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Assemblée nationale

Commission élargie

Commission des finances,
de l’économie générale
et du contrôle budgétaire

Commission des affaires étrangères

(Application de l’article 120 du Règlement)

Mardi 2 novembre 2010

Présidence de M. Jérôme Cahuzac,
président de la Commission des finances,
et de M. Axel Poniatowski,
président de la Commission
des affaires étrangères

La réunion de la commission élargie commence à dix-sept heures.

Projet de loi de finances pour 2011

Aide publique au développement

M. le président Jérôme Cahuzac. La Commission des finances et la Commission des affaires étrangères sont réunies en commission élargie, madame la ministre, afin de vous entendre sur les crédits consacrés, dans le projet de loi de finances pour 2011, à la mission « Aide publique au développement ».

Nous entendrons d’abord les rapporteurs de nos deux commissions : M. Emmanuelli, rapporteur spécial, et Mme Martinez, rapporteure pour avis. Puis, après que vous leur aurez apporté les précisions demandées, les députés qui le souhaitent pourront vous interroger à leur tour.

M. le président Axel Poniatowski. Je vous remercie, madame la secrétaire d'État chargée du commerce extérieur, de votre présence parmi nous pour l'examen des crédits de la mission « Aide publique au développement ».

Un problème inédit, assez sérieux, se pose cette année : nous n'avons toujours pas reçu l’ensemble des documents budgétaires permettant à la représentation nationale d'examiner comme elle le devrait la politique du Gouvernement. Cela me semble d’autant plus regrettable que cette politique est de celles qui sont observées avec grande attention depuis l'étranger, par les pays bénéficiaires comme par les autres pays donateurs. Compte tenu de nos engagements internationaux, la question de savoir si nous sommes ou non résolument engagés dans la voie d'une aide au développement représentant 0,7 % de notre revenu national brut est importante. Où en sommes-nous à ce jour au regard des prévisions de l'année dernière, qui tablaient sur un taux d’aide publique au développement compris entre 0,44 % et 0,48 % de notre revenu national brut ?

La question est importante parce que le Président de la République a fait des annonces remarquées cette année. Lors du sommet du G8 à Muskoka en juin, il a indiqué que la France ferait un effort supplémentaire de 500 millions d’euros en faveur de la santé maternelle et infantile entre 2011 et 2015.

M. Jean Glavany. Où les prend-on ?

M. le président Axel Poniatowski. Puis, en septembre, lors du sommet sur les objectifs du millénaire pour le développement, il a annoncé une augmentation de 20 % de notre contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida au cours des trois prochaines années, ce qui portera notre effort à 1,4 milliard de dollars.

Le sujet est important, aussi, car d’autres pays – le Royaume-Uni particulièrement – font en sorte, malgré un contexte économique difficile, de maintenir et même augmenter leur effort budgétaire en faveur de l’aide publique au développement.

Pour ces raisons, j’aimerais savoir, madame la ministre, comment la France aborde cette question et comment elle prévoit de traduire son engagement international dans ses prévisions budgétaires. Je ne doute pas que vous nous donnerez en outre des précisions sur l'architecture et les dispositions globales du budget de cette mission pour l'an prochain.

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial pour la mission « Aide publique au développement ». Votre présence nous est d’autant plus précieuse, madame la ministre, que ni M. Kouchner ni M. Besson ne sont là. Quant au secrétariat d'État à la coopération et à francophonie, il s’est perdu corps et bien, M. Joyandet n’ayant pas été remplacé. Dans ce contexte, vous avez beaucoup de mérite, Madame, à laisser un instant de côté le commerce extérieur pour vous pencher sur les heurs et malheurs de l’aide publique au développement. Je déplore l’absence des deux ministres – dont j’ai du mal à croire que, écrasante soit leur charge de travail, ils n’aient pu, en six mois, trouver les deux heures nécessaires pour répondre à nos questions. Je la regrette d’autant plus que nous sommes confrontés cette année à un phénomène inédit : pour la première fois, nous n’avons pas reçu les documents nécessaires à l’examen de ce programme. Le Parlement n’est donc pas complètement informé. En particulier, nous ne disposons toujours pas du document de politique transversale, annexe principale en ce qui concerne l’aide publique au développement, puisque c’est là que figurent les pourcentages et montants en valeur absolue. Seule cette annexe nous permettrait d’apprécier où l’on en est par rapport à l’objectif de consacrer 0,7% du revenu national brut à l’aide publique au développement.

À titre personnel, je pense que, même si cela n’est pas dit, cet objectif n’en est plus un pour le Gouvernement . Comment interpréter autrement le document de programmation annuelle ? Sa lecture montre que le montant de l’aide publique au développement est constant jusqu’à la fin 2013. Il aurait fallu l’augmenter notablement pour arriver à 0,5% du revenu national brut, et je suppose que ce ne sera pas le cas. Je sais que le contexte budgétaire est défavorable, mais je constate, comme le président de la Commission des affaires étrangères, que d’autres pays, tel le Royaume-Uni, maintiennent leur effort.

Par ailleurs, nous n’avons aucune information sur la répartition des crédits alloués à l’Agence française de développement pour l’aide aux projets. Cette information, qui figure habituellement dans le bleu budgétaire, ne nous est jamais parvenue en dépit de mes demandes réitérées et de promesses non moins répétées. Nous avons seulement connaissance d’une dotation globale, qui concerne en bloc le Fonds de solidarité prioritaire, l’aide-projet de l’Agence française de développement et l’aide déléguée aux ONG. Ce montant global est en augmentation, et je m’en félicite car j’ai déploré sa faiblesse les années passées. Mais j’observe qu’un important retard doit être rattrapé : la crise des crédits de paiement de 2009 n’a pas été compensée, et pour le faire, il faudrait renoncer à tout nouveau projet pendant un an. Selon le directeur général de l’Agence française de développement, les arbitrages ne sont toujours pas faits. Or, la ventilation de ces crédits est d’autant moins anodine que le Fonds de solidarité prioritaire et l’Agence française de développement soutiennent des secteurs distincts : le premier s’attache à la gouvernance, la seconde aux questions d’agriculture, d’éducation, de santé et d’eau. Telles sont les informations qui ne nous ont pas été fournies.

Notre commission n’a pas davantage reçu copie de la version définitive du document cadre de coopération au développement adopté le 15 octobre dernier. La version provisoire de ce document définissait une politique de développement visant quatre objectifs complémentaires : dans l’ordre, la préservation de la stabilité et de la sécurité ; la croissance partagée durable ; la lutte contre la pauvreté et les inégalités ; et enfin la préservation des biens publics mondiaux. Dans la version finale, la préservation de la stabilité et de la sécurité figure-t-elle toujours comme objectif premier de l’aide publique au développement? Cela me paraîtrait assez préoccupant : la priorité absolue de l’aide publique au développement n’est-elle pas la lutte contre la pauvreté ?

J’en viens aux annulations de dette, comptabilisées dans l’aide publique au développement pour lui donner un niveau plus convenable - de la sorte, de 1 à 2 milliards par an viennent gonfler le volume de l’aide publique au développement depuis une dizaine d’années. Mais l’initiative « Pays pauvres très endettés » va venir à son terme. Pendant combien d’années encore le volume de l’aide publique au développement sera-t-il maintenu par les annulations de dette ? Comment seront-elles compensées par la suite ? Le Gouvernement y songe-t-il ? Je dois dire le scepticisme que m’inspirent à ce sujet les financements dits innovants, et particulièrement l’hypothèse d’une taxe sur les transactions financière à l’échelon international. À titre personnel, j’appellerais une telle taxe de mes vœux mais, considérant que les Européens ne parviennent pas à s’entendre à ce sujet, je doute que cette solution voie le jour.

Ma dernière question porte sur l’orientation de l’aide qui, ces dernières années, est allée aux pays émergents. Elle serait mieux utilisée dans les pays les plus pauvres. Je ne mésestime pas l’intérêt qu’il y a pour la France à manifester sa présence en finançant des projets dans les pays émergents, mais il faut réserver les crédits permettant des bonifications de prêts aux pays qui en ont le plus besoin. L’aide publique au développement de la France n’est pas à la hauteur de ce qui serait nécessaire. L’Afrique, connaissant une explosion démographique, comptera sous peu 1,3 milliard d’habitants – un chiffre bien peu apparent dans les documents budgétaires relatifs à l’aide publique au développement – au moment même où l’on constate le reflux de notre présence. Pour moi, c’est un choix malencontreux.

Mme Henriette Martinez, rapporteure pour avis de la Commission des affaires étrangères pour la mission « Aide publique au développement » Je suis heureuse de saluer Mme Anne-Marie Idrac, toujours fidèle à nos travaux, mais je déplore qu'elle soit la seule représentante du Gouvernement. Que deux ministres sur les trois qui participent à la politique transversale en faveur du développement soient absents cet après-midi est très regrettable même si nous savons que M. Kouchner est retenu au sommet franco-britannique. Outre cela, le non-remplacement de M. Joyandet au secrétariat d'Etat à la coopération, vacant depuis quatre mois, a été préjudiciable à la préparation de nos avis et de ce budget, car nous n’avons pas eu d’interlocuteur. Vous comprendrez que ce cadre provoque quelque inquiétude quant au véritable intérêt politique que suscite l'aide publique au développement. À cela s’ajoute le fait que le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement ne s'est pas réuni depuis bientôt un an et demi, alors qu'il aurait dû être convoqué depuis plusieurs mois pour adopter certains documents stratégiques relatifs au pilotage de notre politique de coopération, et notamment le document-cadre, finalement soumis à une réunion interministérielle.

Enfin, les conditions dans lesquelles j'ai été amenée, comme Henri Emmanuelli, à étudier ce projet de budget, sont difficilement acceptables. D'une part, nous n’avons pas reçu toutes les réponses au questionnaire que nous avons adressé en commun aux administrations concernées, D'autre part, le document de politique transversale n'est toujours pas publié. En d'autres termes, nous allons voter un budget sans disposer de tous les éléments d'analyse, alors que les crédits de la mission « Aide publique au développement », ne représentent qu'une partie de l'effort de notre pays pour le développement. S'il est un budget pour lequel il est indispensable d'avoir une vision globale, c'est bien celui de l'aide au développement, dont je dénonce chaque année l’éparpillement.

M. Jean-Paul Bacquet. Très juste !

Mme Henriette Martinez, rapporteure pour avis. Ainsi, l'an dernier, l’aide publique au développement concernait 22 programmes, 12 missions et 14 administrations différentes. Je ne saurais dire ce qu’il en est cette année, mais je ne pense pas que cela se soit amélioré. Notre analyse est donc incomplète et la représentation nationale n'est pas en mesure d'effectuer le contrôle qui lui incombe.

Cela dit, dans une conjoncture budgétaire difficile, les crédits du triennat traduisent une stabilité. Il faut la saluer, même si cela ne nous permettra pas de progresser beaucoup vers l’objectif d’une aide publique au développement de 0,7 % de notre revenu national brut, à la différence, notamment, de nos voisins britanniques. Comme le souligne le projet annuel de performance, cela devrait en revanche nous permettre de respecter les engagements financiers pris auprès de plusieurs institutions et fonds multilatéraux, de financer les engagements pris par la France dans plusieurs domaines d'action prioritaires, tels que la santé, la lutte contre le changement climatique et les questions alimentaires.

Toutefois, les chiffres dont nous avons connaissance appellent quelques critiques. J'avais moi-même souhaité un resserrement de nos contributions, trop éparpillées, au bénéfice des organisations internationales et notamment des agences de l'ONU ; je ne critiquerai donc pas celui qui a eu lieu. Néanmoins, j’aurais souhaité qu'il bénéficie aux principales agences dont l'action correspond à nos priorités. Or, nous constatons une diminution draconienne du budget que nous leur allouons, ce qui est préjudiciable à la France : si nous entendons peser sur la stratégie des agences onusiennes, si nous voulons être visibles et influents, nos financements doivent être à la hauteur qui convient. Or, ils ne cessent de se réduire : nos contributions volontaires aux fonds et programmes des Nations Unies ont diminué de 38 % depuis 2008 et la glissade se poursuit cette année, puisque d’une enveloppe de 56,1 millions d’euros en autorisations d’engagement et crédits de paiement en 2010, on passe à un peu moins de 48,9 millions. C’est une nouvelle baisse de 12,9 % - alors même que, l'an dernier, nous figurions déjà, selon les différentes agences, au mieux au douzième rang et au pire au dix-septième rang des contributeurs.

Je souhaiterais, comme nombre de mes collègues membres de la mission d'information consacrée à l’équilibre entre multilatéralisme et bilatéralisme dans l’aide au développement, que nos politiques d'aide soient cohérentes ; il y va de l’efficacité de notre effort, essentielle en cette période budgétaire difficile. Je regrette donc que les choix annoncés ne paraissent pas toujours cohérents entre eux, ni avec les orientations stratégiques officielles.

Cela m'amène à souhaiter que la représentation nationale ait davantage l'occasion de donner son avis sur notre politique d'aide au développement. La Commission des affaires étrangères a certes été consultée sur l'élaboration du document cadre de coopération au développement. Mais est-il admissible que le document stratégique sur la politique européenne de développement, qui vient d'être adopté en réunion interministérielle, ait seulement été examiné à ce niveau technique, sans que nous y soyons associés ? Pourtant, nul n’ignore l'importance des crédits consacrés à ce volet, et chacun sait que l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne va introduire des changements majeurs dans la conduite de cette politique par l'Union européenne et, par répercussion, dans nos propres politiques d'aide au développement ?

Le document cadre de coopération au développement, le document stratégique sur la politique européenne de développement, la reconstitution du Fonds mondial sida, et celle du Fonds de la Banque mondiale auraient donné matière à un beau débat au Parlement sur la politique de coopération de notre pays – ce débat que nous appelons régulièrement de nos vœux.

M. Jean-Paul Bacquet. Très bien !

Mme Henriette Martinez, rapporteure pour avis. À cette politique, sur laquelle nous n'avons jamais la possibilité de nous exprimer hors du cadre budgétaire, qui ne se prête pas à un débat de fond sur les orientations stratégiques, nous sommes pourtant un certain nombre à nous intéresser, par-delà nos orientations partisanes. Je suis désolée que nous ne soyons pas entendus.

Je voudrais enfin poser quelques questions à Mme Idrac.

Ainsi que l'a annoncé le Président de la République, nous augmenterons cette année de 60 millions d’euros notre contribution annuelle de 300 millions au Fonds mondial sida pour porter notre effort à 1,4 milliard de dollars sur les trois prochaines années. Les documents budgétaires indiquent que cette augmentation pourrait être assumée par la taxe sur les billets d'avion, actuellement réservée à hauteur de 90%, selon le décret de 1998, au financement d'UNITAID. Qu'en est-il exactement ? Les arbitrages sont-ils intervenus ? Je ne peux imaginer que l’on enlève à UNITAID pour donner au Fonds mondial ! En d'autres termes, UNITAID sera-t-il sacrifié ou sanctuarisé ? La première hypothèse me paraîtrait inconcevable compte tenu des remarquables résultats obtenus par cet organisme et de notre attachement à ce financement innovant, décidé à l’initiative de la France.

Parmi les assurances qui m'ont été données, j'ai noté avec plaisir qu'aurait été retenu l'esprit de l'amendement que j'avais proposé l'an dernier, et qui consistait à réserver 5 % de notre cotisation au Fonds mondial à des ONG et à des organisations gouvernementales pour faciliter l'instruction des dossiers. Est-il envisagé d'étendre l'application de cette décision à d'autres organisations internationales que nous finançons ? Pour le Fonds mondial, j’en serais ravie, car sa mis en place est compliquée. Permettre à des ONG de participer à son financement en soutenant des ONG locales et en apportant l’expertise française en matière sanitaire serait souhaitable.

Cela étant, a-t-on prévu de poser des conditions à l'augmentation de notre contribution au Fonds mondial sida et si oui, lesquelles ? Ne serait-il pas opportun d’exiger que la France, un des principaux contributeurs, dispose au minimum d’un siège plein au conseil d’administration du Fonds, au lieu de devoir, comme c’est le cas maintenant, le partager avec l’Espagne ? A-t-on exigé que le Fonds respecte mieux la francophonie dans ses procédures et ses appels d'offres, l’anglophonie dominante gênant les pays d'Afrique francophone ? Enfin, la reconstitution du Fonds a-t-elle été l’occasion de négocier l’indispensable développement de son pilier « renforcement des systèmes de santé », aujourd’hui considéré comme accessoire ? Si l’on veut asseoir des politiques de santé pérennes dans les pays partenaires, il faut renforcer les systèmes nationaux.

J’aimerais aussi savoir si l’idée de la budgétisation du Fonds européen de développement progresse. Elle aurait, entre autres avantages, celui de réduire notre clef de répartition et de nous permettre de récupérer une marge de manœuvre pour notre aide bilatérale, réduite aujourd’hui à un niveau ridicule ? Mais, dans ce cas, le ministère a-t-il réfléchi aux mécanismes permettant de sanctuariser les pays ACP, notamment africains, comme bénéficiaires prioritaires des politiques d'aide publique au développement de l'Union européenne ?

Une question encore sur les documents cadre de partenariat dont certains arrivent à échéance fin 2010 et 2011 : est-il envisagé de les prolonger pour finir les programmes en cours, et si oui, avec quels financements? Est-il question d'en élaborer et d’en signer de nouveaux, ou de les supprimer? Je n’ai pas eu de réponses à ce sujet.

Enfin, comme le rapporteur spécial l’a souligné, les documents budgétaires qui nous sont présentés sont de moins en moins détaillés. Ainsi, rien n’est dit cette année de la répartition des subventions entre le Fonds de solidarité prioritaire, l’aide-projet de l’Agence française de développement et l’aide déléguée aux ONG. Qu'en est-il exactement ? Les arbitrages sont-ils intervenus ? Sinon, pour quelles raisons ? Si oui, quels sont-ils ? Quelle sera la part réservée aux ONG ? Respecterons-nous l’engagement pris par le Président de la République d'augmenter la part qui leur est attribuée, pour nous mettre à l'unisson des nos voisins, comme la France s'y est engagée ?

Merci d’avance pour vos réponses à ces questions et observations, madame la ministre.

M. Alain Néri. Après un tel réquisitoire, qui peut encore imaginer voter ces crédits ?

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État chargée du commerce extérieur. Je vous prie tout d’abord d’excuser l’absence de MM. Kouchner et Besson, qui accompagnent tous deux le Président de la République au sommet franco-britannique de Londres. Éric Besson doit notamment y discuter un nouvel accord entre la France et la Grande-Bretagne sur l’asile politique et l’immigration illégale. Ils m’ont priée de vous redire leur engagement en faveur de l’aide publique au développement.

Monsieur le président Poniatowski, j’espère vous le démontrer, le Gouvernement est résolument engagé pour atteindre les objectifs qu’il s’est fixés et qui ont été confirmés par le Président de la République.

Il est vrai, hélas, mesdames et messieurs les députés, que vous n’avez pas pu disposer de tous les documents nécessaires à l’étude des crédits de cette mission. Le projet annuel de performances, le PAP, vous a été transmis en temps et en heure. Une première version du document cadre de coopération au développement vous a été adressée, mais le document définitif n’a été approuvé au niveau interministériel que tout récemment, en raison notamment d’arbitrages qui devaient être rendus concernant le fonds mondial de lutte contre le sida et d’autres engagements dans le domaine de la santé. Les différents ministères vous ont fait parvenir les réponses aux questionnaires que vous leur avez adressés (dénégations sur plusieurs bancs.).

Mme Henriette Martinez, rapporteure pour avis. Pas tous !

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État chargée du commerce extérieur. Il manque en revanche, je le reconnais, le document de politique transversale qui fait l’objet d’ultimes arbitrages mais sur lequel je m’efforcerai néanmoins de vous donner le plus d’informations possible.

Je comprends votre regret, madame Martinez, de n’avoir pu disposer de tous les documents en temps et en heure. Mais c’est aussi une preuve de leur complexité et de l’importance que nous leur accordons, notre souci étant de prendre les meilleures décisions, à la hauteur de nos ambitions.

Comme vous l’avez rappelé, monsieur Emmanuelli, l’aide au développement ne se résume pas aux crédits de la mission. Même conjugués aux sommes consacrées à des actions conjointes comme les annulations de dettes, ils n’en représentent que les trois quarts, un quart provenant d’autres canaux de coopération.

Quelques chiffres tout d’abord. Le montant de l’APD, qui a atteint 9 milliards d’euros en 2009, a continué de progresser en 2010 et devrait atteindre, pour la première fois de l’histoire, 10 milliards en 2012. Cela représente un effort d’un euro par jour et par ménage. Je ne peux pas vous laisser dire, monsieur Emmanuelli, que nous aurions abandonné l’objectif de 0,7 % du RNB en 2015. En 2010, nous nous situerons, avec 0,44 %, au bas de la fourchette annoncée. En 2011, nous devrions être aux alentours de 0,5%.

M. Henri Emmanuelli, rapporteur spécial. Comment fera-t-on pour arriver à 0,7 % en 2013 puisque dans le document pluriannuel adressé à Bruxelles aucune augmentation n’est prévue d’ici là ?

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État chargée du commerce extérieur. L’objectif de 0,7 % du RNB a été fixé à l’horizon 2015. Nous aurons à y travailler, notamment par le biais de financements innovants. Nous parlons pour l’heure de la période triennale qui s’achève en 2013. Avec les montants actuellement qu’elle consacre à l’APD, la France est le deuxième bailleur au monde en montant et le deuxième bailleur du G 7 en part de RNB.

S’agissant de la nature de nos aides, le souhait exprimé par de nombreux députés et sénateurs qu’on privilégie le bilatéralisme est exaucé : l’aide multilatérale devrait tomber de 44% en 2009 à 36% en 2012.

Les annulations de dettes, monsieur Emmanuelli, contribuent à soutenir les pays qui en bénéficient. On l’a vu dans la crise : ces annulations leur ont permis d’augmenter leurs dépenses sociales tout en reconstituant leurs marges de manœuvre.

Comment réussissons-nous à renforcer notre effort d’APD ? Tout d’abord, par la sanctuarisation de ce budget. Les crédits de la mission sont stabilisés à 3,34 milliards d’euros par an, soit dix milliards sur la période 2011-2013. C’est l’un des trois seuls budgets qui ont pu être préservés. Nous mobilisons en outre des ressources complémentaires, parmi lesquelles 150 millions d’euros dégagés grâce à notre surplus de quotas carbone et à des cessions d’actifs qui nous permettront d’accompagner les augmentations de capital des banques multilatérales, auxquelles nous avons volontiers souscrit comme il en avait été décidé au G 20.

Quelles sont nos priorités, monsieur Emmanuelli ? Sur le plan politique – je les cite ici sans ordre hiérarchique – , il s’agit de favoriser une croissance durable et partagée, de lutter contre la pauvreté et réduire les inégalités, de préserver les biens publics mondiaux, de promouvoir la stabilité et l’État de droit comme facteurs de développement. Sur le plan géographique, nous donnons clairement la priorité à l’Afrique subsaharienne à laquelle reviennent 60% de nos aides pour soutenir sa croissance et permettre d’y atteindre les objectifs du Millénaire ; 20 % vont à la Méditerranée pour y assurer un développement durable, dans la perspective des convergences souhaitées dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée ; 10 % seulement vont aux pays émergents – nous limitons donc la part d’aide à leur profit, de même que le caractère concessionnel des prêts qui peuvent leur être consentis, et nous y donnons la priorité à la préservation des biens publics mondiaux, notamment l’environnement, avec un souci de retour pour les entreprises françaises. Enfin, nous réservons 10% de notre aide aux pays en crise, que nous souhaitons aider à assurer leur stabilité.

Vous semblez sceptique, monsieur Emmanuelli, sur les financements innovants. Il est vrai que l’on en parle depuis longtemps mais ils commencent à prendre corps. C’est sous l’impulsion de la France qu’a été expressément reconnu, pour la première fois, dans l’accord de Copenhague de décembre 2009 qu’ils étaient appelés à jouer un rôle dans le financement de la lutte contre le changement climatique. Le groupe d’experts mandaté par le groupe-pilote qui travaille sur le sujet a jugé réaliste l’instauration d’une taxe internationale sur les transactions financières. La France, qui défend depuis longtemps cette idée, est heureuse de constater que la Belgique, le Brésil, l’Espagne, le Japon et la Norvège l’ont rejointe, comme ces pays l’ont fait savoir dans une déclaration en marge du Sommet des Objectifs du millénaire pour le développement. Enfin, le groupe d’experts de haut niveau sur le financement de la lutte contre le changement climatique, au sein duquel notre pays est représenté par Christine Lagarde, qui y siège aux côtés de Nicholas Stern, George Soros ou Larry Summers, a reconnu le potentiel de ces financements. La taxation des émissions de CO2 du transport aérien, du transport maritime, ou bien encore celle des transactions de change, trois hypothèses à l’étude, pourrait rapporter chacune une dizaine de milliards de dollars par an. Enfin, le Président de la République a souhaité que cette question des financements innovants de l’aide publique au développement, dont il fait une priorité, comme il l’a confirmé lors du récent sommet de la Francophonie  à Montreux, soit abordée dans le cadre du G 20, au même titre que celle de la volatilité des prix des matières premières agricoles ou celle du financement du développement des infrastructures.

Monsieur Emmanuelli, vous vous interrogez sur la dotation relative aux dons-projets. Nous avons cherché, comme le souhaitait le Parlement, à valoriser les aides-projets. La répartition des crédits entre le Fonds de solidarité prioritaire et l’Agence française de développement s’effectue toujours en fin d’année, en fonction des projets effectivement prévus. Le travail est en cours. Aucune modification particulière n’est prévue cette année. La répartition des crédits au sein de cette ligne unique vous sera communiquée dès qu’elle aura été opérée.

Madame Martinez, nos contributions volontaires aux fonds et programmes des Nations-unies ne s’élèvent plus qu’à 56 millions d’euros, comme cela est logique après la priorité que nous souhaitons donner sur la période 2011-2013 aux instruments bilatéraux, et elles ont été recentrées. En 2010, 85% des crédits iront à quatre bénéficiaires : l’UNICEF, le HCR, le PNUD et l’UNRWA. Notre contribution obligatoire au budget général ainsi qu’au financement des opérations de maintien de la paix et du fonctionnement des tribunaux internationaux n’en demeure pas moins importante.

La stratégie européenne, dont vous souhaitez très légitimement avoir connaissance, figurera en détail dans le document cadre de coopération au développement. Nous souhaitons mieux articuler notre stratégie nationale avec celles de chacun de nos voisins européens et de l’Union européenne dans son ensemble. Nous sommes satisfaits du rééquilibrage de la politique européenne de développement vers la lutte contre la pauvreté, le soutien à la croissance économique et la préservation des biens publics mondiaux, dont le climat. Nous souhaitons, dans un souci de plus grande efficacité encore, qu’il soit possible de mixer les dons de la Commission et les prêts de la Banque européenne d’investissement et que l’action conduite au niveau européen soit mieux coordonnée avec celle des agences de développement nationales, l’AFD en France, la KfW en Allemagne… Comme vous le savez, la France milite depuis longtemps, avec votre soutien, en faveur de la budgétisation du FED. La diminution de la part multilatérale de notre aide s’explique notamment par l’évolution de notre contribution au FED.

Notre contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida augmentera de 20 % sur trois ans, comme l’a annoncé le Président de la République. Cet engagement sera tenu. Les arbitrages sur la façon dont cela s’articulera avec les recettes issues de la contribution de solidarité sur les billets d’avion ne sont pas encore définitivement rendus. Nous avons suivi, madame Martinez, votre excellente proposition d’affecter 5 % de ces crédits aux ONG spécialisées dans la lutte contre la maladie. La France doit-elle avoir un siège au conseil d’administration du Fonds mondial ? Les discussions sont encore en cours avec l’Espagne qui peut y prétendre également. Nous pensons pouvoir parvenir à nos fins, comme à la Banque africaine de développement.

Sur les 39 documents-cadres partenariat (DCP) signés depuis la création du dispositif 2005, deux tiers arrivent à échéance fin 2010. De nouveaux seront négociés ou sont en train de l’être. Nous avons l’intention d’en ramener la durée de cinq à trois ans, de façon qu’elle soit alignée à compter de 2014 sur le prochain FED, dans un souci de cohérence avec la politique européenne. Ils reflèteront nos nouveaux partenariats, différenciés comme je l’indiquais tout à l’heure entre l’Afrique subsaharienne, la Méditerranée, les pays émergents et les pays en crise. Ces documents qui fournissent un diagnostic et formulent des orientations à moyen terme sont très utiles pour déterminer avec les pays bénéficiaires la meilleure stratégie. Ils permettent aussi de coordonner notre approche avec celle des autres bailleurs. Nous souhaitons qu’ils soient encore plus précis, sélectifs et rigoureux. La réduction de leur durée devrait y aider.

M. le président Axel Poniatowski. Nous en venons aux questions de nos collègues. Les porte-parole des groupes s’exprimeront en dernier, leur intervention valant explication de vote.

M. Michel Terrot. Je souhaite revenir, bien que vous ayez partiellement répondu sur le sujet, madame la ministre, sur la question de l’équilibre entre bilatéralisme et multilatéralisme. Les crédits de l’APD se montent à quelque neuf milliards d’euros, bientôt dix, avez-vous dit, mais une fois retranchés de ce montant quantité d’artifices, ne restent que 4 à 4,5 milliards pour l’aide directe et une fois retranchés encore les prêts de l’AFD et ce qui relève de l’aide multilatérale, la part réelle de l’aide bilatérale ne dépasse pas 200 à 300 millions d’euros. C’est un montant très modeste, d’autant qu’il se répartit entre plusieurs pays, même si un effort de recentrage a été fait. La France n’a pas encore de vision géopolitique de son aide publique au développement, contrairement à d’autres pays, comme la Grande-Bretagne qui alloue plus d’un milliard là où nous nous contentons de ces 200 à 300 millions. Il est illusoire de penser qu’un siège au conseil d’administration d’une institution multilatérale nous permettra de peser davantage. L’aide bilatérale, au contraire, joue un rôle de levier : il n’est pas rare qu’une aide de quelques dizaines de millions d’euros génère des investissements beaucoup plus importants d’autres bailleurs, notamment de la Banque mondiale. Notre pays, qui a perdu tout contrôle sur les milliards d’euros qu’il verse aux institutions multilatérales, doit se ressaisir. Il serait bon qu’il parvienne à consacrer rapidement à l’aide bilatérale 600 à 700 millions d’euros puis un milliard à moyen terme. On ne peut bien sûr y parvenir que par des redéploiements. Il n’y a pas si longtemps, la France contribuait à plus de 60 fonds des Nations-Unies. On peut certainement encore tailler dans certains de ces fonds !

J’ai été frappé que des personnalités comme Hubert Védrine et Alain Juppé, auditionnées par la mission d’information présidée par notre collègue Jean-Paul Bacquet, reconnaissent tous deux que le déséquilibre est vraiment trop grand entre aide bilatérale et aide multilatérale. Un effort a certes été fait par rapport à l’an passé, mais c’est moins évident si on se réfère aux années antérieures. Le projet de budget n’amorce, hélas, aucun rééquilibrage sérieux, et il reste à s’attaquer sérieusement au problème. Je voterai ces crédits par esprit de discipline, pour ne pas dire par réflexe de Pavlov, mais je ne n’en suis pas satisfait.

M. Jean-Paul Bacquet. Je partage entièrement l’analyse de nos deux rapporteurs sur la complexité et l’illisibilité de ce budget, encore accrues cette année par le fait que nous n’avons pas disposé des documents nécessaires. Comment voter ces crédits dans de telles conditions ?

La France est certes le deuxième bailleur mondial en montant mais le douzième seulement pour le montant d’aide rapporté à son revenu national brut. Le montant de l’APD en représente 0,44 %, mais une fois retranchés les frais d’écolage, les dépenses d’accueil des réfugiés, le remboursement de la dette, voire les crédits destinés à Mayotte ou Wallis-et-Futuna, on tombe à 0,34 % – puissiez-vous me démentir ! De plus, les institutions internationales ont proliféré – d’une quinzaine dans les années 1940, on est passé à 47 en 1960 et 263 aujourd’hui ! –, ce qui rend encore plus difficile toute appréciation.

Quel équilibre entre bilatéralisme et multilatéralisme ? Certes, l’aide bilatérale est plus lisible – j’ai coutume de dire que dans le bilatéral, on sait ce qu’on fait, dans le multilatéral, on sait ce qu’on paie ! Il n’en faudrait pas moins définir des priorités. Or, quand le Parlement est exclu de tout choix politique sur les orientations de l’aide publique au développement, faute notamment des informations nécessaires, nous ne pouvons qu’être dans le flou, d’autant qu’il y a clairement un problème de gouvernance. M. Dov Zerah, directeur général de l’AFD, nous a expliqué que lorsque l’Agence prêtait 600 millions d’euros, 200 millions revenaient, qui étaient reversés à Bercy sans être ensuite réinjectés dans l’aide au développement.

Quel est donc le montant réel de l’aide publique au développement, une fois retranchés tous les éléments que j’ai indiqués plus haut ? Quelle est la véritable clé de répartition entre l’aide bilatérale et l’aide multilatérale ? Enfin, qui pilote réellement cette politique ? Je préférerais personnellement que ce soit le Quai d’Orsay plutôt que Bercy.

M. François Rochebloine. Depuis 2010, le financement des projets d’ONG a été transféré à l’AFD. La dotation allouée aux ONG s’élevait à 42,5 millions d’euros en 2009. Quel a été son montant en 2010 et quel est celui prévu en 2011 ? Quelle aide apporte-t-on aux ONG qui luttent contre les mines anti-personnel à l’instar de Handicap international qui réalise un travail remarquable ? Figure-t-elle sur cette ligne ?

Trente millions d’euros d’autorisations d’engagement et vingt millions d’euros de crédits de paiement avaient été inscrits en 2010 au bénéfice d’Haïti. Combien a-t-on dépensé exactement, puisque les crédits 2011 devraient être sensiblement identiques au réalisé 2010 ?

Pour le reste, il est vrai qu’on peut toujours souhaiter davantage en matière d’aide au développement, mais il faut aussi tenir compte de la situation budgétaire très difficile dans laquelle nous nous trouvons. La participation de notre pays à l’aide au développement n’est tout de même pas négligeable.

M. Jean Glavany. On pourra toujours dire que les critiques sévères formulées par M. Emmanuelli à l’endroit de ce budget et de votre méthode relèvent de son devoir d’opposant. Mais la sévérité encore plus grande de Mme Martinez révèle un problème politique grave. Je suggère donc que son intervention figure en annexe de l’explication de vote du groupe socialiste. La révision constitutionnelle adoptée l’année dernière visait à renforcer les droits du Parlement : on voit ce qu’il en advient au quotidien.

M. Douste-Blazy, que nous avons reçu voici quelques mois, nous a porté avec son enthousiasme juvénile du succès de sa mission à la tête d’UNITAID. Je dispose pour ma part d’informations très différentes à ce propos, et plusieurs articles de presse ont fait état d’une situation proche du dépôt de bilan, en tout cas d’une grande difficulté à connaître clairement l’état financier d’UNITAID. Qu’en est-il réellement ?

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État chargée du commerce extérieur. Pour ce qui est, monsieur Terrot, de la répartition entre l’aide bilatérale et multilatérale, comment pourrait-on qualifier d’« artifices » les prêts bilatéraux de l’AFD ? L’aide multilatérale a augmenté l’an dernier du fait de la crise et des décisions prises sous l’impulsion du G20 en vue notamment de contribuer au renforcement des banques multilatérales. Le budget qui vous est soumis prévoit, je le rappelle, que le montant de l’aide multilatérale redescende à 36 %. Quant à l’« effet de levier » que vous évoquez, il joue dans les deux sens, car nous nous efforçons de mixer de plus en plus des financements divers.

Monsieur Bacquet, le mode de calcul de l’aide publique au développement est absolument conforme aux pratiques du CAD de l’OCDE. Quant aux écolages, ils ne représentent que 600 millions d’euros.

Pour ce qui concerne Mayotte, du fait de changement de statut de cette collectivité, nous avons réajusté l’effort précédemment comptabilisé au titre de l’aide publique au développement.

Monsieur Rochebloine, le soutien aux ONG reste au niveau de l’an dernier, soit 45 millions d’euros. Sur ce montant, 2 millions seront consacrés à la lutte contre les mines antipersonnel.

S’agissant de Haïti, plus de 50 % des 326 millions d’euros annoncés par le Président de la République en février dernier ont été consommés ou sont engagés. La loi de finances rectificative pour 2010 prévoit un réajustement d’un montant de 45 millions, dont 30 millions au titre de l’aide projet, qui devront être utilisés avant la fin de 2010. Ces crédits seront principalement affectés à l’aide budgétaire, qui permet toute la souplesse nécessaire, à l’hôpital universitaire et à divers projets d’aménagement urbain, notamment en matière d’assainissement en milieu urbain pour lesquels j’apporterai une aide complémentaire au titre du FASEP lors d’un déplacement que j’effectuerai prochainement en Haïti.

Monsieur Glavany, nous considérons qu’UNITAID fonctionne bien, avec pour critère que cet organisme contribue à sauver des vies. Peut-être s’agit-il d’un malentendu et les problèmes que vous évoquez concernent-ils un autre projet : la Fondation du Millénaire, qui a bénéficié d’un appui d’UNITAID au titre de contributions volontaires allouées à des réservations de billets d’avion, lesquelles ne sont peut-être pas pleinement satisfaisantes et ont pris du retard.

M. le président Axel Poniatowski. Voici d’autres questions.

M. Philippe Tourtelier. Mes questions étant assez précises, je comprendrai que vous ne puissiez y répondre précisément aujourd’hui, madame la ministre, et le fassiez dans les jours prochains.

La première concerne la contribution française au Fonds mondial. Si celui-ci a permis de fournir des traitements à un plus grand nombre de personnes, on n’observe cependant, alors que le SIDA s’est féminisé, aucun progrès de la prévention chez les femmes et les jeunes filles, notamment dans des pays d’Afrique subsaharienne, où les nouveaux cas d’infection touchent trois à huit fois plus les jeunes filles que les garçons du même âge. La France a-t-elle une politique spécifique pour la prévention du SIDA chez les jeunes filles ? Combien dépense-t-elle à cette fin ? Le Fonds mondial est-il le meilleur instrument pour protéger les jeunes filles vulnérables des abus qui les exposent au VIH ? Peut-être le développement d’une politique de santé plus générale aurait-il des résultats plus probants. De fait, les objectifs du Millénaire pour le développement relatifs à la santé maternelle et infantile sont relativement peu financés.

En deuxième lieu, les 25 millions de femmes qui, dans le monde, n’ont pas accès aux services du planning familial ne peuvent pas choisir leur nombre d’enfants et sont exposées à des grossesses à risque à la fois pour la mère et pour l’enfant. Cela est particulièrement vrai dans les pays du Sahel. Quel est l’apport de la France aux programmes nationaux de population de chacun de nos partenaires sahéliens, en particulier pour ce qui relève du planning familial ?

S’agissant enfin des 500 millions d’euros annoncés par le Président de la République sur les cinq prochaines années, nous avons pris note de l’augmentation de 20 % de la contribution française au Fonds mondial, mais d’où proviendront les fonds nécessaires pour assumer le reste de cette promesse ? S’ils doivent provenir de financements innovants, la promesse n’est que virtuelle. Si les sources de financement sont trouvées, le Gouvernement envisage-t-il une augmentation de la contribution française au Fonds des Nations unies pour la population, gardien de la santé des femmes dans le système onusien, et à l’ONG GAVI, compétente en matière de santé des enfants et des nouveau-nés ?

M. Gérard Charasse. Je fais miennes les critiques portant sur la manière dont est traité ce domaine important qu’est l’aide publique au développement. L’APD est un engagement ancien de la France en faveur des pays en développement, dont les objectifs se sont diversifiés en raison principalement de l’apparition des trois défis déjà évoqués.

Nous avions évoqué l’an dernier la nécessité d’une redéfinition de cette politique et de ses objectifs, que je crois lire dans les priorités sectorielles et géographiques du budget – je pense en particulier aux cinq choix de la France.

En 2011, l’APD représenterait 0,47 % du RNB, c’est-à-dire qu’on est encore loin des 0,70 % prévus à l’horizon 2015, et même des 0,51 % promis à nos partenaires européens. Du reste, ce taux de 0,47  % doit être examiné de plus près. Certaines missions renferment des dépenses étonnantes, comme les 38,5 millions affectés aux équipes de reconstruction provinciale en Afghanistan ou les 400 millions destinés à Mayotte, qui sera en 2011 un département d’outre-mer – comme l’est déjà Wallis-et-Futuna.

Par ailleurs, le Parlement pourrait-il disposer d’un zonage plus précis des crédits, afin de s’assurer que, sur les crédits de la mission dévolue aux pays pauvres prioritaires, l’Afrique subsaharienne continue d’être une priorité pour la France dans un cadre plus bilatéral ?

M. Philippe Cochet. Ce budget me semble, quant à moi, tout à fait honorable dans la période de crise que nous connaissons. Ce qui affirme une politique n’est pas le fait de dépenser plus, mais de dépenser mieux.

Avec des montants relativement faibles, le programme 301, consacré à l’aide à la réinstallation des migrants dans leur pays d’origine, a une incidence sur notre politique migratoire. Quels sont les pays concernés par cette aide, qui a pour effet que ses bénéficiaires ne reviennent plus dans notre pays et qui représente donc un investissement très important pour l’avenir ?

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État chargée du commerce extérieur. En tant que médecin, Bernard Kouchner, sera certainement heureux de vous répondre, monsieur Tourtelier, sur les politiques de santé, notamment en matière de lutte contre le SIDA pour les femmes et les jeunes filles. L’initiative prise par le G8 à Muskoka, rappelée par le président Poniatowski, vise bien en particulier la santé des jeunes filles. Avec une augmentation de 20 %, le Fonds mondial contribuera fortement à cette priorité, à laquelle nous travaillons en outre avec le GAVI et toutes les associations spécialement mobilisées en faveur de ce combat très important.

Monsieur Charasse, nous prévoyons bien que l’APD atteigne en 2011 le taux de 0,5 %, voire 0,51 % du RNB – étant entendu qu’il est impossible d’avancer un chiffre plus précis car, par définition, celui du RNB est lui-même encore inconnu. Cet objectif est en ligne avec celui de 0,7 % en 2015. Nous sommes parvenus à concilier, pour le triennium concerné, l’objectif de consolidation budgétaire et le respect de nos engagements.

Sans doute me suis-je mal exprimée à propos de Mayotte : il est clair que son nouveau statut de département d’outre-mer a conduit à réajuster le budget consacré à cette collectivité. Dans la situation précédente, nous étions en totale conformité, sur ce point comme sur les autres, avec les méthodes de calcul du CAD.

Enfin, je répète une fois encore que l’Afrique subsaharienne est notre priorité géographique. Cette région recevra au moins 60 % de l’effort financier de l’État. Il s’agit là de montants inédits, après un triplement des financements sur les années 2005-2009.

Monsieur Cochet, je vous remercie de votre appréciation et de vos encouragements à propos du contrôle et de l’évaluation de la dépense. Je tiens à souligner à ce propos que j’ai été favorablement impressionnée par l’évaluation récemment effectuée par l’OCDE sur la politique d’aide de la France, en termes tant de stratégie que de mise en œuvre.

L’aide à la réinstallation concerne en particulier le Mali et le Sénégal, dans le cadre d’un programme de codéveloppement. Cette aide peut atteindre 7 000 euros pour des projets ordinaires et 20 000 euros lorsque ces projets s’inscrivent dans le cadre d’un accord bilatéral de gestion concertée et créent des emplois. Le montant total de ces aides est de 2,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 3,5 millions en crédits de paiement. J’ajoute enfin que la Roumanie est un autre pays de destination important.

M. le président Jérôme Cahuzac. L’AFD, opérateur de l’État, est aussi un opérateur financier, lié jusqu’en 2008 par deux contrats désormais obsolètes. En 2009, le Premier ministre avait souhaité qu’un contrat unique lie l’AFD à l’État. À ma connaissance, ce contrat n’est pas encore conclu. Pouvez-vous nous indiquer pour quelles raisons, et dans quel délai cette demande sera satisfaite ?

Par ailleurs, si une partie des ressources de l’AFD est fournie par l’État, une autre partie, majoritaire, provient d’emprunts obligataires émis par cette agence sur les marchés. Quel en est le montant cumulé ?

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État chargée du commerce extérieur. La convention unique qui doit régir les relations entre l’Agence française de développement et l’État est en cours de discussion et d’élaboration. Le retard de ce processus s’explique en particulier par la nomination récente d’un nouveau directeur général – M. Dov Zerah. Celui-ci a reçu à la fin de l’été une lettre de mission du Premier ministre, qui a été diffusée au sein de l’Agence et rappelle les priorités auxquelles celle-ci doit se conformer. Ces priorités sont celles, tant géographiques que thématiques, de l’action de notre pays pour le développement.

Deux mots forts sont à souligner en la matière : l’Afrique et l’alimentation. Cette dernière occupe une place croissante dans nos interventions et, conformément au souhait du Président de la République, dans celles des institutions financières internationales. Elle est indissociable des enjeux de santé.

Le nouveau contrat sera conclu d’ici la fin de 2010 ou au début de 2011. Le montant des obligations émises par l’AFD s’élevait en 2009 à 2,2 milliards d’euros et sera du même ordre en 2010 – soit un peu plus de 2 milliards d’euros.

M. le président Axel Poniatowski. Nous en arrivons aux explications de vote.

M. François Rochebloine. Ce ministère, s’il n’est pas clinquant, n’en réalise pas moins, en profondeur, un travail très technique. Je tiens à en féliciter la ministre et l’ensemble de ses collaborateurs.

Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État chargée du commerce extérieur. Il s’agit d’un travail interministériel. Je représente ici l’ensemble du Gouvernement, et suis d’ailleurs accompagnée des meilleurs collaborateurs de M. Kouchner et de M. Besson.

M. François Asensi. Notre groupe remercie les deux rapporteurs pour l’éclairage qu’ils ont donné à ces débats. Nous sommes très réservés sur ces crédits : sans remettre en question la volonté humaniste des membres du Gouvernement d’avoir une politique progressiste d’aide au développement, nous n’en voyons guère la traduction budgétaire.

L’objectif du Millénaire consistant à consacrer 0,7 % du RNB à l’aide au développement ne sera probablement pas atteint, alors qu’il pouvait l’être en 2014 ou 2015. On en est à 0,51 % pour 2010, et il semble que la France ait demandé aux autres pays européens de renoncer à cet engagement. Nous ne voterons donc pas pour ces crédits.

Nous sommes en revanche très attachés à une mesure qui peut paraître utopique : la taxation des transactions financières. À défaut de faire trembler le capitalisme sur ses bases, une taxation de 0,5 % – et non pas de 0,05 % comme l’avait proposé M. Kouchner – pourrait apporter beaucoup à l’aide internationale. Les 400 milliards de dollars qu’elle produirait annuellement permettraient d’agir pour éradiquer la faim dans le monde et lutter contre les maladies. Il ne s’agit pas d’une utopie, mais certains pays adoptent en la matière une position idéologique, au nom de la sacro-sainte liberté des changes. Nous espérons que, lors du G20, le Président de la République, comme il l’a annoncé, s’engagera fermement pour cet objectif.

L’aide internationale de la France n’est pas de nature éthique, ni même une question de repentance. La France a été longtemps une puissance coloniale et, même après la décolonisation, elle a bénéficié d’échanges peu égalitaires avec certains pays, lui permettant de disposer de matières premières dans des conditions intéressantes et d’écouler ses produits manufacturés, tandis que ces pays s’appauvrissaient.

Il s’agit aujourd’hui de solidarité, car la crise financière a pénalisé plus encore les pays pauvres. Les pays émergents, quant à eux – comme la Chine, l’Inde, le Brésil ou le Vietnam –, n’ont pas forcément besoin d’une aide internationale. Cela est particulièrement vrai de la Chine, qui est aujourd’hui le principal banquier et le principal atelier du monde.

Notre groupe ne votera pas ces crédits.

M. François Loncle. Trois observations. Sait-on que les sommes envoyées dans leurs pays d’origine par les travailleurs immigrés présents sur notre territoire sont trois fois plus importantes que l’APD ? Cela se passe de commentaire.

Ensuite, maintenir l’outre-mer dans le cadre de l’aide publique au développement devient incohérent et insupportable.

Enfin, le débat entre multilatéral et bilatéral n’est pas clos – nous y travaillons d’ailleurs dans le cadre de la mission que préside M. Bacquet. Nous avons constaté encore récemment à New York l’effondrement des contributions volontaires de la France aux organisations internationales, qui place notre pays à des rangs inavouables. La comparaison avec la Grande-Bretagne ou l’Espagne – pourtant en difficulté –, mais aussi avec la Belgique ou les Pays-Bas n’est guère à notre honneur.

Pour les raisons déjà exprimées par les deux rapporteurs et par mes collègues du groupe SRC, nous ne voterons pas ces crédits.

Mme Chantal Bourragué. Vous venez, madame la secrétaire d’État, de confirmer les orientations de la politique d’aide publique au développement et l’engagement de la France en faveur des pays les plus pauvres : bien que la crise financière n’ait pas épargné notre pays et que le projet de budget pour 2011 nous appelle tous à des efforts, nous maintenons nos objectifs de coopération et de développement pour relever le défi de la pauvreté, pour soutenir la croissance et pour préserver les biens publics mondiaux.

La France, vous l’avez dit, reste le deuxième contributeur mondial, et vous nous avez annoncé une nouvelle impulsion de notre politique d’aide au développement fondée sur des priorités géographiques et sectorielles et sur un meilleur pilotage. Le Parlement partage ces préoccupations.

S’agissant des politiques de santé, notamment à destination des femmes et des enfants, nous sommes heureux que l’amendement de Mme Martinez relatif au Fonds mondial de lutte contre le SIDA ait été approuvé. Il faut néanmoins poursuivre les efforts en ce domaine.

Vous avez par ailleurs confirmé l’engagement de notre pays en Afrique subsaharienne, ce dont il convient de se féliciter.

Enfin, l’évaluation de nos politiques par l’OCDE est désormais très positive, ce qui n’était pas le cas auparavant. L’AFD s’est beaucoup transformée ces dernières années, et nous sommes convaincus que la convention avec l’État sera signée rapidement. Le fait que l’aide publique au développement représente un euro par jour et par ménage est mal connu de nos concitoyens : nous aurions intérêt à leur rappeler notre engagement en faveur des politiques de développement.

Compte tenu de ces efforts, j’invite bien entendu mes collègues de l’UMP à voter ces crédits.

M. le président Jérôme Cahuzac. Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous remercie.

La réunion de la commission élargie s’achève à dix-huit heures trente-cinq.

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