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Débats de la séance

Compte rendu
intégral

Commission des finances,
de l’économie générale et du plan

Commission de la défense nationale
et des forces armées

Commission des affaires étrangères

Commission élargie

Jeudi 19 juin 2008

(En application de l’article 117 du règlement)

Projet de loi de règlement des comptes
et rapport de gestion pour l’année 2007

Défense

Présidence de M. Didier Migaud, de M. Philippe Vitel et de M. Axel Poniatowski

(La réunion de la commission élargie commence à onze heures.)

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Monsieur le ministre de la défense, nous sommes heureux, M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères, M. Philippe Vitel, vice-président de la commission de la défense nationale, suppléant M. Guy Tessier, son président, et moi-même au nom de la commission des finances, de vous accueillir, au sein de cette commission élargie sur la mission Défense qui, en plein accord avec le président Teissier, portera plus particulièrement sur le thème des opérations extérieures –les OPEX. Comme il s’agit, chaque année, d’un sujet dont l’exécution est sensible, nous souhaitons faire le point sur son traitement en 2007, le choix d’un thème restreint devant permettre d’éviter la dispersion du débat.

Vous le savez, l’Assemblée nationale ayant souhaité consacrer plus de temps à l’exécution du budget, la conférence des présidents a décidé de procéder, dans le cadre de commissions élargies, à l’examen des rapports annuels de performances – RAP – au regard des engagements pris lois de la discussion du projet de la loi de finances pour 2007.

La procédure de la commission favorise un dialogue dynamique entre, d’un côté, les ministres et, de l’autre, les rapporteurs et les députés au moyen de questions et de réponses aussi directes et précises les unes que les autres. Le rapporteur spécial de la commission des finances sur la défense, Louis Giscard d’Estaing, a préparé une note de présentation qui résume ses principales appréciations sur la gestion des OPEX. Je lui donnerai la parole afin qu’il puisse poser ses premières questions, immédiatement après que M. Philippe Vitel et M. Axel Poniatowski se seront exprimés. Puis ce sera autour du rapporteur pour avis de la commission de la défense, M. Michel Grall, de s’exprimer.

M. Philippe Vitel, vice-président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le ministre, mes chers collègues, M. Guy Teissier vous prie de l’excuser, car il a dû retourner à Marseille pour affaires urgentes. Je suis par là même très heureux de coprésider, aux côtés de M. Didier Migaud et de M. Michel Poniatowski, cette commission élargie qui doit nous permettre d’aborder, par le biais de l’examen du projet de règlement des comptes de 2007, la question récurrente et de plus en plus difficile du financement des OPEX.

La France, en effet, est engagée sur vingt-neuf théâtres extérieurs, avec des effectifs très variables, qui vont d’un seul homme au Liberia à plus de 3 000 en Côte-d’Ivoire, cinq opérations projetant plus de 2 000 hommes. Plus de 11 000 soldats participent donc aujourd’hui à ces opérations.

En dépit de la réduction du format des forces projetables, qui doivent passer, comme l’annonce le Livre Blanc, de 50 000 à 30 000 hommes, la tendance sera, à coup sûr, de maintenir les OPEX à un niveau important : c’est pourquoi leur financement dans le contexte contraint des finances publiques pose problème.

Certes, une ligne spécifique de crédits figure au projet de loi de finances initiale depuis 2005, mais, comme vous le savez tous, elle est toujours insuffisante et les conditions du bouclage en fin d’année ne sont guère satisfaisantes. Comme le soulignait tout récemment le chef d’état-major des armées, que la commission de la défense a auditionné voilà quelques semaines, le coût des OPEX demeure en grande partie à la charge des armées et pèse sur d’autres dépenses, notamment d’équipement, et, par là même, sur la protection et sur l’efficacité de nos armées.

Cette commission élargie est donc, monsieur le ministre, particulièrement bienvenue. J’espère qu’elle permettra d’aboutir à des propositions concrètes d’amélioration des financements des OPEX, opérations qui, nous n’en doutons pas, sont importantes pour notre pays comme pour le maintien de la paix dans le monde.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Messieurs les présidents, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à me féliciter que, dans le cadre de cette nouvelle procédure de commission élargie appliquée à la loi de règlement des comptes, nous puissions aborder aujourd’hui plus précisément la question du financement des opérations militaires extérieures.

Il y a peu, la place du Parlement a été renforcée dans ce domaine : le récent débat sur l’envoi de renforts en Afghanistan a montré qu’il n’est plus tabou aujourd’hui d’aborder de telles questions dans l’hémicycle, c’est-à-dire publiquement. Ce contrôle par les élus du peuple de l’emploi par la France de sa force armée est une évolution qui me paraît particulièrement saine. Elle pourrait bien sûr être renforcée si le projet de loi de modernisation des institutions de la Ve République était adopté dans quelques semaines, puisque celui-ci prévoit l’information du Parlement sur les opérations à l’étranger puis l’organisation d’une discussion et d’un vote sur celles-ci.

J’aurais préféré, pour ma part, qu’un débat annuel suivi d’un vote annuel, opération par opération, soit organisé sur les opérations extérieures. Ma proposition n’a pas été retenue jusqu’à ce jour, mais je souhaite, monsieur le ministre, que nous réfléchissions ensemble à des mécanismes qui permettraient au Parlement d’être régulièrement informé du déroulement des opérations extérieures dans lesquelles nos forces armées sont engagées. J’aimerais aujourd’hui tout particulièrement vous entendre – mais je ne doute pas que le rapporteur spécial de la commission des finances, Louis Giscard d’Estaing, aborde ce sujet – sur les crédits, opération par opération. Nous n’obtenons en effet jamais de décompte très précis en la matière. Même l’évolution globale ne nous est pas directement transmise. C’est la raison pour laquelle je souhaiterais connaître l’estimation du coût de chacune des opérations, notamment l’EUFOR au Tchad. Monsieur le ministre, quelles sont aujourd’hui les OPEX les plus coûteuses ? Quel est leur coût précis ?

Je précise que M. Jean-Michel Boucheron est le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères sur les crédits de la mission Défense.

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur spécial de la commission des finances, de l’économie générale et du plan, pour la mission Défense. En 2007, la France a engagé 12 039 soldats en opérations extérieures dans trois continents, à plusieurs milliers de kilomètres de leur pays, dans différents cadres d'intervention : accords de défense ou de coopération, ONU, OTAN, Union européenne. C'est pour vérifier les conditions dans lesquelles étaient engagées, sur les plans opérationnel et budgétaire, nos troupes en OPEX que nous nous sommes rendus en tant que rapporteurs spéciaux, Jean-Michel Fourgous et moi-même, en Côte-d'Ivoire, dans le cadre de l’opération Licorne, en septembre 2007, et que je me suis rendu au sud-Liban en avril de cette année, dans le cadre de notre engagement au sein de la FINUL.

Nous nous sommes en effet attachés à répondre à deux questions fondamentales. Premièrement, de quelle façon les contraintes budgétaires influent-elles sur le niveau opérationnel de l'engagement de nos hommes en opérations extérieures, spécifiquement au regard des équipements nécessaires à de telles missions ? Deuxièmement, comment remédier à l'écart constaté entre le montant inscrit en loi de finances initiale et le coût réel dans la loi de règlement – demande formulée de longue date par la commission des finances de l’Assemblée nationale ?

Contraignantes sur le plan humain, les opérations extérieures sont évidemment coûteuses : outre les indemnités légitimes versées aux militaires, les OPEX entraînent des surcoûts liés non seulement au fonctionnement mais surtout à l'usure prématurée des matériels, qui sont davantage sollicités lors des missions d'interposition que dans les champs de manœuvre nationaux. En 2007, ce surcoût a été évalué à 685 millions d'euros. En 2008, il frôlera les 900 millions d'euros. À ces frais s'ajoutent ceux des forces prépositionnées, évalués en 2006 à 281 millions d'euros. Malheureusement, le rapport annuel de performances ne nous fournit pas cette évaluation pour 2007, mais peut-être, monsieur le ministre, pourrez-vous nous le préciser.

Sur ce montant, l'ONU a remboursé à la France, en 2007, au titre de sa participation à la FINUL et à la MINUCI, la somme de 19 millions d'euros. Les remboursements effectués au titre des opérations effectuées sous mandat sont un sujet important. Compte tenu des délais propres à l'ONU, cette somme correspond à des engagements datant de 2006 et 2007. Le montant des remboursements attendus en 2008 devrait dépasser les 40 millions d'euros.

L'analyse du budget de 2007 des opérations extérieures appelle de ma part trois remarques, qui susciteront quatre questions.

Première remarque : en dépit des efforts entrepris, la sous-budgétisation s’est poursuivie en 2007. La multiplication des interventions des armées françaises à l'extérieur de nos frontières, depuis la fin des années quatre-vingt-dix, a conduit les autorités politiques du pays à composer avec le budget de la défense pour financer les opérations extérieures. Pendant longtemps, les surcoûts des OPEX ont été purement et simplement financés par des annulations de crédits au chapitre des équipements. Depuis 2005, à la demande insistante des parlementaires, une dotation est inscrite en loi de finances initiale. Cette dotation, largement sous-estimée, s'est élevée, en 2007, à 360 millions d'euros. Or, au moment même où ces crédits étaient votés en toute bonne foi par les parlementaires, l’état-major des armées prévoyait un surcoût d'un montant de 600 millions d'euros ! Dans ces conditions, la représentation nationale peut légitimement se demander à quoi sert de voter un budget, exercice destiné autant à prévoir qu'à autoriser une dépense. À quoi bon en effet graver dans le marbre de la loi une dépense autorisée pour un montant de 360 millions d'euros alors que la réalité de la dépense sera proche du double ?

Une telle absence, sinon de sincérité, du moins de lisibilité, dans la présentation des dépenses liées aux OPEX, contrevient aux dispositions de l'article 32 de la LOLF. Elle entraîne des conséquences directes en matière de dépenses d'équipement, puisque les ouvertures de crédits qui interviennent en cours d'exercice pour abonder les crédits liés aux OPEX sont le plus souvent gagées sur des annulations d'achats de matériel, ce qui réduit l'équipement dont nos militaires ont besoin et brouille de ce fait la visibilité de nos industriels avec qui des contrats ont pourtant été passés. La sous-budgétisation se traduit finalement par des pénalités payées aux industriels avec lesquels il convient de négocier des rééchelonnements de livraison et de paiement.

Deuxième remarque : les documents budgétaires ne retracent pas fidèlement la réalité de la dépense. Les montants financiers relatifs aux opérations extérieures et aux missions intérieures qui sont inscrits dans le rapport annuel de performances n'ont en effet qu'un lointain rapport avec la réalité. Selon les services du ministère de la défense, la différence entre les chiffres présentés dans le rapport annuel de performances - RAP - et la réalité s'explique de deux manières : d'une part, certaines dépenses liées aux OPEX font l'objet d'erreurs d'imputation et sont imputées non pas sur l'action n° 6 du programme 178, mais sur les actions propres à chaque armée, au sein du même programme ; d'autre part, un certain nombre de dépenses liées aux OPEX et aux missions intérieures sont déclaratives et n'apparaissent pas explicitement dans les comptes du ministère.

Alors que la réalité des opérations extérieures pour 2007 s'élève à 685 millions d'euros, le RAP présente des montants de 545 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 511 millions d'euros en crédits de paiement. Je suis certain, monsieur le ministre, que vous nous apporterez des explications à ce sujet. Pour les missions intérieures, le décalage est encore plus flagrant : à la lecture du RAP, les frais liés aux missions intérieures s'élèveraient à 1,3 million d'euros alors qu'ils sont estimés par l'état-major des armées à environ 20 millions d'euros.

Force est de constater que, dans ce domaine au moins, l'un des principaux objectifs de la LOLF, qui était d'améliorer la lisibilité du budget, n'a pas pour l'instant été respecté.

Troisième remarque : le rapport annuel de performances a été très attendu cette année. Alors que l'article 46 de la LOLF dispose que le RAP doit être publié « avant le 1er juin de l'année suivant celle de l'exécution du budget auquel il se rapporte », le rapport annuel de performances 2007 de la mission Défense est parvenu à l'Assemblée nationale, sous une forme provisoire, avec onze jours de retard, ce qui a réduit considérablement le temps laissé aux parlementaires pour examiner ce document de 580 pages, notamment dans l'optique du débat d'aujourd'hui.

M. Hervé Morin, ministre de la défense. J’ai mis moi-même beaucoup de temps à le lire ! (Sourires.)

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur spécial. Votre rapporteur spécial espère qu'un tel retard ne se renouvellera pas au cours des exercices à venir.

J’en viens à mes questions, monsieur le ministre.

Première question : quels sont les principaux facteurs de coût ou de surcoût, résultant de nos engagements en OPEX, selon les conditions géographiques de ces théâtres d'opération et sous l'angle de la chaîne logistique, des matériels engagés et des éventuels concours ou remboursements – en particulier ceux de l'ONU pour nos engagements sous mandat ?

Deuxième question : nos forces en OPEX souffrent de la faiblesse de leurs moyens aériens – sujet bien connu de la commission de la défense : au Liban, aucun avion ni hélicoptère n'est déployé, le ravitaillement étant assuré par voie maritime. Les forces françaises, sur le plan logistique, sont entièrement dépendantes de leurs alliés, notamment pour une éventuelle évacuation sanitaire. En Afghanistan, les moyens aériens sont insuffisants et nos forces dépendent également en partie des moyens de nos alliés.

Les PUMA et Super PUMA ne sont pas, quant à eux, assez nombreux et leur disponibilité est faible. Quelles solutions envisagez-vous dans l'attente de leur remplacement par le NH 90 dont les premiers exemplaires n'arriveront pas avant 2012 ? Quant aux Transall, chacun sait qu’ils sont à bout de souffle et que leur disponibilité est problématique. Nos forces sont obligées de recourir à la location d'avions cargo russes ou ukrainiens, ce qui n'est pas l'idéal sur le plan de la souveraineté nationale, même si le président de la commission des affaires étrangères ne considère pas qu’il s’agit là d’un enjeu considérable.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. C’est de la logistique !

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur spécial. Quelles sont les perspectives dans l'attente du futur A400M, compte tenu de ses délais annoncés de livraison ?

Troisième question : pouvez-vous éclairer la représentation nationale sur la situation qui évolue très vite au Tchad ? Comme vous l’a notamment demandé le président de la commission des affaires étrangères, où en est le déploiement de l'EUFOR ? La capacité opérationnelle finale est-elle atteinte ? La force apporte-t-elle son aide aux réfugiés ? Est-elle pleinement opérationnelle ? Quelle sera l'attitude de l'EUFOR dans l'hypothèse d'une nouvelle offensive rebelle contre le président Déby ? Pouvez-vous nous apporter des informations sur les combats qui ont opposé, il y a quelques jours, des soldats de l'EUFOR à des rebelles et que doit-on notamment penser des déclarations du gouvernement tchadien sur le sujet ?

Enfin – quatrième question –, compte tenu des indications apportées avant-hier par le Président de la République, notamment en matière d'effectifs, les armées pourront-elles continuer d’être présentes sur un aussi grand nombre de théâtres extérieurs ?

M. Michel Grall, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées. Depuis 2003 la commission de la défense examine attentivement les conditions de l'exécution budgétaire par le ministère de la défense, grâce à la création par le président Teissier d'une mission d'information sur le contrôle de l'exécution des crédits. La LOLF a consacré cet exercice en renforçant l'examen de la loi de règlement des comptes, ce qui nous permet de vérifier la consommation des crédits disponibles.

Avant de détailler les points marquants de l'exécution 2007, qu'il me soit permis, monsieur le ministre, de regretter à mon tour que les rapports annuels de performances nous aient été transmis dix jours après l'expiration du délai organique. Il est vrai, monsieur le ministre, que vous avez fort heureusement accepté de nous communiquer des informations avant cette date.

Je souhaiterais présenter l'exécution pour l'année 2007 avant de revenir plus particulièrement sur le financement des opérations extérieures.

L'exécution budgétaire pour 2007 apparaît globalement satisfaisante, même si certaines incertitudes sur les crédits d'équipements demeurent. Les crédits ouverts en loi de finances initiale s'inscrivent dans la continuité des exercices précédents, en s'établissant à 36,2 milliards d'euros en crédits de paiement et à 35,8 milliards en autorisations d'engagement. L'exécution 2007 intervenant en fin de programmation militaire, lorsqu'il faut procéder au paiement effectif des engagements pris en début d'exécution, les autorisations d'engagement et les crédits de paiement devraient théoriquement s'équilibrer.

Outre les crédits initiaux, les crédits de la mission Défense ont été évidemment complétés en cours d'exécution, mais dans une moindre mesure que les années précédentes, le total des mouvements de gestion ne dépassant pas 600 millions d'euros en autorisations d’engagement et s'établissant à 635 millions d'euros en crédits de paiements. Les crédits disponibles en 2007 sont donc de près de 42 milliards d'euros en autorisations d’engagement et de 38,5 milliards d'euros en crédits de paiement.

Les crédits ouverts en loi de finances initiale ont été consommés en moyenne à plus de 100 % pour les autorisations d’engagement et les crédits de paiement. Toutefois, ces taux tombent respectivement à 86 % et à 95,7 % lorsque les crédits dépensés sont comparés aux crédits disponibles. Même si ces taux peuvent apparaître globalement satisfaisants, ils sont en diminution par rapport aux exercices précédents. Les interrogations se concentrent principalement sur les crédits de titre 5, c'est-à-dire les crédits d'équipement. Pour les crédits du programme 146 « Équipement des forces », seuls 86,6 % des crédits de paiement ouverts en loi de finances initiale sont consommés, soit 76 % des crédits disponibles.

Ce faible taux de consommation des crédits d'équipement est préoccupant car il aggrave le déficit opérationnel des forces, du fait que le remplacement de nombreux équipements est devenu indispensable. La faible consommation peut assurément être expliquée par des retards de livraison ou par des problèmes industriels. Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous éclairer sur ce point en nous indiquant l'état d'avancement des principaux programmes, notamment celui du NH 90 et de l'A400M ?

En matière d'équipements, je veux également souligner le cas de la Marine qui a engagé des bâtiments en soutien de nombreuses OPEX, comme au large du Liban, en 2006, où les BPC – bâtiments de projection et de commandement – ont fait la preuve de leur large utilité. Ces seuls bâtiments, avec les frégates de premier rang, ne peuvent naturellement suffire pour assurer la permanence à la mer rendue plus difficile par l'IPER – indisponibilité périodique pour entretien et réparation – du porte-avions. Quelles sont nos perspectives de maintenir la France parmi les grandes puissances maritimes ?

Ma troisième question est liée à l'augmentation des reports de crédits qui atteignent 5,5 milliards d'euros en autorisations d’engagement et 1,6 milliard d'euros en crédits de paiement. Outre le problème de lisibilité de la loi de programmation militaire, ces décalages, qui sont lourds de conséquences pour les unités, vous le savez, pèsent également sur le budget en raison d’intérêts moratoires en constante augmentation. Par ailleurs, compte tenu des engagements réalisés, les marges de manœuvre des années à venir ne seront pas démesurées. Vous serait-il possible de nous indiquer les mesures que vous comptez prendre pour que la prochaine loi de programmation militaire ne soit pas soumise à ces fluctuations et pour garantir la disponibilité des crédits d'équipement ?

Je souhaite maintenant insister plus particulièrement sur les conditions de financement des opérations extérieures.

En 2007, plus de 11 500 militaires ont été déployés sur près de vingt-neuf théâtres. La présence internationale de la France a été confirmée, par le maintien d'opérations en Côte-d'Ivoire, au sud-Liban et en Afghanistan ou par l'engagement de forces sur de nouveaux théâtres, avec notamment l'EUFOR au Tchad. Les OPEX se caractérisent par un engagement dans la durée et par la complexité des missions nécessitant à la fois couverture aérienne et capacité de frappe, de mobilité et de renseignement. Ces missions sont le plus souvent interarmées et multinationales, sous des mandats très différents, avec des conditions d'engagement très variables.

Notre position internationale est forte. Nous avons la capacité d'une entrée en premier sur un théâtre d'opérations : c’est important, car nous pouvons être nation-cadre. Toutefois les conditions de financement des OPEX ne paraissent pas encore pleinement satisfaisantes. Depuis 2005, à la suite d’un amendement parlementaire à la loi de programmation militaire, la loi de finances initiale intègre une dotation initiale pour les OPEX, mais cette dernière ne permet pas de couvrir l'ensemble des surcoûts. En 2007, les OPEX ont coûté quelque 685 millions d'euros, soit 310 millions de plus que la dotation initiale. Pour financer les OPEX, le décret d'avance de novembre 2007 a ouvert des crédits supplémentaires, mais en les gageant sur les crédits d'équipement. Habituellement, les crédits d'équipement annulés par décret d'avance sont rétablis en loi de finances rectificative. Or la loi de finances rectificative pour 2007 ne procède à aucun rétablissement de crédits. Le surcoût lié aux OPEX a donc été financé en 2007 sur les crédits d'équipements.

Les premières prévisions pour 2008 font état d'une forte hausse du coût des OPEX, qui pourrait dépasser les 900 millions d'euros pour une dotation de 475 millions d'euros. Monsieur le ministre, les OPEX seront-elles financées, comme en 2007, au détriment des crédits d'équipement ? N'est-il pas souhaitable d'augmenter les dotations initiales afin d’éviter des décalages constants entre la prévision et son exécution ?

Les militaires déployés en OPEX bénéficient par ailleurs de légitimes bonifications, qui tiennent compte des conditions difficiles et dangereuses de vie et d'activité. Ces bonifications ne seront pas sans incidence sur le montant des pensions qui leur seront versées. Monsieur le ministre, quelle est votre anticipation de ce phénomène à moyen terme ?

Ces interrogations budgétaires relatives aux OPEX ne peuvent naturellement pas être séparées des préoccupations opérationnelles de nos forces. Le chef d'état-major des armées a souligné devant la commission de la défense que les matériels actuellement projetés, souvent très âgés, sont très fortement sollicités. Il s’agit notamment des avions de transport, des véhicules blindés et des hélicoptères.

À plus long terme, nos forces devront pouvoir s'appuyer sur le trinôme opérationnel composé du véhicule blindé de combat d’infanterie – VBCI –, des hélicoptères NH 90 et Tigre et du système FELIN. En dépit des premières livraisons, les crédits affectés au programme VBCI n'ont été consommés en 2007 qu'à hauteur de 67 %. Ce dispositif, qui associe des blindés, des moyens aériens et des systèmes individuels, ne sera toutefois pleinement opérationnel que si les troupes disposent des informations adéquates fournies par les satellites, les drones et le renseignement humain. Pourriez-vous nous indiquer comment ces différentes priorités s'articuleront sur les plans financier et opérationnel ?

Alors que le Président de la République vient de présenter les conclusions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, et au moment où se dessine la future loi de programmation militaire, je vous remercie, monsieur le ministre, de nous éclairer sur ces enjeux.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères. Monsieur le ministre, les OPEX entrent dans le programme 178 “Préparation et emploi des forces” de la LOLF, dont je salue le père en la personne de M. Migaud, car elle permet un contrôle plus précis de l’utilisation des finances publiques.

Ma première remarque, en portant sur l’aspect disparate des OPEX, révèle la difficulté de notre nouvel exercice. Entre une opération spéciale qui ne dure que quelques jours, une opération de participation à une mission internationale, à très faible coût - quelques hommes parfois - mais qui dure très longtemps, et une opération du type première guerre du Golfe, qui est une véritable guerre sur un théâtre très éloigné, il n’y a aucun rapport, tant sur le plan politique que financier. Notre futur dispositif devra nous permettre de gérer ces différentes situations dans le cadre de suivis appropriés.

Ma deuxième remarque concerne l’imprévisibilité qui, par définition, caractérise un grand nombre d’OPEX – heureusement, du reste, pour certaines d’entre elles ! Cette situation a toutefois des conséquences financières très importantes. Notre discussion d’aujourd’hui en est la preuve puisque les dépenses réelles pour 2008 seront supérieures de 80 % aux dépenses programmées et votées par le Parlement. Un dysfonctionnement existe donc en la matière.

Les OPEX devront s’inscrire dans le budget de l’État en dépenses initiales séparément du budget de la défense, mais à une condition : qu’une analyse suffisamment précise des OPEX permette de déterminer avec précision ce qui relève réellement du surcoût qu’elles entraînent.

M. Philippe Vitel, vice-président de la commission de la défense nationale et des forces armées. C’est difficile à évaluer.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis. C’est ce surcoût qui devra être budgété.

Monsieur le ministre, je ne saurais trop vous conseiller la lecture d’un rapport de la commission des finances, produit par votre serviteur il y a quelques années, avec l’aide d’un administrateur.

M. Jacques Myard. Forcément excellent !

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis. Excellent, en effet.

M. le ministre de la défense. Je suis heureux que vous ayez su apprécier les administrateurs de l’Assemblée nationale ! (Sourires.)

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis. Ce rapport s’efforçait de chiffrer la guerre du Kosovo quinze jours après la fin des hostilités : nous avions réussi à séparer ce qui relevait de la dépense courante de nos armées et du surcoût de l’OPEX. Je le répète : c’est ce surcoût qui devra être pris en charge par le budget de l’État hors budget de la défense nationale.

Nous ne saurions non plus éluder le Livre Blanc sur la question des OPEX. Le Président de la République, mardi matin, nous a expliqué que notre champ d’action n’allait que de l’Atlantique à l’Océan indien. Nous avons été impressionnés par une telle réduction du champ, d’autant qu’elle était accompagnée d’une seconde réduction, celle de notre capacité de déploiement de 50 000 à 30 000 hommes, tout en conservant un arc de crise très important. Ce point mérite un commentaire car comment assurer un engagement quasiment de même niveau avec presque deux fois moins d’hommes ?

Votre projet est de passer d’une armée virtuelle à une armée réelle. En réduisant notre capacité de déploiement de 50 000 à 30 000 hommes, nous ne ferions que passer, en réalité, de 30 000 à 30 000 hommes, puisque les 20 000 hommes restants étaient virtuels. Je crois qu’il faut le dire et entrer dans le détail de l’explication.

Mon dernier point a trait aux OPEX dans la réforme des institutions. C’est une bonne chose que l’information puisse être donnée dans les deux ou trois jours suivant le commencement d’une opération extérieure. Mais il est bon, également, que cette information ne soit pas suivie d’un vote, car cela reviendrait à discuter et à voter dans une ambiance très tendue, puisque la crise ne fera que commencer. Un tel vote serait une erreur du même ordre que celle qui consisterait à légiférer au lendemain d’un fait divers dramatique. Nous ne devons donc pas entrer dans une telle logique.

Par ailleurs, chacun doit s’efforcer de ne pas verser dans la pensée unique ou les banalités. Une OPEX exige une part de secret : on ne peut pas tout en révéler, notamment ce qui concerne ses conditions de réalisation. Dans le secteur de la défense nationale, faut-il le rappeler ? la mort de citoyens français est toujours possible. C’est pourquoi la notion de transparence, aussi sympathique soit-elle dans d’autres domaines, n’est pas appropriée à une discussion sur une OPEX. Une plus grande transparence est assurément nécessaire, mais elle ne doit pas conduire à la démagogie.

Quant à la question de la date du vote, abordée par le président Poniatowski, celui-ci interviendrait, dit-on, quatre mois après le commencement d’une OPEX. Pourquoi pas cinq ou trois ? Cela n’a aucun sens ! Ce qui en aurait, au contraire, ce serait que le vote sur l’OPEX ait lieu au moment de l’adoption du budget de l’État : c’est devant l’opinion publique que les parlementaires choisiraient alors de soutenir ou de ne pas soutenir une OPEX. Il y aurait deux discussions en une seule : celle de l’opportunité de l’intervention extérieure et celle de son surcoût prévisible, et en votant sur l’opération extérieure, on voterait également sur le surcoût. Il s’agirait de décider si on est prêt à envoyer des hommes dans tel endroit pour y effectuer telle mission en sachant que le surcoût pour le contribuable s’élèverait à tant de millions d’euros. Tel est le vrai sujet de discussion.

Je suis ainsi favorable à ce que le vote sur l’OPEX et donc la prise de décision, intervienne au moment de l’adoption du budget, parce l’examen de celui-ci permet l’émergence d’un vrai débat démocratique fondé sur des données accessibles à tous. Les acteurs oublient souvent en effet, au moment de la décision, les aspects financiers des OPEX alors que ceux–ci sont d’autant moins négligeables que nous serons dans l’impossibilité de mener certaines actions, non pas pour des raisons de politique étrangère ou d’opportunité, mais de moyens. Une telle discussion permettrait dès lors au ministère de la défense de regagner en légitimité.

Imaginons en effet qu’une OPEX, indispensable aux yeux de tous les parlementaires comme de l’ensemble de nos concitoyens, se révèle impossible à mener pour des raisons de moyens : au cours de l’examen du budget de la défense, des arguments forts pourraient être invoqués pour que ce dernier ne soit plus systématiquement rogné afin de résoudre in extremis les problèmes budgétaires. Je le répète : cette procédure permettrait au budget de votre ministère de recouvrer sa légitimité, une légitimité qu’il mérite.

M. le ministre de la défense. Que n’étiez-vous dans l’hémicycle, monsieur Boucheron, lors du débat sur la réforme des institutions, pour expliquer à vos collègues du groupe socialiste votre position concernant le vote d’une OPEX ! Nous n’avons en effet rien dit d’autre que ce que vous venez d’exprimer. Pour partisan que l’on soit de la transparence, il est des circonstances où elle ne peut être exigée. Lorsque vous débutez une opération, la réaction de ceux que vous avez en face ne sera pas la même s’ils connaissent exactement les forces engagées et les éléments de soutien. Si, lors de l’opération Kolwezi, il avait été su que les paras ne pouvaient compter sur aucun soutien, il n’aurait peut-être pas été possible de sauver l’ensemble de nos compatriotes.

Quelle que soit l’opération, il est des éléments qui ne peuvent être communiqués ou à tout le moins dans des conditions qui garantissent à la fois la protection de nos forces et celle des personnes à secourir. Je suis donc d’accord avec vous : un vote immédiat n’a pas de sens.

Quant à savoir si le vote doit intervenir quatre, cinq ou six mois après le début de l’opération, encore faut-il d’abord s’entendre sur le début du décompte. Est-ce le jour où sont conduites sur le terrain des forces précurseurs – des forces spéciales, par exemple –, celui où commence réellement l’opération avec l’installation de la logistique ou encore celui où l’on considère la capacité opérationnelle – initiale ou totale – atteinte ? En tout cas, votre intervention, monsieur le rapporteur, me fournit des arguments pour le débat qui va débuter cet après-midi au Sénat et où je vais devoir affronter sur ce sujet des amendements du groupe auquel vous appartenez à l’Assemblée.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur pour avis. Nous sommes très divers, monsieur le ministre !

M. Jacques Myard. Il n’y a pas que vous !

M. le ministre de la défense. J’ai eu l’occasion de débattre de cette question avec le président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Il a été décidé que le vote aurait lieu au bout de quatre mois, mais l’important est qu’il intervienne à un moment pertinent et pour des opérations d’importance. Il paraît difficile de réunir le Parlement pour des opérations du type Libéria où n’est engagé qu’un gendarme ou encore du type Haïti ou Sinaï – depuis 1980 dans le dernier cas – qui ne mobilisent que quelques hommes. Votre proposition de faire coïncider ce vote avec celui du budget général répondrait aux préoccupations exprimées par le président de votre commission et donnerait à ce vote tout son sens.

Je prends donc l’engagement de faire, à partir de 2009, une présentation la plus transparente possible de chaque opération, y compris de son coût, et de prévoir un débat spécifique au moment du budget. Une telle procédure évitera les votes à répétition qui risqueraient de devenir des exercices formels n’intéressant plus personne et qui se termineraient par des discours devant un hémicycle vide. Je ne sais comment elle peut être mise en place sur le plan pratique, mais il doit être possible de donner ainsi un sens au débat.

Le principe posé dans le Livre blanc, monsieur le vice-président de la commission de la défense, est que les OPEX doivent être financées et provisionnées en totalité dans la loi de finances initiale. J’espère que ce principe pourra être appliqué, sachant qu’un effort important a déjà été réalisé. En 1998, par exemple – la date étant choisie au hasard –…

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Dix ans, c’est une bonne référence. (Sourires.)

M. le ministre de la défense. …aucune provision n’existait et aucun crédit supplémentaire ne pouvait être ouvert. Il en a été ainsi jusqu’en 2002. Les lois de finances rectificatives ont, ensuite, permis de compléter les crédits, notamment en 2003 et 2004. De 2005 à 2008, on a assisté à une montée en puissance de la provision, qui est passée de 100 millions à 475 millions d’euros. Il n’y a pas eu de crédits complémentaires en 2008, compte tenu de la nécessité de contraindre le déficit budgétaire.

Les coûts des opérations principales, en arrondissant au million d’euros, sont les suivants : 7,5 millions d’euros pour l’opération Astrée en Bosnie et Croatie ; 103 millions d’euros pour l’opération Kosovo ; 115 millions d’euros pour l’opération Licorne ; 250 millions d’euros pour les opérations Héraclès et Pamir en Afghanistan ; 107 millions d’euros pour l’opération Épervier et 140 millions d’euros pour l’opération EUFOR au Tchad ; 80 millions d’euros au titre du Liban, le reste des opérations représentant 70 millions d’euros, soit un total, pour l’année 2008, de 880 millions d’euros pour les opérations majeures – chiffre qui devrait atteindre l’année prochaine, compte tenu des engagements pris par la France, 1 milliard d’euros environ.

À l’heure actuelle, monsieur le rapporteur spécial, 11 500 hommes sont engagés en opérations extérieures. Le surcoût des OPEX pour l’année 2007 a été couvert, pour partie, par une provision de 475 millions d’euros inscrite dans la loi de finances initiale. Comme je l’ai déjà indiqué, cette provision est en progression constante, et nous espérons qu’elle atteindra 500 ou 550 millions d’euros en 2009. Une somme de 7 millions d’euros a été prise au titre II, sous enveloppe, par le programme 152. Un décret d’avances de 275 millions d’euros a été ouvert qui ponctionne directement les crédits d’équipement. De même, un montant de 14 millions d’euros a été couvert par le remboursement de l’ONU dont vous avez parlé. En résumé, ce sont environ 290 millions d’euros qui ont été prélevés sur l’effort d’équipement global de la défense.

Le rapport comptable doit faire l’objet d’une reventilation pour mieux identifier la part des crédits affectés aux OPEX. Pour l’instant, Bercy s’oppose à toute modification des imputations. Nous aurons donc besoin du poids du Parlement et de ses rapporteurs spéciaux pour améliorer la lisibilité des comptes.

Les facteurs les plus importants de surcoût tiennent à la nature et à la composition du détachement projeté, à la nature et au volume des matériels majeurs et au niveau des rémunérations des personnels. Un détachement air coûte plus cher, par exemple, qu’une unité de combat de l’armée de terre. La situation familiale du personnel entre également en ligne de compte, ainsi que le lieu de déploiement. Si des infrastructures existent, le coût est bien moindre que s’il faut en bâtir, comme pour l’opération EUFOR au Tchad. Le type de transport retenu compte aussi.

Tout dépend également de l’urgence de l’opération. Si l’on a le temps, on peut utiliser nos moyens de transport, en interne. De même, il faut prendre en compte la prise en charge ou non d’une partie de l’opération, notamment de soutien, au titre de l’Alliance atlantique ou de l’Union européenne.

Lors de la présidence française de cette dernière, nous proposerons que les règles de financement commun soient les mêmes pour l’Alliance atlantique et pour l’Union européenne, les premières étant plus favorables que les secondes. À ceux qui s’opposeraient à l’évolution des règles de l’Union, il sera alors facile de demander pourquoi ils n’adopteraient celles qu’ils jugent valables pour l’OTAN.

De 2002 à 2007, Michèle Alliot-Marie a engagé un énorme effort en matière de maintien en condition opérationnelle – MCO –, faisant passer les crédits de celui-ci de 2 milliards à 3,5 milliards d’euros. Cet effort budgétaire colossal a permis d’améliorer la disponibilité opérationnelle du matériel qui était tombée à un niveau très bas. Cependant, du fait, à la fois de l’usure de certains matériels et de l’utilisation intensive de certains autres, la disponibilité opérationnelle – je ne vous le cache pas –retombe à nouveau. Les hélicoptères Puma, les Transall et nombre de blindés légers sont usés jusqu’à la corde et ont besoin d’être remplacés par une nouvelle génération. Dieu merci, ces matériels commencent à arriver dans les forces. Pour autant, tout n'est pas réglé, car les matériels nouveaux coûtent en général beaucoup plus cher en MCO que les matériels anciens. Le coût horaire d’utilisation d’un hélicoptère Tigre, par exemple, est de 8 000 euros de l’heure, contre 800 pour un hélicoptère Gazelle. Bien sûr, cela revient à comparer une Porsche avec une 2 CV tant les capacités opérationnelles des deux hélicoptères sont différentes, mais la différence de coût d’utilisation est aussi grande.

C’est pourquoi, dans le cadre de la réforme du ministère et de la création du comité ministériel d’investissement, je ne signerai dorénavant aucun programme d’investissement s’il n’est pas accompagné d’une analyse du risque, permettant de s’assurer qu’il n’y aura pas de dépassement considérable du coût du programme. En outre, tout programme d’investissement devra comporter une estimation des frais d’utilisation et, autant que faire se peut, du coût de déconstruction du programme. Enfin, chaque analyse d’investissement devra intégrer deux facteurs majeurs : d’une part, l’exportabilité du matériel –il n'est pas normal qu’il faille attendre l’avis de la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre, ou CIEEMG, pour devoir modifier le matériel à exporter – et, d’autre part, le niveau technologique : est-il nécessaire, par exemple, qu’un hélicoptère comme le Tigre vole sur le dos ?

Nous sommes donc, pour résumer, à la limite, concernant la disponibilité de certains équipements.

Le retard de livraison de l’A400M n’est pas dû, pour une fois, à des problèmes budgétaires, mais à des difficultés techniques. Louis Gallois, que j’ai rencontré lundi, a bon espoir que le premier vol intervienne bien avant la fin de l’été, la fin de l’été étant – a-t-il ajouté – le 21 septembre. Le retard de l’arrivée de l’A400M dans les forces devrait toujours être d’un an.

À force de pugnacité, je suis parvenu à ce que les Français, les Britanniques et les Allemands élaborent un MCO commun de base concernant l’A400M et non pas trois MCO différents. Ce MCO sera totalement commun avec les Britanniques, mais pas complètement avec les Allemands, ceux-ci préférant, pour l’instant, travailler avec la Lufthansa.

Il faut attendre que l’appareil soit en service pour pouvoir analyser clairement la manière dont nous allons nous organiser. Mais, sur le cœur commun de l’appareil et les pièces de haute valeur ajoutée, nous allons rester ensemble, ce qui veut dire que, sur les trente ou quarante années de son existence, l’avion sera commun, contrairement au Transall dont la version allemande n’a de commun avec la version française que la carlingue.

L'opération EUFOR Tchad/RCA atteindra sa capacité opérationnelle finale vers la mi-juillet, après avoir atteint sa capacité opérationnelle initiale fin mai. Près de 3 000 hommes sont, aujourd’hui, sur le terrain. Ce nombre devrait monter jusqu’à 4 000. La Russie devrait mettre quatre hélicoptères lourds à la disposition de la force européenne à partir du mois d’août.

Je rappelle que l’EUFOR a pour mission d’assurer la protection des réfugiés et des déplacés, mais n’est en aucun cas chargée de s’interposer entre les forces rebelles et les forces de l’armée régulière tchadienne, ni de contrôler la frontière. Si l’EUFOR a été conduite à riposter à la suite d’une accroche, c’est parce que les rebelles eux-mêmes ne savaient pas que c’était la force européenne qui était en face d’eux – ce qu’ils ont, paraît-il, regretté.

Le ministère de la défense, monsieur Grall, est le seul ministère où la totalité des crédits de la loi de finances initiale a été consommée, réserves de précaution incluses. Quand vous parlez de consommation à 86 %, vous intégrez en fait les crédits de report que nous n’avons pas été autorisés à consommer et qui représentent 1,5 ou 1,6 milliard d’euros.

Les intérêts moratoires ont baissé de 35 millions à 29 millions d’euros.

Les bonifications d’activité considérées dans leur totalité – bénéfices de campagne, bonifications pour services aériens, etc. – représentent, chaque année, environ 850 millions d’euros, soit 12,4 % des pensions des ayants droit, et un milliard d’euros en comptant les ayants cause, c’est-à-dire 12 % des pensions versées. Ces bonifications représentent 9 % des annuités retenues des nouveaux entrants contre 15 % pour le stock. Selon les actuaires, le coût relatif des bonifications devrait baisser au cours des trente prochaines années d’au moins 15,76 %. Le scénario central avec un gain d’espérance de vie de 3,2 ans et 10 900 départs en retraite en moyenne laisse espérer, en effet, une baisse de 26,47 % du coût.

Je vous prie d’excuser pour le retard avec lequel le rapport annuel de performances vous est parvenu. Mais je me dois de préciser que nous l’avions adressé en temps et en heure à Bercy qui a tardé à vous le transmettre, sans d’ailleurs apporter la moindre modification.

Accordez-nous, monsieur Grall, deux ou trois mois de plus pour présenter les futurs équipements et la loi de programmation militaire. Les priorités porteront sur le NH 90, qui rencontre un très vif succès à l’exportation, sur l’A400M, dès qu’il sera prêt, et sur le VBCI, avec la nécessité d’améliorer en permanence la protection et la sécurité de nos troupes ainsi que cela a commencé avec le programme d'urgence opérationnelle, ou crash program. D’autres programmes seront poursuivis, comme le Rafale.

Les engagements pris devant les responsables militaires mardi dernier par le Président de la République font de la défense une priorité nationale. Il est, en effet, prévu, d’une part, que la bosse de 3 ou 3,5 milliards d’euros sur les années 2009, 2010 et 2011 soit financée par des mesures extra-budgétaires exceptionnelles et, d’autre part, que la totalité des économies que nous réaliserons sera conservée par nous, ce qui nous différencie de toutes les autres administrations de la République. Les crédits d’équipement passeront, de ce fait, de 16 milliards à 18 milliards d’euros dans la future loi de programmation militaire.

Le contrat opérationnel qui prévoyait que l’armée de terre dispose de 50 000 hommes, projetables en un an, sur l’arc de crise était physiquement et financièrement irréalisable, comme l’a démontré l’état des lieux auquel j’ai procédé à la demande du Président de la République et du Premier ministre. Il aurait nécessité 5 milliards d’euros supplémentaires en équipement à partir de 2010 ou 2011. Personne ne peut imaginer que la France consacre à l’équipement de ses forces l’équivalent de deux fois les ressources budgétaires annuelles nouvelles liées à la croissance.

Une force de projection pour l’armée de terre de 30 000 hommes en six mois sur un arc de crise allant de l’Atlantique à l’océan Indien est supérieure à tout ce que nous avons fait depuis 1945. Au moment de Suez, nous avons déployé 26 000 hommes. En 1991, lors de la guerre du Golfe, nous avons péniblement projeté 12 000 hommes en Arabie saoudite – alors que l’armée de terre en comptait 300 000 –, et cela en étant obligé de transformer notre porte-avions en porte-camions.

Un excellent rapport rédigé par le président de la commission de la défense de l’époque démontrait, premièrement, notre incapacité à projeter des volumes significatifs en cas de crise grave, deuxièmement, une interopérabilité limitée avec nos alliés, troisièmement, les difficultés pour l’armée de terre de se projeter du fait de la conscription – c’est ce qui a conduit à l’armée mixte suite aux conclusions du Livre blanc en 1994 puis à la professionnalisation en 1996 –, quatrièmement, l’inadéquation de certains équipements : les Jaguar, par exemple, n’étaient pas capables de tirer la nuit et restaient au sol dès que le soleil se couchait.

Aux 30 000 hommes projetables sur l’arc de crise s’ajoutent 5 000 hommes pouvant être déployés sur un théâtre secondaire et 10 000 hommes au titre de la défense du territoire. Si, un jour, la France est obligée de mobiliser 45 000 hommes pour une opération, c’est que la situation sera grave, d’autant qu’aujourd’hui nous n’intervenons jamais seuls : nous le faisons soit en alliance, soit en coalition, et toujours dans le cadre d’une résolution des Nations Unies.

Encore faut-il préciser que ces 45 000 hommes ne concernent que l’armée de terre. Même si notre niveau est équivalent à celui des Britanniques, leurs 40 000 ou 41 000 soldats projetés au plus fort de la guerre en Irak comprenaient également des éléments de l’armée de l’air et de la marine et étaient envoyés sur un temps court. Jamais la France n’a projeté 70 avions de combat sur un théâtre éloigné avec, de plus, une capacité de projection plus courte puisque le Livre blanc assigne un délai de six mois pour la projection des 30 000 hommes.

On peut toujours estimer que l’arc de crise n’est pas assez large. Mais la France ne dispose pas des mêmes moyens que les États-Unis qui représentent, à eux seuls, 50 % de l’effort militaire de la planète. Loin d’y voir un déclassement militaire, il faut au contraire considérer que l’on passe d’un contrat opérationnel virtuel à un contrat opérationnel réel. Le fait que la France conserve le pouvoir d’entrer en premier sur un théâtre de crise majeure lui laisse l’ambition de rester l’une des quatre premières puissances militaires. En tout cas, l’arc de crise recouvre les théâtres de crise majeurs qui peuvent avoir des retentissements directs sur notre propre sécurité.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Concernant le second porte-avions, si la décision est repoussée à trois ou quatre ans du fait d’un problème fondamentalement budgétaire, il n’en reste pas moins que le besoin opérationnel d’un second porte-avions est évident.

Le Président de la République, à plusieurs reprises, a souligné que le coût de l’armée se partageait en 60 % pour les dépenses de fonctionnement et 40 % pour les dépenses d’investissement, alors que le reformatage de l’armée, fondé sur les propositions du Livre blanc et sur ses propres décisions, conduirait à inverser ce ratio.

Vous avez par ailleurs indiqué, monsieur le ministre, que des mesures exceptionnelles étaient prévues pour financer la bosse de 3 milliards au cours des trois prochaines années, ne serait-ce que pour conduire à terme les programmes existants.

Quels sont, dans ce contexte, les éléments d’appréciation pour décider de la construction du second porte-avions ? Le budget envisagé à cinq ou six ans peut-il intégrer son coût prévisible ?

M. Michel Diefenbacher. Monsieur le ministre, j’ai bien entendu, les éléments de réponse que vous avez apportés à Louis Giscard d’Estaing au sujet de la sous-budgétisation des OPEX. Cependant, nous sommes tous convaincus que l’état-major des armées est en mesure de faire, en début d’année, des prévisions plus précises que celles figurant dans la loi de finances initiale. Ce serait intéressant qu’il le fasse, pour une raison de principe, d’abord – les lois de finances se doivent d’être précises et sincères –, pour une raison de gestion budgétaire, ensuite : cela éviterait des suppressions ou des annulations, en cours d’année, de crédits d’équipement.

Ma première question concerne notre dispositif de bases prépositionnées en Afrique. La France a quatre implantations permanentes – Sénégal, Côte d’Ivoire, Gabon et Djibouti –, auxquelles on peut ajouter, bien qu’il ne s’agisse pas d’une base prépositionnée, les effectifs permanents stationnés au Tchad depuis pratiquement vingt-cinq ans. Ce dispositif permet-il, d’un point de vue opérationnel, diplomatique et budgétaire, de faire face aux situations auxquelles nous sommes confrontés ?

Ma deuxième question porte sur la création d’une base française dans les Émirats arabes unis. Quels seront ses missions, ses moyens – en effectif et en matériel –, son coût – en termes de construction et de fonctionnement – et son financement ? Les Émirats semblent demandeurs de cette implantation. Une participation financière de leur part est-elle prévue ? Enfin, quel est le calendrier prévu pour sa réalisation ?

Ma troisième question a trait aux affrontements qui ont eu lieu, voilà quelques jours, entre les forces érythréennes et djiboutiennes. La presse a fait état d’une dizaine de morts et d’une centaine de blessés. Je rappelle que la France a un accord de défense avec Djibouti et 2 900 hommes prépositionnés sur place. Ce dispositif a-t-il été conduit à intervenir ? Pensez-vous qu’il y a un risque d’escalade dans ce pays ?

M. Jean-Claude Viollet. Monsieur le ministre, ma première remarque porte sur le volume et la structure de la dépense concernant les OPEX.

Le coût des OPEX ne cesse d’augmenter. Les opérations en Afghanistan se sont élevées à 184 millions d’euros en 2007 et atteindront probablement 256 millions d’euros en 2008, puisque la présence française est renforcée dans ce pays. Si l’on ne change pas la voilure par rapport aux engagements pris, le coût total des OPEX dépassera le milliard d’euros que vous évoquiez tout à l’heure. Or, la voilure, c’est le volume des dépenses.

Quant à la structure de la dépense, elle repose en grande partie sur le surcoût d’entretien des matériels en opération. Une étude des coûts de possession réels – c’est-à-dire en usage – des matériels se révèle nécessaire. Le coût de maintenance des Leclerc au Liban, par exemple, conduit à s’interroger sur la pertinence du maintien en condition opérationnelle des équipements. Il faut également exiger des engagements de résultat de la part des industriels et faire jouer la compétition dans la conduite des programmes. Il ne s’agit pas de mettre mal les industriels, mais il ne s’agit pas non plus de mettre mal la défense nationale.

Deuxièmement, on parle beaucoup des OPEX, et moins des OPINT – opérations intérieures. Or le Livre blanc porte à la fois sur la défense et sur la sécurité nationale. En cas de menace de notre territoire, de catastrophe naturelle ou de crise sanitaire, le coût de Vigipirate grimperait rapidement, ce qui entraînerait des surcoûts. Comment ceux-ci seraient-ils pris en charge ?

Troisièmement, il convient d’ajouter, aux grands programmes que vous avez cités, les ravitailleurs, matériel essentiel pour la mise en œuvre de toute opération – surtout lorsque l’on parle de deuxième composante aérienne de la force de dissuasion –, et les drones, à propos desquels j’ai pu dire qu’il fallait sortir de l’errance. Plutôt que d’attendre des écrits nombreux sur les drones, le mieux serait de prendre une décision politique, d’autant que l’une des priorités affichées dans le Livre blanc est précisément de développer nos capacités de renseignement, d’observation et d’anticipation.

M. Jacques Myard. La notion de base de défense me paraît pertinente. La défense n’est pas, en effet, un outil de l’aménagement du territoire, même s’il faut prévoir un soutien économique pour les villes qui vont perdre leur régiment. Cela étant, je m’interroge sur la réduction du nombre de régiments, car l’on ne sait pas ce que nous réserve l’avenir. Les bases concernées par le reformatage de l’armée seront-elles complètement abandonnées ou certaines seront-elles mises en quelque sorte sous cocon ?

Deuxièmement, les Anglais venant une fois de plus de nous lâcher pour la construction d’un second porte-avions – puisqu’ils ont ordonnancé, il y a quinze jours, le lancement d’études pour leurs propre porte-avions – il serait judicieux, compte tenu de la hausse continue du prix du pétrole, d’envisager la construction, quand les contraintes budgétaires le permettront, d’un porte-avions nucléaire.

Troisièmement, il est beaucoup question d’externalisation. Or, comme on le constate dans la gestion de nos collectivités territoriales, ce n’est pas la panacée : elle ne s’accompagne pas toujours d’une réduction des coûts tandis qu’elle impose de nombreuses contraintes. Les Anglais ont externalisé leurs médecins militaires. Résultat : ces derniers ne se déplacent pas sur le terrain quand on a besoin d’eux au motif qu’ils sont des civils. Que représente, en pourcentage du PIB, notre effort de défense, hors gendarmerie ? Est-ce 1,6 ou 1,7 %, à comparer avec les 2,1 % consentis par les Britanniques ?

Enfin, sans vouloir m’étendre sur la question de l’OTAN, je trouve idiot que la France s’y rallie. Je conteste la pertinence du syllogisme mis en avant pour expliquer ce ralliement, car si l’on est pour la défense européenne, ce n'est pas parce que ses partenaires, qui eux aussi sont pour la défense européenne, ont aliéné leur liberté dans l’OTAN, qu’il faut pour autant se rallier à l’OTAN pour faire la défense européenne. 

La France n’a pas besoin de l’OTAN. Même si nos officiers peuvent, de temps en temps, avoir un poste de commandement au sein de cette organisation, ils ne feront pas le poids. De plus, les conséquences sont désastreuses sur le plan diplomatique, car cela donne l’image d’une France qui s’aligne sur les Américains, cela au pire moment. Je ne comprends pas la démarche et, vous l’aurez compris, je ne l’approuve pas.

M. le ministre de la défense. Je précise, tout d’abord, que le ratio 60/40 que j’évoque souvent ne concerne pas le budget et les crédits en tant que tels. Il signifie que 60 % des ressources humaines du ministère sont consacrés à l’administration générale et au soutien et 40 % aux forces opérationnelles. Le rapport est inverse au Royaume Uni.

Dans l’idéal, il faut un second porte-avions, cela ne fait aucun doute. Estimée au début à 3 milliards d’euros, sa construction se monterait aujourd’hui à 3,8 milliards d’euros, ce qui, si elle était lancée immédiatement, représenterait des tranches annuelles de 500 millions d’euros, alors que j’ai évoqué la bosse sur les trois prochaines années et les contraintes qui pèsent sur des programmes absolument prioritaires. De plus, nous ne serions pas au rendez-vous de la prochaine IPER prévue en 2015.

Nous avons donc préféré attendre d’avoir passé le gros de la bosse avant de prendre une décision. Se laisser du temps pour réfléchir au contenu du programme permettra cependant d’être au rendez-vous après la deuxième IPER et d’avoir alors constamment un porte-avions à la mer.

On pourrait également envisager de mutualiser, au niveau européen, l’ensemble du groupe aéronaval qui accompagne le porte-avions, et même de prévoir qu’il y ait en permanence à la mer un porte-avions européen – sans qu’il soit question, monsieur Myard, d’un commandement européen.

M. Jacques Myard. À défaut de défense en commun, c’est le déficit en commun !

M. le ministre de la défense. Concernant l’IPER, celle-ci a déjà été réduite, mais si l’on pourra allonger la durée d’utilisation du porte-avions avant sa prochaine immobilisation, l’effort budgétaire nécessaire pour être au rendez-vous de l’IPER de 2015 est en tout état de cause impossible à tenir.

Le Livre blanc prévoit, monsieur Diefenbacher, deux bases majeures, l’une sur la façade atlantique et l’autre sur l’océan Indien, c’est-à-dire à Djibouti, et, éventuellement, une base complémentaire de soutien dans la zone sahélienne. Si vous ajoutez à ces bases prépositionnées, le dispositif Guépard, qui permet, dans les quarante-huit heures, de projeter des troupes par exemple en Afrique, vous voyez que la France dispose de moyens que n’ont pas les autres pays et dont ils ont déjà bénéficié, notamment lors de la crise du Tchad au mois de janvier. C’est grâce aux forces prépositionnées directement à N’Djamena et au dispositif Guépard que nous avons été en mesure de sauver l’ensemble des ressortissants des quarante-neuf pays qui vivaient dans cette ville.

Le projet de création d’une base militaire à Abu Dhabi est l’expression concrète de l’accord de défense signé par la France en 1994 – c’est-à-dire avec l’accord de François Mitterrand et d’Édouard Balladur, alors Premier ministre – avec les Émirats arabes unis. Cette base aura une mission de soutien de l’ensemble des forces situées dans la région. Nous avons, en effet, de très nombreux exercices aériens et maritimes en commun tant avec les Koweitiens, les Saoudiens qu’avec les Émiratis, et nombre de coopérants se trouvent dans les différentes armées.

L’accord de défense, extrêmement liant, qui a été signé, permettra de soutenir nos éléments sur place et de répondre à la volonté du Président de la République d’être présents dans cette zone stratégique et, en particulier, dans un pays qui a décidé d’allier Islam et modernité. Toutes les grandes écoles s’installent en effet à Abu Dhabi et dans les Émirats arabes unis, et le tourisme s’y développe.

L’équipement est financé par les Émirats arabes unis pour un coût de fonctionnement qui s’élèvera entre 15 et 20 millions d’euros par an.

M. Michel Diefenbacher. La base d’Abu Dhabi sera située à 200 ou 250 kilomètres des côtes iraniennes. Le choix du site a-t-il un lien avec le fait que l’Iran apparaît comme l’une des principales menaces pour la défense européenne ?

M. le ministre de la défense. Très honnêtement, non, même s’il est vrai que l’Iran est en face.

L’accord de défense signé avec les Émirats arabes unis – sachant que tout accord pourra faire l’objet d’une information auprès du Parlement lorsque la réforme des institutions aura été adoptée par les trois-cinquièmes du Parlement – est l’accord qui nous lie le plus de tous les accords conclus par la France. La base d’Abu Dhabi a forcément une signification puisqu’elle concentrera des moyens humains et matériels. Mais avec ou sans base, il nous engage dans toute crise éventuelle dans cette partie du monde. Signé après la guerre du Golfe, il nous a permis de prendre une position exceptionnelle dans cette zone et de nouer un partenariat privilégié tant avec le Qatar qu’avec les Émirats arabes unis, qui est un partenariat stratégique majeur qui n'est pas sans conséquences sur toute une série de sujets.

Concernant Djibouti et la crise avec les Érythréens, la France a apporté une aide logistique et un soutien dans le domaine du renseignement, mais n’a pas participé aux combats.

En matière de MCO, j’ajouterai à la réponse que j’ai faite à Louis Giscard d’Estaing qu’il nous faut encore améliorer le fonctionnement du système. La création, pour l’aéronautique, de la SIMMAD – structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense – et du SIAE – service industriel de l'aéronautique –, celle des mêmes services pour l’ensemble des matériels de l’armée de terre, et celle du SSF – service de soutien de la flotte – pour la marine, service qui est une vraie réussite puisque la disponibilité opérationnelle des bâtiments s’est améliorée de façon considérable, devrait nous permettre de parvenir à des niveaux de performance meilleurs.

Les OPINT coûtent 20 millions d’euros par an. Elles ne sont en rien comparables aux OPEX ne serait-ce que parce qu’elles ne donnent lieu, par exemple, ni à bonification ni à augmentation de rémunération. Elles font partie du métier, puisqu’elles consistent à être présent dans des zones où peut exister une menace liée au terrorisme.

Concernant les drones, j’ai demandé une analyse précise du coût du programme de drone de renseignement Advanced UAV, car si l’on a besoin d’un drone, encore faut-il disposer d’une analyse des risques. En accord avec nos amis allemands et espagnols, personne ne prendra de décision d’ici au mois de septembre ou octobre, sachant que d’autres solutions sont proposées par les industriels.

Quant à notre flotte de ravitailleurs, elle a besoin d’être renouvelée. Aucune décision n’a encore été prise, mais il y a de fortes chances que soit retenu le programme MRTT – multi-role transport tanker – qui gagne tous les marchés à travers le monde. Nous examinons les moyens de mettre en place un partenariat public-privé.

En mutualisant tous les services qui peuvent l’être – ressources humaines, finances, alimentation, habillement – les bases de défense permettront de réduire le rapport entre administration centrale et soutien, et forces opérationnelles. Elles assureront l’administration générale et le soutien commun de toutes les formations implantées dans un rayon de trente kilomètres

Il va de soi que le désengagement sera total s’agissant des garnisons quittées. Pour autant, la France conservera la capacité de remonter en puissance autant que nécessaire si une crise majeure survenait, car elle en aura le potentiel, avec son industrie de défense et sa capacité à répondre à la totalité du spectre des opérations.

En tout cas, l’immobilier abandonné sera vendu. Nous réfléchissons d’ailleurs à un montage financier nous permettant de bénéficier du fruit de la vente avant la réalisation de celle-ci.

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur spécial. Je précise, à l’intention du président Poniatowski, que la commission des finances avait demandé que le tableau détaillant le financement des OPEX lui soit communiqué. Une information à ce sujet figure donc dans le rapport spécial de la commission des finances.

M. Axel Poniatowski, président de la commission des affaires étrangères. Les chiffres diffèrent parfois.

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur spécial., C’est exact. C’est un problème auquel nous devrons travailler.

Par ailleurs, le débat budgétaire ne permettant pas d’entrer dans le détail de ces chiffres, ce qu’autorisent au contraire les programmes et les missions au sens de la LOLF, il serait opportun, si la décision était prise de débattre du financement des OPEX au moment du débat budgétaire, de créer un cadre spécial à cet effet.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. À moins de proposer, ce qui pourrait se faire, un amendement de réduction de crédits pour provoquer le débat.

M. Louis Giscard d'Estaing, rapporteur spécial. Nous ne disposons pas nécessairement de l’information au moment du débat budgétaire car le RAP est généralement publié après.

M. le ministre de la défense. Je m’engage à ce que vous disposiez au moment de la discussion budgétaire, en octobre, d’une situation analytique précise de chaque opération extérieure et de son coût. Il s’agira bien entendu d’indications prévisionnelles, mais elles seront fondées sur l’état de nos connaissances d’alors.

Je ne suis pas non plus, monsieur Myard, un chantre de l’externalisation. Cela étant, elle peut être intéressante dans certains cas. Il convient tout au moins de procéder à une analyse objective, sereine et non idéologique de la question.

Il ne serait pas particulièrement idiot, par exemple d’externaliser l’habillement de nos troupes, en fixant des objectifs précis aux entreprises en termes de qualité ou de délai de livraison. Il faut qu’enfin nos troupes disposent, en temps et en heure, des équipements dont elles ont besoin. Je préférerais d’ailleurs que l’on passe d’une gestion des stocks à une gestion des flux, avec des obligations de résultat.

En dehors des OPEX où l’alimentation doit être maintenue en interne, je ne vois pas non plus pourquoi elle devrait continuer à l’être dans des services qui ne seront jamais projetés.

Parmi les personnels civils de la défense, qui ont un vrai attachement à la communauté à laquelle ils appartiennent, certains sont malheureux de ne jamais pouvoir participer aux opérations extérieures. Aussi je réfléchis à une modification du dispositif juridique des réserves afin d’autoriser certains civils, « militarisés » pour le temps d’une opération, puissent accompagner les forces.

La part consacrée par les Britanniques à la défense est plus importante que la nôtre. Cependant, une analyse plus fine montre que les crédits d’équipement se valent à quelques centaines de millions près. Les Britanniques consacrent beaucoup plus d’argent que nous aux rémunérations, car le niveau de vie est plus élevé en Grande Bretagne qu’en France. De même, les dépenses de fonctionnement sont également plus élevées, en dépit de nombreuses externalisations.

S’agissant de l’OTAN, je ne vais peut-être pas ouvrir le débat.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Nous nous écarterions sensiblement du projet de loi de règlement...

M. Jacques Myard. J’ai tenu simplement à faire part de mon opinion sur ce point. Le débat ne fait que commencer.

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Nous connaissons bien les positions respectives des uns et des autres.

M. le ministre de la défense. Permettez-moi simplement de vous faire remarquer, monsieur Myard, que l’OTAN d’aujourd’hui n’est pas celui de 1966.

M. Jacques Myard. Nous sommes bien d’accord. C’est pourquoi il ne sert à rien.

M. le ministre de la défense. Vous ne pouvez pas reprocher à l’Alliance atlantique d’être trop américaine…

M. Jacques Myard. Le problème n’est pas là !

M. le ministre de la défense. …si vous ne vous impliquez pas pour faire en sorte que l’Europe de la défense évolue.

M. Jacques Myard. Aujourd'hui, nous avons tous les avantages de l’Alliance sans en avoir les inconvénients. Gardons les avantages et laissons les inconvénients aux Américains !

M. Didier Migaud, président de la commission des finances, de l’économie générale et du plan. Vous n’arriverez pas à convaincre M. Myard, monsieur le ministre.

Il me reste à remercier chacun d’avoir participé à cette réunion de travail.

La séance est levée.

(La réunion de la commission élargie s’achève à douze heures trente-cinq.)