui entraînent de tels effets, pourquoi ne pas faire apparaître un avertissement sur les boîtes de médicaments, comme il en existe, dans le cas des psychotropes, pour la conduite de véhicules ?

Enfin, pour répondre à votre dernière question, j'ai du mal à imaginer ce que pourrait être un système idéal.

M. le président de la mission d'information - Posons la question autrement : qu'y a-t-il à améliorer dans les services d'urgence ? Votre syndicat signale-t-il des problèmes de formation ? d'organisation ? de moyens ?

M. Dominique Sebbe - Dans les services d'urgence, je ne crois pas qu'il y ait de problème d'organisation. On peut au moins nous reconnaître cette particularité par rapport aux autres praticiens : en cas de pénurie, nous n'avons aucun moyen de limiter les flux entrant dans un service d'urgence. Nous avons compensé cet inconvénient par une grande adaptabilité de nos plannings et une grande disponibilité. Notre organisation est ce qu'elle est, compte tenu des possibilités dont nous disposons. Mais elle est optimisée. A ma connaissance, on n'a d'ailleurs jamais constaté que des services d'urgence fermaient par manque de moyens ou parce qu'on n'avait pas réussi à mobiliser les membres d'une équipe.

En revanche, on parle beaucoup de filières, et notamment de filières gériatriques, dans l'organisation des urgences. Je souhaiterais tempérer ces propositions. A mon sens, la gériatrie reste une discipline de médecine polyvalente, qui va donc s'occuper du patient dans son ens CHU. L'hyper-spécialisation en vogue dans certains établissements a en effet son revers pour les patients poly-pathologiques que plus personne ne sait ni veut prendre en charge.

Ainsi, l'intervention des gériatres aux urgences est une proposition discutable. Pas plus que les pédiatres, les cardiologues, les pneumologues ou les psychiatres, ils n'ont vocation à travailler dans les boxes des services d'urgence, à l'admission du patient. Ils sont, au même titre que les autres spécialistes, des consultants, qui apportent leur savoir technique de prise en charge de la personne âgée, leur connaissance des réseaux ou leur avis sur un patient dont, lors du premier contact, le médecin urgentiste n'a pas bien réussi à sérier le devenir. Leur rôle est donc fondamental au niveau des urgences, mais comme consultants, dans le cadre d'unités de gériatrie qui comprennent non seulement un médecin gériatre, mais aussi une assistante sociale, des ergothérapeutes ou des kinésithérapeutes qui organisent une prise en charge globale.

On peut également avancer une autre idée. Même si les services aigus de gériatrie offrent un apport considérable, on met aussi des personnes âgées dans d'autres services. Ainsi, une fracture du col du fémur pose parfois problème pour les services d'orthopédie. Car une fois celle-ci prise en compte sur le plan chirurgical, se repose la question du devenir du patient. De la même manière que l'on a créé des « unités douleur », je crois donc qu'il est important de réfléchir à la création d'unités mobiles de gériatrie.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - J'ai été sensible à ce que vous avez dit au sujet de ces trois personnes mortes d'hyperthermie à propos desquelles l'alerte a été donnée. Ils ne s'agissait pas de personnes âgées. Si ça avait été le cas, l'alerte n'aurait sans doute pas été donnée. C'est une des questions que je me pose face à cette crise. Le non-déclenchement des alertes pose problème. Si des enfants étaient morts d'hyperthermie, la sensibilisation n'aurait-elle pas été beaucoup plus grande ? Voilà qui pose un problème d'éthique, tant pour les responsables politiques que pour les administrations et les médecins.

Un second point m'a marquée : il y avait, à Marseille, un service d'urgence qui, à la suite de la canicule survenue en 1983, avait fait tout un travail d'analyse et de proposition. Or cette information ne s'est pas assez diffusée. Dans le champ dans lequel vous travaillez, notamment en tant que président du syndicat des urgences, vous était-elle parvenue et vous avait-elle intéressé ? Je me réfère ici aux travaux du professeur San Marco, mais on pourrait également songer aux études menées à Chicago, il y a très peu de temps.

Ma troisième remarque porte sur vos propos relatifs à la gériatrie, que j'ai écoutés avec beaucoup d'intérêt. Je vous invite à lire la circulaire du mois de mars 2002, à laquelle nous avons, Bernard Kouchner et moi, apporté une grande attention, sur le l'hyperthermie. Les gériatres parlent entre eux de « surchauffe » du corps. Ne mélangeons donc pas les choses : en matière sanitaire, si on n'aborde pas le champ des problèmes spécifiques que posent les personnes âgées et les grands vieillards, on ne résoudra rien.

M. Jean-Marie Rolland - Je vous poserai quatre questions.

Tout d'abord, avez-vous ressenti, dans les services d'urgence comme celui de Pontivy, des difficultés liées à l'absence des médecins libéraux ? Ce sentiment a-t-il été partagé sur l'ensemble du territoire ?

D'autre part, pourquoi, selon vous, les régions habituellement connues pour être les plus chaudes ont-elles constaté une mortalité inférieure à celle des autres régions, réputées plus tempérées ?

Troisièmement, la rédaction des certificats de décès est un sujet de discussion fréquent. On a du mal à savoir, en France, de quoi meurent nos compatriotes. Au cours de cette crise liée à la canicule, l'imprécision des certificats ne s'est probablement pas corrigée. J'aimerais avoir votre sentiment à ce sujet.

Enfin, un syndicat d'urgentistes - j'ignore lequel - a annoncé « la pire des catastrophes » pour cet hiver, lorsque surviendrait l'épidémie de grippe. Quel est votre avis sur ce point ?

Mme Catherine Génisson - C'est moins au responsable local des urgences de Pontivy qu'au responsable national que je souhaiterais m'adresser. J'aimerais savoir comment, en tant que responsable national, vous avez vécu cette crise, tant du point de vue de l'alerte que de la prise en charge des personnes âgées.

Par ailleurs, pourriez-vous aller plus loin en ce qui concerne la place des services d'urgence dans l'organisation du système de soins ? Je songe notamment à la relation en amont avec les médecins généralistes et avec les acteurs du secteur médico-social (chefs d'établissement de maisons de retraite ou de structures accueillant des personnes âgées).

Enfin, je partage l'opinion de ma collègue Paulette Guinchard-Kunstler : s'il faut mettre en place des services de médecine générale, comme vous le suggérez, il faut attacher une importance spécifique à la gériatrie. Je rappelle que des expériences ont été menées en ce sens de manière tout à fait positive et qu'il n'est pas incongru que des gériatres soient présents en tant que tels dans les services d'urgence, puisque la population qui arrive aux urgences est une population âgée.

M. Dominique Sebbe - Comment avons-nous reçu et transmis l'alerte ? Une difficulté que connaissent les services d'urgence actuels tient au fait que le personnel médical travaille toujours à flux tendu. Les lacunes dans la transmission de l'urgence s'expliquent d'elles-mêmes. Lorsqu'on publications des services de médecine d'urgence se soient faites de plus en plus rares. Ce n'est pas dû à un manque de volonté. Mais - passez-moi l'expression - quand on a « le nez dans le guidon », il est difficile de prendre du recul et d'avoir une vision globale de ce qui se passe.

Pour ce qui est de la transmission de l'alerte, même si les services d'urgence sont incontournables, ils se situent, dans certains cas, trop en aval de l'événement. En effet, quand les épidémies de grippe ou de bronchiolite arrivent en pédiatrie, les services d'urgence constatent un afflux de cette pathologie particulière. Mais il est déjà trop tard. Lorsque les patients se présentent en masse dans les services d'urgence, notamment en cas de canicule, le mal est fait.

En ce qui concerne les relations avec les médecins généralistes, la situation à l'échelle d'un canton, d'un département, et a fortiori de tout le territoire, est tout à fait variable en fonction des personnalités, du vécu des médecins généralistes ou de leur installation en zone urbaine ou suburbaine. Les comportements sont en effet très différents. Rennes a mis sur pied une maison médicale dont le recrutement est bon et qui ne fonctionne pas mal. De ce fait, quand on regarde les statistiques du service d'urgence du CHU de Rennes, on constate que la canicule n'y a eu aucun effet. Certaines agglomérations ont apporté, du fait de la présence de cabinets groupés du type SOS médecins, une bonne réponse à l'accroissement des appels. En revanche, dans d'autres territoires, on a pu constater un retrait de la médecine libérale vis-à-vis du système de garde. C'est indéniable. On a signalé des attentes des médecins généralistes au niveau du Centre 15 ou des attentes de fédérations sur des territoires qui me paraissent personnellement trop grands pour être viables avec une seule garde de médecine.

Les relations avec les maisons de retraite ou les hôpitaux locaux ont été bonnes dans notre département. Nous maintenons un réseau à l'intérieur duquel les urgentistes et les médecins se connaissent entre eux, du fait de l'organisation de réunions. On a donc pu, au niveau local, solliciter des hospitalisations. Les relations avec ces hôpitaux ne se limitent d'ailleurs pas aux périodes de canicule. Elles permettent ordinairement des échanges de patients dont les pathologies sont sélectionnées ou débrouillées au niveau du service d'urgence, y compris grâce à l'avis de spécialistes, la suite du traitement s'effectuant dans les hôpitaux locaux. Toutefois, cette situation de collaboration est propre aux moyennes villes et aux régions suburbaines. Dans les grandes villes, m'a-t-on dit, les maisons de retraite ont été rapidement débordées par le nombre de décompensations de leurs patients et par le nombre des décès. On a donc vécu des situations dramatiques. Mais nous n'avons pas de renseignements spécifiques sur une organisation formalisée entre les différents établissements qui sont le siège d'un service d'urgence et les hôpitaux locaux de leur périphérie avec lesquels ils pourraient travailler.

En ce qui concerne la présenc été vaporisés sur toutes les spécialités qui faisaient de l'urgence. Comme il n'y a pas de cardiologues urgentistes, les urgentistes ont pris en charge la phase pré-hospitalière de l'infarctus du myocarde et le cardiologue ne prend en charge ces pathologies que dans un second temps. Est-ce gênant ? Certes, on voit de plus en plus de cas en gériatrie. Mais doit-on pour autant introduire dans les services d'urgence des médecins qui ne s'occuperont que de la gériatrie et laisser le reste de l'activité aux urgentistes ? Je ne le crois pas.

Monsieur Rolland, vous avez parlé du cas des régions plus chaudes qui ont connu cependant une mortalité moindre durant la canicule. De toute façon, il y a une adaptation physiologique au climat...

M. Jean-Marie Rolland - ... ou une habitude de traiter certaines pathologies !

M. Dominique Sebbe - Sans doute... Je me suis penché sur le traitement de situations de ce type outre Atlantique. Le système d'alerte y est fondé sur la climatologie et prend en compte la variation par rapport à la base moyenne du climat. Il intègre donc la notion d'adaptation physiologique de l'organisme au climat habituel.

La rédaction des certificats de décès pose effectivement problème. A titre personnel, je les trouve difficiles à remplir.

M. le président de la mission d'information - Ils sont souvent remplis et signés par les infirmières.

M. Dominique Sebbe - Non ! Non !

M. le président de la mission d'information - En tout cas, ils pourraient être mieux remplis.

Mme Catherine Génisson - Oui ! Ils sont souvent remplis n'importe comment.

M. Dominique Sebbe - Permettez-moi ce trait d'humour : s'ils étaient remplis par les infirmières, ils seraient souvent mieux remplis !

M. le président de la mission d'information - Ah non ! Je ne suis pas d'accord.

M. Dominique Sebbe - Pour ma part, je n'ai pas vu d'infirmières remplir les certificats de décès. D'ailleurs, dans les maisons médicales, quand il n'existe pas d'autre système de garde dans une ville, on fait venir les patients et les maisons de retraite ont énormément de mal à obtenir qu'un médecin leur signe un certificat de décès quand un décès survient après dix-neuf heures.

Mme Catherine Génisson - En tout cas, ce certificat est souvent rempli par un médecin qui ne connaît absolument pas le malade.

M. le président de la mission d'information - Quand un malade décède pendant la nuit et que la famille veut repre 10pt">M. le président de la mission d'information - Laissons ce point de côté, alors.

M. Dominique Sebbe - Une chose est toutefois prévisible : tant que prévaudra une logique comptable, notamment dans les services de médecine, et tant que l'on évaluera le besoin de lits d'un territoire en décidant qu'ils doivent être remplis à 85 ou 90%, il sera impossible, s'il survient une crise sanitaire, d'absorber l'afflux des patients. Par exemple, un service de trente lits plein à 90% disposera de trois lits vides. On n'y admettra pas six ou sept malades. Donc la logique comptable qui veut que ces services soient absolument remplis et qu'on ferme des lits lorsque les taux de remplissage ne sont pas atteints, nous expose, sinon à des catastrophes sanitaires, du moins au risque d'un encombrement des services d'urgence, faute de lit d'aval.

M. le président de la mission d'information - C'est un problème de capacité d'accueil.

M. Dominique Sebbe - De capacité d'absorption. Il n'y a aucune réserve.

Les dispositions qui ont été prises pour organiser ces flux ont été par conséquent des dispositions de désorganisation. En effet, on a fait sortir des patients qui étaient encore hospitalisés, donc qui n'étaient pas tout à fait prêts à regagner leur domicile. Certaines personnes attendaient par ailleurs des interventions qui avaient été programmées, parfois de longue date, et qui ont été repoussées. Or quand on repousse une intervention, le patient perd son tour puisque les plannings sont établis. Comme une personne qui quitte un guichet, il doit recommencer à faire la queue. Les mesures qui ont été prises pour absorber ces à-coups sanitaires ont par conséquent désorganisé en profondeur, pour plusieurs jours, voire plusieurs semaines, les établissements hospitaliers.

M. le président de la mission d'information - Je vous suis reconnaissant de ces réponses extrêmement complètes.

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III. Audition du Dr Patrick Brasseur, président de SOS Médecins Paris, du Dr Patrick Guérin, secrétaire général de SOS Médecins Nantes, du Dr Pierre Maurice, secrétaire général de SOS Médecins France, et du Dr Serge Smadja, vice-président de SOS Médecins Ile-de-France-Paris

(séance du jeudi 11 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Merci d'avoir répondu positivement à l'invitation de la mission d'information concernant la canicule.

Pourquoi êtes-vous auditionnés ? Parce qu'en tant que SOS Médecins, vous êtes au cœur de la chose médicale en général. Avec ce qui s'est passé pendant l'été, vous avez été en première ligne, que vous ayez été appelés directement, ou pour suppléer le médecin de famille. Dans la mesure où vous avez vécu le phénomène en direct, ce qui nous intéresse, c'est votre vécu personnel de la crise, comment vous la ressentez, et les améliorations que l'on pourrait éventuellement ajouter à l'organisation actuelle, même si on a lu certaines choses dans des rapports que j'ai trouvées, personnellement, assez dures vis-à-vis des médecins généralistes. Je ne vais pas faire de politique politicienne, mais quand, dans un monde où l'on passe de 39 heures à 35 heures, le médecin reste à des dizaines et des dizaines d'heures de travail dans la semaine, on peut se poser des questions. Le médecin a, lui aussi, une vie de famille. Puisque vous êtes des hommes, je dirai que nos femmes deviennent de plus en plus exigeantes du point de vue de la présence ; les familles demandent de la présence. Actuellement, lorsque l'un de mes collègues médecins cherche un remplaçant, ce n'est plus comme avant : lorsque nous étions étudiants en médecine, nous passions nos vacances à faire des remplacements ; maintenant, les étudiants partent d'abord en vacances, et remplacent après. Il faut donc bien être conscient qu'il y a eu un changement total dans ce domaine.

Ce que je voudrais savoir, après cela, c'est à partir de quelle date vous avez perçu le phénomène de vous-mêmes et, la presse amplifiant l'information, les questions que vous vous êtes posées. Avez-vous averti les pouvoirs publics ? La surcharge de travail existe en certains cas, et il peut y avoir des saturations, d'autant que c'est tombé au mois d'août, où l'on sait que certaines personnes, même chez vous, peuvent se trouver absentes. Enfin, j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'évolution des SAMU, de tout ce qui s'est passé de façon générale. Je vous poserai donc une question médicale, indirectement : avez-vous perçu une absence de médecine de ville ? Le rapport que j'ai lu me semble extrêmement sévère vis-à-vis de la médecine de ville. Surtout, j'attends de savoir ce que vous préconisez en matière d'améliorations à apporter.

Dr Serge Smadja, vice-président de SOS Médecins Ile-de-France-Paris -Serge Smadja. Je suis vice-président de SOS Médecins Ile-de-France-Paris, et je travaille à SOS Médecins depuis bientôt seize ans.

Dr Patrick Brasseur, président de SOS Médecins Paris - Patrick Brasseur. Je suis président de SOS Médecins Paris. J'ai été pendant quinze ans attaché aux urgences de l'hôpital Louis Mourier de Colombes. Je suis actuellement, entre autres, maître de stage à la faculté de Bichat, et j'ai passé la capacité d'enseignement en médecine générale.

M. le président de la mission d'information - Merci. Je vais maintenant vous demander de répondre aux premières questions que je vous ai posées. Mes collègues vous poseront ensuite des questions complémentaires.

Dr Pierre Maurice - La première question que vous avez posée était de savoir comment tout avait débuté, et comment on l'avait ressenti au départ. Je crois que certains ont employé le mot d'épidémie. Il est certain qu'il ne s'agissait pas d'une épidémie au sens d'une épidémie de grippe, mais le début nous a semblé tout à fait semblable à une épidémie. C'est-à-dire que cela a été un début relativement brutal. J'étais d'astreinte le 6 ou le 7 août - car nous avons créé des astreintes au sein des structures de SOS Médecins, c'est-à-dire des médecins que l'on peut appeler lorsqu'il y a beaucoup de travail -, et on ne m'a pas appelé. Le 8 août, on a l'impression que tout démarre brutalement, rapidement. On voit une accélération, une augmentation de nos appels, en particulier chez les personnes âgées de plus de 80 ans. Dans les jours qui viennent, quand on ira soigner les gens de 70 ans, on aura presque l'impression de faire de la pédiatrie, tellement cela devient exceptionnel. La très grande majorité des patients que nous voyons lors de nos visites, ce sont des patients qui ont plus de 80 ans. On les voit dans deux types de structures : soit dans les maisons institutionnalisées, les maisons de retraite, soit, s'agissant de personnes seules, à leur domicile. Et si l'on a affaire au même type de pathologies dans les deux cas, celles-ci ne réclament pas le même type de solutions.

Donc j'insiste sur l'aspect très brutal du début du phénomène, que l'on peut situer à la date du 8 août.

Dr Patrick Brasseur - Dès le week-end précédent, il y avait quand même déjà de petits signes. Il faisait très chaud, cela durait, et on a été en contact dès le 4 août avec les médias, qui ont commencé à nous questionner pour savoir s'il y avait quelque chose à faire, s'il y avait des conseils à donner à la population. Nous avons été interpellés par une chose : l'augmentation très nette des problèmes urinaires, constatée a posteriori. Je l'avais constatée personnellement sur mon exercice : je voyais trois, quatre, ou cinq coliques néphrétiques par matinée, p à domicile, ainsi que par son fils, et cela avait très vite tourné à la catastrophe, en douze heures. On l'a trouvée dans un état catastrophique sur le plan médical.

Ensuite, cela s'est accéléré. Je dois dire qu'à cette époque, j'en ai parlé aux médecins hospitaliers que je connaissais, et a priori personne ne savait ce qui ce passait, puisque certains de ces confrères m'ont dit que lorsqu'on recevait ces patients au début, c'est-à-dire le premier week-end, celui du 9-10 août, tout le monde a cru qu'il s'agissait de problèmes infectieux. Des ponctions lombaires et des hémocultures ont été pratiquées, tout le monde cherchait dans cette direction. En fait la crise, quand elle est vraiment arrivée, a vraiment déboulé comme ça, et il y a eu trois, quatre ou cinq jours de catastrophe totale, sans que personne ne s'y attende, et sans que l'on puisse réagir. Il y a eu un pic de quelques jours, qui est arrivé brutalement pour retomber ensuite.

M. le président de la mission d'information - Ce pic concernait-il des personnes âgées ou des personnes de tout âge ? Il semble en effet que les premiers cas d'hyperthermie maligne, puisque tel est le terme consacré par la terminologie, se soient manifestés chez des adultes d'une cinquantaine d'années, dans le Morbihan, des sujets qui présentaient un état pathologique latent, dans le sens où il y avait une exogénose préexistante. Parmi les premiers cas que vous avez rencontrés, n'y avait-il que des personnes de plus de soixante ans, ou également d'autres personnes ?

Dr Patrick Brasseur - Au début, j'ai été frappé par des cas touchant des sujets jeunes. Les premiers signes de déshydratation que j'ai vus - mais je n'ai pas du tout une formation d'épidémiologiste - comme je l'ai dit plus tard à l'InVS, je les ai constatés chez des sujets jeunes. Ceux-ci souffraient de déshydratation et d'effets secondaires consistant en des pathologies urinaires.

M. le président de la mission d'information - Ce sera le travail de la mission que de faire apparaître que, dans la surmortalité, on ne peut pas retenir que la définition de l'hyperthermie maligne. Beaucoup de gens sont décédés ou ont eu des problèmes de santé, du fait de la canicule, sans avoir présenté une hyperthermie importante. Je pense notamment aux personnes atteintes d'une insuffisance cardio-respiratoire. Vous êtes acteurs de terrain et, nous, nous sommes là pour comprendre.

Dr Serge Smadja - Effectivement, les coups de chaleur concernaient plutôt des personnes plus jeunes, à la suite d'une exposition au soleil, notamment celles travaillant à l'extérieur. Les personnes âgées qui restaient soit à domicile, soit dans les maisons de retraite ont, elles, souffert d'hyperthermie. Quand nous avons étudié nos statistiques, nous avons vu qu'au début de la canicule, on notait, comme l'a dit Patrick Brasseur, une augmentation des coliques néphrétiques, des infections urinaires, concernant plutôt des gens jeunes. A ce moment-là, on a probablement dû enregistrer des coups de chaleur partout en France. Le pic d'hyperthermies des per Sociologiquement, dans les grandes villes comme Paris ou Nantes, il y a beaucoup moins de nourrissons en août qu'en février, par exemple. Dès le week-end du 9 août, ce sont majoritairement des personnes de plus de 80 ans que l'on voyait, de façon plus importante que d'habitude, notamment par rapport au mois d'août de l'an dernier.

M. le président de la mission d'information - Vous confirmez bien qu'il y a eu très peu de nourrissons atteints, en tout état de cause pas plus que d'habitude ?

Dr Pierre Maurice - Non, pas plus que d'habitude. Mais on voit moins de nourrissons, moins d'enfants de moins de 3 ans au mois d'août qu'au mois de décembre.

M. le président de la mission d'information - Je suis d'accord, mais a contrario, par rapport aux chiffres habituels, est-ce qu'il y en avait plus ? D'après mes souvenirs, quand il est question des problèmes liés aux fortes chaleurs, on dit toujours que les principaux concernés sont les nourrissons d'une part, les personnes âgées d'autre part, tout le monde se trouvant par ailleurs affaibli. On peut quand même constater que c'est surtout lors du deuxième week-end, comme vous le dites, lorsque la canicule s'est installée, avec un faible différentiel de température entre le jour et la nuit, que les phénomènes que vous décrivez sont apparus chez les personnes âgées. S'agissait-il uniquement de cas d'hyperthermie maligne, ou également de cas de décompensation cardio-respiratoire ayant entraîné une mortalité ?

Dr Pierre Maurice - Il y avait des cas de décompensation.

Mme Catherine Génisson - J'aimerais poser deux questions. Premièrement, avez-vous constaté une dégradation plus rapide et plus grave des patients qui bénéficiaient par ailleurs d'une polymédication ? Deuxièmement, sur un plan plutôt épidémiologique, vous nous dites qu'il s'agissait d'une catastrophe totale, à laquelle vous avez assisté sans savoir. Au-delà des relations que vous avez pu avoir avec vos collègues hospitaliers, avez-vous eu la volonté d'alerter la DDASS ou un autre organisme ? La gravité de la situation que vous avez constatée vous a-t-elle incités à alerter ?

M. le président de la mission d'information - Oui, j'ai déjà posé cette question tout à l'heure, à laquelle il n'a pas été répondu pour le moment. Déjà, avez-vous réussi à faire face à l'augmentation du nombre d'appels ? Comment les choses se sont-elles passées ?

Dr Patrick Guérin - Nous avons eu à Nantes une augmentation de l'ordre de 35 % de la masse globale des appels. Le nombre de médecins qui se trouvaient alors en vacances ne nous a pas empêchés de faire face, il n'y a pas eu de problème majeur. Ce sur quoi j'aimerais insister, c'est que cela a commencé à Nantes le 8 août, et immédiatement cela a été grave. D'emblée, on a eu une augmentation du nombre de personnes âgées vues, et style="text-align: justify">Dr Patrick Guérin - C'est exact. Et pour répondre à la question posée, il s'agissait souvent de personnes âgées polymédicamentées, c'est-à-dire souffrant déjà de polypathologies, donc des sujets éminemment fragiles, en tout cas au début. Dans un deuxième temps, on a vu des personnes âgées apparemment saines présenter les mêmes symptômes.

M. le président de la mission d'information - Ayant réussi à faire face à la situation, vous n'avez pas eu à alerter des réseaux existants ?

Dr Patrick Guérin -Pour nous, cela a commencé le vendredi 8 et le week-end qui suivait, et il n'existait pas de filière préétablie à contacter. On sait qu'une alerte a été donnée par le président de SOS Médecins à Tours auprès de la DDASS, mais à Nantes, on n'a appelé personne. On n'avait pas d'interlocuteur prédésigné à contacter.

Dr Pierre Maurice - Ce n'est pas le cas, paradoxalement, l'hiver. Quand survient une épidémie de grippe en hiver, il existe des réseaux de surveillance comme le GROG, par exemple, qui consultent nos chiffres de façon hebdomadaire, et sont ainsi alertés. Il n'y a pas d'équivalent pour l'été.

Dr Patrick Guérin - Le 8, le 9 et le 10, nous avons eu une grosse surcharge de travail qui nous a étonnés, et le dimanche 10 nous avons été contactés par les médias, ce que n'ont pas fait les DDASS. TF1 nous a appelés le dimanche 10, et SOS Médecins Nantes est passé à la télévision, au journal de Jean-Pierre Pernaud, le lundi 11. En fait, les seules personnes à nous avoir contacté, ce sont les organes de presse.

M. le président de la mission d'information - Et vous leur avez relaté ce que vous venez de dire à l'instant ?

Dr Patrick Guérin - Oui.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - J'ai deux questions. La première, c'est que vous avez clairement identifié le public qui vous a appelé, en deux temps, d'abord des personnes plutôt jeunes, puis des personnes très âgées. Ce que vous venez de décrire a déjà été observé et clairement décrit, que ce soit à Chicago, ou à Marseille en 1983, et vous décrivez le phénomène avec les mêmes mots que ceux utilisés par le professeur San Marco à Marseille, lorsque vous dites avoir initialement pensé à un épisode infectieux, jusqu'à l'identification très claire de la situation de danger liée à la canicule. J'aimerais savoir, premièrement, si vous étiez au courant de ces travaux d'analyse effectués à Chicago et à Marseille ?

Dr Patrick Brasseur, Dr Patrick Guérin, Dr Serge Smadja et Dr Pierre Maurice - Non, nous n'étions pas au touchées, et sont parfois décédées par suite d'hyperthermie, sont issues de milieux très modestes. J'aimerais savoir si vous avez constaté la même chose, c'est-à-dire si vous avez rencontré des personnes âgées à domicile - en hébergement, vous ne pouviez pas les repérer - qui se trouvaient dans des conditions de vie extrêmement modestes, dans leur habitat et leurs moyens. Cette question me semble, là aussi, importante.

M. Jean-Marie Rolland - Pour compléter cette question, vous êtes pratiquement les derniers médecins à vous rendre au domicile des patients. J'aimerais savoir si vous avez le sentiment d'être arrivés dans des familles où les conditions étaient particulières, je pense par exemple au petit vieux vivant sous les toits, portant trois pull-overs - il y a à ce sujet une description extraordinaire dans Le Monde d'aujourd'hui, d'un petit vieux qui se baladait sur une place du 18ème avec sa veste, son pull et son tricot de corps. Est-ce ce genre de personnes que vous avez vu, ou bien des Français moyens ?

Dr Pierre Maurice - Il faut différencier deux choses : le petit vieux en maison de retraite, et le petit vieux chez lui. Quand je dis le petit vieux, je m'exprime mal, car le plus souvent c'est la petite vieille. Comme vous le savez, le différentiel d'espérance de vie le plus important des pays occidentaux est celui observé en France. Ce différentiel d'espérance de vie entre l'homme et la femme est, je crois, de sept ans. La femme vit plus longtemps que l'homme, et reste veuve plus souvent. Il faut rappeler que dans les grands centres urbains, comme Paris, un logement sur deux est occupé par une personne seule. La petite vieille qui reste seule n'a pas toujours d'enfants. On a culpabilisé les Français en disant : « Les Français partent en vacances et laissent leurs parents ». La plupart des vieillards que j'ai vus n'avaient pas de famille, et vivaient seuls suite au décès de leur conjoint. Sans enfants, ils n'ont qu'un lointain neveu ou cousin, qui vit en province mais ne s'en occupe pas. Il faut savoir qu'au mois d'août, la gardienne d'immeuble est souvent en vacances, et sa remplaçante se retrouve avec quatre ou cinq immeubles en charge, et doit sortir les poubelles et distribuer le courrier. On a souvent été alerté par un voisin ou par la gardienne remplaçante. On a assisté en ce domaine à des dysfonctionnements étonnants.

Pour ce qui est du milieu social où ont été observés la plupart des cas, il s'agit effectivement d'un milieu modeste ou moyen, souvent d'un sixième ou septième étage, sous les toits. Il faut cependant savoir qu'il y avait souvent une chaîne qui fonctionnait, soit une aide de vie, soit une aide ménagère. Or, et j'ai personnellement rencontré trois cas à Paris, où l'aide de vie ou l'aide ménagère, est partie au mois d'août sans crier gare. On retrouvait alors la petite vieille de 94 ans toute seule sous les toits, à qui plus personne, depuis deux jours, n'apportait à manger - c'était presque secondaire - ni surtout, à boire. Plus personne ne la faisait boire. Donc, sur le terrain - mais on a du mal à avoir des statistiques à ce sujet - on a eu le sentiment que le phénomène concernait plutôt des milieux défavorisés.

domicile ». A plusieurs reprises, vous avez bien fait le distinguo entre l'institutionnel et les autres lieux où vous pouviez être appelés. Pouvez-vous nous en parler ?

Dr Pierre Maurice - L'autre lieu, c'est la maison de retraite. A ce sujet, le débat se situe à plusieurs niveaux. Même dans des maisons de retraite pas forcément destinées à accueillir les personnes les moins fortunées, mais des établissements où il faut débourser entre 3 500 et 4 000 euros par mois, où il y a souvent 60 ou 70 pensionnaires, j'ai été plusieurs fois confronté au même cas, dans des établissements souvent non médicalisés. Arrivant pour établir un constat de décès, on me dit qu'il y a également trois personnes à voir, dont une insuffisance cardiaque et un cas de déshydratation. Discutant avec l'aide-infirmière, je m'assure qu'elle fait boire les pensionnaires - on n'avait peut-être pas été sensibilisé par le professeur San Marco et le cas de Chicago, mais on avait tout même quelques notions quant aux soins à apporter. Celle-ci m'explique alors qu'étant seule pour s'occuper de 70 pensionnaires, il lui est techniquement impossible de faire boire ceux-ci toutes les demi-heures, ou même toutes les heures. Cela étant dit, je trouve que les personnes vivant dans les maisons de retraite s'en sont plutôt mieux sorties que les personnes seules. On ne peut pas faire de généralisation car, dans certaines maisons de retraite, il y avait trois personnes pour accomplir la même tâche, et la surveillance, la chaîne de soins était alors correctement assurée.

Dr Patrick Brasseur - Tout dépend du standing de l'établissement.

M. Jean-Marie Rolland - Vous intervenez toute l'année dans les maisons de retraite, ou seulement au mois d'août ?

Dr Patrick Brasseur, Dr Patrick Guérin, Dr Serge Smadja et Dr Pierre Maurice - Toute l'année.

M. Jean-Marie Rolland - Cela veut donc dire qu'il y a des maisons de retraite où le système médical est assuré par SOS Médecins ?

Dr Patrick Brasseur - En fait, le médecin traitant habituel suit ses patients et vient leur faire des soins. Ce n'est qu'en cas d'urgence, la nuit et le week-end, que nous intervenons.

M. le président de la mission d'information - Tout dépend des endroits couverts, ou non, par SOS Médecins. La question de Jean-Marie Rolland était de savoir si SOS Médecins remplace les médecins généralistes, parce qu'on sait très bien que les personnes âgées sont attachées à avoir toujours le même médecin. En effet, vous n'intervenez qu'en complément ?

Dr Pierre Maurice - Oui, en complément.

Mme Catherine Génisson - Ce que l'on peut souligner - peut-être sera-t-on démenti, mais je ne le crois pas - c'est que les médecins q du fonctionnement des maisons de retraites, médicalisées ou non, c'est le principe de cette fameuse convention tripartite appuyée par un plan de financement pour les maisons de retraite, dont on a beaucoup parlé. Toute maison, pour pouvoir être conventionnée, doit maintenant avoir une prise en charge médicalisée qui, comme le dit Catherine Génisson, n'est pas une obligation pour la nuit. Cette médicalisation peut être faite soit par l'embauche d'un médecin, soit par un système de conventionnement avec les médecins généralistes du secteur. Dans ces conditions, vous intervenez quand les médecins, soit conventionnés, soit permanents, ne sont pas là, quand il y a vacance naturelle. Mais il y a effectivement un certain nombre de maisons de retraite qui n'ont pas signé de convention tripartite, et qui de ce fait n'ont pas l'obligation d'avoir des médecins.

M. le président de la mission d'information - La personne âgée qui se trouve dans une maison de retraite, quel que soit le statut de cet établissement, peut appeler un médecin libéral venant de l'extérieur. C'est alors un paiement à l'acte qui est effectué. Quand ce médecin, pour des raisons pratiques, parce qu'il ne peut pas travailler 24 heures sur 24, ne peut intervenir, c'est SOS Médecins qui intervient pour compléter l'action de ce médecin, c'est bien cela ?

Dr Pierre Maurice - Exactement.

M. le président de la mission d'information - Donc, dans le cadre de la convention, on est tout à fait en dehors de ce système. Pour vous, avec le recul - le malheur, c'est que l'on juge toujours avec le recul - pensez-vous que l'on aurait pu être meilleur, en France, d'une façon générale, devant ce qui s'est passé ? Votre exposé, tout à l'heure, m'a rappelé mes gardes. Au début, du fait de ma formation, je ne connaissais pas les maladies infantiles. Une mère me disait : « Ca pourrait être ça, parce que j'ai déjà quatre gosses, et ça n'est pas ça ni ça ». Arrivé au troisième cas, je pouvais me dire : « Ca y est, il y a une épidémie de telle maladie ». Je crois que c'est un peu ce qui s'est passé dans votre cas ?

Dr Pierre Maurice - Exactement.

Dr Serge Smadja - Vous nous demandiez tout à l'heure si nous avions alerté. Ce que nous avons voulu dire tout à l'heure, en parlant des signes qui nous faisaient pressentir que quelque chose se passait, c'est que nous, médecins de première ligne, constituons une source d'information qui, intégrée dans un système institutionnel, aurait peut-être pu prévoir un peu plus tôt la catastrophe qui allait arriver. Quand on a atteint le plus haut stade de gravité de la situation, avec des patients qui allaient très mal et décédaient, les hôpitaux, et tous les services qui prennent en charge des pathologies très lourdes, étaient au courant. Nous, situés en première ligne, nous disposions d'éléments qui auraient pu servir à un système d'alerte si nous y avions été intégrés.

M. le président de la mission d'information - Donc, ce que l'on peut retenir, c'est la progressivité dont vous avez parlé tout à l'heure.

Dr Patrick Brasseur - Il est très clair que, lorsqu'on travaille avec le GROG pour l'épidémie de grippe, on sait du jour au lendemain quand elle commence. C'est très net sur nos chiffres. En l'occurrence, on ne savait pas ce qui allait démarrer. Donc, on ne surveillait rien du tout, on n'avait pas été prévenu qu'il fallait surveiller quoi que ce soit, on ne savait pas. A posteriori, quand on regarde nos courbes de prise en charge des personnes âgées, qui grimpent jusqu'à 180 % par rapport à l'année dernière, on se dit maintenant que si l'on avait fait la même courbe que celle faite pour la grippe, on aurait peut-être pu voir ce qui se passait. Mais on ne regardait pas ça.

M. Claude Evin - Cela confirme un certain nombre d'éléments que nous évoquions ce matin. On voit bien que contrairement à la grippe, en l'espèce, c'est la mort qui est la manifestation du fait que quelque chose est en train de se passer. La non-identification de situations spécifiques sur les décès est déjà un indicateur, qu'il faudra que l'on améliore. En amont, quand la personne est malheureusement décédée, cela veut dire que le système a été défaillant. Là, c'est sans doute plus compliqué, puisque comme vous le disiez, il se passait des choses sur lesquelles vous ne disposiez pas d'éléments d'identification. C'est également sur ce point qu'il faudrait sans doute travailler un peu plus.

Dr Pierre Maurice - Puisque que l'on parle de l'amont, il y aurait sans doute beaucoup de progrès à faire sur le maintien des personnes âgées à domicile. On a vu des carences énormes. Je parlais des aides de vie, des aides ménagères, des infirmières, etc. On pourrait maintenir à domicile des personnes âgées, et en bonne santé, car souvent ce n'est pas d'un acte médical qu'elles avaient besoin, mais simplement de boire, de manger, d'avoir des soins de toilette. Certaines personnes âgées ne bénéficiaient plus de ces soins de base. Vous avez pu voir dans le rapport que l'on a pas beaucoup plus hospitalisé que d'habitude, mais nous avons parfois dû le faire : quand vous avez une personne âgée qui est toute seule, qui n'a plus personne autour d'elle, vous n'avez pas d'autre moyen que de l'hospitaliser, alors même qu'il n'y avait pas de nécessité médicale de le faire. On a hospitalisé pratiquement de manière préventive, en se disant qu'au moins, à l'hôpital, on ferait peut-être boire par exemple, un repas midi et soir, ni de boire matin, midi et soir. Donc, l'un des gros défauts du système réside dans l'impossibilité de prescrire des mesures sociales dans l'urgence, en attendant éventuellement le lundi ou le mardi, que la structure habituelle revienne. Et ça, ce n'est pas nouveau, puisque pratiquement tous les ans au mois d'août on rencontre le même problème, et je dirai même tous les week-ends, durant toute l'année. C'est pourquoi SOS Médecins avait proposé un réseau d'assistance d'urgence aux personnes âgées, qui avait pratiquement obtenu, à l'époque, l'accord de la FASAD, qui avait l'accord du syndicat des infirmières, ainsi que l'accord de l'hôpital Cochin, puisqu'on voulait constituer un réseau. Je vous en avais parlé d'ailleurs dans une crypte à Champerret, je ne sais pas si vous vous en souvenez ...

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Tout à fait.

Dr Patrick Brasseur - Ce projet date de 1998. Il ne s'agit donc pas d'un problème nouveau que ce problème de l'urgence, que nous rencontrons tout le temps. Là, ça a été la catastrophe, mais le problème se pose tous les week-ends.

M. le président de la mission d'information - On en rediscutera avec nos collègues, mais il est évident qu'il y a un problème d'environnement social. D'ailleurs, l'intitulé de notre mission fait référence à la crise « sanitaire et sociale ». Là, vous parlez des personnes âgées qui ont besoin dans l'urgence d'un complément. On sait très bien qu'il y a un problème de réactivité, non pas des organismes mais des caisses dont ils dépendent. Il y a un deuxième problème, dont on a peu parlé : même quand vous bénéficiez d'une aide à domicile toute l'année, dans le cadre financier déterminé par les caisses, il est demandé aux associations, aux organismes, de ne pas remplacer toutes les auxiliaires, parce qu'il n'y a pas, comme en Allemagne, une somme destinée à payer une remplaçante. C'est un autre débat, mais vous insistiez vous-mêmes sur le problème, et c'est très important, des conséquences sociales.

M. Claude Evin - Vous venez d'évoquer le fait que vous aviez un projet. Pouvez-vous nous dire pourquoi ce projet, que vous aviez dès 1998, n'a pas encore abouti ? A quels obstacles vous-êtes vous heurtés ?

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - J'allais poser exactement la même question.

M. Claude Evin - Une fois que l'on a dit qu'il serait intéressant de s'organiser comme ça, pourquoi ne le fait-on pas ? Parce que si l'on veut faire avancer les choses, il faut au moins essayer de débloquer là où ça bloque.

Dr Patrick Brasseur - Durant tout le développement de ce projet, je n'ai rencontré que des gens extraordinaires, qui m'ont dit que celui-ci était bon. Seulement, quand nous avons demandé que l'on nous aide, parce que nous avions déjà mis pratiquement 200 ou 300 000 ou 200 000 francs, à peu près.

M. le président de la mission d'information - La parole est à Paulette Guinchard-Kunstler

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Ce qui me semble le plus important dans ce que vous dites, c'est l'obligation du lien entre le sanitaire et le social, l'importance des acteurs de terrain. Dans la réponse que vous donnez sur le non-financement, on voit bien que, sur le fond, les financements auraient pu exister, que ce soit le fonds de modernisation du maintien à domicile, ou le fonds d'amélioration de la qualité des soins de ville, mais que vous n'avez pas pu profiter de ces dispositifs. C'est une question de fond sur laquelle nous aurons l'obligation de faire des propositions dans le cadre de notre mission.

Dr Patrick Guérin - Puisque l'on est en train de parler de l'amont du social et du maintien à domicile, je pense qu'il y a eu également un problème de retard de prise en charge des personnes âgées à domicile, parce qu'il y a eu une hésitation, une difficulté ou une crainte, d'appeler le médecin à domicile dans le cadre du dénigrement actuel de la visite à domicile. Il y a peut-être eu, en l'espèce, un effet délétère.

M. le président de la mission d'information - Avez-vous rédigé des contributions écrites ?

Dr Patrick Brasseur - Simplement une petite conclusion, afin de souligner ce qu'a dit Patrick Guérin. Il est clair qu'on ne peut pas ignorer qu'un véritable défi se présente à la société, celui des personnes âgées. On augmente la durée de vie, on augmente les progrès techniques. Mais si l'on ne met pas en place, parallèlement, des progrès humains, cela ne sert à rien. Il est vrai que l'on parle de limiter les dépenses de la CNAM. C'est très bien, et nous sommes tous pour. En particulier, l'AcBUS « visites à domicile » a été très bien pour limiter ces dépenses, mais on voit à quel point cet AcBUS à domicile peut être meurtrier, vu ce qui s'est passé cet été. Il va donc falloir que nous soyons très vigilants quant à la mise en œuvre de cet AcBUS « visites à domicile », et ne pas limiter le seul lien social que peuvent avoir les gens.

Deuxièmement, on parlait des médecins libéraux. Je crois qu'on est dans une démographie médicale qui baisse très sérieusement, et qu'il faudra rapidement penser à augmenter le numerus clausus, afin d'avoir plus de médecins dans l'avenir. On va avoir plus de personnes âgées, et paradoxalement moins de médecins ; il faut donc faire quelque chose.

Je fais le même commentaire sur les infirmières et les paramédicaux, qui manquent cruellement. Je crois qu'il faut un effort de tout le monde pour qu'il y en ait plus.

M. le président de la mission d'information - Et davantage de réactivité également.

Dr Patrick Brasseur - Pour terminer, je vous remets cette note. C'est l'hôpital Necker qui ferme et qui demande d'appeler SOS Médecins.

M. le président de la mission d'information - Nous verserons cette pièce à nos travaux. Je vous remercie beaucoup.

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IV. Audition de Mme Françoise Lalande, inspectrice générale des affaires sociales, Mme Sylvie Legrain, gériatre à l'hôpital Bichat, M. Alain-Jacques Valleron, épidémiologiste et M. Dominique Meyniel, urgentiste

(séance du jeudi 11 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Mesdames et messieurs, merci d'être venus répondre aux questions de cette mission d'information concernant la canicule. Nous vous poserons tout d'abord quelques questions inspirées des propositions qui concluent votre rapport.

Tout d'abord sur l'alerte. Vous avez travaillé sur la remontée des informations sur les décès ; nous aimerions connaître votre position sur ce point, et au-delà, sur la façon d'organiser concrètement un système d'alerte fiable et rapide.

Le deuxième sujet porte sur l'organisation de la chaîne de prise en charge des personnes en situation de souffrance. Quels sont les dysfonctionnements de la médecine de ville, des services d'urgence ? S'agissant plus précisément des services d'urgence, au sujet desquels vous avez des propositions précises, dans quelle mesure pensez-vous qu'il faille placer des gériatres dans ces services ? C'est une grande discussion actuellement.

Vous proposez des programmes d'action pour les personnes âgées, s'inscrivant dans des plans d'action « chaleur ». Pourriez-vous préciser ce que pourraient contenir de tels programmes et plans et à quel niveau territorial il faudrait les mettre en place ? Il faudra bien, en effet, désigner une tête de file : CLIC, CCAS...

Par ailleurs, s'agissant des personnes âgées, avez-vous le sentiment que les maisons de retraite, et en particulier celles à but lucratif, ont eu un comportement toujours satisfaisant ? L'amélioration de la prise en charge des personnes âgées dans ces établissements est-elle seulement une question d'argent public ?

Par ailleurs, nous aurons quelques questions sur des thèmes peu abordés dans votre rapport, à mon sens en tout cas. Disposez-vous d'éléments d'information sur ce qui s'est passé dans les autres pays européens ? Ceux-ci ont-ils vraiment été meilleurs que nous ? C'est une question que l'on peut se poser : rapporté à la population, le nombre de décès y semble tout de même élevé.

M. Claude Evin - Ou bien ces pays ont-ils une façon de compter différente de la nôtre ?

M. le président de la mission d'information - Peut-être. Enfin, quelle est à votre avis, dans la surmortalité constatée, la part de la canicule et celle d'autres facteurs tels que la pollution ou certains médicaments ? On parle de plus en plus de la pollution, mais il y a aussi le problème des personnes p 160;alerte ». Ce que nous avons signalé, c'est que de toute façon, à propos des décès, il s'agit d'un système d'information, et pas d'alerte. Nous avons fait plusieurs remarques sur les systèmes d'alerte, mais pour les décès, les manques que nous avons constatés se traduisaient en termes d'information et non dans l'optique de préparer des décisions plus efficacement.

Nous avons constaté que l'on n'avait pas d'informations en temps réel sur le nombre de décès. Il a été dit à l'extérieur que ces informations étaient très faciles à avoir et que d'autres pays les avaient d'ailleurs obtenues. La réalité est qu'il existe effectivement des systèmes de remontée de statistiques sommaires sur les décès dans certains pays. C'est par exemple le cas en Grande-Bretagne où il y a une remontée à environ huit jours. L'une des propositions du rapport consiste à examiner comment on pourrait avoir quelque chose d'analogue en France. Il s'agit d'un système extrêmement léger, parallèle au système d'information sur les décès, qui lui est lourd. Ce système léger permet simplement d'avoir quelques informations statistiques et démographiques.

Je pense que, contrairement à ce qui a été dit - ce n'est pas dans le rapport - nous ne disposons pas actuellement de l'infrastructure qui nous permettrait de le faire. Les fichiers d'état civil d'un certain nombre de mairie sont reliés informatiquement à l'INSEE. 200 mairies seulement - les plus importantes - sont concernées, ce qui couvre 65 % des décès. Dans la mesure où il reste encore 35 % des décès qui ne sont pas couverts par ce système d'information, il y a vraiment quelque chose à faire, et on ne peut pas dire qu'il suffit de collecter l'information. J'ai lu un article de presse disant que ce serait très facile, or ce n'est pas le cas car l'infrastructure ne permet pas actuellement d'avoir une remontée d'information sur 100 % des décès. De plus, les 65 % de décès couverts sont inégalement répartis. En l'espèce, le système aurait peut-être été efficace, puisque la mortalité s'est située essentiellement dans les grandes villes, mais dans le cas d'événements qui se situeraient plutôt en dehors des agglomérations, cela ne marcherait pas du tout.

En résumé, le système d'information rapide n'existe pas, mais il est faisable, et les contacts que nous avons eus, par exemple avec les gens qui, à l'INSERM, s'occupent du système d'information générale sur les décès, ont été positifs. Il est évident qu'il faut faire quelque chose. En revanche, il faut se garder de dire que tout est prêt, car il y a un travail à accomplir en préalable. Ce travail n'est pas tant, comme pour l'alerte, un travail nécessitant des financements et la mise en place d'équipements, qu'un travail portant sur la formation et l'évolution de l'état d'esprit.

Sur le problème des décès en général, nous avons vu des choses très importantes qu'il est nécessaire de souligner. Je crois que le système épidémiologique d'information des décès a &eacut de mentions. Enfin, ce document est traité et codé par des personnels spécialisés. Si l'on prend le cas de la grippe, les médecins ont employé 64 façons différentes de décrire celle de l'an dernier : état grippal, syndrome grippal, grippe, état grippeux, etc... Ces informations sont donc codées pour constituer une entité statistique.

Donc, il faut bien reconnaître que ce système présente une certaine lourdeur, mais celle-ci n'est pas spécifiquement française, et il serait impensable que la France soit l'un des rares pays développés à abandonner un système d'information sur les causes médicales de décès. Cependant, quelque chose est prévu dans la loi de programmation de santé publique pour accélérer un peu le mouvement. Par ailleurs, les gens qui s'occupent du système d'information sur les décès ont des propositions à faire, qui permettraient à moyen terme d'améliorer considérablement la vitesse du retour d'informations. Pour l'instant, ce retour d'informations nécessite environ deux ans, ce qui est énorme. Il y a certes certains facteurs à analyser, comme la grève des inspecteurs des DDASS il y a deux ans, mais le délai reste néanmoins très long.

Ce qui était prévu dans la loi de programmation de santé publique, c'était que l'officier d'état civil, qui recueille à la fois le certificat de décès médical et le bulletin de décès et envoie pour l'instant le certificat de décès à la DDASS, qui l'envoie elle-même  à l'INSERM au centre des décès, envoie désormais le certificat de décès directement à l'INSERM. Après avoir analysé cette solution, je pense, comme les gens qui s'occupent des décès, qu'il s'agit d'une mauvaise mesure. En effet, celle-ci ne permet pas de gagner en qualité, mais risque au contraire d'entraîner une perte de celle-ci puisque, jusqu'à présent, les médecins inspecteurs ont la possibilité théorique d'intervenir sur la qualité du certificat de décès. De plus, cette mesure ne réduirait le circuit que de deux mois maximum. Enfin et surtout, il faudrait créer au moins dix emplois de « petites mains » dans le centre de décès. C'est en tout cas la conclusion à laquelle on parvient quand on se livre à un calcul sur la base des 600 000 certificats de décès qui arrivent, c'est-à-dire environ 2 500 par jour ouvrable. On économiserait 0,1 emploi en moyenne par DDASS, c'est-à-dire aucun en réalité, et le système ne se trouverait pas amélioré.

Une mesure est envisagée, qui me paraît nécessiter au moins une étude de faisabilité, parce que ça ne va pas marcher d'un seul coup, consistant à étudier la possibilité pour le médecin d'établir des certificats de décès avec une certification électronique. Ce projet, qui pourrait être mis en place dans les cinq ans, permettrait au médecin de transférer directement de son cabinet, par voie électronique, la partie médicale du certificat de décès à l'INSERM. C'est une proposition qui a été bien étudiée et qui avait justement fait l'objet d

M. le président de la mission d'information - Vous pensez donc que si l'on veut être efficace, il faudrait mettre en œuvre cette solution ?

M. Alain-Jacques Valleron - Oui, mais il ne faut pas non plus laisser pourrir l'ancien système tel qu'il est. L'ayant examiné de près, je suis convaincu que c'est un système du passé.

M. le président de la mission d'information - Etant précisé, comme vous l'avez indiqué, que concernant les 35 % de décès non couverts, souvent situés dans de petites communes, il est fréquent que ces communes attendent de rassembler un certain nombre de certificats de décès avant de les envoyer.

M. Claude Evin - Je n'ai pas lu le rapport dans tous ses détails, mais ce que vous venez d'expliquer ici ne me semble pas y figurer.

Mme Catherine Génisson - Si, cela y figure.

M. Claude Evin - Y compris les limites de la solution prévue par loi de programmation de santé publique ?

M. le président de la mission d'information - Oui, tout a été indiqué. C'est d'ailleurs ce qui a inspiré ma proposition d'amendement hier.

M. Claude Evin - Ce que je voulais, c'est que l'on ait la préoccupation de reprendre un certain nombre de ces éléments, car dans ce genre de situations, il ne faut pas laisser s'engager de débats sur de fausses solutions. Tous les éléments que vous avez évoqués là sont des éléments importants à réintroduire, même si vous l'avez déjà écrit.

M. le président de la mission d'information - D'ailleurs, la seule intervention que j'ai faite hier était relative au certificat de décès, qui dès juin était partie intégrante du projet de loi. Il y avait déjà un problème avant la canicule. Je crois très sincèrement qu'il faut que l'on agisse sur ce point et que l'on recherche des solutions. La parole est à Mme Françoise Lalande.

Mme Françoise Lalande, inspectrice générale des affaires sociales - Vous avez évoqué un système d'alerte robuste et fiable. On a pu constater que la brigade de sapeurs-pompiers, par exemple, avait un système extrêmement satisfaisant et que les SAMU de Paris et de la périphérie disposaient également de systèmes remplissant parfaitement ce rôle. En revanche au niveau des SAMU, il y a visiblement une nécessité d'harmoniser les systèmes d'information, ce qui pourrait se faire de façon assez légère. En effet, les SAMU sont désormais à peu près d'accord sur la codification des dossiers. On pourrait donc mettre en place un système assez léger en utilisant ceux de la brigade de sapeurs-pompiers qui sont déjà bien remplis et en utilisant ceux des SAMU, à de la température en plateau qui avait conduit un certain nombre d'urgentistes à alerter, pas tant sur le risque « canicule - personnes âgées », mais sur le fait qu'il commençait à y avoir un encombrement au niveau des services d'urgence et un problème d'occupation des lits. Cela constituait autant de signes d'anticipation qui, s'ils avaient été enregistrés et interprétés, auraient peut-être permis que l'alerte démarre plus tôt.

Mme Françoise Lalande - En ce qui nous concerne, nous distinguons bien l'anticipation et la veille. On voit bien dans des épisodes semblables de vagues de chaleur que le temps qui sépare la hausse des températures de l'augmentation du nombre de décès est très court, beaucoup trop court pour prendre un certain nombre de mesures d'accompagnement social, d'éducation pour la santé, de transport vers des lieux climatisés, si on ne les a pas prévues auparavant. En revanche, le système d'alerte a failli dans le sens où la mise en commun de toutes les informations disponibles n'a pas été faite, ce qui n'a pas permis de prendre la mesure de l'ampleur de la catastrophe. C'est gênant pour l'adaptation du système de soins mais pas tellement pour les mesures d'ordre social qui, elles, relèvent d'une anticipation bien plus longue.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Je crois que vos propos sont très clairs. On voit bien que, le système d'alerte n'existant pas, d'énormes problèmes se sont posés sur le plan sanitaire, en particulier à l'hôpital et aux services d'urgence. J'aimerais vraiment que vous me disiez si vous avez commencé à identifier les raisons pour lesquelles l'anticipation n'a pas fonctionné. Un grand nombre de gens m'ont dit : « Oui, mais ce sont des vieux ». La question que je me pose est de savoir si l'anticipation aurait été plus efficace s'il s'était agi d'enfants.

Mme Françoise Lalande - Mais c'est ce qui s'est passé. Alors que l'on sait très bien que, lors des vagues de chaleur, les enfants et les personnes âgées sont les deux catégories de personnes fragiles, il n'y a eu aucun enfant touché. En effet, l'éducation sanitaire est telle que les familles s'occupent de leurs enfants. Ceci montre bien, a contrario, que si l'on informe bien les gens et qu'on leur dispense une bonne éducation, ils prennent leur entourage en charge.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Ceci souligne l'enjeu essentiel de la connaissance de la problématique de fragilité des personnes âgées et l'importance de la reconnaissance complète, en termes de recherche, de formation et de diffusion des enjeux. Je suis d'accord avec vous, je crois que cela nous révèle combien ce champ d'investigation a été écarté de la problématique médicale, sanitaire et sociale. Je suis bien placée pour l'avoir vécu.

Je me demande tout de même s'il n'y a pas un problème d'ordre éthique derrière cela. J'ai été profondément troublée par les remarques de certaines personnes qui disaient : « Oui, mais ce sont des gens âgés, ce n'est pas bien grave ». Non seulement il y questions qui nous étaient posées sur les structures et les fonctions.

M. le président de la mission d'information - Avant que Mme Legrain ne prenne la parole, j'ai une précision complémentaire à apporter. L'enfant n'est jamais seul, cela n'existe pas dans notre pays. Au pire, s'il est seul, il est au sein d'une institution. En revanche, la personne âgée, on s'en aperçoit avec le recul, est victime de l'isolement dans tous les sens du terme, notamment de l'isolement social. C'est une question à se poser pour déterminer d'une part les responsabilités, d'autre part les mesures à prendre.

Mme Sylvie Legrain, gériatre à l'hôpital Bichat - C'est un problème compliqué. Moi qui suis gériatre, je suis passée à Paris au début de la canicule et je n'ai pas vu le problème. Il y a donc eu un déficit, y compris concernant les gériatres, de perception de la gravité de la situation.

Il en va de même pour tous les acteurs de terrain, les SIAD, les EPAD, les services de gériatrie, les urgences. Dès le moment où ils ont été confrontés à la situation, il y avait une masse de connaissances sur ce qu'il fallait faire : arrêter les diurétiques, réhydrater les gens, etc... Mais on n'avait pas la connaissance, par exemple, des coups de chaleur. Très sincèrement, autour de moi, personne n'avait jamais eu la moindre formation sur l'hyperthermie maligne des très âgés. A l'évidence, ce déficit de connaissances pour des gens qui étaient à domicile, autonomes, dans des habitations sous les toits, qui étaient donc à haut risque, a empêché la perception du risque. Le risque n'a été perçu ni au niveau des malades, ni au niveau des professionnels, ni au niveau des familles. Il y a donc eu un déficit d'anticipation, même chez les professionnels de la gériatrie, parce qu'on ne mesurait pas l'ampleur du problème.

La problématique des enfants et des vieux n'est pas la même. On a beaucoup culpabilisé les familles. Quand on reprend l'enquête HID et toutes les enquêtes qui sont parues sur les familles et les personnes âgées dépendantes, les familles n'ont jamais autant donné pour la prise en charge de la dépendance de leurs parents : financièrement, en temps, en difficultés, en pénibilité, puisque maintenant se pose le problème de la démence, qui une l'une des premières causes de dépendances des très vieux. Il est bien plus difficile de prendre en charge quelqu'un qui a une dépendance psychique qu'une dépendance physique. Je pense qu'il y a beaucoup de littérature là-dessus, pour dire que les familles n'ont pas démérité. Les professionnels du secteur, c'est-à-dire les services de soins à domicile, et les généralistes avec lesquels j'ai discuté, m'ont tous dit avoir appelé les familles, en attirant leur attention sur la gravité de la situation. Les familles sont revenues et les professionnels se sont occupés des isolés. Il y a eu un transfert d'action de professionnels vers les isolés. Mais tout le problème, c'était les non-repérés. Et puis, il y a tous ceux qui se trouvaient en province, qui voyaient la canicule comme quel chose qui nous a frappés, c'est que - on l'a vu dans les communiqués du secrétaire d'Etat aux personnes âgées - la réflexion gériatrique, sur ce problème comme sur d'autres, doit être interdirectionnelle. J'assistais ce matin à une discussion animée par M. Couty, le médecin coordonnateur des EPAD. Le décret va sortir de la DGAS, et ne voit pas pourquoi la DGAS et la DHOS ne seraient pas impliquées. La réflexion sur la prise en charge de ces populations à risque doit donc s'engager sur un plan social et sanitaire.

Quelques articles anglo-saxons ont souligné que les vieux regardent les médias. Tout le monde n'est pas dément, et la télévision constituerait sans doute l'un des moyens de passer des messages médiatiques articulés et pertinents, à destination des personnes âgées et des familles.

Quant à la coordination, elle est nécessaire pour élaborer un plan d'action. Il faut coordonner les acteurs. Dans le domaine de la gériatrie, on a un secteur extrêmement éclaté, extrêmement cloisonné, non coordonné. En amont des situations de crise et d'urgence, il faudrait coordonner les acteurs sur un secteur donné, en délimitant un territoire - variable selon qu'il s'agit du milieu rural ou du milieu urbain. Les CLIC, à condition qu'on les dote et qu'elles aient une composante sanitaire, pourraient constituer l'une des têtes de pont de ce système.

Sur les EPAD, j'ai recueilli des échos extrêmement contradictoires. Je pense que l'on manque complètement d'informations pour savoir quels ont été les facteurs qui font que, dans certains EPAD, il n'y a pas eu de mortalité, et dans d'autres il y en a eu. Certains disent que dans les maisons de retraite à but lucratif, la mortalité a été faible. L'un des arguments évoqués est que le coût de l'hébergement permet de financer des infirmières et que, le coût étant élevé, ces établissements ont pu mobiliser des personnels infirmiers libéraux en nombre à ce moment-là.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Disposez-vous d'éléments fiables sur ce point ?

Mme Sylvie Legrain - Je ne dispose d'aucune donnée consolidée, je me contente de vous rapporter ce qui m'a été dit par des syndicats ou d'autres interlocuteurs. Il n'est donc pas sûr que les différences de mortalité s'expliquent de cette manière. Il y a tout un travail épidémiologique, scientifique, à effectuer, pour savoir quels ont été les paramètres déterminants de la mortalité dans les EPAD. Concernant les territoires, il se disait ce matin que les CLIC de niveau 2 ou 3 avec une coordination gérontologique efficace, auraient été un facteur de protection de la mortalité. Je ne pense pas qu'on puisse l'affirmer aujourd'hui, mais il serait intéressant de l'étudier.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Il faudrait déterminer si cela peut être l'un des éléments ...

Mme Sylvie Legrain - Je pen aucun décès. Donc, il y a bien trois aspects dans la variation de mortalité. Premièrement, l'aspect général de la population, et notamment la polymédication, le statut démentiel, etc. Deuxièmement, le degré d'anticipation. Troisièmement, les moyens disponibles.

M. le président de la mission d'information - Vous avez parfaitement raison. A titre personnel, à Metz, c'est ce que nous avons fait, avec la coordination de la CLIC, et cela a bien marché.

M. Alain-Jacques Valleron - L'une de nos propositions concerne la recherche. Comme on l'a vu au sujet des EPAD, il y a beaucoup d'opinions, mais il n'y a pas vraiment de faits. On se trouve dans une situation absolument unique, où les données sont plus ou moins présentes, mais où tout le monde est traumatisé. Je pense qu'il faut absolument que l'on organise le rassemblement de ces données, et qu'on les analyse sérieusement. On a parlé des sciences humaines et sociales, par exemple, c'est aussi un champ d'investigation. Il ne faut pas laisser mourir ces données, et vivre des opinions dont le fondement n'est pas démontré.

Mme Catherine Génisson - En ce qui me concerne, j'ai une approche qui n'est à mon avis que subjective, constatée dans le département où j'habite, le Pas-de-Calais. Ce département comprend énormément de communes et beaucoup de petites maisons de retraite de 30 ou 40 pensionnaires, avec du personnel et des pensionnaires souvent issus de la commune ou des communes voisines. Ces établissements ne sont pas spécialement sophistiqués en matière d'équipements, et pourtant il n'y a pratiquement pas eu de problèmes en leur sein. Je ne sais pas si vous avez un avis sur le sujet, mais je pense que c'est un facteur à prendre en compte.

Je voudrais vous demander une deuxième chose. Vous avez beaucoup insisté sur la nécessité de l'anticipation, qui semble a posteriori une évidence. Pour autant, je souhaiterais vous entendre davantage sur la transmission de l'alerte. On voit très bien le déroulement des événements que vous décrivez, et il semble quand même qu'il y ait eu un retard dans la transmission de l'alarme. Vous en avez indiqué quelques raisons, notamment le cloisonnement des différentes institutions qui ont très bien travaillé, mais chacune séparément. En tant qu'acteur de terrain, j'ai la sensation qu'en fait, les instituts ont beaucoup de difficultés à intégrer les informations qui viennent de la base. La veille sanitaire s'auto-entretient, et a une relation beaucoup plus épidémiologique qu'opérationnelle par rapport à la notion de risque sanitaire et à la transmission de l'alerte.

Claude Evin - J'ai deux remarques à formuler.

La première est inspirée par vos propos, monsieur Valleron. Je partage totalement votre préoccupation : il va falloir que l'on travaille sur les données épidémiologiques. Cependant, au vu des travaux que vous avez conduits dans le cadre de cette mission, ne craignez-vous pas que cela soit impossible ? Comment percevez-vous la situation ?

Ma deuxième préoccupation concerne un autre aspect de votre rapport. On peut, certes, affirmer que les systèmes d'information et d'alerte n'ont pas fonctionné. Mais, et il faut en prendre conscience, tout cela vient de ce que la canicule n'avait jamais été identifiée comme étant un problème de santé publique. Qu'en pensez-vous et que pouvez-vous nous suggérer ?

M. Claude Leteurtre - Avez-vous le sentiment que l'urbanisation ait été un facteur aggravant ? La situation de ma circonscription m'incite à penser que le nombre de décès et de problèmes a été aussi élevé en milieu rural diffus qu'en milieu urbain. Quelle est votre analyse ? Observe-t-on une différence statistique entre la situation des personnes vivant en établissement et celle des individus isolés ?

M. Dominique Paillé - Votre rapport évoque le manque flagrant de médecins libéraux en cette période de l'année, en tout cas dans certaines zones...

Mme Françoise Lalande - Notre propos était beaucoup plus nuancé sur ce point que ce dont la presse a rendu compte.

Mme Sylvie Legrain - En effet !

M. Dominique Paillé - Cela n'a pas été sans entraîner un certain nombre de réactions, voire de troubles...

M. le président de la mission d'information - Disons un certain émoi !

M. Dominique Paillé - ... chez les personnes concernées.

Quel constat dressez-vous réellement et, le cas échéant, que proposez-vous pour que l'on évite de connaître ces périodes de creux en termes de présence médicale ?

M. Alain-Jacques Valleron - Le problème de l'alerte et celui des bases de données recouvrent plusieurs questions. Le mauvais fonctionnement du système d'alerte ne me paraît pas lié spécifiquement à la canicule. Celle-ci n'a fait que le révéler. En réalité, le plus flagrant, vous le savez, ce ne sont pas les problèmes de limitation technique ou d'organisation. La technique existe, l'organisation également avec l'Institut de veille sanitaire. Mais il existe des cloisonnements si féroces que des personnes extrêmement dévouées peuvent affirmer : « J'avais toutes les données.  - Et vous les avez transmises à l'Institut de veille sanitaire ? - Non, pourquoi ? Ce n'est pas mon autorité de tutelle ! »

Tant que l'on ne rétablira pas une culture différente, basée sur un fonctionnement horizontal, les probl&egra question de savoir s'il y a vraiment eu plus de mortalité en milieu urbain et périurbain. C'est une question simple à laquelle il faudrait répondre. Les bases de données nécessaires existent mais, si on ne fournit pas l'effort de les mettre en commun et de prévoir des gens pour les exploiter, les informations resteront dans leur coin, et la jonction qui a manqué au moment de l'alerte ne sera pas non plus effectuée lors de l'analyse.

Mme Françoise Lalande - En ce qui concerne, par exemple, les données épidémiologiques, il est une question à laquelle nous aimerions bien répondre, celle de l'influence des médicaments. Le problème est que l'immense majorité des personnes âgées sont venues sans un mot de leur médecin. C'est une des choses qui a le plus manqué. D'habitude, elles se présentent avec un mot du médecin mais, cette fois, cela n'a pas été le cas, comme nous l'ont confirmé tous les services d'accueil des urgences, les SAMU ou les pompiers. Nous ne disposons donc pas des données thérapeutiques nécessaires.

M. le président de la mission d'information - Le fait que tout cela se soit passé au mois d'août a dû probablement jouer.

M. Claude Leteurtre - Pourrait-on imaginer que l'on veille à ce que les personnes âgées disposent d'un carnet de santé réellement à jour et accessible aux services d'urgence ?

Mme Françoise Lalande - Vous savez, le carnet de santé des personnes âgées...

M. Claude Evin - D'un point de vue législatif, cela ne servirait à rien : le carnet de santé existe déjà !

M. Claude Leteurtre - Je ne parlais pas de la loi.

M. le président de la mission d'information - Nous verrons cela dans nos conclusions.

Mme Sylvie Legrain - Il faut mesurer la complexité des facteurs de mortalité : l'état de santé, les médicaments, la nature de l'habitat, la façon dont le personnel des maisons de retraite a pu ou non anticiper la crise - dans ce dernier cas, il est difficile de définir des critères d'appréciation. Personnellement, il me paraît urgent de conduire des études approfondies, quitte à se limiter à une ou trois régions représentatives, voire trois départements ou trois cantons. Mais il faut absolument corriger l'ensemble de ces données. Si l'on écoute, en effet, les différents témoignages, certains disent que l'on n'est pas mort en milieu rural, d'autres que l'on n'est pas mort en maison de retraite lucrative ! Quoi qu'il en soit, la dépendance n'a probablement pas été un facteur déterminant : au contraire, un bon médecin aura pris soin d'ôter les diurétiques de sa prescription.

Malheureusement, tout cela est extrêmement compliqué. Mais si nous ne prenons pas en compte l'ensemble de cette complexité, n quinzaine du mois d'août. La fermeture des lits hospitaliers est en effet une vraie question.

Mme Françoise Lalande - On nous a beaucoup attaqué sur le sujet des médecins généralistes. En fait, nous avons noté qu'un certain nombre de médecins généralistes étaient là mais qu'ils avaient été débordés. Ainsi, SOS médecins a énormément travaillé. En revanche, de nombreuses informations ont montré que les généralistes avaient manqué dans les services d'accueil des urgences, premièrement parce que ces derniers avaient subi un afflux de consultations non programmées qui les engorgeaient encore plus, deuxièmement parce que les personnes âgées n'avaient jamais ce mot d'accompagnement dont elles sont munies d'habitude et, troisièmement, parce les mêmes services, ainsi que les SAMU et les pompiers, ont été très sollicités pour les certificats de décès, alors qu'ils devaient déjà faire face à une énorme charge de travail. On en voit des preuves dans les statistiques d'activité des SAMU, ou auprès de la brigade des sapeurs pompiers de Paris : celle-ci reçoit habituellement la plus grande parties de ses appels de la part des médecins généralistes mais, cette fois, ces derniers ont été pratiquement absents. Donc, non seulement il existe dans ce domaine une série de témoignages concordants, mais on peut également observer des indices probants.

M. Claude Leteurtre - Et la pollution ?

M. le président de la mission d'information - Nous allons évoquer ce problème, ainsi que l'expérience des pays étrangers.

Mme Catherine Génisson - Outre la pollution, il est un sujet que l'on n'a pas vu apparaître, ni dans votre rapport, ni d'ailleurs sur la place publique : c'est celui de l'incidence de la canicule sur les malades souffrant de troubles psychiatriques. On parle beaucoup des interactions médicamenteuses chez les personnes âgées. On pense bien sûr aux diurétiques et à toutes les drogues à visée cardiovasculaire mais qu'en est-il des psychotropes et des neuroleptiques ? On sait que l'hyperthermie maligne a souvent été décrite chez des malades psychiatriques sous l'emprise d'une dose excessive de neuroleptiques. Je suis étonnée que ce sujet n'ait pas été évoqué.

Mme Françoise Lalande - Nous connaissons le cas de quelques SDF sous Subutex...

M. Dominique Meyniel, urgentiste - Les SDF, héroïnomanes ou consommant du Subutex, n'ont pas bougé parce qu'ils étaient sous l'effet de leur drogue. Mais il est vrai que lorsque l'on a interrogé différents collègues ayant pris en charge aux urgences des cas d'hyperthermie maligne, tous ont relevé la responsabilité des neuroleptiques dans cette pathologie - les diurétiques concernent plutôt la déshydratation, on change un peu de domaine. Ainsi, d'après nos observations, et sous réserves des résultats d'études ultérieures, les jeunes patients, sauf lorsqu'ils étaient alcoolis être solitaire, dans tous les sens du terme.

M. Dominique Meyniel - Cela est arrivé également à des couples.

M. le président de la mission d'information - Nous avions également posé la question de la situation dans les pays étrangers. Il semble en effet que nous soyons dans le cas du nuage de Tchernobyl, mais à l'envers...

Mme Françoise Lalande - M. Mattei nous a fait part des échanges qu'il a entretenus avec ses collègues du Portugal, d'Espagne, d'Italie...

M. le président de la mission d'information - ...et des Pays-Bas.

Mme Françoise Lalande - Ils révèlent des chiffres élevés : pour l'Italie du Nord, par exemple, le nombre de victimes est de l'ordre de 5 à 6 000, ce qui, rapporté à la population, est comparable à celui observé en France. Il en est de même en Espagne et au Portugal. En revanche, il existe peut-être un décalage dans la perception de la crise.

M. le président de la mission d'information - Les Pays-Bas annoncent entre 1 000 et 1 400 morts liées à la canicule. En revanche, interrogés sur ce point, les Belges affirment pour le moment qu'ils n'ont pas connu de problème...

M. Dominique Meyniel - Nous n'avons pas du tout approfondi le problème météorologique international. Vous posiez tout à l'heure la question du Pas-de-Calais. J'y ai fait un aller et retour le dimanche 10 août. Quelle soulagement, tout à coup !

Mme Catherine Génisson - Vous parlez de la Côte d'Opale ? Mais les rapports l'ont mentionné : la situation de la Côte d'Opale n'était pas la même que dans l'ensemble du département.

M. Dominique Meyniel - En effet ! Ce qui nous est apparu dans la littérature, c'est qu'il s'agit souvent de phénomènes extrêmement locaux, et souvent urbains, à cause de la réflexion de la chaleur par la ville, la création de bulles, etc...

Mme Françoise Lalande - Sans parler des derniers étages !

M. Dominique Meyniel - Par ailleurs, Météo France a publié des comparaisons entre les températures selon les pays - notamment les minima nocturnes - qui révèlent des situations beaucoup moins sévères à l'étranger que chez nous. Or ce sont ces températures nocturnes qui ont tué, surtout dans la nuit du 10 au 11 août.

M. Claude Leteurtre - Et la pollution ?

M. Alain-Jacques Valleron - Ce qui est très frappant à mes yeux, c'est que la pollution s'est largement fait voler la vedette p style="text-align: justify">M. Claude Evin - Vous ne nous facilitez pas la tâche ! Nous ne sommes plus sûrs de rien !

M. le président de la mission d'information - Je vous remercie vivement de votre contribution. Votre rapport, que nous avons lu avec beaucoup d'intérêt, fait partie des éléments de notre réflexion.

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V.  Audition de M. Patrick Hermange, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, et de M. Claude Périnel, directeur national de l'action sociale

(séance du jeudi 11 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Dans le cadre de cette mission d'information, nous entrons, nous parlementaires, dans des domaines que vous connaissez bien. C'est une véritable crise sociale que notre pays a connue cet été, en découvrant un tel phénomène de surmortalité, lié à l'isolement d'une certaine catégorie de personnes âgées. Il était donc logique que nous nous adressions à vous. Nous allons étudier ensemble quelles actions complémentaires pourraient être envisagées.

Ma première question est la suivante : la CNAV dispose d'un budget d'action sociale conséquent qui lui permet de financer les services à domicile. Or, cet été, il n'a pas été possible de remplacer tous les personnels concernés par l'aide à domicile, car ils étaient partis en vacances. Je souhaiterais que vous nous indiquiez quelle part de votre budget est destinée aux personnes âgées bénéficiaires de cette aide.

Comment la CNAV envisage-t-elle de participer aux mesures qui devront être prises pour les personnes âgées, en particulier pour celles vivant à leur domicile ? Nous savons aujourd'hui que les personnes âgées vivant seules dans une grande ville ont été les principales victimes de la canicule. Quels moyens pourraient être redéployés en ce sens ? A quelles actions participez-vous, notamment dans le cadre de vos relations avec la CNAM ? Le repérage des personnes âgées à risque est-il réalisé dans les SSIAD, les services de soins infirmiers à domicile ?

Par ailleurs, quel est, à votre avis, le niveau territorial le plus pertinent pour mettre en place un plan de dépistage des personnes à risque ? Quelle est d'après vous la structure la plus appropriée et quel contenu concret pourrait avoir ce plan ?

Nous avons tout à l'heure reçu les représentants de la mission Lalande. D'après le professeur Legrain, cette mission pourrait nous permettre de mieux coordonner les actions.

M. Patrick Hermange, directeur de la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) - Tout d'abord, les moyens mobilisés par la CNAV dans le contexte de l'aide et de l'action sociale à destination des personnes âgées constituent une aide très ancienne, dont l'ampleur a récemment évolué avec la mise en place de l'APA, l'allocation personnalisée à l'autonomie. En effet, depuis le passage de la PSD à l'APA, nous n'avons plus vocation à prendre en charge les personnes placées en GIR 4 : notre action est concentrée sur les personnes placées en GIR 5 et 6. Progressivement s'est opéré un transfert vers les conseils générau GIR, nous replacions la personne en GIR 5 et 6. Nous avons donc pu assurer la continuité au niveau des avances de fonds durant cette période intermédiaire. A partir du moment où un dossier était déclaré complet, nous en avons poursuivi le financement. Les sommes avancées sont en cours de remboursement avec les conseils généraux. Nous travaillons actuellement sur le transfert des personnes en GIR 1 à 4 : il devrait être effectif à la fin de l'année 2003. C'est l'hypothèse sur laquelle nous avons établi notre budget.

Mais le dispositif le plus important pour la CNAV, en termes de prestations financières, concerne l'aide à domicile. Le budget total du FNASPA s'élève pour 2003 à 440 millions d'euros, dont 260 sont consacrés à l'aide ménagère à domicile et aux actions de soutien à domicile. Comme vous le voyez, c'est une part très importante.

Les autres types de dépenses couvrent nos actions à destination du logement, à des actions expérimentales, dont le nombre s'accroît considérablement et qui me paraissent intéressantes, à des actions de soutien aux CLIC, les centres locaux d'information et de coordination en gérontologie, à des coordinations locales et enfin à la modernisation des établissements pour personnes âgées. 50 millions d'euros, soit à peu près 10 % du budget, concernent des projets immobiliers.

Les événements récents nous obligent à remettre en perspective un élément important : la caisse a toujours travaillé en partenariat très étroit avec les prestataires de l'aide à domicile. Son fonctionnement est le suivant : des enveloppes d'heures leur sont attribuées en début d'exercice. Ce système donne aux prestataires à domicile, en fonction des urgences et de la nécessité de renforcer le nombre d'heures, une certaine souplesse et leur permet d'adapter l'aide en fonction des besoins.

Durant l'été, un certain nombre d'associations d'aide à domicile ont été amenées à intervenir plus souvent et de manière plus intense auprès des personnes âgées en difficulté. Nous ne connaissons pas aujourd'hui le volume exact d'heures supplémentaires qui ont été effectuées, mais nous avons demandé aux caisses de les recenser et de trouver, avec les associations, les moyens de résoudre ce problème et de régler les heures supplémentaires qui ont été effectuées.

Il n'est en revanche pas acquis que le système de l'APA offre la même souplesse, car c'est le conseil général, à un moment donné, qui attribue tel volume. C'est un système un peu plus rigide.

M. le président de la mission d'information - A partir du moment où ils l'ont souhaité, ils peuvent tout à fait s'adapter géographiquement !

M. Patrick Hermange - Oui, car la souplesse est un élément important. Cet été, les services d'aide à domi à notre connaissance, sur l'insuffisance du nombre d'heures.

M. le président de la mission d'information - Mais sur des problèmes de ventilation, en effet. Il serait intéressant de connaître la demande pour le mois d'août d'heures complémentaires directement liées à l'aide des personnes âgées isolées. Il y a un énorme travail de proximité à effectuer. Car on le sait maintenant, la surmortalité des personnes âgées est liée à un phénomène d'isolement et elle s'est produite dans des aires géographiques précises.

M. Claude Leteurtre - J'ai été membre d'un conseil général et j'ai pu constater les difficultés que pose la gestion de l'aide ménagère. Par ailleurs, vous intervenez sur les GIR 5 et 6 : leur a-t-on porté atteinte ? Si les personnes en GIR 1 et 2 sont celles qui ont le plus souffert, celles placées en GIR 5 et 6, même autonomes, ont besoin d'une aide quotidienne. Le problème est là. Il n'est peut-être pas anormal que vous n'ayez pas été sollicités car votre « clientèle » n'est pas obligatoirement la cible de la canicule.

M. Patrick Hermange - Nous étudions actuellement la possibilité de croiser le fichier des personnes décédées au mois d'août avec celui des bénéficiaires de l'aide ménagère. Nous n'avons pas eu durant l'été, de la part des caisses régionales ou des grandes fédérations d'intervention à domicile ou encore d'associations ponctuelles, de message évoquant une catastrophe sur le terrain. Cela s'explique probablement par la nature de la population suivie, faiblement dépendante.

La question de fond est la suivante : comment mieux cibler nos interventions sur des personnes fragiles médicalement, mais pas forcément en état de dépendance, et sur des personnes fragiles socialement et isolées ? Nous sommes sur ce point assez déficients. Nous avons adressé des recommandations aux associations sur le terrain et aux prestataires conventionnés, les CCAS, centres communaux d'action sociale, pour essayer de cibler ces personnes fragilisées socialement et isolées. Mais nous pouvons aller plus loin. Ce qui nous manque, et cela a été préconisé par le docteur Lalande, c'est un meilleur repérage, qui pourrait être effectué par les services sociaux ou les intervenants à domicile.

Comment mettre dans un pot commun, en quelque sorte, toutes les personnes totalement isolées, que souvent nous ne connaissons pas ? Ce fichier pourrait être géré par les mairies, qui sont le lieu adéquat pour cela. Le vrai problème vient de ce que ces personnes, qui ne sollicitent pas grand-chose, sont inconnues des mairies et des intervenants. Mme Lalande parle de la nécessité d'un recensement, je dirais plutôt d'un repérage, à partir duquel nous pourrons agir. Tous les prestataires de l'aide peuvent y jouer un rôle important. Mais les seuls professionnels ne suffiront pas pour répondre à tous les besoins. Je souhaiterais que l'on puisse réactiver les réseaux bénévoles, de voisinage, en quelque sorte quand sa famille sera absente. Appelons cela un réseau de vigilance et d'alerte.

M. le président de la mission d'information - En effet, basé sur le bénévolat, l'entraide et la générosité. J'ajoute la faiblesse de la formation initiale de ces professionnels. Si la majorité d'entre eux fait du très bon travail, certains intervenants abandonnent rapidement leur tâche. Un très bon maillage, pour être efficace, devra être organisé au niveau local. Les organismes comme le vôtre pourraient donner des instructions, sous la forme de kits d'organisation, par exemple, pour mettre en place un système de veille.

M. Patrick Hermange - Les spécialistes ont mis en lumière la superposition de tout un ensemble d'éléments : l'hôpital connaît des problèmes d'urgences, une insuffisance de lits en gériatrie et souffre d'une absence de coordination. S'y ajoutent les problèmes du système de garde et de la continuité des soins avec la médecine libérale. Ces problèmes ont été accrus cet été, en particulier dans les grandes villes.

Nous suivons actuellement avec la CNAM une autre piste : il s'agit de la prévention de l'hyperthermie. Le nord de la France a découvert avec la canicule un phénomène que les gens du sud connaissent très bien. Au quotidien, on peut y remédier avec des principes très simples : il vaut mieux fermer les fenêtres pendant la journée, se tenir dans des pièces fraîches et toujours veiller à faire baisser la température du corps. Mme Guinchard-Kunstler en a très bien parlé : quelques gériatres marseillais, en 1983, ont réalisé un excellent travail, mettant en lumière la nécessité d'une formation et d'une sensibilisation des personnels médico-sociaux qui interviennent à domicile, des familles, des bénévoles et des personnes âgées elles-mêmes. Il s'agit de choses très basiques. Le problème n'est pas de faire avaler des verres d'eau, mais de faire baisser la température du corps. Les grands gériatres pourraient nous aider à établir par exemple un « kit pédagogique » présentant les précautions à prendre en cas de forte chaleur. A Paris, par exemple, les gens se sont trouvés démunis car ils n'avaient jamais été confrontés à ce phénomène. La tentation des proches a donc été de s'adresser aux urgences hospitalières, qui étaient déjà engorgées...

M. le président de la mission d'information - Comme nous l'a indiqué ici un représentant de SOS Médecins, ceux-ci ont été très sollicités pour des personnes seules, auxquelles ils délivrent une prescription sanitaire et non une prescription sociale. N'y aurait-il pas quelque chose à faire en ce sens ? Malheureusement, la procédure administrative en la matière est extrêmement longue. Ce médecin a attiré notre attention sur l'environnement social des personnes d'un certain âge qui, si elles peuvent rester chez elles, n'en doivent pas moins faire l'objet de prescriptions sanitaires mais aussi sociales. Cela pourrait entrer dans le « kit du maillage » avec notamment ont beaucoup de mal à gérer le nombre d'heures dont ils disposent. Leur offrir une telle souplesse, même encadrée, résoudrait le problème de l'ordonnance sociale évoqué par SOS Médecins.

Pouvez-vous envisager de mettre à la disposition des CCAS et des prestataires de services un certain nombre d'heures d'aide ménagère pour faire face à de telles situations d'urgence ? Bien sûr, cela implique de trouver du personnel. Quoi qu'il en soit, est-il envisageable pour vous d'honorer la prescription sociale au niveau local ?

M. Patrick Hermange - J'en ai conscience, mes propos ont pu vous heurter. Le système que nous avons adopté avec nos associations est souple : une enveloppe annuelle leur est allouée. Elles peuvent ensuite, moyennant des marges d'écrêtement, aménager ce nombre d'heures lorsqu'elles sont en situation de tension. Certaines, via les CRAM, nous écrivent pour trouver une solution. Il y a un certain paradoxe. Quand je dis que l'on n'est pas en tension sur la consommation, cela ne veut pas dire pour autant que tous les besoins d'aide ménagère sont satisfaits. Cela veut dire que les associations et les prestataires, probablement parce qu'ils sont lourdement sollicités, ont aidé en priorité les personnes les plus lourdement dépendantes et qui relèvent de l'APA. Je vous rappelle les difficultés rencontrées par ces prestataires pour trouver du personnel afin de satisfaire les besoins des personnes relevant des GIR 5 et 6. 

Une consommation modérée du volume des heures, à la fin du mois d'août, n'est pas due au fait qu'il n'y a pas eu de besoins, mais au fait que les prestataires de services ont rencontré des difficultés pour recruter des personnels qui leur auraient permis d'assumer de nouvelles prises en charge.

Le chiffre que je vous ai cité est révélateur du fait que les intervenants - CCAS, associations - ont du mal à se mobiliser, compte tenu de ces problèmes de personnel, pour répondre aux besoins de la clientèle placée en GIR 5 et 6. Les associations ont probablement affecté leurs personnels au suivi des personnes les plus lourdes, bénéficiaires de l'APA, ce qui n'est pas illégitime. Elles n'ont accepté de nouveaux cas de personnes en GIR 5 et 6 que dans la mesure de leurs moyens, en termes de personnel.

M. Claude Périnel, directeur national de l'action sociale à la CNAV - Je voudrais ajouter que la répartition des enveloppes au niveau régional et entre les prestataires de services se fait sur la base de la consommation de l'année précédente. Cette répartition peut naturellement donner lieu à un ajustement au cours de l'exercice.

S'agissant des prises en charge individuelles, il est toujours possible aux caisses régionales de donner des autorisations de dépassement au titre de la prise en charge mensuelle, comme pour l'APA. En cas d'urgence, les caisses régionales l'ont expressément prévu, le prestataire peut prendre l'initiative de démarrer une prise en charge, qui fera ensuite l'objet d'une régularisation administrative et de l'ouverture de droits dans le mois qui suit. Ce dispositif, idéal réaliser. Cette approche n'est pas exclusivement celle de la sécurité sociale, qui a vocation à travailler avec d'autres partenaires, en particulier les collectivités locales. Aujourd'hui de nombreuses actions de prévention sont entreprises auprès des personnes âgées, comme la prévention des chutes, l'entretien de la mémoire, etc... L'idée est de créer une synergie et d'optimiser les moyens qui existent mais ne sont pas toujours efficacement consommés. Ce programme d'actions élaboré avec la CNAM devrait être mis en œuvre rapidement.

Quant au repérage, la sécurité sociale y contribue déjà assez fortement par le biais de son service social. Celui-ci, qui dépend de l'assurance maladie, est utilisé par l'assurance vieillesse, moyennant remboursement. Au niveau des CRAM, il est bien implanté sur le terrain. Ce sont 2 000 assistantes sociales qui sont inscrites dans le maillage et qui travaillent en étroite collaboration avec les collectivités locales, au sein des CLIC, réalisant de nombreuses actions sur le terrain.

Ce sont elles qui nous aident à évaluer les besoins. La sécurité sociale est donc d'ores et déjà présente sur le terrain. Cela ne veut pas dire pour autant que tous les besoins sont couverts. Pour les acteurs du repérage, les besoins existent. Les assistantes sociales travaillent dans trois directions : l'accès aux soins, qui est facilité avec la CMU, la réinsertion des handicapés et enfin la prévention et l'accompagnement des personnes âgées atteintes de perte d'autonomie.

Pour répondre à toutes ces questions, quel est le niveau territorial le plus pertinent ? Certainement le niveau local, le bassin de vie, la commune. A Paris, c'est l'arrondissement.

M. le président de la mission d'information - Le niveau local est le plus approprié, bien sûr !

M. Patrick Hermange - Un repérage des populations ou un plan d'alerte ne peuvent se réaliser que sur le terrain : l'arrondissement dans les grandes villes, voire le quartier dans les grands arrondissements, d'autant plus si l'on veut y ajouter la dimension du bénévolat.

Je vais vous citer un cas très concret. J'ai des activités dans le cadre de la Croix rouge. Nous souhaitions engager une action bénévole en direction des personnes âgées : du lien social, des visites, et pour cela nous nous sommes adressés aux CCAS. Ils ont eu un mal fou à sélectionner pour nous des personnes à qui destiner ces visites ! Il y avait bien des personnes isolées mais n'ayant jamais entrepris de démarches auprès du CCAS. Pour les connaître, certains dispositifs technologiques, la télésurveillance ou la télé-alarme, peuvent être utiles. Un dispositif humain - bénévolat, proximité, voisinage - quand la famille est absente doit renforcer le tissu des intervenants à domicile et le tissu médico-social. Les SSIAD ainsi que les infirmières libérales ont un rôle important à jouer. Ce sont tous ces acteurs que nous devons faire fonctionner ensemble et efficacemen importante. La population en situation de perte d'autonomie augmente constamment. On voit aujourd'hui des personnes de 90 ans, dont les enfants de 70 ans sont plus handicapés que leurs parents ! L'entraide familiale ne suffit alors plus, ni même le réseau des infirmières libérales, pour des raisons de quotas, car il s'agit d'actes lourds, qui peuvent être bi-quotidiens. Les services de soins à domicile fonctionnent très bien dans de tels cas, grâce aux aides-soignants et aux infirmières.

M. Claude Périnel - Notons la permanence des activités de ces services.

M. le président de la mission d'information - Ce sont 10 000 salariés, comme en Moselle, où je dois le dire, cela fonctionne très bien. Mais certains intervenants trouvent ce travail d'aide à domicile trop dur et parfois le quittent brutalement. C'est un vrai problème de fond. Si nous avions des crédits, il n'est pas sûr que nous trouverions les personnels nécessaires. Un autre problème vient de ce qu'il s'agit d'un travail à temps partiel, concurrencé, si je puis dire, par les indemnités chômage. C'est une réalité.

M. Patrick Hermange - Je crois beaucoup au repérage, à la détection des relais et à l'inventaire des lieux frais et climatisés.

M. le président de la mission d'information - A tout ce qui touche à l'accueil hospitalier, évoqué dans le rapport, j'ajouterai ce qui relève des institutions. Dans les futures maisons de retraite, pourquoi ne pas prévoir une grande salle climatisée, dans laquelle tous les lits pourraient être regroupés pendant les périodes de canicule ? C'est un message pour les conseils généraux !

M. Patrick Hermange - Un message également pour les architectes et les concepteurs. Dans le nord de la France, on a construit, notamment pour les personnes âgées, des bâtiments très ouverts sur l'extérieur, la verdure et laissant entrer le soleil. Les anciens hospices, eux, avaient de petites ouvertures, au nord et au sud, et de très hauts plafonds, préférables en termes de ventilation et de température.

M. le président de la mission d'information - Ce que vous indiquez est très juste. A Paris, ce sont les personnes vivant au dernier étage qui ont été, selon SOS Médecins, les premières victimes de la chaleur.

M. Patrick Hermange - C'est certain. Un bâtiment qui n'est pas exposé toute la journée au soleil n'accumule pas la chaleur. Dans les anciens bâtiments, l'épaisseur des murs et la petite dimension des fenêtres contribuaient à conserver la fraîcheur. Dans nos colonies, par exemple, les architectes prévoyaient dans une construction la possibilité de créer des courants d'air naturels.

Tous ces éléments que nous venons d'évoquer vont nous permettre de réfléchir et de travailler à des actions de prévention et à la mise en plac nombre de départements, ceux de la région Alsace par exemple, cela fonctionne bien.

M. le président de la mission d'information - Très bien !

M. Patrick Hermange - Il y a dans ces départements une culture du partenariat. Dans d'autres régions, il faut faire des efforts désespérés, chacun voulant planter son propre drapeau. Nous sommes, nous, très ouverts à cette approche partenariale. La CRAV d'Alsace - Moselle organise des réunions périodiques avec tous les financeurs, afin de répartir les charges. Ailleurs, il faut quelquefois négocier avec les services de l'État, du département, les caisses de sécurité sociale.

M. le président de la mission d'information - Vous avez eu un grand homme, avec M. Théo Braun !

M. Patrick Hermange - En effet, il avait dynamisé tout cela ! Nous sommes navrés d'assister aujourd'hui à de telles divisions.

M. le président de la mission d'information - Je crois que toutes les questions ont obtenu une réponse. Je vous remercie, monsieur le directeur. Vous êtes un partenaire essentiel pour les personnes âgées de notre pays. Vous avez proposé quelques pistes, dont certaines sont gratuites, comme le maillage. Il était important de les évoquer car elles traduisent un manque de solidarité. D'ailleurs, on ne peut pas mettre en place uniquement des services payants. Utilisons mieux ceux qui existent.

M. Patrick Hermange - L'insuffisance de moyens est réelle, mais optimisons-les et tirons le maximum de tous les acteurs concernés.

M. le président de la mission d'information - Je vous remercie.

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VI. Audition de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, et de M. Hubert Falco, secrétaire d'état aux personnes âgées

(séance du lundi 15 septembre 2003)

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Je remercie Denis Jacquat et la mission d'information qu'il préside du travail qu'elle a entamé à un rythme d'enfer. Il est très important de maintenir ce rythme, monsieur le président, parce que l'objectif de cette mission, messieurs les ministres, c'est d'avoir le plus d'éléments possibles pour éventuellement apporter des adaptations aux textes de loi qui doivent être examinés prochainement, projet de loi sur la santé publique au cours de la première et de la deuxième semaine d'octobre, puis la loi sur le financement de la sécurité sociale au cours de la dernière semaine d'octobre. Tel est l'objectif de cette mission et je compte sur le président pour la mener à bien.

M. Denis Jacquat, président de la mission d'information - Messieurs les ministres, notre pays vient de vivre un drame : la canicule et ses conséquences. Malheureusement, les personnes âgées en furent les principales victimes. Les membres de la mission ont noté, à la suite des premières auditions, qu'il se posait en particulier un problème concernant l'isolement des personnes âgées. Ce matin, nous sommes là pour vous écouter, messieurs les ministres.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Monsieur le Président, mesdames et messieurs les députés, vous avez souhaité être informés sur la gestion des conséquences de la canicule en matière de prise en charge sociale et médico-sociale des personnes âgées dans le cadre des responsabilités exercées par mon département ministériel.

En matière de personnes âgées, les compétences ministérielles ont été partagées entre deux départements : le ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées au titre de la prise en charge sanitaire et le ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité au titre de la prise en charge sociale. Au sein du ministère qui m'est confié la responsabilité en matière de personnes âgées est elle-même partagée entre une compétence générale que j'exerce à titre de ministre chargé des affaires sociales et de la solidarité et une compétence spécialisée, confiée à Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées.

Je souhaite vous apporter les informations que vous attendez en vous indiquant, dans un premier temps, les actions qui ont été menées avant et pendant la canicule.

Tout d'abord avant la canicule. Les dramatiques conséquences de la canicule du mois d'août 2003 ont souligné l'insuffisance des dispositifs de prévention et d'alerte dans le domaine des personnes âgées.

Toutefois des dispositions avaient été prises bien avant cet événement climatique exceptionnel pour en prévenir, ou en tout cas en atténuer, les conséquences. En effet, le 12 juillet 2002, c'est-à-dire quelques semaines après l'installation du gouvernement, les préfets et les DDASS ont reçu une note de recommandations écrites sur « la qualité de la prise en charge des personnes âgées pendant la période d'été ». Cette note du secrétaire d'Etat insistait très précisément dans son paragraphe 4 sur « la prévention de la déshydratation », sur la nécessité de « rafraîchir les locaux » et « de donner à boire, plusieurs fois par jour, aux personnes âgées ». L'instruction concluait sur la nécessité de diffuser « ces quelques préconisations d'application simple à tous les directeurs d'établissements pour personnes âgées de votre département ».

Cette instruction a été renouvelée le 27 mai 2003. Elle attirait l'attention sur les difficultés liées à l'isolement des personnes âgées durant la période d'été et sur la vigilance à maintenir à domicile grâce aux services d'aide ou de soins à domicile. Malheureusement force est de constater que ces instructions n'ont pas suffi dans un grand nombre d'établissements pour personnes âgées.

Ensuite durant la canicule. La vague de chaleur exceptionnelle s'est installée en France vers le 2 août. Ainsi que l'a établi la mission d'expertise et d'évaluation confiée à Madame Lalande, inspectrice générale des affaires sociales, rien de probant n'a été perceptible jusqu'au 6 août. De fait les premiers signaux de surmortalité ont été lancés par les SAMU et les urgences hospitalières, qui ont constaté le 8 août une augmentation inhabituelle de patients âgés en hyperthermie. Jusqu'au 8 août, aucun signalement de décès massif n'a été signalé à la direction générale de l'action sociale par les DDASS, par les institutions d'hébergement de personnes âgées ou par les associations d'aide à domicile. Le premier appel est arrivé à la permanence du cabinet du secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Il date du 10 août pour signaler le manque de place dans le funérarium des Hauts-de-Seine.

Une croissance très forte de décès a été constatée le lundi 11 août pour atteindre un maximum le 12 août : selon la mission d'expertise, que j'ai citée, les à un niveau satisfaisant la température corporelle, de repérer les symptômes de déshydratation et sur les méthodes de la réhydratation.

Afin de mieux mesurer les effets de la canicule, la direction générale de l'action sociale demandait, le 14 août, aux DRASS et DDASS une première évaluation quantitative de la mortalité des personnes âgées hébergées en établissement.

Après le pic de chaleur, le 16 août 2003, une circulaire du secrétaire d'Etat aux personnes âgées demandait aux préfets et aux DDASS de sensibiliser les communes et les centres communaux d'action sociale (CCAS) sur l'importance d'un accompagnement des personnes âgées isolées à l'occasion de leur retour à domicile après la phase d'hospitalisation. Les recommandations de prévention étaient renouvelées à cette occasion.

Le 19 août, le cabinet du secrétaire d'Etat aux personnes âgées a réuni les principaux représentants des établissements d'hébergement et des services d'aide à domicile. Au-delà des propositions d'amélioration à moyen terme qui ont été présentées à cette occasion, la réunion a permis de constater une très forte disparité des cas de surmortalité dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et l'absence de système d'alerte dans le secteur médico-social.

Au terme de ce rappel chronologique, un constat s'impose : dès le début de la canicule aucune remontée officielle de difficultés n'est venue des DDASS, des conseils généraux, des CCAS, des établissements hébergeant des personnes âgées ou des associations de maintien et de soins à domicile. Cette situation peut s'expliquer par plusieurs raisons :

Dans la crise tous les établissements et services de soins à domicile ont travaillé au mieux et au maximum des moyens humains disponibles, par des visites au domicile des personnes connues et suivies par les services de soins infirmiers à domicile ou pour les orienter vers le secteur hospitalier, via notamment les urgences, dès que cela paraissait indispensable. L'adaptation s'est réalisée par réaction, avec un certain décalage, au fur et à mesure du déroulement de la crise. Dès lors, comme l'indique la mission d'expertise : « la situation des personnes âgées dans les institutions ou à domicile a été fonction de leur état général, du degré d'anticipation et des moyens disponibles dans leur environnement immédiat ».

De plus, dans ce type de crise les interlocuteurs des DDASS sont traditionnellement les directions d'administration centrale (ou les agences) à vocation sanitaire, qui sont normalement sollicitées et informées de toutes les difficultés concernant une crise sanitaire liée à l'augmentation anormale des décès, à l'indisponibilité des lits d'hospitalisation ou encore à l' durant ou à l'issue du pic de chaleur. Aujourd'hui, beaucoup d'entre elles peuvent revenir chez elles, mais elles sont affaiblies : une surveillance médicale ou paramédicale est souvent nécessaire. De même, le besoin d'aide ménagère a pu s'accentuer. Enfin, certaines personnes qui ne relevaient pas de l'APA ont aujourd'hui un niveau de perte d'autonomie qui justifie une ouverture du droit ou, pour celles qui en bénéficiaient déjà, d'une révision du plan d'aide. L'essentiel en tout état de cause est de préparer dès aujourd'hui, dans les meilleures conditions, les sorties d'hôpital pour les personnes encore hospitalisées.

Ainsi que je l'ai indiqué une circulaire a été envoyée le 16 août dernier aux préfets et aux DDASS pour les sensibiliser à ces difficultés en leur demandant notamment de transmettre une lettre écrite aux maires et pour les appeler à une vigilance particulière sur ce point particulier du retour à domicile. L'attention des préfets et des directeurs d'ARH a été appelée à nouveau sur de telles situations par circulaire interministérielle (affaires sociales, santé) du 2 septembre, qui demande plus précisément une appréciation des difficultés locales en vue de mobiliser les crédits nécessaires pour y faire face.:

Le deuxième niveau d'action concerne l'élaboration du plan pluriannuel et interministériel « vieillissement et solidarités » demandé par le Premier ministre à l'occasion de sa rencontre le 26 août avec les principaux représentants des services, organismes ou associations chargés de la prise en charge des personnes âgées.

Le Premier ministre a demandé à cette occasion qu'un diagnostic partagé puisse être établi sur les modes d'organisation et de fonctionnement des dispositifs d'accueil et d'hébergement. Il a souhaité que ce travail soit mené tout au long du mois de septembre avec les représentants des personnes âgées, en vue d'élaborer le plan d'actions que le gouvernement présentera en octobre 2003.

A cette fin, le 2 septembre j'ai organisé, avec Jean-François Mattei et Hubert Falco, une réunion de lancement de ce diagnostic partagé. J'ai mis en place six groupes de travail thématiques, qui sont les suivants.

Un premier groupe de travail est consacré, d'une part, à l'amélioration de la prévention et, d'autre part, à l'élaboration, c'est sans doute un des points essentiels, et à la mise en œuvre d'un dispositif de veille et d'alerte en lien avec l'activité des services d'urgence des hôpitaux et les services météorologiques. Ce plan, dit « Vermeil » serait associé à l'organisation coordonnée au niveau territorial des intervenants professionnels ou bénévoles. Ce protocole pourrait être élaboré au plan national mais sa gestion, c'est-à-dire son organisation, son déclenchement et sa mise en  problématique de l'insertion dans un cadre à proximité des lieux de vie sociale.

Un troisième groupe analyse et fera des propositions concernant la vie à domicile : la prise en charge globale sociale et sanitaire, graduée selon les situations individuelles et associée à une coordination des intervenants a été fortement sollicitée durant cette période de crise. II convient de renforcer cette coordination gérontologique. Ce groupe recense aussi les besoins d'hébergement temporaire, d'accueil de jour ainsi que les formes alternatives destinées à prolonger le maintien à domicile. Il devra aussi faire des propositions pour soutenir les familles, très nombreuses, qui ont la difficile tâche de s'occuper elles-mêmes de leurs aînés.

Un quatrième groupe est consacré à la prise en charge sanitaire des personnes âgées : il examine sous l'autorité d'un représentant du ministère de la santé l'organisation de la filière gériatrique ainsi que l'adaptation des métiers médicaux ou paramédicaux aux besoins du vieillissement de notre société.

Un cinquième groupe se consacre plus généralement à la gestion des ressources humaines dans le domaine social et médico-social des personnes âgées. Cet ensemble comprend la formation et la validation des acquis de l'expérience, les statuts et la carrière des professionnels, ou encore les taux d'encadrement, c'est-à-dire en définitive la reconnaissance des métiers du social, l'attractivité et l'adaptation de ces métiers, ainsi que la prospective des emplois correspondants.

Enfin, un sixième groupe aborde la question des modalités et des sources de financement. Nous avons en effet besoin d'une réflexion générale sur le financement pour les personnes en difficulté, que cette difficulté soit liée à l'âge ou au handicap, c'est-à-dire à la perte d'autonomie.

Les travaux de ces groupes seront rapportés et synthétisés durant la dernière semaine de septembre. J'adresserai aussitôt après un rapport de situation et de propositions au Premier ministre, afin de lui permettre d'arrêter les dispositions du plan interministériel et pluriannuel d'amélioration des conditions de vie et de prise en charge des personnes âgées et notamment des plus vulnérables d'entre elles.

Sans attendre ce rapport, je souhaiterais vous faire part des enseignements que je tire de cet événement climatique et de ses douloureuses conséquences.

La crise a souligné une évolution de notre société, que tout le monde connaît bien, soit à titre personnel ou familial, soit à la lecture de nombreux travaux d'expertise. Notre société vieillit rapidement et inéluctablement. En 2003, 1 million de personnes sont âgées de plus de 85 ans. Elles seront 4,5 millions en 2040.

Ce travail d'analyse est en cours. Il poursuivra l'effort entrepris par la collectivité : la réforme de l'allocation personnalisée d'autonomie a permis de sauvegarder cette prestation au prix d'un effort financier très important des départements et de l'Etat. De plus, l'effort pour améliorer la médicalisation des établissements qui accueillent des personnes âgées reste particulièrement soutenu, quoi qu'en disent certains. Entre 2001 et 2003 l'effort financier global de l'Etat, des départements et de l'assurance-maladie au titre de l'APA et de la médicalisation des établissements pour les personnes âgées aura augmenté de plus de 60 %. Ces données me paraissent suffisantes pour éviter d'avoir à entrer à nouveau dans un débat polémique inadapté à la réponse solidaire qui est attendue de nous après la crise de cet été.

Nous réaliserons le travail demandé par le Premier ministre de façon sincère et objective. Mais en rester à l'analyse des moyens financiers serait insuffisant.

Des causes organisationnelles contribuent aussi à expliquer l'ampleur de cette crise. J'ai déjà signalé l'absence ou le retard des mécanismes d'alerte. D'autres ont évoqué une moindre continuité de l'encadrement et une raréfaction de l'offre de service infirmière ou ménagère au mois d'août en raison de l'insuffisant étalement des congés dans un domaine où la permanence de l'assistance médico-sociale devra de plus en plus s'harmoniser avec la continuité des soins hospitaliers. A plus forte raison, comme beaucoup le proposent, si les réseaux de coordination gérontologique sont appelés à se développer pour associer soins à domicile, en ville et à l'hôpital.

De même, les modalités de prise en charge des personnes âgées en amont et en aval des urgences hospitalières me paraissent un axe d'amélioration de la filière gériatrique. Les efforts à réaliser dans ce domaine seront analysés conjointement avec mon collègue, Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

Au-delà des besoins financiers et organisationnels, la canicule a révélé aussi la fragmentation des compétences administratives et institutionnelles, ainsi que la complexité des modalités de financement et de tarification des établissements et services. La réactivité des interventions de proximité qu'appelait la poussée thermique de début août a été, à mon sens, ralentie par le partage des compétences dans le domaine des personnes âgées où interviennent ensemble ou séparément : les commu simplifier les procédures d'autorisation et de tarification.

En effet, nous devons maintenant regarder devant nous et œuvrer ensemble pour établir en France une société plus attentive à toutes les personnes vulnérables, que cette dépendance soit liée à l'âge ou au handicap. Le chantier relatif aux personnes âgées va faire très bientôt l'objet du plan pluriannuel « vieillissement et solidarités ». Celui concernant les personnes handicapées devrait aboutir à la rénovation de la loi de 1975.

C'est pourquoi, sans attendre, je souhaite que soit abordé le financement des améliorations à apporter aux conditions de vie de toutes ces personnes en difficulté. Je ne préjuge d'aucune de ces modalités ou de ses sources de financement : cinquième branche, suppression d'un jour férié ou toute autre alternative seront analysées en pesant les avantages et les inconvénients de chaque hypothèse.

Les conclusions de notre travail ne sont pas arrêtées à ce jour. Elles le seront prochainement. Mais elles sont d'ores et déjà guidées par plusieurs principes :

- la modernisation pour combler progressivement les retards et les insuffisances
de moyens objectivement établis ;

- la proximité pour favoriser l'adaptation et la réactivité des réponses aux situations individuelles ;

- la simplification dans le partage, aujourd'hui excessif, des compétences et dans
les procédures administratives.

Ces travaux devraient nous permettre d'anticiper les conséquences du vieillissement de notre société, d'en prévenir les effets sociaux et médico-sociaux, et de préserver la qualité de vie des personnes âgées, y compris lorsqu'elles perdent leur autonomie.

La crise de cet été a révélé l'isolement et la fragilité d'un très grand nombre de nos concitoyens. Elle a suscité une prise de conscience sur l'insuffisante attention et la trop faible reconnaissance que nous devons à nos aînés. Nous devons maintenant éviter que l'oubli collectif efface progressivement cette prise de conscience.

C'est pourquoi nous devons nous attacher tous ensemble à promouvoir « une société pour tous les âges ». Une société pour nos aînés, c'est une société qui permet à chacun de réussir son vieillissement, c'est-à-dire qui offre les meilleures chances d'anticiper les effets de l'avancée dans l'âge. L'effort de la recherche médicale et le développement de la prévention devraient y contribuer. Une société pour tous les âges, c'est aussi une société dans laquelle les générations - autrefois trois, maintenant quatre - tissent des liens étroits les unes avec les autres en restaurant des solidarités de proximité, au-delà du lien familial, au sein d'activités associatives, de voisinage ou de quartier.

Notre société est confrontée au phénomène d'une longévité tirée par le progrès de la médecine et par le report en âge de la perte d'autonomie. Associée à l'évolution démographique, cette longévité croissante crée une situation inédite. Le Premier ministre arrêtera en octobre un plan pluriannuel « vieillissement et solidarités ». Ce plan est destiné à répondre à cette situation inédite et comprendra des mesures budgétaires et techniques, mais il sera surtout le support d'un projet de société plus ouverte aux besoins du grand âge et d'un lien social resserré entre les générations, c'est-à-dire d'un projet humaniste fondé sur des valeurs de solidarité et de respect. Dans ce projet, l'Etat prendra toute sa part. Mais ce projet exige aussi que chacun d'entre nous s'y implique pour combattre la solitude d'un trop grand nombre de personnes âgées.

M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées - Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le drame que nous venons de vivre est, certes, révélateur d'un certain nombre de dysfonctionnements mais c'est aussi le signe d'une montée des égoïsmes et d'un relâchement inquiétant du lien social.

Le drame humain que nous venons de vivre comporte une double dimension, sanitaire et sociale. La dimension sanitaire vous a été exposée par Jean-François Mattei lors de son audition jeudi dernier. Je n'y reviendrai pas. Quant à la dimension sociale, c'est celle de la prise en charge des personnes âgées par notre société. Cette question nous concerne tous, et pas seulement ceux qui ont des parents âgés. Nous sommes tous aujourd'hui interpellés. Dans le champ de compétence dont le secrétariat d'Etat aux personnes âgées a plus particulièrement la charge, je veux assumer ma part de responsabilité.

Oui, peut-être n'ai-je pas été assez convaincant, peut-être n'ai-je pas été assez persuasif.

Oui, peut-être n'ai-je pas suffisamment insisté sur les mesures préventives que j'avais recommandées.

Oui, peut-être aurait-il fallu davantage sensibiliser les média à ces questions pour qu'ils répercutent mieux les consignes que nous avons lancées.

Oui, reconnaissons-le tous ensemble : le sujet des personnes âgées est un sujet tabou ; on souhaite tous bien vieillir dans notre pays mais on ne souhaite pas en parler.

Dès ma prise de fonction, pourtant, j'ai souligné que la prévention était un volet essentiel de la politique en faveur des personnes âgées. C'est un axe majeur de la politique que nous avons engagée. Et je voudrais rapidement rappeler quelques-unes des actions que nous avons menées à ce titre.

Le 12 juillet 2002, nous avons diffusé une circulaire de recommandations rappelant, entre autres, comme l'a indiqué François Fillon, la nécessité d'hydrater les personnes âgées et de leur donner à boire plusieurs fois par jour pendant l'été. Je demandais de diffuser ces préconisations à tous les directeurs d'établissements de personnes âgées. Cette circulaire a fait l'objet de commentaires ironiques de la part de certains média et même de certains gériatres. C'est dire si la culture de la prévention n'est pas encore intégrée dans notre pays.

Le drame que nous venons de vivre tient, en partie, à l'absence de soins prodigués à nos aînés. Il relève à ce titre d'une certaine forme de maltraitance, la maltraitance par omission, par ignorance, par délaissement, par négligence. Dès mon arrivée au gouvernement, j'ai mis l'accent sur le drame de la maltraitance qui touche tant de nos personnes âgées : 800 000 sont aujourd'hui maltraitées. Avec l'omission et la négligence, il y a aussi les maltraitances physiques, financières, médicamenteuses.

Toujours dans le cadre de la prévention, nous avons lancé, avec le Premier ministre, le 12 mars dernier, un programme intitulé « Bien vieillir », destiné à encourager nos concitoyens de plus de soixante ans à anticiper leur vieillissement afin de rester actif et en bonne santé le plus longtemps possible ; dix-sept villes se sont engagées à mettre en œuvre un ou plusieurs aspects de ce programme.

Je ne reviendrai pas sur la circulaire du 27 mai 2003, diffusée dans tous les départements, sur la prise en charge des personnes âgées pendant la période d'été. François Fillon en a parlé. J'ajouterai juste qu'elle demandait non seulement de veiller à la continuité de la prise en charge de nos aînés par les services d'aide à domicile mais aussi de faciliter la recherche par les personnes âgées et leurs familles d'un accueil temporaire en institution.

En ce qui concerne maintenant la chronologie des événements du mois d'août je ne reprendrai pas les éléments qui vous ont été donnés par François Fillon. Vous trouverez, dans les chemises qui vous seront distribuées, les recommandations et les communiqués de presse qui ont été faits. Ils témoignent, me semble-t-il, de la diligence avec laquelle nous avons agi dans la mesure des informations dont nous disposions alors. Le retard, constaté par la suite, reflète une lacune dans les dispositifs d'alerte.

Je tiens à préciser que les dispositifs d'alerte susceptibles de s'appliquer à la prise en charge des personnes âgées diffèrent sensiblement de ceux concernant l'hôpital. En effet, pour l'hôpital, la gestion est centralisée ; pour les maisons de retraite, elle est décentralisée : l'information en provenance de 10 000 maisons de retraite, dont bon nombre ne relèvent pas d'une organisation pyramidale comme pour l'hôpital, ne peut efficacement remonter vers les instances nationales que dans le cadre d'un partenariat étroit avec l'échelon local, en parfaite coordination avec lui. L'organisation des maisons de retraite ne répond pas à un régime juridique uniforme, loin de là ; rappelons que certains établissements sont sous statut privé, que nous avons des structures associatives, des établissements publics, des structures communales, des structures départementales, ce qui complique considérablement l'organisation des remontées d'information.

Au moment du drame, aucun mécanisme de prévention, aucun dispositif d'alerte n'existait dans notre pays pour prévenir et faire face à un tel événement Devant l'affluence, les services de secours, les services d'urgence ont, comme à l'accoutumée, fait face av l'éloignement familial et le décès du conjoint en sont les principales causes.

Le fait que les corps de personnes décédées n'aient pas été réclamées a, à cet égard, frappé l'opinion et révélé crûment le relâchement des liens sociaux. Le « plan vieillissement-solidarité » comme vous l'a dit François Fillon, devra s'efforcer de promouvoir une plus grande solidarité entre les générations.

Malgré ce terrible drame, la complexité de la crise, la tendance à la simplification, qui caractérise fréquemment nos débats publics, a entraîné des polémiques à mon sens inopportunes sur des sujets graves, je veux parler de l'APA et de la réforme de la tarification. Ceux qui, juges et parties, critiquent l'action du gouvernement sur ces deux dossiers doivent le faire, comme l'honnêteté le commande, sur la base de ce qu'ils ont fait et non sur ce qu'ils ont promis de faire. Je ne peux laisser passer un certain nombre d'amalgames trompeurs.

Ainsi, l'APA a été lancée sur la base d'un financement qui n'était pas assuré. Il manquait 1,2 milliard d'euros en 2003 pour la financer, soit un tiers du montant global de la prestation ; 1,2 milliard sans lequel il n'y aurait pas eu de prestation. Dans un contexte budgétaire particulièrement difficile, au plus mauvais de la croissance, nous avons réussi, avec les départements, à sauvegarder la prestation en injectant 800 millions d'euros supplémentaires.

Par ailleurs, les réajustements de 400 millions d'euros auxquels il a été procédé ne concernent pas l'APA en établissement alors que de nombreux décès sont intervenus en maison de retraite, près de 50 %, même s'il faut rester prudent sur les chiffres. En outre, le barème réformé ne s'applique pas aux 675 000 bénéficiaires de l'APA au 31 mars 2003. Le réajustement n'est pas rétroactif. Le nouveau barème s'applique uniquement aux demandes nouvelles et aux demandes de révision déposées à compter du 1er avril 2003. Nous avons, au 30 juin 2003, 730 000 bénéficiaires. De surcroît, de nombreuses personnes décédées étaient très dépendantes et bénéficiaient d'ores et déjà d'une APA qui n'a pas été modifiée depuis. Enfin, je rappelle que, dans ce nouveau barème, 40 % des bénéficiaires de l'APA n'ont, comme avant, aucune contribution à fournir et que 30 % acquittent une très faible participation au plan d'aide, inférieure à 10 %.

En ce qui concerne la réforme de la tarification. comment peut-on oser faire un lien entre la surmortalité et le montant des crédits d'assurance-maladie destinés aux établissements médico-sociaux sans étude épidémiologique sérieuse ?

Nous avons tous eu connaissance d'exemples très contradictoires. Dans tel dé heures, ne permettent pas d'offrir aux personnes âgées des prestations respectueuses de leur dignité et de leur bien-être. Le programme « solidarité-vieillesse », que nous sommes en train d'élaborer avec François Fillon et Jean-François Mattei, à la demande du Premier ministre, traitera naturellement de cette question.

Quant au financement des conventions tripartites, trop complexe et qu'il va nous falloir simplifier dans le programme « solidarité-vieillesse », il nous est reproché de ne pas honorer une promesse faite officieusement par nos prédécesseurs et qu'ils se sont empressés de ne pas respecter. Je rappelle ainsi que, pour les deux années 2000 et 2001, seules 330 conventions ont été financées, que 400 seulement l'ont été au 1er semestre 2002, que 700 ont été conclues après notre arrivée pour le second semestre 2002 et que 1800 ont été programmées cette année. C'est nous qui sommes ainsi à l'origine de la dynamique de conventionnement, contrairement à ce que l'on a pu entendre.

Passons donc sur les polémiques stériles et revenons à la réalité du drame que nous avons vécu. Les raisons pour lesquelles la catastrophe a provoqué tant de victimes sont complexes et elles sont imbriquées. Nous n'entendons pas y répondre par des faux-fuyants ou des solutions simplistes. Prenons tous ensemble nos responsabilités. Ayons tous le courage de nous regarder dans une glace en nous posant une seule question : est-ce que nous faisons tout ce que nous devrions faire pour celles et ceux qui nous ont donné la vie ?

C'est une réponse globale que l'on doit apporter à nos concitoyens, dans un partenariat renforcé entre l'Etat et les collectivités décentralisées. Il s'agit aussi de responsabiliser chacun d'entre nous. Les six groupes de travail réunis pour préparer cette réponse montrent l'extrême implication de l'ensemble des acteurs du secteur. C'est sans doute le témoignage d'une attente forte mais aussi le gage d'une prise en compte partagée d'un enjeu essentiel pour notre société, celui de la longévité.

Cette longévité constitue aujourd'hui une véritable révolution sociale. Il nous appartient à tous d'en mesurer les enjeux et de faire en sorte que ce phénomène ne se traduise pas par une nouvelle forme d'exclusion. Voilà la raison pour laquelle je souhaite que l'on puisse faire de la longévité une cause nationale et que l'on change ainsi le regard que porte la société sur les personnes âgées.

M. le président de la mission d'information - Messieurs les ministres, j'ai quelques questions à vous poser, en particulier sur le profil des victimes à ce jour. S'agit-il de personnes dépendantes ou non, de personnes isolées ? Peut-on faire une distinction entre les personnes âgées à domicile et en maison de retraite ? Peut-on distinguer les maisons de retr le ministre de l'intérieur.

Au cours de ce week-end, j'ai cherché sur le site du ministère de l'intérieur les caractéristiques du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC), qui est sous la responsabilité du ministre de l'intérieur. Ce centre a pour vocation de gérer les crises et d'informer l'ensemble du gouvernement. Il est constitué d'autre part d'un réseau, c'est-à-dire d'un noyau de partenaires devenus des interlocuteurs permanents du COGIC, tels que Météo France qui transmet quotidiennement les prévisions météorologiques permettant d'anticiper les situations susceptibles de générer des catastrophes naturelles.

Ce réseau englobe les sept grandes associations signataires de conventions avec la direction de la sécurité civile engagée dans un partenariat. Je ne citerai pas cette liste. Je ne retiendrai qu'une association : la Fédération nationale des professions du funéraire. Le centre est équipé d'une quinzaine de postes de travail, d'un mur d'images, d'un mur de cartes, de liaisons radios,  téléphone,  messagerie, ainsi que de liaisons spécialisées : Premier ministre, Samu 75 : ce centre a la particularité de disposer d'un studio radio qui peut immédiatement être activé en cas d'alerte nationale pour diffuser des messages sur les ondes de France Inter ou France Info. Une ligne relie également le centre à l'Agence France Presse pour la diffusion immédiate de communiqués de presse. Enfin, le COGIC informe en permanence le cabinet du ministre. Donc, il me semble absolument nécessaire que la mission puisse auditionner le ministre de l'intérieur. J'interviendrai, maintenant, sur les interventions des deux ministres auditionnés aujourd'hui et particulièrement sur celle de M. Falco.

Nous sommes là, en effet, face à une situation particulièrement dramatique. Il ne servira à rien, monsieur Falco, d'aborder les problèmes d'une manière politicienne, comme vous l'avez fait ce matin. D'ailleurs, n'est-ce pas vous qui, dans un communiqué de votre cabinet du  11 août 2003 décrivant les différentes actions que vous aviez menées auparavant, terminiez par cette phrase : «  Il est consternant de constater que, sur un sujet de cette gravité, une politique politicienne puisse se développer alors qu'elle n'est pas de mise ». Vous auriez été sans doute mieux inspiré de faire preuve d'un peu plus de discrétion et d'analyser alors la réalité de la situation.  Les jours qui ont suivi ont montré que, malheureusement, les questions qui étaient posées par certains avant le 11 août étaient tout à fait fondées. Nous sommes là pour aborder ces sujets avec tout le sérieux qu'ils nécessitent et nous n'accepterons pas la manière dont vous êtes intervenu tout à l'heure.

Je poserai seulement une question à M. Fillon. Vous êtes le ministre de tutelle de M. Falco. Vous avez, en conséquence la  charge du seteur des personnes âgées. Par ailleurs, lors de l'organisation du gouvernement, le Premier ministre a souhaité nommer un ministre de la santé et de l'assurance-maladie. Qu'est-ce qui a présidé à ce découpage minist&eac style="font-family: 'Arial'; font-size: 10pt">M. le président de la mission d'information - En tant  que président de la mission, j'aurais dû répondre sur ce point à Claude Evin. Nous décidons ensemble des personnes à auditionner. A la fin de cette audition,  les membres de cette mission se réuniront pour évoquer ce point. Nous avons procédé ainsi précédemment. Cette réunion à huis-clos s'est très bien déroulée.

M. Maxime Gremetz - Je pourrais polémiquer et rappeler toute une série de faits : or la polémique, monsieur Falco, vient de vous.  Ce sont des règlements politiques et cela ne se traite pas ainsi. Il y a eu beaucoup de polémique de part et d'autre. Les douze millions de personnes âgées de notre pays méritent mieux que cela. Nous avons dû faire face à une catastrophe sanitaire, nous le savons, je ne le rappellerai pas. Ces problèmes ne datent pas d'aujourd'hui, c'est clair. Ils s'accumulent depuis des années. Nous en avons suffisamment débattu. Il ne s'agit donc pas de l'imputer à tel ou tel gouvernement. Je ne le pense, quant à moi, pas. Se pose un réel problème sanitaire. Nous avons eu ces discussions, hier avec le gouvernement de Lionel Jospin, et les avons encore aujourd'hui. Ainsi, quelle part de la richesse nationale consacrons-nous à la santé et à la protection sociale, en l'occurrence, aux personnes âgées ? Cette réelle question, dont nous avons  reconnu qu'elle serait explosive,  se pose pour les hôpitaux. Il n'y a pas assez d'infirmières, pas assez de médecins, pas assez d'urgentistes. Déjà, en temps normal, les hôpitaux manquent de moyens humains. Il est clair que, quand se produit une catastrophe, ce manque de moyens se transforme en véritable pénurie engendrant de sérieux problèmes auxquels ces personnels, malgré leur dévouement, ne peuvent répondre. Ce problème n'est donc pas nouveau. Cela étant dit, chacun doit tout simplement assumer ses responsabilités. Il convient entre autres de chercher les causes.

Je poserai quelques questions. Nous avons eu tout un débat concernant l'APA.  J'ai soutenu cette excellente initiative. Toutefois, du point de vue du financement, nous avions proposé la création d'un cinquième risque de la sécurité sociale. Nous n'étions pas les seuls. En effet, la minorité de l'époque, devenue aujourd'hui majorité, adhérait également à cette proposition. Cela nous aurait évité de régler la question qui ne manquerait pas de se poser. Ainsi, l'augmentation des impôts de12 % dans le département de la Somme est justifiée par l'existence de l'APA. Toutes les familles, quels que soient leurs revenus,  ont, en effet,  pu constater à Amiens, une augmentation du coût des maisons pour personnes âgées de mille francs. Ce phénomène est dû au fait que le gouvernement n'a  pas suffisamment affecté de moyens à cette prestation. L'APA, nous a-t-on dit, est une catastrophe. On ne peut pas affirmer que cela n'a pas eu de conséquences. Des familles ont alors été dans l'obligation de retirer leurs personnes âgées des maisons de retraite. Telle est la réalité ! J'ai récemment posé une question, à laquelle M. Mattei n'a pas répondu, concernant la ville de Beauvais. L'hôpital a fermé vingt-neuf lits ! gériatrie ? Chacun reconnaît qu'il faut, au contraire, prévoir des places dans les hôpitaux pour les personnes âgées. Comment voulez-vous que cela se passe ? Tel est l'indice après la canicule !

Par ailleurs, comment régler ce problème social ? Des emplois et des moyens financiers sont nécessaires pour soigner les gens. J'ai lu ce matin dans Les Echos pour être précis et non, hélas, dans L'Humanité que les hôpitaux pourraient investir 10,2 milliards d'euros d'ici à 2007. Je m'intéresse à ce que je connais le mieux, donc à ma région. La presse mentionne des chiffres par région et l'article des Echos fait également état d'une carte des différentes régions. M. Mattei s'est longuement exprimé quant aux solutions à apporter aux problèmes sociaux et de santé grâce au Plan " Hôpital 2007 " prévoyant la création d'hôpitaux de proximité et de maisons de retraite ainsi que la climatisation des établissements. Cependant, la Picardie accumule des retards sanitaires extraordinaires. Je récuse l'idée selon laquelle personne ne gérerait tout cela. En effet, une femme, ce dont je me félicite, gère les ARH.  Elle dispose de tous les pouvoirs. Elle décide de ce qui se fera ici et là. Quand nous décidons, à l'Assemblée nationale, des moyens à distribuer aux régions, c'est elle qui les attribue au gré des choses. Certes, les ARH ne sont pas responsables.

Messieurs les ministres, j'ai pris connaissance des mesures d'urgence proposées. Nous sommes loin du compte. Le vieillissement ne serait pas un problème nouveau. Allons-nous favoriser le maintien à domicile des personnes âgées et dans quelles conditions ? Comment la question des maisons de retraites sera-t-elle résolue ?  Vous avez dit qu'il fallait créer et rénover un certain nombre de maisons de retraite. J'aimerais obtenir davantage de précisions sur ce point.  Quels sont les besoins réels aujourd'hui ? Quels sont les personnes qui souhaitent vivre dans ces " lieux de vie " ? Quel effort doit être consenti pour répondre à ces choix ?

Qu'en est-il de l'aide à domicile ? Quel type de service d'aide public à domicile sera mis en place ? Je ne parle pas, bien entendu, d'une aide à domicile au rabais. Ainsi, envisagez-vous une aide médicalisée permettant à ces personnes de vivre ? Nous disposions à Amiens d'un service municipal d'aide à domicile. Il a été supprimé du fait de l'arrivée de l'APA. Une association  assure maintenant ce service avec pour conséquence l'augmentation des prix.  Un tel état de chose me surprend énormément.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Avant de poser mes questions je ferai la même remarque que celle que j'ai adressée à M. Mattei jeudi dernier. Il est fondamental de préciser que le drame que nous avons vécu cet été n'est pas terminé. Il nous alerte très fortement sur la situation des personnes âgées et des personnes âgées fragiles. Permettez-moi, monsieur Fillon, de penser et de  dire très simplement, mais  très fermement, que nous subissons depuis un an des attaques polémiques de votre secrétaire d'Etat concer alors que nous occupions des fonctions gouvernementales,  de constater l'ampleur de la mobilisation lorsque nous nous déplacions et que nous organisations des réunions pour expliquer la situation. Je pense à certains présidents de conseils généraux qui, au moment de la mise en place de l'APA, se sont rendus de canton en canton et qui ont alors reconnu n'avoir jamais compté autant de monde lors des réunions depuis des années.  Pourquoi cette polémique ? Pourquoi n'avez-vous pas entendu qu'en fin de compte il s'agissait de la véritable alerte ? Nous devions nous poser cette question.

Concernant la deuxième remarque, je m'exprimerai là aussi très simplement, mais très fermement. Je ne peux pas, monsieur Falco, vous laisser dire que ce n'était pas financé. Vous connaissez la loi, même si vous ne l'avez pas, à l'époque, votée. Cette loi prévoyait un système d'accompagnement du financement dans le cadre de la montée en charge. Tel était le principe. Du fait, entre autres,  du dispositif de non-rattachement au bon ministère, peut-être avez-vous rencontré des difficultés pour mener la négociation. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas accompagné la montée en charge financière de l'allocation personnalisée d'autonomie ?

Je m'adresse maintenant à vous, monsieur Fillon. Le rapport de l'IGAS, commandé par Jean-François Mattei, vient d'être rendu. Nous avons entendu les membres de la mission Lalande la semaine dernière. Ce rapport précise clairement que ce drame que nous venons de vivre est lié à un manque d'anticipation, de communication et de diffusion des risques concernant les personnes âgées. J'ai posé une question très précise à M. Mattei parce qu'elle relève de ses compétences. Pourquoi le professeur San Marco qui avait identifié en 1983 la situation d'alerte, et qui y fait face avec la mairie de Marseille depuis plusieurs années, n'a-t-il manifestement pas été entendu ? Je ne peux parallèlement pas m'empêcher de penser à une situation que j'ai personnellement vécue lorsque j'étais au gouvernement. Le champ des  personnes âgées comparé à tous les autres secteurs en grande fragilité ne dispose pas de groupes de pression. Nous commençons seulement à les voir se mettre en place, en particulier par le biais des professionnels. Parce qu'il y a absence de groupes de pression, la responsabilité politique est essentielle. Il incombe aux responsables politiques de faire preuve d'une extrême attention envers cette population fragile que sont les personnes âgées. J'ai bien pris connaissance, Monsieur Falco, des circulaires que vous avez fait paraître. La situation de forte chaleur vous a amené à prendre conscience du risque que couraient les personnes âgées. Je ne comprends donc pas pourquoi les responsables politiques que vous êtes n'ont pas alors lancé un véritable plan de communication.

M. Mattei nous a répondu et vous venez également de le préciser, monsieur Fillon, qu'en fin de compte les médias n'avaient pas insisté sur les problèmes rencontrés par les personnes âgées parce que la société n'y était globalement pas sensible. J'ai vécu quant à moi ce problème. Les journalistes sont également confrontés à qu'à vous.

Monsieur Fillon, cette question s'adresse en revanche très directement à vous. Pourquoi n'avez-vous pas mis en place un plan de communication et surtout pourquoi ne vous êtes-vous pas exprimé durant cette crise ?  J'ai bien entendu vos arguments de partage en termes de responsabilité. Toutefois, comme il n'existe pas de groupes de pression dans ce secteur et parce que vous êtes officiellement le ministre chargé des personnes âgées, vous avez fait preuve, me semble-t-il de défaillance. Vous n'avez pas pris en charge un public abandonné. Je formule ainsi ma colère.

J'ai écouté avec intérêt les axes de travail du plan de vieillissement. Je vous poserai là aussi, à ce titre, des questions très précises. Pourquoi les crédits inscrits dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 et réservés au financement des retraites, à savoir 183 millions d'euros n'ont-ils pas été affectés ? De plus, pourquoi une mobilisation des directeurs de maisons de retraite a-t-elle été nécessaire pour tenter de faire comprendre l'étendue du problème ? Un plan pluriannuel a été signé. Pourquoi n'avez-vous pas tout simplement tenu l'engagement de l'Etat ? Plus concrètement, allez-vous, oui ou non, débloquer des crédits afin de réaliser ce plan ?

Monsieur Falco, si les conventions ont pu être signées, c'est parce que Mme Guigou et moi-même avons débloqué des postes dans les DDASS afin que soient mises en place les conventions tripartites. Ne polémiquons pas et apprécions la continuité du travail de l'Etat.

Plus précisément, envisager le plan de vieillissement et de solidarité m'amène à vous poser deux questions. Où en est le plan concernant la maladie d'Alzheimer lancé pour soutenir les familles ? Où en est le plan de gériatrie décidé par Elisabeth Guigou, Bernard Kouchner et moi-même ? Quelle attention avez-vous portée à la mise en place du travail accompli dans le cadre du fonds de modernisation du maintien à domicile intéressant la formation, l'emploi et la revalorisation des carrières ? Je suis amenée à préciser ces points parce que l'ensemble du dispositif était déjà créé. Pour montrer l'intérêt que vous portez après ce drame à ce dossier, il serait bon de prendre en considération l'ensemble du travail  déjà accompli. Il sera ainsi possible de veiller à ce que les familles, les professionnels et les responsables des collectivités locales qui prennent en charge les personnes âgées se sentent à nouveau soutenus par le monde politique.

Je ne me priverai pas de vous dire très simplement et très directement que vous avez failli dans votre rôle de responsable politique parce que vous n'avez pas porté l'attention nécessaire à ce public fragile.

M. Georges Colombier - Je vous poserai trois questions, messieurs les ministres.

Les comités locaux d'inf Je vous poserai une dernière question. J'ai interrogé Jean-François Mattei sur ce point. Je plaide depuis bien longtemps ainsi que plusieurs de mes collègues, dont Denis Jacquat ici présent, pour la reconnaissance d'un risque dépendance géré par la sécurité sociale. Cette solution semble aujourd'hui envisagée. Cela concerne non seulement les personnes âgées, mais également les handicapés. Cette prise en charge relèverait de la solidarité nationale. Les événements de cet été doivent, là aussi, nous éclairer et nous inciter à progresser dans cette vision des choses.

Mme Catherine Génisson - Jeudi dernier, lorsque nous avons auditionné M. Mattei, je rappelais que dignité,  rigueur, méthodologie et sincérité devaient nous guider dans notre mission. A ce titre, je ne peux m'empêcher de vous dire, monsieur Falco, que j'ai été extrêmement choquée en tant que citoyenne et en tant que membre de la communauté de la santé par vos propos remettant en cause certains professionnels de santé lors de vos différentes déclarations du 11 août. Ma sincérité me contraint à le souligner.

Vous avez largement insisté, monsieur Fillon, sur le drame sanitaire que nous avons connu, symptôme grave de notre société qui rencontre des difficultés à évoluer en tant que telle. Nous vivons dans une société fragmentée, fragmentation que subissent en particulier les personnes fragiles, les handicapés et les personnes âgées. Je ne reviendrai pas sur les récents propos  et sur les questions posées par mes collègues. J'aimerais simplement, sans préjuger des résultats du travail des différents groupes mis en place, insister, en matière de gestion des ressources humaines, sur la place des aides-soignantes dans le secteur libéral et sur la coordination qu'il conviendra de trouver avec les autres acteurs du système de santé et en particulier avec  les infirmières.En ce qui concerne la qualité de l'hébergement, nos exigences en matière de construction architecturale, en matière d'organisation de la sécurité sanitaire des personnes âgées ne doivent pas nous faire oublier que, quelquefois, de petites structures, implantées dans de petites communes, employant du personnel issu de la population communale permettent une bonne prise en charge des personnes âgées de la commune ou d'une commune proche. Elles ont permis dans un certain nombre de cas d'éviter des drames. C'est l'exemple du Pas-de-Calais.

Enfin, monsieur Fillon, j'aimerais vous interroger sur les mesures précises que vous comptez prendre pour gérer la suite de la crise. Les personnels de santé l'ont souligné, tout comme ceux qui s'occupent des personnes âgées, la crise n'est pas terminée. Comme vous l'avez souligné en évoquant ces personnes âgées fragilisées maintenues à leur domicile ou placées dans une institution, ce problème nécessite la mise en place de mesures très précises de la part de l'Etat pour veiller à ce que la suite de cette crise ne soit pas grave.

M. Claude Leteurtre - Un paradoxe extraordina être évité ? Les intervenants entendus la semaine dernière nous ont décrit cette situation épouvantable : les médecins, les infirmières,  les aides-soignantes, les aides-ménagères, voire la concierge,  se trouvaient légitimement en vacances. Les gens se sont alors retrouvés totalement abandonnés. Sans chercher à mettre quiconque en cause, nous devons très franchement regretter cette absence d'information. Si tel avait été le cas, chacun aurait pris ses responsabilités. En effet, dès que les familles ont été sensibilisées, elles ont réagi. Un sentiment de gêne collectif a pu alors être ressenti. Je n'accuse ici personne, mais j'aimerais obtenir des explications.

Je reviendrai très brièvement sur la polémique concernant l'APA. Peut-on, dans l'ensemble des décès enregistrés, distinguer ceux des personnes qui bénéficiaient de l'APA ? Se trouvaient-elles dans les GIR 3, les GIR 1 ou les GIR 4, 5 ou 6 ? Le président de la CNAV nous a expliqué la semaine dernière qu'il était difficile de répondre à cette question. A priori, aucune demande exceptionnelle d'aide ménagère n'a alors été enregistrée. C'est choquant. Nous avons là une source de réactivité extraordinaire. Enfin, quels sont ceux qui ne touchaient pas cette allocation ? Sans doute ne pourrez-vous pas me répondre aujourd'hui. Quand pourrons-nous obtenir de réponse ?

M. Jean-Marie Rolland - J'appartiens également au monde des professionnels de la santé. A ce titre, avant de passer au temps de la polémique si cela s'avère nécessaire, j'aimerais obtenir des renseignements techniques. Un certain nombre de remarques peuvent être soulevées concernant,  notamment, l'examen de la carte de surmortalité diffusée par l'Institut de veille sanitaire. Pourquoi les départements du Midi méditerranéen, qui ont également enregistré une température supérieure à la normale, observent-ils une absence de surmortalité alors que la surmortalité s'avère plus présente dans des départements s'étendant d'est en ouest, autour d'une ligne Reims-Nantes ? Ainsi, les départements du Centre, de la vallée de la Loire, de la Bourgogne, dont je suis un des élus, déplorent-ils une surmortalité peu aisée à expliquer. Nous avons, dans mon département, analysé les chiffres avec précision. Comme partout ailleurs, nous avons pu noter la surmortalité de personnes très âgées. Les différents professionnels agissant au niveau social ou médical n'ont pas été alertés de ces pics au cours de l'été. L'information intra-départementale a donc été elle-même insuffisante. Il est essentiel de connaître les données épidémiologiques avant de tirer des conclusions, but de notre mission.

M. Jean-Marie Le Guen - Je serai bref et je m'abstiendrai de rappeler que je fais partie de ceux que l'intervention de M. Falco a choqués. Dans la continuité des propos de notre collègue Leteurtre, je formulerai une interrogation assez directe. Il semblerait que la problématique dite de la canicule et de son effet sanitaire sur les personnes âgées n'ait pas été totalement été prise en co touchait notre pays ?  Pourquoi n'avez-vous  pas fait preuve en juillet 2003  d'une réactivité encore plus grande qu'en juillet 2002 ? Le fait que les médias aient ou non relayé cette information  ne se pose pas ici.

Ma question suivante portera sur les conclusions à tirer, puisque tel est l'objectif de cette mission. Vous avez évoqué - et cette idée ne me semble pas inintéressante - la problématique d'un schéma départemental de gérontologie. Votre gouvernement présentera le 2 octobre prochain un projet de loi relatif à la santé publique prévoyant la centralisation absolue autour des services déconcentrés de l'Etat de l'ensemble des questions de santé publique. Comment pouvons-nous revenir ainsi sur des dispositifs, certes insuffisants, mais utiles, tels que la création de réseaux et la projection de la responsabilité des organismes sanitaires à d'autres acteurs que ceux de l'Etat ? Comment pouvez-vous proposer la mise en place d'un schéma départemental décentralisé - un des objectifs de la loi de décentralisation - et prévoir, parallèlement, dans le projet de loi relatif à la santé publique, une centralisation totale autour du préfet de la problématique des plans et de la mise en ouvre de la santé publique ?

Mme Elisabeth Guigou - Je m'adresserai à M. Fillon et non à M. Falco. Monsieur le ministre, vous avez la responsabilité principale de la prise en charge des personnes âgées. Vous avez la tutelle de votre secrétaire d'Etat, comme c'est habituel dans la République. Ce drame que nous venons de vivre n'a pas posé un problème médical ou d'urgence médical. En effet, quand les personnes âgées se sont présentées aux urgences, malheureusement, pour nombre d'entre elles, il était déjà trop tard. Donc, le problème se situe en amont de la prise en charge par les urgences médicales. Il se trouve au niveau de l'alerte, au niveau de la coordination médicale et sociale et au niveau de la prise en charge des personnes âgées que ce soit en établissement ou à leur domicile. Cela relève de votre responsabilité, monsieur le ministre des affaires sociales.

Je vous interrogerai sur plusieurs points. J'ai trouvé votre intervention trop floue si nous considérons les difficiles questions à aborder. Nous devons les appréhender  dans le souci de mieux résoudre ces problèmes. Concernant cette situation, avez-vous demandé, à l'instar de M. Mattei, un rapport officiel, urgent et détaillé sur les dysfonctionnements dont vous vous êtes vous-même tout à l'heure fait l'écho ? Quelle a été la nature du dysfonctionnement du dispositif d'alerte sociale ? Vous avez affirmé n'avoir pas été alerté avant le 8 août. J'ai entendu M. Gentilini, le président de la Croix-Rouge, exprimer publiquement que cet organisme avait alerté dès le 5 août.  Qu'en a-t-il été, concrètement, département par département, de la coordination médicale et sociale réalisée, pour ce qui concerne les urgences, au sein des comités départementaux de l'aide médicale urgente et des transports sanitaires (CODAMU) ? Nous savons que certains fonctionnent très bien. C'est le cas du Pas-de-Calais situation. Que doit-il être envisagé à l'avenir ? La coordination gérontologique, vous l'avez évoqué, est un sujet dont on commence à mesurer toute l'importance. Ont été créés les comités locaux d'information et de coordination. Ils étaient environ 300 avec pour objectif de porter ce chiffre à  1 000 en 2005. Lorsque nous avons quitté nos fonctions gouvernementales, des moyens avaient été dégagés pour la mise en place de ces comités locaux. Ils sont chargés, face à une personne âgée, dans son individualité, dans son histoire, de définir la meilleure prise en charge selon ses ressources familiales, ainsi  de lui allouer ou non l'APA ou de lui conseiller un hébergement dans  un établissement. Où en sommes-nous ? Quels moyens sont prévus à ce titre ? Vous avez mis en place, nous avez-vous dit,  des groupes de travail chargés de définir le plan réclamé par le Président de la République. Pouvez-vous, d'ores et déjà, préciser si vous avez l'intention de rétablir les crédits supprimés en 2003 ? Ce sont les crédits destinés aux établissements d'hébergement des personnes âgées, à la médicalisation des maisons de retraite. Ils s'élevaient à 183 millions d'euros par an, à savoir environ 940 millions d'euros sur cinq ans et ont été ramenés à 100 millions en 2003. Cela relève de votre responsabilité ! Avez-vous l'intention de rétablir ces crédits ? Je pense qu'il conviendra probablement d'envisager de les augmenter.

Je ferai quelques observations sur l'APA. Paulette Guinchard-Kunstler l'a parfaitement expliqué tout à l'heure, si l'APA a monté en charge plus vite que prévu, c'est justement parce qu'elle répondait à un réel et lancinant besoin. J'en profite pour rappeler les chiffres. En 2002, avaient été prévus plus de 2 milliards d'euros - 16, 5 milliards de francs - avec un partage négocié entre conseils généraux et Etat. Nous n'avons pas atteint ce chiffre, puisque les dépenses de l'APA ont été, selon les  sources mêmes du ministère, inférieures à 2 milliards d'euros. Cela a augmenté notablement  en 2003. Au cours de nos débats parlementaires, nous avions expliqué qu'il convenait d'envisager près de 4 milliards d'euros pour l'APA, c'est-à-dire 25 milliards de francs. C'est pourquoi nous avions d'ailleurs prévu une révision de la loi. Vous ne pouvez pas vous justifier en prétendant que vous n'aviez pas prévu le financement. Que faites-vous, en effet, de l'annualité budgétaire, messieurs les ministres ? Chaque année, sont prévus les financements, que ce soit dans la loi, dans la loi de finances ou dans la loi de financement de la sécurité sociale ! Lorsqu'il existe des plans pluriannuels, les crédits sont affectés chaque année ! Vous ne l'avez pas fait en 2003 ! Vous avez parlé de la création d'un cinquième risque de l'assurance-maladie. C'est une bonne voie. Si l'APA est devenue autre chose qu'une aide sociale du fait de la suppression du  remboursement par les familles après le décès, c'est justement parce que nous souhaitions nous orienter vers une cinquième branche de l'assurance-maladie. Ce sera beaucoup judicieux que de recourir à des gadgets du type « jour férié » à domicile ? Quels crédits prévoyez-vous pour la modernisation de l'aide à domicile permettant à ces personnels sous-payés  et sous-qualifiés de mieux se former ? Où est le plan de formation des auxiliaires de vie pour lesquels a été créé un nouveau diplôme ?

Ce sont quelques-unes des nombreuses questions auxquels il vous faut répondre, monsieur le ministre des affaires sociales. Je conclurai mon propos en disant que la prise en charge sociale par l'Etat doit être d'autant plus à la hauteur  qu'il y a moins de solidarité familiale.

M. le président de la mission d'information - Je précise dès maintenant que si les membres de cette mission l'estiment nécessaire, M. le ministre et M. le secrétaire d'Etat seront à nouveau entendus. La parole est à M. le ministre.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité -  Je tiens à rappeler avant de m'adresser aux différents intervenants que le Gouvernement est naturellement à la disposition du Parlement en particulier sur un sujet aussi douloureux.

Je répondrai, en premier lieu, à vos questions, monsieur le président. L'étude épidémiologique est en cours. Il est trop tôt aujourd'hui pour se prononcer précisément quant au profil des victimes, aux lieux géographiques et en termes de structures dans lesquels ce drame s'est déroulé. Naturellement, cette enquête est en cours - je réponds à une question posée par Mme Guigou - et elle est fondamentale pour tirer réellement tous les enseignements de ce drame et pour orienter l'action gouvernementale à venir, s'agissant de la prise en charge des personnes âgées. M. Evin m'a interrogé sur les difficultés qui auraient pu être engendrées du fait de l'actuel  découpage ministériel,  à savoir le sanitaire d'un côté et le social de l'autre. Il m'a demandé ce que je pensais de ce découpage. Je serai tenté de lui répondre que je ne sais pas si ce procédé est le meilleur ou s'il complique la gestion de l'ensemble des sujets. Je peux en tout cas affirmer que ce découpage n'a eu aucune influence sur la gestion de cette crise. Pourquoi l'avons-nous mis en place ? Le Premier ministre a estimé que le poids du secteur sanitaire, compte tenu des perspectives de réformes indispensables, nécessitait qu'un ministre soit responsable de l'ensemble des questions sanitaires. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé qu'un ministre serait, seul, chargé d'assumer le domaine financier afférent à la sécurité sociale. Est-ce la meilleure organisation ? Je ne suis pas en mesure aujourd'hui de vous répondre. Une organisation différente pourrait-elle, peut-être, permettre d'avoir une vision d'ensemble ? Je suis toutefois certain que ce découpage n'a pas eu la moindre influence sur la gestion de cette crise.

M. Gremetz a évoqué l'APA et a précisé qu'il était favorable à la mise en place d'une cinquième branche, donc au financement de l'APA par la sécurité sociale. Il a rappelé qu'un certain nombre d'entre à fait légitimes. Elles sont liées à la crainte qu'un tel système, comme celui de la sécurité sociale, ne génère une dépense sans contrôle. Pourquoi avons-nous décidé d'associer financièrement les départements et de les charger de la mise en place de l'APA ? Nous pensions que l'échelon départemental pourrait assurer une certaine régulation de la dépense. Toutefois, cela ne se révèle pas satisfaisant sur le long terme. Nous devons donc trouver le moyen d'inscrire le financement de l'APA dans la durée. De ce point de vue, la mise en place d'un cinquième risque est effectivement une piste retenue par le gouvernement. Il continuera toutefois à  associer largement les acteurs locaux. J'énonce ce principe, mais il  est toutefois assez difficile à mettre en pratique. Nous n'avons,  donc, absolument pas exclu la possibilité de recourir au cinquième risque pour financer les dépenses de dépendance à l'avenir.

Mme Guinchard-Kunstler m'a demandé pourquoi le gouvernement n'avait pas été alerté par la montée en puissance l'APA pouvant correspondre à un certain vieillissement. Nous ne pouvons pas affirmer que la montée en puissance de l'APA soit le signe de ce vieillissement et de son rythme. Cette montée en puissance est beaucoup plus rapide que le vieillissement de la population. C'est, en effet, la mise en place d'une prestation qui n'existait pas. Nous avons anticipé et pris en compte ce phénomène de vieillissement dans bien des aspects de la politique du gouvernement. Notre pays n'a toutefois pas encore accepté les conséquences de ce vieillissement, quant à son organisation et quant aux efforts financiers à consentir. C'est tout le débat qui portera sur le cinquième risque et sur le mode de financement des dépenses de dépendance. Un effort de solidarité sera donc demandé aux Français qui seront alors amenés à sacrifier un jour férié. Ce n'est pas un gadget mais au contraire, me semble-t-il, une mesure fondamentale pour l'avenir de notre société.

Pourquoi n'avons-nous pas conçu un plan de communication relayant les mises en garde du secrétariat d'Etat aux personnes âgées ? Cette question a été posée à deux reprises. Personne - reconnaissons-le honnêtement - ne s'attendait à une crise d'une aussi grande importance. Personne n'avait prévu un pic de températures aussi élevées - jour et nuit, ce dernier élément s'avérant déterminant - pendant une durée aussi longue. Il est faux de penser aujourd'hui que des indications sur ce problème auraient permis au gouvernement de mettre en place un système de crise. Nous avons été pris au dépourvu par la brutalité et la durée de ce pic  de chaleur. Vous conviendrez tous qu'aucune structure quelle qu'elle soit n'avait prévu de plan permettant de faire face à cette difficulté.  Cette situation a été tout à fait exceptionnelle, extrêmement brutale. Se répétera-t-elle  régulièrement à l'avenir ou ne la rencontrerons-nous plus ? Nous allons naturellement nous doter des instruments de lutte contre une telle crise au cas où cela se reproduirait à l'avenir.

Mme Guinchard-Kunstler comme Mme Guigou m'ont d'annualité budgétaire.

Mme Elisabeth Guigou - Monsieur le ministre, permettez-moi de répondre.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Vous ne pouvez pas continuer à défendre cette position. 

Mme Elisabeth Guigou - Si vous me laissez la parole, je vous expliquerai pourquoi.

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Allons-nous mettre en place des crédits correspondant à ces besoins ? Nous pensons que le dispositif qui était mis en place pour les conventions tripartites est trop complexe et qu'il a généré cette montée en puissance assez lente qu'a rappelé à plusieurs reprises M. le secrétaire d'Etat. Nous voulons, dans le cadre de la réflexion qui est engagée, mettre en place des crédits probablement supérieurs à ceux qui étaient prévus mais en se donnant jusqu'à la fin du mois de septembre pour voir si on ne peut pas modifier le dispositif des conventions tripartites afin de le rendre plus simple, donc de permettre sa montée en puissance plus rapide.

Là encore, vouloir lier la surmortalité à la signature de la convention tripartie est un exercice auquel je ne me risquerai pas. Dans l'attente des résultats de l'étude qui est en cours, je note simplement que la carte de la surmortalité établie par l'InVS apporte la démonstration que la surmortalité a frappé les établissements de toute nature, qu'ils aient ou non signé ces conventions. On y trouve des exemples, qu'il faudra naturellement étudier de beaucoup plus près, d'établissements avec un taux d'encadrement plutôt élevé et des surmortalités fortes et l'inverse. C'est pour cela que tout jugement hâtif, qui ramènerait ce problème à une question de taux d'encadrement ou de moyens, risque de handicaper la prise de conscience et la mise en œuvre des mesures dont nous avons réellement besoin.

M. Falco répondra à la question sur le plan Alzheimer et le plan gériatrie. Je laisserai à Mme Guinchard-Kunstler la responsabilité de ses propos s'agissant de l'attitude des hommes, en particulier sur la question de savoir pourquoi le ministre des affaires sociales n'a pas parlé. Chacun a sa conception de l'action politique. Je ne crois pas que cela aurait été utile, je ne crois pas que cela aurait permis un seul décès de moins. En revanche, le ministre des affaires sociales met en œuvre une politique pour l'avenir qui permettra de tenir compte des carences qui ont été constatées par le passé et dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'elles ne sont pas d'hier.

M. Colombier a évoqué la pérennisation de l'APA. J'ai dit que nous ne pouvions pas en rester au mode de financement actuel, qu'il faudrait trouver un mode de financement qui n'amène pas chaque année les difficultés que nous avons rencontrées et que nous rencontrerons encore si nous n'agissons pas dans c à l'aide à domicile et au financement des heures supplémentaires et le cas échéant des remplacements des personnels qui ont été beaucoup sollicités pendant l'été et qui souhaiteraient prendre aujourd'hui un repos tout à fait mérité. Nous sommes en train, avec beaucoup de difficultés, de recenser les besoins des établissements dans ce domaine. Si nous avons à peu près correctement recensé les besoins s'agissant de l'aide à domicile, en revanche, les remontées des établissements sont très lentes et très contradictoires. Dans les vingt-quatre heures, le gouvernement annoncera le déblocage de crédits exceptionnels destinés l'aide à domicile et à faire face aux difficultés de gestion des établissements. Au-delà, le plan que le gouvernement proposera début d'octobre, comportera naturellement un volet long terme, un plan pluriannuel, mais aussi un volet 2003, notamment sur la question des conventions tripartites. Si elles sont maintenues dans cette architecture, nous proposerons l'inscription de crédits supplémentaires sur ce volet.

M. Roland souhaite savoir pourquoi il existe autant de différences sur le territoire national. C'est un point sur lequel je ne me risquerai pas à répondre aujourd'hui, d'abord parce que je pense qu'il relève davantage de la compétence du ministre de la santé, ensuite parce que nous attendons les résultats des études qui sont en cours.

M. Le Guen m'a interrogé sur le schéma gérontologique confié au département et sur la contradiction qu'il pourrait y avoir avec la loi de santé publique. M. Mattei a indiqué que, même si pour l'essentiel elle répondait à nombre de difficultés qui se sont manifestées au cours de cette crise, la loi de santé publique devrait, dans sa version finale, tenir compte de ce qui s'est passé. Il y a donc des possibilités d'amender ce texte pour tenir compte des difficultés que nous avons connues cet été.

Il n'y a pas au fond de contradiction entre un pilotage opérationnel entre les mains du préfet et une responsabilité globale de coordination dans la mise en place du schéma par les départements. C'est un débat que nous aurons lors du vote de la loi de décentralisation et sans doute au moment du vote de la loi sur la santé publique. En tout cas, ce qui est sûr c'est que le système actuel ne fonctionne pas, notamment - je l'ai dit, peut-être de manière elliptique, dans mon propos introductif - aucune remontée de terrain n'était arrivée au ministère des affaires sociales, ni des DDASS, ni naturellement des départements. Dans certains départements il n'y a même eu aucun contact avec les DDASS durant cette période. Cela montre bien - et je ne porte pas de jugement - que le système est tellement cloisonné que les départements ne se sentent pas en charge de problèmes qui sont des problèmes d'urgence, des problèmes opérationnels de gestion de crise -il faudrait rajouter le problème des CCAS et pour répondre à une question posée par le président sur la manière d'identifier de manière précise les personnes isolées. Il est clair que ce n'est pas un plan national, ce ne sont pas les services de l'Etat, ce ne sont pas les instructions de tel manière dont chaque type d'établissement a réagi en fonction de son statut, de son taux d'encadrement, de ses difficultés particulières.

Sur la coordination gérontologique et les CLI. Nous poursuivons la mise en place de ces CLI. C'est un dispositif d'une très grande importance que je connais bien pour avoir mis en place une des premières. Je voudrais simplement faire remarquer sur ce sujet que l'effort de la collectivité nationale en faveur des personnes âgées a été constant ces dernières années. Il a augmenté de 63 % entre 2001 et 2003. L'APA représentait 800 millions en 2001, 1,9 milliard en 2002 et 3,3 milliards en 2003 - c'est la dernière projection puisque jusqu'à la fin de l'année les chiffres ne sont pas complètement stabilisés. Pour les dépenses d'assurance-maladie, nous sommes passés de 4,1 milliards en 2001 à 4,73 milliards en 2003 et pour les crédits d'intervention de l'Etat de 27 millions en loi de finances initiale pour 2001 à 36 millions en loi de finances initiale pour 2003, soit en trois ans de 4,9 milliards à plus de 8 milliards de dépenses pour les personnes âgées. Je ne dis pas que les problèmes sont résolus, je ne dis pas que c'est suffisant. La preuve, c'est que le système fonctionne mal, mais il ne faut pas présenter cette crise seulement comme le résultat d'un effort financier qui serait insuffisant.

J'en termine avec la question de l'emploi, en particulier des gisements d'emplois qu'évoquait Mme Guigou à propos de l'aide à domicile. Nous avons agréé, dès le début de 2003, l'accord de branche de l'aide à domicile qui revalorise les salaires et les classifications et qui représente une augmentation sur quatre exercices de l'ordre de 24 %. Cela devrait permettre de rendre cette profession plus attractive. Dans les groupes de travail que nous avons mis en place, vous aurez pu constater qu'il existe un groupe de travail essentiellement destiné à la question de la formation : comment rendre les métiers plus attractifs ? Comment améliorer le dispositif de formation ? Comment faire en sorte que la validation des acquis fonctionne de manière plus satisfaisante dans ce domaine ?

Telles sont quelques-unes des remarques que je voulais présenter à l'issue des questions qui ont été posées. Naturellement je reste à la disposition de la commission.

M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées - François Fillon a répondu à la plupart des questions qui ont été posées. Permettez-moi, tout à fait calmement, de dire que durant ce drame on n'a eu de cesse de nous mettre en cause sur l'APA - cette semaine encore dans un hebdomadaire que je ne citerai pas ; on n'a eu de cesse de nous mettre en cause sur la réduction des crédits.

Objectivement, qu'ai-je fait aujourd'hui ? J'ai simplement rappelé que les réajustements de l'APA que nous avons pris à travers la loi, que nous avons votée ensemble - je me tourne vers les parlementaires de la majorité - ne touchent pas les maisons de retraite. J'ai également dit que ces mesures n'étaient pas rétroac touchées par ce terrible fléau, seulement 30 % sont diagnostiquées et 10 % soignées. Nous avons conscience de ce problème et nous avons, créé le 4 février 2003, une instance prospective Alzheimer, c'est-à-dire une instance de terrain chargée de faire des propositions pour mieux prendre en compte les besoins de ces personnes.

Nous avons créé pour l'année 2003 - vous le voyez, je réponds objectivement - 1 750 places d'accueil de jours et 750 places d'hébergement temporaire. C'est largement insuffisant, comme l'est, en général, la politique de prise en charge des personnes âgées à domicile ou en établissement. Je suis de l'avis des professionnels lorsqu'ils font les constats que nous faisons tous.

On m'a interrogé sur les personnels. Oui, les personnels sont largement insuffisants en maison de retraite ou en établissements. Oui, nos ratios de personnels sont très en deçà de bon nombre d'autres ratios des pays qui nous entourent. Oui, les 300 000 personnes qui travaillent en établissement font, avec beaucoup de compétences, avec beaucoup de cœur, des métiers qui ne sont pas valorisants. C'est la raison pour laquelle dans le plan que nous sommes en train de mettre en place, ce volet est abordé. Oui, 220 000 personnes pour encadrer 600 000 personnes âgées dépendantes à domicile, c'est largement insuffisant parce que ce sont des emplois précaires, parce que ce sont des emplois difficiles. Durant la préparation du plan pluriannuel, au-delà de la revalorisation de l'accord de branche que nous avons obtenue avec François Fillon et qui a été agréé dès le mois de janvier 2003, il va nous falloir pendre en compte le problème de ces personnels à domicile.

Non, pas de polémique ! Les 11 000 ou 12 000 personnes âgées disparues cet été ne nous le permettent pas. Mais qu'il me soit permis, tout simplement de répondre aux mises en cause ; c'est un peu le but de cette mission.

On m'a interrogé aussi sur les circulaires, celle de juillet 2002, le rappel en mai 2003 de certaines préconisations relatives aux prises en charge. Comme François Fillon l'a dit, nous avons été surpris par la brutalité de cette crise, sans commune mesure avec une autre crise. Pourquoi tel département a-t-il rencontré moins de problèmes que d'autres ? Certains départements étaient mieux préparés à la canicule parce qu'ils la vivent plus souvent. Par contre ce à quoi nous n'étions pas préparés, ce sont ces nuits terribles du 10 au 11 août, du 11 au 12 août, du 12 au 13 août, du 13 au 14 août où les températures ont atteint trente-trois à trente-quatre degrés. Les organismes les plus fragiles, les personnes âgées souffrant des pathologies les plus difficiles n'ont pas survécu à ces températures, simplement parce qu'elles n'avaient pas la faculté de récupération que leur offre habituellement la nuit.

Telles sont les quelques précisions que je voulais ajouter à toutes celles qu'a fo * *

VII. Audition de M. Gilles Brücker, directeur général de l'Institut de veille sanitaire (InVS)

(séance du lundi 15 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - M. Jean-François Mattei, lors de son audition jeudi dernier, a réaffirmé sa confiance en vous-même et en l'institution que vous dirigez. Il a également rappelé les succès antérieurs à l'InVS. Cependant il a pointé les insuffisances du système d'alerte dans la gestion de la crise. Vous en aviez d'ailleurs fait de même n'excluant pas, le 18 août, de démissionner. Pourquoi avez-vous finalement pris la décision contraire de celle qu'a adoptée le directeur général de la santé ?

Comment expliquez-vous la défaillance de l'InVS dans cette crise ? Est-il condamné à n'intervenir qu'a posteriori ? Y a-t-il une réflexion prospective menée pour identifier des crises sanitaires inédites en France ?

Faut-il revoir les missions de l'InVS ? Comment améliorer le système d'alerte ? De façon générale, quels enseignements tirez-vous de ce drame.

M. Claude Evin - Les missions de l'InVS sont définies par la loi. Justement, il y est indiqué, d'une manière qui aurait pu concerner la canicule, que l'InVS a pour mission de détecter tout événement modifiant ou susceptible d'altérer l'état de santé de la population. Nous sommes confrontés à un événement qui a manifestement altéré l'état de santé de la population. Pour quelles raisons l'alerte n'a-t-elle pas été donnée. Comment la convention d'objectifs et de moyens négociés pour 2003 a-t-elle - ou non - pris en compte ces missions définies par la loi ?

Face à l'éventualité d'une nouvelle canicule, puisque nous savons qu'il y a un réchauffement climatique, nous allons prendre des dispositions. C'est bien, mais ne risque-t-on pas d'être confrontés à des problèmes sanitaires autres que celui de la canicule ? Comment est-il possible de s'organiser à l'avenir pour éviter d'être pris de court face à un nouvel événement que nous n'aurions pas imaginé comme celui auquel nous avons été confrontés au mois d'août ?

M. Jean-Marie Rolland -Disposez-vous d'éléments de comparaison avec les autres grands pays développés en matière de veille sanitaire.

Mme Catherine Génisson - Avez-vous été réunis dans le cadre du conseil national de sécurité sanitaire ? Dans quelles conditions ? Avec le ministre ou avec tout autre personne ?

Avez-vous eu des contacts et lesquels avec l'Agence française de 'Arial'; font-size: 10pt">M. Gilles Brücker, directeur général de l'Institut de veille sanitaire (InVS) - Je vais essayer, de manière assez synthétique sur ces questions qui sont extrêmement importantes, d'analyser ce qui s'est passé et les évolutions nécessaires de l'Institut national de veille sanitaire.

Je vous propose de rappeler d'abord comment cette crise a été vécue au niveau de l'institut, puis d'analyser ce que l'on a pu appeler une insuffisance d'alerte.

Jusqu'au 5 août, aucune information, aucun message, aucun signal n'est parvenue à l'Institut national de veille sanitaire sur le phénomène chaleur, ses conséquences, ses risques.

Le premier signal nous parvient le 6 août dans l'après-midi de la direction départementale de l'action sanitaire et sociale (DDASS) du Morbihan, qui mentionne trois décès. Cette information nous amène, comme le fait l'InVS dans une telle situation, à analyser ce signal et à voir l'importance du problème.

Des échanges ont lieu les 6, 7 et 8 août avec la direction générale de la santé pour faire part des informations que nous recevons. La direction générale de la santé nous informe qu'elle dispose, de manière très éparse, de quelques autres signaux provenant soit de services d'urgence, soit de DDASS sur les conséquences de cette vague de chaleur annoncée. Je vous rappelle que c'est le 7 août que Météo France lance une véritable alerte. Il est exact qu'il y a eu un premier message le 1er août. Ce message annonçait un problème de sécheresse, mais n'avançait pas de conséquences préoccupantes. En revanche, le 7 août, l'avis de Météo France signale une vague de chaleur très importante et des conséquences envisageables pour les personnes vulnérables, notamment les personnes âgées.

A ce stade, pour l'Institut de veille sanitaire, il existe un problème de vague de chaleur, avec des conséquences que nous ne connaissons pas de manière précise et détaillée, pour plusieurs raisons. La première c'est qu'une série d'informations, très en amont, qui relèvent notamment de la sécurité civile, des interventions des pompiers, ne remontent pas jusqu'à nous. Mme Guigou a évoqué tout à l'heure l'intervention de M. Gentilini, signalant que la Croix Rouge avait, le 5 août, tiré une sonnette d'alarme. Mais cette information n'a pas été donnée à l'Institut national de veille sanitaire.

Ainsi l'Institut de veille sanitaire constate-t-il, le 7 août, entre quelques informations éparses émanant des DDASS et l'avis de Météo France, un phénomène qui est devant nous. L'alerte est donnée. On pourra se demander si elle l'est avec suffisamment de force. Le rôle de l'InVS, face à ces signaux qui lui parviennent comme c'est le cas dans beaucoup d'autres circonstances - méningite, légionnelles, SRAS- est d'informer la direction générale de la santé. La DGS est informée les 6, 7 et 8 août de ce phénomène pr générale la santé, qui décide le 8 août de faire un communiqué de presse. Fallait-il aller plus loin ? Fallait-il déclencher des plans ? Nous allons sûrement y revenir. Mais il est clair que pour l'Institut, cette menace étant relayée aux autorités sanitaires, il avait rempli son rôle d'alerte. Nous n'avons pas d'autres modes de fonctionnement. On peut s'interroger à l'avenir sur un système mettant l'Institut directement en prise avec toutes les DDASS. On pourrait imaginer un schéma de cette nature. Mais, dans le cas présent, dès lors que nous avons fait part à la direction générale la santé des données disponibles qui vont amener à un communiqué élaboré par cette direction, l'alerte était donnée.

Bien entendu, il convient, comme dans toute menace, d'en connaître la gravité et l'importance. Cela suppose de mettre en place un recueil considérable de données. Le phénomène est national. Les problèmes sont dans les logements des personnes, que les pompiers découvrent parfois mortes chez elles, ils sont dans la rue, dans les hôpitaux, dans les institutions. Nous n'avons pas une remontée en temps réel de toutes ces informations, ce qui nous permettrait, en temps réel, de connaître exactement la gravité du processus. On voit d'ailleurs qu'a été remise en question l'organisation de l'information concernant les certificats de décès.

Nous décidons, en concertation avec la DGS, de mettre en place toutes les études permettant de mesurer l'ampleur du problème. Nous sommes le vendredi 8 août, l'alerte est lancée par la DGS que l'InVS a informée. Il s'agit d'aller plus loin et de recueillir les informations. Cela signifie mettre en place une série d'enquêtes. Ces enquêtes se feront à partir du 11 août : il est difficile de lancer une enquête le week-end pour toutes les raisons de transmissibilité et de prise en compte des informations que vous imaginez. Ce n'est pas la même chose que d'avoir un plan d'action qui ne souffre ni attente, ni jour férié, ni week-end. Par contre, lancer des enquêtes en direction de tant de partenaires nécessite une validation de la méthodologie. C'est donc dans la semaine du 11 au 16 août, mais dès le 11 août, que de multiples enquêtes seront lancées. Je ne les détaillerai pas, ce serait très long. Elles figurent toutes dans le rapport remis au ministre, d'abord de façon préliminaire dès le 20 août, puis de façon plus précise le 28 août ; un rapport complet est à venir dans les jours prochains.

Nous mettons donc en place une enquête sur les intervenants sanitaires, notamment les pompiers, le SAMU, SOS Médecins. Le recueil des informations se heurte à une série de difficultés ; les données de la sécurité civile, notamment, qui ne relèvent pas du ministère de la santé, posent des problèmes d'articulation. Le SAMU, SOS Médecins, débordés par leur activité de soins, font davantage du soin en urgence que de l'épidémiologie.

Nous allons lancer, dès la semaine du 11 août, une enquête importante, que nous appelons « Coup de chaleur à l'hô décès à domicile dont il est très difficile d'obtenir la comptabilité puisque nous n'avons pas de système précis. Seuls les pompiers, SOS Médecins, les médecins généralistes peuvent remonter les informations jusqu'à nous, mais l'urgence ne nous aide pas à avoir une information fiable et exhaustive.

Mme Catherine Génisson - Je ne comprends pas comment la remontée, sans doute incomplète, de ces données, avant que de se prêter à une quelconque exploitation, n'ait pas donné, en tant que telle, matière à un déclenchement d'alerte plus général, surtout quand on connaît en regard la simplicité des mesures à prendre, qui ne sont pas du ressort sanitaire mais de l'hygiène la plus élémentaire. Pourquoi cela ne s'est-il pas fait ? Comment l'avez-vous vécu ?

M. Gilles Brücker - Je comprends parfaitement cette question. Entre le 6 et le 8 août n'arrivent à l'InVS que des informations extraordinairement parcellaires : une seule DDASS -ce n'est pas une accusation, ce sont les faits- celle du Morbihan, nous signale trois décès -c'est tout - et il s'agissait de personnes jeunes. L'Institut de veille sanitaire, et c'est son métier, reçoit tous les jours des informations qu'il faut vérifier, de façon parfois un peu désordonnée.

M. Claude Evin - Pour quelle raison ces informations ne remontaient-elles pas ? Parce que vous n'avez pas de lien avec la sécurité civile ? On vous demande de détecter tout événement. Or vous nous dites que, dans la réalité, les informations ne remontent pas jusqu'à vous. Je comprends que vous n'ayez pas pu les détecter.

Aujourd'hui, notre objectif est théoriquement de modifier la loi, si cela est nécessaire lors de l'examen de la loi de santé publique. De ce point de vue, pour l'application de l'article 1413-2 du code de la santé qui définit les missions de l'InVS, vous semble-t-il opportun d'inscrire dans la loi des éléments qui à l'avenir vous seraient utiles ? Que faire pour que systématiquement tout ce qui se passe, que cela émane de la sécurité civile, de notre administration, des services d'urgences,  concernant n'importe quel phénomène qui altère l'état de santé de la population, remonte jusqu'à vous ? Sinon, comment vous demander d'assumer vos responsabilités si on ne vous en donne pas les moyens ? J'ai le sentiment que c'est ce que vous êtes en train de nous dire.

M. Gilles Brücker - Permettez-moi de terminer ma réponse à Mme Génisson avant de vous répondre monsieur Evin.

Nous n'avions que des informations parcellaires, minimes. Il n'en existait peut-être pas tant que cela dans les DDASS à ce moment-là. C'est cela aussi la question. Avaient-elles le 6 août des informations suffisantes ? De notre point de vue, et les courbes sont là pour l'attester, ceux qui disposent de l'information la plus précoce sont probablement ceux qui interviennent en première ligne : pompiers, SOS Médecins, SAMU. Mais cela ne commence qu travaux à l'OMS sur ce sujet parce que je crois que la veille sanitaire est planétaire aujourd'hui. Nous nous sommes beaucoup mobilisés, notamment sur le sujet du bio-terrorisme et de l'alerte internationale. Les informations qui m'arrivent sont donc extrêmement confuses mais je vois bien qu'il se passe quelque chose à Hanoi. J'adresse immédiatement un message au directeur général de la santé pour lui dire qu'il se passe quelque chose à l'étranger, que ce n'est pas clair mais qu'il s'agit certainement d'une menace et qu'il faut agir d'urgence. C'est tout. Je n'ai pas l'évaluation mondiale. Je n'ai pas appelé les DDASS. J'ai adressé le message à la direction générale la santé parce que c'est notre interlocuteur naturel. Le fonctionnement de la sécurité sanitaire repose sur un lien quasi exclusif avec la direction générale de la santé, ce qui a un peu changé par rapport à des modes de fonctionnement antérieurs. Avec le SRAS, vous l'avez rappelé, cela s'est plutôt bien passé.

Permettez-moi de répondre pour partie à une remarque de fond très importante selon laquelle l'Institut de veille sanitaire ne fonctionnerait qu'a posteriori et pas par anticipation. Je considère que cette analyse du fonctionnement de l'Institut de veille sanitaire est infondée. La mission qui a été conduite à la demande de M. Mattei a, de façon raisonnable, précisé dans son introduction le temps dont elle avait disposé et ses modalités de fonctionnement, en particulier en procédant à quelques auditions. C'est très bien dans l'urgence mais cela ne permettait absolument pas de faire une évaluation en profondeur de l'Institut de veille sanitaire.

Je tiens à la disposition de la commission les nombreux travaux d'anticipation que mène l'Institut de veille sanitaire.

Sur la pollution atmosphérique, nous avons des dossiers comportant de grandes avancées scientifiques. Nous sommes leaders européens sur le sujet. Nous coordonnons un travail sur vingt-six villes européennes pour mesurer les interactions possibles entre la pollution atmosphérique et les phénomènes de santé. Nous travaillons sur les sites pollués, sur les risques de l'eau, sur les problèmes que pose l'évolution de la turbidité de l'eau en matière de risques pour la santé. Tous ces sujets, y compris celui qu'évoque Claude Evin, sont extrêmement importants, leur objectif est de prévoir l'imprévisible. Cela se situe très clairement dans le champ du bio-terrorisme.

Parce que nous ne savons pas où et quand la menace nous tombera dessus, il nous est demandé légitimement de penser, de réfléchir et d'anticiper. Nous l'avons fait. Je vous renvoie au plan de lutte contre le bio-terrorisme pour lequel l'Institut de veille sanitaire a établi des fiches par pathologie en élargissant, au maximum de ce qu'il était raisonnable de faire, la menace et sachant, parce que cette critique me taraude tout le temps, qu'il reste ce que nous ne voyons pas, ce que nous ne prévoyons pas. Nous avons même prévu, dans ce document sur le bio-terrorisme, d'être capables d'alerter sur un phénomène bizarre, anormal que nous ne définirons pas, justement pour ne pas l'enfermer dans une définition trop pr&eac tout voir sur tous les événements, pour toute la santé, pour tous les Français.

Je considère que le travail effectué en quatre ans par l'Institut de veille sanitaire a été considérable. Je pense que Jacques Drucker, qui m'y a précédé, a mis toute son énergie pour développer l'institut et je m'y emploie depuis un peu plus d'un an.

Je n'entrerai pas dans le détail des programmes. Je précise qu'il a bien fallu faire des choix au départ. Dire à un institut : allez-y, vous surveillez tout, partout, tout le temps, c'est une mission superbe. Pour quelqu'un qui fait de la santé publique, il n'y a pas de plus beau rêve, mais c'est une mission écrasante. Avec le ministère de tutelle, au sein d'un contrat d'objectifs et de moyens, tout ce que devait faire l'Institut de veille sanitaire d'abord -je ne dis pas définitivement, je dis d'abord- a été précisément défini. Le faire correctement, c'est déjà une tâche gigantesque. Permettez-moi de rendre hommage aux gens qui travaillent à l'Institut de veille sanitaire. Ils ne connaissent pas forcément les vacances, ni les week-ends ; les RTT, personne ne peut les prendre, et les journées se terminent tard car des alertes, il y en a souvent : listériose, méningite, légionnelles, dont on a beaucoup parlé, et bien d'autres problèmes. Les personnels sont tout le temps en alerte. Si déjà nous étions capables de faire cela à la perfection, ce serait formidable.

M. Claude Evin - Et dans tout cela, il n'y a pas les effets du climat ?

M. le président de la mission d'information - Monsieur Brücker, puisqu'il y a beaucoup de questions, je vous propose, pour toutes les questions que l'on vous a posées, de me remettre une note que je diffuserai aux membres de la mission.

M. Gilles Brücker - Bien sûr, monsieur le président.

Je vais essayer d'aller à l'essentiel. Les questions climatiques ne figurent pas dans le programme, qui a été élaboré en 1999 et que je n'ai donc pas été amené à discuter. De nombreux experts de la santé publique y participaient, la tutelle, les gens de l'InVS et le Conseil scientifique de l'InVS. Sans doute n'y avait-il là que des gens à courte vue puisqu'ils n'ont pas su voir le phénomène climatique. Je note que ce phénomène climatique n'est observé ni pris en compte quasiment nulle part. Il n'est pris en compte, comme nous l'ont dit nos collègues américains du Center for disease control qui sont venus la semaine dernière, que lorsque l'on a été frappé de plein fouet par une vague de chaleur ; avant, on ne le voit pas. C'est ce qui s'est passé à Chicago en 1995.

L'argument selon lequel nous aurions dû être en alerte du fait des vagues de chaleur de 1976 et 1983 est un peu rapide, pour deux raisons. D'abord parce que la vague de chaleur de 1976 n'a quasiment jamais donné lieu à une véritable évaluation des conséquences. Nous n'avions donc pas de documents sur lesque crois, sans être un climatologue averti, qu'il y aura de nouvelles menaces climatiques. Je suis extrêmement frappé de la fréquence des phénomènes extrêmes que nous constatons, la tempête de 2000, les inondations catastrophiques, aujourd'hui cette vague de chaleur. Ce phénomène a été, rappelons-le, incroyablement sévère. Jamais depuis 1873, date à laquelle les températures sont relevées dans la région parisienne, de tels effets n'ont été observés.

Je voudrais essayer de répondre, au moins partiellement à quelques questions. Vous m'avez posé une question relative à ma démission. Je ne peux pas ne pas y répondre. Cette question m'est posée assez fréquemment depuis quelque temps.

Le directeur général de la santé a cru bon de démissionner. Evidemment je n'apporterai aucun commentaire sur la décision qui est la sienne. En ce qui me concerne, je considère, premièrement que l'Institut national de veille sanitaire a, dans les conditions de fonctionnement qui étaient les siennes, assumé toute sa mission, fait tout ce qui lui était possible de faire. Par conséquent, si cette crise révèle des failles, il reste à voir si elle révèle des fautes. A ce jour, j'estime que l'Institut de veille sanitaire, fonctionnant de façon très étroite avec sa tutelle, a accompli tout ce qu'on lui demandait à travers son contrat d'objectifs.

J'ajoute, parce que ce point est tout de même essentiel dans le fonctionnement, que l'alerte ne résume pas ce qui est accompli à l'InVS. Nous sommes très régulièrement sollicités par des saisines émanant de la tutelle et de nombreux autres secteurs. Je ne les détaillerai pas. Nous enregistrerons, en permanence, des dizaines de demandes complémentaires d'informations sur tel ou tel problème rencontré. L'équipe de l'Institut de veille sanitaire travaille dans des conditions difficiles, compte tenu de la charge considérable qui lui incombe. Je ne dis pas que l'Institut de veille sanitaire a été très largement sous-doté. En effet, cet institut a, au contraire, reçu un soutien dans le cadre de sa création et de son développement, lui permettant ainsi de mieux élargir ses missions. 

Je dirige l'Institut de veille sanitaire depuis un peu plus d'un an et je suis aujourd'hui convaincu que le programme tel qu'il a été défini en termes de contrat d'objectifs et de moyens  n'est pas suffisant. Je citerai très brièvement quelques-unes de ses failles.  Nous ne nous occupons pas de santé mentale. Le jour où se posera, en France, un problème relatif à la santé mentale, l'Institut de veille sanitaire, chargé par la loi de surveiller toutes les menaces, pourrait se voir accusé d'inaction en la matière. Je le regrette, mais c'est ainsi. Je ne vous infligerai pas la lecture d'un texte, que j'ai rédigé voici déjà huit mois après avoir pris la mesure des différents engagements de l'institut. Sans remettre en question le bien-fondé des choix opérés en termes de surveillance des pathologies et d'un certain nombre de risques, il m'est apparu absolument prioritaire de développer des programmes en faveur des populations. J'ai insist&ea populations migrantes, les chômeurs. Ce type de problème présente plusieurs facettes. Je prendrai, en une minute, un exemple pour illustrer mon propos. Le drame de Metaleurop m'a profondément touché.  J'ai trouvé cette affaire catastrophique. En effet, cette usine a engendré une pollution considérable par le plomb. L'Institut de veille sanitaire est chargé, quant à  lui, de surveiller le saturnisme. Donc, nous avons considérablement développé ce programme de surveillance du saturnisme afin de mesurer au mieux les conséquences en termes d'intoxication par le plomb. Mais il ne suffit pas de savoir combien d'enfants sont atteints de saturnisme et quels sont les taux moyens de plombémie. En effet, derrière ce problème, s'en cache un autre. La fermeture de cette usine a entraîné la mise au chômage de mille familles. J'ai personnellement écrit au professeur Haguenauer, responsable de la commission d'évaluation des conséquences de Metaleurop. Je lui ai fait savoir qu'il était, à mon sens, tout aussi important d'analyser le drame social vécu par ces familles que le problème de la pollution engendrée par l'usine. Chacun comprendra qu'il s'avère nécessaire d'intégrer cette dimension des populations.  Qui le fera ? Comment ? C'est encore un débat.

J'ai précisé à la direction générale de la santé, voici déjà sept ou huit mois, donc bien avant la canicule, qu'il était absolument impératif et prioritaire de revoir notre contrat d'objectifs et de moyens, considérant qu'il convenait  de l'améliorer. Ce contrat d'objectifs et de moyens  devait venir à échéance en décembre 2003. La DGS a décidé  de le reconduire d'une année pour des considérations techniques et a proposé de faire simplement un avenant. Je ne suis, je le reconnais, que moyennement satisfait par cette idée. Je suis, en effet, convaincu que cela ne dégagera pas les nouvelles priorités à prendre en compte. J'ai tenté d'expliquer, certes un peu longuement, les missions de l'InVS et les conditions de son bon fonctionnement. Je juge toutefois cet exposé trop bref, considérant l'importance du sujet.

Mme Catherine Génisson - Est-ce que ce sont seulement les nouvelles missions de l'Institut ou une nouvelle façon d'aborder les missions qui doivent être traitées ? Vous l'avez d'ailleurs précisé, l'approche " populationnelle " semble primordiale et doit sans doute être privilégiée face à la recherche strictement épidémiologique. Est-ce bien le sens de vos propos ?

M. Gilles Brücker - Cette question est fondamentale parce qu'elle renvoie à l'organisation de cet immense chantier de la veille sanitaire et de l'alerte. Il n'y a pas, d'un côté, la surveillance et, de l'autre, l'alerte. En fait, tous les problèmes doivent être intégrés dans les réseaux. Il n'y a pas qu'un réseau chargé de tout surveiller. Nous comptons des dizaines de réseaux de surveillance. Créer un réseau est tout ce qu'il y a de plus facile. Le faire vivre, vous le savez, s'avère en revanche fort difficile. Nous devons donc tendre à organiser la surveillance et les dispositifs d'alerte. Cette question ouvre des perspectives d'avenir. Je m'expliquerai brièvement sur ce point.  Il est abso américaine sur le sujet, que les indicateurs n'étaient pas forcément très fiables. Les données de Météo France, d'après ses dires mêmes, ne sont fiables que pour les soixante-douze heures à venir. Soixante-douze heures, ce n'est pas rien pour gérer l'urgence, mais il est préférable d'avoir été préparé, de disposer de plans d'actions. Déclencher une alerte importante peut, certes, créer une mobilisation -encore faut-il savoir pourquoi- mais régler une question aussi complexe en soixante-douze heures est inenvisageable. Donc, il convient évidemment de travailler sur ces questions et d'ouvrir un débat. Travailler, bien sûr, beaucoup plus en profondeur sur l'ensemble de la réorganisation des systèmes de veille  face à des événements non prévisibles notamment en relation avec les urgentistes ; je réponds ici à une question de Claude Evin.

J'ai déjà réuni à l'Institut de veille sanitaire les principaux responsables des services d'urgence, des SAMU pour réfléchir sur ce sujet. Concernant les données relatives à la sécurité civile, je me suis rendu au ministère de l'Intérieur afin de réfléchir à une méthode de travail. Ces questions essentielles de santé sont, en effet, d'ordre profondément interministériel. Elles concernent plusieurs ministères : celui des Affaires sociales, du Travail, et également de l'Environnement. Donc, nous ne pouvons pas travailler sans une véritable concertation interministérielle.  C'est une volonté claire. Chacun mesure ici que l'exercice n'est pas de la plus haute simplicité et que nous devrons nous accorder sur l'organisation générale des messages.

Vous m'avez posé une question concernant nos relations de travail avec l'AFSE. Nous avons essayé, depuis la mise en place de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE), voici un an, d'organiser notre travail en concertation. Sur la crise que nous venons de traverser, je ne dirai rien. Mais nous pensons que nous avons effectivement un travail à accomplir avec l'AFSSE ; nous y sommes très largement engagés ; nous avons des relations très régulières. Je rappelle qu'il existe un département Santé-environnement à l'InVS. Il occupe de nombreuses personnes, les programmes sont fort nombreux ; il y a là un partage des rôles à opérer.

Je conclurai, Monsieur le président, sur un point fondamental. Il concerne - question majeure pour nous - le travail mené avec les CIRE et avec les régions. Je tiens ici à préciser que l'InVS a la tutelle scientifique des CIRE. Lorsque j'ai pris la direction de l'institut, j'ai considéré qu'en dehors des questions relatives aux populations sur lesquelles je ne reviendrai pas, nous devions faire face à deux enjeux stratégiques majeurs, l'un européen, l'autre international.  Nous avons énormément travaillé à un développement européen. Je ne développerai pas aujourd'hui les multiples actions européennes qui ont été menées.  Concernant l'enjeu international, j'ai évoqué le travail avec l'OMS. J'ai créé à l'Institut de veille sanitaire un département international. Nous travaillons aussi à l'heur effectifs tout de même très modestes à l'échelon régional.

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VIII. Audition de M. Jean-Pierre Besancenot, faculté de médecine de Dijon et de M. Jean-Louis San Marco, directeur du laboratoire de santé publique de la faculté de Marseille

(séance du lundi 15 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Monsieur Besancenot, monsieur San Marco, vous avez tous les deux publié des travaux sur la canicule, ses effets en termes de santé publique et les mesures à prendre. Quelle est votre analyse de la canicule de cet été ? La catastrophe était-elle évitable ? Comment ? Le stade de l'alerte ayant été manqué, était-il encore possible de faire quelque chose ? Selon vous, la crise a-t-elle été bien gérée ? Que préconisez-vous pour éviter qu'elle ne se reproduise ?

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Quels contacts avez-vous eu pendant la crise avec la Direction générale la santé, avec les structures sanitaires ?

Monsieur San Marco, pouvez-vous nous parler de la façon dont, depuis plusieurs années, l'alerte se passe à Marseille ? Nous avons interrogé M. Mattei qui nous a dit que la presse ne s'était pas spécialement intéressée à vos alertes. Comment avez-vous ressenti la canicule ? Quelle alerte avez-vous pu mettre en œuvre ? Quels en ont été les résultats ? Concrètement, sur Marseille, comment cette alerte a-t-elle été ressentie ? Pouvez-vous nous dire ce que vous avez fait, pas uniquement cette fois-ci, mais également auparavant.

M. Jean-Marie Rolland - Nos deux invités ont-ils des explications sur la formidable différence entre les taux de surmortalité d'un département à l'autre ?

M. Jean-Pierre Besancenot, faculté de médecine de Dijon - Sur le premier point, l'analyse de la canicule de cet été, beaucoup de choses ont été dites. Ce qui m'a frappé, c'est que les premiers épisodes de forte chaleur, en juin, puis de façon plus transitoire en juillet et à nouveau dans les premiers jours d'août ont été, a priori, relativement bien supportés, en tout cas référence faite à la mortalité. Ensuite, aux alentours du 8 et surtout du 10 août, la mortalité a grimpé en flèche, notamment en région parisienne, mais aussi en bien d'autres endroits.

L'une des explications que l'on peut donner me paraît résider dans le niveau exceptionnel des températures nocturnes. Ce n'est certainement pas un hasard si la courbe de la mortalité a présenté un très net infléchissement à partir du 11 août, alors que c'était dans la nuit du 10 au 11 août que l'on avait enregistré les températures nocturnes de vingt-cinq degrés cinq, record absolu à Paris depuis le début des observations en 1853. Cela dit, une température de vingt-c été manqué, était-il encore possible de faire quelque chose ? La question, je le vois bien, concerne la façon dont la crise a été gérée. Je prendrai l'exemple des canicules antérieures que l'on a pu étudier en France, mais surtout à Athènes ou aux Etats-Unis. J'ai eu l'occasion de travailler assez longuement sur la vague de chaleur de 1987 à Athènes. On s'était trouvé un peu dans la même situation : une fois le processus enclenché, une surmortalité très forte était apparue le 22 juillet ; rien n'avait été fait.

Aux Etats-Unis, où les vagues de chaleur sont nettement plus fréquentes - les autorités et la population en ont pris bien davantage conscience - ce sont essentiellement les dispositions à moyen terme qui s'avèrent efficaces et pas vraiment celles que l'on peut prendre dans l'urgence.

J'ajouterai simplement que, par rapport à la plupart des vagues de chaleur meurtrières que l'on a étudiées dans le passé en Europe ou aux Etats-unis, ce qui a peut-être distingué celle de l'été 2003, c'est que la surmortalité est apparue tardivement alors que, la plupart du temps, la courbe des décès monte très vite avec la courbe des températures. Les New-yorkais, par exemple, ont l'habitude de dire qu'après six jours de canicule il n'y a plus de problème. Les personnes les plus fragiles sont décédées, les autres se sont adaptées. C'est très dur mais c'est une phrase que j'ai souvent entendue dans la bouche de médecins new-yorkais et de responsables de la santé.

Cette fois-ci, ce qui a vraiment déclenché la surmortalité, ce sont les températures nocturnes élevées et ce qui l'a entretenue c'est aussi la persistance de la chaleur. Il sera certainement intéressant - pour l'instant l'étude n'a pas été faite - d'essayer de comprendre pourquoi dans quelques vagues de chaleur - on a le précédent de Lisbonne en 1999 et dans une moindre mesure celui de Séville en 1995 -, la mortalité augmente graduellement au fur et à mesure de la prolongation de la vague de chaleur alors que, la plupart du temps, le pic de mortalité se situe le deuxième ou le troisième jour de la canicule.

M. Jean-Louis San Marco, directeur du laboratoire de santé publique de la faculté de Marseille - Pour répondre à la première question, c'est vraiment la première fois que la France est soumise à une telle vague en durée, en étendue et en lourdeur des températures et je ne connais pas une seule structure qui sache faire face du premier coup à une agression de ce genre. Nous avons eu affaire à quelque chose d'exceptionnel.

Cette catastrophe était-elle évitable ? Je répondrai à l'envers. Dès lors que c'est la première fois, ce n'est pas possible. Etait-ce la première fois ? Et c'est là où cela devient irritant. Peut-être en 1947 - je n'ai aucune notion là-dessus, je n'ai pas retrouvé de données -mais, en 1976, la vague de chaleur a été baptisée « sécheresse ». Elle a été consid&eac façon de se défendre. Sinon, je vous raconterais n'importe quoi, ce serait des contes d'enfants pour faire peur, mais ce serait non crédible et non audible. La différence avec Marseille est essentiellement que nous avons, dans notre chair et dans notre mémoire, le souvenir. Notre rôle, celui de mon équipe, a été d'entretenir ce souvenir et de le rendre opératoire.

Le stade de l'alerte ayant été manqué était-il encore possible de faire quelque chose ? Je reprends, mot pour mot, pour simplifier, les mots de M. Besancenot : à ce moment-là, on aurait fait n'importe quoi, cela n'aurait servi à rien, sur le plan médical.

Maintenant il y a une deuxième question. La crise a-t-elle été bien gérée ?

Pardonnez-moi, je dis toujours ce qu'il ne faut pas dire : non, sur le plan politique, elle a été mal gérée. Elle aurait été bien gérée sur le plan politique, il n'y aurait pas eu d'amélioration sur le plan sanitaire. Le gouvernement ne serait pas dans cette situation, Jean-François Mattei ne serait pas en position défensive mais le nombre de morts n'aurait pas été différent.

Que préconisez-vous ? C'est ce qui me paraît le plus intéressant. Je vais vous raconter ce qui s'est passé à Marseille pour que vous compreniez un peu mieux. En 1983, nous avons été confrontés à cette vague de chaleur en juillet, quinze jours, relativement isolés. Cela débordait un peu les Bouches-du-Rhône, mais à peine. D'abord on n'a pas cru à la vague de chaleur, comme tout le monde, puisqu'il faisait chaud, que c'était des vieux et qu'ils étaient « fébriles ». Les mots comptent : ils n'étaient pas « hyperthermiques », ils étaient « fébriles ». On a pensé qu'ils souffraient d'une infection, on a cherché la légionnelle. Dès lors qu'on ne l'a pas trouvée, deux médecins de la cellule de crise en ont déduit qu'il s'agissait d'une épidémie de « coups de chaleur » liés à la vague de chaleur. On a commencé à traiter les malades sur place, avec une inefficacité totale, et les malades sont morts dans des conditions effroyables. Les premiers jours, quand on ne savait pas les soigner, ils mouraient sur place en quelques heures. Quand on a commencé à les refroidir, ils mouraient en quelques jours. C'était horrible.

On a essayé parallèlement de lutter en prévenant par des messages la population exposée. On s'est dit que cette population écoutait essentiellement FR3 et on a fait passer des messages sur FR3. L'inefficacité de nos mesures était totale. Les courbes de mortalité et de température a posteriori étaient rigoureusement parallèles. Le médecin de la DDASS à l'époque m'a dit : « Pourquoi vous énervez-vous ? Il suffit d'attendre que le mistral fasse tomber la température et vos petits vieux, qui représentent par leur disparition une sérieuse économie, cesseront de mourir. Et si vous êtes très énervé, allez donc à Notre-Dame d à l'époque, il n'était pas acquis que la température nocturne était importante et les définitions des vagues de chaleur étaient fondées sur les températures maximales. Il a fallu qu'on y aille doucement, qu'on se fasse accepter, qu'on ne descende pas jusqu'au vrai seuil parce qu'on n'aurait pas été crédibles. A force de crier au loup, on nous aurait rétorqué : « Bien sûr, il fait chaud ! C'est l'été et on est en Provence ! ».

On a néanmoins monté un système d'alerte chaque fois que la situation l'exigeait, Météo, laboratoire de santé publique, comité départemental d'éducation pour la santé, service de presse de l'assistance publique, média. Chaque fois, on lançait nos messages « jusqu'à la nausée » et un certain nombre de gens se sont moqués de nous, ne les jugeant pas sérieux. Ce matin, j'ai entendu le bulletin météo triomphal sur Europe 1 et sur France Inter dans lequel on annonçait qu'il allait faire beau et chaud et qu'il y aura une chaleur supérieure à toutes les moyennes de l'été, de juillet et d'août, des cinq dernières années. Et le présentateur disait cela aujourd'hui ! On le sentait « rayonnant » ! C'est ainsi qu'est vécue la température. Il faut donc vraiment casser quelque chose.

On a fait l'analyse de ce qui s'est passé les quinze années précédant et les quinze années suivant la canicule de 1983 à Marseille, parce que, avant, il y a eu des morts, incognito, silencieux. Par jour chaud, mouraient 4,1 personnes âgées. A partir de 1984, mourait toujours 1, 38 personne, ce qui fait le tiers. On peut dire triomphalement qu'on a réduit des deux tiers. J'aurais plutôt tendance à dire qu'il reste encore un tiers. Mais on a fait des choses bien. La presse est locale est maintenant habituée et les messages passent. Mais l'échec a été total quand on s'est adressé à la presse nationale, l'indifférence a été totale. Les gens n'ayant pas connu ce phénomène n'en avaient pas la mémoire et ne pouvaient pas entendre notre message.

Que peut-on faire ? L'analyse des données est difficile et je voudrais rendre hommage à Jean-François Mattei parce qu'il a été accusé de vouloir minimiser le nombre de morts et ne retenir que les morts dues directement à la chaleur et non les morts indirectes. Il a fait une comparaison tout à fait honnête : mortalité attendue et mortalité observée. C'est important.

Parmi les fausses explications, le vieillissement de la population. Or le vieillissement de la population n'est pas une notion statique - il n'y a pas plus de gens qui deviennent de plus en plus vieux et donc « gâteux ». La notion de vieillissement est une notion dynamique et l'espérance de vie en bonne santé croît plus que l'espérance de vie tout court. Certes, on a des gens fragiles mais qui ne sont pas condamnés. Dès lors qu'on les éduque, on peut les empêcher de mourir si on a envie de le faire.

Le deuxième argument, plus pervers, était de dire que les gens qui 187;, je l'ai lu dans toute la presse et je trouve cela scandaleux. Le Sud n'a pas été protégé sauf si on élimine Nice, parce que c'est encore l'Italie, et Bordeaux, parce que c'est l'Aquitaine, quasiment anglaise. Les chiffres de l'InVS montrent que le pic de surmortalité à Marseille est de 45%, Toulouse 45%, Nice, 80% et Bordeaux, 96%. Il y a tout de même une disparité importante entre Toulouse, dix jours de valeur chaude, données InVS, Marseille, trente-trois jours de valeur chaude, toujours données InVS. Il y a des disparités vis-à-vis de la température, mais il y a aussi des disparités vis-à-vis de la gestion de la température. Je ne veux pas m'attribuer toute la gloire de la sous-mortalité marseillaise, toute relative, mais une part correspond à l'action qu'on a menée à très long terme.

Je voudrais la détailler en deux temps. Il y a, d'une part, de la prévention et de l'éducation pour la santé au long terme, distributions de plaquettes dans les pharmacies, toutes simples, expliquant pourquoi et comment on se protège. D'autre part, une plaquette plus complète d'une trentaine de pages pour l'ensemble des médecins des Bouches-du-Rhône. Voilà ce qui s'est passé, voilà comment il faut le faire. Troisième élément, des bulletins dans le Conseil de l'ordre, répétés. Le Conseil de l'ordre m'a rouvert ses colonnes pour le temps que je veux, le nombre de pages que je veux. Et cela a été fait régulièrement. Quatrième point, des conférences auprès des responsables médicaux et administratifs des maisons de retraite. Ce qu'on a préconisé - fait ou pas, cela a été assez variable - c'est la rotation de toutes les personnes âgées dans la pièce climatisée quand il en existe une et en général, c'est une grande pièce de réunion. Quatre heures par personne, cela donne la possibilité de se reposer et d'être à nouveau apte à subir les conséquences de la chaleur après. Autre point, le mouillage de la peau avec un brumisateur et enfin, la possibilité de boire non pas de l'eau, car certaines personnes âgées ont du mal à boire parce qu'elles ont des troubles de la déglutition, mais une espèce de gelée qui s'avale plus facilement et qui apporte le même volume d'eau. Il y a eu une double action. D'une part, une éducation au long terme et de la population et des intermédiaires, médecins généralistes et pharmaciens et d'autre part, un système d'alerte. C'est avec cette double organisation, une action au long cours, solide, crédible et une possibilité d'alerte, qu'il y a quelque chose, un résultat. Mais cela pose aussi le problème de savoir quel est l'objectif que vous allez, monsieur le président, préconiser.

Faut-il continuer à s'occuper des catastrophes et à les gérer, en général trop tard, ou faut-il envisager non plus une réponse curatrice hospitalo-centrée ou au contraire une réponse préventive, éducative, centrée sur la population et en particulier sur les populations exposées ? Vous comprendrez que c'est la position que je défends. J'allais dire qu'elle est presque antinomique de la position curatrice hospitalo-centrée.

Qu'il faille donner de l'argent aux urgences, bien sûr, parce qu'elle je ne sais pas comment il faut l'appeler, du ministère de la santé. Il faut faire passer des messages «  à froid », de loin, pour prévenir et des messages d'alerte. Maintenant il faut y aller et il y a d'autres gestes à changer. Il faut mobiliser les média pour en faire des intermédiaires réels de santé, mobiliser les populations pour leur dire ce qu'il faut faire et miser sur les médecins généralistes. Ces personnes âgées sont mortes d'hypertension ou de diabète parce qu'elles étaient malades. Il y a des modifications à faire. Il faut que l'ensemble du corps médical se voie insuffler à nouveau, parce qu'on oublie ce qu'on a appris, les règles simples de modification du traitement au long cours pendant les périodes critiques, celle-ci ou une autre. Il y a donc une mobilisation à prévoir très en amont, qui ne demande pas des investissements monstrueux mais qui demande l'affirmation claire d'une volonté politique forte.

M. le président de la mission d'information - Vous avez parlé de documents, plaquettes et bulletins du conseil de l'ordre, distribués dans la région marseillaise. Pouvez-vous en faire parvenir quelques exemplaires à notre mission ?

M. Jean-Louis San Marco - Cela va de soi.

Mme Catherine Génisson - Les premiers jours de forte chaleur, cela s'est relativement bien passé et vous avez évoqué des causes essentiellement climatologiques. La qualité de la prise en charge des personnes âgées, même s'il y a encore beaucoup à faire et s'il y a beaucoup d'insuffisances, n'en est-elle pas une raison ? A un moment, il y a eu un décrochage mais la surmortalité n'a pas été immédiate.

M. le président de la mission d'information - Nos institutions sont-elles adaptées ?

Moi qui suis à l'opposé de Marseille, à Metz, si on nous avait dit il y a un ou deux ans qu'il fallait prévoir une salle climatisée, en cas de canicule, les tutelles ne nous auraient pas donné les crédits nécessaires. Maintenant, je suis persuadé que nous aurons ces crédits et qu'il faut faire ces aménagements.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Par rapport à l'expérience marseillaise que vous avez décrite et aux travaux que vous avez faits sur ce qui s'est passé dans d'autres pays européens, la question posée ce matin à M. Fillon, sur les raisons de l'absence de plan de communication a de l'importance. Depuis que je sais ce qui s'est passé à Marseille, je me pose la question de savoir pourquoi ce que vous avez porté n'a pas pu être entendu. Vous dites que tant que le choc n'a pas été ressenti, et donc qu'on n'en a pas la mémoire, on ne peut pas être entendu. Comment avez-vous été perçu par vos collègues quand vous avez voulu tenter d'alerter. C'est une question de fond que vous posez. Quelle est la part du manque de prise en compte de la dimension vieillissement dans la réflexion et la recherche dans le champ social, sanitaire et de l'organisation du travail ? Si la population concernée avait été autre, si cette crise style="text-align: justify">Je dirai à Mme Guinchard-Kunstler, à propos de mes liens avec la DGS et les structures sanitaires, que j'ai vécu la période marseillaise de fin juin à fin juillet dans des conditions, non pas parfaites, mais d'efficacité apparente. Nous faisions des appels avec la mairie de Marseille. On a eu des contacts avec la presse. Les messages passaient. On a observé qu'il n'y avait pas de malades en surnombre aux urgences, pas de malades en surnombre dans les hôpitaux, pas de rupture dans la courbe de mortalité. Quant, début août, j'ai vu apparaître le problème national, je me suis posé la question de savoir par où je passais. J'ai essayé deux voies. Je n'ai pas bien joué mon rôle.

Le fait que je suis président de l'INPES, institut national de prévention et d'éducation pour la santé - dont ce n'est ni la responsabilité, ni la fonction - me donne une ouverture nationale. J'ai appelé le directeur général de l'INPES pour lui dire qu'il y avait danger, qu'il y avait un problème et qu'il fallait alerter la DGS, car cela ne relevait plus de la prévention mais de l'alerte sanitaire. Il s'agissait d'une crise à laquelle il fallait réagir. Le directeur de l'INPES m'a rappelé en me demandant de lui donner des arguments. Je lui ai envoyé l'article, qui n'était pas encore paru, pour lui montrer comment cela se passait, avant après. J'ai su par la suite que c'est par les services de l'INPES qu'il y a eu contact avec les services de la DGS et que la réponse a été : premièrement, ce n'est pas votre responsabilité ; deuxièmement, « Circulez, il n'y a rien à voir, ce n'est pas votre problème ». C'est normal, c'est celui de la DGS. On ne pouvait pas le partager. On leur a pourtant proposé de les aider à l'élaboration du communiqué, mais non. Après tout, quand on prend ses responsabilités, on les assume, cela ne me choque pas. Ce qui m'a choqué, c'est le résultat parce que le message était techniquement parfait et opératoirement nul. Il énonçait des faits, alors qu'on avait besoin d'un communiqué de guerre, dans une situation de guerre.

S'agissant de mon contact avec les média, j'ai retrouvé ce que j'avais connu avec FR3 il y a vingt ans, sauf que je n'avais pas des moyens de pression sur les média nationaux. Mais entre l'indifférence, le refus, le mépris et les répondeurs, je n'ai pas su comment faire, jusqu'au jour où j'ai lu l'interview de Patrick Pelloux dans le Parisien. Je me suis dit « il y a quelqu'un qui est intéressé ». Je l'ai appelé, ça n'a pas été facile et on a commencé à faire nos articles. C'était plus de la véhémence et du cri parce qu'on ignorait ce que cela donnerait. Il fallait en tout cas casser l'indifférence et, le laisser-aller, et si cela devait durer trois semaines, on avait peut-être quelques chances qu'un certain nombre de personnes soient sauvées. Mon expérience marseillaise, malheureuse, vingt ans auparavant, me laissait dubitatif sur l'efficacité.

M. le président de la mission d'information - Vous avez lancé à l'époque un cri d'alarme à Marseille et il y a eu des réponses. Ce qu'il faut maintenant, ce sont des réponses rapides au niv inquiétant. J'ai été appelé l'autre jour par les représentants de l'ARH et de la DRASS de ma région, je me suis dit qu'on allait immédiatement se lancer, s'organiser : la demande était un soutien méthodologique pour mesurer la modification des causes de mortalité médicale dans l'hospitalisation publique ! J'avais emmené toute mon équipe pour qu'il y ait tous les techniciens, les spécialistes du chiffre, de l'action, de la communication... nous sommes sortis de là totalement désespérés ! Au mieux, c'est regarder le problème par le petit bout de la lorgnette !

M. le président de la mission d'information - Je remercie M. Besancenot et M. San Marco pour leurs témoignages extrêmement intéressants.

Suite des auditions

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N° 1091 - Rapport d'information sur la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule (Tome I - auditions)  (M. Denis Jacquat)

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