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Edition J.O. - débats de la séance
Articles, amendements, annexes

Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2009-2010

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du mercredi 26 mai 2010

Deuxième séance du mercredi 26 mai 2010

Présidence de M. Marc Le Fur,
vice-président

M. le président . La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

Réforme des collectivités territoriales

Suite de la discussion d’un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, de réforme des collectivités territoriales (n os 2280, 2516, 2459, 2510).

Le temps de parole restant pour la discussion de ce texte est le suivant : quatorze heures pour le groupe UMP ; dix-sept heures quarante-quatre minutes pour le groupe SRC ; six heures quarante minutes pour le groupe GDR ; cinq heures cinquante-neuf minutes pour le groupe Nouveau Centre ; une heure et quatre minutes pour les députés non-inscrits.

Discussion générale (suite)

M. le président. Cet après-midi, l’Assemblée a continué d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Olivier Dussopt.

M. Olivier Dussopt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales, monsieur le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, mes chers collègues de l’opposition, mon cher collègue de la majorité (Rires)

M. Jacques Pélissard. Merci !

M. Olivier Dussopt. …nous sommes réunis depuis quelques heures – et pour quelques jours encore – autour du projet de loi portant réforme des collectivités territoriales.

Mes collègues l’ont dit avant moi : je me bornerai donc à souligner combien je suis moi aussi opposé à la création du conseiller territorial. Il nous paraît totalement absurde de prétendre simplifier et rendre notre système plus lisible en confiant au même individu la responsabilité de deux collectivités, sur la base d’une circonscription territoriale qui sera souvent à la fois trop grande pour garantir la proximité et trop réduite pour permettre à la région la possibilité de définir un vrai projet politique.

Les articles consacrés à l’intercommunalité signent quant à eux le retour en force du pouvoir de l’État au niveau local, avec un renforcement significatif des pouvoirs du préfet aux dépens de la liberté de décision des collectivités et de leurs habitants dans nombre de processus. Là encore, beaucoup de nos collègues s’y sont arrêtés, d’autres y reviendront.

Je souhaiterais pour ma part concentrer mon intervention sur un autre sujet : les articles 35 et suivants, relatifs à la répartition des compétences et à l’encadrement des financements croisés.

Commençons par revenir au point de départ. Nous avons tous en tête les déclarations du Président de la République et du Premier ministre sur l’ambition initiale de cette réforme : il fallait simplifier, adapter et alléger, tout en renforçant la démocratie locale.

Il fallait, disiez-vous, renforcer la démocratie. Entre le rôle du préfet et les tentatives, ou plutôt les tentations, relatives au mode de scrutin, le bilan est clair : c’est un échec.

Il fallait aussi alléger. Là aussi le bilan est clair. La création de la métropole, du pôle métropolitain et des communes nouvelles ne fait qu’ajouter des couches au mille-feuille – malgré le mauvais sort réservé au « pays », victime expiatoire de cette réforme.

Il fallait aussi simplifier, pour que nos concitoyens soient mieux au fait des responsabilités de chacune des collectivités, mieux répartir les compétences, simplifier les montages financiers, mieux identifier le niveau de responsabilité. Tels étaient en tout cas les objectifs affichés.

Avant d’aller plus loin, je m’arrêterai sur un point de méthode. En effet, monsieur le secrétaire d’État, vous avez fait le choix d’avancer sur cette question des compétences et de leur financement par voie d’amendements.

Si l’adoption en commission de l’amendement n° 635 du Gouvernement sur le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours des conseillers territoriaux a sonné comme une trahison de la parole donnée aux formations centristes du Sénat, le choix d’un amendement sur la répartition des compétences sonne comme un désaveu du Sénat tout entier. En effet, ce sont les sénateurs qui avaient introduit cet article renvoyant à une loi ultérieure cette question ; le Gouvernement et le rapporteur font aujourd’hui le choix de rendre cet article normatif et donc de renoncer à ce projet de loi ultérieur.

C’est votre choix mais je crains qu’il ne soit pas le plus opportun. Il témoigne d’un manque de considération pour le travail du Sénat mais surtout, comme d’ailleurs pour le mode de scrutin, il est très inhabituel de traiter un tel sujet par voie d’amendement.

M. Bernard Derosier. Très bien !

M. Olivier Dussopt. C’est par amendement à l’article 35 que vous avez limité l’exercice de la clause de compétence générale aux seuls domaines que la loi n’attribue pas de manière explicite, en renvoyant par ailleurs à la notion d’intérêt régional ou d’intérêt départemental pour définir des possibilités d’inter vention lorsque le domaine concerné n’est pas attribué exclusivement par la loi à une collectivité. Cet amendement prévoit aussi que la loi partage l’exercice de la compétence pour un certain nombre de domaines, et ce « de manière exceptionnelle ». L’article 35 bis confirme cette possibilité de partage de compétences en autorisant l’élaboration de schémas d’organisation des compétences et de mutualisation des services entre régions et départements.

À la seule lecture de cet article 35, le risque de confusion apparaît et cet amendement semble avant tout une forme de compromis trouvée pour ne pas abandonner l’idée d’un partage des compétences tout en s’épargnant – comme vous l’avez dit vous-même en commission, monsieur le secrétaire d’État – un débat « long et difficile » à l’occasion d’un prochain projet de loi, dont on comprend dès lors qu’il est abandonné. L’objectif de simplification et de lisibilité que j’évoquais tout à l’heure est donc d’ores et déjà bien compromis.

Néanmoins, il faut noter que les communes conservent la compétence générale sur leur territoire, même si nous aurons l’occasion de montrer que d’autres dispositions, présentes dans ce texte ou ailleurs auront pour conséquence d’en limiter les possibilités d’exercice.

M. Henri Emmanuelli. Ralentissez ! Ils ne comprennent pas tout.

M. Olivier Dussopt. Je souhaite aussi dire mon interrogation quant à l’alinéa 14 de cet article 35 qui précise que « les compétences en matière de patrimoine, de création artistique et de sport sont partagées entre les communes, les départements et les régions. »

Nous l’avons tous dit : si nous sommes soulagés que les collectivités puissent continuer d’intervenir dans ces domaines, nous avons quelques sujets d’interrogation.

D’abord, je pense qu’il aurait été préférable de parler de culture plutôt que de création artistique, mais un amendement de mon collègue Philippe Duron nous donnera la possibilité de corriger cette erreur.

Ensuite, je ne comprends pas que l’État n’apparaisse pas dans la liste des acteurs publics concernés par l’exercice des ces compétences : le texte fixe aujourd’hui cette compétence comme partagée entre les communes, les départements et les régions.

Enfin, cet alinéa nous amène à considérer la culture, le sport et le patrimoine comme de nouvelles compétences transférées aux collectivités que je viens de citer, alors même qu’aucun dispositif de compensation n’est prévu et qu’aucune loi de dévolution n’a jamais été évoquée en la matière.

Je suis donc partagé : si cet alinéa 14 provoque un certain soulagement du monde associatif, sportif ou culturel, nous sommes quelque peu inquiets de la portée qu’il peut avoir en termes de compensations financières ou de transferts de compétences.

Les articles 35 et 35  bis sont suivis d’articles additionnels adoptés par la commission des lois qui encadrent les conditions de financement de ces compétences nouvellement partagées.

L’honnêteté intellectuelle oblige à souligner qu’il y a là une double cohérence. La première est que dès lors que l’article 35 a été doté d’un caractère normatif, il est logique d’organiser les conditions de financement des compétences ainsi partagées. La deuxième est que, tout à votre obsession de limiter les moyens dont disposent les collectivités pour exercer leurs compétences, vous avez su être plus clairs sur la question du financement que sur celle du partage effectif et lisible des compétences exercées par les collectivités.

Les articles 35  ter et 35  quater fixent les règles encadrant les montages financiers mis en place par les collectivités maîtres d’ouvrage. C’est avec ces deux articles qu’apparaît en réalité un nouveau garrot pour les collectivités territoriales, un nouveau frein mis à leur action.

En effet, le texte adopté par la commission prévoit que les collectivités maîtres d’ouvrage apportent un financement significatif au projet ; pour la première fois, cette part significative est fixée par la loi suivant des règles démographiques : 20 % pour les communes de moins de 2 000 habitants et les groupements de communes de moins de 20 000 habitants, 30 % pour les communes de plus de 2 000 habitants et les groupements de communes de plus de 20 000 habitants, 50 % pour les communes et les groupements de communes de plus de 50 000 habitants, ainsi que pour les départements et les régions.

Enfin, le texte prévoit une dérogation avec un niveau de financement de 20 % par la collectivité maître d’ouvrage pour les opérations de rénovation urbaine ou encore la rénovation de monuments classés. Sur ce dernier point, je dois aussi vous dire notre surprise : il s’agit là d’une compétence d’État – à moins que l’alinéa 14 de l’article 35 déjà évoqué ne trouve ici tout son sens.

Cet amendement, qui encadre les financements et qui fixe le montant minimal de contribution de chacune des collectivités, est surprenant à plusieurs titres.

D’abord, il n’est pas conforme aux déclarations du ministre de l’aménagement du territoire en commission des lois : il avait déclaré, le 12 mai dernier, vouloir s’en tenir au décret du 16 décembre 1999, modifié en mai 2005, qui plafonne le niveau cumulé des interventions à 80 % d’un projet sans fixer de seuils démographiques pour les 20 % restants.

Cette question des seuils démographiques est d’autant plus importante que ce critère ne tient pas compte des caractéristiques des collectivités : nombre de communes de plus de 2 000 habitants ont des fonctions de centres de bassin de vie, et à ce titre des besoins d’équipements plus importants, nécessitant un niveau d’intervention plus élevé.

L’article 35  ter est aussi en rupture avec l’esprit de l’article 72 de la Constitution qui mentionne la « libre administration des collectivités territoriales ». Le deuxième alinéa de cet article précise d’ailleurs que les collectivités font un libre usage de leurs ressources et cela doit, à mon sens, inclure la possibilité d’accorder librement des concours à d’autres collectivités.

Par ailleurs, une autre disposition est inquiétante pour les communes de petite taille : l’article 35  quater interdit à une commune de plus de 3 500 habitants de cumuler une subvention de la région et une subvention du département sur le même projet, sauf s’il s’agit de financer une action inscrite au contrat de projet État-région ou dont la maîtrise d’ouvrage relève de l’État. Il est assez savoureux de noter que si les communes se voient interdire de bénéficier du soutien cumulé de la région et du département, l’État inscrit dans le même temps dans la loi une pratique qui lui est habituelle, consistant à mettre à contribution ces deux collectivités pour ses propres projets.

L’article 35  quater est aussi particulièrement inquiétant car les travaux de l’Association des petites villes de France, qui regroupe plus de 1 000 communes comptant entre 3 500 et 20 000 habitants, montrent la disparité des besoins d’équipements et de services des collectivités de cette strate démogra phique. Une ville de 10 000 ou de 15 000 habitants n’a pas les mêmes besoins, pas les mêmes équipements sportifs et culturels selon qu’elle se situe en périphérie d’une agglomération ou qu’elle est la ville-centre d’une zone rurale. Cette interdiction de cumuler les aides du département et de la région est particulièrement inacceptable dans le second cas.

Ces deux articles 35  ter et 35  quater sont en réalité de véritables verrous mis à l’action des collectivités ; ce sont deux freins à la mise en place de plans de financement permettant la réalisation de projets nécessaires à l’ensemble d’un bassin de vie.

Il apparaît dès lors clairement que cet encadrement et cette limitation des possibilités de partenariats financiers des collectivités poursuivent deux objectifs politiques.

Le premier est d’ordre absolument idéologique. Notre collègue Jean-Pierre Balligand l’a dit : il s’agit, conformément au dogme libéral, de tout mettre en œuvre pour réduire le périmètre de l’intervention publique et anémier les ressources des acteurs publics, afin d’amenuiser leurs actions. Tout se passe comme si le but était d’aller vers des politiques locales low cost , avec la volonté de faire toujours moins, de réduire encore et encore les possibilités d’agir et donc de réparer localement un certain nombre d’injustices.

Le deuxième objectif renvoie à une situation politique plus conjoncturelle : il semblerait que le Gouvernement et sa majorité aient en tête une sorte de revanche sur le choix des urnes. Comme en 2004, lorsque le rôle des régions dans le texte de décentralisation a été modifié et réduit après les élections régionales, la volonté est aujourd’hui d’entraver l’action des régions et des autres collectivités, coupables de ne pas avoir rallié le camp présidentiel.

Ces deux arguments sont généralement repoussés par le Gouvernement dans nos débats, mais ils trouvent tout leur sens lorsqu’on replace l’examen de notre texte dans son contexte.

Monsieur le secrétaire d’État, je disais tout à l’heure au sujet de l’article 35 que la simplification promise et la meilleure lisibilité du partage des compétences n’étaient pas au rendez-vous de la réforme. J’ai parlé de compromis que vous vous seriez imposé pour ne pas abandonner l’idée d’un partage des compétences et en même temps vous épargner un débat long et difficile. Je suis convaincu d’être dans le vrai, mais je suis, dans le même temps, convaincu que la vraie réforme voulue par le Gouvernement et sa majorité n’est pas dans cet article mais ailleurs.

Le semblant de reculade sur la clarification des compétences et la clause de compétence générale est en réalité un rideau de fumée pour moins parler de l’étranglement financier que connaissent les collectivités locales aujourd’hui et que le Président de la République a dit vouloir encore aggraver.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales. 98 milliards d’euros !

M. Henri Emmanuelli. M. Dussopt est le benjamin, il refera ce que vous êtes en train de défaire, monsieur le secrétaire d’État !

M. Olivier Dussopt. Mon collègue Emmanuelli voit loin.

Tout a commencé d’ailleurs par le décor que le Gouvernement a installé pour justifier sa réforme.

Mois après mois, nous avons entendu que les collectivités étaient dépensières, les élus trop nombreux et les citoyens perdus dans les méandres de la politique locale. La communication du Gouvernement fonctionnait à plein et ses relais parlementaires, voire partisans, disaient tous la même chose sans craindre d’être leur propre caricature.

Ils disaient deux choses en réalité. D’une part, ils se posaient comme les pourfendeurs du mille-feuille administratif – il fallait simplifier, supprimer, rationaliser. D’autre part, ils accusaient les élus d’être trop nombreux, trop payés, trop dépensiers. L’évidence s’imposait alors avec la facilité des arguments les plus simplistes mais aussi à l’aide des réflexes les plus populistes à l’égard de la classe politique.

La réalité est tout autre. D’abord, nous l’avons dit, le texte n’est pas à la hauteur des ambitions proclamées. Ensuite, et surtout, la situation des collectivités locales n’est pas celle décrite.

Le Gouvernement a voulu, et veut encore, rendre les collectivités locales coresponsables de la faillite des comptes publics. C’est faux.

Il faut rappeler, et nous le ferons inlassablement, que, contrairement à l’État, les collectivités ne peuvent pas voter de budget en déséquilibre. Il faut rappeler aussi que, lorsque les collectivités empruntent, ce n’est pas pour boucler leur budget de fonctionnement mais pour financer des projets, et qu’ainsi ces emprunts sont gagés sur des investissements, des équipements, des matériels appartenant à tous.

Les collectivités sont bien gérées dans leur immense majorité et les quelques cas qui peuvent poser problème sont traités par les chambres régionales des comptes. Les collectivités non seulement respectent ces principes de bonne gestion mais elles représentent 75 % de l’investissement public et participent grandement, à ce titre, au maintien de l’activité économique dans notre pays.

Il faut rappeler aussi que la dette des collectivités ne représente que 10 % de la dette publique et que l’argument consistant à dire qu’elles sont coresponsables de la faillite des comptes publics ne tient pas.

La vraie réforme des collectivités locales n’est pas forcément dans ce projet de loi, elle est plutôt dans les réformes en cours, plus brutales encore, des moyens dont disposent les collectivités.

Elle est dans la réforme de la taxe professionnelle adoptée à l’occasion de l’examen du budget de 2010 et à propos laquelle les élus locaux sont encore très inquiets, nous l’avons entendu cet après-midi encore.

Elle est dans l’évolution inquiétante des dotations attribuées aux collectivités en compensation des charges transférées, évolution qui se traduit par la quasi-faillite de nombre de conseils généraux de toutes les sensibilités politiques.

Elle aurait pu être, ce n’est malheureusement pas le cas, dans la mise en place d’un vrai système de péréquation horizontale et verticale entre les collectivités territoriales et l’État.

Elle est enfin, et je veux m’arrêter un instant sur ce « coup de grâce » comme l’a qualifié mon collègue Claude Bartolone, dans la réforme brutale et sans aucune concertation des dotations de l’État aux collectivités locales. Je parle là des conclusions de la conférence de la dette publique qui s’est tenue jeudi 20 mai.

Je passe sur la volonté d’inscrire une orientation politique dans la Constitution pour garantir le maintien par le droit d’une politique qui pourrait être sanctionnée par les urnes, et j’en viens aux questions concernant ces dotations.

Le terrain avait été préparé par le rapporteur général du budget et la conférence a confirmé la volonté du Gouvernement de geler, en valeur, les dotations de l’État aux collectivités.

C’est un coup de grâce car cela va se traduire par une baisse de leur capacité à agir alors que les prix augmentent toujours. L’Association des maires de France a bien montré que le coût du « panier du maire » augmentait plus vite que le coût de la vie calculé selon l’indice INSEE. Au-delà de la visée politique visant à espérer, une fois encore, un transfert de l’impôt national vers l’impôt local, il y a là un vrai risque pour les collectivités et pour l’activité économique. À dotations constantes, la capacité à épargner des collectivités sera altérée, c’est une évidence, et avec elle leur capacité à investir.

Pire, nous avons vu apparaître dans les propos et dans le communiqué de la Présidence de la République l’idée de la péréquation mais elle n’est là que pour servir d’alibi et de caution morale à une forme de malthusianisme politique dans le partage d’une enveloppe budgétaire figée. Mieux encore, le Président de la République a évoqué une modulation en fonction de critères de « bonne gestion ». Lorsqu’on connaît son appréciation des compétences pour les nominations à des emplois publics, lorsqu’on connaît sa pratique du pouvoir, qui peut parfois être partisane, il y a tout lieu de s’inquiéter quant à la définition de ces critères de bonne gestion.

Au-delà de ces craintes, il ne faudrait pas que ces critères soient en réalité une façon d’imposer une RGPP locale et généralisée à toutes les collectivités, là encore au mépris de la libre administration.

Je ne peux m’empêcher de revenir à cette idée d’une politique locale low cost , surtout lorsqu’on sait qu’une des contreparties à cette cure d’austérité serait un moratoire pour l’application des normes contraignantes, en matière d’environnement ou d’accessibilité par exemple.

Je vais en terminer, monsieur le secrétaire d’État, en vous faisant part de notre déception. Au-delà de notre opposition au conseiller territorial, au renforcement du rôle du préfet dans un certain nombre de processus et à une forme de recentralisation, à la création de couches administratives supplémentaires avec les métropoles, nous aurions pu espérer que ce texte soit celui d’une vraie clarification des compétences et d’un meilleur aboutissement de la décentralisation. Cela aurait pu être une vraie réforme autour des idées de péréquation, d’autonomie et de libre administration.

Au lieu de cela, nous avons le sentiment d’examiner un texte dont plus personne ne veut vraiment, qu’il faudrait adopter au plus vite mais qui, en même temps, poursuit un double objectif, politique avec une forme de revanche post-électorale, et idéologique avec cette volonté de toujours réduire le périmètre et la qualité de l’intervention publique. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)

M. Bernard Roman. Le secrétaire d’État est inquiet !

M. Bernard Derosier. Il hésite, il pourrait retirer le texte !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Amiable.

Mme Marie-Hélène Amiable. « Françaises, Français, dans ce qui va advenir de la France, jamais la décision de chacune et de chacun de vous n’aura pesé aussi lourd. » Voici comment Charles de Gaulle concluait sa dernière allocution télévisée, le 25 avril 1969, deux jours avant de soumettre au référendum son projet de loi relatif à la création des régions et à la rénovation du Sénat et de remettre dans la foulée son mandat de Président de la République.

Le 8 mars 2008, en marge d’une visite à Cahors, le président Nicolas Sarkozy a lancé l’idée d’une réforme de l’administration territoriale de l’État, réforme qui risque d’engager de la même manière le destin de la France.

Pourtant, il a confié à un groupe d’experts, le comité pour la réforme des collectivités locales, le soin d’effectuer une rapide consultation. Nicolas Sarkozy a aussi choisi d’en soumettre les prolongements, sous forme de sept projets de loi, à la discrète approbation de ses majorités parlementaires dans un triple affichage : simplification, performance, maîtrise des finances locales.

Peu convaincus, 76 % de Français ont estimé la réforme incompréhensible et confuse tandis que 73 % refusent la suppression du département et le transfert de ses compétences à d’autres échelons.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Vous avez lu ces chiffres dans l’ Humanité ?

Mme Marie-Hélène Amiable. Avec eux, les députés communistes, républicains et du parti de gauche entendent fermement combattre cette hydre législative et en particulier la tête centrale qui nous est soumise aujourd’hui sous les dehors apparemment inoffensifs d’un projet de loi dit « de réforme territoriale ».

Puisque nous n’avons pas obtenu pour l’instant le retrait de ce monstre antidémocratique et néolibéral, nous continuons d’exiger qu’il soit soumis à une vaste consultation populaire, c’est-à-dire débattu avec les élus, les agents territoriaux et tous les habitants de nos territoires.

Si les députés communistes, républicains et du parti de gauche s’attachent autant à défendre la consultation des Françaises et des Français sur ce projet de loi de réforme territoriale, c’est notamment parce que son adoption entérinerait un profond recul démocratique.

Tournant le dos à trente ans de décentralisation, dont nous ne pouvons nier le corollaire positif pour la démocratie participative et de proximité, le texte prévoit de diminuer de moitié le nombre des élus locaux et par conséquent de les éloigner du terrain ; il envisage de regrouper de force les collectivités, notamment en donnant aux préfets le pouvoir de rationaliser la carte intercommunale ; il organise, mais de manière plus ou moins assumée, une centralisation des compétences et une confusion dans les prises de décisions, en totale contradiction avec le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

Attaquant de front les départements et les régions, cette réforme porte aussi en germe une profonde remise en cause de la commune, l’échelon territorial pourtant plébiscité par les Français depuis que Mirabeau proposa, en 1789, de transformer en autant de communes les 44 000 paroisses de France.

Et comme si ces dispositions dangereuses ne suffisaient pas, le Gouvernement s’est permis de revoir in extremis le mode de scrutin du conseiller territorial en faisant adopter, en commission des lois de notre assemblée, à l’article 1 er  A du projet de loi, un amendement qui confirme son faible attachement au pluralisme.

Avec le scrutin uninominal majoritaire à deux tours proposé, la majorité compte également faire un sort à la parité, qu’elle a pourtant inscrite elle-même dans la Constitution il y a tout juste deux ans. En mars dernier, l’Observa toire de la parité, placé sous l’autorité du Premier ministre, évaluait ainsi que la réforme aboutirait à ramener à 17,3 % la part des femmes parmi les conseillers territoriaux élus en 2014.

Mme Pascale Crozon. Bien sûr !

Mme Marie-Hélène Amiable. Mais si la majorité présidentielle souhaite en finir avec les 47,7 % de femmes actuellement élues dans nos régions, elle n’est pas à une contradiction près, puisqu’elle se félicite de l’impact sur la parité d’un autre projet de loi, relatif à l’élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des EPCI, qui devrait en effet faire passer de 3 500 à 500 habitants le seuil de population des communes auxquelles serait applicable le scrutin de liste. Ma collègue Jacqueline Fraysse a souligné il y a quelques jours dans notre hémicycle le caractère méprisant de ce procédé consistant à juger que les femmes sont inaptes à participer aux échelons départementaux et régionaux mais aptes à participer aux affaires des villages !

M. Jacques Pélissard. Mais non !

Mme Marie-Hélène Amiable. Attendu par une majorité de Françaises et de Français sur le non-cumul des mandats, le Gouvernement n’a strictement rien proposé de tel.

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Il ne voulait pas abaisser le PS !

Mme Marie-Hélène Amiable. Loin de ces faiblesses et de ces reculs, les députés communistes et républicains défendront plusieurs amendements destinés, au contraire, à garantir pleinement la représentation du peuple, le pluralisme politique et la présence à parité des hommes et des femmes dans les assemblées locales. Ils soutiendront ainsi le scrutin proportionnel, le droit de vote des étrangers non communautaires et la parité intégrale dans ces assemblées.

Outre ces attaques démocratiques, le projet oscille entre réforme d’affichage et attaque profonde contre l’organisation institutionnelle locale dans le but non avoué de libéraliser un peu plus les services actuellement pris en charge par les collectivités.

Dans un big-bang territorial, le Gouvernement propose finalement de rajouter quelques couches au prétendu mille-feuille administratif : métropoles, pôles métropolitains, communes nouvelles, communes déléguées et renforcement des EPCI. Autant de nouveaux échelons qui serviront, sous couvert de rationalisation, à masquer le désengagement, notamment financier, de l’État vis-à-vis des collectivités et à mettre la France au pas pour répondre aux objectifs du capitalisme financier mondialisé. À aucun moment la question de la répartition des richesses ne sera posée.

Car après la réforme fiscale et la suppression de la taxe professionnelle, dont les conséquences seront l’aggravation de l’étranglement financier des collectivités territoriales et un probable report sur les ménages, les inégalités territoriales vont exploser et de nouvelles proches de pauvreté seront créées.

M. Michel Ménard. Eh oui, c’est ça le problème !

Mme Marie-Hélène Amiable. Au lieu d’assumer ses réformes, notamment en organisant une grande réforme de la péréquation qui pourrait en partie les compenser, le Gouvernement choisit de travailler un peu plus au dépérissement des services publics locaux.

Alors qu’il est démontré que les collectivités gèrent avec responsabilité leurs finances – selon les chiffres de l’INSEE, le déficit des administrations publiques locales a diminué en 2009 par rapport à 2008, ce qui a été en partie permis par un paiement plus rapide de la dette de l’État à leur égard –, le Président de la République a récemment poussé un peu plus loin la provocation : le 20 mai, il annonçait le gel de leurs dotations pour les trois ans à venir et proposait d’inscrire l’équilibre des finances publiques dans la Constitution.

L'article 35 du projet de loi revient également sur la clause de compétence générale des départements et des régions qui leur permet actuellement de régler, par leurs délibérations, toutes les affaires qui touchent à leur intérêt territorial, mais également d'agir en coopération avec les communes ou l'État en mobilisant des financements croisés. Seules les communes auront désormais cette possibilité alors qu'elles seront dépecées quant à leurs moyens ! Quel cadeau empoisonné !

Pour aboutir en fin de compte à de petites économies mais à de grands désengagements, le Gouvernement est prêt à tout, même au cynisme suprême : celui de proposer, à l’article 10, l'octroi d'une dotation de fonctionnement majorée pour inciter les communes à fusionner dans des communes nouvelles.

Ces régressions risquent d'achopper très sérieusement sur les articles 72 et 72-2 de la Constitution dont plusieurs principes semblent profondément contredits : le principe de libre administration des collectivités locales, précédemment cité, le principe d'autonomie financière et le principe de subsidiarité. L’article 72 de la Constitution affirme : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon », et ajoute : « Aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre. » L’article 72-2 assure quant à lui : « Tout transfert de compétences entre l'État et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. » Je continuerai, avec les députés communistes, républicains et du parti de gauche, à refuser ces régressions.

Il y a quelques années, les élus communistes et républicains avaient fait valoir leurs propositions pour une VI e  République solidaire et démocratique, et les moyens destinés à provoquer un nouveau souffle démocratique pour la décentralisation.

Pour l'essentiel, ces propositions n'ont pas perdu de leur actualité. Nous continuerons donc de défendre, avec les élus et les citoyens, une réforme des institutions qui vise avant tout à réduire les inégalités territoriales grandissantes, à garantir l'égalité entre les collectivités en leur donnant des moyens financiers et humains pour assumer leurs responsabilités ; une réforme qui fasse vivre la démocratie locale en donnant plus de pouvoir aux citoyens, et qui réponde aux besoins d'une France moderne, à même de relever les défis sociaux, environnementaux et économiques du XXI e  siècle. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Souchet.

M. Dominique Souchet. Ce projet de loi est l'aboutissement d'un cheminement qui semble tout à fait paradoxal.

Il partait de l'idée que notre organisation territoriale est trop complexe : il y ajoute des échelons supplémentaires. Il voulait donner à notre organisation plus d'efficacité : il passe sous silence les principaux facteurs qui l'entravent. Il ne propose de remédier ni aux dérives coûteuses de l'intercommunalité, pourtant mises en évidence par la Cour des comptes, ni aux dérives fiscales des régions, qui jouent désormais à contre-emploi de ce que doit être une collectivité territoriale en s'érigeant en contre-gouvernement. Il ne s'inquiète pas réelle ment de la question pourtant cruciale de la taille critique que nos régions devraient avoir pour assumer avec pertinence les missions structurantes de long terme qui sont les leurs.

En revanche, le projet de loi affaiblit gravement un couple qui a parfaitement fonctionné depuis des décennies, le couple formé par les départements et les communes. Il est curieux qu'une réforme s'attaque à ce qui marche et laisse de côté ce qui marche moins bien. Il est dangereux d'affaiblir les départements et les communes, car ce sont les échelons de la proximité et de la réactivité immédiate.

Or c'est bien ce que fait ce texte, en prévoyant une double amputation des capacités d'action des deux échelons de proximité.

La suppression de la clause de compétence générale des départements et les obstacles mis au cofinancement des projets communaux vont rendre irréalisables nombre d'actions d'intérêt général indispensables à un développement harmonieux de notre territoire, notamment dans le milieu rural, le grand oublié de la réforme.

Pourtant, les exemples abondent qui démontrent que la commune et le département, par-delà le fait qu'ils sont les berceaux géographiques des identités familiales et personnelles des Français, les lieux de leurs attachements vitaux, jouent un rôle irremplaçable dans la vie de nos concitoyens.

Le tragique épisode de la tempête Xynthia constitue un de ces exemples les plus récents et les plus significatifs : les routes ne seraient pas encore réparées, les brèches des digues ne seraient toujours pas colmatées si les communes, épaulées par les départements, n'avaient pas eu les moyens d'agir en extrême urgence, avec réactivité et pertinence. Et ce qui est vrai dans les cas exceptionnels l'est a fortiori dans la vie quotidienne.

Or nous devons bien constater que, malgré les amendements adoptés en commission, l'article 35 du projet de loi tel qu'il nous est soumis aujourd'hui supprime bel et bien la compétence générale des départements.

En ajoutant au premier alinéa de l'article L 3 211-1 du code général des collectivités locales, qui se lit ainsi : « le conseil général règle par ses délibérations les affaires du département », une phrase qui en restreint strictement le champ d'application : « dans les domaines de compétence que la loi lui attribue », cet article 35 impose aux départements une compétence d'attribution ou, en d'autres termes, leur applique le principe de spécialité.

Ce faisant, il fait sortir le département de la catégorie des collectivités locales, caractérisées par le principe de libre administration, pour le faire entrer dans la catégorie des établissements publics, caractérisés par le fait qu’ils ne disposent que de compétences attribuées. Ces dispositions, si elles étaient votées, supprimeraient les départements tels qu'ils existent depuis 1871, pour créer une catégorie que l'on aurait pu croire d'un autre temps : l'établissement public départemental.

C'est un recul des libertés locales et l'effacement de près de cent quarante ans d'histoire de notre droit et de nos institutions. Pourquoi ? Parce que la clause de compétence générale est le fondement juridique de toute liberté locale et, sous un angle pratique, le garant de l'efficacité de l'administration locale.

Rappelons-nous dans quelles circonstances est intervenue la reconnaissance de la clause de compétence générale au bénéfice du département, clause étendue ensuite à la commune en 1884, et à la région en 1985 : elle coïncide avec l'avènement de la démocratie moderne et de la notion de liberté locale, devenue depuis constitutionnelle.

Les presque trente années de décentralisation qui sont derrière nous, avec ses approfondissements successifs jusqu'à ceux opérés par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, ont montré comme le veut l'adage bien connu de notre droit public que l’on n'administre bien que de près. Nul ne peut nier que les services publics locaux se sont améliorés, que les collèges d'aujourd'hui n’ont absolument rien à voir avec ceux d’il y a trente ans, que les collectivités, en apportant des moyens très importants, ont assuré le développement du réseau TGV, des autoroutes, des universités.

Si je peux me référer à mon propre département, c'est grâce à la clause de compétence générale que la Vendée peut avoir aujourd'hui les Vendéopôles, le Vendée Globe, les instituts décentralisés de formation supérieure mis en place avec les filières économiques, autant d'initiatives porteuses d'une forte croissance.

La clause de compétence générale, c'est la liberté, l'innovation, la capacité d'adaptation.

Il est encore temps de prendre conscience des risques que ferait courir sa suppression du patrimoine juridique départemental. Le premier risque est double : c'est celui d'une dévitalisation des zones rurales, des zones insulaires, des zones fragiles, et celui d'une désarticulation entre les territoires dont le département garantit aujourd'hui la cohésion. Il ne faut pas avoir d'yeux que pour les métropoles. La ruralité est aujourd'hui bien vivante et créatrice. L'attachement aux racines est fort : n'oublions pas que la population des communes de moins de 2000 habitants a crû trois fois plus vite que celle des grandes villes entre les deux derniers recensements généraux de 1999 et 2006.

Le second risque est celui de créer une nouvelle catégorie d'élus : les élus irresponsables. Ce risque est directement engendré par une disposition qui vise sans doute à calmer la colère de ceux qui sont attachés à la clause de compétence générale. Elle prévoit, au quatrième alinéa de l'article 35, que le département peut, « par délibération spécialement motivée, se saisir de tout objet d'intérêt départemental pour lequel la loi n'a donné compétence à aucune autre personne publique ».

Cette disposition aboutit en fait à transformer les élus en simples administrateurs.

M. Henri Emmanuelli. En boucheurs de trous !

M. Dominique Souchet. Lorsqu'ils seront saisis d'un problème, les élus ne pourront que dire : « attendez, je vais voir si ce que vous me demandez est dans la liste limitative des compétences que l'on m'a octroyées ». Puis, si ce problème ne s'y trouve pas : « attendez, je vais voir s'il n'est pas dans celle des compétences de telle ou telle autre collectivité, pour savoir si j'ai le droit de vous répondre ».

On aura alors commis une triple faute : on aura éloigné les centres de décision du terrain, on aura paralysé la réactivité des collectivités territoriales face à l'urgence, qui ignore évidemment, quant à elle, le principe de spécialité. Et par-dessus tout, on aura créé des élus qui donneront l'image de l'impuissance publique : il n'y a rien de plus grave.

En supprimant la clause de compétence générale, on instille donc un poison mortel pour la démocratie locale : la dissociation entre le pouvoir et la responsabilité. Cette marge d'initiative prévue par le nouvel article 35 n'équivaut donc nullement à la simplicité et à la souplesse de la clause de compétence générale, et, de plus, elle ne résout rien. Au contraire, elle nous plonge dans l'insécurité juridique la plus totale et ouvre la voie à des risques de paralysie, de discussions sans fin et de contentieux.

D'autre part, cette disposition ne résout rien parce qu'elle ne permet pas à une collectivité de se substituer à une autre qui serait juridiquement compétente mais défaillante, pour de mauvaises raisons, et au détriment de nos concitoyens.

Je citerai encore l'exemple de la tempête Xynthia. Après la tempête, nombre de maîtres d'ouvrage de défense contre la mer n'avaient pas les moyens de faire les travaux d'urgence avant les prochaines grandes marées. L'État impécunieux n'a toujours pas payé, trois mois après, les entreprises réquisitionnées pour faire les travaux. Eh bien, le département a fait les avances, comme il a fait les avances aux agriculteurs dans le plus extrême dénuement, qui ont tout perdu, et qui attendent toujours, trois mois après, que les indemnités de catastrophe naturelle leur soient versées. Si ce que prévoit l'article 35 était aujourd'hui en vigueur, depuis trois mois, ils n'auraient rien, nous n'aurions rien pu faire, parce qu'un autre que nous, plus lointain, plus bureaucratique ou dont les regards sont tournés ailleurs, a la compétence juridique.

De tels risques devraient-ils néanmoins être pris, au motif que la clause de compétence générale serait, comme on l'a parfois prétendu, une source avérée de coûts et d'abus ?

En réalité, la clause de compétence générale a été très largement caricaturée. On l'a, à tort, décrite comme la source d'un enchevêtrement coûteux, comme la capacité laissée à des élus irresponsables de faire tout et n'importe quoi. C'est bien mal connaître la vie locale et le droit qui encadre les décisions des élus.

Chaque décision d'un élu est contrôlée de multiples manières : par les préfets, par les juridictions administratives et judiciaires, par les juridictions financières. Les préfets, par le biais du contrôle de légalité, ont toute latitude pour éviter les abus, et les tribunaux administratifs sanctionnent les décisions des élus qui ne correspondent pas à un intérêt local. Ce que dit le projet de loi est déjà une réalité juridique. La clause de compétence générale est bornée par l'intérêt local comme par le droit.

L'enchevêtrement, quant à lui, est une vue de l'esprit. La jurisprudence du Conseil d'État est claire. La compétence d'une collectivité s'arrête là où commence celle que la loi a clairement dévolue à une autre collectivité. Le département n'a pas le droit de construire des lycées, la région n'a pas le droit de construire des collèges, le département n'a pas le droit de médicaliser à ses frais des maisons de retraite, parce que selon la loi, c'est à l'assurance maladie de le faire. Tout cela, la jurisprudence l'a clairement établi.

Ce qu'il faudrait faire pour être efficace, c'est clarifier les domaines de compétence qui restent encore flous, c'est préciser le niveau d'intervention de chaque collectivité dans tous les secteurs où la compétence doit nécessairement demeurer partagée, dans une double logique de clarification et de subsidiarité, subsidiarité désormais inscrite, je le rappelle, comme un principe de répartition des compétences à l'article 72 de la Constitution.

Pourquoi cet exercice est-il reporté, alors qu'il devrait prendre place dans le cadre du présent projet de loi, dès lors que celui-ci ne traite plus seulement de la création du conseiller territorial, mais aborde la question de la répartition des compétences ? Pourquoi ne le traiter ici que partiellement ? Pourquoi attendre pour supprimer les doublons qui subsistent entre l'État et les collectivités ?

M. le président. Merci de conclure, mon cher collègue.

M. Dominique Souchet. Pourquoi attendre pour réparer certaines erreurs passées du législateur, qui a par exemple créé des réserves naturelles régionales en 2004, alors qu'il y a des espaces naturels sensibles départementaux depuis vingt-cinq ans ? Pourquoi persister à vouloir rendre les directeurs des maisons de retraite schizophrènes, en les obligeant à discuter leur médicalisation avec l'État et tout le reste avec le conseil général ? Pourquoi attendre pour opérer ce travail de rationalisation et de mise en cohérence qui renforcerait utilement la lisibilité et l'efficacité de l'action des collectivités territoriales comme de l'État ?

La voie choisie n'est pas celle-là. C'est au contraire celle d'un double étranglement, juridique et financier, des collectivités de proximité.

Pour les départements, cet étranglement financier a déjà commencé. Pour les communes, il est programmé dans le projet de loi.

La réforme de la taxe professionnelle…

M. le président. Voulez-vous bien conclure, mon cher collègue ?

M. Henri Emmanuelli. Mais il y a un temps global !

M. Dominique Souchet. …a coupé le lien entre le dynamisme économique et les recettes. Par exemple, en récompense des efforts qu’elle a faits depuis vingt ans pour se doter d’un maillage de PME d’une remarquable densité, la Vendée va perdre dès cette année plus de cinq millions d’euros du fait de cette réforme.

L’obligation pour les conseils généraux de financer les trois prestations de solidarité nationale – RSA, APA, PCH – sur la base de critères exclusivement fixés par l’État par une fiscalité propre sur laquelle ils auront perdu en deux ans les trois-quarts de leur liberté d’agir, est en train d’épuiser leur capacité à investir.

Le gel des dotations de l’État aux collectivités, dotations parfois présentées comme un cadeau facultatif,…

M. le président. Je vous remercie. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Philippe Vuilque. Laissez-le terminer ! M. Souchet parle sur leur temps global !

M. Dominique Souchet. …mais qui ne sont en réalité que la compensation, d’ailleurs imparfaite, des compétences transférées depuis près de trente ans, va achever de ruiner la liberté d’action de nos départements.

M. le président. Si nous avons bien un temps programmé, il appartenait néanmoins à chaque groupe de préciser quel serait le temps de parole de chacun de ses orateurs.

M. Bernard Derosier. Ce n’est pas dans le règlement !

M. le président. Il convient que chaque orateur respecte la décision de son groupe. C’est à quoi je m’emploie. Je vous prie donc de conclure, cher collègue.

M. Dominique Souchet. Monsieur le président, il n’y a pas de groupe des non-inscrits. (Rires sur les bancs du groupe SRC.) Je me permets donc de poursuivre mon intervention.

M. le président. Les non-inscrits ont quand même un temps, que je décompte.

M. Dominique Souchet. Pour les communes donc, il est irréaliste de fixer, comme le fait le projet de loi, des pourcentages rigides de participation au financement des opérations d’investissement. Cela risque de rendre quasiment impossible tout investissement dans les petites communes où les besoins d’équipement sont souvent les plus forts. C’est condamner à une mort certaine, à petit feu, les communes rurales.

Quant à interdire les cumuls de subventions départementales et régionales, on peine à en voir l’intérêt. Quel problème peut bien poser un cumul de subventions sur un bon projet, dont la réalisation apportera une réelle valeur ajoutée à nos concitoyens ? Il en hâtera au contraire la mise en oeuvre.

C’est la qualité ou l’absence de qualité d’un projet qui est source de bonne ou de mauvaise utilisation des subventions publiques. Ce n’est pas en soi le cumul d’aides qui pose problème. Ce n’est pas en soi le mécanisme des financements croisés qui est porteur de gaspillage, sinon l’État n’y recourrait pas lui-même dans d’aussi larges proportions pour réaliser de nombreux projets.

Nous avons, avec Véronique Besse, déposé une série d’amendements…

M. le président. Vous ne pourrez pas les défendre, parce que les non-inscrits auront épuisé leur temps de parole.

M. Dominique Souchet. …visant à préserver la capacité d’initiative des collectivités de proximité, notamment pour l’accompagnement local des entreprises, le développement de l’enseignement supérieur et de la recherche dans les départements ruraux, la culture et le sport et la coopération décentralisée. Ces amendements visent à maintenir la synergie entre les départements et le groupe communal, car elle conditionne la dynamique de nos départements ruraux et permet de répondre aux besoins prioritaires de proximité et d’ouverture sur le monde de leurs habitants.

Si de tels amendements ne sont pas adoptés, si le projet de loi reste en l’état, il constituera alors un triple recul sur lequel je termine, monsieur le président.

M. le président. Enfin !

M. Dominique Souchet. Un recul des libertés locales et notamment des libertés rurales, qui est une véritable rupture culturelle et que le Sénat, je le note au passage, n’a pas su enrayer comme il avait vocation à le faire ; un recul de la capacité à investir des collectivités locales de proximité, qui créera un vide qu’aucun autre acteur ne viendra combler ; un recul de la responsabilité des élus locaux que l’on pourra désormais remplacer par des fonctionnaires, ce qui coûtera bien plus cher !

Nous ne pourrons dès lors que rejeter sans équivoque un projet de loi qui avait pour objectif, fort louable, de moderniser notre pays et de réduire la dépense publique, mais qui en réalité propose, au lieu de cela, un affaiblissement substantiel et inacceptable du berceau et du terreau de notre démocratie locale.

M. le président. Voilà.

M. Henri Emmanuelli. Vous êtes dur avec les faibles !

M. le président. La parole est à M. Jacques Pélissard.

M. Jacques Pélissard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, rendre notre administration territoriale plus performante sur le plan administratif, sur le plan démocratique, veiller à l’efficacité des structures d’organisation locale est pour nous tous un impératif catégorique.

M. Henri Emmanuelli. C’est ça !

M. Jacques Pélissard. Tel est l’objectif du Gouvernement en présentant ce projet de loi.

Sur le plan formel, les choses ont été bien conçues avec une série de rapports et d’études préalables – les rapports Lambert, Warsmann, Balladur.

M. Michel Ménard. La majorité des maires ne sont pas d’accord avec leur président.

M. Henri Emmanuelli. On en reparlera à l’automne.

M. Jacques Pélissard. Puis il y a eu une très large concertation conduite par M. Marleix. Sur le plan formel, c’est important.

S’agissant du fond, le Sénat puis la commission des lois de l’Assemblée ont réécrit le texte. Il nous reste à voir comment on peut encore l’améliorer.

N’ayant pas vocation à intervenir sur les régions et les départements, je concentrerai mon propos sur le bloc local, les communes et intercommunalités, qui sont un élément essentiel du maillage de notre territoire.

M. Henri Emmanuelli. Tout à fait !

M. Jacques Pélissard. Le couple commune-intercommunalité doit être renforcé et garantir le maintien de l’identité des communes. Les communes sont l’élément essentiel du maillage du territoire…

M. Henri Emmanuelli. On comprend pourquoi il est président de l’association !

M. Jacques Pélissard. … mais il est important de les articuler avec des communautés, qui rendent l’action plus efficace et, selon moi, assurent la pérennité des communes.

De ce point de vue, le texte est contrasté, avec des dispositions positives et d’autres qu’il faut beaucoup améliorer.

S’agissant d’abord du mode de scrutin, compte tenu des masses financières et fiscales gérées par les intercommunalités, il est légitime d’incorporer une part de suffrage universel dans la désignation des délégués intercommunaux. Mais adopter le suffrage universel à l’échelle de toute l’intercommunalité aurait conduit à marginaliser les communes. Par exemple, la commune aurait ainsi pu être représentée par un opposant au maire, minoritaire dans la commune mais membre d’une liste majoritaire au plan intercommunal. Vous avez évité cet écueil. Le système retenu maintient intelligemment le principe de l’élection dans le cadre communal, le jour du scrutin municipal, parmi les candidats au poste de conseiller municipal. Ce mode de scrutin implique la cohérence d’une équipe autour de son chef de file et d’un projet sur lequel l’équipe s’engage pour la durée de la mandature. On ne peut donc raturer une liste ni substituer des noms d’une autre liste à certains de cette liste. Ce système garantit la clarté politique pour l’équipe municipale en place, ainsi que la parité. Des dizaines de milliers de femmes vont entrer dans les conseils municipaux.

M. Olivier Dussopt. Et il n’y en aura plus dans les conseils régionaux et généraux.

M. Jacques Pélissard. En revanche, les systèmes de majorité tels que les a prévus la commission des lois de l’Assemblée nationale risquent de broyer les communes.

M. Henri Emmanuelli. Il mérite d’aller au Sénat !

M. Jacques Pélissard. Je prends trois exemples.

La commune nouvelle constitue un outil intéressant. Mais en créer une signifie faire disparaître des communes existantes. Pour ce faire, il faut que toutes les communes délibèrent et votent à l’unanimité le passage à la commune nouvelle. La commission des lois a prévu, s’il n’y a pas unanimité, un recours au vote populaire dans l’ensemble de l’intercommunalité. C’est faire courir un risque aux petites communes. Elles pourront se voir imposer le passage à la commune nouvelle sans avoir manifesté leur accord et sans que leur population ait été consultée par un vote spécifique. Il faut revenir au principe du vote unanime des conseils municipaux, représentatifs de la population.

M. Serge Grouard. Mais non ! C’est déjà presque impossible.

M. Jacques Pélissard. S’agissant ensuite de la métropole, l’article 5 prévoit le transfert de droit du produit de la taxe sur le foncier bâti à l’intercommunalité. Il n’est pas acceptable qu’une commune soit privée automatiquement, sans en avoir manifesté la volonté, de cette ressource importante.

M. Daniel Boisserie. Et la péréquation ?

M. Jacques Pélissard. D’autre part, s’agissant de l’affectation de la DGF aux métropoles, la commission des lois a prévu une majorité qualifiée. Il faut l’élargir. La DGF est en effet le seul lien financier entre les communes et l’État. Être privée de la DGF pour une commune implique aussi une démarche à l’unanimité. Sur ces deux ressources, DGF et produit de la taxe sur le foncier bâti, l’unanimité des conseils municipaux des communes membres de la métropole me paraît essentielle.

Enfin, je prends la question des majorités pour les compétences d’intérêt communautaire et pour les transferts de compétences. L’article 32  bis substitue la majorité simple à la majorité qualifiée en ce qui concerne les transferts de compétences. Allant plus loin encore, l’article 32 prévoit que la majorité qualifiée est remplacée par la majorité du conseil de la communauté de communes pour ce qui est de la définition de l’intérêt communautaire : les communes ne seront donc même plus consultées. Or il arrive que la majorité simple du conseil de communauté soit constituée pratiquement pas les représentants d’une seule commune. Dans ce cas également, il faut parvenir à instituer un dispositif de majorité qualifiée qui implique les autres communes membres.

M. le président. Je vous remercie.

M. Jacques Pélissard. Je termine sur un deuxième point : la mise en œuvre du calendrier de la rationalisation doit être accélérée. Il faut éviter de polluer la campagne des élections communales de 2014 par un débat sur l’intercommunalité. Oui, il faut terminer la carte intercommunale, la rationaliser à partir de bassins pertinents, il faut réformer la commission départementale de coopération intercommunale et renforcer son rôle lorsqu’elle réunit des majorités fortes. Votre texte le prévoit et ce sont des aspects positifs. En revanche, laisser pendant six mois aux préfets des pouvoirs exorbitants pour décider seuls de la carte intercommunale risque de provoquer des effets pervers.

Mme Marie-Hélène Amiable. Très bien !

M. Michel Ménard. C’est une reprise en main des collectivités locales !

M. Jacques Pélissard. Pour me résumer, plusieurs des dispositifs et des objectifs de ce texte le rendent intéressant. Il nous faut encore l’améliorer pour qu’il concoure pleinement à la qualité de l’action publique des élus locaux qui, chaque jour, portent des projets de territoire et, surtout, créent du lien social et assurent la cohésion sociale locale. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. François Grosdidier. Enfin une intervention juste !

M. le président. La parole est à Mme Sylvie Andrieux.

M. François Grosdidier. C’est reparti dans l’affabulation.

M. Henri Emmanuelli. Ne confondez pas avec Renaud Muselier !

Mme Sylvie Andrieux. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, voilà bientôt trente ans que les grandes lois de décentralisation ont été écrites. Elles avaient le mérite d’avoir créé un véritable consensus. Mais ce Gouvernement a décidé de revenir en arrière en faisant porter sur les collectivités locales tout le poids financier de son désengagement.

M. François Grosdidier. C’est reparti !

Mme Sylvie Andrieux. Et ce n’est pas fini : ’autres encore vous le diront.

M. Bernard Derosier. On ne le dira jamais assez !

Mme Sylvie Andrieux. À vos yeux, les élus coûtent trop cher, il y a trop de niveaux de collectivités, elles sont mal gérées.

M. François Grosdidier. Vous vous répétez.

M. Henri Emmanuelli. Quand une femme prend la parole, ils se déchaînent.

Mme Sylvie Andrieux. La pédagogie, c’est la répétition.

Seulement, selon de nombreux rapports, ce sont les collectivités qui créent la croissance, qui innovent et entreprennent.

Mais quand votre gouvernement est désavoué par les urnes, il n’a plus qu’une solution : faire une loi coercitive injuste et insatisfaisante.

Le 4 mars dernier, en visite à Marignane, le Président de la République expliquait que son objectif était d’accroître la production du pays en volume de 25 % d’ici 2015 et de "pérenniser" les effectifs industriels.

Lors de son intervention à cette même tribune hier après-midi, M. le ministre de l’intérieur et des collectivités territoriales nous expliquait que le Gouvernement « souhaitait donner une impulsion pour que la France puisse combler son retard en matière d’émergence des métropoles dans l’intérêt de la compétitivité et de l’attractivité de notre pays ».

Chers collègues, ce n’est que de la poudre aux yeux !

Comment peut-on à la fois affirmer l’ambition d’aider le secteur industriel et priver les collectivités territoriales de leurs ressources et de leur pouvoir d’attirer des entreprises ? Quelles ressources, quels moyens, quels outils de gouvernance offrez-vous aux futures métropoles pour être compétitives au niveau international ? Aucun !

Je cite encore M. le ministre : « Faisons confiance aux élus pour faire évoluer dans le bon sens les métropoles ». Heureusement que les élus locaux n’ont pas attendu votre projet de loi pour se lancer dans ce formidable défi de l’aménagement du territoire !

Mais que vont devenir tous les projets émergents ?

Je prends l’exemple du syndicat d’agglomération nouvelle d’Ouest Provence. Il s’étend sur plus de 350 km2 de Marseille à Aix-en-Provence et Arles, avec une activité industrielle très développée à l’ouest de l’étang de Berre. Ce bassin d’emploi dynamique regroupe des communes comme Fos-sur-Mer, Grans, Miramas, Istres et Port-Saint-Louis. 85 % de l’emprise du grand port maritime de Marseille se trouvent sur ce territoire. Cette entité territoriale va perdre plus de 70 % de sa fiscalité à cause de votre réforme.

Aujourd’hui, vous dépossédez totalement les entités territoriales de leurs possibilités d’attirer des entreprises. Ce sont plus de 95 000 habitants qui sont concernés par ces dégâts collatéraux.

En ce qui concerne la création de métropoles et de pôles métropolitains sur des territoires supérieurs à 450 000 habitants pour ces derniers, chacun s’accorde à dire que la logique de métropole doit être renforcée, encouragée. Elle permet d’offrir à des villes qui n’en ont pas les moyens une compétitivité qui leur était jusqu’alors interdite. Toutefois le projet de loi que vous nous proposez a complètement vidé de son sens la notion de métropole. Les belles envolées du ministre de l’intérieur sur un cap ambitieux qui serait la première étape de l’émergence institutionnelle des métropoles cachent en vérité une absence totale de définition de politique à conduire à l’échelle métropolitaine.

Comme l’a souvent et brillamment souligné Bernard Roman, que fait-on s’il n’y a pas d’accord entre les différentes collectivités et les métropoles sur la répartition des compétences ? Sur ce point, le projet de loi est muet.

La libre administration des collectivités territoriales et leur autonomie financière avaient permis une dynamique des territoires et favorisé l’emploi. Aujourd’hui, avec ce texte, nous assistons en fait à une recentralisation des pouvoirs qui place les collectivités territoriales sous le joug de l’État et ne constitue en rien un terreau favorable à l’émergence de la construction métropolitaine. En effet, la création d’une grande métropole ne peut se faire qu’en offrant une place significative à la gestion différenciée des territoires.

Dans le département des Bouches-du-Rhône, des entités territoriales comme le Pays d’Aix, la communauté urbaine Marseille Provence Métropole ou le SAN Ouest Provence n’ont pas attendu pour fédérer leurs moyens et développer des projets communs, contrairement à ce que prétendait M.  Muselier, qui a préféré aller regarder la seconde mi-temps du match de foot,...

M. Henri Emmanuelli. Effectivement, où est M. Muselier ?

Mme Sylvie Andrieux.  ...puisque les neuf présidents d’établissements publics de coopération intercommunale et le département sont déjà en train de mettre en place un pôle métropolitain.

C’est par le recours à des dispositifs souples que des solutions adaptées aux réalités locales ont pu être mises en œuvre par les élus. Il est clair que, sans l'adhésion, le lien direct avec les citoyens, de tels projets n'auraient pas pu voir le jour.

Une métropole se construit de manière progressive et dans le respect des identités de chaque territoire. Il est indispensable que les communes et les intercommunalités qui participent à la métropole puissent construire ensemble un projet durable, sans contrainte et au-delà des clivages politiques.

Au-delà des composantes institutionnelles, il faut aussi absolument associer au projet de territoire métropolitain ceux que l’on nomme les acteurs de la société civile. La création d’une métropole autour d’une grande ville est une réalité inéluctable. Elle correspond à l’évolution des modes de vie et des déplacements de la population. Ces phénomènes exigent une nouvelle définition du territoire. Le but est de faciliter la vie des habitants au quotidien, au sein d’une aire métropolitaine significative, tout en favorisant la cohérence de l’aménagement et du développement.

Pour citer quelques exemples réussis, là encore dans les Bouches-du-Rhône, cet objectif trouve toute sa réalisation lorsque la communauté urbaine Marseille Provence Métropole permet la constitution d’une nouvelle offre foncière et immobilière qui répond aux besoins d’implantation et de développement des entreprises. Ainsi, elle a mobilisé 150 hectares d’espaces économiques au nord-ouest de son territoire, permettant la création de trois parcs d’activité : le parc des Florides à Marignane, le parc des Aiguilles à Ensuès-la-Redonne et le parc d’Empallières à Saint-Victoret. C’est encore le cas lorsque le Pays d’Aix crée la carte Pass Provence qui permet de se déplacer sur toutes les lignes de transport de la communauté du Pays d’Aix, qu’elles soient intercommunales ou express. Il s’agit donc d’opter pour une démarche de coopération dans l’intérêt des populations et pour une réelle volonté politique qui repose sur une véritable méthode de travail.

Autre point noir de ce texte : le rôle de l’État. Il ne semble pas très concerné par la simplification territoriale, alors que, partout, les administrations de l’État doublonnent, entretenant ainsi la confusion dans l’esprit de nos concitoyens en matière de politique locale.

Une fois de plus, nous aurions aimé que l’État assume ses responsabilités et ses compétences. Mais il n’en est rien.

M. le président. Ma chère collègue, il va falloir conclure.

Mme Sylvie Andrieux. Monsieur le président, un peu de patience ! Je vous rappelle que nous sommes dans le cadre du temps global !

M. le président. Précisément, madame la députée ! La conférence des présidents, à laquelle votre groupe était représenté, a souhaité que les orateurs respectent les temps indicatifs fixés par chaque groupe.

M. Bernard Derosier. Prenez votre temps, madame Andrieux ! C’est le temps du groupe socialiste !

Mme Sylvie Andrieux. Merci, monsieur Derosier !

M. le président. La conférence des présidents souhaitait permettre l’expression de chacun lors de l’examen des amendements.

M. Bernard Derosier. Ce n’est pas la conférence des présidents qui change le règlement !

M. Olivier Dussopt. C’est un temps indicatif, pas un temps impératif !

M. le président. C’est votre groupe qui l’a fixé !

Mme Sylvie Andrieux. On peut même considérer ce texte comme une véritable provocation à l’encontre des élus locaux et des collectivités territoriales, en grande partie gérées par des équipes de gauche.

Monsieur le secrétaire d’État, votre projet ne simplifie pas la carte territoriale, il la complique. Il constitue en effet une véritable rupture avec les grands textes de la décentralisation et entraînera un abaissement historique de l’action publique territoriale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Bernard Derosier, pour un rappel au règlement.

M. Bernard Derosier. Qui concerne l’organisation de nos travaux, monsieur le président.

Vous avez rappelé aux orateurs à plusieurs reprises, et à l’instant à Mme Andrieux, qu’ils semblaient avoir dépassé le temps indicatif qui figure sur la feuille jaune.

Il est vrai que le président de l’Assemblée nationale, M. Accoyer, réunissant il y a quelques jours un groupe de travail sur la modification éventuelle du règlement, a fait observer qu’il serait souhaitable que nous nous en tenions au temps indiqué. Nous lui avons donné acte de son souhait. Mais, à ma connaissance, il n’y a pas eu de modification du règlement. Aussi je vous demande de laisser les orateurs socialistes intervenir le temps qu’ils souhaitent. C’est nous qui gérons notre temps ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Emmanuelli. Le règlement n’a pas été modifié !

M. le président. Mon cher collègue, comme vous venez d’y faire allusion, une réunion de travail a eu lieu, actée par la Conférence des présidents. Nous sommes dans le cadre du temps global, qui autorise chacun des groupes à définir librement la manière dont il répartit son temps de parole. L’idée de la Conférence des présidents, c’était qu’une fois ce temps programmé réparti par chacun des groupes, il appartenait à chaque orateur de respecter son temps de parole.

M. Christian Paul. S’il le souhaite !

M. le président. C’est ce que je m’efforce d’obtenir, ne serait-ce que pour permettre une meilleure organisation des débats et afin que l’ensemble des amendements puissent être ensuite défendus.

M. Bernard Derosier. Laissez-nous gérer notre temps : c’est la seule liberté qui nous reste !

Reprise de la discussion

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec qui s’exprimera de son banc, en raison de soucis de santé.

M. Patrick Braouezec. Je vous remercie, monsieur le président, de me permettre d’intervenir assis. Des soucis achilléens m’empêcheraient de rester un quart d’heure debout, sur une seule jambe.

Monsieur le secrétaire d’État, nous abordons aujourd'hui le cœur de la réforme territoriale entamée il y a quelques mois à la faveur de textes a priori anodins comme celui relatif à la concomitance, mais surtout de réformes comme celle sur le Grand Paris ou la taxe professionnelle. En quelques coups de crayon, c'est l'ensemble du paysage territorial qui est redessiné dans ses compétences, ses hiérarchies, ses équilibres. Le redécoupage des cantons ne manquera pas de finaliser un schéma déjà bien engagé.

Cette reforme aura des conséquences tant sur le fonctionnement de notre République que sur les principes fondamentaux de la décentralisation engagée maintenant depuis plusieurs décennies. Cette réforme était indispensable – mais pas sous cette forme‚– tant les logiques de développement de certains territoires s'essoufflent car elles sont noyées par des intérêts locaux et fermées à toute nouveauté.

Il s'agit donc moins de refuser toute logique de réforme que de rappeler les principes fondamentaux que nous devons avoir en tête pour réformer en profondeur les logiques de développement territorial.

C'est pourquoi, comme pour le débat sur le Grand Paris, il est indispensable de rappeler un certain nombre de principes fondamentaux, en commençant par celui du développement métropolitain basé sur l'égalité et la solidarité afin de lancer des dynamiques fondées sur des synergies nouvelles mettant en œuvre une autre logique de développement.

La construction de ces nouvelles dynamiques devrait être dictée par la réduction des inégalités territoriales. C'est d'ailleurs dans ce sens que les pôles urbains multifonctionnels, agissant comme de véritables centralités, en réseau, doivent être réaffirmés avec au centre du processus de construction un véritable respect du partage du pouvoir, permettant des coélaborations et des codécisions avec les collectivités territoriales, en particulier sur la définition des orientations et des mobilisations territoriales, dans le respect des grands principes de la décentralisation.

Il ne faut pas oublier non plus la place du citoyen dans le débat politique qui, si elle est au cœur de votre discours, reste pourtant la grande absente de ce texte. Bien au contraire, alors que les taux d'abstention atteignent des records, que les élus locaux ou nationaux sont chaque jour un peu plus discrédités, que le débat politique ne cesse de s'appauvrir à force de courir derrière des logiques strictement à court terme, il serait urgent de prendre cette question à bras-le-corps. Or, là où l'on aurait souhaité une dose de proportionnelle, c'est un scrutin uninominal à deux tours qui a été privilégié. Là où nous aurions voulu introduire un réel respect de la parité, c'est un mode de scrutin fermé à ces considérations qui a été validé.

Par ailleurs, nous attendons toujours, et ce depuis plus de deux ans, l'institutionnalisation du référendum d'initiative citoyenne, dispositif qui nous avait été présenté comme la caution citoyenne de la réforme constitutionnelle.

Pourtant, à en croire les exposés des motifs, déclarations des ministres et autres arguments, deux sujets reviennent régulièrement : réconcilier les citoyens avec la politique et donc avec leurs élus et faire des économies en mettant fin au fameux mille-feuille administratif. Or, que ce soit la création des conseillers territoriaux ou l'absence de règlement de la question financière, rien dans ce texte ne règle ces questions.

Bien au contraire, sous couvert de diminuer le nombre d'élus, les conseillers territoriaux feront en réalité office d'élus cumulards institutionnels, voire professionnels, le tout pour des économies proches de zéro, voire des surcoûts, puisque, par exemple, les hémicycles régionaux devront être quasiment tous reconstruits pour accueillir tout le monde.

M. Daniel Boisserie. Absolument !

M. Patrick Braouezec. Le conseiller territorial cumulera donc des fonctions. Votre projet institutionnalise le tripatouillage électoral car il est très clair que le mode de scrutin obligera à des marchandages, canton par canton, en fonction des intérêts locaux des uns et des autres.

Dans ces conditions, réduire de moitié le nombre d'élus, c'est au contraire, croyons-nous, distendre le lien qui unit le conseiller aux habitants des territoires. Moins d'élus, c'est très clairement moins de proximité.

D'ailleurs, la proximité devrait aussi passer par la constitution d'assemblées à l'image de notre société – malheureusement pas au sein de notre hémicycle et encore moins ce soir –, en respectant la parité. Lors du débat sur la réforme constitutionnelle, vous avez systématiquement balayé d'un revers de main l'ensemble des amendements proposant l'introduction d'une dose de proportionnelle. Permettez-nous donc de douter de la sincérité de votre propos quand vous affirmez que la justification essentielle de cette réforme est de réconcilier les citoyens avec le politique. La valeur contraignante de la loi de 1999 s'est envolée en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire.

De la même façon, cette réforme des collectivités locales était l'occasion parfaite pour introduire enfin le droit de vote et d'éligibilité des résidents étrangers non communautaires, bref de mettre nos institutions au goût du jour. Or, à l'heure où l'abstention devient la donnée essentielle du débat politique, tout devrait être mis en œuvre pour redynamiser la participation citoyenne. C’est dans ce cadre que l'exercice de la citoyenneté doit être perçu comme un facteur essentiel d'intégration à la société française. Dans bon nombre de communes, les habitants, français ou étrangers, ont été consultés sur ce sujet et, chaque fois, une majorité d'entre eux s'est dite favorable au droit de vote des étrangers. Le chef de l'État lui-même s'était dit partisan de cette ouverture. Or il semblerait qu’il ait tout simplement décidé de revenir sur ses engagements de campagne faute d'avoir converti sa majorité à cette position.

Nous pensons que l'égalité des droits, notamment en ce qui concerne la participation à la vie politique du lieu de résidence, est une condition indispensable à une véritable représentation de la souveraineté populaire ainsi qu'à un dynamisme citoyen au niveau local.

Tous ces éléments, essentiels au débat politique, sont évidemment absents du texte qui nous est proposé aujourd'hui. Ces grands absents marquent une rupture de taille par rapport à notre vision de la société, et ce d'autant plus qu'on assiste à une véritable recentralisation via la suppression de la clause de compétence générale des communes et des départements. Les manœuvres fiscales du Gouvernement et l'application de la révision générale des politiques publiques aux dépenses locales engendrent un phénomène de sous-financement qui obligera les conseils généraux et régionaux à réduire la voilure de leur action.

La réforme des collectivités a commencé avec le vote du Grand Paris en posant le problème des ressources financières. Là encore, elle est sous-jacente à chacun des articles, à chaque nouvel échelon, sans jamais être affrontée. Une fois encore, elle est évacuée, laissée pour compte avec des marges de manœuvre locales très faibles, surtout sur nos territoires populaires où, soit dit en passant, il est difficile d'envisager l'augmentation de la taxation des ménages à revenu moyen, déjà largement taxés, et où les élus sont parvenus à créer un véritable lien avec les entreprises sans nuire pour autant à leur capacité d'investissement et à la création d'emplois.

Sans compter que l'accroissement de la dépense publique locale résulte pour beaucoup des transferts de compétences organisés par l'État. Celui-ci s'endette, y compris auprès des collectivités locales, puisqu'il refuse de compenser les transferts de charges. Le Conseil d'État, dans son arrêt du 30 décembre 2009, a d'ailleurs contraint l'État à assurer ces compensations, et le condamne même à verser des dommages et intérêts aux départements lésés.

À ces cruelles restrictions financières s'ajoutent une recentralisation forcée ainsi qu'un autoritarisme étatique via des préfets aux pouvoirs exorbitants dans la nouvelle architecture administrative de la France. À tous les échelons, c'est donc très visiblement un coup d'arrêt à la décentralisation qui est porté par le Gouvernement. Si celui-ci veut se passer des régions et des départements qui contrebalancent tant bien que mal la politique de l'Élysée, son objectif principal est surtout de favoriser le désengagement de l’État.

Or, dans le contexte actuel, il nous faut chercher à accroître l'efficacité de l'action publique, qu'elle soit locale ou nationale, afin de mieux mettre en œuvre les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, et de promouvoir une société solidaire. Moins de services publics dans nos territoires, c'est l'ouverture de nouveaux marchés pour le privé, c'est la promesse de profits multipliés pour ceux qui soutiennent le chef de l'État et qui ont créé la crise.

Face à la montée des inégalités, les services publics sont garants de l’exercice effectif des droits fondamentaux en vertu desquels la solidarité prime sur la concurrence, la stabilité sur la précarité, l’indépendance sur la soumission aux intérêts particuliers. Or ce n’est pas du tout ce à quoi nous assistons actuellement puisque fusions, externalisations et autres privatisations détruisent petit à petit, mais durablement, les fondements du service public sans permettre à d’autres solutions publiques d’émerger.

C’est au contraire une logique de développement territorial renforcé, fondée sur une autonomie financière assurée, dotée de moyens humains beaucoup plus importants que nous devrions adopter. C’est le nœud du problème, et d’autant plus depuis l’annonce surréaliste, la semaine dernière, du gel de 10 % des dotations de l’État aux collectivités territoriales – comme si cela ne suffisait pas à couper l’herbe sous le pied aux communes, départements et régions, qui sont déjà asphyxiées par des transferts de compétences sans transferts financiers équivalents.

Si ce texte fait l’impasse sur les points que je viens d’énumérer alors qu’ils sont, évidemment, essentiels à la construction d’un paysage territorial rénové, équilibré et porteur d’avenir, il a néanmoins le mérite, je le reconnais, de proposer une logique de développement territorial axé sur l’ouverture à d’autres territoires, et une logique de construction collective.

J’aurais aimé y voir une volonté de mettre fin aux baronnies locales, à l’hypocrisie des communes toutes-puissantes qui, sous couvert de représenter l’échelon le plus proche des citoyens, se referment sur elles-mêmes en prônant des logiques protectionnistes où les notions d’égalité et de solidarité ne sont plus considérées comme des piliers constitutifs de notre République. J’aurais donc aimé déceler dans la création des pôles métropolitains ou encore dans la facilitation de la création des intercommunalités une volonté de l’État de laisser de nouvelles dynamiques de territoires prendre leur envol afin de répondre durablement aux inégalités sociales et économiques.

Il nous est effectivement indispensable, pour « faire société » – et cela à l’échelon national – et améliorer la qualité de vie de nos compatriotes, de mettre en valeur la réalité des potentiels de nos régions tout en prenant en compte les impératifs environnementaux et de cohésion sociale. La poursuite d’un développement inégalitaire des territoires, favorisant toujours plus d’exclusion et de ségrégation insupportable, ne peut continuer de constituer un axe de construction territorial et national. Cela reviendrait à concentrer les richesses sur un hyper centre survalorisé, certes élargi, mais vidé de sa mixité sociale par la libre loi du marché, les plus modestes devant s’éloigner toujours plus loin.

N’oublions pas que les territoires où la présence de l’État est la moins visible, souvent les territoires les plus populaires, sont aussi ceux qui se révèlent les plus riches d’expériences novatrices, des laboratoires où des dynamismes singuliers peuvent se développer. Ils mènent souvent des expériences volontaristes, construisent des territoires de solidarité où toutes les forces vives peuvent exprimer leur engagement.

Il est donc essentiel que la métropolisation parte de ces expériences locales en respectant une logique de développement résolument différente, solidaire, « durable », ouvrant des perspectives pour toutes les populations : riches ou pauvres, jeunes ou vieux, salariés ou chômeurs, avec ou sans papiers… C’est par la question sociale, en incluant tout le monde, qu’il faut aborder celle de l’attractivité, en liant le développement économique au développement social. Chacun, fort de potentiel et de rayonnement, doit pouvoir faire partie d’une centralité dynamique. Il s’agit de construire un projet de territoire qui assure l’égalité et dont le moteur soit la solidarité, avec pour méthode la coopération politique, administrative et économique.

C’est pourquoi, tant qu’ils s’inscrivent dans une logique de désenclavement des territoires les plus populaires, je crois que la construction de pôles métropolitains associés à l’échelon intercommunal pourra permettre de redynamiser les logiques de territoire en dépassant celles très fermées et trop strictes voire très égoïstes des communes. Le concept de pôle devient essentiel s’il correspond à la reconnaissance d’une pluralité de dynamiques de centralités construites en réseau et s’il prend en compte la multipolarité. Le pôle doit néanmoins répondre aux principes que j’ai énumérés au début de mon intervention et surtout s’appuyer sur une réalité financière crédible et durable.

Le devenir de la métropole doit rester un processus coproduit avec les territoires ; c’est par un projet humaniste de métropole solidaire que nous répondrons efficacement aux défis environnementaux et sociaux du XXI e  siècle sans tourner le dos aux dynamiques que nous défendons ni à la grande ambition que nous nourrissons aussi pour Paris métropole.

Je ne nie donc pas la nécessité d’une réforme, pas plus que d’aucuns sur ces bancs, tant l’échelon communal s’essouffle, tant la répartition territoriale actuelle ne saurait répondre pleinement aux impératifs économiques et sociaux que je viens d’évoquer. Toutefois, le présent texte, ainsi que celui du Grand Paris, la réforme de la taxe professionnelle ou encore la réforme générale des politiques publiques visent à réduire les possibilités pour les collectivités territoriales, quelles qu’elles soient, de remplir leurs fonctions et de développer des services publics répondant aux besoins et aux attentes de l’ensemble des populations.

Ces différentes réformes balayent, les uns après les autres, les derniers contre-pouvoirs au tout-puissant État. Ces derniers sont pourtant le reflet de la bonne santé d’une démocratie. Or que ce soit la presse, la liberté d’expression, de manifestation ou ici l’autonomie ou l’inventivité des collectivités territoriales – indissociable d’une autonomie financière –, toutes font l’objet depuis 2007 d’attaques frontales. Nos concitoyens ne sont néanmoins pas dupes. Ils sont tout à fait capables de comprendre que les collectivités locales sont trop souvent les derniers représentants publics vraiment présents dans les territoires, en particulier dans les plus populaires, c’est-à-dire ceux qui ont le plus besoin d’un appui et d’une présence publics. Cette réforme territoriale complique nos institutions et éloigne un peu plus les élus de leur terrain.

Sont soumis à notre examen trois grands textes : le Grand Paris, la suppression de la taxe professionnelle et, aujourd’hui, la réforme des collectivités locales, qui toutes participent d’un même projet politique très bien orchestré. Ne perdons pas de vue que tout est absolument lié. La dynamique engagée par le Gouvernement va clairement dynamiter les logiques de survie des territoires les plus vulnérables. C’est pourquoi, sans une véritable prise en compte de l’élément humain, sans règlement de la question des ressources financières, sans l’affirmation d’une réelle volonté de résorber les inégalités sociales et territoriales ou de dialoguer avec les collectivités locales, le texte restera pour nous inacceptable. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec.

M. Yannick Favennec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voici venu le temps d’aborder réellement une réforme essentielle de cette législature, la réforme des collectivités territoriales, qualifiée par le Président de la République de « réforme ambitieuse qui renforcera les communes dans leur rôle ».

M. Christian Paul. C’est la méthode Coué !

M. Yannick Favennec. Je souhaite sincèrement, monsieur le secrétaire d’État, qu’il en soit ainsi car je fais partie de ceux, nombreux, qui pensent que cette réforme est effectivement indispensable.

Le nombre de strates territoriales est beaucoup trop élevé : il résulte de cet enchevêtrement de compétences que plus personne ne s’y retrouve et que nos institutions locales deviennent pour nos concitoyens, mais également parfois pour nous, élus, illisibles, inaccessibles, voire incompréhensibles.

Le fait que tout le monde s’occupe de tout n’est certainement pas un gage d’efficacité ni de maîtrise des coûts. Il n’est pas normal, à mon sens, que la commune, la communauté de communes, le département et la région interviennent en matière économique, multipliant ainsi les doublons en matière de services administratifs.

M. Daniel Boisserie. Ce n’est pas le cas de la commune !

M. Yannick Favennec. Pour répondre à cet impératif de rationalisation, le présent texte entend, par exemple, favoriser l’intercommunalité.

Si la commune demeure et doit demeurer la pierre angulaire de la vie de nos territoires et la cellule de base de notre démocratie, notamment en milieu rural, l’intercommunalité en est devenue le prolongement opérationnel destiné à pouvoir faire à plusieurs ce que la commune ne peut réaliser seule.

Si je prends l’exemple de mon département de la Mayenne, l’intercommunalité connaît un vrai succès. Elle est désormais parvenue à maturité mais sans doute faut-il franchir une nouvelle étape en renforçant sa gouvernance et en démocratisant son fonctionnement, tout en préservant la légitimité du maire.

Il ne faut en effet pas opposer commune et intercommunalité. Elles sont au contraire complémentaires, et c’est leur conjugaison qui renforce nos territoires. Nous devons néanmoins demeurer attentifs aux inquiétudes exprimées par les élus des petites communes rurales qui font souvent preuve d’un dynamisme qui repose principalement sur une volonté politique forte de leurs élus, sur la mobilisation de l’ensemble de leurs acteurs, qu’ils soient économiques, sociaux ou associatifs, et sur une politique d’aménagement du territoire volontariste de l’État.

Il est par conséquent indispensable, grâce à cette réforme, que nous redonnions confiance aux élus de proximité que sont, notamment, les maires ruraux. Eux seuls connaissent les besoins de leurs concitoyens et sont en mesure de leur apporter des réponses locales, immédiates et appropriées. C’est pourquoi il faut veiller à ne pas vider les petites communes de toutes leurs compétences, afin de ne pas les transformer en simples chambres d’enregistrement de l’état civil, d’où l’importance du maintien de la clause de compétence générale.

Elles sont l’héritage de notre histoire et cette ancienneté explique l’attachement que nos concitoyens ont pu concevoir à leur égard. Ce sentiment est légitime parce que l’identité communale fait partie de notre identité nationale. Sans renier l’esprit de ses fondateurs de la Révolution et de l’Empire, ni son rôle multiséculaire de premier échelon de la vie en collectivité, la commune du XXI e  siècle doit pourtant savoir aussi s’adapter et évoluer. C’est pourquoi nous devons proposer aux communes un cadre souple assorti d’une « boîte à outils » permettant d’adapter les structures administratives à la diversité de nos territoires. Ce projet doit accorder une grande liberté à l’initiative locale.

Vous me permettrez également d’attirer votre attention sur le mode de scrutin des conseils municipaux de ces petites communes, en vous rappelant la forte hostilité des élus de terrain quant à l’abaissement à 500 habitants du mode de scrutin actuellement applicable dans les communes de plus de 3 500 habitants.

Si, pour ma part, je me réjouis du projet d’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, je reste en revanche, moi aussi, plus réservé sur le seuil des 500 habitants. En effet, comme me le disent régulièrement la grande majorité des maires de mon département, je crains, à juste titre, la politisation des élections…

M. Bernard Roman. Il semble pourtant logique que des élections soient politisées !

M. Yannick Favennec. …et par là même la fin d’une vie municipale qui se veut avant tout consensuelle dans nos campagnes. C’est pourquoi il me paraîtrait opportun de relever ce seuil.

Enfin, peut-être serait-il également utile de revoir à la baisse le nombre d’élus siégeant dans les conseils municipaux des petites communes car, je l’ai vu dans ma propre circonscription, lors des dernières élections municipales, il est parfois difficile de trouver des candidats motivés en nombre suffisant.

En revanche, je pense qu’il est indispensable d’accompagner cette réforme de l’élaboration d’un véritable statut de l’élu local qui permettrait de mieux valoriser, en milieu rural, la fonction de maire, d’adjoint et de conseiller municipal.

Telles sont les quelques réflexions que je voulais vous livrer. Il me paraît indispensable d’entendre les attentes et les aspirations des élus des territoires ruraux, mais j’ai conscience qu’il ne faut pas, pour apaiser chaque inquiétude susceptible de se manifester, que ce texte soit vidé de sa substance. Cela serait dommageable pour notre démocratie, notre République et pour nos collectivités territoriales.

Pour cela, monsieur le secrétaire d’État, je vous fais confiance et voterai votre texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Derosier. Vous avez bien tort de lui faire confiance !

M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque.

M. Philippe Vuilque. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, approfondir la décentralisation voulue et réalisée par François Mitterrand, Pierre Mauroy et Gaston Defferre est devenu une nécessité. En effet, plus d’un quart de siècle et bon nombre de lois plus tard, le paysage institutionnel français a profondément changé mais il n’a gagné ni en simplicité ni en lisibilité.

Assimilable à un empilement, notre système n’est pas toujours gage d’efficacité. Ce constat est partagé par tous et la très grande majorité des élus souhaite un approfondissement de la décentralisation. Qu’attendent les élus, les citoyens ? Qu’attendons-nous d’une vraie réforme de la décentralisation et des territoires ?

Une vraie réforme territoriale, outre le fait qu’elle doit prendre le temps nécessaire de la concertation, doit satisfaire trois ambitions prioritaires : permettre de maintenir et de développer les services publics et l’action publique territoriale, renforcer l’autonomie fiscale des collectivités locales, clarifier la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités et les rendre lisibles pour les citoyens. Toute réforme territoriale est difficile et délicate à appliquer mais elle doit être ambitieuse et cohérente. Elle doit allier simplicité, clarté, efficacité pour être pertinente et réussie.

Or la réforme des collectivités territoriales que vous nous proposez va à rencontre de ces objectifs. Votre réforme est menée à l’envers. La clarification des compétences entre les niveaux de collectivités avec la désignation d’une collectivité chef de file pour chaque compétence aurait dû être discutée en priorité, avant le volet institutionnel et financier.

Serait-ce une maladresse de votre part ? Bien sûr que non puisque cette réforme est d’abord et avant tout une réforme politique afin de permettre à l’UMP de reprendre les collectivités gérées par la gauche.

M. Bernard Derosier. Eh oui !

M. François Grosdidier. Vous devinez que nous allons gagner les élections. Quelle perspicacité !

M. Bernard Derosier. On ne gagne pas les élections en changeant les modes de scrutin !

M. Philippe Vuilque. Personne n’est dupe. Vous illustrez une fois encore votre façon cynique d’agir. Tout est permis pourvu que cela rapporte politiquement.

Nous avons donc droit à un texte un peu fourre-tout, où l’essentiel, à savoir la répartition des compétences, n’est abordé qu’à l’article 35. Et encore ! L’article 35 tend, en effet, sans y parvenir, à exonérer à bon compte le Gouvernement de ses promesses de déposer un projet de loi sur les compétences.

Ce débat aurait pourtant permis à l’État lui-même de clarifier les responsabilités qu’il entend exercer et celle qu’il entend confier aux collectivités afin d’éviter les doublons. Le Gouvernement se soucie comme d’une guigne du fond de la réforme et de sa cohérence. La réforme territoriale devait, selon vous, simplifier le mille-feuille territorial. Or le texte proposé rajoute des échelons : métropole, pôle métropolitain, commune nouvelle, qui, en fait, vont complexifier le jeu institutionnel local.

Mais le morceau de bravoure de cette réforme est, sans conteste, la création du conseiller territorial, en fait la seule et unique innovation qui vous intéresse. Arrêtons-nous sur cette bizarrerie, sur cet objet politique non identifié, sur cette figure baroque du conseiller territorial.

La création du conseiller territorial apparaît comme une réponse inappropriée à une vraie question. Comment rendre le système moins complexe, plus lisible, plus simple, plus efficace pour nos politiques publiques locales ? Mais en quoi un même élu qui va s’occuper des compétences de deux collectivités apporte-t-il de la simplification ou de la clarification ?

Les élections au conseil régional et au conseil général sont centrées sur des projets, des politiques portant sur le devenir des régions et des départements. On voit mal comment clarifier les controverses inévitables et comment créer les conditions d’une authentique délibération autour des enjeux locaux. Le futur conseiller territorial sera un super-conseiller général et annonce une « cantonalisation » du conseil régional.

M. François Grosdidier. Quel mépris pour les conseillers généraux !

M. Philippe Vuilque. La réforme risque ainsi de renforcer les logiques de professionnalisation politique, de notabilisation et de concentration du pouvoir local. Elle restaure, en outre, un cumul de mandats d’un nouveau type : le cumul obligatoire.

Élu dans un cadre infra-départemental, le conseiller territorial sera peu enclin à dégager un intérêt général régional et à s’affranchir d’une vision purement localiste des problèmes et des enjeux.

Cette réforme implique également le redécoupage des cantons. Là encore, nous sommes dans le flou absolu et donc le risque d’arbitraire. L’illustration nous en a été donnée pas plus tard qu’hier en commission des lois, lorsqu’elle s’est réunie en application de l’article 88 du règlement : nous avons découvert un amendement du Gouvernement sous forme de tableaux répartissant par département et par région l’effectif des conseillers territoriaux, répartition qui n’a fait l’objet d’aucune discussion et qui recèle quelques perles.

Prenons un exemple : le département des Ardennes élira trente-deux conseillers – pourquoi trente-deux ? on n’en sait rien – pour 280 000 habitants, au lieu de trente-sept conseillers généraux aujourd’hui. Il élira donc un conseiller pour 9 000 habitants. Le département du Pas-de-Calais, qui compte 1 500 000 habitants élira soixante conseillers, soit un pour 25 000 habitants. Où est la justification d’une telle différence, où est la cohérence ?

Pour les régions, les différences sont encore plus flagrantes. La région Champagne-Ardenne se voit doter de 138 conseillers territoriaux pour 1 340 000 habitants, alors que la région Nord-Pas-de-Calais en aura 136, deux de moins, pour plus de 4 millions d’habitants, soit un rapport de un à quatre.

Si je reprends le cas du département des Ardennes, s’il ne perd « que » cinq conseillers, cela est dû, et vous le savez, à un problème politique. Tout le sud du département est rural et donc très favorable à l’UMP. Aussi est-il indispensable de préserver les élus UMP et de découper au minimum les cantons ruraux. Voilà la vraie raison de ces bizarreries. Et c’est le cas partout. Monsieur le secrétaire d’État, c’est un véritable scandale. Mais vous êtes habitué à ce genre de manipulations.

Le rapprochement du département et de la région, dans leur fonctionnement et dans la définition d’une stratégie commune, est un non-sens. Si couple il y a, et même ménage à trois, ce serait, d’une part, l’ensemble commune, intercommunalité et département, qui sont des collectivités de proximité organisant les solidarités, et de l’autre, l’ensemble formé par les régions, l’État et l’Europe, organisant les grands équipements et définissant une stratégie de développement.

M. François Grosdidier. Les ménages à trois, ça finit toujours mal !

M. Philippe Vuilque. Le rapprochement entre départements et régions sera donc source de confusion, mais également de surcoûts, comme beaucoup l’ont déjà souligné. Que les présidents de conseils régionaux ne se précipitent pas trop pour changer leurs hémicycles. Si nous revenons au pouvoir en 2012, nous remettrons en question cette loi idiote et imbécile.

Une autre question importante doit être soulevée : la constitutionnalité du projet. En instituant la double représentation du conseiller territorial, votre dispositif est en contradiction avec le principe de non-tutelle d’une collectivité sur une autre. L’article 72 de la Constitution prévoit que les collectivités s’administrent librement par des conseillers élus. Et si cela ne suffisait pas, la Constitution, dans son article 1 er , prévoit l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

Or le mode de scrutin envisagé, qui a fait l’objet d’atermoiements significatifs, c’est le moins que l’on puisse dire, va se substituer au mode de scrutin régional qui garantissait la parité. Ce ne sera plus le cas demain, et vos contorsions visant à faire croire le contraire n’y changeront rien. Le Conseil constitutionnel saura sans doute vous le rappeler.

Il saura sans doute également vous rappeler que la proportionnalité de représentation de la population doit être préservée, ce qui n’est évidemment pas le cas.

L’un des volets de la réforme territoriale est, en revanche, plus cohérent et va permettre d’achever la carte de l’intercommunalité.

D’abord, la réforme du mode d’élection des élus intercommunaux est une bonne chose. La question est, en apparence, technique. Elle est, en fait, politique et démocratique. L’élection des organes délibérants des intercommunalités au suffrage universel direct par « fléchage » sur les listes électorales permettra de renforcer la légitimité démocratique de ses élus et sera plus lisible pour les citoyens, même si vous n’allez pas au bout de votre démarche et de votre logique démocratique.

Ensuite, le dispositif prévu aux articles 16 et 18, visant à achever et à rationaliser la carte de l’intercommunalité, est, à quelques ajustements souhaitables près, très utile et indispensable.

Il est dommage que certains de nos amendements n’aient pas été pris en compte, et je voudrais vous faire part de quelques préoccupations.

Le texte vise presque exclusivement le cas de figure de communes refusant jusqu’ici leur entrée dans une intercommunalité, et pas celui où l’intercommunalité refuse l’entrée des communes qui la demandent. C’est une lacune.

Il importe d’éviter une intercommunalité par défaut, qui serait particulièrement dommageable. L’intercommunalité doit être de projet, et non de circonstance, ou subie. Voilà pourquoi nous avions souhaité compléter l’article 16 en renforçant les critères d’élaboration du schéma départemental. En effet, il semble évident et de bon sens qu’une commune qui souhaite entrer dans une intercommunalité, qui coopère et participe depuis des années à toutes les structures et à toutes les politiques de développement territorial – développement économique, développement touristique, plan local d’insertion par l’économique – a vocation à intégrer cette intercommunalité et pas une autre. L’intercommunalité doit être cohérente et ne doit pas se faire aux dépens de l’évidence.

J’ai écouté attentivement M. le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux, qui a rappelé à juste titre la nécessité d’une cohérence territoriale dans l’élaboration du schéma départemental. Il a souligné la nécessité d’une définition des périmètres « sans a priori et au cas par cas ». Notre amendement allait dans ce sens, et je ne comprends pas le rejet par le rapporteur, ou plutôt par le président de la commission des lois. En fait, je le comprends trop bien. M. Warsmann a un ami politique à protéger, au détriment d’une disposition générale utile pour l’élaboration des schémas départementaux.

M. Bernard Roman. C’est scandaleux !

M. Philippe Vuilque. C’est une attitude partiale et inadmissible. Je ne comprends pas que le rapporteur la cautionne.

M. Bernard Roman. Nous y reviendrons !

M. Philippe Vuilque. Même comportement pour refuser un amendement complétant utilement le régime des incompatibilités sous prétexte que cela ne concernerait que peu de monde. L’amendement en question – écoutez bien ! – prévoit que les fonctions de secrétaire général, de directeur ou de directeur-adjoint d’un établissement de coopération intercommunale, ne peuvent être exercées par l’organe exécutif, à savoir un maire ou un adjoint d’une commune membre de l’EPCI. Certains d’entre vous doivent se dire que cette situation de confusion des genres n’est pas possible. Eh bien si, elle l’est. Le cas s’est déjà produit à plusieurs reprises. C’est justement pour y mettre fin, pour aujourd’hui et pour demain, que cette demande a toute sa pertinence. Qui pourrait être contre, monsieur le secrétaire d’État ? Il faudra que vous me donniez votre avis sur le sujet. Il m’intéresse tout particulièrement.

Eh bien, M. Warsmann, là encore, a fait rejeter l’amendement. Situation cocasse, quand on sait qu’en première lecture, lors de la discussion du projet de loi sur les responsabilités locales, le Gouvernement avait soutenu l’article 126  sexies , qui n’était autre que la reprise de cet amendement.

Monsieur le secrétaire d’État, il me tarde, encore une fois, d’avoir des précisions sur ces deux sujets. Quand on légifère, c’est pour améliorer les choses, résoudre des cas non prévus, afin d’éviter des situations aberrantes.

Pour conclure, je dirai que votre réforme, en instituant ce qui restera pour tout le monde la mesure phare de ce texte : la création du conseiller territorial, est une démarche d’opportunité politique, qui se soucie comme d’une guigne, je le répète, des vraies réformes, pourtant indispensables, des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs financements.

Rendez-vous dans quelques semaines avec l’examen par le Conseil constitutionnel de cette loi, examen que nous attendons avec intérêt et impatience. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Sandrier.

M. Jean-Claude Sandrier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y avait une très belle réforme des collectivités territoriales à effectuer. Ce qu’il convenait de faire pouvait se résumer en quelques mots : démocratie, justice fiscale, coopération.

Démocratie, d’abord, en optant pour un scrutin permettant la juste représentation de nos concitoyens et des différentes sensibilités politiques qui existent dans notre pays, ce qui est à la base d’une démocratie digne de ce nom. Trouver le moyen d’assurer des majorités ne peut se faire au prix de l’atteinte directe à une représentation démocratique juste.

Le vote des étrangers vivant, travaillant dans notre pays depuis plusieurs années doit être reconnu, et en particulier pour toutes les élections des collectivités territoriales.

La parité doit être la règle partout.

Les conditions doivent être créées d’une implication plus directe de nos concitoyens dans la gestion des affaires locales. Un véritable pouvoir d’initiative doit leur être reconnu. Le référendum d’initiative populaire local doit être institué.

Voilà, parmi d’autres, des éléments qui représenteraient une réelle avancée de la démocratie, c’est-à-dire une appropriation plus importante par la population des problèmes locaux et des territoires.

Il y avait également une belle réforme à faire en introduisant de la justice dans la fiscalité locale, c’est-à-dire en tenant compte des revenus de nos concitoyens dans les différents éléments de cette fiscalité. Car aujourd’hui, les impôts locaux, en particulier la taxe d’habitation, sont parmi les plus injustes de nos impôts, alors même que la suppression de la taxe professionnelle va contribuer à alourdir la taxation des ménages.

Pour permettre une réelle autonomie et indépendance des collectivités locales, ainsi qu’une réelle égalité entre elles, il est nécessaire, d’une part, d’accroître leurs ressources, car elles réalisent 73 % des investissements publics dans notre pays et pèsent donc très fortement en faveur de l’emploi. Cela peut se faire par une taxation des actifs financiers des entreprises, dont le rôle pourrait être aussi de redistribution, pour assurer plus d’égalité entre les différents territoires.

D’autre part, les contrats entre État et collectivités, qui sont un outil irremplaçable d’action en faveur de nos concitoyens, devraient être passés d’égal à égal, alors que, le plus souvent, c’est l’État qui impose ses choix et sa loi aux collectivités.

En tout état de cause, c’est un très mauvais calcul que de geler les dotations d’État aux collectivités : c’est la meilleure façon de plomber toute relance économique, car c’est l’investissement et donc l’emploi qui seront pénalisés.

Le dernier élément pour mettre en place une réforme moderne, efficace et utile, c’est la coopération. Nos collectivités n’ont pas besoin d’oukases préfectoraux ou autres pour travailler ensemble, mais simplement de règles démocratiques. C'est la volonté commune des collectivités, confirmée par un vote de leurs électeurs, qui doit décider de telle coopération dans tel ou tel domaine. Compétences des intercommunalités, délimitation des périmètres doivent être soumises à référendum local. C'est à nos concitoyens, et à eux seuls, de décider localement ce qu’ils souhaitent pour leur administration locale.

Oui, il y avait moyen d’effectuer une très bonne réforme des collectivités territoriales, mais vous avez transformé cette possibilité en une véritable machine de guerre contre ce que vous appelez la dépense publique. En fait, c’est pour mieux épargner et servir les intérêts particuliers d'une petite caste de privilégiés en faveur desquels vous concentrez la plus grande part de vos efforts et surtout la plus grande manne de l'argent public, à travers en particulier des cadeaux fiscaux qui ont largement contribué à alourdir un déficit public que vous dites aujourd’hui vouloir réduire.

Le discours de Versailles du Président de la République, le 22 juin 2009, est fondateur de la philosophie de votre contre-réforme. À Versailles, le Président de la République a déclaré qu'il y avait trois grands domaines pour faire des économies et réduire le déficit : « les services publics et la fonction publique ; la protection sociale, avec la sécurité sociale et les retraites ; les collectivités locales ». En fait, il s'agit de dégager toujours plus de moyens pour favoriser profits et dividendes, banquiers et spéculateurs, bonus et stock-options, bouclier fiscal et cadeaux fiscaux en tout genre en pressurant toujours plus emplois, salaires, santé, retraites, services publics, bref la capacité de notre pays à répondre aux besoins humains.

Pour atteindre cet objectif, vous avez bien compris qu'il valait mieux avoir moins d'élus locaux et les éloigner le plus possible de nos concitoyens.

M. Alain Cacheux. Et voilà !

M. Jean-Claude Sandrier. Voilà pourquoi vous nous avez inventé les conseillers territoriaux.

Dans le même esprit, vous préparez la disparition progressive des départements et communes. Les départements vont mourir sans que vous ayez besoin d'établir un certificat de décès, car l’effet de trois mesures conjuguées de votre projet de loi va, de fait, les faire disparaître de façon indolore. D’abord, par la fin de la clause de compétence générale, même si vous l’avez maquillée, limitant ainsi leurs compétences et leurs pouvoirs. Ensuite, par la création des métropoles, qui vont littéralement avaler de nombreux départements. Enfin, par le faible nombre, pour certains départements, de conseillers territoriaux ayant en charge la gestion départementale. Si je prends l’exemple du mien, le Cher, qui pourra parler sérieusement d'un conseil général à vingt-cinq élus ?

M. Bernard Roman. Voire à quinze !

M. Jean-Claude Sandrier. Vingt-cinq élus, c’est l’équivalent du conseil municipal d’une commune de moins de cinq mille habitants ! Voilà en quelle considération vous tenez le département ; voilà pourquoi vous avez choisi sa mort clinique.

De la fusion en un seul conseiller territorial ou une seule conseillère territoriale de la double responsabilité départementale et régionale naîtra automatiquement une confusion qui contribuera, avec les trois raisons indiquées précédemment, à l'extinction progressive des départements.

Pour les communes, le phénomène sera aussi mortifère, car, entre fusions de communes et intercommunalités au périmètre et aux compétences élargis, le résultat sera, à terme, le même. D’ailleurs, en ayant à financer 50 % de leurs investissements, les communes n’auront plus la capacité d’investir.

Vous avez inventé le millefeuille pour nous vendre votre contre-réforme. Ce millefeuille avait au moins l’avantage, en additionnant des subventions, de permettre des réalisations. Là, vous voulez nous vendre des collectivités mises au pain sec avec une démocratie plutôt rassise. Vous ne proposez pas de réformer les collectivités territoriales, vous proposez une baisse drastique de tout ce qui est dépense sociale dans notre pays pour mieux avoir les moyens, non seulement de soutenir ceux qui nous ont conduits à la crise, mais de leur permettre, demain, de continuer leur enrichissement sur le dos de tous, leur spéculation mais aussi leur concurrence, dont l'un des plus éminents économistes du monde, Joseph Stiglitz, a dit qu'elle tournait au délire.

Vous voulez arrimer les collectivités locales aux choix politiques nationaux. Que ce soit pour la fonction publique, pour les retraites, pour la sécurité sociale, les collectivités locales, il y a autre chose à faire que de se mettre à genoux devant la loi des prédateurs financiers ! Ce qui coûte cher à la France aujourd'hui, ce n'est pas la dépense publique,…

M. Bernard Roman et M. Alain Cacheux. C’est la droite !

M. Jean-Claude Sandrier. …c'est la finance et la spéculation privées. Plutôt que de faire semblant de vous inquiéter d'un endettement des collectivités locales qui sont, elles, contrairement à l'État, obligées de présenter des budgets en équilibre, vous feriez mieux de compter ce qu'a coûté aux finances publiques et à nos concitoyens le fonctionnement d'un système financier capitaliste totalement arc-bouté sur des gains démesurés et à court terme.

M. François Grosdidier. Que d’idéologie ! Si on parlait des collectivités locales, camarade ?

M. Bernard Roman et M. Alain Cacheux. On y est en plein !

M. Jean-Claude Sandrier. Je ne fais pas autre chose, mon cher collègue, car ce sont ces prédateurs qui nous coûtent cher et c’est pour eux que tous les Français doivent payer. Combien ont coûté aux finances publiques marchés financiers et spéculateurs qui, selon un autre éminent économiste, Patrick Artus, se gavent de liquidités jusqu'à l'overdose ? Quand on se gave de liquidités jusqu’à l’overdose,…

M. Michel Ménard. C’est l’indigestion !

M. Jean-Claude Sandrier. …cela a forcément des répercussions sur la dépense publique et sur les collectivités locales.

Nous tenterons d'apporter, au fil du débat, des propositions constructives, mais nous ne pourrons pas voter un texte dont l'objet est la mise sous tutelle des collectivités locales par l’État,…

M. François Grosdidier. Affabulation !

M. Jean-Claude Sandrier. …afin de mieux orienter l’argent public, via des cadeaux fiscaux divers, vers le tonneau des Danaïdes des marchés financiers et de la spéculation. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. François Grosdidier. Quelle confusion !

M. le président. La parole est à M. Serge Grouard.

M. Serge Grouard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais revenir à l’essence même de ce texte, qui est la manifestation de la nécessité absolue de réformer en profondeur les collectivités territoriales. D’autant que nous sommes aujourd’hui confrontés à une crise qui, qu’on le veuille ou non, nous conduira forcément à gérer différemment nos finances publiques locales. Il nous faut faire mieux et moins cher.

M. Jean-Claude Sandrier. Par les finances privées ?

M. Serge Grouard. C’est l’engagement que nous devrions prendre vis-à-vis de nos concitoyens.

M. Michel Vergnier. Vis-à-vis des riches !

M. François Grosdidier. Dominique Strauss-Kahn ne dit pas autre chose ! Vous, vous préférez moins bien et plus cher !

M. Michel Ménard. Pour l’instant, c’est vous qui creusez les déficits !

M. Serge Grouard. Cette réforme repose sur deux piliers. Le premier est le rapprochement des départements et des régions à travers la création du conseiller territorial. Le second est la création de nouveaux dispositifs rapprochant la commune et l’intercommunalité au travers de la métropole, du dispositif, proposé à l’article 8, des communes nouvelles, de l’intercommunalité et du pôle métropolitain.

La réussite de cette réforme nécessite qu’il y ait équilibre entre cette double évolution vers le pôle départements-région et le pôle communes-intercommunalités. Le rapporteur Dominique Perben nous proposait d’être audacieux. Soyons donc audacieux, notamment sur deux points auxquels je limiterai mon propos.

D’abord, le dispositif de la métropole, qui est particulièrement intéressant parce qu’il porte une forte ambition. Encore faut-il, pour que celle-ci soit satisfaite, ouvrir davantage l’accès à cette nouvelle forme d’intercommunalité. Dans le prolongement du discours du Président de la République à Saint-Dizier, qui proposait d’introduire des critères qualitatifs et de ne plus s’en tenir au seuil de 450 000 habitants, nous pourrions reprendre les critères qualitatifs que l’Association des maires des grandes villes de France, dont je salue le président, Michel Destot, ici présent, avait définis dans un très large consensus. Ils permettraient aux villes et aux agglomérations qui le souhaitent mais n’atteignent pas ce seuil de 450 000 habitants de constituer une métropole. Je rassure les uns et les autres, d’après nos évaluations, une dizaine d’agglomérations supplémentaires tout au plus seraient disposées à s’engager dans cette voie.

Je regrette, je le dis avec une certaine solennité, que nous n’ayons pas pu discuter de cette question, pourtant essentielle. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, vous le savez, les amendements que nous avons déposés dans ce sens sont tombés en vertu de l’article 40 (« Scandaleux ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC), au motif d’une extension de la dotation prévue à l’alinéa 104 de l’article 5. Il est toutefois anormal que nos collègues du Sénat ne se soient pas vu opposer, sur des amendements de même nature, ledit article 40.

M. Bernard Roman. Ils ne le connaissent pas, au Sénat !

M. Serge Grouard. C’est ainsi qu’à l’Assemblée nationale, contrairement au Sénat, nous ne pouvons pas débattre de cette question essentielle.

M. Alain Cacheux. Tous au Sénat !

M. Serge Grouard. Je souhaiterais, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement puisse reprendre ces amendements et élargir ainsi l’accès aux métropoles.

Le deuxième point concerne, à l’article 8, le dispositif de la commune nouvelle, qui a été peu discuté. Je le regrette, car il est extrêmement intéressant bien que soumis à des conditions de création très restrictives. Le chapitre III de l’article 8 prévoit ainsi une double majorité qualifiée, suivie d’un référendum local validant éventuellement la création de la commune nouvelle. Ce dispositif est si contraignant que je pense que pratiquement aucune commune nouvelle ne pourra malheureusement voir le jour. C’est pourquoi je souhaiterais que les amendements que nous avons déposés pour assouplir le régime de création puissent être retenus. Je rappelle que ce dispositif n’a rien d’obligatoire et qu’il est laissé à la discrétion des élus locaux.

Si nous pouvions nous engager dans cette double voie d’ouverture pour la création des métropoles et d’assouplissement du régime de création de la commune nouvelle, je crois profondément que nous atteindrions l’équilibre essentiel à votre ambition, qui est à la fois de rapprocher les départements et les régions et de donner au pôle communes-intercommunalités les outils qui lui permettront – mon expérience de maire d’une ville de plus de 100 000 habitants depuis une dizaine d’années m’en a persuadé –, d’améliorer très sensiblement la gouvernance et de faire mieux et moins cher. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Boisserie.

M. Daniel Boisserie. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’entendais cet après-midi certains de nos collègues de l’UMP dire : « Les socialistes sont contre toutes les réformes. »

M. François Grosdidier. Eh oui !

M. Daniel Boisserie. Non ! La principale réforme, à laquelle nous avons fait référence à plusieurs reprises, ce sont les lois de décentralisation de 1982, sous l’auspice des socialistes. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Derosier. Vous, vous aviez voté contre !

M. François Grosdidier. Moi ? En 1982, j’étais à la fac !

M. Bernard Derosier. Si ce n’était vous, c’était votre frère !

M. Daniel Boisserie. Personne, ici, n’est hostile aux réformes. Les territoires méritent, il est vrai, un toilettage. Mais je relève encore, dans votre projet de loi, quelques points surprenants et même très inquiétants, qui n’ont pas été évoqués.

Ainsi, on n’y voit toujours aucune disposition sur la péréquation financière entre les territoires, les régions, les départements, les communautés, les communes suburbaines – qui, c’est vrai, ont moins de charges – ,…

M. Michel Vergnier. Il ne faut pas que les pauvres dépensent plus ! Il ne faut rien leur donner !

M. Daniel Boisserie. …les villes de banlieue, les petites villes centres rurales, qui apportent tout et sur lesquelles pèsent des équipements très lourds : cinéma, théâtre, bibliothèque, crèche.

Quelle différence pour les impôts locaux entre Paris ou les Hauts-de-Seine et tous ces territoires ruraux, peut-être même l’ensemble du territoire français ! Un appartement modeste de 50 mètres carrés dans le VII e arrondissement vaut 500 000 euros mais ne paie guère que 200 euros de taxe d’habitation ou de foncier bâti, alors qu’une maison qui vaut les mêmes 500 000 euros en Creuse ou en Corrèze est imposée à hauteur de 2 000 euros !

M. Bernard Roman. Ce n’est pas normal !

M. François Grosdidier. C’est précisément ce que disaient les adversaires de la décentralisation !

M. Bernard Roman. Vous ne pouvez pas le savoir, vous n’étiez pas là !

M. Daniel Boisserie. Pourquoi cette différence ? Certains d’entre vous, mes chers collègues, doivent appliquer une fiscalité forte parce qu’ils n’ont pas de moyens financiers suffisants, malgré la réforme de la taxe professionnelle, qui n’apportera strictement rien, il faut le dire.

M. François Grosdidier. Quel gouvernement a augmenté la DSU ? Le nôtre !

M. Bernard Roman. Mais c’est nous qui l’avons créée ! Retournez à la fac pour apprendre l’histoire contemporaine. Vous n’y êtes pas resté assez longtemps !

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues, laissez M. Boisserie poursuivre.

M. Daniel Boisserie. C’est nous, en effet, qui avons créé la DSU. Si nos collègues de la majorité ne sont pas nombreux ce soir, ils n’en sont que plus virulents !

S’agissant des subventions, il faudra choisir entre celles du département ou de la région, même pour les équipements structurants. Quelle région ou quel département sera capable d’apporter à une petite ville centre 70 % d’aides, fonds de concours compris, comme c’est le cas aujourd’hui, pour la création d’un centre aqua-récréatif par exemple, alors que l’État n’apportera plus rien, puisque la DDR est mangée par ailleurs. Je cite l’exemple de cette réalisation qui nous a coûté 13,5 millions d’euros. Cela signifie que les communes ou les communautés de communes seront dans l’incapacité, pour certaines, de réaliser des équipements structurants de ce type. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Enfin j’ai examiné avec beaucoup d’attention l’amendement n° 570 rectifié du Gouvernement. Il est très intéressant.

M. Bernard Roman. Un cavalier, comme on dit !

M. Daniel Boisserie. La Haute-Vienne compte aujourd’hui 42 conseillers généraux. Elle comptera demain, selon cet amendement, 46 conseillers territoriaux, c’est-à-dire un conseiller territorial pour 8 000 habitants. Cela fait beaucoup, alors que vous nous promettiez un conseiller territorial pour à peu près 20 000 habitants.

Dans le Limousin, avec la Creuse et la Corrèze, il y avait 43 conseillers ; il y aura demain 96 conseillers territoriaux. Le président du conseil régional m’a dit qu’il serait obligé de reconstruire un hôtel de région. Où est l’économie, monsieur le ministre ? Quel gaspillage !

M. Bernard Roman. Marleix va devoir vendre des tentes, des chapiteaux !

M. Daniel Boisserie. Compte tenu de la situation économique de notre pays, ne pensez-vous pas que l’on aurait pu faire autre chose, plus simplement, sans ajouter ces complications qui seront nuisibles à notre République ?

Je voudrais maintenant m’adresser à M. Pélissard, président de l’Association des maires de France, pour qui j’ai le plus grand respect, lui indiquer qu’une très large majorité de maires sont opposés à cette réforme territoriale…

M. François Grosdidier. C’est faux !

Plusieurs députés du groupe SRC. C’est vrai !

M. Daniel Boisserie. …et lui demander quel sera son vote. Aujourd’hui, il ne peut pas, en qualité de parlementaire, voter cette réforme. J’espère, mes chers collègues de droite, que vous serez réalistes et que vous comprendrez. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Derosier. Le Gouvernement est dans les cordes !

M. Bernard Roman. Il ne tiendra pas longtemps !

M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue.

M. Daniel Garrigue. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’organisation territoriale, c’est vrai, n’est pas faite pour rester figée. Il est particulièrement légitime de l’adapter à des contraintes et à des attentes qui ne peuvent qu’évoluer dans le temps.

Ce projet de loi n’en comporte pas moins de nombreux paradoxes. Vous prétendez simplifier, mais vous créez des structures supplémentaires, dont l’une, la métropole, risque de brouiller fortement l’image et le rôle de la région sur laquelle nous avions un consensus depuis 1972.

Vous prétendez en finir avec les financements croisés, mais c’est pour crucifier les nouveaux conseillers territoriaux entre chef-lieu de région et chef-lieu de département. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

Vous prétendez renforcer la démocratie, mais vous faites disparaître le principal vecteur de la parité, c’est-à-dire l’élection à la proportionnelle des conseillers régionaux.

M. François Bayrou. Eh oui !

M. Daniel Garrigue. Vous prétendez garantir plus de performances aux territoires, mais vous avez déjà remis en cause leur principal levier d’autonomie et d’initiative à travers la réforme de la taxe professionnelle et aggravé leur dépendance à l’égard des dotations d’État.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. S’il y avait la proportionnelle en Dordogne, vous ne seriez plus député ! (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Daniel Garrigue. S’il y avait la proportionnelle en Dordogne, vous seriez peut-être étonné, monsieur Marleix, et dans le Cantal également. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Attendez 2012 et il se peut que vous ayez des surprises !

Je voudrais mettre l’accent plus particulièrement sur l’inadéquation de cette réforme aux besoins de nos territoires et aux attentes de nos concitoyens.

D’abord, l’affaiblissement de la relation de proximité avec le regroupement des conseillers généraux et régionaux dans le mandat unique de conseillers territoriaux. Certes, le décou page cantonal avait depuis longtemps besoin d’être révisé, compte tenu de disparités de plus en plus flagrantes. Le développement des intercommunalités que ce texte veut d’ailleurs renforcer réduit sensiblement les missions de conseillers des communes qui revenaient souvent aux conseillers généraux.

Mais nous vivons toujours sur une grande part du territoire dans un monde rural, où les besoins d’accompagnement sont particulièrement forts. Parce que, contrairement à toutes les prévisions, la population ne cesse d’y progresser. Parce que ce nouveau monde rural est caractérisé par une diversité de populations, de générations, d’activités qui fait que ses demandes sont toujours plus étendues. Parce qu’en présence d’une population dont une partie est fragilisée, les conseillers généraux ont développé un rôle nouveau et important dans la mise en œuvre de compétences sociales que la législation et les transferts de compétences n’ont cessé d’accroître à côté de l’aide sociale traditionnelle : la dépendance, la politique de l’enfant, les personnes handicapées.

Or les nouveaux conseillers territoriaux ne seront pas à même de remplir ces missions. Pour une région comme l’Aquitaine, leur ressort territorial, pour atteindre un seuil de 15 000 à 20 000 habitants, devra regrouper deux, trois, voire quatre des actuels cantons.

M. André Chassaigne. C’est vrai !

M. Daniel Garrigue. Leurs déplacements entre leur territoire et les différents chefs-lieux pourront les mobiliser, certains jours, trois, quatre ou cinq heures. Comment peut-on croire qu’ils ne seront pas conduits à hiérarchiser leurs missions et surtout leurs collectivités, vraisemblablement au détriment de l’échelon départemental ?

M. Daniel Boisserie. C’est vrai !

M. Daniel Garrigue. J’ajoute que si la disparition des départements constitue l’aboutissement final de cette réforme ‑ que beaucoup ont déjà esquissé, les groupements de communes, mêmes renforcés, auront les pires difficultés à trouver auprès des régions des interlocuteurs comparables à ceux que sont aujourd’hui pour eux les départements. Du dialogue suivi, on passera à l’anonymat.

Un autre aspect de cette inadéquation de la réforme tient aux conditions d’émergence des nouvelles métropoles. On ne peut sans doute pas contester l’existence d’une compétition nouvelle entre grandes métropoles à l’échelle de l’Europe, ni refuser la nécessité de donner un cadre aux agglomérations qu’elles vont rassembler. Mais même si la commission des lois a fait preuve de sagesse en laissant l’initiative aux communes, le projet de loi donne le sentiment de ne pas être allé jusqu’au bout des véritables questions.

D’abord parce qu’il est clair que deux logiques vont inévitablement s’opposer : celle des métropoles et celle des régions. Prenons les compétences économiques, lorsqu’elles sont attribuées aux métropoles : les élus de la métropole seront seuls à décider dans ce domaine, en dehors de la région. Par contre, sur les enjeux économiques de la région, hors métropole, les conseillers territoriaux venus de la métropole auront la possibilité de se prononcer. Ces rapports inégaux seront-ils compatibles avec le principe d’autonomie des collectivités territoriales ?

D’autre part, quel sera demain le cadre prioritaire de la politique d’aménagement du territoire ? Jusqu’ici, ce sont les contrats de plan, puis les contrats de projets État-région qui en étaient le cadre le plus déterminant. La prééminence de plus en plus donnée aux métropoles, que ce soit dans la réorganisation des services de l’État et dans le cadre de la RGPP, dans la mise en place des pôles de compétitivité et des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, ou encore dans la réorganisation des réseaux consulaires, laissera-t-elle une place aux politiques des territoires ? La régionalisation le garantissait. La métropolisation le rend plus qu’aléatoire. Les avantages financiers accordés aux métropoles, notamment en matière de DGF, ne le seront-il pas au détriment des départements, confrontés aux problèmes de compensation des charges transférées et au retard apporté à la mise en œuvre de la cinquième branche dépendance ; au détriment des villes et agglomérations moyennes, affaiblies dans leur stratégie par la réforme de la taxe professionnelle ; au détriment des communes, qui seront privées dès le seuil de 3 500 habitants de la conjonction des subventions départementale et régionale ; au détriment enfin de territoires ruraux qui auront de plus en plus de difficultés à mobiliser les fonds structurels européens ou les fonds de revitalisation rurale ?

M. Daniel Boisserie. Absolument !

M. Daniel Garrigue. Ce sont les questions que l’on peut et doit se poser, et que ce projet de loi ne résout pas. Ne fallait-il pas des choix plus clairs ? Ne fallait-il pas rechercher peut-être une plus grande différenciation et une plus grande séparation des structures en fonction des territoires auxquels elles s’appliquent ? Seule une concertation et une réflexion d’une autre ampleur auraient permis d’y répondre.

Derrière ce projet de loi, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, vous faites des choix : celui d’une recentralisation dictée par des considérations financières qui sont celles de l’État bien avant d’être celles des collectivités territoriales ;…

M. Jean-Pierre Grand. C’est vrai !

M. Daniel Garrigue. …celui d’une métropolisation privilégiée au détriment d’un effort de développement équilibré du territoire ; celui d’une reconfiguration de la représentation politique qui écarte la parité et qui écarte la relation de proximité avec les citoyens. Ce sont là trois raisons majeures de ne pas accepter ce projet. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean Lassalle et M. François Bayrou. Très bien !

M. Bernard Derosier. Ça bouge dans les rangs de la droite !

M. le président. La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne. Monsieur le secrétaire d’État, hier, dans le cadre des explications de vote sur la motion de rejet préalable, j’ai eu l’occasion de rappeler les motivations profondes du projet de réforme que vous nous présentez. Reprenant les arguments du Gouvernement et de la commission, j’ai rappelé que l’objectif principal de la réforme des collectivités territoriales était la maîtrise des dépenses sociales et publiques. Il s’agit d’obtenir que les collectivités territoriales prennent leur part de l’effort collectif.

L’objectif de la réforme est de combler le retard en matière de compétitivité et d’engager les territoires dans la voie de la performance. Ce que vous avez omis de dire, mais qui se devinait dans vos propos, c’est qu’il y a des espaces nouveaux à offrir au marché. Certains groupes n’attendent que le moment où les collectivités territoriales ne seront plus à même d’assumer les services publics locaux. Ils les prendront alors en charge pour en tirer profit et se faire de l’argent ! Inutile de préciser que ces services ne seront plus rendus de la même manière.

Je souhaite appeler votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur le devenir des territoires ruraux, question que vous connaissez bien puisque, pendant de longues années, vous avez occupé la fonction de maire dans le département du Cantal. L’inquiétude, voire l’angoisse des populations des territoires vous est donc familière. Si j’avais une seule question à vous poser, ce serait de savoir si vous pensez réellement que la création des conseillers territoriaux permettra de mieux répondre aux besoins des populations.

Pensez-vous réellement que l’avenir des territoires ruraux sera mieux assuré ? Les élus pourront-ils continuer à travailler dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui ? Les liens avec les populations, les associations locales, les conseils municipaux, l’ensemble des acteurs pourront-ils perdurer ? J’en doute car ils siégeront à la fois au conseil général et au conseil régional, et ils devront remplir des fonctions assignées par l’État – pour l’essentiel des fonctions de décentralisation de compétences transférées. Bref, ce seront de simples fonctionnaires appliquant les politiques de l’État et ne disposant d’aucune marge de manœuvre pour conduire des politiques d’intérêt local.

Imaginons un instant quel sera effectivement le travail des conseillers territoriaux. Tout le monde sait, et vous au premier chef, monsieur le secrétaire d’État, que petit à petit ils s’éloigneront de la population. La proximité et le lien républicain entre les élus et la population se perdront. Il s’agit là d’une réelle mise en cause de la démocratie locale.

Hier vous êtes allé jusqu’à dire que les conseillers régionaux étaient des « ovnis ». Ce n’était pas très sympathique pour les élus d’Auvergne, à commencer par vous-même, pour M. Brice Hortefeux ou pour moi. Très sincèrement, je ne pensais pas être un ovni !

Mais avec les conseillers territoriaux, vous créez vraiment un corps d’ovnis, qui s’éloigneront du terrain et de la démocratie locale : tel est votre but.

M. Alain Rousset. Eh oui !

M. André Chassaigne. Ce faisant, vous êtes en contradiction avec les ambitions que vous affichiez, notamment le 11 mai 2010 dans le cadre du comité interministériel pour l’aménagement et le développement du territoire. N’annonciez-vous pas un plan d’action en faveur des territoires ruraux ? Il fallait assurer une meilleure accessibilité, favoriser le développement économique, améliorer la vie quotidienne des populations.

M. Jean-Louis Bianco. On se demande avec quel argent !

M. André Chassaigne. Vous y décliniez projets et orientations. Ne mettiez-vous pas en avant le rôle majeur des acteurs locaux ? Mais pour que les propositions du CIADT puissent réussir, il faut des élus de terrain, car ce sont eux qui tissent les liens entre la population, les associations, les collectivités territoriales. Or les conseillers généraux, en particulier, sont des élus de proximité. C’est eux qui sont le mieux à même de faire aboutir des projets de territoire, pour améliorer le quotidien, préparer l’avenir, créer de l’emploi, accompagner l’agriculture, grâce à leur grande connaissance du terrain, de l’institution départementale, et aux contacts qu’ils ont avec la population. Avec votre projet, tout cela sera terminé !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. On vous fait confiance, monsieur Chassaigne !

M. André Chassaigne. Vous pouvez toujours, en claironnant, vous référer aux grandes orientations du CIADT, mais, en fait, vous organisez la désertification des campagnes car il sera impossible aux conseillers territoriaux, trop éloignés des populations, de conduire des politiques publiques, notamment en raison de l’assèchement des ressources des collectivités.

L’INRA a publié un excellent travail sur les nouvelles ruralités en 2030 en s’interrogeant sur ce que sera la nature de la dynamique entre les villes et les campagnes. Sur les quatre scénarios possibles, tous s’appuient sur les acteurs locaux, les élus de terrain. Cette réalité-là, vous la remettez également en cause.

Jusqu’à présent, les Français n’ont pas compris les conséquences de votre réforme, mais je peux vous assurer que, grâce à nos arguments, ils prendront conscience de ce qui est en train de se passer. Pour la première fois, cinq associations d’élus de gauche ont donné une conférence de presse et présenté un texte commun sur le projet de réforme des collectivités territoires. Une première !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Il était temps !

M. André Chassaigne. Les élus du Mouvement républicain et citoyen étaient représentés par leur président. Les élus Verts et écologistes étaient présents, ainsi que ceux de la Gauche radicale et républicaine. Les élus socialistes étaient représentés par Claudy Lebreton Moi-même, je représentais les élus du groupe communiste et républicain. Bref, les cinq associations d’élus de gauche se sont réunies ce matin afin de rendre public un texte commun qui souligne la menace sérieuse que représente votre projet pour l’intervention publique locale. C’est un appel à tout le pays – élus et populations – en faveur d’un nouveau pacte républicain entre l’État et les collectivités que nous lançons.

Votre projet de loi casse le pacte républicain : nous allons, quant à nous, le reconstruire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

M. le président. La parole est à M. Robert Lecou.

M. Dominique Perben, rapporteur . La parole à la défense !

M. Robert Lecou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c’est la France qui nous réunit ce soir, la France des femmes et des hommes qui ont fondé notre histoire et fait rayonner notre pays dans le monde, mais aussi la France des territoires : la France urbaine et rurale, la France industrielle, la France nourricière et agricole, la France avec ses paysages accueillants, première destination au monde en matière touristique. Cette France que nous aimons est administrée par des élus auxquels je souhaiterais rendre hommage ce soir.

M. Bernard Derosier. Très bien !

M. Robert Lecou. La caricature les présente souvent sous un angle peu flatteur.

M. Bernard Derosier. Sarko est expert en la matière !

M. Robert Lecou. Les élus de France sont des gens passionnés, dévoués, qui sacrifient beaucoup de leur vie privée pour administrer notre pays dans le cadre d’institutions adaptées, fondées sur le socle de l’histoire de France : la royauté, l’Ancien régime avec ses paroisses, aujourd’hui les communes.

M. Alain Cacheux. Quelle fresque !

M. Robert Lecou. La Révolution a créé les départements.

Créées en 1972, et connues sous ce nom en 1992, les régions se sont inscrites dans le paysage français et européen. Ces territoires signifiaient proximité, efficacité et recherche de compétitivité dans un monde en pleine évolution.

M. Bernard Derosier. Oui !

M. Robert Lecou. Puis est venu le temps de l’intercommunalité, laquelle, depuis la création des districts en 1959, n’a jamais été remise en question par aucun président de la République, aucun gouvernement, aucune majorité.

M. Michel Ménard. Et maintenant, on casse tout !

M. Robert Lecou. L’intercommunalité est en mouvement : elle correspond à des périmètres pertinents, mieux adaptés que l’échelon communal pour prendre en charge des services que nos concitoyens souhaitent proches d’eux.

En 1982, est venu le temps de la décentralisation, qui a incontestablement permis un meilleur aménagement de la France.

M. Bernard Derosier. Oui !

M. Robert Lecou. Nos collèges et nos lycées ont été modernisés. C’est un fait.

Ces dernières années, la France s’est construite dans la dynamique économique grâce à la croissance. Lorsque j’étais élu local – maire, président de communauté de communes, conseiller général –, je me souviens que dans les années 80, on arrivait toujours à équilibrer les budgets. Les DGF augmentaient, l’inflation était là. Aujourd’hui, tout est différent, plus complexe, plus difficile.

M. Bernard Derosier. Impossible !

M. Robert Lecou. Quel constat faut-il dresser ? Force est de constater l’existence d’un empilement des structures, le fameux millefeuille institutionnel, avec son opacité, sa complexité et sa fiscalité que nos concitoyens ne comprennent pas. Mettez-vous à la place d’un acteur économique qui veut s’installer dans une région. Il est obligé d’aller voir le maire, le président de la communauté de communes ou d’agglomération, le président du pays, le conseiller général, le conseiller régional, le préfet, les chambres consulaires… Vous imaginez le dédale, le parcours du combattant que cela représente !

M. Alain Rousset. Qu’est-ce qui va changer maintenant ?

M. Robert Lecou. Pour l’acteur économique, c’est le parcours du combattant, mais pour le contribuable, c’est l’incompréhension devant la feuille d’impôt. Pour qui et pour quoi paie-t-il ? On ne le sait pas aujourd’hui.

Plusieurs députés du groupe SRC. On ne le saura pas plus demain !

M. Robert Lecou. Aujourd’hui, le citoyen est mécontent et a l’impression d’un éloignement des élus. Il suffit de regarder le résultat des dernières élections régionales. Combien de citoyens se sont rendus aux urnes ? Beaucoup n’ont pas voté parce qu’ils ne connaissent pas le conseil régional.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Eh oui !

M. Robert Lecou. Ils en ignorent les compétences parce que le conseiller régional est éloigné. Il faut donc, mes chers collègues, évoluer. Si nous n’évoluons pas, la France sera à la traîne. Évoluer, c’est clarifier, simplifier, relégitimer les élus,...

M. Bernard Roman et M. Alain Cacheux. Vous faites le contraire !

M. Robert Lecou. …ne pas oublier les valeurs de responsabilité et de proximité.

Le texte dont nous allons débattre n’est pas parfait – et je souhaite que nous l’améliorions – mais il a le mérite d’exister et présente des pistes intéressantes, que nous devons suivre si nous ne voulons pas manquer à nos responsabilités d’élus de la nation.

Le couple formé par la commune et l’intercommunalité privilégie la proximité. La compétence générale laissée à la commune me paraît une excellente chose : à mes yeux, nos 36 000 communes de France ne sont pas un handicap, mais une chance – la chance de la proximité. Le texte nous propose donc de préserver la commune tout en lui permettant de trouver, avec l’intercommunalité, le périmètre pertinent.

Quant au couple formé par le département et la région grâce à la création du conseiller territorial, il me paraît propice à une plus grande efficacité. En effet, l’existence d’un seul élu aux niveaux régional et départemental permettra une plus grande cohérence et moins de redondances.

Au niveau électoral, la réforme de l’élection du conseiller communautaire, qui permet à l’opposition d’être représentée au sein du conseil communautaire, est tout aussi excellente. Aujourd’hui, en effet, les oppositions ne siègent pas dans les conseils communautaires, alors que c’est au niveau de la communauté de communes ou d’agglomération que l’on délibère des projets importants. Là encore, le texte va donc dans le bon sens.

De même, la disposition qui tend à ramener de 3 500 à 500 habitants le seuil d’applicabilité du scrutin de liste pour l’élection des conseillers municipaux me semble satisfaisante. Mais peut-être pourrait-on renoncer à tout seuil, afin d’éviter les règlements de comptes dans les petites communes. Je propose donc d’étendre le scrutin de liste aux plus petites d’entre elles.

M. Jean-Pierre Grand. C’est déjà le bazar : autant aller jusqu’au bout !

M. Robert Lecou. Le schéma intercommunal que l’on envisage de finaliser constitue lui aussi une orientation tout à fait satisfaisante.

Toutefois, quelques améliorations que l’on pourrait apporter au texte méritent d’être débattues. En voici une. On parle de lutter contre l’abstention ; je défendrai donc un amendement qui tend à faire reconnaître le vote blanc. Je rappelle que notre assemblée a voté il y a quelques années un texte en ce sens, qui n’a pu être appliqué faute d’avoir été débattu par le Sénat. Or on inciterait peut-être les électeurs à se déplacer si l’on décomptait leurs voix même lorsqu’ils votent blanc.

M. Jean-Pierre Grand. Il va y en avoir, des votes blancs !

M. Robert Lecou. Voilà donc un texte qui a le mérite d’exister, qui ouvre des pistes satisfaisantes, et qu’il faudra améliorer afin de répondre aux attentes de nos concitoyens et de permettre à la France d’être toujours mieux administrée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Pascale Crozon.

M. Bernard Derosier. Je suis sûr qu’elle va parler de parité !

Mme Pascale Crozon. Vous croyez ? (Sourires.)

Pardonnez-moi, monsieur le secrétaire d’État, de vouloir poursuivre le débat sur la parité… (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC.)

M. Michel Ménard. Gagné ! Bernard Derosier a vu juste !

Mme Pascale Crozon. …, que le Gouvernement espérait clore précipitamment hier, après le vote sur notre proposition de loi à ce sujet. Mais, avec la création du conseiller territorial, nous passons de la théorie aux travaux pratiques.

Jeudi dernier, Monsieur le secrétaire d’État, dans un discours confondant de faux bons sentiments, de vrai conservatisme et d’un cynisme qui a choqué jusque dans les rangs de la majorité…

M. Jean-Louis Bianco. C’est vrai !

Mme Pascale Crozon. …, vous nous avez expliqué qu’avoir inscrit la parité à l’article 1 er de notre Constitution était une très bonne chose, mais ne devait pas « empêcher le législateur de fixer le régime électoral des assemblées, au plan national ou local ». (M. le secrétaire d’État approuve.) Là n’était pas le sujet, puisque notre proposition ne modifiait nullement les modes de scrutin. Mais vous, vous le faites, et le moins que l’on puisse dire, c’est que vous assumez pleinement de ne pas vous sentir engagé par l’obligation de parité.

Permettez-moi du reste de souligner, à l’heure où il est question d’y ajouter la réduction des déficits, que la parité est révélatrice du peu d’importance que ce gouvernement accorde aux objectifs inscrits dans la Constitution !

Mme Marylise Lebranchu. C’est vrai !

Mme Pascale Crozon. Je ne m’appesantirai pas sur l’effet du mode de scrutin. Tous connaissent les projections de l’Observatoire de la parité, que nous avons évoquées la semaine dernière : on compterait environ 17 % de femmes, voire moins, parmi les futurs conseillers territoriaux, alors qu’aujourd’hui, 48 % de femmes gèrent les régions. Ce partage n’est pas seulement quantitatif, mais aussi qualitatif, puisque plus de 45 % des vice-présidences sont assumées par des femmes. Cela résulte du reste de la loi du 31 janvier 2007, que vous revendiquiez jeudi comme une conquête de l’UMP, et que l’UMP s’apprête à détruire.

M. Alain Cacheux. Eh oui !

Mme Pascale Crozon. Je crains toutefois que la réalité ne soit encore pire que les projections mécaniques. En effet, ce que nous devrons gérer, dans tous les partis, ce sont d’abord des egos et des susceptibilités – et pas n’importe lesquels : ceux d’élus sortants. On sait très bien où cela conduit : aux législatives, votre majorité justifie ses 26 % de candidates et 14 % de femmes élues – chiffres modestes – en arguant qu’elle compte 70 % de sortants. Mais là, ce sera pire encore : les partis auront bien plus de sortants que d’investitures à distribuer !

M. Bernard Roman. 180 % !

Mme Pascale Crozon. Il y a fort à parier que les meilleures circonscriptions seront alors réservées à ceux qui – pour reprendre les termes que M. Huyghe a employés jeudi dernier contre la parité – « ont une certaine surface politique locale » (Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC), c’est-à-dire les conseillers généraux, issus du scrutin majoritaire, et qui sont à 80 % des hommes.

En d’autres termes, l’on enverra les conseillers régionaux se faire les dents là où ce sera le plus difficile, et l’on réservera aux femmes – comme aujourd’hui – le statut de remplaçante.

M. Bernard Roman. Exactement. C’est scandaleux !

M. Alain Cacheux. Ah, ils ne sont pas fiers, en face !

Mme Pascale Crozon. Il ne restera alors que des miettes pour les non-sortants, donc pour le renouvellement de la classe politique.

Car, au-delà de la parité, c’est toute la diversité de la société française – âges, origines sociales, professionnelles, culturelles ou géographiques, société civile – que l’on trouve aujourd’hui dans les conseils régionaux et qui pourrait, demain, ne plus y être représentée.

Vous auriez également pu limiter les cumuls de mandats, mais vous faites exactement l’inverse. Le cumul des mandats de conseiller régional et de conseiller général est aujourd’hui absolument interdit ; en 2014, il sera absolument obligatoire.

M. Jean-Pierre Grand. J’ai déposé un amendement à ce sujet : il faudra le voter !

M. Alain Marleix, secrétaire d’État. Chez vous, au PS, ça a l’air assez compliqué !

Mme Pascale Crozon. Ce n’est pas nous qui faisons cette loi, monsieur le secrétaire d’État : c’est vous !

En outre, non contents de devoir gérer et la région, et le département, ces messieurs pourront continuer de cumuler ces fonctions avec celles de maire, de sénateur ou de député. Il s’agit d’un renforcement sans précédent des cumuls et de la professionnalisation de la politique. Ce n’est pas d’une modernisation de la vie publique qu’il est question mais, bien au contraire, d’une grave régression : votre texte creuse le fossé qui, dans l’esprit de nos concitoyens, les sépare de leurs élus, dont ils se sentent de fait, à tort ou à raison, de moins en moins proches.

En contrepartie, vous voulez nous vendre la parité dans les villages de moins de 3 500 habitants, nous expliquant que ce sera un formidable vivier pour les femmes, qui seront alors capables d’évoluer vers d’autres mandats, voire, un jour lointain – en 2022, nous promet Chantal Brunel‚–, d’être les égales des hommes dans cet hémicycle.

Mais comment croire à cette fable ? Comment imaginer la moindre évolution, lorsque vous vous appliquez aussi consciencieusement à confier l’ensemble des fonctions électives à des élus hommes ? En vérité, monsieur le secrétaire d’État, ce n’est pas un vivier que vous créez, mais une prison qui hiérarchise les mandats selon le sexe ; en d’autres termes, la traduction politique du plafond de verre que subissent les femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. Je me demande comment ils vont tenir, au Gouvernement ! Et vous, monsieur Perben, comment allez-vous faire ?

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Bouchet.

M. Jean-Claude Bouchet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout le monde le sait, la décentralisation est une bonne chose pour notre pays. (« Ah bon ? » sur les bancs du groupe SRC.) Elle crée une proximité et permet une véritable vision du terrain ; elle permet donc, de fait, une réactivité favorable à l’amélioration de nos conditions de vie. Les autres pays européens l’ont compris depuis longtemps. Je salue donc avec une grande satisfaction l’avènement de cette indispensable réforme des collectivités territoriales.

Si ce sujet me passionne – comme il vous passionne tous –, c’est non seulement parce que je suis un élu local, maire d’une commune de 26 000 habitants et ancien conseiller général, mais parce que je sais, en mon for intérieur, que l’identité nationale, comme les particularismes locaux qui font nos terroirs, sont au cœur de notre action. Sur ces territoires vivent des femmes et des hommes (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC)  ; c’est pour eux que nous devons organiser les choses.

Il paraîtrait inconcevable que nos structures territoriales restent en l’état alors que notre pays, dans un contexte de mondialisation qui le confronte à une compétition internationale de plus en plus vive et préoccupante, se réforme dans tous les secteurs – l’État, les chambres consulaires, les entreprises.

Cette réforme est donc nécessaire parce que le statu quo n’est plus possible. Elle permettra de clarifier les compétences et de coordonner les différentes politiques. Elle responsabilisera les acteurs et sera un gage de clarté pour chacun, car elle limitera la concurrence, voire la surenchère entre collectivités ; elle pourrait même les faire disparaître.

M. Michel Ménard. Avec vous, réforme rime avec régression !

M. Jean-Claude Bouchet. Élus de droite, et parfois de gauche, Cour des comptes – sans compter les nombreux rapports sur le sujet‚–, tout le monde est d’accord : il faut en finir avec l’empilement des structures.

M. Michel Ménard. Vous ne réglez rien !

M. Philippe Vuilque. Nous ne sommes pas d’accord sur les méthodes !

M. Jean-Claude Bouchet. Avec 36 783 communes, 100 départements, 26 régions, 15 900 syndicats intercommunaux…

M. Bernard Derosier. Ils sont supprimés ?

M. Jean-Claude Bouchet. …, 371 pays, le millefeuille administratif est devenu illisible, car nous avons toujours rajouté, sans jamais retrancher.

M. Michel Ménard. Vous ajoutez encore les métropoles et les communes nouvelles !

M. Bernard Derosier. Vous continuez !

M. Jean-Claude Bouchet. Il faut également en finir avec l’enchevêtrement des compétences : aujourd’hui, pour comprendre qui est qui et qui fait quoi, il faudrait être un expert en droit public.

M. Bernard Derosier. Et pour comprendre ce que vous faites, il faut être député UMP !

M. Jean-Claude Bouchet. Il faut en finir enfin avec le labyrinthe des financements croisés : un quart des financements des régions et un cinquième de ceux des départements couvrent des financements croisés entre plusieurs collectivités. Tous ces chevauchements institutionnels ont bien entendu un coût. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

La réforme est donc indispensable à mes yeux. En poursuivant plusieurs objectifs – adapter notre organisation territoriale aux réalités du temps, optimiser l’usage de l’argent public, rationaliser l’organisation, mutualiser au mieux les moyens des collectivités‚–, elle permettra aux collectivités d’être au plus près des attentes de la population et des élus.

Le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a eu le courage de prendre cette question à bras-le-corps…

M. Bernard Derosier. Tu parles !

M. Jean-Claude Bouchet. … en engageant une réforme historique qui vise à simplifier notre organisation territoriale afin de renforcer la démocratie locale et de rendre nos territoires plus attractifs.

Ce texte, avec ses 41 articles, est complet ; il permet véritablement d’entreprendre une nouvelle politique de décentralisation. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

La solution n’était pas de supprimer le département ou la région, qui ont tous deux leur légitimité.

M. Henri Nayrou. Il n’a pas lu le texte !

M. Jean-Claude Bouchet. Elle consiste, au contraire, à les rapprocher pour les rendre plus complémentaires, donc plus efficaces.

Tel est le sens de la création d’un conseiller territorial qui siégera à la fois au département et à la région. Il s’agit d’une réponse simple et pragmatique qui vise à mettre fin à la concurrence entre ces deux échelons et aux dépenses redondantes.

Oui, mes chers collègues, ce texte est fondamental pour moderniser l’organisation territoriale de notre pays ; il revêt, sans aucun doute, un caractère historique.

Oui, ce texte est fondamental pour créer une plus grande proximité, et il est primordial, au nom de cette proximité, que la population soit consultée – ce qui est prévu pour certains regroupements ou rattachements.

Enfin, ce texte est fondamental pour renforcer la décentralisation et les libertés locales en France.

Pour toutes ces raisons, je le voterai.

M. Bernard Derosier. Si tous les députés UMP sont aussi enthousiastes que vous… !

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Bianco.

M. Michel Ménard. Il va rétablir la vérité !

M. Jean-Louis Bianco. Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi avez-vous voulu cette réforme ? Pour simplifier, dites-vous. Dans ce cas, pourquoi ajouter deux couches supplémentaires, les métropoles et les pôles métropolitains – à propos desquels le rapporteur a du reste fait part de son scepticisme ?

M. Michel Ménard. Tout à fait !

M. Jean-Louis Bianco. Une vraie réforme aurait dû être entreprise avec l’accord des collectivités, et non contre elles. Mais, avec une constance qui mérite d’être soulignée, vous n’avez cessé de prendre les problèmes à l’envers, comme vous l’ont fait remarquer deux anciens premiers ministres : MM. Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin.

Vous supprimez la taxe professionnelle mais, pour son remplacement, on verra plus tard.

Vous garantissez la compensation des ressources pour 2010 mais, pour après, on ne sait pas.

Vous créez le conseiller territorial mais pour les compétences qu’il aura à exercer, on verra ensuite. Nous avons d’ailleurs bien compris qu’il n’y aurait pas de loi générale sur les compétences.

Simplification, dites-vous en évoquant le fameux millefeuille. Rappelons que la plupart des pays européens ont, comme nous, trois niveaux d’administration : communes-intercommunalités, départements ou provinces et régions. La vraie spécificité française tient à nos 36 000 communes au sein desquelles 500 000 élus, hommes et femmes, pour la plupart non payés, exercent une mission de service public en maintenant le lien social alors que les services publics s’éloignent. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. Ils ne savent pas ce qu’est le lien social. Pour eux, c’est un gros mot !

M. Jean-Louis Bianco. Passer de 6 000 conseillers généraux et régionaux à 3 000 – 3 471 dans la dernière version des tableaux – est une fausse économie, à moins que votre véritable intention ne soit de supprimer les départements, ce dont Jean-François Copé ne se cache d’ailleurs pas. Comme le dit très justement M. Philippe Adnot, président de droite du conseil général de l’Aube, « le conseiller territorial est le fruit d’esprits tordus parisiens ». (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Vous venez enfin de nous communiquer un tableau où figure le nombre des conseillers territoriaux par département et par région.

M. Alain Cacheux. Cela n’a pas été sans mal !

M. Jean-Louis Bianco. Pour notre région Provence-Alpes-Côte d’Azur, dont je salue le président ici présent, Michel Vauzelle, le nombre de conseillers siégeant à la région passerait de 123 à 224 et la même évolution peut s’observer, parfois en pire – n’est-ce pas, Alain Rousset ? – dans toutes les régions. Cela veut dire qu’il va falloir pousser les murs des hôtels de région avec des indemnités, de frais de secrétariat et de déplacements qui feront que votre réforme se soldera non par des économies mais par un coût supplémentaire.

En réalité, pour la première fois depuis les lois Defferre de 1982, nous assistons à une recentralisation :...

M. Michel Vauzelle. Exactement !

M. Jean-Louis Bianco. … recentralisation à travers les pouvoirs des préfets pour imposer en fin de compte une intercommunalité qui pourra être forcée ; recentralisation à travers la perte de liberté pour les élus de fixer les taux d'imposition ; recentralisation à travers les normes de dépenses que vous voulez imposer aux collectivités locales alors que vous avez été incapables de vous les appliquer à vous-mêmes. Le déficit de 140 milliards d'euros du budget de l'État n'est pas imputable aux élus locaux, mais à vous ; la dette de 1 500 milliards d'euros, c'est encore vous !

Les collectivités locales réalisent, rappelons-le, 73 % des investissements publics …

Mme Sylvia Pinel. Eh oui !

M. Jean-Louis Bianco. …et vous les étranglez de trois manières : par la perte de liberté fiscale, par la diminution des dotations de l'État et par la contrainte sur les dépenses. Ce faisant, c'est l'investissement public que vous allez mettre en péril.

M. Philippe Vuilque. Et donc l’emploi !

M. Jean-Louis Bianco. Un million d'emplois directement liés aux investissements réalisés par les collectivités locales sont menacés, en particulier dans les entreprises du bâtiment et des travaux publics.

M. Bernard Derosier. Ils s’en foutent !

M. Jean-Louis Bianco. Et l'emploi dans nos collectivités locales et les services publics locaux va lui aussi être atteint.

En imposant une austérité forcée, ne vous y trompez pas, vous récolterez peut-être quelques discrets applaudissements ici ou là, mais vous allez casser la fragile reprise de notre économie.

Vous vouliez supprimer la clause de compétence générale qui permet aux départements et aux régions d'intervenir selon les besoins de leurs habitants et de leurs territoires. Devant les protestations qui se sont multipliées à droite comme à gauche, vous semblez faire machine arrière mais, en limitant cette clause de compétence à la création artistique, au patrimoine et au sport, vous compliquez les choses et vous ouvrez la voie à des contentieux généralisés. Dans la énième version de l'article 35, vous enfermez la clause de compétence générale dans des conditions restrictives et compliquées. Si j’ai bien compris la dernière version, vous renvoyez à une loi mais celle-ci ne semble plus être à l’ordre du jour.

M. Bernard Derosier. Oui, qu’en est-il de la loi sur les compétences, monsieur le secrétaire d’État !

M. Jean-Louis Bianco. Vous voulez donc limiter la compétence des départements et des régions. Mais l’État n'hésite pas, dans les domaines qui relèvent de la sienne, à faire les poches des départements et des régions pour financer les lignes de trains à grande vitesse ou les autoroutes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Pourquoi mettre à mal la décentralisation alors que 78 % des Français sont satisfaits des actions menées par leur département et que 73 % sont opposés à un transfert de compétences à d'autres échelons territoriaux ? Pourquoi vous obstiner alors que 75 % des Français jugent votre réforme « mal expliquée » et 76 % « incompréhensible » ?

En tout cas, je vous le dis, si nous accédons au pouvoir en 2012, nous reviendrons sur votre réforme et nous accroîtrons la décentralisation. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Prochaine séance, jeudi 27 mai, à neuf heures trente :

Suite de la discussion du projet de loi de réforme des collectivités territoriales.

La séance est levée.

(La séance est levée, le jeudi 27 mai 2010, à zéro heure vingt.)

Le Directeur du service du compte rendu de la séancede l'Assemblée nationale,
Claude Azéma