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Commission des affaires européennes

mardi 10 janvier 2012

16 h 45

Compte rendu n° 234

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

I. Examen du rapport d’information de MM. Pierre Bourguignon et Michel Diefenbacher sur les nouvelles exigences prudentielles applicables aux banques (Bâle III) (E 6787)

II. Communication de MM. Jérôme Lambert et Didier Quentin sur les propositions de réforme de l’espace Schengen (E 5843, E 6293, E 6612 et E 6626)

III. Communication de M. Didier Quentin sur la proposition de directive relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait de la protection internationales dans les Etats membres ainsi que sur la proposition de directive établissant des normes pour l’accueil des demandeurs d’asile (E 4872, E 6362 et E 6363)

IV. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mardi 10 janvier 2012

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 45

I. Examen du rapport d’information de MM. Pierre Bourguignon et Michel Diefenbacher sur les nouvelles exigences prudentielles applicables aux banques (Bâle III) (E 6787)

M. Pierre Bourguignon, co-rapporteur. Nous avons travaillé sur un volet du chantier européen de réforme de la réglementation financière qui porte sur les normes prudentielles applicables aux banques. Notre travail vise à ce que les informations nécessaires sur des sujets aussi complexes puissent vous être présentées aussi clairement que possible. Ce rapport d’information ne clôt pas le sujet. Nous vous présentons un projet de conclusions en six points pour approfondir la réflexion tout en maintenant un haut niveau d’alerte.

L’objectif fondamental est de contribuer à restaurer la confiance dans le système bancaire européen. La Commission européenne a présenté le 20 juillet dernier deux propositions. Cet ensemble regroupe une initiative législative propre à l’Union européenne, consistant à intégrer de nouvelles dispositions relatives, notamment, aux moyens juridiques des superviseurs nationaux, et d’autre part, l’introduction de l’accord dit « Bâle III ».

La proposition de règlement aborde essentiellement la question des fonds propres dans le secteur bancaire, pour donner force de loi aux recommandations du Comité de Bâle, comité non gouvernemental qui rassemble les superviseurs bancaires de vingt-sept pays. Quant à la proposition de directive, elle aborde le rapprochement des législations sur les pouvoirs de sanction des superviseurs nationaux, le renforcement de la gouvernance d’entreprise dans les établissements de crédit, et des mesures contre le recours exclusif ou automatique des banques aux notations produites par les agences de notation, qui les a souvent conduit à négliger leurs propres obligations de diligence et de gestion interne des risques.

Au sein de ce dispositif complexe, ce sont les éléments directement liés à la mise en œuvre de « Bâle III » qui ont retenu notre attention. Ces nouvelles règles soulèvent au moins deux problèmes majeurs, un enjeu interne qui est celui du financement de l’économie réelle, et une dimension externe qui est celle de l’application coordonnée de Bâle III par l’ensemble des partenaires du G20. Ces problèmes ne sont pas seulement liés à l’accord Bâle III lui-même, mais aux décisions qui ont déjà été prises en Europe pour accélérer le calendrier de son entrée en vigueur. Nous ne vous proposons pas, à ce stade, d’approuver ou de rejeter ces deux textes, mais de prendre la mesure de la complexité technique du dispositif et des problèmes majeurs qu’ils soulèvent.

Le « Comité de Bâle sur le contrôle bancaire » réunit les superviseurs nationaux des banques de vingt-sept pays, dont les membres du G20. Il élabore des recommandations qui n’ont pas force de loi. Elles doivent, pour devenir contraignantes, être traduites en mesures législatives et réglementaires dans chaque pays. C’est pour cette raison que, dans l’Union européenne, « Bâle I », puis « Bâle II », ont été intégrés dans le droit positif par des directives. Elles deviennent ainsi applicables non seulement dans les neuf pays européens dont les superviseurs siègent au Comité, mais dans l’ensemble de l’Union.

Le premier accord de Bâle a été élaboré en 1988, pour proposer un système de mesure des capitaux pour les banques, et une exigence d’adéquation du capital. En juin 2004, à l’issue de onze années de négociations, un dispositif plus vaste, « Bâle II », a été présenté. Il comportait des ratios de fonds propres, des règles de surveillance, et des obligations de transparence. Bâle II a été introduit dans le droit européen par deux directives de 2006. Ces directives sont entrées en vigueur au 1er janvier 2008, donc six mois après le déclenchement de la crise financière. Celle-ci a amené le Comité de Bâle à élaborer en 2009, dans l’urgence et à la demande du G20, « Bâle III ».

L’exigence d’adéquation du capital – ou exigence minimum de fonds propres - est le montant de capital qu’un établissement de crédit est obligé de détenir par rapport au montant de ses actifs pour pouvoir faire face à des pertes non liées au déroulement normal de ses activités. Plus une banque détient de fonds propres, plus elle devrait être à même de supporter des pertes avant de faire défaut. Le ratio est calculé comme un pourcentage des actifs pondérés en fonction des risques. Plus un établissement détient d’actifs risqués, plus l’exigence qui lui sera appliquée sera élevée.

Sous le régime de Bâle II, les fonds propres étaient classés en trois catégories – Tier 1, Tier 2 et Tier 3 -, selon leur niveau de qualité. Le Tier 1 est la partie du capital qui permet à une banque de poursuivre ses activités et d’empêcher son insolvabilité. Bâle III a créé une sous-catégorie, le « noyau dur » du Tier 1, appelé « CET 1 », de la qualité la plus haute : ce sont les participations des actionnaires.

Avec Bâle III, le ratio de fonds propres, qui est la somme du Tier 1 et du Tier 2, demeure fixé à 8 % comme dans Bâle II, mais sa composition change. Le Tier 1 passe de 4 % à 6 % des actifs, et à l’intérieur de ce Tier 1, le « noyau dur » (CET 1) passe de 2,5 % à 4,5 % des actifs. De plus, les critères de définition de chaque composante deviennent plus exigeants.

Bâle III ne se contente pas de modifier la composition du ratio de 8 %. L’accord crée aussi deux nouveaux « coussins » ou « réserves » de capital, un « coussin de conservation » et un « coussin contra cyclique ». Le premier a pour objectif de prévenir toute situation dans laquelle l’argent des contribuables serait mis à contribution pour résoudre une crise bancaire. Le second est à alimenter en période de conjoncture favorable, et à utiliser en période de ralentissement.

Deuxième élément chiffré de Bâle III : les ratios de liquidité. C’est une nouveauté par rapport à Bâle II, et l’une des plus controversés. Ils doivent être introduits à l’issue d’une période d’expérimentation, et serviront à mesurer la capacité de résistance des banques à un choc de liquidité majeur.

Enfin, Bâle III introduit un ratio pour limiter l’effet de levier, qui doit également être expérimenté avant de devenir obligatoire.

Bâle III comporte un calendrier de mise en œuvre progressive qui s’étend jusqu’en 2019. Mais l’idée d’une période de transition assez longue semble désormais abandonnée, en ce qui concerne les ratios de fonds propres du moins. Le contexte économique et financier a continué d’évoluer profondément, non seulement depuis la présentation de Bâle III fin 2010, mais aussi depuis la présentation par la Commission européenne de ses deux propositions en juillet dernier. Sous la pression des marchés, certains Etats ont décidé d’accélérer la mise en œuvre des nouveaux ratios de fonds propres, et le 26 octobre dernier ce sont les chefs d’Etat et de gouvernement des vingt-sept Etats de l’Union qui ont décidé d’exiger des banques européennes qu’elles atteignent d’ici le 30 juin 2012 un ratio de fonds propres de 9 %. Or ce calendrier accéléré rend très préoccupant les risques de contraction des crédits à l’économie. On sait que les banques françaises se sont engagées à faire évoluer leurs crédits aux PME en ligne avec la croissance du PIB, mais qu’en sera-t-il réellement, et qu’en sera-t-il pour les prêts aux autres entreprises ?

M. Michel Diefenbacher, co-rapporteur. Ces efforts d’harmonisation de la réglementation et des pratiques bancaires remontent aux années 1980, mais la crise financière a fait apparaître la nécessité d’un système mieux coordonné, plus intégré et mieux contrôlé. Elle a donc conduit les autorités bancaires et les Etats à rechercher les voies d’une véritable convergence. La chronologie des évènements est importante : Bâle II, c’est 2004, donc antérieur à la crise de 2007-2008, son entrée en vigueur en Europe date de janvier 2008, alors que la crise avait déjà éclaté, révélant le besoin de modifier de nouveau les règles. Bâle III a été préparé en 2009, au lendemain de la première crise financière mais avant que la crise des dettes souveraines prenne toute son ampleur. Ainsi, de manière pratiquement constante, les régulateurs ont été amenés à durcir les règles prudentielles applicables aux banques.

J’insisterai sur le fait que les propositions de la Commission européenne vont au-delà que ce que propose Bâle III. En effet, la Commission propose quatre choses : transposer Bâle III en droit européen ; supprimer toute une série de possibilités d’adaptation des règles de Bâle qui étaient auparavant ouvertes aux Etats – la crise a fait apparaître cette nécessité - ; troisièmement, appliquer les règles de Bâle III à toutes les banques européennes et aux fonds d’investissement, ce qui est une démarche de bon sens pour éviter les dérives qu’on a connues aux Etats-Unis ; et enfin apporter trois éléments supplémentaires par rapport à Bâle III : durcir les règles de gouvernance, durcir les régimes de sanctions, et rendre moins systématique la référence aux appréciations des agences de notation. Nous avançons donc vers un corps de règles unique, harmonisé, pour les pays européens.

Pourquoi la Commission européenne n’a-t-elle pas présenté toutes ces dispositions dans une proposition de règlement ? Les Etats et les banques elles-mêmes ne sont pas prêts pour une unification complète des pratiques et des règles, en matière de gouvernance et de sanctions. La proposition de règlement couvre tous les domaines dans lesquels une règle européenne unique peut et doit exister, en particulier pour la définition des fonds propres et le niveau des fonds propres – qui sera fixé à un niveau supérieur pour les établissements d’importance systémique, dont les principales banques françaises, longtemps citées en exemple mais qui se sont trouvées brusquement, du fait de leur exposition aux dettes souveraines européennes, dans une situation de fragilité qui n’avait pas été prévue. Les banques présentant un niveau de risque plus élevé vont se voir imposer des niveaux de fonds propres, c’est-à-dire des charges, encore supérieures, ce qui va dans les années qui viennent poser un réel problème pour la compétitivité de nos banques par rapport aux autres banques européennes. La proposition de règlement porte également sur la définition du rôle de l’Autorité bancaire européenne.

Depuis la présentation des propositions de la Commission en juillet, la crise financière a encore beaucoup évolué, la crise de la dette s’est aggravée, amenant la décision du 26 octobre du Conseil européen.

Que faut-il penser de ce dispositif ? Il y a consensus sur la nécessité d’une harmonisation des règles et pratiques bancaires et financières en Europe. Mais la Commission ne va-t-elle pas trop loin ? Quels sont les risques ? Le premier risque est celui d’une contraction du crédit au moment où la récession menace l’Europe, avec les conséquences qui peuvent en résulter pour la croissance et pour les Etats. Le deuxième risque est celui d’une distorsion de concurrence entre l’Europe et le reste du monde. L’Union européenne s’apprête à adopter des règles très contraignantes sans aucune garantie que les Etats-Unis et la Chine, notamment, feront de même. Si le Président Obama a annoncé que les Etats-Unis mettraient en œuvre Bâle III, les Etats-Unis n’ont pas encore mis en oeuvre Bâle II ; on peut donc s’interroger sur la volonté réelle des autorités américaines. On peut se poser la même question en ce qui concerne les pays émergents, en particulier pour la Chine, dont l’appareil financier obéit à des règles qui n’ont en aucun cas le même degré de transparence qu’en Europe.

Nos propositions de conclusions ont un caractère provisoire. Elles indiquent les enjeux essentiels. Il est incontestable qu’il faut restaurer la confiance. Il faut être réactif et aller plus vite que le calendrier prévu, c’est d’ores et déjà décidé. Mais nos interrogations n’ont pas encore reçu de réponse. Nous demandons donc en particulier des éléments d’évaluation chiffrés sur les risques qu’une telle réglementation « unilatérale » de l’Europe comporte. Et nous soulignons la nécessité d’appliquer une réglementation équivalente à l’ensemble du secteur financier, y compris au secteur « parallèle ».

M. Pierre Forgues. Votre inquiétude relative à l’impact de l’accélération du calendrier sur les flux de crédits à l’économie réelle me semble un peu excessive. Les banques ont bénéficié d’un soutien financier public sans précédent, qu’il prenne la forme de prêts préférentiels, de prises de capital et, plus récemment, d’un accès quasi illimité et gratuit aux liquidités de la Banque centrale européenne. Qu’en ont fait les banques ? Ces fonds ne se sont guère retrouvés dans l’économie réelle, nourrissant à l’inverse un peu plus le système spéculatif international. Ici réside en effet l’enjeu principal, limiter la spéculation, qui serait infiniment mieux servi par l’indispensable distinction des banques de dépôt et des banques d’affaires.

Mme Annick Girardin. A côté des risques que vous soulignez, je veux ajouter un troisième danger souvent ignoré : l’impact du renforcement des exigences prudentielles sur les petits établissements bancaires, en particulier dans les territoires ultramarins. Ainsi, par exemple, Bâle II a réduit l’implantation bancaire locale à Saint-Pierre-et-Miquelon à un seul établissement, qui n’a pu être maintenu que grâce aux éléments de souplesse que le texte laissait aux Etats et je crains fort que Bâle III signifie la fin d’un maillage local pourtant indispensable dans des territoires aux spécificités marquées.

Mme Marietta Karamanli. Je remercie vivement les rapporteurs pour la qualité et l’importance de leurs travaux. Et je rejoins mes collègues sur l’impérieuse nécessité de faire un tri étanche entre les activités de dépôts et les activités d’affaires, dont la confusion à tant fait pour nous précipiter dans la crise. Il est une autre question décisive, qu’il nous faut aborder : la problématique de la taille des banques, les établissements « too big to fail » jouissant d’une forme d’impunité dès lors que l’impossibilité de leur faillite leur garantit une irresponsabilité de fait. Il me paraît aussi opportun de signaler que les contraintes que s’impose l’Europe sont aussi une chance pour ses établissements, mieux préparés et avant d’autres à la nécessité d’un système financier équilibré.

M. Jean-Yves Cousin. Deux aspects me semblent devoir être débattus. En premier lieu, après vous avoir écoutés, je me demande si nous nous prémunissons avec suffisamment de soin des effets dangereux sur les liquidités offertes à l’économie réelle de l’accélération du calendrier. En second lieu, je m’interroge sur les aspects juridiques concrets que pourrait revêtir l’idée, pertinente, de s’affranchir des avis des agences de notation.

Mme Pascale Gruny. Avez-vous été directement en contact avec les banques françaises, afin de connaître leurs appréciations sur le calendrier envisagé ? Pensez-vous que les nouvelles exigences de Bâle III sont à la mesure de la crise, et permettraient efficacement d’en prévenir à l’avenir la répétition ? Quels sont les positions des Etats les plus sensibles à la régulation financière, je pense en particulier au Royaume-Uni et au Luxembourg ?

M. Michel Diefenbacher, co-rapporteur. Le risque de contraction du crédit est réel, nul ne peut le nier, d’autant plus dans les pays, comme le nôtre, où les banques sont de grande taille et demeurent très exposées à la dette souveraine. Pour autant, je ne peux laisser dire que les banques ont été alimentées à guichet ouvert en fonds publics et avec pour seul résultat de nourrir la spéculation. La consolidation du bilan a été entamée, et, il faut le rappeler, en France, les banques ont remboursé l’intégralité des aides reçues. En outre, la situation est très différente selon les pays, je pense en particulier au Royaume-Uni où l’Etat a du prendre de très nombreuses participations.

Cela explique d’ailleurs des divergences de position parfois contre-intuitives. Je pense en particulier au Royaume-Uni, très allant sur une régulation extensive et ambitieuse, précisément en raison du traumatisme qu’a constitué en 2008 et 2009 la révélation des failles de son système bancaire et la nécessité d’en nationaliser des pans entiers.

M. Pierre Bourguignon, co-rapporteur. C’est en effet ce qui ressort de nos travaux, les spécificités nationales demeurant très fortes. Le Gouvernement français, par exemple, est ainsi obsédé par la défense du modèle français de bancassurance, sur lequel Bâle III fait peser des contraintes particulières. Bien entendu, nous avons veillé à examiner les positions de tous les acteurs concernés, qui d’ailleurs ont largement pu les défendre puisque, ne l’oublions pas, les accords de Bâle sont négociés par les régulateurs nationaux dans lesquels les établissements financiers jouent un grand rôle. Dans ce contexte, notre ambition à ce stade est surtout de vous tenir pleinement informés de l’état des négociations et des enjeux, d’où une certaine prudence dans nos conclusions d’étape.

M. Michel Diefenbacher, co-rapporteur. Par suite, je reconnais que les contraintes nouvelles imposées par les exigences prudentielles pèseront lourd sur les petits établissements, et nourriront un mouvement de concentration.

Sur la question de l’étanchéité entre activités d’affaires et de dépôt, je pense qu’il faut demeurer réaliste. Si la coexistence des activités a été décidée, c’est parce que l’économie réelle avait besoin des moyens financiers apportés par les dépôts, et ce modèle a pu fonctionner pendant longtemps. La question est moins celle de la séparation des acteurs que celles de la différenciation des métiers. Une même structure peut exercer les deux activités, dès lors qu’elle applique des règles et des méthodes différentes selon les exigences particulières de chacune de ces opérations.

Les effets pervers du « too big to fail » sont au cœur de l’ambition de Bâle III, et les normes prudentielles visent précisément à remettre sur les rails des établissements dont on sait que la faillite est inenvisageable sans menacer l’économie toute entière. Allons-nous trop loin dans cette direction, en s’imposant un rythme et des contraintes excessifs ? C’est la question principale, et je ne vous cache pas que de nombreux acteurs financiers penchent vers une réponse positive. Cela nuance d’ailleurs la perspective de voir nos établissements plus attractifs au lendemain de l’application anticipée des nouvelles normes. Les investisseurs cherchent avant tout la rentabilité, et il n’est guère certain que Bâle III la renforce. Des banques plus sûres mais plus « chères » ne seront pas nécessairement plus attractives.

S’agissant enfin de l’émancipation à l’égard des agences de notations, l’idée est précisément de vider la législation officielle des références à leurs avis qu’elle contient encore trop souvent, et d’encourager par ce biais les établissements à multiplier leurs évaluateurs, et à développer leurs propres systèmes d’analyse.

M. Pierre Bourguignon, co-rapporteur. On le voit bien à la profusion des enjeux : la principale question est celle du timing. Les négociateurs de Bâle III en étaient bien conscients, puisqu’ils ont prévu une longue étape de mise en place des nouvelles normes, afin d’en amortir l’impact sur le système financier et sur l’économie.

La Commission a ensuite adopté les conclusions suivantes :

« La Commission des affaires européennes,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 2002/87/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la surveillance complémentaire des établissements de crédit, des entreprises d’assurance et des entreprises d’investissement appartenant à un conglomérat financier (COM (2011) 453 final/no E 6480),

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement (COM (2011) 452 final/no E 6787),

Prend acte des propositions présentées par la Commission européenne et de l’objectif qui leur est assigné de contribuer à restaurer la confiance dans le secteur bancaire européen,

Note que ces propositions ont principalement pour objet d’intégrer dans le droit positif les dispositions de l’accord « Bâle III » présenté par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, et comportent également des dispositions nouvelles relatives à la gouvernance des entreprises dans le secteur financier et à un renforcement des moyens juridiques des superviseurs nationaux,

Relève que « Bâle III » a été élaboré dans l’urgence par le Comité de Bâle en réponse à la crise financière de 2007-2008, que la Commission européenne a présenté ses propositions le 20 juillet 2011, et que depuis lors le contexte bancaire et financier a encore profondément changé en Europe, ce qui a conduit les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne à préconiser une accélération du calendrier de mise en œuvre des dispositions de « Bâle III » relatives aux exigences de fonds propres,

Se déclare très préoccupée par l’impact que l’application accélérée de ces nouvelles exigences plus strictes est susceptible d’avoir sur les flux de crédits à l’économie réelle, et demande en conséquence au gouvernement de présenter une évaluation chiffrée sur ce risque et d’exercer la plus grande vigilance sur ce point dans les négociations,

Souligne l’impérieuse nécessité d’une application coordonnée de « Bâle III » par tous les Etats concernés, afin de ne pas donner prise aux arbitrages réglementaires ni créer des distorsions de concurrence, et rappelle à cet égard qu’il convient de renforcer la coopération transatlantique en matière de réglementation financière,

Accueille favorablement la démarche de la Commission européenne tendant à inciter les établissements bancaires à ne plus recourir systématiquement aux notations produites par les agences de notation,

Appelle enfin l’Union européenne, dans le cadre des travaux du G20, à proposer en parallèle une réglementation applicable au secteur bancaire « parallèle » ou « de l’ombre » (shadow banking), afin d’éviter que les risques systémiques ne se déplacent vers ce secteur au fur et à mesure de l’application de règles plus contraignantes au secteur bancaire et financier traditionnel. »

II. Communication de MM. Jérôme Lambert et Didier Quentin sur les propositions de réforme de l’espace Schengen (E 5843, E 6293, E 6612 et E 6626)

M. Jérôme Lambert, co-rapporteur. Cette communication tend à présenter les textes en discussion relatifs à l’espace Schengen. Notre collègue Didier Quentin fera le point sur la proposition de règlement portant création d’un mécanisme d’évaluation de l’application de l’acquis de Schengen et sur la proposition de règlement tendant à l’instauration d’une clause de sauvegarde en matière de visas.

S’agissant de la proposition de règlement tendant à établir des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles (E 6612), il convient de rappeler que cette proposition de règlement a fait l'objet d'un examen au titre de la subsidiarité devant la commission des affaires européennes le 27 septembre 2011. La proposition de résolution sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement, confirmée par la commission des lois, a été examinée en séance publique le 8 novembre 2011. Pour la première fois, une proposition de résolution européenne portant sur la conformité au principe de subsidiarité d’un projet de texte européen a été débattue en séance publique. La proposition de résolution a été adoptée à l'issue du débat, telle qu’elle avait été proposée par la commission des affaires européennes.

Plusieurs parlements étrangers ont également jugé que la proposition n’était pas conforme au principe de subsidiarité : Chambre des représentants et Sénat des Pays-Bas, Sénat roumain, parlement suédois, parlement portugais et parlement slovaque.

La proposition de règlement doit à présent être examinée au fond.

Il convient de rappeler rapidement la genèse de cette proposition. Les autorités italiennes ont décidé de délivrer le 5 avril 2011 aux Tunisiens arrivés clandestinement en Italie des titres de séjour provisoires au titre de la protection subsidiaire. Cette décision a soulevé un débat très vif sur la possibilité, pour les titulaires du titre de séjour, de circuler librement dans l’espace Schengen ainsi que sur le manque de solidarité au sein de l’Union s’agissant de la politique de l’immigration.

L’attention s’est focalisée notamment sur la possibilité de restaurer les contrôles systématiques aux frontières intérieures en cas d’afflux massif d’immigrants ou en cas de défaillance d’un Etat membre dans la surveillance des frontières extérieures dont il a la charge. C’est la clause de sauvegarde.

La proposition de règlement déposée le 16 septembre 2011 prévoit trois types de procédure de rétablissement.

S’agissant, en premier lieu, des menaces prévisibles, par exemple un événement sportif de grande ampleur, le nouvel article 23 du code frontières Schengen dans sa rédaction issue de la proposition de règlement, disposerait que « en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure au niveau de l'Union ou à l'échelon national dans l'espace sans contrôle aux frontières intérieures, le contrôle aux frontières intérieures peut être exceptionnellement réintroduit. »

La proposition de règlement prévoit que la Commission européenne prendrait la décision de réintroduire le contrôle, sur proposition d’un Etat membre, et déciderait également de la prolongation éventuelle. Elle pourrait également décider de réintroduire le contrôle de sa propre initiative. La Commission européenne serait assistée par un comité, composé des représentants des Etats membres. Les actes seraient adoptés conformément à la procédure de comitologie. D’une manière générale, cette procédure par laquelle la Commission européenne, assistée par un comité d’experts des Etats membres, se voit conférer des pouvoirs d’exécution, ne devrait concerner que des questions mineures ou très techniques et en aucun cas des compétences de premier plan.

Le nouvel article 25 du code frontières Schengen porterait, en deuxième lieu, sur la procédure spécifique dans les cas nécessitant une action immédiate. L'État membre concerné pourrait, exceptionnellement et immédiatement, rétablir un contrôle aux frontières intérieures, pour une période limitée n'excédant pas cinq jours. La Commission européenne déciderait de la prolongation du contrôle aux frontières intérieures.

Il convient de rappeler qu'à l'heure actuelle, le code frontières Schengen prévoit une clause de sauvegarde permettant de rétablir le contrôle aux frontières intérieures dans deux cas :

- en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, pour une période limitée à trente jours au maximum, ou à la durée prévisible de la menace si celle-ci excède trente jours;

- de manière urgente et exceptionnelle, lorsque l’ordre public ou la sécurité intérieure l’exige.

Quelle différence par rapport à ce qui est proposé ? C’est aujourd’hui à l’Etat membre qu’il revient de prendre la décision de la réintroduction du contrôle. La Commission européenne peut émettre un avis.

La proposition de règlement vise donc à communautariser des procédures qui relèvent actuellement des Etats membres, sous le contrôle a posteriori de la Commission européenne. L’Assemblée nationale a jugé une telle communautarisation contraire au principe de subsidiarité car les Etats membres sont bien les mieux à même de juger de la nécessité de la réintroduction du contrôle. En outre, les Etats font un usage très ciblé de ces dispositions et ne rétablissent les contrôles que lorsque cela est strictement nécessaire, pour des délais très brefs et sur des zones très limitées. Ce type de décision n'a pas un impact européen tel qu'il faille transférer la prise de décision à la Commission européenne. Il convient donc de s'opposer à cette proposition, tant au regard de la subsidiarité que s'agissant du fond.

En outre, le choix fait par la Commission européenne d’appliquer une procédure de comitologie à une décision nécessairement politique, qui ne peut se réduire à des considérations techniques, pose des questions de principe et des difficultés pratiques.

La proposition de règlement prévoit, en troisième et dernier lieu, un nouveau dispositif en cas de manquements graves et persistants dans la surveillance des frontières extérieures. Cette clause de sauvegarde serait créée au nouvel article 26 du règlement. Selon la nouvelle procédure, dans les cas où la Commission constate de « graves manquements persistants dans le contrôle aux frontières extérieures ou les procédures de retour », « et dans la mesure où ces manquements représentent une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure au niveau de l'Union ou à l'échelon national, le contrôle aux frontières intérieures » pourrait être réintroduit pour une période n'excédant pas six mois.

La décision de la réintroduction des contrôles aux frontières et les décisions éventuelles de prolongation seraient prises selon la procédure de comitologie. S'agissant de cette nouvelle procédure, qui a été demandée par les Etats membres, dont notamment la France, si la décision au plan communautaire n'appelle dans son principe pas de réserves, les conditions posées apparaissent trop strictes pour permettre une application concrète.

M. Didier Quentin, co-rapporteur. J’en viens à la proposition de règlement portant création d'un mécanisme d'évaluation et de suivi destiné à contrôler l'application de l'acquis de Schengen (E 6626). Celle-ci vise à améliorer le contrôle de l'application de l'acquis de Schengen et à accroître la confiance mutuelle entre les Etats membres, dont on peut dire qu’elle est le fondement de l'espace Schengen.

L'évaluation Schengen comporte deux volets : vérifier que les conditions requises sont réunies pour l'entrée en vigueur de l'acquis de Schengen dans un État candidat puis surveiller l'application correcte de l'acquis de Schengen par les Etats membres. C'est ce second volet qui serait réformé.

Alors qu'elle était simple observateur, la Commission européenne se verrait conférer des compétences d'exécution, les Etats membres étant étroitement associés au processus d'évaluation et de suivi. Cette modification devrait permettre de renforcer le contrôle. La proposition prévoit que des évaluations puissent être menées de manière inopinée. Par ailleurs, un programme d'évaluation pluriannuel serait établi par la Commission européenne. Chaque Etat membre serait évalué au moins une fois par période de cinq ans, compte tenu d'une analyse des risques, des pressions migratoires, de la sécurité intérieure et du temps écoulé depuis les évaluations précédentes. Frontex devrait soumettre à la Commission européenne une analyse des risques. Un rapport d'évaluation serait établi et conclurait, soit à une évaluation conforme, soit à une évaluation conforme avec des améliorations nécessaires, soit à une évaluation non conforme. L'État membre concerné devrait soumettre, dans un délai d'un mois à compter de l'adoption du rapport, un plan d'action destiné à remédier à toute insuffisance constatée. Dans les six mois, l’Etat membre aurait à rendre compte à la Commission européenne de la mise en oeuvre de son plan d'action.

Dans les cas où le rapport d'évaluation ferait état de manquements graves dans l'exécution du contrôle aux frontières extérieures ou dans les procédures de retour, la Commission pourrait décider de demander à l'État membre de prendre des mesures spécifiques, telles que le déploiement d'équipes européennes de gardes-frontières, conformément aux dispositions du règlement relatif à Frontex, ou encore la fermeture d’un point de passage frontalier. Les autorités françaises sont favorables à ces nouvelles dispositions introduites dans la proposition du 16 septembre 2011.

Il faut également examiner ici la proposition de règlement tendant à l'instauration d'une clause de sauvegarde en matière de visas (E 6293). Elle vise principalement à mettre en oeuvre une clause de sauvegarde en matière de visas.

C'est suite au choix fait par le Conseil d'adopter l'exemption de visas en faveur de l'Albanie et de la Bosnie-Herzégovine, alors même que plusieurs Etats membres, dont la France, étaient très réticents du fait de la rapide augmentation des demandes d'asile observée après la libéralisation du régime des visas en faveur de pays des Balkans occidentaux, que la question de la création d'une clause de sauvegarde permettant de suspendre la libéralisation des visas a pris une acuité particulière.

La Commission européenne a proposé qu'un État puisse faire une notification de situation d'urgence à la Commission en cas de survenance de l'un des phénomènes suivants :

- un accroissement soudain d'au moins 50 % sur une période de six mois du nombre de ressortissants d'un pays tiers déclarés en séjour irrégulier ;

- un accroissement soudain d'au moins 50 % sur une période de six mois du nombre de demandes d'asile déposées par les ressortissants d'un pays tiers, pour lequel le taux de reconnaissance était inférieur à 3 % au cours des six mois précédents ;

- un accroissement soudain d'au moins 50 % sur une période de six mois du nombre de demandes de réadmission rejetées qu'un État membre a transmises à un pays tiers.

M. Jérôme Lambert, co-rapporteur. Il convient de relever le caractère peu satisfaisant de critères fondés sur des pourcentages qui ne tiennent pas compte des valeurs absolues.

M. Didier Quentin, co-rapporteur. Tout à fait. La France était opposée à ce que les seuils de 50 % et de 3 % soient inscrits dans le corps du règlement et, au cours des négociations, une nouvelle rédaction a été approuvée faisant référence à un accroissement substantiel et soudain du nombre de ressortissants en séjour irrégulier, du nombre de demandes d'asile, qui entraîne des pressions concrètes sur le régime d'asile, et qui sont manifestement non fondées ou du nombre de demandes de réadmission rejetées. Cela semble plus réaliste. Il appartiendrait à la Commission européenne d'examiner la notification, à la suite de laquelle elle pourrait adopter une décision d'exécution portant suspension de l'exemption de visas. Cette nouvelle rédaction est jugée satisfaisante et une orientation générale sur le texte a été validée lors du Conseil Justice et affaires intérieures du 13 décembre 2011.

En conclusion, il vous est proposé d’adopter les propositions de texte E 6293, 6612, 6626, sous réserve de la résolution suivante, portant sur le E 6612.

M. Jérôme Lambert, co-rapporteur. Il convient de souligner, s’agissant du E 6612 relatif à la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles, qu’il ne s’agit pas de s’opposer à toute intervention de l’Union en la matière. Toutefois, ce n’est pas à l’Union de décider de la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures d’un Etat membre. Il faut en revanche qu’elle puisse exercer un contrôle a posteriori.

Le Président Pierre Lequiller. Il s’agit là d’une question importante dont nous avions déjà débattu lors de l’examen au titre de la subsidiarité et il est intéressant de revoir cette question au fond. J’avais transmis la proposition de résolution adoptée par notre commission à nos homologues européennes.

La Commission a approuvé les documents E 6293, E 6612 et E 6626 ainsi que la proposition de résolution suivante :

« L'Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 562/2006 afin d'établir des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles (COM [2011] 560 final/no E 6612),

Vu la résolution européenne de l’Assemblée nationale no 753 du 8 novembre 2011 portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) no 562/2006 afin d’établir des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles,

1. Rappelle que l’espace Schengen constitue l’une des plus grandes réalisations de l’Union européenne ;

2. S’oppose à la réforme tendant à communautariser les procédures existantes de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure, telles qu’elles sont prévues par le règlement (CE) no 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen);

3. Est favorable, s’agissant de la nouvelle clause de sauvegarde proposée en cas de manquements graves et persistants d’un Etat membre dans la surveillance des frontières extérieures, à la prise de décision au niveau européen, comme le prévoit la proposition de règlement ;

4. Juge toutefois que la condition cumulative selon laquelle les graves manquements doivent également représenter une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ne devrait pas être maintenue.

La Commission a ensuite décidé de déposer un rapport d’information.

III. Communication de M. Didier Quentin sur la proposition de directive relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait de la protection internationales dans les Etats membres ainsi que sur la proposition de directive établissant des normes pour l’accueil des demandeurs d’asile (E 4872, E 6362 et E 6363)

M. Didier Quentin, rapporteur. Le pacte européen sur l'immigration et l'asile, adopté par le Conseil européen le 17 octobre 2008, sous présidence française de l'Union, demande que soient présentées des propositions en vue d'instaurer, dès 2012, une procédure d'asile unique comportant notamment des garanties communes. Des propositions de refonte des directive « accueil » et « procédures » avaient été déposées respectivement en décembre 2008 (E 4169) et octobre 2009 (E 4872). Face au blocage des négociations au Conseil, la Commission européenne a déposé deux propositions de refonte modifiées le 7 juin 2011 (E 6362 et E 6363).

Il convient d’examiner en premier lieu la proposition de réforme de la directive « procédures » et de faire un point sur la seconde proposition de directive « accueil ».

S’agissant de la refonte de la directive « procédures », qui est source de réelles difficultés, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a soutenu les avancées prévues par la proposition de 2009, et a notamment souligné l’urgence de supprimer les restrictions à l’entretien individuel, de former les personnels recevant les demandeurs d’asile, de limiter autant que possible le champ d’application des procédures accélérées et de lutter contre la mauvaise application du concept de pays d’origine sûr.

Une contribution conjointe de la France et de l'Allemagne, datant du 13 septembre 2010, a mis en avant les grandes difficultés posées par le texte. La France et l’Allemagne, soit deux des trois premiers Etats destinataires de la demande d’asile mondiale, ont enregistré depuis plusieurs années une hausse soutenue du nombre de demandes d’asile. Les deux Etats ont rappelé l'objectif majeur de soutenabilité des dispositifs, dans le plein respect des droits de demandeurs d'asile. Les règles posées doivent être effectives et le dispositif équilibré.

La Commission européenne a ensuite présenté sa proposition modifiée le 7 juin 2011 (E 6362), afin de tenir compte des débats engagés en 2010 et d'intensifier les travaux en vue d'aboutir à un accord plus rapide. Une contribution commune des délégations allemande, française et du Royaume-Uni concernant les propositions de directive relatives à l'asile, en date du 27 juin 2011, a notamment demandé, s'agissant de la directive « procédures » :

- des dispositions plus larges autorisant l'application de procédures accélérées;

- des dispositions claires permettant de gérer efficacement les demandes multiples;

- des dispositions relatives à l'assistance juridique gratuite équilibrées;

- des dispositions en matière de recours qui concilient les exigences de la jurisprudence de la CEDH et la nécessité de disposer de procédures rapides et efficaces à l'égard des détournements du droit d'asile ;

- des dispositions équilibrées s'agissant des garanties apportées aux personnes vulnérables, notamment aux mineurs non accompagnés.

L'objectif de parvenir à un accord en 2012 demeure d'actualité. Toutefois, les négociations au Conseil autour de la refonte de la directive « procédures » suscitent encore de réelles difficultés. La proposition initiale de la Commission européenne tendait à remettre en cause la procédure d'asile à la frontière, telle qu'elle existe en France. En l’état actuel des négociations, la procédure d’asile à la frontière pourrait être maintenue (articles 4 et 43), ce qui constitue une avancée.

La réforme des règles encadrant l’entretien individuel est l’un des principaux enjeux de la réforme. En France, un entretien individuel est mené par l'OFPRA, hormis dans certains cas, encadrés. L’article 14 limiterait les possibilités de déroger au principe d’un entretien individuel. Les autorités françaises souhaitent que la dispense d’entretien puisse continuer à être appliquée lorsqu’une demande est manifestement infondée.

La proposition de directive prévoit que les Etats membres autorisent le demandeur à se présenter à l'entretien personnel accompagné de son conseil juridique ou d'un autre conseiller reconnu ou autorisé en vertu du droit national. Cette disposition apparaît très problématique aux autorités françaises. Il convient de rappeler le caractère confidentiel de l'entretien individuel. En ce qui concerne la présence de l'avocat, il est probable que celle-ci générera de réelles difficultés de gestion si les possibilités d'intervention de l'avocat au cours de l'entretien sont larges, ce qui conduirait nécessairement à allonger le temps de l'entretien. L'OFPRA rappelle l'exigence de son contrat d'objectifs et de moyens.

L’assistance juridictionnelle gratuite devrait être accordée sur demande dans le cadre des procédures de recours juridictionnel. Une assistance judiciaire gratuite pourrait également être fournie dans le cadre des procédures de premier ressort. Les restrictions à l’accès à l’aide judiciaire gratuite seraient plus limitées. Les autorités françaises sont défavorables à ce que soit prévue une aide juridictionnelle gratuite pour les recours relatifs à des demandes de réexamen si le requérant a déjà été entendu et a bénéficié de l’assistance d’un avocat.

La proposition de directive prévoit la mise en oeuvre de garanties spéciales pour les personnes vulnérables. Le caractère trop vague des prescriptions proposées doit être souligné et l'ajout de précisions est souhaité notamment par la délégation française, afin d'indiquer que le demandeur doit alors émettre une demande motivée, que la procédure ne doit pas être discriminatoire à l'encontre des autres demandeurs d'asile et qu'il ne doit pas exister d’impossibilité en termes de moyens.

S’agissant des mineurs isolés, la Commission européenne propose notamment que l'examen d'une demande d'asile présentée par un mineur isolé ne puisse pas être soumise à une procédure accélérée ni examinée dans le cadre de la procédure d'asile à la frontière. Les autorités françaises sont opposées à ces dispositions.

Le droit européen actuel prévoit que les Etats membres peuvent établir une liste commune de pays d’origine sûrs. Les Etats membres ne se sont jamais accordés sur une telle liste. Les Etats membres ont, au plan national, une utilisation très variable de cette notion, ce qui est régulièrement dénoncé par les ONG. En France, la notion a été introduite par la loi du 10 décembre 2003. La liste des pays d’origine sûrs comprend actuellement 20 pays. Les ressortissants de pays d’origine sûrs voient leur demande instruite par l'OFPRA dans le cadre de la procédure prioritaire et leur recours éventuel devant la Cour nationale du droit d'asile n'a alors pas de caractère suspensif. Devant l’impossibilité d’établir une liste au niveau européen, la liste commune des pays d’origine sûrs serait supprimée mais des critères communs seraient établis par la directive pour l’établissement des listes au niveau national.

En ce qui concerne les procédures accélérées, les autorités françaises souhaitent que, comme l'a prévu de la loi du 16 juin 2011, la proposition permette aux Etats membres d'examiner en procédure accélérée la demande d'un demandeur qui se refuse à donner ses empreintes digitales, et que la procédure accélérée puisse continuer à être appliquée à un mineur isolé ainsi que dès la première demande de réexamen.

Enfin, la Commission européenne propose de généraliser le caractère suspensif du recours, ce qui constitue une difficulté puisque le recours devant la CNDA dans le cadre des procédures prioritaires n’est pas suspensif. Il convient à cet égard de souligner qu'un recours I.M. contre France a été introduit devant la Cour européenne des droits de l'homme.

S’agissant de la refonte de la directive « accueil », qui demeure très discutée, du point de vue des autorités françaises, le fait que l'accès au marché du travail doive être effectif après un délai de six mois demeure problématique et risque d'ajouter un nouvel élément d’attractivité à la procédure d'asile. Le texte présenté quant au niveau des prestations sociales demeure de nature à favoriser les demandes d'asile abusives et pèserait sur les Etats membres les plus généreux. L'encadrement du placement en zone d’attente des mineurs isolés dans le cadre de la procédure d'asile à la frontière n'est pas satisfaisant, la spécificité de l’asile à la frontière devant être maintenue. Enfin, la France s’oppose à la suppression de la restriction des conditions d'accueil pour les demandeurs d'asiles qui n'ont pas déposé leur demande dans un délai raisonnable après leur arrivée.

En conclusion, la nécessité de parvenir à une plus grande harmonisation dans les législations nationales est criante. Toutefois, plusieurs points de divergence majeurs existent encore. La négociation avec le Parlement européen risque également d’être complexe. L’objectif de parvenir à un accord en 2012 est ambitieux. La présidence danoise, qui précédera la présidence chypriote de l’Union, s’est engagée à faire avancer les négociations.

Le Président Pierre Lequiller. Il s’agit là d’une question très importante sur laquelle une véritable harmonisation doit être obtenue, ce qui est très complexe.

Le rapporteur. Il convient également de souligner que la France est l’Etat membre qui reçoit le plus de demandes d’asile.

La Commission a approuvé les propositions de directive (E 6362 et E 6363) et a adopté les conclusions suivantes :

« La Commission des affaires européennes,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait de la protection internationale dans les États membres (refonte) (COM (2011) 319 final/no E 6362),

Vu la proposition modifiée de directive du Parlement européen et du Conseil établissant des normes pour l’accueil des demandeurs d’asile (refonte) (COM (2011) 320 final/no E 6363),

1. Rappelle la nécessité d’accélérer l’édification de normes harmonisant les régimes d’asile au sein de l’Union ;

2. Souhaite que le texte puisse trouver un point d’équilibre qui permette de garantir à la fois le caractère soutenable des régimes d’asile et le plein respect des droits des demandeurs d’asile ;

3. Estime que doivent être soutenues les réserves françaises sur la proposition de refonte de la directive dite « procédures » relatives à la présence de l’avocat au cours de l’entretien individuel, aux restrictions à la mise en œuvre de procédures accélérées, aux demandes de réexamen ainsi qu’à la nécessité de mieux encadrer les mesures spécifiques applicables aux personnes vulnérables et aux mineurs non accompagnés ;

4. Appuie, s’agissant de la proposition de refonte de la directive dite « accueil », la position des autorités françaises sur les risques d’accroître le nombre des demandes d’asile non fondées sur un réel besoin de protection. »

*

* *

Puis le Président Pierre Lequiller a précisé qu’avec l’accord de Mme Anne Grommerch et M. Régis Juanico, rapporteurs, leur communication sur l’Acte unique et les actions en faveur des PME et sur la proposition de règlement sur la compétitivité des entreprises et les PME (E 6904) est reportée à une prochaine réunion.

IV. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Textes « actés »

Aucune observation n’ayant été formulée, la Commission a approuvé les textes suivants :

Ø Espace de liberté, de sécurité et de justice

- directive UE de la Commission modifiant la directive 2008/43/CE portant mise en oeuvre, en application de la directive 93/15/CEE du Conseil, d'un système d'identification et de traçabilité des explosifs à usage civil (E 6796) ;

- budget de SISNET pour l'exercice 2012. Référence document18643/11 Date du document14/12/2011(E 6961).

Point B

La Commission a approuvé le texte suivant :

Ø Pêche

- proposition de décision du Conseil concernant la conclusion d'un nouveau protocole fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues par l'accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre l'Union européenne et la République du Mozambique (E 6935).

Accords tacites de la Commission

En application de la procédure adoptée par la Commission les 23 septembre 2008 (textes antidumping), 29 octobre 2008 (virements de crédits), 28 janvier 2009 (projets de décisions de nominations et actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) concernant la prolongation, sans changement, de missions de gestion de crise, ou de sanctions diverses, et certaines nominations), celle-ci a approuvé tacitement les documents suivants :

- décision du Conseil portant mise à jour de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s'appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune 2001/931/PESC relative à l'application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme, et abrogeant la décision 2011/430/PESC (E 6957) ;

- décision du Conseil portant mise à jour de la liste des personnes, groupes et entités auxquels s'appliquent les articles 2, 3 et 4 de la position commune 2001/931/PESC relative à l'application de mesures spécifiques en vue de lutter contre le terrorisme (E 6958) ;

- règlement d'exécution du Conseil mettant en oeuvre l'article 2, paragraphe 3, du règlement (CE) no 2580/2001 concernant l'adoption de mesures restrictives spécifiques à l'encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et abrogeant le règlement d'exécution (UE) no 687/2011 (E 6959) ;

- règlement (UE) de la Commission portant fixation des méthodes de prélèvement et d'analyse d'échantillons à utiliser pour le contrôle officiel des teneurs en dioxines, en PCB de type dioxine et en PCB autres que ceux de type dioxine de certaines denrées alimentaires et abrogeant le règlement (CE) no 1883/2006 (E 6960)

- proposition de règlement du Conseil clôturant le réexamen intermédiaire partiel, au titre de l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE), no 1225/2009, des mesures antidumping applicables aux importations de ferrosilicium originaire, entre autres, de Russie (E 6993).

La séance est levée à 18 h 30

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 10 janvier 2012 à 16 h 45

Présents. - M. Pierre Bourguignon, M. Jean-Yves Cousin, M. Michel Diefenbacher, M. Pierre Forgues, Mme Annick Girardin, Mme Anne Grommerch, Mme Pascale Gruny, M. Régis Juanico, Mme Marietta Karamanli, M. Jérôme Lambert, M. Pierre Lequiller, M. Jacques Myard, M. Didier Quentin, M. Gérard Voisin

Excusés. - M. Jacques Desallangre, M. Michel Herbillon, Mme Odile Saugues.