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N° 1091

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 septembre 2003.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,

FAMILIALES ET SOCIALES

sur

la crise sanitaire et sociale déclenchée par la canicule

et présenté

par M. Denis JACQUAT,

Député.

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TOME I

(2ème partie : auditions)

Santé et protection sociale.

DEBUT DES AUDITIONS

I - AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS MATTEI, MINISTRE DE LA SANTÉ, DE LA FAMILLE ET DES PERSONNES HANDICAPÉES

II. Audition de M. Dominique Sebbe, président du syndicat des urgences hospitalières

III. Audition du Dr Patrick Brasseur, président de SOS Médecins Paris, du Dr Patrick Guérin, secrétaire général de SOS Médecins Nantes, du Dr Pierre Maurice, secrétaire général de SOS Médecins France, et du Dr Serge Smadja, vice-président de SOS Médecins Ile-de-France-Paris

V.  Audition de M. Patrick Hermange, directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, et de M. Claude Périnel, directeur national de l'action sociale

VI. Audition de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de (InVS)

VIII. Audition de M. Jean-Pierre Besancenot, faculté de médecine de Dijon et de M. Jean-Louis San Marco, directeur du laboratoire de santé publique de la faculté de Marseille

SUITE DES AUDITIONS

IX. Audition de M. William Livingstone, président de Convergence infirmières, M. François Izard, président de la Coordination nationale des infirmiers, M. Pierre Bertaud, membre de la Coordination nationale des infirmiers, Président de la coordination locale pour la région Poitou-Charentes, Mme Nadine Hesnard, présidente de la Fédération nationale des infirmiers, Mme Marie-Noëlle Decalf et M. Thierry Betin, membres du bureau national de la Fédération nationale des infirmiers

xi. Audition de Mme Danièle Dumas, présidente nationale de l'Union nationale des associations d'aide à domicile en milieu rural (UNADMR), de Mme Chantal Meyer, secrétaire générale de l'UNADMR, et de Mme Frédérique Dechers, directrice des ressources humaines et de la communication à l'Union nationale des associations de soins et services à domicile (UNASSAD).

xii. Audition de M. Jean-Louis Segura, directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation de Bourgogne et de M. Philippe Ritter, directeur de l'agence régionale de l'hospitalisation d'Ile-de-France

XIII. Audition de M. William Dab, directeur général de la santé

XV. Audition du Pr Lucien Abenhaïm, ancien directeur général de la santé

XVI. Audition de M. Gilbert Gentilini, président de la Croix-Rouge, et de M. Gilbert Abergel, directeur délégué à la direction des établissements et de la formation de la Croix-Rouge

XVII. Audition de Mme Rose-Marie Van Lerberghe, directrice de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris, de M. Bernard Rousset, secrétaire général des Hospices civils de Lyon, et de M. Guy Vallet, directeur de l'Assistance publique de Marseille.

XX. Audition de M. Édouard Couty, directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins.

SUITE DES AUDITIONS

XXI. AUDITION DE M. MICHEL MERCIER, VICE- PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE DES DÉPARTEMENTS DE FRANCE

XXII. AUDITION DE M. CLAUDE RÉGI, PRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DES MÉDECINS DE FRANCE (FMF), DE M. MICHEL CHASSANG, PRÉSIDENT DE LA CONFÉDÉRATION DES SYNDICATS MÉDICAUX FRANÇAIS (CSMF), DE M. PIERRE COSTES, PRÉSIDENT DE MÉDECINS GÉNÉRALISTES DE FRANCE (MG FRANCE) ET DE M. MARTIAL OLIVIER-KOEHRET, PREMIER VICE-PRÉSIDENT DE MG FRANCE

XXXIII. Audition de M. Christian de Lavernée, directeur de la défense et de la sécurité civils, de M. Régis Guyot, adjoint pour la défense civile, et de M. Didier Montchamp, sous-directeur de l'organisation des secours et responsable du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises

 

 

XXI. Audition de M. Michel Mercier, vice- président de l'Assemblée des départements de France.

(séance du mercredi 17 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Quelle est la perception de la crise par l'ADF ? Quelles remontées des départements ? Quel rôle ont-ils éventuellement joué ?

La crise a souligné la nécessité d'une capacité à mieux répondre à l'urgence. Que peuvent faire les départements de ce point de vue ? Est-ce le bon niveau de collectivité pour gérer les crises sanitaires ?

Avez-vous le sentiment qu'il y a eu une insuffisance des moyens disponibles, à la fois dans les maisons de retraite et dans l'aide à domicile pendant la crise ?

La Cour des comptes aurait observé un déficit de la coordination en matière gérontologique. Avec les personnels des équipes « APA » (allocation personnalisée d'autonomie), ceux des départements sont l'un des principaux intervenants. Comment peut-on améliorer cette coordination ? Faut-il renforcer le rôle des centres locaux de coordination et d'information gérontologique (CLIC) ? Comment améliorer le repérage des personnes âgées isolées ?

Quels enseignements les départements tirent-ils de la crise ? Quelles mesures peut-on envisager à court et à moyen terme ? Ne faut-il pas prévoir davantage de souplesse de la gestion des heures supplémentaires d'aide à domicile ? A-t-on l'assurance que celles effectuées en août seront payées, et dans quel délai ?

Je donne maintenant la parole à M. Georges Colombier, pour poser la première question des membres de la mission d'information.

M. Georges Colombier - Au cours des deux dernières semaines, j'ai interrogé MM. Mattei, Fillon et Falco sur la prise en charge du risque dépendance par une cinquième branche de la sécurité sociale. Les réponses que j'ai obtenues à ce sujet semblent montrer que les choses évoluent. Quelle est votre position à ce sujet ?

Mme Paulette Guinchard-Kunstler -Très bonne question !

Pensez-vous que vous devez aller plus loin dans les coordinations gérontologiques en termes d'investissements ?

Pensez-vous que vous devez participer à l'évolution du niveau de formation du personnel ? Ce qui me surprend beaucoup dans cette crise, c'est que, malgré leur fort investissement, les intervenants n'avaient pas forcément la bonne information pour bien intervenir. Avez-vous des exemples de conseils généraux qui ont compris et qui se sont investis vite dans la diffusion de l'information ?

Mme Catherine Génisson - Allez-vous conduire un travail d'évaluation de la gestion de la crise, notamment des différentes politiques menées dans les départements et des éventuelles conséquences qu'elles ont pu avoir ? Sans avoir une approche politicienne, il peut être intéressant de voir quelles sont celles qui ont eu des effets positifs.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Comment avez-vous réagi aux remarques de M. François Fillon sur l'absence de rôle des conseils généraux dans la crise ? Il l'avait dit une première fois de façon sibylline, mais il l'a redit plus directement hier, je crois.

M. Michel Mercier - Il a dit qu'il n'avait pas parlé mais que les conseils généraux n'avaient pas parlé non plus.

M. Michel Mercier - Plutôt que de répondre dans l'ordre où les questions ont été posées, je ferai un exposé général que je complèterai dans mes réponses écrites.

Dire que les départements n'ont pas été surpris par la canicule serait idiot : tout le monde l'a été. Avons-nous réagi assez vite ? Probablement pas, pour une raison simple qui va me permettre de répondre à la dernière question de Mme Guinchard-Kunstler. Les départements ne nient pas avoir un rôle à jouer dans l'accompagnement des personnes âgées, mais ils souhaitent, et après cette crise je le revendique en leur nom, avoir une responsabilité, ce qui est tout à fait différent. S'agissant de l'accompagnement des personnes âgées, de nombreux intervenants jouent un rôle, mais il est très difficile de trouver à qui en revient la responsabilité globale. La loi sur l'APA, comme le faisait celle sur la prestation spécifique dépendance (PSD), dispose dans son article 1er que le département a un rôle de coordination. Soit, sauf qu'il n'en a pas les moyens. Je souhaite que demain, peut-être dans le texte sur la décentralisation, on réaffirme le rôle de coordinateur pour les départements, en liaison avec les communes. Il ne s'agit pas de tout faire seul, mais d'avoir la responsabilité, de manière à savoir, en cas de nouvelle crise touchant les personnes âgées, qui est responsable. C'est un premier point qui explique pourquoi les départements n'ont pas plus pris la parole que d'autres. Nous avons plus suivi que prévu et nous avons essayé de comprendre après que les faits se sont produits.

J'insiste sur le caractère extrêmement hétérogène de la situation et sur la difficulté de l'analyse qu'on peut en faire. Je sais que vous avez des contraintes temporelles, mais, pour notre part, nous devons continuer à analyser. Ce que l'on voit dans le Rhône, on le voit dans beaucoup d'autres départements, à savoir une hétérogénéité à l'intérieur même des départements. Mais je dois dire que le phénomène a d'abord été, pour nous, un phénomène urbain, voire parisien, avant d'être réparti également au niveau national. Telle était notre première analyse.

Nous avons maintenant des remontées de pratiquement plus de la moitié des départements. Les Hautes-Alpes, par exemple, n'ont enregistré aucun décès supplémentaire. Globalement, on ne retrouve pas les chiffres annoncés nationalement. Nos chiffres sont-ils inexacts ? C'est probable. Ceux qui ont été annoncés sur le plan national sont-ils inexacts ? C'est tout aussi probable. C'est d'ailleurs l'un des problèmes auquel on se heurte toujours sur les questions sociales : l'appareil statistique n'est pas excellent. Voilà les premières analyses que l'on peut faire de ce que l'on constate.

Quelles sont les leçons que l'on peut tirer de la surmortalité constatée dans le pays et du rôle de chacun ?

Pour les personnes âgées qui ont choisi de vivre en établissement, il est évident que nous devons continuer la médicalisation des établissements. Ces personnes y rentrent de plus en plus âgées, dans un état général de plus en plus délabré. J'avoue que j'ai un peu changé d'idée. Je me demande si l'on peut distinguer toujours ce qui relève de la dépendance et ce qui relève des soins. Cette distinction est intellectuellement séduisante ...

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Artificielle !

M. Michel Mercier - Non pas artificielle, difficile à mettre en pratique. On ne sait pas si c'est l'é avons besoin de réhabiliter la gériatrie comme grande discipline médicale, de former les médecins de ville à assurer des soins aux personnes âgées en période aiguë de maladie.

Je ne suis pas sûr qu'on ait besoin de garder beaucoup de lits de long séjour dans les CHU pour des soins qui sont aussi bien apportés dans les établissements spécialisés. En revanche, il me semble plus approprié d'avoir une sorte de médicalisation courante pour les personnes âgées en établissement, qui se confonde peu ou prou avec la prise en charge de la dépendance. Cela nécessiterait d'établir un prix global pour les deux. Là, se pose les questions de savoir qui paie, comment, que devient l'APA (versée à l'établissement), que deviennent les crédits de l'assurance maladie ? J'aurais d'autres propositions, si elles vous intéressent, sur ce point. Vous le savez tous comme moi, parce que vous êtes des spécialistes, la crise durable de l'assurance maladie doit nous conduire à essayer de bien sérier les choses. Je pense qu'il faudrait, s'agissant des personnes âgées, déléguer aux départements la charge de payer aussi bien les soins que la charge de la dépendance à travers l'APA et à travers des crédits qui pourraient venir peut-être de l'assurance maladie - mais cette contribution serait faible. Il serait alors justifié que les départements reçoivent un financement provenant de la CSG, à travers un fonds national qui pourrait s'occuper de la péréquation. Il s'agirait d'identifier et de pérenniser le financement de la dépendance. On le voit bien, cette année, il n'est encore pas pérenne malgré les efforts des gouvernements qui l'ont soutenu.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - On va passer là-dessus, si vous le voulez bien.

M. Michel Mercier - On ne part jamais battu, madame la secrétaire d'Etat, vous le savez bien.

Aujourd'hui, on voit bien qu'il faut financer l'APA, que ce n'est encore pas fait, que l'emprunt n'a pas pu encore être levé. Il le sera dans quelque jours, le décret va sortir, mais on est presque à la fin de l'année. L'année prochaine, il faudra retrouver un mode de financement qui sera probablement aussi acrobatique que celui de cette année, compte tenu de la situation budgétaire et des finances sociales de notre pays. Je souhaite et je dis que les départements sont prêts à assumer leur part du financement de tout cela, si on leur assure une part de CSG.

Je suis très hostile au « cinquième risque » tel qu'il est parfois entendu, pour une raison simple. S'agissant des personnes âgées, il faut, bien sûr, financer, mais il faut avant tout faire, organiser. Il n'a jamais été dans la logique des organismes de sécurité sociale de faire des choses ou de les coordonner. Leur spécialité, c'est de payer, de rembourser. Or, ce qui compte d'abord, en établissement mais plus encore à domicile, c'est d'organiser autour de la personne âgée un réseau gérontologique, une permanence de gens de métiers divers mais nécessaires : le portage de repas dans la commune, l'association fournissant l'aide

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Je resterai sur une question que j'ai posée. Ce qui s'est passé cet été nous conduit à nous interroger fortement sur le niveau de connaissance et de formation à avoir. C'est une vraie question qui est posée aux départements. Sont-ils prêts à participer à l'évolution des qualifications, notamment en payant des formations, y compris à l'enjeu de la recherche sociale ? Cela me semble vraiment très important. J'aimerais savoir si vous avez eu une discussion à ce sujet et si vous y êtes prêts. J'aimerais également savoir si ce que vous venez de nous dire est la position globale de l'ADF ou si c'est la vôtre, monsieur Mercier.

M. le président de la mission d'information - Merci encore, monsieur Mercier.

*

* *

XXII. Audition de M. Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France (FMF), de M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), de M. Pierre Costes, président de Médecins généralistes de France (MG France) et de M. Martial Olivier-Koehret, premier vice-président de MG France.

(séance du mercredi 17 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Pour commencer, j'aimerais savoir comment vous avez vécu la crise, et comment vous avez ressenti le rapport Lalande et les attaques portées contre le corps médical selon lesquelles certains médecins libéraux n'auraient pas assumé les gardes qu'ils devaient faire au moment de la canicule. L'objet de cette mission d'information est de poser des questions. Certains d'entre nous ont, en particulier, été surpris par un document du Conseil de l'Ordre indiquant que des dysfonctionnements avaient pu apparaître à certains endroits.

M. Georges Colombier - De toute évidence, il a manqué de clarté dans la coordination entre les différents acteurs de la santé en France. Je ne vise pas les médecins en particulier. A partir de ce qui s'est passé cet été, quels enseignements peut-on tirer sur le Centre 15, au-delà même de la période de canicule ?

Mme Catherine Génisson - Différents rapports et les médias se sont fait l'écho de l'absence relative des médecins généralistes, appréciation que je ne partage pas. Je ne vais pas parler de la situation du Pas-de-Calais, laissant à ceux qui la connaissent bien le soin de la décrire. Cela me permet, d'ailleurs, de répondre à M. Georges Colombier que, quand le Centre 15 est correctement mis en place, en associant dès le départ les médecins libéraux et les médecins hospitaliers, cela conduit sans doute à avoir de meilleures relations, une meilleure coordination et à aller plus loin dans l'imbrication des tâches des uns et d connaître les enseignements que vous tirez de ce qui s'est passé sur le fond et, pour rebondir sur la question de M. Denis Jacquat, savoir comment les médecins généralistes ont vécu ce drame.

M. Georges Colombier - Je tiens à préciser que ma question ne tendait absolument pas à mettre en cause les médecins généralistes, seulement un manque de coordination, en particulier au niveau du Centre 15, m'appuyant sur ce que j'ai vécu, non pas pour des personnes âgées dépendantes mais pour certains malades, et ce durant l'été.

M. Jean-Marc Roubaud - Le fond du problème est que personne n'a anticipé ce qui s'est passé. Cela me conduit à vous interroger sur le problème général des gardes de médecine de ville. Pensez-vous que le système en place actuellement est à réformer ?

Par ailleurs, pensez-vous que la médecine libérale doive être associée aux systèmes d'alerte nationaux pour faire face à des problèmes imprévus ?

M. Jean-Marie Rolland - Quel est votre avis s'agissant du décret préparant l'organisation de la permanence des soins qui est paru hier ?

M. le président de la mission d'information - C'est une bonne question que volontairement je n'ai pas posée car notre mission ne concerne que la période de la canicule. On peut toutefois penser que ce décret a été rédigé à la suite de cet événement et j'aurais sans doute fini par vous interroger à ce sujet.

La mission d'information n'a pas encore rendu de conclusions mais on peut déjà avancer que, d'une part, s'il y a eu un pic de surmortalité important au mois d'août, et pour certains même déjà en juillet, il devrait être suivi d'une sous-mortalité dans un deuxième temps, d'autre part, que les gardes effectuées par les médecins sont un problème sensible. Je suis moi-même médecin spécialiste mais j'ai effectué beaucoup de gardes en tant que généraliste remplaçant. Il est certain que devoir assurer des gardes pendant toute sa carrière n'est pas évident : on travaille la nuit, mais on doit aussi assumer le travail le jour.

M. Jean-Claude Régi, président de la Fédération des médecins de France (FMF) - Le drame sanitaire que vient de vivre notre pays, s'il est révélateur de carences notoires, a mis aussi en évidence les différences tout aussi avérées qui existent entre Paris et le reste de la France. Les habitants de Paris ont été plus atteints, semble-t-il, que ceux des autres grandes villes de France. Avec 280 places pour 1 000 personnes âgées dépendantes, Paris dispose de moitié moins de places que dans la grande couronne parisienne, la moyenne nationale se situant autour de 500 places de personnes âgées dépendantes pour 1 000 personnes. Cette carence est tout à fait préjudiciable aux personnes âgées fragilisées qui, si elles ne se ne favorise pas du tout l'exercice libéral de la médecine générale dans Paris. Pendant ce temps, la fréquentation des urgences dans les hôpitaux de l'Assistance publique progresse d'environ 5 % par an. Les services des urgences deviennent en fait le médecin généraliste pour toute une frange de la population. Cette fréquentation ne cessera de croître si l'on ne propose pas d'autre alternative.

Faut-il donner plus de moyens aux services des urgences, comme certains le réclament ? Ce n'est pas uniquement ainsi que l'on résoudra le problème, car les hôpitaux ne manquent pas essentiellement de moyens et les urgences fonctionnent plutôt bien. Mais elles sont mal utilisées, encombrées par des patients qui ne devraient pas s'y trouver. Plus de 90 % des passages aux urgences ne donnent pas lieu à une hospitalisation. Or les urgences coûtent cher, très cher. Faudra-t-il arriver à faire payer à son coût réel ce service qui est galvaudé ? Les médecins libéraux peinent pour assurer des gardes et astreintes et il serait opportun de ne plus être insensible à leur demande en proposant une offre alternative correctement rémunérée.

On réclame plus de moyens pour les urgentistes hospitaliers alors que la mise en place des trente-cinq heures à l'hôpital est en décalage total avec la réalité des hôpitaux et a conduit notre pays à une pénurie administrative de main-d'œuvre qualifiée. Ce ne sont pas les moyens qui manquent aux hôpitaux, mais la souplesse. La réponse à apporter à la crise que nous venons de vivre doit se situer en amont des services hospitaliers. Aujourd'hui, les dépenses de santé filent alors que le gouvernement a réduit l'allocation personnalisée d'autonomie permettant une prise en charge à domicile des personnes âgées dépendantes. C'est, semble-t-il, l'inverse qu'il aurait fallu faire en mettant en œuvre, de la manière la plus large possible, une politique de maintien à domicile des personnes âgées.

Le déficit de l'assurance-maladie, comme le drame sanitaire lié à la canicule, viennent nous rappeler la crise de notre système de santé qui n'a pas besoin de replâtrage mais de réforme. Le temps n'est plus à la démagogie ou à la création d'une cinquième branche de la sécurité sociale. Nous avons tous des droits et des devoirs ; il faut aujourd'hui clairement définir ceux des médecins mais aussi ceux des patients. On ne pourra pas toujours avoir tout et n'importe quoi, toujours plus de prestations de qualité coûteuses et moins de cotisations dans un contexte de population vieillissante qui, précisément, a besoin de toujours plus de soins. Il faudra bien définir le rôle des médecins de ville en revalorisant leurs actes. Il serait cependant extrêmement réducteur de résumer la prise en charge des personnes âgées au seul problème de la rémunération des médecins libéraux.

Une des raisons, nous semble-t-il, de la catastrophe sanitaire liée à la canicule, c'est le cloisonnement des différents intervenants et le manque de coordination entre les différentes structures. Le problème ne peut & témoignages, ce qui aurait gravement retenti sur le fonctionnement des urgences. Des affirmations aussi péremptoires mériteraient mieux que l'évocation de « nombreux témoignages » car il serait aisé de procéder de la même manière pour dire le contraire et de citer, par exemple, le témoignage de ce médecin inspecteur de santé publique à la DDASS du Morbihan, l'un des premiers à avoir donné l'alerte dans le pays pendant la canicule, et qui estime que « quand les malades ont appelé les médecins libéraux, ils sont venus ». Il serait souhaitable d'analyser des faits observables dans le temps, comme le nombre de généralistes ayant transmis des feuilles de soins électroniques durant le mois d'août 2003 - environ 46 000 -, nombre quasiment identique à celui des mois de juin et de juillet. Non, les médecins généralistes libéraux n'acceptent pas d'être des boucs émissaires. Aujourd'hui, le phénomène climatologique naturel de la canicule, excessif cet été, est en passe de devenir le bourreau des médecins qui assurent la continuité des soins, qu'ils soient urgentistes ou généralistes.

La canicule et les éléments médiatiques autour de ce phénomène n'ont fait que confirmer cet été, malheureusement et une fois de plus, que les médecins sont devenus l'exutoire d'une société angoissée, sans repère, sans plus aucun droit à la responsabilité et condamnée à se trouver des boucs émissaires ou des sauveurs à tout problème simple. De quoi s'agit-il ? De la mort de personnes âgées fragiles, plus âgées en vieille Europe et particulièrement en France, dans une société de plus en plus angoissée par la mort et de moins en moins apte à assumer individuellement les conséquences des actes simples pour lesquels elle démissionne et se décharge sur la collectivité, par défense contre la culpabilité qui en découle. Non, les médecins n'ont pas failli. Ils ont répondu présents chaque fois qu'on a fait appel à eux, et malgré leurs difficultés grandissantes que le système de soins se refuse à voir par faiblesse ou lâcheté. Le dire devient de plus en plus difficile, les mots devenant les symptômes des non-dits. Combien de temps les médecins tiendront-ils ? A quand la réalité ? Oui, la société défaille. Elle perd la tête, croyant avoir du cœur, celui des autres qu'elle utilise.

M. Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) - Je ne pourrai, pour l'heure, que vous livrer quelques mots de bon sens, des impressions personnelles, mais aussi celles recueillies de témoignages de nombreux médecins. Je me garderai bien de toute considération d'ordre scientifique, l'humilité nous obligeant à reconnaître que nous sommes bien incapables, les uns et les autres, même au moment où l'on parle, avec un certain recul, d'une part, de savoir très exactement ce qui s'est réellement passé, d'autre part, d'avoir des statistiques dignes de ce nom.

Depuis des années, nous disons que nous manquons dans notre pays d'un système d'information impartial, de chacun des Français, une certaine humilité.

Nous avons eu à faire à une catastrophe sanitaire sans précédent, avec une cause exceptionnelle, sans précédent également, en tout cas de mémoire d'homme : la chaleur. Comme dans toute situation exceptionnelle, les plus fragiles sont forcément les plus vulnérables. On avait un peu oublié que les individus les plus fragiles de notre population, et ils sont de plus en plus nombreux, sont les personnes âgées. L'espérance de vie ne cesse d'augmenter, d'un an tous les quatre ans ce qui est une performance. C'est un des progrès immenses du XXème siècle d'avoir permis à nos compatriotes d'avoir une longévité qui n'a d'égale que celle du Japon, notamment pour les femmes françaises. Le revers de la médaille, c'est que les gens qui deviennent vieux, d'abord, coûtent cher - c'est une évidence - parce qu'ils sont malades, mais aussi parce qu'ils sont beaucoup plus fragiles. Le moindre déséquilibre, aussi faible soit-il, déstabilise profondément ces personnes sur le plan médical et entraîne souvent ce que nous venons de connaître. On le constate dans d'autres circonstances, pas seulement liées à la chaleur.

Le nombre de morts, vous l'avez dit, a augmenté au cours de l'été. Mais attention, il ne faut pas faire d'extrapolation pour l'avenir. La mortalité en 2003, les statistiques nous le diront ultérieurement, ne sera pas forcément augmentée d'autant. Nous avons assisté, en tout cas c'est notre impression puisqu'on ne peut parler que d'impression, à une mort prématurée de certaines personnes très fragiles plutôt qu'à une surmortalité ajoutée due aux événements de l'été. Notre expérience nous permet de dire qu'un grand nombre des personnes décédées cet été avaient une espérance de vie tout de même extrêmement limitée. Certes, les jours de vie n'ont pas de prix, mais il faut quand même avoir conscience de ce phénomène avant de porter un jugement à l'emporte-pièce.

Je note par ailleurs, et je ne suis pas le seul, un certain nombre de faits curieux. Le premier, c'est que l'on a eu à faire à un phénomène plutôt citadin, voire francilien, se produisant plutôt dans le Nord et épargnant plutôt le Sud. Dans les grandes métropoles du Sud telles que Marseille, Nice ou Toulouse, où la chaleur s'est bien fait sentir, la mortalité n'a pas été ce qu'elle a été en Ile-de-France ou dans d'autres métropoles. On note également que les problèmes de permanence des soins et de démographie qui peuvent exister se posent plutôt en zone rurale qu'en zone urbaine. Or, précisément, ce n'est pas en zone rurale qu'il y a eu le plus de problèmes. Ce sont des éléments troublants.

S'agissant des centres de régulation des appels urgents, je n'ai pas apporté les chiffres mais je pourrai vous les fournir. Nous notons que, pour les départements du Val-d'Oise et du Val-de-Marne où les gens qui régulent sont des médecins libéraux, tous les témoignages montrent que le nombre d'appels de détresse émanant du public n'a pas considérablement entière de tous les maux, il y a des choses qui ne sont pas exactes. Malheureusement pour ceux qui ont trouvé un bouc émissaire facile, heureusement pour les médecins. Ils sont partis en vacances peut-être, mais pas plus que d'habitude et pas particulièrement au mois d'août. En tout cas, ils ont assuré une présence pendant le mois d'août. Des témoignages vous seront fournis tout à l'heure, je ne développe pas le sujet, mais il est important.

Cela dit, en tant que représentant du principal syndicat de médecins, j'ai le devoir de vous dire, d'ailleurs, vous m'avez posé la question, comment nous avons vécu le rapport Lalande, en particulier les accusations proférées à notre encontre. Je ne trouve pas d'autre mot pour dire que nous sommes scandalisés par ces accusations qui reposent sur des « témoignages concordants » à partir desquels sont tirées des extrapolations sur la France entière. Pour ma part, j'ai essayé de rester humble, sans verser dans le scientifique. Mais s'appuyer sur des ragots et des potins pour dire que les médecins sont partis en masse au mois d'août, plantant leurs malades et les abandonnant à leur sort est tout à fait excessif et inacceptable.

Est-il besoin ici de rappeler que les médecins libéraux, en particulier les médecins généralistes, font partie des Français qui - avec vous, je le sais - travaillent le plus ? La moyenne est fournie par les statistiques de la DREES qui ont été publiées l'an dernier. Elle est très claire : 58 heures en moyenne hebdomadaire, sans les gardes. Je n'ai pas l'impression que la population française dans son ensemble se dirige dans ce sens. En matière de travail hebdomadaire, les médecins libéraux ne bénéficient pas des mêmes avantages que le reste de la population et que leurs confrères hospitaliers qui, eux, sont aux trente-cinq heures. Il n'est pas question, en médecine libérale, de repos compensateur. Cela a été évoqué ici ou là. Lorsque vous travaillez de nuit, cela suit une journée entière de travail, et cela précède une autre journée entière de travail. C'est non-stop. Lorsque vous êtes de garde un week-end, vous prenez votre garde à vingt heures le vendredi soir, vous êtes sur le pont jusqu'à huit heures le lundi matin. Vous avez travaillé toute la semaine sans discontinuer et vous travaillez la semaine qui suit de la même façon. C'est un système qui a fonctionné jusqu'ici sans que personne n'y trouve trop à redire, y compris les médecins qui assumaient cette responsabilité avec une certaine fierté. Compte tenu de l'évolution de la société, il ne pouvait pas ne pas y avoir de répercussion directe sur le monde libéral. Et ce ne sont pas seulement les médecins qui sont touchés ; la plupart des professions libérales ont ressenti un effet boomerang des législations récentes et de l'évolution générale de la société. C'est peut-être un bien, je n'en sais rien, je ne porte pas de jugement. Toujours est-il que c'est une nouveauté qui a été largement exprimée à travers le mouvement des médecins généralistes en 2001 et 2002, comme vous l'avez certainement entendu.

Quoi qu'il en soit, je peux en t&ea remplacer. Nous n'avons pas de problème de remplacement à Paris. Demain, si vous voulez, vous trouvez un remplaçant.

Mme Catherine Génisson - Vous avez de la chance !

M. Michel Chassang - Le problème se pose plutôt dans les zones rurales et les zones éloignées. Dans mon Cantal, pour trouver un remplaçant, il faut faire des pieds et des mains. Lorsque je suis parti en vacances au mois d'août, je n'ai pas trouvé de remplaçant. J'ai été obligé de m'entendre avec un confrère qui est installé à côté de chez moi. Mais dans les grandes villes et les grandes agglomérations, vous avez un remplaçant attitré à l'année. Il est beaucoup plus facile dans une ville universitaire, notamment Paris, de trouver un remplaçant. Là aussi, vraiment, c'est un faux problème qui ne reflète pas la réalité.

La catastrophe, puisqu'il s'agit d'une catastrophe, doit être, à mon avis, déconnectée du problème de la permanence des soins. La permanence des soins consiste à faire face à des demandes de soins non programmées dans un système normal. Quand on a à faire à une catastrophe, excusez-moi, c'est un plan de secours qu'il faut mettre en œuvre. Ce n'est, de toute façon, pas le système existant, aussi performant soit-il, qui peut être de nature à apporter une réponse satisfaisante. Il faut que les choses soient claires. Or personne n'avait vu venir le problème. C'est bien beau de se demander a posteriori, surtout pour ceux qui étaient en vacances d'ailleurs, comment il se fait qu'on n'ait rien vu. Eh bien non, on n'a pas vu. Nous n'avions pas vu non plus, dans nos cabinets, ce qui se passait, pour les raisons que j'ai essayé de vous expliquer, mais surtout, nous n'avons pas de système d'information. On n'utilise pas assez, tant au niveau de l'information que du recueil d'information, le système de veille potentiel que pourrait constituer la médecine générale de proximité, qui compose un maillage formidable sur l'ensemble du territoire.

Ne jouons pas au jeu bien français de « la patate chaude ». N'ayons pas non plus recours à l'autre technique, bien française aussi, du bouc émissaire. « C'est pas moi, c'est l'autre » : tant que l'autre est accusé, on est tranquille soi-même. Dans cette affaire, tout le monde est responsable. Nous assumons notre part de responsabilité, comme l'ensemble des Français, là n'est pas la question. Mais, et c'est un médecin de famille qui vous le dit, un élément essentiel a joué dans cette affaire, c'est le problème, que nous connaissons bien mais qui est difficile à résoudre, de la solidarité intergénérationnelle. Lorsque cette solidarité s'exerce, les personnes sont beaucoup mieux prises en charge au quotidien. Les personnes âgées qui ont été entourées, bichonnées, que l'on a fait boire, auxquelles leur famille a témoigné de l'attention, s'en sont mieux sorties que celles qui étaient délaissées, que l'on n'est même pas venu chercher lorsqu'elles étaient décédées. Il ne s'agit pas là de rejeter la responsabilité sur les familles, de les culpabiliser. Nous au mois, à des colloques où des économistes de la santé s'évertuaient à me faire croire que le déterminant vieillissement dans l'évolution des dépenses de santé était mineur. Non, il n'est pas mineur, il est même majeur. Deuxième enseignement, les dépenses de santé ou d'assurance-maladie ont vocation à augmenter. Cela paraît peut-être aussi évident. Mais je me souviens d'une période relativement récente où, dans un magnifique consensus, on mettait en place une maîtrise comptable dans ce pays visant à geler les dépenses, en ne se préoccupant absolument pas de celles-là et en méconnaissant le fait que, de toute façon, elles avaient vocation à augmenter. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas lutter contre les gaspillages, ce n'est pas le sujet, mais on peut en débattre si vous le souhaitez.

La mise en place concrète sur le terrain d'une organisation de la permanence des soins est souhaitée depuis longtemps par la profession, vous le savez. Le décret modifiant l'organisation sur le plan départemental de la permanence des soins autour des CODAMU, qui a été publié hier, va dans le bon sens. Il est d'ailleurs issu de la mission Descours à laquelle nous avons participé pendant plus d'un an, qui elle-même a fait suite au mouvement des médecins généralistes de l'an dernier. C'est un premier maillon. Le problème maintenant, c'est de trouver l'argent. C'est bien de mettre en place une organisation, mais il va falloir trouver des moyens financiers pour la faire fonctionner, pour rémunérer les médecins qui assurent les gardes et pour rémunérer les structures d'accueil du système.

Pour terminer, je répète que, à mon avis, ce qui mérite d'être fait en urgence, au-delà de la mise en place de la permanence des soins, c'est surtout la construction dans notre pays d'un véritable système d'information, à long terme bien sûr, disponible par tous, d'un système d'alerte qui nous permette d'avoir une information en temps réel sur ce qui se passe sur le terrain. Il y a eu la canicule, il y aura sans doute d'autres événements catastrophiques qu'il s'agira de gérer.

M. Pierre Costes, président de Médecins généralistes de France (MG-France) - Vous nous avez demandé comment nous avions vécu la crise, le rapport Lalande et les attaques portées contre le corps médical. Je m'en tiendrai aux faits. La crise, les professionnels l'ont vécue en prenant conscience, comme le reste de la population, que l'on passait progressivement d'une situation pas normale à anormale, puis à catastrophique. Chaque médecin individuellement voyait l'état de santé des personnes par son petit bout de lorgnette et n'était pas capable d'appréhender globalement le niveau catastrophique de surmortalité. Un généraliste constate en moyenne dans l'année six décès, environ un tous les deux mois. S'il voit un décès deux mois de suite ou trois mois de suite, cela représente pour lui 100 % d'augmentation, mais ce n'est pas révélateur d'un constat général de tous les médecins. Ils n'ont donc pas conscience, pas plus que le système, de l'état catastrophique de la situation tant qu'il n'y a pas débordement.

Le travail que nous essayons de faire pour votre mission d'information c'est de vous donner des faits. Ulcérés par l'accusation selon laquelle les médecins étaient massivement en vacances, nous avons sorti des éléments, notamment sur la télétransmission des feuilles de soins. Le mois d'août 2003 montre-t-il une sous-activité par rapport aux autres mois ? Non ! Les chiffres existent, nous les avons déjà donnés et nous vous les donnerons, sur la réalité des soins. Il faut approfondir l'information pour pouvoir vous former un jugement.

Nous sommes allés chercher des éléments de la garde médicale sur Paris. L'activité de SOS-Médecin était-elle différente en juin 2003 par rapport à juin 2002 ? En août 2003 par rapport à août 2002 ? Je crois que vous les avez reçus avec leurs chiffres. L'activité de juin et juillet 2003 a été inférieure à celle de juin et juillet 2002, celle d'août 2003 est supérieure de 6 % à août 2002. Ces informations sont à étudier en fonction des variations saisonnières d'activité, des périodes de vacances, qui peuvent occasionner des modifications allant jusqu'à 2 %. Quoi qu'il en soit, tout cela va à l'encontre de l'idée de la démission et de l'absence de réponse. Nous avons également pris les chiffres de la Garde médicale de Paris (GMP), et ceux de l'Assistance médicale de Paris. Ces trois sources nous renseignent à peu près sur la capitale. Pour la GMP, 1 800 appels. Quel est le pourcentage de non-réponse de la garde, incapable de fournir et renvoyant à un tiers ? Quelle est la proportion de certificats de décès ? Deux cents sur 1 800 appels. Dans une crise, le nombre de certificats de décès est important. Si l'on dit qu'on manque de médecins, doit-on les concentrer sur les soins ou non ?

S'agissant des consignes ministérielles et des voies qu'elles empruntent Quel était le niveau d'information des médecins sur le risque de mort, leur connaissance médicale du phénomène ? Les généralistes ne travaillent pas en théorie. Ils n'intègrent pas la température extérieure à 35 degrés comme un élément de risque de mort. Mais quotidiennement, ils ont constaté que la chaleur déstabilise les malades, les traitements antihypertenseurs, les hypokaliémies, tous les effets habituels de la chaleur. Ils ont augmenté leur activité parce qu'ils ont vu que leurs malades se décompensaient ou allaient plus mal, mais ce n'était pas l'hécatombe autour d'eux. Je ne pense pas qu'on avait a priori l'information - maintenant, on l'aura - que cela pouvait prendre des proportions aussi catastrophiques.

Les médecins libéraux sont-ils associés au système d'alerte ? Non. Doivent-ils être associés ? C'est fondamental. Nous disons que le système de santé est un iceberg dont la partie visible est la seule fonction publique hospitalière. C'est d'ailleurs la seule à être auditée. Quand elle déborde, que les urgences sont encombrées et que les morts s'entassent dans les couloirs, il est beaucoup trop tard. Nous disposons déjà d'un modèle de surveillance de l'état sanitaire de la population : le système de l'INSERM 444, autrement appelé le réseau Sentinelles. Quand on étudie la grippe, on ne suit pas les décès à l'hôpital liés à cette affection. Il y a chaque année pratiquement autant de surmortalité par la grippe qu'il y en a eu par la canicule, mais on n'attend pas de constater à l'hôpital le décès des personnes fragiles pour dire qu'il y a une épidémie. On met le thermomètre sur les premiers symptômes, non pas sur la conséquence finale. Or la catastrophe c'est cela : on a observé le bout de la chaîne et on en a déduit une gestion catastrophique, politique, sociologique, émotionnelle d'une société entière.

Pour les maladies infectieuses, il y a des réseaux de médecins généralistes - volontaires, qui plus est - qui, toutes les semaines, communiquent l'état sanitaire de la population en matière de grippe, de rougeole, de varicelle, de certains éléments à surveiller. Pour la grippe, le médecin est incapable individuellement de savoir si l'épidémie a démarré. Ce sont les statistiques qui le montrent. Il voit deux cas de grippe dans la semaine ; il signale deux cas de grippe. S'il en voit un ou trois, il est incapable de savoir s'il y a une épidémie. Les statistiques compilées montrent et permettent de suivre, région par région, l'apparition des cas de grippe et le moment où l'on arrive au seuil épidémique qui est de six cas par généraliste observant par semaine. Là, on met le thermomètre au bon endroit. L'information qu'individuellement le médecin ne peut pas avoir est analysée, diffusée auprès des professionnels, dans les médias grand public, avec des cartographies de répartition région par région, au fur et à mesure de la progression. C'est ainsi que les professionnels sont informés.

L'association des médecins libéraux, en tout cas du système ambulatoire, composé pour l'e rapport à août 2002 une différence telle qu'elle pourrait révéler une défaillance du système. Vous devriez interroger les responsables de ces services statistiques, mais je peux vous dire qu'il n'y a pas un iota de différence. Il y a, certes, un dysfonctionnement visible du système, mais la catastrophe ne concerne pas en masse les soins à la population.

La permanence des soins est l'élément qui permet d'emblée de désigner le coupable. Si des malades arrivent à l'hôpital, ce n'est pas nécessairement car il y a une défaillance en amont. En amont, les malades sont plus nombreux et, à un moment donné, certains vont à l'hôpital parce que c'est quand même le travail de l'hôpital de les recevoir en cas de besoin. Sur cet élément de la garde, j'engage la mission à aller chercher des informations. Depuis la création de l'astreinte, dans tous les départements, on visualise le rôle considérable des médecins généralistes. Ce n'est pas l'astreinte conventionnelle qui crée la garde, elle ne fait que la rendre visible. Ce n'est pas parce qu'on paie des gens à une fonction que cela crée la fonction. Cet élément-là est observable dans tous les départements. Nous vous avons apporté l'exemple de deux départements qui auditent en permanence la santé de toute la population, la présence médicale, l'action du service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR), le nombre de médecins de garde par secteur, les journées, et j'en passe. Nous avons pris l'exemple de la Lozère. Dans presque tous les départements, les caisses primaires et les médecins de MG ou des Comités départementaux de l'aide médicale urgente et des transports sanitaires CODAMU, là où cela fonctionne, ont commencé ce travail depuis maintenant un an. Ce sont des éléments objectifs qui montrent que le système est présent. Il y a, certes, des dysfonctionnements, des trous, mais les trous ne sont pas le système. Le système de garde existe mais, en dehors de la garde, les médecins travaillent aussi en plus. Le dimanche, par exemple, environ 12 000 médecins généralistes pratiquent des actes, sont présents auprès de leurs patients. Dans un système de garde, ils sont 2 500 à assurer 3 000 tours de garde publique à déclenchement territorial, régulé ou pas régulé. C'est une mission de service public que le décret vient de reconnaître et qui ne décharge en rien les généralistes d'assumer la continuité des soins auprès de leurs patients. Cela, on le constate dans les chiffres, Paris compris : SOS Médecins, l'Assistance médicale de Paris et la Garde médicale de Paris font des gardes publiques, c'est-à-dire du tout-venant envoyé par le Centre 15 et autres. Mais prenez donc les statistiques du nombre d'actes effectués par les généralistes à domicile, la nuit ou le dimanche sur Paris. Il est considérable. Les généralistes sont généralement deux ou trois fois plus nombreux que les médecins de garde.

La réalité, c'est que l'activité de la médecine générale, et c'est aussi valable pour les infirmières, les pharmaciens et tous les professionnels de santé qui soignent les gens, est invisible. Or, très souvent, les opinions négatives sont fondé pouvez utiliser. Il y a une carte générale et on peut zoomer sur des communes et voir le nom du médecin de garde, son numéro de téléphone, le numéro unique, les permanences. L'élément politique fort, c'est que les professionnels ont envoyé cela à tous les CODAMU, à tous les préfets, aux DDASS. La dernière mise à jour a été transmise le 26 mars 2003. Nous leur avons demandé de bien vouloir étudier le secteur qui les concernait, d'y apporter les corrections nécessaires pour que nous puissions leur renvoyer des patchs de mise à jour. Certains l'ont fait, d'autres nous ont répondu : « Qu'est-ce qu'on en a à fiche de cela ? ». L'autorité publique, dès le mois d'avril-mai, disposait de l'ensemble des éléments qui permettent de peaufiner l'organisation de la garde. On peut dire que la profession a organisé la permanence des soins depuis longtemps. Elle essaye de la faire évoluer d'une astreinte pour ses propres patients à une astreinte de service public. Pour cela, elle a négocié des contractualisations, certes discutables, avec l'assurance-maladie, mais ne s'est pas dérobée à cette mission de service public. Elle a fourni aux autorités départementales des outils. Voilà pourquoi nous n'acceptons pas la culpabilité, parce que la profession n'a pas failli, même dans son organisation. En contrepartie, qu'ont fait de cet outil les départements et les CODAMU ? L'ont-ils utilisé dans leurs travaux prévisionnels sur l'organisation de la garde ? Certains oui puisque nous avons des demandes de modifications, certains non.

M. le président de la mission d'information - Vous avez raison de faire passer des messages, mais je souhaite que nous restions dans le cadre de la canicule.

M. Pierre Costes - Ce n'est pas un message, Monsieur le Président.

M. le président de la mission d'information - Il y a des messages sur l'organisation générale de la garde, je le comprends bien. Il est extrêmement important pour nous d'avoir des précisions à propos du document figurant dans le rapport Lalande, qui émane du Conseil national de l'Ordre des médecins et qui, avec une nuance, indique : « Cependant, le conseil national de l'ordre des médecins relève des dysfonctionnements dans certains secteurs où des médecins semblent avoir basculé les appels des patients vers le 15 et/ou ont refusé de prendre leur garde, saturant les services des urgences en aval. Ces problèmes ont surtout eu lieu dans les ensembles urbains ». Vous l'avez parfaitement bien expliqué. Dans le cadre de la mission d'information, nous sommes là pour écouter. Vous avez parfaitement raison de nous dire comment cela fonctionne. Vous avez tous bien expliqué que, dans le cas particulier, la garde était assurée et que, s'agissant de la surmortalité, il n'y a pas eu beaucoup plus de décès constatés lors des visites des médecins à domicile avant qu'après. Il serait très intéressant que vous nous précisiez si vous avez constaté ce petit différentiel, à domicile ou en établissement. Avez-vous parallèlement constaté un affaiblissement beaucoup plus important, une détérioration ou un début de syndrome de glissement chez certaines personnes ? Il est & size: 10pt">M. Pierre Costes - Il y a une suractivité évidemment importante. Mais la surmortalité, quand vous voyez généralement un mort tous les deux mois, puis un ou deux par mois, vous n'avez pas conscience de ses proportions.

M. le président de la mission d'information - J'ai bien compris, et vous avez fait le parallèle avec la grippe. Je me souviens moi-même de remplacements de médecine. Lorsque vous êtes de garde, si vous avez plusieurs appels successifs pour des personnes qui ont beaucoup de température et des frissons, vous vous attendez à trouver de nouveaux cas de grippe. Dans le cas présent, quand vos médecins ont été appelés en urgence - même si une visite est toujours urgente pour la population -, avaient-ils à l'esprit qu'ils allaient encore trouver un mort ?

M. Pierre Costes - Ils se disaient : « Je vais encore trouver une conséquence de la chaleur », pas un mort. Des pathologies liées à la chaleur, oui, évidemment.

M. le président de la mission d'information - Vous attendiez-vous à intervenir plutôt sur des personnes âgées ? Ce phénomène de chaleur, vous l'avez dit tous les trois, était mal connu de nous au départ. Les cas d'hyperthermie étaient rares. Ce sont surtout des problèmes de décompensation qui sont apparus au fil du temps. Il nous semble que les pathologies que vous avez rencontrées concernaient plutôt des personnes d'un certain âge, pas les enfants, alors que, quand on parle de chaleur, on pense toujours aux enfants et aux personnes âgées.

M. Michel Chassang - Il y a eu des enfants.

M. le président de la mission d'information - Je vous pose la question parce que la mission d'information a été constituée au départ à cause du phénomène de surmortalité. Il s'agit pour nous d'en chercher les causes et les conséquences dans le domaine social et sanitaire. Certains axes commencent à se dégager et, sans vous donner les conclusions, il s'avère que la surmortalité concerne quasi essentiellement des personnes d'un certain âge qui avaient déjà des troubles pathologiques auxquels pouvaient s'ajouter des petits problèmes iatrogènes. Mais, s'agissant de bébés décédés dans le cadre de la surmortalité, jusqu'à aujourd'hui, je parle sous le contrôle de mes collègues, on nous a signalé un cas, si j'ai bonne mémoire.

M. Michel Chassang - C'est complètement normal. Nous avons assisté, comme tous les étés lorsqu'il y a des coups durs, à une surpathologie liée à la chaleur chez toute la population. Cela a eu des répercussions particulières chez les personnes âgées mais chez les enfants aussi, sans qu'il y ait d'issue fatale parce que les organismes sont beaucoup plus résistants.

Mme Catherine Génisson - Ce renseignement est tout à fait essentiel. Sans parler de décès, ce dont nous nous réjouissons, l'augmentation massive d'hosp prouvent cela ? Pas du tout. Vous avez simplement des organismes qui étaient fragilisés et qui ont été déstabilisés dans leur pathologie chronique très grave par la chaleur. C'est une déstabilisation d'une pathologie. C'est-à-dire que vous êtes sur un fil et le vent soufflant trop fort, le fil se casse.

Vous avez posé une question très précise sur la différence de surmortalité à laquelle nous aurions été confrontés dans les maisons de retraite par rapport à la ville. Nous ne pouvons pas trop répondre à cette question pour une raison simple. Aujourd'hui, nous avons des spécialistes en gériatrie qui exercent en maison de retraite, notamment dans les maisons de retraite de grande capacité, qui sont salariés des établissements où n'interviennent pas les médecins libéraux. Il y a un biais important dans les renseignements que nous pouvons vous donner. Cela dit, il y a effectivement plus de mortalité, plus de problèmes en maisons de retraite, pour les appels que nous avons reçus. Mais là encore, les gens isolés ne nous ont pas appelés, donc nous n'avons pas pu faire un quelconque diagnostic. Pour ceux qui nous ont appelés parce qu'il y avait une infirmière, une auxiliaire de vie ou autre dans une maison de retraite, nous avons effectivement pu constater certaines choses.

M. le président de la mission d'information - J'avais bien indiqué que, dans la surmortalité, on peut distinguer deux grandes catégories : les cas d'hyperthermie maligne qui ont été, a priori, peu importants et tous les phénomènes de surcompensation, de début de syndrome de glissement, sur des sujets fragilisés. Je ferai une petite parenthèse en disant que cela dépend des départements. Dans mon département où il y a beaucoup de maisons de retraite, ce sont tous les médecins libéraux qui y viennent.

M. Michel Chassang - En Ile-de-France, ce n'est pas du tout comme cela que cela fonctionne.

M. le président de la mission d'information - Il faut bien préciser les zones géographiques. Pour nous, c'est très important. Parmi les axes qui se dégagent, il y a le problème de la surmortalité des personnes d'un certain âge et il est très important. Nous sommes encore trop proches de ce drame pour avoir toutes les statistiques exactes, mais nous en aurons besoin.

M. Jean-Marc Roubaud - Nous avons entendu hier le directeur général de la santé et beaucoup de responsables administratifs hospitaliers.

M. Michel Chassang - L'ancien ou le nouveau ?

M. le président de la mission d'information - Nous avons entendu les deux.

M. Jean-Marc Roubaud - En tout cas, celui qui était en activité à l'époque des faits. Il nous a indiqué qu'il avait fait de grosses recherches dans la littérature épidémiologique ou urgentiste et qu'il n'avait pas trouvé de traces de phénomènes d'hyp Dieu merci, la plupart des problèmes sont réglés en amont de l'hôpital. Sinon, on aurait du souci à se faire. Les pathologies observées chez les enfants, sont la gastro-entérite classique que nous voyons pendant l'été, les coups de chaleur, les enfants qui refusent le biberon... Mais ils ne sont pas morts, heureusement !

M. Pierre Costes - Vous pouvez ajouter aussi à l'exemple des enfants qui n'ont pas été à l'hôpital celui, non négligeable - et nous avons beaucoup de chiffres -, de la prise en charge en amont des personnes âgées. J'insiste : que les médecins libéraux lèvent un tout petit peu le pied, et c'est la catastrophe hospitalière. Et pas avec mille personnes. C'est une catastrophe sanitaire, de débordement. Les médecins voient 20 millions de personnes par an, alors qu'à l'hôpital il en passe 800 000. Si jamais les 20 millions lâchent, imaginez les conséquences. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvions pas entendre l'accusation dont on nous a chargés, même pour les personnes âgées.

M. Dominique Paillé - Pour bien comprendre, les médecins libéraux ont vu énormément de patients affectés par la chaleur. Parmi les patients, il y avait des personnes âgées, des adultes de tous âges et des enfants. Vous n'avez pas décelé, vous particulièrement, de surmortalité puisque, comme vous l'avez indiqué, il y avait des cas sporadiques et que cela ne vous permettait pas d'avoir une vision globale. Votre intervention, si je vous suis, a permis de ne pas engorger les hôpitaux. En revanche, il y a eu une surmortalité à hôpital, ce qui me conduit à vous demander qui a orienté les malades vers l'hôpital. Est-ce vous ou est-ce parce que, lorsque les proches ont découvert leur état, on a tout de suite appelé les moyens lourds ?

M. Michel Chassang - C'est essentiellement cela.

Mme Catherine Génisson - Vous êtes parmi ceux qui nous avez parlé le plus du problème de la chaleur. Il semble que, très vite, vous ayez identifié le problème.

M. Michel Chassang - Oui ! Nous avions chaud, nous aussi.

Mme Catherine Génisson - Moi aussi, j'y étais. Je le dis parce que les différentes auditions nous ont permis de constater que la prise de conscience a été très tardive. Cela ne semble pas avoir été votre cas.

M. Pierre Costes a, par ailleurs, décrit un dispositif de médecins sentinelles qui sont chargés de faire de l'épidémiologie de terrain. Il ne semble pas qu'il y ait eu de démarche particulière à partir de cette médecine sentinelle, en tout cas vous ne nous l'avez pas décrite. Je souhaiterais savoir s'ils ont alerté et s'ils ont mis en place des protocoles de prise en charge médicale ou médico-sociale.

Une autre question nous intéresse beaucoup aujourd'hui, celle de savoir si les médecins g régulés par le Centre 15. Certains sont venus en accès secondaire via la médecine générale, mais peu nombreux. Il faut que vous en ayez conscience.

Les réseaux Sentinelles sont très axés sur l'épidémiologie et l'infectiologie en matière de santé publique parce que, par définition, cela a une connotation épidémique. Ce phénomène est tout de même exceptionnel. Il est facile à identifier a posteriori, mais, au départ, ce n'était pas évident. La grande leçon, c'est celle-là : utiliser mieux le système sentinelle d'information et, j'y faisais allusion tout à l'heure, dans les deux sens, c'est-à-dire aussi bien l'information vers le haut et vers le bas que le recueil vers le haut, et dans d'autres domaines que l'infectiologie pure, ce que l'on a fait jusqu'ici. M. Pierre Costes l'a très bien dit, vous ne pouvez pas, à l'échelon individuel, faire d'épidémiologie. Il faut bien que vous ayez conscience de cela.

M. le président de la mission d'information - Nous ne vous faisons pas de reproche.

M. Michel Chassang - J'entends bien. S'il n'y a pas d'organisation, il ne reste que des impressions. Si vous avez un ou deux morts de plus, vous pensez que ces personnes ne devaient pas passer l'été. C'est ainsi que le médecin généraliste voit les choses. Il se dit que, déjà, en juin, leur vie ne tenait qu'à un fil et que si l'été les avait épargnées, elles seraient mortes en septembre. Malheureusement, nous sommes habitués à voir des gens décéder dans notre clientèle. La première chose que l'on fait le matin, c'est de regarder les avis d'obsèques. Il faut quand même que vous le sachiez.

M. le président de la mission d'information - Même si la surmortalité a été peu importante pour vous dans l'exercice de vos fonctions, vous avez indiqué que, quand vous aviez été appelés, il y avait des gens qui étaient décédés. Vous avez donc tout de même eu une augmentation des certificats de décès à délivrer, parce que c'est le médecin généraliste qui les délivre.

M. Michel Chassang - A priori, il y en a eu. Mais nous n'avons pas de statistiques. Dans les départements, il y en a mais s'il y a quatre cents généralistes dans le département et que vous augmentez ...

M. le président de la mission d'information - Cela ferait un ou deux par médecin.

M. Michel Chassang - Si vous faites une estimation à deux par médecin, vous allez doubler la mortalité dans le pays et non pas l'augmenter de 15 000 sur les 40 000 décès usuels. Là, vous en êtes à 90 000.

M. Pierre Costes - J'attire l'attention de la mission sur l'importance pour sa crédibilité de se fonder sur des éléments d'information et non pas d'opinion. Sur la question des moy sentinelles suivent et déclarent toutes les semaines, de manière systématique, des maladies obligatoires observables - rougeole, rubéole -, mais pas le reste. Ils ont des choses qui sont, au fil de l'eau, ramassées. De temps en temps, le réseau envoie une question particulière sur une semaine particulière pour suivre le nombre de gastro-entérites, de diarrhées qu'ils ont vues, de manière à suivre ponctuellement les gastro-entérites.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - C'est l'INSERM qui interroge ?

M. Pierre Costes - Oui, c'est l'unité 444, les réseaux Sentinelles. Ces réseaux sont fondamentaux pour l'épidémiologie au jour le jour mais ils ne travaillent que sur des éléments obligatoires réguliers ou des éléments de questionnement.

Mme Catherine Génisson - Ils ne disent pas qu'il y a quelque chose d'anormal ?

M. Pierre Costes - Pour dire que quelque chose est anormal, encore faut-il l'identifier comme anormal. Individuellement, on ne peut pas l'identifier. Quand il l'identifie, c'est comme l'hôpital, c'est évidemment trop tard. Quand l'hôpital voit qu'il y a des morts partout, c'est trop tard. Mais on peut mettre en place un recueil systématique.

S'agissant de la question sur la préparation au diagnostic, on sent une arrière-pensée sur la formation ou sur les compétences. C'est élémentaire de diagnostiquer qu'en cas de grosse chaleur, les malades ne vont pas bien, que les fragiles sont plus fatigués et qu'on passe les voir plus souvent. D'ailleurs, ce sont des médecins de terrain qui ont le plus tôt lancé l'alerte. Les médecins ont la compétence pour prendre en charge les pathologies liées à la chaleur de la population. Ils l'ont fait. Dans un autre domaine, j'ai, moi aussi, recueilli beaucoup d'éléments d'opinion sur des endroits où on ne trouvait même plus de perfusions dans les pharmacies pour les poser à domicile.

Mme Catherine Génisson - Et aujourd'hui, la crise ?

M. Pierre Costes - Ce n'est pas fini. Aujourd'hui, on voit les malades qui ont été fatigués, épuisés, et on a une impression - mais c'est une opinion - de surmortalité secondaire. Je peux parler de ma clientèle, mais cela n'a pas de valeur pour une mission d'information qui doit vraiment regarder les chiffres de la mortalité.

Mme Catherine Génisson - C'est quand même important.

M. Michel Chassang - En témoignage, tous les jours, nous avons dans notre clientèle des gens très âgés qui nous disent ne pas comprendre comment cela a pu se passer. Ils ont entendu qu'il y avait beaucoup de morts, ils se sont calfeutrés chez eux et expriment une certaine fierté d'avoir passé l'été. Bien sûr, ils sont là pour pouvoir le dire.

M. Dominique Pail d'information - Vous êtes tous d'accord pour dire que les médecins n'ont pas reçu de DGS-Urgent. Vous nous avez donné des exemples précis de documents arrivés le 18 août. Les médecins en France ont reçu des DGS-Urgent, avant ou après, pour d'autres pathologies mais rien concernant la chaleur pendant la période caniculaire. A leur demande et suite à des demandes qu'ils ont eues, il y aurait eu un DGS-Urgent, une instruction ou des renseignements qui ont été donnés, mais en période post-caniculaire.

M. Michel Chassang - Cela dit, la DGS à laquelle vous faites allusion ne fonctionne absolument pas. Nous avons eu deux informations DGS-Urgent depuis que le système existe.

Mme Catherine Génisson - Le DGS-Urgent existe depuis le mois de mai. Vous ne pouviez pas en avoir plus.

M. Pierre Costes - Pour un DGS-Urgent, il faut être inscrit sur une mailing list ou aller chercher sur le site de la DGS.

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XXIII. Audition de Mme Françoise Forette, présidente de la Société française de gériatrie et de gérontologie, et de Madame Geneviève Laroque, présidente de la Fondation nationale de gérontologie

(séance du mercredi 17 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Mesdames, je souhaite tout d'abord vous poser quelques questions que d'autres membres de la mission complèteront éventuellement. Premièrement, comment avez-vous vécu cette crise ? A quel moment avez-vous pris conscience de sa gravité ? Quelle a été votre action éventuelle dans la crise ? Avait-on dans le milieu des gériatres connaissance des risques de la canicule ? Y a-t-il une surmortalité régulière en été des personnes âgées ? Deuxièmement, quel jugement portez-vous sur le système d'alerte français ? Troisièmement, comment revaloriser le métier de gériatre et le rendre attractif ? Quatrièmement, faut-il mettre des gériatres aux urgences, créer des urgences gériatriques ? Enfin, cinquièmement, que doit-on faire selon vous pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise ?

Mme Françoise Forette, présidente de la Société française de gériatrie et de gérontologie - Je suis professeur de médecine interne, gériatrie et biologie du vieillissement et j'exerce à l'hôpital Broca. A l'heure actuelle, je préside la société française de gériatrie et de gérontologie et je représente ici véritablement mes collègues sur ces questions d'avenir de la gériatrie. Je suis également directeur de la fondation nationale de gérontologie mais c'est Mme Geneviève Laroque, qui est en la présidente, qui parlera ici en son nom.

Les hôpitaux se sont mobilisés très tôt. A l'hôpital Broca, nous avons ouvert tous les lits car les urgences de l'hôpital Cochin, avec lesquelles nous travaillons directement, nous ont sollicités pour prendre en charge des patients. Le 11 août, j'ai été interviewée à la télévision. Vous savez comment les journalistes procèdent : sur dix minutes d'entretien, ils ne gardent que quelques secondes. Mais je dois dire qu'il ne m'a pas alors traversé l'esprit - et véritablement, je me le reproche maintenant - de faire un appel à la population pour les patients à domicile. Finalement, je ne voyais que les patients qui arrivaient dans nos services sans penser à toutes ces personnes à domicile pour lesquelles n'existait pas d'alerte de proximité. Pourtant, les uns et les autres, nous les professionnels, nous aurions pu dire : « tout le monde est en vacances, allez voir vos voisins restés chez eux, essayez de frapper à leur porte ».

Jusqu'au 15 août, nous avons vécu la crise dans un rythme de travail intense. A cet égard, je voudrais dire que les systèmes français de santé, tels qu'ils sont, ont bien fonctionné, au maximum de leurs capacités avec le dévouement et l'engagement de tous les personnels. Mais a été mise en évidence l'insuffisance du système de santé vis-à-vis des personnes âgées contre laquelle l'ensemble des gériatres et des personnes intéressées à la gérontologie se battent depuis trente ans, dans l'indifférence absolue des pouvoirs politiques successifs même si, ça et là, il y a eu, bien évidemment, quelques avancées.

Venons en aux urgences. Certes les urgentistes ont eu beaucoup de malades à voir mais lorsqu'ils téléphonaient à l'intérieur de leur hôpital pour avoir un lit pour leurs patients âgés, voire très âgés, dont beaucoup souffraient de poly-pathologies, ils se voyaient répondre qu'il n'y avait pas de lits d'aval. Voilà le problème. Cela souligne la carence du système de gériatrie aiguë en aval des urgences.

Pour autant, cela ne veut pas dire que des lits gériatriques d'urgence sont nécessaires. Ce qu'il faut savoir des services d'urgence, c'est qu'ils doivent être vides. Un bon service d'urgence doit en l'espace de six heures avoir posé un diagnostic et orienté le patient. C'est le protocole qui a été mis en place à Cochin : le malade ayant eu un infarctus va en cardiologie, celui qui a un problème urinaire en urologie. Remettre des lits aux urgences ferait renaître le système des lits-portes  que vous avez connu, monsieur le président: : une dizaine de lits, des patients vers qui personne ne va parce que le temps manque et qui finissent par être totalement abandonnés, en général dans des chambres sans fenêtre et sans confort. Je le répète : il ne faut que peuvent partir éventuellement les équipes mobiles. Je suis totalement opposée aux équipes mobiles qui ne sont pas basées sur un service de ce type, car sinon elles n'ont pas de légitimité et donnent des conseils que personne ne suit. Un service de médecine gériatrique aiguë permet, si je puis dire, de répandre la bonne parole gériatrique dans l'ensemble de l'hôpital.

Un service de médecine gériatrique aiguë n'aurait pas suffi. Ce qui manque en France, c'est la fluidité des filières. Une fois qu'un patient est admis dans un tel service, il y reste en moyenne six à sept jours. Ensuite, ou bien il rentre à son domicile pour 60 % des cas, ou bien il a besoin d'une réhabilitation, et là, il faut des services de suite. Je n'ai pas le chiffre exact en tête, mais je crois qu'il manque 5000 lits de soins de suite en France. Il y a une pénurie de soins de suite gériatriques. Cela fait qu'habituellement, mais c'est encore plus vrai en cas de canicule, il y a une saturation de l'ensemble du système et une totale absence de fluidité.

M. le président de la mission d'information - Peut-être pourriez-vous expliquer ce qu'est un service de gériatrie aiguë afin d'éclairer nos collègues ?

Mme Françoise Forette - Un service de gériatrie aiguë est un service de médecine de court séjour qui prend en charge les patients âgés que nous appelons « fragiles ». Ce n'est pas à partir de soixante ans que l'on va orienter un patient vers un service de gériatrie plutôt que vers un service de cardiologie. Ces services accueillent les patients fragiles, c'est-à-dire les patients qui sont en général poly-pathologiques, qui sont atteints de plusieurs maladies. Souvent, ils souffrent de détérioration cognitive, ce qui est très difficile à prendre en charge dans un service habituel, d'autant plus que les médecins ne sont pas habitués à faire le diagnostic de détérioration ou pire celui de la maladie d'Alzheimer. De plus, ces patients sont exposés à de hauts risques de perte d'autonomie quand ils sont hospitalisés. Une fois dans un hôpital qui n'a pas pour objectif de conserver l'autonomie, le patient qui, atteint de plusieurs maladies, vivait chez lui, cahin-caha mais valide, en sort invalide, celui qui était continent en sort incontinent et celui qui, bon an mal an, fonctionnait avec les fonctions cognitives qu'il avait devient confus. Un gériatre a deux objectifs quand il hospitalise un patient : premièrement, soigner la maladie en cause, bien évidemment, et deuxièmement, conserver à tout prix l'autonomie. Voilà la différence entre un service de médecine gériatrique aiguë et un service de cardiologie.

M. le président de la mission d'information - En fait, pour mes collègues, je dirai que la médecine gériatrique aiguë, c'est la médecine interne réservée à des patients très âgés.

Mme Françoise Forette - Oui, mais aussi poly-pathologiques. Il y a un apparent paradoxe qu'il faut garder à l'esprit : toute personne âgée, même la plus âgée, a droit hôpitaux sont bien outillés. Il faut savoir qu'un stress de canicule est un événement extrêmement grave pour une personne de cet âge. Même si l'alerte avait été donnée, même si nous avions disposé de tous les moyens partout, il y a toujours un certain nombre de personnes qui meurent quand il y a des canicules. Ce qu'il fallait, c'est éviter les morts évitables. Il y en avait probablement mais elles sont impossibles à chiffrer. Dans les périodes de grande chaleur, il y a toujours une petite surmortalité. De même qu'il y a toujours une surmortalité en période d'épidémie de grippe. Ce sont des maladies qui, pour des personnes à risque et poly-pathologiques, sont graves. Donc, oui, il y a bien une surmortalité régulière quand il fait très chaud.

Pour ce qui concerne le système d'alerte en France, il faut différencier deux choses. Il y a d'abord notre système d'alerte qu'est l'Institut national de veille sanitaire. Ses responsables se sont très bien expliqués. Vous avez dû les entendre, inutile d'y revenir.

M. le président de la mission d'information - Notre mission souhaite recueillir votre avis sur ce système, vous qui avez la double casquette de médecin et de spécialiste des personnes âgées. Il y a eu deux épisodes de canicule dans notre pays : en 1976 et en 1983. En 1983, il y a eu énormément de morts mais il y a eu des publications, en particulier du professeur San Marco. Depuis, il y a eu aussi celles du professeur Besancenot.

Cet été, tout le monde était devant sa télé et a pu entendre que Météo-France annonçait, de manière régulière, une période de canicule. Il semblerait que les Françaises et les Français aient vu plutôt cela d'un œil festif. Personne n'a jugé qu'il pouvait y avoir une surmortalité. Dans notre pays, il y a des organismes professionnels qui ont des protocoles à respecter. Dès lors, la question se pose de savoir s'il n'était pas de leur devoir - et notez bien que je ne donne pas de noms - d'alerter la population en disant que la canicule pouvait tuer. Il y a eu les enseignements de la médecine militaire, de la médecine sportive. Il y a eu Athènes, il y a eu Chicago. Cela dit, il est toujours plus facile de dire ce genre de choses a posteriori qu'à l'instant. T

Mme Françoise Forette - Je pense qu'il était très difficile de prendre la mesure de l'ampleur de la canicule. En dépit de ce qui s'est passé en 1976 et 1983, la France n'est pas un pays à canicule. Nous sommes très mal outillés pour y faire face. Moi-même, jusqu'au 11 août, alors en vacances, je me suis dit : il fait abominablement chaud, c'est très pénible, à l'hôpital Broca, les personnels vont avoir, comme à chaque fois qu'il fait chaud, un travail considérable. Mais je ne suis absolument pas dit qu'il allait y avoir une surmortalité de 10 000 morts.

M. le président de la mission d'information - Le professeur San Marco nous a indiqué que, chaque année à Marseille, au début de l'été, est menée habituellement une campagne d'informati persuadée que les mesures à prendre étaient celles que nous prenons habituellement à l'égard des personnes âgées  à l'hôpital - rafraîchir les locaux, faire boire, fermer les volets. Je le répète, je ne me suis absolument pas rendu compte de ce qui allait se passer.

M. le président de la mission d'information - Comprenez bien, madame le professeur, que notre rôle n'est pas de porter des accusations. Nous sommes dans le cadre d'une mission d'information.

Mme Françoise Forette - Je ne me sens pas accusée, je vous dis simplement la position dans laquelle nous étions. Je pense que la majorité des médecins étaient dans la même situation. Il faut tout de même se souvenir qu'en ce qui concerne la canicule de Chicago, le CDC - Center for Disease Control and Prevention -, organisme d'alerte extraordinaire, autrement doté de moyens que l'InVS, n'a pas donné l'alerte. C'est après la canicule meurtrière qu'ont été mises en place un certain nombre de mesures. Et les mesures à prendre consistent essentiellement à prévenir les gens. Du reste, les gens étaient prévenus : à Paris, les panneaux lumineux indiquaient, comme chaque année, qu'il fallait boire et ne pas s'exposer au soleil. Mais personne ne s'est rendu compte de rien.

Voilà pour le système d'alerte général. Reste à mettre en place un système d'alerte de proximité pour les personnes âgées. Comme je l'ai souvent dit, il est faux de dire que les familles abandonnent leurs parents : elles prennent 80 % de la charge des personnes âgées à domicile Elles partent en vacances, c'est normal. Les systèmes deviennent plus précaires en été car il y a moins monde. Et là encore, c'est normal. Il reviendrait au conseil général, avec délégation au maire, à l'échelon de la commune, de mettre en place un système qui permettrait de repérer toutes les personnes seules et isolées pendant les mois d'été avec des visites et des coups de téléphone quotidiens. Un tel système n'était pas disponible parce que personne n'y a pensé auparavant. Il faudra le mettre en place dans les années qui viennent afin de rétablir du lien social.

Mme Geneviève Laroque - Présidente de la fondation nationale de gérontologie, je ne suis ni soignant, ni médecin, ni psy, mais une pure technocrate qui « trempe » en gérontologie depuis environ trente ans. Depuis longtemps, je ne suis plus gestionnaire ou en prise directe, mon travail est donc un travail de second degré.

J'entrerai dans le sujet par d'autres voies que Mme Forette. Une sorte de surdité générale a frappé l'ensemble de la population, qu'il s'agisse des professionnels comme des non-professionnels. Cela fait trente ans que toutes les personnes qui travaillent autour des personnes âgées, en bon ou en mauvais état, hurlent que l'on manque de formation, de moyens, et de spécialisations. D'une certaine manière, on ne s'intéresse pas à cette problématique relativement nouvelle. Si l'on s'y était davantage intéressé depuis une trentaine d'an me l'ont dit avec une certaine violence car ils ont eu l'impression d'avoir été injustement mis en cause.

Vous posez la question de savoir s'il faut revaloriser le métier de gériatre. Je dirai qu'il faut valoriser les métiers liés aux personnes âgées fragiles et pas seulement les métiers médicaux. Tant que les aides à domicile seront déconsidérés, insuffisamment formés et donc insuffisamment rémunérés, on aura un mal de chien à recruter des personnels dans cette branche. On se plaint d'un manque de moyens pour les recruter mais quelquefois, alors même que les crédits sont disponibles, on ne parvient pas à trouver des personnes qui acceptent de faire ce métier de façon active. Il n'y a donc pas à revaloriser mais à valoriser des métiers qui n'ont jamais été valorisés.

Je ne crois pas qu'il faille de spécialisation gérontologique pour les personnels paramédicaux ou pour les aides à domicile mais des compléments de formation s'imposent. Il faut des modules de formation complémentaire spécialisés qu'il s'agisse du brevet d'études professionnelles « carrières sanitaires et sociales », des formations d'aides-soignantes et d'aides médico-psychologiques ou du nouveau diplôme d'aide à domicile, sans doute porteur de beaucoup de progrès. De ce côté-là, il y a un énorme travail à faire.

Cependant cela ne servira à rien si on ne traite pas en même temps cette espèce de surdité sociétale à l'égard des problèmes des personnes âgées fragilisées. Cela passe par une attention à la restructuration de la population. Malgré tout, l'écrasante majorité des personnes âgées, et même très âgées, sont des personnes tout à fait capables de conduire leur vie et dont la fragilité est extrêmement limitée. Mme Forette a bien fait d'insister sur le caractère de fragilité d'un certain nombre de ces personnes qui ne sont pas forcément des patients et qui risquent, même en étant tout à fait autonomes dans leur vie courante, une décompensation brutale lors d'un incident météorologique, que ce soit un grand froid ou un grand chaud. Parmi elles, un certain nombre sont solitaires. Les familles ont fait ce qu'elles pouvaient, elles n'abandonnent pas. Par rapport à nos grands-parents ou nos arrière-grands-parents, nous connaissons une proportion et un nombre beaucoup plus importants de vieux messieurs et de vieilles dames qui vivent seuls parce qu'ils sont veufs ou veuves, célibataires ou éloignés de leur famille, ou parce qu'ils n'ont pas ou plus d'enfants.

Repérer ces personnes seules est difficile. Une partie d'entre elles accepteraient volontiers qu'on les aide, et il faut le faire, ce qui demande effectivement un travail de proximité qui relève d'abord des municipalités, avec l'aide éventuelle d'associations ou de groupements. Mais il faut souligner aussi que certaines de ces personnes - et les enquêtes le montrent - tiennent à leur indépendance et n'ont pas envie qu'on vienne s'occuper de leurs affaires. Si j'ose dire, elles ne sont capables d'accepter du secours que trop tardivement. Parmi les personnes qui sont mort autres au bouleversement sociétal que nous sommes en train de vivre.

Il faut utiliser la catastrophe d'aujourd'hui pour prendre un peu de recul. Il y a des solutions d'urgence à trouver immédiatement en dégageant quelques crédits, comme le soulignait M. Fillon. A ce propos, je soulignerai dégager 40 millions quand on en a supprimé 103 a un petit côté moqueur. Mais il s'agit surtout de développer une politique globale d'accompagnement et de soins pour les plus fragiles et de meilleure intégration sociale ou de non-rejet social des moins fragiles. Les deux choses sont complètement liées.

M. le président de la mission d'information - Vos propos m'ont rappelé certaines lectures que j'ai faites après la canicule sur les personnes mortes dans l'isolement. La surmortalité semble avoir touché principalement des personnes déjà fragiles et dont le décès allait intervenir à court terme. Mais ont été aussi signalés certains cas de personnes bien portantes...

Mme Geneviève Laroque - Apparemment bien portantes ...

M. le président de la mission d'information - ... apparemment bien portantes, qui vivaient seules dans des logements où il faisait parfois trente-neuf degrés mais qui avaient surtout un caractère qui les rendait très isolées. Le boulanger, le boucher ou le buraliste les connaissaient mais leurs voisins ou leurs camarades de travail ne savaient rien sur elles. Cela m'a beaucoup frappé. Chacun d'entre vous a évoqué la mise en place de services de proximité. Nous sommes dans un pays de droits, pays de libertés. Je suis persuadé que certaines personnes à qui l'on dirait : « vous vivez seul, dites-nous si vous rencontrez un problème quelconque pendant les vacances afin que l'on prenne de vos nouvelles » enverraient leur interlocuteur « sur les roses » en leur répondant qu'elles n'ont rien demandé.

Mme Geneviève Laroque - Si vous le permettez, monsieur le président, il y a cela mais il y a aussi l'inverse. Certaines personnes âgées, involontairement isolées, n'osent pas demander de l'aide alors même que les personnes qui les entourent - voisins, commerçants, concierge - seraient prêtes à leur donner un coup de main. Il y a vraiment un problème de comportement.

Mme Françoise Forette - J'ajouterai un mot à propos des morts non réclamés à Paris qui ont fait scandale : il est vrai que cela a un côté absolument atroce. Pour la majorité d'entre eux, ce n'était pas des gens habituellement isolés. Certes, ils n'avaient pas de famille mais ils étaient bien insérés dans leur quartier. Simplement, tout le monde part en vacances au mois d'août. Voilà pourquoi il faut mettre en place un système d'alerte pendant les mois de congés.

M. Jean-Marc Roubaud - Madame Forette, je souhaiterais vous interroger sur le comportement des médecins de ville. Le rapport Lalande a mis les médecins libéraux en cause en disant qu'ils avaient é évoqué en parlant des postes non affectés. Il est illusoire de faire de la démagogie sur le sujet.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Si vous me le permettez, je vous montrerai les dossiers très précis de l'ONDAM qui portent sur le financement des maisons de retraite et vous verrez que s'il n'y a pas de démagogie à faire sur ce point là, il y a des réalités. Je tenais à le dire.

Des études, que ce soit sur Marseille ou Chicago, avaient décrit ces phénomènes liés spécifiquement aux personnes âgées en cas de canicule. Je ne peux pas m'empêcher de me demander pourquoi elles n'ont pas été diffusées et intégrées dans la connaissance du risque. J'ai déjà posé cette question. Le professeur San Marco comme d'autres personnes auditionnées nous ont donné des explications. La société n'aurait pas été prête en fin de compte. Et quand je dis la société, c'est de haut en bas, monde médical compris. Et je voudrais avoir votre avis à ce sujet : ces études vous étaient-elles connues ?

Vous avez parlé de revalorisation des métiers mais si on ne débloque pas dans tous les champs, tant social que sanitaire, de grands programmes de recherche sur ces sujets, les problèmes auxquels les personnes âgées peuvent être confrontées vont perdurer. Madame Forette, je vous ai entendu dire à la radio que les morts survenues auraient eu lieu un ou deux mois après.

Mme Françoise Forette - C'est une hypothèse !

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Mais l'expérience de Chicago et de Marseille, comme les propos des médecins généralistes que nous avons reçus, tendent à montrer que les gens continuent à mourir. Un médecin urgentiste, membre de la mission de Mme Lalande, a même clairement dit - et cela m'a beaucoup frappée - que les hôpitaux avaient accueilli aux urgences des personnes âgées  qui étaient dans un état tel qu'elles ne pouvaient que mourir mais qui étaient auparavant en bonne santé. Un problème particulier se pose sur lequel nous avons encore à travailler. En quoi la fragilité des personnes âgées, ou plus simplement ce temps de la vie, méritent-ils encore des interrogations complètes ?

Quand je rentrerai chez moi, la première chose que je ferai sera de regarder les documents de formation canadiens et plus spécialement québécois que j'ai en ma possession. Je me souviens très bien avoir travaillé il y a une vingtaine d'années sur le problème de la peau et sur les risques liés au vieillissement dermatologique chez les personnes âgées. Et je voudrais vérifier si, à l'époque en Amérique, les soignants étaient déjà formés à ce risque-là. Si tel est le cas, cela veut dire que le problème de la recherche et de la formation est l'un des enjeux essentiels.

Je récapitule donc mes questions : premiè le début des travaux de cette mission : comment expliquer la différence dans les taux de surmortalité d'un département à l'autre, voire à l'intérieur d'un même département ? Par ailleurs, j'aimerais vous entendre sur les difficultés qu'il y a à médiatiser les problèmes liés aux personnes âgées. Un certain nombre de personnes auditionnées nous ont dit, comme vous, que, quand elles ont voulu tirer le signal d'alarme, elles n'ont pas pu faire passer leur message. C'est peut-être en rapport avec ce que Mme Laroque disait sur la difficulté que l'on a avec nos personnes âgées. Je me disais qu'aujourd'hui, même dans le milieu de la médecine, un professeur de pédiatrie jouit une considération médiatique plus importante qu'un professeur de gériatrie.

Mme Françoise Forette - Je répondrai aux questions plus médicales.

Est-ce qu'il y a eu sinon une faillite du moins une carence de la médecine libérale ? Je dois dire que je ne m'en suis pas rendu compte dans le XIIIe arrondissement. Nous n'avons pas reçu d'appels de familles nous disant qu'elles ne parvenaient pas à joindre de praticien. Il faut véritablement faire une enquête très précise et le Conseil de l'ordre va s'y atteler. Quel était le système de garde ? Combien de médecins étaient présents ?

M. Jean-Marie Rolland - Sans oublier l'IGAS.

Mme Françoise Forette - L'IGAS pourra le faire aussi, en effet. Avec les chiffres en main, nous pourrons tirer des conclusions. Il est vrai que depuis bien longtemps, il existe des difficultés avec le système de garde des médecins libéraux qui n'ont pas encore réglé le problème. Quant à la création d'une spécialité de gériatrie, vous avez raison, cela fait des années qu'elle aurait dû se faire. A l'heure actuelle on tient le bon bout, si je puis dire. Une demande de DESC - diplôme d'études spécialisées complémentaires - de type II a été déposée. Je ne suis pas certaine que la canicule ne va pas contribuer à accélérer les choses alors que le dossier était jusqu'à présent tout en bas de la pile.

Mme Paulette Guinchard-Kunstler - Je le sais bien pour avoir tenté de le sortir de la pile !

Mme Françoise Forette - Il y a deux façons d'avoir une spécialité : soit par le biais d'un DES, spécialité commencée dès le début de l'internat comme la cardiologie ou rhumatologie, soit par celui d'un DESC, surajouté à une spécialité existante. Un neurologue pourrait ainsi avoir un DESC de gériatrie qualifiant, c'est-à-dire que cela deviendrait une spécialité. Cela paraît absolument impératif.

M. Jean-Marc Roubaud - Ne serait-il pas plus simple de commencer par un DES ?

Mme Françoise Forette - Non, je pense que l'on peut comm Paulette Guinchard-Kunstler - Mon intervention portait sur les professeurs des universités - praticiens hospitaliers (PU-PH) car ils manquaient aussi en gériatrie. Je pense qu'il faut le lier principalement au problème de la recherche. On arrivera à créer une dynamique scientifique si on associe spécialité et dispositif de recherche.

Mme Françoise Forette - Vous avez tout à fait raison. Je n'ajouterai rien à ce que vous dites sur l'intérêt de la recherche. Il est évident qu'il y a des recherches à faire, en particulier sur les plus de quatre-vingts ans. La majorité des études s'arrêtent à un seuil de soixante-dix ou soixante-quinze ans. Nous avons été parmi les premiers à conduire des recherches au niveau européen sur les patients hypertendus âgés. Il y a un masse de recherches sur la fragilité à mener. Et cela va se développer désormais relativement rapidement parce que l'on commence à avoir davantage de PU-PH qu'auparavant. La pompe est amorcée. Maintenant, les pouvoirs publics doivent s'en mêler pour essayer d'avancer encore, car il y a un problème évident de financement et de postes. Vous avez raison de lier la recherche à la médecine universitaire. Mais je soulignerai que la spécialité de gériatrie couvre aussi le domaine non universitaire.

Vous avez aussi évoqué une poursuite des décès. C'est une hypothèse. Je pense qu'il y aura probablement un lissage sur l'année 2003 dans son ensemble. Nous avons observé très peu de mortalité après le 15 août si ce n'est la mortalité habituelle, que l'on a nécessairement dans un service de gériatrie. Il y a un certain nombre de personnes dont la mort a été accélérée par ce phénomène. Pour autant, ce n'est pas une raison pour dire que c'est légitime. Cela pose en effet le problème de la dignité de la personne : on n'a pas à mourir avant l'heure. Cela dit, je ne suis pas sûre que cela va retentir sur la mortalité en France de façon aussi importante qu'on aurait pu le craindre avec cette surmortalité de 10 000 morts. Beaucoup de patients étaient tout de même très fragiles.

Maintenant j'aimerais en venir à la climatisation puisqu'ont été évoquées les mesures de prévention. Il est clair qu'on a toujours hésité à climatiser les hôpitaux à cause des risques de légionellose. Mais la légionellose n'a jamais fait 10 000 morts en quinze jours. Désormais, il y aura un problème de priorité et aussi de financement.

Quant aux CLIC, vous avez entièrement raison, monsieur le député, il faut les développer. Mais il n'y en a pas partout. D'autre part, en règle générale, ils disposent de 2,5 équivalents temps plein, ce qui veut dire qu'au mois d'août, ils n'en ont qu'un quand ils ne sont pas fermés. Il faut donc augmenter le personnel des CLIC et le sanitariser. Comme toujours en France, il y a un cloisonnement entre le sanitaire et le social. Devant le groupe réuni par M. Fillon, nous a été donné l'exemple d'un CLIC de la région parisienne où les personnels habituels sont accompagnés d'un gériatre, de deux médecins g société dans laquelle la pyramide des âges a été complètement bouleversée. Nous ne le savons pas parce que cela n'a jamais existé. D'un côté, il y a de plus en plus de personnes âgées valides et autonomes, citoyens ordinaires, devenus presque invisibles dans la population. Est-ce bien ou mal ? C'est une autre question. D'un autre côté, même si leur proportion parmi les personnes âgées  diminue, les personnes fragiles, les malades chroniques sont nombreux. Le XXIe siècle sera d'ailleurs marqué par la chronicité : des personnes qui ont eu un niveau de vie suffisant et qui ont été bien soignées mais qui ne sont pas restituées ad integrum et qui, de ce fait, survivent avec un besoin d'assistance médicale et sociale, sans que l'on sache où finit l'un et où commence l'autre. Et cela, nous ne savons pas faire. Or la société continue d'être sourde. Aussi quand tel ou tel a essayé d'alerter la population et de diffuser des recommandations, son message n'a pas pu porter.

Vous avez vu, comme moi, comme nous tous, des quantités de dossiers sur le problème dans tous les médias possibles et imaginables. J'ai interpellé un certain nombre de journalistes en leur disant que s'ils avaient essayé de faire passer leur sujet il y a trois mois, peut-être les choses se seraient passées autrement. Et ils m'ont tous répondu qu'ils se seraient fait « jeter ».

*

* *

XXIV. Audition de Monsieur Jacques Kopferschmitt, président de la Société francophone de médecine d'urgence.

(Séance du mercredi 17 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Tout d'abord, je vous poserai cinq questions que mes collègues complèteront. Premièrement, comment avez-vous vécu cette crise ? A quel moment avez-vous pris conscience de sa gravité ? Deuxièmement, quel jugement portez-vous sur le système d'alerte français ? Quel rôle pourraient jouer les urgences dans sa réforme, si réforme il doit y avoir ? Troisièmement, la canicule était-elle révélatrice d'une crise des urgences ? Faut-il les réformer ? Quatrièmement, faut-il créer une spécialité urgentiste ? Faut-il mettre des gériatres aux urgences, créer des urgences gériatriques ? Enfin, cinquièmement, que doit-on faire selon vous pour éviter qu'un tel drame ne se reproduise ?

M. Jean-Marie Rolland - Je vous poserai la même question que celle que nous avons posée à de nombreuses personnes auditionnées : pensez-vous que la partie libérale du système de santé ait failli ? Autre question à laquelle je n'ai pas encore eu de réponse : pourquoi tant de diversité dans les taux de surmortalité d'un département à l'autre ?

M. Georges Colombier - Il y a eu un manque de avoir été abordé.

Comment a-t-on vécu cette crise ? Je vais vous donner d'abord une impression personnelle et ensuite celle plus générale des urgentistes français. Cette crise a été vécue comme une suractivité qui amplifiait les dysfonctionnements habituels de l'été dans les hôpitaux. Elle a été un catalyseur de l'organisation de l'hôpital, essentiellement de l'hôpital public, en manque de lits. Cela a été l'élément dominant de cette crise. Nous nous sommes organisés. Cela a été pour nous une manière de tester, malheureusement, des plans conçus pour d'autres catastrophes. Par ailleurs, nous avons connu des difficultés supplémentaires avec les personnels paramédicaux qui étaient en manque important.

Nous avons pris conscience de la gravité de la crise progressivement. Dès le mois de juin, les conditions climatiques se sont modulées. Il faut souligner qu'en été nous connaissons habituellement un fonctionnement inverse des autres services. Quand la nation réduit ses activités pour partir en vacances, les hôpitaux publics, surtout en août, ont une activité maximale. Cela a été donc vécu comme une amplification majeure de l'activité alors que le reste de l'hôpital se retrouvait dans sa logique naturelle. La prise de conscience a débuté réellement avec une augmentation de l'activité mi-juillet et une amplification à la fin du mois. Le grand catalyseur a été le premier week-end d'août où il y a eu un accroissement en flèche. Mais, j'y reviendrai, il a été inégal d'une ville à l'autre. Dans ma ville de Strasbourg, l'augmentation a correspondu à une amplification de l'activité habituelle de l'été.

L'inégalité des taux de surmortalité entre régions paraît paradoxale mais elle est intéressante du point de vue de l'analyse. En termes de fonctionnement, dans certaines villes, l'activité a été à peine supérieure à l'année précédente, pour d'autres, la mortalité a été plus faible. En fait, il faut distinguer deux phénomènes : celui des grandes villes et celui des villes habituées à une certaine forme de canicule estivale. Mais il existe aussi des inégalités liées au traitement différent du statut social et de l'organisation générale que l'on retrouve dans les autres pays européens. A cet égard, en tant que frontalier, je tiens à souligner que je me suis intéressé aux cas de l'Allemagne et de la Suisse où l'alerte a été lancée relativement tôt et où l'organisation pré-hospitalière ne s'est pas faite comme dans notre pays où on avait un peu l'impression d'être surpris.

Nous avons vécu cette crise comme étant la première d'une série, malheureusement. Nous avions été épargnés par l'épidémie de grippe mais je pense que nous ne le serons plus. Nous avions été, c'est vrai, un peu préparés par le risque nucléaire, biologique et chimique, mais cela n'a pas suffi. Ce qui a été étonnant, c'est l'absence générale de r&eac pourquoi.

M. Jacques Kopferschmitt - La probabilité des risques de crise va certainement croissant. Les épidémies ont un pouvoir déstabilisant dans les hôpitaux. D'autres catastrophes naturelles sont probables. C'est donc une éventualité que beaucoup évoquent.

M. Georges Colombier - Je pensais que les médias, jusqu'à présent, n'y prêtaient pas trop attention mais qu'étant donné ce qui s'est passé avec la canicule, il fallait s'attendre à un changement l'hiver prochain.

M. Jacques Kopferschmitt - C'est l'effet « catastrophe » en France. La survenue d'une catastrophe déclenche une sensibilité exagérée par la suite. Et ce genre de phénomène en escalier, nous le vivons mal.

Mme Catherine Génisson - Vous avez parlé de l'absence générale de réactivité par rapport à vos demandes. Les avez-vous adressées uniquement à l'intérieur du système hospitalier ou avez-vous transmis ce message d'alerte ailleurs, au niveau des DASS, voire plus haut. Pourriez-vous nous donner des précisions à ce propos ?

M. Jean-Marc Roubaud - Nous avons bien compris qu'il y a eu une recrudescence d'activité. Avez-vous été en mesure de traiter correctement toutes les personnes qui vont ont été adressées ?

M. Maxime Gremetz - Vous avez indiqué, chose que j'ignorais, que l'alerte avait été donnée beaucoup plus vite en Suisse et en Allemagne. A quelle date exactement ?

M. le président de la mission d'information - Et sous quelle forme ?

M. Jacques Kopferschmitt - J'ai étudié avec mes collègues de Genève le dispositif d'alerte suisse. Il existe un réseau de gériatres et, à partir de leurs observations, l'ensemble du dispositif de prévention a été mis en place à peu près à la fin du mois de juillet. De manière générale, dès qu'il y a une augmentation de température ou un phénomène climatique particulier, le monde associatif et surtout les réseaux gériatriques qui sont très structurés, comme en Allemagne, mettent des mesures de prévention en place. Ainsi, l'hôpital cantonal de Genève n'a pas été submergé de patients à hauts risques, arrivés par exemple à la suite d'un manque de soins dans une maison de retraite. Il y a une démarche en amont qui permet l'activation très rapide d'un processus médico-social impliquant également les bénévoles. En Allemagne, les maisons de retraite et les structures préhospitalières, y compris associatives, ont un maillage beaucoup plus serré, ce qui a manqué en France pendant la crise. Les principaux patients à problème, qui ont été l'origine de l'augmentation de notre activité, venaient de maisons de retraite ou de zones géographiques très isolée mais avec les mêmes phénomènes migratoires que ceux que l'on rencontre dans notre pays.

M. Jacques Kopferschmitt - S'agissant de la remontée d'informations, il est évident que c'est d'abord une impression qui s'est dégagée dans les services comme le mien, où l'on a vu arriver des personnes dépendantes. Le lien avec la canicule était flagrant, avec l'aggravation de pathologies préexistantes, sans compter les problèmes iatrogènes liés aux nombreux médicaments prescrits aux patients. Mais il n'y a pas d'organisation structurée de remontée d'informations pour ce type de pathologies. Les médias peuvent constater un afflux de grippés au mois de janvier, cela ne suscite pas une réaction particulière de la part des hôpitaux. C'est ce que nous déplorons d'ailleurs : nous qui sommes à la source des informations, nous ne pouvons pas les structurer.

A la société francophone de médecine d'urgence, nous avons mis en place des outils d'évaluation très simples qui permettent de connaître rapidement le profil épidémiologique des patients. Ce n'est pas avec les outils PMSI des hôpitaux que l'on peut organiser une remontée d'informations, avec tous les problèmes de différé qu'il peut y avoir. Par contre, il y a des clignotants qui s'activent très rapidement et, en ce domaine, il y a sans doute des choses à faire.

Mme Catherine Génisson - Manifestement, vous avez tout de même senti assez vite les prémices de la crise. N'avez-vous pas eu envie de bousculer les choses pour tirer le signal d'alarme ? Est-ce que vous vous êtes dit que, de toute façon, cela ne servirait à rien parce que vous n'auriez pas plus de moyens ? Ou bien est-ce parce que vous n'avez pas estimé à sa juste mesure l'étendue des dégâts, même si vous connaissiez parfaitement les étiologies des pathologies ?

M. Jean-Marc Roubaud - Vous n'avez pas répondu à ma question. Certes, il y a eu une suractivité, mais est-ce que les patients ont été correctement pris en charge ?

M. Jacques Kopferschmitt - Je vais vous répondre toute de suite. Prise en charge, certainement. Mais celle-ci n'a pas forcément été adéquate dans la mesure où les temps d'attente ont été longs et que les stations sur les brancards ont été nombreuses. Des patients ont été orientés vers des services de chirurgie qui ont fait office d'hôtellerie.

Il y a donc eu une inadéquation en termes d'orientation et de pathologie mais certainement pas en termes de sécurité. Nous avons senti une réelle mobilisation de l'hôpital qui n'aurait cependant pas duré une semaine de plus. Toutefois, il y a eu un problème d'accessibilité aux lits de médecine pour des malades atteints de pathologies relativement graves - déshydratation, insuffisance cardiaque, respiratoire. Il faut savoir que si la part de la pathologie de l'hyperthermie en elle-même a été importante, l'aggravation des pathologies existantes a été dominante, ce qui justifiait l'ouverture de nombreux lit hôpitaux de l'AP-HP ont fait part de leurs préoccupations de manière très forte mais de nombreux hôpitaux comme le mien, n'observant que 20 % d'augmentation d'activité, n'ont pas forcément considéré que cela justifiait une remontée d'informations. La cohérence nationale manque et il serait très utile que le recoupement des informations pendant ce genre de période puisse se faire en temps réel. Je reste convaincu que nous ne sommes pas forcément à l'abri de la récidive. Il est probable que nous nous retrouvions confrontés à un catastrophe climatique, compte tenu du réchauffement de la planète.

M. Maxime Gremetz - Nous avons entendu des responsables du SAMU, notamment de Paris. Ils ont pu mesurer qu'il se passait quelque chose d'exceptionnel et que l'augmentation des décès concernait des personnes très âgées souffrant d'hyperthermie maligne. Forts de l'expérience de Chicago, ils ont conclu qu'il y avait un risque de catastrophe dès le 8 août. Vous qui êtes responsable de la société francophone de médecine d'urgence, en avez-vous été informé ?

M. Jacques Kopferschmitt - Bien sûr, par les mêmes sources d'information que vous. La difficulté, c'est le morcellement des structures. Le SAMU de Paris n'a pas transmis l'information en province, en dehors des agences de presse. Il est certain que les SAMU ont été fortement impliqués pendant cette période mais je voudrais également souligner, puisqu'une question m'a été posée sur le rôle des centres 15, que de très nombreux patients sont venus par d'autres voies, adressés par les médecins libéraux présents, parfois même directement des institutions, sans passer par une quelconque régulation. Il est clair qu'actuellement la centralisation de l'information paraît extrêmement importante pour observer la progression et la nature de la pathologie.

Une des difficultés s'agissant des centres 15, sans rentrer dans leurs prérogatives, est la prise en compte de la nature même des pathologies. Les réseaux comptabilisent actuellement le nombre de passages mais pas forcément les types de pathologies. Quelques hyperthermies ponctuelles - j'ai connu trois cas dans mon service - ne permettent pas une mise en alerte nationale. Cela est vrai aussi pour les listérioses : trois cas dans une région n'entraînent pas une alerte nationale.

Nous sommes à l'aube de la coordination de l'ensemble des systèmes dont nous sommes très demandeurs. A partir de la régulation des centres 15 et des informations émanant des hôpitaux, il faut qu'il y ait une rétroaction pour que nous puissions alerter les autorités sanitaires.

La SFMU est une société savante qui n'est pas un syndicat. Elle fédère d'autres structures dans le but de travailler scientifiquement sur l'évaluation, les bonnes pratiques et les référentiels. J'ai fait ce matin une conférence de presse sur une charte du fonctionnement des urgences et sur le référentiel éthique que nous avons mis au point. Ce sont des domaines qui vont bien au-delà des questions d'organisation. Mais nous déplorons qu'il n'y ait pas &ag family: 'Arial'; font-size: 10pt">A la SFMU, nous prônons la mise en place d'un observatoire des pratiques médicales et des changements d'épidémiologie et de recours aux soins. Cela permettrait très utilement de faire part aux autorités des modifications dans les modalités d'organisation. L'exemple de la toxicomanie est édifiant en ce domaine.

Mme Catherine Génisson - Il y a la vétusté du matériel informatique mais peut-être aussi une insuffisante standardisation des logiciels d'analyse des situations. Chacun a une fâcheuse tendance dans ce domaine à protéger son pré carré et à estimer qu'il est meilleur que son voisin. Votre société travaille-t-elle pour que ces comportements naturels tendent à disparaître ?

M. Jacques Kopferschmitt - Vous avez totalement raison. Les établissements, à travers les appels d'offres, se sont équipés de logiciels différents, ce qui fait qu'il y a une diversité du parc. Je crois cependant que l'important est le contenu de l'information. A la limite, peu importe comment elle est traitée à condition qu'elle soit traitée et intégrée au système d'information hospitalier au lieu d'être considérée comme un appendice qui ne restitue pas de données. Il y a peut-être eu un peu de pagaille dans l'organisation de l'informatisation des hôpitaux mais les outils, même divers, devraient parvenir à établir les mêmes données. Je reprends l'exemple de l'ORUMIP de la région de Toulouse où les logiciels ne sont pas tous les mêmes ; le résultat final, en termes d'analyse de données, est homogène.

La canicule est-elle révélatrice de la crise des urgences ? Disons qu'elle a amplifié tous les dysfonctionnements existants, à commencer par l'aval. Je veux parler du manque de places dans les hôpitaux, leur incapacité à trouver une réponse rapide et pertinente pour des malades de médecine. Permettez-moi à cet égard de vous rappeler que les hôpitaux connaissent actuellement un déséquilibre assez fort entre lits de médecine et lits de chirurgie.

En outre, la canicule a été révélatrice de l'absence de gériatrisation de la médecine au sein des hôpitaux où perdure un grand cloisonnement entre les disciplines. C'est la raison pour laquelle nous sommes très attentifs au plan « Hôpital 2007 ». Le décloisonnement des services et des disciplines sera porteur d'améliorations. Je reviendrai sur un modèle dont nous attendons beaucoup : la mise en place de lits qui ne seraient pas dédiés à une spécialité médicale avec l'intervention des spécialistes de médecine, en lieu et place de lits appartenant à une discipline qui pourrait rapidement être débordée le jour où les besoins se font sentir. Tous les malades ne peuvent pas aller en gériatrie mais toutes les spécialités médicales ne souhaitent pas accueillir des malades âgés.

La culture de la gériatrie n'existe absolument pas dans les études médicales. Elle est considérée comme une m urgences oblige à une réforme très profonde de l'hôpital. C'est là que nous sommes mal perçus : nous devenons les promoteurs d'un vent nouveau dans la prise en charge des soins, qui n'a peut-être pas l'aura qu'il pourrait avoir mais qui répond à un besoin de santé publique. Les urgences sont dans l'hôpital, elles ne sont pas un service isolé. D'ailleurs, elles ne peuvent jamais travailler sans les autres.

Mme Catherine Génisson - Votre dernière remarque est fondamentale. J'ai un peu l'impression que la réforme des urgences, qui maintenant dure depuis plusieurs années, a permis, bon an mal an, avec sans doute de grandes inégalités, la reconnaissance des services d'urgence à des degrés variables. Ceux-ci sont sans doute mieux reconnus dans les hôpitaux généraux que dans les hôpitaux universitaires. Par ailleurs, la montée en puissance des services d'urgence a complètement fait sortir ce domaine de l'ensemble de l'hospitalisation. Les différents services d'hospitalisation sont devenus, comme vous l'avez rappelé, très spécialisés et ils accueillent plus des pathologies que des personnes, d'où les difficultés rencontrées par les personnes âgées. Mais au-delà, il n'existe plus de notion d'accueil d'urgence dans ces services. Ils ont développé d'autres formes de prise en charge des patients comme l'hôpital de jour ou de semaine. Cela pose un vrai problème.

M. Maxime Gremetz - La réforme des urgences a déjà été évoquée au sein de notre commission mais pas dans le sens que vous indiquiez, me semble-t-il. Un spécialiste a ainsi parlé de la mise en place d'un plan départemental des urgences.

M. le président de la mission d'information - Avec un maillage.

M. Maxime Gremetz - Oui, avec des hôpitaux qui, à l'intérieur d'un département ou d'un groupe de départements, se mettent d'accord pour adhérer à cette organisation qui pourrait, par exemple, déterminer le nombre de lits à ouvrir dans tel ou tel établissement. Je n'ai pas compris pourquoi vous avez dit que la réforme des urgences supposait une modification de l'hôpital.

M. Jacques Kopferschmitt - L'ensemble des acteurs de l'hôpital doit changer ses pratiques, c'est-à-dire ne pas vivre en disciplines cloisonnées fonctionnant indépendamment d'un objectif commun. Cet objectif commun est celui de la santé du bassin de population, notion à laquelle nous tenons beaucoup. Il s'agit aussi de répondre au problème de la disparité entre hôpitaux généraux et CHU.

C'est principalement dans les CHU que les dysfonctionnements que l'on a connus cet été ont pu être constatés. L'hôpital universitaire est actuellement relativement incapable d'arriver à gérer des malades souffrant de poly-pathologies, compte tenu du nombre de lits et d'équipes mobiles de gériatrie. Il existe une équipe de ce type dans mon établissement mais elle est totalement débordée, elle n'arrive pas à faire face aux situations. Les services de g& privés autour de mon établissement ont joué le jeu cet été, alors qu'ils n'avaient pas l'habitude d'accueillir des malades lourds. Ils nous ont beaucoup aidés parce qu'ils n'étaient pas fermés de la même manière que les établissements publics qui étaient en déficit d'infirmières et de médecins.

C'est une crise utile. Il faut battre le fer tant qu'il est chaud et c'est la raison pour laquelle notre société s'est beaucoup investie ces derniers temps en faveur d'une réorganisation profonde de l'hôpital. Il ne faut attendre trop longtemps. Les personnels sont à cran et des départs multiples sont à craindre.

Nous souhaitons donc que la crise que nous avons connue cet été serve à mettre en place les mesures de la circulaire sur les urgences du mois d'avril, à laquelle nous attachons beaucoup d'importance. Elle préconise une mutualisation des moyens, qui permettrait de mieux fonctionner, un travail plus cohérent en matière d'organisation et une meilleure implication de l'hôpital dans le fonctionnement des urgences. La difficulté, c'est que ces différents éléments n'étaient à présent que normatifs. Leur caractère obligatoire peut parfaitement être contourné par une structure qui n'a pas envie de les appliquer.

Pour finir, je donnerai quelques précisions sur la spécialité de médecine d'urgence. Nous n'émergerons pas tant que cette spécialité ne sortira pas des limbes de manière concrète. M. Mattei a annoncé la création d'un DESC en 2004. Mais la seule activité clinique qui n'a pas de reconnaissance parmi ses pairs est la médecine d'urgence. En Europe, nous sommes de plus en plus isolés. Je vous ai parlé de la Suisse. La Belgique, le Royaume-Uni, les pays nordiques ont une spécialité de médecine d'urgence qui se structure autrement, ce qui explique peut-être un fonctionnement différent. Aux Etas-Unis, c'est le cas depuis trente ans, au Canada, depuis plus de dix ans.

Pour éviter la pénurie d'urgentistes qui risque de se produire prochainement, compte tenu de la difficulté de travail, cette reconnaissance doit avoir lieu au même titre que pour l'activité importante qu'est le médecine générale, qui verra le jour l'année prochaine. J'insiste beaucoup sur ce point. C'est notre domaine de travail le plus important. Cette reconnaissance a un peu de mal à être comprise. Il ne s'agit pas de manifester notre fierté mais de montrer qu'il y a une compétence clinique qui est celle de la transversalité dans l'hôpital et qui n'existe plus actuellement. De moins en moins de médecins sont capables d'avoir une approche transversale. 

Nous nous rapprochons, et ce sera mon dernier mot, des gériatres qui ont aussi une activité transversale et avec lesquels nous aurons certainement beaucoup de choses à faire.

M. le président de la mission d'information - C'est vrai, plus l'hôpital occupe un rang élevé de type CHU, plus la tranversalité diminue.

M.  Deuxièmement, quel jugement portez-vous sur le système d'alerte français ? Troisièmement, quel rôle les urgences pourraient-elles jouer dans sa réforme ? Faut-il créer une spécialité d'urgentiste ? Faut-il affecter des gériatres aux urgences, créer des urgences gériatriques ? Quatrièmement, quel est le profil des victimes que vous avez pu rencontrer ? Sont-elles plutôt mortes à leur domicile ou en maison de retraite ? Enfin, que doit-on faire, selon vous, pour éviter qu'un tel drame se reproduise ?

M. Jean-Marie Rolland - Il s'agit d'une question taquine : un grand nombre des hautes personnalités que nous avons reçues, qu'elles soient de l'administration ou du domaine médical ou universitaire, nous ont dit la difficulté de sensibiliser les médias aux difficultés des urgences. Monsieur Pelloux, quel est votre secret ?

M. Maxime Gremetz - Je crois qu'il n'a pas de secret. Il suffit de parler vrai et de donner l'alerte - c'est du moins comme cela que je l'ai ressenti. Comme j'étais en vacances, j'ai pu regarder un peu la télévision, et je me suis dit que M. Pelloux lançait un cri d'alerte que personne ne lançait. C'est normal que les médias le reprennent. Je ne veux donc pas lui demander son secret mais s'il a le sentiment que ces cris d'alerte répétés ont été entendus, et comment cela s'est concrétisé.

M. Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUHF) - C'est un honneur que d'être là puisque l'association que j'ai le plaisir et l'honneur de présider a demandé très rapidement cette mission et la constitution d'une commission d'enquête, afin que toute la lumière soit faite. La pureté de vos questions montre combien vous avez compris le rôle et l'ampleur de cette catastrophe qui, comme le titrait Le Monde voici quelques jours, a fait plus de morts que jamais depuis la libération de Paris.

Comment a-t-on vécu cette crise et à quel moment a-t-on pris conscience de sa gravité ? À propos de cette gravité, j'ai envie de dire, sans aucune polémique, qu'au cours des dernières années, nous avons mené beaucoup de conflits au niveau des urgences, certes pour souligner le manque de moyens des services d'urgence mais aussi parce que c'est probablement l'ensemble de l'organisation qui est à revoir, notamment en matière de permanence de soins. Il s'agit aussi, avant tout, de donner à l'hôpital public les moyens de travailler. C'est un point que nous avons défendu avec beaucoup de constance.

Comme vous êtes des démocrates, je tiens à préciser que l'association que je préside est vraiment démocratique, représentative avec ses quelque 850 adhérents à jour. J'ai vérifié les comptes avant de partir : nous avons 30 000 euros dans les caisses de l'association, avec des cotisations à 60 euros. Je vous ai apporté des exemplaires de La Muflée, notre organe de diffusion, un journal qui paraît à peu près tous les mois quand nous avons le temps de le faire. Vous verrez, en parcourant ces exemplaires, que nous faisons appel L'année dernière, à pareille époque, nous avions alerté les médias sur le manque de moyens des services d'urgences, notamment en période estivale, et sur les fermetures de lits. Remontons encore plus loin : en 2001, nous avions déjà protesté devant les fermetures d'été de plus en plus importantes. Notre interprétation est que de nombreux directeurs d'hôpitaux profitent de la période estivale pour compresser les budgets et fermer un maximum de lits, pour faire partir tout le monde en vacances et, finalement, ne pas créer d'emplois.

Dès le mois de mai, nous avons alerté et nous avons inscrit dans le protocole d'accord avec l'Île-de-France - que je peux aussi vous faire parvenir - que nous allions avoir des problèmes de lits cet été. Nous sommes même allés plus loin, en disant que certains directeurs d'hôpitaux, agences régionales d'hospitalisation et DDASS n'avaient rien fait. Certains, je n'hésite pas à le dire, ont menti en faisant remonter les chiffres des fermetures de lits pour l'été. On le sait, parce qu'il a déjà fait chaud au mois de juin et que, dès le mois de juin - pour répondre à votre question -, je m'étais exprimé dans plusieurs médias sur les effets de la chaleur, notamment lors de la Fête de la musique, que tout le monde a dite particulièrement réussie parce qu'il y a fait très beau. Je ne sais plus exactement lesquels, pardonnez-moi. Il s'agissait, je crois, d'une ou deux chaînes de télévision nationales et de quelques radios de premier plan. On était inquiets de voir monter progressivement la chaleur. Il n'y a pas eu de vague de chaleur mais on sentait qu'il se passait quelque chose.

Nous avons été reçus, dans le cadre d'Hôpital 2007, avec la délégation de la Coordination médicale hospitalière, présidée par François Aubart, dont l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France fait partie. On m'accorde deux minutes pour parler au ministre. J'ai dépassé ce délai de trente secondes, pour lui dire que nous allions avoir des problèmes cet été. En partant, il m'a dit : « Venez me voir. On en parle ». Il savait que nous étions, de toute façon, prêts à protester. Mais on ne se doutait pas de la catastrophe qu'on allait vivre.

Mme Catherine Génisson - Quand était-ce ?

M. Patrick Pelloux - Nous avons été reçus chez le ministre le 30 juin à 19 h 30. En sortant, le ministre me dit : « Appelez mon secrétariat. Je vous reçois ». Rendez-vous est pris pour le 23 juillet. En attendant, nous comptons. Vous verrez, en effet, dans le journal de l'association comment nous fonctionnons : nous avons régionalisé et nous utilisons beaucoup Internet. Cela nous permet de faire remonter l'information depuis l'ensemble des délégués de région et des délégués départementaux de l'AMUHF, d'une manière très disparate car beaucoup d'hôpitaux ne sont pas encore couverts et, dans certaines régions, ils ne font pas grand-chose. Le chiffre auquel nous parvenons pour les fermetures de lits au niveau national est de 20 % à 30 %.

M. Maxime Gremetz - Il y a une étude là-dessus. Je vous la passerai, si vous voulez.

M. Patrick Pelloux - Oui, merci. Le 23 juillet, nous avons été reçus par le ministre et nous n'avons parlé que du problème des fermetures des lits. Il y avait autour de la table Frédéric Pain, secrétaire général de l'association, qui est aux urgences de Parthenay, le professeur Grimfeld, conseiller technique auprès du ministre, M. Guidoni, conseiller technique auprès du ministre, et M. Mattei. L'entretien devait durer quarante-cinq minutes mais nous avons parlé pendant une heure et demie. Nous avons dit et redit au ministre qu'il nous était impossible de travailler et que nos chiffres, selon les régions, se situaient dans une fourchette de 20 % à 30 %. Lui nous a dit qu'il n'y aurait que 11,6 % de fermetures de lits. C'était donc le 23 juillet.

C'est à peu près dans la semaine qui a suivi que nous avons pris conscience de la gravité du problème, parce que nous avons eu quelques signaux d'alerte, comme le fait que nous manquions de plus en plus souvent de lits, notamment de réanimation. D'un coup, le système commençait à se bloquer de plus en plus.

Nous entrons maintenant dans le vif du sujet. Je serai très bref, parce que vous connaissez bien, je pense, toute la chronologie.

M. le président de la mission d'information - Nous la connaissons bien, en effet.

M. Patrick Pelloux - En gros, comme le montrent certains documents que je vous ai apportés pour bien chiffrer la situation, aux urgences de l'hôpital Saint-Antoine, l'augmentation du passage a été sensible à peu près vers le 30 juillet. La dernière semaine de juillet est importante : je demande, le lundi, à être reçu par la directrice générale de l'Assistance publique. Elle me donne rendez-vous le lendemain matin, 29 juillet, juste avant de partir en vacances, et me reçoit avec le directeur général de la politique médicale. Nous parlons du problème des lits et je me souviens de lui avoir dit, dans son bureau climatisé, juste en face de la mairie de Paris, que, si la chaleur continuait à monter, nous allions à la catastrophe, que tout le monde commençait avoir de plus en plus chaud.

Vous évoquiez tout à l'heure le rôle de relais des médias et leurs interpellations. Il est évident que les médias ont quand même assuré un réel travail. Ainsi, le week-end qui précédait, j'avais enregistré sur la station de radio Autoroute FM un message, diffusé en boucle, sur la prévention de la chaleur, rappelant qu'il fallait boire, se couvrir de linges humides, etc.

Cette semaine se passe sans trop de problèmes mais nous arrivons à la semaine de tous les dangers. Le samedi 2 août, alors que je suis de garde ce week-end, nous recevons des appels inquiétants de certains collègues du SAMU, qui demandent s'ils peuvent déposer à notre déchoquage - c'est-à-dire à la salle de réanimation des urgences - un malade pour lequel ils ne trouvent de place dans aucun service de réanimation à Paris. Il s'agit d'un élément d'alerte : tout à coup, on se dit qu'il se passe vraiment quelque chose de grave.

Nous arrivons à la semaine cruciale du 4 août, où l'on sent que la température monte de plus en plus. Je suis assez sensibilisé aux phénomènes climatiques car j'avais consacré ma thèse aux conséquences du verglas du mois de novembre 1993, où tout Paris s'était retrouvé aux urgences à la suite d'une pluie verglaçante. J'avais donc senti qu'il se passait quelque chose. Le mardi 5 août ne se passe pas trop mal, sans augmentation particulière.

Dans la nuit du mardi 5 au mercredi 6 août, nous observons un nombre anormal de décès : d'un coup, deux décès de personnes d'un certain âge et, surtout, une hyperthermie à 43,5 °C chez un jeune SDF qui dormait sur un banc. On se dit alors qu'un phénomène anormal est véritablement en train de se produire. Vous connaissez toute la chronologie qui suit. Dès le mercredi, j'ai un premier contact avec mon collègue Carli, pour lui dire qu'il se passe quelque chose de grave et qu'il faut absolument agir, et vite.

Ensuite, les chiffres n'ont fait qu'augmenter. Vous pouvez vous reporter au graphique indiquant la répartition du nombre des admis et des décès et des admis vivants par classe d'âge. Nous avons eu des décès de malades entre trente et quarante ans.

M. Jean-Marie Rolland - À Saint-Antoine ?

M. Patrick Pelloux - Oui, à Saint-Antoine. Progressivement, la courbe augmente, et on constate que le nombre de décès augmente avec l'âge. Il y a pourtant eu des décès de jeunes, notamment, ce jour-là, dans ce quartier qui compte de nombreux menuisiers, des jeunes avaient laissé une grande quantité de solvants dans leur camionnette garée en plein soleil : une bulle de gaz avait dû se constituer et, lorsqu'ils sont entrés dans leur voiture, celle-ci a explosé, une porte s'est déchiquetée et a décapité une passante.

J'insiste sur un point très intéressant : aux urgences, nous drainons les pompiers et la police et nous étions donc inform&eac jetables, en nous disant qu'ils intervenaient tellement pour des décès à domicile qu'ils n'avaient plus des gants. Il était clair qu'il se passait quelque chose. Le mercredi 6 août, j'ai donc appelé Pierre Carli, qui me l'a confirmé.

M. Jean-Marie Rolland - Où se situe le sommet de la courbe ?

M. Patrick Pelloux - Aux urgences de Saint-Antoine, le total est d'environ une cinquantaine de décès sur toute la période, avec, un jour, un pic à trois décès - ce qui est énorme, puisque nous avons, normalement, deux décès par mois. Sur la courbe des répartitions des admis ou des transferts, on constate une explosion de la fréquentation des urgences dans la période du 7 au 20 août environ.

Pour donner un ordre de grandeur, sur la période du 4 au 19 août prise en compte par l'InVS pour réaliser son rapport - je n'étais pas d'accord avec l'InVS pour le choix de cette tranche mais il a semblé préférable de la reprendre à des fins de comparaison - nous avions eu, en 2000, 2 032 passages et 300 admis. En 2003, nous avons eu 1 983 passages, soit pratiquement le même nombre, mais 476 admis, soit une évolution considérable. Cela signifie donc que les malades qui venaient aux urgences étaient gravement atteints puisque nous n'avons pas l'habitude de les garder par confort. Un phénomène très étrange était en train de se produire. Je vous ai apporté différents documents, notamment des critères d'alerte du SAMU 93, que vous avez peut-être auditionné.

M. le président de la mission d'information - Nous avons auditionné le SAMU de France et le professeur Carli. Je peux d'ailleurs vous dire, monsieur, que, si vous avez cité le professeur Carli, lui aussi a parlé de vous. C'est une parfaite osmose.

M. Patrick Pelloux - Je serai très rapide parce que j'ai beaucoup de choses vous dire. Vous connaissez la chronologie. Le jeudi 7 août, j'alerte la direction des hôpitaux - j'ai une très grande habitude de n'être accueilli que par les secrétaires - et je réussis à joindre Danielle Toupillier, qui est alors de permanence, et à qui je signale les dysfonctionnements majeurs.

M. Maxime Gremetz - Il s'agit de la direction des hôpitaux ?

M. Patrick Pelloux - Il s'agit de la DHOS, au ministère. Le jeudi 7 août, j'ai tout essayé - sauf les pigeons ! - pour joindre l'AP-HP mais je ne suis pas professeur, donc pas crédible. Voilà, en effet, comment ça fonctionne : à l'Assistance publique, tout ce qui est organe démocratique n'est jamais reconnu, c'est bien connu.

M. Maxime Gremetz - Bien sûr !

M. Patrick Pelloux - Je donne donc l'alerte. Pierre Carli, qui a de meilleures relations que nous avec la direction générale de la santé, essaie de les alerter. Depui Dix ?

M. Patrick Pelloux - Même pas. Le seul cas de décès est celui d'un patient qui avait contracté la maladie en Asie et qui a été rapatrié. Je reviendrai sur le lien avec ces différents systèmes, qui sont prétendûment des systèmes d'alerte. Cela fait partie d'une des questions posées.

Mme Catherine Génisson - Revenons à votre contact avec la DHOS.

M. Patrick Pelloux - Je contacte, en effet, la DHOS. Certains ont dit qu'il s'agissait d'un coup médiatique mais je n'ai fait, à ce moment, aucun communiqué de presse au titre de l'association, parce que j'étais chef de service par intérim. Ce que je redoutais le plus, c'était de voir les infirmières, qui étaient en train de souquer ferme en disant qu'elles n'en pouvaient plus, se mettre en arrêt maladie, car nous n'aurions eu personne pour les remplacer. Nous n'étions que quatre pour faire tourner les urgences : deux de garde la nuit et deux le jour, avec seulement trois internes, puisqu'une interne était en arrêt maladie. Imaginez donc que, tout en gérant ces flux massifs, j'essayais coûte que coûte, dans mon rôle associatif syndical, d'alerter. Il était impossible d'alerter. Je vous le dis comme je le pense : ils n'entendaient pas. Pierre Carli me disait qu'ils ne comprenaient pas. Le 8 août, toutefois, une personne importante, M. Deroubaix, secrétaire général de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, a fait une note relative à un plan de mobilisation pour la prise en charge des urgences.

Il a ajouté une note à la main parce que j'ai réussi à le joindre ce jour-là pour lui dire que ça n'allait pas du tout. M. Deroubaix m'écoute un peu plus que la moyenne, parce que nous avons travaillé ensemble sur le conflit du mois de mai. Il a donc ajouté : « La situation est globalement très préoccupante. Je vous demande instamment de prendre toute initiative nécessaire dès réception de cette note, tout en ayant conscience que la situation est difficile ».

Que se passe-t-il alors ? Le 8 août, on essaie de se mobiliser avec cette note. J'ai des mots très vifs avec un jeune interne d'orthopédie qui refuse d'accepter des malades pris en charge par le SAMU parce qu'il estime qu'il ne peut pas les prendre. Le samedi 9, c'est l'explosion : plus un seul lit d'hospitalisation, plus un lit de réanimation, sur toute l'Ile-de-France ! Le système bogue !

C'est alors que Le Parisien me téléphone. J'ai oublié de vous préciser que je les connais. Nous avions fait, le 28 juillet, une conférence de presse, au nom de l'association, pour alerter sur le manque de moyens, les fermetures de lits, le manque de création d'emplois, etc., dans les hôpitaux, et dire que nous ne pouvions pas tourner. Les journalistes s'en sont souvenus et nous ont rappelé. Marc Payet fait son papier avec une interview. Je me dis alors que, puisque j'ai eu des morts, je vais regarder. Par le réseau Internet, je contacte mes collègues du SAMU 93, du SAMU 94 et je parviens un chiffre qui dépasse largement soixante-qui téléphoné au ministère ?

M. Patrick Pelloux - Oui, j'ai téléphoné mais, le samedi, c'est le black-out.

M. Maxime Gremetz - Le ministère est en panne.

M. Patrick Pelloux - On alerte comme on peut. On alerte les médias. Pierre Carli continue au niveau de la direction générale de la santé, etc. C'est à ce moment-là que je passe mon coup de gueule dans Le Parisien, dans l'édition du dimanche matin 10 août, et que TF1 le relaye le soir. Le lendemain matin, je suis informé par les journalistes du travail de sape de la DGS contre ce que j'ai fait. Elle n'est d'ailleurs pas seule à le faire et je pourrais même demander des excuses à un certain nombre de très hautes personnalités. Je ne le ferai pas, par décence, bien qu'on m'ait copieusement « allumé » à cause de l'alerte légitime que j'ai donnée. Si la situation se présentait à nouveau, je le referais pourtant.

Le lundi matin, j'apprends donc que la DGS essaie de minimiser la situation en parlant de morts naturelles. Je parviens à joindre au téléphone Mme Bolot-Gittler, du cabinet du ministre. Je lui dis qu'il s'agit d'une véritable catastrophe et qu'on ne peut pas parler de morts naturelles. C'est pour ça, je pense, que, dans son intervention, le soir, sur TF1, le ministre a dit : « Je ne laisserai pas dire qu'il s'agit de morts naturelles ». Mais nous n'étions pas d'accord sur ce qu'était véritablement la catastrophe. Sur le terrain, nous savions que tout avait disjoncté et qu'on ne fonctionnait plus. Les collègues nous alertaient par e-mail. J'ai ici, notamment, des notes reçues de Moulins, par lesquelles mon collègue Charles-Noël Camard, responsable des urgences de Moulins, alerte la DDASS 03, en disant quotidiennement que la situation est extrêmement difficile. On essaie d'alerter et de faire ce qu'on peut.

C'est à ce moment-là que j'ai pris conscience de la gravité de la situation. Le lundi matin, quel a été mon rôle ?

M. Maxime Gremetz - Que pensez-vous de l'intervention du ministre ?

M. Patrick Pelloux - La première intervention du ministre, je pense.

M. Maxime Gremetz - Quand il dit, en polo, que la situation est maîtrisée.

M. Patrick Pelloux - J'ai pris conscience, le lundi matin, de l'ampleur des dégâts, lors d'une réunion de cellule de crise. C'est tout à l'honneur de la directrice générale de l'Assistance publique et de M. Deroubaix de m'avoir invité à cette cellule de crise. D'un coup, j'ai pris conscience de ce que je sais depuis déjà longtemps : il y a, d'un côté, des médecins, des administrateurs, des gens de terrain, qui savent ce qui se passe, dans la réalité du contact avec le public, et, d'autre part, une technostructure qui se situe à mille mi éviter des morts. Il me paraît évident, même s'il est très difficile et subjectif de l'affirmer ainsi, que des gens extrêmement affaiblis, entassés dans une salle deux fois plus petite que celle où nous nous trouvons et à peine climatisée, aient pu se laisser aller.

Quel jugement porter sur le système d'alerte français ? C'est une catastrophe. D'abord, en effet, il n'écoute que ce qui est universitaire. Je profite de ma présence devant vous pour souligner qu'aucune réforme de l'hôpital ne marchera sans une réforme du lien entre l'université et l'hôpital. Faites de cette remarque ce que vous voulez !

Quel rôle les urgences pourraient-elles jouer dans sa réforme ? Il est évident qu'il ne sert à rien de créer un réseau d'alerte puisque ce sont les urgentistes qui vont s'alerter eux-mêmes ! C'est inutile. Le réseau d'alerte doit permettre une mobilisation et un déclenchement d'effecteurs. C'est comme si vous disiez que le réseau d'alerte des pompiers ne fonctionne pas et qu'on va le renforcer : si on ne fait pas en sorte que les pompiers aient des camions qui roulent et des effectifs, ça ne marchera pas. Les urgences sont ce réseau d'alerte.

Ce réseau d'alerte, on peut le monter tous ensemble en une semaine. Nous avons Internet et un personnel qui connaît parfaitement son travail, qui ne tirera pas le signal d'alarme pour deux ou trois cas de grippe. Je peux vous dire, par exemple, qu'il y a en ce moment à Paris, de toute évidence, une épidémie de gastro-entérite virale - d'ailleurs, je l'ai attrapée. Il y a de très nombreux cas, nous le savons. Nous devons nous alerter nous-mêmes pour savoir quelles en sont les conséquences au niveau local.

Vous me demandez quelle réforme apporter à ce système. C'est, évidemment, une réforme de proximité, au niveau des mairies et du lien social. Ce qui nous a manqué le plus au cours de cette crise, tout le monde le dit, c'est un relais très rapide avec les mairies. On peut mobiliser d'un coup du personnel et renforcer, éventuellement, les effectifs des urgences pour donner un coup de main.

Faut-il créer une spécialité d'urgentiste ? Oui, c'est évident, et les parlementaires l'ont, d'ailleurs, voté avec l'amendement Nauche et Génisson en avril 2002. Il faut créer cette spécialité mais cela ne sert à rien si c'est comme dans les années 1960 - je vous le dis franchement, même si cela tranche sur ce que disent certains de mes collègues. Si on le fait pour créer vingt-six postes de professeurs de médecine d'urgence, cela ne sert à rien ! Ne la faisons pas. Mais si on le fait en vue de l'érudition de chacun des partenaires - car je n'ai rien contre la médecine libérale et la permanence des soins, j'y reviendrai tout à l'heure -, on peut créer quelque chose et établir un lien intéressant. Le savoir ne doit pas être toujours la preuve du pouvoir dans le monde hospitalier. Sinon, nous allons à l'échec, et c'est probablement là l'une des explications du fait qu'entre 1990 et 1995, lorsqu'un milliard de francs a été donné pour les services d'urgence, un tiers des sommes seulement non plus, climatisés, et qu'il y a donc fait aussi chaud.

Mme Catherine Génisson - Y a-t-il eu une augmentation des hospitalisations en pédiatrie ?

M. Patrick Pelloux - Pas pour déshydratation parce que les parents savaient comment réagir. Le lien familial a beaucoup joué. Mais les enfants hospitalisés ou souffrant de pathologies ont vu leur état s'aggraver. D'autre part, l'état des malades chroniques a, lui aussi, été aggravé. Les malades atteints de cancers se sont laissés aller et on sait qu'une perte d'eau massive entraîne, notamment pour les cancers en stade terminal, des désordres hydro-électrolytiques majeurs.

Je voudrais encore insister sur un point qu'ont mis en lumière les urgences médicales de Paris. Il ne faut pas dire, à ce propos, que nous n'avons pas travaillé avec les médecins libéraux car les urgences médicales de Paris ont eu un rôle fondamental. Elles ont permis de garder un certain nombre de malades chez eux. Il est évident que certaines personnes ont pris plus de médicaments qu'elles n'ont bu d'eau ou mangé de steak haché dans la journée. Ces personnes ont conservé les mêmes dosages et l'excès de neuroleptiques ou de psychotropes a fait des victimes. C'est une question très difficile car, même dans le cadre de votre commission d'enquête, il est impossible de procéder à des dosages et à des autopsies pour ces quelques 15 000 à 20 000 décès, mais on sait que beaucoup de ces gens qui figurent dans les courbes avaient des associations médicamenteuses qui pouvaient se transformer en cocktail létal.

Sont-elles mortes plutôt à leur domicile ou en maison de retraite ? Les chiffres avaient été donnés et il est évident qu'il faut s'inquiéter de la qualité des soins dans certaines maisons de retraite. Il faut probablement établir certaines normes pour les maisons de retraite. Il n'est pas souhaitable que certaines organisations lucratives - ce n'est pas le lucre qui me gêne mais le fait qu'il soit parfois le seul moteur - accueillent des personnes âgées avec, parfois, un seul agent pour soixante malades, que, le soir, on les attache pour qu'ils ne fassent pas de bruit, et qu'on distribue de l'Haldol pour être sûr que tout le monde dorme. Ce n'est pas du boulot ! Je pense, d'autre part, qu'il vaut mieux aller dans le sens qui consiste à maintenir les gens à domicile et à établir un lien social avec les systèmes de proximité pour y parvenir.

Faut-il construire des services de gériatrie ? Nous ferions une erreur car cela conduirait à un ghetto. A l'heure actuelle, nous luttons contre cette nouvelle forme de ségrégation dans les hôpitaux qu'est l'âgisme. On ne demande plus de quoi souffre le malade mais quel âge il a, ce qui est effrayant.

Il faut acquérir une nouvelle culture dans les facultés de médecine. Il faudrait demander à l'ensemble des responsables et des doyens des vingt dernières années pourquoi ils n'ont pas favorisé la naissance de la médecine de prévention et le développement de la m&eacu Carcassonne, où ce dispositif a permis, il y a quelques années, de limiter les conséquences de la catastrophe de l'Aude - le système permet une efficience pour les malades. Je ne parle pas de rentabilité !

Si je puis me permettre un dernier mot : pour éviter ce drame, votre réflexion doit, bien sûr, porter sur la médecine mais pas seulement. Il va falloir s'interroger sur l'urbanisme. Beaucoup de personnes âgées, en effet, vivent dans des quartiers qui n'ont même plus de commerces de proximité : il n'est pas facile de faire ses courses avec deux prothèses de hanche et un handicap certain. Il va falloir réfléchir aussi à l'architecture et à beaucoup d'autres choses.

Nous avons sensibilisé les médias et il n'y avait là aucun coup politique. Nous avons fait notre boulot parce que quelques personnes qui étaient chargées de dossiers ou avaient des responsabilités dans les cabinets ont peut-être mal compris la gravité de la situation. Elles n'ont peut-être pas suffisamment informé les autorités situées au-dessus d'elles - y compris les ministres - de ce qui se passait réellement sur le terrain. C'est ce que j'ai ressenti lorsque j'ai été reçu à l'interministérielle, le 14 août, par M. Raffarin, avec beaucoup de gens autour de la table. J'ai posé la question à M. le Premier ministre alors qu'il avait déclenché à juste raison, la veille seulement, le plan blanc qui nous a permis d'évacuer en moins de cinq minutes - rendez-vous compte ! - quarante malades vers des lits d'hospitalisation.

Ceux qui disent que c'était la faute de la RTT se trompent : aucune infirmière n'a compté ses heures, aucun médecin ne discute. Ce n'est pas la question. Tout d'un coup, ce plan blanc nous a permis d'ouvrir un maximum de lits et d'aller dans le sens d'une efficacité totale du système, ce qui est extrêmement positif.

Pour terminer, certains disent que, finalement, le système hospitalier ne s'est pas si mal débrouillé. Ce n'est pas vrai : le système hospitalier a réagi selon sa vocation première de service public et sa croyance en un service et une solidarité, donc avec une forme d'humanisme qui est une richesse pour notre pays. Dire qu'il s'en est, finalement, bien sorti et ne pas lui donner les moyens supplémentaires, c'est le suicider. Il faut rendre hommage au personnel pour ce qu'il a fait là. Nous ne voulons pas de prime. Nous voulons simplement que la Nation - et l'on sent bien que les Françaises et les Français y sont prêts - engage des finances exceptionnelles pour rénover ses hôpitaux. Il ne s'agit pas de refaire les hôpitaux des années 1960 mais de mettre vraiment en place un système de service public qui réponde à la globalité de sa mission, tant pré-hospitalière qu'hospitalière.

Il n'y a pas de conflit avec les médecins libéraux. Nous travaillons avec eux. J'ai été reçu par le Conseil national de l'ordre des médecins et le serai à nouveau vendredi prochain. La seule chose que nous lui demandons solennellement - je le redirai à son nouveau président - c'est qu'il fasse son travail en matière de c importante : son approche a été différente de celle d'autres acteurs, car il n'a pas préconisé la création de lits de gériatrie. Que faut-il faire à la place ? Des lits de médecine générale ou de médecine polyvalente ?

M. Patrick Pelloux - Non. Il faut des unités mobiles. Je fais partie de ceux qui pensent que plus nous irons vers des unités mobiles et moins on créera de services, plus ça marchera.

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* *

XXVI. Audition de M. Jean-Jacques Tregoat, directeur général de l'action sociale

(séance du mercredi 17 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Quel a été le rôle de la direction générale de l'action sociale (DGAS) pendant la crise ? Pouvez-vous préciser à quelle date vous avez perçu qu'il se passait quelque chose d'anormal ? Qui avez-vous alerté ? Pouvez- vous fournir l'ensemble des documents dont vous disposez sur ce point ?

La canicule, selon vous, révèle-t-elle une crise essentiellement sanitaire ou sociale ? Y a-t-il eu un manque de personnel dans les maisons de retraite ? Quels moyens peut-on mettre en œuvre pour y remédier ? Quels enseignements tirez-vous de ce drame ?

M. Jean-Jacques Tregoat, directeur général de l'action sociale - Je commencerai par répondre à la première question. Comme je l'ai indiqué dans le dossier que je vous ai remis, la DGAS a un rôle de mise en œuvre d'une politique globale en direction de personnes âgées, qu'elle mène naturellement avec de nombreux partenaires : d'autres administrations de l'État - notamment la direction de l'hospitalisation et de l'offre de soins (DHOS), avec qui nous partageons un certain nombre de responsabilités -, les départements, les communes, compte tenu de la décentralisation.

J'ai été présent durant toute la crise, car j'ai été nommé directeur général de l'action sociale ce mois de juillet. J'étais précédemment directeur de cabinet du directeur général de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris. Puisque je prenais mes fonctions, j'avais décidé de ne pas prendre de congés, et, bien évidemment, lorsque la crise est arrivée, je suis, plus que jamais, resté à mon poste, y compris le week-end du 15 août, où je suis resté à Paris.

Quand ai-je été alerté ? D'une manière assez étonnante - en dehors du communiqué de la direction générale de la santé (DGS) daté du 8 août, que j'ai eu postérieurement - ce n'est que le dimanche 10 août, par un appel téléphonique reçu par la fonctionnaire de permanence de ma 10pt">Mme Catherine Génisson - On ne vous a donc pas demandé de consulter votre site pour le voir ?

M. Jean-Jacques Tregoat - Je ne l'ai pas vu, et il y a là un problème de fonctionnement.

Mme Catherine Génisson - On ne vous a donc pas alerté ?

M. Jean-Jacques Tregoat - Non.

Mme Catherine Génisson - Et le 9 août, rien du tout ?

M. Jean-Jacques Tregoat - J'ai été informé le dimanche 10 août. J'ai prévenu immédiatement, le même jour, le cabinet du secrétaire d'État aux personnes âgées.

Le lundi 11 août, il nous faut absolument informer de la situation médico-sociale l'ensemble des personnes concernées, à domicile ou dans les maisons de retraite. Ce qui nous a paru le plus efficient était un communiqué de presse - c'est celui de M. Falco, du 11 août, dont il vous a parlé. Le 12 août, nous essayons de renforcer l'alerte par un deuxième communiqué, auquel sont jointes un certain nombre de recommandations de bon sens, qui ne faisaient que reprendre celles de deux textes de 2002 et 2003.

À partir de ce moment, nous nous trouvons véritablement en situation de crise sanitaire. Le problème qui se pose à moi, comme à tout le monde, est d'apprécier le nombre des décès. Les 13 et 14 août, nous travaillons sur une circulaire que j'envoie, le 14 août, à l'ensemble des DRASS et des DDASS (directions régionales et directions départementales de l'action sanitaire et sociale), avec copie aux préfets, de façon à pouvoir identifier, maison de retraite par maison de retraite et département par département, dans la plus grande urgence, le nombre de personnes décédées, qui commence à faire l'objet d'un débat.

Très vite, nous pensons qu'au-delà de l'aspect dramatique de ces décès, il faut aussi sensibiliser à nouveau l'ensemble des responsables aux problèmes de prise en charge des personnes âgées, notamment en vue de la préparation du retour à domicile des personnes hospitalisées. Un nouveau document est donc rédigé. Le 16 août, M. Falco adresse aux DDASS un courrier qu'il leur demande de transmettre rapidement aux maires.

Le matin du 19 août, le directeur de cabinet de M. Falco prend l'initiative, avec la DGAS, de réunir l'ensemble des directeurs d'établissements et des responsables de direction, puis, dans la deuxième partie de la matinée, les responsables de services de soins à domicile, pour essayer de faire un bilan avec eux, car je n'ai eu, durant toute cette période, aucun appel téléphonique des DDASS. Si c'est paradoxal, ce n'est pas tout à fait anormal dans le cadre d'une crise sanitaire : les DDASS doivent d'abord avertir la DGS. Je souhaite qu'à l'avenir elles contactent aussi l 'Arial'; font-size: 10pt">Nous nous apercevons donc, le 19 août, que chacun, sur le terrain, s'efforce de faire au mieux. Services de soins à domicile et établissements reconnaissent qu'eux non plus ne nous ont pas prévenus, et n'ont peut-être pas vu immédiatement les conséquences dramatiques de la canicule.

Après le 19 août s'enchaînent une série de réunions et, surtout, se mettent en place des dispositifs destinés à prendre le mieux possible en charge les personnes âgées à leur sortie de l'hôpital. Très vite, en effet, nous avons pensé - c'est une leçon de mon expérience à l'Assistance publique - que les gens se trouvaient, certes, à l'hôpital, mais que la vraie question était, pour un certain nombre d'entre eux, soit de pouvoir revenir, dans les meilleures conditions possibles, à leur domicile s'ils le pouvaient, soit de trouver une place dans un établissement. Nous avons donc travaillé immédiatement sur un plan d'urgence, et adressé une nouvelle note aux DDASS, que vous trouverez dans le dossier, leur demandant d'essayer d'évaluer, au plan local, les besoins en services de soins à domicile et en renforts dans les maisons de retraite.

Suit une série de réunions, le 2 septembre, réunissant autour des trois ministres l'ensemble des organisations représentant les établissements et les services de soins. Le même jour est envoyée une note confirmant que nous allons mettre en place un plan d'urgence et qu'il nous faut évaluer les besoins.

Le 9 septembre, j'adresse à nouveau une circulaire aux DDASS - tout cela figure également dans le dossier - sur un point extrêmement important : sans attendre la remontée de toutes les informations, il paraissait souhaitable que les présidents de conseils généraux, les préfets et les DDASS puissent se réunir immédiatement pour adapter les plans d'aide et éviter d'entrer dans des procédures administratives très longues, afin que les gens qui avaient besoin de soutien puissent en obtenir très rapidement. J'avais également le souci de travailler avec la DHOS, pour que les crédits relevant des enveloppes « médico-sociales » de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) puissent être rapidement engagés là où on en avait besoin.

Hier, il a été décidé que les services d'aide à domicile et les maisons de retraite disposeraient de moyens d'urgence supplémentaires, et nous sommes en train, en ce moment même, d'écrire aux DDASS et aux préfets une note que je devrais signer ce soir avec Édouard Couty (DHOS) et le directeur de la sécurité sociale, leur demandant de mettre en place dans les meilleurs délais les crédits qui vont leur être délégués. Ces moyens permettront de venir en aide aux personnes âgées retournant à domicile, en leur apportant un soutien plus important en services de soins à domicile ; ils permettront aussi à toutes les personnes qui, dans les maisons de retraite, n'ont pas pris de repos, à tous les agents qui se sont dévoués pendant toute cette période, de prendre des congés légitimes, en s'assurant que - c'est un sujet que je connais bien, pour a s'est passé dans chaque établissement en matière de décès, pour pouvoir en tirer une politique générale. Vous constaterez, en effet, des distorsions et des dispersions géographiques extrêmement importantes, que j'ai du mal à m'expliquer. Ainsi, la Creuse a-t-elle été beaucoup plus touchée que la Corrèze et la Haute-Vienne, où je pensais, d'une manière intuitive et compte tenu de la sociologie, qu'on trouvait aussi une population âgée et un habitat dispersé. Une analyse doit donc être menée par département, et même par bassin de vie.

Mme Catherine Génisson - Votre dernier constat pourrait-il confirmer une impression tout à fait subjective que j'ai, à savoir que de petites maisons de retraite, dont les pensionnaires et le personnel sont, pour la plupart, des habitants de la commune, ont pu favoriser le maintien du lien social, ce qui expliquerait peut-être que ces maisons, sans être particulièrement bien armées ni disposer d'un personnel d'une grande technicité, aient obtenu de meilleurs résultats ?

Nous avons auditionné les responsables du SAMU et des urgences. Je suis ébahie - mais ce n'est pas du tout un reproche - de voir que, si vos services ont réagi à partir du 10 août, avec une chronologie qui semble correcte à partir de cette date, ils semblent avoir été complètement imperméables jusque-là, même aux informations. Il y avait quand même déjà eu, le 10 août, un certain nombre de déclarations et d'alertes, auxquelles on n'a prêté aucune attention, ce qui me semble renversant.

M. Claude Evin - Vous avez dit, à plusieurs reprises, que les informations étaient sans doute remontées à la DGS, mais que vous ne les aviez pas eues. Comment cela se passe-t-il concrètement ? À partir des établissements ou des DDASS, téléphoner directement à la DGAS, à la DGS ou à la DHOS est-il le seul moyen d'alerte ? Cela signifie-t-il qu'il n'existe aucune connexion centrale de l'ensemble des informations, indépendamment des autres systèmes de veille qui peuvent éventuellement exister au niveau du ministère ? Pouvez vous me confirmer cette appréciation ?

Un certain nombre de décisions avaient été prises précédemment par le Gouvernement, en matière de moyens destinés aux établissements pour personnes âgées, en particulier au titre de leur médicalisation, et à d'autres services, comme les centres locaux d'information et de coordination gérontologique (CLIC). Comment appréciez-vous aujourd'hui la situation des moyens de médicalisation des maisons de retraite, d'encadrement de ces établissements, de coordination, etc. ? Je mesure bien que vous venez d'arriver à la direction générale de l'action sociale, et que vous n'aurez peut-être pas tous les éléments d'appréciation.

Pourquoi, après la réunion du 2 septembre, qui a réuni des ministres et à l'issue de laquelle une circulaire a indiqué aux préfets et aux DRASS que le gouvernement tenait à ce que le retour des personnes âgé dans un premier temps du moins, pour faire face aux conséquences de cette canicule ?

M. le président de la mission d'information - Dans une annexe au document que vous nous avez remis, vous évoquez un différentiel - par rapport à la moyenne des années précédentes - de 4 781 décès provenant d'établissements. Qu'entendez-vous par « établissements » ?

M. Jean-Jacques Tregoat - Il s'agit seulement des maisons de retraite, c'est-à-dire du secteur médico-social, hors hôpitaux. Les services de séjour en longue durée dépendant d'hôpitaux ne sont pas pris en compte.

M. le président de la mission d'information - Le chiffre est global, et comprend les décès par transfert, c'est-à-dire les malades qui sont partis des maisons de retraite vers les hôpitaux ?

M. Jean-Jacques Tregoat - Ils ont pu partir aussi de leur domicile, mais c'est essentiellement des maisons de retraite.

M. le président de la mission d'information - Cela voudrait donc dire, indirectement, qu'environ 8 000 personnes sont décédées soit à l'hôpital, soit à leur domicile ?

M. Jean-Jacques Tregoat - Nous faisons actuellement réaliser une analyse complémentaire, car j'avais demandé ces informations dans l'urgence, le 14 août, et elles sont remontées extrêmement vite. Le document que vous évoquez est désigné comme le « quatrième bilan », mais nous avons eu des premiers résultats dès les 19 et 20 août. Ma direction n'est pas compétente pour réaliser des études scientifiques, et l'analyse plus méthodologique en cours est donc réalisée avec la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES). J'ai cosigné une note - qui ne figure pas dans le dossier, mais que je pourrai vous transmettre - demandant aux DDASS de retravailler les premiers documents qui nous avaient été communiqués, pour affiner cette analyse et répondre à votre question.

M. le président de la mission d'information - Bien que les délais ne permettent pas de disposer de ces informations dans le cadre de la mission d'information, il sera très important, par la suite, d'avoir des chiffres par département, par zone et par établissement.

M. Jean-Marie Rolland - Les décès recensés dans le document ont-ils été comptabilisés à partir du retour des certificats de décès, ou avez-vous un autre moyen d'obtenir ces chiffres ?

M. Jean-Jacques Tregoat - Le problème est que nous manquons d'informations. Les DDASS n'ont qu'une partie de l'information, et il s'agit là d'informations qu'ils m'ont communiquées à partir de celles qu'ils ont recueillies auprès des établissements. Comme elles sont remontées et le reste partagé à peu près également entre l'hôpital et le domicile. Mais certaines personnes qui étaient à leur domicile sont allées mourir à l'hôpital. La question est donc extraordinairement difficile, et nous avons demandé que nous soit fournie, à partir du fichier FINES, une liste par département et par DDASS beaucoup plus fine, afin de tenter d'analyser ces informations.

Pour ce qui est du problème de l'information, il va de soi qu'en dehors des heures que je passais à mon bureau, le soir, je lisais la presse. Mais le problème était sanitaire. Que peut faire le directeur général de l'action sociale face à un problème sanitaire, quand il apprend qu'il y a, ou qu'il risque d'y avoir, des décès dans les maisons de retraite ? Cela pose le problème de la prévention. Je souhaite que la DGAS, avec la DHOS et la DGS, s'implique plus en amont, mais nous étions là sur le versant sanitaire. Comment faire en sorte que demain, avant le versant sanitaire, il y ait une action de prévention ? Ce n'est pas simple, il y a 10 000 maisons de retraite.

Mme Catherine Génisson - Votre réponse est tout à fait caractéristique des dysfonctionnements de notre système, et ce type de raisonnement illustre la séparation effrayante qui existe entre le médical et le médico-social. Il est évident que les personnes qui arrivaient aux urgences, transportées par le SAMU ou par les pompiers, représentaient un problème qui était devenu sanitaire. Se pose le problème de l'anticipation très en amont, et des politiques qui ont été ou n'ont pas été menées. Cependant, tout le monde s'accorde à reconnaître que des dispositions assez simples pouvaient être prises en amont, pour lesquelles les consignes pouvaient passer par votre direction, dans la mesure où elles concernaient, justement, les maisons de retraite.

M. Jean-Jacques Tregoat - Il ne s'agissait pas seulement des maisons de retraite.

Mme Catherine Génisson - Mais pourquoi ne pas toucher, au moins, les maisons de retraite ?

M. Jean-Jacques Tregoat - Dans le domaine sanitaire et dans le domaine de la prévention, il faut prévenir les gens qui sont à domicile, isolés et moins isolés, les maisons de retraite, les personnes dans les hôpitaux de long séjour. C'est pour viser le plus largement possible que nous avons préféré recourir à un communiqué de presse les 11 et 12 août.

J'ai été responsable de l'action sociale au département de Paris et travaillé à l'Assistance publique ; j'ai lutté, dans ces vies antérieures, et j'ai beaucoup écrit sur le sujet, notamment dans le schéma départemental, afin que nous puissions travailler ensemble et casser cette dichotomie entre le médico-social et le sanitaire, dont j'ai assez souffert dans toutes mes activités. Je souhaite, dans mes nouvelles fonctions, m'impliquer pour essayer de transgresser un peu ces frontières administratives, car cette situation est dure pour tout le monde, y compris pour les usagers, et notamment pour les paren passe quelque chose, mais qu'il n'y a pas, auparavant, de remontée des hôpitaux, ni des pompiers, ni de quiconque, du moins à la DGAS.

Pour répondre à M. Evin sur les problèmes de communication, je souhaiterais aussi que l'on puisse communiquer par des systèmes modernes avec les maisons de retraite. Quand j'ai demandé aux DDASS des informations, je supposais qu'ils disposaient de liens directs avec les maisons de retraite ou les CLIC, mais ils n'en avaient pas. Il nous faut donc réfléchir à un système ; ce sera le rôle des CLIC et des structures comparable de mettre en place les systèmes informatiques nécessaires et cela pose le problème de l'informatisation des maisons de retraite - peut-être certaines petites maisons de retraite pourront-elles se regrouper à cet égard.

Je vais vous répondre à propos du délai de mise en œuvre du plan d'urgence. Le 2 septembre, en fin de compte, l'information était bien passée. Ce que j'ai demandé le 9 septembre - et qui avait déjà été demandé par le président Mercier et par un certain nombre de personnes qui assistaient à la réunion avec les ministres - était que l'on organise très vite des réunions entre les conseils généraux et les préfets, pour éviter tout dysfonctionnement. Dans ma note du 9 septembre, je rappelle - c'est même, je crois, en caractères gras - qu'il faut, sans attendre, faire des réunions sur le terrain. À défaut de réunions en amont, il faut une coordination en aval. Notre problème était de se coordonner à propos de l'aide ménagère. En effet, vous le savez, l'aide ménagère est accordée par les départements ou par les caisses de retraite. Pour l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), la procédure est plus compliquée, et prévoit des plans de soins avec les services d'aide à domicile.

En ce qui concerne le lien avec l'hôpital - qui me paraissait très important à l'Assistance publique -, lorsque les hôpitaux connaissent les personnes âgées qui ont séjourné dans leurs lits, ces personnes ne doivent surtout pas stationner aux urgences. Si elles doivent retourner à l'hôpital, cela doit être le plus fluide possible.

Voilà tout ce que j'essayais d'expliquer dans ma deuxième note, qui était complémentaire de la première. Il ne s'agit donc pas d'un problème de délai de réaction, mais d'une note complémentaire de la première, et les DDASS étaient bien sensibilisées.

M. Claude Evin - Je constate, cependant, que la première note, signée des ministres, ne demande pas l'identification des moyens.

M. Maxime Gremetz - On voit bien, et de plus en plus, la séparation dramatique qui existe entre le sanitaire et le social. C'est un problème tout à fait sérieux : chacun reste dans son secteur. En même temps, je reste toujours aussi impressionné de vous entendre dire que rien n'est remonté et que ce qui vous a alerté, c'est, par exemple, un article dans Le Paris 160;Claude Evin - C'est la réponse à la circulaire du 9 septembre.

M. Maxime Gremetz - De deux choses l'une, donc : soit ces 40 millions correspondent bien au retour des informations que vous avez demandées et qui ont été globalisées au niveau national, soit il s'agit d'une mesure arbitraire, prise sans tenir compte de rien, et je dirai à M. Fillon ce que j'en pense.

M. le président de la mission d'information - Monsieur Gremetz, je comprends très bien votre raisonnement, mais nous avons interrogé M. le directeur sur les causes et les conséquences sanitaires et sociales de la crise de la canicule, dans son domaine de compétence. J'ai indiqué aussi à M. le directeur, avant votre arrivée, que s'il n'arrivait pas à répondre, dans le timing, à toutes les questions, il pourrait compléter ses réponses par écrit. Restons bien dans la période de la canicule, et non pas dans la période post-caniculaire.

M. Maxime Gremetz - Je veux bien y rester, mais les mesures d'urgence concernent aussi la canicule. J'attire votre attention - ce n'est pas à vous, monsieur le directeur général, que cela s'adresse - sur le fait que nous allons arriver à la fin de la mission, et que nous n'aurons pas encore toute la clarté et la transparence promises, faute de résultats par région, par département et par ville.

M. le président de la mission d'information - Les délais sont trop courts. Je pense sincèrement que, sans mauvaise volonté de la part de quiconque, se pose tout de même un problème de regroupement des informations. Nous avons besoin de beaucoup plus de détails concernant les départements, les types de maisons et les établissements concernés. Nous le souhaitons tous, mais on s'aperçoit que la mission d'information est trop courte, et que la commission d'enquête est plus que nécessaire pour répondre à nos questions.

M. Claude Evin - M. le directeur général de l'action sociale nous a dit que la canicule posait plutôt un problème sanitaire. On pourrait y revenir, mais nous n'y insisterons pas davantage aujourd'hui.

M. le président de la mission d'information - Il s'agit d'un problème sanitaire avec des conséquences médico-sociales. Je constate que M. Tregoat, qui venait d'arriver, est le seul qui n'était pas en vacances.

M. Claude Evin - Cela justifie peut-être que l'on n'approfondisse pas davantage aujourd'hui la place exacte de la DGAS dans cette période de crise, même s'il faut éventuellement y revenir plus tard.

Toutefois - c'est la raison pour laquelle il me semble important que nous puissions apprécier les suites de la canicule, et les questions de Maxime Gremetz sont donc fondées -, l'un des objets de la mission d'information est la préparation du débat sur la loi de financement de la sécurité sociale, qui fixera notamment l'ONDAM et ses enveloppes « médico-sociales qu'appréciez-vous ? Considérez-vous que ces 40 millions représentent 20 % de la somme qui serait nécessaire pour faire face aujourd'hui ? Si vous n'avez pas d'éléments sur cette question, dites-le nous, mais c'est cela qui nous intéresse.

M. Jean-Jacques Tregoat - Nous avons évoqué les moyens de coordination en parlant des CLIC. Nous devons trouver des structures qui nous permettent de coordonner au plus près du terrain. L'idée est de faire quatre cents ou cinq cents CLIC, mais vous savez que les CLIC sont de niveaux différents. Ce seraient certainement des CLIC de niveau 3 plutôt que des CLIC de niveau 1, afin que la prise en charge de la personne âgée soit la meilleure possible, en lien, d'ailleurs, avec les médecins référents.

M. le président de la mission d'information - J'ouvre une parenthèse. J'ai pu remarquer au niveau national, à la suite d'évaluations menées sur le terrain, que certains CLIC pourraient être classés 2 ou 3, mais que les conseils généraux, pour des raisons diverses, n'apprécient pas les CLIC et font tout pour qu'ils soient classés 1 ou 2.

M. Georges Colombier - Cela a déjà été dit. Je suis, pour ma part, un fervent défenseur des CLIC, et je suis l'élu d'un département qui les soutient vivement, pour la bonne raison que nous en avions mis en place avant même que la mesure nationale ne soit prise. Lors des autres auditions, j'ai souvent posé la question, que je vous pose aussi, de savoir s'il ne serait pas opportun de leur donner un rôle encore accru en termes de prévention et de veille sanitaire, sur le terrain, en augmentant encore leurs compétences. Vous l'avez dit, puisque vous plaidez pour les CLIC de niveau 3.

M. Jean-Jacques Tregoat - En effet, parce que je suis cohérent avec moi-même. Lorsque j'ai fait le schéma départemental à Paris, j'ai mis en place ce que j'appelle les plates-formes gérontologiques, qui sont devenues les points Paris-Emeraude, lesquels, d'une certaine façon, ressemblent beaucoup à des CLIC. Je crois que, dans la vie, on ne vit que d'expérience. Je rencontre, toutefois, des problèmes d'articulation, puisque l'enveloppe « médico-social-personnes âgées » de l'ONDAM ne relève pas de la compétence de la DGAS. Si on médicalise les CLIC, se pose donc un problème d'harmonisation et de décentralisation, puisque les CLIC sont co-pilotés, aujourd'hui, par les départements et par l'État.

M. le président de la mission d'information - Ils devraient être co-pilotés...

M. Jean-Jacques Tregoat - En effet, mais c'est très variable d'un département à l'autre.

M. Claude Evin - La médicalisation relève-t-elle de la DGAS ou de la DHOS ?

M. Jean-Jacques Tregoat - En théorie, de la DHOS, du moins pour l'aspect financière, ce qui ne veut pas dire que la politique de santé pub les facteurs dans les zones rurales. Une réflexion sociale doit être menée. Je me bats depuis dix ans, et je suis très pugnace, à propos des facteurs et des gardiens d'immeubles, car un digicode ne remplace pas le facteur qui sait que la personne âgée n'est pas descendue ou n'a pas ouvert sa boîte aux lettres. Je pense qu'il faut remettre du lien social, qu'il faut utiliser différemment les jeunes et développer les liens intergénérationnels. On a, à soixante ans, une espérance de vie très importante, et toute une réflexion doit être menée sur l'intergénérationnel.

Il s'agit d'une crise à la fois sanitaire et sociale, et pas simplement médico-sociale. C'est une crise globale de société, qui nous a montré ce qu'est l'isolement. Je propose, par exemple, que les communes envoient des courriers - mais cela pose un problème financier - pour repérer, au bon sens du terme, les personnes âgées isolées, afin que l'on puisse aller en priorité vers elles, notamment avec les associations caritatives, sans partir dans l'inconnu. Je pense que j'aurai un rôle à jouer, à la DGAS, pour remettre du lien social, puisque je suis là au cœur de mon métier : je suis chargé de tout ce qui concerne l'insertion, les personnes handicapées et les personnes âgées. Le revenu minimum d'activité (RMA) qui va être institué offre des opportunités pour trouver des moyens humains pour le secteur médico-social.

Y a-t-il eu un manque de personnel dans les maisons de retraite ? Cette question, qui était celle de Mme Génisson, est extraordinairement difficile. Très objectivement, je ne le sais pas. Je ne dispose pas d'éléments qui me permettent de dire que là où les maisons étaient plus médicalisées, il y a eu moins de morts, ou qu'il y en a eu là où elles étaient le moins médicalisées. C'est une question extrêmement difficile. Le Monde a publié un excellent article sur la Creuse, qui est un exemple qu'on cite souvent. La Creuse a connu une surmortalité assez importante, et j'ai interrogé la DDASS, qui m'a répondu qu'après analyse de toutes les corrélations possibles, le seul facteur significatif restait l'âge. Cela signifie que, même lorsqu'il y a du lien social, dans les départements où les CLIC fonctionnaient bien, il y a eu des problèmes, que nous devons analyser.

Il faut se garder de confier à la DGAS des compétences épidémiologiques qui ne sont pas les siennes. Je pense qu'un gros travail doit être réalisé par l'Institut de veille sanitaire, la DHOS, la DGS - et la DGAS pour la connaissance de l'action sociale - pour éviter de prendre des mesures qui ne seraient pas applicables à la prochaine difficulté. Il faut que nous ayons un plan d'alerte, ce que j'appellerais un plan vermeil, une structure de veille à activer le jour où il se passe quelque chose.

M. le président de la mission d'information - En fonction des auditions, on peut dire qu'il y a eu surmortalité très nette, quels que soient les endroits, mais complètement différente d'un endroit à l'autre, en fonction de paramètres qui ne sont pas tous déterminés.

Je suis extrêmement motivé, et je motiverai mes collaborateurs pour faire en sorte que, pour d'autres crises comme pour la canicule - j'ai beaucoup travaillé sur le « plan inondations » à Paris - l'administration arrive à travailler différemment. J'ai commencé à travailler avec Édouard Couty, je travaille avec William Dab, je travaillerai avec d'autres directeurs dans un cadre interministériel. Nous devons aussi travailler avec d'autres ministères et avoir de vraies cellules d'échange d'informations. Il nous faut des systèmes de mèl : aujourd'hui, je suis obligé de passer par le haut fonctionnaire de défense pour envoyer des messages aux préfets ! En Bretagne, j'ai demandé à la préfète si je ne pouvais pas avoir un contact direct par mèl avec les préfets. Ce sont des choses toutes simples, mais je suis assez pragmatique.

Mme Catherine Génisson - Sans me permettre de vous donner des conseils, je pense qu'il est très important que vous travailliez avec les autres directeurs, mais que vous devriez peut-être faire aussi ce travail, laborieux mais fondamental, que nous faisons : faites des auditions et écoutez la base, pour savoir quel a été son ressenti à l'égard de cette volonté de transmettre une alerte - très ténue, d'ailleurs, parce que beaucoup ne savaient pas ce qui se passait, mais ils savaient qu'il se passait quelque chose. Il est important de ne pas seulement disserter entre directeurs et avec vos services, mais aussi à partir de ce que vous entendrez de la base.

M. Jean-Jacques Tregoat - Je suis obligé d'être un peu réducteur. Je souhaite travailler avec les directeurs d'administration centrale, parce que cela me paraît la moindre des choses, mais également avec les associations, les communes et les CCAS, puisqu'on ne peut rien faire seul. Il nous faut nouer un partenariat et avoir, dans ces situations de crise, des rapports différents. Tous les ministères sont d'accord, mais nous manquons d'outils. Je proposerai donc que nous ayons des outils de communication entre nous.

M. le président de la mission d'information - Je tiens à vous indiquer, sans manquer à la confidentialité, que si des administrations ont été critiquées, une DDASS a été louée : celle du Morbihan, car un de ses fonctionnaires a été le premier à signaler, en son temps, les trois premiers décès par hyperthermie maligne. Je vous remercie.

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XXVII. Audition de M. Maurice Bonnet, membre du Conseil économique et social

(séance du être évités si les médecins avaient pu prescrire des ordonnances sociales. Je ne sais pas si les médecins connaissent parfaitement le cheminement d'une demande de télé-alarme et d'aide à domicile, qui prend quelque temps. Je souhaiterais connaître votre opinion à cet égard.

Une autre question à laquelle vous vous consacrez depuis longtemps, avec votre ami Théo Braun, porte sur la séparation du sanitaire et du social. Qu'en est-il ? Par ailleurs, nous nous trouvons devant le drame d'une surmortalité qui a touché surtout des personnes âgées, isolées dans les villes. Qui pourrait repérer ces personnes âgées ? Enfin, quels enseignements et quelles conclusions tirons-nous de ce drame ?

M. Georges Colombier - Il ne s'agit pas vraiment d'une question. J'apprécie depuis très longtemps Maurice Bonnet, qui est isérois - je le précise pour mes collègues -, car il est un homme de convictions. Même si nous n'avons pas toujours été sur la même longueur d'onde, nous n'étions pas séparés par beaucoup de feuilles de papier à cigarettes pour ce qui concerne le secteur gérontologique.

Pourriez-vous nous dire, parmi les propos que vous avez souvent rabâchés -- pardonnez-moi ce mot, qui exprime, dans mon esprit, une démarche pédagogique --, ce qui semble, aujourd'hui plus qu'hier, à l'ordre du jour, compte tenu de ce qui s'est passé cet été ?

M. Claude Evin - Un message !

M. Maxime Gremetz - Un seul !

M. Maurice Bonnet, membre du conseil économique et social - Je voudrais d'abord remercier M. le président de m'avoir invité à participer aux travaux de cette mission. J'ai démissionné du poste de vice-président du Comité national des retraités et personnes âgées en juin 2002, parce que ce poste, qui devait être renouvelé depuis septembre 2001, ne l'était toujours pas. En outre, il y avait déjà treize ans que je l'occupais, et il faut savoir « passer le manche ». Je rappelle que le nouveau vice-président n'a été installé que le 3 juillet 2003, ce qui montre que cette structure, capable pourtant, à mon avis, de représenter quelque chose, a été mise trop longtemps de côté -  je le dis sans esprit polémique.

Je voudrais dire franchement, en réponse aux questions posées par M. le président, que j'ai mal. J'ai mal pour mon pays. Pour dire les choses simplement, je me rappelle maman, qui avait quatre-vingt-sept ans. Quand on vieillit, on n'a pas soif, mais froid. Comment voulez-vous que ces gens, dans ces moments-là, aient pu penser qu'il fallait boire s'il n'y avait personne autour d'eux ? Si j'évoque le cas de maman, c'est parce que nous nous sommes relayés, avec mes deux frères et ma sœur, un certain été où il faisait chaud, pour l'obliger à boire. L'eau est quelque chose de fondamental dans la vie -- et je ne parle pas des douches et des bains ! C'est parce qu'on n'a pas su leur donne qu'ils sont très nombreux. Ce n'est pas un problème d'argent, mais c'est significatif du regard porté sur ce groupe, qui tend à devenir de plus en plus un regard d'exclusion.

Le problème n'est pas sanitaire, mais d'ordre social. Dans un article que je voulais faire depuis longtemps, et que personne n'a voulu publier, j'ai écrit : « Dites donc que nous sommes de trop... Ce serait plus clair ». J'ai rédigé cet article au moment où je voyais qu'on bloquait les 100 millions destinés aux établissements, et où tous les Conseils généraux racontaient que les vieux coûtaient cher et les contraignaient à augmenter les impôts. Aujourd'hui encore, dans Le Monde, quelqu'un que vous avez, je crois, reçu aujourd'hui explique que, dans son Conseil général du Rhône, il augmente les impôts à cause des vieux. Nous vivons dans un climat où l'on veut montrer en permanence que le vieux coûte.

Dans une société où le jeunisme triomphe en permanence, on voit dans une revue destinée aux retraités, appartenant même à un bon groupe bien-pensant - Bayard Presse -, des photos de mode montrant des femmes de quarante ou quarante-cinq ans, qui n'ont rien à voir avec ces grands-mères qui ont vécu, et dont le corps est marqué par la vie.

On n'a pas dit, en effet, qu'une bonne partie de la génération de ceux qui sont morts a connu la guerre de 1914, le chômage de 1929-1930, la guerre de 1939-1945 et l'Occupation, a participé au redressement du pays, à une époque où l'on faisait des équipes de neuf heures, qui faisaient les trois huit et travaillaient cinquante-quatre heures par semaine. Personne n'a pensé que ces gens-là avaient, tout de même, fait notre pays.

On continue de jeter des regards terribles sur ces populations, en disant qu'elles coûtent. Mais elles ne coûtent rien ! On nous dit que les vieux sont responsables des dépenses de santé. Mais, sur une augmentation globale de 6 % ou 7 %, celle des dépenses de santé des vieux ne représente que 1 %. On dit que les vieux sont responsables des accidents de la route, et on va nous imposer une visite pour le permis de conduire. Si on a le malheur d'avoir plus de soixante ans, on n'est pas un handicapé, mais un « dépendant ». Monsieur le président, je ne peux pas supporter ce mot. Vous, mesdames et messieurs les députés, vous êtes dépendants de votre parti politique et de vos électeurs, mais on ne vous traite pas de « dépendants ». Pourquoi serait-on dépendant parce qu'on a soixante ans passés ? Le mot de « dépendant » ne veut rien dire ! Nous connaissons tous, un moment où un autre, des pertes d'autonomie liés à la naissance, à des handicaps. On a créé une couche sociale sur laquelle on jette un regard terrible. Aujourd'hui, on propose de supprimer un jour férié, suscitant un conflit avec des gens qui travaillent et qui ont des ressources parfois inférieures à celles des retraités. S'il faut une aide pour les retraités, elle doit provenir de tous les revenus, et non pas seulement de certains.

Voilà, selon moi, les points fondamentaux. Mon inquiétude tient au re l'âge. Nous avons soulevé ces problèmes lorsque M. Claude Evin était ministre. La commission qu'il a mise en place, n'a eu aucun résultat - mais on sait bien qu'une commission est parfois le meilleur moyen d'enterrer une question. Depuis des années, le problème est posé et, tout à coup, on veut le résoudre, sans savoir vraiment comment. On a refusé notre proposition, on nous a taxés de démagogie lorsque nous demandions une prise en charge dans le cadre de la solidarité - je parle devant témoins - et il a fallu des morts pour qu'on commence à aborder la question aujourd'hui. Dans ce pays, il faut qu'il y ait des morts pour que les choses avancent.

Qu'on appelle cela le « cinquième risque » m'importe peu. Lorsque j'ai fait le Livre noir pour dénoncer la PSD, M. Barrot m'a suggéré de le faire gris, mais j'ai tenu à le faire noir, et il a été fait avec vingt-deux organisations. Nous avons fait ensuite, voici environ quatre ans, un Livre blanc, avec des propositions dont personne n'a tenu compte.

M. Claude Evin - Si.

M. Maurice Bonnet - Ensuite, on a des surprises comme celle que nous venons d'avoir. On a pensé que cette société de jeunes n'avait pas besoin d'être, si vous me permettez l'expression, « emmerdée » par ces problèmes de vieux qui deviennent embarrassants et qui coûtent, et on n'a pas le courage d'aborder le problème au fond.

Il faut arrêter ce massacre, qui est le premier, mais peut-être pas le dernier. Les hôpitaux sont encombrés. On a refusé cent millions, qui ont été bloqués un moment, et on parle maintenant d'en donner quarante. Ce sont des jeux de passe-passe, et non une politique ! Ce que je demande, c'est une politique, non seulement de la vieillesse, mais du vieillissement. J'attends toujours l'Institut national du vieillissement qui avait été prévu. Il ne s'agit pas d'un Institut national de la vieillesse. Ce dont il s'agit ici, c'est d'une politique du vieillissement, depuis le plus petit âge, car le vieillissement, nous disait un médecin, commence au stade du fœtus.

Plusieurs membres de la mission - C'est vrai.

M. Maurice Bonnet - Et je parle devant des médecins !

Que faut-il faire ? Monsieur le président, vous êtes toujours président d'une grande association, à Metz - c'est, d'ailleurs, dans ce cadre que nous nous sommes rencontrés. Vous savez donc comme il serait important que nous ayons des services à domicile, avec des personnels que nous pourrions réellement former et rémunérer, car ce travail suppose aussi un désintéressement. Aujourd'hui, il est plus facile de mettre des couches à des nourrissons qu'à des mémés ou à des grands-pères. Ne faut-il pas expliquer tout cela au personnel ? Le Monde a publié toute une page intitulée : « Les vieux, un métier d'avenir ». Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est un métier d'avenir, à condition qu'on en prenne conscience ! Regardez, par la fenêtre qu'on voudra : il faut que les politiques veuillent faire changer le regard de la société sur les vieux, et qu'eux-mêmes changent leur regard. Je ne cherche pas à dire qui a eu tort dans ces événements. Je suis mal placé et je connais mal les rouages - je n'ai pas été secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Si j'avais été secrétaire d'Etat, j'aurais peut-être démissionné, pour partager la souffrance des familles, mais c'est une question personnelle, et je ne dis pas que l'actuel secrétaire d'Etat devait démissionner. Il y a, cependant, des choses importantes à dire, que je n'ai pas encore entendues. Les phrases condescendantes n'apportent pas de réponse aux préoccupations.

Quand j'entends qu'en deux mois, en réunissant six groupes de cinquante personnes, on va définir la politique du vieillissement, j'ai envie de rire. Ce n'est pas vrai. Voilà des années que nous nous battons pour que cette politique se fasse, et on pourrait maintenant la faire en deux mois ! Je préférerais qu'on en parle moins, et qu'on pose les problèmes concrètement. Beaucoup de rapports ont déjà été écrits depuis celui du président Laroque. Certes, il remonte à quarante ans, mais y figurent des choses - que je relisais récemment - dont on pourrait encore tenir compte. Dans le cadre de l'année internationale des personnes âgées se sont constitués des groupes de travail ; Michel Thierry et Jean-Marie Palach ont rédigé un rapport remarquable, que je relisais encore voilà quelques jours avant d'aller parler devant le Conseil économique et social de la région de Poitou-Charentes, où l'on m'avait invité. Ces textes sont très bons, mais personne n'en a tenu compte, ou n'a eu de majorité pour faire avancer les choses.

Depuis des années, on tourne autour du pot et, tout d'un coup, parce qu'il y a, malheureusement, des milliers de morts, on va tout faire. Ce n'est pas vrai ! Je n'y crois pas ! Si on ne change pas le regard, il n'y aura aucun effort financier de la Nation pour prendre en charge l'ensemble des problèmes. Je tiens à ce que la personne âgée ne soit plus un « dépendant ». Il faut commencer par supprimer ce mot, et considérer que la personne âgée est dans une situation de perte d'autonomie. En outre, les politiques de la vieillesse ne peuvent pas être menées par les départements. On n'a vu que des inégalités lorsqu'on leur a confié la PED ou la PSD, et même, déjà, en son temps l'ACTP.

M. le président de la mission d'information - L'interprétation était différente.

M. Maurice Bonnet - C'était terrible. Il y a eu assez de jugements de tribunaux sur ces questions.

Voilà, en gros, ce que je voulais vous dire. Je vous dis ma souffrance, qui est sincère et réelle. Ce n'est pas du vent. Je me demande parfois, avec d'autres, si on est responsable, parce qu'on ne s'est pas assez battu. Les retraités ne prennent pas en main ces questions, car ils ont peur de leur devenir. On n'a pas entendu les associations de retraités, pendant cette période, et c'est terrible. On n'a vu que des professionnels. Si on n'a pas vu les personnes âg&ea permis une prise de conscience nationale, va pouvoir être l'électrochoc qui pourrait aider à changer la mentalité.

M. Maurice Bonnet - Comme je ne suis pas pessimiste, j'espère toujours que c'est ce qui arrivera, mais il est vrai que je suis, en ce moment, un peu inquiet. Si on doit changer d'un coup parce qu'il y a eu des milliers de morts, s'il faut un tel électrochoc, il y a de quoi s'irriter, parce que ces gens avaient droit à la vie. Je suis encore malade d'avoir entendu dire que c'étaient des morts prématurées. C'est peut-être vrai, certains seraient morts six mois ou un an après, parce qu'ils étaient fragiles. Mais pourquoi « prématurées » maintenant ? Les propos de Françoise Forette sur le sujet m'ont paru choquants.

M. le président de la mission d'information - Je l'ai dit aussi.

M. Maurice Bonnet - Ce n'est pas bien !

M. Claude Evin - C'est une appréciation totalement statistique. Ça ne veut rien dire.

M. le président de la mission d'information - M. Claude Evin a tout à fait raison.

M. Claude Evin - C'est M. Bonnet qui a raison.

M. Maurice Bonnet - Moi, ça me rend malade.

M. le président de la mission d'information - A ce jour, ce qu'on peut dire sous réserve des statistiques que nous attendons, c'est que les personnes qui sont, malheureusement, décédées étaient, dans leur majorité, des personnes hyper-fragilisées. Cela vaut pour celles qui étaient dans des établissements comme pour une partie de celles qui étaient chez elles. Mais certaines personnes qui étaient chez elles étaient certes âgées mais bien portantes et d'autres facteurs ont joué : l'habitat, la chaleur...

M. Maurice Bonnet - Ce mot de « prématurées » me fait bondir.

M. le président de la mission d'information - C'est pour cela qu'il faut bien le nuancer. Pour confirmer l'hypothèse de cette hyper-fragilité des personnes décédées, la logique voudrait que le nombre de personnes devant décéder dans les mois à venir - on ne peut pas dire à partir de quel moment - diminue. Je rejoins tout à fait Maurice Bonnet pour dire que la question est de savoir si tous les moyens demandés par les spécialistes, les professionnels et les familles pour les personnes d'un certain âge ont été mis en place. Par ailleurs, si les procédures d'alerte avaient fonctionné instantanément, aurait-on pu éviter ces morts ?

Quand on nous dit que le nombre de victimes représente deux fois et demie celles du World Trade Center, on se pose beaucoup de questions.

M. Maurice Bonnet - Je n'aime pas beaucoup cett même avec quelqu'un -- je ne dirais pas qui -- un accrochage sur LCI. Il s'agit d'un argument purement statistique. Si on prend le problème sous cet angle, il est inutile de se battre pour maintenir des personnes en vie pendant deux, trois ou six mois de plus. À quoi sert une intervention médicale ?

Sur ce point précis, la question de l'alerte - pour revenir sur des sujets sur lesquels nous aurons à travailler très précisément - est intéressante. Il est évident que si elle avait été donnée dans d'autres conditions, cela n'aurait pas résolu le problème des personnes qui se trouvaient déjà dans les services d'urgence ; mais aurait peut-être tout de même évité un nouvel afflux dans ces services. Il est important de traiter la question de cette manière.

M. le président de la mission d'information - Lorsque M. Bonnet souligne que les services d'urgence ne pouvaient pas prendre ces patients, il nous ramène à la question des lits d'aval, que posent tous les urgentistes.

M. Maxime Gremetz - Je voudrais vous remercier d'être venu. J'apprécie le bon sens de votre réflexion.

M. le président de la mission d'information - Il faut changer de regard.

M. Maxime Gremetz - Tout à fait. J'ai toujours été sensible à cette question. Je pense qu'il faudra bien en venir au cinquième risque. On peut changer de regard, mais si on ne change pas d'attitude, et que l'on continue à dire qu'ils sont des dépendants ou des particuliers, comme on l'a fait pour les handicapés -- en fait, aujourd'hui, on les met dans la même catégorie --, si ces gens-là, qui ont travaillé et souffert, ne sont pas reconnus et que l'on croit qu'il faut leur faire cadeau de quelque chose ...

M. Maurice Bonnet - Ce serait de la condescendance !

M. Maxime Gremetz - Voilà ! Cette idée de cinquième risque que vous avez avancée, nous l'avons défendue et il y a des syndicats, comme la CGT, qui la défendent. Quand François Fillon dit qu'il faudra bien assurer des ressources pérennes, la question est posée. Je ne suis pas sûr que les ressources pérennes qu'il imagine soient les mêmes que celles que je propose, mais il est évident qu'il faudra les trouver.

M. le président de la mission d'information - Je suis président de cette mission, mais j'ai des engagements et quelle que soit, dans cette maison, ma position dans la majorité ou l'opposition, j'ai toujours affirmé que les lois doivent s'appliquer de la même façon dans toute la France, et que les personnes d'un certain âge doivent, en cas de perte d'autonomie, être traitées pareillement dans tous les départements. Je reste donc convaincu qu'on aura toujours une application hétérogène des textes s'ils s'appliquent au niveau des Conseils généraux. J'ai été conseiller général pendant vingt-trois ans, et j'ai même vécu l'expérience de la PED, mais je reste convaincu la question des jours fériés, je voudrais souligner que les Allemands vont demander aux retraités une nouvelle contribution. En Allemagne, l'effort contributif destiné à prendre en charge la perte d'autonomie, tout au long du parcours de la vie, est tout autre qu'en France.

M. Claude Evin - Cela signifie qu'il faudra un jour accepter de nouveaux prélèvements obligatoires.

M. le président de la mission d'information - M. Bonnet, merci d'être venu.

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XXVIII. Audition de M. Philippe Lamoureux, directeur général de l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé, et de M. Jérôme Voiturier, chargé de mission.

(séance du vendredi 19 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Je voudrais d'emblée vous poser un certain nombre de questions.

Première question : pouvez-vous nous décrire les actions menées par votre établissement depuis sa création, mais aussi au début de l'été dramatique que nous avons vécu, en matière de prévention et d'éducation à la santé s'agissant des coups de chaleur et de la déshydratation ? Plus généralement, comment l'INPES a-t-il vécu cette crise ?

Deuxième question : la loi vous donne « une fonction d'expertise et de conseil en matière de prévention » et la mise en œuvre de programmes de prévention. Considérez-vous que vous avez parfaitement rempli ces missions ?

Troisième question : M. San Marco assure la présidence de l'INPES. Il nous a déclaré lors de son audition qu'il avait alerté quelqu'un de l'INPES lors de la période de canicule, en demandant à ce qu'il y ait transmission de l'information. Je voudrais donc savoir si vous pouvez nous le confirmer ? Qu'est-ce qui a été fait ?

Quatrième et dernière question : quelles leçons tirez-vous de cette crise ? Comment éviter qu'un tel drame sanitaire ne se reproduise ?

M. Philippe Lamoureux, directeur de l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé (INPES) - L'Institut national de prévention fonctionne, depuis sa création, sur la base de programmes de prévention validés par son administration de tutelle, la direction générale de la santé. Nous avons mis en place deux types de programmes. Il s'agit, d'une part, de programmes par risque, d'autre part, de programmes par lieu d'exercice de l'éducation pour la santé. Certains sont validés, d'autres sont en cours de discussion avec les administrations de tutelle. épidémiologiques, et notamment des facteurs de mortalité et plus particulièrement des facteurs de mortalité évitables avant soixante-cinq ans, et, d'autre part, sur la volonté de modifier les comportements à risques ou de faire adopter des comportements bénéfiques pour la santé.

Tel est, schématiquement, la façon dont l'établissement mène ses actions.

Votre question portait également sur les mesures prises en début d'été. C'est vrai que l'INPES a mené une action nouvelle de prévention des mélanomes, c'est-à-dire en fait une action de communication destinée à lutter contre la surexposition aux rayonnements solaires. La raison en est très simple : cette action figure dans le plan cancer présenté par le président de la République, c'est une priorité présidentielle et l'institut était donc en charge, parallèlement à son travail sur l'alcool, le tabac et la nutrition, de mener cette campagne.

S'agissant de la façon dont l'INPES a vécu cette crise et du rôle que lui confie la loi, il est extrêmement important de rappeler que l'Institut de santé publique a une place dans le dispositif de santé publique, en vertu des articles L.1417-4 et 5 du code de la santé publique. Et c'est un rôle triple. Comme vous le relevez, il a une fonction « d'expertise et de conseil en matière de prévention ou de promotion de la santé », mais aussi de développement de l'éducation pour la santé, y compris l'éducation thérapeutique, sur l'ensemble du territoire, ainsi qu'un rôle de mise en œuvre des programmes nationaux de prévention pour le compte de l'Etat et de ses établissements publics. Ce qui signifie que l'INPES est un opérateur parmi d'autres mais, c'est vrai, un opérateur essentiel dans la conduite des politiques de prévention. Cela, c'est clair. Mais il y a un point sur lequel je souhaite insister, c'est que, en droit, l'INPES n'est ni un organisme de veille sanitaire, ni un organisme d'alerte sanitaire, ni un organisme de gestion des risques sanitaires. Ces trois attributions relèvent, en effet, soit de l'administration centrale du ministère - de la DGS -, soit des agences de sécurité sanitaire. En droit, ça veut dire quoi ? Cela signifie qu'aucune des trois missions que je viens d'évoquer ne figure expressément dans la loi du 4 mars 2002. L'INPES n'est pas non plus juridiquement membre du Comité national de sécurité sanitaire créé par l'article L. 1413-1 du code de la santé publique. De même, par exemple, selon l'article L. 1413-2 du même code, l'INPES n'est pas destinataire des alertes émanant de l'Institut national de veille sanitaire. Je crois que les textes sont assez clairs. Le législateur n'a pas entendu, en tout cas de mon point de vue, faire de l'INPES une structure de veille, d'alerte, ou de gestion du risque. Cette situation de droit, on la retrouve dans les faits puisque, depuis sa création, l'INPES n'a jamais participé à une réunion organisée par le ministère ou à une manifestation extérieure ayant pour thème la sécurité sanitaire. Vous savez sans doute que le ministère organise très régulièrement des points-presse sur les sujets de sécurité sanitaires ; l'INPES n'y participe pas. De pl paraît pas choquant puisque les faits sont en conformité avec le droit : il n'y a pas d'implication de l'INPES dans le dispositif de veille, d'alerte et de gestion des crises sanitaires. On veut mettre beaucoup de choses sous le terme de prévention, mais je crois qu'il importe de distinguer ce qui relève vraiment de la prévention de ce qui relève de la gestion du risque.

Compte tenu de sa place dans le système de santé, l'INPES ne pouvait être impliqué à quelque titre que ce soit, dans la gestion de la crise liée à la vague de chaleur du mois d'août, s'il n'avait eu une circonstance particulière, que vous avez relevée. En effet, le président du conseil d'administration de l'INPES, le professeur San Marco, que vous avez auditionné, se trouve être un spécialiste des questions de canicule en France. C'est donc fort logiquement que j'ai eu des échanges avec mon président de conseil d'administration et que le sujet de la canicule a été évoqué. Au mois de juillet - le rapport Lalande le relève -, il y a une conférence de presse qui est faite sur le phénomène alors très localisé sur Marseille. Il n'y a eu pas de message d'alerte. Et d'ailleurs les températures du mois de juillet montrent - en tout cas début juillet - que la canicule n'est pas un sujet d'ordre général. En revanche, au mois d'août, le président du conseil d'administration s'ouvre auprès de moi de ses craintes et de ses inquiétudes sur la canicule. C'est pourquoi je me suis assuré auprès de la DGS que le problème avait bien été identifié, puisque, une fois encore, en matière de gestion de crise, c'est la DGS qui est compétente. En gros, j'en ai parlé avec le professeur San Marco en lui expliquant que notre rôle n'était pas de gérer l'alerte. La chose la plus importante que nous puissions faire, c'était d'alerter les autorités sanitaires et de s'assurer que le problème avait bien été identifié.

M. le président de la mission d'information - Une petite précision : vous souvenez-vous de la date ?

M. Philippe Lamoureux - J'en ai un souvenir extrêmement précis, conforme au rapport Lalande. Il y a eu un contact établi entre l'INPES et la DGS le 7 août en fin d'après-midi. Au moment où Météo France va annoncer la poursuite de la canicule en France et où le docteur Pelloux va de son côté contacter la direction des hôpitaux : donc le 7. Je précise que c'est un contact qui a lieu à ma demande et qui va effectivement s'opérer entre les deux services de presse, car à la DGS, le service de presse est pour nous le correspondant habituel, alors que le bureau des alertes n'est pas dans le champ de l'INPES. Ce contact avec le service de presse donne lieu à un échange au cours duquel la DGS indique à l'INPES que le problème a bien été identifié, et qu'un communiqué de presse est en cours de préparation au ministère. Il s'agit du communiqué qui sera diffusé le 8 août.

M. le président de la mission d'information - Le 7 août, la DGS a donc dit que le problème était bien identifié, c'est bien ça ?

font-size: 10pt">M. Philippe Lamoureux - Bien. Donc jusque-là ça va ! Jusque-là tout est cohérent, tout va bien.

Ensuite, le dispositif de crise se met en place, une fois encore sans que l'INPES y soit associé, pour une raison très simple, c'est qu'au vu des missions de l'établissement, ce n'était pas son rôle, je le répète. Ce que je dis ici n'est pas du tout une critique à l'endroit de la DGS. Il est logique que, compte tenu du fonctionnement des alertes, l'INPES n'ait pas été sollicité.

Je profite de l'occasion pour préciser un point qui me paraît important parce que là aussi il y a eu une ambiguïté. Ce que je vais vous dire est d'ailleurs cohérent avec tout ce qui précède : à aucun moment l'INPES n'a proposé de se mettre au service de la DGS. Une raison majeure à cela, c'est que ça ne rentrait pas dans ses missions.

De l'extérieur, malheureusement, on voit souvent l'INPES comme une simple boîte de communication. Mais il faut savoir qu'entre le moment où on déciderait, en grande urgence, de diffuser une campagne médias, et le moment où l'INPES serait en situation de le faire, il s'écoulerait une durée de quatre jours, le temps nécessaire pour acheter de l'espace publicitaire ou de réserver des messages dans les radios. En tout cas, c'est la seule capacité qu'a cet établissement. C'est donc une procédure qui semble tout à fait inadaptée à une procédure d'urgence extrême.

Mme Catherine Génisson - Je pense que c'est une information très importante qui vient d'être donnée là. C'est un sujet sur lequel il faudra qu'on travaille.

M. Claude Evin - Ceci étant, il y a d'autres moyens de communiquer.

Mme Catherine Génisson - Oui, il y a d'autres moyens de communication, mais...

M. le président de la mission d'information - Ce qui est très important à retenir, c'est le rôle exact de l'INPES. C'était une demande de la mission que de mieux connaître votre organisme. La mission se demandait aussi comment il se situait, d'une part, dans les processus de santé, d'éducation à la santé, de prévention de la santé dans notre pays et, d'autre part, en cas de crise.

M. Philippe Lamoureux - La question de Mme Génisson est une question de fond, à laquelle je vais essayer de répondre : le rôle de l'INPES doit-il évoluer vers l'alerte ? Personnellement, je ne le pense pas.

M. Claude Evin - Il faudrait dans ce cas lui donner une mission sur la gestion des crises.

M. le président de la mission d'information - Il ne faut pas trop d'organismes dans ce secteur.

M. Philippe Lamoureux - C'est le point sur lequel je voulais terminer, il 160;; nous n'avons pas de véritable capacité d'anticipation. Il faut être clair : il n'existait aucun dispositif d'action face à cette canicule qui, il faut le reconnaître, a constitué par ses proportions et par sa durée, comme l'a dit le ministre,  un phénomène exceptionnel et imprévisible. 

Il faut relever un autre passage du rapport Lalande qui me paraît aussi important : « au niveau international, les pays disposant de plans d'urgence chaleur ne s'en sont dotés qu'après avoir eux-mêmes connu ce type de situation de crise ». Il est très difficile d'anticiper en zone tempérée un phénomène de cette ampleur.

S'agissant des propositions, je crois que le premier objectif est d'essayer d'anticiper « à froid », si vous me permettez le mot. J'en ai cherché en vain un autre. Il s'agit d'anticiper, dans la mesure du possible, les situations de crise, pour transmettre à temps les messages d'alerte à diffuser en amont, recenser les experts susceptibles d'être sollicités, effectuer une revue de la littérature scientifique. Ceci permettrait de se mettre en situation d'agir plus efficacement au moment de la crise. L'INPES s'est déclaré prêt à apporter son concours à la DGS et à l'InVS pour conduire ce travail. Je dirais presque que, de mon point de vue, c'est un travail interministériel. Ce n'est pas un travail qui doit reposer sur les seules épaules du seul ministère de la santé.

M. Claude Evin - Nous partageons votre point de vue.

M. Philippe Lamoureux - Deuxième objectif, au-delà de ces situations de crise - et c'est aussi mon rôle de directeur général de l'INPES d'insister sur ce point -, je crois qu'il y a un intérêt particulier à mettre les publics en situation non pas de faire face à tel ou tel risque particulier, mais de façon plus globale à adopter des attitudes adéquates, protectrices de la santé, notamment devant une situation nouvelle et inattendue. Une information délivrée en situation d'urgence sera d'autant mieux comprise et suivie d'effets que nous aurons su construire progressivement une culture de prévention qui fait encore défaut dans notre pays.

Cela conduit à trois types de propositions.

Première proposition : développer des programmes de prévention en direction des populations précaires ou fragiles. Les programmes de l'INPES ont jusqu'à présent privilégié une approche par risque sanitaire ; ils pourraient être complétés par des programmes s'adressant préférentiellement à des populations confrontées à des situations de vie qui les exposent plus particulièrement et les rendent vulnérables.

Deuxième proposition, confortée par les rapports de l'InVS et de la mission Lalande : développer la proximité. La plupart des événements, quelle que soit leur étiologie, vont se manifester inégalement selon les lieux, les régions, les groupes de populations. La pré justify">Pour répondre à la dernière question, posée par Mme Génisson, l'INPES doit-il être associé aux dispositifs de gestion de crises, et notamment devenir l'opérateur du ministère, par exemple en termes de communication ? Je ne le pense pas, parce que nous sommes un outil de communication « froid », ce qui est notre force. Notre champ d'actions, c'est un travail de fond consistant à modifier les comportements à terme. Je crains beaucoup qu'à vouloir nous impliquer dans la communication de crise et dans la gestion du risque, on axe la majeure partie de l'activité de l'établissement sur ces fonctions, au détriment de ses missions de base. Comme vous le releviez justement, il y a déjà beaucoup de gens qui s'occupent de la gestion du risque et de l'alerte - les agences de sécurité sanitaires et la DGS notamment. Je ne suis donc pas sûr qu'il soit nécessaire d'impliquer l'INPES dans ces communications de crise. En revanche, pour tout ce qui relève de la prévention ex ante, il faut qu'on se rapproche des autorités de tutelle.

M. Georges Colombier - Vous avez préconisé plus d'actions de proximité, des plans locaux. J'ai trois questions. Que pensez-vous d'une plus grande prise en charge à domicile par des actions d'aide à la vie quotidienne et de soins infirmiers à domicile, par exemple ? Que pensez-vous du fait que les personnes qui sont placées en GIR 5 et 6 actuellement - c'est la grille AGGIR -, ont elles aussi besoin d'être informées, stimulées, aidées, soignées ? Par ailleurs, sur un autre plan, que pensez-vous de la mise en place d'indicateurs d'alerte, notamment climatique, comme cela se fait, paraît-il, aux Etats-Unis depuis 1995 ?

M. Claude Leteurtre - Vous vous êtes attaché, et c'est légitime, à bien montrer que participer à la gestion de la crise n'était pas votre rôle. Je crois que vous avez eu raison de le rappeler. Néanmoins, je suis interpellé par le drame absolu que nous avons vécu. On n'a jamais eu de catastrophe sanitaire de cette ampleur et dans un délai aussi court. Vous aviez tout le savoir et l'expérience du professeur San Marco, je ne souhaite pas vous critiquer, je veux comprendre. Avez-vous imaginé dans vos schémas une prévention du risque ? Vous est-il venu à l'idée qu'il faudrait peut-être prendre ce problème à bras-le-corps ? Ce n'est pas simple car, comme vous l'avez dit, tant qu'on n'est pas passé par là, on a du mal à croire à la réalité des choses. Mais, puisque vous êtes tout de même des professionnels, avez-vous imaginé ce besoin ?

M. Philippe Lamoureux - Sur les questions de M. Colombier, j'avoue ne pas être parfaitement compétent sur le champ médico-social. Ce que je peux effectivement vous dire, c'est que si on regarde les plans chaleur mis en place dans les autres pays, il semble tout de même que ce qui fonctionne, ce qui est le plus efficace, c'est la climatisation, c'est-à-dire le fait de placer les gens quelques heures par jour dans des espaces climatisés. Il y a des plans interministériels pour faire face aux catastrophes naturelles. Il faut pouvoir organiser ce type de plan au niveau local, avec des messages d'alerte en amont, en liant mieux le système météorologique et le syst& dimension du phénomène était difficilement perceptible. Il y a eu des actions locales, dont celle du professeur San Marco à Marseille, parce qu'on sait bien que cette région est particulièrement exposée à ce type de phénomène. Autour des 4, 5, 6 août, la situation n'était pas claire. Les bulletins météo ne mentionnaient pas le fait que les températures ne passeraient pas sous la barre des vingt-cinq degrés la nuit. Or, on sait que c'est un point extrêmement important. Donc, non, clairement, en termes de prévention, je ne me situe pas sur le terrain de la gestion du risque, il n'y avait pas d'anticipation, il n'y avait pas de programme chaleur, ni au niveau interministériel, ni a fortiori au niveau de l'INPES. La seule chose qui existait - j'ai cherché dans les documents de l'INPES -, parce que nous travaillons sur les personnes âgées, pour lesquelles nous développons un programme assez lourd sur la prévention des chutes, cause de mortalité importante, c'était une brochure qui mentionnait que l'exposition à la chaleur est un phénomène aggravant, un phénomène de risque supplémentaire pour les chutes.

Mme Catherine Génisson -Vous dites que l'exposition à la chaleur est un phénomène aggravant pour les chutes des personnes âgées.

M. Philippe Lamoureux - Je vous dis ça de mémoire.

Mme Catherine Génisson - Je me permets de réagir parce que dans un des courriers qu'a écrits M. Hubert Falco, il est indiqué qu'au contraire, l'été, il faut exposer les personnes au soleil pour qu'elles puissent synthétiser de la vitamine D afin d'éviter les fractures sur ostéoporoses notamment.

M. le président de la mission d'information - Je me souviens d'avoir lu ce texte, qui mentionnait l'exposition « avec modération ». Pouvez-vous faire parvenir le document à la commission ?

M. Philippe Lamoureux - Bien sûr.

M. le président de la mission d'information - Merci beaucoup.

*

* *

XXIX. Audition d'une délégation du conseil de l'ordre des médecins composée du Docteur Patrick Bouet, médecin généraliste libéral en Seine-St-Denis, du Docteur Xavier Deau, médecin généraliste président du conseil départemental des Vosges, conseiller national, représentant la Lorraine, du Docteur Bernard Chanu, médecin spécialiste, conseiller national de La Réunion et du Docteur Louis-Jean Calloch, secrétaire général du conseil national de l'ordre des médecins.

(séance du vendredi 19 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - - family: 'Arial'; font-size: 10pt; color: Black">Il nous importe de savoir ce qu'il en est sur les gardes : défaillances de garde, présence des médecins.

Vous demandiez, si j'ai bonne mémoire, sur l'article 77 que le décret sorte. Il est sorti. Pouvez-vous nous dire si cela vous convient ? Quelles sont vos propositions ?

En annexe du rapport Lalande figurait un rapport du CNOM relevant que le système de permanence de soins aurait connu des dysfonctionnements et soulignant la persistance de carences démographiques. Peut-on dire que la médecine de ville a failli ? Qu'entend faire le Conseil national de l'Ordre sur ce sujet ?

Deuxième question : la Cour des comptes observe dans son rapport rendu public hier que les décrets relatifs à la permanence de soins ne changeront probablement rien à la tendance, à l'encombrement croissant des urgences. Partagez-vous ce point de vue ? Si oui, que faudrait-il faire pour y remédier ? Quel jugement portez-vous sur ces décrets ?

Troisième question : quel jugement portez-vous sur le système d'alerte français ? C'est important ! Quel rôle la médecine de ville pourrait-elle jouer dans sa réforme ?

Quatrième question : comment mettre en place une véritable médecine de proximité et améliorer la coopération entre hôpital et médecine de ville ?

Cinquième et dernière question : que doit-on faire, selon vous, pour éviter qu'un tel drame se reproduise ?

Je vais passer la parole à Mme et MM les députés afin qu'ils puissent poser des questions complémentaires.

M. Claude Evin - Je souhaite faire préciser un certain nombre de points figurant dans les questions posées par M, le président.

Les enquêtes en cours, évoquées dans l'annexe du rapport Lalande, sont-elles terminées ? Quels sont les éléments qui vous sont apparus au travers de ces enquêtes sur les dysfonctionnements, puisque vous indiquiez que dans certains secteurs des médecins semblent avoir basculé des appels de patients vers le 15 et/ou ont refusé de prendre leur garde durant les services d'urgence en aval ?

Quelle appréciation portez-vous sur les carences démographiques que vous évoquiez ici ?

Sur le décret du. 15 septembre 2OO3, sur l'avenir, n'y a-t-il pas contradiction entre la réécriture de l'article 77 du code qui dit : « II est du devoir du médecin de participer à la permanence des soins - certes dans le cadre des lois et des règlements qui l'organisent » et le premier alinéa de l'article R. 733 nouveau du code qui dit : « Les médecins participent à la permanence des soins sur la base du médecin remplaçant ? Cela ne réglerait pas - et de loin - tous les problèmes que nous avons pu connaître. Mais ne pensez-vous pas que ce serait un premier élément de réponse à la situation - ce qui n'est pas anormal d'ailleurs - que nous avons connue lors de la première quinzaine du mois d'août ? Ne pensez-vous donc pas qu'il faudrait réformer l'article 81 du code? Je crois me souvenir qu'il y avait eu un accord conventionnel qui comportait une disposition qui n'avait pas été acceptée, parce que l'article 81 du code ne prévoyait pas que l'on puisse mettre le nom du remplaçant sur la plaque.

On pourrait aussi se poser la question sur l'article 79 concernant l'ordonnance, même si c'est un peu plus compliqué.

M. le président de la mission d'information -. Nous restons bien sous l'angle canicule. S'il y a eu dysfonctionnements, nous devons parvenir à des propositions. Compte tenu du temps imparti, si vous ne parvenez pas à répondre à toutes les questions, il vous sera possible de nous faire parvenir par fax une contribution écrite, ce soir.

M. Georges Colombier - A votre avis, les zones rurales souffrent-elles d'un déficit de démographie médicale ?

On a pu lire ou entendre ici ou là que, dans certains départements, certaines localités seraient restées sans médecin. Je n'affirme rien, je pose simplement la question .

De toute évidence il a manqué de clarté dans la coordination entre les différents acteurs de la santé en France. Que pensez-vous du fonctionnement du centre 15 de manière globale ?

Quels enseignements peut-on tirer de cette lacune ? Comment améliorer la communication et la concertation entre les différents acteurs de la santé principalement dans une période estivale ?

Mme Catherine Génisson - Pouvez-vous nous dire si le Conseil de l'Ordre a été alerté directement par le ministère de la santé ou par ses directions de la situation de crise ?

M. Claude Leteurtre - J'ai pendant douze ans été membre d'une commission départementale.

M. le président de la mission d'information -. Moi pendant six ans !

M. Claude Leteurtre - L'objectif était d'assurer une permanence des soins. C'était une obligation très forte rappelée à chaque fois. Or - et ce n'est pas à la gloire de mes confrères- on a eu le sentiment que cette notion tombait complètement en déshérence. En avez-vous eu conscience ? Sûrement ! Pensez-vous que ce soit réversible, compte tenu de la nouvelle donnée réglementaire ?

M. le président de la mi Jean Calloch, secrétaire général de l'ordre des médecins - Je suis médecin généraliste, élu national de la Bretagne et actuellement . Et jusqu'à ce mois de juillet j'assurais la permanence C5, prenant moi-même mes gardes.

Dr Xavier Deau, président du Conseil départemental des Vosges - Je suis médecin généraliste à Epinal. Je suis président du Conseil départemental des Vosges, conseiller national depuis peu et vice-président de la commission d'exercice professionnel au sein du Conseil national.

M. le président de la mission d'information -. La parole est au Dr Louis-Jean Calloch.

Dr Louis-Jean Calloch - En tant que secrétaire général, j'ai une déclaration liminaire, à la demande de mon Conseil.

Tout d'abord, dans un premier temps, le Conseil national de l'Ordre des médecins vous présentera à travers les expressions de mes confrères, les actions entreprises par l'ensemble de l'institution ordinale et des médecins, au moment de cette période de canicule, afin de vous éclairer.

Dans un second temps, nous vous présenterons la situation et la permanence des soins avant cette période, ce qui permettra de partir sur une histoire passée et d'essayer de profiter cette crise pour répondre aux questions.

Le Conseil national de l'Ordre des médecins tient à rappeler que la gestion de cette crise a d'abord été locale et qu'à ce niveau, dès lors qu'un Conseil départemental a eu connaissance, soit d'une difficulté de réponse à la permanence des soins, soit de difficultés d'accueil dans les établissements accueillant les urgences, il a le plus souvent - et de sa propre initiative - et sans avoir été sollicité par les autorités départementales, mis en place une stratégie locale d'information, de contrôle des tableaux de garde, voir de rappel à la bonne exécution des listes de garde.

Dans certaines situations, il a été amené à compléter le dispositif par le biais de praticiens ne figurant pas sur les listes connues. Mais il faut savoir qu'un grand nombre de conseils départementaux nous ont signalé qu'ils n'ont pas eu à intervenir, quand bien même ils se sont préoccupés de la situation. L'Ordre des médecins ayant géré la crise localement, des informations évoquant la poursuite de la période caniculaire ont conduit le Conseil national - c'est un autre niveau de notre instance - à intervenir le 19 août par le biais d'une circulaire adressée à l'ensemble de l'institution sur la nécessité de rester mobilisés à tous les niveaux. A aucun moment de cette crise, l'Ordre national n'a été sollicité par les autorités pour intervenir dans la gestion, ni reçu d'informations mettant en cause l'organisation de la permanence des soins. En quelque sorte l'Ordre s'est autosaisi à tous les niveaux : départementaux et national. rendue difficile depuis 2001, compte tenu de la remise en cause de plus en plus pressante de ce devoir et nous en parlerons.

Inquiets de cette démobilisation et de la pénurie liée à la démographie médicale, qu' il constatait et qu'il avait souligné, et des difficultés grandissantes d'organisation sur certains secteurs, le Conseil national de l'Ordre des médecins, dès 2001, a alerté les autorités de l'Etat et a prolongé sa réflexion, une réflexion générale qui l'a conduit à proposer en 2002 une modification de cet article 77, évoqué tout à l'heure, ayant pour objectif de maintenir le devoir de permanence des soins et le rôle de l'Ordre , tout cela étant assorti de moyens permettant aux médecins de remplir leurs devoirs.

Dans ce même temps, les conseils départementaux se sont mobilisés pour faire vivre la permanence des soins sur le terrain en fonction des réalités locales, n'hésitant pas à être l'initiateur ou l'accompagnateur d'expérimentations nouvelles : type maisons de garde, type régulation de centre 15 , financement de ceci, structuration de cela. Vous connaissez, madame, messieurs les députés, aussi bien que moi ce sujet.

Nous pourrons vous préciser - et mes collègues m'y aideront - un certain nombre de ces initiatives. Les médecins , en participant à ces expérimentations et en accompagnant les Conseils départementaux dans leurs actions très locales ont démontré leur demande d'accomplir leur devoir dans un cadre plus adapté aux évolutions de la société . En un mot, du conjoncturel a déstabilisé du structurel qui fonctionnait à flux tendu depuis quelque deux, trois ans,

Le Dr Bouet qui est le président de notre commission gardes et urgences va s'exprimr après moi. .

Dr Patrick Bouet - Il m'apparaît important pour que nous ayons une bonne compréhension de ces difficultés structurelles et chroniques que nous fassions un petit rappel sur la problématique démographique - présente et à venir. Ce qui nous permettra par ailleurs de répondre à cette interrogation sur les spécificités du monde rural, qu'on pourrait également d'ailleurs étendre aux spécificités des milieux urbains, puisque bien entendu cette problématique n'est pas sans les toucher.

Il faut savoir qu'aujourd'hui et malgré les multiples interventions de l'Ordre national, la situation démographique est au point de rupture. En effet, il y a 33 % des médecins qui ont plus de cinquante ans ; en 2012, nous en aurons plus de 50 %. En 2012, nous aurons plus de 40 % des médecins qui seront des femmes. Compte tenu du pourcentage actuel de 23 % , les femmes seront donc majoritairement présentes dans la jeune génération médicale .

L'ensemble de ces éléments est compliqué par les mécanismes de choix et d'installation. Une majorité de ces professionnels choisissent de s'installer dans une p&ea de poids de l'environnement administratif de la profession et de l'exercice de la médecine libérale peuvent amener un certain nombre de nos jeunes confrères à reconsidérer les choix qui les amèneront à éliminer dans cette problématique de choix un certain nombre de sites potentiels d'installation. Le monde rural, aujourd'hui, est la première cible de cette situation potentielle.

Nous sommes encore aujourd'hui dans un point de relatif équilibre. Mais nous pourrions démontrer que dans certains points du territoire français, cet équilibre est déjà rompu, nous allons à l'horizon des années 2010 et 2012 entrer ans une situation que toute mesure prise aujourd'hui ne permettra pas, à temps, de combler, puisque, vous le savez, il faut six générations de diplômés pour avoir un effet sensible sur la démographie médicale générale. Il faut maintenant 9 ans pour former un médecin généraliste, beaucoup plus pour former un médecin spécialiste.

Voilà brossé à grands traits - je vous prie de bien vouloir m'en excuser - ce que sont aujourd'hui les préoccupations démographiques que nous exprimons depuis plus d'une quinzaine d'années, qui ont été l'objet de multiples rapports et le professeur Langlois avait été un des fers de lance de cette vision démographique évolutive dans le mauvais sens.

Voilà aussi probablement, par rapport à un certain nombre des dysfonctionnements, dont nous parlerons, un problème supplémentaire dans la mesure où la raréfaction de la présence médicale est patente les difficultés d'autres natures - organisationnelles - sont également majorées par cette raréfaction.

Je pourrais , au-delà de cette analyse démographique, au-delà de cette pénibilité potentielle et au-delà de cette désertification potentielle existant dans un certain nombre de secteurs de notre territoire, rappeler que l'autre élément essentiel est le mécanisme de coordination. S'il est simple de créer une coordination lorsqu'on est dans une situation pléthorique de participants , il est plus complexe d'organiser une coordination dans des zones, des domaines où la raréfaction est telle que l'ensemble des médecins présents se voit attribuer une tâche qui devient incompatible avec son efficacité. Rappelons que dans certains milieux ruraux, dans certaines situations urbaines très difficiles, il peut n'y avoir que trois ou quatre médecins qui assurent la permanence de soins d'un bassin de vie qui n'est peut-être pas sur le plan de la population très important, mais qui sur le plan géographique va induire ses propres éléments de pénibilité.

J'espère, madame, messieurs, que, sur le point de la démographie, nous avons pu vous apporter une réponse.

M. le président de la mission d'information -. Vos réponses sont très claires sur le point de la carence en médecins de garde et la féminisation du corps médical. Les hommes ve align: justify">Mme Catherine Génisson - Je reviens sur les propos concernant la féminisation des professions de santé. Je vais participer à une réflexion au sein du Conseil de l'Ordre, la semaine prochaine, sur ce thème.

SOS Médecins de Paris nous a dit qu'ils avaient contacté un certain nombre de leurs collègues parisiens, qui n'avaient pas eux-mêmes été sollicités pour répondre à des appels. Pouvez-vous confirmer ce point ? Il ne s'agissait pas d'un problème d'obstruction, mais d'information.

M. le président de la mission d'information -. En effet, il y a d'un côté l'accusation : « Des médecins n'auraient pas fait... », mais, de l'autre côté, des médecins disponibles disent : « On aurait pu venir, mais on ne nous a pas appelés. »

Dr Patrick Bouet - Un des problèmes majeurs que nous voulons souligner dans cette problématique spécifique du mois d'août, au-delà du problème de la permanence des soins, est celui de la coordination. Pourquoi voulons-nous insister sur cet élément ? Parce que les médecins libéraux, pour une part d'entre eux, étaient présents. Certains des médecins libéraux qui étaient absents étaient remplacés, dans leur cabinet par un » effecteur » médical. Mais la coordination de l'ensemble de ces moyens qui consistait à mettre en phase d'intervention la médecine libérale, la médecine des centres de santé , la médecine urgentiste, les urgences hospitalières a bien marché lorsque les centres 15 avaient un « habitus » de coordination. Etce dernier existait lorsque les conseils départementaux étaient parties prenantes de la gestionet du fonctionnement des centres 15. ..

Lorsque ces centres 15 n'avaient pas cet «habitus» de coordination, les systèmes ont fonctionné les uns sans les autres. Il y a certainement eu plus de malades sauvés par la médecine libérale - et le docteur Beau le dirait avec plus d'éloquence que moi - pendant cette période de façon humble et anonyme qu'il n'y a eu de personnes en souffrance ou en difficulté du fait de l'absence dite ou affirmée des médecins libéraux. Nous voulons le dire clairement.

La coordination est un axe essentiel. Et cet élément de coordination nous semble aujourd'hui devoir être réaffirmé.

Mme Catherine Génisson - Le Pas-de-Calais , conscient du problème, a mis en place des dispositifs concernant- cette coordination qui n'étaient peut-être pas parfait, mais au moins y a-t-il cette volonté de coordination avec le centre 15 et même avec un centre 15 bis qui permet une régulation médicale de tous les appels de garde avec participation de toutes les parties prenantes dont le Conseil départemental de l'Ordre du Pas-de-Calais.

On n'en a pas beaucoup parlé, mais c'est à mon sens ce système de médecine de proximité qui a sauvé le plus de vies pendant cette canicule. Mais loin des feux de la rampe, loin des feuilletons « Urgences » dans l'anonymat total de nos campagnes. Quand on voit dans notre département des villages de 1 500 habitants avec un seul médecin, des secteurs de 40 à 60 kilomètres de diamètre où les médecins sont systématiquement de garde deux fois par semaine, c'est de l'apostolat. Et je veux ici leur rendre hommage, car ces médecins n'ont absolument pas et en aucun cas failli à leur mission.

Des dysfonctionnements : oui ! Je suis le premier à le dire, il y en a eu. Je me suis moi-même rendu compte, au Conseil national, en appelant non seulement les conseils départementaux, mais les directeurs de Samu, les responsables de garde départementaux, que, effectivement, quand ça «pétait» les plombs - pardonnez moi l'expression - au niveau du Samu, du service d'urgence, on essayait tout de suite d'appeler le médecin de secteur. Et hop ! on ne le trouve pas. Etait-il déjà sur des interventions en urgence ? Oui ! Etait-il indisponible car en vacances ? Oui ! Et il n'y a pas de mal à être en vacances au mois d'août C'est un constat, ce n'est pas une accusation, comme osent le dire certains journalistes. On s'est rendu compte, après ce coup de projecteur, qu'en France, depuis plus de trois ans certains secteurs de garde se sont totalement « autonomisés » quant à leur conception de la permanence des soins.

Un bref historique. Il y a eu cette grève des médecins revendiquant la revalorisation des honoraires. Puis, le 1er février 2002, au Journal officiel est paru l'avenant n°8. Que prévoit-il ? La permanence de soins se fait à l'aide de médecins dits volontaires. On ne parle plus du tout dans cet avenant n° 8 du rôle de l'Ordre des Médecins. Il n'est même pas cité.

M. Claude Evin - C'est un avenant conventionnel.

Dr Xavier Deau - Certes ! signé par un syndicat et signé par la sécurité sociale , par nos autorités de tutelle.

M. Claude Evin - La sécurité sociale ne peut pas être qualifié d' «autorité de tutelle».

Dr Xavier Deau - Une terrible confusion s'est opérée dans l'esprit de certains médecins qui, lorsqu'on les a interrogés, nous ont dit : « Depuis cet avenant n° 8 la permanence des soins est déconnectée du système officiel. » Et on a assisté à des expériences qui n'ont pas été validées, dont l'Ordre n'a pas eu une totale maîtrise. Il y a eu des dysfonctionnements dans ces secteurs-là, que nous avons eu l'honnêteté de signale style="text-align: justify">Les textes sont parus avant-hier. Nous avons eu une réunion, dans les Vosges, où nous avons mis des heures à analyser le texte. Il est vrai que ce texte est excellent , car il replace le Conseil départemental dans sa mission. Mais il nécessite une explication de texte ordinale que l'on se doit de donner à nos confrères.

M. le président de la mission d'information - . Dans le document Lalande il est indiqué que des gens n'auraient plus voulu prendre la garde. Cela peut être aussi par saturation. La moyenne hebdomadaire de travail d'un médecin généraliste est de 57, 58 heures, sans les gardes.

Vous indiquiez deux gardes par semaine au mois d'août- c'est hors vacances ou pendant les vacances ?

Dr Xavier Deau - Les médecins ruraux, pour la plupart, essaient de s'autoremplacer, car on ne trouve plus de remplaçants. Tous les secteurs de garde dans la majorité des départements ruraux français ont été couverts par la permanence des soins. Il faut le rappeler.

Je peux vous parler de la situation dans l'Est de la France. Un demi-secteur vosgien n'a pas été couvert. Les médecins ont dit : « On est trop fatigués. A partir de minuit, on décroche le téléphone. » Même chose pour deux secteurs en Meurthe-et-Moselle et deux secteurs en Moselle. C'est peu par rapport à une centaine de secteurs existants.

M. Claude Evin - On a évoqué le fait que les médias avaient ciblé les médecins, etc. Personne n'aura à gagner d'une mauvaise polémique en la matière. Malheureusement, aujourd'hui, la polémique existe.

II ne faudrait pas que les dysfonctionnements fassent oublier le fait que, dans la majeure partie des cas, les choses se sont bien passées. A partir du moment où des dysfonctionnements ont été évoqués, il me semble nécessaire d'obtenir des éclaircissements. On parle beaucoup du rapport Lalande. J'ai sous les yeux la page 32 du rapport Lalande et le document annexe du Conseil de l'Ordre. Le rapport Lalande s'appuie sur le document du Conseil de l'Ordre.

Les syndicats médicaux écrivent dans Le Monde d'hier par exemple : « Le rapport Lalande nous accuse. » Personne n'accuse personne en l'occurrence.

Le Conseil de l'Ordre semble avoir identifié des dysfonctionnements ? Je comprends que vous ne pourrez pas nous apporter des réponses sur ce point aujourd'hui. Nous ne pouvons qu'espérer que les dysfonctionnements que vous avez identifiés soient explicités quant aux faits et quant à l'explication des phénomènes. C'est entre autres le problème plus récurrent, en amont, du fait que des secteurs avaient déjà complètement échappé au système des gardes, et depuis longtemps.

M. Maxime Gremetz -. J'ai bien compris.

Vous nous dites que ce sont les médecins de proximité qui décèlent le plus de problèmes. Nous sommes d'accord. Mais comment remontent les informations pour donner l'alerte ?

M. Louis-Jean Calloch -. Nous avons répondu aux questions concernant la démographie, à l'absence d'alerte. On a parlé des zones rurales.

Je réponds à la question posée par M. Evin sur la déontologie , l'article 77. Pour nous il est déontologique, plein et entier. C'est un devoir de participer.

Après, que devient -il ? Il devient réglementaire et administratif dans le cadre des lois qui le réglementent. Je n'ai jamais vu l'éthique rentrer dans le «tuyau» du législatif et du réglementaire. Quelque chose nous étonne. Nous allons devoir être très attentifs à la rédaction des compléments au décret, pour que les moyens mis à la disposition des confrères ne viennent pas limiter la première partie de la phrase qui concerne la déontologie.

Madame, messieurs les députés, l'Ordre demande à être présent dans le suivi rédactionnel des décrets pour la bonne mise en application de l'article 77.

M. Claude Evin - C'est une apparente contradiction. Cela ne va pas être facile à gérer partout.

M. Louis-Jean Calloch -. C'est pourquoi il ne faut pas nous abandonner. Mais il faut nous aider en tous temps, tous lieux et toutes circonstances.

M. le président de la mission d'information -. C'est pour cela que l'on vous écoute et que l'on vous a interrogé sur ce point.

M. Louis-Jean Calloch -. Le volontariat. Certaines choses sur la notion de volontariat nous paraissent ambiguës, mal définies. Si M. Evin m'écoutait bien, il m'entendrait dire que, dans la rédaction de ce décret, le Conseil de l'Ordre n'apparaît qu'au deuxième niveau de la mise en place des gardes. Lorsque le volontariat a échoué, l'Ordre apparaît seulement.

M. Claude Evin - Cela ne risque-t-il pas d'être un peu tard ?

M. Louis-Jean Calloch -. Vous avez compris. C'est là qu'il faut nous aider..

M. Claude Evin -. Quand on lit le décret, on se demande comment ça va marcher.

M. Louis-Jean Calloch -. Mettez-vous à notre place. Nous n'intervenons qu'au deuxième niveau.Monsieur Evin, vous nous avez parlé d'une option qui avait été proposée précédemment au niveau du médecin réfèrent. Cela, est un devoir conventionnel. C'est différent du devoir de permanence des soins.

Vous avez évoqué la possibilité de mentionner sur les plaques des médecins le nom de leur remplaçant. Tout cela est déjà prévu dans le code de déontologie . Dans la lecture des commentaires de l'article on peut ajouter des précisions en ce sens. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de refaire l'article 88. Il faudrait définir les commentaires. Il ne faut pas trop remanier actuellement le code de la déontologie.

M. le président de la mission d'information -. Je vous rappelle que vous pouvez nous faire parvenir par fax ce soir des réponses complémentaires que vous n'avez pas eu le temps de formuler.

M. Louis-Jean Calloch -. Nous sommes quasiment des bénévoles. M. le président de la mission d'information -. J'ai été conseiller ordinal.

M. Louis-Jean Calloch -. Nous le savons. Et votre trajectoire, monsieur le président,
vous permettra de relayer des propositions qui , au niveau de la citoyenneté, ont du mal à
passer. * .

M. le président de la mission d'information -. Quand j'étais jeune médecin ORL à Metz, il n'y avait pas de temps plein à l'hôpital en ORL public. Donc, on était aussi en libéral. Et à l'époque on avait obligation de la garde de nuit. Par ordre alphabétique, c'était deux - deux. On nous donnait tous les jours . Même le médecin dermatologiste devait assurer la garde. Nous pouvions nous arranger avec un autre médecin . Certains en faisaient 15, d'autres 2, d'autres 0, mais la garde était toujours effective.

Mme Catherine Génisson - Vous avez évoqué les problèmes de démographie, que nous connaissons tous bien. Pensez-vous que la régulation du mode d'installation est un sujet qu'il faudra aborder ?

Dr Patrick Bouet - Il n'y a pas une mesure isolée aujourd'hui qui puisse régler la problématique. Un ensemble de faisceaux de mesures, qui dépassent très largement le cadre médical, doivent aller vers la réappropriation du monde rural et vers la réappropriation par les citoyens de cet espace de vie. Lorsque l'Ordre parle de l'espace de vie, il s'agit de l'environnement de la vie. Il ne s'agit pas de dire à un médecin qu'on va lui donner une prime pour s'installer, s'il n'y a pas un collège à proximité, des espaces de vie qui permettront à son environnement familial de se développer et de s'épanouir. Nous sommes donc très réservés sur les mesures ponctuelles de ce type, qui ne peuvent entrer que dans un champ « de revitalisation » de ces espaces de vie. Nous portons un regard intéressé, mais un peu désabusé s'il ne s'agissait que de cette initative-là.

M. le président de la mission d'information -. Nous sommes obligés de respecter un timing assez serré. La commission d'enquête nous permettra d'approfondir les sujets.

M. Louis-Jean Calloch -. La permanence des soins fait partie de l'exercice professionnel. Cet événement a déstructuré une façon de fonctionner qu'on savait très critique. Il y a un problème démographique évident.

Le Conseil de l'Ordre doit être partie prenante dès le premier niveau du fonctionnement et de la permanence des soins.

Interrogé par Mme Lalande le 21 août, une structure bénévole , comme la nôtre mais de finalité de santé publique, en plein mois d'août et à cheval sur un week-end, a réussi à rendre un rapport pour le 26 août. On a donc bien fonctionné.

Pour interpréter le texte, il nous faut du temps pour rendre compte à nos conseils départementaux lors d'une assemblée générale que nous avons convoquée. Nous synthétiserons et vous obtiendrez une réponse c font-size: 10pt">* *

XXX. Audition de M. Michel Moise-Mijon, représentant la CFTC, de Mme Nadine Prigent, secrétaire de la Fédération de la santé des salariés publics et privés CGT, de M. Christophe Prudhomme, coordonnateur du collectif des médecins CGT, de M. Bernard Henin, secrétaire fédéral à la fédération des services publics et de santé FO et de M. Didier Bernus, secrétaire fédéral FO des services public et de santé.

(séance du vendredi 19 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Je vous remercie de vous être rendus à l'invitation de la mission d'information concernant les causes et les conséquences sanitaires et sociales de la canicule.

M. Maxime Gremetz tenait beaucoup à votre présence et, à l'unanimité, nous avons accédé à sa demande. Il faut rendre à César ce qui est à César !

Je vous prie de bien vouloir nous excuser à l'avance des horaires très serrés que nous devons tenir. Je suis président et rapporteur de cette mission, je suis aussi rapporteur des propositions de résolution pour la commission d'enquête. Je la demanderai. Nous disposerons de plus de temps dans ce cadre. M. Maxime Gremetz demandera - et nous en serons d'accord -que vous soyez reçus à nouveau.

Je vous demanderai d'abord de nous exposer votre vécu de la crise, en insistant particulièrement sur la manière dont les organisations syndicales ont été alertées, sur les remontées d'informations faisant apparaître qu'il se passait quelque chose d'anormal.

Deuxième question : d'après les éléments dont vous disposez, quels ont été les principaux facteurs de surmortalité dans les maisons de retraite et les services de long séjour : types de bâtiments, équipement en climatiseurs et autres matériels, taux d'encadrement, organisation du service permettant d'anticiper plus ou moins la période de vacances ? Le caractère lucratif ou non des établissements, la signature ou non d'une convention tripartite ont-ils été des facteurs importants ?

Troisième question : s'agissant des services d'urgence et, plus généralement, de l'hospitalisation des personnes victimes de la chaleur, pensez-vous que l'on aurait pu éviter des décès ou qu'il était de toute façon trop tard, les choses s'étant jouées en amont ? S'il y a eu un problème dans les hôpitaux, est-ce une question de moyens ou d'organisation ? Ou les deux ?

Quatrième question : plus généralement, où se sont situés les défaillances ou dysfonctionnements du système : dans les administrations, dans les EHPAD, dans la médecine libérale, à l'hôpital ? Cinqu médecin urgentiste. Je coordonne le collectif des médecins à la CGT.

M. Bernard Hénin, secrétaire fédéral à la Fédération des services publics et de santé FO - Je suis secrétaire fédéral à la fédération des services publics et de santé Force ouvrière. Je suis cadre supérieur de santé.

M. Didier Bernus, secrétaire fédéral FO des services public et de santé - Je suis secrétaire fédéral FO des services public et de santé. Je suis infirmier de secteur psychiatrique.

M. Claude Leteurtre - Est-ce que l'application des 35 heures a pour vous été un problème notamment pour les services des urgences ?

M. Georges Colombier - Depuis longtemps, tout comme notre président, Denis Jacquat, je plaide pour la reconnaissance d'un risque dépendance, qui serait géré par la sécurité sociale. Quelle est votre position à ce sujet ?

M. Maxime Gremetz - Il y a beaucoup de mises en cause des 35 heures. Je voudrais demander aux syndicats - vous vous êtes battus pour avoir du personnel permettant de compenser les 35 heures et pour que les malades bénéficient de meilleurs soins - ce qui leur manque aujourd'hui. Quels sont les besoins de l'hôpital ?

M. Michel Moise-Mijon - Je demanderai à notre fédération de santé de compléter mes propos mais je souhaite répondre aux dernières questions posées notamment sur l'urgence et le risque dépendance.

Sur l'urgence. Ce qui ressort du rapport remis au ministre de la santé c'est la défaillance de notre système d'alerte. Tout le monde l'a mis en relief, chacune des parties se défendent d'en être responsable. Je pense à Météo France qui prétend que ses systèmes d'alerte - qu'il s'agisse du système de pré alerte de 72 heures à sept jours ou du système d'alerte dans les trois jours auraient bien fonctionné.

Cela pose alors le problème des relais locaux de l'information : si on peut considérer que le système de pré-alerte de Météo France a bien fonctionné , cela signifie qu'en aval il y a eu des dysfonctionnements.

Il semblerait aussi que les messages d'alerte dans le cadre des 72 heures n'aient pas toujours été pris en considération ou suffisamment au sérieux.

Il ne semble pas que les autres dispositifs aient fonctionné comme il aurait convenu.

Peut-être y a-t-il là des conclusions à tirer, des propositions à faire. Il existe deux approches différentes dans les travaux qui se sont d Ça vaut ce que ça vaut, mais on devrait pouvoir avoir l'essentiel de la population âgée. Les associations caritatives, comme les CASS, ne connaissent qu'une fraction de la population âgée. Généralement, ce sont toujours les mêmes personnes qui sont connues soit des services, soit des associations caritatives. On s'est aperçu, même s'il y a eu une surmortalité dans les établissements, qu'il y a eu un drame de la solitude, de l'isolement.

S'agissant des systèmes d'alerte, on sait que beaucoup de schémas gérontologiques sont déjà rédigés, mais ne sont pas encore complètement terminés.Il convient de tirer les conclusions de ces événements et d'intégrer en quelque sorte d'une manière obligatoire dans le cadre du schéma gérontologique le plan Vermeil actuellement en cours d'élaboration. Il faudrait fixer un échéancier, car cette situation peut se reproduire, même si ce n'est pas dans les mêmes proportions. Selon les observations de Météo France, les températures moyennes s'élèvent, même si les pics que nous avons connus sont exceptionnels. N'y aurait-il pas lieu dans les six mois à venir de réviser les schémas gérontologiques existants en intégrant le plan Vermeil lorsqu'il sera achevé ?

Cela implique aussi au niveau local de redéfinir les territoires gérontologiques, afin de voir qui peut être acteur du plan Vermeil. On observe qu'il n'est pas facile de faire fonctionner les conseils généraux avec certains services de l'Etat - et je pense en particulier aux DDASS. On s'aperçoit que dans certains départements les choses ne s'articulent pas toujours bien.

On reparle du risque dépendance. Pour y mettre quoi ? La loi sur l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) est en vigueur depuis le 1er janvier 2002. Comment peut-on faire fonctionner le système ? L'assemblée de l'ADF se tient actuellement. Est-ce que les départements sont prêts à renoncer à l'APA pour que cela devienne un risque de sécurité sociale ? Si elle devient un risque de sécurité sociale, comment la finance-t-on ? J'ai eu la surprise de voir, dans un document d'un groupe de travail mis en place, à la demande de M. Fillon, qu'il y avait deux intervenants dans l'APA : les départements pour la PAPUR et l'Etat pour le FAPA. M. Claude Evin, qui a été président du conseil de surveillance de la CNAM comprend ce que je veux dire. Je vous rappelle comment le FAPA est financé. Il y a un financement d'Etat, 0,10 point de CSG. Selon moi, la CSG a été créée pour financer la sécurité sociale, mais certainement pas pour financer une prestation servie par les conseils généraux ou les collectivités territoriales. Par ailleurs, il y a une contribution des régimes de base de retraite de sécurité sociale à ce FAPA. Elle ne figure pas dans le document, pas plus que je n'y ai vu mentionnés les 220 000 personnes qui dans le cadre de l'aide ménagère à domicile sont aidées par le régime général vieillesse de la sécurité sociale ou par les régimes AGIRC, ARRCO ou IRCANTEC...

On peut effectivement se référer au mod&e satisfaits d'être entendus en tant que représentants des salariés, car nous estimons qu'il y a un manque de cohérence dans la méthode employée pour évaluer la situation.

Nous avons parlé de «catastrophe sanitaire programmée ». C'est une expression forte. Mais cela fait de nombreuses années que l'on a ce sentiment, que ce soit dans les établissements hospitaliers, les maisons de retraite, privées ou publiques. II y a des systèmes d'alerte à réorganiser. Mais on ne peut découvrir aujourd'hui les conséquences d'une situation et d'une politique de réduction budgétaire menée depuis vingt ans: 100 000 lits fermés, 200 services d'urgence fermés, 16 % des maternités de 1996 à 2000... On gère l'hôpital comme une entreprise avec des durées de séjour très diminuées, des conditions de travail difficiles. L'émotion de cet été, c'est aussi un mécontentement, une colère pour l'instant rentrée chez les professionnels mais qui peut aussi s'exprimer à travers des conflits futurs.

Les négociations ont été menées ces dernières années avec les pouvoirs publics - notamment sur la RTT et les filières professionnelles. Des chantiers ont été ouverts. On a parlé d'urgence, de sécurité, de violence. Nous ne pouvons que constater que l'on n'a toujours pas décidé dans notre pays d'accorder les moyens financiers nécessaire pour avoir un service public de santé à la hauteur des besoins.

Puisque nous sommes à l'heure des réformes de la sécurité sociale, de l'hôpital, des lois de santé publique, nous réclamons que la représentation nationale mène ce débat. Nous soutenons la demande de création d'une commission d'enquête. Nous pensons qu'il faut débattre d'une véritable politique de santé et des questions de son financement.

La fédération hospitalière de France a proposé une augmentation de 4,3 % du taux hospitalier pour 2004. Il nous semble que c'est le minimum si l'on veut assurer la reconduction des moyens, ce qui ne suffira pas d'ailleurs pour faire face à un certain nombre de besoins nouveaux.

Dans le débat sur le PLFSS 2004, les salariés vont être très attentifs aux décisions politiques prises compte tenu de ce qui s'est passé cet été. Il y a eu une grande souffrance professionnelle. Notre organisation syndicale, au-delà des questions budgétaires, réclame des décisions. Nous demandons, pour cet été, que toutes les heures supplémentaires accomplies soient financées dans le cadre des budgets hospitaliers. Nous ne voulons pas entendre parler de primes. Les professionnels n'en veulent pas. C'est dégradant par rapport à la reconnaissance du travail et des efforts faits par les professionnels hospitaliers. Nous voulons le paiement des heures suppl&e L'assistance publique de Paris parle de 1 500 postes vacants d'infirmières. Il faut donc des mesures incitatives à court, moyen et long terme, pour garder les professionnels.

On constate en effet qu'ils quittent Paris en grand nombre pour aller travailler ailleurs. Des mesures sociales seraient nécessaires : logement, crèches. Nous sommes 80 % de femmes dans le secteur hospitalier et les maisons de retraite ...

Toutes les études confirment que, compte tenu des places actuelles et du numerus clausus, nous ne ferons pas face aux départs en retraite massifs qui vont avoir lieu dans nos catégories. Nous avons chiffré les besoins - nous vous laisserons le dossier. Nos propositions ne sont pas maximalistes.

On ne comprend pas pourquoi le statut de l'élève qui existe dans d'autres secteurs ne s'applique pas à la santé, secteur pourtant essentiel pour notre société. Dans le système pénitentiaire, les années d'études sont comptabilisées pour la carrière, les logements sont gratuits. Je citerai encore d'autres pistes : les voies qualifiantes, la formation professionnelle, les salaires.

La réduction du temps de travail : cela a été difficile, puisque, dès le départ, un certain nombre d'organisations n'ont pas ratifié l'accord RTT, dont la nôtre. Nous avons estimé que le nombre d'emplois n'était pas suffisant pour son application. La RTT a été appliquée dans une situation déjà déficitaire en emplois. Il était très intéressant médiatiquement de faire apparaître le chiffre de 45 000 emplois créés. Cependant, rapporté au nombre de salariés hospitaliers - 750 000 -, on est loin du nombre d'emplois qu'il serait nécessaire de créer pour appliquer correctement la réduction du temps de travail. Je n'évoquerai que brièvement les mesures réglementaires qui ont accompagné la mise en place de la RTT, qui ont abouti à réduire les chevauchements d'équipes et à détériorer les conditions de travail. C'est un comble ! Ces mesures qui auraient dû améliorer les conditions de vie dans un secteur où on a justement besoin de garder les personnels se soldent par un vécu plus difficile des salariés.

Nous ne souhaitons évidemment pas que la réduction du temps de travail soit remise en cause, mais il faut revoir les dotations en emplois. Il faut aussi faire le bilan des emplois créés. Où, concrètement, ont été créés ces 45 000 emplois ? Je précise également que dès le 1er janvier 2004, la réduction à 32 heures 30 pour les équipes de nuit doit entrer en application. Les salariés sont inquiets. Aura-t-on les moyens d'appliquer cette mesure ?

Les personnes âgées : nos collègues se sont investis dans des projets pour des établissements, y compris avec les accords tripartites. Mais, finalement, ils se rendent compte qu'il n'y des réseaux publics de suivi et d'accompagnement de la personne âgée jusqu'au domicile, afin qu'on ne laisse pas les familles se « dépatouiller » avec le libéral, l'infirmière, le lit à hauteur variable, l'oxygène et j'en passe ! La famille est livrée à elle-même pour organiser le retour à domicile. Nous voulons que le service public reprenne sa place. On a laissé faire tout et n'importe quoi en matière de santé ces dernières années.

M. Christophe Prudhomme - J'ai la chance ou le malheur d'être médecin urgentiste.

M. Maxime Gremetz - Chance lourde à porter !

M. Christophe Prudhomme - J'ai une responsabilité au sein de notre confédération mais aussi à l'AMUF. Nous avions déjà lancé un cri d'alarme ces dernières années. Nous avons mené une lutte très dure en Ile-de-France au mois d'avril/mai. Au delà des questions statutaires nous avions posé le problème des lits d'aval dans les urgences, problématique qui s'est aggravée depuis trois ans, du fait de la poursuite des fermetures de lits, des critères de qualité de l'hôpital notamment pour la durée moyenne de séjour. On a vu sortir prématurément des personnes âgées que l'on voyait revenir deux jours plus tard aux urgences.

Une autre réalité : il y a eu plus de morts en Ile-de-France qu'en région PACA. Pourquoi ? En Ile-de-France : 225 services d'urgence en 1995, 82 aujourd'hui disposant strictement des mêmes moyens. Donc on « dysfonctionne » en permanence. Bien sûr on demande des moyens mais il ne suffit pas de donner des moyens aux urgences. Elles pourront avoir de beaux locaux, de beaux brancards mais on continuera à avoir des patients qui resteront sur ces brancards, patients dont on ne saura pas quoi faire. Notre problématique n'est pas segmentée, comme celle qui est mise en œuvre actuellement avec des réunions du côté du ministère Fillon, ou le ministère Mattei et les libéraux dans un autre coin. Opposer les catégories - médecins - non médecins, médecins hospitaliers - médecins libéraux - et rechercher un bouc émissaire n'est pas faire preuve de responsabilité politique.

Il y a un dysfonctionnement global du système de soins. Mettons-nous tous autour de la table. On espère que la commission d'enquête parlementaire pourra aider à cette réflexion, parce que nous sommes face à une situation difficile en termes démographiques pour les soignants. Il y a une nécessité de réorganisation. On ne réorganisera pas de manière positive s'il faut passer plus de temps à courir après les moyens qu'à soigner des patients. C'est malheureusement le cas pour tout le monde, que ce soient les cadres infirmiers qui gèrent des plannings avec du personnel insuffisant ou les médecins aux urgences qui passent plus de temps au téléphone à chercher des places qu'à gérer l'accueil et à prescrire de répondre. Moi, je travaillais dans un Samu. A partir du 4 août on a eu une augmentation du nombre d'appels. Mais à qui transmettre cette information ? Il n'y avait personne. Depuis des années, nous nous battons pour que le préfet assume ses responsabilités dans la gestion des tableaux de garde. En catimini, viennent de sortir deux tableaux sur la permanence des soins , sans aucun lien avec les structures de soins que sont les centres 15 qui pourtant sont indispensables, puisque la totalité des médecins qui, aujourd'hui , n'ont pas de remplaçant, mettent - c'est légal - sur leur ordonnance : « appeler le centre 15 ».

Dans mon établissement, ces dernières années nous avons multiplié par cinq le nombre de dossiers médicaux ouverts, le nombre de sorties des équipes du SMUR n'a pas augmenté. La réponse -conseil a, elle, augmenté. Cet acte médical au téléphone nécessite 7 ou 8 minutes. Il ne s'agit pas d'une réponse «presse bouton» : j'envoie un premier secours des pompiers qui sont quand même payés par la collectivité nationale, même s'ils ne sont pas remboursés par la sécurité sociale. Quand on n'a pas de médecin disponible dans les centres 15, le doute devant bénéficier au patient, on envoie les pompiers, qui déversent aux urgences des patients qui pourraient être traités différemment.

Il serait bon de coordonner les interventions. Mais on nous dit qu'il n'est pas possible de mettre autour de la table le ministère de la santé et le ministère de l'intérieur

En ce qui concerne les principaux facteurs de surmortalité dans les maisons de retraite, nous avons, dans les Samu, des « points rouges» sur les établissements personnes âgées. Quand un établissement pour personnes âgées appelle, c'est comme si c'était une détresse sur la voie publique. Il n'y a pas, en effet, de personnel compétent dans ces structures.

Dans les services d'urgence, il y a un problème d'organisation, de moyens et de culture. A l'Assistance publique de Paris, qui est emblématique en termes de dysfonctionnement du monde hospitalier, quand on appelait nos collègues pour leur demander de prendre des personnes âgées aux urgences, avant que le plan blanc ne soit déclenché, ils n'avaient pas de lit. Quand le plan blanc a été déclenché, il y a eu des lits. Il y a donc aussi, au plan de la culture médicale, des choses à changer.

Si on laisse les médecins se débrouiller entre eux, c'est une incessante lutte de pouvoirs. Une des défaillances du pouvoir politique, c'est de ne pas assurer son pouvoir de régulation. On ne doit pas laisser les choses se gérer toutes seules, grâce à la bonne volonté des professionnels. Il faut qu'il y ait des autorités sanitaires qui soient en capacité de décider, d'imposer quand il y a des conflits. Nous avons averti le ministre. En tant que médecin, je pense qu'au niveau déontologie, il a été franchement « limite » dans ses déclarations. Si, cet hiver, il y a conjonction d'une épidémie de grippe François Mattei un courrier concernant la situation dans les établissements. Dans la période pré-estivale nous nous inquiétions de la fermeture accélérée de services, de lits - on nous assurait qu'ils seraient réouverts, mais on n'a pu que constater qu'ils ne l'étaient pas. Nous écrivions donc : « Attention danger ! ». Notre crainte était que, d'une part, certains de ces services ne rouvrent pas à la fin de l'été et que, d'autre part, les hôpitaux se trouvent dans l'incapacité de répondre à leur mission de service public en cas d'incidents graves ou de catastrophe naturelle. Nous nous sommes trouvés très exactement dans cette situation. Nous sommes contents aujourd'hui d'être écoutés, entendus - nous l'espérons.

Nous nous réjouissons que cette mission ait lieu, qu'un débat puisse se tenir, que la représentation nationale puisse nous entendre sur cette question. Nous sommes invités à participer au groupe Fillon, au groupe Mattei, au plan Hôpital 2007. Tout le monde est entendu et on espère que cela débouchera sur quelque chose.

Pour connaître l'ampleur de la crise, nous avons eu nos relais habituels : les syndicats dans les établissements. Des personnels nous ont alertés sur les difficultés croissantes qu'ils rencontraient dans ces établissements. Ces appels émanaient d'abord de Paris, car la catastrophe a été d'abord centrée sur la capitale. Ensuite ils sont arrivés de toutes les régions. Ces personnels nous parlaient de leurs difficultés pour accueillir un afflux de personnes dans les services hospitaliers et plus particulièrement dans les services d'urgences, des difficultés pour trouver des lits, des difficultés pour avoir un personnel qualifié en nombre suffisant au chevet des malades.

Cette situation a certes été paroxystique et, parce qu'on fonctionne à flux tendus, a sombré dans la catastrophe. Mais cette situation, on la vit tous les jours. De multiples facteurs aggravants ont certes joué. Mais nous redoutons cette catastrophe tous les jours. Cela peut être à l'échelon local dans un établissement ou de manière générale, comme cet été.

S'agissant de différents facteurs de surmortalité, on peut citer l'incapacité de répondre en temps et en heure aux besoins de réhydratation des malades. Dans certains endroits, on ne disposait pas même d'eau fraîche, de ventilateurs - ne parlons pas de climatiseurs. Mais on est pris entre les risques de légionellose et la climatisation - vous connaissez comme moi les multiples commissions de sécurité qui ont étudié le sujet. Une prise en charge médicalisée professionnelle nécessite par exemple un nombre de lits suffisant pour accueillir en médecine les personnes âgées. Il y a également un déficit des possibilités d'accueil dans les services d'urgence. De nombreux services d'urgence ont été fermés dans les hôpitaux de proximité.

Les conséquences des 35 heures. On dit haut et fort que la mise en place des 35 heures a conduit à une désorganisation, à une dégradation des conditions de travail. Ce sont sans nul doute des facteurs aggravants. Il ne faut en aucun cas utiliser ce prétexte pour les remettre en cause en prétendant qu'il n'y aura alors plus de problèmes. Les personnels n'ont pas envie d'être « cocus » une deuxième fois. Je le dis très nettement. On se retrouve devant un mécanisme plus ou moins culpabilisant. Mais, « au bout du bout », cela retombe sur la tête des personnels. On lit dans les conclusions de la Cour des comptes sur le financement de l'assurance-maladie que les protocoles hospitaliers et le financement de l'aménagement du temps de travail ont majoré l'ONDAM de 3,4 milliards d'euros par rapport à 1999. C'est l'un des diagnostics portés sur le déficit de l'assurance-maladie. Cela nous laisse un certain nombre de craintes quant aux décisions qui seront prises.

Il est bon que l'on puisse être entendu par la représentation nationale au moment où on va débattre du projet de loi de financement sur la sécurité sociale.

Le déficit en personnel qualifié n'est pas le fruit du hasard ou d'une conjoncture imprévue. Après les suppressions de places dans les écoles paramédicales et les écoles d'infirmières, après les fermetures intempestives d'écoles d'aides-soignants, il est difficile de remonter la pente.

Nous sommes demandeurs de négociations sur ces différents sujets, et nous l'avons fait savoir aux gouvernements successifs. Le 30 juillet dernier, notamment, lorsque nous ont été présentés les axes de réorganisation de l'hôpital prévus dans le cadre du plan Hôpital 2007, nous avons déclaré que l'urgence était de prendre des mesures contre la catastrophe qui s'annonçait.

Nous avons vraiment le sentiment qu'il existe un décalage entre la vision purement macroéconomique de l'assurance maladie et les conséquences concrètes et humaines. Nous souhaitons une approche plus pragmatique.

En ce qui concerne le « cinquième risque », vous connaissez le point de vue de notre organisation : il n'est pas question, pour nous, que la dépendance sorte de la branche assurance maladie ; tout ce qui a trait à la maladie de la personne âgée dépendante doit être traité par la branche maladie. Oui à la prise en compte du risque dépendance, le « cinquième risque », mais dans le cadre de la branche maladie.

Nous demandons également que la question de la dépendance soit traitée de façon égalitaire. Nous avons émis des réserves à propos d'un traitement différencié par département, car le niveau de prise en charge s'échelonnerait alors de un à dix, ce qui, de surcroît, en matière de fiscalité, entraînerait des inégalités de contribution flagrantes.

Ce sont les différentes politiques menées dans ce domaine qui nous ont conduits à cette situation. Alors aujourd'hui, que doit-on faire ? Il existe, dans les hôpitaux, dans le secteur libéral, dans les associations participant à la prise en charge des personnes âgées à domicile, un vivier de professionnels qui ont une expérience et sont prêts à développer leurs qualifications, par des moyens qui existent, et par des moyens à inventer, ou plutôt à mettre en place et surtout à financer.

Dans le cadre d'un protocole récent, datant de janvier 2003, sur la réduction du temps de travail, a été élaboré un plan emploi-formation - dont on peut penser ce que l'on veut, mais qui a le mérite d'exister -, contenant un engagement fort du Gouvernement pour financer de façon ciblée la formation professionnelle. Quand un professionnel de santé passe un concours ou un examen et qu'il a besoin d'une formation complémentaire, celle-ci doit être financée, et les financements actuels sont insuffisants. Dans les écoles de formation, à chaque rentrée, nous constatons que des professionnels ayant réussi un concours ne bénéficient d'aucune prise en charge.

Ce serait un moyen de disposer rapidement des professionnels nécessaires pour répondre aux besoins. On pourrait aussi envisager des moyens, comme la VAE ou, pour les aides-soignants, des formations en alternance. A cet égard, nous sommes donc très ouverts, mais les choses doivent avancer. Ses engagements ont été pris en janvier ; nous sommes en septembre et nous attendons que le dispositif se mette en place.

On aura beau créer tous les postes possibles et donner tous les moyens possibles, encore faut-il avoir des professionnels qualifiés. Dans les structures qui en disposaient, on a pu trouver le matériel nécessaire pour poser la perfusion nécessaire.

M. le président de la mission d'information - Il est intéressant de donner des exemples précis et d'éviter les propos trop généraux.

M. Bernard Henin - Il n'est pas normal, dans un pays comme la France, qu'un médecin généraliste coordinateur d'une maison de retraite soit obligé d'aller acheter des vaporisateurs dans le commerce pour rafraîchir les pensionnaires !

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XXXI. Audition de Mme Michèle Froment-Védrine, directrice générale de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE) et de M. Jean-Pierre Beysson, président-directeur général de Météo France.

(séance du vendredi 19 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - J'ai deux séries de questions à vous poser, d'une part, sur l'organisation des administrations et la manière dont elles ont anticipé la crise et fait face, d'autre part, pour l'avenir, sur les analyses que l'on peut mener et les systèmes d'alerte que l'on peut mettre en place.

Madame la directrice générale, pouvez-vous nous décrire les travaux menés par votre agence sur les risques sanitaires climatiques et son rôle dans la gestion de cette crise ? Considérez-vous que l'AFSSE a rempli sa mission définie par la loi, mission d'évaluation et d'expertise des risques sanitaires liés à 1'environnement ?

Nous avons entendu le directeur de l'InVS. Cet institut a une mission de veille, votre agence plutôt d'expertise. Pensez-vous que ces deux missions soient fondamentalement différentes ? Il ressort de tous nos travaux, jusqu'à ce jour, que le cloisonnement excessif des administrations a pesé dans cette crise. Ne faudrait-il pas, pour disposer d'une meilleure force de frappe en matière de risques sanitaires, réfléchir à un regroupement des structures existantes ?

Monsieur le président-directeur général, nous nous efforçons d'évaluer le degré d'anticipation par l'administration des problèmes de canicule. Il existe, semble-t-il, une commission « santé et biométéorologie » dans votre établissement. Qui en est membre ? Quelles administrations y sont représentées ? A-t-elle travaillé sur le sujet de la canicule ? Si oui, Météo France avait certainement une compétence particulière sur cette question. Avez-vous alerté les autorités sanitaires ? Qui ? Quand ? Comment ? Nous vous demanderons naturellement de nous transmettre dans les plus brefs délais, avant ce soir à dix-huit heures, toute trace écrite de ces alertes et tout document écrit rendant compte des travaux de la commission, la liste des membres, les états de présence de ces membres aux réunions.

Pour l'avenir, pensez-vous qu'il soit possible, au regard de la fiabilité des prévisions météo et des travaux scientifiques existants, de monter rapidement un dispositif efficace d'alerte météo pour le risque sanitaire canicule ? Les seuils de déclenchement sont-ils faciles à élaborer ? On nous a dit qu'aux Etats-Unis, le seuil de déclenchement des dispositifs existants était de 26,7 degrés de température nocturne minimale ; or, à Paris, 25,5 degrés ont suffi pour entraîner une mortalité considérable...

Mme Michèle Froment-Védrine, directrice générale de l'Agence française de sécurité environnementale - Je suis docteur en médecine depuis 1974. J'ai successivement exercé à la CNAMTS, d'abord comme médecin conseil de base, puis, à partir de 1981, comme responsable national du contrôle médical des hôpitaux, cliniques privées, établissements médico-sociaux et maisons de retraite. Je suis devenue conseiller référendaire à la Cour des comptes en 1981, fonction que j'ai exercée jusqu'en 2003, essentiellement dans la chambre chargée des problèmes de défense nationale et des nouvelles technologies. Je suis également présidente de la commission de la sécurité des consommateurs, organisme consultatif placé auprès du ministre des finances, qui rend des avis sur les causes des très nombreux accidents de la consommation.

L'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE), que je dirige depuis avril 2002, est un établissement public administratif créé par la loi du 9 mai 2001, sous la double tutelle des ministères de l'environnement et de la santé. Elle est la dernière agence du processus de santé publique débuté en 1998. Sa création a fait l'objet de nombreux débats, tant sur son opportunité que sur son champ d'attribution, qui ont retardé sa création, puis sa mise en place par le décret du 1er mars 2002. J'ai été nommée le 11 avril 2002 pour créer cet établissement ex nihilo, c'est-à-dire sans locaux, sans personnel et sans budget. Pendant une période de sept mois, j'ai préparé les premiers pas de l'agence, accompagnée d'un administrateur civil de l'IGAS à temps partiel et d'un professeur de santé publique, également à temps partiel, tous deux mis à disposition. Fin novembre 2002, l'agence a été dotée d'un conseil d'administration et d'un conseil scientifique ; elle a été inaugurée le 27 novembre lors de son installation à Maisons-Alfort, dans des locaux toujours provisoires. Le budget n'a été opérationnel que courant décembre 2002. Il était de 2 millions d'euros en fonctionnement et de 1,5 million d'euros en recherche, avec douze emplois à créer.

En 2003, le budget est de 3,52 millions d'euros et de 1,5 million de crédits de recherche, avec 29 postes autorisés au total. Néanmoins, les personnels n'ont pu être recrutés qu'à partir de février 2003, c'est-à-dire très récemment, après une autorisation dérogatoire du ministre des finances, en l'absence de statut applicable. Les personnels scientifiques sont donc arrivés majoritairement courant avril, mai, juin et août 2003, et d'autres sont prévus dans les semaines à venir pour atteindre le nombre de postes autorisés. Il est en effet très long de recruter des personnels seniors compétents et présentant un profil d'expert indépendant des entreprises privées.

Le rôle de l'AFSSE a été défini par la loi. Elle est chargée de contribuer à assurer la s&ea l'expertise produite, proposer des actions thématiques dès 2003, notamment sur les produits chimiques, et, pour la fin de l'année, permettre l'accès du public à une information validée. Les premiers travaux de l'AFSSE ont évidemment été de constituer le minimum de trame administrative et comptable nécessaire à son démarrage - locaux, budget, achat de mobilier, création d'un réseau informatique, téléphonique, comptable, organes internes tels que les conseils, les règlements, les recrutements de personnel administratif. Quand on est deux, ce n'est pas si facile...

Néanmoins, malgré sa quasi-inexistence, l'AFSSE a procédé, dès juin 2002, au lancement d'un appel d'offres de recherche en santé environnementale et a rendu un avis sur la téléphonie mobile publié en avril 2003, débuté le maillage des compétences et mis en place un site Internet. En 2003, elle a reçu diverses commandes des ministères, appelées « saisines », sur le mercure, le bruit, la pollution causée par le Prestige, les pesticides, les dioxines, le réseau de toxicovigilance moribond des centres antipoison, et la transposition de la directive sur l'ozone.

Dans tous ces cas, l'AFSSE a établi un état des compétences scientifiques en mettant en place un réseau adapté au sujet avec les autres établissements concernés. Elle a élaboré divers outils de travail scientifique de référence, tels qu'une étude des priorités en santé environnementale, qui vient d'être achevée, des référentiels en météorologie environnementale, des valeurs toxicologiques de référence portant essentiellement sur les produits toxiques pour la reproduction humaine. Elle s'organise en réseau avec les cinq partenaires désignés pour l'expertise, notamment, des conséquences des produits chimiques et de la pollution environnementale sur l'organisme, en particulier sur l'asthme infantile - je vous rappelle que moins de 1 % des 100 000 produits autorisés sont évalués en conséquences sanitaires. Elle a également débuté le recrutement de ses comités d'experts indépendants - une centaine d'experts -, a procédé à un deuxième appel d'offres de recherche, a organisé un congrès de l'OMS en septembre en vue de la grande conférence environnementale de 2004 à Budapest, a participé à l'expertise de Métaleurop.

Au-delà du groupe des cinq établissements précités, elle négocie des conventions avec ses autres partenaires pour la mise en réseau des capacités d'expertise et de recueil des données scientifiques, en particulier en recherche toxicologique avec l'INSERM, avec lequel est prévu un copilotage d'actions de recherche. Enfin, depuis plusieurs semaines, elle prépare l'organisation de la commission interministérielle chargée du Plan national santé environnement, qui sera rendu public en juin 2004, dont elle assure le secrétariat scientifique et logistique. Cette commission a été installée avant-hier par les trois ministres concernés. Il s'agit donc d'une très jeune agence, dotée de très faibles moyens, chargée de mettre en réseau l'expertise scientifique existante en santé environnementale. Elle n'a pas communiqué de la direction générale de la santé sur son site Internet pour créer un lien. L'AFSSE a-t-elle rempli la mission que lui a assigné la loi ? Elle remplit ses missions dans le cadre des saisines qui lui sont adressées et des moyens qui lui sont confiés.

Quelles mesures urgentes et importantes prendre pour éviter la reproduction d'un tel drame, vu de mon agence ? Les conditions météorologiques étaient très particulières, et même exceptionnelles. La pollution a aussi joué. Chez certains nonagénaires, il a fait jusqu'à 37 degrés jour et nuit. L'évaluation de la réalité de la température, les poches de chaleur, les conditions sociales particulières, le fait que tout le monde ou presque est parti en vacance, autant d'éléments qui ne sont généralement pas prises en compte dans le traitement des crises sanitaires. D'autres situations climatiques surviendront : les grands froids, les grandes inondations, qui créeront des pollutions chimiques et d'autres drames, avec des stress et des conséquences psychologiques sérieuses, sans oublier l'émanation de monoxyde de carbone tant que l'on autorise l'installation de chauffages individuels au mazout ou au bois.

Si ces situations climatiques aiguës se renouvellent, nous serons obligés de mettre en place un système d'alerte totalement différent, basé non plus sur l'offre de soins, mais sur la connaissance sociale des situations à risques, ce qui nécessite l'implication de nouveaux acteurs. Je pense particulièrement, pour les personnes âgées, au recensement de l'âge, de l'adresse, du degré d'isolement. Ce système est donc beaucoup plus complexe à élaborer, la plupart des personnes âgées autonomes refusant d'être fichées, de recevoir quiconque et d'écouter des conseils. D'autre part, les personnes âgées craignent le froid et les systèmes de climatisation, qui les rendent malades ; elles n'éprouvent pas la soif et par conséquent refusent de boire, surtout lorsqu'elles sont à domicile, pour certaines parce qu'elle sont incontinentes.

Pour qu'un tel drame ne se reproduise pas, il faut reprendre l'idée du texte fondateur de l'AFSSE, c'est-à-dire la mise en réseau, en coordination, non seulement des établissements scientifiques, mais également des relais sociaux. Or n'est-ce pas là une mission régalienne ?

M. le président de la mission d'information - Vous avez parlé de la pollution à l'ozone, problème qui a été peu évoqué jusqu'à présent - mais nous n'avons pas d'a priori. Dans les médias, certaines personnes se sont certes exprimées pour incriminer les rejets atmosphériques, mais le problème crucial, jusqu'à preuve du contraire, c'est la canicule.

M. Claude Evin - Au regard de la situation, avez-vous imaginé de réorienter vos travaux ?

Mme Michelle Froment-Védrine - S'agissant de l'ozone, je pense que M. Beysson est beaucoup mieux placé que moi pour parler des cartes de pollution. La situation, dans toute l'Europe, de l'Angleterr degrés.

S'agissant de la réorientation de nos travaux, j'ai examiné ce que faisait le groupe qui nous entoure. Je pense que le directeur de l'institut de veille sanitaire vous a signalé qu'il travaille depuis plusieurs années sur cinq travaux de recherche dans le cadre d'un groupe européen ; le sujet est donc couvert. Cela ne signifie pas qu'il ne faudra pas y revenir demain, mais l'institut de veille sanitaire est un grand établissement et nous le laissons travailler.

Nous allons réfléchir, avec l'INSERM, à l'élaboration d'indicateurs plus prédictifs des populations à risques. A cet effet, il faudrait que nous disposions du retour des épidémiologistes, ce qui n'est pas encore le cas - l'institut de veille sanitaire est en train de déterminer si les personnes décédées, âgées ou non, étaient déjà fragilisées, atteintes d'Alzheimer, de maladies respiratoires, cardiaques. Dans ma vie antérieure, dans le cadre du contrôle médical ou, précédemment, de la collecte de prélèvements biologiques pour un laboratoire, j'ai fréquemment fréquenté les sixièmes étages des immeubles, et je puis vous dire que les conditions de vie deviennent inhumaines quand la température grimpe : lorsque vous ne pouvez pas bouger et que personne ne vous rend visite, l'issue est prévisible, surtout si vous êtes « bourré » de médicaments. L'ensemble des facteurs est à revoir, de même que l'ensemble de la formation médicale, paramédicale et sociale. La recherche interviendra ultérieurement.

M. Maxime Gremetz - Le nombre de commandes que vous recevez et la faiblesse des moyens dont vous disposez doivent vous laisser peu de loisir pour choisir d'autres études à effectuer. Je suis frappé, par exemple, que vous ne touchiez pas à l'environnement au travail.

M. le président de la mission d'information - Restons sur le sujet de la canicule !

M. Maxime Gremetz - Nous travaillons aussi sur d'autres thèmes, et j'ai cru comprendre que vous étiez aussi compétents pour la sécurité au travail : conditions de travail, sécurité au travail, etc... Je dépassais donc le thème de la canicule...

Mme Michelle Froment-Védrine - Le sujet entre dans le cadre du plan santé-environnement.

M. Jean-Pierre Beysson, président directeur général de Météo France - Je ne suis pas météorologiste de métier mais je suis président-directeur général de Météo France depuis bientôt dix ans et mes collègues me considèrent, je crois, comme une sorte de « météorologiste d'honneur ».

Je voudrais lancer un cri d'alarme : dans ce pays, on constitue régulièrement de nouvelles structures auxquelles on donne des missions que d'autres exercent déjà avec davantage de moyens et de compétences. Je dénonce ce ph&ea commissions, essentiellement constituées des usagers, des clients - c'est, en quelque sorte, le « parlement » de la météorologie, si j'ose dire ! Ces commissions se réunissent au moins deux fois par an, choisissent des sujets, les examinent et émettent des recommandations, des vœux ; une fois par an, lorsque se réunit le conseil supérieur de la météorologie, l'ensemble de ces vœux sont passés en revue et les vœux des années précédents sont suivis.

Il y a deux ans, nous avons organisé un colloque sur le thème « météorologie et santé », dont je vous remettrai les actes, au cours duquel nous avons particulièrement travaillé sur la canicule. A cette occasion, M. Besancenot nous avait donné la primeur d'un article publié quelques mois après, maintenant considéré comme une base majeure, mais que l'on a malheureusement redécouvert trop tard, au mois d'août.

Le Conseil supérieur de la météorologie a, quant à lui, adopté un vœu présenté par sa commission « santé et biométéorologie », qui portait à la fois sur les grands froids et les canicules : il préconisait la mise en place par Météo France d'un système d'alerte du grand public et l'accompagnement de toute prévision de ce type par des conseils de comportement. En effet, diffuser un comité de presse à destination du grand public ne suffit pas à mobiliser des responsables opérationnels ; il faut qu'ils reçoivent un moyen d'alerte spécifique. La carte de vigilance, ce grand progrès des dernières années, le prouve.

Pour les grands froids, ce vœu a été respecté : l'hiver dernier, nous avons mis en place, avec la secrétaire d'Etat à la lutte contre l'exclusion et la précarité, un processus identifiant les quinze personnes, dans quinze villes sensibles qui doivent recevoir un message sur leur mail en cas de situation dangereuse. Nous leur adressons non seulement une prévision de température, mais aussi de vent, de température ressentie, ce qui permet de mettre en alerte les différents acteurs sociaux concernés. Le secrétariat d'Etat à la lutte contre l'exclusion et la précarité, avec lequel nous avons eu une réunion de bilan il y a quelques semaines, a considéré que l'expérience avait extrêmement bien réussi et souhaite l'étendre l'hiver prochain à un plus grand nombre de villes. Par ailleurs, il préconise que nous publiions, sur notre site web, des cartes faisant apparaître les risques éventuels de grand froid.

Pour la canicule, nous avons fait notre devoir et je remercie M. Maxime Gremetz qui a publiquement salué la qualité de la prévision. Non seulement nous avons publié nos prévisions de température mais nous avons aussi rendu publics des communiqués de presse. Dès le 1er août, nous avons annoncé qu'une canicule s'installait - je vous remettrai le texte du communiqué -, alors même que les températures se situaient au niveau saisonnier normal, au-dessous de 23 degrés ; après quoi, en quelques jours, elles sont mont&eac compétents, le directeur général de la santé, le directeur général de l'institut de veille sanitaire, l'INSERM, la mission Lalande, etc. J'ai adressé, il y a quelques jours, un rapport comportant des propositions concrètes sur les dispositions selon nous envisageables.

Comme vous le signalez, il est compliqué de transposer le dispositif d'alerte des Etats-Unis. Les températures enregistrées à Paris se situaient effectivement en dessous du seuil de danger de l'échelle des risques à partir duquel le système américain d'alerte est déclenché. Ce n'est pas surprenant car les populations sont plus ou moins accoutumées aux températures élevées. Cela explique sans doute aussi en partie la différence d'impact entre Paris et Marseille, par exemple. L'indicateur de température ne suffit donc pas ; il faut effectuer un travail approfondi pour associer température et risque épidémiologique, en différenciant selon le degré de sensibilité des populations, selon les zones géographiques du territoire français.

Quoi qu'il en soit, nous n'imaginons pas de rester sans réaction au cas où une nouvelle canicule se produirait l'été prochain. Nous nous proposons donc d'essayer de mettre en place, de manière pragmatique, pour 2004, des indicateurs encore frustres, mais robustes, fondés sur l'expérience que nous venons de vivre, et comportant des degrés de températures maximale et minimale pendant une certaine durée - le dispositif pouvant par la suite être perfectionné, après des études plus complètes. Notre commission « météorologie et santé » a travaillé sur la question et nous lui avons demandé de fournir une première ébauche d'indicateurs, qui pourront être affinés en collaboration avec l'institut de veille sanitaire, la direction générale de la santé, l'INSERM et les partenaires concernés, en vue de valider un seuil.

Le deuxième volet consisterait, comme pour les grands froids, à identifier une chaîne d'alerte spécifique, les communiqués de presse s'avérant insuffisants car ils ne touchent pas directement le responsable qui doit appuyer sur un bouton pour prendre des mesures de précaution. Il faut donc identifier les responsables à prévenir par Météo France, comme pour les grands froids.

M. Maxime Gremetz - S'agissant des indicateurs de chaleur, vous serait-il possible de distinguer chaleur diurne et chaleur nocturne ?

M. Jean-Pierre Beysson - Bien sûr ! Il faut considérer la température minimale et la température maximale. L'une des spécificités de cette canicule, en France, a précisément été le niveau très élevé des températures minima. A Lisbonne, les températures minimales ont été plus élevées qu'en France, mais pendant une courte période, du 5 au 8 août, tandis que, en France, le pic s'est prolongé du 5 au 13 août. En revanche, les maximales, en France, ont été plus élevées qu'ailleurs - je vous communiquerai les courbes, et je précise au passage que l'analyse compl&egrav très mobilisé sur le problème de la pollution, c'est assez frappant, mais il n'a pas bien anticipé la canicule elle-même. Prenez les canicules d'Athènes de 1987 et 1988. La première année, aucune mesure particulière n'avait été prise sur la limitation de la circulation ou des activités et les victimes avaient été extrêmement nombreuses ; l'année suivante, les mesures de contrôle des activités économiques et de la circulation avaient été drastiques et les pertes sensiblement moins élevées. La pollution de l'air est donc clairement un facteur aggravant de la canicule et il faudra travailler sur ce point pour enrichir les indicateurs de criticité.

De manière plus générale, nous pensons qu'il faudrait renforcer les études en biométéorologie et organiser des échanges de compétences. Nous sommes enthousiastes à l'idée d'accueillir pour quelques temps des doctorants en médecine intéressés par les problèmes de biométéorologie et de santé, de même que nous sommes prêts à mettre à disposition de l'InVS, de la direction générale de la santé ou de tout organisme le souhaitant, une compétence météorologique.

M. le président de la mission d'information - Vous nous avez indiqué que votre « parlement » avait émis un vœu sur le grand froid et la canicule ; c'est parfait, mais pouvez-vous nous le communiquer ? Par ailleurs, a-t-il été transmis, notamment à l'InVS et à la DGS ?

Comme cause de la surmortalité, le phénomène de canicule a tout de même dominé celui de la pollution, que vous avez du reste qualifié de « co-aggravant ». S'il fallait hiérarchiser les facteurs de mortalité, la canicule serait donc le premier et la pollution le second. Mme la directrice générale a d'ailleurs très justement indiqué que la pollution était un nuage mobile : s'il est sur Londres aujourd'hui, il peut fort bien être sur Paris demain.

Mme Michèle Froment-Védrine - Sans oublier la question de l'accoutumance, comme l'a indiqué M. Beysson : les populations de Marseille ou d'Athènes, qui vivent en permanence dans une atmosphère polluée, supportent relativement bien le phénomène. A Paris, et plus encore à Londres, où la pollution est plus ponctuelle, en cas de pic, même moins élevé que dans des villes touchées en permanence, les conséquences sanitaires sur les populations à risques - enfants ou personnes âgées - se révèlent bien plus graves.

M. Claude Evin - Si je comprends bien, dans le colloque dont nous a parlé M. Beysson, qui s'est tenu il y a deux ans, les questions de météorologie et de santé avaient été abordées et deux aspects avaient été évoquées : le froid et la canicule. Vous nous dites que, pour ce qui concerne le froid, la problématique a globalement été prise en compte, avec une expérimentation dans une quinzaine de villes. Pour quelles raisons l'idée ne semble-t-ell Jean-Pierre Beysson - Je vous remettrai les actes du colloque en question. Météo France n'a effectivement pas la responsabilité des alertes, qui incombe aux autorités politiques. Nous prévenons simplement que la situation météorologique est propice à tel phénomène et ceux qui reçoivent l'information doivent prendre des mesures en conséquence.

Pourquoi quelque chose de concret a-t-il été effectué pour les grands froids et pas pour la canicule ? Il se trouve que le secrétariat d'Etat à la lutte contre l'exclusion et la précarité a jugé que ces bulletins de grand froid contribueraient à l'efficacité du dispositif d'alerte. Ils sont certes adressés à quinze directeurs départementaux de l'action sanitaire et sociale, directement sur leur mail, mais aussi au cabinet du ministre, qui prend les mesures politiques dépendant de sa responsabilité. Pour ce qui concerne la canicule, cette demande n'a pas été formulée.

M. Claude Evin - Vous avez donc pointé le problème mais il n'y a pas eu de demande.

M. Jean-Pierre Beysson - On nous a demandé de diffuser des communiqués de presse, nous l'avons fait. On nous a demandé de diffuser des conseils de comportement, nous l'avons fait. Je vais vous en donner le texte, cela fait trois pages.

M. Maxime Gremetz - Qui « on » ? Qui donc vous l'a demandé ?

M. Jean-Pierre Beysson - La commission « météorologie et santé », à laquelle sont invités les représentants des autorités sanitaires, au premier chef la DGS, mais aussi des médecins. Ils nous ont dit que des communiqués de presse mettant en garde contre les risques de grand froid ou de canicule, accompagnés de conseils de comportement, seraient déjà très utiles. Ces conseils ont été élaborés par la commission « météorologie et santé » et validés par son président, le docteur Mixot, désormais collaborateur de Mme Froment-Védrine. Le ministère de la santé ne nous a pas fait part de son intérêt pour une alerte spécifique en matière de canicule.

Nous avions déjà connu cela avec la carte de vigilance météorologique : au départ, nous avions éprouvé des difficultés, notamment, à convaincre le ministère de l'intérieur que nous pouvions diffuser une alerte concomitante à la fois au préfet, au CODIS, au ministère de l'intérieur et au grand public. Il a finalement été reconnu que c'était indispensable, car les inondations de l'Aude de 1999 et les tempêtes de fin 1999 ont mis en évidence que la chaîne publique est longue, complexe, et qu'il faut alerter le public en direct, sans quoi les autorités publiques se voient par la suite reprocher de ne pas avoir fourni l'information assez tôt. Il convient donc d'alerter en parallèle le grand public et les autorités compétentes. Encore faut-il identifier ces dernières et leur adresser directement un message car elles n'auront pas forcément c procédure d'alerte spécifique n'a été mise en place.

M. Claude Evin - D'accord. il n'y a donc pas d'information pointée « rouge ».

M. le président de la mission d'information - La procédure « froid » existe, pas la procédure « chaud », alors que Météo France a tous les moyens pour renseigner convenablement.

M. Jean-Pierre Beysson - Nous proposons que cette procédure soit rapidement mise en place. Je précise que les prévisions climatiques ont leurs limites et sont quelquefois lacunaires, mais qu'un tel événement, c'est-à-dire un mouvement général de l'atmosphère, est totalement prévisible, avec un degré de fiabilité très élevé. En l'occurrence, nous l'avions d'ailleurs annoncé. Reconnaissons cependant qu'il n'était pas évident d'associer à des températures, même aussi élevées que celles constatées, un événement épidémiologique aussi considérable. Nos collègues américains en sont eux-mêmes convenus.

M. le président de la mission d'information - La chaîne de transmission n'existe donc pas...

M. Maxime Gremetz - Vous faites diversion ! Je n'ai pas obtenu de réponse à ma question ! A quel ministre les informations de Météo France sont-elle transmises ?

M. le président de la mission d'information - A aucun !

M. Maxime Gremetz - Il y a bien un ministère de tutelle !

M. Jean-Pierre Beysson - Pour la canicule, je le répète, nous n'alertons pas les autorités publiques. Nous transmettons nos données à l'AFP et les journaux les reprennent.

M. le président de la mission d'information - Monsieur le président-directeur général a répondu très clairement : pour la canicule, il n'y a pas de chaîne de transmission officielle.

M. Jean-Pierre Beysson - Juste un mot pour conclure, si vous le permettez. Notre établissement public - j'avais commencé par là - déplore que, très souvent, nos compétences et nos moyens soient insuffisamment utilisés. Nous ne souhaiterions qu'une chose, monsieur Gremetz : que l'on nous dise que nos prévisions de température sont intéressantes et que l'on nous demande de les adresser à telle autorité, selon telle procédure, avec telle graduation des indicateurs d'alerte. Encore faut-il qu'il y ait un demandeur ! Nous sommes un établissement public !

Mme Michèle Froment-Védrine - J'ajoute que, depuis ce drame, nous avons mis en place un projet avec Météo France, essentiellement sur les produits chimiques, c'est-à-dire sur l'aler brigade des sapeurs-pompiers de Paris.

(séance du vendredi 19 septembre 2003)

M. le président de la mission d'information - Comment avez-vous vécu cette crise ? Comment et surtout quand vous êtes-vous rendu compte qu'il se passait quelque chose d'anormal ?

En avez-vous rendu compte à votre hiérarchie ? A qui ? Quand ? Comment ? Avez-vous cherché à alerter une « autorité sanitaire » ? Qui ? Quand ? Comment ? Nous vous demanderons de nous donner copie de toute trace écrite ou informatique de ces échanges, s'ils ont eu lieu.

Pouvez-vous décrire votre système interne de compte rendu de 1'activité ? Quels sont les indicateurs suivis - nombre d'interventions, de morts ? Quelle est sa périodicité ? A qui est-il transmis ? Les comptes-rendus d'activité des différents SDIS et brigades sont-ils établis sur un modèle normalisé ou qui pourrait l'être facilement ? Pourrait-on concevoir facilement un modèle de compte-rendu qui pourrait être homogène, au moins sur certaines données, entre vos services et les autres services de secours et d'urgences - SAMU, SOS Médecins, urgences hospitalières, etc. ?

D'après les éléments qu'a fournis, en particulier, la brigade des sapeurs-pompiers de Paris à la mission dirigée par Mme Lalande et à l'InVS a posteriori, vous réalisez une analyse des décès permettant de distinguer ceux liés à la chaleur. Sur quels critères ? Sur cette base, pouvez-vous indiquer s'il y a seulement des décès liés à la chaleur en période de canicule exceptionnelle, ou s'il y en a un « fond » dans toute période estivale « normalement » chaude ?

Quel est votre sentiment sur les causes aggravantes de surmortalité ? En d'autres termes, lors de vos interventions, avez-vous rencontré surtout des personnes vivant chez elles ou beaucoup vivant en maisons de retraite, et dans quel type de maisons, plus ou moins médicalisées, de plus ou moins grand standing ? Des personnes seules ? Des personnes socialement défavorisées ? Des personnes vivant dans des logements particulièrement inadaptés aux grosses chaleurs - dernier étage, peu d'aération ? Avez-vous fait beaucoup d'interventions chez des personnes déjà décédées ? A contrario - je signale que ma thèse de médecine portait sur les accidents de voie publique en milieu urbain avec les sapeurs-pompiers de Nancy, et je sais comment cela fonctionne -, quand on part en intervention, on sait parfois à quelle situation on va être confronté. Quand vous étiez appelé sur un malaise à domicile ou sur la voie publique, saviez-vous quand cela était lié à la chaleur, avec le risque que ce soit un décès ?

Quelles sont les mesures les plus urgentes et les plus importantes à prendre pour éviter la reproduction d'un tel dram renfort par les départements du sud de la France, notamment le Var.

Les chiffres montrent très bien que le nombre de secours à personne a augmenté à partir de la fin du mois de juillet et surtout du début du mois d'août, période durant laquelle nous avons eu la chance, dans le Rhône, de connaître deux ou trois orages qui ont calmé les feux de végétation. Mais les SAV et les sorties d'ambulances se sont assez vite avérés plus fréquents que d'habitude, ce qui est malheureusement assez classique, chez nous, l'été : les services de la ville de Lyon se mettent en sommeil et les sapeurs-pompiers interviennent à la place des absents. Donc, pour nous, même s'il faisait chaud, la situation n'était pas fondamentalement anormale.

Nous avons cependant senti que l'activité opérationnelle montait en puissance le week-end précédent le 15 août, c'est-à-dire à peu près en même temps que les médias, après quoi tout le monde est monté sur la brèche.

M. Claude Evin - Vos chiffres témoignent tout de même d'une augmentation importante d'interventions à compter du 4 août, comparativement à l'année dernière, mais vous n'avez pas été alerté parce que ce phénomène est habituel pendant l'été ?

Col Serge Delaigue - Exactement.

M. Claude Evin - Et c'est sur la base du croisement du nombre d'interventions et du nombre de décès, à partir du samedi 9 août, que vous commencez à percevoir le phénomène ?

Col Serge Delaigue - A peu près au moment où les médias et la préfecture commencent à en parler.

M. Claude Evin - Tout bascule le vendredi 8 et le samedi 9 ?

Col Serge Delaigue - Les 20 ou 25 % de SAV supplémentaires que nous enregistrons à ce moment n'ont toutefois pas un caractère alarmant, même s'il est anormal, car c'est un phénomène classique.

Nos structures de remontée hiérarchique sont extrêmement tendues, puisque le centre de traitement de l'alerte, qui réceptionne les appels au « 18 », et le CODIS sont installés au même endroit, gérés par les mêmes personnes. Nous sommes, de surcroît, en relations permanentes avec le cabinet du préfet, auquel nous rendons compte systématiquement, une fois par jour pour les interventions de routine et autant que de besoin, en temps réel, en cas d'intervention exceptionnelle : nous faisons le point sur les opérations, le nombre de décès. Mais, en l'occurrence, nous n'avons à aucun moment fait état d'une situation de crise, parce que, pour nous, ce n'était pas le cas. Lorsque nous nous en rendons compte, le lundi, la préfecture est déjà alertée et s'est mise en situation de crise.

Vers le 5 ou 6 août, nous observons une augmentation des secours à victime, autour de 1 200 interventions. Les médecins cherchent alors à identifier l'origine du phénomène. Il faut savoir que, dans notre système informatique, sont référencés les motifs de départ, le bilan des secours à victime, mais que nous ne disposons pas de codes identifiants pour tout, et notamment, que nous n'en avions pas pour les interventions liées aux problèmes de chaleur.

Le jeudi 7, en cours de journée, nous décidons par conséquent de créer un code spécifique, et, à minuit, nous identifions une centaine de secours à victime liés à la canicule, sur près de 1 400 interventions et 800 à 900 secours à victime. Le 8 août, les chiffres sont comparables. Statistiquement, ce n'est guère probant, puisque la canicule ne serait à l'origine que de 7 % du total des interventions.

Toujours le 8 août, nous sommes sollicités par les médias pour faire de la prévention sur la conduite à tenir face à la canicule.

M. Claude Evin - Que se passe-t-il, ces jours-là ?

Col Daniel Grangier - Nous comptabilisons donc par jour une centaine de secours à victime que nous jugeons liés à la température, mais nous n'avons pas d'éléments particuliers pour mesurer les effets précis de ce phénomène. Le 8 est le premier jour où l'on constate la croissance de la courbe des décès, et nous convenons, avec le médecin, qu'il ne convient pas d'évoquer le problème tant qu'il n'est pas vérifié sur le plan épidémiologique. En toute franchise, jusqu'à cet été, j'aurais été bien incapable de déterminer le nombre de personnes auxquelles la brigade des sapeurs-pompiers de Paris a porté secours et qui sont décédées. Nous sommes des secouristes et, pour nous, ce n'est pas un indicateur. Jusqu'à présent, le problème ne s'était jamais posé, soyons clairs.

Le 8, nous disposons de chiffres sur les décès, mais ils n'annoncent pas la situation des jours suivants. Ce soir-là, j'appelle le cabinet de la préfecture de police - nous sommes en effet, en vertu de l'article 2 du décret du 26 novembre 2000, une unité militaire placée pour emploi sous l'autorité du préfet de police, et, avant de communiquer sur les questions opérationnelles, nous alertons notre autorité de tutelle, c'est automatique. J'explique donc que l'activité de secours à victime est légèrement plus intense qu'à l'ordinaire et que mon appel est motivé par les sollicitations des médias. On me demande de donner à la presse des consignes de prévention, et également de rédiger une page de consignes à l'intention de la préfecture de police - le médecin s'en chargera. Enfin, pour compléter l'information du public, nous adressons un message à l'AFP attirant l'attention sur les effets de la canicule, particulièrement pour les personnes âgées. En effet, même si nous ne disposons pas d'éléments chiffrés, nous dégageons une tendance qui dé mesurer si l'on est toujours en phase ascendante, si l'on tend vers le sommet ou si l'on est déjà en phase descendante de l'arche. J'effectue un bilan quotidien avec le médecin-chef et l'officier responsable des opérations, et nous ne détectons pas d'aggravation de la situation.

Le 10 août, nous avons des échanges complémentaires avec la préfecture de police, qui nous demande des bilans comparés avec 1998, année de référence pour la canicule, et nous constatons effectivement que le nombre de secours à victime était alors moins élevé, mais cette donnée n'apporte rien de plus.

Toujours le 10 août, vers vingt et une heures, le bilan quotidien confirme la suractivité dont nous avions déjà rendu compte, mais nous ne percevons pas d'éléments aggravants.

Col Serge Delaigue - Pour confirmer ce que disait le colonel Grangier, le nombre de morts figurait dans notre bulletin de renseignement quotidien, mais ce n'était pas un indicateur de suivi - nous y prêtons dorénavant plus d'attention. Ce point est important.

M. le président de la mission d'information - Les médias faisaient le tour de tous les services et devaient vous demander si vous rencontriez beaucoup de morts en intervention.

Col Serge Delaigue - Pour notre part, les médias ne nous ont absolument rien demandé - il faut savoir que le week-end précédant le 15 août et celui du 15 août, Lyon est en sommeil -, et cela a constitué un indicateur important.

M. le président de la mission d'information - A Paris, comment le nombre d'interventions a-t-il évolué ?

Col Daniel Grangier - Le 7, nous sommes à 1 392 interventions, le 8, à 1 474, le 9, à 1 340 et le dimanche 10 à 1 347 ; il y a donc une stabilisation, mais nous rencontrons beaucoup de personnes décédées. Le 11 au matin, nous nous apercevons que l'activité est forte, ce qui se confirmera dans la journée : 1 843 interventions le 11, 2 222 le 12. La période de crise, pour nous, a donc duré du 11 au 13, après quoi le nombre d'interventions est brutalement retombé : le 15, nous étions à 1 044 interventions.

M. le président de la mission d'information - Pourrez-vous nous communiquer un tableau comparable à celui de votre collègue ?

Col Daniel Grangier - D'accord. Nous vous les transmettrons.

M. le président de la mission d'information - Et avez-vous fait des statistiques sur la surmortalité ?

Col Daniel Grangier - Jusqu'à présent, dans notre compte-rendu à la préfecture de police, au secrétariat de la zone de défense et aux préfectures, nous n'indiquions pas le nombre de décès.M. Claude Evin - À partir de quand ?

Col Daniel Grangier - Nous avons commencé le samedi 9. Dans le même temps, nous avons mis en place des protocoles pour le refroidissement des victimes avec des moyens de fortune, de la glace et des sacs de refroidissement que nous sommes allés chercher chez G 20, faute de boîtes isothermes disponibles immédiatement. Nous nous sommes rendus compte que de nombreuses personnes étaient victimes d'hyperthermie, et nous avons eu auprès d'elles une action de secourisme.

La majorité des décès enregistrés pendant cette séquence concernaient des gens décédés chez eux avant notre intervention, découverts a posteriori. Cela peut aussi contribuer à expliquer que les interventions du lundi et du mardi aient été si nombreuses, alors que la nuit la plus chaude a été celle de samedi à dimanche ; il y a eu un phénomène d'inertie difficile à mesurer.

M. le président de la mission d'information - Vous avez constaté une augmentation considérable du nombre d'appels et vous y avez fait face en prenant des mesures adaptées. Avez-vous des statistiques distinguant les interventions sur la voie publique, à domicile et en institution ? Ce serait intéressant. Dans une situation de canicule, prévoyez-vous que vous aurez davantage d'interventions à effectuer à domicile et que vous trouverez davantage de personnes décédées ?

M. Maxime Gremetz - Si j'ai bien compris, vous informez tous les jours le préfet de police ?

Col Daniel Grangier - Oui, sur la réalité de notre activité.

M. Maxime Gremetz - Vous transmettez vos résultats d'intervention. Et en retour, le préfet de police ne vous donne pas de consignes particulières ?

Entretenez-vous des rapports avec le SAMU ? Je n'imagine pas le contraire. Nous avons entendu M. Carli et il nous a dit que, le 8 août, le nombre d'interventions avait été normal, mais que c'était la nature des interventions qui avait changé, et qu'il s'était alors aperçu qu'il se passait quelque chose d'exceptionnel. Et dans votre cas, comment la prise de conscience a-t-elle été déclenchée ?

Col Daniel Grangier - Je vous ai indiqué que, le samedi 9, nous avions mis en place un protocole de prise en charge avec de la glace, et les consignes que nous avons communiquées à destination des personnes âgées ont été définies en liaison avec le SAMU. Nous avons inventé des procédures nouvelles, avec des bricolages, des inventions, des ventilateurs, de la glace, pour refroidir des personnes dont la température pouvait atteindre 42 ou 43 degrés, en fonction des expériences des uns et des autres.

M. le président de la mission d'information - Il faut dire qu'habituellement, les sapeurs-pompiers co 'Arial'; font-size: 10pt">M. le président de la mission d'information - Ils s'organisent seuls et très bien.

M. Maxime Gremetz - Tout à fait.

M. Claude Evin - Le problème est de déterminer pourquoi, le lundi, cela ne suit plus.

Col Serge Delaigue - Pour le département du Rhône, je mettrai un léger bémol. Notre service est composé de pompiers professionnels et volontaires, et nous disposons de 150 VSAV (véhicules de secours à victime) sur l'ensemble du département ; nous avons des possibilités de redéploiements ; nous pouvons aussi solliciter un peu plus les pompiers volontaires. Nous n'avons pas connu de phase où un changement de dispositif opérationnel serait devenu nécessaire pour répondre aux besoins. Par ailleurs, les échanges avec le SAMU sont restés des échanges quotidiens, et non pas stratégiques.

M. Claude Evin - La situation à Paris a en effet été un peu particulière. Il a été très intéressant de dérouler les événements jour par jour.

M. Maxime Gremetz - Le préfet de police de Paris - ville où la situation a été exceptionnelle, tout le monde en convient - s'est-il exprimé par un communiqué officiel pendant toute cette période ?

M. Claude Evin - Sachant qu'il a été informé le vendredi soir...

M. Maxime Gremetz - Peut-être ne pouvez-vous pas me répondre d'emblée ?

M. Claude Evin - Nous n'aurons pas de réponse, puisque le préfet de police n'est pas auditionné par la mission !

Col Daniel Grangier - Au cours de cette affaire, nous avons eu de nombreux échanges téléphoniques avec le cabinet du préfet de police, et nous lui avons transmis un certain nombre de données sur les secours à victime.

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* *

XXXIII. Audition de M. Christian de Lavernée, directeur de la défense et de la sécurité civils, de M. Régis Guyot, adjoint pour la défense civile, et de M. Didier Montchamp, sous-directeur de l'organisation des secours et responsable du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises

(séance du vendredi 19 septembre 2003)

M. Christian de Lavernée , directeur de la défense et de la sécurité civiles - Je suis le directeur de la défense et de la sécurité civiles, et je suis accompagné du préfet Régis Guyot, mon adjoint pour la défense civile, et de Didier Montchamp, sous-directeur de l'organisation des secours et, à ce titre, patron direct du centre opérationnel de gestion interministérielle des crise COGIC).

M. le président de la mission d'information - A quelle date avez-vous pris conscience de la gravité de la crise ? L'article 7 de la loi du 22 juillet 1987 vous confie comme mission la prévention des risques de toute nature ainsi que la protection des personnes, des biens et de l'environnement contre les accidents, les risques et les catastrophes. Estimez-vous que le COGIC était compétent pour intervenir sur la question de la canicule ? Quel a été son rôle ? Votre centre de crise a-t-il été activé ? Vous disposiez des prévisions de Météo France, qui vous les fournit quotidiennement. Disposiez-vous de ses recommandations sur la canicule formulées le 4 août ? Qu'avez-vous fait de ces informations ? Ont-elles entraîné des mesures concrètes ? Vous disposez d'un réseau de correspondants permanents qui comprend notamment les SDIS, les services de secours, les professionnels du funéraire. Quelqu'un vous a-t-il alerté ? Qui avez-vous alerté ? Avez-vous des relations avec l'InVS et la DGS ? En avez-vous eu pendant la crise ? Faut-il réformer le système d'alerte ? Comment ?

M. Claude Evin - Nous avons effectivement souhaité auditionner les responsables du COGIC, et nous avions par ailleurs demandé à rencontrer M. le ministre de l'intérieur. Je me félicite, monsieur le directeur, de votre présence, car il serait utile, indépendamment du fonctionnement du COGIC, dont la mission vient d'être rappelée par le président, que vous puissiez aussi nous indiquer comment, quand et sous quelle forme sont remontées les informations vers votre direction, qu'elle proviennent de Paris ou d'autres départements ou régions de défense.

M. Maxime Gremetz - Si des informations sont remontées, je suppose que vous les avez transmises au ministre concerné. Celui-ci s'est-il exprimé publiquement ? Si oui, de quelle manière ? Pour ma part, je n'ai rien entendu à la radio.

M. Christian de Lavernée - Pour nous, la date du début de la crise a été le 11 août, lorsque le cri d'alarme exprimé à la télévision par les urgent semble que les pompiers et le cabinet du préfet de police ait eu un échange téléphonique le vendredi 8 au soir, faisant tout de même état d'une augmentation d'activité concernant les interventions de secours à personne, et posant des questions sur les causes de cette suractivité. Entre le 8 au soir, où le cabinet du préfet de police de Paris est saisi, et le 11, rien ne remonte au niveau de votre direction ?

M. Christian de Lavernée - Non. Nos informations nous sont adressées par les échelons territoriaux, avec une arborescence, une pyramide dont nous constituons le sommet. Nous recevons donc des synthèses quotidiennes et des messages particuliers émis par les sept états-majors de zone - en réalité, six états-majors de zone plus Paris, puisque la capitale n'est pas exactement organisée comme un état-major de zone, même si, depuis le début de l'année, le préfet de police a pas mal fait évoluer la situation. Et ces données sont obtenues, au niveau zonal, par des messages provenant des départements. Nous avons réexaminé avec attention tous les documents reçus par le COGIC et il n'y est fait nulle mention de ce type d'inquiétudes. Je crois pouvoir affirmer que c'est précisément le 11 août que, pour la première fois, la synthèse de la zone de défense de Paris fait état du phénomène, en évoquant des morts dans une maison de retraite de l'Essonne.

M. le président de la mission d'information - Oui, à Grigny.

M. Christian de Lavernée - En fait, le compte rendu cite une dépêche AFP ; ce n'est donc pas une remontée des échelons médico-sociaux ou des pompiers de l'Essonne. Je suppose par conséquent - je suppose, car je ne peux pas me mettre à leur place - que les rédacteurs de la synthèse du 11 sont alertés par l'inquiétude exprimée par les urgentistes depuis la veille au soir. Si je puis poursuivre, pour vous décrire la façon dont nous avons vécu la situation. Pour ma part, le lundi soir et le mardi, j'étais à Marseille pour les feux de forêt, mais mes deux collaborateurs ici présents étaient présents à Paris toute cette semaine-là, et je suis rentré à Paris mardi soir. Dès le lundi, des contacts ont été pris avec notre interlocuteur naturel du ministère de la santé, le bureau de l'observation de la santé et de l'alerte.

M. Claude Evin - Ce contact du lundi 11 est donc bien pris avec le service de la DGS, pas avec le haut fonctionnaire de défense ?

M. Christian de Lavernée - Absolument. Nous n'avons pas eu de contact particulier avec le haut fonctionnaire de défense.

M. Didier Montchamp, sous-directeur de l'organisation des secours et responsable du COGIC - Le lundi 11, à la mi-journée, nous avons effectivement un contact avec un médecin du bureau de l'alerte de la direction générale de la santé.

M. le président de la mission d'information - C'est donc le COGIC qui enregistrés. C'est la première démarche effective que nous entamons, à l'initiative et sur les indications du ministère de la santé.

M. Maxime Gremetz - C'est la seule information qui vous est donnée ? Rien de la part du préfet de police de Paris ? Je souhaite simplement en avoir la confirmation.

M. Didier Montchamp - Non. Plus tard, nous avons reçu les séries rétrospectives.

M. Maxime Gremetz - C'est donc la DGS qui vous informe.

M. Christian de Lavernée - Le bureau de l'alerte.

M. Didier Montchamp - Il nous informe et nous saisit, pour croiser ses informations.

M. le président de la mission d'information - La DGS prend contact avec vous pour vous demander si vous avez des éléments tangibles confirmant le phénomène de canicule mis en évidence dans les médias.

M. Didier Montchamp - Absolument.

M. le président de la mission d'information - En revanche, aucune information n'émane de la préfecture de police de Paris. Et, par ailleurs, vous contactez votre « arborescence ». N'est-ce pas ?

M. Maxime Gremetz - Cela signifie que vous ne recevez pas non plus de message du cabinet du ministre de la santé, lequel était pourtant informé, comme M. Carli nous l'a confirmé ? C'est bien cela ?

M. Christian de Lavernée - Au sujet de la remontée d'information, notre intervention sur ce premier volet d'assistance au ministère de la santé s'est traduite par un résultat un peu décevant. Le commenter, c'est répondre à la question qui a beaucoup été posée, en particulier dans les médias : comment se fait-il que les sapeurs-pompiers n'aient pas su ? Notre message est parti le 11 en fin d'après-midi et les premières réponses nous sont parvenues le 12 et le 13, mais pas en nombre suffisant.

En tout cas, je puis dire avec certitude que, le 14, j'ai accompagné le directeur général de l'administration, M. Daniel Canepa, à la réunion présidée par M. le Premier ministre en personne, et qu'on m'a alors remis la dernière totalisation disponible, qui ne comportait que les informations de 27 départements, sur le canevas suivant : nombre de secours à personne, dont liés à la canicule, dont hospitalisations, dont décès.

Et nous nous sommes aperçus que les services départementaux d'incendie et de secours rencontraient de grandes difficultés pour répondre à notre question. D'abord, leur appareil statistique connaît certes la catégorie des secours à personne, mais, d'ordinaire, il ne discrimine pas dans le détail les catégories d'inte family: 'Arial'; font-size: 10pt">La prévention est un autre sujet, auquel nous réfléchissons beaucoup aussi, mais une fois une crise partie, au regard de la collecte des indicateurs de gravité de cette crise, il serait utile de disposer, si possible en temps réel, d'une mesure de ce qui se passe concrètement. Cela constitue, pour nous, une source de réflexion. On a pu constater combien c'était difficile, d'autant que, en France, il existe bien des systèmes de collecte statistique en temps différé ou très différé, mais pas de système de mesure des décès en temps réel, pas de système permettant de déterminer, dans les dernières vingt-quatre heures, qui est décédé et de quoi.

M. Maxime Gremetz - J'avoue que je suis très surpris, car le représentant de Météo France nous a affirmé que des communiqués de presse annonçaient, dès le 4 août, une forte chaleur, et prévoyaient, dès le 7 août, une prolongation de la canicule jusqu'au 14. Comment est-il possible que vos services, chargés de prévoir les crises, ne s'alertent pas ? Vous voyez, je ne tourne pas autour du pot.

M. Christian de Lavernée - Vous mettez le doigt sur un problème important relatif à la collecte d'information. Si je puis m'exprimer librement devant cette mission, je parlerai là non pas au nom du ministère, mais pour donner un avis personnel, partagé par mon équipe, qui est composée de professionnels de la question : nous considérons que cette crise a davantage été une crise sanitaire qu'une crise de sécurité civile, avec un phénomène de morbidité et de mortalité, un appareil de suivi et de soins, mais, vu de notre fenêtre sécurité civile, pas de saturation.

Je signale au passage que le COGIC était attentif et est intervenu chaque fois qu'on a frôlé la saturation. Je donnerai comme exemple la nécessité ou non de recourir au plan blanc. Celui-ci a été déclenché le mercredi de la deuxième semaine en Ile-de-France et à Paris, et nous avons immédiatement lancé, à travers nos échelons zonaux, une enquête pour déterminer si un plan blanc devait être recommandé dans d'autres régions ou villes de France. Nous avons eu la satisfaction de voir que notre réseau fonctionnait bien, même le 13 août, car les préfets de zone se sont débrouillés avec leur échelon de type DRASS de zone pour faire le tour de ce qui se passait dans tous les hôpitaux et nous adresser une réponse précise en quelques heures : non, les hôpitaux n'étaient pas saturés, le plan blanc n'était pas nécessaire. On nous signalait, dans quelques villes de France, des situations de tension réelles, susceptibles, toutefois, d'être gérées au niveau du département par la régulation d'un hôpital à l'autre - à Dijon, Lyon, Bordeaux, si je me souviens bien. Il n'y a donc pas eu de saturation, même si, à Paris, nous avons eu très peur et nous l'avons frôlée.

M. Maxime Gremetz - A Paris, on peut dire qu'il y a eu « sur-saturation ».

Grâce au ministère de la santé, nous avons récemment eu des contacts avec des représentants du Center for Disease Control and Prevention (CDC) d'Atlanta, qui nous ont dit des choses très intéressantes. Ils connaissent des canicules de ce type plus souvent que chez nous et mettent en œuvre des descriptions plus précises des conséquences, avec une planification de la réponse. Il est aisé de comprendre que les actions de préparation et de planification de la réponse ne doivent pas être du ressort de l'improvisation ou de la réaction à chaud, même si, en l'occurrence, il a bien fallu parer au plus pressé dans tous les domaines, y compris, je n'en ai pas encore parlé, sur la chaîne funéraire de la région parisienne, où nous sommes largement intervenus.

Je pense donc qu'il est impératif de boucler, avec Météo France, des qualifications de gravité du risque sanitaire d'hyperthermie, qui nous fassent passer de la prévision météo à la carte de vigilance ou à l'annonce de risques qualifiées d'un point de vue médical. Nous avons d'ores et déjà fixé cette piste de travail avec le ministère de la santé, dont nous avons encore revu des représentants lundi, dans nos murs, à ce sujet.

Toujours dans le domaine de la préparation, intervenir efficacement au profit des personnes fragiles et isolées pour leur offrir des solutions préventives demande énormément de préparation de la part du réseau local médico-social. Les Américains préconisent des solution du type salle climatisée : quinze ou vingt villes américaines ont un plan canicule - on vous en a peut-être déjà parlé, je ne voudrais pas faire de redite -, avec une très grande capacité de mobilisation de moyens, puisqu'il s'agit de proposer à des milliers de personnes répertoriées des sorties au cinéma ou même dans les centres commerciaux, qui sont climatisés.

Dans notre pays, il y avait de la littérature sur ce sujet : un médecin chef d'un SDIS m'a ressorti un article médical publié en 1992 qui analysait la canicule de Marseille de 1982 et évoquait très précisément - on l'a beaucoup commenté depuis lors - les personnes à risque, l'âge, l'obésité, la prise de médicaments. Mais, faute d'expérience récente suffisante, sans doute, nous n'avons pas, sur ce risque naturel, de plans comparables à ceux en vigueur dans bien d'autres domaines. De plus, la canicule, dans le jargon de spécialistes, est une catastrophe naturelle « à cinétique lente ». Un tremblement de terre ou un cyclone provoque un choc immédiat et la catastrophe n'échappe évidemment à personne. Quant à la vague de chaleur, la météo la prévoit, bien sûr ; c'est ce qu'elle a fait le 4, le 7, peut-être le 13, encore, et on a simplement constaté que les prévisions étaient justes.

M. le président de la mission d'information - Dans les documents relatifs au COGIC qui sont en notre possession, il est indiqué que Météo France transmet quotidiennement « les prévisions météorologiq celles d'Athènes et de Chicago - vous en avez parlé avec les professionnels d'Atlanta - , sans oublier les publications du professeur San Marco sur le cas de Marseille et toute la littérature internationale. La canicule, jusqu'à présent, dans notre pays, était plutôt synonyme de fête que de surmortalité. Mais canicule, pour les spécialistes, cela signifie surmortalité. Pourquoi ceux qui auraient dû le voir ne l'ont-ils pas vu ?

M. Christian de Lavernée - Pour nous, je le répète, il s'agissait d'une crise sanitaire et non pas civile, si je puis employer ces termes un peu approximatifs, c'est-à-dire un phénomène relevant de la chaîne des soignants, des médecins, des professionnels proches des personnes fragiles. De la même façon que, l'hiver, chaque fois qu'il fait très froid ou qu'une épidémie de grippe survient, il y a des alertes, on sait qu'il y aura surmortalité chez les personnes âgées.

M. Claude Evin - Dans le même ordre d'esprit, il est sans doute vrai qu'éclairés par ce qui s'est passé ce mois d'août, nous considérerons dorénavant les canicules d'une autre manière demain, mais nous pouvons très bien être confrontés, demain, à d'autres phénomènes que nous n'imaginons pas encore aujourd'hui. Comment faut-il s'organiser pour être réactifs à tout phénomène exceptionnel survenant sur le terrain ? Telle est la question à laquelle il nous faut répondre. Les services de santé, en la matière, peuvent être des révélateurs, mais les services de la sécurité civile aussi. Quelles sont donc les propositions qu'il vous semble utile de retenir dans la perspective de cette problématique rapidement exposée, et pas uniquement pour la canicule ? Quels sont vos liens avec l'InVS ? La veille peut-elle être uniquement sanitaire ou bien, en la matière, faut-il davantage resserrer le lien avec les services de la sécurité civile ? Voilà une autre série de questions qui mériteraient des réponses.

M. Christian de Lavernée - Pour commencer, nous avons pris la décision de reformuler nos instructions sur les informations à faire remonter au COGIC, une fois que nous aurons fait débattre des groupes de praticiens du terrain, c'est-à-dire ceux sur lesquels cela retombera. L'idée est de ne plus se contenter de signaler les événements répertoriés dans le catalogue limitatif des catastrophes ou accidents connus, mais de partir d'une définition générique de la crise, en prenant en compte tout phénomène susceptible de provoquer un trouble, un dérèglement de la vie en société, plus exactement de la sécurité que l'individu trouve dans le fonctionnement collectif de la société moderne.

Certaines formes de grèves, par exemple, jusqu'alors, n'étaient pas traditionnellement répertoriées dans les problèmes de sécurité civile et, par conséquent, n'étaient pas signalées, alors qu'elles devraient l'être. Avec Didier Montchamp, avant-hier, nous avons fait le constat que l'aéroport de Blagnac était en grève depuis un jour ou deux, ce qui était susceptible d'entraî est que, contrairement a ce qui fut constaté aux Etats-Unis, il n'y a pas eu de délai de soixante-douze heures entre l'apparition des pics de température - laquelle était stable, jour et nuit -, et l'augmentation du nombre de décès : un effet cumulatif a eu pour conséquence des décès immédiats en grand nombre.

Certes, en France, la canicule est habituellement un phénomène méditerranéen, mais, en l'occurrence, il y a eu des conséquences sanitaires terribles. Pourquoi ? Des dysfonctionnements se sont produits, c'est évident. Dans l'avenir, comment les éviter ? On ne peut pas tolérer ces plus de 11 000 décès - et encore, nous n'avons pas encore connaissance des chiffres exacts par département, et nous ignorons combien de personnes étaient chez elles, dans la rue, en milieu institutionnel ou hospitalier, en maison de retraite, toutes indications que Maxime Gremetz demande avec insistance, et que nous aurons. Le problème est que, dans notre pays, il existe beaucoup d'organismes scientifiques ou d'intervention, mais que chacun est dans son coin et qu'il y a un manque de liant transversal.

M. Régis Guyot, adjoint pour la défense civile - S'agissant des rapports pour préparer l'avenir avec le ministère de la santé, nous avons eu deux rencontres, l'une avec l'InVS, l'autre avec la DGS. Qu'en avons-nous retiré ? D'abord, la première alerte de nature médicale à laquelle on pourrait penser à partir du terrain, au-delà du monde médico-social, se trouve du côté des urgentistes. En essayant de raisonner tôt dans le processus, réfléchissons de manière chronologique. Pourquoi le médico-social ? La filière médico-sociale comprend les maisons de retraite diverses - foyers de retraite, établissements parfois légèrement médicalisés, carrément médicalisés, ou bien conçus dès le départ comme médicalisés -, le circuit des assistantes sociales, qui touchent notamment les personnes isolées, les réseaux des mairies pour les prestations individuelles, etc. Il nous semble que cette filière demanderait à être mieux coordonnée sur l'aspect veille, dont on s'aperçoit qu'il n'existe pas réellement. C'est peut-être là que les phénomènes préoccupants trouvent leur source. Nulle part, au moins en temps réel, n'est comptabilisé ce qui peut se passer dans le nombre grandissant de maisons de retraites. Il nous semble donc qu'un travail doit être effectué par les différents partenaires, Etat, départements, communes et hôpitaux, sur l'aspect veille dans la filière médico-sociale.

Ensuite, pour ce qui concerne l'hôpital, les pompiers font un travail très individualisé, ils interviennent sur un événement, puis sur un autre, à une cadence très rapide, et les informations qu'ils peuvent donner en temps réel, sauf expression libre, sont quantitatives, elles ne font pas l'objet d'une analyse médicalisée approfondie. A la jonction de leur travail et de celui des hôpitaux, on trouve les services d'urgence, qui ont évidemment une vue très précise, mais en temps réel, sans personnel d'accompagnement chargé d'effectuer un travail d'analyse sous vingt-quatre heures. Les urgentistes, soumis à des conditions de pressio chimique. Toutes ces remontées donnent un tableau qui permet de voir s'allumer des voyants.

Mais, dans une crise comme celle qui nous intéresse, ce dispositif n'était pas approprié, car il ne s'agissait pas d'une affection unique, observée, quantifiée, remontée en temps réel. Il y a des précisions à apporter, des développements à renforcer, et cela doit déboucher sur une objectivation par la DGS. J'insiste, car il est très difficile d'agir sans que l'autorité médicale ait interprété le phénomène, ait préconisé des solutions, voire ait pris des décisions à relayer pour que la mobilisation des moyens complémentaires nationaux et zonaux de la sécurité civile viennent répondre à la demande. Dans nos entretiens, nous avons convenu que nous n'avions pas à être branchés directement sur l'InVS mais que nous avions besoin d'être au contact de la DGS en temps réel, interprétant tout phénomène remontant, non seulement par l'InVS, mais également par le réseau des DDASS, des hôpitaux, etc.

Pour aller un peu plus loin, depuis quinze jours, un représentant de notre direction, qui est un médecin, assiste à la réunion de travail hebdomadaire du DGS, qui a élargi le panel de cette instance à l'ensemble des agences. Si j'en crois le compte-rendu de la première séance, très honnêtement, un non-médecin n'y aurait pas compris grand-chose, ce que m'a confirmé notre collègue, auquel j'ai posé la question. Il n'en demeure pas moins que nous avons mis là en place un système simple : quand la DGS se pose des questions, on peut déjà en connaître la sensibilité. Mais il est clair que la DGS va systématiser cela, pour être capable de relayer tout besoin d'information complémentaire via le réseau territorial, par l'intermédiaire des zones et des préfets, mais aussi tout besoin de moyens complémentaires de sécurité civile.

M. Christian de Lavernée - A ce stade, je précise aussi que nous avions, depuis quelques mois, prévu d'étoffer des états-majors de zone de défense par un spécialiste santé, du monde des DDASS et des DRASS, et que les conventions que nous avons passées dans ce but prennent effet au 1er janvier 2004. Ces professionnels seront donc placés à mi-temps à disposition des préfets de zone pour assurer la coordination interrégionale.

M. Régis Guyot - C'est évidemment par le filtre de la DGS que nous sommes en train d'examiner comment renforcer les liens quotidiens de l'organisation technique et le relais transmission entre le bureau de l'alerte de la DGS - qui va être revu, adapté, complété - et le COGIC, de façon à améliorer la fluidité de l'information et des demandes de concours, pour gagner du temps et nous permettre de disposer d'alertes parfaitement clarifiées par l'autorité médicale.

Au-delà du domaine de la santé, les liens doivent aussi être resserrés, devenir plus techniques et se nouer plus en amont, avec les directions de plusieurs ministères, au premier chef avec les direc développement de l'horizontalité. Les contacts existent ; il s'agit maintenant de faire en sorte qu'ils interviennent en alerte avancée, de sentir les choses, qui peuvent être très variables et parfois bien floues au départ, de sentir le début de la « multi-conjonction », si j'ose dire, d'éléments défavorables. Il convient aussi d'élaborer des appareils scientifiques ou techniques très performants pour déboucher sur des pré-alertes de niveau scientifique qui nous permettent de faire notre travail de « généralistes du secours », si vous m'autorisez l'expression.

M. Maxime Gremetz - Les spécialistes ont l'habitude de parler par abréviations : COGIC, je ne savais pas ce que cela signifiait. J'ai donc découvert les missions qui vous sont confiées, et quand je considère votre appareil, vos moyens, j'estime que nous sommes quand même en droit d'être mieux protégés contre les crises. Je vous le dis comme je le pense mais je ne le répéterais pas à l'extérieur. Et il ne s'agit pas seulement de la gestion des crises, mais également de la prévention, car vous disposez de possibilités interministérielles de coordination. Vous dites que cette crise était sanitaire ; je veux bien, mais les catastrophes entrent aussi dans le cadre de vos missions - inondations, environnement, etc. Compte tenu des prévisions de Météo France, qui, le 7 août, annonçait une canicule jusqu'au 14, on était en droit d'attendre que ce centre, avec ses moyens techniques efficaces, prenne des mesures de prévention ! Eh oui ! Il faut commencer par informer puis évaluer les conséquences pour la santé, pour l'environnement, etc. A mon avis, c'est vous qui devriez être à l'initiative de cela, puisque vous êtes chargé de la prévention et de la gestion des crises. Quand un tel phénomène arrive, il faut bien qu'il y ait un déclencheur, et nous le cherchons toujours. Qui déclenche le système d'alerte ? On a un bon système d'alerte mais il faut qu'il soit plus sensible. Quand je considère tout ce dont votre centre opérationnel dispose, je suis enthousiaste : un outil de veille et de coordination, des missions, des équipements permettant d'informer France Info, les chefs d'état-major de défense, ou je ne sais quoi, dans les régions, etc.. Je ne connaissais pas tout cela !

M. Christian de Lavernée - Cette question me donnera l'occasion d'apporter une précision mais, auparavant, je tiens à souligner qu'il nous manquait indiscutablement et qu'il nous manque encore - nous allons y remédier - une connaissance du risque qui nous permette de faire le lien entre une prévision météo de ce type, avec une certaine durée de vague de chaleur, des conditions nocturnes vraisemblablement très conditionnantes, et les conséquences que nous percevions comme des éléments de tendance, à savoir la surmortalité, et donc des messages recommandant de s'hydrater et de se rafraîchir.

Mais en fait, ce n'est pas ce que nous avons appris cet été. Ce que nous avons appris, c'est que, à chaque palier, il y a une conséquence presque mécanique sur la mortalité : 28 degrés avec 20 degrés la nuit, cela ne provoque pas les mêmes effets que 35 et 30 degré formulée ainsi. Le COGIC, fort heureusement, est toujours armé, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec quatre personnes en temps normal, parfois un peu plus - la salle est assez grande et dix ou douze personnes supplémentaires peuvent y travaillent, en cas de feux de forêts, notamment, voire une vingtaine, comme ce fut le cas pour les inondations du Gard. A côté, des locaux disponibles permettent de constituer physiquement un centre interministériel de crise. La complexité, la réactivité nécessaire et le nombre des gens à mettre physiquement en présence nécessitent cette installation matérielle. A Asnières, rester dans la salle habituelle, avec ses ordinateurs et ses écrans, ou passer dans la salle voisine n'est qu'une modalité, un choix d'efficacité matérielle. Cet été, à l'évidence, pour la canicule, nous n'aurions guère pu faire venir que nos amis du ministère de la santé, pas au-delà, et je ne vois pas, honnêtement, quelle aurait été la valeur ajoutée.

M. le président de la mission d'information - Il existe, dans notre pays, de nombreux organismes, dont certains auraient peut-être dû appréhender le phénomène canicule. Mais la canicule, je le répète, on ne savait pas ce que c'était, on croyait que cela ne pouvait pas déboucher sur une catastrophe. Notre but est que cela ne se reproduise plus jamais. A cet effet, il faut analyser ce qui s'est passé - vous avez parlé de « chaînon manquant » -, quelle a été l'action des organismes et directions, ce qui relevait de leurs compétences, si, oui ou non, elles ont fait leur travail. D'autre part, il faut en tirer des conclusions. Il s'avère que quantités d'organismes et de directions ont agi en parallèle les uns des autres sans se communiquer leurs informations. Aujourd'hui, c'était donc le tour du COGIC de répondre à nos questions sur cette gestion de la crise caniculaire. Vous nous avez donné des pistes de réponse et nous vous en remercions.

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